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Babel

Littératures plurielles

41 | 2020
Identité et altérité dans la littérature de l’espace euro-méditerranéen
II. Identités plurielles

La construction de l’identité
féminine, entre héritage
méditerranéen et quête
émancipatoire dans trois œuvres
romanesques contemporaines
Françoise Navarro
p. 113-134
https://doi-org.sire.ub.edu/10.4000/babel.10212

Résumés
Français English
Comment s’établit l’identité féminine en Méditerranée ? Les œuvres littéraires sont « un excellent
terrain d’investigation pour qui veut observer les phénomènes identitaires »1. Car, comme pour
les romans de Jeanne Benameur, de Carole Martinez et de Kaoutar Harchi, ils mettent en scène
l’état de crise, l’état critique de « crise identitaire »2, ce bouleversement total de la perception de
soi. La littérature montre également les opérations fondamentales du travail identitaire et met en
évidence le processus de construction de l’identité féminine, qui passe par la quête de
l’émancipation féminine.

How does female identity appear in the Mediterranean World? Literary works are “a very good
investigation field to see how identity works”. Indeed, as in Carole Martinez’s, Jeanne
Benameur’s and Kaoutar Harchi’s novels, they show this state of “identity crisis”, this
overwhelming change in the way we see ourselves. Literature also shows the work’s key process of
female identity building which is, as we will explain, the way towards women’s emancipation.

Entrées d’index
Mots-clés : identité, Méditerranée, femme, écriture, émancipation, engagement, littérature
Keywords: identity, Mediterranean Sea, woman, writing, emancipation, commitment, literature
Texte intégral
1 L’identité vient du latin « idem » qui signifie « le même ». Cette notion est entendue
comme « le caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son
individualité, sa singularité »3. La définition de l’identité (qu’elle soit individuelle ou
collective) est essentielle à « la compréhension des mutations sociales
contemporaines »4. La notion d’identité est multiforme et concerne différentes échelles
comme l’individu, le groupe et la société.
2 Elle se construit dans la relation à soi et aux autres et débute dès les premières
années de vie. Et c’est évidemment une tâche difficile, parfois douloureuse, et, de ce
fait, immense, car jamais terminée. Et bien que relevant d’une expérience singulière et
intime, la construction de l’identité (qui est donc une construction en éternel
mouvement) est une interaction, c’est-à-dire qu’elle se construit « avec d’autres sujets,
avec des groupes, avec des institutions, avec des corps, avec des objets, avec des
mots »5. D’après Nathalie Heinich, l’identité est vécue dans la coïncidence de trois
moments fondamentaux6 que sont : « l’image qu’on a de soi-même (autoperception),
celle qu’on donne à autrui (représentation), celle qui est renvoyée par autrui
(désignation) »7.
3 La notion d’identité ne pourrait donc être séparée de la notion d’altérité dont elle tire
sa légitimité.
4 Et c’est dans les interactions avec l’entourage, et dans le cadre familial, que se
construit ce sentiment d’identité chez l’enfant. Vivant en étroite symbiose avec la mère,
pendant les tous premiers mois de vie, c’est la relation affective avec cette dernière qui
le construit8. Ce lien à la mère demeure un des mécanismes fondamentaux de la
dynamique identitaire de l’enfant. La mère en tout premier lieu, et l’entourage familial
ensuite, imposent à l’enfant « des normes et des modèles auxquels il est invité à se
conformer »9.
5 Le processus de construction de l’identité de la fille (qui est le sujet de cet article)
passe donc nécessairement par une identification à la mère10. Et la mère, en engendrant
un enfant du même sexe, va projeter sur sa fille, véritable « prolongement de sa
destinée »11, « son insécurité, ses angoisses, ses insatisfactions »12.
6 Comment s’établit l’identité de la fille dans son rapport avec la mère ? Car, naître
fille, c’est naître autre et identique (à la mère). Comment se construire alors, dans cette
identification première et cette nécessaire différenciation (qui permet de se construire,
« non plus comme l’autre » mais « en tant que soi »13) ? En effet, la construction
identitaire apparaît bien plus problématique pour la fille que pour le garçon, car elle
nécessite de se détacher de la référence à son propre sexe, incarnée par la mère14. Et
c’est « cette complexité du travail identitaire chez les filles, qui contribue à rendre si
sensible la question de l’identité pour les femmes »15.
7 Comment la fille peut-elle se défaire de la mère et de son héritage ? Et comment peut-
elle accomplir son destin de femme en revendiquant une individualité en soi et non
pour autrui16 ?
8 Pour appréhender cette question de la construction identitaire féminine, j’ai choisi
trois œuvres romanesques17 où s’élèvent les voix de filles. Je vais brièvement les
présenter. Il s’agit de Laver les ombres (2008) de Jeanne Benameur, À l’origine notre
père obscur (2014) de Kaoutar Harchi et Le cœur cousu (2007) de Carole Martinez.
9 Dans le roman Laver les ombres, Jeanne Benameur raconte l’histoire de Léa, la fille,
chorégraphe « par nécessité »18 et de Romilda, la mère napolitaine, « celle qui s’est
toujours tue ». Un soir de forte tempête, Léa part retrouver sa mère qui lui « a
murmuré qu’elle avait des choses, importantes, à lui dire »19. Cette nuit-là, Léa
découvre la vérité sur son origine. Et son monde s’écroule… La vérité peut-elle sauver ?
Les mots peuvent-ils libérer du poids du passé, des non-dits et des secrets… ? Face à
face, mère et fille vont « laver les ombres », Romilda va dire l’indicible, Léa va entendre
l’inacceptable. Deux histoires dans cette histoire, comme un écho, deux récits entre
passé et présent, entre deux femmes, la mère et la fille. Qui vont se découvrir et se
révéler dans cette parole partagée.
10 Dans le roman À l’origine notre père obscur, Kaoutar Harchi met en scène un
lieu emblématique et symbolique : la maison des femmes. Cette maison est un lieu où
sont parquées les femmes reléguées, celles convaincues d’avoir fauté, celles qui ont
bafoué l’honneur de leur mari et de leur famille, celles qui ont parfois simplement voulu
être elles-mêmes. La narratrice, dénommée « la Fille », y vit avec sa mère. Elle y est
née. Devenue adolescente, elle se heurte au silence maternel et ne supporte plus la
passivité de cette communauté courbant l’échine sous le joug des traditions. Des
circonstances vont lui donner la force de pousser la lourde porte en bois de cette bâtisse
et d’aller chercher des réponses auprès de ce père qu’elle n’a jamais connu. Au-delà de
la quête des origines, ce texte est avant tout un cri de révolte. La révolte de la fille.
11 Dans le roman Le cœur cousu, Carole Martinez nous conte une fresque familiale
méditerranéenne, de l’Espagne à l’Afrique du Nord. Elle écrit la destinée d’un
personnage exceptionnel, Frasquita, qui a hérité d’un don, le don de couturière. Ce
talent lui confère une réputation de magicienne ou de sorcière. Le titre du roman fait
référence au miracle accompli par Frasquita, qui coud un cœur à la Vierge bleue du
village de Santavella20. A 16 ans, Frasquita est mariée à José. Elle a six enfants dont le
dernier sera Soledad, la narratrice de l’histoire. Frasquita est pariée et perdue par son
mari lors d’un combat de coqs. Elle décide alors de fuir son village, traînant derrière elle
sa caravane d’enfants. Elle traversera la Méditerranée pour se réfugier en Algérie. Là,
dans une rumeur faite légende, Frasquita brodera des robes de mariées pour toutes les
jeunes filles de la région. Elle en mourra d’ailleurs, quand Soledad aura quatre ans.
Soledad nous déroulera l’histoire de sa mère ainsi que son histoire. Elle reviendra au
centre et choisira de rompre le fil. De briser l’héritage. Et d’embrasser un autre destin.
12 Ces trois romans mettent donc en scène des personnages de filles (et de mères) et, à
travers eux, de multiples chemins identitaires21. Les héroïnes soit Léa, « La Fille » et
Soledad, poussées par des désirs, des convictions et des peurs aussi parfois, vont
s’inventer d’autres possibles. Comme s’il y avait chez elles, « la peur d’être absorbées,
dévorées et anéanties »22 par la mère tout d’abord et, à travers elle, par l’histoire de
toutes les femmes.
13 Et les filles, en se cherchant une nouvelle voie et en se révoltant contre le modèle
dessiné pour elles, se trouvent confrontées à une véritable rupture identitaire. Cette
révolte entraînera chez elles une modification profonde qu’elles devront intégrer afin
d’acquérir une nouvelle identité. Contre le modèle traditionnel féminin dont elles ont
hérité.

L’identité féminine : le lien à la mère

La construction de l’identité féminine


14 L’identité féminine se construit de façon endogène par rapport à ce qui est féminin et,
en premier lieu, par rapport à la mère23. Dans cette perspective de non différenciation,
la construction identitaire paraît plus difficile pour la fille, qui doit, d’après Georges
Devereux, « “suivre un chemin plus tortueux” : elle doit devenir elle-même ce qui était
d’abord l’objet de son (premier) amour. Elle doit achever son autoréalisation en
devenant l’autre terme de sa première relation »24, incarnée par la mère.
15 Pour mieux comprendre les mécanismes de la construction de l’identité féminine, il
faut observer les différentes façons d’être « une » femme depuis la naissance jusqu’à la
mort dans une société donnée. Il faut penser l’infinie diversité des situations existantes
(et qui échappe à toute tentative de définition réelle) au regard de la société, ici,
méditerranéenne. C’est-à-dire qu’il faut essayer d’étudier « les représentations
partagées par l’entourage comme les pratiques, les rites exécutés, l’éducation reçue ou
les conduites prescrites aux petites filles dès le plus jeune âge »25. Il faut donc
appréhender les enjeux de la transmission mère-fille, analyser tout ce qui détermine le
comportement des filles, comprendre ce qui les oblige à tenir un rôle dans la société,
« conformément à la culture et aux impératifs sociaux »26.
16 En effet, naître fille ne donne pas la même égalité des chances, des droits et des
devoirs que naître garçon. La discrimination se fait sentir dès la naissance. Et cette
différenciation entre naître fille ou garçon se poursuit tout au long de la vie. De
nombreux ouvrages (scientifiques ou littéraires) parlent de cette différence très nette de
traitement, du fait tout d’abord des mères27. En effet, les attentes des mères à l’égard de
leur enfant sont différentes selon que ce dernier est une fille ou un garçon. Des études
montrent « qu’au-delà des différences des sexes liées à la biologie ou au tempérament,
on assiste à une mise en place très précoce de modulations interactives de la mère et
son bébé en fonction du genre »28. Naître fille fait donc l’objet de projections
identificatoires sexées. La fille est souvent prise en considération uniquement comme
« mère-en-devenir »29 alors que le garçon, porteur et transmetteur du patronyme30, se
doit d’être bien accueilli dans une famille.
17 D’après Pierre Bourdieu31, dès la toute petite enfance, les premiers « habitus » se
mettent en place, c’est-à-dire ces systèmes d’habitudes acquises soit par l’expérience,
soit par l’éducation. Ce sont ces habitus qui déterminent les comportements, les
aptitudes qui vont façonner l’identité de chacun. Ils sont transmis à l’enfant, d’abord
par la mère, car c’est elle qui, en l’absence des hommes au sein du foyer, a la charge de
l’éducation. Cette transmission s’effectue par l’entremise de tout un ensemble de gestes,
de mots, de paroles, de bruits, de sons divers, d’images et de comportements.
18 Et cette éducation transmise comprend souvent, et parfois en premier lieu pour les
filles, une contrainte du corps32 et la vertu de la soumission avant tout le reste. Ou, pour
le dire autrement, dès son plus jeune âge, la fille apprend à adopter un comportement
de réserve, de retenue et de décence33. Camille Lacoste-Dujardin parle même de
« véritable dressage »34 . Ainsi,

La mère s’emploie donc à mettre sa fille à l’école de la soumission, à la


contraindre, à mater sa personnalité, à en briser toutes les velléités
d’indépendance. Elle s’emploie aussi à convaincre cette fille qu’elle est en danger,
qu’elle est elle-même un danger, qu’elle se doit donc de se défier d’elle-même,
qu’elle est une être marqué par une déficience fondamentale, différente des
hommes, inférieure aux hommes et contrainte de vivre sous leur protection.35

19 Comment les filles peuvent-elles se construire dans cette relation à la mère, qui
entrave toute velléité d’indépendance ? D’autant qu’étant le « premier amour et
premier objet d’identification », la mère demeurera pour la vie, sa vie durant, « sa
référence identitaire »36. La littérature féminine méditerranéenne fournit une
multitude de représentations de cet état identitaire premier, c’est-à-dire « l’état lié à la
mère ».

La construction identitaire représentée dans la


littérature féminine méditerranéenne
20 Le processus de construction identitaire est une interrogation constante de la
littérature féminine méditerranéenne. Cette littérature représente les chemins possibles
pour parvenir enfin à être « soi », c’est-à-dire, paradoxalement, pour « être autre ». La
notion d’identité est inséparable de la notion d’altérité. Et la narration rend compte de
ce va-et-vient entre identité et altérité. En effet, la quête identitaire est la thématique
centrale et elle fait référence à une différence ardemment souhaitée (« je veux être autre
que ma mère »), à une identité nouvelle désirée (un être au monde à inventer).
Évidemment, la question de l’identité se fonde sur la relation maternelle et l’héritage
transmis. Elle pose le paradoxe entre l’identique (et la reproduction du même, soit de la
mère) et la différence (et donc l’altérité ou encore l’identité « déliée »). Les écrivaines
interrogent les modes d’élaboration de l’identité et en premier lieu, la relation à la mère,
comme support identificatoire primordial. Elles mettent en place des stratégies
narratives pour dire la construction féminine. Pour se faire, elles dotent les personnages
de filles37 d’un état initial qui n’est pas figé (puisqu’il va être amené à évoluer en même
temps que l’intrigue et la trame narrative). Dès le départ, l’identité des personnages de
filles est indécise, comme un peu effacée, mais toujours liée à la mère. Les filles
s’identifient à la mère, s’inscrivent dans « le même » maternel. Dès l’incipit des romans
féminins méditerranéens, nous pouvons lire la mère et la fille étroitement mêlées. Pour
exemple, les premières phrases du récit d’Andrée Chédid témoigne d’une confusion
entre les deux identités (ou plutôt comme un entrelacement, un tissage entre la mère et
la fille) :

Ma mère. […] Je suis toi, je suis moi. Telle que je deviendrai si ma vie se prolonge ;
soumise à ce temps qui nous traque, déposant ses stigmates sur la surface et les
recoins de notre chair.38

21 Pour être, les filles disent la mère. Pour devenir ou pour s’imaginer, les personnages
de filles envisagent d’abord la mère. La mère devient une projection de la fille. Dans la
littérature féminine méditerranéenne, les personnages de filles se tournent vers les
personnages de mères pour tenter de trouver des repères de ce qui les attend, pour
trouver leur « devenir » identitaire féminin (comme ici, dans le roman d’Andrée
Chédid). Et ce, quel que soit le lien qu’elles entretiennent avec leur mère (qu’il soit
torturé ou passionné, plus tempéré ou à vif… Que la fille se sente trop ou mal aimé par
la mère).
22 Les écrivaines comme Jeanne Benameur, Kaoutar Harchi et Carole Martinez
insistent sur le lien mère-fille, souvent douloureux, complexe toujours. Il est le lieu de
l’être-fille, ou, plus justement, le lieu de l’apprentissage de l’être-femme. Les écrivaines
inscrivent une généalogie au féminin qui raconte l’identité féminine transmise de mère
en fille.

La construction identitaire des héroïnes


23 Léa, « La Fille » et Soledad sont les protagonistes des trois romans de notre corpus.
Ces personnages de filles ont une fonction référentielle majeure en raison de leur rôle
dans les romans et, plus particulièrement, du fait de leur construction identitaire. Dès
l’ouverture des romans, les héroïnes représentent des existences en devenir et elles vont
contribuer à construire, à faire exister, à infléchir, donc à structurer, autour d’elles et
avec elles, les textes littéraires, en fonction de leur être, de leurs actions et de leurs
possibilités.
24 Ainsi, dans le roman de Jeanne Benameur, Laver les ombres, l’état premier ou la
première identité de Léa qui nous est présenté est peu descriptif. C’est le corps
seulement qui est dit. En effet, l’incipit caractérise partiellement la protagoniste en la
situant dans une certaine réalité du monde :

Quand Léa ne travaille pas dès le lever, juste après le premier café, ça ne lui vaut
rien.
Il lui faut saisir la façon dont son corps va s’articuler au monde avant que la
journée avec les autres ne commence. Seule, dans le jour qui vient, par exercices
répétés, elle tisse ses liens avec l’air. Une grammaire sensible, improbable, à
réexpérimenter chaque matin.
Elle s’oriente.39

25 Nous retenons de Léa son corps contraint sur lequel elle exerce une farouche volonté
pour pouvoir être au monde. Le premier « trait » dressé peut être perçu comme le signe
annonciateur de la métamorphose du personnage qui, ici dans cet extrait, doit encore
s’orienter et s’exercer pour vivre chaque jour. Léa a trente-huit ans, elle est danseuse de
profession. Elle est « grande, les épaules marquées, la chevelure rousse »40. C’est tout
ce que nous savons. Le portrait de Léa est à peine esquissé. Le lecteur pressent, dès le
départ, la volonté de Léa, sa détermination immense déployée41 chaque jour sur son
corps (à la fois en retenue et en mouvement). Il ressent également la peur implicite que
Léa tente de dompter en dressant son corps. En dansant.

Danser c’est trahir l’espace.


Alors autant le faire avec la plus grande précision.
C’est la loi qu’elle s’est donnée. Il faut la tenir.
Danser c’est altérer le vide.
Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien ? Elle voudrait tant pouvoir juste
contempler et habiter simplement, sans bouger. Elle envie ceux qui le peuvent.
Elle, elle n’y arrive pas.42

26 Dans le roman de Kaoutar Harchi, À l’origine notre père obscur, le premier portrait
qu’il nous est donné de lire est celui de « La fille » à sept ans. Ainsi,

Je porte des vêtements de toile. Les bras le long du corps, pieds nus, je fais les cent
pas près de la grande porte de bois, m’asseyant, me relevant, donnant des coups
de pied, fixant la poignée, la serrure en métal forgé, le verrou. Il faut me voir à
sept ans, agressive et violente, refusant d’être approchée. Touchée. Une petite
sauvage. Toujours à courir de la salle commune au grand escalier de pierre,
sautant sur les paillasses, bousculant les femmes accroupies qui écossent les petits
pois et les fèves, renversant les barriques d’eau, poussant des cris d’animaux mais
l’espace est trop étroit, le plafond trop bas, pour ne pas me sentir prise au piège de
cette maison que l’on m’autorise, quelques fois par semaine, à quitter.43

27 Comme pour le personnage de Léa, le portrait physique de l’héroïne est à peine


esquissé. Dans ce roman, nous allons assister à une évolution du personnage, évolution
physique d’abord car « La Fille » va grandir à mesure que se construira l’histoire.
Quand le roman débute, le personnage de fille est une enfant de sept ans, une enfant
sauvage, agressive qui fait preuve de violence à l’égard des autres femmes de la maison.
Elle se comporte comme un animal effarouché, apeuré. Un animal en cage. Elle est la
petite de la maison. La seule enfant. C’est tout ce que nous savons. Il n’y a que peu de
caractérisants directs, visuels, clairs et précis permettant d’identifier son apparence. Ce
qui est privilégié d’emblée c’est l’intériorité du personnage et son portrait en action.
« La Fille » n’a que sept ans et déjà le lecteur sait qu’elle lutte pour sa survie, d’abord
par le corps qu’elle agite sans cesse. Avec fureur. Puis par sa farouche volonté et
résistance qu’elle oppose au monde clos des femmes. Le lecteur ressent la violence et la
souffrance intime de l’héroïne. Et, comme pour le personnage de Léa, le lecteur se sent
concerné par « La Fille » de cette histoire44 et pressent le combat à venir. Et sa
métamorphose.
28 Il est de même pour le personnage Soledad dans le roman de Carole Martinez, Le
Cœur cousu. Ainsi, les premiers mots sont :

Mon nom est Soledad.


Je suis née, dans ce pays où les corps sèchent, avec des bras morts incapables
d’enlacer et de grandes mains inutiles.
Ma mère a avalé tant de sable, avant de trouver un mur derrière lequel accoucher,
qu’il m’est passé dans le sang.
Ma peau masque un long sablier impuissant à se tarir.
Nue sous le soleil peut-être verrait-on par transparence l’écoulement sableux qui
me traverse.
LA TRAVERSÉE.
Il faudra bien que tout ce sable retourne un jour au désert.45

29 Comme pour les deux autres personnages de filles, c’est le corps en premier lieu qui
est dit. Un corps « traversé »46 par un écoulement sableux, par l’histoire de la mère, par
l’histoire de ses ancêtres, par le récit de sa naissance aussi. Cette première description
est esthétique mais elle est porteuse de sens et d’une symbolique forte. Si elle rend
compte d’un genre47 spécifique, elle permet d’évaluer le personnage principal, soit
Soledad, dans un monde particulier, lié à la mère et d’envisager également sa destinée.
Et, comme pour les deux autres personnages de filles, de réfléchir à leur possible marge
de manœuvre…

La marge de manœuvre des filles


30 Mais la marge de manœuvre pour les héroïnes serait particulièrement étroite, entre
identification (ressembler à sa mère) et différenciation (s’opposer et se construire un
autre chemin). Pour se protéger d’un environnement plus ou moins anormal et
contraignant et pour s’y adapter, les filles vont d’abord se construire une image
défensive, en réaction aux réponses inadaptées de l’entourage et en représentation d’un
rôle imposé.

Le « faux-self » des héroïnes


31 D’après l’ouvrage de Françoise Couchard, les filles « se couchent dans les moules
maternels, parce que trahir la mère leur serait insupportable ou trop culpabilisant ;
elles tolèrent alors son emprise, en acceptant d’être sa réplique, et en escomptant que le
jour venu, elles exerceront, à leur tour, le même pouvoir sur leurs propres filles »48.
32 À l’identique, les protagonistes de ces trois œuvres littéraires vont d’abord tenter de
composer un rôle que Winnicott appelait « faux-self »49 pour supporter les contraintes
imposées par la mère et la société. Niant leur propre personnalité, elles vont se créer un
rôle de composition, en attendant de pouvoir se libérer de l’emprise maternelle et
familiale.
33 Ainsi, Léa, dans le roman de Jeanne Benameur Laver les ombres, réitère sa façon
d’être au monde qu’elle s’est fabriquée pour vivre, tous les jours. « Une grammaire
sensible, improbable, à réexpérimenter chaque matin »50. C’est par le corps qu’elle joue
et qu’elle s’invente. C’est une nécessité. « Sa façon de trouver place dans la vie »51. Sans
ce « faux-self », Léa se connaît52, elle serait submergée par cette « malédiction »53
transmise par la mère, du fait de l’histoire tue, l’héritage tragique. Léa évite tout risque.
Elle exerce un contrôle sur elle, sans ménagement ni concession54. Léa a renoncé depuis
longtemps à se connaître et « à connaître l’origine de la guerre en elle »55. Léa a nié son
identité profonde pour être au monde.
34 Dans le roman de Kaoutar Harchi À l’origine notre père obscur, « La Fille » se
compose également un rôle. Du moins au début. Elle essaye de se fondre entièrement
dans les attentes et les désirs de sa mère. Dans son corps. Dans son silence. Elle n’existe
pas.
35 C’est également le cas dans le roman de Carole Martinez, où Soledad s’est choisi une
posture et une solitude pour résister au silence de sa mère Frasquita et à son désamour.
Elle qui est née possédée par les fables familiales, elle ne cherche pas « à démêler les fils
du temps, le réel du rêvé »56. Elle est la traversée. Soledad est enveloppée de son
« prétendu » destin57 (entendu dans son nom). Elle a élaboré un rôle de composition,
car, sans lui et du fait des carences maternelles, Soledad est menacée
« d’annihilation »58. Et, cette annihilation est, selon Winnicott, « une angoisse
primitive bien antérieure à toute angoisse, qui inclut le mot mort dans sa
description »59.
36 Mais alors, comment accomplir son destin de femme, comment être soi en niant son
identité ?
37 Dans ces romans qui illustrent l’état de crise identitaire des filles, cet état de « faux-
self » ne suffit pas, ne suffit plus… Les filles doivent se défaire de la mère et du rôle
attendu, prévu pour elles.
38 Alors se pose la question de l’émancipation. Qui pourrait se traduire par : comment
se délier de la mère, de son emprise réelle ou inconsciente ? Comment se défaire de
l’héritage maternel ? Comment être femme quand on est fille de ? Car, nous dit Caroline
Eliacheff et Nathalie Heinich, il ne suffit pas de grandir, de devenir adulte, pour
s’affranchir de cette relation mère-fille60. Une mère et une fille ne pouvant divorcer, la
rupture entre les deux, même à l’initiative de la fille, ne serait « que le prolongement,
radicalisé, de ce lien invivable »61. Telle est la difficulté que peut avoir la fille à
construire son identité.

La révolte des filles


39 Pour se défaire, il s’agirait alors de mettre à distance la mère. Et cette mise à distance
débute souvent par une période de révolte.
40 La révolte se définit comme étant « l’attitude de quelqu’un qui refuse d’obéir, de se
soumettre à une autorité, à une contrainte »62. Ce comportement permet à la fille
d’échapper au silence coupable, à la souffrance muette, au désarroi et à l’humiliation.
Permet de dire « non ».
41 Dans ces trois romans, les voix des filles s’élèvent, se soulèvent contre « les souvenirs
et fables mêlés, bus avec le lait, avec les larmes, coulant dans [le] sang »63. Contre les
fantômes du passé. Contre ce monde où rien n’attend les filles. Seulement « des
douleurs anciennes »64, qui ne sont même pas les leurs. Contre la mère, « cette grande
absente »65 qui aime si mal.
42 Ainsi, dans le roman Laver les ombres de Jeanne Benameur, Léa, pour se faire ou,
plus justement, pour se défaire et se protéger, est sans cesse dans le mouvement, entre
la peur et la révolte. Au silence maternel, elle oppose une résistance du corps. La
maîtrise absolue de son être. Toujours en action. Une manière d’être inaccessible.
Toujours en ligne de fuite. Léa danse. Jusqu’à l’épuisement.
43 En quête de son identité, elle se sent intruse, étrangère dans sa propre vie. Elle lutte,
elle danse. Elle résiste contre la malédiction. Contre la peur venue de l’enfance et qu’elle
n’a jamais su nommer. Léa. Sans cesse en colère. Révoltée. Ainsi,

Alors la rage et sa lutte de toujours, elle les sent là, en elle, qui prennent toute la
place. Elle redevient cette femme farouche qui a quitté tous les hommes qu’elle a
aimés. Tous. Il y a toujours eu ce point de rupture où plus rien ne peut la retenir.
La fuite.
Au risque de la désolation, elle connaît. Ce qu’elle ne connaît pas, c’est ce qui la
mène jusque-là. Dans cet état de haine absolue, irrépressible. Comme si l’homme
qu’elle aimait voulait la détruire. La détruire. A nouveau, elle est cette femme
qu’elle déteste, qui fuit, se protège.
De quoi ? Mais de quoi ? […]
Et soudain elle voit. C’est dans les yeux de sa mère. C’est dans les yeux de sa mère
qui la regarde. Ça l’a toujours été. La peur est là et la révolte.
Léa ne peut plus se retenir. Elle est envahie.
Une vague immense. Elle pourrait tuer […].66

44 Alors, un soir, Léa part rejoindre sa mère. Cette nuit-là, elle va découvrir la vérité sur
son origine. Entendre les mots pour comprendre son péril intérieur, comme une
vacillation de l’identité. Sa révolte. Dans la métaphore de la tempête qui dévaste tout,
dans les mots de sa mère, dans le secret dévoilé, Léa « est la tempête. La plus terrible de
toutes les tempêtes. Plantée dans la chambre de sa mère. Et elle entend »67.

Ça hurle à l’intérieur. Devant la mère, elle retient. Laisser éclater toute la rage, elle
ne peut pas. La rage dévore à l’intérieur. Contre la mère qui avait peur. Contre le
père. Contre la peur. Contre l’enfance toute fausse.68

La quête de l’émancipation

Une crise identitaire


45 Les filles, en se révoltant contre le modèle dessiné pour elles, se trouvent confrontées,
comme ici le personnage de Léa, à une véritable rupture identitaire. Une douleur
immense. Cette révolte entraîne, chez elles, une modification profonde. Elles doivent
intégrer cette transformation et acquérir une nouvelle identité, contre le modèle
traditionnel féminin. Ainsi, cette quête identitaire amène les filles à se distancier du
cadre familial. Pour pouvoir modifier leur inscription dans « le système symbolique de
places »69 dans lequel leur identité évoluait, les filles sont amenées, d’une certaine
façon, « à réaliser le « meurtre » des images parentales et à assumer le deuil et la
culpabilité qui en résultent »70.
46 Et c’est ce cheminement symbolique que l’on retrouve notamment chez Carole
Martinez, à travers la voix de la narratrice Soledad qui se cherche au milieu des fables,
des histoires et des monstres qui la hantent71. Ce roman parle de la quête de l’identité
de Soledad, empêtrée dans cette lignée de femmes, tiraillée entre la tradition et ses
propres aspirations.
Damnée ! Notre lignée est damnée ! Grouillante d’histoires sans queue ni tête
dans lesquelles nous étouffons, grouillante de fantômes, de prières, de dons qui
sont autant de plaies.
Nous voilà, nous avançons en marge de nos vies, en marge du monde, incapables
d’exister pour nous-mêmes, portant des fautes que nous n’avons pas commises,
pliant sous un destin de plomb, sous le fardeau des siècles de douleurs, de
croyances, qui nous ont précédées ! La cour m’encercle, mes sœurs me cernent, les
murmures me poursuivent, m’empoisonnent l’espace […].
Ne m’a-t’on pas raconté mon histoire avant que je la vive ? N’a-t’on pas influencé,
inventé ma solitude ?
Le doute me vient sur la réalité de mes souvenirs. Suis-je bien celle qui a choisi
d’être seule ? Ou celle à qui la solitude a été imposée, dictée par une mère, une
sœur, une fable racontée depuis toujours dans la cour ? Suis-je seulement née ici,
derrière un mur après une traversée surhumaine ? Suis-je vraiment celle qui est
restée si longtemps dans la matrice de sa mère ? […]
Je ne sais plus, les fables sortent des murs, jaillissent, se contredisent, me
submergent. Ça parle autour de moi, ça parle de nous, de cette mère qui ne m’a
jamais aimée.72

47 Les œuvres littéraires sont « un excellent terrain d’investigation pour qui veut
observer les phénomènes identitaires »73. Car, comme pour les ouvrages de Jeanne
Benameur, de Kaoutar Harchi et de Carole Martinez, ils mettent en scène l’état de crise,
l’état critique de « crise identitaire »74, ce bouleversement total de la perception de soi.
La littérature montre également les opérations fondamentales du travail identitaire et
met en évidence le processus de construction de l’identité féminine, qui passe par la
quête de l’émancipation féminine.

La quête de l’émancipation féminine


48 L’émancipation se définit comme étant « l’action de s’affranchir d’un lien, d’une
entrave, d’un état de dépendance, d’une domination, d’un préjugé »75.
49 L’émancipation féminine se base sur la réalisation personnelle, prônant
l’indépendance, la liberté et l’épanouissement de la femme. Cette quête de liberté et
d’émancipation constitue la recherche d’un nouveau féminin qui sort du contexte social,
s’affirme comme sujet de ses actes, de ses désirs et de ses décisions. La fille veut exister
en tant que telle, en tant que corps désirant. L’émancipation féminine s’inscrit d’abord
par rapport au modèle présenté comme archaïque, conservateur et réduisant la femme
au rôle de procréatrice et de gardienne de traditions qui l’entravent.
50 La fiction donne une dimension universelle, intemporelle, à cette histoire « vieille
comme le monde » : la quête de l’émancipation féminine avec tout ce que cela entraîne.
51 Dans les romans, les filles/les héroïnes vont devoir se défaire de ces destinées de
femmes. Se délier du poids infini qui pèse sur elles : le poids de l’héritage, des traditions
et des croyances. Le poids des ancrages familiaux. Le poids des douleurs, des
renoncements et de l’espérance vaine qui façonne les filles depuis des générations et
des générations.
52 Les auteures, par le biais de leurs romans, explorent cette quête de liberté en
s’interrogeant sur : Qu’est ce qui nous rend libre ? Et comment l’être ? Est-ce vraiment
nécessaire ?
53 Les trois héroïnes du corpus littéraire choisi se trouvent à un moment charnière de
leur vie. Comme en déséquilibre. Dans ce moment de bascule où tout semble encore
possible. Ce sont trois femmes remises en mouvement par l’absence et le silence de la
mère. Trois femmes en construction. Au bord de l’abîme. Qui fuient. Explorent. Se
cherchent. Entre la mémoire et le désir. Entre le passé symbolisé par la mère et leur
immense aspiration à être libre. Les trois héroïnes vont mener une quête intime, une
lutte intérieure qui nécessite de revenir sur l’histoire familiale. De revenir à la mère. Au
centre. Pour comprendre qui elles sont. Pour savoir où aller.
54 La langue poétique des auteures suggère également cette quête émancipatoire
féminine, suggère l’indicible qui façonne les vies, les rêves et les actes des filles. Dans
ces trois romans, la langue sera ce qui permettra le mouvement libérateur. L’identité
reconquise. Elle permettra de dire l’espoir. De traduire la rupture avec les générations
passées.
55 Ainsi, Kaoutar Harchi à travers la voix de la Fille, évoque cette seconde naissance
qui va permettre à la protagoniste de l’histoire de faire seule « l’expérience du monde »,
d’affirmer qui elle est.

Le temps a transformé ce que j’étais. Et j’ai vu. La peur, la fragilité, le désarroi. La


mort surgir – le couteau dans la nuit – et écorcher, lacérer, séparer mon corps de
cet autre corps qui l’avait si longtemps porté. Et il faut l’avoir ce courage de quitter
le ventre éternel des mères dans lequel ils sont encore si nombreux, hommes et
femmes, jeunes et vieux, à se retourner, à errer, à étouffer, dans l’exiguïté, dans le
noir, dans le silence, effrayés à l’idée de sortir – comme on dit : sortir du ventre de
sa mère. Pétrifiés surtout à l’idée de devoir faire seuls l’expérience du monde. Je
veux dire oser ouvrir les yeux – mais les ouvrir vraiment – et ressentir, au plus
profond de soi-même, sans pouvoir s’y soustraire, la misère qui rôde dans toute la
ville, les plaintes lancinantes des fantômes lassés de hanter les vivants, la tristesse
d’être qui on est, ni exceptionnel, ni ordinaire.76

56 Dans le roman de Carole Martinez et comme nous l’avons vu précédemment,


l’émancipation de Soledad, la narratrice, s’inscrit d’abord par rapport au modèle
présenté de cette lignée de mères, ces mères-douleur, ces mères-tradition, ces mères-
sans-amour. Sa réflexion n’est pas encore parvenue à son terme. Les mots se
bousculent, les phrases s’entrechoquent. Mais le lecteur devine un autre avenir qui se
dessine pour la narratrice, un autre avenir pour toutes les nouvelles générations de
femmes.

Je suis ce dernier vers, cette main rouge, enluminée de henné, qui mit fin à notre
course folle, je suis celle qui obligea ma mère à se coucher. Je suis le bout du
voyage. Je suis l’ancre et je ne peux qu’écrire pour que meure l’histoire qui nous
berce et nous mure et fait de nous des êtres différents, intraduisibles et étranges à
tous.77

Conclusion
57 Les romans de Jeanne Benameur, de Kaoutar Harchi et de Carole Martinez racontent
la construction identitaire féminine entre héritage méditerranéen et quête
émancipatoire, à travers trois personnalités singulières inscrites dans la trame
narrative, c’est-à-dire obéissant à une logique puisqu’elles vont passer d’un état à un
autre. En effet, les personnages de filles vont aller d’un état initial à un état final, grâce
à un élément perturbateur entrainant des changements et des perturbations « mis en
continuité à travers l’enchaînement des différentes séquences de l’intrigue »78
permettant ainsi de dévoiler une vérité. Leur vérité et leur identité.
58 Les filles sont mues, comme traversées par une quête absolue d’émancipation et donc
de construction autre que celle transmise par leur mère. Ainsi, elles sont, in fine, sujets
de leur histoire c’est-à-dire qu’elles ne sont pas uniquement le produit de la logique
narrative. « Leur humanité » reposerait à la fois sur leurs actions et sur leur manière
d’être au monde, de le penser, de le réfléchir et de vivre leurs aspirations, leurs désirs.
Leur possibilité d’exercer leur volonté propre.
59 Les combats qu’elles ont menés ont été rudes, le refus de la transmission que la lignée
familiale imposait, âpre. À la clôture des romans et à l’image de Léa (la protagoniste du
roman de Jeanne Benameur), les filles se cherchent un pas nouveau. Quelque chose en
elles a cédé. Elles sont comme libérées. « La grande peur a reflué »79. Une nouvelle
identité est en devenir.
60 Les mots de Léa pour terminer (des mots qui pourraient définir les trois héroïnes des
textes littéraires abordés dans cet article) :

Elle fait partie maintenant de ceux qui articulent leurs pas comme on parle après
être resté trop longtemps silencieux. Avec peine. La seule grâce possible.
Partageable.80
Bibliographie
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Notes
1 Nathalie Heinich, États de femme. L’Identité féminine dans la fiction occidentale, p. 332.
2 Ibid.
3 Larousse en ligne, <http://www.larousse.fr> consulté le 21/08/2014.
4 Catherine Halpern et Jean-Claude Ruano-Borbalan, Identité(s). L’Individu, Le Groupe, La
Société, p. 1.
5 Nathalie Heinich, op. cit., p. 333.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 Voir l’ouvrage de Catherine Tourrette et Michèle Guidetti, Introduction à la psychologie du
développement. Du bébé à l’adolescence, chapitre 3.
9 Edmond Marc, « La Construction identitaire de l’individu », p. 37.
10 La mère est le « premier objet d’investissement et d’identification » pour ses enfants. Et pour
sa fille, elle est également le premier « objet d’identification de genre et d’identification
secondaire ». Lire Thierry Bokanowski et Florence Guignard, La Relation mère-fille, p. 9.
11 Camille Lacoste-Dujardin, Des mères contre des filles, p. 62.
12 Ibid.
13 Nathalie Heinich, op. cit., p. 329.
14 Ibid., p. 330.
15 Ibid.
16 Ibid., p. 48.
17 Il s’agit de trois proses narratives (une prose poétique, une fable – voire une parabole – et un
conte), dont la date de publication (située entre 2007 et 2014) est sensiblement la même. Trois
récits écrits par des femmes d’origine méditerranéenne, le mot origine renvoyant aux notions
« d’ascendance, de filiation, de naissance ». Le postulat est que cette origine méditerranéenne
influe sur l’écriture, sur les mots choisis, la situation imaginée, la poétique comme les
thématiques qui baignent ces romans et qui nous introduisent dans la singularité de leur univers
imaginaire. Trois œuvres comparables, à la fois singulières et majeures de la littérature actuelle.
18 Jeanne Benameur, Laver les ombres, p. 11.
19 Ibid.
20 Ibid., p. 64.
21 La quête de l’identité féminine est la thématique centrale des œuvres littéraires féminines
méditerranéennes et contemporaines. En Méditerranée, les écrivaines présentent tout un
entrelacement de figures et de motifs qui s’interpellent et se répondent, comme autant de
possibles féminins, comme autant de questionnements sur cette notion d’identité, qu’elle soit
intime, collective, mais toujours féminine, nous permettant ainsi de réfléchir à notre identité,
notre être profond et intime.
22 Denise Brahimi, « À la recherche du pouvoir maternel perdu », p. 166.
23 D’après Nathalie Heinich, l’identité féminine se construit de façon endogène, à l’inverse de
l’identité masculine qui, elle, se construirait majoritairement de manière exogène, c’est-à-dire par
rapport à ce qui n’est pas masculin. Nathalie Heinich, op. cit. p. 330.
24 Georges Devereux, Femme et mythe, p. 13.
25 Camille Lacoste-Dujardin, Des mères contre des filles, p. 56.
26 Ibid.
27 Voir la bibliographie finale.
28 Voir l’ouvrage de Jacques André et al., Mères et filles. La menace de l’identique.
29 Thierry Bokanowski et Florence Guignard, op. cit., p. 13.
30 Ibid.
31 Voir l’ouvrage de Pierre Bourdieu, La Domination masculine.
32 Camille Lacoste-Dujardin, op. cit., p. 63.
33 Ibid.
34 Ibid., p. 67.
35 Ibid.
36 Thierry Bokanowski et Florence Guignard, op. cit., p. 115.
37 Selon le schéma narratif quinaire qui comporte cinq étapes : 1. Avant ou état initial ; 2.
Provocation ou élément déclencheur ; 3. Action ; 4. Sanction ou conséquence ; 5. Après ou état
final. Lire Vincent Jouve, La Poétique du roman, p. 47.
38 Andrée Chédid, Les Saisons de passage, p. 10.
39 Jeanne Benameur, op. cit., p. 7.
40 Ibid., p. 37.
41 Image souvent utilisée dans ce roman. Par exemple, « le corps déployé » ou « le corps qui se
déploie ». Ibid., p. 8.
42 Ibid., p. 9.
43 Kaoutar Harchi, À l’origine notre père obscur, p. 15.
44 Elle est le narrateur-personnage de ce roman.
45 Carole Martinez, Le Cœur cousu, p. 11
46 Ibid.
47 Ou sous-genre plus précisément. Ici, il s’agit d’un conte romanesque et cela est nous est
signifié dès les premiers mots où abondent les métaphores comme dans cet extrait donné.
48 Françoise Couchard, Emprise et violence maternelles. Étude d’anthropologie
psychanalytique, p. 65.
49 Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich, Mères-filles. Une relation à trois, p. 52.
50 Jeanne Benameur, op. cit., p. 7.
51 Ibid., p. 9.
52 Ibid., p. 10.
53 Ibid.
54 Ibid.
55 Ibid.
56 Carole Martinez, op. cit., p. 359.
57 Ibid., p. 437.
58 Selon D. W. Winnicott, « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels », p. 109-125.
59 Ibid., p. 172.
60 Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich, op. cit., p. 44.
61 Ibid., p. 177.
62 Larousse en ligne, <http://www.larousse.fr> consulté le 30/04/2014.
63 Carole Martinez, op. cit., p. 417.
64 Ibid.
65 Ibid.
66 Jeanne Benameur, op. cit., p. 60.
67 Ibid., p. 138.
68 Ibid., p. 93.
69 Ibid.
70 Ibid.
71 Carole Martinez, op. cit., p. 21.
72 Ibid., p. 379-380.
73 Nathalie Heinich, op. cit., p. 332.
74 Ibid.
75 Larousse en ligne, <http://www.larousse.fr> consulté le 28/03/2014.
76 Kaoutar Harchi, op. cit., p. 105.
77 Carole Martinez, op. cit., p. 325-326.
78 Michel Erman, La Poétique du personnage de roman, p. 10.
79 Ibid., p. 155.
80 Ibid., p. 157.

Pour citer cet article


Référence papier
Françoise Navarro, « La construction de l’identité féminine, entre héritage méditerranéen et
quête émancipatoire dans trois œuvres romanesques contemporaines », Babel, 41 | -1, 113-134.

Référence électronique
Françoise Navarro, « La construction de l’identité féminine, entre héritage méditerranéen et
quête émancipatoire dans trois œuvres romanesques contemporaines », Babel [En ligne],
41 | 2020, mis en ligne le 25 mai 2020, consulté le 22 juillet 2021. URL :
http://journals.openedition.org.sire.ub.edu/babel/10212 ; DOI : https://doi-
org.sire.ub.edu/10.4000/babel.10212

Auteur
Françoise Navarro
Université de Toulon - Laboratoire BABEL (EA 2649)

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