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Annales Academiae Paedagogicae Cracoviensis

Folia 49 Studia Romanica III (2008)

II

Maria Gubińska
L’image de la mère dans La Civilisation,
ma Mère!... de Driss Chraïbi

Driss Chraïbi, écrivain marocain de langue française s’inscrit dans cette lignée
d’écrivains maghrébins qui ont fait leurs études à l’époque de la domination française
dans cette région. Il a fait ses études secondaires à Casablanca, puis est venu
à Paris étudier la chimie. Il s’installe en France dès 1947. Son premier roman, Le
Passé simple, paraît en 1954. Il est très bien accueilli par la critique française, mais
fait scandale au Maroc, à tel point que l’écrivain doit renier un moment son œuvre
(janvier 1957). A partir de 1982, il commence à revenir au Maroc, après un exil
de plus de trente ans. Il partage actuellement sa vie entre le Maroc et la France.
Sa carrière littéraire est brillante; chaque livre est un profond questionnement de
l’actualité racontée parfois sous la forme de révolte (Le Passé simple), parfois
avec humour et beaucoup de verve (La Civilisation, ma Mère!...) [1972]. Outre ses
nombreux romans, il écrit aussi pour la radio, surtout pour France-Culture.
Si Le Passé simple est trop souvent considéré comme une image blasphématoire
d’un père féodal, son deuxième roman, Les Boucs (1955) est un livre où un intellectuel
marginal interroge la vie de ses concitoyens en France et essaye de décrire cette attitude
pitoyable que porte sur eux une société trop intéressée par elle-même. Malgré tous les
clichés littéraires dont il est victime, Chraïbi tente de maintenir un équilibre; sa critique
de la société marocaine est ‘atténuée’ par l’image peu idyllique de la société française.
L’objectif de cette démarche est de concilier l‘Orient et l’Occident, de s’instruire par
autrui, car dans la réflexion sur l’Autre, se développe la conscience de soi.
Parler de la mère dans la culture arabo-musulmane veut dire expliquer son rôle
dans un système d’éducation bien différent de la formation occidentale. L’enfant
a une grande valeur dans cette société, il est investi de grands espoirs1, il est sa
richesse même. Il est partout et personne ne peut le déranger; en revanche, l’école
coranique est autoritaire où, comme le dit Remacle, on n’a pas exclu les châtiments
corporels. Pour comprendre le rôle de la maison dans l’éducation des enfants il faut
absolument rappeler que
1
 Cf. Xavière Remacle, Comprendre la culture arabo-musulmane, Bruxelles, Lyon, Vista, Chronique
sociale, 2002.
L’image de la mère dans La Civilisation, ma Mère!... de Driss Chraïbi 49

[...] dans l’imaginaire collectif des sociétés traditionnelles la femme est du côté de
la nature et l’homme de la culture. La femme assure le lien biologique avec l’enfant,
l’hérédité; le père assume l’adoption culturelle. Il donne un nom, il initie, il représente la
loi, la société. C’est très clair en Islam où l’enfant devient “socialement” par le père2.

Outre son rôle biologique, la mère doit transmettre à son enfant la part non-
verbale de l’éducation; c’est elle qui apprend à l’enfant: gestes, attitudes, réflexes,
interdits et tabous. L’univers féminin considéré comme irrationnel est le monde
des pratiques magiques, des croyances populaires, des légendes et les histoires
transmises oralement; c’est le monde de l’imaginaire et du symbolique3. Cette étape
(sept années) de la vie enfantine est un moment paradisiaque pour l’enfant car il ne
prend aucune responsabilité; Remacle nomme cette phase la ‘période fusionnelle
avec le corps de sa mère...’4 Cette étape terminée, l’enfant commence une phase
suivante dont le caractère dépend du sexe de l’enfant; s’il est garçon, il va imiter son
père, si c’est une fille, elle va suivre le comportement de sa mère. Pour les hommes
et les femmes adultes, avec le recul de temps, l’enfance apparaît comme une époque
heureuse, l’âge d’or où la relation maternelle assurait l’insouciance et le bonheur.
Ainsi, la mère s’avère une figure symbolique, douce, angélique. Ajoutons encore,
après Remacle, que la fille ne quitte pas le milieu maternel, elle est préparée à son
futur rôle d’épouse; la domination de la mère, l’apprentissage du travail est loin de
l’étape idyllique de la petite enfance5.
Dans plusieurs romans maghrébins ‘...la mère est réduite au rang de pur objet,
objet sexuel livré à la jouissance du maître, objet domestique voué aux travaux de
la cuisine et du ménage’6 En plus, son appartenance au monde de la légende, de la
coutume, des tradtions ancestrales la conduit à l’aliénation. De cette façon, la magie,
le culte des saints, la présence dans l’espace réservé aux femmes comme le hammam
est ‘le seul recours contre un monde hostile’7.
Le roman chraïbien La Civilisation, ma Mère!... est exceptionnel, non
seulement à cause de l’apologie merveilleuse de la figure de la mère, mais aussi
pour la présentation de son mari qui apparaît ici comme un homme courageux, peu
autoritaire, compréhensif.
L’action de ce roman se passe au Maroc des années trente du XXème siècle,
donc au moment de l’apogée de l’empire colonial français au Maghreb. Les deux fils
racontent leur mère: la première partie intitulée Être est le récit du narrateur qui est
plus jeune que Nagib, son frère aîné, un vrai géant, narrateur de la deuxième partie:
2
  Ibidem, p. 94.
3
  Ibidem, p. 96.
4
  Ibidem, p. 97.
5
  Ibidem, p. 103.
6
  J. Noiray, Littératures francophones. I. Le Maghreb, Editions Belin, 1996, p. 61.
7
 Ibidem.
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Avoir. Deux frères, deux caractères, deux attitudes; le premier va continuer ses études
à Paris, comme Chraïbi, Nagib ne s’intéressera plus à l’éducation. Cependant, leurs
choix ne comptent point quant à la relation avec leur mère; tous les deux l’adorent.
Au moment du départ du cadet, Nagib prend le relais et à partir de ce moment-là, il
va veiller sur sa mère.
L’image offerte au lecteur par Chraïbi est surprenante; voilà une femme de
trente-cinq ans, mère de famille exemplaire, mère de deux fils, qui n’est jamais sortie
de sa maison, enfermée dans son univers légendaire et magique qui s’épanouit sous
nos yeux. Elle devient de plus en plus indépendante, elle commence sa formation
scolaire, elle est toujours plus consciente de sa situation dans la société marocaine.
Elle est capable de changer son statut et sa place dans la hiérarchie sociale qu’elle
a toujours trouvée absolument immuable, elle se transforme en une femme moderne
et émancipée et cela grâce à ses deux fils avec le consentement tacite de son mari.
La poétique de ce roman nous rappelle un conte de fée, où une femme fragile
emprisonnée ou ensorcelée trouve la protection auprès des génies tutélaires ou des
géants. L’objectif majeur de cette protection est de retrouver la liberté; ici la liberté
sociale. Cette renaissance de la femme décrite par Chraïbi est présentée avec beaucoup
d’humour et de tendresse: une femme modeste et timide se familiarise peu à peu
avec les merveilles de la civilisation moderne: radio, cinéma, téléphone, appareils
ménagers, etc.8 N’oublions pas que Chraïbi s’intéresse surtout à la problématique
du croisement des cultures; la civilisation (au sens technique) vient du côté français
et l’auteur montre ce choc civilisationnel pour quelqu’un qui a été formé dans une
autre civilisation, qui est libre de tous ces engins si pratiques dans la vie quotidienne.
Cette situation, bien que présentée avec beaucoup d’humour et de légèreté, montre
une aporie qui au début du roman semble insurmontable. La femme n’accepte pas la
culture française (peut-être que la distinction des sociologues allemands entre culture
et civilisation serait ici pertinente; la négation de la culture et l’acquiescement de
la civilisation technique?); ses fils fréquentent une école française. Leur arrivée
à la maison est accompagnée d’ablutions rituelles afin de ‘se débarrasser’ de tout
ce qui est français. Voici le dialogue entre la mère et son fils après son retour à la
maison:
– Ecoute, mon fils, me disait ma mère avec reproche. Combien de fois dois-je te répéter
de te laver la bouche en rentrant de l’école?
– Tous les jours, maman [...].
– Et fais-moi plaisir d’enlever ces vêtements de païen!
– Oui, maman. Tout de suite [...].
J’allais me laver la bouche avec une pâte dentifrice de sa fabrication. Non pour tuer les
microbes. Elle ignorait ce que c’était – et moi aussi à l’époque (microbes, complexes,
problèmes...). Mais pour chasser les relents de la langue française que j’avais osé
employer dans sa maison, devant elle. Et j’ôtais mes vêtements de civilisé, remettais ceux
qu’elle m’avait tissés et cousus elle-même’9.
8
  Cf. ibidem, p. 62.
9
  D. Chraïbi, La Civilisation, ma Mère!..., Folio, 1991, p. 16.
L’image de la mère dans La Civilisation, ma Mère!... de Driss Chraïbi 51

Dans cette scène l’attitude de la mère est intransigeante, ainsi la question portant
sur la vraisemblance de sa métamorphose paraît importante. Est-ce que de graves
problèmes se cachent sous ce masque d’un facile changement sous l’influence des
enfants? Le problème de l’émancipation de la femme au Maroc de même que la
question de l’interculturalité sont des axes fondamentaux de l’œuvre chraïbienne.
La femme acceptera la radio, le télephone et d’autres nouveautés techniques,
mais pour ses fils elle restera toujours la mère d’avant ‘l‘émancipation’; un être
angélique, pur, la reine de l’époque enfantine, imperméable à l’Histoire des hommes,
car elle restait toujours fidèle à
[...] son rêve de pureté et de joie qu’elle poursuivait tenacement depuis l’enfance. C’est
cela que j’ai puisé en elle, comme l’eau enchantée d’un puits très, très profond: l’absence
totale d’angoisse; la valeur de la vie chevillée dans l’âme10.

Le narrateur de la première partie du roman, racontant avec distance son


enfance et l’adolescence qui a déjà ‘goűté’ toutes les merveilles de la civilisation,
n’exprime ouvertement ses jugements de valeur ni à propos de sa mère ni à l’égard
de la culture française. Nous avons l’impression qu’il voulait à tout prix concilier
ce qui est inconciliable, à savoir (comme nous l’avons dit plus haut) ‘l’Orient et
l‘Occident’; la figure de la mère qui peu à peu devient une femme moderne pourrait
prouver son intention.
Le comportement de la femme envers des objets nouveaux est révélateur; nous
y observons l’impact des deux mondes qui, finalement, sont conciliables (toujours
dans le roman). Pour bien démarrer, les enfants utilisent la clé grâce à laquelle leur
mère acceptera ‘la technique’ à la maison; ce mot est ‘la magie’. Voici un moment
d’installation de la radio à la maison:
Mais qu’est-ce que c’est que cette “radio” dont j’entends parler depuis trois jours? [...]
– C’est une boîte qui parle.
– Qui parle? Une boîte qui parle? Ah ça! Vous me prenez pour une femme du Moyen Age
ou pour un haricot? [...]
– Elle va rire, pleurer, raconter un tas d’histoires.
– Mais... mais comment?
– Par magie.
– Ah bon! a dit ma mère, soulagée et joyeuse tout à coup. Comme les fakirs et les
charmeurs de serpents?
C’est ça. Parfaitement11.

Les fils familiarisent leur mère avec la technique par le biais de la magie qui
est ‘une affaire de femmes’, donc irrationnelle pour reprendre Remacle; les résultats
de la pensée technique peuvent être expliqués d’une façon compréhensible pour un
représentant du monde imaginaire et symbolique. Les deux univers se superposent;
apparemment extrêmement différents, ils arrivent à coexister. La magie facilite

10
  Ibidem, p. 20.
11
  Ibidem, p. 32, 33.
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l’acceptation des nouveautés techniques, mais en aucun cas elle n’exclut la vérité
émotionnellle du personnage central. Ses réactions spontanées, bien que présentées
avec beaucoup d’humour, sont authentiques et touchantes. Le narrateur de la première
partie se rappelle cet enchantement presque religieux de la mère au moment où,
beaucoup plus tard il raconte à sa fille, Dominique des histoires d’ogres et de fées et
tout d’un coup ses yeux
sont innondés de larmes et l’instant d’après, c’est le printemps du sourire.
Cette pure émotion, couleur, odeur et substance de vérité, elle était là, sur le visage de
ma mère quand Nagib lui a mis dans la main la poire électrique pendant au-dessus de
son lit et lui a dit:
– Allume. Presse le bouton. Vas-y!
Un moment, l’indécision a sauté dans ses yeux, d’un œil à l’autre, vélocement.
L’appréhension devant l’inconnu. La peur de faire apparaître un génie qu’elle ne pourrait
plus contrôler. Mais j’ai vu ses dents: elle souriait. Un sourire qui était sűrement une
invocation: ‘Au nom du Tout-Puissant. Maître de l’Univers!’ Puis elle a pressé sur le
bouton de la poire – et la lumière fut dans la chambre, le soleil sur son visage12.

La femme qui dans la culture arabo-musulmane est du côté de la nature a du mal


à comprendre l’univers technique fondé sur la connaissance théorique absente de sa
culture (nous parlons de l’univers des femmes). Son intelligence la pousse à utiliser
son propre alphabet ‘féminin’ pour pouvoir profiter de tous ces miracles.
Dans la pemière partie du livre, elle suit l’enseignement de ses fils, dans la
seconde, elle pose des questions et elle instruit d’autres femmes. Pourtant, la légèreté
de ce conte est souvent ‘brisée’ par le premier narrateur qui, malgré sa nostalgie
du temps ‘originel’ et du monde des légendes, accuse la société marocaine, plus
largement la culture arabo-musulmane de laisser la femme consommer sa solitude,
son analphabéthisme et l’absence de liberté. En plus, cette femme ne se révolte jamais,
enfermée dans son cocon, elle ne se plaint pas, elle ne se croit pas malheureuse. Si
La Civilisation, ma Mère!... est une variété de conte, l’accusation du narrateur est
forte:
Habituée à compter sur ses doigts [...], habituée depuis qu’elle était au monde [...] à la
stricte vie intérieure (peu de pensées, très peu de vocabulaire, quelques souvenirs épars
et déteints, beaucoup de rêves et de fantasmes), elle avait toujours été entourée d’une
pluie de silence et les seuls dialogues qu’elle pouvait avoir avec les trois étrangers qui
habitaient avec elle, c’était ça: le ménage et le repas. Et sa solitude était d’autant plus
âcre et vaste que son activité quotidienne était débordante; elle moulait le blé [...]. brodait,
sans se plaindre – sans se plaindre. Ne se couchait que lorsque nous étions endormis,
se levait avat l’aube – et le reste du temps elle nous écotait. Pourquoi aurait-elle été
malheureuse ainsi? Le bonheur ne s’apprend qu’avec la liberté13.

La civilisation moderne est trop lourde pour la femme qui peu à peu commence
à poser des questions; les questions portant sur ‘être’ et non ‘avoir’ ou ‘posséder’.
12
  Ibidem, p. 35.
13
  Ibidem, p. 83.
L’image de la mère dans La Civilisation, ma Mère!... de Driss Chraïbi 53

Brusquement dépaysée et en dehors de son univers légendaire, magique, abondant en


histoires transmises oralement, elle s’efforce de comprendre l’abstrait, les arguments,
la raison; cet acte s’accorde avec le passage de la nature à la culture propre à la
position de l’homme dans cette société; dans la deuxième partie du roman cette
femme modeste se comportera comme un homme; elle va entrer dans le vaste monde,
entreprendre des études, découvrir la politique et l’histoire. On la verra rencontrer le
général de Gaulle au moment de la Conférence d’Anfa. Après l’indépendance, elle va
regrouper autour d’elle, des femmes qui cherchent l’émancipation, pour partir à la fin
à la conquête de l’Occident accompagné de son fils aîné, Nagib avec l’acquiescement
de son mari14. Mais avant ce changement brusque de son comportement, elle assimile
les mots qu’elle comprend selon la règle de la société qui l’avait formée. Il n’est
donc pas étonnant que les mots aient pour elle
[...] un contenu propre – et les mots, si simples soient-ils, que s’ils avaient un sens-odeur
et un sens-couleur et un sens visible et un sens tactile et un sens sensible15.

Pour cette femme marocaine, les mots renvoient toujours au sens concret; aux
sensations olfactives, visuelles, tactiles ou émotives; leur rôle ressemble à celui des
parfums exotiques des Correspondances baudelairiennes: exprimer l’enthousiasme
spirituel et les élans de la sensibilité. Ces mots sont (pour elle) ‘pleins’ de sens concret
qu’on ne trouve plus dans l’univers ‘civilisé’ car aujourd’hui ils sont déshumanisés
et deshumanisants. Selon le premier narrateur, ils ne s’adressent qu’au cerveau d’où
sa nostalgie concernant la culture d’autrefois:
Une culture jadis vivante et à présent écrite. Une littérature qui survolait la vie, très haut
au-dessus des vivants et qui donnait en exemple des héros et des archétypes au lieu de
descendre vers deux milliards d’anonymes. Et une civilisation qui se vidait d’année en
année et guerre en guerre de sa spiritualité, sinon de son humanisme. Non, non, je n’ai pas
trouvé de mots humains pour répondre à cet être humain qui était ma mère, pour éteindre
son angoisse [...]. Alors où est notre eau? Je n’ai pas su lui répondre16.

Le pemier narrateur qui garde une distance envers tous les événements passés,
lui non plus, ne trouve pas la réponse aux questions fondamentales de sa mère,
à savoir quel est le statut de ceux qui ont choisi cette culture moderne. Une question
est absolument inévitable: elle concerne l’identité; peut-on la conserver intacte, au
fond de son cœur, ou au contraire, la transmettre d’une façon intelligente pour qu’elle
ne subisse pas l’oubli total.
Nous observons, à travers la vie fabuleuse d’une mère marocaine, que la
coexistence des deux cultures mène inévitablement à toute une série de compromis.
Dans la deuxième partie du livre une image déchirante est celle où cette femme
(nous ne connaissons pas son prénom, ce qui nous semble emblématique) ‘enterre’
ses objets les plus précieux qui, d’une façon symbolique, représentent toute sa vie.
14
  J. Noiray, op. cit., p. 62.
15
  D. Chraïbi, La Civilisation, ma Mère!..., op. cit., p. 84.
16
  Ibidem, p. 85.
54 Maria Gubińska

Elle ouvre le coffre et tend ces objets à Nagib qui les enterre successivement dans la
fosse sur la plage au bord de la mer:
Chaque morceau de son passé, elle le tenait à bout de bras et le considérait longuement
dans le soleil couchant. [...] Et avant de me le tendre, elle embrassait chaque objet.
– Au revoir... Au revoir...
[...] La poupée, elle l’a serrée dans ses bras et l’a bercée [...]. Et ce fut elle qui l’enterra.
On peut renoncer à tout, sauf à l’enfance [...].
– Paix a vous tous, vieux compagnons d’enfance et de jeunesse, au nom de l’avenir qui
commence! [...] Il est préférable que je vous enterre avant que vous ne deveniez des
témoins gênants pour notre siècle. Si je vous préservais de la civilisation, vous seriez
comme des vieillards dans un asile de vieillards’17.
Cette rupture définitive avec son passé est dictée par sa profonde foi en l’avenir et le
progrès:
Nous sommes condamnés au progrès et à la civilisation industrielle18.

Son ‘réveil’ se traduit par le fait qu’elle se considère comme la conscience


d’un monde inconscient. A partir de ce moment-là, elle change tout dans sa vie,
elle fait venir ses meubles de France, mais c’est surtout son comportement qui est
radicalement ‘remeublé’. Elle est forte, sûre d’elle-même et de ses choix, mais
toujours simple, drôle et tendre.
La femme marocaine a changé dans le roman chraïbien; que ce soit un stratagème
ou un masque pour présenter des vrais problèmes de cette société peu importe pour
la lecture agréable de cet ouvrage. Cependant, malgré certaines opinions de critiques
qui mettent en valeur l’importance de l’émancipation de la femme maghrébine dans
ce livre, il nous semble que la question est plus profonde et le statut de la femme
n’est que l’un des problèmes impossibles à trancher. La figure de la femme sert de
prétexte pour montrer la difficulté de tous ceux pour qui le choix d’une culture est
un véritable défi, d’autant plus difficile qu’ils n’aiment pas le compromis. Concilier
l’Orient et l’Occident n’intéresse pas uniquement Chraïbi, c’est le problème de tous
ceux qui visent au respect de la richesse culturelle de notre monde.

Obraz matki w powieści Drissa Chraïbi La Civilisation, ma Mère!...

Driss Chraïbi (ur. 1926) jest pisarzem marokańskim piszącym w języku francuskim. Jego
pierwsze powieści i opowiadania mają charakter demaskatorski. Chraïbi krytykuje w nich
zarówno tradycyjne, usankcjonowane przez religię instytucje życia rodzinnego i społecznego,
jak i wpływ kolonializmu francuskiego. Wyrażał bunt przeciwko krępującym człowieka
zwyczajom i obyczajom (Le passé simple /Czas przeszły dokonany/ 1954), czym się naraził

17
  Ibidem, p. 141, 142.
18
  Ibidem, p. 140.
L’image de la mère dans La Civilisation, ma Mère!... de Driss Chraïbi 55

na krytykę ze strony kół zachowawczych; później odszedł od tematyki regionalnej i zajął się
problematyką miejsca i kondycji człowieka we współczesnym świecie.
Analizowana tutaj powieść La Civilisation, ma Mère!... (1972) naznaczona jest piętnem
utraty, alienacji, poszukiwania własnej tożsamości. W utworze tym historia i bajkowość
spotykają się, by pod pozorem zabawnej historii ‘ucywilizowanej’ marokańskiej matki pokazać
trudności w dialogu kultur: szeroko rozumianego Orientu i Zachodu.

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