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Fiche d'une oeuvre de fiction

Sociétés coloniales

Camara Laye, L'enfant noir, Paris, Plon, 2006, 1ère édition Plon 1953.

I. L'auteur :
Né en janvier 1928 à Kourousa (Haute-Guinée) mort en février 1980 à Dakar. Ecrivain guinéen
d'expression française. Originaire d'une famille musulmane, il part à quinze ans pour faire des
études d'enseignement technique. Il obtient son certificat d'aptitudes professionnelles. Après
l'obtention d'une bourse d'étude, il part en France en 1946 où il étudie à l'école centrale d'ingénierie
automobile à Argenteuil. Il effectue des petits bouleaux après expiration de sa bourse (usine
automobile SIMCA, RATP, compteurs Montrouge). Il poursuit ses études au Conservatoire national
des Arts et Métiers et au Collège technique de l'aéronautique et de construction automobile. C'est à
cette époque qu'il écrit L'Enfant noir. Il obtient le diplôme d'ingénieur en 1956, et se déplace vers
l'Afrique, au Dahomey (actuel Bénin), puis au Ghana. La Guinée obtient son indépendance en 1958,
et Ahmed Sékou Touré est élu président. Camara Laye est le premier ambassadeur au Ghana. Il
occupe différents postes en dehors du Ghana avant de revenir à Conakry, où il travaille pour le
Département des Accords Economiques avant d’être nommé directeur de l'Institut National de la
Recherche et de Documentation. Camara Laye se trouve de plus en plus souvent en conflit avec les
politiques du régime du président Ahmed Sékou Touré, et il est emprisonné pour une courte
période. Dans le milieu des années 1960, il s'enfuit avec sa famille en Côte d'Ivoire, pays voisin,
avant de s'installer au Sénégal, où il travailla comme chercheur à l'Institut fondamental d'Afrique
noire, et participe au mouvement d'opposition à Sékou Touré.

II. Le contexte :
Ce roman paraît en 1953 et se trouve d'emblée en décalage total avec la production littéraire
africaine de l'époque, trop occupée à répertorier les griefs contre la colonisation, à rêver
décolonisation selon l'écrivain Alain Mabanckou. Tandis qu'il recevait un accueil chaleureux du
public et de la critique en France (Prix Charles-Veillon 1954), l'ouvrage essuya les critiques de
certains intellectuels et militants africains. Pour ces derniers, la littérature devait servir la cause
anticoloniale. En 1954, l'écrivain camerounais Eza Boto reprochait à Laye, dans un article parut
dans Présence africaine, de ne point suivre la discipline ambiante. Les contradicteurs de Camara
Laye ne lui pardonnaient pas d'avoir osé fredonner son bonheur d'être un africain pendant que
s'annonçait « le soleil des indépendances ». Or, ce roman n'est pas seulement un témoignage
personnel de l'auteur. Comme Camara Laye l'affirma plus tard : « Je ne pensais qu'à moi même et
puis, à mesure que j'écrivais, je me suis aperçu que je traçais un portrait de ma Haute-Guinée
natale. ». Moins qu'un ouvrage déconnecté des réalités coloniales de l'époque, L'Enfant noir se
présente comme « le véritable acte de naissance d'une littérature africaine autonome, débarrassée
des dogmes, des tracts », selon A. Mabanckou.

III. Synopsis :
Dans ce roman largement autobiographique, l'auteur dépeint, avec nostalgie, son enfance à
Kouroussa. Il raconte ses relations affectueuses avec ses parents, le rôle essentiel de ces derniers
dans l'éveil du jeune enfant, son éducation dans la sphère privée et publique (à l'école), l'importance
des rites initiatiques (en particulier la circoncision à laquelle il n'échappe pas) et enfin ses relations
amicales et amoureuses avec les jeunes gens de Kouroussa. En définitive, on suit le parcours du
jeune Camara jusqu'à son départ pour la France afin de poursuivre ses études.
Dans ce roman, l'auteur dépeint l'image une société apaisée où le colonisateur est quasiment absent
du récit. De fait, C. Laye évacue toutes les forme de relations avec les acteurs de la colonisation et
préfère mettre en avant la résistance de la société traditionnelle guinéenne. Les personnages
principaux du roman sont des colonisés. Ce récit donne à voir le mode de vie des autochtones et la
structuration de la « société coloniale » sous l'oeil du colonisé. Pour autant, la présence coloniale est
sousjacente si l'on étudie en détail les comportements et les mentalités des différents personnages
du roman. En définitive, Le roman donne à voir le point de vue d'un narrateur nostalgique, évoquant
les chemins de l'enfance perdue, et la route qu'il n'a pas choisie, celle de la tradition.

IV. Les éléments intéressants du roman :


Plusieurs points du récit offrent des illustrations des différentes problématiques ou questionnements
propres à notre question. Voici trois éléments susceptibles de servir d'exemple ou de mention d'une
source dans un devoir :
A. La tradition et ses usages
1. L'ouvrage débute sur la lente initiation de l'enfant aux significations que recouvre le serpent au
sein de sa communauté. Si généralement, cet animal est perçu comme dangereux, un spécimen
particulier est apprivoisé par le père de l'enfant. Il s'agit de l'animal totem de son père et du clan des
forgerons (métier du père de Camara). L'enfant se demande s'il héritera de ce serpent que caresse le
père (autrement dit sera-t-il lui aussi forgeron un jour ?) ou s'il préfèrera le chemin de l'école.
2. Le rite de Kondèn Diara constitue la première épreuve de l'initiation des jeunes incirconcis au
monde adulte. Le soir de la veille du Ramadan, les enfants à initier sont cueillis par une troupe
hurlante, et participent tous à une fête communautaire, après laquelle ils subissent tous la cérémonie
des lions dans un lieu sacré de la brousse. Le narrateur confie au lecteur la peur éprouvée lors de
cette nuit, peur de l'inconnu, mais aussi des rugissements de lions invisibles aux enfants. À l'aube,
l'instruction finie, les enfants découvrent de longs fils blancs couronnant toutes les cases de la
concession et se rejoignant au sommet d'un énorme fromager. Le mystère de l'installation de ces fils
aussi bien que la source du rugissement des lions sont révélés par le narrateur, éloigné de son pays
natal et peu soucieux des secrets de sa communauté natale.
3. Préparés par le rite de Kondèn Diara, les garçons de douze, treize et quatorze ans subissent
ensuite la cérémonie de la circoncision, épreuve caractérisée par la douleur aussi bien que par la
peur. Après une semaine de préparations festives pendant lesquelles les garçons, habillés de
boubous cousus et de bonnets à pompon, reçoivent des cadeaux et dansent à maintes reprises le
coba, danse reservée aux futurs circoncis, ceux-ci sont conduits sur une aire circulaire où l'opérateur
accomplit sa tâche avec rapidité. S'ensuit une mise en quarantaine de quatre semaines pendant
lesquelles les jeunes gens sont soignés par un guérisseur et la vue des femmes leur est interdite. Le
narrateur reconnaît l'importance de la séparation rituelle entre mère et fils et finit par habiter sa
propre case en face de celle de la case maternelle

B. Le rôle de la femme
La relation entre l'enfant et sa mère jalonne tout le récit et sous-tend toute la structure du roman. A
travers le personnage de la mère, Camara Laye donne à voir sa perception de la femme africaine.
Pilier de la vie familiale et de la communauté, la femme détient un rôle d'autorité. Gardienne des
normes et des pratiques sociales, elle veille aux bons comportements dans le cadre des relations
sociales :
« Le repas achevé, je disais :
_ Merci, papa.
Les apprentis disais :
_ Merci, maître.
Après, je m'inclinais devant ma mère et lui disais :
_ Le repas était bon, maman.
Mes frères, mes soeurs, les apprentis en faisaient autant. Mes parents répondaient à chacun :
« Merci. » Telle était la bonne règle. Mon père se fût certainement offusqué de la voir transgresser,
mais c'est ma mère, plus vive, qui eût réprimé la transgression ; mon père avait l'esprit à son
travail, il abandonnait ces prérogative à ma mère.
Je sais que cette autorité dont ma mère témoignait, paraîtra surprenante ; le plus souvent on
imagine dérisoire le rôle de la femme africaine, et il est des contrées en vérité où il est insignifiant,
mais l'Afrique est grande, aussi diverse que grande. Chez nous, la coutume ressortit à une foncière
indépendance, à une fierté innée ; on ne brime que celui qui veut bien se laisser brimer. Mon père,
lui, ne songeait brimer personne, ma mère moins que personne; il avait grand respect pour elle, et
nous avions tout grand respect pour elle, nos voisins aussi, nos amis aussi. Cela tenant, je crois
bien, à la personne de ma mère, à la personne même de ma mère, qui imposait ; cela tenait aux
pouvoirs qu'elle détenait. » [pp 82-83]. Cet autorité provient, comme le suggère l'auteur à la fin de
l'extrait, de « pouvoirs » spéciaux. L'enfant noir est précédé d'un texte intitulé « A ma mère »1. Ce
texte apparait de nos jours comme un des plus importants hommages qu'un écrivain africain ait
rendu à la femme africaine, il dépasse la simple dédicace de l'auteur à sa mère.

C. L'éducation : ascenseur social


Le rôle de l'école dans le parcour du narrateur détient une place importance. Il fréquente d'abord
l'école coranique puis l'école française. Ce qui l'amène à quitter Kouroussa pour la capitale
Konakry, il fréquente alors le collège Georges Poiret. Ces années de collège amènent le jeune
homme à « s'européaniser ». Lorsqu'il retourne à Kouroussa pendant les vacances scolaires, il peut
apprécier les efforts de sa mère pour rendre sa case plus «européenne» qui correspond à son
éducation. Pour le narrateur et son père, l'école est un moyen de s'élever socialement. Ainsi quand le
jeune homme a l'occasion d'aller étudier en France (1946), il saisit sa chance. La métropole fait
figure de modèle et de référence. Pour autant, le cas de ce jeune reste une exception. Nous sommes
(fin 1940's-Début 1950's) qu'aux prémisses d'une période d'ouverture de nouvelles perspectives en
matière de formation pour les jeunes africains dans les colonies françaises.

D. Des éléments secondaires


1. La vie communautaire organisée autour de la notion de « clan » avec une répartition nette des
tâches entre hommes (travail pour subvenir aux besoins de la famille) et femmes (tâches
domestiques).
2. La vie familiale structurée sous la forme de la polygamie et de la place fondamentale du fils aîné.
La réussite de ce dernier est un élément déterminant de la bonne condition matérielle mais aussi du
« prestige » et de l'honneur de la famille au sein de la communauté.
3. La cohabitation de l'animisme et de l'islam.

1 Le texte recopié à la dernière page de la fiche.


V. En complément : le poème « A ma mère » :

Femme noire, femme africaine,


ô toi ma mère je pense à toi
*
O Dâman, ô ma mère, toi qui
me portas sur le dos, toi qui
m'allaitas, toi qui gouverna mes
premiers pas, toi qui la première
m'ouvris les yeux aux prdiges de
la terre, je pense à toi...
*
Femme des champs, femme des
rivières, femme du grand fleuve, ô
toi, ma mère, je pense à toi....
*
O toi Dâman, ô ma mère, toi
qui essuyais mes larmes, toi qui
me réjouissais le coeur, toi qui,
patiemment supportais mes caprices,
comme j'aimerais encore
être près de toi, être enfant près de toi !

Femme simple, femme de la


résignation, ô toi, ma mère, je
pense à toi...
*
O Dâman, Dâman de la grande
famille des forgerons, ma pensée
toujours se tourne vers toi, la tienne
à chaque pas m'accompagne, ô Dâman,
ma mère, comme j'aimerais
encore être dans ta chaleur, être
enfant près de toi....
*
Femme noire, femme africaine,
ô toi, ma mère, merci ; merci pour
tout ce que tu fis pour moi, ton
fils, si loin, si près de toi !

[Camara Laye]

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