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EAN 978-2-221-15886-9
Le thérapeute : Et le sexe ?
Joseph : Vas-y, toi…
Mary : OK. J’ai un aveu à faire. Je simule l’orgasme. Je ne voulais
pas te le dire. Je ne voulais pas te blesser.
Joseph : Tu n’as jamais eu d’orgasmes ?
Mary : Pas avec toi.
Le thérapeute : Joseph, il est important que Mary puisse vous dire
ce qu’elle ressent, tout comme il est important que vous soyez
capable de l’entendre.
1. Our Bodies, Ourselves, Boston Women's Health Book Collective ; trad. Notre corps,
nous-mêmes, Albin Michel, 1977 (N.d.T.)
3. « Se sentir fort ».
5
« Quand on veut, on peut ! »
Quand la morale protestante s’attaque à l’érosion du désir
1. « Trouver un mari après trente-cinq ans, en vous servant de ce que j’ai appris à
Harvard » (N.d.T.).
2. « Atteindre l’orgasme en cinq minutes, à chaque fois que vous faites l’amour »
(N.d.T.).
Maria a appris que rien n’est gratuit, que tout se mérite. Les
privilèges sont l’apanage de ceux qui n’ont jamais dû travailler dur, et
ils sont en cela horriblement suspects. La règle, c’est de se sacrifier
pour le bien de sa famille. La répugnance de Maria à s’exprimer est
particulièrement forte dans le domaine sexuel.
Je lui explique :
— Demander quelque chose dont vous avez vraiment besoin ne
semble pas vous poser de problème. En revanche, il vous paraît
égoïste de demander une chose simplement parce que vous en
avez envie ou qu’elle vous plaît. Le plaisir en lui-même est douteux,
sauf si vous l’avez mérité. Voilà qui soulève également la question
de ce que vous pensez être digne de recevoir, de ce que vous
pensez valoir. Car c’est cela, l’érotisme : le plaisir pour le plaisir,
offert gratuitement par Nicolas.
Toutes deux, nous travaillons à développer une meilleure estime
de soi afin qu’elle se persuade qu’elle a le droit à certaines choses.
Cela passe par le fait de s’asseoir quand elle boit son café le matin,
de lire le journal alors que la cuisine n’est pas encore rangée, ou de
sortir avec des amis même si Nicolas doit pour cela s’occuper du
bébé deux soirs d’affilée. Elle doit cesser de penser que le plaisir se
paie – à l’avance – avec l’accomplissement d’un devoir. Nous
essayons de déjouer ce système complexe fait d’impartialité et de
mérite, où tout doit être parfaitement équitable dans le but de
neutraliser l’égoïsme.
L’idée fait son chemin dans l’esprit de Maria.
— Je pense que la faiblesse de mes désirs est due avant tout à
l’impression de ne pas être propriétaire de ma sexualité, et à mon
rapport conflictuel au plaisir, surtout avec mon mari. Je ne peux pas
expliquer pourquoi je me sens si mal à l’aise à l’idée de m’ouvrir à lui
sur le plan érotique, mais ce dont je suis sûre, c’est que je ne me
suis jamais tournée vers ma famille pour obtenir le moindre petit
cadeau.
— Exact. Pour vous la famille est le lieu du sacrifice de soi, pas
celui du plaisir. Pourtant, avoir le sentiment positif qu’on y a droit est
une condition préalable pour établir une intimité physique.
C’est seulement quand Maria commence à réfléchir à sa part de
responsabilité dans l’impasse érotique où se trouve son couple, que
celle de Nicolas devient évidente. Elle lui pose les mêmes questions
que celles que nous avons fini par résoudre en séance : « Que
signifie le sexe pour toi ? Est-ce que vous en parliez dans votre
famille, et comment ? Quels sont les événements importants qui ont
façonné ta sexualité ? Qu’est-ce que tu aimerais essayer avec moi ?
Et qu’est-ce qui te ferait le plus peur ? » Ils se lancent dans des
conversations audacieuses et stimulantes, davantage centrées sur
les possibles que sur les problèmes.
Maria apprend ainsi que, pour Nicolas, le sexe est à la fois une
libération et l’expression d’un lien, une marque éloquente d’amour.
Quand Maria le repousse, il ne se sent pas aimé. Nicolas n’est pas
quelqu’un de bavard. Il a plutôt tendance à agir pour témoigner son
affection : laver la vaisselle, cirer les chaussures de sa femme, avoir
toujours du chocolat pour elle dans le réfrigérateur. Le week-end, il
s’assure qu’ils vont pouvoir sortir tous les deux, sans culpabilité (ce
que Maria trouve difficile), et sans que les interminables tâches
ménagères ne viennent les submerger. Il est généreux dans son
affection, à la fois avec Maria et avec leur fille. Mais ses caresses
s’arrêtent quand le sexe commence. Même s’il aime ça, il se sent
moins dans son élément face à la séduction.
— Il a tellement envie du rapport sexuel, où il sait quoi faire, qu’il
ne prend pas son temps et renonce à tout badinage amoureux. Il n’y
a pas de jeu… Je finis par me sentir pressée. Il faut à peu près deux
minutes à Nicolas pour passer de la télé au coït, que ce soit
physiquement ou émotionnellement. Moi, j’ai besoin de plus de
temps. Mais, comme j’ai tendance à vouloir prendre soin de lui, je ne
veux pas qu’il se sente mal. Alors, j’essaie d’être très vite excitée. Et
nous aboutissons au fiasco complet.
Pour Nicolas, le sexe est une pièce en un seul acte. Pour Maria,
c’est un enchaînement de plaisirs, un épanouissement progressif.
Leur problème vient du fait qu’ils se limitent au rapport sexuel lui-
même et à l’orgasme, éludant ainsi tout érotisme. Maria se débat
alors avec l’idée que prendre son temps témoigne d’un égoïsme et
d’une avidité coupables. Quand la précipitation de Nicolas vient
s’ajouter à son propre manque d’initiative et de confiance en soi,
cela renforce son sentiment de ne pas être digne d’attention. Bien
sûr, elle pourrait prendre son temps si elle pensait que son mari était
dans les mêmes dispositions. Mais, pour lui, la lenteur suscite une
autre forme d’anxiété : la peur de ne pas en faire assez, et pas
assez bien.
Je suggère à Maria qu’ils devraient sortir de ce modèle de
sexualité centrée sur la performance, de cette exigence rigide
d’orgasme mutuel. Cette approche, vouée à l’échec, est trop
sérieuse pour ne pas ôter au sexe sa dimension ludique.
— Vous vous souvenez des caresses du début ? C’était quand la
dernière fois ?
— Cela fait des années. Au tout début de notre histoire, nous
avons passé une soirée à nous peloter et à nous embrasser sur la
promenade de Coney Island. C’était incroyable. Mais nous ne
faisons plus ce genre de choses.
Les mécanismes en jeu dans la relation de Maria et Nicolas sont
subtils, comme chez la plupart des couples que je rencontre. Il ne
s’agit jamais d’une cause unique, et le problème ne provient jamais
d’un seul des deux partenaires. Ainsi, Maria prétend vouloir être
séduite, mais elle se montre résistante à l’idée de considérer Nicolas
comme quelqu’un de séduisant.
— Être en couple m’empêche de me sentir attirée par lui.
Parfois, quand je le regarde sortir de la douche ou quand il rentre à
la maison après le sport, je me dis : Mon Dieu, qu’il est sexy !
Pourquoi me paraît-il si séduisant jusqu’au moment où je me
rappelle qu’il est mon mari ?
J’explique à Maria qu’il est angoissant de s’exposer sur le plan
érotique devant la personne avec laquelle nous partageons par
ailleurs une intimité affective. Et cela est particulièrement vrai quand
on pense que le sexe est, d’une manière ou d’une autre, quelque
chose de honteux.
— Une part de vous-même ne participe pas encore à votre
relation. Et l’énergie psychique que vous dépensez pour la tenir
cachée suffit à vous épuiser. Pas étonnant, dans ces conditions, que
vous préfériez aller vous coucher plutôt que de faire l’amour avec
votre mari.
Comme beaucoup d’entre nous, Maria a grandi en apprenant à
dissimuler ses rêveries érotiques et ses rêves éveillés pleins de
frivolité. Garder le secret sur nos plaisirs est un élément fondamental
de notre apprentissage de la sexualité. Maria se rappelle encore la
honte qu’elle a ressentie, enfant, lorsque sa mère l’a surprise dans
un moment de délicieuse découverte érotique, et lui a dit avec un air
de profond dégoût : « Arrête ça tout de suite. » Même les plus
chanceux, ceux dont les parents ont admis que ces petits jeux
sexuels participaient au bien-être personnel, se souviennent de cette
réprimande : « Cela ne regarde que toi. » Dès lors, il est difficile de
faire ressortir au plein jour ce que nous avons caché pendant des
années.
Sans surprise, Maria doit lutter pour intégrer à sa sexualité
conjugale les rêveries érotiques qu’elle a appris très tôt à refouler et
à considérer comme des ennemis. Je l’encourage à sentir la
réceptivité de Nicolas, à accepter son propre désir et à se sentir
digne d’être courtisée. Dans le même temps, je l’incite à regarder
Nicolas d’un œil neuf.
— C’est trop facile de l’enfermer dans le rôle du mari doté de
toutes les qualités domestiques requises, et de se plaindre ensuite
d’une absence de libido. Vous en restez toujours à la même vision
de lui, en négligeant la complexité de sa géographie intérieure.
1. « La ville sise au sommet d’un mont » est une expression souvent utilisée en
référence au célèbre sermon de John Winthrop, « Un modèle de charité chrétienne »
(1630). Elle reprend une des métaphores présentes dans le « Sel de la terre et lumière du
monde » du Sermon sur la montagne : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut
se cacher, qui est sise au sommet d’un mont » (N.d.T.).
1. « Gang bang » : quand plusieurs hommes ont des rapports sexuels avec une seule
femme, qu’elle soit consentante ou non (N.d.T.).
10
L’ombre de l’Autre
Réinventer la fidélité