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L’Amant
La Mémoire
La focalisation
Duras change plusieurs fois de perspective au cours de son livre et très souvent à un
moment où le lecteur s’y attend le moins. Par exemple, dans la première scène
d’amour avec l’amant, elle passe du pronom personnel de la première personne au
substantif (l’enfant) ce qui produit une distanciation. Le « je » est la proximité et le
substantif la distance. Sans cesse un changement de focalisation a lieu quelquefois
dans les moments les plus intimes, comme si la narratrice n’était pas impliquée. En
fait, c’est un style qui cherche à cerner le point crucial (jouissance désir mort) qui sont
des thèmes Durassiens.
Quelques personages
Hélène Lagonnelle est le seul lien de la jeune fille avec la société blanche des
tropiques, elle est la seule qui lui parle car on tient la jeune fille à l’écart. Les
« demoiselles de bonne famille » ne doivent avoir aucun contact avec la « petite
prostituée blanche du poste de Sadec » qu’elle est devenue. Cependant, en Hélène
Lagonelle, elle a une amie qu’elle aimerait faire profiter de son expérience en voulant
lui céder l’amant chinois. Elle voudrait qu’Hélène puisse faire l’amour avec le
Chinois et connaître comme elle le désir. Le fait qu’elle aimerait alors regarder est
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moins un acte de perversité que d’amitié.
Les mythes
Si on pense à un mythe de la Bible, c’est bien sûr à Eve et Adam et le fruit défendu.
La transgression de l’interdit qui est très fort dans L’Amant : l’interdit pour une jeune
fille de faire l’amour avant d’être mariée, l’interdit racial, il s’agit d’une jeune fille
blanche ayant des rapports sexuels avec un Chinois et aussi le fait qu’elle accepte de
l’argent de cet homme ce qui donne une forte connotation de prostitution à leurs
relations. On peut aussi voir le mythe d’Orphée si on garde la traversée du Mékong
comme un passage initiatique, auquel cas la jeune fille est Orphée. Elle regarde de
trop près le désir en la personne du Chinois, une métaphore d’Eurydice, et finalement
elle doit partir seule et laisser le Chinois derrière elle, prisonnier de la ségrégation
raciale ou l’enfer. Caïn et Abel pourraient représenter les deux frères. On peut aussi
voir le mythe de Médéa en la mère, qui sacrifie ses enfants à son opiniâtreté. Ulysse
aussi qui fait un grand voyage d’initiation, Iphigénie et Oreste. Des bribes de mythes
surgissent à beaucoup d’endroits. Comme tous les mythes on ne sait où ils
commencent ni vraiment d’où ils proviennent ! En utilisant des substantifs, la mère, la
jeune fille, l’enfant, le petit frère et d’autres, Margueritte Duras crée une structure
mythique avec une sorte de Lolita, séductrice. Quoi qu’il en soit, Margueritte Duras
écrit une histoire universelle, transcendant la réalité banale d’une situation
quotidienne. C’est une sorte de circuit que l’on retrouve dans son œuvre, un circuit
qui prime sur la réalité extérieure à l’écriture.
Le thème de l’eau
L’eau joue un très grand rôle dans cette structure mythique. Tout d’abord, bien sûr, la
traversée du Mékong et ensuite le paquebot qui l’emmènera en France, qui vogue sur
l’eau et la mousson qui éclate. A chaque passage important, le rite de passage, on
retrouve l’eau. Les amants se douchent longuement comme pour se purifier du monde
extérieur et se retrouver dans la pureté de l’innocence de l’amour qui les unit, même si
la jeune fille n’est pas vraiment certaine de ses sentiments, ceux du Chinois sont
clairs. La maison aussi qui est lavée à grande eau chaque fois que le grand frère est
absent, comme pour la purifiée de sa présence par trop démoniaque.
La narratrice et sa mère
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Le pacte autobiographique
A sa parution, L’Amant a été tout de suite relié à la vie de l’auteur et Duras elle-même
en a souligné l’aspect autobiographique. Au début du livre, la narratrice dit
explicitement « Il faut que je vous dise encore, j’ai quinze ans et demi ». Elle écrit
cette phrase dans l’oralité de l’écriture, nous faisant par la même occasion remarquer
que son visage est ravagé par l’alcool. Nous savons que Margueritte Duras avait une
grande attraction pour l’alcool et aussi qu’elle a vécu sa première jeunesse aux
colonies. Ces faits sont pour nous une raison de regarder ce texte comme un récit
autobiographique. Mais l’œuvre entière de Duras contient des renvois auto textuels,
ce qui n’est pas une qualité exclusive du genre autobiographique comme le souligne
Jeannette M. L. den Toonder. Elle nous dit encore que cette manière de procéder
montre que Duras aspire à effacer les limites entre les genres. Il y a le moment de la
découverte de la vocation qui surtout nous incite à voir le pacte autobiographique
dans ce livre. Au moment où la petite fille découvre l’amour, elle sait avec certitude
qu’elle veut écrire. C’est par et à travers l’écriture qu’elle découvre et cherche son
identité. L’écriture en tant que telle est vitale. Elle désamorce le langage courant pour
atteindre la profondeur. Duras recherche la vérité, elle veut saisir l’insaisissable, cette
réalité psychique enfouie au plus profond d’elle-même.
Rite de passage
Le rite de passage ou l’initiation est une aventure mystique. Pour vivre cette aventure,
cette initiation, l’isolation de l’individu est d’importance capitale. L’auteur réfère à
l’isolation de l’enfant dans cette société coloniale où elle est mise au ban de la société,
déjà avant d’avoir vécu son aventure amoureuse. C’est parce qu’elle est isolée qu’elle
peut la vivre. Entourée par sa famille et la société, l’expériment n’aurait pu lui
arriver. Dans l’initiation, ce rituel anthropologique, l’eau joue un très grand rôle tout
comme dans ce récit. Principalement dans les scènes où les amants se douchent pour
se purifier du monde extérieur avant de s’unir. La narratrice est curieuse du rituel, elle
va de l’avant. Cette aventure fait partie de sa quête d’identité. Elle se découvre en
performant cet acte sexuel puisqu’elle sait alors ce qu’elle veut. Elle analyse ses
sentiments, la situation, le décor, son partenaire, son désir et elle apprend à se
distancier tout à la fois. Elle ressort encore plus pure de cette expérience. La souillure
de la prostitution ne l’atteint pas. Cela ne fait pas partie de son monde à elle qui est
au-delà des apparences comme les voit la société coloniale. Son monde, c’est
l’invisible, l’ineffable, le désir omniprésent sans que l’on puisse le décrire, ni l’écrire,
ni le créer. Tout comme l’esprit comparable au morceau de sucre immergé dans une
tasse d’eau. L’eau devient sucrée et le sucre a disparu. Pourtant sa présence est
indéniable. Le goût de l’eau l’authentifie. L’écriture authentifie le désir chez Duras
ainsi que sa quête d’identité présente sous et dans chaque parole, chaque mot, chaque
lettre écrits.
L’accoutrement symbolique
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et lui permettront d’être reconnu comme tel par ceux qu’il rencontrera. Que l’on pense
aux robes blanches des mariées qui commenceront une vie nouvelle au lendemain de
leurs noces ou celles des petites communiantes dans l’église catholique ! Mais aussi,
par exemple, aux plumes d’oiseaux réservées à cet effet de différentiation chez les
Dogons ou certains peuples de l’Amazonie. L’enfant porte un chapeau comme aucune
femme n’en porte en Indochine. Duras met l’accent sur le chapeau et les chaussures.
Deux objets fétichistes de l’habillement de la femme et non pas d’une jeune fille de
quinze ans à l’époque. L’enfant est vouée à un sort unique, divergeant totalement de
celui des autres femmes de son environnement. Ces dernières sont promises au
mariage, à l’ennui, au malaise, à la mort, à l’absence de désir ou du moins de sa
satisfaction, à l’abandon souvent. Un sort totalement dissemblable attend l’enfant.
Son accoutrement la différentie de toutes les autres femmes. Elle est choisie. L’élue
sacrifiée renaîtra purifiée, libérée des interdits et des tabous de cette société.