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HISTORIQUE
DU

FRANÇAIS

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LES V<HELLES

P A R IS
LIBRAIRIE. C. KI.INCKSII',« ;i>
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OUVRAGES DU MEME AUTEUR
(A la Librairie C. Klincksieck)

Phonétique historique du français : Introduction (1952)


Phonétique historique, volume 3 : Les consonnes (à paraître)
Traité de prononciation française l ' e édition : 1956
Traité de de prononciation française 2e tirage, revu et augmenté : 1958

«j i .iiih a u u e c . KLINCKSIECK, 1»58.


Il est tnlrnlll de luire des extraits de celte publication ait moyen de photocopies
ou ill' microcopies sans une autorisaiion écrite de l’éditeur.
LES VOYELLES

Le présent volume contient trois parties :


I. — les Préliminaires, où l’on trouve des indications sur
le système vocalique, tel qu’on peut le déterminer pour
les derniers temps de la République et les premiers siècles
de l’Empire. Ce qui suivra concerne le timbre, l'accent
et la quantité ;
IL — les Voyelles accentuées (Première Partie) ;
III. — les Voyelles inaccentuées (Deuxième Partie).
PRÉLIMINAIRES

TIMBRE DES VOYELLES LATINES


AU DÉBUT DE L’EPOQUE IMPÉRIALE

Le latin classique possédait cinq voyelles :


i u
e o
a
dont chacune pouvait avoir une double quantité, brève (u) ou
longue (-).
La question qui se pose est de savoir si, à la fin de l’époque
républicaine ou au début de la période impériale, il existait
une différence de qualité appréciable entre les brèves et les
longues correspondantes, et spécialement entre ë, ô, ï, ü et
ë, ô, ï, ü. Cette question est d’une grande importance pour la
phonétique historique des langues romanes et du français en
particulier, car l’allure des transformations qui se sont opérées
dans la suite diffère suivant le point de départ adopté.
E , O longs et E, O brefs . — On est d’accord pour recon­
naître que ë et ô latins étaient fermés. Ils devaient même l’être
assez si l’on en juge par les inscriptions républicaines où la
diphtongue ei, déjà devenue ou sur le point de devenir ï, est
assez souvent notée par e et où on trouve inversement i, ei
pour ë, u pour ô. Au ve siècle ap. J.-C., les grammairiens latins
(Sergius, Pompeius, Servius, etc.) diront encore, en parlant
de ë, que c’est une voyelle « voisine » de ï ; cf. ci-dessous.
114 PRÉLIMINAIRES

Quant à ë et o, la théorie dominante parmi les latinistes est


qu'ils étaient réellement ouverts. Il y aurait eu entre ë et ë,
entre ô et 5 latins la même différence qu’entre l’e ouvert du fr.
mère, de l’ital. bello, de l’angl. men et Ve fermé du fr. nez, de
l’allem. Sec, de l'angl. meet, ou qu’entre l’o ouvert du fr. encore,
de l'ital. cosa, de l’allem. sept. Gott et l’o fermé du fr. haut, de
l’ital. padrone ou de l’allem. Sohn.
Cette opinion s’appuie surtout sur la différence des résultats
romans selon qu’il s’agit de ë, 6 ou de ë, Ö latins. On sait par
exemple en français ë et ö accentués en syllabe ouverte ont
abouti primitivement à it et uo, tandis que dans les mêmes con­
ditions ë et ô sont devenus ei et ou. En espagnol ë et o accentués
sont représentés par ie et ue ; mais ë et ô le sont uniquement par
e et o. Ces résultats, dit-on, supposent un timbre différent pour
ë, ö et ë, ô latins. D’autres cas sont plus intéressants, parce qu’ils
semblent préciser cette différence de timbre. Ainsi dans le
vieux provençal qui ne connaît pas la diphtongaison spontanée
de ë et de o, ces deux voyelles sont continuées par e et o ouverts,
alors que ê et 5 le sont par e et o fermés. On en conclut qu’en
latin ë et ô devaient être eux-mêmes ouverts, par opposition
avec ë et ô qui étaient fermés. Cependant le raisonnement ne
saurait valoir. Tout d’abord, cette divergence de résultats peut
avoir une autre cause qu’une différence originaire de timbre.
En effet, le caractère tendu ou relâché de l’articulation vocali-
que a lui aussi son importance, et la différence de tension mus­
culaire permet d’obtenir des résultats variés à partir de timbres
primitivement identiques. De plus, l’argument que l’on prétend
tirer de langues comme le vieux provençal est contredit par
d’autres. C’est ainsi qu’en syllabe accentuée ouverte, par consé­
quent dans les mêmes conditions que plus haut, ë latin est con­
tinué par un e fermé en catalan oriental, en corse cismantan,
en génois, etc. Si l’on s’en tient au système de correspondances
latin-roman, on devra conclure que ë latin n’était pas ouvert.
En réalité, le raisonnement ne vaudra pas davantage cette
fois-ci que la première. La distance est trop grande entre les
résultats romans et le vocalisme latin de la fin de la République
ou du début de l’Empire, et il est dangereux de vouloir inférer
celui-ci de ceux-là. Trop de phénomènes ont pu se produire
dans l’intervalle qui empêchent de se faire une idée exacte des
origines.
Il convient, en saine méthode, de recourir aux moyens offerts
par le latin lui-rnême.
Or ce dernier présente à date ancienne un certain nombre
de faits qui témoignent qu’à l’époque de leur apparition il ne
devait guère y avoir de différence de timbre entre ë, ö et ë, ô.
1° Abrègements vocaliques : types *amëm > amëm, *amët
^ arnët, *uëntom > vëntum, *vidëntem > vidëntem, *përsna
-» p(ma, *sêmi~caput > *sëm(i)-caput (> sinciput), *flëo
TIMBRE DES VOYELLES LATINES 115
> flëo, *dëos > dëus, v. lat. fidëï > fidëï, amör en face de amô-
ris, etc.
2° Allongements vocaliques : types *avësna > avêna, *mënsa
> më(n)sa, tëctus en face de tëgo, *hortöns > hortos, consul
> cô(n)sul, etc.
3° Contractions vocaliques : types *në-(h)ëmo > nëmo, *pon-
të(y)ës > pontés, *rë(y)ës > rës, *trë(y)ës > trës, *cö-öpia
> copia, *prö-öles > proies, *prö-(v)örsus > prôrsus, etc. Cf.
encore les doublets prëhëndere et prëndere, vëhëmens et vë-
mens, etc.
On pourrait objecter que si ëë et öö aboutissent à ë et 5 en
vieux latin, il ne s’ensuit pas que ë et <5 aient été fermés, au
même titre que ë et 5 : le résultat ë et 5 (fermés) pourrait être
dû au fait que, le système de la langue n’admettant que des
longues fermées, les longues (ouvertes) provenant de la con­
traction de deux brèves (ouvertes) seraient devenues automa­
tiquement fermées elles aussi. Pour la même raison, l’allonge­
ment de è, ö en ë, 5 ne signifierait pas non plus que ë et <5aient
eu un timbre fermé. De même encore, le passage de ë, 5 par
abrègement à è, ö ne serait pas un indice du caractère fermé
de ces deux brèves : ê et ö (fermés), devenus tout d’abord ë et ö
(fermés), auraient passé aussitôt à ë et ö (ouverts), par adap­
tation au système de la langue qui ne possédait que des brèves
ouvertes.
Mais un tel raisonnement part d’un simple postulat, à savoir
que seules les longues latines étaient fermées, et que seules les
brèves latines étaient ouvertes. Or cela, il faudrait justement le
prouver, et les preuves manquent. Il est dès lors plus naturel
d’admettre que si ëë, öö ont abouti à ë, ö (fermés) et que si ë, ö
ont pu passer à ë, ö (fermés) ou inversement ë, ö (fermés) à ë,
ô, c’est que ces dernières voyelles étaient elles-mêmes fermées.
Toute naturelle qu’elle soit, ce n’est là pourtant qu’une hypo­
thèse. Cette hypothèse se change en certitude grâce à un fait
tiré de la phonétique du latin tardif et aux renseignements
fournis par les grammairiens.
Il s’agit tojit d’abord de l'ë de abiëte, ariëte, pariëte d’une part
et de muliëre de l’autre. Par suite d’un déplacement d’accent
(p. 157), ces mots sont devenus dès la fin de la République
*abyête, *aryête, *paryête et mulyêre. Il se trouve que l'ë accen­
tué des trois premiers mots a été traité comme un e fermé dans
les différentes langues romanes, tandis que celui du dernier l’a
été comme un e ouvert ; cf. en vieux français avei, arei, parçi
(auj. paroi) avec une diphtongue ei^comme dans më > mei
(auj. moi), et moillier avec une diphtongue ie comme dans
*kçlu (= caelum) > ciel. Cette divergence de résultats ne peut
pas s’expliquer si on part d’un ë ouvert latin. Après la combi­
naison de l + y en (y)l, cet ë, dira-t-on, se serait conservé ouvert
dans *muyjére et se serait fermé dans *abyête, *aryéte, *paryéte
116 PRÉLIMINAIRES

sous l'action du y qui continuait à le précéder. Mais l’évolution


d'un mot comme *kçlu ( = caclum) ne permet pas de s ’arrêter
à cotte hypothèse : ici on est sùr d’avoir affaire à un g ( < ae)
et le k initial a abouti à *tsy- ; pourtant l’ç de *tsiyçla ne s’est
pas fermé, comme en témoigne entre autres le fr. ciel. Si l ’action
du y a été impuissante à fermer l’g en e dans ce m ot, il doit en
avoir été de même dans le cas de *abyête, *aryête, *paryéle.
Cette impuissance du y défend d’ailleurs de songer à une autre
explication, d’après laquelle, à une époque cette fois antérieure
à la combinaison de / + y en (y )l, Ve ouvert de *paryête se
serait fermé, tandis que celui de *mulyére se serait conservé ou­
vert sous l'action de l’r suivant. Bref l’opposition v. fr. avei,
arei, parei : moillier ne peut s’expliquer qu’en supposant un ë
fermé en latin. Avec cette hypothèse, on comprend que, posté­
rieurement au passage de / + y k (y )l, Vé (fermé) de *muy-
Kre ait pu céder à la tendance qui a ouvert tous les ë accentués
latins (p. 193), d’où muylçre > v. fr. moillier, mais que celui de
*paryête se soit « maintenu » fermé sous l’action simplement
conservatrice, et non positive, du y précédent. Ainsi, avant la
combinaison de l + y en (y)l, qu’on ne saurait faire remonter
plus haut que le m e siècle de notre ère, ë devait être fermé. Il
faut en dire autant, sans aucun doute, de o. Cela malgré l’oppo­
sition que présentent avec le type *paryéte les mots comme
*capryôlu ( = capréölu), *escuryôlu. ( = *scuriôlu), *lintyâlu ( =
lintéôlu), etc., dont l’o a été traité en français comme un o ouvert.
En effet, si le y a pu avoir une action conservatrice sur le tim ­
bre de ë (fermé), les deux phonèmes étant l’un et l’autre anté­
rieurs et non labiaux, il s’opposait par son caractère non
labial à la projection labiale assez marquée de ô fermé et, cela
étant, il n’a pu empêcher, s’il ne l’a au contraire favorisé, le
passage de ô fermé à 6 ouvert (c’est-à-dire, en réalité, le pas­
sage d’une voyelle labiale à une voyelle moins labiale), lors de
l’ouverture générale de ces brèves latines (p. 193).
D’autre part, les grammairiens de la fin de la République et
des trois premiers siècles de notre ère, n’ont pas fait au point
de vue du timbre la moindre distinction entre ë, o et ë, 5. Formés
à l’école des Grecs et connaissant la différence qui existait entre
c, o et rt, U), il serait tout à fait étonnant qu’ils m’eussent pas
signalé la différence de timbre entre ë, ö et ë, ô si elle avait
existé dans leur langue et qu’ils n’eussent pas indiqué que cette
différence était à l’inverse de celle que présentait le grec ionien
et attique, où s, o sont fermés, et 7], to ouverts.

I e t U b r e f s . — A date ancienne, en latin, le timbre de


î et de u devait être sensiblement le même que celui de f et de ü.
C’est ce qui résulte d’une série de phénomènes, parallèles à
ceux dont il a été question à propos de ë, ö (p. 114) : abrège­
ments vocaliques (types literatet lïltera, lïtus et lïttus ; sim, sït
en lace de sis, slmus; cüpa et cüppa, Jüpiter et Jüppiter, v.
TIMBRE DES VOYELLES LATINES 117
lat. füimus > füimus ; etc.) —, allongements vocaliques (types
*nîzdos > nidus, jünxi, en face de jüngo, etc.).
Vers la fin de la période républicaine, on sait qu’il en était
de même par le témoignage de Cicéron. Ce dernier, comme un
peu plus tard Quintilien, évite d’employer le substantif divisïo
à cause de son homonymie avec la l re pers. sing, indic. prés.
vïssio, et blâme son ami Cotta de prononcer quadragenta, homene
au lieu de quadraginta, homine. (De Oratore, III, 42, 46).
Cette prononciation de i, ü, avec un timbre idenüsp*8«tf>iL
presque identique à celui î et ü, est encore celle j^^laissenL ^^
supposer au v e siècle de notre ère les deux grara^^ffêïrs- SerV .
vius (in Donat., Keil, IV, 421, 17) et Sergius (jgMpoiiat., Keil,
IV, 520, 27), lorsqu’ils disent formellement que smWefet o p*e$en- >
tent des différences de timbre. La première menftlfrld'lme diffe^T*
rence entre ï et î apparaît dans Consentius : «©eaiuijn quem-
dam sonum inter e et i habet (i littera), ubi inlptcUcLsermone *
est, ut hominem. Mihi tarnen videtur quando pnwucla^est ple^-
nior vel acutior esse, quando autem brevis est, rcraUjühm sonum ^
exibere debet » (Keil, V, 394, 19). Encore faut-il rerh^ftpier .le***'
mihi tarnen videtur, qui permet de penser que la variation de
timbre entre î et ï ne devait pas être très grande.
Tout cela, dira-t-on, concerne le latin classique, celui de la
société cultivée et de l’école. Mais le latin parlé et surtout le
latin parlé par les basses classes, celui qui est le plus important
pour le romaniste, avait-il conservé dans les derniers siècles de
la République le timbre primitif de ï et de ü, ou n’avait-il pas
plutôt ouvert ces voyelles en e et en o ? Autrement dit, ne
serait-ce pas ç et o qui auraient été importés en Gaule avec la
conquête romaine, et non les anciens ï et ü conservés seulement
dans le latin littéraire ?
Sans doute dans les inscriptions romaines de l’époque répu­
blicaine trouve-t-on assez souvent e et o pour î et ü, et les gra­
phies du type oppedum pour oppidum, tabola pour tabida ne
sont pas rares. Cependant il s’agit de bien interpréter ces faits.
S’agit-il ici d’une ouverture de ï en e ou de û en o ? La phoné­
tique du latin de Rome permet de répondre par la négative.
Dans la capitale, en effet, ë et ö intérieurs de mot se sont fermés
à date ancienne en ï et en ü dans collïgo, reddïdi, dimidius, arbüs-
tus, venüstus, etc., en face de lëgo, dëdi, médius, arbör, *venös
( > venus), etc. Etant donné ce phonétisme qui s’est éteint peu
avant Plaute (227-183 av. J.-C.), sinon peu de temps après,
il est impossible d’admettre que dans les deux siècles suivants
une nouvelle tendance soit survenue, laquelle, agissant en sens
contraire de la précédente, aurait ouvert, en ç et en o non seule­
ment les anciens ï et ü étymologiques, mais encore les ï et les
ü secondaires issus de la fermeture de ë et de Ô intérieurs primi­
tifs, en syllabe accentuée comme en syllabe inaccentuée. Force
est de reconnaître que les graphies du type oppedum, tabola signa­
IKS PRELIMINAIRES

lées dans les inscriptions romaines des derniers temps de la Répu­


blique ou du début de l'Empire représentent des archaïsmes.
Mais dans les dialectes autres que le latin et probablement
aussi dans le reste du Latium, la fermeture des é et ó intérieurs
en i et ù ne semble pas avoir eu lieu. II s’ensuit qu’on a eu régu­
lièrement un c ou un o en face des i et a romains provenant de
é et o intérieurs. De plus, en l’absence du phonétisme ë, o inté­
rieurs > ï, ü, on comprend aisément que les anciens ï et u éty­
mologiques et autochtones ou les ï et les ü secondaires ( < ë,
ù interieurs) introduits avec les emprunts faits au parler de la
capitale aient pu s'ouvrir en e et en o, sous l ’accent comme en
dehors de lui. Ainsi la forme marse mereto ( = merito) CIL, I,
1S3, doit peut-être s’interpréter comme une forme régulière dans
son dialecte, tandis que dans une inscription romaine c’est une
graphie archaïque. Pour prendre quelques exemples dialectaux
ou ruraux de l’ouverture de i en e, on citera veham pour vïam
que Varron (116-26 av. J.-C.), ombrien de naissance, attribue aux
« rustici », et on rappellera quadragenta, homene ( = quadraginta,
homine), que Cicéron, blâmant son ami Cotta, dit appartenir
au langage des moissonneurs : « messores videtur imitari ».
Dans les inscriptions de Pompéi (CIL, IV), les cas de e et o pour
i et ü sont fréquents ; cf. pinxset pour pinxit 1847, scribet pour
scribit 2360, obique pour übique 2288, ridicola pour ridicula,
5360, etc.
Comme on peut le constater par l’anecdote de Cicéron, la
prononciation rurale a pu pénétrer dans certains milieux de la
capitale. C’est ainsi que peuvent s’expliquer, outre le quadra­
genta et le homene de Cotta dont on a déjà parlé, les formes
senapi, conea, pour sinapi, ciconia, de Plaute, la forme filea,
pour {ilia, de la « cista Focoroni » exécutée à Rome, les formes
here, magester, pour heri, magister, qui d’après Quintilien (I,
1, 22 ; I, 4, 17) étaient courantes de son temps dans la capitale,
etc.
Cependant si Rome est déjà à ses débuts le produit d’un
brassage où se mêlent latins, italiques et même non-indoeuro­
péens, et si au cours des siècles elle s’est enrichie d’un nombre
toujours croissant d’éléments ethniques et linguistiques étran­
gers, il n’en reste pas moins qu’après la dernière guerre punique
(149-146 av. J.-C.) elle a réussi à imposer plus ou moins sa langue
au Latium et, après la guerre sociale (91-88 av. J.-C.), à toute
l’Italie. Cela grâce à son système politique (cités romaines,
municipes, préfectures, villes alliées, colonies militaires et agri­
coles), à l’admirable réseau routier dont elle a pourvu le pays et
à son organisation militaire de premier ordre. L’élément romain
a fini par compénétrer l’Italie de toutes parts. La preuve en
est que si cette dernière s’est malgré tout révoltée contre Rome
(guerre sociale), ce n’a pas été pour devenir indépendante, mais
pour obtenir d’ètre plus complètement assimilée à elle.
Ainsi donc, bien que certaines prononciations dialectales ou
TIMBRE DES VOYELLES LATINES HO

populaires avec f et o aient pu être importées par les légionnai­


res ou les marchands qui suivaient l’armée, c’est " en gros »
ï et ü qui ont dû être introduits avec la conquête romaine en
Grande-Bretagne (41-54 ap. J.-C.) et en Dacie (107 ap. J.-C.),
comme ils l’avaient été longtemps auparavant en Sardaigne
(238 av. J.-C.). Les emprunts de brittonique au latin attestent
pour l’époque une prononciation ï et ü, et le roumain, comme
on le sait, s’il a fait passer dans la suite ï à e, a néanmoins con­
servé à ü son timbre primitif. Tout cela est parallèle, en totalité
ou en partie, à ce que l’on constate pour le sarde, dans lequel
ï et ü latins sont rendus encore aujourd’hui par i et u. A plus
forte raison pour la Gaule, dont la conquête est antérieure à
celle de la Grande-Bretagne et de la Dacie, c’est essentiellement
ï et ü que les Romains ont dû y importer.
Remarque. — Pour l’époque à laquelle ï et ü se sont ouverts en gallo-
roman septentrional, cf. p. 196.
Ca r a c t è r e r e l â c h é d e s b r è v e s l a t in e s . — Autant et
sinon plus que par la quantité et le timbre, l’articulation voca-
lique est caractérisée par la tension musculaire, c’est-à-dire parle
travail produit par les muscles phonateurs. Les voyelles peu­
vent être tendues ou relâchées, suivant que ce travail est consi­
dérable ou non.
Or il semble que si les voyelles longues du latin ont été ten­
dues, les voyelles brèves ont été au contraire relâchées. Autre­
ment dit, les secondes ont été articulées plus faiblement que les
premières.
C’est ce que permettent de supposer deux phénomènes du latin
ancien.
a) Evolution des brèves intérieures. — Dans certaines condi­
tions, qui sont assez bien étudiées, les voyelles brèves latines
se sont amuies en syllabe intérieure ouverte, tandis que les
voyelles longues se sont conservées. L’instabilité des voyelles
brèves, en regard de la stabilité des voyelles longues, indique
clairement que les unes étaient articulées plus fortement que
les autres, que celles-ci étaient plus ou moins tendues et celles-là
plus ou moins relâchées.
Si malgré leur caractère relâché, les voyelles brèves latines
ne sont pas tombées en syllabe intérieure fermée, le fait est
facilement explicable. Toute voyelle étant caractérisée par
une tension musculaire décroissante, on conçoit que l’effort
exigé par une consonne implosive suivante maintienne la ten­
sion vocalique à un niveau assez élevé, et que, toutes choses
égales d’ailleurs, une voyelle brève suivie de consonne implo­
sive soit plus résistante qu’une voyelle de syllabe intérieure ouverte.
b) Traitement de e devant le groupe gn. — Une autre preuve
du caractère relâché des voyelles brèves latines peut être fournie
par le traitement de ë et ë devant g -f- n. L’e bref se ferme en
120 PRÉLIMINAIRES

/ ; cf. lignum de lègo, *dëgnos > dïgnus. Mais dans les mêmes
conditions, c demeure intact ; cf. *sëq-nis > sëgnis. Cette
différence laisse supposer que e avait une articulation moins
forte que ê. Par suite de cela, il a été moins résistant et a
pu subir une assimilation de la part de l’n (graphié g) suivant.
Mais si les voyelles brèves latines étaient plus ou moins relâ­
chées, il s'ensuit qu'elles devaient être moins fermées que les
voyelles longues correspondantes.
Cependant cette différence de fermeture a dû être minime,
puisque les premiers grammairiens ne l’ont pas remarquée ou
ont jugé à propos de n’en point parler.

*
* *

Ainsi dans les derniers siècles de la République et aux premiers


temps de l’Empire, le latin possédait, en plus de à et à, dont
le caractère tendu ou relâché est indifférent pour le romaniste,
une série de voyelles tendues et fermées :

ï, il, ë, 5

et une série de voyelles relâchées et légèrement moins fermées


que les précédentes :

ï, u, ë, 6.

A la différence de ce qui a eu lieu pour à et a, cette dernière


distinction sera de la plus grande importance pour l’évolution
des langues romanes et du français en particulier.
II

L’ACCENT EN LATIN

Les mots latins peuvent être accentués ou inaccentués.


On étudiera d’abord les mots de la première catégorie et on
se demandera quelle a été la nature de l’accent latin, quelle
place il occupait à l’intérieur du mot et comment s’est faite
l’adaptation accentuelle des mots d’emprunt, enfin les dépla­
cements d’accent qui se sont produits dans le latin parlé ou les
différences d’accentuation que l’on constate entre le latin litté­
raire et lui.

A. — Nature de l ’accent

La nature de l’accent latin est un des problèmes qui ont le


plus préoccupé les latinistes. A-t-on affaire en latin à un accent
d’intensité ou à un accent de hauteur, c’est-à-dire à un ton ?
Deux écoles s’affrontent sur ce point. L’école allemande est
pour l’accent d’intensité ; l’école française, pour l’accent de
hauteur.
A première vue, la question semblerait ne devoir intéresser
que les latinistes. Elle a pourtant son importance pour la phoné­
tique romane, car, suivant qu’on adopte la première ou la seconde
hypothèse, le roman, dont on ne saurait nier que l’accent con­
tienne un élément d’intensité, ne fait que continuer un état de
choses hérité du latin ou au contraire a innové. Aussi vaut-il la
peine de s’y arrêter brièvement dans un ouvrage comme celui-
ci, consacré à la phonétique historique d’une langue romane, le
français.
Il est évident qu’on peut faire à l’école allemande de sérieuses
objections.
Les unes, d’ordre phonétique. On imagine mal en effet, dans
l’hypothèse d’un accent d’intensité, que les voyelles longues
inaccentuées aient pu se maintenir longues en latin littéraire
(type ergô), que les voyelles longues accentuées aient pu s’abréger
122 PRÉLIMINAIRES

devant une autre voyelle : « vocalis ante vocalem corripitur »


(type > jlèô), et que les antépénultièmes de proparoxytons
aient pu devenir brèves (type frîgidus > *frïgïdus, p. 177).
Les autres, d’ordre historique. Outre les plus anciens gram­
mairiens de profession, Varron (chez Sergius, Grammatici latini,
IV. 125), Cicéron (Orator, 57), Quintilien (Inst, orat., XII, 10,
33) laissent clairement entendre qu’il s’agit dans leur parler
non d'un accent d’intensité, mais d’un accent de hauteur. D’un
autre côté, la métrique quantitative du latin classique repousse,
quoi qu’on fasse, toute idée de rapprochement avec un système
phonique caractérisé essentiellement par un accent d’intensité.
Cependant l’école française n’est pas non plus à l’abri de
toute critique. Le problème des breves breviantes, autrement
dit de l’abrègement iambique, procédé par lequel une voyelle
brève de syllabe ouverte abrège une voyelle longue suivante (type
*binê > bënë), ne semble guère compatible avec un accent de
hauteur. Il en est de même de l’abrègement des voyelles longues
inaccentuées dans des cas où il ne peut être question de brèves
abrégeantes, par ex. dans ergo, estö, etc., formes signalées déià
chez Ovide (p. 189).
Pour concilier les faits ci-dessus dont les uns postulent un
accent de hauteur et les autres un accent d’intensité, certains,
à la suite de F. F. Abbott (The Accent in Vulgar and Formai
Latin, dans Classical Philology, II, pp. 444-460, 1907), ont émis
l'opinion que le sermo plebeius aurait gardé l’accent d’intensité,
mais que la langue des gens cultivés aurait adopté depuis l’époque
de Térence et par imitation du grec un accent de hauteur. Sans
doute cette théorie peut-elle atteindre plus ou moins le but qu’elle
se propose. Mais à une condition : c’est qu’elle soit possible. Or
il ne semble pas que ce soit le cas. En effet, il est bien difficile
d’admettre, sinon sur le papier, que dans une communauté lin­
guistique pratiquant l’accent d’intensité une partie des sujets
parlants, si cultivés qu’ils soient, ait pu non pas sacrifier en partie
la norme pour suivre une mode étrangère, — ce qui n’aurait
rien d’extraordinaire, attendu que le fait s’est produit à plusieurs
reprises dans l’histoire des langues et en latin même —, mais la
sacrifier pour emprunter à une autre langue une des caractéris­
tiques précisément les moins assimilables, en l’espèce un mode
d’accentuation différent. Qu’on songe à la quasi impossibilité
qu’il y a pour un Français, à plus forte raison pour un Allemand
ou un Anglais, à réciter le premier vers de l'Enéide en n’utilisant
que l’accent de hauteur et la quantité. Un Latin cultivé, auquel
l’accent d’intensité aurait été naturel et qui, sans aucun doute
aurait été obligé de le conserver dans le sermo quotidianus, aurait
éprouvé de terribles difficultés à parler sa langue avec un accent
de hauteur. Y aurait-il réussi à force d’application, on ne voit
pas comment il aurait pu édifier sur une base aussi fragile, à
i encontre de ses habitudes et de celles de la communauté, une
poésie dans laquelle l’accent d’intensité n’entre pas en ligne de
compte.
l ’a c c e n t e n l a t in 123

Une conciliation est cependant possible sans qu’on soit obligé de


se butter à toutes ces difficultés. L’école de F. F. Abbott part,
comme l’école allemande, de l’hypothèse que le latin possédait
de très longue date un accent d’intensité. Cet accent aurait été
simplement abandonné par la langue littéraire, au bénéfice de
l’accent musical emprunté au grec. Mais plutôt qu’un fait acquis,
peut-être faut-il considérer l’accent d’intensité latin comme un
phénomène en devenir, dont l’évolution, antérieure à la tradition
littéraire, se poursuit progressivement pendant les derniers siè­
cles de la République et l’époque impériale.
On peut en effet concevoir le développement de l’accent latin
de la façon suivante.
L’indo-européen, du moins à époque tardive, était caractérisé
par un accent de hauteur (ton) et non par un accent d’intensité.
Dans les dialectes italiques, la place de ce ton s’est réglée sur la
quantité de la pénultième : à l’intérieur d’un mot de plus de deux
syllabes, le ton était sur la pénultième quand cette dernière était
longue par nature ou par position, sur l’antépénultième lorsque
la pénultième était brève. Avant la séparation des dialectes ita­
liques, un fort accent d’intensité s’est développé sur la syllabe
initiale de chaque mot, sans doute sous l’influence du substrat
méditerranéen. Ainsi un mot comme tempestatibus s’est trouvé
pourvu d’un accent d’intensité sur tem- et d’un ton sur -ta-. Mais
dans la suite, le ton s’est transformé peu à peu en accent d’inten­
sité, transformation qui a entraîné elle-même un affaiblissement
de l’ancien accent d’intensité initiale. Quant à ce phénomène, il
semble dû à une sorte d’assimilation de débit moyen respiratoire.
Dans le type tempestatibus, le débit moyen des voyelles inaccen­
tuées était plus faible que celui de la voyelle initiale, accentuée ;
d’autre part, le débit moyen étant inversement proportionnel à la
hauteur, il était encore plus faible pour l’a de la syllabe -ta- qui
portait le ton. Il y avait donc une différence de débit moyen, à
l’intérieur des syllabes inaccentuées, entre les voyelles atones et
la voyelle tonique. C’est cette différence qui se serait réduite :
sans que rien fût changé à la hauteur du ton, le débit moyen
de la voyelle tonique se serait modelé sur celui des voyelles atones
qui l’entouraient et aurait fini avec le temps par l’égaler. Mais
comme, la hauteur ne changeant pas, l’intensité croît avec le
débit moyen, un léger élément d’intensité serait alors venu s’ad­
joindre au ton. A cause de la prédominance psychologique que
lui conférait ce dernier, le nouvel élément d’intensité, faible au
début, se serait développé dans la suite et, doublé par le ton, serait
arrivé à supplanter l’ancien accent d’intensité initiale.
Encore une fois, l’évolution décrite à grands traits ci-dessus ne
se serait accomplie que progressivement. Il est du reste naturel
de supposer qu’elle a été plus rapide dans les couches populaires
que dans les milieux cultivés. Ici en effet les progrès de l’accent
d’intensité ont dû être plus lents à cause du « freinage » linguis­
tique, et le ton a dû continuer plus longtemps à rester l’élément
121 PHKUMI NAI KKS

principal, d'où le témoignage de Varron, de Cicéron, de Quinti-


lien et la possibilité d'une métrique quantitative empruntée aux
Grecs.
Quoi qu'il en soit, Je latin littéraire a fini par rejoindre le latin
parié, En effet, dès le m c ou iv° siècle après J.-C., apparaît une
métrique accentuelle et non plus quantitative. D’autre part,
Diomède (Keil, Gramm. Lat., I, 430) et Servius (ibid., IV, 426)
à la fin du ive siècle, Cledonius (ibid., V, 31) et Pompée (ibid., V,
123) dans la seconde moitié du ve, parlent d’un accent d’intensité.
Pourtant, jusqu'à la fin de l’Empire, cet accent, malgré tous
les progrès qu'il a pu faire depuis l’époque prélittéraire, n’a pas
dù être très fort. Du moins si on en juge par le petit nombre de
syncopes qui se sont produites avant cette date. Il s’est intensifié
dans la suite dans chacun des pa}rs de la Romania. Des causes
extérieures au latin ont même pu intervenir dans le processus d’in­
tensification : ainsi les invasions germaniques en Gaule.
En résumé, on ne peut pas dire que l’accent roman constitue
une véritable innovation : la transformation du ton en accent
d'intensité a commencé à se produire en latin même. On ne peut
pas dire non plus qu’il continue sans plus l’accent latin : ce der­
nier a été en effet renforcé en roman. Il faut plutôt le considérer
comme un développement de l’accent d’intensité latin.

***

Tout ce qui vient d’être dit concerne l'accent principal, celui


qu'on appelle communément « accent », sans autre spécification, et
qui, sauf exceptions (p. 126), frappe la pénultième ou l’antépé­
nultième des plurisyllabes latins.
Mais, sans doute dès la fin de l’époque républicaine, quand
l'accent principal d’intensité a commencé d’être suffisamment
fort, il s’en est développé un autre, secondaire, sur chaque seconde
syllabe se trouvant devant ou après lui. On a eu d’une part amàri-
fûdine(m), auctôraméntu(m), antècessôre(m), etc., de l’autre
câUdùfm), fémïnà(m), rûmïcè(m), etc.x. A peine sensible au début,
ce nouvel accent n’a cesse de se renforcer au fur et à mesure du
progrès de l’accent principal. Sans doute a-t-il continué de rester
toujours relativement faible : il ne l’a pas été cependant assez
pour que, dès avant le ier siècle, des syncopes vocaliques n’aient
pas eu lieu en latin dans des conditions déterminées (type cdlïdù(m)
^ càIdufmj, pósïtii(m) > pôstu(m), etc.).
L'histoire de cet accent secondaire présente du reste deux phéno­
mènes.
11 a pu tout d’abord se déplacer sur une autre syllabe, par suite

1- 1/! ligue indique l'accent principal; I« signe 1 l’accent secondaire.


l ’a c ce n t en la t in 125

de la consonanlisalion de ï ou de ü devant voyelle accentuée ; cf.


*cuminilïdre > *cuminitydre, *impromùtüdre > *impriimutwàre,
etc., et malèrïdme(n) > màlcrydme(n), medietdte(m) > mèdye-
ldte(m), papïlïônc(m) > pùpilyône(m), etc.
Il a pu en outre se perdre par suite de la syncope vocalique dans
les proparoxytons du type cdlïdii(m) > càldu, pôsith(m ) >
pôsiu(m), spécülù(m) > spéclu(m ), etc.

* *

Enfin, par le fait même qu’elles se trouvaient au début du mot,


les syllabes initiales qui ne portaient ni l’accent principal ni l’ac­
cent secondaire ont dû être caractérisées en latin par une fermeté
spéciale et par un degré de force musculaire supérieur à celui
des syllabes inaccentuées de l’intérieur du mot. En plus de la
raison générale qui fait qu’il en est ainsi dans toutes les langues,
ces syllabes héritaient en partie de l’ancien accent d’intensité
initiale que le développement du nouvel accent d’intensité se
substituant peu à peu au ton avait affaibli, mais non tout à fait
effacé.
D ’où leur solidité au cours de l’évolution, qu’il s’agisse du latin
ou du roman. Pendant la période latine, elles ne dénotent une cer­
taine faiblesse que dans un seul cas, lorsque leur voyelle se trouve
en hiatus avec une autre voyelle portant l’accent principal ou
l’accent secondaire. La voyelle de la syllabe initiale se consonifie,
perdant ainsi sa valeur syllabique ; cf. quUtu(m) > *quyétu(m),
düódëci(m) > *dwôdëci(m), coàclicàre > *kwàktikare, coàgulàre
> *kwàgulâre. Ultérieurement, y et w sont tombés (cf. vol. III :
Consonnes) et on a eu ainsi *qëtu *dôdëce, *qadicare, *qagulare,
en français coi, douze, cacher, cailler.
Le gallo-roman permettra plus tard de mesurer pour ainsi dire
le degré de solidité des syllabes initiales inaccentuées. On verra
en effet que sous l’action d’une tendance à la palatalisation l’a
inaccentué de ornaméntufm), porta, etc., a passé à e (cf. l’orthographe
française ornement, porte, etc.). D’autre part, l’a accentué en
syllabe ouverte, c’est-à-dire l’a long accentué, que l’on représentera
par da, est devenu pour la même raison de (cf. märe = màare >
*mdere > fr. mer). Par contre, l’a initial d’un mot comme mari-
tu(m) s’est conservé tel quel (cf. fr. mari). On peut en conclure
qu’à conditions de syllabation égales (dans les trois exemples
a est en syllabe ouverte), l’a de syllabe initiale inaccentuée est
plus résistant que l’a inaccentué de syllabe intérieure ou finale
et que le segment final de a accentué long.
Il faut d’ailleurs distinguer entre le cas de amïcu(m), habére,
debérc, etc. et celui de mirabilia, àrnaméntu(m), sàcraméntu(m),
etc. Dans ces derniers mots, la première syllabe, outre qu’elle
bénéficie de la fermeté inhérente à la syllabe initiale, porte de
126 PRÉLIMINAIRES

plus un accent secondaire. Il en est de meme pour *m àleryâm e(n),


*m èdyetâie(m ), pàpilyôn c(m ), etc. ; mais ici l ’accent secondaire
n’est venu qu’après coup (cf. ci-dessus, p. 124), l ’accentuation
prim itive étant malèrïâme( n), m edïelâle(m ), p a p ïliô n e(m ), etc.

B. — Place de (’accent

On étudiera successivement la place de l ’accent dans les m ots


latins et dans les emprunts que le latin a faits au non-indoeuro­
péen, au grec et au celtique.
Pour des raisons de commodité et bien que les phénomènes en
question dépassent en grande partie le cadre chronologique qu’on
s’est imposé dans ces « Préliminaires », on dira aussi quelques
mots de la place de l’accent dans les mots empruntés au germa­
nique.

a) M o ts l a t in s

Parmi les mots accentués du latin, les uns étaient monosylla­


biques, les autres, dans leur grande majorité, plurisyllabiques.
Les monosyllabes, ne pouvant être accentués que sur leur unique
voyelle, étaient toujours oxytons ; cf. jël, met, rem, très, sal, cor, plus.
Pour les plurissyllabes, la règle générale était la suivante :
Les mots de deux syllabes étaient paroxylons, c’est-à-dire
accentués sur la première ; cf. vïnum, crïsta, pëdem, perdit, tëla,
tectum, amat, arma, porta, jlôrem, pûrus, crüsta, etc.
Quant aux mots de plus de deux syllabes, ils pouvaient être
paroxytons, avec l’accent sur la pénultième, ou proparoxylons,
avec l’accent sur l’antépénultième. L’accent tombait sur la pénul­
tième quand cette dernière était longue soit par nature (cf. marï-
tus, habëre, cantâre, latrônem, virlûlem, etc.), soit par position
(cf. arista, anëllus, cabaltus, auscultât, etc.). Il tombait sur l ’anté­
pénultième quand cette dernière était brève ; cf. filïus, princï-
pem, cûbïtus, débïlus, hôspïlem, périlca, dùcëre, /ôccrc, pérdëre,
ârborem, auricula, ócülus, tabula, etc.
On note cependant un certain nombre de polyssyllabes accen­
tués sur la finale. Parmi eux :
adhâc, illïc, z'Z/oc, z'ZZàc, zs/wc, etc., avec réduction de la parti­
cule déictique -ce à -c ;
impér. addïc, abdüc, addüc, calefâc, etc., avec chute de e final ;
nom. sing, du type cujâs, nostràs, Arpinâs, etc., réductions
d’anciennes formes eufélis, nostreitis, Arpinatis, etc.
2° pers. sing. prés, indic. calefïs, avec accentuation analogique
de calefïo.
l ’accent en latin 127
A cette liste il faut ajouter les formes contractées en -at, -ït,
de la 3e pers. sing, des parfaits en -avi et -lui, qui se rencontrent,
quoique rarement, chez les poètes classiques ; cf. chez Virgile :
fumât. En. Ill, 1 ; fatigat En. VI, 533 ; petit En. IX, 9 ; chez
Ovide : petit Fastes I, 109 ; Métam. V, 480 ; chez Lucrèce : inri-
tàt I, 70 ; disturbat VI, 587. De plus, pour les mêmes parfaits,
les formes contractées de l re et 3e pers. sing, en -ai, -ait, -ant
et -ï, -int, qui appartiennent uniquement à la langue parlée.

b) Mots grecs
L’accentuation des mots latins empruntés du grec dépend en
premier lieu de l’époque à laquelle ils sont entrés dans la langue.
I. — Tant que le latin a possédé l’accent d’intensité initiale
(p. 123), les mots grecs ont été accentués en latin sur la première
syllabe.
C’est ainsi que s’expliquent outre la syncope de ï posttonique
dans *bàlïneom (cf. ci-dessous) > *balneom > balneum, le voca­
lisme e pour a dans talentum < *tâlantcm = -i'/wiov, Agrigen-
turn = ’Aypiyavxa (aCCUS. de ’Aypâya;), Tarentum == Tâpavxa.
(accus, de Tapa;), dans le lat. archaïque Alixenlrom — ’A/.^av^pov,
et dans le lat. parlé *col(i)entrum ( > portg. coêntro) < *côlian-
drom = xopilavïpov —, le vocalisme i pour a dans balïneum < *bàlî-
neom < *bàlaneom = ßaXavstov, dans machina < *mâchana <
dorien |j.â-/ava, dans runcïna < *rüncana < gr. dial. dans
trutïna <*trûtana < xpo-Arr\, dans Massïlia < *Mâssalia == Ma~a-
\la —, et le vocalisme u dans Hecùba < *Hécaba = 'Exâpa.
C’est encore peut-être sous l’effet de l’accent d’intensité initiale
que le grec àxpâcpa^(u;) a donné naissance en latin à *atrïpex et
*atrüpex ; cf. ï et ü devant labiale dans centiplex et centüplex, uim-
fex et aurüjex, etc. L’accusatif *atrïpïcem est à la base de l'ital.
atrepice. Mais sous l’influence des mots terminés en -plex (cf.
centiplex, triplex, etc., et centüplex, duplex, etc.), *atripex et *atrü-
pex ont pu devenir atriplex (forme du latin littéraire) et *alrüplex.
Ce dernier, devenu *alrüples dans la langue parlée, a développé
un accusatif *atrüplem qui se retrouve dans le berrich. rouble
« arroche », avec aphérèse de a initial dans *arouble ; cf. paral­
lèlement süpplex > *süpples, d’où accus. *süpplem > fr. souple.
Quant à *atrapice et *atropice qui ont donné naissance au v. fr.
arrace et au m. fr. arrosse, ils supposent des nominatifs *atrapex
(issu de atrïpex par assimilation de ï pénultième atone avec a
initial accentué) et *atrôpex (issu de *atràpex avec labialisation
de d pénultième atone sous l’action de p suivant). Enfin, le v. fr.
arrache et le fr. mod. arroche remontent à *atrapïca et *atrôpica,
refaits sur *alrapïcem et *atrôpicem.
128 PRÉLIMINAIRES

IL — Après la disparition de l’accent d’intensité initiale et


l’instauration du nouveau système accentuel basé sur la quantité
de la pénultième (p. 123), il faut distinguer trois groupes d’em­
prunts latins au grec.
Groupe A : emprunts par voie écrite.
Groupe B : emprunts par voie orale, antérieurs à la fin du 11e
siècle après J.-C., date à laquelle on peut considérer que l’ancien
ton grec s’est définitivement transformé en accent d’intensité
(Babrias).
Groupe G : emprunts par voie orale, postérieurs à l’établisse­
ment de l’accent d’intensité en grec.
R em arque . — Il faut tenir compte qu’au moment des emprunts du
groupe B, le <? grec était déjà passé à [f]. On trouve en effet des formes
comme Dafne, Fileto, etc., pour Aacpvrj, ctnXrjTw, etc., sur les murs de Pompéi.
De même, les géminées grecques s’étaient simplifiées dans la prononciation.
Les preuves de cette simplification apparaissent à Delphes et à Athènes
dès le me siècle avant J.-G. Cf. Ed. Schwyzer, Gr. Gram., I, p. 158, 206 et
230.
D’autre part, et la remarque importe pour les emprunts du groupe G,
le changement de ton en accent d’intensité a entraîné en grec l’abrègement
des longues atones ; cf. A. Meillet, Aperçu d'une histoire de la langue grecque,
p. 203, Ed. Schwyzer, Gr. Gram., I, p. 392.
Les emprunts latins des groupes A et B se conforment à la loi
de la pénultième. Ils sont paroxytons ou proparoxytons suivant
que l’avant-dernière syllabe est longue (par nature ou par posi­
tion) ou brève en grec. Dans les emprunts du groupe C, la quantité
de la pénultième grecque ne joue aucun rôle : l’accent tombe en
latin sur la syllabe qui porte l’accent (anciennement le ton) dans
le mot grec. Ainsi deux principes opposés : ici l’accent prime la
quantité, là c’est la quantité qui règle l’accent.
Malgré cette opposition, les trois groupes sont d’accord sur un
point fondamental : aucun d’eux ne tolère les oxytons grecs ; dans
chacun d’eux, les oxytons grecs deviennent des paroxytons ou
des proparoxytons.
D’autre part, l’opposition des principes n’exclut pas obliga­
toirement l’identité des résultats. Il se trouve en effet que dans
certains cas ces derniers sont les mêmes pour les trois groupes.
Par contre, dans certains autres, on constate une différence entre
le groupe A et les groupes B, G ou entre les groupes A, B et le
groupe G.

1°. — I d e n t it é d e r é su l t a t s dan s les g r o u p e s A, B, C

a) Oxytons grecs de deux syllabes > paroxytons latins : ßXcaaoc


= blaesus, Sro*/;/, = doga, xpar/ip = crater, XayjucL- = lampas, t:uppô;
= bürrus, w.rivr' = scëna, yofîf] = chorda, = psalmus, etc.
l ’a c c e n t kn l a t i n 129

b) Oxytons grecs de plus de deux syllabes à vovelle pénul­


tième brève suivie de consonne simple > proparoxytons latins :
àXxjoiv = alcyon, ßa^/.v/.o? = basilîcus, = hebdomas,
ETt'.TTOAY, = epislôla, w.apoç = hilàris, y.vv'.y/j: = cynicus, uv/ayor
= monàchus, ôpsavor = orphânus, -acaV//.Y = parabola,
tjjxjz == polypus, ii5pt,)-'.■//; = hydropïcus, — psitlâcus,
(ôy.Ey.vô- — oceànus, etc.
cj Oxytons grecs de plus de deux syllabes à voyelle pénultième
brève + groupe disjoint formé de deux consonnes différentes >
paroxytons latins : = ballista, B a = Baptista,
ßa-7 = baptïsmus, etc.
d) Paroxytons grecs de deux syllabes > paroxytons latins :
au.7] = hama, ßpoûyoç = brûchus, ß-jp^a = bürsa, Çy’ào; = zëlus,
Tjpco; = héros, 7.oyyY| = concha, vS lt.oz = colpus, y.uu.a = cïma,
Xtixa.; = Umax, rû-o; = büxus, crAzer» = spado, -ra—r,; = tapes,
topa = Ziôra, etc.
ej Paroxytons grecs de plus de deux syllabes à pénultième
longue > paroxytons latins : araOr^-/] = apothëca, accus, =
absïda, èXsysia = elegïa, suvoûyo; = eunüchus, y.pâva = hemïna,
■/.oÀ Xup a = collÿra, p.up£y.Y| = myrïca, TSÀsxâvoç = pelicànus, ~-o-
TcLvto = propïno, Tïp:œy;-Yi; = prophëta, çayr.vr, = sagëna, iaop^a =
amürca, etc.
/ j Proparoxytons grecs à voyelle pénultième brève -}- consonne
simple > proparoxytons latins : ißp—ovov = abrotönum, iyvsÀo;
= angelus, iizóz-oxo; = apostolus, ßäXjauov = balsämum, k-izv.o-
-oç = episcöpus, OaXauo; = thalämus, y.:Xaso; = coläphus, plur.
uàpTupsç = martyres, wdpoyo; = paröchus, säßßa-rov = sabbätur.i,
rr,T,vj. — sëpïa, <ry.dv3aXov = scandälum, jrrduayo; = stomächus,
-üu-Travov = tympanum, yv.povpacpov = chirogräphum, etc.

R emarque I. — A côté de l’accusatif classique charactêrem = yapax-


rJ;pa, il a dû se développer dans le latin parlé une forme proparoxylonique :
*charactèrcm (> ital. carâttere), sans doute analogique du nominatif paroxy-
tonique character — yapaxTrJp, qui se retrouve dans le catal. caracter et le
cast, carâcler.
Remarque II. — La diphtongue grecque et a commencé à se réduire à
ë dès le viie siècle avant J.-C. En attique, en particulier, la monophton-
gaison était complète au ve siècle. D’après la loi « vocalis ante vocalein
corripitur », cet ë s’est abrégé en vieux latin dans *balinëom = SaXavjrov,
*olëom < *oleioh = s'Xaif'Fjov, *plalëa = -XaTs'a, d’où baiïnëum ou fta/-
nèum, olëum, plalêa, les uns et les autres proparoxvtoniques.
L’ë de brabëum = ßpaßeiov, chorëae — /.opsla, cichorêum — xtyo'sssov,
conopeum — xovioreTov, gigantpiis = ifi^ivTsto;, gijnaecêum —
mausoléum = u.aua<.>Xsîov, etc. s’explique probablement par une conser­
vation savante de la quantité grecque. On trouvera de même chez les
poètes chrétiens du iv® siècle (Ausone, Paulin de Noie, Prudence) platêa
pour platëa. Mais dans le latin parlé on a eu régulièrement un è dans tous
ces mots, d’où parfois ce vocalisme chez les poètes classiques ; ci. chorèae
chez Virgile et Properce.
130 PRÉLIMINAIRES

A côté des formes en -lum, on en trouve d'autres en-ïum, comme cicho-


rium, conophim. Elles n’ont rien à voir avec les premières, attendu qu’elles
proviennent de types grecs en -tov : xr/o'aiov, xovwmov, etc.
R emarque III. — Dans le latin archaïque *boëa = ßosta, y g se trou­
vant entre voyelles s’est fermé en î, d’où *bôïa, trisyllabique.^ Mais par
suite de l’abrégement de ï devant voyelle, *bôïa est devenu bôïa, c’est-à-
dire bôy ya, d’où le v. fr. baie «chaîne, entrave », le v. pr. bçia «id. », le
v. cast, boya «bourreau », l’ital. bôia «id. », etc.
Il ne faut pas confondre avec la fermeture de ë en »dans *bôëa > *bôîa,
celle que l’on constate dans les formes tardives baphîum = ßatpsrov, bra-
bîum, gynaecïum, plochïum = - tco/ îîov, ptochotrophïum = T^w/o-too'-perov,
etc., avec ï et non ë. Ici la fermeture de ë n’est pas latine. En effet, quelle
que soit son origine, v. grec a déjà passé à ï d’une façon générale au nesiè­
cle après J.-C., et c’est cette nouvelle prononciation que reproduisent les
formes en -ium citées plus haut.
R emarque IV. — Diverses influences analogiques ont pu faire qu’un
certain nombre de proparoxytons grecs à voyelle pénultième brève suivie
de consonne simple soient représentés par des paroxytons en latin ; cf.
ßxjmX.; = baucâlis et non *baucàlis, d’après la terminaison fréquente
-âlis —; c-jxópopo; = sycomôrus (cf. l’accentuation de l’ital. et du cast.
sicomóro), à côté de sycomôrus (cf. le catal. sicômor et le portg. sycômoro),
sans doute d’après morus «mûrier ».
R emarque V. — Le grec âvxOriaa est représenté en latin par anathema
«offrande, ex-voto », et le grec avaOepia est rendu par anathèma « anathème ».
Mais une confusion a pu se produire entre les deux mots. C’est ainsi que
pour «anathème », le castillan et le catalan disent anatéma, l’italien ana-
téma ou anàlema, alors que le portugais ne connaît qu’anâthema, régulier.

g) Proparoxytons grecs à voyelle pénultième brève + groupe


disjoint formé de deux consonnes différentes > paroxytons
latins : ßi-Twaa = baptisma, »àvtaa-ua = phantasma, etc.

2°. — D iffé r e n c e s d e résultats


ENTRE LE GROUPE A ET LES GROUPES B, C

a) Les paroxytons et les proparoxytons grecs à voyelle pénul­


tième brève suivie d’un groupe consonne + liquide sont rendus
en latin par des proparoxytons dans les emprunts par voie écrite ;
cf. y.xOîopx = cathedra Phèdre, Ausone, = podàgra Plaute,
Martial, çxp£~px = pharëtra Virgile, Ovide, Properce, ysipaypa
= chïrâgra Martial, d’une part — et ßipaOpov = baràihrum Plaute,
Virgile, Horace, etc., sçxuîTpo;, = hexameter, -ëtri Martial, ’cva-j-poç
= onager, -ügri Martial, de l’autre.
Cependant la langue parlée en a fait des paroxytons, confor­
mément à ce qui a eu lieu pour les mots latins du type intëgrum
(p. 151), et cette accentuation a pu être adoptée par les poètes ;
cf. cathedra duvénal, Martial, Properce, Prudence, podagra Vir­
gile, Horace, Catulle, Tibulle, pharëtra Virgile, Ovide, P’roperce-
cherüqra Horace, Perse —-, barälhrum Virgile, Sil. Italicus, Cl.
Claudianus, Siû. Apollinaire, onâgrus Virgile, P. de Noie, aux,
l ’ac cent e n latin 131
quels il faut ajouter géomètres Juvénal, geomêtra Sid. Apoll. ( =
uit fr,;), clepsydra Martial (= vMl&p a).
Quant aux langues romanes, elles présentent des paroxytons
dans le cas de -zoiyça (ital., esp., port, podagra), de sapé-palital.
farètra), de y.s'-paypa (it. chiragra, esp. quiragra), de ôvayp:; (ital.,
esp., port, onagro) —, mais des proparoxytons dans le cas de
y.aOiopa (ital. câttedra, esp. câtedra, port, cathedra), de ^ipaOçov
(ital., esp. bàralro, port, bârathro) et de è;a;a.s-:soç (ital. esâmeiro,
esp., port, hexâmetro).
R emarque. — Dans le cas de avec a long, il est normal que
l’on ait eu en latin Iheâtrum, d’où fr. théâtre, ital. esp. port, teatro, cat.
tealre. De même, le grec àpyîâtpo; ou ioy.a-oó;, avec a intérieur long, a
donné régulièrement en latin àrchiâter, archiâtrus. La scansion archiâtri
(gén. sing.) de Paulin de Périgueux ne peut être qu’analogique du type
barathrum ; cf. ci-dcssus.

b) Les proparoxytons grecs à voyelle pénultième brève suivie de


consonne géminée sont rendus par des paroxytons dans les em­
prunts par voie écrite : àjBurcop = abÿssus, 6ôuaÀÀo; = thymallus,
xapuôtc’j/Aov = caryophyllon, vpîœuXXov = *triphyllon. Mais,
par suite de la réduction des géminées dans le grec parlé on a pu
avoir des proparoxytons dans les emprunts latins des groupes
B et C : âby(s)sus chez Cyprien, Paulin de Noie, Anecdota Helve­
tica 177 — Hïmàlus ( > ital. témolo) —, *gar(y)ofülon ( > fr.
girofle, vénit. garôfolo, frioul. garôful, engad. grófel, sicil. galô-
faru avec métathèse consonantique, etc.) —, *trïpülon ( > catal.
trèbol, cast, trébol, portg. trevo) et *trïfülon ( > fr. trèfle).
R em arque . — Il faut encore signaler *acrifülon, résultant d’un com­
promis entre le latin acrifolium et le grec ôÇyy X X ; cf. prov. agreu, lan-
j ov

gued. gréful, catal. grévol, arag. kréool, etc. De même, piantXov, croisé avec
çjXXov, a donné naissance à fuaçuXXtiv C. Gl. Lat., III, 300, 62, lequel, après
être devenu lui-même *nesfùlon, est à la base du v. fr. nesfle, fr. mod. nèfle.

c) Les paroxytons grecs de plus de deux syllabes terminés en


-ia (avec i bref) sont rendus en latin par des proparoxytons dans
les emprunts par voie écrite ; cf. àu^po^a = ambrosïa, àvaÀov-A
= analogïa, àv-À£a = antlïa, àp-^pia = arterïa, xaata = casïa,
yaptaTia = charistïa, i]AfJ£a = psithïa, OY)-î.a = sepïa, 3\>x.:çxvr'!a
== sycophanthïa, dor. £auiU = zamïa, exemples attestés chez les
poètes. On trouve de même chez eux, comme noms propres de
personnes, de localités ou de pays : Acherusïa, Aeolïa, Aesernïa,
Aethalïa, Aetolïa, Anastasïa, Aonïa, Arabia, Arcadia, Asia, Assyria,
Bistonïa, Bithynïa, Bœotïa, Calaurïa, Caria, Chaonia, Eunomïa,
Euphemia, Icarïa, Ionïa, Lycïa, Lydia, Maeonïa, Media, M im i-
chïa, Mysïa, Oechalïa, Oenopia, Öcnotrïa, Pemphylïa, Phaeacia,
Phrygia, Scythia, Syria, Thessaïia, etc., tous noms remontant à
des types grecs en -ta.
On note cependant chez eux des doublets en -ïa et -Ta ; cf.,
aroipla = sophia Martial, Afranius et sophïa Prudence, Fortunat
132 PRÉLIMINAIRES

Map(a = Maria Prudence, Cl. Claudianus, Juvencus et Maria


Sedulius, Aratus, Fortunat. Les formes en - Ta sont calquées sur
la prononciation grecque avec le ton ou (ultérieurement) l’accent
sur -La.
Cette dualité de traitement apparaît beaucoup plus grande si
si l’on considère les résultats romans. On peut distinguer parmi
eux trois groupes :

a) On constate tout d’abord qu’un certain nombre de paroxy­


tons grecs en -U ne sont parfois représentés que par des formes
qui ont été anciennement ou qui sont encore aujourd’hui propa-
roxytoniques.
Appartiennent à la première catégorie : v. fr. acace, achace
(àxay.(a), v. fr. accide (àv^oU), fr. armoise, v. prov. esp. artemisa
(àp-vs^ia), v. fr. artaire (àpT^pda), v. fr. tanase (àQavaafa), fr.
bible (ßißXta), fr. église, prov. glieisa, ital. chiesa, port, igreja
(èxxXïjtfa), fr. histoire (ic-opU), fr. migraine, cat. migranya, avec
ny = h (v^uuxpavia), v. fr. peoine, auj. pivoine (izaUd'tia), fr. paroisse
(irapou'ia), fr. seiche, prov. sepcha, port, siba a).
Appartiennent à la seconde : ital., esp., cat., port., acacia (ày.ayia) ;
v. prov. ital., cat. accidia, esp., port, acidia (ày^Bta) ; ital. arte­
misia (àpt£{Mcr'ux) ; ital., esp., cat., port, arteria (àpTtjpfa) ; ital.,
esp., cat., port, atanasia (àOava-ta), ital., esp., cat., port, biblia
(ßißXa) ; cat. esglesia, esp. iglesia (èxxXïj<r£a) ; ital., esp., cat.,
port, istoria (iaxopia) ; ital. parrochia, esp., cat. parroquia, port.
parochia (icapoixta) ; ital., esp., cat., port, peonia (r.a\mia) ; v.
prov. sipia, supia, ital. seppia, esp. jibia, cat. sipia (ar^ia) —,
et de plus, dans les langues romanes autres que le français (qui
a tout oxytonisé), là où ils existent, les représentants de *ày.nvta,
aoT7)p£a, a'JTOvopaaix, àa>poSt.jta, ßaxxspia, ßXaS’sijpfo (ou *ßX/.a-7Yipua),
y.wpiwoia, Otöaay.xXtz, jjtaywjcRa, veojMjvfa, r.atyoTÛj.cL, Tcappujala, <xy.topta,
axoTia, aoÇuyta, Tpavcpota, *<ppsvYjola, etc.

b) D’autres paroxytons grecs en -ta sont toujours représentés


par des formes accentuées sur -i-. Ainsi par exemple : *a'.k uaT';a,
cùXrpfopla, à{J.vyjjx^a, àvwpaXu, àizcpicc, àpjaovla, àpTcuta, àvovta, ypa^ia,
èvtpcTCta, euyaptaria, ^ysptovla, Getopfa, xaTYjycpfa, [xavta, o^OaXpita, *7Capa-
Xuata, *7rXst>peata, zV£y(j.ov(a, xopavvta, *o8pcTttofa, u-oy.pWia, *U7royT>vôpia
(subst. abstrait), *çavTa<7p.ayopla, cptXoao<pta, <pX£Yp.a?ta, *cpust.oyvcop.£oc,
’‘'©uTioyvtoiao'/ia, etc. et les seconds éléments de composés : -àvco-
fîa, -avOpwTCta, -apyfa, -yov£a, -ypa^pta, -ÀOyfa, -|xav(a, -;j,sp'ta, -jxstpia,
-[xopç(a, -vopia, -ÂÂYjÇCa, -o-o'fta, -aTaafa, -TOp/u, -rov£a, -rporCa, -cppa-pta,
-<pwy£a, -yfopt'ta, -ypov(a.

R emarque. — On rappclera simplement l’usage fréquent qu’ont fait les


langues romanes du suffixe paroxytonique -/a pour former des substantifs
dérivés ; cf. fr. baronnie, courtoisie, etc., ital. allegria, maestria, etc., esp.
postrimerta, valenüat etc., cat. darreria, grosseria, etc.
l ’accent en latin 133

c) Enfin, les mômes paroxytons grecs en -ix peuvent être


représentés soit par des formes anciennement proparoxytoniques
ou aujourd’hui encore proparoxytoniques, soit par des formes
paroxytoniques.
On a ainsi pour àvwvu : v. ir.agoine, mais fr. agonie, ital., esp.,
cat., port, agonia; pour apßpixu : v. fr. ambroise, galic. ambruesa,
mais fr. ambroisie, ital., esp., cat., port, ambrosia —, pour è-rrt.-
œavta : ital., pop. befana, mais fr. épiphanie, it., esp., cat., port.
epifania — ; pour 0£o?xv(a : v. fr. lijaigne, thefaine, mais esp.,
cat., port, teofania — ; pour rjp:pwv>.a, en latin symphonia, *sum-
ponia, sijonia (REW3, 8495) : port, sanfonha, ital. zampogna
(> v. fr. zampogne, esp. zampona), v. fr. chifoine, etc., mais fr.
symphonie, ital., esp., port., sinfonia, cat. simfonia.
Remarque. — Le croisement de àytovîa et angüstia a déterminé une
forme proparoxytonique *angünia, qui s’est continuée dans le v. fr. angoine,
le cat. angùnia et le port, dialectal engonha «paresse au travail » (pour
ce dernier, cf. J. M. Piel, Miscelanca de EtimoL port, e gallega, 126).

Cette différence d’accentuation apparaît encore lorsqu’on oppose


par exemple les formes proparoxytoniques de l’espagnol ou du
catalan : alalia (dialalia, ecolalia), alopecia (cf. aussi v. fr. alopice),
amnesia, anorexia, asflxia, alaraxia, autodidaxia, bulimia, caquexia,
diastrofia, difteria, discrasia, dinamia, dipodia, distocia, eclampsia,
endemia, epidemia, embolia, eucrasia, eutanasia, euforia, eugenesia,
eutrapelia, geodesia, hemiedria, hemorrinia, hemospasia, hemotexia,
heterodoxia, holoturia, homilia, homotecia, litoglifia, malacia, mega-
losplenia, ortoepia, paracusia, pirexia, polisarcia, taquicardia,
tetania, etc. aux formes correspondantes de l’italien et du portu­
gais qui sont paroxytoniques (le français n’a plus que des oxytons
en -ie.)
De même les seconds éléments de composés espagnols ou cata­
lans : -adelfia, -algesia, -algia, -andria, -cefalia, -cracia (-xcxT.la),
-dermia, -dinamia, -dromia, -emia (du gr. alpa), -estesia, -fasia,
-filia, -fobia, -foria, -gamia, -gastria, -genesia, -geusia, -gliptia,
-gnosia, -lepsia, -maquia, -odinia (-wouvî.x), -onimia, -opia, -opsia,
-pepsia, -plastia, -rragia, -ritmia, -scopia, -sepsia, -stenia, -texia,
-tecnia, -termia, -timia (-ôupfa), -tipia, -trofia, -uria (-ousix), qui
sont proparoxytons dans ces deux langues ont comme corres­
pondants des formes paroxytoniques en italien et en portugais
(le français n’a plus que des oxytons en -ie).
Il arrive encore que dans la même langue, le même second
élément de composé soit tantôt paroxyton, tantôt proparoxyton.
Ainsi en espagnol (et en catalan), -colia, -fagia, -nomia, -odia,
-urgia sont proparoxytons dans policolia, disfagia, antimonia,
heteronomia, palinodia, parodia, rapsodia, dramaturgia, halurgia,
siderurgia, teurgia, etc., mais paroxytons dans mehmcolia, antro-
pofagia, xerotagia, astronomia, autonomia, gconomia, melodia,
cirujia (< *cirurgia). De même en face de onirocrisia, proparo­
xyton, on a en espagnol (et en catalan) hipocresia. Parmi d’autres
134 PRÉLIMINAIRES

exemples, on pont encore citer le cas de -uria (-zozia), indiffé­


remment paroxyton ou proparoxyton en portugais.
Les doublets du même genre ne sont pas inconnus en v. fr. ;
cf. p. ex. Alexandria > Alessandre (< *Alessândrie) et Alessandrie,
Anliochïa Antioche ( < *Anliôchie) et Antiochie, Asia > Aise
( < *Asie) et Asie, Italia > Haile ( < *Italie) et Italie, Nico-
media "" Xicomede ( < *Xicomédie) et Xicomedie, Syria > Sire
( < Sirie) et Side. La langue n’a maintenu qu’une seule des
deux formes : Alexandrie, Asie, Italie, Xicomédie, Syrie, mais
Antioche.

3°. — D if f é r e n c e s d e r é su lta ts
ENTRE LES GROUPES A, B ET LE GROUPE C

a) Oxytons grecs de plus de deux syllabes à voyelle pénultième


longue.
Groupes A, B > paroxytons : aOy-r-A = athlëta, àvax«?'/i"7U =
anachorêta, izzr-fz = ascëla, aùs-rqpor = austërus, =
zelôta, r)T-zjzi; = thésaurus, pzzzr-); = metrëta, = poêla,
r'jvayuy/ = synagöga, Ta-r.vo; = tapïnus, -zzzrfiùv -- terëdo, dorien
yzzr-z; = chorägus, y-.'.zrXÿyà- = ehristiânus, etc.
Groupe C > proparoxytons : -/.ms-Jto-- = corytus (Sidoine Apolli­
naire) et ywcjTor = *gorytus. le premier à la base du portg. coldre,
le second à la base du cast, goldre —, 'bxy.xx/.r^ó- (avec 7] = I) =
*damascinus ( > ital. amôscino «prune de Damas», ligur. brina
darmàsina, savoy, amezna, etc., REW 3, 2464) et *davascïnus
( > v. fr. davoisne, orléan. laven, forez, daven, etc., ibid.) — ,
1

z~j j,r.z-s = *sycÔtum, qui a déterminé le passage de fïcâtum à


7

fïcâtum (cf. ci-dessous).


Remarque. — Le mot grec z-jxo>z6v, qui de son sens primitif * nourri
de figues » en était venu à signifier (peut-être à partir de svxojtov)
7 ,-1 5
» foie gras », puis « foie » en générai, a été emprunté par les Latins qui
l’entendaient de la bouche des cuisiniers grecs. Tout d’abord, il a été adapté
en fïcâtu, forme entièrement latine dans ses éléments et sa formation qui
a laissé des continuateurs en roumain, dans le sarde, le vénitien, le vegliote,
le sicilien et le latin. Mais le mot grec TjxtuTôv avait pénétré lui-même
dans le latin parlé, où il est devenu sycâtu. Le croisement de fïcâtu avec
sycctu a déterminé une nouvelle forme : fïcâtu, à côté d’ailleurs de fïcâtu,
qui paraît attesté dans certains manuscrits. Pour le passage de fïcâtu à
*/ câtu, cf. p. 177.
Les formes latines ci-dessus s’opposent à corytus (Virgile, Ovide,
Stacel, à *damasclnus ( > v. fr. da- ou demoisine, ital. amoscino, etc.)
ou *davascînus ( > v. ital. abosino), et à sycôlum (Vespa), lesquels
appartiennent aux groupes A et B.
b) Paroxytons grecs de plus de deux syllabes à voyelle pénul­
tième brève suivie de consonne simple.
Groupes A, B > proparoxytons : àôâua; = adâmas, irzov-izr); =
0posta ta, -'z;zv;/ — graphiurn, z/.z\].'j~Wri — eleemosÿna, iÀssa;
= etiphas, = latôrnus, rjy.-c./.ôpa; = nycticorax, 7iop?ôpa
l ’a c c e n t e n l a t i n 135

= purpura, -pâ-r,; = satrâpa, génit. a’.vÔovoç — génit. sindô-


nis, çÀî,jo-:ô;;.oç = phlebolömus, yp'/.iox — choléra, TsXsjsoso; =
Telesphörus, Xp.?-: oôzoz ~ Christophorus, etc.
Groupe C > paroxytons : = eschâra ( > catal., cast,
portg. escâra) — , = idea (Cl. Marius Victor), à la base de
tous les continuateurs romans —, À^ivr, = lapsüna ( > calabr.
mérid. lassâna « sanve ») —, -r . 77.va = ptisâna, à la base de tous
les continuateurs romans — , p.âÀa. = phiâla ( > v. fr. /ieZe, ital.
portg. fiâla, roum. fiâla).
Dans tous ces exemples, la voyelle pénultième du grec semble
s’être pliée aux exigences de l’accentuation latine : de brève elle
est devenue longue. Le latin a connu d’ailleurs un autre moyen
de s’y conformer : la voyelle pénultième est restée brève, mais
la consonne suivante a été géminée. Cf. x-.py.Lo; (à côté de /J.z•/.*.-
v ç) = circinnus C. Gl. Lat., V, 354, 36 — , v<Mïç% = *cilharra
( > ital. chitarra, d’où fr. guitare, cast, portg. guitarra, R E W 3,
1953, 2) — , -oÀvr;j; = polippus C. Gl. Lat., V, 322, 1 ; 385, 42.
R emarque. — On trouve l’inverse de ce dernier phénomène dans le
v. lat. cretèrra (sans doute venu par l’étrusque), en face de cratëra = accus.
xpa-^ça. Il s’agit ici du type lïtera : lïttera, Jupiter : Jùppiter.
Les formes latines ci-dessus s’opposent à eschära ( ^ ital. es-
cara, v. fr. ascre « nausée, dégoût », etc., REW 3, 2915a) — , lap-
sâna ( > sicil. lassana, romagn. lâssan, etc., REW 3, 4905a) — ,
phiâla (Juvénal, Martial) — , circïnus ( > fr. cerne, ital. cércine,
roum. cearcân, etc., REW3, 1912) — , cithïra (poètes latins) — ,
polipus ( > fr. pieuvre, d’origine normande, ital. polpo, catal.
pop, etc., REW3, 6641), tous mots appartenant aux groupes A, B .
R emarque I. — Par substitution de -iôla à -iâla, insolite dans la lan­
gue, phiâla a donné naissance en latin parlé à phiâla, lequel a passé nor­
malement à fiâla, d’où fr. fiole), en même temps que fil ôlu passait lui-
même à filiâlu. Fiola est attesté dans les gloses.
R emarque II. — A côté de cilhâra, le latin a possédé une autre forme
proparoxytonique, cïlfh)êra, d’où proviennent d’une part l’ital. cetera,
le roum. céterâ, le v. cast, cedra, etc., d’évolution populaire, de l’autre le
v. fr. citre, le prov. cidra, le cast, citera, etc., d'évolution savante (à cause
de la conservation du timbre de i). De ces deux formes, cït(h)èra est la
seule phonétique : à l’époque de l’accent d’intensité initiale, l’a médian de
cilhara a passé régulièrement à e devant r. Cithâra par contre est calqué
sur le grec. Il a fini par détrôner cithi'ra dans la langue littéraire ; mais ce
dernier s’est maintenu dans la langue pailée comme en témoignent les
continuateurs romans cités plus haut, ainsi que la remarque de 1’Appendix
Probi : cilhara non citera.
c) Proparoxytons grecs avec voyelle longue ou diphtongue à
la pénultième.
Groupes A, B > paroxytons : = Abydos, \x izrtixzç
— Acadêmus, ày.p;à;,.a = acroüma Prud., 'Aowviç = Adonis, i-x >uov
= amômum, àvicr.o.a = anadêma, àvr/Lv = anêthun ( > v . fr.
anoi), à itov = anïsum, ’Afyioajuoç = Archidëmus, à:to;ju = aroma
Fort., àiûXo^ = asylum, y.àuv,.; = camëlus ( > v. fr. chameil),
136 PHKl.lMIV.UHRS

Xailivï' — camïnus, — eeróma, xivvj«b>usv --- cinnamömum,


no'n- pl. K = Cyclopes, xùuïvov — cuminum, ri'.j/j-rçua =
diadcma. \ = Dionysus, = emblema, spi.i.aœpéôiTs;
= hcrmaphrodïtus, A^po,- — ephëbus, Àâvuvo; = lagüna, yD.Oso-o:
— mclilötus. usÀ-.uLrp.';-/ = melimëlum, = metempsy­
chosis, - icjttltoç = parasitas, -;ir;,u.a = poëma," ir,?^ = poësis,
f)-ÏT:;v — theàlrum, vas-w-:-- — hyssöpus, etc. — , apyyA.y^,;;.-
— archimayirus. /.zzymhkz; — crocodîlus, öciy.awa = dracaena,
yiyycziva = ganyraena, jrjpaw* = muraena, 7ra?âô$i,Tci = para-
dïsus. = sapphïrus, yaiva = hyaena, oaXaiva = ballaena,
1I;ÀA/.£;?0ç = PolyclëtüS, -jcÀlj'JpOÇ = paliürUS, tsiXsvpoS =
sihirus, ;xi;jp:z = sciürus, "Apyjßzoas; = Archebülus, 'Aplöcuara
= Arethüsa. F.-c-zj?:; = Epicurus, etc.
Groupe C > proparoxytons : à/.ivï-rov > aconïtum ( > catal.
aconit, esp. ital. acônito, tous mots d’ailleurs savants) ; avrtœwvïj
(de avT'swvo;) > anttphôna Aldhelmus (> v . fr. antoine et anteifé)
ou. par croisement avec uu/e, antëphôna ( > fr. antienne) ; efèwXsv >
idôlum Prudence, Fortunat ( > v. fr. ZtfeZe, zVZZe, esp. ital., idolo,
etc.); hrcxz: > erëmus Prud., St-Avit ( > v . fr. erm, esp. yermo,
ital. m/zo, etc.) ; Ry.wßjc (ou mieux ’\-j.vmizz- avec - analogique
de Jucoù dont le ù final était prononcé p) > *Jacopus (d’où fr.
prélitt. *Jàkeves > fr. Jacques) ; rsTpoTÉÀtvov (ou mieux grec
dial. r£Tsiïi/iv;v ; cf. petrosilinon dans les mss. de Végèce, H.
Schuchardt, ToätzZ. des Vulgärlateins, I, p. 391) > *petrosîlïnu,
d'où par haplologie syllabique *petrosïnu ( > v. fr. perresin, wallon
piersê, lorr. parhïn, sicil. pitrusinu) ; oÇaiva > *ôzena ( > calabr.
mérid. érzna « sorte de serpent », G. Rohlfs, ZZïsZ. Gr. der z'/aZ.
5pr., I, p._377). Cf. aussi l’accentuation liturgique Kîyrie eléison
— Kvp'.î £Àsr;j:v. Pour les formes latines ci-dessus, les poètes
latins présentent aconïtum, antiphôna et antiphöna (Aldhelmus),
ZdôZzz/n et idolum (Prudence, Fortunat), erëmus et eremus (Prud.,
St-Avit), Jacobus (Claudius Claudianus, Juvencus) et Jacobus
(Fort.). Noter encore chez eux les doublets accentuels Paraclëtus
(-rp.-ù:i-zz) et Paraclëtus ou Paraclïtus, phrenësis (opérr^ic) et
phrenësis ou phrenîsis.
D’autre part, pour certains proparoxytons grecs avec voyelle
pénultième longue, les langues romanes présentent des formes
qui continuent soit d’anciens paroxytons, soit d’anciens propa­
roxytons latins ; s£üv.or = azymus ( > abbruz. zime, R E W 3,
850) et azymus ( > prov. aime, roum. dzimà, etc., ibid., 850) ;
yJj-JjW' = bütÿrum et bulyrum Sidoine Apollinaire, Fortunat
(> ital. bulirro, génois biliro, piém. butir, vénit., padouan, bellun.
butiro, botir, bâtir, REW3, 1429) et bütyrum Aemilius Macer
(> v. fr. bure, auj. beurre, v. prov. buire, ibid.) ; tckxüpoç = pa­
pyrus (> Guernesey *pavir > pavie, Oloron babi, babil, A. Thomas,
Mél. d’Etym. fr., p. 114; logoud. pabiru, etc.) et *p apy rus ( >
norm. *paver > pave) ; rim n = sinüpis ( > esp. ajenabe, sicil.
sinapu, etc., FEW3, 7933, 2) et sinûpis ( > v. fr. sanve, sanvre,
ital. sénape, etc., ibid. 7933, 1) ; ’latoupos = Isidôrus (> e sp .
l’accent en latin 137

Isidnro, ital. Isidàro) et Isidoras ( > csp. San Isidro). Pour les
formes latines ci-dessus les poètes présentent : azyma, bulÿrnm.
papyrus, sinâpis.
Remarque I. — Pour ïy-Ajç,* > lat. ancôra (d’où fr. ancre, esp. ital. nncora,
etc., REW3, 443 b), un intermédiaire étrusque est probable ; cf. Ernout-
Meillet, D id. élym. lal.*, p. 56. Pour ivibrjix « offrande, ex-voto », cf. p. 130.
Remarque II. — A côté de azymu et de azÿmu, le latin a connu aussi
un type *azümu ; cf. aquil. summo, cité dans le R E II’3, 850, 2.
Remarque III. — Aw1ôei;>.;, dont l’emprunt est tardif, est entré dans
le latin médiéval sous la forme apôdixa « reçu » et il est devenu en italien
pôlizza « certificat, contrat », d’ou le fr. police « certificat » (1371), « con­
trat » (xvie s.) ; cf. O. Bloch et V. Wartburg, D id. élym., s.v.
Remarque IV. — ’A-ocm^x, devenu en latin aposlêma, est représenté
en espagnol et en italien par postema. Le franç. aposlème ne date que du
xvie siècle. La forme du moyen-âge est apostume, signalée pour la pre­
mière fois chez Jean de Meung, et conservée jusqu’aujourd’hui. Elle pour­
rait s’expliquer de la façon suivante : par suite d’un croisement avec le
v. fr. ßeume (< oléyy.»), aposlème serait devenu *aposteume, lequel aurait
ensuite déterminé le changement de l’infinitif apostemer en *aposteumer.
Aposteumer se serait normalement transformé en aposlumer, d’où le sub­
stantif apostume pour *aposteume. Pour le passage de -eu- inaccentué à
-u-, cf. p. 429. Pour les formes attestant un verbe apostemer en v. fr., cf.
v. Wartburg, Frz. Etym. Wb., I, p. 105.
Remarque V. — liXâaçr,;uo; est représenté en latin par blasphêmus et
blasphêmus, tous les deux chez Prudence. (Au ixe siècle, Loup, abbé de
Ferrières, déclare blasphêmus meilleur que blasphêmus). Le continuateur
français blasphème (xne s.) est savant, ainsi que le verbe blasphémer (xive s.).
Quant à blâmer (v. fr. blasmer), il provient d’un type blastemare, attesté
sur une inscription gallo-romaine, et refait sans doute sur un grec dialectal
fsXa<jOr]|j.£rv, issu lui-même d’une dissimilation de -ph- en -th- dans Sàxs-
çriasïv ; cf. Kretschmer, Lesb. Dialekt, p. 176. Le substantif blâme (v. fr.
blasme) est un postverbal de blâmer (v. fr. blasmer).
Remarque VI. —- A côté de bütyru et de bütyru, le latin a connu aussi
un type *bâtûru ; cf. lomb. buâur, bedül, sienn. bituro, piém. biitür, etc.
De plus, parallèlement à ce qui a eu lieu pour TrirO'poj (cf. rem. XI),
les dialectes grecs ont dû posséder un type *j3or:Upoç, avec tq à la pénul­
tième ; d’où v. prov. boder, béarn. boudé, ital. sept, buter ou buter, etc.
Formes citées d’après M. Lübke, REW3, 1429 et v. Wartburg, Frz.
Etym. Wb., I, p. 665.
Remarque VII. — A côté de camëlus (= gr. yJurßo;), le latin parlé
a possédé deux autres formes : camëllus (d’ou le fr. chameau) et camèllus ;
cf. REW3, 1544.
Remarque VIII. — ’'KyotsuTcov est devenu régulièrement en latin encaus-
tum, avec l’accent sur la pénultième. De cette forme proviennent le v.
ital. incostro et l’ital. mod. inchiostro. Pour d’autres continuateurs, cf.
REW3, n° 2869, 1. Mais les formes françaises du moyen-âge : judéo-fr.
énket, énkest, v. fr. enque (auj. encre) proviennent d’un type accentué sur
l’initiale, sur le modèle du grec. Ce type peut être éncautu, avec chute
de s antéconsonantique (cf. encautum Cod. Theod., Marcell. med. ; encau-
tus, -a, -um : i. q. encauto scriptus est, dans le Thés. ling, lat., s. v. encaus-
tum) ; d’où, après réduction de au à o et passage de o atone à § (cf. lo >
lç), énket et enque ( > encre). On peut avoir eu aussi éncaustu ; d’où *énkosto,
*énkçstç et énkest. Cette dernière forme pourrait aussi s’expliquer â partir
d’une prononciation tardive du grec, énkafsto, avec u-diphtongal devenu
v puis ƒ par assimilation avec l’s suivant : l’emprunt au grec serait alors
13S PRELIMINAIRES

postérieur à la palatalisation de k devant a, et on aurait eu successivement


énkeslo, avec réduction du groupe -fs-, et énkest, après la chute des voyelles
finales.
R emarque IX. — De Jdcopu, proviennent également l’esp. Jago, l’ital.
Jacopo (et Jacopone), le calabr. Jàcupa. Par suite d’une métathèse, on a
pu avoir une forme *Japocu ~ *Japicu, qui explique l’ital. Jüpico, Jdpeco
et le sicil. Jàpicu. Enfin le v. picard. Jakcme ou Jaqucmc, le v. fr. Jaimes
(d’où l’esp. Jaime), Jacmes (d’où angl. James), le v. prov. Jacme et le catal.
Jaume remontent à un type *Jacômu, sans doute en relation avec ’laxoy-
nom porté par un Juif d’Alexandrie du début du e s. de notre ère ;
11
cf. D. S. Blondheim, Les parlcrs judéo-romans ci la Velus Latina, p. 31,
où l’on trouvera de plus quelques indications bibliographiques sur le pas­
sage de -b- hébreu à -■!.)- et -au-.

R emarque X. — Le v. fr. perresin et le sicil. pitrusinu supposent un


type dialectal primitivement avec -st- et non -se-. *Pelrostlïnon a subi
du reste une métathèse de quantité et est devenu *petrosillnon, avant
d’aboutir à *petroslnon, par réduction haplologique de -II-. Mais *pelro-
stlinon a pu aussi devenir *pe(rosïlîon, par chute de -n- sous l’action dissi­
mulatrice de n final ; d’où le v. fr. perresil (auj. persil), le prov. pe(i)resilh,
l’esp. peregil et le port, perrexil. Enfin *petrosîlïnon, passé à pelrosillnon
a pu aboutir lui-même à *petrosilion ; d’où le lyonn. pirasé (< *piraselh).
Là ne se bornent pas les transformations subies par petrosélinon.
Par suite d’une nouvelle métathèse de quantité, on a pu avoir *petro-
s'ienon. D’où, à partir de là, deux résultats : *pelrostnelon, avec méta-
thése consonantique (> abbruz. pçtrçsinçlg) —, et *petrostmelon, avec
dissimilation de -n- sous l’action de n final (> logoud. pedrusimule).
D’autre part, petrosélinon a pu devenir *petrosélimon, par dissimilation
n-n > m-n ; d’où *pelrosémilon, par métathèse consonantique (v. ital.
pelrosémolo, *pretosémolo > pretsémolo = ital. prczzémolo, mantouan,
vénit. persémolo, Massa Carrara predosémbolo) —, ou *pelroséminon, par
suite du passage de -/- à -m- sous l’action des deux n suivants (> v. vénit.
pretisémino, campid. perdusémini).
Enfin, par assimilation de -é- avec l’o précédent, petrosélinon a pu abou­
tir à *pelrosolinon ; d’où bolon. prasol, imol. prasô, romagn. pardisul,
pardansul.

R emarque XI. — Le gr. -f;:ypo; se retrouve avec son accentuation et


son vocalisme dans le roum. pàpurâ et le méglinite paprd.
A coté de -ôr.Zcoç, il a dû exister dans les dialectes grecs une autre forme
*r.j-rpor, avec vocalisme rr D’où un latin *papêru, qui est à l’origine du
catal. et du v. aragon. paper, du berrichon pavais, paveis, du manceau
pave, du vendéen pavas (A. Thomas, Mêl. d’Ehjm. fr., p. 114) et un autre
latin *papèru, sur lequel a été refait un *papériu, d’où viennent le franç.
et le v. prov. papier.
De plus, à côté des formes avec p, il est probable que les dialectes grecs
ont connu un type *.-âEv.oç, avec X. D’où un latin *papêlu, à la base de
l’espagn. et du port, papel, du v. prov. pabel, du prov. mod. pavel, parvel,
du milan, palpé, etc. —, et, après le passage de vj à t en grec, un latin papilu,
à la base du v. prov. pabil, prov. mod. pabieu ou pabiùu, de l’esp. pabilo,
du port, pavio, ou, avec l’accentuation grecque, en latin *pâpïlu, à la base
de l’esp. pàbilo. A son tour, *piipllu a pu déterminer un dérivé *papïliu
qui se retrouve dans l’avranchin paveille (d’où pavilléc chez Fauchet),
le creusois babélhâ plur., et le prov. mod. pavélho (A. Thomas, Essais de
Hiîl. fr., p. 348).
l ’a c c e n t e n l a t i n 139

c) M ots c e l t iq u e s e t p r é c e l t iq u e s

Aucune difficulté ne se présente naturellement pour les mots


de deux syllabes : ils n’ont pu qu’être paroxytons en latin. Ainsi
beccus (fr. bec), benna (fr. banne), braca (fr. braie), braces (fr. brais
« orge broyée pour fabriquer la bière »), carrus (fr. char), cumba
(fr. combe), günna (v. fr. gönne « grande tunique »), leuca (fr. lieue),
saga (fr. saie), etc. attestés dès l’époque latine — ; balma (fr. baume
« grotte »), dolva (fr. douve « ver du foie »), rüsca (fr. ruche) attestés
plus tard, respectivement au v m e, au ve et au x e siècle — ; *balga
(fr. bauge), *bédu (fr. bief), *bracum (fr. brai), *brïgum (v. fr. brif
« force, vivacité »), *brïnum (fr. brin), *clëta (fr. claie), *olca (fr.
ouche), *rïca (fr. raie), etc., restitués par voie comparative. Dans
le domaine de la toponymie, on peut citer entre autres exemples :
Brïga « hauteur, forteresse » > Broyé (S. et Loire, Hte-Saône),
Broyés (Marne, Oise) — , Brïva « pont » > Brive (Corrèze), Brives
(Indre, Mayenne, Sarthe, etc.) —, *Dervum « chêne » > Der (ha­
meau de l’Aube), Montier-en-Der (Hte-Marne) — , D übis > le
Doubs, riv. — , Dübrum « eau » > Douvre (Ain), Douvres (Calva­
dos), etc. — *Dünum « hauteur, forteresse » > Dun (Creuse,
Indre, Nièvre, etc.) — , *Nantum « vallée, ruisseau » > Nan-sous-
Thil (C. d’Or), Nans (Doubs, Jura), Nant (Aveyron), N am ps
(Somme) — , Rëmis (nom de peuplade) > Reims — , * Vernum
« aulne » > Ver (Calvados, Eure-et-Loir, etc.), Vern d’Anjou
(Maine-et-Loire), Verne (Doubs), etc.
Il n’en est pas toujours de même pour les mots de plus de deux
syllabes. En effet si, dans le cas où la quantité de la pénultième
celtique ou p.éceltique peut être connue, l’accentuation latine se
règle ordinairement sur cette dernière et si l’on a dans les formes
latines attestées ou reconstruites des paroxytons ou des proparo­
xytons suivant que la pénultième gauloise est longue ou brève,
une discordance apparaît à ce point de vue dans un certain
nombre d’exemples.

I. — Co n c o r d a n c e e n t r e la q u a n t it é d e la p é n u l t i è m e
CELTIQUE OU PRÉCELTIQUE ET L’ACCENTUATION LATINE

La pénultième peut être longue (par nature ou par position)


ou brève :

a) Mots celtiques ou préceltiques à pénultième longue par nature


— Paroxytons latins.
Ex. cammïnum ( > fr. chemin), carrûca ( > fr. charrue), (para)-
verêdum (> fr. palefroi), alaiida ( > v. fr. aloe, auj. alouette, dimi­
nutif), alausa ( > fr. alose), bascauda (> v. fr. baschoe «panier
d’osier »), attestés dès l’époque latine — ; et dans la toponymie les
formes avec -au- (cf. Arauris = Hérault riv. ; Alauna, -as — Alloue
140 P RÉLI MI NAI RE S

Oise, Deux-Sèvres, Allonnes Sarlhe, Eure-ei-Loir ; Catalaunis —


Châlons-sur-Marne ; Icaunti — Yonne riv. ; Lovolaulrum = Vol-
lore Puy-de-Dôme ; etc.), et les dérivés en -âcus (type Camerâcum
— Cambrai Nord, Bellâcum = Bellac Hte-Vienne, et Artiâcum
= Arcis-sur-Aube Aube, Arcy-sur-Cure Yonne, Ambariâcum —
Ambérieux Ain, Ambcyrac Aveyron, Ambérac Charente; etc.) —,
en -âna, -anus (cf. Meduâna = Mayenne riv., Ambiânis = Amiens
Somme; etc.) — ; en -âvus (cf. Andecâvu = Anjou, Piciâvu =
Poitou, Andecâvis = Angers Maine-et-Loire, Pictâvis = Poitiers
Vienne ; etc.) — ; en -ëva (cf. *Arrëvum = Arreau Htes-Pyrénées,
Lutêva — Lodève Hérault ; etc.) ; — etc.
11 convient d’ajouter à cette série les composés toponymiques
dont le second élément est le mot brïva « pont » (cf. Carobrïva =
Chabris Indre, Salerabrïva = Salbris Loir-et-Cher) —, dünum
« forteresse » (cf. Augustodünum = v. fr. Osteiin, auj. Autun Saône-
et-Loire, Mellodünum — Melun Seine-et-Marne, Vïrodünum =
Verdun Meuse, etc.) —, -lânum « plaine » dans Mediolanum (cf.
Châteaumeillant Cher, Montmeillanl Ardennes ; etc.) — ; rate
« forteresse » (cf. Argenlorate = Argentré Mayenne, Carpentorâle
= Carpentras Vaucluse ; etc.).
b) Mots celtiques ou préceltiques à pénultième longue par position
= Paroxitons latins.
Ex. : arepennis < *arependis (fr. arpent), carpentum (v. fr. char-
pent, d'où le collectif charpente) attestés dès l’époque latine — ;
cavannum (v. fr. chouan «chevêche »), vassallum (fr.. vassal), attes­
tés le premier au ve siècle, le second plus tard — ; *tarïnca (fr.
taranche « grosse cheville de 1er dont on se sert pour tourner la
vis d’un pressoir »), *trugantum (fr. truand), formes reconstituées—,
et en toponymie les dérivés en -et- (cf. Bibracte = Mont Beuvray
Nièvre, Silvanectes = Senlis Oise) —, en -ne- (Arlincum — Ariane
Puy-de-Dôme ; Alanca — VAlanche torrent du Cantal ; Miden-
cum = le Mont Mézenc entre la Hte-Loire et l’Ardèche ; etc.) — ;
en -nt- (cf. Diablinles = Jublains Mayenne ; Novientum = Nogent-
sur-Marne Seine, Nogent-sur-Seine Aube, Noyant Maine-et-Loire,
Nouvion-le-Vineux, autrefois Novihant, Aisne; etc.) — ; en -rc-
(cf. Cadurcis — Cahors Lot ; Medarcum — Marcq Ardennes,
Seine-et-Oise ; etc.) — ; en -rn- (cf. Nevernis = N evers Nièvre ;
Tigernis — Thiers Oise, Puy-de-Dôme ; etc.) — ; en -sc- (cf.
Camboscurn = Chambosl Rhône, Centusca = Sanloche Doubs,
Senoscas — Sénosches Ain ; etc.) — ; en -st- (cf. Alistum = Aies,
autrefois Alest Gard ; Marastum = Marast Hte-Saône ; etc.) — ;
en -II- (ci. Bodornellum — Bornel Oise ; Uxellum = Ussel Allier,
Cantal, etc., lissé Indre-et-Loire ; Uxellos = Usseau Charente-
Marit., Deux-Sèvres, Vienne ; etc.) — ; en -nn- (cf. Arduenna =
l’Ardenne ; Lemannum ^ lac Léman ; Tapeuàwx Ptolémée =
Thérouanne Pas-de-Calais ; etc.) — ; en -ss- (cf. Canlïssa — Chan-
ksst Isère ; Cadüssa — Chaource Aube ; Vindonïssa — Vendresse
Aisne, Ardennes, etc.) ; elc.
l ’accent en latin 141
Cf. de plus les composés toponymiques dont le second élément
est le mot *bennum « pointe, sommet » (cf. *Canlobennum =
Chantoin près Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme) — ; *mellum
« colline » (cf. Doromellas — Dormelles Seine-et-Marne) — ; nan-
tum « vallée, ruisseau » (cf. Divonantum — Dinant-sur-Meuse,
prov. de Namur, Belgique ; *Gravonantum = Vaugrenant Saône-
et-Loire ; etc.) — ; randa « bord, limite » (cf. *Camaranda >
Chamarande Seine-et-Oise, Chamarandes Ilte-Marne ; *Equoranda
= Aigurande Indre, Eygurande Corrèze, Ingrandes Ille-et-Vilaine,
Yvrandes Orne ; etc.) — ; etc.

c) Mois celtiques ou préceltiques à pénultième brève = Proparo­


xytons latins.
Ex. : berüla issu par dissimilation du gaulois *berura (fr. berle),
brogïlum (fr. breuil), cerevisïa (fr. cervoise), camïsia (fr. chemise),
vertràgum (v. fr. viautre «mâtin», vidubïum (fr. vouge «croissant
pour émonder les arbres »), attestés à des dates plus ou moins
tardives — ; *abülum dans *acerabülum (fr. érable), *bôtîna (fr.
borne), *combërum ou *comborum (vfr. combres « abattis d’arbres,
treillis pour retenir les poissons ; fr. mod. décombres), *derbïta (fr.
dartre), *drasïca (vfr. dräsche « résidu du malt qui a servi à bras­
ser », fr. mod. drêche), *margïla (vfr. marie, fr. mod. marne), *savarë-
tum (fr. savart « nom donné dans les Ardennes aux terres incultes
qui servent de pâturage »), *somàrum (fr. sombre « friche »), *soma-
rëtum (vfr. somart « friche »), *südïa (fr. suie), Hrebïu (fr. triège
« canton d’un bois » ; etc.
Cf. en toponymie les dérivés en -àlis (cf. Gabàlis = v. prov.
Jdvols, auj. Javols Lozère) —, en -âra (cf. Isàra — l’Oise riv. ;
Oscàra = l’Ouche riv. de la Côte-d’Or ; Samara — la Sambre
riv. ; etc.) — ; en -era (cf. Avéra = l’Evre riv. du Maine-et-Loire ;
Salëra = la Saudre riv. de la Manche ; etc.), -ëris (cf. Trevëris
— Trêves en Allemagne), -ëros (*Combëros = Combres Eure-et-
Loir) —, en -ïeu (cf. Aventïcum = Avenches en Suisse ; Convenï-
cum = le Comminges région de la Hte-Garonne) —, en -ëtum (cf.
Arenemëtum = Arlempdes Hte-Loire) —, en -idum (cf. Trcvïdon
Sidoine Apollinaire = Trêves Gard) —, en -isàma (cf. Belîsàma —
Bellême Orne, Blesmes Aisne, Marne ; Belîsàma = Blisme Nièvre ;
Molïsàmas — Molesme Côte-d’Or, Molosme Yonne ; *Icolïsàma
— Angoulême Charente), en -antia (cf. Arantia = l’Arance riv.
des B.-Pyrénées), -entia (cf. ’ApylvT^ç = YArgens riv. du Yar),
-ontios (cf. Regontios — Rioms Gironde) — ; en -andria (cf. Cï-
mandria — Simandre Ain, Saône-et-Loire) —; en -ëgïa (cf. Atte-
gïas = Athies Aisne, Pas-de-Calais, Somme, Aihis Orne, Seine-et-
Oise) — ; en -ëvïa (cf. Arëvïa = YAriège riv.) — ; en -ïis (cf. Lexo-
viis — Lisieux Calvados, Parisiis = Paris, Petrocorïis = Péri-
gueux Dordogne, etc.) — ; en -üis (cf. Vermandüis — Vermand
Aisne) — ; etc.

3
142 PRELIMINAIRES

Cf. aussi les composés toponyiniqucs dont le second élément


est le mot brïga u mont », puis « eliàteau-fort» (cf. Bonôbrïga =
Boiuurlivre Loire-Inf., Don obrïga = Deneiwre Meurthe-et-Moselle,
Denèvre Ille-Saône ; Vindobrïgas = Vendœuvres Indre ; etc.) —,
*dôrum « porte » (cf. Isarnödöriim — Isemore Ain) — ; *dürum
» forteresse » (cf. Epomanduôduriim = Mandeure Doubs; Turnô-
dùrum = Tonnerre ; Divödürum = Jouars Seine-et-Oise ; Icciô-
dùrum — Issoire Puy-de-Dôme ; etc.) —, iâlum « clairière » (cf.
Aballdiàlum = Yaleuil Dordogne, Valuéjols Cantal ; Limöiälum =
Limeuil Dordogne, Limeil Seine-et-Oise, Liméjouls Dordogne,
etc.) — ; mägus « champ de foire, marché » (cf. Argentomagus =»
Argenton Indre, Deux-Sèvres, Maine-et-Loire, Argentan Manche,
Orne ; Cassinomagum = Chassenon Charente ; Rigomagum =
Riom Puy-de-Dome, etc.) — ; rïtum « gué » (cf. *Camborïtum =
Chambord Loir-et-Cher ; Noviorïtum = Niort Deux-Sèvres, etc.).
R emarque. — S’il est vrai que le v. fr. andier (auj. landier) appartient
à la même famille que le moyen irlandais ainder « jeune femme », le gallois
armer «génisse », le vieux gallois enderic « reau » ou le breton ounner « gé­
nisse >, ce n’est pas en tout cas d’un type celtique *andëro- (masculini­
sation de *andéra- « génisse ») qu’il faudrait immédiatement partir, comme
on le fait parfois. *Andêro- ne pouvant être accentué sur la pénultième,
aurait abouti à *andre. Le v. fr. andier suppose une forme en -z'o- : *andè-
rion = lat. *andèrium, dans laquelle l’accent devait normalement tomber
sur l’antépénultième.

II. — D iscordance e n t r e la q u a n t it é d e la p é n u l t iè m e
CELTIQUE OU PRÉCELTIQUE ET L’ACCENTUATION LATINE

La pénultième peut être longue (par nature ou par position)


ou brève :

a) Mots celtiques ou préceltiques à pénultième longue

Dans un certain nombre de composés ou de dérivés topony-


miques, la pénultième celtique ou préceltique dont la quantité
longue est ou semble attestée est traitée comme si elle était brève.
Ainsi les composés celtiques dont le second élément est -rïges,
-vices, -casses, ne sont représentés que par des proparoxytons
en lalin ; d’où en français :
Biturïges = Bourges Cher ; Calurïges > Chorges Htes-Alpes.
liburovïces = Evreux Eure ; Lemovïces — Limoges Hte-Vienne.
Bodiocasses = Bayeux Calvados ; Durocasses = Dreux Eure-
et-Loir ; Tricasses — Troyes Aube ; Vadicasses — Vez Oise ;
Yiducasses = Vieux Calvados.
Pour expliquer cette anomalie, on admet généralement (et il
semble qu’il faille l’admettre) que dans ces composés, le gaulois,
ne tenant pas plus compte de la longueur de la pénultième que
ne faisait le grec, mettait l’accent sur la dernière syllabe du pre-
l' accent en latin 143

mier élément —, et que le latin, au lieu de porter son attention


sur la longueur de la pénultième celtique n’aurait été sensible
dans les exemples ci-dessus qu’au phénomène de l’accent. Le
latin aurait donc conservé le caractère proparoxytonique de Bilù-
rïges, Eburôvlces, Bodiôcasses, etc., quitte à adapter ces mots
à sa loi des pénultièmes : -rïges, -vices, -casses seraient devenus
-rïges, -vices par abrègement de l en ï, et -cases par réduction
de la géminée -ss- à -s-.
Sans doute l’accentuation proparoxytonique du latin suppose-
t-elle la même accentuation dans les types celtiques. Il est diffi­
cile en effet de songer à des paroxytons celtiques avec pénul­
tième longue devenant des proparoxytons en latin. Mais s’il faut
supposer que l’accent frappe en celtique la syllabe finale du pre­
mier élément des composés en -rïges, -vices, -casses, il a dû en
être probablement de même pour tous les autres composés, qu’ils
aient eu une pénultième longue (types en -brïva, -dünum, -Icïnum,
- râtum) ou, à plus forte raison, une pénultième brève (types en
-brïga « montagne », *-dürum « porte, forteresse », -dübrurn « eau »,
-iâlam « clairière », -màgum « champ de foire, marché », -rhum
« gué », etc.).
Pourtant, à la différence de ce qui a eu lieu pour les composés
en -rïges, -vices, -casses, les composés en -brïva, -dünum, -lânum,
-râtum ont été continués par des paroxytons en latin (on ne citera
à l’appui que des formes appartenant au groupe d’oïl) :
Carobrlva = Chabris Indre ; Salerabrïva = Salbris Loir-et-
Cher.
Iscadünum = Achun Nièvre ; Magodûnum — Mehun-sur-
Yèvre Cher, Meung-sur-Loire Loiret ; Mellodünum = Melun
Seine-et-Marne ; Virodünum = Verdun Meuse ; etc.
R emarque. — Pour les continuateurs en -on, cf. p. 363.
Mediolanum — Moliens Oise, Molliens Somme, Mâlain Côte-
d’Or, Meillant Cher, etc.
Argentorâtum — Argentré Mayenne, Argenlré-du-Plessis Ille-
et-Vilaine.
R emarque. — Il convient de citer à cette place le latin paraverêdu,
composé du grec napi «près »et de verëdu, d’origine celtique, dont le second
élément existe lui-même en latin (= rêda ou raeda «char à quatre roues »)
et le premier est la préposition ve «près ». Paraverêdu est représenté en
français par palefroi.
La différence de traitement qu’on observe en latin entre les
composés du premier groupe et ceux du second ne peut s’expli­
quer par le fait que les Latins se seraient laissés guider tantôt
par le souci de respecter le caractère long de la pénultième cel­
tique et tantôt par celui de conserver la place originaire de l’accent.
Il semble plus vraisemblable que les Latins, ne connaissant
essentiellement les mots celtiques que par l’oreille, ont été avant
144 PRELIMINAIRES

lout sensibles à l'accent et l’aient en principe conservé à la même


place qu'il occupait dans la langue étrangère, compte tenu des
adaptations dont il a été question plus haut. Les exceptions à
cet usage dont on vient de voir quelques exemples s’expliquent
probablement par des influences analogiques : influence des mots
simples brlra. dünum qui devaient être connus des soldats ro­
mains et dont la valeur était certainement perçue dans les com­
posés du type Carobrîva, Jscadünum, etc. — ; influence des ter­
minaisons latines -aniim, -âtum dans le cas de Mediolânum et
d'Argentorâtum. Mais lorsque le modèle du mot simple celtique
ou celui d’une terminaison latine faisait défaut ou ne se présen­
tait pas naturellement à l’esprit, l’accentuation proparoxyto-
nique originelle s’est maintenue en latin.

*
* *

Pour ce qui est des d é r i v é s celtiques ou préceltiques en -üte(s)


ou -ôna, la présence de continuateurs latins tantôt paroxytoniques
et tantôt proparoxytoniques laisse encore supposer qu’ils étaient
accentués sur l’antépénultième : une accentuation paroxytonique
originelle ne pourrait pas rendre compte du caractère proparo-
xytonique de certains continuateurs latins. En effet, à côté de
formes paroxytoniques, les résultats gallo-romans ou parfois
même la scansion des poètes postulent dans plusieurs cas pour
le latin des formes proparoxytoniques.
L’explication de cette divergence est probablement la même
que celle qui a été donnée plus haut pour les composés : l’accen­
tuation originelle, c’est-à-dire proparoxytonique, a été conservée,
sauf dans les cas où l’analogie est entrée en jeu (influence des
t r
mots ou noms propres latins terminés en -âtem, -ôna).
Dérivés en -aiefs) : on a d’autre part Abnncâtes > *Abrin-
càtes = Avranches Manche (cf. en dehors du domaine d’oïl : Bri-
vüte > *Brivâle = Brioude Hte-Loire ; Cassimâte > *Cassimâte
= Chassende Hte-Loire ; Cordate > *Côrdàte = Courdes Cantal ;
Irônâte > *Irônâle = Ironde Cantal, Y ronde Puy-de-Dôme ;
Lémâte > *Lémate = Lende Hte-Loire, Lempdes Puy-de-Dôme ;
Mimâle > *Mimàte — Mende Lozère ; Télémâte > *Telémâte
— Talende Puy-de-Dôme ; etc.) — ; de l’autre : Geräte = Géré
Indre-et-Loire ; Retiële = Rézé Loire-Infér. (cf. en dehors du
domaine d’oïl : Albâtis = Albas Lot ; Arborûtis = Arboras Hé­
rault ; Argentâle = Argentât Corrèze ; Corterâte — Contres Gironde ;
Crudâlis = Graas Ardèche ; Madernâtis — Marnas Drôme ;
Pedinûlis = Pézenas Hérault ; Vasäles — Bazas Gironde ; etc.).
R em a rqu e I. — L’abrègement de la pénultième se constate chez les
poètes latins pour les ethniques Dalmûta, -ae (Martial, Stace) et Galâta,
-at (Lucaîn, Claudius Claudianus).
l ’a ccen t e n l a t in 145
Remarque II. — Arles, nom de deux localités du Midi de la France,
l’une dans les Bouches-du-Rhône, l’autre dans les Pyrénées-Orientales,
ne saurait provenir d’un ethnique Arelâle ; -is ou Arelâs, -ätis, avec suffixe
-ât-, pas plus d’ailleurs que d’un composé celtique *Arelâle, -is ou Arelâs,
*-âtis, avec comme premier élément la préposition are « près » et comme
second late «marais » (cf. Walde-Pokorny, Idg. Etym, Wb., II, p. 381).
Il faut sans doute partir d’un thème préceltique *arël-, avec suffixe -ël-,
dont les continuateurs sont assez nombreux ; cf. pour la France : Are-
lencum : Ariane Puy-de-Dôme, Areloscus : Arlod Ain, forêt d’Arelaunum
en face de Caudebec, etc. —, pour l’Italie : Areliascî (Tab. Veleiatium),
Arelica : auj. : Peschiera sur le lac de Garde, etc. —, pour le Norique :
’Apela-rcri : auj. Erlaf. Pour la localité des Bouches-du-Rhône, dont la forme
locale, ancienne et moderne, est en réalité Arle, la présence de e final
suppose à la base un locatif pluriel *Arëlis ; d’où, après la syncope de
la pénultième atone, *Arlis, *Arles et par suite de la chute de s final,
commune dans le dialecte, Arle. Par contre, le correspondant français
Arles et l’homonyme roussillonais Arles s’accommodent aussi bien du
locatif pluriel *Arëlis que de l’accusatif pluriel *Arëlas.
Remarque III. — Atrébâtes a conservé son accentuation celtique et
en conséquence l’a médian est devenu bref ; cf. le génitif pluriel Atré-
bâtum chez Sidoine Apollinaire. Cependant Atrébâtes ne peut aboutir tel
quel à Arras. Après la chute de la pénultième atone, c’est *Arrès que Ton
attend. Arras ne peut provenir que d’une forme avec a accentué : *Atrâ-
bàtes. Cette dernière ne saurait s’expliquer par une assimilation de ë accen­
tué avec I’d inaccentué de la syllabe suivante. D’autre part, une méta-
thèse Atrébâtes > Atrâbëtes est difficilement admissible. Sans doute faut-
il recourir à l’action des dérivés : (pagus) Atrêbatensis, Atrëbâlenses. Dans
ces deux dernières formes, Yë de la seconde syllabe, étant inaccentué,
a pu passer à à sous l’action combinée de l’a de la syllabe initiale et de
l’a de la syllabe suivante. D’où Atrabatensis, -enses, qui à son tour a pu
déterminer la réfection de Atrébâtes en Atrâbâtes ; cf. eiv. Atravatum dans
la Notifia Galliarum et Atrabatas chez St-Jérome, etc. Quant à Atrâbâtes,
il a abouti régulièrement, par l’étape *Atrabtes, à Arraz, aujourd’hui Arras.
Dérivés en -5na — . On a d’une part Axôna > Axôna (Ausone)
= Aisne riv. ; Matrôna > Matrôna (Horace, Ovide, etc.) = La
Marne riv. ; *Sinnôna > *Sinnôna = la Senne riv. (Brabant)
— ; de l’autre Divôna = Dionne (com. de Chatellenot-sur-Pouilly)
Côte-d’Or ; Latôna = Losne Côte-d’Or ; Matrôna = la Maronne
ruiss. Hte-Marne ; Perrôna = Péronnes Somme ; Senôna = Senones
Vosges, Senonnes Mayenne ; Verôna = Véronnes Côte-d’Or ; etc. ;
et en dehors du domaine d’oïl : Divôna = Divonne-les-Bains Ain ;
Magalôna = Maguelonne Hérault ; Matrôna = Meyronne Lot,
Meyronnes B.-Alpes ; Narbôna — Narbonne Aude ; Verôna —
Véronne Drôme ; etc.
Remarque I. — La conservation de l’accentuation originelle, avec
abrègement de la pénultième, se constate en latin non seulement pour
Axôna et Matrôna (cf. ci-dessus), mais encore pour Epôna (< *Epôna),
attesté chez Juvénal et Prudence. Noter encore, à côté de *Divôna, seul
à avoir laissé des continuateurs en gallo-roman, le proparoxyton Divôna,
chez Ausone ; cf. Aou-^ova, pour *Ar]ojova (capitale des Cadurci, auj. Cahors),
chez Ptolémée.
Remarque II. — Sanconna (> la Saône riv.), seule forme attestée en
latin, présente un suffixe -onna. Le préceltique connaissait en effet, à côté
de -ôna, un autre suffixe, lui aussi proparoxytonique, -onna ; cf. parallè­
lement i-êna : lenna, -ïna : linna, lüna : -unna. Le suffixe -ôna a pu deve-
146 PRELIMINAIRES

nir en latin, comme on l’a vu plus haut, -ôna ou -ôna ; mais -onna n’a pu
donner que -ônna. On a donc eu en latin deux terminaisons paroxytoniques :
-ôna et -ônna. Une confusion semble s’être produite entre elles, comme
le prouvent les doubles graphies que l'on a parfois pour le même mot :
-ôna a pu être remplacé par -ônna et -ônna par -ôna. En gallo-roman, le
fait importe peu, le résultat étant le même dans les deux cas. Par suite,
en l’absence d'attestations datant de l’époque latine, il est souvent impos­
sible de savoir pour telle ou telle forme d’aujourd’hui la nature exacte
du suffixe primitif.
Mais dans le cas des dérivés en -êtes et -ütes, le modèle pour la
paroxytonisation a fait défaut en latin, ce dernier ne possédant
que -ète (type pciriètem) ou -üti. C’est pourquoi, malgré leur pénul­
tième originellement longue, Vénëtes, Nàmnëtes (cf. Nannëtes
chez Priscien), Càlëtes sont devenus Vénëtes, *Nâmnëtes, Câlëtes ;
d’où en français Vannes, Nantes, Caux. De même, Cdrnütes (cf.
l’adaptation Carnüti chez Tibulle ; l’adj. carnütëna chez Paulin
de Périgueux) a passé à *Càrnütes, d’où en français Chartres.
IJ y a cependant un cas où la paroxytonisation était inévi­
table. C’est celui des dérivés préceltiques Lémausum, Némausum
qui ont donné en français Limours (Seine-et-Oise) et Nemours
(Seine-et-Marne). La diphtongue au de la terminaison -ausum
ne pouvait prendre en effet en latin une valeur de brève. Si pour­
tant Némausum et *Nimausum sont représentés par. Nemze en
ancien provençal et par Nisme(s) en ancien français (fr. mod.
Nimes), c’est qu’on a eu des formes Némasum ou *Nimasum (cf.
Nemasus en 950), provenant d’une réduction ancienne de au à
a ; cf. en Italie Pésaro < Pisaurum.

R em arque . — Les mots romans de la même famille que « seigle » remon­


tent soit à des formes paroxytoniques. sëcâle, -a, soit à des formes propa-
roxytoniques sëcâle, -a. Pour la quantité de a dans le latin classique secale
on n’a aucun renseignement prosodique. Cette alternance de quantité pour
ce qui est de la pénultième, jointe au fait que la voyelle finale est tantôt
-e, tantôt -a, laisse supposer un type étymologique *s'êkâla, avec l’accent
sur l’initiale et un a pénultième long. Ce type est évidemment prélatin
et l'accentuation initiale s’accorde avec celle de l’albanais thékara ou celle
du lesgue méridional (Caucase) selcil, sukul. Parallèlement à ce qui a eu
lieu dans plusieurs des cas étudiés plus haut, *sëkàla a pu conserver son
accentuation et, avec l'abrègement de la pénultième longue, donner soit
*sëcâla (cf. p. ex. v. prov. segla, ital. ségala, lombard segra, sicil. sigra,
ces deux derniers avec passage de / à r), soit sëcâle (cf. p. ex. prov. segle,
séguel, ital. ségale, cat. ségol pour séguel) ; d’autre part, la pénultième
longue a pu être conservée, d’où *sëcâla (cf. vénit. triest, segâla, mantov.
zgala, roum. secàrâ avec passage de / à r). Les formes de l’ancien français :
seile, solle et seille, qui survirent encore dans les patois, remontent les
deux premières à sëcâle, par l'intermédiaire *seyele, la troisième à un type
*sëc(ila, avec adaptation de -âla en -üla, comme le v. ital. ségola. Quant
au fr. seigle, il est d’origine méridionale.
l ’accent en latin 147

b) Mots celtiques ou préceltiques à pénultième brève


A l’inverse du cas précédent, la voyelle pénultième brève de
certains mots celtiques ou préceltiques, bien que se trouvant en
syllabe ouverte, a pu recevoir l’accent soit en latin soit beaucoup
plus tard.
Il faut évidemment laisser de côté les composés celtiques en
-dübron. Étant donné en effet que dans le latin parlé *colôbra,
tenëbras, etc. se prononçaient *colôbbra, *tenëbbras, etc. (cf. p. 152),
les composés celtiques *Vernôdübron, *Vernâdübron ont dû passer
à *Vernodubbru, *Vernodâbbru dans la bouche des soldats et des
colons latins ; d’où Verdouble riv. (Aude), Vernazobre ou Berna-
sobres riv. (Hérault). On n’a pas besoin du reste de recourir
à l’action analogique du mot simple Dübru, c’est-à-dire *Dûbbru,
qui présente lui-même des continuateurs ; cf. Douvre riv. (Ain),
Douvres riv. (Calvados), etc.
Mais d’autres cas sont plus embarrassants. Ainsi, Cöndäle dont
l’a est bref (cf. J. Vendryès, Mém. Soc. Ling, de Paris, XIII,
p. 394) a donné régulièrement des formes du type Condes (Hte-
Marne, Jura), Candes (Indre-et-Loire), Condres (Lozère). Cepen­
dant on note Condé (Aisne, Eure, Indre, Meuse, etc.) et dans le
Midi de la France Condat (Dordogne, Gironde) ou Conat (Pyr.
Or.), ce dernier avec passage de -nd- à -n-, qui tous supposent
une accentuation Condâte. Sans doute, sous l’influence des mots
latins en -as, -âtis, le nominatif celtique *Condas « confluent »
a pu déterminer en latin des cas obliques en -al-.
L’o du celtique (ou préceltique) bona était vraisemblablement
bref ; cf. ’IouXiößova chez Ptolémée, le dérivé Bovama chez le
même auteur ou Bônônia chez Martial et Silius Italicus. Si cepen­
dant le composé Juliôvona est devenu Lillebonne (Seine-Inf.),
c’est sans doute que l’action du mot latin bona a entraîné une
nouvelle accentuation Juliobôna.
Isère < Isàra (avec ï, au contraire de Isâra = Oise, avec ï),
Lozère < Lesüra, Vézère < *Visara ou *Visëra sont des formes
empruntées la première au franco-provençal, les deux autres
aux parlers d’oc, où elles s’expliquent par un déplacement d’ac­
cent dans des types autrefois proparoxytoniques (pour ce phé­
nomène, cf. Eva Seilert, Die Proparoxytona im Gallo-romanischen.
1923, passim).
Genàva est représenté ordinairement en v. fr. par Genne,
parfois par Janv(r)e. Des prononciations proparoxytoniques
sont encore signalées aujourd’hui en franco-provençal ; cf. Jœneva
en Savoie (V. Duret, Gramm, savoyarde, édit. Koschwitz, 1893,
p. 18) et Dçnave avec D — interdentale sonore de l’angl. father,
dans le Canton de Genève (Ose. Keller, Der Genferdialekt, 1919,
p. 135). Mais comme dans le cas de Isère, un déplacement d’ac­
cent a eu lieu, d’où aujourd’hui Genève.
Quant à Allobroges, Nitiobroges, composés en -broges, ce sont
des mots savants.
US URKMMINAIRF.S

1'no question plus embarrassante est celle des noms propres


celtiques terminés en -onem, -ones. On a d’une part en français :
Langres llte-Marne, Rennes Ille-et-Vilaine, Saintes Char.-Marit.,
Sens Yonne, Tours Indre-et-Loire, qui remontent à des propa­
roxytons : Lingônes, Redîmes, Sântônes, Sénônes, Türônes —, et
de l'autre A vallon Yonne, Avignon Vaucluse, Dijon Côte-d’Or,
Mâcon Saône-et-Loire, Soissons Aisne, Usson Puy-de-Dôme,
Vaucluse, Vienne, ainsi que beaucoup d’autres, qui supposent
-ônem ou -ânes : Aballônem, Avenniônern, Diviônem, Matiscônem,
Suessiônes, l'cciönem, etc. Dans la déclinaison celtique, seul le
nominatif singulier avait une voyelle désinentielle longue : aux
autres cas, cette voyelle était brève : type *Redü nom. sing.,
*Rcdônos génit. sing.*(= Rennes). L’ô de Aballônem, Avenniônern,
etc. n’est donc pas primitif ; cf. d’ailleurs o bref dans AùysôcrTa
(Lsrrovuv = Soissons dans Ptolémée II, 9, 11. On peut se de­
mander pourquoi l’o pénultième, originairement bref, est resté
bref dans tel cas et est devenu long dans tel autre, d’où tantôt
des proparoxytons et tantôt des paroxytons en latin. On constate
que ce sont les noms propres singuliers qui sont représentés par
des paroxytons : la présence d’un nominatif singulier en -ô (adap­
tation latine du gaulois -ü) a déterminé en latin un accusatif
singulier en -ônem, sur le modèle du type latin praedô : praedônem
(le de -ônem étant ici lui-même analogique du nominatif singulier).
Là où le modèle du nominatif singulier faisait défaut, cette action
analogique n’a pas eu lieu et la pénultième a conservé son carac­
tère bref. C’est le cas des noms propres seulement usités au plu­
riel : Lingônes, Rédônes, etc. ; cf. en particulier les appellations :
Civilas Lingônum, Civïlas Redônum, etc. Le pluriel Suessiônes
fait pourtant exception : il est devenu Suessiônes. Mais ici l’accent
a dû se déplacer sur la pénultième qui était plus ouverte et ce
déplacement d’accent a entraîné à son tour un ô, conformément
aux lois latines de la pénultième. Le même phénomène s’est sans
doute produit aussi dans Julióbóna, après son passage à Julio-
bôna : bôna accentué a dû se transformer en *bôna.

d) M ots germaniques

Quelle que soit la date de leur emprunt, les mots germaniques


n’ont pénétré en latin ou en gallo-roman qu’en subissant une
certaine adaptation. En particulier, les mots qui se terminaient
par une consonne ont pris une désinence vocalique, ce qui fait
qu’un monosyllabe est devenu dissyllabique, qu’un dissyllabe
est devenu trissyllabique, etc. Quant à ce qui concerne l’accent,
on peut dire que les mots germaniques à désinence vocalique
ou les formes secondaires à finale vocalique issues de mots ger­
maniques terminés par une consonne se sont conformés en prin­
cipe aux lois de l’accentuation latine.
Les monosyllabes germaniques, tous terminés par une consonne
et devenus de ce fait dissyllabiques, ont donné des paroxytons.
l ’accent en latin 140
Ainsi frk. balo, bank, bang, brand, brrjZ, etc. ont été latinisés en
*bdldu, bâncu, *bangu, *brcmdu, *brôda, etc., d’où en français
bant « joyeux » (vx.j, banc, bou « anneau » (vx.), brant « épée »
(vx.), broue « petit nuage blanc » (vx.), etc.
Les dissyllabes germaniques terminés en -a ou -ja, tous paro­
xytons, le sont restés. Ainsi frk. bdlla, hdga, hdnka, rauba, wërra,
bôrstja, hapja, krtppja, etc. ont été adoptés tels quels en Gaule,
d’où, après évolution, balle, haie, hanche, robe, guerre, brosse,
hache, crèche, etc., avec -e anciennement prononcé.
Enfin dans les formes latinisées provenant de dissyllabes ger­
maniques terminés par une consonne, et de trissvllabes, quadris-
syllabes germaniques terminés par une voyelle ou une consonne,
la place de l’accent a été conditionnée par la nature brève ou
longue de la pénultième. Ces mots se sont donc conformés aux
règles de l’accentuation latine.
Dans le cas d’une pénultième brève, on a eu des proparoxytons :
Ex. : frk. filtir, fôder, gaiber, héster, leder, màser, Über, wimpil,
etc. > lat. *ftltïru, *f$dëru, *gaiberu, *hésteru, *l$deru, *màseru,
*ttberu, *wimpilu, etc., d’où feutre, jeune, givre, hêtre, leurre, vfr.
masdre « bois madré », v. fr. atoivre « animal », v. fr. guimple
(auj. guimpe), etc.
frk. dlina, brâhsima, faihipa, fdrwida, fliugika, haunipa, krin-
gila, lûdera, nâstila, skdnkila, etc. > aune (arbre), brtme, v. fr.
faide « droit de la guerre », v. fr. farde (auj. fard), flèche, honte,
v. fr. fringre-fringue « danse en rond », v. fr. lure « lange », v. fr.
nasle-lasne «lacet, lien» (cf. lanière), v. fr. esclanche «massue»,
etc.
Au contraire, si la pénultième était longue par nature ou par
position, on a eu des paroxytons :
Ex. : frk. died, âtgêr\ skdpin, Haimrik, fàldistôl, widarlôn, Hlo-
dowïg, etc. > lat. alçdu, *atgçru, *eskapïnu, *Haimrîku, *fal-
distçlu, *widarlônu, Lodowïkus, etc., d’où alleu, v. fr. agier «jave­
lot », échevin, Henri, v. fr. faudestuel (auj. fauteuil), v. fr. guer-
redon « récompense » (croisement avec le latin donum), v. fr. Looïs
(auj. Louis), etc.
frk. hdrmskära > v. fr. haschiere « légère indisposition ».
frk. hdlsberg, hàring, màrisk, Hrôpberht, Hrôpiand, Ishild,
mdrahskalt, séniskalk, Bernhard, Raginhard, Hlodowing, etc. > lat.
*halsbérgu, *haringu, *martscu, Rotbértu, *Rotldndu, Isildu, ma-
riscdlcus (Lex Salica), seniscàlcus (Leges Alamannorum), Ber-
nàrdu, Raginhârdu, *Flodowlncu, etc., d’où v. fr. hausberc, hareng,
marais, Robert, Roland, Iseut, maréchal, sénéchal, Bernard, Rai-
nard-Renard-Regnard, v. fr. Floovant, etc.
frk. àlisna > alêne, lausinga > v. fr. losenge « flatterie, parole
perfide ».
150 PRÉLIM INAIRES

R emarque-I. — Le frk. btdïl a donné en v. fr. bedel (auj. bedeau), par


l'intermédiaire d’une forme latinisée *bïdellu, refaite sur le frk. à l’aide
du sutlixe -èllu. Le type latinisé *bîdïlu aurait abouti en v. fr. à *beidle-
*beidre.

R em arque II. — Dans les composés germaniques latinisés dont la pénul­


tième est brève par nature, l’accent a pu se reporter sur cette dernière
sous l'influence du mot simple employé comme second élément. C’est le
cas en particulier des composés en -bödo et -frïdu ; cf. frk. Maginbödo,
Marbödo, etc. > v. fr. Mainbue, Marbue (auj. Marbeuf), etc., avec ue
provenant de ö accentué, et frk. Ansifrid, Maginfrid, etc., latinisés en
Ansïfrïdu, Maginfridu, etc. > Anfrog, Mainfroy, etc., avec diphtongaison
de é provenant de î.

R em arque III. — Au cours de la latinisation, les noms germaniques


masculins en -o sont restés tels quels et se sont conformés aux règles de
l’accentuation latine ; cf. frk. baro, Hûgo, Mîlo, Namo, Otto, Wïdo, Namïlo,
Wanïlo, Wàrïno, etc. > v. fr. ber « baron », Hue, M il(l)e, v. fr. Naim e(s),
v. fr. Ote (s), Guy, v. fr. N a(i)m le(s), v. fr. Guen(e)le(s), Guerne, etc.,
auxquels il faut ajouter l’adverbe guère < frk. waigâro. Mais la termi­
naison inaccentuée de l’accusatif : -on a été latinisée en -ônem, avec l’ac­
cent sur 5. Ainsi frk. bàkon, baron, brâdon, flâdon, mdkjon, skân jon, spóron,
wdrkjon, ’Aldon, Hügon, Mïlon, Ndmon, ’Otton, ’Aldïlon, ’Adalbëron, Want-
Ion, etc. sont devenus *bacônem, *barônem, etc., d’où v. fr. bacon « pièce
de lard salé», baron, v. fr. braon «pièce de viande rôtie», v. fr. flaon (auj.
flan), maçon, échanson, éperon, garçon, Audon, M il(l)on, v. fr. Naimon,
Othon, v. fr. Audelon, Aub(e)ron, v. fr. Ganelon, etc.

Parallèlement les noms propres féminins germaniques en ’-a, 1an ont pris
à l’accusatif la terminaison -âne ; cf. ’Alada > Aude, Bértha > Berte,
G'isïla > v. fr. Gisle, etc., mais Aldan > Aldànem > v. fr. Audain, Bér-
tan > Bertànem > v. fr. Bertain, Gisllan > Gisilânem > Gislain- Guis-
lain, etc.

R em a r q u e IV. — Les terminaisons inaccentuées des infinitifs germa­


niques : -an, -ôn, -jan, -jôn ont été adaptées soit en -are, soit en -ïre,
accentués ; cf. brëkan > *brê are > broyer, wardôn > *wardare > garder,
hatjan > *hatïre > haïr, bisônnjôn > *bisonniare > besogner, etc.

R em a r q u e V. — L’accentuation du latin Sdxônes ( > v. fr. Saisnes)


est calquée sur celle de la forme germanique correspondante ; cf. allem,
mod. (plur.) die Sachsen.

C. — D é p la c e m e n ts d Ja c ce n t d a n s le latin p a r l é lI

Il y a parfois désaccord sur la place de l’accent entre les formes


du latin littéraire et les formes latines qui sont à la base des mots
romans.
Ce désaccord n’implique pas nécessairement que l’accent se
soit déplacé dans le latin parlé ou le latin tardif. S’il y a eu de
véritables déplacements, d’accent, d’autres par contre ne sont
qu’apparents et la différence d’accentuation s’explique par d’au­
tres raisons.
l ’a c c e n t en l a t in 151

a) Déplacements d'accent apparents


Dans certains cas, le désaccord qui existe quant à la place de
l’accent entre les formes du latin littéraire et les formes du latin
parlé continuées par les langues romanes et le français en particu­
lier pourrait faire croire que l’accent se serait déplacé dans ces
dernières. En réalité il n’en est rien.
1° Type fécërunt. — Tandis qu’en latin littéraire la 3e pers.
plur. des parfaits forts se termine en -érunt, c’est -ërunt qu’il
faut admettre à la base des formes françaises, provençales, ita­
liennes, etc. ; cf. fécërunt > fr. firent, v. fr. feiron, it. féccero,
etc., pré(n)sërunt > v. fr. prisdrent (auj. prirent), v. pr. preiron,
it. présero, etc., debûërunt > fr. durent, v. pr. degron, it. débbero,
etc.
Il en est de même à la 3e pers. plur. des parfaits faibles. Ainsi
amârunt, audirunt, etc., auxquels remontent entre autres fr.
aimèrent, ouïrent, etc., ital. amârono, udirono, etc., proviennent
de la réduction de amâvërunt, audïvërunt, etc., formes du latin
parlé qui s’opposent à amavërunt, audivërunt, etc., formes du latin
littéraire.
Cependant le latin parlé n’a rien innové : la désinence -ërunt
est originelle. Elle remonte régulièrement à un plus ancien *-ïs
-f ont. C’est au contraire -érunt qui ne l’est pas. Le latin possédait
en effet une autre désinence -ère, tirée de la voix moyenne. En
se combinant avec -ërunt, elle a donné naissance à -érunt.
La désinence -ërunt n’a pas eu la faveur de la langue littéraire.
A peine la rencontre-t-on chez les poètes scéniques, chez Horace
et Phèdre. Les grammairiens latins l’ont continuellement criti­
quée ; cf. Servius (in Donat., Keil, IV, 144). Mais elle a dû conti­
nuer à être en usage dans la langue parlée, puisque c’est elle qui
a survécu dans nombre de langues romanes.
R emarque . — Là où il y a eu innovation, c’est dans le latin parlé d’Es­
pagne, où sur le modèle de la conjugaison faible, numériquement la plus
importante, les parfaits forts ont déplacé leur accent sur la pénultième
à la 3e pers. plur. Sous l’influence des types amârunt, audirunt, etc.,
la terminaison -érunt de fëcêrunt, vënërunt, etc. est devenue paroxytonique,
d’où esp. hicieron, vinieron, etc. Quant à ce déplacement d’accent, il n'a
pu se produire que lorsque, après le bouleversement quantitatif (p. 213),
le latin d’Espagne en était venu à posséder dans son système vocalique
un e ouvert long relâché. C'est cet e accentué qui est à l’origine de la diph­
tongue ie des formes espagnoles citées ci-dessus.

2° Type *intêgru. — En face des formes proparoxvtoniques


du latin littéraire côlübra, integrum, ténëbras, tônïtrum, le latin
parlé possédait *colâbra, *intêgru, tenêbras, tonttru, d’où pro­
viennent en franç. : couleuvre, entier, tonnerre (ténèbres est savant),
en esp. : culebra, entero, tinieblas, en it. : intiero.
On parle ordinairement ici de déplacement d’accent : les formes
proparoxytoniques seraient devenues paroxytoniques dans la
langue parlée.
1.V2 PRELIMINAIRES

Cependant le vocalisme de la pénultième dans le lat. parlé


*colÔbra, *intfgru, *lenèbras et même dans le lat. litt, intëgru(m),
tinèbras, indique qu’à l'époque où le latin possédait l’accent
d'intensité initiale la pénultième se trouvait en syllabe fermée.
Le timbre de cette dernière ne s’explique en effet qu’en sup­
posant à ce moment *côlobbra, *intè°grom, *ténëbbras. De fait
la gémination du premier élément des groupes consonne + r trans­
paraît encore à l’âge littéraire avec les scansions nïgro (Ennius),
nïgros (Ovide), âgris, âgricola, pâtrem (Virgile), ütrumque (Ho­
race). etc. Lors de la perte de l'accent d’intensité initiale et de
l'établissement de la nouvelle accentuation, dans laquelle
la quantité de la pénultième a joué le rôle que l’on sait, *cólöbbra,
*intèJgrom et *ténëbbras ont passé régulièrement à *coldbbra,
*inlésgrom et *tenëbbras. Ce n’est qu’après que les groupes -bbr-
et -çgr- se sont réduits à -br- et -gr-. Il en est résulté *colôbra,
*intégrom, *tenèbras. Ce sont ces formes qui se sont continuées
dans la langue parlée. On les rencontre aussi dans la langue litté­
raire (cf. tenébrae chez Quintilien) ; mais seulement à l’état d’ex­
ceptions. Le latin littéraire, en effet, semble avoir adapté ces mots
aux lois de l’accentuation qui régissaient la langue : la pénultième
étant brève et en syllabe ouverte, il a reporté l ’accent sur l’anté­
pénultième, d’où côlübra, intëgru(m), ténëbras. L’analogie peut
d’ailleurs avoir joué son rôle : influence de coluber (avec un û
provenant de ö intérieur en syllabe ouverte et devant b) dans le
cas de côlübra (et non *cólöbra), d’inlëger (avec un ë analogique
des cas obliques) dans celui d'intëgm(m). Ainsi, en tenant compte
des formes les plus anciennes, ce serait le latin littéraire qui aurait
opéré un déplacement d’accent, et non le latin parlé ou populaire.

R em arque I. — La difficulté qu’a éprouvée à un moment donné le


latin d’articuler les groupes intervocaliques consonne + r sans géminer
la consonne aura son pendant en gallo-roman septentrional lorsque la
syncope vocalique aura amené la création de groupes intervocaliques con­
sonne — l. Ici aussi la consonne sera géminée^ et en conséquence la diph­
tongaison de é, ô, à longs n’aura pas lieu : *lrïf(ôjlu > v. fr. trefle et non
*Ireifle, *doblu (< düplu) v. fr. doble et non *deuble, tab(ù)la > v. fr.
table et non *teble, etc.
R emarque II. — D’après ce qui a été dit ci-dessus, le latin parlé *lonîtru
est régulier au [joint de vue de l’accentuation, mais non pour ce qui est du
timbre de la pénultième. On attendrait Jat. arcli. *tônèHrom > *tonêtru(m).
L’ï de *lonltru s’explique sans doute par une réfection de *tônëttrom en
*tonlHrom, sur le modèle de l’ancien part, passé *tônïtom (lat. cl. lonïtum)
< *l6nitorn.
R emarque III. — Le lat. litt, pâlpêbras a donné naissance en ancien
français â palpres ; cf. aussi en ital. pàlpebre. Mais le français actuel n’a
que paupière nui suppose un type *palpêtra. Ce *palpëtra est une défor­
mation de "palpebra, que l’on retrouve dans le catalan palpebra. Palpebra
et *palpltru appartiennent à la langue parlée et présentent une accentua­
tion qui s’explique d’une manière analogue à celle de *colÔbra, intêgru, etc.
Rj marquf. IV. — a 1’époque de l’intensité initiale, le latin a possédé
un masculin *pu\hirr (nom.), *]mlléttrom (accus. ) et un féminin *pullëHra.
Après le passage de *pûlléler à pullïter, on a eu par analogie un accusatif
l ’accent en la tin 153

*pàUïHrom. *PùlWlrom el *pultittrom sont ensuite devenus, par suite de la


nouvelle accentuation latine, *pûlU,trom et *pülHttrom, d’ou *p(dlèlru(m)
et *ptdltlru(m), qui sont à la base, le premier du vénitien pulièro et du
logoudorien puddèdru, le second de l’ital. littér. pul(l)édro et de l’ital.
mérid. puddUrii. Cependant, à une époque postérieure à la réduction de
-llr- à -tr-, le nomin. pâüitcr a servi à refaire un nouvel accusatif masculin
*pûllïlru et un nouveau féminin *püüïtra. *Pûllïlru, syncopé en *pültru,
puis réduit par dissimilation à *pülru, a donné podro en espagnol. Quant à
*pûllïlra, syncopé lui aussi en *pUltra, il est à l’origine du "franç. poutre,
qui anciennement signifiait «jeune jument ».
L’opposition que présente le latin parlé entre *lontlru et *pûUUru (celui-
ci avec déplacement de l’accent, celui-là avec conservation de l’accent
sur la pénultième) s’explique facilement par l’absence dans le premier
cas d’une forme nominative *tônïter qui aurait pu servir de point de départ
pour la réfection.
C’est encore l’existence d’un nominatif integer qui a permis le dévelop­
pement dans le latin parlé d’un accusatif masculin întêgru(m) et d’un fémi­
nin intégra, indépendants des formes homonymes du latin littéraire, et que
l’usage a transformés, par métathèse, en *intregu, -a, d’où v. fr. entre ; cf.
aussi esp. entregar < ïntegrare.
R emarque V. —■ De même, le gr. xjtOsopa est devenu cathedra en lat.
litt., mais *cateädra en lat. parlé. La réduction de la géminée ayant eu
lieu avant la diphtongaison de ë, *cateddra a abouti à v. fr. chaière, auj.
chaire et chaise.
R emarque VI. — Le gr. çspsvpov a été emprunté par le lat. litt, sous
la forme fêrètrum. La forme correspondante du lat. parlé aurait été *fi~
reHru. Mais le continuateur attendu pour ce dernier : *feriere n’existe pas.
A la place on trouve en v. fr. des formes fiertre et, par dissimilation, fierté
qui remontent à fèreiru. Il n’y a rien de surprenant à cela, le mot qui signi­
fie «reliquaire, châsse » appartenant au lexique ecclésiastique. Bien que
d’origine savante, il a participé à toutes les phases de l’évolution : diph­
tongaison de ê et syncope de la pénultième atone. Au contraire la diph­
tongaison est absente dans les autres formes du v. fr. : fertre, fertere.
3° Noms de dizaines. — En latin vïgïnlî, Irïgïnla, quadragïnia,
etc. étaient normalement accentués sur la pénultième. C'est d'ail­
leurs ce qu’enseigne indirectement Consentius (Keil, V. 392, 4)
en qualifiant triginta de barbarisme. Cependant la plupart des
romanistes font remonter les continuateurs de ces numéraux à
des types proparoxytoniques : il y aurait eu. d’après eux, un
changement d’accentuation dans le latin parlé.
De fait, une accentuation *quadràgïnta est parfaitement inutile,
et s’il y a eu un déplacement d’accent, ce n’est pas dans le type
étymologique lui-mème qu’il faut le chercher, mais bien au cours
de son évolution, ce qui est différent.
Soit en effet quadraginta en composition, par exemple dans
quadragïnia 1res. Ici 17 de. quadragïnia a dû perdre un peu de sa
force, l’accent principal portant sur ires. Après le passage de -g-
à -y- et la fusion de ce dernier avec 17 suivant, on a eu *quadrainta
1res, avec un groupe aï dans lequel l'accent s'est déplacé sur a,
voyelle plus ouverte. D’où *qua(d)raïnta, puis *qiui(d)ràynta
(fermeture de ï inaccentué en hiatus), et finalement *qua(d)ranta
( > fr. quarante, ital. quaranta, etc.), forme qui s'est ensuite géné­
ralisée hors de la composition.
154 PRELIMINAIRES

R emarque. — Le v. esp. cuaracnia (auj. cuarenta) s’explique proba­


blement par quadragtnta non suivi d’un autre numéral. Dans ce cas qua-
draginta conservait toute la force de l’accent, et lorsque son î est venu au
contact avec a, toujours par suite de l'absorption du y provenant de -g-,
il s'est maintenu accentué.
Quant à vïgintï et à trîgïnta, qu’ils fussent suivis d’un autre
numéral ou non, ils ont dû aboutir tout d’abord à *vïntï et *trïnia :
la contraction de ï et ï, dont le rapprochement avait été déterminé
par la chute du y < -g-, n’a pu avoir d’autre résultat que ï. Mais
à leur tour, lorsqu’ils étaient suivis d’un autre numéral et qu’ils
avaient ainsi perdu en partie leur accent, *vïntï et *trïnta ont
passé à *vïntï et *trïnta, d’après la tendance des longues inaccen­
tuées à s’abréger (p. 184). Ces formes se sont ensuite généralisées
hors de la composition. Dans *vïntï, le timbre de ï s’est conservé
sous l’action dilatrice de l’f final ; dans *trïnta, cette action n’ayant
pu avoir lieu, 17 s’est ouvert normalement en e. D’où franç. vingt,
avec un [ê] provenant d’un ancien i nasal, et trente, avec un [âj
qui continue un ç nasal primitif ; cf. aussi v. pr. vint et trenta,
esp. véinte (vx. veinte) et trenta, etc.
R em a r qu e I. — Si l’italien qui fait uenti et trenta ne présente pas cette
différence de vocalisme, c’est qu’il ignore l’action dilatrice de i final sur
un ï précédent ; cf. 2e pers. sing. parf. -ïstï > -esli.
R em a r qu e II. -— Après ce qui a été dit plus haut, il est possible d’inter­
préter correctement le triginla blâmé par Consentius. D’aucune façon,
ce ne peut être la prononciation du latin littéraire : elle s’oppose à tout ce
qu’on sait de l’accentuation latine. Ce ne peut être non plus la prononcia­
tion du latin parlé, car à l’époque de Consentius il y avait longtemps que
le -g- suivi de i ou de e avait passé à y. Triginta doit être le fait de person­
nes à demi-cultivées qui voulant employer la forme littéraire trigintq,
avec g et non y, se sont laissées influencer par la forme parlée *trïnia, accen­
tuée elle sur la première syllabe.

4° Type Sinèriu > Sendre. — Dans certains noms de saints de


l’ancienne langue, la place de l’accent semble ne pas correspondre
à celle de l’original latin ; cf. Eutychius > Eye et Qye, Hesychius
^ Hisque, liomàdius > Rome, Sinérius > Sendre, Venérius >
Vendre, etc. A première vue, en effet, on pourrait penser que dans
le latin parlé l’accent a avancé sur l’initiale. En réalité, les formes
françaises remontent non à des nominatifs ou à des formes de cas
obliques, mais à des vocatifs Éutychi !, Hésychi 1, Rômadi !,
Sirieri !, Véneri !, d’usage fréquent dans les invocations. Ici encore
le déplacement d’accent n’est qu’une illusion.

5° Mercredi. — Le fr. mercredi semblerait faire croire que dans


Mercurii (die), le réduction de -ii- en -i- aurait amené un dépla­
cement d’accent sur la première syllabe, conformément au sys­
tème d’accentuation latin ; d’où la chute de ü (ou de son conti­
nuateur g) devenu atone ; cf. P. Marchot, Pet. Phon, du fr. pré-
liü., p. 19. En réalité, le v. fr. mercresdi, de même que le v. prov.
'tirntrcres-dimecres, montre que l’on a affaire ici non à Mercûrii
mais a Merciris, d’ailleurs attesté.
l ’ACCENT EN LATIN 155

b) Déplacements d'accent réels

Ces déplacements s’expliquent soit par la phonétique syntacti-


que, soit par l’analogie, soit encore par l’une et l’autre à la fois.
1° Phonétique syntactique. — Le démonstratif ïlle, employé
comme pronom personnel, a conservé son accent sur ï ; cf. tilt
(ilia) amat > il (elle) aime. Mais en fonction d’article devant
un nom, il a perdu de son intensité. Son accent, devenu secon­
daire, s’est alors déplacé sur la dernière syllabe sous l’appel du
nom suivant. D’où *ïllù (mûru), *ïllà (porta) qui, après l’aphé­
rèse de la voyelle initiale, sont devenus *lü (m uru), *la (pârta)
avec cette fois-ci perte complète de l’accent.
R e m a r q u e . — L’accent aigu sur la voyelle indique l’accent principal ;
l’accent grave, l’accent secondaire.
De plus, tandis que meus, mëa, tuus, tua, etc., employés comme
pronoms, maintenaient l’accent sur la première syllabe, ils l’ont
déplacé sur la seconde, pour la même raison que ci-dessus, lors­
qu’ils étaient adjectifs. Devant un nom, on a eu mëùs, mëà, tüùs,
tüà, etc. Dans le latin parlé, ces formes sont devenues régulière­
ment *myùs, *myà, *twùs, *twà, etc. ; cf. déjà mius, mia, etc.,
monosyllabiques, chez les poètes comiques. D’où par suite de
l’amuissement de y et de w, mus, ma, tüs, ta, etc., cette fois sans
accent. Ces formes réduites sont aussi très anciennes. On trouve
sos ( = suos), sas ( — suas), sam ( = suam ), sis ( — suis ) chez
Ennius, et il est probable que mus, müm, mös, bien qu’attestés
beaucoup plus tard, sont de la même époque.
2° Action de l’analogie. — On la constate surtout dans le sys­
tème verbal.
Dans ce système, elle a pu s’exercer tout d’abord à l’intérieur
d’un même paradigme. Ainsi la terminaison -ïmus de la l re pers.
plur. des parfaits forts est devenue -imus, d’après celle de la 2e
du pluriel -îstïs (cf. lat. litt, misïmus > lat. parlé mïstmus). —
La terminaison -uërunt des 3e pers. plur. des parfaits en -ui a
passé à Lwërünt sous l’influence de hàbûit > hâbwit (cf. lat. litt.
habûërunt > lat. parlé hâbwërunt). — D’après *cÔpris, *côprit,
issus par syncope de *cÔperis, *cÔpërit, on a eu côprio et copriuni
pour *côpêrio et *copériunt.
L’action de l’analogie a pu aussi s’exercer d’un paradigme à
un autre. Ainsi d’après *bàttwo, battwis, etc. ( < bâttüo, battais,
etc.), l’infinitif battuëre est devenu bâttwere. La chute de w anté-
vocalique a ensuite déterminé *bâtto, *battis, etc. et * bóttere. De
même d’après *côswo, *c5siois, etc. ( < cônsüo, cônsüis, etc.) ou
a eu à l’infinitif côswere, d’où par chute de w : *cóso, *côsis, etc.
et *càsëre. — D’autre part *cÔlgo, *côlgis, etc. ( < cëllïgo, cullïgis,
etc.) ont amené la réfection de côlllgïmus, côlltgïtis et de côlltgëre
en *côlgïmus, *côlgltis (passés ensuite à *cölgtmus, *côlgitis ; cf.
ci-dessous) et côlgëre (passé ensuite à *colgire \ cf. ci-dessous).
156 PRÉLIMINAIRES

D’autres fois c’est une conjugaison qui a agi sur une autre. Ainsi
le type vcndïmus, vendais est devenu vendïmus, vendîtis sous
l'influence de amdnuis, amûtis, debémus, debêtis, dormimus, dor-
mitis. — De même le parfait féï a déterminé le passage de vdluï,
vôlüî. dôlüï, pdrüï et de *côrüï, *môrüî, etc. (déjà eux-mêmes
analogiques) en valâï, volûï, *dolûï, *paréï et *corûï. *moréï, d’où
en français valus, voulus, parus, courus, mourus et en vieux
français dolui — dolu(s).
De plus, un croisement avec le parfait du verbe dare a opéré
la transformation de véndïdï, véndïdit, vendidërunt en vended!,
vendédit, vendédërunt, sur le modèle de dédï, dédit, dédërunt; d’où
en ancien français vendi, vendiei, vendierent. La réfection s’explique
par la ressemblance qu’il y avait entre les terminaisons de vendï-
dtslï. *vendïdtmus (pour vendtdîmus ; cf. ci-dessus), vendïdtstïs,
devenus *vendedtstï, *vendedîmus, *vendedtstis par dissimilation
de -didi- en -dëdï-, et dedîstï, *dedimus (pour dêdïmus, cf. ci-dessus),
dedistïs. La même transformation s’est produite dans les autres
parfaits du même type, soit primaires comme perdïdï, réddïdï, etc.,
soit secondaires comme descendïdî, respôndldï, etc.
A l’infinitif on constate aussi d’assez nombreux changements
de désinence. Ainsi, dès l’époque latine, -ëre est devenu -ère dans
cadëre, sapëre et -ïre dans cupëre, fallëre, fodëre, fugëre, rapëre. A
l’inverse, -ère a cédé la place à '-ëre dans augëre, mordëre, pendëre,
respondëre, ridëre, tergëre, londëre, torquëre. D’où en français
choir, savoir, jaillir, fouir, fuir, ravir, cueillir d’une part, et aoire
(vx., de *ad-augëre), mordre, pendre, répondre, rire, terdre (vx.),
tondre, tordre de l’autre. Dans le latin parlé en Gaule, on a eu des
doublets pour plovëre (lat. litt, pluëre) et docëre, peut-être même
pour ardëre. En outre posse, ville, môri, offérre, sufférre ont été
remplacés par polëre, volëre, *mor!re (cf. moriri chez Plaute),
*offerïre. *sufferîre. Les raisons de ces changements de désinence
sont nombreuses. Cadëre, sapëre, *plovëre, volëre ont été déter­
minés par les parfaits *caduit, sapuit, *plovuit, voluit (cf. habuit :
habëre) ; *cupîre, *fodïre, fugïre, *rapïre par cüpio, födio, fügio,
rapio (cf. dormio : dormire), de même que morire l’a été par morio fr);
*offerîre, *sufferïre par les participes passés offertus, suffertus
(cf. *copertus : *coperiro) ; *aagëre, mordëre, pendëre, respondëre,
*ridëre, *tergëre, londëre, torquëre, *docëre (et peut-être *ardëre) d’une
façon générale par l’emploi fréquent de dicëre, ducëre, facëre, et
d’une façon plus particulière par tel ou tel infinitif en -ëre : *augëre
(cf. legére), *ardére, mordëre (cf. perdëré), pendëre, respondëre, *ton-
dére (cf. accendëre, defendëre, vendëre, etc.), *ridëre (cf. cedëre,
credére, evadëre, etc.), *lergëre (cf. pergëre, spargëre, surgëre, etc.),
torquëre (cf. coquëre, relinquëre), *docëre (cf. dicëre, ducëre).
Enfin, dans les formes verbales proparoxytoniques, compo­
sées à l’aide d’une préposition et accentués sur cette dernière, l’ac­
cent a passé sur le radical, c’est-à-dire sur la pénultième, lorsque
le sentiment de la composition n’était pas perdu. Ainsi âllocat,
côrwënit, dërnôral, éxplicat, implïcal, *renégat sont devenus allôcat,
l ’accent en latin 157
convénit, demôrat, explîcal, implîcat, recipit, *renêgat sous l’in­
fluence de lôcat, vênit, môra, plicat, nëgat ; d’où en français alloue,
convient, demeure, espleiet (vx.), emploie, reçoit, renie. Le même
phénomène s’est produit pour récïpit > recipit, bien que la relation
avec capio ne fût plus sentie ; ici la reconnaissance de re- comme
préfixe a fait que l’accent s’est reporté sur la syllabe suivante.
L’analogie du mot simple a pu d’ailleurs faire que la voyelle radi­
cale du verbe composé ait été modifiée ; cf. displicet > *displâcet
> fr. déplait, *dîsfîcit (pour déficit) > *disfacit > fr. défait, rétinel
> *retênet > fr. retient. Là où la relation avec le verbe simple a
échappé, l’accent est resté sur la préposition, à l’initiale ; cf. côllô-
cat > fr. couche, compütat > compte, involat > v. fr. emble «il vole
(en parlant d’un voleur) ».
En dehors du système verbal, les cas de déplacement d’accent
dus à l’action de l’analogie sont relativement peu nombreux.
Le type cônvënit > convénit se retrouve dans cômpàter > com­
parer (> fr. compère) et pullipëde(m) > pullipéde ( > vfr. porpié,
auj. pourpier), dus à l’influence des mots simples pàter, pêde(m).
Il est à remarquer que commater ( > fr. commère) n’est pas dans ce
cas, l’a de mater étant long et le composé commater par conséquent
accentué sur la pénultième.
Sur le grec a'jy.wTov (r.-nap) « foie préparé avec des figues » le
latin littéraire avait fait flcâtum (fecur). Ce fîcâtum se retrouve
dans le roum. ficàt, le campidan. (Sardaigne) figau, le vénit. figao,
etc. Mais sous l’influence de cOy.ov «figue», crfy.iviç « de figuier »,
une prononciation populaire jü/.wrov semble s’être développée
dans le grec populaire. C’est sans doute cette dernière qui a déter­
miné dans la langue des cuisiniers grecs de Rome un type propa-
roxytonique fïcâtu, immédiatement transformé en fïcâtu. Ce fïcâtu
a donné naissance à l’esp. higado, au port, ftgado, au logoudor.
(Sardaigne) figadu. A son tour, par suite de l’abrègement des
antépénultièmes longues dans les proparoxytons (p. 177), *fïcàtu
est devenu *ficâtu dans le latin parlé ; d’où le fr. foie (xv. feie),
l’ital. fégato, le napol. fêchata, etc. Sans parler des formes méta-
thésées *f'ïtïcu et *ftticu, provenant de *fïcâtu et de *ficâtu, qui
ont donné naissance la première au v. fr. firie, au béarn. hidie,
au lomb. fideg, au piém. fidie, etc., la seconde au v. fr. fege, au
prov., catal. feige, au romain fédico fédago, à l’abruzz. féttacha, etc.
D’autres fois un changement de suffixe a entraîné un dépla­
cement d’accent. C’est ce qui s’est produit dans bucïna (ou biic-
cïna) devenu* büctna (v. fr. buisine) d’après les adjectifs en -ïnus.
3° Action combinée de l'analogie et de la phonétique syntactiiue.
— Il s’agit ici des mots du type parïète(m) et fïltolu(m).
La déclinaison de parïës présentait des formes proparoxvto-
niqucs ou datif et à l’ablatif pluriel ; cf. parïétïbus, et, par suite
de la consonantisation de ï inaccentué en hiatus, paryétibus. Sur
le modèle de ce dernier, partète(m) a pu se transformer lui-mème
4
J
15$ PRELIMINAIRES

en *pary(te(m). De fait, on trouve déjà chez Plaute (Pers., 248)


àbiëtëm employé comme crétique (-u-) et Virgile plus tard
comptera abiète, ariëte, ariëtat pour trois syllabes, ce qui suppose,
dans un cas comme dans l’autre une prononciation yê. Cependant
tant qu’il ne s'est agi que d’une action analogique, l’accentuation
*paryéte a du être somme toute assez rare. Cela d’autant plus que
l'accentuation de paryétïbus s’opposait à celle des autres cas,
plus nombreux et plus usités que le datif-ablatif pluriel. Les
choses ont changé du jour où le changement d’accentuation, de
nature simplement analogique qu’il avait été à l’origine, est devenu
phonétique, et lorsque, l’accent ayant pris suffisamment de force,
des groupes comme parlëte tüa, parlëte ilia ont passé à parïète tüa,
parïète ilia ( = paryète), l’accent principal de tüa, ïlla ayant attiré
à lui l’accent secondaire de parlëte. A son tour, l’accentuation syn-
tactique parïète s’est généralisée, et l’accent secondaire est devenu
principal lorsque le mot n’était pas suivi d’un déterminant accen­
tué.
La déclinaison de fïUôlu(m) ne présentant à aucun cas de
formes paroxytoniques, il est évident qu’on ne peut recourir
pour expliquer le passage à fïlïôlu à une action analogique du
genre de celle dont on a parlé au début du paragraphe précédent.
Ici ce n’est que la phonétique syntactique qui est en jeu ; cf.
fïlïôlu méu > fïlïôlu méu.

Note. — Les changements d’accent survenus après la période


qui se termine avec les invasions germaniques seront signalés au
fur et à mesure de leur apparition.

D. — Mots inaccentués ou devenus inaccentués


en latin ou en gallo-rom an

En latin littéraire, certains mots étaient toujours inaccentués,


ou seulement dans certaines conditions. On ne citera que ceux
qui intéressent plus ou moins directement le français.

1° Les pronoms personnels me, te, se, et nos, vos régimes, à l’in­
térieur de la phrase, non précédés de prépositions ni accompagnés
de autem, quidem, cum (ce dernier dans le cas de me, te, se), lors­
qu’ils se trouvent après un verbe non proparoxytonique ou qu’ils
sont immédiatement suivis du verbe auquel ils se rapportent.
Ex. : ama me, poscit me pecuniam, taedet me vitae, videtur taedere
te vitae, pater nos videt, etc. —, mais : flagïtat mé pecuniam, gra-
tias ago quod mé vivere coegisti, populus sé romanus erexit, etc.

R e m a r q u e . — Les accentuations àd me, in me, intér se, proptér te, etc.,


usitées fréquemment chez Plaute et Térence, ont disparu à l'époque clas­
sique, où on accentue ad mé, in mé, inter sé, propter té, etc.
l ’accent en latin 159
2° Les pronoms relatifs monosyllabiques à l’intérieur de la
phrase, quand ils ne sont pas précédés d’une préposition ou qu’ils
ne sont pas séparés du mot auquel ils se rapportent. Ex. : pater
et mater qui sunt boni; dicam quod senliam ; litterae quas scripsisti ;
adventum tuum cognovi, qui nuntius mihi gratissimus fuit, etc.
— ; mais : quâe cum ita sint, quâe tua est prudentia ; quôd ubi
audivi ; vestra refert qui paires estis ; Cicero, quó nullus disertior
fuit ; voluptas non est digna ad quâm respiciat sapiens ; etc.

3° Les formes verbales monosyllabiques du verbe esse : sum,


es, est, sunt, en position enclitique, lorsque le mot qui précède
n’est pas un proparoxyton. Ex. : consecütus sum, laudâtus est,
honesti sunt, etc. — ; mais : utïlis est, faciles sunt, etc.
4° Les prépositions monosyllabiques ou dissyllabiques. Ex. :
ad patres, de vita decedere, in agro, per urbem, pro aede, trans Rhe-
num, apud omnes, inter homines, sine dolo, super omnia, etc.
R emarque I. — Il en est de même pour les adverbes em ployés com m e
prépositions. Ex. : contra rempublicam, intra maros, juxta viam, supra
terram, ultra montem.
R emarque II. — Les prépositions m onosyllabiques re ste n t inaccentuées
dans le cas d’anastrophe. Ex. : multis de causis; qua de causa; summa cum
cura; qua in urbe, etc. — ; ou lorsqu’elles sont séparées de leur cas. Ex. :
ad bene beateque vivendum ; in bella gerentibus, etc.
R emarque III. — Dans le cas d’anastrophe, les prépositions dissylla­
biques sont accentuées, sauf lorsque suit un com plém ent d éterm in atif
ou un adjectif se ra p p o rta n t au m ot qui précède la préposition. Ex. : vir-
tutem própter ; mais virtutem propter imperatoris. De m êm e sont accentuées
les prépositions dissyllabiques séparées de leur cas. Ex. : própter Hispa-
norum, apud quos consul fuerat, injurias...
R emarque IV. —- Secundum, trissyllabique, p a ra ît avoir été accentué
faiblem ent sur la syllabe finale : secundum légem, secundùm natûram oi-
vere, etc.
5° L’adverbe non placé devant un mot sur lequel porte la
négation, excepté dans les cas où il a une valeur d’opposition
« et non pas », « à plus forte raison non ». Ex. : non dignus; non
nullae insulae defecerant; non est ita; nemo hoc non videt, etc. — ;
mais caelum, non animum mutant ; vix servis, non vobis ; permulta
nobis et facienda et non facienda sunt, etc.
R emarque . — Mais non est accentué lorsqu’il est em ployé ab solum ent
— ; lorsqu’il est séparé du m ot qu’il nie, comme dans : Non Leonidae
mortem hujus morti antepono (Cic.) — ; ou qu’il est suivi de enim, item,
jam, modo ou de quod, quin, si.
6° L’adverbe de lieu übï, lorsqu’il est relatif. Ex. : in loco ubi
plures perierunt ; ubi milites, ibi strages ; etc.
R emarque . — Mais ubi est accentué lorsqu’il est interrogatif. Ex. :
ùbi est ? nescio ubi sit, etc.
160 PRÉLIMINAIRES

7° La conjonction de comparaison qnam. Ex. : doctior est quam


Petrus ; tam bonus est quam sapiens ; etc.

S° Les conjonctions de coordination aut, et, nec, sauf lorsqu’elles


sont au début d’une proposition et d’une phrase, ou qu’elles sont
suivies d’un groupe intercalé ou enfin qu’elles sont répétées.
9° La conjonction de subordination si, sauf lorsqu’elle est
répétée sous forme de si ou de sin, sive, qu’elle est suivie d’un
groupe intercalé (p. ex. : si ob nihil aliud...), de l’indéfini quis
ou des mots autem, forte, modo, quidem, etc.

** *

Mais dans le latin parlé et plus tard en gallo-roman certains


phénomènes de désaccentuation se sont produits qui ont pu avoir
des conséquences phonétiques et amener en particulier la forma­
tion de doublets.
1° S u b s t a n t if s . — Déjà dans le latin littéraire un grand nombre
de substantifs avaient perdu leur accent en devenant premiers
éléments de composés ; cf. par exemple jusjurandum, respublica,
manumittere, etc. Le phénomène a continué à se produire dans
le latin tardif, et pour ne parler que des cas où il a eu des consé­
quences phonétiques on citera avis tarda, avis *strüthia, devenus
*avistàrda, *avistrüthia, dans lesquels le premier terme inaccentué
avis- s’est réduit à aus- ; cf. *austarda > fr. outarde, *auslruthia
> v. fr. ostruce (fr. mod. autruche).
Une autre conséquence a été la formation de doublets. Le
génitif sing. Jovis apparaît sous la forme de fou- dans le fr. fou-
barde et sous celle de feu- dans le fr. jeudi. C’est que dans le groupe
fôvis barba le génitif fôvis a perdu son accent, tandis qu’il l’a
conservé au moins jusqu’à la diphtongaison de ö accentué dans
fôvis die ; d’où en v. fr. fos- d’un côté, et fues- de l’autre.
En dehors des cas de composition, on constate encore des dou­
blets selon que le même substantif était accentué ou non.
Ainsi hômo accentué a donné huem en v. fr. Mais à côté on
trouve hom, hon (auj. on) qui s’explique par l’emploi inaccentué
de homo comme pronom indéfini, emploi qui se note déjà dans
la Peregrinalio Aetheriae (380-390 apr. J.-Ch.), chez St-Augustin
(354-430) et St-Ennodius (473-521).
De même, le lat. comes est représenté en v. fr. par cuens d’un
côté et cons de l’autre. La même alternance apparaît en v. esp.
pour comité > cuende et conde (en esp. mod. seulement conde).
Il est probable que la forme latine est devenue plus ou moins
inaccentuée en fonction proclitique, devant un nom propre ou
l ’a c c e n t e n l a t in 161
un titre (cf. déjà en latin : comes slabuli, Codex Theodos., n° 438 ;
comes rei caslrensis, Amm. Marcellinus, ive s.). Dans ce cas la
diphtongaison de ö n’a pas eu lieu. Au contraire, dans l’emploi
absolu, le mot latin a gardé son accent, d’où les formes avec
diphtongue.
Au contraire ce n’est qu’après le passage de casa à chiese et
de latus à lez que des locutions en chiese < in casa, *a lez < ad
laïus, primitivement accentuées, ont perdu l’accent par suite de
leur emploi prépositionnel et se sont réduites à chiese, puis chiez
et à lez, atones ; cf. fr. mod. chez, lez ou lès dans les noms géo­
graphiques du type Plessis-lez-Tours.
Pour le v. fr. mel, mal > malum subst., et pour le v. fr. huer l
cf. ci-dessous, n° 2.
2° A . — Le cas de hömo <
d j e c t if s v. fr. huem, hom et de
cornes > v. fr. cuens, cons se retrouve pour les adjectifs bonus
et malus.
On a d’une part en v. fr. buen, mel, et de l’autre bon, mal. Les
premières formes remontent à bönu, malu accentués, les dernières
à bönu, malu inaccentués.
En fonction d’épithète précédant un substantif, malu a dû
perdre de bonne heure son accent, sur le modèle d’expressions
toutes faites comme malu gratu, mala factione, mala tollita, etc.
qui ne formaient en réalité qu’un seul mot avec un seul accent,
et aussi par analogie avec les composés formés à l’aide de male
comme premier élément, comme maledicere, maledidio, male­
factor, maleficium, malevolentia, etc., dans lesquels male était
inaccentué. L’antonyme bonus s’est ensuite modelé sur malus
dans les mêmes conditions.
Mais lorsqu’ils étaient employés comme attribut, bonus et
malus ont conservé leur accent ; d’où ô > ue et a > e. Cependant
l’emploi comme épithète précédant le substantif étant le plus
fréquent, les formes bon et mal (bonne et male) ont commencé
à se généraliser dès l’époque prélittéraire. Mel n’apparaît que
dans les plus anciens textes (Jonas, St-Léger). Buen (ou boen)
s’est maintenu un peu plus longtemps dans la littérature du Moyen-
Age ; il a même survécu jusqu’à aujourd’hui au masculin dans
quelques parlers picards.
Parallèlement à mel, mal adjectifs, on note en v. fr. mel, mal
pour malum substantif. L’influence de l’adjectif est ici évidente.
Malum, substantif accentué, est devenu régulièrement mel. Mais
comme à côté de mel adjectif il existait une forme mal, beau­
coup plus fréquente, mel substantif a développé par analogie
une forme mal qui a fini par le supplanter. De fait on ne trouve
plus mel substantif que dans le Jonas et le St-Léger.
De plus, l’adjectif lonc (auj. long) < longu est devenu de bonne
heure préposition et a perdu dans cet emploi son accent ; cf.
p. ex., Roland, v. 3732 : Lune un alter belement Venterrerent.
C’est ce qui est arrivé aussi, mais beaucoup plus tard, pour cer-
162 PRÉLIMINAIRES

tains participes présents : durant, pendant, qui se plaçant autre­


fois après le substantif (cf. encore aujourd’hui sa vie durant, six
ans durant. Diet. Acad.) sont devenus prépositions et par consé­
quent inaccentués lorsqu'ils ont fini par le précéder : durant
l'hiver, pendant l’été, ce qui a commencé pour le premier au
x v ie siècle et pour le second au xive. Même constatation pour
joignant qui a disparu de la langue ; cf. encore : Tout joignant
cette pierre, La Fontaine, Fables IV, 20.
Enfin dans la locution exclamative in böna hora 1 l’adjectif
n’a plus laissé de traces par suite d’une haplologie syllabique
consécutive à l’assimilation de son n avec l’r de hora et à son
passage à *böra : in böna höra ! > *en böra hora ! > *en bora !
Dans les dialectes où flore est représenté par flo(u)r et non pas
fleur, *en böra ! est devenu successivement *en bo(u)rel, *bore!,
puis bor!, avec une série de réductions dues à l’emploi exclamatif.
Mais dans la locution *in böra höra!, le substantif a pu être sous-
entendu. Dans ce cas, *in böra a abouti à *en buere!, d’où *buere!
et v. fr. buer!, ber!, ce dernier avec une réduction supplémentaire
de la diphtongue.

3° P ronoms perso n n els . — a) Ego : contrairement à ce qui


avait lieu dans la langue littéraire, le latin parlé semble avoir
multiplié l’emploi des pronoms sujets de la l re et de la 2e per­
sonne, même en dehors des cas d’insistance ou d’antithèse : on
lit chez Cicéron lui-même : « Quid tibi ego videor in epistolis ? »,
et ce passage est significatif par la suite qui lui est donnée : « nonne
plebeis sermone agere tecum... Causas agimus subtilius, ornatius ;
epistolas vero cotidianis verbis texere solemus » (Ep. ad fam., 9,
21, 1). Ego en particulier est très fréquent chez Pétrone. Dans
ces conditions, il a dû se réduire assez tôt à éo, forme attestée
seulement au v ie siècle (cf. H. Schuchardt, Der Vokalismus des
Vulgärlateins, I, p. 129).
Quant à éo, il a eu dans le Nord de la Gaule un double traite­
ment selon que la force de l’accent s’était maintenue ou non.
Dans le dernier cas, l’appel du mot suivant a déterminé un
déplacement d’accentuation : èo est devenu eô ; d’où par les étapes
*iô, *yô une forme [dzo] = jo, primitivement atone comme l’in­
dique d’ailleurs l’absence de diphtonguaison, et qui est devenue
dans la suite [dze], continué dans le français actuel par je. Mais
[dzo] a pu se généraliser à date prélittéraire, d’où le v. picard
jou et le v. wallon ju ( = jou).
Au contraire, quand il était pleinement accentué, éo a con­
servé son accent sur la première syllabe jusqu’à son passage à
*ie (cf. le type lèopdrdu > v. fr. liepart), après l’intermédiaire
*io. C’est seulement après cette transformation, que la force de
l’accent se perdant, *ie, est devenu *iè et de là *ye. A partir de
ce moment, la langue possédait deux formes atones : [dzo] déjà
vu_et *ye. Par lui-même, ce dernier ne pouvait qu’aboutir à v.
l ’a c c e n t en l a t in 103
fr. *ie, le changement de y initial en [dz] n’ayant plus lieu à l’épo­
que de la naissance de *ye. Or *ie n’existe pas en v. fr. On trouve
à la place, dans les dialectes du Centre, du Sud-Ouest et du Sud-
Est, soit [dzye] = gie ou par réduction de y [dze] = ge, tous les
deux accentués —, soit [dze] = je, atone, qui continue un plus
ancien [die] et qui est lui aussi à la base du fr. mod. je. C’est que
*ye a dû se croiser avec [dzo] issu de *iô et lui a emprunté son
consonantisme. Non seulement cela, mais lorsque le croisement
a eu lieu, [dzye], qui était primitivement atone, a pu, tout en con­
tinuant de le rester, donner naissance à une forme accentuée.
b) Nos, vos nominatifs : on a vu que të, së pouvaient être accen­
tués ou non en latin. Ils ont abouti dans le premier cas à v. fr.
tei, sei (auj. toi, soi), dans le second à te, se. On peut se demander
pourquoi nos, vos, accusatifs prépositionnels, ne se sont pas diph-
tongués et pourquoi le français ne présente pas une alternance :
*neus, *veus accentués et nous, vous atones. Les dernières formes
sont en effet les seules à exister. La différence de traitement que
l’on constate entre les deux paires : më, të prépositionnels d’une
part et nos, vos prépositionnels de l’autre tient au fait que të avait
comme correspondant au nominatif une forme différente : tu,
tandis que nos, vos étaient semblables au nominatif et à l’accusatif.
C’est cette différence qui permet peut-être d’expliquer les choses.
Sans doute les nominatifs nos, vos étaient accentués en latin.
Mais ils ont subi avec le temps le sort des autres pronoms sujets
de la l re et 2e personne : ils ont fini par perdre leur accent. Dans
ces conditions, ils ne se sont pas diphtongués. Dès lors, tandis
que dans le cas de të il n’y avait qu’une opposition : të objet con­
joint — të objet prépositionnel, dans le cas de nos (et de vos) on
avait une autre, différente de la première en ce sens que l’un
de ses membres était complexe : nos sujet, objet conjoint — nos
objet prépositionnel. La désaccentuation de nos sujet a fait que
les formes susceptibles de diphtongaison ont été moins nom­
breuses que les formes accentuées à diphtongaison possible. La
diphtongaison n’a eu lieu ni dans un cas, ni dans l’autre.

4° D ém onstratifs . — a) Ille... : en latin littéraire, ille, ilia,


ilium, illam ont toujours la valeur d’un démonstratif, qu’ils soient
adjectifs ou pronoms. Ils ont dû être accentués sur la première
syllabe. C’est ce que confirme encore à la fin du ive siècle le gram­
mairien M. Plotius Sacerdos, écrivant à propos d’un autre démons­
tratif (iste) : « [barbarismus fit] per accentum, ac si dicas is te et
t e acuas, cum is debeas » (Keil. VI, 651, 10). Mais dans la langue
parlée, la valeur démonstrative a tendu de bonne heure à s’effa­
cer. Déjà chez Plaute, ille n’a plus parfois que le sens d’un article ;
cf. adduxti illum hujus filium captivum ? (Capt., v. 1016), nunc
est iLLA occasio inimicum ulcisci (Pers., v. 725).
Avec la disparition progressive du sens démonstratif, l’accent
de ilium, illam, par exemple, a perdu peu à peu de son intensité
et s’est déplacé par suite sur la syllabe finale sous l’appel du
161 r R K I . I M I X A in i- S

mot suivant. D’où ilium mun'.m. illàm portam ; puis, après la


chute de m final, illù nuira, iîlà porta, et enfin, par aphérèse de
la svllabe initiale et désaccentuation du monosyllabe ’ en résul­
tant', lo mùro, la porta > v. fr. lo (le) mur, la porte. De même,
ille (devenu illi, p. 401), ilia, illï, illos et illas ont abouti en v. fr.
à li. la, li. los (les), les : cf. li murs < ille mnrus, la porte < ilia
porta, li mur < illï mûri, les (les) murs < illos muros, les portes
< illas portas.
On sait que le pronom démonstratif ille a fini par devenir pro­
nom personnel de la troisième personne ; cf. au v e siècle le témoi­
gnage de Cledonius qui le met sur le même rang que ego et tu
(Keil Y, 49, 32). Comme pronoms personnels, ilium, illam, illos,
illas se sont comportés de la même façon que s’ils étaient articles,
chaque fois qu’ils n’étaient pas employés absolument ou qu’ils
n’étaient pas précédés d’une préposition ; d’où en v. fr. lo (le),
la, los (les), les veit < ilium ... vïdet. Dans ces cas, en effet, ils
ont perdu leur accent et l’évolution a été la suivante : ilium vtdet >
*illù vtdet > *lu vîdet > *lo védet > */o véidet > v. fr. lo (le)
veit. Mais à l’emploi absolu ou après une préposition, ils ont main­
tenu leur accent sur la syllabe initiale ; d’où en fr. prélitt. sing.
*el, *ele, plur. els, eles et en v. fr. seulement els, eles, les formes
primitives du singulier : *,el, *ele ayant été remplacées par les
formes de datif : masc. lui, fém. li. De même, en position inac­
centuée, les datifs illï, illîs ont abouti en v. fr. à li sing. masc.
fém. et à les plur. masc. fém. Il faut pourtant remarquer que
les n’apparaît que dans les textes wallons, picards et anglo-nor­
mands, les autres dialectes l ’ayant remplacé à date prélittéraire
par le continuateur de illörum.

R . — Pour le résultat ï > i dans v. fr. li < Illï (dat. sg.


e m a r q u e

atone; et ï > e dans le v. fr. (N.-Est) les < lllïs, cf. p. 189.

A côté des formes dissyllabiques de démonstratif dont on vient


de parler, le latin littéraire possédait des formes trissyllabiques
pour le génitif pluriel : masc. illörum, fém. illärum, tous les deux
accentués sur la pénultième. Dans le latin parlé, illärum a été
supplanté par illörum, sans doute à cause du fait qu’au singulier
illius servait aussi bien pour le féminin que pour le masculin,
et à son tour illörum, une fois pronom personnel, a pris la valeur
d’un datif : datif accentué qui s’est opposé à illîs devenu inac­
centué. Après la diphtongaison de ô en ou et l’aphérèse de'e ini­
tial, illörum a abouti à leur (v. fr. lor, lour, c’est-à-dire [lur], dans
les dialectes où pa s’est réduit à [u], écrit o ou ou). Ultérieure­
ment, mais cependant avant la période littéraire, leur (lor) a
pu remplacer l’ancien datif pluriel les (cf. ci-dessus) et devenir
ainsi inaccentué. L’aphérèse de la voyelle initiale dans les conti­
nuateurs de illörum ne saurait sans doute s’expliquer comme
celle qui a eu lieu dans les continuateurs atones de ilium, illam,
illos, illas, illis précédemment étudiés. A cause du caractère
accentué du mot, elle est probablement due à l’action analogique
l ’a c c e n t en l a t in 165
de *elui (< passé lui-même à lui. En effet, dans le latin
parlé il s’est créé deux nouvelles formes de datif accentué : illui
masc. (CIL. X, 2564), *illaei fém., qui après avoir abouti à *tlui
respect. *eli, se sont réduits à lui, li à date prélittéraire, après
en être venus à prendre aussi la fonction d’objet prépositionnel,
dans les groupes où ils étaient précédés de de.
D’autre part, ïllos et ïlias ont conservé leur accent sur l’ini­
tiale à l’emploi absolu ou quand ils étaient précédés d’une prépo­
sition ; d’où en v. fr. els, eles, auj. eux, elles. Quant à ïlle, ilia,
ïllï, ïllas (pour ïllae), formes de nominatif, ils en ont fait de même,
le sujet pronominal n’étant exprimé à l’origine que dans les cas
d’expressivité ou d’emphase ; d’où en v. fr. : masc. il, il, fém.
ele, eles et en v. fr. mod. il, ils masc., elle, elles fém. qui ne sont
plus accentués aujourd’hui, les premiers et les seconds que dans
le cas d’inversion (dit-il, dit-elle), les seconds que dans les cons­
tructions du type : elle, elle a dit cela ; elles, après avoir réfléchi,
répondirent que... (toutes constructions pour lesquelles on emploie
au masculin lui, eux, étymologiquement formes de datif sing, et
d’accusatif plur.).
R e m a r q u e . — Pour ïlle > il, et. p. 401.
Enfin, le neutre ïllu(d) — ou ïllu(m) qui l’a remplacé — est
représenté par deux formes en v. fr. : el, cas sujet, provenant
de ïllu(d) accentué, et lo (le), cas régime, continuant illu(d)
atone. El ne se rencontre, et encore assez rarement, que dans
les textes de l’Ouest ; au Centre et à l’Est, il a cédé la place à il,
forme du sujet masculin (cf. ci-dessus), à cause de la ressemblance
qui existait au cas régime entre lo masculin et lo neutre et pour
éviter la confusion avec el < *alid (pour aliud) ou el < en lo.
Il et le se sont conservés dans la langue : IL pleut ; il LE fait,
avec il et le atones —, pleut-IL ? fais-LE, avec il et le accen­
tués.
b) Iste... Ipse... : c’est parce qu’ils ont gardé leur valeur de
démonstratif et qu’ils ont continué à être accentués sur la syllabe
initiale que iste... et ipse... ont maintenu cette dernière: cf. d'IST
di en evant Serm. de Strasb., d’ESTE terre Alexis 41 c (mser. P)
v. fr. en ES le pas « sur le champ », v. fr. en ES Voure « sur
l’heure», en ESSE la charrue Comput 1933, Bestiaire 10S7, v. fr.
neës, neïs « pas même ».
Ces formes s’opposent à logoud. su, sa, sos, sas < ipsii..., ipsà...,
ipsàs..., ipsàs... —, au campid. su, sa < ipsù..., ipsà... (mais is
au pluriel des deux genres < ipsos, ipsas) —, au baléare : masc.
fém. s' devant mot commençant par voyelle < ïpsù... ïpsà...,
fém. sa devant mot commençant par consonne < ïpsà.... fém.
ses < ïpsàs..., amb so et amb sos devant des masculins < ipsù...
ïpsôs... (mais masc. sing. plur. es devant mot commençant par
consonne < ïpsù..., ïpsôs...) ; etc. Dans tous ces exemples, ipse...
a pris la valeur d’un article.
106 rnEi.i m i x .-virus

c) Hoc : on verra plus bas que cette forine a pu être renforcée


par -que ou par ecce-. Quant à la forme simple hoc, elle est devenue
en v. fr. o, accentué dans l’expression conjonctive in o quid « à
condition que, pourvu que» des Serments de Strasbourg, et dans
les composés poro « pour cela, à cause de cela » (Eulalie, Jonas)
< *por hoc. oie, « oui » (: foie Estula, v. 104, imparf. veoie Eracles,
v. 537) < hoc ego — et inaccentué dans les locutions affirmatives
o je < hoc ego, o tu, o il, o el (avec el — pronom neutre), o nos,
o vos.
Il est probable qu’à cause de son peu de volume hoc est devenu
proclitique de très bonne heure ; dans ces conditions, il a perdu
sa consonne finale et n’a pu se diphtonguer en *hue, ue. Si par
conséquent dans certains des exemples cités plus haut o est accen­
tué, ce ne peut être que par suite de la généralisation de la forme
atone. Cet emploi sous l’accent est d’ailleurs ancien, comme per­
met de le supposer le v. fr. oie dont la composition remonte à
une époque où ëo inaccentué (< ego) n’avait pas encore passé
à *dzo.

d) Hac höra, illä hora. — Il est évident que le v. fr. (çre, çr,
çres, auj. or) ne peut pas continuer le simple höra, représenté
par heure. L’o ouvert de çre ne peut s’expliquer que par un type
*aura. D’autre part, étant donné que çre a comme pendant le
v. fr. Içres (lors ; fr. mod. lors, alors) et que ce dernier est à n’en
pas douter un composé de illä et hôra, il est préférable d’adopter
pour *aura l’hypothèse d’après laquelle il y aurait ici comme
premier élément le déterminatif hâc, et non la préposition ad ;
cf. d’ailleurs l’espagnol agora > hac hôra. Cependant une accen­
tuation hac hora qui convient pour l’esp. agora ne saurait rendre
compte du type *aiira qui est à la base du v. fr. ore. En effet,
il n’y a aucun exemple en français d’un déplacement d’accent
dans le groupe -aó- : *agçra ( < hac hôra), une fois devenu aéra
après la chute de -g-, aurait abouti, par suite de la diphtongaison
de -à-, resté accentué, à *aeure ; cf. du reste v. prov. aora, en face
pourtant de ara < *aura. On ne peut alléguer pour soutenir le
contraire des exemples comme tabône > ton (= taon) Richelet,
Diet. Acad. 1694-1835 ou Sa(u)côna > Saône [son], car ici il n’y
a pas eu "de groupe -a 6-, mais au contraire un groupe -a 5-,
avec un çFaccentué provenant de o + nasale, groupe dans lequel
le timbre extrêmement fermé du second élément a permis à l’ac­
cent de se déplacer. Force est donc- de recourir en latin à une
accentuation hâc hôra, avec un accent d’insistance sur le démons­
tratif ; cf. *ho die > hodie. Dans ce groupe, qui a dû finir par
former un seul mot, J’cf'de hôra a pu^perdre son accent secon­
daire et s’abréger en â, sans changer cependant son timbre, o
et ô latins étant primitivement fermés l’un et l’autre (p. 113 sq.).
Le résultat a été ainsi un proparoxyton *agora, qui par la suite
a passé à *âora et ensuite à *dura, aura par fermeture progres­
sive de l’élément vocalique inaccentué.
l ’a c c e n t e n l a t in 167
On doit avoir eu parallèlement lllâ hôra, d’où après l’étape
*(e)laura, le v. fr. lores, lors. L’accentuation illd hôra, au lieu de
llla hôra, peut surprendre, les formes dissyllabiques de ïlle por­
tant l’accent sur la syllabe initiale quand elles sont accentuées.
Peut-être le renforcement d’accentuation a-t-il eu lieu à l’époque
où, ïlla ayant perdu de son sens démonstratif, on avait déjà illà
hôra ; c’est à ce moment que illà aurait été revivifié pour créer
une opposition avec hâc(hôra) et qu’on aurait accentué illà hôra.
En tout cas, ce n’est pas à un stade la hôra que l’accent d’insis­
tance aurait pu s’ajouter, le catalan présentant llavors dont Yl
mouillé initial suppose une forme ilia.
e) Is. — Le démonstratif is n’a laissé de traces en v. fr. que
dans le mot gier(e), giers « ainsi, donc, c’est pourquoi » qui pro­
vient non de de ea re à cause de l’e final de giere, mais de eâ de
re, avec déplacement de l’accent de e sur a, voyelle plus ouverte,
dans l’ablatif éa.
f) Formes renforcées de démonstratif. — A côté des démons­
tratifs simples dont il a été question jusqu’ici, le latin parlé en
a connu d’autres, tous accentués à l’origine. Tout d’abord *hoque
(renforcement en -que du vx. latin hoce), à la base du v. fr. avuec,
primitivement adverbe (auj. avec, préposition), poruec « pour
cela, donc », senuec « sans cela ». Pour les composés formés à l’aide
de ecce- : eccïlle... et eccïste..., déjà chez Plaute, ainsi que les neutres
*ecce hoc, *ecce ïllu(d), *ecce îstud, toutes formes accentuées à
l’origine destinées à remplacer les formes simples dont la valeur
démonstrative était en train de disparaître.
L’histoire phonétique des continuateurs de ecce hóe montre
bien ce qu’il en a pu être de l’accent dans la suite. Avant la diph­
tongaison de ó (— Ist- <*), çô ( < ecce hôc) est devenu inaccentué
et a passé ainsi à ço. Ce dernier s’est ensuite généralisé sous l’accent
et a échappé à cette diphtongaison. La diphtongaison de ó sur­
venant, çô s’est transformé en *çou (cf. flore > *figure), d’où en
v. fr. ceu d’une part ( = fleur) et çô de l’autre ( = flor), suivant
les parlers. A côté de ces formes accentuées, la langue possédait
toujours ço atone. A son tour, ce dernier a passé à ce (avec e cen­
tral), conjointement avec lo > le, los > les. La nouvelle forme
inaccentuée a pu encore se généraliser sous l’accent, d’où [tse]
accentué, écrit ce, de, cei (cf. encore chez Jean le Maire les rimes
pensé : en ce). Enfin, ce atone ayant échangé e en a muet a donné
naissance pour la troisième fois à une forme accentuée : ce, qui
s’est conservé dans les locutions pour ce, sur ce, de ce non content.
Pour cela, cf. ci-dessous.
Les continuateurs de eccïlle..., eccïste, adjectif démonstratif,
sont inaccentués dès l’ancienne langue ; cf. auj. cet, ce, cette, ces.
Déjà dès l’époque prélittéraire, le besoin s’est fait sentir de ren­
forcer leur valeur démonstrative par l’adjonction de i- à l’ini­
tiale ; cf. en v. fr., icil, icele(s), icels, icelui, iceli —, icist, iceste(s),
icez, icestui, icesti pour cil, cele(s), etc., cist, ceste(s), etc. Il er
lf>S PKKI.IMlNWmKS

a été do mOmo an xm e siècle où le moyen employé a été l’em­


ploi des adverbes ci et là après le substantif déterminé : cct homme
ci. celle maison là. etc., construction qui a subsisté dans la langue
moderne. — Pour les continuateurs de eccïlle..., eccïste..., pro­
noms démonstratifs, le français possède un double jeu de formes :
celui, celle(s), eeux, restés accentués quand ils sont suivis d’un
adjectif, d'un participe (présent ou passé), de dont, de qui prépo­
sitionnel, de de ; mais devenus inaccentués dans le cas où ils sont
immédiatement suivis de qiii, sauf intercalation entre le démons­
tratif et le relatif et sauf aussi les cas où le démonstratif est pré­
cédé d’une préposition, d’un adverbe ou d’une conjonction. A
côté des formes commençant par c-, l’ancienne langue en con­
naissait d'autres avec adjonction de i- à l’initiale : icil, icel(e)s,
icist, icestefs), etc. ; cf. ci-dessus. On les retrouve encore en partie
aujourd'hui, accentuées, dans le style juridique ; cf. la maison
et les prés attenant à icelle (Diet. Acad.) ; dans la maison d'icelui
(ibid.). — Quant aux formes pronominales composées : celui-ci,
celle(s)-ci, ceux-ci, celui-là, celle(s)-là, ceux-là (cf. plus haut),
elles sont toujours accentuées.
R e m a r q u e . — Pour l’i initial de icil, icist, etc. cf. p. 424.
5e P o ssessifs . — En latin, les pronoms possessifs étaient
accentués ; ils le sont restés en roman.
Les adjectifs possessifs étaient aussi accentués, mais à un degré
moindre. De plus, leur accent était plus ou moins fort selon qu’ils
précédaient le nom ou qu’ils le suivaient (place normale) :
tùum patrem, mais patrem tùum. Dans le parler usuel, la place
de l’adjectif a tendu à se fixer avant le nom, comme il résulte
du témoignage des langues romanes ; son accent s’est affaibli
et, sous l'appel du nom suivant, a porté sur la syllabe finale :
tuùm patrem. Ultérieurement, tuùm, suùm se sont contractés en
*tùm, *sùm. Une fois les formes monosyllabiques obtenues, l’ac­
cent s’est perdu : *tüm patrem, *tüm fràtrem, etc.
On peut se demander pourquoi l’m final de *mum, *tüm, *süm
s’est maintenu (cf. fr. mon, ton, son), alors que celui de illüm
n’a pas laissé de traces dans le mur, il le voit, ni celui de illam
dans la porte, il la vend. Cette différence s’explique sans doute
par le fait qu’au moment de la chute de m final, illüm, illam,
étaient encore dissyllabiques en latin, ces mots n’ayant pas encore
perdu complètement leur valeur démonstrative et possédant
d’ailleurs un accent secondaire sur la dernière syllabe dans illüm
mürum, illüm videt, illàm portam, illàm véndit, etc.
Meàm, tuàm, suàm, adjectifs possessifs, devaient être dissyl­
labique eux aussi à la même époque, le vocalisme étant ici diffé­
rent d’une syllabe à l’autre et la contraction ne pouvant pas avoir
lieu. Au moment de la chute de m final, ils sont devenus norma­
lement meà, tuà, suà. Ce n’est qu’après coup que ces dernières
formes ont passé à *mya, *twa, swa, par fermeture de l’élément
L ACCENT EN* LATIN 160
vocalique le plus fermé, pour se réduire enfin à *ma, *la, *sa >
fr. ma, ta, sa.
Ce qui vient d’être dit de meùm, tuàm, suàm devrait valoir
aussi pour meùm, dont les voyelles ne sont pas les mêmes. Pour­
tant cette forme est représentée en français par mon, dont l’o
nasal suppose la conservation de la consonne finale. Peut-être
y a-t-il eu pendant un certain temps une opposition meù : *tum,
*sum et lorsque mèu s’est réduit à son tour à *mu par l’inter­
médiaire de *myu, l’action analogique de *tum, *sum a-t-elle
rétabli ici la consonne finale, dans le but d’unifier le système
de l’adjectif possessif masculin singulier. Il peut se faire aussi
que l’analogie ait joué au stade meùm et que meùm ait conservé
son m final sous l’influence de *tum, *sum qui maintenaient le
leur régulièrement.
Dans nöstros et *vôstros (forme de latin archaïque conservée
dans la langue parlée ou plutôt réfection de vestros sur le modèle
de nöstros d’après le pron. pers. vos), adjectifs possessifs, l’affai­
blissement de l’accent se reconnaît à la façon dont le groupe
-str- a été traité. La forme vost (alsmosnes) de Jonas et celles
du v. fr. noz, voz (— nots, vots), devenues nos, vos, montrent en
effet que -str- s’est réduit ici à -st-. S’il en est ainsi, comment
se fait-il qu’à côté des pluriels noz, voz (ou nos, vos), on ait eu
au singulier nostre, vostre, auj. notre, votre ? Il est évident que si
nöstros, *vostros ont passé à *nostos, *vostos, les autres formes :
nöstru, *vostru et nostra, *vostra ont dû devenir elles-mêmes *nosto,
*vosto et *nosta, *nostas, de sorte qu’on s’attend en v. fr., pour
les formes du cas régime, au paradigme suivant :
Masc. F ém .
Sing. *nost *noste
Plur. noz < *nosts *nostes

avec vocalisme o, l’ancien p de nöstru, *vostrii s’étant fermé en


dehors de l’accent, ces formes étant proclitiques, alors qu’il se
conservait dans nöstru, vostru pronoms possessifs, c’est-à-dire
accentués.
Si on a eu d’une part nçstre, VQstre au singulier des deux genres
et de l’autre noz, voz au féminin pluriel, comme c’est le cas, ce
ne peut être que sous l’action de causes étrangères à la phoné­
tique. Tout d’abord, la forme pleine (savante) nçstre des expres­
sions d’origine liturgique, telles que nostre pere, nostre salveor,
nostre seignor, nostre dame, assurément courantes, a du se géné­
raliser, entraînant à son tour VQstre au féminin singulier. Au plu­
riel masculin, on a continué d’avoir noz, des expressions équiva­
lentes à celles citées plus haut n’existant pas avec iiQstres. 11 en
est résulté un paradigme manquant de symétrie : une seule forme
pour le singulier, deux pour le féminin. La langue v a rémédié.
en généralisant la forme du masc. plur. noz aux deux genres.
Cependant, si noz, voz n’ont pas été remplacés par nôtres, lustres,
170 rHEI.iMIN'AIHI'.S

cola no vont pas dire qu’ils n'ont, subi d’aucune manière l’action
analogique des formes du singulier : sous l’influence de riQsire,
l’o de noz s'est ouvert (cf. en particulier dans Roland, v. 2286,
no; pron. poss. assonant avec t>) et c’est de nçz, vqz que proviennent
les formes actuelles nos, vos avec o et non [u].
R I.
e m a r q u e 11 va sans dire que d’autres processus d’unification ont
pu avoir lieu dans l’ancienne langue. Mais ils n’intéressent pas le français
actuel. Ainsi on trouve nostre sing., nostres plur. pour le masculin et le
feminin. D’autre part, à partir de noz, le v. picard a construit un para­
digme : masc. sing, nos suj., no rég., plur. no suj., nos rég. —, fém. sing,
nos suj., no rég., plur. nos suj. et rég., et de plus pour ce dernier genre :
moe sing., moes plur.
R I I . — Une preuve que l’o de noz était primitivement fermé
e m a r q u e

est donnée par le v. pic. nou, à côté de no ; cf. a nou loial pooir v. 1283,
par nous fois (fides plur.) v. 1289, dans la Chronique de Jan van Heilu,
et la rime la voe »la vôtre » (pronom possessif refait sur l’adjectif) : poe
(< frk. paula) dans Adam d’Arras.

Pour indiquer la pluralité des possesseurs à la 3e personne,


le latin littéraire se servait au pluriel soit de suus..., soit de eorum,
earum, selon que le possessif renvoyait ou non au sujet de la prin­
cipale. Depuis le latin même, la langue parlée a tendu à géné­
raliser l’emploi des génitifs démonstratifs et à utiliser illorum,
pour le féminin comme pour le masculin. Ce processus a abouti
dans une grande partie de la Romania et en particulier dans la
Gaule du Nord. Tandis qu’il était accentué lorsqu’il était pro­
nom possessif, illorum ou plutôt son continuateur a perdu son
accent en fonction d’adjectif. Dans ce dernier cas, il a dû aboutir
à lor. Cependant cette forme n’apparaît jamais dans les textes
appartenant aux dialectes dans lesquels flore est devenu fleur.
Elle a été remplacée de bonne heure par leur, qui représente
phonétiquement la forme pronominale accentuée et qui s’est
ainsi étendue, tout en restant atone, à l’adjectif. Quant à leur,
il a pris un s final au pluriel à partir de la fin du x m e siècle.

6 ® R elatifs. — Il n’y a rien à dire au sujet des formes dis-


s\iiabiques du pluriel qui semblent avoir disparu de bonne heure
de la langue parlée.
Quant aux formes monosyllabiques du masculin et du fémi­
nin, leur nombre s’est considérablement réduit, et cette réduction
est commandée en dernière analyse par le caractère inaccentué
de qui, nominatif sing, et plur. du masculin. Qui, nomin. sing,
masc., étant inaccentué, a dû en effet abréger sa voyelle (p. 184),
et *qui a ainsi passé à *quç. De la sorte, *que nomin. masc. sing,
et quae nornin. fern. sing, (ce dernier étant devenu lui-même
*qu? en dehors de l’accent) sont devenus identiques. Graphique­
ment, qui a pu dès lors remplacer quae, ce que l’on constate dès
le ve siècle dans les inscriptions chrétiennes ; cf. bruti suae qui
uixit, CIE. III, 12377. Cette identité a entraîné à son tour une
forme unique pour l’accusatif singulier : que(m) a supplanté
LA CC EN T EN LATIN 171
qua(m) ; cf. filia quem reliquit, CIL. V, 5933. D’autre part, Ie
nominatif pluriel n’ayant plus eu lui aussi qu’une seule forme
(les raisons sont les mêmes que pour le nominatif singulier), l'iden­
tité du nominatif des deux nombres (forme unique *que) a fait
que les accusatifs pluriels quos, quas ont cédé la place à quefm).
Ainsi le système latin : qui, quae, quem, quam, quos, quas s'est
trouvé peu à peu simplifié en *que.
La forme de nominatif que que l’on trouve en v. fr., au Nord,
à l’Est et à l’Ouest, s’explique donc à l’origine par l’abrègement
de quï en *quï. Cependant le Centre présente la forme qui, celle
du français actuel. Ce dernier oblige à supposer que lors de l'ou­
verture de ï, 17 de *quï a conservé son timbre lorsque ce mot
précédait un verbe commençant par voyelle,'.en particulier es,
est et *aijo, *as, *at, *aunt, formes réduites t de habere.
Les deux nominatifs *qui et *que ont dû coexister pendant un
certain temps. Puis la langue a généralisé qui au cas sujet, pour
créer une distinction avec que ( < *que), réservé au cas régime.
Dans la langue parlée, cüï a continué de rester inaccentué
tant qu’il n’a pas été précédé de préposition ; mais les nouvelles
constructions syntactiques : préposition + cüï qui se sont déve­
loppées peu à peu ont fait que ce relatif a pu prendre l’accent.
Comme pronom accentué, cüï devrait être représenté aujourd’hui
par [kwi], parallèlement à il]lüï > lui ; cependant le continuateur
moderne de *ad cui est à qui [ki] ; il s’agit là d’une généralisation
de cui inaccentué qui a abouti normalement à [ki] au cours du
x n e siècle.
Enfin quod a été supplanté dans l’usage parlé par quid, ou plus
exactement peut-être, quï(d) s’étant ouvert en *que et les formes
du relatif étant devenues elles-mêmes *que, la langue a unifié
son système et a choisi pour le neutre *que de quï(d) dont le
vocalisme s’harmonisait avec celui de *que < *quï, quae... Quant
à la nouvelle forme neutre *quç, elle a abouti, lorsqu’elle était
accentuée (après une préposition) à quei, puis quoi, et, lorsqu’elle
était inaccentuée, à que.

7° I n t e r r o g a t ifs . — De toutes les formes du paradigme de


quis latin, il n’en est resté en Gaule que trois : quï, cui et le neutre
quid.
Quï représente toutes les formes monosyllabiques du masculin
et du féminin singuliers et pluriels. Ce phénomène de conden­
sation peut s’expliquer de la façon suivante. Déjà chez les comiques
latins le masc. quis prend parfois la place du tem. quae ; cf. Quis
est haec, quae me advorsum incedit Plaute. Pers. 200, et Neue-
Wagener, Formenlehre der lat. Spr., I, p. -141. La langue parlée
a dû développer cette tendance et peu à peu quis, quae se sont
réduits à quï, forme provenant de quis devant consonne (cf. l’usage
de Plaute) et ensuite généralisée devant voyelle. Parallèlement,
l’accusatif singulier est venu à n’avoir lui aussi qu’une seule forme :
quëm, pour quëm et quam. Mais ayant passé à *quç, puis *qu<
172 PRÉLIM INAIRES

(p. 193), dans les groupes qu’il formait après une préposition,
quèm est devenu l’homophone de quç < qaae. Pendant que ce
dernier était encore en train de disparaître au profit de qui, *quç
(<quem) a été pris dans le mouvement et a cédé la place à qui.
Le pluriel a suivi le singulier, qui et quae appartenant à l’un et
à l’autre.
A la différence de qui relatif qui étant inaccentué s’est abrégé
en *quï et est ainsi devenu *que > v. fr. que sauf lorsqu’il se trou­
vait en hiatus (p. 171), qui interrogatif, étant accentué, a conservé
son F, d’où en français qui.
Le qui prépositionnel du français moderne continue non pas le
latin qui, mais le datif cul. Ce dernier a donné [küi], puis [kwi] en v.
fr. Mais ce datif étant devenu inaccentué quand il n’était pas
précédé de préposition s’est réduit à [ki] dans le courant du x n e
siècle, comme il est arrivé à cui relatif dans les mêmes condi­
tions. Sous l’accent, c’est-à-dire lorsqu’il était précédé d’une
préposition, [kwi] aurait dû se conserver tel quel. Mais la forme
inaccentuée [ki] = qui a prévalu et a supplanté [kwi].
Quant au neutre quid il a abouti à quoi ou à que, encore comme
dans le cas du relatif, selon qu’il était accentué (précédé de pré­
position) ou non.

8° I . —
n d é f in is Unus a pris dans le latin parlé la valeur d’un
article indéfini et a perdu en conséquence son accent dans cette
fonction. Ce nouvel emploi de unus se constate déjà chez Plaute ;
cf. sed est huic unus servus violentissimus (Truc. II, 1, 39), quid
ais tu, quam ego unam vidi mulierem audacissumam ? (Asin., 521).

9° Verbe E sse. — Si les formes monosyllabiques de esse étaient


inaccentuées dans certains cas en latin, elles étaient accentuées
dans d’autres.
C’est ainsi que la 2e pers. sing, indic. prés, es a été continuée
par deux formes jusqu’à la diphtongaison de c : çs accentué
et Is atone. La première a donné ies en v. fr., la seconde çs, qui
est devenue çs au cours du xie siècle ; cf. en fr. mod. [ç]. Cepen­
dant, à cause de son emploi plus fréquent, es a de bonne heure
cherché à supplanter ies ; cf. p. ex. : huem es de grand edet dans
les Quatre Livres des Rois (édit. Le Roux de Lincy, I, p. 26) de
la fin du x n e siècle. Par suite de la confusion qui a résulté de
cet emploi, on trouve aussi à l’inverse ies pour es, à l’atone ; cf.
p. ex. : Filz, d e s déduit par aliénés terres, St-Alexis 81 b (mser. L).
Est n’a pu donner que des formes sans diphtongaison en fran­
çais. Cependant il est vraisemblable qu’au début on a eu ici une
alternance çst (accentué) et est (atone). Cette alternance a dis­
paru, sans qu’on ait besoin de supposer une généralisation de
çsl accentué (ce qui serait d’ailleurs contre la marche normale
de l’évolution, çsi atone étant plus fréquent que çst accentué),
par suite de l’ouverture de ç inaccentué devant consonne dans
îe courant du xie siècle. La prononciation du fr. mod. est [ç].
LACCENT EN LATIN 173
Quant à 1’imparf. indic. ëram et au futur éro, accentués en latin,
ils sont continués en v. fr. par des formes accentuées avec diph­
tongaison de ë, ou par des formes inaccentuées avec ç ; cf. pour
le premier groupe : impart, iere, ieres, ieret ou iert, ierent, fut.
fer, iers, iert, iermes, ierent ; pour le second : imparf. çre, eres,
eret, erent, fut. er, çrs, çrl, erent. Ici encore l’alternance a disparu
de bonne heure et les formes en e ont tendu à remplacer celles
avec ie, pour la raison qu’elles étaient les plus fréquentes. Fina­
lement, les formes en e ont disparu vers le xive siècle.

10° Verbe Habere. — Dans l’emploi absolu qu’il avait en


latin littéraire, le verbe habere portait toujours l’accent. Cepen­
dant peu à peu s’est instituée la construction habere -f- participe
passé (avec la signification de passé composé), dont on peut dire
qu’elle est devenue usuelle vers la fin de l’Empire. Dans ce groupe
les formes de habere sont devenues inaccentuées et c’est ainsi
que dans habeo *habidu (h. *debütu, h. *bïbüiu), *habyo ( < habeo)
a pu se réduire à *ayo, non seulement à cause de son emploi pro­
clitique, mais aussi à la suite d’une dissimilation avec le -b- de
*habûtu, *debütu, *bïbütu. Parallèlement, devant les mêmes par­
ticipes, habes, habet, *habünt ( = habent x sünt) sont devenus
pour les mêmes raisons *aes > *as, *aet > *at, *aünt. D’où en
fr. ai, as, a. Les formes trissyllabiques habëmus, habëtis, habëbam,
etc., ont conservé plus longtemps leur accent et n’ont pas subi
de réduction. D’où avons, avez, avais, etc.
On a eu ainsi à l’origine une alternance entre formes pleines
accentuées : habeo, habes, etc. et formes réduites inaccentuées :
*ayo, *as, etc. Les premières ont laissé ça et là des continuateurs
dans les langues romanes ; cf. ital. mérid. aju, v. ital. aggio, catal.
haig, etc. En gallo-roman, les dernières se sont généralisées et
prennent ou non l’accent.
Elles ont été transportées en particulier dans le futur périphras­
tique formé au moyen de l’infinitif et de l’indicatif de habere qui
est nettement constitué à la lin de l'Empire. Ici les formes de
habere sont accentuées. D’aucune façon, même dans des groupes
comme habëre (debëre, bibëre) + *habyo (habes, habet, habentJ,
*habyo, habes, etc. ne pouvaient aboutir par eux-mêmes à *ayo,
*as, etc. Ce sont les formes *ayo, *as, etc. provenant des péri­
phrases habeo *habütu (*debütu, *bibütu) qui sont à la base de
*haberäyo, *haberäs, etc. et qui ont servi à former ces futurs.
Ce qui indique que la constitution du passé composé est anté­
rieure à celle du futur périphrastique.
Les l re et 2e pers. plur. du futur et 1e conditionnel en entier
( = infinitif + formes accentuées de 1’imparf. de habëre) sont
intéressantes à un autre point de vue. Les formes de habëre qui
sont ici à la base sont *-ëmus ( — habëmus), *-etis ( — habëtis),
*ëam ( — *habëam, dissimilation de habëbam), *-eàmus (= habea-
mus, dissim. de habebamus), etc., qui s’opposent à habëmus,

O
174 P R É L IM IN A IR E S

habêtis, habêam, habedmus, etc. du passé composé. Cette diffé­


rence provient sans doute d’une liaplologie syllabique dans *habe-
rabemus (*dcberabëmus, *biberab'ëmus), *haberabêtis, *habera-
bêam. etc., haplologie qui a respecté le radical de l’infinitif, d’où
*haberêmus, *haberetis, *haberêam, etc. A leur tour, les termi­
naisons -émus, -ëtis ont pu être extraites des formes de futur et
servir d’auxiliaire dans les passés composés, p. ex. en catalan ;
cf. hem portât, heu portât à côté de havem portât, haveu portât.

11° A dverbes . — Certains adverbes sont continués par une


seule forme qui est tantôt accentuée, tantôt inaccentuée ; cf.
ibi > y ( = il y va — , vas-y), übl > où ( = là où il e s t—,
Il est là. Où ?), ïnde > en ( = il en a —, parles-en), sic > si (Serm.
de Strasb. : si salverai eo cist meon fradre Karlo —, fr. mod. Vous
ne partez pas ? Si.)
D'autres ont des continuateurs de forme différente selon qu’ils
sont accentués ou non. Ainsi non est représenté en v. fr. par non
< lat. non accentué et par nen, ne < lat. non atone. Le fr. mod.
a conservé non et ne (...pas, aucun), ainsi que nenni (familier)
< v. fr. nenil < non illud. De plus mane est devenu main en v.
fr. (cf. p. ex. hui main « ce matin ») ; mais on a en même temps
maneis, manes « aussitôt », l’a de mane ayant perdu l’accent dans
le groupe mane ipso.
R e m a r q u e I. — La différence de terminaison que l’on constate dans
les formes du v. fr. : manes, maneis (> manois) est sans doute due au
fait que le latin mane ipso (accentuation normale) a pu être accentué
aussi mané ipso (avec accent d’insistance sur l’adverbe amenant le ren­
forcement de -ne en -né et en conséquence l’affaiblissement de * en I) ; cf.
ce qui a été dit à propos de hac höra, illâ hôra, p. 166. Dans mane ipso
Ve de mane s’est élidé et *manipso a abouti régulièrement à manes (cf.
aussi v. prov. manes) ; dans mané ipso, au contraire, l’ï de ipso est devenu
second élément de diphtongue, d’où v. fr. maneis (> manois).
R e m a r q u e II. -— Dans les composés latins où il entre comme premier
élément et où il est inaccentué, béne- aurait dû aboutir à ben-, forme qui
se serait opposée à bien, continuateur de béne employé absolument. De
fait bien s’est généralisé de très bonne heure et on a dès les premiers
textes bienfait, bienvoillance.
Par contre, male employé absolument apparaît toujours sous la forme
mal (et non *mel). Ici, c’est l’influence des composés en male- (>mal )
qui s’est exercée. La divergence s’explique sans doute par l’emploi fré­
quent de béne exclamatif.
D’autres adverbes latins, tout en continuant de rester adverbes,
sont devenus prépositions ou conjonctions. Le même mot a donc
pu être accentué ou inaccentué suivant qu’il était l’un ou l’autre.
Cette différence d’accentuation n’a pas entraîné de formes
différentes dans le cas de ïnlus et de sürsum. Cf. v. fr. sus adv.
(Ste-Eulalie, v. 6 : ihi maent sus en ciel), sus prépos. (Benoît,
Chron. des Ducs de Norm., v. 25062 : Assise sus dous granz quar-
rtaus) — , enz adv. (Ste-Eulalie, v. 19 : Enz en l fou la getterent,
l ’a c c e n t en l a t in 175

com arde iosl), enz prépos. (St Brandan, Bartsch, 75, 1. 12 : e enz
el num al saint espirt). De même, *antius ( <ante x prius) est
continué en v. fr. par ainz (einz, ains, ans) adv. (Roland, v.
3394 : Une einz .ne puis ne fut si fort ajustée), prépos. (Gautier
de Coinci, Miracl! N.-Dame, dans Bartsch 366, 4 : ains trente fors
départira) ou conjonct. (St-Brandan, dans Bartsch 78, 22 : ne
lur ceilet, ainz lur ad dit). De même encore, *pôstius ( < post x
prius) est représenté en v. fr. par puis adverbe (conservé dans
la langue moderne) et par puis préposition (cf. St-Alexis, 1. 81 d :
puis mun deces en fusses onorez) qui a disparu dès le v. fr.
Mais d’autres fois les formes diffèrent suivant qu’elles sont
restées adverbes, c’est-à-dire accentuées, ou qu’elles sont devenues
préposition ou conjonction, c’est-à-dire atones. Fôris par exemple
était adverbe en latin littéraire. Cependant, vers la fin de l’Em­
pire, il a été employé comme préposition. D’où en v. fr. des dou­
blets : fuers < fôris accent, et fors < fôris atone. Dès les premiers
textes, fuers, d’ailleurs assez rare, est uniquement adverbe ; mais,
par suite d’une généralisation qui date de l’époque prélittéraire,
fors sans cesser de rester préposition est devenu aussi adverbe
et par conséquent accentué. Les deux formes ont d’ailleurs dis­
paru de l’usage. Fors ne s’est conservé que dans la locution
historique Tout est perdu sauf l’honneur. On le retrouve il est
vrai, mais modifié, dans la préposition hors et dans hormis (v.
fr. forsmis), hors de et dehors. — Quômôdô a passé tout d’abord
à *quômodo dans le latin parlé (p. 178) ; puis il s’est réduit à *quomo
et cômo ; cf. pour ce dernier, L. Väänänen, Le lat. vulg. des ins­
cript. pompéiennes, pp. 94, 288. Vers la fin de l’époque impériale,
cômo, tout en conservant sa fonction d’adverbe, a pris la valeur
d’une conjonction temporelle : « au moment où ». On a dû avoir
au moment de la diphtongaison de ô deux formes : *kuomo <
*cômo accentué et komo < cômo atone ; cf. pour la première
le v. esp. cuçmo. Cependant cette alternance s’est perdue en
Gaule, par suite de la généralisation de la forme non diphtonguée ;
d’où en v. fr. seulement corn, adverbe et conjonction, l’un et
l’autre du reste atones. De l’ancienne forme diphtonguée on n’a
relevé qu’une seule trace : queme Emp. Constant. 100, cité par
Meyer-Lübke, Gr. des lang. rom,. I, § 613.
D’autres fois encore, un même mot peut avoir été adverbe et
préposition en latin. C’est le cas p. ex. de prôpe. Comme adverbe,
il est devenu pruef en v. fr., mais comme préposition il a abouti
à prof. De fait, prof est inconnu comme préposition. On sait pour­
tant qu’il a existé, car c’est lui qui rend compte de la forme adver­
biale prof que l’on trouve parfois dans les anciens textes ; cf.
p. ex. Gormont et Isembart, dans Bartsch, 37, 26 : prof vait bruiant
cume tempeste. — C’est encore le cas de supra, qui était accentué
ou inaccentué selon qu’il fonctionnait comme adverbe ou comme
préposition. Comme adverbe, il aurait dù aboutir à *soiwre ; cf.
Lupfajra > Louvre. Comme préposition, il est devenu sur en
passant par les étapes soure, seur(e). Ce sont les formes prépo­
sitionnelles inaccentuées qui ont servi pour l’adverbe en v. fr. :
176 PRÉLIMINAIRES

sore, soure, seure ; cf. que vif maufé li. corent sore, Partonopeus
de Blois, v. 1120 ; il leur vont seure Floire et Blanchaflor, v. 93.
Ces formes sont absentes de la langue moderne.
Eece a perdu son accent dans les combinaisons qu’il a formées
avec ille. iste (cf. v. fr. cil, cist, etc.) et avec un pronom personnel
(cf. v. fr. ezvos, esvos, evos « voilà »). Il en est de môme de eccum
dans le v. fr. ekcuos, eikevos « voilà ».
Enfin certains adverbes latins ont perdu leurs sens d’adverbes
et sont devenus simplement prépositions : rétro > v. fr. lier (cf.
Ogier de Danem., v. 5877 : rier lui regarde et vit maint chevalier),
et sübtus > v. fr. soz, fr. mod. sous.

12° Conjonction quare . — Quare était adverbe interrogatif


et conjonction en latin. Il ne s’est pas maintenu comme adverbe.
Mais comme conjonction, il a passé du sens de « c’est pourquoi »
à celui de « donc ! » incitatif ou « eh bien ! » (dans un ordre, une
prière ou un souhait) et à celui de « car ». En tant que signifiant
« c’est pourquoi », « donc ! eh bien ! », il est resté accentué ; dans
le sens de « car », il est devenu atone. D’où, au moment du pas­
sage de a à e dans mare > mer, les doublets quer (pour lequel
on n’a pas besoin de supposer quarc + que) et car. Cependant
dès les premiers textes, ces deux formes s’emploient indifférem­
ment l’une pour l’autre, avec la valeur de « car » ou de « donc !
eh bien ! », car étant de beaucoup la forme la plus fréquente
Quer d’ailleurs ne survivra pas au xiii9 siècle, pas plus que le sens
de « donc 1 eh bien ! »

R e m a r q u e . — Un cas inverse de tous les précédents est celui que pré­


sente au début l’évolution de tra(n)s. *Tras était préposition en latin et
par conséquent inaccentué. Mais il a pris la valeur d’un adverbe de lieu,
avec le sens de « au-delà », et s’est combiné avec ad, de pour former les
locutions ad Irâs > v. fr. a tres, de trâs > v. fr. a tres. D’autre part, à côté
de trans montes « au-delà des monts » on s’est mis à dire tras bonu «très
bon », mot-à-mot « au-delà de bon » ; ainsi tras est devenu une particule
superlative, c’est-à-dire de nouveau un adverbe. Dans l’emploi adverbial
il a donné très, forme d’abord accentuée, mais qui a perdu son accent
dans la suite. Pourtant il l’a repris aujourd’hui dans la langue familière
où il peut être employé absolument : Est-il intelligent ? — Oui, très 1
Au contraire, on attend tras pour la préposition ; mais tras ne se rencon­
tre jamais dans cet emploi en v. fr. ; il a cédé la place dès l’époque prélit­
téraire à très, forme de l’adverbe ; cf. Benoît, Chron. des Ducs de Norm.,
v. 19853 : Laissent 1res eus cenz enseignes. La préposition très a du reste
diaparu avant la fin du v. fr.
.fou.ben, hint vs. rtrpgitshi if^L '- ir ifis .L .

Ill

QUANTITÉ PES VOYfeLLES LATINES

L e qaEatité du latia gÏESfifUi i§t §§§iatliîîfaî§at « é lf^ ê lê »


gigu§ »'? ©a â us# vgytiîf îê8§B§.ïà ©è ta lai©=§a?©pé§a ©a EVâït
§§ft ugg ¥©F§ïïf î©aga§, §©it s $ t dlgM iagair Bâa§ I# ©es §©atr§tf‘§,
ÎE Ÿ êjiU i ïatlai §§l feè^t: fe ? I i^ iî ^ 0 § > *è kir§ ? *ip©? *$M§
ete. ^ l a t . quïs, /#f§, ë0§t ##&* fU§Umt Itgr â ?Üa§ part??
§1 Ir§] *4pk§} itg,
> ÎEt- ÿïÿu§? fî(§(), Éfc&êtî 4§f8&8lJ> âf§§} §uî(§r)? §të- î i
Î * Â ^
ô§ fai am p liàt pt§ fut ït Iitla présggtg f ailf a§§ gx©tpti§g$
à ©i prfagigge 11 ©ää^ifal dg rapgglgr fat fia? ©iftiîai ©s§ lis
rŸ*iÿiiîii liâiais ©at pa ^sbfégtr §t lis ^gygilgs brèvgs dgvggi?
longues (pi î 14=5)- Ê>g plus, ugg ?©f§II§ longue peut parfois résulter
èi Ïe ©©atraitiia i l fia i Y©ÿ§li§l§ ferè-rgs (p. li§).
Ci§ gagiptliai seat ©©mauggs à ia îtagai -tau! iafièrg- C§pia=
dagt, ytï§ la lia i t ï'épofai répaMIiliai? aa ggrtam aiiaferg d^ag^
trig sont survenues dâàl î§ lltia pEfll it surtout dans îg latia
parié par 1§ piapli? fai s?©pp©ltaî ainsi à î?a§afi da iitla
îittériirg,
ʧ.$ m©dlflëEti©a§ l i â t i l i t a s s©rt§§ : Igs agt#p|güït|ègîg§
Iggguii |§§ pfêpâroxÿtias §gt tiaâa à s?§àr|ggr; Il gg est dg
a llia i i§ tg a til lis f ê ÿ iliil !©afa§§ la dghgrs dgTaggggt.

A. = Aferiftîfifnt d@§ ant|p|nuH||me§ longues


de prppapoxytons

Cgmme gjggmpïes de ggttg tggdaggg, ©a pilt ©Itir p©ur PI fai


gggggrgg 1g frgggais Igs gas suivaats I
f > l "■ fff§Mu (§L 1st, fïm§) ^ *fteàtu > y, fr. f§k, aaj. feu ?
g|. gggorg ItaL fiçàtQ, abruzz., aipgL }$H0> vggï. fêk§iu, feeîegal
fê§îL etg. {MEW-s MP4) ==, gt SfMtu > ^fïcïiu'^ par métathlse
*ßUm > y, fc Zip, ' *' "■ f.... ' ■ ---------- -
178 P R É L IM IN A IR E S

Frïgïdu > *frigid a > v. fr. freit, auj. froid; cf. encore vpr. freit
et frcq, cat. fret, ital. frcddo, engad. fraid, friôul. fred, etc. (REW 3,
3512).
Arthrïticu ( < gr. ipepuixs;) > *arthrïtïcu à la base de l’ital.
artètico, de l’esp. port, artético et d’où provient, avec déplacement
d'accent, le v. fr. artetique et arthiqne.
R emarque. — Pour le fr. yeuse, cf. p. 179.

ê > ê : débile > débile > v. fr. endieble; cf. encore norm, dieble
(REW 3, 2491) et tosc. diebile (Rom., XVIII, p. 594).
Flëbile > *flëbile > vfr. fieble dans les textes normands et anglo-
normands (Roland, Quatre Livres des Rois, Thomas Becket, etc.).
Pour les continuateurs actuels dans les patois, cf. FEW, III,
p. 615.
Terminaison ordinale -ësimu > *-ësimu > v. fr. -iesme, auj.
-ième dans vingtième, centième, millième, etc.
ô > ö : côpërit (chez Lucrèce; de cö-öperit) > *cöpërit > v. fr.
cuevre ; cf. encore ital. cugpre, cgpre, vpr., port, cpbre, cat. cgbre-
llit « couvre-lit ».
Mobile > *mobïle > vfr. mueble, auj. meuble ; cf. encore v. cast.
mueble, vpr., port, mgvel.
R e m a r q u e I. — Le même abrègement s’est produit dans quömödo >
lat. parlé *quömödo, d’où *quömo, cömo (p. 175) et aussi dans hôdie, s’il
est vrai que le premier élément de ce mot ne soit pas hô-, mais ho, comme
le veulent F. Solmsen, Stud. z. lat. Lautgesch., p. 100 et A. Walde, Lat.
Et. Wbr, p. 368.
R e m a r q u e II. — A supposer que le v. fr. euce, heuce « cheville » (fr.
mod. esse ; cf. norm, eusse, euche, boulon, euche, wall, ese, wese) proviennent
non du frk. *hiltja (cf. A. Thomas, Ess., p. 293 ; E. Gamillscheg, EWF.,
p. 385 a, b), mais du lat. ôbïce, comme le veut le REW3, n° 6011 a, on ne
saurait avoir ici un exemple d’abrègement de ô, le type latin étant déjà
lui-même ôbïce et non ôbïce.

ü > ü : lürïdu > *lurïdu > v ît . lort, auj. lourd ; cf. encore
vpr. lort, ital. lordo.
Mûcidu > *mücidu > vfr. moide ; cf. encore prov. mod. mouide.
Junior > junior > v. fr. joindre, fr. mod. gindre « ouvrier
boulanger qui pétrit le pain ».
Sücîdu > *sucïdu > *südïcu > xvie s. (laine) sourge, à côté
de surge qui provient de sücîdu (cf. REW3, n° 8414, 1 : *sücïdus).
R emarque I. — Le fr. ponce peut aussi bien remonter, avec abrége­
ment de l’antépénultième, au lat. pümïce qu’à une forme pomïce (cf. pomcx
dans le C. Cl. L., III, 581, 18 ; 587, 12) d’origine dialectale et probable­
ment ombrienne. Même incertitude pour l’ital. pomice, le cast, pomez et
le port, porries.
QUANTITÉ DES VOYELLES LATINES 179
Le prov. pIzer ^ euze (d’où provient le fr. yeuse), ainsi que l’ital. elce
et le veron., vénit. éleze, pose un problème analogue à celui du fr. ponce. Il
peut provenir du l'at. ïllcc, avec abrégement de l’antépénultième ; mais
on peut admettre aussi à sa base un type êlex, -icis d’ailleurs attesté et
originaire de l’Ombrie ou des dialectes du Latium.
R II. — En dehors du français et des mots n o n français cités
e m a r q u e

plus haut, on trouve encore d’autres exemples d’abrègement des anté­


pénultièmes dans les langues romanes. Ils servent à établir la tendance
dont on est en train de parler ; mais comme ils ne concernent pas le fran­
çais, o n ne les citera pas ici et on renverra à l’étude de l'auteur : De quel­
ques changements de quantité dans le latin parlé (dans les Mélanges Ern.
Hcepffner, 1949, p. 13 sq.).

On sait qu’en latin *sï-quïdem est devenu sïquïdem par suite


d’une sorte d’assimilation quantitative de la part des deux der­
nières syllabes brèves. De même, chez les anciens poètes on trouve
tü-quïdem, më-quïdem, etc. pour tü-quïdem, më-quïdem, etc., formes
de la poésie classique de caractère analogique. Le cas des propa­
roxytons à antépénultième étymologiquement longue est sans nul
doute le même. Il n’est pas invraisemblable de supposer que ce
qui s’est produit dans *sï-quïdem, devenu sï-quïdem, a pu avoir
lieu aussi dans un mot tel que lürïdus. Le fait que dans *sï-quïdem
on a affaire à un composé avec quïdem comme second élément,
alors que dans lürïdus il s’agit d’un seul et même mot, n’a pas
d’importance. Dans les deux cas on est en présence d’une forma­
tion proparoxytonique et l’action des deux dernières syllabes
brèves reste toujours phonétiquement semblable. C’est ce que
montre d’ailleurs le mot dïgïtus. Etymologiquement, dïgïtus re­
monte à l’i. e. deik’-, comme le verbe dïcô. Or tandis que 17 de
dïcô s’est maintenu long, 17 de *dïgïtus s’est abrégé, parallèlement
à 17 de *sï-quïdem.
Il convient du reste de noter que pour sï-quïdem et dïgïtus c’est
ï seul qui est attesté. Il s’ensuit que l’abrègement de *sï-quïdem
et de *dïgïtus en sï-quïdem et dïgïtus est ancien et antérieur en tout
cas à l’époque de la fixation du latin littéraire.
Cependant l’abrègement dont on est en train de parler, comme
d’autres encore qui n’entrent pas ici en ligne de compte, n'a
existé qu’à l’état de « tendance ». Dans la langue littéraire, cette
tendance n’a abouti que pour sï-quïdem, dïgïtus et peut-être
hödie (p. 178). Dans le latin parlé, si on en juge par les conti­
nuateurs romans, elle a réussi à s’imposer, outre le cas de
*quomodo (p. 178) et celui de cöpërit > *côperit, arthrïtïcu >
*arthrïtïcu (p. 178), lûridu > *lürïdu qui intéresse le français,
dans *c5tülu > *côtülu, ërïgit > *ërïgit et sïcile > sïcïle,
pour lesquels le français n’a pas de représentants. Mais pour
un certain nombre de proparoxytons, et parmi eux *fïcâtu ~
*fïcitu, frïgïdu, débile, flêbïle, mobile qui concernent le fran­
çais, les continuateurs romans témoignent ou non d’un abrège­
ment. De plus dans la majorité d’entre eux, l’abrègement n’a
pas eu lieu.
ISO l ’KKI.J M INAI HKS

Le maintien de la longue dans les deux dernières séries de propa-


roxyions s'explique par des raisons phonétiques ou extra-phoné­
tiques.

a) Raisons extra-phonétiques

Les formes paroxytoniques de la déclinaison ou de la conju­


gaison peuvent avoir exercé une action analogique. Ainsi dïcëre,
frigère, limite, scrïbere, pêdëre, râbore, *destrügëre, dücëre, incü-
dine, pCdice ont conservé leur antépénultième longue sous l’in­
fluence de dïcil, frïgit, limes, scrïbit, pëdit, rôbur, *destrügit, dûcit,
incüdo, pülex, d’où dire, (rire, v. fr. tinte (auj. linteau), écrire, v. fr.
poire, rouvre, détruire, -duire, enclume, puce. En dehors de la décli­
naison et de la conjugaison, il faut encore admettre l’action ana­
logique du part. pass. pë(n)su sur pë(n)sïle ( > fr. poile).
D ’autre part, le maintien de 5 dans pôpülu ( > fr. peuplier)
peut s’expliquer par le besoin de différencier ce mot de pöpulu
{ > fr. peuple).
R e m a r q u e . — Il ne peut être question de nôbile qui est un mot de la
langue littéraire et qui n’est représenté que par des formes savantes dans
les langues romanes.

b) Raisons phonétiques

Sans doute *fïgïcat et pütïdu étaient-ils déjà devenus paroxy­


tons par suite de la chute de la pénultième atone au m oment où
la tendance à l ’abrègement a commencé : l’f et Yü sont restés
normalement longs dans *fïccat et *püttu. On peut toutefois invo­
quer ici l ’action analogique de fïgit et de pütet.
Sans doute encore spinüla ( > fr. épingle), débita ( > v. fr. dete,
auj. dette), *5rülal ( > fr. ourle), *fürïcat ( > v. fr. (urge), *tüsïtat
( > mfr. luste) peuvent-ils devoir la conservation de l’antépénul­
tième longue à l ’action de spina, débet, öra, für, tüsu (de
tundére). Mais l ’hypothèse d’une influence analogique est
exclue dans le cas de ciscra pour sïcëra ( > fr. cidre), cofnjsïdërat
( > v. fr. cossire), desïdërat ( > fr. désire), fïbülat ( > v. fr.
afjible, auj. a(juble), sïfïlat ( > fr. siffle), vïpëra ( > v. fr. vivre, gui-
vre), fêmîna ( > fr. femme), sëmïta ( > fr. sente), sëpërat pour sépa­
rai ( ^ v. fr. suivre, auj. sevré), côpüla ( > fr. couplé), *cüyyïtat de
cógilat ( > v. fr. cuide). En présence de ces derniers exemples, il
faut probablement admettre que l’a final a empêché ici l ’abrège­
ment de l’antépénultième longue. En effet, bien qu’elle soit brève,
la durée absolue de cette voyelle, supérieure à celle de toutes
les autres, a pu être trop grande pour que la formule — u o ait été
véritablement réalisée : l’assimilation quantitative n’aurait pas
alors eu lieu.
Ce qui n’empêche pas que l ’analogie ait pu amener des excep­
tions. Ainsi *lrïnïcat (refait sur Irïnu, comme exquarlare, exquin-
Q U A N T IT É D E S V O Y ELLES L A T IN E S 181
tare ou *exquintiare le sont sur quartu ou quinlu), *lübrïcat, *lûcï-
(Jat sont devenus *trlnïcal ( > v. fr. tranche), *lübrïcai ( > v. fr. esco-
lorge), Hücïdal ( > v. fr. esloide) sous l’influence des infinitifs *trïnï-
care, Hübrïcare, Hücïdare, provenant de *lrïnïcare, *lübrïcare,
Hücidare (p. 184). Il a même pu y avoir des doublets. Ainsi pour
rümïgat on trouve en français des continuateurs de la forme latine
avec ü phonétiquement conservé et des continuateurs de la forme
latine avec un u s’expliquant par *rümïgare < rümïgare (p. 184 sq.);
cf. v. fr. runge (et post, ringe «nourriture des ruminants ») < rûmï-
gat et fr. mod. ronge < *rümïgat.
R e m a r q u e I. — Le lat. trütïna (> v. fr. trône *trébuchet, machine
à peser ») qui vient du gr. -rpü-avrj ne contredit pas ce qui a été dit ci-dessus
de l’action de -a final. En'effet, trütïna ne continue pas *lrûtïna. Le mot
grec n’a pénétré en latin que lorsque son u long était devenu bref. Pour
l’abrégement des voyelles longues en grec ancien tardif, cf. Ed. Schvyzer,
Griech Gr., I, pp. 392 sq.
R e m a r q u e IL — Avec le v. fr. Heute (d’où tiule et fr. mod. tuile), il
pourrait sembler qu’on soit en présence d’une exception, et que tëgüla ait
passé à *tëgula. Il n’en est rien, Heute s’expliquant normalement par iëgûta
(p. 330). Le germanique témoigne d’ailleurs de la conservation de ë dans
le mot latin, puisqu’il l’a rendu soit par ê2 (cf. v.h.a. ziagal, auj. Ziegel),
soit par ï (cf. agis, tigle).
Le cas est le même pour rêgüla, qui a donné en français la forme popu­
laire reille, aujourd'hui disparue, et les formes plus ou moins savantes
vfr. rieule, riuic et ruile. Cependant régula a été repris plus tard comme
mot savant et à ce titre il s’est prononcé avec un ç, d’où en v. fr. riègle
(Rutebeuf) et v.h.a. régula, m.h.a. regele, agis, rëzol.
R e m a r q u e III. — L’abrègement de l’antépénultième longue n’a pas
eu lieu non plus dans sêcàle (> vfr. seile, soile ; cf. vpr. segle), à cause de
l’a pénultième atone qui a joué ici le même rôle que l’a final dans les exem­
ples du type eïsera (> fr. cidre) cités plus haut.
R e m a r q u e IV. — Comme type de même constitution vocalique que
sêcàle, on trouve en latin orïgànum, avec un ï attesté' par la scansion de
Palladius (ive s. après J. Ch.). Pourtant l’esp. orégano, le port, orégào et
le cat. orenga présentent un vocalisme qui pourrait faire croire à un abré­
gement latin de ï en ï, ce qui serait en contradiction avec ce qui vient
d’être dit pour sêcàle. En réalité, à côté de ôcïyavov qui a donné le lat.
origanum, il existait en grec deux autres formes : d’abord ♦ocîyavov, avec
abrègement tardif de ï (cf. ci-dessus, rem. I) et ôpïtyivov. ’dpiyavov a pu
devenir en latin origanum, d’où les formes de l’espagnol, du portugais
et du catalan. Quant à èpsiyavov, la diphtongue -si- s’étant réduite en
grec ancien tardif à -e- ou -ç- suivant les dialectes, il peut avoir donné
en latin d’une part *oreganu, qui expliquerait une seconde fois les formes
déjà citées, et de l’autre *orçgano, continué plus ou moins directement
par l’ital. règamo et par le léon., astur. oriégano ou le salmant. uriégano.
En tout cas, le fr. origan est une forme savante.
R emarque V. — Le REW*, n° 3751 a, fait remonter au îrk. *gïbâra
le m. fr. joivre « givre ». S’il en est ainsi, l’abrègement de î en i que sup­
pose le vocalisme du mot français contredit, et par deux fois, ce qu’on
a dit des conditions dans lesquelles s’est opéré l’abrègement des antépé­
nultièmes longues de proparoxytons latins. De plus, cet abrègement serait-
il possible en dehors de la séquence de deux a, l’époque à laquelle le mot
francique a été introduit en gallo-roman parait trop tardive pour qu’il
ait pu avoir lieu. Le. frk. *gïbàra proposé avec réserves par E. Gamillscheg
dans son FEW, p. 470 b, supprime la difficulté que pose le changement
182 PRÉLIM INAIRES

dp i en ï. Mais qu'il s’agisse de *gïbtira primaire ou de *gïbàra secondaire


(résultant de *gîbàra), on ne peut aboutir au fr. givre. Le groupe dzy-
issu de ge initial se serait en effet réduit à dz- au contact de Vl suivant,
parallèlement à ce qui a eu lieu dans cïnere. > *ts(y)ïnere> cendre (p. 321),
et *d~ibero ne pourrait avoir donné que joivre, forme attestée au xvesiècle,
dont le vocalisme s'oppose à celui de cëra > *lsyera > *lsyeira > cire,
avec un groupe initial tsy- conservé parce qu’il se trouvait primitivement
devant un e et non un ï. Restent d’ailleurs à expliquer, outre givre et l’an­
cien joivre, le m. fr. geuvre, le bourguign. gèvre, le morvand. gèvri, ainsi
que le catal. gebre. Il semble que le type francique gaiber, proposé par
E. Gamillscheg, Rom. Germ. I, p. 239, peut rendre compte de toutes les
formes ci-dessus ; plus exactement, non pas le type gaiber lui-même,
mais son continuateur immédiat *geiber avec fermeture de ai en ei (si
c’était la forme gaiber qui avait été introduite, elle se serait sans doute
réduite à *gaber ; cf. p. 256). La forme romanisée *gcivero aurait abouti
régulièrement à *dzyeivro, d’où d’une part le fr. givre et de l’autre, par
suite de la disparition de y, *dzeivre > m. fr. joivre. Quant au bourg, gèvre,
au morvand. gèvri et au catal."gebre, ils pourraient remonter^ à un type
francique encore plus évolué *gçber, avec ç < ei < ai ; d’où en gallo-
roman sept. *gievre > gèvre (geuvre étant dû à la labialisation de e devant
a) et en catal. gebre.
R emarque VI. —Tandis que le v. fr. endieble et le v . fr. fieble remontent à
*dëblle, *flëbïle, formes régulières d’après ce qui a été dit, le vfr. endeble et
lev.fr. jleive, fleible, feible, feble, flebe, jleve supposent une antépénultième
longue en latin. Peut-être la longue s’est-elle maintenue normalement dans
débiles, flëbïles. On aurait eu ainsi une alternance ë — ë dans *dëbïle,
flëbile et débiles, flëbïles, et chacun de ces e aurait pu ensuite se généraliser.
Enfin, les continuateurs de fïlïa, fïlïu., lïliu, mixtïcïu, pellïcëü,
ëbrïu, *miratôrïu, rasôrïu, cotônëu, jüliu, jünlu, *büriu, *cana-
bütïu, minütïat, *linütïu, etc. présentent toujours en français et
dans les autres langues romanes le résultat de ï, ë, ô, ü ; cf. fille,
fils, lis, v. fr. mestis, v. fr. sorpliz (auj. surplis), ivre ( < *eivrie,
p. 410), miroir, rasoir, coing, v. fr. fuil, juin, v. fr. buire, v. fr. che-
nevuis (auj. chènevis), menuise,v. fr. linuis, etc. Les proparoxytons
latins en -ïu, -ëu, -ïa, -ïu ont partout conservé leur pénultième
longue. Cette conservation peut s’expliquer par le fait que, lors
de l’abrègement, -ïu, -ëu, -ïa et -ëa ne formaient plus deux syllabes,
mais une seule, par suite de la consonantisation de i en y et du
passage de -ëu et -ëa à -ïu, -ïa, puis -yu, -ya. Les proparoxytons
étaient devenus des paroxytons et l’abrègement ne pouvait ainsi
avoir lieu.
Le français présente pourtant une exception : *früstiat (dont
l’ü étymologique se retrouve dans l’ital. fruscia) y est représenté
par froisse, qui suppose un ü. Cette exception n’est qu’apparente.
Il existe en v. fr. une forme frost qui provient d’un latin *früslu
(au lieu de früstu), refait sur büstu, güstu, etc. ; ce *früslu a pu
déterminer une forme verbale *früstiat. Si malgré tout il faut
partir de *früsliat, *früstial pourrait s’expliquer par l’action ana­
logique de *früstiare < *früsiiare (p. 184).
QU A NTITÉ D ES VOYELLES LATINES 183

***

Dans les proparoxytons étudiés ci-dessus l’antépénultième


était en syllabe ouverte. L’abrègement s’est encore produit lors­
qu’elle se trouvait en syllabe fermée. On le constate dans :
Müsculu > *müscülu > fr. moule (mollusque).
Rüsticu > *rüstïcu > v. fr. roiste, roistre, roite, roste.
R . — On ignore la quantité de u dans le lat. mus(culu),
e m a r q u e

d’où provient le fr. moule (mollusque). Le mot étant en relation avec müs
«souris ». (cf. Walde-Pokorny, Et. Wb. d. idg. Spr., II, p. 313), si cet u
est bref, il est dû à un abrègement de ü antépénultième de proparoxyton ;
s’il est long, il s’est abrégé dans le latin parlé pour les mêmes raisons.
D’une façon comme d’une autre, on a là un exemple de la tendance en
question. Le v. fr. ruiste, ruste et le fr. mod. rustre, rustique (tous deux
attestés depuis le xive s.) sont savants.
De plus ündecim, dont l’u est étymologiquement long, a passé
lui-même à *ündecim, d’où fr. onze ; cf. aussi prov., cat., port.
onze, esp. once. Mais ici l’abrègement de ü pose un grave problème.
Pourquoi, étant donné les résultats romans et français en parti­
culier, ne s’est-il pas produit d’une part dans quïndëcim ( > fr.
quinze et prov., cat. port, quinze, esp. quince) qui est constitué
de la même façon que ündecim, et de l’autre dans trëdëcim, sëdëcim,
düôdëcim (cf. v. fr. treze, seze, doze, auj. treize, seize, douze) ?
Le maintien de é, 5 dans ces trois derniers exemples se com­
prend fort bien si l’on admet que la tendance à l’abrègement
des antépénultièmes longues de proparoxytons ne s’est exercée
pour ce qui les concerne qu’après le passage de -c- devant voyelle
palatale à [k'x'y], d’où ensuite [t'x'y] et [t's'y]. L’avant-dernière
syllabe de trëdëcim, sëdëcim, düôdëcim, est ainsi devenue longue
par position et la formule — u u (de sï quïdem, p. ex.) a cessé
d’être réalisée. En conséquence, l’antépénultième n’a pas cessé
de rester longue. Quant au fait que trëdëcim, sëdëcim, düôdëcim
aient résisté à la tendance à l’abrègement alors que les mots
du type mobile, lüridu, etc. se laissaient manœuvrer par elle,
cela peut dépendre de leur nature : dans les composés, le premier
élément a pu garder tout son poids.
Mais reste la difficulté d’expliquer le maintien de ï dans quïn-
decim en face de ü > ü dans ündecim, l’un et l’autre de ces mots
étant des composés. D’après ce qui a été dit ci-dessus, le main­
tien de ï dans quïndëcim serait normal. C’est ündecim > *ùndecim
qu’il faut expliquer, et l’explication qu’on peut en donner n’a
rien à voir avec la tendance à l’abrègement des antépénultièmes
longues de proparoxytons. Si l’on considère la liste des numéraux
latins, on constate l’emploi fréquent qui est fait de ün- en syllabe
initiale inaccentuée : undëcimus, undëvïginti, undëvïcësimus,
undetrïginta, undetrïcësimus, undëni, undëvïcëni, undëtrïcëni, etc.
C’est en syllabe inaccentuée que ün- serait devenu ün-, confor­
mément à ce qui sera dit plus bas ; de là ün-, par suite d’une
généralisation, aurait été transporté dans ündëcim.
18 J P R K I.lM IN A in iiS

Pariser re ( > vfr. pareistre, auj. paraître) et cognôscere ( > vïr.


conoistre. auj. connaître) font aussi exception, l’abrègement de
l'antépénultième ayant été empêchée par l’action de parêscit et
de cognôscit.
Remarqve. — Pour ce qui est de prêndêre (< prêhêndêre.) et de vendire,
les langues romanes ne fournissent aucun renseignement, les faits anciens
étant masqués par l’évolution phonétique ou par l’analogie ou par la paro-
xytonisation (cf. à ce dernier point de vue, cast, prender, vender, port, prendêr,
vender). Il est cependant plus que probable que Vê de prêndêre et vëndire
s'est maintenu sous l’action de prëndit et vendit.

B. — A b règem en t des voyelles longues


en syllabe inaccentuée
L'f et l’ü inaccentués de certains mots latins sont représentés
en roman, et en particulier en français, par les résultats de ï et
de û :
*erïnülu > *cnnutn > v. fr. crenu.
dîlüviu > *dïlüviu > v. fr. delouve, deloive, deluive, deluevre ;
ef. aussi é dans le fr. mod. déluge.
*frlxôria > *frïxoria > v. fr. fressoir; cf. v. ital. frexoria, v. pad.,
apul. fersura, frioul. fersorie (REW 3, 3524, FEW 3, III, p. 814).
jrïxûra > *frïxûra > vfr. froissure, auj. fressure ; cf. genev.
fresura (REW3, 3526).
mïrabilia > *mïrabïlia > fr. merveille ; cf. vpr. meravelha,
cat. meravella, ital. meraviglia.
prïmariu > *prïmariu > fr. premier ; cf. vpr. premier, premieir.
*trïnicare (p. 180) > v. fr. trencher (cf. prov. trencar, trincar),
fr. mod. trancher.
commünicare > *commünicare > v. fr. comehgier
*früdicare > *früclicare > v. fr. frouchier.
jrüdificare > *früdificare > v. fr. frotegier, froligier.
*fürïcare > *fürïcare > v. fr. fourgier et furgier.
füsione > *füsione > fr. foison ; cf. vpr. foisô, piem. foson,
fosona (FEW, III, p. 914).
jüstifîcare > *justïfïcare > v. fr. foulifjßer 1289, texte de Rouen
(d. D. S. Blondheim, Rom., XLIX, p. 361).
füslilia > *füslitia > v. fr. fostise.
lûbrïcare > *lübrïcare > v. fr. lovregier et lovergier ; cf. aussi
*excollübrïcare > v. fr. escolorgier.
mûcêre > *mücëre > fr. moisir ; cf. vpr. mozer.
nügale > *nügale > v. fr. m a l ; cf. vpr. noalha, noalhos.
nütrïre > *nülrïre > fr. nourrir’, cf. vpr. noirir, cat., v. cast.
nodrir.
*plümaticu > *plümaticu > m. fr. plomage (cf. Em. Picot,
Bec. gén des sotties, I, 16).
QUANTITÉ DES VOYELLES LATINES 185

*türïfïcare > *târïfïcare > v. fr. iorejer et iurijer (cf. D. S.


Blondheim, Rom., XLIX, p. 561).
ünïre > *ünire > v. fr. onir et onier, onielé, ornement.
*üsitïle (de üsus) > *üsitïle > fr. outil ; cf. piac. ozclei, bergam.
oz(a)dei (REW3, 9101).

Dans tous ces exemples et d’autres qu’on a omis parce qu'ils


n’intéressent pas le français, l’abrègement des voyelles longues
inaccentuées a eu lieu, bien que les mots latins aient été sous le
coup d’une action analogique possible ; cf. crïne, frïxi ~ frïxu
(Sidonius, Végèce), mirât, primus, trinùs, communis, früclu, für,
füsu, jüstus, lübrïcus, mücet, nüga, nütrit, plüma, rümor, gén. türis,
ünus ~ unit, üsus. S’il est ainsi, à plus forte raison l'abrègement
a-t-il pu se produire là où aucune possibilité d’action analogique
ne se présente :
*bücina (pour bücïna) > *bücina > vfr. boisine ; cf. vpr. bozina,
cast, bocina.
*dimëdiu (pour dimïdiu) > *dïmëdiu > fr. demi ; cf. vpr. demei,
demiei, demçg, demieig.
frümentu > *frümentu > v. fr. forment, auj. froment; cf. vpr.
formen et fromen, cat. forment, v. cast, hormiento, etc.
fümentu > *fümentu > , v. fr. *ƒornent, continué par ses formes
avec [u] dans des parlers de la Champagne et du Bourbonnais
(cf. W. von Wartburg, Die Ausgliederung der rom. Spr., p. 41,
n° 1).
mürëna > *mürëna > v. fr. moreine.
rümôre > * *rümôre > *romôre > dissim. *remôre > v. fr.
remor ; cf. cat. remor, ital. romore.
^Remarque I. — A ces exemples il faut ajouter celui de dïrectu >
*dïrectu, dont l’e provenant de ï s’est conservé dans le cast, derccho et le
port, dereito, mais a disparu en français ; cf. droit, parallèle au vpr. dreit
■=* dreg, au cat. drei et au roum. drept. De même au cast, (a)derezar et au
cast., port, enderezar provenant de *dïrediare < *dîrecliare correspond en
français dresser, adresser.
R emarque II. — Il faut encore citer probablement le cas de ûnione >
fr. oignon (cf. prov. sept. onhô). Le REW et le EWF supposent ü pour le
latin. Mais A. Walde, Elym. Wb. d. lat. Spr. 2, p. S32 est pour un rappro­
chement avec ünio «perle ». Seul, l’o des formes romanes l’embarrasse.
On voit par les exemples précédents que ce scrupule est inutile.
R emarque III. — Il n’est pas nécessaire pour expliquer le v. fr. orine
de même que le cat., cast., ital. orina, de recourir à une forme latine *au-
rïna, croisement de ûrïna et de aurum. Le type ürïna suffit. Ce n’est que
pour le port, ourina qu’il faut admettre un croisement de *orina < ürïna
(pour ürïna) avec ouro < aura.
R emarque IV. — Le pronom relatif qui et la conjonction si, étant inac­
centués, ont passé «à *quï, *sï, d’où en v. fr. que cas sujet (p. 170), disparu
de bonne heure, et se, auj. si.
186 PRELIMINAIRES

Ainsi donc, la tendance à l’abrègement de ï et ü inaccentués


paraît bien établie. Elle ne concerne probablement pas que ces
deux voyelles : ê, ô, a doivent être dans le même cas. Mais le chan­
gement ne parait pas en français ni dans les autres langues roma­
nes. è et è, ö et ô, à et ä inaccentués aboutissant à des résultats
identiques.
Cependant ï et ü inaccentués ont pu se maintenir longs sous
l'action de l’analogie. C’est ce qui a eu lieu dans la déclinaison
pour hüieöne ( > v. fr. buison, buson), *füriöne ( > v . fr. fuiron),
pïbiône (> fr. pigeon), *tïmône ( > fr. timon), tïtiône ( > fr. tison),
etc., influencés par bûteo, *fürio, pîbio, *tïmo, tïtio, etc. —, dans
la conjugaison pour clïnare ( > v. fr. diner, auj. indiner), mïrare
( > fr. mirer), *trïtare ( > fr. trier), fümare ( > fr. fumer), fürare
( > fr. jurer), lûcëre ( > v. fr. luisir), mütare (> fr. muer), *ïisare
( > fr. user), etc., et pour *defrüdicare ( > vfr. defmidier, auj.
défricher), *füricare ( > v. fr. furgier), *adlüminare ( > fr. allumer),
etc., influencés par *defrüdicat, *fürïcat, *adlümïnat, etc. —, et
en dehors de la déclinaison ou de la conjugaison pour *fïlicella
{ > fr. ficelle), Hïneolu ( > fr. ligneul), *lïnütiu ( > vfr. linuis),
*mïratôriu ( > fr. miroir), rïparia ( > fr. rivière), *bücëllu ( > v. fr.
busel), fümôsu ( > fr. fumeux), *fünamen ( > v. fr. funain, auj.
funin), *füsagine ( > fr. fusain), *lücôre ( > fr. lueur), *lüminione
( > fr. lumignon), *pûlinasia ( > fr. punaise), etc., influencés par
fïlu, lïnu, mirât, ripa, biicïna, fümu, füne, füsu, lüce, lumen, pü-
tet, etc.
Un cas intéressant d’abrègement est celui qui s’est produit
dans la syllabe initiale de vïcïnu. D’après la théorie courante,
üïcïnu aurait passé à *vêcînu par suite d’une dissimilation vocali-
que : f — ï > ê — ï, d’où v. fr. veisin (auj. voisin), vpr. vezin,
cat. vehi, cast, vecino, port, vezinho, etc. Si vïcïnu était isolé dans
la langue, rien n’empêcherait d’admettre une dissimilation de ce
genre, d’autant qu’on en trouve de nombreux exemples en roman.
Mais à côté de vïcïnu il y a vïcïnatu qui a donné le v. fr. visné. Com­
me vïcïnatu est un dérivé de vïcïnu, il est difficile de croire que si
vïcïnu est devenu *vëcïnu, vïcïnatu n’aurait pas passé lui-même à
*vêcinatu. Or *vëcïnatu ne peut qu’aboutir à *veisné, et non à
visné. Il faut donc admettre que le premier ï de vïcïnatu ne s’est
pas dissimilé en ê, et si la chose est vraie de vïcïnatu, elle doit
l’être aussi de vïcïnu.
Mais alors comment expliquer la différence que présentent dans
la syllabe initiale le v. fr. veisin et le v. fr. visné ? La difficulté dis­
paraît si l’on suppose que l’f de vï(cïnu) s’est simplement abrégé
en i au lieu de se dissirniler en ë. De là *vïcïnu, et parallèlement
vïcïnatu > *vlcïnatu. Ultérieurement, lors du passage de crïsta à
*crçsta (p. 100), l’f de *vïcïnu s’est ouvert en e, d’où, par suite de
l’évolution -kl- > -ydz-, le vfr. veisin. Mais l’ouverture de ï, si
elle est générale, ne s’est pas produite en même temps pour tous
les ï : ceux qui étaient inaccentués ou, dans le cas de deux i inac­
QUANTITÉ UES VOYELLES LATINES 187
centués, ceux qui l’étaient davantage ont dû être attaqués les
premiers ; les autres ne se sont ouverts qu’après coup. En consé­
quence, *vïcïnatu est devenu tout d’abord *vîcenalu, et lorsque
17 de la syllabe initiale a été menacé à son tour de passer à e,
l’ouverture n’a pas eu lieu : une dissimilation préventive a empê­
ché la succession e — ç ; d’où v. fr. visné.
Donc vïcïnu n’aurait pas passé à *vëcinu. S’il en est ainsi, il
n’y aurait pas eu davantage de dissimilation F — F > ë — ï dans
le cas de dlvlnu > devin, divisât > devise, flnlre > v. fr. fcnir,
vltlcula > v. fr. veille (auj. vrille). Ou plus exactement, on n’a
pas besoin de la supposer. Il suffit d’étapes *dïvlnu, *dîvisat,
*fïnire, *vïtlcula, et cela non seulement pour le français, mais
aussi pour les autres continuateurs romans ; cf. vpr. devin, cast.
adevino, port, adevinho —, vpr. devizar —, vpr. fenir, fenida, feni-
dor, cast, fenecer, port, fenecer, lomb. feni, vénit. fenire, vegl.
fenai —, prov. mod. bediho, cast, vedija.
Il faut noter encore que l’abrégement des longues inaccen­
tuées a pu être masqué par l’évolution phonétique. C’est proba­
blement le cas de l’ital. divino, vicino, dont les syllabes initiales
di-, vi- remontent normalement à de-, ve-. C’est peut-être aussi ce
qui est arrivé dans les continuateurs français et romans de clsellu
(cf. inclsu), *flbella (cf. fibula), hlbernu, Hlbellu (cf. llbra) ; cf.
v. fr. cisel (auj. ciseau), vpr. cizel, cat. cisell —, vpr. fibela, port.
fivela, cat. sivella, astur. civiella —, fr. hiver, vpr., cat. ivern, cast.
invierno, port., ital. inverno —, v. fr. livel, nivel (auj. niveau), vpr.
livel, nivel, cat. nivell. Toutes ces formes présentent un i en syllabe
initiale. Mais il n’est pas dit que cet i continue directement f
latin. Il peut se faire en effet que l’f de clsëllu, *flbèllu, hlbernu,
Hlbëllu se soit d’abord abrégé comme l’F inaccentué des autres
mots et qu’on ait eu par conséquent *cïsëllu, *flbëlla, *hîbërnu, *lï-
bëllu. Au moment du passage de crïsta à *cresta, 17 ne se serait pas
ouvert dans ces derniers mots par suite d’une dissimilation pré­
ventive et pour éviter une succession ç — e.
R em ar qu e . — Si on a pourtant un e dans la syllabe initiale d u cast
hebilla (< */ïbëlle < *fïbèlla) ou en santand. cebilla, cet e résulte proba­
blement d’une dissimilation i — / > e — i qui a eu lieu après la réduction
à i d’une ancienne diphtongue ie dans *hebieila ou *eebiella (cf. astur. ci­
viella avec i en syllabe initiale à cause de la non réduction de ie à i).
Inversement, certains exemples pourraient faire croire à un
abrègement, alors qu’il n’en est rien.
Ainsi dans dlxïstï ( > v. fr. desis), mlsïstl (v. fr. mesis), il est pro­
bable que l’F inaccentué du radical s’est maintenu long sous l’ac
tion des formes fortes du paradigme où F était accentué (cf. d ix it
mlsit), et que l’e du vfr. est dû à une dissimilation i — i > e — i
analogue à celle qui s’est produite dans le cast, hebilla ( < *hebilla
< *hebiella de *fïbëlla pour *flbëlla).
Dans le fr. prémices, qui est un mot savant, on ne peut par
principe songer à un abrègement. L’é résulte sans doute ici d'une
188 PRELIMINAIRES

dissimilation do même nature que la précédente soit dans le latin


prïmitias, soit dans une forme française prélittéraire *primices,
dissimilation qui a pu être favorisée par l’influence soit de *pre-
mariu (< *primariu < prïmariu), soit de premier dont Ve de ïa
syllabe initiale était primitivement [f] central et non [a] comme
aujourd'hui. C'est encore une dissimilation u — ü > o — û qu’il
faut probablement voir dans le v. picard (Tournai) osiue (= üsüra),
dissimilation qui se serait produite avant la palatalisation de u.
Cependant, malgré son caractère, dïlüviu semble être devenu
assez tôt populaire dans la langue à cause de l’emploi qu’en faisait
l’Eglise à propos du déluge de la Bible : l’ï de la syllabe initiale
a passé normalement à ï, puis e, d’où les formes anciennes delouve,
deloive et deluge (auj. déluge), à côté de dlluvie, forme tout à fait
savante.
Enfin, si on a un é à la syllabe initiale du fr. pépie, ce n’est pas
que l’f du lat. pï(tuïta) se soit abrégé en ï (d’où e) à cause de son
caractère inaccentué. Sans doute l’abrégement a-t-il eu lieu, mais
pour une autre raison. Il s’agit ici du phénomène latin lïtera — lïtte-
ra.P itu ita, dissimilé tout d’abord en *pïpuîta, a passé ensuite à
*pippuïta. L ’i de la syllabe initiale est alors devenu ï, d’où *pïppuî-
ta, puis *pïppïta par suite de la chute de w postconsonantique
avant l’accent, et finalement pépie.

** *

Jusqu'ici on n’a donné d’exemples d’abrégement que pour les


longues inaccentuées de syllabe initiale. Le même phénomène
s’est aussi produit lorsque les longues inaccentuées étaient à
l'intérieur de mot. Ainsi ï est devenu ï, d’où [t] en v. fr. dans matrï-
culariu > v. fr. mareglier auj. marguiltier), *piperïnella > v. fr.
piprenelle (auj. pimprenelle), sentïmentu > v. fr. seulement (auj.
sentiment), suspïcione > vfr. sospeçon (auj. soupçon), veslïmenlu
> v. fr. veslement (auj. vêtement), etc. De même, ü a passé à u,
puis à o dans inslrümenlu > v. fr. estroment (auj. instrument).
Cependant ici comme ailleurs, sous l’action de l’analogie, la
voyelle longue inaccentuée a pu garder sa quantité. C’est ce qui a
eu lieu dans exsücare ( > fr. essuyer), refûsare ( > v. fr. rëuser, auj.
ruser), etc., influencés par exsücat, refüsat, etc.

** *

Les voyelles longues finales ont subi elles aussi l’abrégement.


C’est même cet abrégement qui est le seul attesté par la prosodie
latine. Le traitement de o final est particulièrement instructif.
QUANTITÉ DES VOYELLES LATINES 189
Dès la seconde moitié du siècle avant notre ère, on constate chez
Ovide le changement de cet ô en 6, même dans les cas où il ne peut
être question d’un abrégement iambique ; cf. dans les Tristes :
ergo > ergo 1. 1. 87, estö > esta 4. 3. 72, Sulmö > Sulmö 4. 10. 3,
Nasö > Nasö 3. 3. 74, et dans les Amores : tollö > tollö 3. 2. 26, etc.
Après Ovide, les exemples se multiplient, non seulement dans les
bissyllabes comme ambo, immö, octö, quandö, credo, findö, etc.,
mais encore à l’ablatif du gérondif et aux l re pers. sing, en -5 de
tous les verbes. Vers 350, Charisius et Diomedes noteront par­
tout -Ö et au ve siècle Pompeius expliquera la scansion virgilienne
cantô par l’influence du grec toaw, tellement le souvenir de l’an­
cienne langue a disparu.
Dans le cas des voyelles longues inaccentuées en syllabe initiale,
le premier témoignage latin que l’on ait de leur abrégement est
par contre plus tardif. C’est celui de Consentius (ve siècle) qui
blâme la prononciation populaire örätor pour ôràtor. Mais les
emprunts germaniques au latin permettent de dire que le phéno­
mène était plus ancien. C’est ainsi qu’ils supposent *hëmïna,
*sëcüru, *bolëtu, *orariu, *solariu, etc. pour hëmïna, sëcüru,
bölëtu, ôrariu, sôlariu, etc.
R emarque. — Pourtant ï final semble avoir conservé plus longtemps
sa longueur. En effet, au moment où crlsta a passé à *cresta (p. 196), on
devait avoir encore un i long final dans illï, vlntï (1. cl. vïgintï), vënï, fecï,
etc. Cette résistance à l’abrègement concorde avec ce que l’on sait déjà
du latin ; cf. Lindsay-Nohl, Die lat. Spr., pp. 239-240. Elle s’explique
sans doute par le fait que la force articulatoire des voyelles augmente
avec le degré de fermeture.
Si le v. fr. présente au datif l’opposition li < illï : les (Nord-Est) < îllîs
(p. 164), c’est que les conditions ne sont pas les mêmes. Dans tllïs, en effet,
ï est suivi d’une consonne et sa durée est moindre que celle de î dans illï.
La tendance à l’abrègement a eu plus de prise sur lui.

***

A propos de l’abrégement vocalique étudié ci-dessus, il convient


de remarquer que les nouvelles brèves se sont adaptées au sys­
tème phonique de la langue et qu’elles sont devenues « relâchées »
comme les brèves primitives. Ainsi, dans la suite, l’i de *prïmariu
< prïmariu a pu s’ouvrir en ç comme l’i de crïsta, et l’o de *côpe-
rit < côpërit a pu se diphtonguer comme celui de mola.
De plus, comme contrepartie aux phénomènes d’abrégement,
le bouleversement quantitatif dont il sera question p. 213 amènera
toute une série d’allongements, combinés d’ailleurs avec une
nouvelle série d’abrégements : les voyelles brèves accentuées
deviendront longues en syllabe ouverte.

6
PREMIÈRE PARTIE

LES VOYELLES ACCENTUÉES

On étudiera tout d’abord les phénomènes qui ne sont liés à


aucune condition (chap. I).
Puis ceux qui dépendent de la structure syllabique (chap. II),
de la durée vocalique (chap. Ill), de la position dans le mot (chap.
IV) ou de l’action de phonèmes voisins.
Dans ce dernier cas, il peut s’agir d’actions au contact (chap. V),
d’actions à distance (chap. VI) ou d’actions combinées en contact
et à distance (chap. VII).
CHAPITRE PREMIER

PHÉNOMÈNES INDÉPENDANTS

Parmi les phénomènes indépendants qui ont transformé peu


à peu les voyelles accentuées du latin, il faut distinguer trois caté­
gories.
Dans l’ordre chronologique, apparaissent en effet d’abord une
tendance à l'ouverture, puis une tendance à la palatalisation, enfin
une tendance à la fermeture.

I. — PHÉNOMÈNES D’OUVERTURE

Il s’agit du passage spontané de ë, ö latins à & g et de ï, ü latins


à e, g.
Sans doute, parmi les phénomènes indépendants, les phéno­
mènes d’ouverture sont-ils les premiers en date. Il ne s’ensuit
pas cependant qu’ils aient eu lieu tous à la même époque. Certains
sont en effet plus anciens que d’autres et il importe de reconnaître
deux étapes. La tendance à l’ouverture a agi d’abord sur ë et ç ;
ce n’est que plus tard que ï et ü ont été atteints.

A. — Ouverture de ë et 5 latins
Le passage de ë et ö latins à ç et ç est de toute façon antérieur
aux invasions germaniques. On tâchera de préciser plus bas la date
à laquelle il a pu se produire.
Deux grammairiens latins du ve siècle parlent nettement du
changement qui est intervenu ; cf. Servius (in Donat., Keil, IV,
421, 16 sq.) : « uocales sunt quinque a e i o u. ex his duae, e et o
aliter sonant productae, aliter correptae... e quando producitur,
vicinum est ad sonum i litterae, ut meta ; quando autem cor-
reptum, vicinum est ad sonum diphtongi, ut eqims » —, et Ser­
gius (in Donat., Keil, IV, 520, 27 sq.) : « vocales sunt quinque.
hae non omnes varios habent sonos, sed tantum duae, e et o, nam
quando e correptum est, sic sonat quasi diphtongus, equus ; quando
194 VOYELLES ACCENTUÉES : PHÉNOMÈNES INDÉPENDANTS

productum est. sic sonat quasi i , ut démens ». Par « diphtongus »,


il faut sans doute entendre la diphtongue ae (p. ex. dans caelum),
qui de phonétique était devenue simplement graphique par suite
de sa reduction à ç. Ainsi donc, Servius et Sergius reconnaissent
deux e et deux o : les uns fermés (on verra plus loin ce qu’il faut
penser du rapprochement de ë avec i), les autres ouverts.
Mais il est évident que si ces grammairiens acceptent cette
difference de timbre, c’est qu’elle devait être ancienne à leur
époque et qu’elle était déjà entrée dans l’usage.
A quelle date peut-on la faire remonter ? Un grammairien du
111e siècle, Terentianus Maurus, signale que les deux o ne se pro­
noncent pas de la même façon. Malheureusement, la différence
qu'il indique n’est pas celle dont parlent Servius et Sergius ; elle
est même l'inverse. Il écrit en effet à propos de 5 (Keil, VI, 329,
133-134) :
at longior alto tragicum sub oris antro
molita rotundis acuit sonum labellis,

et l’expression qu’il emploie, tragicum sonum, laisse entendre une


prononciation plutôt ouverte, ce qui à coup sûr n’est pas conforme
à la réalité. En outre, lui-même ne parle pas d’une différence de
timbre entre les deux e. Il se contente de dire (Keil, VI, 329, 116 sq.):

e quae sequitur [a] vocula dissona est priori,


quia deprimit altum modice tenore rietum,
et lingua remotos premit hinc et hinc molares.
Enfin, en admettant que son texte soit tronqué et qu’il ait
réellement dit ce que son compilateur Pompeius (ve siècle) écrit
en se réclamant de lui (Keil, V, 102, 4 sq.) : « e aliter îonga, aliter
brevis sonat... dicit ita Terentianus ' quotienscumque e longam
volumus proferri, vicina sit ad i litteram ’, ipse sonus sic debet
sonare, quomodo sonat i Iittera. Quando dicis évitai, vicina debet
esse, sic pressa sic angusta, ut vicina sit ad i litteram. Quando
vis dicere brevem e, simpliciter sonat », rien de tout cela n’indique
que si ë est fermé et même très fermé, ë par contre soit ouvert,
comme par exemple Vè du fr. père ou Ve de l’ital. bello. Ainsi le
système de Terentianus ne s’accorde sur aucun de ces trois points
avec celui de Servius ou de Sergius et il est impossible de tirer
parti de son témoignage pour la date de ç et ç. D ’ailleurs, loin
d’apporter un renseignement direct sur le vocalisme latin lui-
même, Terentianus n’aurait-il pas simplement transporté la pho­
nétique grecque dans un autre domaine que le sien ? Si l’on atta­
che quelque importance au rapprochement qu’il fait, d’après
Pompeius, entre ê et /, il résulte en effet que son système : ë = ç,
p = it ô — g, ô = g ressemble à s’y méprendre au système réalisé
par Je grec après le passage de t, à i : e = e, t\ — i, o = o, w = ç,
chose qui n’a pas lieu de surprendre quand on songe à quelle école
ont été les grammairiens latins. Servius et Sergius eux-mêmes
PHÉNOMÈNES D’OUVERTURE io:>

n’auraient fait que suivre la leçon de Terentianus en écrivant le


premier : « e quando producilur, vicinum est ad sonum t litterae »,
le second : « quando [ë] productum est, sic sonat quasi i Cepen­
dant, étant donné qu’ils parlent l’un et l’autre de é et ó ouverts,
ce ne serait plus chez eux qu’une formule traditionnelle destinée
à indiquer simplement le caractère fermé de ë et de ô.
Il n’en reste pas moins que c’est dans le courant du 111e siècle,
sinon un peu avant, que l’ouverture de ë et de ô doit s’ètre pro­
duite. Au siècle suivant, en effet, l’évêque arien Ulfila, dans sa
traduction du Nouveau Testament en gotique, rend les deux voyel­
les latines par ai, respect, aù, c’est-à-dire par ç, respect, g : cf.
got. laiktjo (= lëctio), Paitrus (= Petrus), spaikulâtur ( = specula­
tor), aùrâli (= *ôrarium), etc. En supposant le temps nécessaire
pour que la nouvelle prononciation ait pu se généraliser, on peut
sans crainte d’erreur reporter l’ouverture de ë et ô au 111e siècle
et même plus haut.
Quoi qu’il en soit, cette ouverture constitue la première mani­
festation d’une tendance destinée à prendre une grande extension :
celle à l’affaiblissement, traduit par un affaissement lingual, des
voyelles brèves latines, non en tant que « brèves », mais en tant
que « relâchées ».
Pendant qu’elle se maintenait pour ë et ô, qui étaient tendus, la
force articulatoire a diminué dans le cas de ë et ô, tous les deux
relâchés. Il en est résulté que la masse linguale n’a pas pu main­
tenir son soulèvement, soit en avant, soit en arrière, au niveau
de e et de et que ë, ont passé à ç et ç. C’est du reste cette dimi­
0 0

nution de la force articulatoire qui entraînera quelques sièeles


plus tard ce qu’on appelle la « diphtongaison spontanée » de ë,
ö accentués, devenus longs (p. 213) en syllabe ouverte.
En conséquence, le latin, s’il n’a plus possédé d’e et d’o « brefs »
fermés (pendant un certain temps il n’y a eu comme fermés que
des e et des «longs»), a acquis en revanche deux timbres nou­
0

veaux, ceux de e et 0 ouverts, avec cette limitation cependant que


le timbre « ouvert » a été lié à la qualité de « brève ».

Ainsi le système vocalique latin qui était primitivement celui-ci :

ü
P
ä
est devenu le suivant :

ä ~
ô
i $
a
196 VOYELLES ACCENTUÉES : PH ÉNO M ÈN ES IN D É P E N D A N T S

11 convient de noter d'ailleurs que si la tendance à l’ouverture


des voyelles brèves (= relâchées) s'est exercée en premier lieu
sur c et <5, il n'y a là rien qui doive surprendre. La question ne se
pose pas pour a. Quant à l et Ci, l’effort musculaire exigé par ces
voyelles est plus considérable que pour ë et o, à cause du soulève­
ment plus grand de la masse linguale. Bien que « relâchés » eux-
mêmes, ils étaient cependant plus fortement articulés que è et o.
Aussi ont-ils résisté plus longtemps à la tendance à l'affaiblisse­
ment, et l'évolution de i, ü germaniques devenus e et o en gallo-
roman permet-il de dire que cette tendance n’a agi que beaucoup
plus tard sur ? et ü latins (cf. ci-dessous).

B. — Ouverture de ï, ü latins et g e r m a n iq u e s
Bien qu’ayant résisté plus longtemps que ë et ö latins, primi­
tivement fermés, à la tendance à l’ouverture, ï et u latins ont
fini cependant par y céder.
On a eu ainsi : crïsfta > *crësfia (d’où fr. crête), fïrfmat >
*{êrjmat d’où fr. ferme), ïlfla > *ëljla (d’où fr. elle), sïc/ca >
*s?cjca (d’où fr. sèche), vïr(ï)de > *verfde (d’où fr. vert), etc.
crûs fia > *cros fta (d’où fr. croûte), cür jtu > *cçrfto (d’où fr.
court), gütfta > *got fta (d’où fr. goutté), tür jre > Hör fre (d’où fr.
tour), etc.
Mais par suite du bouleversement quantitatif qui avait eu lieu
(p. 213), ï et ü latins avaient abouti en syllabe ouverte à i et u
« relâchés » longs, que l’on notera ici par î et ü, en caractères
romains, pour distinguer ces longues tardives des longues latines
ï et ü, restées « tendues ». Parallèlement à ce qui s’est produit
dans les exemples ci-dessus, c’est-à-dire pour ï et ü latins restés
brefs en syllabe fermée, les nouvelles voyelles longues relâchées
I et ü se sont elles-mêmes ouvertes, d’où ë et ô secondaires qui
ont rejoint Yê et Y5 primaires du latin tëla, flôrem, etc.
On a eu ainsi : ftjde > *fifde > *fëfde (d’où fr. foi), pïjlu >
*pdju > *pëjlu (d’où fr. poil), pïjra > *pifra > *pëfra (d’où
fr. poiré), pî'fsu > *p\fsu > *pëfsu (d’où fr. pois), etc.
cü jbat > *cü jbat > *cô fvat (d’où fr. couvé), gü fia > *gü fia
> *gôfla (d’où fr. gueule), lü/pa > Hû/pa > Hôfva (d’où fr.
louve), etc.
Un fait tiré de la phonétique permet de dater approximative­
ment l’ouverture de ï relâché (bref ou long) en gallo-roman sep­
tentrional.
En face de cire ( < cëra), le v. fr. a en effet ceire, plus tard çoire
«pois chiche » (< *cïcëre, 1. cl. cïcer). L’opposition i : ei que pré­
sentent cire et ceXre se résout en une autre plus ancienne, yei (dans
*tsgeira, d’où dre) : ei. Etant donné que le c initial suivi de voyelle
palatale a régulièrement abouti dans les deux cas à tsy-, si cicëre
n’est pas devenu *lsyeire (ce qui aurait donné une seconde fois
PHÉNOMÈNES D ’OUVERTURE 197
dre), mais seulement *tsejre, c’est que le y du groupe tsy- s’est
amuï alors qu’il était encore suivi d’un i dans le continuateur
gallo-roman de ce mot. L’amuissement ne se comprendrait pas
devant un ç résultant de l’ouverture de ï, puisqu’il n’a pas eu
lieu dans Hsyeira (> cire). Le passage de ï à e est donc postérieur
au résultat tsy- (< ce<{-). Mais comme ce dernier n’a été proba­
blement atteint en gallo-roman septentrional que dans la seconde
moitié du ve siècle, il s’ensuit que l’ouverture de ï n’a pu commen­
cer que pendant cette même période, sinon légèrement après.
R emarque. — D’autres exemples peuvent être cités à l’appui du
raisonnement ci-dessus ; cf. en vfr. receit < * rec îp it, receivre < recipêre,
et les continuateurs de * d e cîp it, decïpère (deceit, d e ce iv re), * p e r c îp it, p e rc l-
përe (p e rce it, perceivre), toutes formes avec ej et non avec i.

Il est possible qu’à cause de la double articulation (labiale et


linguale) de ü , l’ouverture de ü en o ait été plus tardive que celle
de i en e. En tout cas, l’une et l’autre étaient encore en train de
s’accomplir lorsque les mots francs ont pénétré dans le lexique
du nord de la Gaule.

***

En effet, selon qu’ils se trouvaient en syllabe fermée ou en


syllabe ouverte, 17 et l’ü du francique ont abouti, comme les
continuateurs de ï et ü latins, à e, o brefs d’une part, et e, o longs
de l’autre.
Exemples de la première catégorie : frk. *fïl/tir > *fël/tro (d’où
fr. feutre), frk. *hïlt > *hël /to (d’où vfr. heit, heut « poignée
d’épée »), frk. (h)rïng > *rënfgo (d’où fr. rang). Cf. encore : frk.
gïlda, *hïltja, slimb, klïnka, slïnka, bïnda, sind, frisking, hrïng,
kamerling, lausïnga, maisïnga, spirling, wrïnga, kïnni, krïppfa,
anglisk, brittïsk, danisk, theudisk, frisk, marisk, lïska, alisna, etc.
> v. fr. geude « troupe, compagnie », v. fr. heuce « poignée de
l’épée », v. norm, esclem « de biais, incliné », clenche, v. fr. esclenche
« main gauche », v. fr. freissenge «jeune porc », v. fr. reng (auj.
rang), v. fr. chamberlenc (auj. chambellan), v. fr. losenge « flatterie,
tromperie », mésange, v. fr. esperlenc (auj. éperlan), v. norm.
varengle « sangle », v. norm. v. pic. quenne « joue, dent » (fr. que­
notte), crèche, v. fr. anglois (auj. anglais) ~ anglesche, v. fr. bretois
~ bretesche, danois ~ v. fr. danesche, v. fr. thiois « tudesque »,
frais, v. fr. marois (auj. marais), v. fr. lesche (auj. laiche), alêne, etc.
frk. *brün fnfa > *brôy jna (d’où vfr. broigne « cotte de mailles,
cuirasse»), frk. *düljlfa > *dôyjla (d’où fr. douille), frk. *h(ils >
*holjso (d’où fr. houx), frk. krüplpa > *krôpjpa (d’où fr. croupe).
Cf. encore : frk. dûlli, düllja, gullja, hiilftja, hüls, siiltja, krümb,
irumpa, blünd, sünnfa, strünt, hürda, nùskja, brüst, etc. > v. fr.
doille « furieux, forcené », douille, v. fr. goille « bourbier », housse,
198 V O Y E L L E S A C C E N T U É E S .* P H É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S

hou.r, v. fr. son: « viande dans le vinaigre », v. fr. cron, crombe


« recourbé », trompe, blond, v. fr. essoigne « excuse, difficulté,
ennui », étron. v. fr. hourdc « barrière », v. fr. nosche « collier »,
brout, etc., et les noms propres en -münd- (Drumont, Frémond,
Gaumond, etc.) ou en -wülf- (Béroul, Faroux, Raoul, etc.)
Exemples de la seconde catégorie : frk. *frï/pu > *frïjdo >
*frë do (d’où -froi, -jroij dans beffroi, Geoffroy et v. fr. Herfroi,
Lanfroi, Rainfroi, etc.), frk. spït > *espïjto > *espëfdo (d’où
époi), frk. tijber > *tï/bro > *lë/bro (d’où v. fr. toivre « bétail »).
frk. trüfha > *lrü ja > *trôfa (d’où vfr. troe « caisse, coffre »).
R emarque I. — Pour le traitement ultérieur de ë, o, et de ë, ~à cf.
Chap. III. . . . .
R emarque II. — Dans certains mots, / et ü latins ont été remplacés
à date ancienne par ï et a.
Ainsi sous l’influence de dïco, bcnedïco, dïxi, benedïxi, les part. pass.
dîctu, benedictu sont devenus de bonne heure *diclu et *benedïctu, d’où fr.
dit et vfr. benëil. Cependant dictu a pu se conserver et c’est lui qui est à la
base de la forme doit de la Passion. Pour benedictu, il faut noter que le pro­
cessus analogique n’a eu lieu que lorsque ce mot était part. pass, et non
adjectif ou nom propre. Dans ces deux derniers cas, benedictu n’a pas été
entraîné par le système de la conjugaison et a maintenu son ï ; d’où vfr.
benêeit, Benëeit (auj. benoît et benêt, Benoît). De même on a en vfr. malëeit
~ maleoit < maledictu.
On constate encore la substitution de ï à i dans cïliu, miliu, *liliu
(1. cl. tllia), devenus *cïliu, *mïliu, *tïliu sous l’influence de fïliu, mot
d’usage fréquent ; d’où fr. cil, mil, vfr. til encore vivant à côté de teil < *ti-
liu dans la plupart des patois (fr. tilleul) ; — et dans conflcëre, defïcëre,
despïcëre, devenus *conficëre, *defïcëre, *despîcëre sans doute d’après
dicere ; d’où confire, déconfire, vfr. defire, vfr. despire.
En latin, la substitution de -ïcüla à -ïcüla est attestée par la scansion
dans un certain nombre d’exemples ; cf. canïcüla (Plaute, Juvénal), cla­
vicula (Germanicus), craticüla (Martial), vitîcüla (Val. Caton) qui ont laissé
en particulier des continuateurs en français : chenille, cheville, v. fr. grëille
(auj. grille), v. fr. veille (auj. vrille) — , et apïcüla (Plaute), cutïcüla (Perse,
Juvénal), tegetîcüla (Martial), dont aucun n’est représenté dans les langues
romanes (le fr. abeille, emprunté aux parlers du Midi, continue le type
étymologique latin apïcüla). La même substitution s’est produite encore
dans ducïcülu qui n’a de continuateurs qu’en gallo-roman (v. fr. doisil,
fr. mod. douzil ; v. pr. dozilh), dans falcïcüla ( > fr. faucille, v. pr. fausilha,
etc., RE H 3, 3156), et d’autre part dans lentïcüla ( > fr. lentille, prov.
lentilha, etc., REW 3, 4980), *pectinïcülu ( > fr. pénil), à côté de lentïcüla
(> esp. lenteja, etc. REW 3, 4980, 2) et *pectinïcülu ( > esp. pendejo, port.
pente Iho, REW3, 6331). A l’inverse, on note -ïcüla pour -ïcüla dans cor-
rdcula ( > fr. corneille, v. fr. cornelha, etc., R E W 3, 2238) à côté de la forme
étymologique cornïcula ( > engad. kornil’a, etc., RE W 3, ibid.). En fin l’j
de cunicülu est attesté par la scansion (Catulle, Martial, Phèdre ; cf. encore
cunlculosus chez Catulle), et on a i dans v. fr. conil, v. pr. conilh, etc...
(REW3, 2397). Cependant l’esp. fait conejo et le port, coelho, avec un e
qui remonte à un / latin. Le mot paraissant d'origine ibérique et l'ibéro-
roman postulant *cunïcülu, il y a quelques chances pour que ce dernier
soit la forme primitive et que cunicülu soit dû à une substitution de î
à ï.
A côté de strirjilix, le latin connaissait le doublet strigula (Schol, de
Juvénal), qui est à l’origine du français étrille. Quant à la quantité de l'i
accentué, elle paraît indécise en latin ; d'une façon générale les poètes
scandent strlgilis ; cependant on trouve strlglïbus, pour strlgïlïbus chez
Juvénal 3, 262). Ij’autre part, les langues romanes présentent pour slri-
P H É N O M È N E S D ’O U V E R T U R E 199
gula des continuateurs soit de ï soit de I ; cf. d'une part v. it. slregghia,
engad. straiglia, v. pr. estrelha et de l'autre, outre le fr. étrille, it. mod.
striglia, v. pr. estrilha (REW3, 8312), auxquels on ajoutera le cat. rouss.
eslrigol < *slrïgülu. De même le cast, salmant. estril (Gare a de Diego,
Dice. dim. esp. e hisp., n° 6372) suppose un type latin slrïgilis, ainsi que le
cat. estrljol. La comparaison avec le germanique pour lequel il faut admettre
une double base : strïg- et strîg- : all. Strich et Streich (cf. F. Kluge, Etym.
Wb. der d. Spr., s. v. Streichen) permet de supposer qu’il a pu en être de
même pour le latin. On aurait eu étymologiquement dans ce cas strigulis,
strïgüla et strïgïlis, strîgüla. Il est vrai cependant qu’à partir d’une base
unique strïg-, Yï de strïgïlis, strïgüla pourrait s’expliquer par l’action
analogique de stria, qui est pour *stria < *strigja (cf. W.-Pok., Etym.
Wb. d. indogerm. Spr., II, p. 637). Mais dans aucun cas on ne peut recourir
à une substitution de I à l dans strïgüla > strigula pour le fr. étrille. D ’autre
part, en partant de strïgüla, on ne saurait penser à une réfection de *estreille
< strïgüla sur le verbe estrillier (auj. étriller), provenant d'un plus ancien
*estreiïlier : ce dernier n’existe pas.
Pour le vfr. meïsme à côté de meesme (auj. même) < *melips!mu, cf. p. 402.
De son côté, le part. pass, düctu s’est changé de bonne heure en *düctu
sous l’action de düco, düxi ; d’où -duit dans conduit, produit, etc. Mais l’û
s’est conservé dans le subst. düctu « canal, source » ; d’où le vfr. doit qui
survit dialectalement dans tout l’Ouest depuis la Normandie jusque dans le
Poitou.
Lors du changement de dücta en *dûda, *lüda (du lat. lüctari) a pu
passer à *lücta ; d’où vfr. luite, auj. lutte. Mais l’ü a pu se conserver ; d’où
le v. fr. loitier à côté de luitier (auj. lutter). Sous la même action, trücta
a pu devenir *trücta ; d’où fr. truite, à côté du v.fr. troite.
Enfin acücüla a pu être refait èn *acücüla d’après acütu ; d’où le fr.
aiguille (primitivement prononcé avec -üfe), parallèle au vpr. agulha, cat.
agulla, cast, aguja, etc. Mais Yü accentué a pu aussi se maintenir ; d’où
ital. agocchia à côté de agucchia, gucchia < *acûcüla.
R e m a r q u e III. — D’autres fois, ï et ü latins ont été remplacés par ë
et ô.
Ainsi slnïstru, a été refait en *sïnëstru d’après *dëstru < dëxtru ; d’où
le vfr. senestre.
Par suite d’un croisement avec antë, anttphona est devenu *antéphona ;
d’où le vfr. antievene et le fr. mod. antienne. Mais antîphona s’est maintenu ;
d’où les formes du vfr. anteine, antoine, anleife, antefle, antevene.
Sous l’action de légère et prëmëre, les infinitifs dellgëre et deprimere
ont passé de bonne heure à *delëgëre, *deprëmëre ; d’où en vfr. déliré, de-
priembre.
Le suffixe latin -lllu, -a a été parfois remplacé par -ëllu, -a qui était plus
fréquent ; cf. ancllla > *ancëlla, axilla > *axëlla, mamilla > *mamëlla,
maxilla > *maxëlla, sigïllu > *sigëllu, scintilla > *scintëlla, d'où vfr. ancçle,
aisele, mamele, maisele, seel, estincele (auj. aiselle, mamelle, étincelle), formes
qui’ ont des correspondants en ie en v. picard.
De son côté, nüptias est devenu *nôptias, sans doute sous l’influence de
*nôpta qui résulte de l’assimilation de l’ü de nùpta avec 1’«î de nüva dans la
combinaison nova nùpta ; d’où vfr. nueces (p. 237) et fr. mod. noces, paral­
lèles à vpr. nçssas, ital. nçzze, etc.
De plus, d’après *ôfférit (1. cl. öffert), *süf[ërit (1. cl. süffert) s’est trans­
formé en *sôffëril ; d’où le vfr. suefre, seufre, remplacé par souffre analo­
gique de souffrir < *sofferirc.

R emarque IV. — Dans certains cas, la substitution de l ou de ü par


une autre voyelle n’est qu’apparente.
Flmus n’a pas laissé de continuateur en français. L’ancien fiens remonte
à un type *fëmus, à côté duquel a existé un verbe *fèmttare, dont le post-
verbal a donné le fr. fiente. On explique ordinairement *f(mu$ par une
200 VOYELLES ACCENTUÉES : P H É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S

action Je stèrcus sur flmus. Mais cette explication paraît peu vraisembla­
ble. Il est probable qu’il s’agit b\ d'une forme du latin campagnard, dont
l'étymologie se laisse facilement entrevoir. Flmus remonte à un thème
indoeuropéen *dhg-ci-. Dans le latin de Rome, ci a abouti à î ; d’où *flmus,
avec un i long qui se retrouve dans suffîmentu. Cet ï est devenu bref dans
*}ïmare (p. 184 sq.) ; d'où par analogie flmus au lieu de *flmus. Dans le latin
de la campagne romaine, la diphtongue indoeuropéenne ei est normalement
continuée par è ; d'où un type *fêmus qui a dù exister parallèlement à
*flmus. Mais de même que *fïmare est devenu flmare (d’où flmus), *fëmare
a dû passer lui-même à *fâmare (d’où *fëmus). De la sorte, il n’y aurait
pas à parler de substitution vocalique dans flmus.
Le v. fr. beiore * castor » remonte à un type latin bïber (attesté au
v e siècle), issu du croisement de fiber avec le celt, bëbros ; cf. aussi v. pr.
befre. it al. bcvcro. Le v. fr. bièvre (déjà au xii® s.) pourrait s’expliquer
par le celtique, ainsi que le nom de lieu ou l’hydronyme Bièvre(s).
Tandis qu’au moment où l’accent portait encore en latin sur la syllabe
initiale, l’ancien *cÔlobra passait à côlübra dans le latin de Rome, l’ö
inaccentué intérieur a pu se conserver tel quel sous l’action assimilatrice
de â dans le latin de la campagne ; d’où, après déplacement de l’accent,
côlôbra. qui est à la base du vfr. coluevre (auj. couleuvre), du v. pr., cat.
colgbra, du cast, culebra ( < coluebra) et du port, cçbra.
R emarque V. — L’ü accentué ne s’est pas ouvert en p dans ülülat ;
d’où dans la suite [ü] dans le fr. hurle. On attribue ordinairement la conser­
vation de ü à une influence onomatopéique. On peut aussi penser à une
autre explication, qui rappelle celle qui a été donnée plus haut pour le
vfr. visné < vlclnatu ; cf. p. 186. La tendance à l’ouverture ayant attaqué
tout d abord le second ü de ülülat, pour la raison qu’il était inaccentué,
le premier ü a été ensuite conservé pour éviter une succession ç — o.
En admettant que bûtüru (gr. ß<müpov), attesté dans l’Edit de Dioclé­
tien, ne se soit pas syncopé en *bütru avant l’abrègement des antépénul­
tièmes longues (p. 177 sq.), le type *büturu résultant dudit abrègement pour­
rait présenter un cas analogue à celui de ülülat. Pour les mêmes raisons
que dans ce dernier mot, l’ü accentué aurait conservé ici son timbre. Quoi
qu’il en soit, on peut toujours expliquer Vu du vfr. bure (auj. beurre, p. 351).
Le même raisonnement vaudrait encore pour le vfr. cisne (auj. cygne).
A supposer qu’il faille partir non du lat. littéraire cïclnu, mais de *clclnu
avec aîbrègement de l’antépénultième longue, la conservation du timbre de
l accentué s’expliquerait par le besoin d’éviter une succession é — e.
R emarque VI. — Enfin l’f ne s’est pas ouvert dans une série de mots
franciques qui doivent avoir été introduits dans la langue à un moment où
la tendance à l’ouverture avait cessé d’agir ; cf. *belllnc > vfr. belin, berlin
« bélier *, *hrlng(la > vfr. fringue, fringre « danse », *simlla > vfr. simble,
simle i semoule », *sklna > fr. échine, etc. Il en est à plus forte raison de
même dans les mots germaniques introduits postérieurement au francique ;
cf. m.néerl. bricke > fr. brique (x v ie s.), néerl. kip > mfr. chipe «haillon»,
v. h. a. kisle > vfr. quisle « corbeille » (à côté de queste), v. nord, krlki
> fr. crique, m. néerl. lippe > lippe, agis, scip > vfr. eskip (auj. esquif,
de l’ital. schifo < lomb. sklf), etc.
De même l et û latins sont continués par i et u dans un grand nombre de
mots savants ; cf. arbitre ( = arbltru), bénigne ( = benlgnu), calice ( = calice),
cantique ( = cantïcu), chemise (= camïsia), concile (= conciliu), digne
(= dîgnu), envie (= invïdia), épitre ( — ejnstola), esprit (= spïrïtu), famille
(~ familia), ides ( = ïdus), infirme (= infïrmu), livre (= lïbru), maligne
( — maliqnu), v. fr. navilie ou navirie, auj. navire (= navïgiu), prémices
( - prirnitias), pupitre ( — pülpïlu), signe (= sïgnu), sinistre (= sïnïstrü),
tripte ( = triplu à côté de triplex), triste (== triste), v. fr. virgc ( — vlrglne),
'■te. ; — v. fr. delubre ( — delübru), v. fr. diluvie, auj. déluge ( — dilüviu),
divulgue (=>= divillgat), v. fr. fluive ( — flüviu), v. fr. lubre (== lübrlcu),
muscle (=* müscnlu), nocturne (= noclürnu), v. fr. quadruve (== quadrüviu),
rude ( ~ rüde), sépulcre ( = sepülchru), tumulte (=» tümüllu), etc., à côté
P H É N O M È N E S D ’O U V E R T U R E 201
desquels 11 peut exister des formes plus ou moins populaires : v. fr. auvoire,
v. fr. enveie, seing (et sin dans tocsin), v. fr. treble, v. fr. verge, v. fr. de-
louve et deloive, v. fr. escolorge (< *excollûbrïcal), fr. moule, v. fr. notourne,
v. fr. lomolte, etc.
Le celt. Belîsama est représenté par Belléme (Orne), Balême (Loiret),
Bellesme (Eure-et-Loir), Blesmes (Aisne), Balesme (Hte-Marne), etc. (cf.
A. Dauzat, Top. franc., p. 144-145) mais aussi par Blismes (Nièvre), auquel
correspond dans le domaine provençal Belime (Puy-de-Dôme).
Note sur l’écriture dite « mérovingienne ». — Les mots du type crlsta
et crüsta ayant passé à *cresta et *crosta tout en pouvant garder leur an­
cienne graphie avec i et u, ces deux derniers signes ont été employés, après
l’ouverture de ï en e et de ü en o, pour e et o latins, brefs ou longs. Cette
écriture porte le nom de « mérovingienne », à cause de l’époque à laquelle
elle a commencé et pendant laquelle elle a été en usage. Ainsi on trouve
dans le latin de Frégédaire (vii * s.) des formes rigis, habitur, minsis, etc.
pour reges, habetur, menses, etc., et custudia, gluria, persunas, etc. pour
costodia, gloria, personas, etc.

C. — C onservation ju s q u ’à nos jo u rs de ï latin e t g e r m a ­


nique ; conservation te m p o ra ire de ë, 5 la tin s e t de ü
latin e t g e rm an iq u e

Tandis que e, ö latins cédaient, à cause de leur caractère de


« relâchés », à la tendance ouvrante dont il a été question plus
haut (p. 193 sq.), ë et 5 latins, articulés plus fermement, ont con­
servé sur le moment leur timbre originaire. Parallèlement, après
le bouleversement quantitatif (p. 213 sq.), lorsque les continua­
teurs, brefs ou longs, de i, ü (relâchés) latins ou germaniques
ont été à leur tour touchés par la même tendance, les continuateurs,
longs ou brefs, de f, ü (tendus) latins ou germaniques ont résisté
à l’ouverture.
Ce qui ne veut pas dire que les voyelles qui ne s’étaient pas
ouvertes soient restées sans modifications dans la suite. D'autres
tendances sont survenues qui ont pu les transformer. On verra
plus loin (p. 223 sq.) comment les continuateurs de ë, ô latins se
sont diphtongués, quand ils sont restés longs après le boulever­
sement quantitatif, et comment les continuateurs, longs ou brefs,
de ü latin et germanique se sont palatalisés en [ü].
Seuls i bref et i long provenant de f latin ou germanique ont
maintenu leur timbre jusqu’aujourd’hui.
Exemples latins, avec ï tendu continuant ï : amïjcu > *amîjgo
> fr. ami, venïjre > fr. venir, vïjta > * vïjda > fr. vie, vïjva >
fr. vive ; — avec ï tendu provenant de f : *fïcjcat ( < fïgicat) >
* fïc/cat > * fïtjsat > fr. fiche, ï(n)s(ü)la > *îs;ia > v. fr. isle
auj. île ,*nïdïcat > *niclcat > *nitßat > fr. niche, scrïpltu >
*escritlto > fr. écrit, etc.
. Exemples germaniques, avec f tendu continuant ï : bïjsa >
bise, grïjsi > gris, wï/pera > guivre, wïjla > v. fr. guile « trom­
perie », wïjsa > guise ; formes romanisées : *glïfdat (l’rk. glïdan)
202 VOYELLES ACCENTUÉES : P H É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S

> v. fr. glie « glisse », *skïjrat (frk. skïran) > v. fr. eschire (auj.
déchire), *slî/tat (frk. slïtan) > v. fr. esclie « fait voler en éclats »,
*wl(tat (frk. wïtan) > guie « il guide », etc. — ; avec î tendu pro­
venant de f : lïs/ta > *lisjta > v. fr. listre « bord, lisière », lïs/tja
> üsltja > lice, riki > *rïtjso > riche, etc.

R emarque I. — Il faut écarter certains cas qui pourraient faire croire


à une substitution de i latin par ï.
Le lat. litt, a glïs, glïris. De fait, glïre se retrouve dans le vieux mot
liron (*(g)lirône, signalé encore avec gliron au x v n e siècle. Mais à côté de
glïre, il a dù exister une forme campagnarde ou osco-ombrienne *(g)lêre,
avec i.e. ei > ë, comme permet de le supposer lerus attesté dans les gloses
latines. C’est de cette forme que provient le fr. loir.
Le gaulois semble avoir connu un doublet *glïsa — *glësa, avec double
traitement de ei indoeuropéen. La première de ces formes est attestée dans
le composé glisomarga (Pline) « sorte de marne ». * Glïsa a donné en vfr.
glise et lise, tous les deux usités encore en Normandie. Lise est à la base du
verbe s ’enliser, lui aussi d’origine normande et introduit dans la langue
générale par V. Hugo (Misérables, V. 3). La forme actuelle glaise provient
d’un ancien gleise — gloise qui remonte à *glësa. Glisser est sans doute
issu du croisement du vfr. glier (cf. ci-dessus) avec glace. Lisse n’a rien à
voir avec les mots précédents ; il a été refait d’après le prov. lis qui sem­
ble continuer un germanique *lîsi (cf. allem, leise).
A côté de vervëx, -ëcis, le latin possédait aussi une forme vervïx, -id s.
C'est cette dernière qui a donné le fr. brebis. De même il faut admettre pour
le fr. souris un type latin campagnard *sorïx, -ïcis qui a dû exister à côté
de sorëx, -ïcis.

R emarque II. — Dans d'autres cas au contraire il y a eu véritable


substitution vocalique.
La terminaison -ïtis de la 2e pers. plur. indic. prés, des verbes en -ïr
devrait être en vfr. -iz, auj. -is. De fait, -iz est commun dans les vieux
textes de l’Est, où l’on a moriz, senliz, etc. ; il survit encore aujourd’hu
dans certains patois de la même région. Mais au Centre et à l’Ouest, il a
cédé la place à -ez dès l’époque prélittéraire et on a dès le vfr. morez (auj.
mourez), sentez, etc. Cette terminaison qui est celle du français littéraire
s’explique par la généralisation des formes de la l re conjugaison, telles que
chantez, parlez, etc., de beaucoup les plus nombreuses. On rencontre aussi
anciennement à l’Est une terminaison -eiz ~ -oiz, sans doute analogique de
aveiz — avoiz < habëtis.
Sur le modèle des verbes du type prie ( < pricat) : preier — proier ( < pre-
care), le vfr. a refait d’après chastie ( < castïgat) un infinitif chasteier —
chastoier, au lieu de chasticr. A son tour, l’infinitif chasteier — chasloier a
donné naissance à chasteie chastoie. Cette dernière forme se rencontre
encore au x v e siècle.
Tüssïre est représenté régulièrement par toussir jusque vers la fin du
xvie siècle. A cette époque, ce verbe a changé de conjugaison et est devenu
tousser. On disait aussi autrefois puir < *putïre (lat. cl. pulëre), espelir <
frc. spellôn, oessir < vlssïre. Ces formes ont cédé la place à puer, épeler,
vesser. Puer date du moyen âge et ne s’est généralise qu’au xvii ® siècle.
Epeler et vesser apparaissent, le premier au x v e , le second au x v m e. Puer
a été refait sur saluer, remuer, etc., d’après la proportion saluons, saluez,
saluent : saluer = puons, puez, puent : x. De même c’est la proportion (subst.)
/esse : fesser = (subst.) vesse : x qui est à l’origine de vesser. Quant à épeler
il est dû sans doute à l’influence du verbe appeler.
P H É N O M È N E S D E PA LA TA LISA TIO N 203

II. — PHÉNOMÈNES DE PALATALISATION

Tandis que l’u « relâché », provenant de u latin accentué en syl­


labe ouverte ou fermée, s’ouvrait en ç, respect, Ö, (p. 197), l’u
« tendu » long (< lat. ü en syllabe ouverte, p. 215) ou bref ( < lat.
ü en syllabe fermée, p. 215) avait maintenu son timbre. Comme
dans le cas de i « relâché » et de i « tendu », cette différence de
traitement est tout à fait normale.
On avait ainsi continué d’avoir un [u] tendu long dans dû [ru
> *düj ro (d’où fr. dur), füjsu > *füjzo (d’où vfr. jus «fuseau»),
mû flat > *müldat (d’où fr. mue, remue), vïrtüjle > *vertüjde
(d’où fr. vertu), etc.; — et un [u] tendu bref dans fus fie > *fus fie
(d’où vfr. fust, auj. fût), pürjgat > *pûrfdzat (d’où fr. purge),
eelt. rüs /ca > *rüs fisa (d’où fr. rûché), etc.
Le traitement avait été le même pour l’ü francique. Ainsi,
avec ü tendu continuant ü : brûd > *brû/de > bru, bû/rja >
v. fr. buire « hutte, maisonnette », drüd > *drûjdo > v. fr. drut
« amant », hüjba > v. fr. huoe « bonnet », krû/ka > v. fr. cruie
et fr. mod. cruche, lûjdera > v. fr. lure «lange, couche», sküm
X lat. spüma > *sküfma > écume, sur > *süfio > sur «aigrelet»,
formes romanisées : *bü/kat (frk. bûkon) > v. fr. bue «il lave»,
*rüfnat (frk. rünon) > v. fr. rune «il murmure», *lü/mat (frk.
lümôri) > v. fr. tume «il saute», etc. — ; axec ü tendu provenant
de ü : büsk > *büsjka > bûche, krüsk > *krüsfko > v. fr. grui
gru « bouillie de gruau », forme romanisée hürjtat (frk. hrüt « bé­
lier ») > v. fr. hurte (auj. heurte), etc.

Mais à la différence de ce qui a eu lieu pour fi] qui est resté sans
changement, [u] tendu s’est palatalisé dans la suite en [ü].
Pour le processus de cette palatalisation, cf. p. 229, où le phéno­
mène sera étudié avec d’autres du même ordre.

* *

Quant à sa date, on peut dire qu’elle est postérieure pour ce


qui concerne le francien :
1° A la palatalisation de k* dans capra > vfr. chièvre (auj.
chèvre) : sinon le lat. cüpa serait représenté aujourd’hui par *chuve,
et non par cuve.
2° Au passage de -y- (< -Ä-) à -w~ dans secüru > *segùro >
*seyüro > *sewüro > seüro > vfr. sëur (auj. sur) : sinon -y- serait
devenu -y- comme dans pacare > paiier (auj. payer).
204 VOYELLES ACCENTUÉES .* PHÉNOM ÈNES IN D É P E N D A N T S

3° A la chute des voyelles finales autres que -a ou que -e pré­


cédé de consonne -J- liquide, comme il résulte de l’évolution de
cûlus, nCillus ; cf. ci-dessous.
4° A la première vocalisation de l devant consonne en syllabe
inaccentuée ou en syllabe accentuée dans le cas où l est précédé
de ü (cf. IIe Part. : Conson.) ; cf. collïberhi > culliberio (p. 453)
> culverto > *cuuverto, püëllïcëlla > *pwoltsçlla > *pwoutsçlla
(p. 475) —, cûlfujs > *kuus > *kus, nüll(u)s > *nuus > *nus,
pül(i)ce > *puuts§ > *putse.
5° A la réduction de woii inaccentué à u dans *pwoutsqlla (cf.
ci-dessus) à *puisela (p. 475).
6° Au passage de ûo ( < ö accentué en syllabe ouverte) à üe,
comme le prouve le résultat dialectal wç ~ ç dans fuerre (d’où rue
du Fouarre à Paris) < frk. fôDr, Auxerre < v. fr. Auçuerre <
Autessiödäru, Tonnerre < Turnoduru, etc. ; cf. p. 293.

C’est à partir de ce moment que la palatalisation de [u] accentué


ou inaccentué aurait eu lieu en francien. En particulier, la diph­
tongue üe ( < ûo ; cf. ci-dessus, n° 6) aurait passé à üe, et la diph­
tongue ou (< 6 long roman se serait transformée en ou, là où
Vu diphtongal s’était maintenu, c’est-à-dire dans les mots où il
n’était pas suivi de v (type *rçuvre > v. fr. rovre, fr. mod. rouvre).

Cependant la palatalisation de [u] est antérieure en francien :


1° Au passage de üe ( < ûe ; cf. ci-dessus) à ÿœ, par assimi­
lation de e diphtongal avec ü —, et à plus forte raison au dépla­
cement d’accent qui s’est produit dans la diphtongue et qui a
amené üœ à wfc, d’où plus tard œ.
En résumé, le franç. prélitt. *müele ( < lat. mold) aurait passé
par les étapes *müelç, *müœlç, *mwéele, avant d’aboutir au fr.
mod. meule.
Une évolution ûe > wé > wè > wcc n’est guère vraisemblable :
la palatalisation de w ne se vérifie pas en gallo-roman et d’autre
part il est difficile d’admettre que e accentué se soit laissé assi­
miler en œ par un w précédent : wé aurait plutôt passé à yé. Il
faut en dire autant, pour une partie des raisons déjà alléguées,
d’une évolution ûe > üe > wé > wœ.
2° A la nasalisation des voyelles orales devant consonne nasale.
Ainsi la finale latine -ünu était déjà devenue -Un avant cette
PH É N O M È N E S D E PALATALISATION 205

date ; c’est ü et non plus u qui s’est nasalisé, d’où -ün en vx. fran­
cien, et -œ en fr. mod. (p. 362 et 372).
Il est du reste probable que la palatalisation a commencé plus
tôt dans les mots où [u] se trouvait au contact d’un élément pala­
tal que dans les autres : elle doit être plus ancienne dans [düi]
— v. fr. (lui « deux », juge, jure, etc. que dans charrue, mur, puce,
etc. D’autre part, si elle a pu commencer au v m e siècle, cela
ne veut pas dire que le stade actuel ait été déjà réalisé à cette
époque L’[ü] du début ne devait pas être celui du français d’au­
jourd’hui ; il lui a fallu parcourir avant d’y arriver toute une
série d’étapes et passer par une succession de [ü] centraux du
même type que l’u du norvégien hûs « maison ».

C’est en francien que la palatalisation semble être la plus


ancienne. Ailleurs elle a été plus ou moins tardive. Elle a même
pu ne pas avoir lieu, comme dans la Wallonie orientale (vallée de
l’Ourthe, région de Liège, Malmédy, etc.) où on prononce encore
aujourd’hui [u] et non [ü].
Comme preuves de ce retard, on peut alléguer un certain nom­
bre de faits.
1° L'emploi de la graphie u dans les anciens textes wallons
pour noter à la fois le continuateur de ü latin ou germanique et
l’[u] provenant de o] ou o[ romans (pp. 207, 208) ; cf. Brut (de
Munich) trestyz ( < Irans -f- löttos) : eissuz ( < *ex-ütus ; fr. mod.
issu) v. 1696-7, aventure : hyre ( < hôra) v. 1740-1, Poème Moral­
mut ( < multurn) : vertut : devenut 44, etc. Cet emploi laisse sup­
poser que la palatalisation de [u] n’était pas aussi avancée qu’en
francien ni la différence trop grande entre les deux voyelles.
R em a rqu e . — On constate le même phénomène en anglo-normand ;
cf. Brendan (éd. Waters, Introd. cxlix, cl) murs, flurs, etc., Boeve de Haum-
tone (laisse clxxxv) ducz : venus : joius : tuz, etc. Mais ici l’interprétation
est différente. Il ne s’agit pas d’un retard dans la palatalisation de [u]
< u lat. ou germ. C’est en effet un [ü] que la conquête normande a intro­
duit en Angleterre : l’[u] anglo-normand s’explique par une régression
due aux parlers anglo-saxons dans lesquels l’ancien [ü], indigène, s’était
vélarisé en [u],
2° La différence de traitement que l’on constate dans les conti­
nuateurs du type gentïlis. Tandis que ce mot a abouti à gentis en
francien, il se présente sous la forme gentius en Picardie, en Wallo­
nie, dans la Haute-Normandie, dans le Nord-Ouest, dans le
Nord-Ouest de la Champagne, dans l’Orléanais, etc. Gentis
suppose que 1’« diphtongal de gentius s’est palatalisé conditionnel­
lement en [ü] sous la double action de i et de s. Le maintien de u
est une preuve que la tendance à la palatalisation était moins
forte, et s’il en est ainsi on peut conclure qu’elle a été aussi plus
tardive dans les dialectes où on a gentius (p. 316).
7
206 V O Y ELLES A C C E N T U É E S : P H É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S

3° La différence de traitement que l’on noie dans les continua­


teurs du groupe -ünu. En francien, comme on l’a dit plus haut,
ü s'est palatalisé avant l’cpoque de la nasalisation et on a eu
d’où aujourd’hui œ. Dialectalement, on trouve le résultat
-on ; cf. alcon, chascon pour alcun, chascun, dans le Nord, le Nord-
Est, en Bourgogne, etc., Laon (Aisne) < Lügüdünu, et, avec un
u d’introduction trop tardive pour qu’il ait pu s’ouvrir en o, La
Londe (Seine-Inf.) < v. nord, lund « petit bois », Elalondcs (Seine-
Inf.) < v. nord. Steinlund. Ici la nasalisation est survenue alors
que l’on en était encore à l’étape [u] ; on a eu dès lors ün, graphie
-on au moyen âge, d’où aujourd’hui ç.
4° En moyen picard, les participes en -eu présentent au fémi­
nin une terminaison -cuwe, avec insertion d’un w transitoire ;
cf. dans Jean de Condé : deschëuwe I, 1819, recrëuwe (de recroire)
I, 1458, parcrëuwe (de parcroistre) I, 1459, etc. Le môme phéno­
mène se constate pour les continuateurs de -üta latin en anc.
wallon ; cf. Brut (de Münich) châuwe ( < *cadüta) v. 1717. Dans
les patois actuels de la Wallonie orientale, de la région de Metz
et des Vosges, on note -ow (cf. ALF., c. 1101 «perdue»), qui n’est
qu’un développement de -uw. Ce phonétisme suppose évidemment
que là où il se constate la palatalisation de [u] est postérieure
à la disparition de la dentale intervocalique.
5° En anglo-normand, dans les parlers de l’Ouest, du Sud de
la région centrale et en Wallonie, p roman ( < ô latin en syllabe
ouverte) peut être continué au Moyen âge, et cela plus ou moins
souvent suivant les textes, par oé, oué, we ou oi, c’est-à-dire pho­
nétiquement par [wç] ; cf. p. 295. Pour la réduction postérieure
de [taç] à [ç], cf. ibid. Le résultat [ m>ç] suppose que la palatali­
sation de [u] ne s’est pas produite à l ’étape [de], comme en fran­
cien, et qu’elle n’a eu lieu dans les régions du continent signalées
ci-dessus qu’après le passage de [de] à [wç].
En dehors d’une zone qui se laisse délimiter grossièrement à
l’Ouest par Le Tréport (Seine-Inf.), Amiens (Somme), Beauvais
(Oise), Gisors, Vernon, Evreux (Eure), Dreux, Chartres (Eure-et-
Loir), Orléans, Beaugency (Loiret), Bourges (Cher) et à l’E st par
Montargis (Loiret), Châteàu-Landon (Seine-et-Marne), Nogent-sur-
Seine (Aube), Provins, Jouarre (Seine-et-Marne), Sézanne, Reims
(Marne), Mézières, Givet (Ardennes), Namur, Viviers (Belgique
wallonne), on peut dire que ou provenant de la diphtongaison de
ó roman (p. 241) n’a pas évolué en œ, comme en francien, mais
s’est réduit à o, d’où [u]. Pour rendre compte de cette divergence,
on a pu supposer que, tandis que dans la zone ci-dessus I’m de
ß se serait palatalisé en ii (d’où oij, puis œÿ et finalement œ),
il n’en aurait rien été autre part, ou s’étant réduit à o avant la
palatalisation de u. S’il en était ainsi, on aurait là un autre moyen
de dater ce dernier phénomène. Mais il n’est pas valable. Il est
probable en eilet que I’m diphtongal ne s’est pas palatalisé, sauf
conditions specifies (p. 315) et que le résullnt œ s’explique autre-
PHÉNOMÈNES DE FERMETURE 207
Quoi qu’il en soit, les débuts de la palatalisation de [u] ne sau­
raient remonter trop loin. Si on songe qu’elle s’est produite à
l’étape lie (< ç roman, p. 204) et que cette étape n’est pas elle-
même très ancienne puisque ûo qui l’a précédée apparaît encore
dans la Sic Eululie (ixe s.) et se continue jusqu’au xne siècle dans
les Quatre Livres des Rois, le Brut de Munich, etc., il semble permis
de fa dater de la seconde moitié du vme siècle ou du ixe pour
l’Ile-de-France et les régions immédiatement avoisinantes. En
picard, en wallon occidental, en normand, en champenois et en
lorrain occidental, elle aurait suivi de plus ou moins près le fran­
cien. En normand en particulier, l’[u] des mots nordiques a pu
passer à [ii] ; cl', hünn > hune, bû «demeure» > Bû (Eure-et-Loir),
Carquebut (Manche), Sleinhûs > Elainhus (Seine-Inf.), etc. Mais
en lorrain oriental et en bourguignon, la palatalisation de [u] ne se
laisse déceler que vers le xme ou le xive siècle.
R emarque I. — Pour les causes de la palatalisation de [u], cf. p. 43-44.
R emarque II. — 11 faut noter les doublets latins cüpa et cuppa, paral­
lèles à J u p iter-J ü p p iter, qui ont donné en français le premier cuve, le second
coupe (v. fr. cope).

R emarque III. — Par suite d’une assimilation de u avec l’<5 de sôcra,


le lat. vulg. *nûra (1. cl. nürus ) est devenu *nôra dans le groupe usuel sôcra
et *nûra ; d’où le vfr. nuere, parallèle au v. pr., cat. nçra, au cast, nuera, etc.

R emarque IV. — L’[ii] de l’anglo-normand a été rendu en anglais


par [pu] dans duke, view, etc. < fr. duc, v (ë )u e , etc. et par [i] dans pedigree
< fr. p ied de grue.

III. — PHÉNOMÈNES DE FERMETURE

Dès le français primitif, o a éprouvé une tendance à se fermer


en [u]. Cette tendance, qui a persisté pendant longtemps, a abouti
dans certains cas, mais non dans d’autres.
D’où deux séries de faits à distinguer.

A. — Aboutissement de la tendance à la fermeture

On constate le passage à [u] pour trois sortes de p, les plus


anciens.
1° O provenant de ô latin ou de ù latin et germanique en syllabe
fermée. — En gallo-roman, tandis que ü (< ô et ù latins en syl­
labe ouverte, pp. 19G et 215) se diphtonguait en pu (p. 224), <5
(< ô latin, ü latin et germanique en syllabe fermée, pp. 1% et
208 V O Y ELLES A CC EN TUÉES PH É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S

215) s'était conservé intact. En face de 6u dans *figure < flore,


on a donc continué d’avoir un ö dans *c5rte < cörte, *côstat <
cö(n)stat, *tôtta < tôlla (1. cl. tôlla), *d$bblo < düplu, *dôdze <
*dödèce (J. cl. dnodecim), etc.
Les conditions syllabiques ont pu varier dans la suite. Certaines
syllabes qui étaient primitivement fermées et qui avaient un o
bref sont devenues ouvertes par suite de la simplification des
géminées et ont pris un o long : *addobal < *addübat (frc. dübban),
*cöppa < cüppa, *crpppa < frc. *krüppa, *gotta < gü tta, *totta <
tôtta, etc. se sont transformés en adôbe, côpe, crôpe, gâte, tôle, etc.
avant la fermeture de o en [u].
De la sorte, le français primitif s’est trouvé avoir dans son sys­
tème un o long et un o bref « fermés ».
L’un et l’autre ont passé à [u] dans corl < côrte, forme < forma,
orne < 5rd(ï)nat, cors < cürsu, cort < cürlu, forn < diürnu, for-
che < fürea, sort < sürdu ; — cosle < c5(n)stat, cosdre
< cô(n)s(u)erc, mostre < mô(n)strat, gost < guslu, foste < füxta,
mosche< müsca, moslc <*musculu (pour müsculu, p. 177); — adobe,
cope, crope, gote, tôle, lor < lürre ; — doble, estoble < stüp(ü)la ;
— doze, Joce<Jüdöci, goge < gübia, corroce < *corrüptiat, roge
< rubea, etc.
Le changement spontané de p en [u] semble avoir eu lieu dès
le début du x ie siècle, sinon plus tôt, en normand. C’est en effet
[u] qui a été importé en Angleterre avec la conquête (1066) : l’o
du v. fr. est représenté par (u] en moyen-anglais. En anglo-nor­
mand, cet [u] s’est écrit u, à cause de la vélarisation de l’ancien
[ü] (p. 205). La graphie « a pu être employée sans inconvénient
pour noter l’ju] provenant de p et l’[u] provenant de [ü]. Sur le
continent, il peut se faire que dans les autres régions de l ’Ouest
la fermeture de p soit aussi ancienne qu’en Normandie. Du moins,
a-t-elle dû s’y produire plus tôt que dans des régions situées plus
à l ’Est. Quoi qu’il en soit, [u] a pris naissance avant le milieu
du x n e siècle en picard, comme permet de le supposer la forme
touz ( < lôttos), dans Eracle (v. 5613), écrit peu après 1164 (pour
la graphie ou = [u], cf. p. 308). Il en est vraisemblablement de
même pour Je francien.
R em arque I. — Forme et orne, avec p, pour vfr. fourme et ourne, sont
savants.
R e m a r q u e II. — Le latin müllu est représenté en fr. mod. par mot,
avec p. La finale phonétique -ol a été remplacée ici par -p/, avant la ferme­
ture de o, sur le modèle des nombreux mots terminés en -pl < -ötlu. Cepen­
dant J’p a pu se maintenir dans ce mot, d’où le vfr. mçt [mut], comparable
au v. pr. mçt.
R e m a r q u e III. — Pour les mots du type escolte < a(u)scültat, cçllre
< cüllru, etc., devenus escorte, cçutre, etc., avant la fermeture de p en [u],
puis, avec réduction de [uy] en {u], écoute, coutre, etc., cf. p. 308.
R e m a r q u e IV. — La fermeture en [u] n’a pas eu lieu dans la Wallonie
orientale, ni dans l’Est, ni probablement dans la partie méridionale du
Centre et de l’Ouest. Pour l’évolution de g dans ces régions, cf. p. 241.
PH ÉNO M ÈN ES D E F E R M E T U R E 209

2° O provenant de ç final ou en hiatus. — On verra p. 296 que


la diphtongue primaire au (du latin ou du germanique), et la diph­
tongue secondaire au développée dans les mots du type sa gma,
avlca, parabola, fabrïca, clavu, fagu, habuil, etc. ou dans ha(c) höra
et la diphtongue germanique âo ont abouti tout d’abord à p en
francien.

Tandis qu’il continuait à se maintenir tel quel devant une conson­


ne, cet g s’est fermé en o au courant du x ie siècle en position
finale ou devant un ç en hiatus. Ainsi en face de çr < auru, chçse
< causa, rçbe < frc. *rauba, etc., on a eu lo < laudo, cio < clavu,
Peito < Plclavu, Anjo < Andecavu, fo < fagu, esclo < *esclagu
(frc. *slag), big < frc. *blâo, flo < frc. hlâo, etc., et aloe < alauda,
joe < *gauta, loe < laudat, noe < *nauda et *nauca, oe < *aucat
( < avïca) poe < frc. pauta, etc.

Dès la fin du x ie siècle, l’opposition q — o s’est transformée en


une nouvelle : ç — [u]. On a eu en effet à partir de cette époque
lou, Poitou, Anjou, fou, esclou, blou, flou, etc., et aloue, joue, loue,
noue, oue, poue, etc.

R emarque I. — La fermeture en o n’a pas eu lieu dans la Wallonie


orientale, l’Est et la partie méridionale du Centre et de l’Ouest.
R emarque II. — Le vfr. oue s’est maintenu à Paris jusqu’au xvi«
siècle. Il en reste encore une trace dans la Rue des Ours (= Oues). La forme
actuelle oie qui se trouve déjà dans Pathelin (seconde moitié du xve s.)
provient probablement de la région du Sud-Ouest où le commerce du duvet
d’oie était très développé ; cf. auj. encore en Poitou oye (et droye « ray-
grass » < dravoca) avec un y transitoire, s’opposant au wallon oive (p. 197
de YALF.), dans lequel c’est un w qui s’est inséré entre o et e final.
R em arque III. — Pour le vfr. bloi, flot, en face du vfr. blou et du fr.
mod. flou, cf. p. 310. Pour le fr. mod. bleu, cf. pp. 304 sq.
R em arque IV. — Pour les formes du picard et du wallon qui n’ont
pas monophtongué ay. lorsque cette diphtongue était finale, cf. p. 298.

3° O provenant de la diphtongue çii ( < ç + Zantéconsonantique).


— Dans les continuateurs de cöl(a)pu, cöll(ö)cat, pl. *cullos (1. cl.
colla), pl. folles, mol(ë)re%pl. molles, söl(ï)du, sôl(vëre), *sol(vï)tu,
töll(ë)re, *tôll(i)ta, *vol(vi)ta (de vôlvëre) etc., dont l’ô était ouvert,
et dans pl. caules, Paulus dont la diphtongue au s’était réduite à
p, la nouvelle diphtongue çu issue de la vocalisation de l antéconso­
nantique s’est d’abord fermée en oh sous l’action assimilatrice du
second élément. Ainsi ces mots ont rejoint ceux du type esc gute
< a(u)scültat, coutre < cültru, etc. (p. 308). Comme dans ces
derniers, ou secondaire a abouti à [uy], puis [u] ; d’où coup, couche,
etc. Pour les détails, cf. p. 311 sq.
210 Y O Y F .I.I.K S A C O .F N T U F K S : PH ÉNO M ÈNES I N D K I 'I -N D A N T S

B. — Freinage do la tendance à la f e r m e tu r e

Après la triple fermeture de o eu [u] dont on vient de parler,


d’autres g ont pris naissance aux dépens de g. Mais si la tendance
à les faire passer à |u] a continué d’agir dans la langue populaire,
la langue savante s’est au contraire opposée à la fermeture et a
conservé l’ancien g.
Cette sorte de « freinage » linguistique se constate pour g long et
pour o bref, issus de g et de g à des époques différentes.

1° Cas de g provenant de g. — Par suite d’un allongem ent com­


pensatoire ou d’une contraction vocalique (pp. 244 sq.), on a eu
-un g dans les mots du type grg(s) < gros ( < grossit), chgse <
chose ( < causa), pgvrc < povre ( < pauperc), rgle < rgole ( = rti­
tilla), etc. Cet g est devenu g, et ce dernier, conformément à la
tendance générale, a passé à [«].
Dès le x m e siècle, on note çà et là des formes avec la graphie
ou ; cf. dans le Livre des Miracles de N . D. de Chartres : repous,
tous ( — tos < laus), clous ( — clos), chouse, ouse, pouvres ; dans
le Livre de Jostise et de Plet : oute à côté de osle ; dans le manus­
crit Ha du Roman de la Rose II : grous et gros, rouse, enclouse,
desdouse, etc. Dans la Branche des royaux lignages de Guiart, on
trouve au siècle suivant : arouse rimant avec Thoulousc. Au x v e
siècle, les formes avec ou pour o sont très fréquentes un peu partout.
II. Châtelain, Recherches, p. 19, cite en particulier les rimes avoul-
tre : apostre, mos ( = mots) : tous, tost : gousl, expose : espouse, dos :
coups, hoste : cousle, tous : propos, repos, etc. Dans les textes
littéraires du x v ie siècle on rencontre presque à chaque page des
exemples de ou pour o. 11 en est encore ainsi pendant le premier
quart du x v n e. En dehors de la littérature, la prononciation avec
[uj est signalée par de nombreux grammairiens. D ’après Bovelles
(1533), on dit chouse et grous, au lieu de chose et gros, en Orléanais,
en Touraine et en Anjou. Bèze note nouslre, voustre, le dous, pour
noslrc, vostre, le dos, à Lyon et à Bourges. De fait Maigret qui est
lyonnais écrit noutres, voulre, clous ( = clos), clouzes dans son
Menteur. Enfin, parmi les rimes du x v e siècle citées plus haut,
beaucoup appartiennent à des œuvres composées dans le Nord
et prouvent que la prononciation avec [u] n’était pas inconnue
dans les parlers de cette région.
Il en a été de même à Paris. Dans les textes administratifs de
1272-1325, on a relevé un certain nombre de formes avec ou d’origi­
ne indiscutablement phonétique, telles que propouse, chouse, etc.
Le Homan d'un Bourgeois de Paris (1405-1449) permet d ’enregis­
trer d’autre part oust ( = ost), pouvres, etc. Sans doute, dans tous
les textes du moyen Age, la graphie ordinaire est-elle o ; mais les
formes sporadiques avec ou, "du genre de celles qu’on vient de
citer, sont significatives : elles indiquent que dans la langue cou­
rante on prononçait réellement [u]. D ’ailleurs il y a un fait qui
peut renseigner d’une manière indirecte sur la prononciation
PHÉNOM ÈNES D E FERM ETURE 211
parisienne. On sail qu'au xvie siècle la Cour elle-même prononçait
|uj dans les mots qui ont actuellement un o. Voici en effet ce qu'écrit
des courtisans II. Esticnne dans une de ses Remontrances :

Si tant vous aimez les ou doux,


N’estes vous pas bien de grands fous,
De dire chouse au lieu de chose,
De dire j’oa.se au lieu de j’ose ?

De sori^ côté, Tabourot remarque en 1587 : « Les courtisans


d’aujourd’huy (prononcent) assez grossièrement... pour... chose,
gros, repos, etc., chôme, grom, repous ». Il en sera ainsi jusqu’après
le début du xvne siècle, à en juger par le Courtisan à la mode (1635).
où il est noté que les gens de la Cour « disent a tout propos chouse ».
Or il est probable que cette prononciation n’est autre que celle
de la ville elle-même. En effet à la suite des vers de la Remon­
trance d’H. Estienne cités plus haut, on lit :

Et pour Trois mois dire Troas moas ?


Pour je fay, vay, Je joas, je vous V
En la fin vous direz La guarre,
Place Maubart,, et frere Piarre.

On note là deux phonétismes : fwa] pour [wç], ar pour er, qui


appartiennent, comme on le verra, à la langue courante de la capi­
tale, et contre lesquels se dresseront les grammairiens. Ils permet­
tent d’être fixés sur le français qu’on parlait à la Cour à cette
époque : c’était le français de tout le monde et non le français de
la langue savante. S’il en est ainsi, il n’y a aucune raison de croire
que la prononciation grom, chouse, poiwre ait été spéciale à la Cour
et n’ait pas été celle de tous les Parisiens. On la retrouve d’ailleurs
surabondamment attestée dans la langue des Mazarinades.
De même, la forme roul(l)e pour rôle se rencontre dans les textes
du xive et du xv'! siècles.
Mais la langue savante n’a pas accepté ces innovations et c’est
son usage que la grande majorité des grammairiens de la Renais­
sance et de l’époque classique recommandent. D’où aujourd’hui
gros avec q bref, et chose, panure, rôle avec $ long.

2° Cas de 6 provenant de ö devant consonne. — Il y a plus, et cette


fois il s’agit non d’un ç devenu long, mais d’un ç resté bref.
Tandis que ce dernier s’est conservé tel quel dans la langue
savante, il s’est d’abord fermé en o, puis en [u] dans les dialectes
et dans le français parlé de la capitale.
Déjà dans le Roman de la Rose II (ms. Ha), on trouve ronche
pour roche. Dans les textes littéraires du xve siècle, on note fré­
quemment des rimes du type noble : trouble, joute : crote, note :
toute, cotte : toute, confort : secourt, propre ; pourpre, corps : faul-
212 VOYELLES ACCENTUÉES : PHÉNOMÈNES INDÉPENDANTS

bours, sincope : coupe, etc. Il en est de même au siècle suivant.


Baïf par exemple écrit avec co ( = [n]), /cors que, /cor/. On connaît la
recommandation de Ronsard : « Tu pourras... a la mode des Gréez
qui disent ôuvoua pour ovoua, adjouster un u après un o pour faire
ta ryme plus riche et plus sonante, comme troupe pour trope,
Callioupe pour Calliope ». Il faut du reste distinguer des cas précé­
dents ceux de aprouche, reprouche, si fréquents au moyen âge et
qui peuvent être analogiques de aprouchier, reprouchier. Toutes
ces formes se retrouvent dans le parler de la capitale. Cf. au moyen
âge reprouche dans la Chronique limée de Geffroy de Paris ; —
Sainet-Cristoufle, Sainct-Victour dans le Roman d'un Bourgeois
de Paris ; au xvie siècle, la remarque de Tabourot à propos des
mots en -oude : « Les nouveaux courtisans pourront rimer ces mots
avec ceux en ode, puisqu’ils se plaisent à prononcer o en ou,
comme :

Je m’accoumoude
Avec le coude
Pour voir les pous
De l’homme grous ;

et dans les Mazarinades : troune (= trône), hou (— haut), houle,


fou (= faut), chousses (= chausses), sousse (= sauce), outre ( = au­
tre), chou ( = chaud), gouche (= gauche), roube (= robe), our ( = or),
tresour, pourte, courne, mourdre, dehour, nouce (= noce), bronche
(= broche), cabouche. etc.
Comme on l’a déjà dit, le français littéraire s’est opposé à ce
phonétisme, et a conservé partout ïç sauf dans deux mots : troupe
et pantoufle (< ital. pantofola) qui trahissent une prononciation
populaire.
CHAPITRE II

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE LA STRUCTURE SYLLABIQUE

Il s’agit ici de ce qu’on a pu appeler le « bouleversement » de la


quantité latine.
Anciennement, qu’elle fût primaire ou secondaire (c’est-à-dire
résultant des abrègements, des allongements ou des contractions
dont on a parlé pp. 114 sq.), la quantité vocalique du latin était indé­
pendante de la structure syllabique, comme aussi de l’accent. On
pouvait avoir indifféremment des voyelles longues ou des voyelles
brèves et en syllabe ouverte et en syllabe fermée, cela que la syllabe
fût accentuée ou non. Le système quantitatif peut être repré­
senté par le tableau suivant où les signes [ et ] indiquent le premier
une syllabe ouverte, le second une syllabe fermée.

V o y e l l e s lo n g u es V o yelles brèv es
(tendues) (relâchées)

m m m m
[ü] m m {m
le) m m t*i
[pï IP) m m
m là) [<ï] là]

Ce qui peut être illustré par les exemples ci-dessous :

vînum-scrïptum fîdes-crïsta
mûla-füstis güla-crüsta
tëla-tëctum pëdem-përdit
flörem-cö(n)stat möla-pörta
mâter-Sctus ämat-ärma
214 INFLUEN C E D E LA STRUCTURE SYLLABIQUE

Malgré les modifications de quantité et de timbre dont il a été


déjà question (pp. 177 sq.), ce système n’a pas été touché.

a) Avec l'abrègement des antépénultièmes longues de propa­


roxytons et l’abrègement des longues inaccentuées, survenus
l’un et l'autre dès les derniers siècles de la République, il s’en est
suivi en latin, du moins dans le latin parlé, la création de nouvelles
brèves. Par suite de l’adaptation au système phonique de l’épo­
que, ces nouvelles brèves ont été « relâchées », comme les brèves
plus anciennes. Cependant rien de tout cela n’a transformé le
système quantitatif de la langue : les cas de voyelles brèves en
syllabe ouverte et en syllabe fermée ont été simplement multi­
pliés.

b) Lors de l’ouverture de ë en ç et de <5 en g, l’ordonnance du


système a quelque peu changé, mais non le système lui-même. On
a eu à partir de ce moment :

V o y elles lon g u es V oyelles brèv es


(tendues) (relâchées)

?[ î]
ü[ a] ü[ û]
f[ ç]
a
p[ ?]
ç[ p]
â[ ô] â[ ô]

Ainsi les e « fermés » brefs et les o « fermés » brefs ont disparu,


soit en syllabe ouverte, soit en syllabe fermée. A leur place, il
s’est substitué des e « ouverts » brefs et des o « ouverts » brefs.
Tëjla et tëc ltu(m), par exemple, se sont maintenus tels quels ;
par contre, pëjde(m) et përjdit sont devenus ?p%jde(m) et pgr/dif.

Cependant, quelque temps après, une autre modification est


intervenue, beaucoup plus profonde, qui a fait que le système
quantitatif des voyelles accentuées a changé complètement de
nature.
La quantité qui était essentiellement étymologique jusqu’ici
est devenue phonétique : ce qui veut dire que la quantité voca-
lique a fini par se régler sur la structure de la syllabe.
BOULEVERSEMENT QUANTITATIF 215

En syllabe ouverte, les anciennes longues accentuées sont restées


longues et les anciennes brèves accentuées le sont devenues. Inver­
sement, en syllabe fermée, les anciennes brèves accentuées sont
restées brèves et les anciennes longues accentuées se sont abrégées.
Pourtant, malgré ce « bouleversement quantitatif » rien n’a été
changé au caractère « tendu » ou « relâché » des voyelles primi­
tives. Même devenues brèves, les anciennes longues accentuées
sont restées « tendues », et les longues provenant d’anciennes
brèves accentuées ont continué à être « relâchées ».
En laissant de côté la voyelle a pour laquelle les considérations
de «tendues» et de «relâchées» n’ont aucune importance pour
l’évolution du latin au français, on a ainsi abouti au système
représenté par le tableau ci-dessous, dans lequel les voyelles
« tendues » sont notées en italiques et les voyelles « relâchées »
en caractères romains.

V oyelles tendues Voyelles r el â c h ée s

î[. ï] • n ï]
ai üi
s\ ÎSX
n e.\
et e]
9\ <?)
01 ôl

Autrement dit, le latin a fini par posséder, en syllabe accentuée,


d’une part des
f, ü , ê, ô, «tendus »
et des
ï» ü , B, 0 « relâchés ».
et de l’autre des '
t, a, l, à « tendus »
et des
ï, ü, e, q « relâchés ».

On a eu de la sorte :
vTjnu(m), avec un i long tendu;
*escrïptu(m), avec un i bref tendu (cl. scrïptum) ;
lana, avec un u long tendu ;
füstc(m), avec un u bref tendu (cl. jüstem) ;
têla, avec un e long tendu ;
tldu (m ), avec un e bref tendu;
flôre(m), avec un o long tendu ;
cô(n)stat, avec un o bref tendu;
216 IN F L U E N C E D E LA STR U C TU R E SY LLA BIQ U E

et d’autre part :
*fide(m), avec un i long relâché (cl. fïdem) ;
crïsta, avec un i bref relâché ;
*güla, avec un u long relâché (cl. gûla) ;
crüsla, avec un u bref relâché ;
*pêde(m), avec un e long relâché (cl. pëdem) ;
perdit, avec un e bref relâché ;
*mola, avec un o long relâché (cl. mold) ;
porta, avec un o bref relâché.
R em a r qu e I. — Le «bouleversement quantitatif » avait déjà com­
mencé à se réaliser au ive siècle, si l'on en juge par le témoignage de Con­
sensus (ve s.) qui blâme les prononciations Cëres, piper, pour Cëres, piper.
II doit être de plus antérieur au passage de ae à ç dans caelum. Ce passage
suppose en effet qu’au moment de la monophtongaison de ae dans ce mot,
la langue possédait déjà un ç. S’il n’y avait eu encore que e dans son sys­
tème phonique, l’e long provenant de ae aurait été fermé, comme l’est celui
de prêda issu de praeda à une époque où le latin ne connaissait qu’un e long
fermé. Or l’existence de ç dans le système vocalique du latin ne peut s’ex­
pliquer que par le bouleversement quantitatif, à partir d’un ancien ç.
Ce dernier fait permet d’autre part d’affirmer que le bouleversement
quantitatif est postérieur à l’ouverture de e latin en ç.
R em arque II. — Les emprunts du germanique au latin témoignent du
phénomène ci-dessus. C’est ainsi que I’d de Pâdu, l’i de brève, fibre, Pëlru,
spëculu, cerësia, l’6 de *alimösina, cröcu, schöla et l’ü de cruce sont traités
en germanique comme des voyelles longues.
R em a rqu e III. — Le bouleversement quantitatif s’est poursuivi
après les invasions germaniques puisque les mots du francique y ont par­
ticipé, ainsi qu’en témoignent les phénomènes de diphtongaison.
R em a r qu e IV. — Le bouleversement quantitatif ne saurait être mis
sur le compte des Germains, attendu qu’en germanique l'allongement des
voyelles en syllabe ouverte ne s’est produit que pendant la période du
moyen-haut-allemand (tardif) ou du moyen-anglais.
CHAPITRE III

PHÉNOM ÈNES DÉPENDANTS


DE LA DURÉE VOCALIQUE

Le facteur « durée » a eu une double influence $ur les voyelles


accentuées.
Il a pu entraîner des phénomènes de diphtongaison ou des modi­
fications de timbre.

I. — DURÉE VOCALIQUE ET DIPHTONGAISON

On a vu pp. 213 sq. que par suite du bouleversement quantitatif


le latin du ive ou du v e siècle avait fini par acquérir sous l’accent
le système vocalique :
I longs, en syllabe ouverte
i, u, ç, ç « tendus »
{ brefs, en syllabe fermée

longs, en syllabe ouverte


i, u, e, q « relâchés »
brefs, en syllabe fermée

Dans le chapitre premier, on a étudié le développement de i


et u «tendus » ou « relâchés» : il est le même, que ces voyelles aient
été longues ou brèves, c’est-à-dire qu’elles se soient trouvées en
syllabe ouverte ou en syllabe fermée.
On ne peut en dire autant des autres voyelles. Ici le traitement
dépend de la quantité. Il diffère selon quelles sont longues ou
brèves, c’est-à-dire encore une fois suivant qu’elles sont en syllabe
ouverte ou en syllabe fermée.
De plus, et la chose est plus grave, tandis que les voyelles « ten­
dues » du latin avaient maintenu jusqu’ici leur timbre originaire,
elles vont éprouver certaines modifications, tout comme les an-
‘2 1 8 IN F L U E N C E D E LA D U R É E VOCALIQUE

ciennes « relâchées » latines : e et o longs tendus, par exemple,


se diphtongueront, bien que plus tard, comme ç et g longs relâchés
eux-mêmes. La diphtongaison « spontanée » (la seule dont il
s'agisse ici) devant être considérée comme un relâchement de la
partie finale de la voyelle (pp. 35 sq.), on voit que dans les deux
cas le phénomène est essentiellement le même. Seule diffère la
direction que prend la partie finale de la voyelle : e long > éi,
ç long > çs.
Ainsi donc, l’opposition qui existait précédemment entre « ten­
dues » et « relâchées » a fini par disparaître. Les anciennes « ten­
dues » sont devenues elles-mêmes « relâchées ». Il n’y a plus eu
dans la langue — et le phénomène a dû se produire graduellement
— que des voyelles « relâchées », les unes ouvertes : ç, g longs
ou brefs, les autres fermées : e, o, eux aussi longs ou brefs. Ce
qui comptera désormais pour l’évolution, c’est le caractère « fer­
mé » ou « ouvert » des voyelles, ce qui revient à dire leur carac­
tère plus ou moins « relâché », étant entendu que les « relâchées »
fermées sont moins « relâchées » que les « relâchées » ouvertes,
à cause de l’effort plus grand exigé par les premières pour le sou­
lèvement de la langue.
De ce changement de système, on a du reste une autre preuve.
L’ê et l’ô provenant de l’ouverture de ï et ü latins ou germaniques
n'ont plus fait qu’un avec Yê et l’ô continuateurs du lat. ê et ü.
Etant donné leur origine, les premiers ne pouvaient être que
« relâchés », l et ü latins l’étant eux-mêmes. Si la fusion a eu lieu,
c’est que les derniers sont devenus « relâchés ».
Il faut d’ailleurs s’entendre sur le relâchement qui est ainsi
survenu. En effet si ë et 5 se sont transformés, ? et ? se sont au
contraire maintenus, et cela pendant longtemps. Cette différence
de traitement doit être rapprochée de celle qu’on observe entre
ï, ç d’une part et ç, y de l’autre. L’absence de modification dans
c, Q, v indique que si le palier de ces voyelles, relativement assez
long par rapport à la partie descendante de la tenue, a éprouvé
une baisse de tension, celle-ci n’a pas été trop sérieuse. Si la ten­
sion du palier ne s’est guère modifiée pour ç, ç, ë et y, il doit en
avoir été de même pour ç, ê et ô. Dans ces derniers, c’est seule­
ment pendant la partie décroissante de la tenue, relativement
longue, que la tension a dû fortement décroître.
Quant ù cet affaiblissement de la tension, plus ou moins grand
selon qu’il s’agit de voyelles longues ou de voyelles brèves, il peut
s’expliquer par l’évolution naturelle de la langue, favorisée par le
délabrement linguistique et social de l’époque. Mais il est permis
de penser aussi à l’influence du germanique, dont le vocalisme
a toujours été caractérisé par un certain relâchement et par une
opposition de tension assez nette entre le palier et la partie descen­
dante de la tenue vocalique, due à l’ictus acccntuel du début de la
voyelle.
On étudiera successivement l’évolution de e, y, e, o, fl longs,
celle de ç, g, ç. o, u brefs et les traitements particuliers à certains
dialectes.
D U R É E VOCALIQUE ET DIPHTONGAISON 219

A. — Évolution de ç, g, e, g et de a accentués et longs

Ces voyelles se sont toutes diphtonguées. Mais la diphtongaison


n’a pas eu lieu en même temps pour les unes et les autres. Elle a
commencé par è et p ; celle de ë, ü et a n’est venue qu’ensuite.
Cependant, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une diph­
tongaison qui s’est produite sans l’intervention de phonèmes
voisins.

1° P r em ièr e diphtongaison spontanée . — Elle concerne f


et p (longs parce que se trouvant en syllabe ouverte), provenant :
De ë, ö latins, primitivement fermés, mais devenus ouverts
vers le 11e siècle (pp. 193 sq.).
De ë, 5 latins, primitivement longs et fermés, mais devenus
brefs et ouverts par suite de l’abrègement des antépénultièmes
longues de proparoxytons (pp. 177 sq.).
De la diphtongue latine ae, réduite à l dans les conditions
étudiées p. 256.
De e germanique, primitivement fermé, mais devenu ouvert
au ive siècle.
De è francique, provenant d’une ancienne diphtongue ai.
Enfin de o, 5 germaniques, ouverts depuis l’origine.

Re m a r q u e I. — Tandis que l’csp. joven, le port, jeven, le roum. fune,


etc. remontent à füvene, forme du latin littéraire, le v. fr. juefne (auj.
jeune), l’ital. giçvane, le macédo-roum. joane postulent un type *jôvene.
Il est probable qu’il s’agit ici d’une forme du latin parlé, provenant d’une
évolution -üw- > -ôw-, évolution qui se constate dans d’autres cas ; cf.
p l vet (> v. fr. pluet, auj. pleut), *plôvia (> pluie), fliviu (> v. fr. flueve,
auj. fleuve), en face du lat. litt, plüit, plüvia, flüviu (cf. encore p. 368).
Re m a r q u e II. — Le v. fr. uef fauj. œuf), ainsi que l'esp. huevo. l’ital.
uovo, etc. supposent un type *cvu, différent du lat. litt öinun. L’ö du
type en question peut s’expliquer par la tendance latine à l'abrègement
des voyelles longues devant une autre voyelle dans une étape *ôü, pro­
venant de ôvü par suite de la chute de -to- au contact de ü final. L’abrè­
gement de ö en ô dans *ôû rappellerait celui que l’on constate en latin
littéraire dans *dëos > dëus, *flëô > flëô, v. lat. jidPl > fidëï, *dë-(u)orsum
> dëorsum, v. lat. fûimus > füimus, etc. Le vocalisme de *ôü aurait été
ensuite généralisé dans *Çvï, *(wa, etc., et à leur tour ces dernières formes
auraient communiqué leur -w- à *ôiï, d’oû *çvu qui est h la base des langues
romanes.

La première diphtongaison « spontanée » consiste dans le passage


de $ et g (ou ce, pp, comme on pourra les noter dans la suite pour
la clarté de l’exposition) à çe et go. Ainsi *p(jde (lat. pèile) et
*mç/la (lat. mola) sont devenus *pesdê et *mçola.
On a en çs (d où [/V] en vtr. fye] ou f//ç] en fr. mod., pp. 292 sq. ) :
220 IN F L U E N C E D E LA D U R É E V O C A L IQ U E

Dans *adrëtro (> fr. arrière), *adsèdet (> fr. assied), celt.bëdu
(> vfr. Me:, auj. bief), brève (> vfr. brief, auj. bref), *cathédra
pour cathedra (> vfr. chaiiere, auj. chaire), ëbülu (> fr. hièble),
èrat ( > vfr. iert), fëbre ( > fr. fi èvre), fera ( > fr. fier), gëlat ( > vfr.
giek, auj. gèle), haerëtïcu > *crçdego (> vfr. eriege), hëri ( > fr. hier),
lëpôre (> fr. lièvre), riëpos (> vfr. nies), pëtra (> fr. pierre), tëpïdu
(> fr. tiède), vêtus (> vfr. viez), etc.
Dans *dèbile (pour débile) > vfr. endieble, *flëbïle (pour flëbïle)
> vfr. fieble, vivant encore dans certains coins de Normandie).
Dans caclu > *tsêlu (> fr. ciel), laela > *lçtu ( > vfr. lié),
quaerit > *quçrit (> fr. -quiert), et caecu > *tsçcu (> vfr. cieu),
graecu > *grçcii (> vfr. grieu), Mafthaeu > *Matt ça ( >
Mathieu), etc.
Dans frc. *fëhu ( > vfr. fieu, auj. fief), frc. *mëd ( > vfr. mies
« hydromel »).
Dans frc. -hçm (> -ien de Enghien, Frelinghien, Mazinghien,
etc.), réduction de -haim primitif.
R emarque I. — L’ancien *âlëcer, *dlëcrem, devenu *alêcer, *alêcrem,
s’est conservé dans le latin parlé, d’où le vfr. haliegre, à côté de vfr. alaigre
qui remonte au lat. cl. alacru (résultant de l’assimilation de e intérieur avec
l’d initial dans le primitif *âlëcrem). Le fr. allègre (xvi° s.) vient de l’ital.
allegro, qui suppose une forme hétéroclite *alecrum.
Sous l’influence de lève, levai, on a eu *gr£ve, *grëvat à la place de grave,
gravai ; d’où le fr. grief, vfr. grieve (auj. grève). Grave est un mot savant.

R emarque II. — L’e2 ( < i.e. ei) germanique, primitivement fermé,


est devenu ouvert au iv e siècle. On le note dans deux mots franciques qui
ont laissé des continuateurs en français : lëha « femelle du sanglier » et
tëri « luxe, ornement ». Mais pour aucun d’eux il ne peut s’agir de diph­
tongaison spontanée. Tëri a été en effet romanisé en *tçria, d’où *tçyria
et, par diphtongaison conditionnée, *tyçira > v. fr. tire « rang, ordre,
arrangement ». Quant à lëha, devenu Iça en gallo-roman, la diphtongaison
de ç a été empêchée par l’action de l’hiatus ; d’où le v. fr. lee, auj. laie.

R emarque III. — Le frc. gaiber est représenté en gallo-roman sep­


tentrional par les continuateurs *gçiber (avec ei provenant de ai) et *g§ber
(avec § provenant de ei) : l’évolution ai > ei > ë s’est d’ailleurs produite
à l’intérieur du francique lui-même. Pour les résultats français de ces deux
types, cf. p. 181.
Par contre, le frc. gabaiti « morsure » ne semble représenté que par
des types en ai ou ei, mais non par un type en g ( < ei < ai). Gabaiti et
*gabçiti ont dû être d’ailleurs romanisés le premier en *gabailiu, le second
en *gabçiliu. * Gabailiu, après l’étape *gabaitsyo, a donné le v. fr. gibais
« chasse », d’où est provenue l’autre forme ancienne gibois « id. », avec
développement de w après b (p. 376). Gibais a déterminé ultérieurement
le subst. gibecière et gibois l’infinitif giboyer. Quant à *gabçitiu, il est
devenu tout d’abord *gibieitsyo, par diphtongaison conditionnée de ç
accentué devant y ; d’ou le v. fr. gibiez, auj. gibier. La réduction de iei
à ie fait penser à une forme dialectale provenant de l’Ouest ou du Nord-
Est (p. 327).
Enfln le v. fr. agier « javelot » et le v. fr. *gier (supposé par v. fr. gieron,
auj. giron) peuvent remonter aussi bien au frc. atgair, gairo, qu’au frc.
*atg$ir, *gçiro ou *atgçr, *gîro, le groupe -ieir obtenu à partir des formes
en palatale -f -airo ou -çiro se réduisant normalement à -ier (pp. 325, 413).
DURÉE V O C A L IQ U E ET D IP H T O N G A I S O N 221
R emarque IV. — L’ancien ë1 du germanique a passé à à ; d’où frc.
bldo ( = vfr. blou), frc. *brddo ( > vfr. braon «pièce de rôti »), frc. *jdru
( > La Fère, Aisne, Marne), frc. *skdk ( > vfr. eschiec « pillage », auj. échec
« insuccès »). On a cependant ic dans bière « cercueil » et vfr. liege, lige (ce
dernier conservé en fr.) pour le germ. *bê1ra et le gall.-rom. *h'tîcu qui
remonte à un type germ. *lê1lo. Dans ces deux mots le passage de ë1 à â ne
s’est donc pas produit. La raison en est sans doute que *bë1ra et *lê1to
ont été introduits dans la langue par les mercenaires germains, antérieu­
rement à la conquête franque et à une époque où l’ouverture de ë1 n’était
pas encore générale. Elle a pu se produire en effet jusqu’aux environs du
vic siècle.
De même l’ë1 du germ. *rëps est continué non par un |, mais par un ç
dans les langues romanes ; cf. *rçdu > vfr. rei, roi « ordre, disposition »,
avec les composés arroi, conroi, desroi (fr. corroyer, désarroi), vpr. are, come,
arreza, conreza, cat. arrçu, conreu, arrea, cornea, cast, arreo, conreo, arrea,
cornea, v. port, arreo (mod . arreio), mais ita’l. arrçdo, conrçdo avec un e
secondaire. Ici encore il s’agit d’un mot introduit par les mercenaires
germains, antérieurement à l’ouverture normale de ë1.
Cependant l’introduction de *rë1ps est plus ancienne que celle de *bëlra
et de *lë1lo. Pour le premier cas, en effet, elle a eu lieu à une époque où le
latin n’avait encore qu’un e long, fermé et tendu, *Bëlra et *lëxlo au con­
traire ont pénétré dans la langue au moment où, par suite du boulever­
sement quantitatif, elle possédait un e long et ouvert.

R emarque V. — La diphtongaison n’a pas eu lieu dans les mots ger­


maniques d’introduction trop tardive ; cf. frc. *brëka > fr. brèche, v.h.a.
spech > fr. épeiche, etc.

R emarque VI. — La diphtongaison se constate dans un certain nom­


bre de mots qui de par ailleurs présentent un traitement savant ; cf. lêpra
> vfr. liepre (auj. lèpre), malëria > vfr. maiere, saeculu > vfr. siegle (auj.
siècle) et les mots du type impëriu > *empierie > fr. empire, dont il sera
question pp. 417 sq.
Dans ce cas les mots latins sont entrés dans l’usage avant l’époque de la
diphtongaison et ont pu y participer. Lorsqu’au contraire leur intro­
duction a eu lieu après, ils ne présentent pas de diphtongues ; cf. célèbre,
cèdre, vfr. erege ( < haerèticu), ténèbres, etc.

On a eu p: (d’où l’étape [œe] qui apparaît dans la graphie ue


du vfr., et aujourd’hui [œ] ou [ce] ; cf. pp. 293 et 252 sq.) :
Dans bove (> vfr. buef, auj. bœuf), *colÔbra, p. 200 ( > vfr.
coluevre, auj. couleuvre), *môrü pour môriiur (> vfr. muert, auj.
meurt), Mosa (> vfr. Muese, auj. Meuse), mövet (> vfr. muet,
auj. meut), *nora, p. 207 (> vfr. nuere), nova (> vfr. nueve, auj.
neuve), opera (> vfr. uevre, auj. œuvre), opus (> vfr. ues), proba
(> vfr. prueve, auj. preuve), pröpe (> vfr. pruef), sölet (> vfr.
suell), *volel pour vult (> vfr. vuelt, auj. veut), etc.
Dans *côperit p. 178 (> v. fr. cuevre, auj. couvre, analogique),
*mobïle pour mobile p. 178 (> v. fr. mueble, auj. meuble).
Dans frc. -budo (> vfr. -bue, dans Aubue < A&albôdo, Gondel-
bue < Gündîlbôdo, Mainbue < Maginbôdo, Marbue < Markbôdo,
etc.), frc. hösa ( > vfr. huese « botte montante »), frc. *kokar
(> v. fr. cuevre «carquois»), frc. Chàno > v. fr. Cuene(s), etc.
8
222 INFLUENCE DE LA DUREE VOCALIQUE

Dans frc. *alôd ( > vfr. alue, auj. dieu), frc. *brôd ( > vfr. breu
« bouillon, décoction)'), frc. *[ddistôl ( > vfr. fddestuel, auj. fau­
teuil), frc. *jlôd ( > vfr. fluet «fleuve»), frc. *fôdr ( > vfr. f uerre
«fourreau»), frc. */<5Ôr ( > vfr. f uerre «fourrage», auj. feurre),
frc. *hrôk ( > v. fr. *frue, auj. freux), frc. lôder ( > v. fr. luerre,
auj. leurre), etc.

Remarque I. — A côté de *môblle, avec <5 provenant de ô (p. 178),


mobile a continué à se maintenir ; d’où le vfr. mçublt.

R emarque II. — Le v. fr. estuel (auj. éteuf) ne saurait remonter à un


type francique *stutt comme on l’a proposé ; cf. RE W Z 8339 b, E. Gamill-
s'eheg, EW F, p. 391, Rom. Germ. I, p. 220. 11 faut sans doute admettre
à sa base un type francique avec ô, de la même famille que got. stautan,
v. sax. siôtan, v. h. ail. stôzan (all. mod. slosscn), etc. (cf. W.-Pok., Et.
Wb. der idg. Spr. II, p. 618), dans lequel l’ö s’est diphtongué spontanément
pour aboutir à v. fr. ue.

R emarque III. — Le frc. orgôli a été latinisé en orgolium. De même,


le frc. gafôri, l’a été en gaforium « opportunitate, compendium » dans les
gloses de Reichenau. Mals la diphtongaison qui s’est produite ici, pour
aboutir à fr. orgueil et v. fr. jafuer « aise, plaisir, charme », est conditionnée
(=■ ç -f y) et non spontanée. Cf. p. 291.

R emarque IV. — Certains font remonter les terminaisons -fleur (vfr.


fieu) et -beuf (vfr. -beu) des toponymes normands Barfleur, Ronfleur, etc.,
Bolbeuf, Elbeuf, etc., ainsi que le nom de l’île d’Yeu, à des types nordi­
ques fl dh « golfe », bûdh « cabane », oog « île ». De toute façon, bùdh doit
être écarté : on attendrait -*bu en français. D’autre part, même en admet­
tant pour -beuf, comme pour les autres mots, un type avec ç, on ne saurait
expliquer -fleur, -beuf, Yeu en partant du nordique. Les Vikings en effet
n’ont envahi la Normandie qu’au ix e siècle. Or à cette date, la diphton­
gaison de ç était depuis longtemps un fait accompli ; cf. p. 223.
On peut songer à une autre invasion, celle des Saxons avant leur entrée
en Grande-Bretagne (ve siècle) ; cf. p. 55. Le v. sax. flôd, romanisé en
*fl$du, aurait eu ainsi le temps de se diphtonguer pour devenir ensuite
-fleu(r). De plus, le v. sax. a connu un type bôd « maison, cabane » (cf.
bodlôs m. pl. « maison avec jardin, ustensiles de ménage »), parallèle au v.
suéd. bôp « cabane », au m. b. all. bode « id. » ou au v. h. a. buode «id. », qui
romanisé en *b$du a pu aboutir à -beu(f). Enfin, le nom de l’île d’Yeu peut
s’expliquer par *çgu, romanisation d’une forme saxonne *ôg que laisse
supposer le composé du v. saxon oi-land t lie » et le m. b. all. oge « id. ».

R emarque V. — Dans *esprçwat (du frc. *sprtwan), la diphtongaison


de o n’a pas eu lieu, la partie finale de ç ayant été empêchée de s’ouvrir
davantage par l’action du w suivant ; d’où v. fr. (il) esprçe (auj. il s’ébroue).

R emarque VI. — La diphtongaison ne s’est pas produite dans les


mots germaniques d’introduction relativement tardive ; cf. frc. *hlot >
fr. lot, frc. skot > fr. écot, *bçiat (du frc. bàlan) > *il bçie d’où v. fr. il
bole (auj. il boule) avec un p analogique de boler (auj. bouler), etc. — Pour
frc. skrôda > v. fr. escroe « morceau d’étoffe », puis « morceau de parche­
min » (auj. écrou « registre de prison » depuis le xvne s.), cf. plutôt p. 294.
Le même mot germanique peut être représenté par des formes diph-
.
tonguées et des formes non diphtonguées ; e t -bödo > -bod dans v. fr.
Gerbod, Radbod, etc. à côté des formes en -bue citées plus haut, de beau­
coup les plus nombreuses.
D U R ÉE VOCALIQUE E T DIPHTONGAISON 223
R emarque VII.— La diphtongaison a eu lieu dans un certain nombre
de mots qui présentent par ailleurs un traitement savant ; cf. abôculu
(> vfr. avuegle, auj. aveugle), öleu (> vfr. uelie, auj. huile). Ces mots sont
donc entrés dans l’usage avant l'époque de la diphtongaison et ils ont pu
y participer ; cf. parallèlement, p. 221, rem. VI. Mais dans ceux qui ont été
introduits après, on n’a pas eu de diphtongue ; cf. vfr. cofe, auj. coffre
(< côphlnu), école, étole, pople (< pöpulu), rose, etc. et les mots du type
gloria > v. fr. glorie (auj. gloire) dont il sera question dans le vol. III :
Consonnes.
R emarque VIII. — A côté des formes supposant la diphtongaison de
Q gallo-roman accentué, il peut en exister d’autres, avec o en v. fr. et (u]
en fr. mod., résultant d’une réfection sur les formes à radical inaccentué ;
cf. en v. fr. (il)covre (auj. il couvre), (il)ovre (auj. il ouvre), bro « bouillon »,
en face de cuevre <*c ':perit (pp. 177 sq.)’, uevre < operil, breii < frc. brod,
formes qui ont été refaites sur le radical de v. fr. covrir (auj. couvrir) <
*cçperire, v. fr. ovrir (auj. ouvrir) < ôperire, v. fr. broet (auj. brouet) <
frc. brod + Utu. Il en est de même dans v. fr (il) joe (auj. il joue), v. fr.
(il)loe (auj. il loue), refaits sur v. fr. /per (auj. jouer) < jöcare, v. fr. loer
(auj. louer) < löcare, à côté desquels on trouve au Moyen âge des formes
analogiques de la l re pers. sing, indic. prés., supposant la diphtongaison
de ö latin ; cf. gieue Vers de la Mort, v. wall, lieue. — Cependant, il paraît
peu probable que le v. fr. roe (auj. roue), en face de ruode St-Léger, ruede
Ps. Cambridge, ruee Ph. Mousket, reue Marie de Fr., soit analogique de
roer (auj. rouer) < rôtare, v. fr. roelle (auj. rouelle) < *rôtella, moins em­
ployés que lui. Pour une autre explication, cf. p. 293.

*
* *

La diphtongaison de ç, Qroman s’explique par l’affaiblissement


de la tension musculaire qui s’est manifesté dans la dernière partie
de la tenue vocalique, à partir du moment où § et <5 « relâchés »
ont commencé à devenir longs par suite du bouleversement quan­
titatif. Avec l’accroissement de la durée, la langue n’a pu conserver
sa position du début, elle s’est légèrement affaissée, et ces voyelles
ont tendu à s’ouvrir dans leur partie finale.
Cette tendance à l’ouverture n’a pu être que favorisée par le
germanique. Cela pour deux raisons. D’abord à cause de l’opposi­
tion sensible que l’on constate dans ce groupe entre le début de la
tenue vocalique, très énergique, et sa fin, plus ou moins négligée.
De plus, ç et d , devenus déjà longs autant que le permettait le
système quantitatif roman, ont pu recevoir un surcroît de lon­
gueur. En effet, les voyelles longues du germanique ont, toutes
proportions gardées, une durée plus grande que les voyelles lon­
gues romanes.
Quoi qu’il en soit, la diphtongaison spontanée de f en çs et de
q en ço, si elle a pu débuter un peu auparavant, était un phéno­
mène en pleine action au moment de l’invasion franque. Les mots
venus du francique y ont en effet participé, comme on l’a vu. Si
elle peut avoir commencé dans le courant du ve siècle, elle a dû se
poursuivre le long du siècle suivant.
2° S e c o n d e d ip h t o n g a is o n s p o n t a n é e . — Elle concerne f,
ö et à, c’est-à-dire e, o et a en syllabe ouverte.
224 IN F L U E N C E D E L A D U R É E V O C A L IQ U E

L’ë provient de ë latin —, de ac latin dans les conditions étu­


diées p. 255 —, de oe latin (p. 256) —, enfin de ï latin ou germa­
nique, tous en syllabe ouverte (pp. 166 sq.).
L’ô provient de 5 latin et de ü latins en syllabe ouverte
(p. 166 sq.).
L’(7 continue un a latin ou un a germanique, primaire ou résul­
tant de l'ouverture de ë1, les uns et les autres en syllabe ouverte.

La diphtongaison consiste ici dans le passage de ë, g et ä (ou


ee, pp, àa, comme on pourra les noter pour la clarté de l'exposi­
tion ; cf. parallèlement, p. 219) à éi, ou et de. Ainsi tëjla, f 15 frc
et m âjre sont devenus tout d’abord *téila, *figure et *mdere.

On a eu éi (d’où la graphie ei du plus ancien français ; pour le


développement de cette diphtongue, représentée aujourd’hui soit
par [ç], soit par [wa] ou [waj, cf. pp. 269 sq.) :
Dans candëla ( > vfr. chandelle), celt. *clêla ( > vfr. cleie, auj.
claie), crëdit ( > vfr. ereil, auj. croit), crëta ( > vfr. creie, auj. craie),
cortë(n)se ( > vfr. corteis, auj. courtois), débet ( > vfr. deit, auj.
doit), habëre ( > vfr. aveir, auj. avoir), lamprëta ( > vfr. lampreie,
auj. lamproie), më ( > vfr. mei, auj. moi), m ë(n)sc ( > vfr. meis,
auj. mois), *parëte pour parîëte (p. 115) ( > vfr. parei, auj. paroi),
sëperat pour sëparat ( > vfr. seivre, auj. sèvre), vêla ( > vfr. veile,
auj. voile), *lëre (1. cl. glire, p. 202) > *lërc ( > vfr. leir, auj.
loir), etc.
Dans blaesu > *blësu ( > vfr. bleis «bègue»), praeda > *prëda
( > v. fr. preie, auj. proie), saepe > *sëpe ( > v. fr. seif « haie »)
saeta > sëta ( > v. fr. seie « soie »).
Dans fide ( > vfr. fei, auj. foi), itérai > *ëdrat ( > vfr. eirre,
auj. erre), jenïperu pour füniperu ( > vfr. geneivre, auj. genièvre,
nïve ( > vfr. neif), pïlu ( > vfr. peil, auj. poil), *pïpere ( > vfr. pei-
vre, auj. poivre), pira ( > vfr. peire, auj. poire), pïsu ( > vfr. peis,
auj. pois), prae(s)bïtëru > *prevëdre ( > vfr. preveire), recipit
( > vfr. receit, auj. reçoit), vïtru ( > vfr. veire, auj. verre), etc.
Dans frc. *bërefrihu ( > vfr. berfrei, auj. beffroi), *exfrïdat du
frc. fri du ( > vfr. esfraie, auj. effraie), frc. spit ( > vfr. espeit, auj.
époi), frc. liber > *têvre ( > vfr. leivre « animal »), etc.
Il en a été de même avant la nasalisation (p. 365) dans les mots du
type avenu > fr. prélitt. *aveine ( > v. fr. aveine, auj. avoine),
fënu > fr. prélitt. *fein ( > v. fr. fein, auj. foin), poena > *pëna
> fr. prélitt. *péine ( > vfr. peine, auj. peine), minus > fr. prélitt.
*méins ( > vfr. mèins, auj. moins), etc.

R emarque I. — Les Serments de Strasbourg présentent les graphies


savir, podir et dijt pour saveir (< sapêre), podeir (< *potêre) et dift (< dé­
bet). On doit les expliquer de la façon suivante : *saoëre, *podëre et *dëvet
pouvant s’écrire *savire, *podire et divet suivant l’usage mérovingien (p. 201),
l’i représentant ë a pu se conserver dans l’écriture même après le passage
de ë à çi.
D U R É E VOCALIQUE ET D IPH TO N G A ISO N 225
R emarque II. — A côté de fieble < *flëblle, (p. 178) le v. fr. possède
une forme fleive remontant à flëblle par l’intermédiaire de *flêbe, dissi­
milation de * flèble.
R III. — Dans le latin parlé de la Gaule, la géminée II s’est
e m a r q u e

simplifiée en l après une voyelle longue. Par suite stëlla est devenu *slëla.
Ainsi, au moment de la diphtongaison, on avait dans ce mot un è qui a
pu passer à ef ; d’où v. fr. esteile, auj. étoile.
R IV. — Pour l’ë1 du germanique rë1ps, rendu en latin par
e m a r q u e

un è qui s’est ensuite diphtongue en ef dans *rèdu > v. fr. rei', cf. p. 221.
R V. — La diphtongaison n’a pas eu lieu dans cruel, décret,
e m a r q u e

poète, prophète, etc. qui sont des mots savants.


Noter v. fr. fëeil < fidèle en face de fidèle et v. fr. segrei < secrëtu (à
moitié savant à cause de -gr-) en face de secret.
R emarque VI. — L’r, ayant pris la prononciation de ï dans le cours du
ne siècle, des mots grecs xtoOt,/-^ et txï^ tsov sont devenus en latin apothïca
et tapltiu ; d’où les continuateurs, d’ailleurs savants, boutique et tapis.
R emarque VII. -— Pour la substitution de -ïnu à -ënu dans pullicênu,
serracênu, venënu et celle de -ïmu à -êmu dans racëmu ; pour *particamlnu
en face du latin pergamënus, cf. p. 366.

On a eu ou (pour le développement de cette diphtongue, conti­


nuée aujourd’hui par [œ] ou [q?], cf. pp. 305 et 252 sq.) :
Dans *amgure < amôre, *Bayoueses < Baiôcasses, *belledzoijre
< *bellatiôre (comparatif de bëllus), *cotisa < coda, *Droueses <
Dürôcasses, *nevoii8e < nepôte, *nouSo < nôdu, *oidzouzo <
otiôsu, *oura < hôra, *paoure < pavore, *prouve < *prôde,
*savotjre < sapôre, *senoure < seniôre, *soulo < sôlu, *vou8o
< vêtu, etc.
Et dans *goula < gala, *lo«ßo < lüpu, *soua < süa, *sou$ra
< supra, *toua < tua.

R emarque I. — Cette diphtongaison s’est produite dans l’ensemble


du gallo-roman septentrional. Mais le développement de ou n’est pas le
même que celui qui a été indiqué ci-dessus dans la Wallonie orientale,
dans l’Est (la partie de la Champagne attenante à la Lorraine y comprise),
ni dans la partie méridionale du Centre et de l’Ouest.
R emarque II. — Pour ôvu et jüvene, cf. p. 219.
R emarque III. — Comme dans le cas de stëlla (cf. ci-dessus) la géminée
Il s’est simplifiée en l dans ôlla, qui est devenu *ôla. Ainsi, au moment
de la diphtongaison, on a eu dans ce mot un <5qui a pu passer à py : d’où
*oÿla, représenté par eule en v. fr.
R emarque IV. — Dévot est un mot savant.

On a eu âç (pour le développement de cette diphtongue conti­


nuée aujourd’hui par [f] ou [çj, cf. pp. 261 sq.) :
226 IN FLU E N CE D E LA D U R É E VOCALIQUE

Dans *dewa < âqua, *bontàe$e < bon(ï)tâte, *lsantdere < can-
târe, *L<anlde8es < canlâtis, *cldero < clâru, *clàçve < clâve,
*ndg:o < nûsu, *pde$rç < pâtre, *ldele < taie, etc.
Et dans *blde<üo < blâdu (frc. blàd), *fdera < frc. fâra, etc.

R emarque I. — La diphtongaison de a n’a eu lieu que lorsqu’il était


pleinement accentué. En dehors de ce cas, il est resté sans changement.
C’est ce que montre le traitement de malu dans le Jonas, où l’on note de
cel mél (25) et de mais christianis (32).
De la même façon s’expliquent les doublets du vfr. : el à côté de al
< *alid (1. dass, aliud), lel à côté de tal < taie, kcr à côté de car < quare.
Ni el ni al n’ont survécu au xue siècle. Les autres doublets n’ont conservé
que l’un de leurs termes. Ker ou quer, autrefois adverbe ou interjection
avec le sens de « aussi, eh bien 1 », a cessé de bonne heure d’être en usage.
Tel a supplanté tal, beaucoup moins usité. L’inverse a eu lieu pour mal,
forme atone généralisée à cause de la fréquence de son emploi proclitique
comme adjectif ou comme adverbe.
R emarque II. — Salit et valet auraient dû aboutir à *selt et à velt
(après diphtongaison de a), et ces derniers alterner avec salir < satire et
valoir < valëre. Il est possible que cette alternance ait existé à un moment
donné pendant la période prélittéraire. Elle a été en tout cas supprimée de
bonne heure par suite du remplacement de *selt, *velt par sait, valt (cf. -saut
dans il assaut, il Iressaut jusqu’à la fin du xvie s. ; fr. mod. vaut). Cette
suppression se comprend facilement si on songe que dans salir (auj. saillir)
et valoir le radical en e n’apparaît phonétiquement qu’à la 2e et 3e pers. sing,
indic. prés., à la 3e pers. plur. du même temps, et à la 2e pers. sing, impér.,
et que dans tout le reste de la conjugaison on a régulièrement a.

R emarque III. — Pour le cas de *ecce-ha(c) et de ïlla(c), il est pro­


bable qu’on n’a jamais eu de doublets *cé : çà, lé : là. La fréquence d’emploi
des combinaisons *ecce-ha(c) + *dyûsu ou intus, Üla(c) 4- *dyùsu, inlus,
allu, bassu a sans doute empêché la diphtongaison de a dans ecce-ha(c),
lllâ(c) employés isolément.

R em arque IV. — L’a s’est conservé sans changement dans les mots
savants comme agathe, candélabre, cas, cave, étal, lac, pape, rare, vase, etc.
Noter en face de avare et rare les anciennes formes phonétiques aver et
rer. De même -ale est représenté par -al dans un grand nombre de mots
refaits sur le latin à différentes époques ; cf. bestial, final, impérial, infer­
nal, pascal, spécial, triomphal (xue s.), banal, conjugal, initial, mémorial
(xme s.), boréal, cérémonial, dominical, glacial (xiva s.), cordial, ducal,
hiémal, partial (xve s.), frugal, idéal, jovial, trivial (xvie s.), armorial, social
(xvne s.), amical, boréal, vocal, familial, fluvial, génial, verbal (xix® s.).
Dans l’ancienne langue il a existé des doublets en -el. Mais annual, material,
natural, personal, spiritual, temporal, etc. ont disparu au profit de annuel,
matériel, naturel, personnel, spirituel, temporel, etc. Inversement leiel ( < le­
gale) et reiel((< regale) ont cédé la place à leial, reial (auj. loyal, royal). De
même les formes iwel ou oel ( < aequale) du vfr. sont sorties très tôt de
l’usage et seul égal, à moitié savant, est resté.

R em arque V. — Les mots pénétrés dans la langue après l’époque de la


diphtongaison ont naturellement a. Ainsi le frc. *waso (à moins que ce soit
le m. néerl. wase) a donné en fr. vase « boue ».

R em a rq u e VI. — Le vfr. beve < *baba a disparu. A la place on a


bave, refait sur la 3e pers. sing, indic. prés, bave, lui-même analogique de
baver.
D U R É E V O C A L IQ U E E T D IP H T O N G A IS O N 227
R VII. — Enfin on a a dans de nombreux mots d’emprunt î
e m a r q u e

cf. ballade, croisade (v. pr. crozeda + fr. croix), muscade, muscat, pom­
made, salade, etc. (du provençal) — ; rave au lieu de v. fr. reve < rOpa
(du franco-provençal) ; — bocal, carnaval, fanal, madrigal, régal, soldat,
etc. (de l’italien) ; — camarade, réal, etc. (de l’espagnol) ; — spiritual (de
l’anglais) ; — choral (de l’allemand) ; — chacal (du turc), etc.
Re m a r q u eVIII.— La diphtongaison de à est commune à tous les dia­
lectes d’oïl. Cependant elle n'a pas eu lieu ni à l’Est, ni au Sud-Ouest, devant
l intervocalique. Ce dernier devait être vélaire, et l’a qui le précédait au si.
Par suite, le segment final de â n’a pu se palataliser en e, et un mot comme
taie est devenu 'tal. C’est de ces régions et plutôt de la dernière que provient
le fr. pal, qui a remplacé le vfr. du Centre pel < palu.
En bourguignon, en lorrain et en wallon, l’influence de -î- resté inter­
vocalique ou devenu final a continué à s’exercer et a pu opérer le chan­
gement de a vélaire à o, écrit au.
Pour la même raison que ci-dessus, la diphtongaison de â a été empêchée
par le contact d’un w suivant en picard septentrional, en wallon et en lor­
rain. Ainsi aqua, c’est-à-dire *âwa, y est continué par aue, awe. D’après
YALF. (carte 432), les formes correspondantes se retrouvent encore aujour­
d’hui dans les départements de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle, des
Vosges (pp. 87, 88), de la Hte-Marne (p. 27), de la Hte-Saône (p. 26) et
dans le Jura suisse.

On a voulu expliquer l’évolution de mare > mer sans l’inter­


médiaire d’une diphtongaison et par un passage direct de « à e.
On a invoqué pour cela le fait que a inaccentué est lui-même
devenu e dans ornamentu > ornement, porta > porte, etc. Ici et
là, il y aurait eu palatalisation totale. Cependant corrüptiare >
vfr. correcter, sentïmenlu > vfr. sentement, etc. montrent quel
sens il faut donner au passage de a à e dans ornement et dans porte.
Il ne s’agit pas là d’un phénomène de palatalisation, mais d’une
tendance des voyelles inaccentuées à se réduire, quand elles se
sont maintenues, à la voyelle « neutre » e (= e central), cela quel
que soit leur timbre.
De plus en plus, on tombe d’accord aujourd’hui pour expliquer
Ve de mer par une diphtongue de. A l’appui de cette hypothèse,
plusieurs raisons peuvent être alléguées :
1° D’abord le fait que l’évolution a > e n’a lieu sous l’accent
qu’en syllabe ouverte : à mare > mer s’oppose par exemple parte
> part. Les conditions du développement paraissent ainsi les
mêmes que pour e, ô, ë, 5 précédemment étudiés : ces voyelles
se diphtonguent en syllabe ouverte, mais conservent leur unité
en syllabe fermée, comme on le verra plus loin. Il y a donc des
chances pour que l’opposilion mer — part s’explique de la même
manière.

2° Si dans le cas de a > e il s’agit d’une palatalisation totale,


on ne voit pas pourquoi elle ne s’est produite qu’en syllabe ouverte,
alors que ü s’est palatalisé en [ü] aussi bien dans füste > fût que
dans müru > mur.
228 INFLUEN C E DE LA D U R É E VOCALIQUE

3° Dans les continuateurs de palea et montanen, la palatalisation


totale, si elle avait eu lieu, aurait dû être favorisée par la séquence
de ƒ et de n. Or ce n’est pas le cas, puisque le premier de ces mots
aboutit à paille et Je second à montagne.

4° Comme on le verra pp. 261 sq., ïe issu de a accentué en


syllabe ouverte a été long. Cette longueur ne peut guère s’expli­
quer que par la réduction d’une diphtongue.

5° Enfin pane a abouti dans le français le plus ancien à [pa^n],


écrit pain ; cf. p. 364. On a donc eu dans ce mot et dans les mots
du même type une diphtongue ai, qui suppose elle-même à l’origine
une diphtongue ae : le second élément a passé à i sous l’action
de la nasale suivante (p. 355) et i s’est à son tour nasalisé en 1
(p. 364). Un souvenir de la diphtongue primitive se retrouve peut-
être dans la forme maent ( < manei) de la Slc-Eulalie.

3° R emarques g én éra les sur la d ip h t o n g a iso n s p o n t a n é e


de ë, ô e t fl.

Contrairement à des opinions émises récemment, la triple diph­


tongaison dont on vient de parler n’est pas contemporaine de
celle de ë, ç, mais lui est postérieure.
Entre les deux, en effet, se sont produits certains phénomènes
de syncope qui obligent à les séparer dans le temps. La diphton­
gaison de {, ç a eu lieu avant la chute de la pénultième atone
dans iëpïdu, pëdica, mëdicu, *fëmïta, Stëphanu, födicat, *mövita,
comme l ’indiquent tiède, piège, vfr. miege, fiente, Etienne, vfr.
feuge < *fuege, vfr. muete (auj. meute). Au contraire, dans les
continuateurs de débita, dübitat, cübilu, natïca on ne constate pas
de diphtongaison ; cf. vfr. dete (auj. dette), fr. prim, dote (auj.
doute), fr. prim, code (auj. coude), vfr. nage «fesse». C’est qu’entre
temps la syncope de la pénultième atone a eu lieu et que e, o, a
se sont trouvés au moment de la diphtongaison en syllabe fermée.
D’autre part, la diphtongaison de #, ç et celle de ë, 5, ü suppo­
sant des tendances différentes ayant manœuvré la langue, il est
vraisemblable qu’elles aient été séparées l ’une de l ’autre par un
certain intervalle de temps.
Une autre question se pose d’ailleurs : les trois diphtongaisons
de ê, ô, à se sont-elles produites à la même époque ? Sinon, celle
de à est-elle postérieure aux deux autres, comme on l’a affirmé ?
A cette double question, l’analyse du processus de la diphtongai­
son peut permettre de répondre. i
Dans le cas de ë > éi et à > àç,' c’est la partie médiodorsalede
la langue qui se porte en avant et se soulève. Cette tendance est
du reste assez faible, puisqu’elle n’agit que sur la partie finale de
D U R É E VOCALIQUE E T DIPHTONGAISON 229
la voyelle longue, physiologiquement la plus relâchée. Dans le cas
de ö > ôu, au contraire, c’est la partie postdorsale de la langue
qui se soulève et articule plus en avant. Les deux tendances sont
donc différentes.
Il faut remarquer d’un autre côté que la seconde est aussi à
l’origine du changement si caractéristique pour le français de [u]
en [zi] ; cf. pp. 203 sq. L’[u] postdorsal et prévélaire est devenu
médiodorsal et postpalatal, puis mediopalatal. La tendance qui a
amené la diphtongaison de ô en ou se retrouve donc ici, mais cette
fois plus forte, puisque c’est dans sa totalité que l'[u] a été trans­
formé, et non seulement l’[u] bref en syllabe fermée, mais encore
l’[u] long en syllabe ouverte. Ce renforcement de la tendance
laisse d’ailleurs supposer que le passage de [u] à [zi] est postérieur
à la diphtongaison de ô.
De plus, on a vu pp. 207 sq. que l’p bref, qui avait échappé à
la diphtongaison en ou, s’est fermé en [u]. C’est encore une mani­
festation de la même tendance. Physiologiquement, le changement
de p en [u] ne peut être dissocié de celui de [u] en [il].
Il faut enfin ajouter que chaque fois qu’à partir de cette époque
un p a passé à o, ce dernier a éprouvé une tendance à se fermer en
[u]. Que cette tendance ait abouti (p. 209) ou qu’elle ait été freinée
par la langue savante (pp. 211 sq.), peu importe pour la physio­
logie.
Ainsi donc, on constate d’une part une tendance qui s’est pour
ainsi dire épuisée après la diphtongaison de ê en éi et de ü à à g ;
de l’autre, une tendance, physiologiquement différente, qui après
avoir débuté faiblement avec la diphtongaison de ô en ou prend
ensuite de l’élan et s’affirme avec toute son ampleur et pendant
plusieurs siècles avec le passage de [u] à [zi] et les passages successifs
de o à [zz], chaque fois que l’évolution phonétique en amène un.
Nul doute dans ces conditions que la seconde soit postérieure
à l’extinction de la première et qu’elles aient été séparées l'une de
l’autre par un certain intervalle de temps.
En plaçant la diphtongaison de ë, ç pendant la seconde moitié
du v e siècle et la première moitié du vie, il peut sembler suffisant
de faire commencer celle de ê, ü au début du v n e et celle de ô
à la fin du même siècle.
R emarque I. — Que les deux tendances soient physiologiquement dif­
férentes, c’est ce que prouve le provençal : tandis que la seconde a profon­
dément agi sur lui, la première en est totalement absente.
R emarque II. — Comme contre-partie à la tendance au soulèvement
de la partie post-dorsale de la langue, la part e antérieure de cet organe
tendra à s’abaisser. Ainsi e inaccentué dans les mots du type vertu (< vir­
ilité) et i accentué devant consonne explosive ou implosive (types dete <
débita et met < mlttere) passeront à e dans le courant du xie siècle ; cf.
p. 247. De même, l’p de cç(s)te < cfi'uta se fermera en ç lequel passera à
|iz] dans la langue populaire, tandis que Yç de t((s)te < tësla restera ouvert.
230 INFLUENCE DE LA DURÉE VOCALIQUE

B. — Évolution de ç, g, e, o, a accentués et brefs

Deux groupes de faits sont à distinguer. D’une façon ordinaire,


ç, g, e, o, a accentués et brefs, c’est-à-dire en syllabe fermée, n’ont
pas connu de diphtongaison. Mais, dans certains cas spéciaux,
ils se sont pourtant diphtongués.

1° Non d ip h t o n g a is o n . — C’est le cas normal : tandis qu’en


syllabe ouverte ç, g, e, o, a accentués, étant longs, se sont diph­
tongués (pp. 217 sq.), e, g, e, g, a accentués en syllabe fermée et par
conséquent brefs se sont conservés tels quels.
On passera en revue les divers types de syllabes fermées qui
ont pu se présenter dans la langue.

a) Syllabes fermées par r. — Hërba > vfr. çrbe, hibërnu > vfr.
ivçrn, mër(u)lu > vfr. merle, përd(ë)re > vfr. perdre, përt(ï)ca >
vfr. perche, sërvit > vfr. sert, etc.
cörnu > vfr. cgrn, dormit > vfr. dçrl, *excort(ï)cat > vfr.
escçrche, morte > vfr. mgrt, porcu > vfr. pgrc, porta > vfr. pçrte,
etc.
*bôrba > fr. prim, borbe, code > fr. prim, cort, forma > fr. prim.
forme, ôrdfïjnat > fr. prim, orne, ornât > fr. prim, orne, etc.
cïrcat < vfr. cerche, fïrmu > vfr. ferm, vïrga > vfr. verge,
vïr(ï)de > vfr. vert, etc.
cürsu. > fr. prim, cors, cürtu > fr. prim, cort, diürnu > fr.
prim, forn, fürca > fr. prim, forche, surdu > fr. pr. sort, etc.
arb(5)re > arbre, arma > arme, carne > vfr. charn, carc(ë)re
> chartre, parte > part, etc.

b) Syllabes fermées par L — Avant la vocalisation de l anté-


consonantique, on a eu en français primitif :
*Helmu (frc. *hëlm) > hqlme, Mëldis > M qIz, spëlta > espçlte,
etc.
cöl(a)pu > cglp, cöll(ö)cat > cçlche, môl(ë)re > mçldre, pôl-
l(i)ce > pçlce, sôl(ï)du > sglt, etc.
*filtra (frc. *fïltir) > fçltre, *Isïlde (frc. *Ishïld) > Jsqlt, etc.
alba > albe, alnu X frc. hôh > aine, altu > hait, alt(ê)ru >
altre, malva > malve, talpa > talpe, etc.

c) Syllabes fermées par s. — Avant la chute de s anté consonan-


tique on a eu en français primitif :
D U R É E VOCALIQUE ET DIPHTONGAISON 231
Fësia > fçste, fenëstra > fençstre, quaes (ï)ta > quçsle, tësla >
tçste, vëspa > vçspe, etc.
côsta > cçsle, hosp(ï)te > gste, nöstru > ngslre, *vôslru (1. cl.
vëstru) > vgslre, etc.
cô(n)stat > coste, cô(n)s(u)ëre > cosdre, mô(n)strat > mos-
tre, etc.
arïsta > arçste, capïstni > chevçstre, crïsta > crçsle, mïsc(ü)lat
> mçsle, etc.
crüsta > croste, güstu > gost, *jüsta (1. cl. jüxta) > foste, müsca
> mosche, müsculu > mosle, etc.
as(l)nu > asne, asp(ë)ru > aspre, *cass(à)nu > chasne, mast(l)-
cat > masche, pasta > paste, etc.
d) Syllabes fermées par d. — Ce d, primaire ou secondaire
constitue l’élément implosif des groupes dn et dl, issus d’une syn­
cope, groupes dont le premier est ensuite devenu nn ou Ôn (de là
sn, pic. rn), et le second II postérieurement à la réduction deJZ
primaire latin ou germanique.
Au moment de la diphtongaison on a eu :
*rëtïna > *rçd(e)na ; d’où vfr. resne, auj. rêne.
eelt. *bödïna > *bod(e)na, d’où vfr. bçstie, (auj. borne, forme
picarde); Rhödanu > *Rçd(a)no, d’où vfr. Rçsne, auj. Rhône;
modiilu > *mçd(o)lo, d’où fr. prim, mçlle, auj. moule ; *rolulat >
*rçd(o)lat, d’où fr. prim, rçlle, auj. roule.
*capïtïne > *lsaved(e)ne, d’où cheoanne ou chevesne.
*abrôlanu > *aiirod(a)no, d’où aurone ;
*patïna > *pad(e)na ; d’où f. panne « pièce de bois posée hori­
zontalement sur la charpente d’un comble », pic. parne ; platànu >
*plad(a)no, d’où vfr. plasne, auj. plane ;spati'ila > *espad(o)la,
d’où *espalla > fr. épaule et *espalda > v. norm, espaude.

e) Syllabes fermées par une consonne nasale. — Au moment


de la diphtongaison de ç, ç, on a eu :
gën(ë)ru > *dzçndro, pënd(ë)re > *pendre, sentit > sçntet,
tëmpus > *tçmpos, tën(ë)ru > tçndro, trèm(ü)lat > *tremblat,
vëntu > vçnto, etc.
côm(ï)te > *cçmte, cômp(ü)tat > *cçmptat, contra > *cgntra,
dömnu > *dgmno, pôn(ë)re > pondre, ponte > *pçnle, etc.
Et au moment de la diphtongaison de ë, ô, â :
Fëm(ï)na > *fçmna, *prênd(e)re > *prçndre, sêm(ï)nat >
* sçmnat, sëm(ï)ta > *semta, etc.
monte > *monte, cïn(ë)re > *tsendre, find(ë)re > *fçndre,
ïnflat > *çnflat, lïngua > *lçngua, sim(ü)lat > *sçmblat, *trïnta
(1. cl. trïgïnta) > *lrenta, etc.
cüm(ü)lat > *comblat, fünd(ë)re > *fondre, plümbu " *plow-
bo, rümp(ë)re > *rgmpre ündece > *ondze, etc. ,
232 IN F L U E N C E D E LA D U R É E VOCALIQUE

*blancu (frc. * blank) > *blanco, campa > tsampo, gamba >
*dzamba, man(ï)ca > * mant sa, pant(ï)cc > *panlse, d e .
R e m a r q u e . — Le lat. ténue a passé à *lènve avant la diphtongaison de
( ; d’où vfr. tenue qui se dénote d’ailleurs comme savant à cause de son e
final.

f) Syllabes fermées par le premier élément d’une géminée. —


Celt, bëccu > vfr. bec, bëllu > vfr. bçl, cessât > vfr. cçsse, fërru
> vfr. fçr, *mamëlla (p. 199) > vfr. mamçle, prëssu > vfr. prçs,
*sëlte ( < sëple) > vfr. sçt, tërra > vfr. tçrre, frc. wërra > vfr. guerre,
etc.
cöllu > vfr. cçl, fôssa > vfr. fçsse, grössa > vfr. grçsse, össu
> vfr. çs, etc.
*dëtla ( < débita) > vfr. dele, *pëllat ( < pëdïiat) > vfr. pele.
löttu (1. cl. tötu) > vfr. tot.
cïppu > vfr. cep, ilia > vfr. ele, mïssa > vfr. messe, mïttit >
vfr. met, mïtt(e)re > vfr. metre, *nïlta ( < nitida) > vfr. nete,
sicca > vfr. seche, etc.
*addübbat (frc. dubban) > vfr. adobe, bücca > vfr. boche, cüppa
> vfr. cope, gülta > vfr. gote, türre > vfr. tor, etc.
*adcaptal > vfr. achate, frc. *balla > vfr. baie, bassu > vfr. bas,
carru > vfr. char, *grassu (1. cl. crassiï) > vfr. gras, frc. *halla >
v. fr. hale, *nappa (1. cl. mappa) > v. fr. nape, etc.

R e m a r q u e I. — Le lat. camëlu et le lat. candëla sont représentés régu­


lièrement en vfr. par chameil et chandeile, avec diphtongaison de ë. A côté
de ces formes, on a eu aussi, avec changement de suffixe, camëllù et *can-
dëlla, qui ont donné en vfr. chamçl et chandçle, sans diphtongue. Des deux
formes du lat. class, querëla et querella, seule la seconde a laissé un conti­
nuateur ; cf. vfr. querçle.
R e m a r q u e II. — Par suite du passage de rs à ss, le lat. prôrsus est
devenu de bonne heure *prôssus, d’où le vfr. pros. Parallèlement extrôrsus
a donné en vfr. estros.
Ces deux exemples empêchent de dériver le fr. ailleurs de *aliôrsu, comme
certains l’ont fait. Ailleurs continue un type *aliöre (loco), comparatif de
alius. Après la diphtongaison de ô, *aliore est devenu *alçy.r, puis *alours,
par suite de l’adjonction d’un s dit « adverbial », d’où le fr. ailleurs.
R emarque III. — Les suffixes latins ê-ôlu, -îôlu, devenus par déplace­
ment d’accent -ëôlu, -lôlu, puis tous les deux -yâlu, ont diphtongué réguliè­
rement Vç, qui se trouvant en syllabe ouverte s’était allongé. D’où les
formes du v. fr. avec ue provenant de ço (p. 293) : alveôlu > aujuel, aviôlu
> aiuel (auj. aïeul), bracchiôlu > braçuel, filiôlu > filluel (auj. filleul),
retiölu > resuel, *rosciniölu (1. cl. lusciniôla) > rossignuel, *rùbeôla > ro-
juele, etc. Certains ont pensé que sur le modèle de -ëllu, on aurait pu avoir
-y$llu au lieu de -y$lu. D ’où les formes sans diphtongaison comme vfr.
aiol < *aoiöllu, vfr. jaiole (auj. geôle) < *gave alla (1. cl. cavella), vfr. rojole
(auj. rougeole) < *rubeôlla, Faverolles S. et Oise < *Favariôllas, Grisolles
Eure, Aisne < *EcclesFllas, etc.
En réalité, les localités en -ol (aujourd’hui aussi -eau, -eaux : Monle-
reau, Palaiseau, Bagnaeux, etc.), -oies ou -olles étant d’origine relative­
ment récente (vue siècle et après), leur terminaison ne peut être que
D U R É E V O C A L IQ U E ET D IP H T O N G A ISO N 233

savante et calquée sur le latin. Il doit en être de même pour les noms
communs en -ol ou -oie, à moins qu’il ne s’agisse d’emprunts au proven­
çal (espagnol, rossignol, etc.) ou à l’italien (cabriole, carriole, luciole, etc.)
R e m a r q u e IV. — On constate la diphtongaison en vfr. dans *sçtte
( < lat. sêplc) ; cf. siet à Namur, à Tournai, sielh chez J. d'Avesnes, et
sième < sëpllmu chez Ph. Mousket, sieptsaumes à Tournai, sietisme, sietem-
bre dans la Règle de Cîteaux, sietisme dans le Chev. au Cygne, etc. Actuelle­
ment YA LF. (carte 1219) signale [sijçt] aux pp. 271, 280, 282 (Nord), et
[sgi] au p. 367 (Calvados), [Ja] et [ig] aux pp. 42, 43 (Doubs), auxquels on
peut ajouter pour le franco-provençal [sg] et [sût] des pp. 993, 963 (Savoie),
[*a] du p. 947 (Hte-Savoie), des pp. 60, 70, 937, 939, 959, 961, 978, 979,
988, 989 (Suisse romande) et [ip] du p. 936 (id.). Toutes ces formes en *-
supposent un type *sy<>t. La diphtongaison de g dans *sèlle ne peut s’expli­
quer d’aucune façon. Probablement *sêtte a été refait en *siette sur le modèle
de *sieis ( < scx) qui a donné plus tard sis.
R e m a r q u e V. — Le mot francique skala avait un a bref. Comme il a
été introduit à une époque où le gallo-roman ne possédait que des longues
en syllabe ouverte et que des brèves en syllabe fermée, la quantité ayant
prévalu, le caractère bref de cet a a été maintenu au moyen de la gémi­
nation de l suivant. La forme gallo-romane correspondante a donc été
*eskâlla, d’où vfr. eschale, qui s’est conservé dans l’Ouest.
R e m a r q u e V. — Le fr. salle suppose un croisement de frc. *sal (ou
*sali ?) avec frc. *halla ; d’où le résultat *salla. Mais le croisement a pu ne
pas avoir lieu et dans ce cas l’a se trouvant en syllabe ouverte s’est diph-
tongué ; cf. frc. Sala > Selles (Marne), *Batsalis (frc. bapsal «salle de
bains » > Basseux (Pas-de-Calais), avec -eus et non -ieus (p. 334) d’après
le cas rég. *Bassel.
R e m a r q u e VI. — Pour stëlla et alla devenus stëla et ola en gallo-
roman, cf. p. 225.

g) Syllabe fermée par la gémination du premier élément des grou­


pes inteivocaliques bl, fl. — On constate l’absence de la seconde
diphtongaison spontanée dans les cas suivants :
*lrïfolu (1. cl. irifôliu) > *lreflo > vlr. trçfle (auj. trèfle) ; tri­
plu > *treblo > vfr. treble (auj. triple, savant).
düplu > *doblo > fr. prim, doble (auj. double) ; slüpula
pour stipula > *estobla > fr. prim, estoble (auj. élouble, dialectal);
mobile > fr. prim, moble.
-abîle > -able ; capülu > *lsablo > vfr. chable (auj. câble, du
prov. cable) ; sabülu > *sablo > sable ; stabülu > *establo > vfr.
eslable (auj. étable) ; tabula > *tabla > table.
Ce fait ne peut s’expliquer que par la gémination de b et de ƒ
dans les groupes intervocaliques issus d’une syncope.

R e m a r q u e I. — La gémination du premier élément dans les groupes


intérieurs consonne + l n’a dû se produire qu’après la chute de la pémil-
tième atone et la diphtongaison de << dans *debile, *fltbile pour débile,
fl bïle (p. 178) > v. fr. endieble, fieble, ëbfilu > lièble, *m'ibïle pour mobile
(p. 178) > v. fr. mueble, et après la sonorisation du groupe primaire -pl-
dans triplu > *treblo (plus tard *lrebblo, d’où v. fr. trçble), duplu > *doblo
(plus tard *dobblo, d’où v. fr. doble).
Le traitement de -b- dans parabôla > *pardola > *parayla > parole,
cannabüla > canndola > cannâ{da > v. fr. cbanole « licou », tabula >
234 INFLUENCE DE LA DURÉE VOCALIQUE

tôle, etc. indique bien que si on a un -b- dans v. fr. endieble, y. fr. fieble,
hièble, v. fr. nmeble c’est que la syncope est ancienne dans *dëbïle, *flëbïle,
èbùlu et *m bile.
En regard de ces dernières formes, la non diphtongaison dans *gar(y)-
öfülu (1. cl. cariophyllon) > v. fr. girofle, auj. girofle s’explique sans doute
par le fait que ce mot appartient au langage spécial de la botanique.
R e marq ue II. — Au fr. mod. trèfle et au v. fr. treble « triple », sans
diphtongue, s’opposent cependant les continuateurs du lat. flëbïle qui
tous supposent une diphtongaison de e ; et. après le passage de ei à oi
les anciennes formes floive, floibe, floible (encore signalé comme populaire
par Ménage 1694) et foible (à la base du fr. mod. faible). Cette opposition
s’explique par le fait que déjà au départ fl bile n’était pas^ la forme de
la langue parlée, flebile étant devenu dans cette dernière *flëbïle (p. 178),
d’où v. fr. fieble. Le caractère plus ou moins savant de fl'bïle se reconnaît
dans la suite à la conversation tardive de la pénultième atone qui, lors­
qu’elle est tombée, n’est tombée qu’après la diphtongaison de e dans lat.
me > v. fr. mei. Voici du reste comment on peut rendre compte des formes
citées plus haut :
F l o iv e = flëbïle > *flbêele > *flëvele > *fleivele > *fleivel > v. fr.
fleive, floive. L’/ final s’est àmui ici à date prélittéraire après voyelle inac­
centuée.
F l o i b e = flëbïle > *flëbele > *jleibele > *fleibel > v. fr. fleibe, floibe.
Cette forme présente la même chute de l final que la première. En même
temps, elle est plus savante à cause de la conservation de -b-.
F l o ib le = flëbïle > *fabele > *fleibele > v. fr. fleible, floible. A
la différence des deux précédentes, cette forme présente la chute de la
pénultième atone.
F o i b l e = La réduction de fleible, floible à feible, foible est due à une
réfection sur l’infinitif feiblir, foiblir, issu lui-même d’une dissimilation
dans un plus ancien fleiblir, floiblir.
R emarq ue III.— De même le fr. prim. estoyble (d’où le fr. mod. éteu-
ble) suppose une syncope tardive dans *estobçla < stùpüla. Le cas est ici
parallèle à celui du vfr. fleible.
Pour le fr. éleule (autre continuateur de stüpüla), cf. vol. III : Conson.
R emarque IV. — L’opposition qui existe entre l’ef ou l’of du v. fr.
feible, foible < flëbïle et l'a du v. fr. amable < amabïle ne prouve pas
que la diphtongaison de à en de soit postérieure à celle de ç en e\, ni que
ce soit entre la diphtongaison de * et celle de à que la syncope de la pénul­
tième atone se soit produite dans amabïle (d'ou *amabble et l’impossibi­
lité pour a accentué de se diphtonguer). En réalité, si l’évolution de// bile
est loin d’être populaire, celle de -dbïle > -able est tout à fait savante,
commewpermet de le supposer le traitement du suffixe parallèle -îbïle,
dont l’i accentué est continué par i ; cf. nuisible.

h) Syllabes fermées par le premier élément d'une affriquée. —


En position inlervocalique, les affriquées constituent un groupe
disjoint. Leur élément implosif a empêché la voyelle précédente de
devenir longue et par conséquent de se diphtonguer.
Ainsi il n’y a pas eu de diphtongaison :
Dans *sedze (< sëdëce) > vfr. seze (auj. seize, avec ei purement
graphique), *tredze ( < irëdëce) > vfr. ireze (auj. treize, comme
seize), *sçtsa (< sëpia) > vfr. seche (auj. seiche, comme seize), etc.
D U R É E VOCALIQUE ET DIPHTONGAISON 235

Dans *bollotsa ( < celt, büllücia) > vfr. beloce (auj. avec p),
*dodze ( < *dôdece) > vfr. doze (auj. douze), *dzolse ( < Jüdôci)
> vfr. Joce (auj. Jousse), etc.
Dans *tsaoetso ( < capïtiu) > vfr. chevçz (auj. chevet), *krçlsa
( < frc. *krïppja) > vfr. creche (auj. crèche), *parçtsa ( < pïgrïiia)
> vfr. paresse (auj. avec g), *tretsa ( < Inched) > vfr. tresse (auj.
avec ç), etc.
Dans *godza ( < gübia) > vfr. goge (auj. gouge), *korrotsat
( < *corruptiat) > vfr. corroce (auj. courrouce), *rodza ( < rübea)
> vfr. roge (auj. rouge), etc.
et dans *-adzo ( < -atïcu) > -age, *bratso ( < bracchiü) > vfr.
braz (auj. bras), *fatsat ( < facïat) > vfr. jace (auj. fasse), *satsat
( < *captiat) > vfr. chace (auj. chasse), *latso ( < laqueu) > vfr.
laz (auj. lacs), *satsat ( < sapiat) > sache, etc.
i) Syllabes fermées par un y. — Le y implosif qui a empêché
l’allongement de la voyelle précédente et par conséquent la
diphtongaison « spontanée » peut être suivi d’une consonne ou
faire partie d’une géminée yy.
Il est primaire dans mayyu, pçyyus, l’i du lat. maiu, peius se
prononçant yy.
Il est secondaire dans *çisit < ëxit, *lçyyit < lëgit, *mçilus
< mëlius, *mçyyu < mëdiu, *pi>itus < pëctus, *vçilu < uec'lu (1. cl.
vëtulu), etc.
Dans *kçisa < côxa, *nçite < node, *çilu < ôc(ü)lu, *çyye
< hödie, *plçyya < *plôuia (1. cl. plùvia), etc.
Dans *dçiss(y)o < dïscu, *fçir(y)a < fëria, *neiro < nïgru,
*pçfdz(y)e < pïce, *reyye < rëge, *seyyale < sëcale, *teito <
tëctu, etc.
Dans *angoiss(y)a < angüstia, *boista < büxïda, *dortoir(y)o
< dormitôriu, *koiff(y)a < côffea, *kroidz(y)e < crüce, etc.
Dans *essayyo < exagiu, *layyo < lacu, *payyat < pacaf,
*playya < plaga, *plaidz(y)et < placet, etc.
R e marq ue . — Si dans çj, çf (mais non dans ej, çf), ç et ç se sont
segmentés pour donner naissance à des triphtongues lef, ùoj, il s’agit non
d’une diphtongaison « spontanée », mais d’une diphtongaison « condition­
née » par i qui sera étudiée p. 288 sq., 290 sq.

2° D i p h t o n g a i s o n . — Cependant, même en syllabe fermée,


la diphtongaison a pu se produire dans certains cas : d’abord dans
les monosyllabes, puis dans les plurisyllabes où la voyelle s’est
trouvée suivie, par suite de l’évolution phonétique, d’un groupe de
quatre consonnes ou d’une géminée -f consonne ou y.
a) Monosyllabes. — Une voyelle de monosyllabe étant plus
longue, à conditions égales, qu’une voyelle de plurisyllabe, elle
a pu malgré son caractère de brève avoir une durée suffisante
pour permettre à la diphtongaison d’avoir lieu.
236 IN FL U E N C E D E LA D U R É E VOCALIQUK

On a eu ainsi :
c > es dans fèl, mël, rèm ; d’où fr. fiel, miel, rien.
à > (k dans côr ; d'où fr. euer, auj. cœur.
? > ci dans *trçs ( < lat. 1res) ; d’où vfr. treis, auj. trois.
5 > ou dans *dçs < *dôs (I. cl. duo) ; d’où fr. prim, dous, auj.
deux.
à > ue dans sal et lra(n)s : d’où fr. sel, très.
R e m a r q u e I. — En face de très, *dôs, lra(n)s, il n’est pas nécessaire
de recourir pour le français à des types latins *fcla, *mële, *côre, *salc comme
pour l’ital. fide, miele, cuore, sale ou le roum. fiere, miere, sarc.
R e m a r q u e I I . — Au contraire, à cause de leur c final, il faut admettre
*hüque et non hôc à la base des composés du vfr. avuec (auj. avec) < apud
hôque (p. 167), pomec < *por höque, senuec < *slne hOque. D’ailleurs, même
en admettant la conservation de son c final, hôc ne conviendrait pas pour
une autre raison : faisant partie ici d’un plurisyllabe, son g en syllabe fer­
mée n’aurait pas pu se diphtonguer.
De même, le vfr. illuec doit remonter non à illôc (attesté chez Plaute et
Térence), mais à *illôque.
Pour la particule -que dans *hôque et *illôque, cf. p. 167.
R e m a r q u e III. — Bien que monosyllabes, *has (1. cl. habes) et *hat
(1. cl. habet), *vas (1. cl. vadis), *vat (1. cl. vadit) et *va (1. cl. vade) n’ont pas
diphtongué l’a et sont devenus as, a, vas, va. Ces mots pouvaient être accen­
tués ou inaccentués. L’emploi proclitique étant le plus fréquent, l’analogie
a empêché la diphtongaison d’avoir lieu sous l’accent.

b) Plurisyllabes présentant un groupe quadriconsonanlique. —


Lorsque g et n appartenant à un plurisyllabe se sont trouvés devant
un groupe quadriconsonantique, à premier élément implosif, la
diphtongaison a eu lieu.
En effet, la durée d’une consonne faisant partie d’un groupe
est en raison inverse du nombre des éléments qui le composent.
Dans un groupe de quatre consonnes, l’élément implosif a été des
plus réduits comme durée. Par compensation, la voyelle précé­
dente, tout en étant brève, a pu avoir une longueur suffisante
pour permettre la segmentation.
Les groupes quadriconsonantiques dont il s’agit ici sont au
nombre de deux : -rtsy- et -tlsy-, provenant de l’assibilation de ty
dans -rty- et -tty-,

1° V o y e l l e g. — Cette voyelle a passé à gs, d’où ie dans :


tërtiu > *lertsyo > vfr. Herz, auj. tiers ; celt. *bërliu > *bçrtsyo
> vfr. bierz « berceau ».
celt. *bëtliu > *bgttsyo > vfr. biez « bouleau », celt. *pëttia >
*pçtlsya > fr. pièce, nëptia (1. cl. nëptis) > *nçptsya > *nçttsya
> fr. nièce.
R emarque . — Les form es sans diphtongue sont analogiques ; cf. vfr.
berz «berceau» d’après bercer < *bertiare, fr. (il) blessé d’après blesser
< *blcttjare (frc. *blêlljan).
D U R É E VOC ALIQU E E T D IP H T O N G A ISO N 237

2° Voyelle p. — Cette voyelle a passé à (L dans les continua­


teurs de *nöptias (1. cl. nüptias, p. 199) et de *tôrcet (1. cl. torquet).
Le cas de *nçllsyas ( < nçptias) est parallèle à celui de *nçltsya,
et celui de *lçrlsyel ( < *lôrcei) à celui de *h>rtsyo.
Mais tandis que pour le premier mot la diphtongaison semble
confinée au picard, au normand et à l’anglo-normand (cf. dans les
anciens textes noeces, nueches, neuces, etc.), le reste du domaine
s’en étant tenu à noces, elle semble avoir été générale pour le second.
On trouve en effet au moyen âge tuerl chez Eustache Deschamps,
né à Vertus (Marne), iuert à côté de tort dans Philomena
attribué à Chrestien de Troyes, etc. L’ALE, signale encore aujour­
d’hui pour l’infinitif tordre des formes diphtonguées ou des formes
supposant une ancienne diphtongue, influencées par Iuert ; cf.
[wç] dans le Morbihan et la Mayenne ; [wœ] dans le Morbihan, [yce]
dans la Marne, [œ] dans la Marne, les Ardennes, l’Aisne, le Nord,
le Pas-de-Calais, la Somme, l’Oise, la Seine-et-Oise, la Seine-Infé­
rieure, l’Eure, le Calvados, la Manche, l’Orne, la Mayenne, l’Ille-
et-Vilaine, les Côtes du Nord et les îles anglo-normandes, où on a
aussi [c]. Il faut encore y ajouter les formes en [wç], [me], [ce], [u°]ou
[u] du Nord-Est et de l’Est.

R em a r qu e I. — L’p de noces est peut-être dû à l’influence de *nôpta


(< nüpta) qui après avoir transformé nüptias en *nôptias (p. 199) aurait
continué d’agir sur ce dernier en empêchant la diphtongaison. On peut
aussi penser à l’emploi de *nôptias dans la liturgie ; cf. les noces de Cana.
R em arque II. — Le vfr. tort (auj. tord) a été refait sur l’infinitif torlre
(auj. tordre), dans lequel il n’a pu y avoir phonétiquement de diphtongue.
En effet *tçrcêre (1. cl. torquêre) n’est jamais parvenu au stade de l’assibi­
lation, la syncope de la pénultième atone ayant eu lieu à l’étape *tçrtyère
(p. 466). L’ç n’a pu se segmenter ni dans *tçrtyêre, ni dans *t^rt(yë)re(> vfr.
lortre), à cause de la séquence d’un groupe simplement triconsonantique.
Palsgrave écrit encore je leurs, forme parfaitement régulière avec diph­
tongaison de p à l’étape *tçrtsyo < *t6rceo (1. cl. tôrqueo). Mais après lui,
tous les grammairiens conjuguent je tor(d)s, tu tor(d)s, etc.
R em arque III. — Outre le cas de noces, la diphtongaison a été em­
pêchée par l’analogie. Ainsi dans *jçrtsya (< förtia), à cause de jörte ; d'où
le fr. force. Dans *crçttsya (< eelt. *cröccia) à cause de *crôccu (> fr. croc) ;
d’où fr. crosse.. Dans *bçttsya (< frc. *bôttja), à cause de l’infinitif * bçtare
(< frc. bôtan) appartenant à la même famille et avec lequel la relation
pouvait être encore sentie. On ne saurait en tout cas songer à l'influence de
bossu qui est lui-même un dérivé de bosse.
R em arque IV. — Il n’a pu y avoir de diphtongaison en francien dans
le cas de herse < *hërpice (1. cl. hlrpice), car au moment de la segmentation
de ç on en était encore à l’étape *çrpctsye. On ne saurait opposer des
formes en ï (< ic) du wallon ïp, du lorr. rs ou du fr. compt. irti, U. Dans
ces parlers en effet l’e s’est diphtongué conditionnellement devant r +
consonne (p. 351 sq.)‘
Le vfr. fierce « dame au jeu d’échecs » ne peut être d’aucune façon pho­
nétique. Du moins pour la raison qu’il a été introduit dans la langue long­
temps après le passage de ç à çs. En effet, c’est le prov. fçrsa qui est à sa
base, et fçrsa lui-même dérivé de l’arabe /çrsa «cavalière a par l’intermé­
diaire sans doute du catalan. C’est probablement l’équation vpr. tçrsa =
238 INFLUENCE D E LA D U R É E VOCALIQUE

fr. tierce (termes de jeu) qui a déterminé en vfr. le changement du vpr.


fçrsa en fierce.. D’une façon analogue s’explique le v. pic. fierche ; cf. tierche
xtierce » dans ce dialecte.
Un cas parallèle à *hêrplce > herse est celui de förfices > forces. Au
moment de la diphtongaison, on en était encore à l’étape *fçrfetsyes. h ’ç
n’étant suivi que de deux consonnes s’est conservé tel quel.

c) Plurisyllabes présentant un groupe : géminée + consonne ou


y. — L’élément implosif d’une géminée est relativement bref.
Dans le cas d’une géminée suivie d’une consonne ou d’un y, il l’est
encore davantage. C’est sans doute ce qui a permis à la voyelle
précédente d’être suffisamment longue pour pouvoir se diphton-
guer.
Ainsi *(çrrya (< fërrea) a abouti à fierre — fière, conservé dans
fourche-fière (cf. forches fires dans Benoît, Ducs de Normandie).
L’explication par fourche *fenière qui a été proposée pour ce der­
nier composé paraît inacceptable du point de vue phonétique, et
c’est bien à fërrea qu’il faut remonter.
Pour *appröpiat, *prôpiu ( refait sur prope) et *reprôpiat (*re-
pröpriat) on trouve des formes diphtonguées, surtout dans les
anciens textes normands et anglo-normands ; cf. apruece, aprueche,
apreuche, proeche, prueche et repruece, reprueche, repreuche. La
diphtongue a pu se communiquer dans les formes à radical non
accentué ; cf. le part. pass, aproeciet dans la Chanson de Roland,
l’adjectif prueçain « prochain » dans Jordan Fantosme, preuchai-
nes (1259) dans l’Eure-et-Loir, preucheniement (1272) dans la Seine-
Inférieure, etc., et, avec réduction de ue à e, le parfait aprecha dans
Gaufrey, apres çad dans les Quatre Livres des Rois, etc. Il semble
qu’ici encore la diphtongaison se soit produite régulièrement aux
étapes *approtts(y)at ( < *approptsyat) et *reprotts(y)at ( > *re-
proptsyat).
Que dans ces deux mots, il s’agisse, non d’un groupe quadri-
consonantique, mais seulement d’un groupe géminée -f consonne,
cela résulte du traitement de hördea > orge. Si l’g ne s’est pas
diphtongué ici, c’est qu’au moment de la diphtongaison grdzyo
s’était déjà réduit à *grdzo, par suite de la fusion de y avec le
i précédent. Dans ces conditions, g n’était plus suivi que d’un
groupe triconsonantique. II en a été de même pour Gfejôrgius
qui est devenu Georges et pour Sërvius ou Sërgius qui après l’étape
*sçrdz(y)os a abouti à Serge(s). Il est dès Jors évident qu’au même
moment *apprgttsyat et *reprgttsyat ont dû se réduire eux
mêmes à *apprgltsat et *reprgttsat.
De même, la diphtongaison de g a dû se produire alors que, dans
*fçrrya, le y ne s’était pas transformé en dzy : une forme *fçrdzya
aurait abouti à *fçrdïa avant l ’époque de la diphtongaison et on
aurait eu *ferge et non fierge.

R em arque I. — Malgré leur consonance, on ne saurait rapprocher le


vfr. pierge a chemin pavé » et le vfr. tenierge «obscur » du vfr. fierge. Dans
*pitrlca et tenibricu, V i se trouvait en effet en syllabe ouverte au moment
DURÉE VOCALIQUE ET DIPHTONGAISON 239
de la diphtongaison : il a passé normalement à çs, d’où ensuite ie. Ce n’est
qu’à l’étape *pierredza ou *tenieredio que la chute de la pénultième atone
a eu lieu, amenant un r implosif après ie.
R emarque II. — Le vfr. cierge «biche » et le vfr. fierge «chaîne de
fer, entraves »(en angl.-norm. firges et friges), dont le traitement s’oppose
à celui de orge, Georges et Serge(s) sont probablement des formes du Nord,
du Nord-Est ou de l’Est avec diphtongaison conditionnée de ç devant
r implosif. Les formes normales du francien sont cerge et ferge.
R emarque III. — En face du vfr. aprueche et reprueche il peut paraître
surprenant que dans les formes du type *seddz(y)e (< sëdice), *setti(y)a
( < sëpia), *bollçtts(y)a ( < *büllûcea), *dçddz(y)e ( < *dôdèce), *fâtis(y)at
( < faciat), *satti(y)at ( < sapiat), etc. la voyellene sesoit pas diphtonguée
au contact du groupe : géminée + consonne. En réalité entre la première
diphtongaison «spontanée » et la seconde, la géminée a eu le temps de se
simplifier, et au moment de la diphtongaison de e, ç, a ces voyelles se
sont trouvées suivies, dans les mots ci-dessus, d’une simple affriquée,
c’est-à-dire d’un groupe biconsonantique disjoint. Dans ces conditions, elles
se sont conservées sans changement ; d’où en vfr. sçze (auj. seize), sçcht
(auj. seiche), belçce (auj. belçce), dçze (auj. douze), face (auj. fasse), sache,
etc.

Note sur l'évolution « spontanée » des voyelles non diphtonguées.


— Si, sauf les exceptions étudiées pp. 235 sq., ç, ç, e, o et a bref»
ne se sont pas diphtongués et ont conservé leur timbre, il est pro­
bable cependant qu’ils ont éprouvé eux aussi un léger changement
au moment de la seconde diphtongaison.
La tendance à la fermeture qui a fait passer ë à çi, à à àç et ô
à 6 u doit avoir fait que g, g brefs et ç, o brefs sont devenus les uns
moins ouverts, les autres plus fermés qu’auparavant. De son côté,
l’ancien a bref qui provenait de a moyen latin et qui est resté
moyen (sauf action de l’entourage) dans les autres langues roma­
nes, a avancé son point d’articulation et est devenu plus ou moins
palatal.
Depuis la seconde diphtongaison, aucun changement « spon­
tané » n’est à noter pour ç et ç brefs qui se sont maintenus ouverts
jusqu’à nos jours.
Par contre, o bref a passé à [u] dès le français primitif (pp. 207 sq.).
Dans l’ordre chronologique, c’est le premier changement « spon­
tané » qui se soit produit.
Il a été suivi d’un autre, dans le cours de la même période,
mais un peu plus tard. Dans le courant du xie siècle, ï ç bref s’est
ouvert en g, quelle que fût l’articulation ou la fonction syllabi­
que (implosive ou explosive) de la consonne dont il était suivi
(P- 247).
Quant à a bref, son caractère palatal doit avoir été renforcé du
jour où un a vélaire a pris naissance dans le système phonique du
français (p. 243).
R emarque I. — Dialectalement, le processus de palatalisation qui
s’est éteint en français avec la diphtongaison de à en àg a pu continuer.
C’est ainsi que l’a non diphtongué s’est fermé spontanément en [ö] ou [gl
210 IN FL U E N C E D E LA D U R É E VOCALIQUE

dans le Nord-Est et dans l'Est ; , cf. p. ex. en v. lorrain Iresp esset «trépasse »,
m esse «masse », m a le id e s «malades », e h e ste «chaque », g ra ice «grâce »dans
(xiie-xuie s.), h a iste «hâte », ta b e rn a ic le , a b a itr e «abattre », etc.
E ze c h ie l
dans le P s a u tie r lo r ra in (xiv* s.). Cette palatalisation se constate encore
aujourd’hui devant consonne en wallon, en lorrain, en franc-comtois, en
lorrain et en bourguignon ; à la finale absolue, dans les deux derniers dia­
lectes.
Il ne faut pas confondre avec ce phénomène le passage de a à q dans
les terminaisons -a g e , -a ille , -a g n e, car il s’agit ici d'une palatisation condi­
tionnée par [i], [l] et [/'<] ; cf. pp. 346 sq.

C. — Diphtongaison « s p o n t a n é e » dialectale

Les deux diphtongaisons « spontanées » dont il a été question


plus haut sont communes au francien et à tous les dialectes d’oïl.
D ’autres au contraire n’appartiennent qu’à certains dialectes.
Comme elles présentent de l’intérêt pour l’interprétation des textes
du moyen âge, on en parlera brièvement ici.
Il s’agit de la diphtongaison :
De ë tardif provenant de l’allongement d’un ancien e ( < lat.
ë, ï en syllabe fermée).
De ë plus tardif provenant de l’allongement et de la fermeture
d’un ancien | ( < lat. ë en syllabe fermée).
De 5 tardif provenant de l’allongement d’un ancien o ( < lat.
ô, ü en syllabe fermée).
Et de ô plus tardif provenant de l’allongement et de la fermeture
d’un ancien o ( < lat. o en syllabe fermée).
R e m a r q u e . — Pour le passage de g, provenant de la diphtongaison
de a accentué en syllabe ouverte, à e i, cf. p. 263.

1° Diphtongaison de ë tardif. — Dans l’Est, cet ë s’est diphton-


gué en *ei. La diphtongaison n’ayant pu avoir lieu qu’après l’allon­
gement d’un ancien e est postérieure à la simplification des gémi­
nées, à la chute des consonnes intérieures implosives et à la chute
des consonnes finales. On a eu ainsi -ïtta > -etta > -ëte > -die ; —
crista > *crësle > crë(s)le > ereile ; — mïttit > met > m ë(t) >
mb
Quant à ei, il a abouti d’une part à ai, de l’autre à oi. Cette
dernière diphtongue apparaît déjà dans la forme chevroit < *ca-
prïtlu d'Ezéchiel (x iie-x m e s.). Mais dès le moyen âge ai et oi se
sont réduits à a et p (ce dernier par l’intermédiaire de gi), et actuel­
lement ce sont ces deux voyelles que l’on note dans les patois. On
a a et p en lorrain et en franc-comtois, avec prédilection de a dans
le premier, et de g dans le second ; presque exclusivement p en bour­
guignon. On trouve de plus, comme à Bourberain (Côte-d’Or), une
DURÉE VOCALIQUE ET DIPHTONGAISON 241
diphtongue <iü, provenant de gu, assimilation de pi. Après une
consonne labiale qui a développé derrière elle un w, on a eu les
groupes wei, woi et wgi, représentés aujourd’hui en lorrain par
ivq, [u] et wg.
Tels sont les résultats « phonétiques » qu’on peut noter pour
les continuateurs de crïsla, pïscal, *prestat (1. cl. praestat), -ïttu----a,
mïttit, *nïllu---- a (< nïtïdu---- a), Uttera, mïttëre, sïccu---- a,
mïssu---- a, spïssu---- a, -ïlla et les correspondants dialectaux
de fr. crèche, neige, dresse, vfr. veve « veuve », etc. Ainsi pour sïccu
on a sa, sg en lorrain et en franc-comtois, sg en bourguignon et
sàiï à Bourberain.
Cette diphtongaison que l’on retrouve dans le franco-provençal
est aussi signalée dans l’Ouest du domaine d’oïl. On note [preito]
« prête » dans la Creuse orientale, [preif] dans le Berry, [mâim]
« même », [-aise] < -ïssa dans le Poitou, [mëim] en Normandie, etc..

2° Diphtongaison de ê plus tardif. — Dans l’Est, cet ë s’est


diphtongué lui aussi en ei. Mais les résultats de l’évolution diffè­
rent des précédents. Dans les continuateurs de -ëllu---- a, bèllu,
pëlle, transvërsu, fësta, etc., la diphtongue ei est représentée actu­
ellement par ëi, ei, çi, ?> e, ç, ï, i et œ (< œi < ei).
Ici encore, la diphtongaison est commune avec le franco-pro­
vençal.

3° Diphtongaison de 5 tardif. — Dans l’Est, cet 5 s’est diphton­


gué en p« dans les mêmes conditions que ë tardif. D’où les résul­
tats [u] < ou, g< gu, ce ou [ü] < oü et à Bourberain àü, que l’on peut
actuellement noter à l’occasion dans les continuateurs de c5(n)s-
tat, cô(n)s(u)ëre, crüsta, güstu, müsca, slüppa, süppa, töttii---- a,
*rotta < rüpta, *code < cübïtu, tüssit, etc.
La même diphtongaison se constate en franco-provençal.

4° Diphtongaison de 5 plus tardif. — Dans l’Est, cet 5 s’est lui


aussi diphtongué en ou, dans les continuateurs de cösta, tôstu, por­
ta, mort(u)u, *dossn (1. cl. dörsu), grossu, fössa, etc. Mais les résul­
tats de l’évolution diffèrent des précédents. La diphtongue ou est
représentée actuellement par ou, d’où o, par au et par œ < oü.
Ici encore la diphtongaison est commune avec le franco-pro­
vençal.

On verra dans la suite qu’en plus de la diphtongaison « spon­


tanée », le français et les dialectes connaissent aussi_ une diphton­
gaison «conditionnée», cf. pp. 288 sq., 317 sq., 351 sq.
Mais il faut se garder d’interpréter toute diphtongue comme le
produit d’une diphtongaison. Dans de nombreux cas, en effet, les
diphtongues résultent de la « coalescence » de deux éléments voca-
liques ayant chacun une origine différente et ne provenant pas
242 INFLUEN C E D E LA D U R É E VOCALIQUE

d'une voyelle unique ; cf. par exemple çi dans *pç\tos ( < pëctus),
avec g continuant ë latin et i continuant c.
D’autre part, un certain nombre de diphtongues ne sont que
des faits d’écriture. Ainsi dans les anciens textes du Nord, du
Nord-Est et de l’Est on trouve pour l’a du francien une graphie
ai ; cf. aisne (Dial. Grégoire), chaiste (Serm. St-Bernard), plaice
(Cheval, as II espées ), etc.., en face du francien asne < as(ï)nu,
chaste, place, etc. Ce n’est pas à dire que dans ces régions a se soit
diphtongué en ai. Dans le Nord, la graphie ai représente un a.
Elle s’explique par le fait que la diphtongue ai a pu s’y réduire
à a, tout en continuant à s’écrire ai. Dans le Nord-Est et l’Est,
elle représente une voyelle [à] ou [ç], résultant de la palatalisation
spontanée d’un ancien a français. A côté de ai on trouve d’ailleurs
aussi ei. Ces deux graphies s’expliquent par le développement
de l’ancienne diphtongue ai (dans fait < factu) d’abord en gf,
puis en ç (p. 258) : [fçt] pouvant s’écrire fait ou feit, un mot comme
malade, prononcé [malade] a pu s’écrire lui aussi malaide ou maleide.
La voyelle g a été autrefois graphiée oi dans les mêmes régions ;
cf. ois « j’ose » (Brut de Münich), enquoire « encore » (Baudoin de
Condé), oist pour ost < höste (Serm. St-Bernard), Theodoire (Gir.
de Roussillon), choise « chose », etc. Cette graphie a pour origine la
réduction de çi à g que l’on constate pour gi primaire dans le
Nord et le Nord-Est et pour gi secondaire ( < ef) à l’Est. Il faut
noter en outre les graphies du type malaurois pour malaurous
« malheureux » (Dial, animae), receuoir pour receuour « receveur »
(Ps. lorrain), etc., où oi représente le son [u], Oi s’explique ici par
les formes malauros, receuor, etc. qui existaient à côté de malau­
rous, receuour, etc., et dont l’o a été transcrit oi, comme l’o de
chose.
De même encore, la voyelle g a pu être graphiée anciennement
ei ou ai. Ei se rencontre dans le Nord, le Nord-Est, l’Est, l’Ouest
et jusque dans le Centre ; ai dans le Nord-Est, l’Est et le Nord-
Ouest ; cf. enfeir pour enfer (Serm. St-Bernard), honeiste pour
honeste (J. de Hemricourt), leitre pour lettre (Ph. Mousket), etc.
L’explication de ces graphies est la même que celle qui a été
donnée plus haut. II faut penser de plus pour l’Ouest à la réduc­
tion de gi ( < ë, p. 224) à g propre à cette région (p. 271). En Nor­
mandie on trouve aussi pour g une graphie oi ; cf. foire « faire »,
soipt « sept », etc. Elle est probablement due au fait qu’à la pro­
nonciation locale mg < *mei ( < lat. më) correspondait dans le
Centre une orthographe moi.
Enfin, en lorrain, en wallon et en anglo-normand, on note ancien­
nement une graphie ui pour [ü] ; cf. les part. pass, devenuit, perduit,
renduit, venuit, etc. dans les Serm. St-Bernard, les parfaits appa-
ruit, disparuit, et l’adjectif nuid « nu » dans les Dial. Grégoire,
trebuichet dans les Moralium in Job fragm., cunuit « connut »,
pluis « plus » dans certains manuscrits du Voyage de St-Brandan,
DURÉE VOCALIQUE ET TIMBRE 243
etc. Cette graphie s’explique sans doute par les 1res pers. sing,
du parfait fui, valui, conui, etc., qui, malgré la réduction de [üj'J à
[fi], continuaient à s’écrire avec -ui.

II. — DURÉE VOCALIQUE ET TIMBRE

Dans certaines conditions, le facteur « durée » a eu une influence


sur le timbre de g et de a antérieur accentués.
Une fois devenues longues, ces voyelles ont pu en effet passer
à ô, respect, a postérieur.
Ce changement a eu lieu avant l’allongement de g et de [a] anté­
rieur sous l’action d’un [z] ou d’un r. On a en effet un g dans éloge,
horloge, loge, etc. et dans accord, cor, encore, fort, sonore, etc. —
un [a] antérieur dans branchage, cage, courage, fromage, village, etc.,
et dans avare, barbare, mare, barre, jarre, etc.
On peut préciser davantage. Primitivement, alors que l’s final
se prononçait encore, des mots comme gros (< grössu) et bas
( < bassiï) avaient un g et un [a] antérieur brefs. Avec la chute de
s final, Yç et l’[a] antérieur sont devenus longs. Ces deux voyelles
ont continué à rester longues pendant un certain temps ; mais elles
ont fini par s’abréger. Comme le passage de g et de [a] antérieur à g
et à [a] postérieur ne peut s’être produit que pendant le temps
que ces voyelles étaient longues, il s’ensuit qu’il est antérieur à
l’abrègement des voyelles longues à la finale absolue.
A quelle date cet abrègement s’est-il produit ? Les grammai­
riens du xvie siècle, même les premiers, signalent déjà comme
brèves la finale -au, la voyelle finale des participes passés mascu­
lins de la classe I, l’u des participes passés du type connu, pu, etc.
qui résulte de la contraction de -ëu et qui était par conséquent
long au début.
La prononciation indiquée par les grammairiens étant carac­
térisée par un conservatisme des plus nets, il est probable que
dans la langue courante l’abrègement des voyelles longues à la
finale absolue est beaucoup plus ancienne qu’ils ne le laissent
entendre. Il n’est pas exagéré de le reporter jusqu’au milieu du
xve siècle, sinon plus tôt. Ce qui revient à dire que déjà à cette
date, Yç et l’[a] antérieur longs étaient devenus g et [a] posté­
rieur.
Sans doute, encore au xvn® et au xvm® siècles, la plupart des
grammairiens ne relèvent-ils pas de différence entre [a] antérieur
et [a] postérieur. Pour Lancelot, par exemple, qui écrit en 1660,
l’a de paraître et celui de pâle ne se distinguent que par la quantité :
celui-ci est long et celui-là bref. 11 en est de même pour Dangeau
(1694). En 1753 encore, Antonini permettra de faire rimer patte
avec pâte.
244 IN F L U E N C E D E LA D U R É E V O C ALIQ U E

Cependant les deux a existaient déjà dans la langue. Vers 1709,


Boindin note très nettement la différence de qualité qu’il y a
entre l'a de tâche et celui de tache. La même distinction est faite
en 1757 par Harduin, bien que cet auteur reconnaisse qu’elle lui
« a toujours paru bien peu sensible ». Trois ans plus tôt, Duclos
se demande pourquoi, reconnaissant deux o, les MM. de Port-
Royal n’admettent pas deux a, l ’un grave, l’autre aigu, comme
dans pâte et pâte. Plus que cela, on a pour le x v ie siècle une preuve
d’autant plus précieuse qu’elle semble être la seule, qu’il en était
déjà ainsi à cette époque. Dans ses Dialogues françois pour les
jeunes enjans (1567), Plantin écrit en effet : «(l’accent circonflexe)
se met quelquefois sur l’a, asçavoir lorsqu’il le faut prononcer
ouvertement, comme en ce mot théâtre et âtre, ausquels les vul­
gaires avoyent acoustumé d’adjouster un 5 apres l’a ».
Mais en réalité, d’après ce qui a été dit plus haut, l’[a] postérieur
doit être bien plus ancien encore. Un signe qu’il a pu en être ainsi,
ce sont peut-être les formes de l’anglo-normand du type chaustel,
bauslon, lauster, porlausies, trovaustes, etc. pour chastel, baston,
taster, portastes, trouastes, etc. qu’on note au x m e siècle dans Boeve
de Haumtone.

Quant à l’allongement de ç et de [a] antérieur, il peut être dû


à plusieurs causes.

1° A l l o n g e m e n t p h o n é t iq u e . — Cet allongement provient :

D ’une contraction vocalique, comme dans rooie ( = rotülu) >


rgle, aage ( < *aetalicu) > âge, baaille ( < *bataculat) > bâille,
roable ( < rütabülu) > râble, etc. (pp. 438 sq.).
De la chute d’un s antéconsonantique, comme dans cçste ( <
Costa) > cç(s)te, hçste ( < hospïte) > hç(s)le, paste ( < pasta) >
p ä(s)te, asne ( < asïniï) > â(s)ne, etc. (pp. 389 sq.).
De l ’amuissement d’un s final, comme dans grçs ( < grôssu) >
grç(s), bas ( < bassu) > b â (s), etc. (pp. 390 sq.).
Ou de l ’action allongeante de [z] et [y], comme dans chgse ( < cau­
sa) > chçse, pçure ( < paupëre) > pçjvre, etc. (pp. 391 sq.).

R e m a r q u e . — Dans le cas de [a] antérieur, l’action allongeante de [z]


et [üj n’a pas pu s’exercer sur des formes phonétiques en -ase ou -ave qui
n’existaient pas, à latin en syllabe ouverte ayant passé à ë. Elle n’a dû le
faire que sur des formes analogiques comme embrase (dé embraser), lave
(de laver), etc., où sur des mots savants et des mots d’emprunt assez
anciens., comme case (xme s.), extase, grave (xive s.), esclave (xme s.),
etc., vase « boue » (xve s.), rave (xive-xve s.), landgrave (xme s.), etc.Il

Il en est résulté un ô dans rôle, côte, hôte, grû, chose, pôvre et


un [a] postérieur long dans âge, bâille, râble, pâte, âne, bâ, embrâse,
lave, case, extase, grave, esclave, vase, rave, landgrave, etc.
D U R É E V 0C A L 1 Q U E E T T IM B R E 245

11 faut encore signaler la répercussion qu’a eue sur la durée


et le timbre de [a] antérieur l’action allongeante de l explosif dans
la terminaison -aille. L ’a de -aille est en effet devenu long, au
contraire de l’a de -ail. Bèze (1584) par exemple oppose à ce point
de vue aille, baille, taille, paille, saille, taille, vaille, etc. à travail.
Une fois devenu long, l’[a] antérieur est devenu postérieur ; cf. la
prononciation actuelle de bataille, caille, paille, taille, Versailles, etc.

R em a r q u eI. — Cependant l’[a] antérieur long de tous les mots e n


-aille n’est pas devenu postérieur. L’analogie a parfois empêché ce passage.
Il y a lieu, à quelques exceptions près, dans tous les substantifs. De même
dans les verbes qui n’ont pas comme correspondant un substantif e n
-ail, comme (il) criaille, (il) piaille, (il) bataille, etc. Mais n o n dans les
autres ; cf. (il) travaille, (il) émaillé, etc., avec un [aj antérieur bref, à
cause de travail, émail, etc.
R em a r q u e II. — Bien que Bèze signale un a long dans aille et faille,
ces formes verbales ont pu conserver leur [a] bref lorsqu’elles servaient
d’auxiliaire et qu’elles étaient par conséquent plus ou moins inaccentuées.
Dans ce dernier cas, l’[a] a continué à rester antérieur et c’est lui qui s’est
généralisé dans les formes accentuées.
De plus, par analogie avec faille et d'après la ressemblance des infi­
nitifs falloir et valoir, vaille a un [a] antérieur.
Enfin, le subjonctif faille a entraîné un a antérieur dans le substantif
homonyme.
R em arq ue III. — L'o et l’a postérieur longs se sont conservés tels
quels jusqu’aujourd’hui devant consonne. Mais, comme on l’a vu plus
haut, ils se sont abrégés à la finale absolue dans les mots du type gros,
bas, etc.

2° A llongement analogique . — L ’[a] antérieur de théâtre <


theatru a pu devenir long sous l’influence des mots terminés en -âtre <
-astre et devenir ainsi postérieur dans la suite ; d’où l’orthogra­
phe théâtre.
Par analogie avec les mots terminés en -os ou -as, la voyelle est
devenue longue dans les mots correspondants en -osse et -asse ;
d’où là aussi actuellement un ô et un [a] postérieur long ; cf. adosse,
endosse, grosse, engrosse, amasse, basse, grasse, lasse, tasse (verbe),
passe, etc. qui correspondent à dos, gros, amas, bas, gras, las, tas, pas,
etc.

R emarque I. — Lorsque les mots en -osse,-asse n’avaient pas de c o r ­


respondants en -os, -as, l’analogie n’a pas pu s’exercer et on a aujourd’hui un
ç et un [a] antérieur brefs ; cf. bosse, brosse, cosse, crosse, casse, chasse,
fasse, masse, etc. On a de même évidemment un [a) antérieur bref dans les
mots en -ace, comme face, glace, place, etc.
On prononce cependant un [a] postérieur dans classe et tasse (subst.)
ces mots ayant allongé leur [a] sous l’influence de lasse et tasse (verbe).
Classe est noté avec un [a] long par E. Estienne (1582). De même, d’après
passe, espace a pu prendre un [a] postérieur, à côté de l’ial antérieur bref
régulier.
246 I N F L U E N C E D E LA D U R É E V O C A L IQ U E

R e m a rq u e II. — L’a des terminaisons verbales -asse, -asses, -assent a


été longtemps postérieur. Il faut voir sans doute ici une réfection sur la 3e
pers. sing, correspondante en -ast, dans laquelle l'a est devenu long après
la chute de s antéconsonantique. Mais à la différence de amasse, basse,
grasse, etc., l'a de -asse, -asses, -assent est redevenu antérieur, comme du
reste celui de -ât (< -ast), et cette fois encore il semble que ce soit la 3e pers.
sing, qui soit en cause : l’a postérieur de -ât est devenu antérieur sous l’in­
fluence de la 38pers. sing, en [-a] du passé simple, et à son tour l’[a] antérieur
de -ât a déterminé le changement de timbre de l'a de -asse, -asses, -assent.
R e m a r q u e I I I . — H. Estienne (1582) note un a long dans brasse, em­
brasse et agace, tous analogiques. Mais le résultat actuel étant un [a] anté­
rieur, il faut croire que l’analogie n'a pas joué d’une façon décisive dans
ces mots et qu’ils ont continué à garder leur [a] antérieur bref.
Il faut en dire autant pour cache, crache, sache dans lesquels H. Estienne
note un a long par analogie avec fâche, lâche, mâche, etc.
R e m a r q u e IV. — Embrasse a même déterminé un [a] antérieur
dans bras. De même, sous l’action de matelasse, matelas a un [a] antérieur
à côté d’un [a] postérieur.
R e m a r q u e V. — Dans ialimalias et taffetas, l’[a] antérieur est régulier,
ces mots provenant l’un du latin médiéval gallimathia, l’autre de l’ital.
taffetà. Mais à cause de l’orthographe en -as qu’ils ont adoptée, la pronon­
ciation avec [a] postérieur est aussi possible.

3° A llongem ent savant . — Par imitation des mots grecs dont


iis proviennent et qui ont un w, arôme, axiome, gnome, idiome,
zone ont pris un ç, qui a passé à ô.
Dans la suite, il est devenu de mode de prononcer un ô dans les
autres mots grecs introduits après coup dans le lexique, qu’ils
aient un ce ou non en grec ; cf. d’une part atome (xve s.), diplôme
(xvme s.), cyclone (passé par l’anglais), icône (xixe s.), de l’autre
pôle, St Jean-Chrysostome.
R e m a r q u e . — Cependant hippodrome et tome se prononcent aujour­
d’hui avec un ç bref. De même gnome.

4° A llo ng em ent e x p r e s s if . — La voyelle longue ayant été sentie


comme plus expressive que la voyelle brève, l’[a] antérieur bref
semble être devenu long dans candélabre, glabre, macabre, accable,
diable, miracle, oracle, affres, âcre, grâce, hâble, etc. ; d’où dans la
suite un [a] postérieur.
Note. — Tous les ç et tous les [a] postérieurs ne s’expliquent pas par
un allongement de q et de [a] antérieur.
Il peut y avoir eu passage direct de ç à q et de [a] antérieur à [a]
postérieur sous l’action des.consonnes environnantes. Chaque cas sera
étudié en son temps.
De même, [al postérieur peut provenir de la dénasalisation de [d], dont
le substrat oral était lui-même postérieur (p. 374).
Enfin, l’[a] postérieur peut être dû à une prononciation dialectale, comme
dans le cas de bâcle, crabe (plus souvent aujourd'hui avec [a] antérieur), etc.
CHAPITRE IV

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DU CARACTÈRE NON FINAL DE LA VOYELLE

Devant une consonne prononcée ë, ê et ce se sont ouverts. De


même l’e appartenant au groupe ye.

I. — ë > I

L'ç bref du v. fr. ( < Jat. ë, i en syllabe fermée) était primi­


tivement suivi d’une consonne explosive + e ou d’une consonne
finale prononcée. Dans le courant du xie siècle, il est devenu ouvert.
Déjà au début du siècle suivant on trouve la rime els : oisels
( < aucëllos) dans le Voyage de St-Brandan. A partir de 1150,
les exemples deviennent fréquents ; cf. les rimes professe : deuesse,
pulceîes : eles dans le Brui de Munich, met (< mïttit) : est dans le
Tristan de Béroul, cerne ( < *circïnu) : uerne ( < vërna), eles :
dameiseles, etc. chez Chrestien de Troies, etc.
Cet ç s’est conservé ouvert après la chute des consonnes finales
d’où aujourd’hui [ç] non seulement dans arête < arïsta, chevêtre
< capïstru, crête < crïsta, dette < débita, évêque < epïscopu, lettre
< lïttera, messe < mïssa, mettre <mïttere, nette < nitida, sèche
< sicca, etc. et cep < cïppu, sec < sïccu, vert < viride, etc., mais
encore dans met < mïttit, valet < *vassellïttu, etc.
R emarque . — Il sem ble que l’ouverture de ë se soit pro d u ite p lu s t ô t
d e v a n t un groupe r ou s + consonne ; ce qui a perm is à cfrcle e t e v fs q u e
de passer occasionnellem ent à derde et eviesque en picard e t en w allon
(p. 351).I.

II. — ë > ç

L’f du vfr., provenant de la diphtongaison de a latin accentué


en syllabe ouverte, a perdu sa quantité, mais a conservé son timbre
248 IN F L U E N C E D U CARACTÈRE N O N -F IN A L D E LA V O Y E L L E

fermé, quand il est devenu final par suite de la chute d’une con­
sonne ou qu’il était suivi de ç central, aujourd’hui disparu dans
la prononciation.
Ex. pratu > x ie s. prëô > [pré], bonitate > x ie s. bonté0 >
bonté, cantare > x ie s. chanter > [sâ/e], nasu > x ie s. nés > [ne],
ad-satis > x ie s. assez > [ose], clave > x ie s. clef > [kle] — nata
> x ie s. née > [ne], fata > x ie s. fée > [/?], *contrata > x ie s.
contrée > [À'ô/re], etc.
Mais lorsque il a continué d’être suivi d’une consonne, ë s’est
ouvert, comme Ve provenant de ë et ï latins en syllabe fermée.
Cependant l’ouverture a eu lieu plus tard, comme il est naturel
pour une voyelle longue, plus solidement articulée qu’une voyelle
brève.
Les premiers exemples qu’on a de ë > ç sont du x m e siècle.
Bien qu’ils soient d’une autre région que l’Ile-de-France, on peut
sans doute admettre que dans cette dernière province le phéno­
mène a été contemporain. Ainsi on a ele ( < ala) : escuele ( < scu-
tëlla), foer ( < focare) : miroer ( < *miratoriu), merci ( < mercëde):
nommer ( < nominare) ci, dans le Roman de la Rose II. Villon, en
tout cas, fait rimer chere ( < cara) avec maschouère « mâchoire »,
telles avec Vausselles ( < -ëllas), criminel avec isnel ( < germ.
*snël).
Mais la langue savante s’est opposée à ce changement, comme
à tant d’autres. Au moment où ë devenait ç dans la bourgeoisie
et le peuple, elle a maintenu l’ë. On peut se demander pourquoi il
n’en a pas été de même pour Ve bref, provenant de ë, i latins en
syllabe fermée. Cette différence s’explique. L’ouverture de e bref,
comme on l ’a dit, date du x ie-xu e siècle. A cette époque, il ne
pouvait pas être question de langue savante. Mais il n’en est pas
de même au siècle suivant. La langue savante, en effet, a pris
naissance au x m e siècle, avec l’introduction du français dans
les écritures publiques de la justice et de la chancellerie et avec
la création du Parlement. Tout un personnel d’avocats, de con­
seillers, de greffiers, de procureurs et de clercs s’est alors cons­
titué. C’est tout ce monde là, se chiffrant par milliers, qui s’est
mis à veiller sur la pureté de la langue. Ainsi, Ve a maintenu son
timbre fermé dans la langue savante, et cela jusqu’à la fin du
x v ie siècle ou jusqu’à la fin du x v m e selon les cas. Car il a fini
par s’ouvrir lui aussi au contact de la consonne suivante.
Comme il est naturel, l’ouverture a eu lieu plus tôt devant une
consonne implosive que devant une consonne explosive. D ’où les
deux groupes de faits que l’on va distinguer :1

1. Mots en -er, -el, -ef : Dans les mots terminés en -er, avec r
prononcé, l’e ouvert est devenu général à la fin du x v ie siècle.
Péletier écrit bien mér, chér ; mais Baïf (1574) note un ç dans mer,
Saint-Liens (1580) et Lanoue (1596) en font autant, le premier pour
mer, cher, le second pour ces deux mots et amer.
SUR LE TIMBRE 249

R em a r q u e I. — LV final était tombé depuis longtemps dans les infi­


nitifs en -er : 1’« de cette terminaison est par conséquent fermé au xviesiècle.
Cependant vers la fin du même siècle, on a commencé à réintroduire la pro­
nonciation de r final dans ces infinitifs. La voyelle, dans ce cas, est devenue
ouverte. Cet usage a été critiqué par Vaugelas (1647) : «Et cependant,
dit-il, quand la pluspart des dames... lisent un liuvre imprimé, où elles trou­
vent ces r à l’infinitif, non seulement elles prononcent IV bien forte, mais
encore Ve fort ouvert, qui sont les deux fautes que l’on peut faire en ce sujet,
et qui leur sont insupportables en la bouche d’autruy, lorsqu’elles les enten­
dent faire à ceux qui parlent ainsi mal ». Malgré Vaugelas, l’usage a conti­
nué pendant tout le xvn® siècle et au delà. Mourgues, par exemple, enseigne
en 1685 : «Toutes les fois qu’on donne à cette r un son sensible, l’e gui la
précède dans la même syllabe devient ouverte même dans les infinitifs en
er ». Mais Hindret (1687), De la Touche (1696) et Grimarest (1712) condam­
nent définitivement cette prononciation.
R em a r q u e II. — Lorsque l’infinitif en -er était sum d’un mot com­
mençant par une voyelle, IV s’est prononcé plus longtemps encore, et on
peut dire que l’usage subsiste encore dans le style soutenu. Dans ce cas, l’e
a été ouvert pendant le xvneet le xvmesiècles,"du moins d’une façon géné­
rale. En 1716, Girard note : «On dit commander avec empire comme s’il
étoit écrit commandèravec empire ». Buffier (1709) et l’Anonyme de 1727 ont
beau critiquer cette prononciation, tous les autres grammairiens la recom­
mandent. Il faut attendre jusqu’au début du xixe siècle, pour que Domer­
gue, en 1805, indique un e fermé.
R em arque III. — Léger, qui se prononçait sans r et avec un e fermé
au xvie siècle, a pu reprendre momentanément un r au xvu* : la voyelle
s’est alors prononcée ouverte.

Dans les mots terminés en -el et -ef, Ve ouvert est aussi devenu
général dès la fin du xvie siècle. Péletier (1549) écrit chéf, mèchéf,
derechéf, tél, quél, lequél, etc. (pourtant soèf, sans doute par analogie
avec les mots en -wè-). Mais Meigret (1542) note tèl, et pour qel,
leqel, il hésite entre e fermé et e ouvert. Baïf (1574) écrit tèl, chef,
nèf et Lanoue (1596) indique un e ouvert dans nef, souef, tel, quel,
sel (à côté cependant de chef, couvreehef, derechef, meschef, avec e
fermé).

2. Mots en -elle, -eue, -eure, -ere : Si l’on met à part la termi­


naison -elle de telle, quelle, laquelle, qui est sous la dépendance de
-el (dans tel, quel, lequel), et dont l’ç est déjà courant à la fin du
x v ie siècle, on peut dire qu’ici la généralisation de e ouvert a été
beaucoup plus tardive que dans les cas précédents. Dans -eue, -eure,
-ere, l’e s’est prononcé fermé jusque pendant la seconde moitié du
xvm e siècle, et ce n’est qu’après bien des hésitations que e ouvert
a fini par s’imposer à cette époque.
Pour -eue et -eure, les grammairiens du xvie siècle indiquent géné­
ralement un e fermé. Péletier (1549) écrit chèvre. De même Baïf
(1574), qui pourtant donne grèves. On trouve aussi un e fermé chez
Lanoue (1596) : souéve, sève, grève. Au siècle suivant, Ye fermé per­
siste chez Oudin (1633) : sève, chez Andry (1689) : chèvre, et chez
l’Anonyme de 1696 : chèvre. Corneille écrit lui aussi achève. Cepen­
dant on trouve un e ouvert chez Joubert (1579) : laivres ; chez
250 I N F L U E N C E D U CARACT ÈRE N O N - F IN A L D E LA V O Y E L L E

Poisson (1609) : orfaevre ; chez l’Anonyme de 1689 : orphèvre, etc.


Hindret (1687) est indécis : il écrit achève, grève, chèvre, lèvre, mais
fèves, orfèvre. Le Dictionnaire de l'Académie est plus hésitant encore.
Dans l’édition de 1740, il note sève, grève, lèvre, mais achèvement,
fève, chèvre, orfèvre. Dans celle de 1762, chèvre, mais sève. Il faut
attendre l’édition de 1878 pour que la prononciation soit égalisée :
sève, achève, fève, orfèvre, etc., avec un e ouvert seul correct aujour­
d’hui.
Pour -ere, Meigret (1542) note toujours un e fermé ; cf. mere,
pere, lejere, -erent. Péletier (1542) écrit père, mère, frère, chère, légère,
clére, amère, ajoutèrent. Lanoue (1596) prononce aussi un e fermé
dans tous ces mots, sauf pourtant dans claire, sans doute à cause de
l’orthographe. Les autres grammairiens du xvie siècle indiquent
un e ouvert. Cependant Baïf (1574) écrit père et père. L’e ouvert
fait des progrès dans les siècles suivants. Mourgues en 1685, Grima-
rest en 1712 et Girard en 1716 prononcent partout un e plus ou
moins ouvert. Mais l’ancien e a continué à se maintenir. Oudin
(1633), Chifflet (1659) et d’autres lui restent fidèles. Corneille lui-
même écrit constamment père, mère, frère, -érent. Enfin, certains-
grammairiens hésitent et prononcent un e fermé ou un e ouvert
suivant les mots. Ainsi Hindret (1687) écrit père, mère, frère, mais
amère, chère, legére (sans doute sous l’influence de amer, cher, et
leger avec r). Dangeau (1684) prononce un e un peu ouvert dans
pere, mere, frere, etc., mais un e fermé dans marchèrent. Le Dic­
tionnaire de l'Académie a changé sa notation avec le temps. Dans
l’édition de 1740, il écrit chère, commére, confrère, légère, mère, mais
amère, père. Dans celle de 1762, l’usage actuel est enfin enregistré :
Ye est ouvert dans tous les mots en -evre ou en -ere, avec un e pro­
venant de a latin accentué en syllabe ouverte.
R e m a r q u e I. — Pour les mots en -elle, -eve, -evre, -ere, il n’est pas néces­
saire de supposer que l’ouverture de ç a été causée par le fait que, la voyelle
finale étant venue à tomber, e s’est trouvé devant une consonne ou un
groupe de consonnes implosifs. Une consonne explosive a suffi à déterminer
l’ouverture. D’ailleurs, elle a commencé à se produire à une époque où Ye
final se prononçait ou pouvait se prononcer encore. Cependant la chute de
cette voyelle n’a pu qu’accélérer le mouvement d’ouverture.
R e m a r q u e II. — Il convient de signaler que dans le parler populaire,
l’e ouvert, provenant d’un ancien f, a pu passer à a au contact d’un r, tout
comme Ye provenant de ê ou l latins en syllabe fermée ; cf. pp. 348 sq.
C’est ce qui explique les formes comme mar ( = mer), char (= cher), endor-
marent (= enaormèrent, pour endormirent) qu’on trouve dans les Maza-
rinades.

III. yç > ys

Devant une consonne, l’e du groupe yç s’est ouvert lui aussi en ç,


tandis qu’il s’est toujours maintenu fermé dans des mots comme
pied pe.de, assied < adstdet, amitié amiritate, pitié < pietate,
SUR LE TIMBRE 251
moitié < medietate, premier < primariu, denier < denariu, pom­
mier < pomariu, etc.
Dans ce cas encore, l’ouverture a été plus tardive que dans celui
de ç provenant de ê ou ï latins en syllabe fermée. La cause en est
l’action conservatrice du y précédent. Dans la langue vulgaire,
Yq de ye n’a passé à q qu’au xme siècle. De là, il a pu évoluer en a au
contact de r, d’où les formes telles que piarre, liarre, etc. qui se
trouvent la première dans les Mazarinades, la seconde même chez
des grammairiens (R. Estienne donne liarre à côté de hierre < hé-
dëra, sans d’ailleurs indiquer que c’est une forme populaire ; de
même Thierry en 1572 ; Oudin cependant l’indique comme vulgaire
et familière). Mais, vu la date de l’ouverture, la langue savante a pu
s’opposer au passage de yç à yq et ce n’est que beaucoup plus tard,
après le xvie siècle qu’elle l’a adopté.
L’ouverture a d’ailleurs eu lieu plus tôt au contact d’une con­
sonne implosive. D’où deux cas à distinguer :

1. Mots en -ier, -ief, ieil, -ierce, -ierge : Chez tous les grammai­
riens du xvie siècle, l’e de cette terminaison est noté comme fermé.
C’est en effet un e que prononcent Meigret (1542) dans fier, hier,
tiers, tierse, requiert, fiert < fërit, viel < vëdu; Péletier (1549)
dans fiér, hiér, quiér, requiér, tièrs, tiérce, fiért, briéf, griéf, viélh ;
Baïf (1574) dans fiérté, tiérs, viélh, viérje ; Lanoue (1596) dans les
mêmes mots et dans tiers, quiert, grief, brief, fief, relief, cierge
(ci. cependant q dans hier). Au xvne siècle, Maupas (1625) pro­
nonce aussi un q dans fiér, mestier, menestrier, cordoanier (avec r) ;
de même, Dobert (1650) dans fiéf, reliéf, briéf, griéf. Oudin (1633)
indique encore un e dans vieil, mais un q dans fier. Il convient de
signaler de plus Boyer (1703) qui veut un e dans hier et fier. Mais
tous les autres, à partir du début du xvne siècle, prononcent un e
devant une consonne implosive, quelle que soit son articulation.
C’est l’usage actuel.
Re m a r q u e. — Beaucoup de mots en -ier, dont IV ne se prononçait pas
au X V I e siècle, pas plus qu’aujourd’huit ont repris IV au xvne e t au xvme
siècles, par exemple allier, entier, familier, régulier, seculier, singulier, e t c .
Dans ces mots, la prononciation de -ier s’est modelée sur celle de fier, hier.
Cependant on a essayé d’introduire une distinction entre eux. C’est ainsi
qu’au dire de Tallemant (1696), l’Académie voulait qu’on prononçât un ç
dans entier, allier, mais un e dans familiér, singuliér. De même Buffier
(1709) distingue entre entier, avec ç, et particulier, singulier, avec e. Aucune
de ces distinctions ne s’est conservée, pour la bonne raison que dans tous
ces mots, IVest redevenu muet.

2. Mots en -iece, -iecle, -iede, -iege, -ieille, -ieme, -iere, -iette,


-ieve, -ievre : Pour toutes ces terminaisons, les grammairiens du
x v ie siècle indiquent tous un e fermé. Cet e s’est ouvert au cours
\ des deux siècles suivants. Mais il est difficile de suivre pour cha-
' cune d’elles le mouvement d’ouverture. Pour -iede, -iette, -ieve, on
* n’a pas en effet d’indications. Pour -iece, -ieille, -ievre, les indiea-
252 I N F L U E N C E DU CA R A CT ÈR E N O N - F I N A L D E LA V O Y E L L E

tious sont très rares : on sait seulement que Corneille écrit pièce,
et que vieille et jievre se prononçaient encore avec un e, le premier
chez Oudin (1633), le second chez Du Val (1604). On a de plus
amples renseignements pour -iege, -iertie, et -iere. Ils nous appren­
nent que dans le cas de -ieme, l'ouverture a été assez rapide. Dès
le début du x v n e siècle, on trouve en effet un e ouvert chez Du Val,
Palliot (1608), D ’Allais (1681). Corneille écrit aussi deuxième, troi­
sième ; l'Anonyme de 1696 deuxième, troisième. Le Dictionnaire de
l'Académie de 1762 met toujours l'accent grave sur -ième, et sans
doute faut-il interpréter comme des erreurs typographiques deuxiè­
me, huitième. qui se trouvent dans le premier volume de l'édition
de 1740, à côté de cinquième, dixième. Pour -iere, on trouve un e
fermé chez Du Val (1604), Dobert (1650), Corneille, D ’Allais (1681),
Regnier (1705). Mais Hindret (1687), Girard (1716), Douchet (1762)
et Demandre (1769) prononcent un e ouvert. Le Dictionnaire de
VAcadémie de 1762 écrit aussi -ière. Cependant la terminaison
-iege a continué plus longtemps à garder son e fermé. Tous les
grammairiens du x v n e siècle et presque tous ceux du x v m e pro­
noncent en effet un e dans piege, liege, siege. Xe font exception que
Féraud (1761) et Douchet (1762). Le Dictionnaire de VAcadémie
a même maintenu l'e fermé jusqu’en 1835. Ce n’est que l’édition de
18/8 qui écrit piège, liège, siège.
R emarque I. — Il faut mettre à part le cas de la terminaison -ierre,
dans pierre, lierre. Ici l’e ouvert est antérieur au xvie siècle et les grammai­
riens de cette époque signalent tous un ç.
R emarque II. — Les subjonctifs viegne, souviegne, retiegne, soutienne,
cités par Péletier, sont écrits chez lui avec un e surmonté de l’accent aigu.
R emarque III. — Mienne, tienne, sienne, ainsi que les subjonctifs tienne,
vienne ou les 3e pers. plur. indic. prés, tiennent, viennent étaient primitive­
ment prononcées avec ë. Cet ë s’est dénasalisé avant le xvie siècle et l’e
oral qui en est résulté a dû être ouvert. On le trouve cependant noté comme
fermé par Meigret, Péletier, Baïf, au xvie siècle. Lanoue (1596) et Martin
(1632) le donnent comme ouvert. On n’a pas de renseignements pour les
grammairiens postérieurs. Mais il est probable qu’ils ont prononcé miçnne,
tiçrune, etc. comme aujourd’hui.
R emarque IV. — L’ancienne terminaison -iesme, après la chute de s
antéconsonantique, est devenue -ieme, avec un e long qui a dû s’ouvrir
devant m. Cependant Meigret, Péletier, Baïf et Lanoue prononcent un e
fermé dans -ieme. Tous les grammairiens du xvue siècle, par contre, note­
ront un § dans cette terminaison. C’est la prononciation actuelle.

IV. — œ > <f.

Etant donné son origine, la voyelle œ a été fermée dès le moment


de son apparition au x m e siècle. Quoi qu’il ait pu advenir dans
le parler populaire, il semble bien qu’elle ait gardé son timbre
fermé dans la langue savante, aussi bien devant consonne qu’en
position finale, jusque dans la première moitié du x v n e siècle. En
effet, les grammairiens du x v ie qui distinguent soigneusement les
SUR LE TIMBRE 253
divers timbres de e ou de o, ne disent absolument rien d'une dis­
tinction entre ce fermé et ce ouvert. S'ils parlent de ce, c'est unique­
ment pour opposer son timbre à celui de }u]. Ainsi Meieret grou­
pe ensemble eur ( < *agüriu) et peu. reu (< cötuf. eurem, ans
soupçonner ou laisser soupçonner qu'il puisse y avoir une diffé­
rence entre Fce de eur et celui des autres mots. Ce n'est qu'en ltlS4
que, pour la première fois, Dangeau distingue deux oc. Parlant de
serviteur et de gouteux, il dit en effet : * J'avoue que ces deux sons,
quoique semblables, ne laissent pas d'être fort difèrans o
La distinction qui existe actuellement entre ce et ne ne semble
donc pas très ancienne et on peut raisonnablement la faire remonter
à la seconde moitié du xvn e siècle.
Le principe de la distribution de ces deux timbres est le même
que pour les voyelles précédemment étudiées. On a un æ à la finale
absolue, dans peu, feu, jeu, dieu, lieu, pieu, lieue, queue, bleue,
noeud, monsieur, et les pluriels boeufs, oeufs —, un ce devant con­
sonne implosive dans neuf, boeuf, oeuf, seul, filleul, deuil, orgueil,
cercueil, fleur, meurt, etc.
La question est un peu plus compliquée dans le cas des mots
où ce est suivi orthographiquement d une consonne — e muet.
Ici on a tantôt ce, tantôt cp. Cette différence qu'on ne retrouve pas
dans le cas de la voyelle e. pourrait bien s'expliquer par la date tar­
dive de l’apparition du timbre de ce. Le mouvement d'ouverture a
bien eu lieu, mais la prononciation a été fixée avant qu'il ait pu
complètement aboutir. Au moment de la fixation, on avait déjà
un cp dans neuve, veuve, peuvent, seule, filleule, gueule, veulent, jeune,
peuple, meuble, aveugle, feuille, veuille, beurre, écœure, pleure, meu­
rent, fleuve, abreuve, oeuvre, etc. Mais tandis que pour certains de
ces mots, l’évolution a pu être précipitée par Faction analogique
des formes correspondantes avec consonne finale implosive tcf.
neuve — neuf, veuve — veuf, seule — seul, filleule — filleul, -euille
---- euil, écoeure — cœur, pleure — pleur, meurent — meurt), elle a
pu être au contraire plus ou moins contrariée dans certains mots
pour diverses raisons. L'analogie peut être mise en cause : les mots
du type heureuse ont conservé Fce sous l'influence du masculin en
-eux. De même, meute, émeute ont pu être retardes dans leur déve­
loppement par meut ( < môvet); meugle et beugle par les infinitifs
meugler et beugler, plus fréquents, dont Fee inaccentué était ferme.
Une seconde raison qu on peut invoquer, c'est le caractère savant
de certains mots d'ailleurs relativement peu employes, comme
Eudes, leude, neume, empgreume. Pentateuque. etc. Enfin, le besoin
de distinguer phonétiquement jeune de jeune, a pu faire que l'o a ré­
sisté plus longtemps à l'ouverture dans le premier mot. Sur ces
entrefaites, la langue s'est fixée. Elle lia pu que consigner un état
de choses à moitié élaboré.

R emarque . — Yeule, qui n’est devenu usuel qu'au \ v m * siècle, a un <r.


De même, dans meule, on tend à prononcer actuellement un et. 11 peut
s’agir là de prononciations venues du Nord, qui se sont acclim atée s ou qui
sont en train de s’acclimater dans le parler parisien.
CHAPITRE Y

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈNES VOISINS
(Actions au contact)

On étudiera successivement dans ce chapitre les modifications


vocaliques qui se produisent dans le cas
d’une diphtongue,
d’une triphtongue,
d’une voyelle accentuée + voyelle inaccentuée en hiatus,
d’une voyelle accentuée + consonne,
d’une consonne + voyelle accentuée
et d’une consonne -f voyelle accentuée + consonne.

I. — LES DIPHTONGUES

Il s’agira ici de diphtongues descendantes. Dans les unes, le


second élément est palatal ; dans les autres, il est vélaire.

A. — D iphtongues à second élément palatal

Ces diphtongues peuvent être d’origine latine ou germanique


(diphtongues primaires) ou de formation romane (diphtongues
secondaires).
Au point de vue de leur évolution, on peut distinguer parmi elles
deux groupes : dans les unes, le premier élément (accentué) ne se
segmente pas ; dans les autres, c’est le contraire qui a lieu.
DIPHTONGUES 255
1° P remier groupe (sans segmentation du premier élément). —
La diphtongue peut se monophtonguer ou conserver ses deux élé­
ments.
a) Monophtongaison
Il s’agit de ae et oe latins, de ai latin, germanique ou roman, de aç
et ii romans.
ae latin. — Dans la campagne autour de Rome, ae s’est mo*
nophtongué de bonne heure en ë. D’après Varron, les paysans de
son temps disaient Mësius et ëdus, au lieu de Maesius et haedus.
On trouve aussi Cecilius et pretor, pour Caecilius et praetor, chez
Lucilius. Cette monophtongue s’est généralisée en latin dans un
certain nombre de mots. C’est ainsi que praeda, saepe, blaesu
et praestu — praestat ont été remplacés, du moins dans la langue
courante, par *prcda, *sëpe, *blësu, prëstu — prêstat. Le latin
littéraire lui-même a adopté sëta pour saeta. D’où v. fr. preie
(auj. proie), fr. prél. fein (auj. foin), vfr. seif — soif «haie», vfr.
bleis — blois (cf. aussi le verbe bleisier — bloisier, auj. bléser),
vfr. prçst — preste (auj. prêt, prête) et vfr. seie (auj. soie).
Mais la diphtongue ae s’était conservée dans la langue savante.
C’est elle qui a été introduite dans la Gaule du Nord avec des mots
tels que caelu, caecu, graecu, saeculu, Ma(t)thaeu, etc. Là aussi elle a
abouti à une monophtongue. Cependant l’ë qui en est résulté
n’a pas eu le même traitement que le premier. On a en effet ciel,
v. fr. cieu, v. fr. grieu, siècle, Mahieu — Mathieu, etc.
La différence de nature entre ces deux ë et la différence de trai­
tement qui en est la conséquence s’expliquent sans doute par la
chronologie. Il est probable que l’ë provenant de ae a été ouvert à
l’origine. Dans les mots de la première série, cet ë a été assimilé au
seul ë que possédait le latin avant le bouleversement quantitatif
dont il a été question pp. 213 sq., c’est-à-dire à ë fermé et tendu.
Lorsque la seconde monophtongaison a eu lieu, l’ancien système
vocalique avait été complètement transformé. La langue possédait
alors deux ë : l’un continuant l’ë primitif dans des mots comme
tëla, l’autre provenant de l’allongement de ç (< ë, p. 216) en
syllabe ouverte comme dans pçde > *pçde. Dans ces conditions,
l’ë provenant de la seconde monophtongaison est resté ouvert :
il a trouvé naturellement sa place dans le nouveau système pho­
nique. Ultérieurement, il s’est ouvert davantage dans sa partie
finale sous l’effet de la tendance qui a fait passer l’ê de *p1de à
çe (p. 219) ; d’où *tsîlu (1. cl. caelu) > *tsçslo > ciel. Quant à
ï’f résultant de la première monophtongaison, il est resté long
dans *prçda, *sçpe, *bl§su, sçla ; mais lors du bouleversement
quantitatif, il est devenu bref dans prëstu, prëstat. Plus tard, dans
*prçda, etc., il a été traité comme Yç de tfla et il s’est diphtongue
en ei en même temps que lui ; dans *prëslu, prëstat au contraire,
il n’a pas subi de diphtongaison et il s’est conservé tel quel jus­
qu’au xie siècle, date à laquelle il s’est ouvert en ç.
256 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O ISIN S (A C T IO N S A U CONTACT)

oe lalin. — Cette diphtongue a suivi une évolution parallèle


à celle de ae et a commencé à se monophtonguer dès le ier siècle
avant J.-C. Chez Lucrèce on trouve déjà fetor pour foetor. Vu la
date de la monophtongaison, il est naturel que Vë provenant de oe
ait été assimilé à l’f de fêla et ait abouti à ef dans *pêna (1. cl. poena)
> *pçina, d'où le fr. peine.

ai latin, germanique ou roman. — Avant la chute des voyelles


finales, la diphtongue ai pouvait occuper trois positions dans le mot
et se trouver :

1° à la finale absolue :
Type lat. vulg. *portai (cl. portavi).

2° devant un y explosif :
Lat. main, gaiu, c’est-à-dire mayyu, gayyu > *mayyo, *gayyo.
Lat. vulg. *ayyo (cl. habeo), *ayyat (cl. habeat), *sayyo (cl. sapio).
Germ, tahhi « épais, visqueux » > gallo-rom. *tayyo ; wähi « beau,
brillant » > gallo-rom. *gwayyo, -a.
Gallo-rom. *rayyo < radiu, *rayyat < radiat, etc.
» *essayyo < exagiu, *essayyat < *exagiat.
» *play y a < plaga, *bayya < baca, *payyat < pacat,
etc.
» *mayyes < magis.
» *fayyet < *fagit (pour facit), *fayye < *fage (pour
fac).

R emarque . — Entre voyelles, le latin avait -yy- et non -y-. C’est encore
à -yy- qu’ont abouti primitivement -dy-, -yy- et y interv. + e, a, c interv.
-fa. .

3° devant consonne -f- voyelle :


Germ, laid > gallo-rom. Iaido, -a ; hait « désir, souhait » >
gallo-rom. 3e pers. sg. ind. prés. *haitat ; haip « gaîté,
plaisir » > gallo-rom. *haito ; waigaro « beaucoup » >
gallo-rom. *gwaigro ; raisa « expédition militaire » ;
waizd « pastel, guède » > gallo-rom. *gwaisda ; etc.
R e m a r q u e . — Dans les premiers mots franciques introduits en gallo-
roman, ai s’est réduit à a. Ainsi dans gadail «compagne »> gallo-rom. <adale,
d’où v. fr. jael «servante, fille de mauvaise vie», et dans haifsts d’où pro­
vient le fr. hâte.
Affre «sentiment d’effroi», qui ne s’emploie plus aujourd’hui qu’au plu­
riel, est emprunté au prov. afre < got. *aifrs «effrayant».
Pour le frc. gabaiti, cf. p. 220.

Gallo-rom. *aire < acre.


» *fraile < *frayyele < fragile, *maide < *mayyede
< magïde, *braita < *brayyeta < *bragila.
» *fujre < *fayyere < *fagëre (pour facère).
DIPH TO N G U ES

» *failo----- a < jactu-----a, *gwailat < *waklal (frc.


ivahla), etc.
» *laisat < taxai, *braisma < *braksïma (frc. brahsi-
ma), etc.
» *lairma < lacrima, *airo < agru, *maigro <.macru,
etc.
» *aira < urea, *oairo < variu, etc.
» *baizal < busial, *putnaize < *pütinasiu.
» *baisat < *bassiat.
» *naiset < nascit, *iraisef < irascit, etc.
» *naistre < nascëre, *iraistre < irascëre, etc.
» *Aisna < Axona, *fraisno < fraxïnu, etc.
» *repaidrat < repatriat.
» *plajdzel < placet, ayaidzes < adjace(n)s.
» *palaidzo < palatiu, etc.
» *nais(y)o < nasco, irais(y)o < irasco, etc..
» *lai go < laico < laïcii ; *faida < frc. fahida « haine ».

R emarque I. — L’évolution consonantique que présentent les exemples


ci-clessus sera étudiée dans le volume III : Les Consonnes.
R emarque II. — Jusqu’à une certaine époque on a eu en gallo-roman
une diphtongue ai dans les mots du type *pa(la (< palea) et *montaina
(< montanea). Mais elle a passé à a, postérieurement à la diphtongaison
de â en ae dans mare > mdere, par suite de la fusion du second élément
avec le l ou le n suivant.

Cependant, après la chute des voyelles finales (autres que a— , e


après consonne + liquide— , e et o dansles proparoxytons à syncope
tardive ; cf. pp. 506 sq.), la position de ai a pu changer dans cer­
tains mots. De plus, quatre types se sont trouvés réalisés au lieu
des trois précédents. A partir de ce moment, en effet, la diphtongue
ai a pu être :

1° à la finale absolue :
Type ancien : portai.
Type nouveau : mai < *mayyo, dzai < *dzayyo, *ai < *ayyo,
sai < *sayyo, rai < < *rayyo, esai < *esayyo, fai < *fayye, taf
< *tayyo, gai < *g(w)ayyo, etc.

2° devant consonne ou groupe consonantique + voyelle :


Type ancien : lafdç < *lafda, -haitçt (dans *soshaftçt) < *haitat
gairç < *g(w)afro, raisç < raisa, gaisdç < *g(w )alsda, frailç
< *fraile, braitç < *braita, fairç < * faire, faitç < *faita, gaitçt
< *g(w)aitat, laisçt < *laisat, braizme < *braisma, lairme <
*lairma, airç < *airo, maigre < *maigro, a ire'î< *aira, baizet
< *baizat, baisçt < *baisat, naistre < *naistre, iraisire < *iraistre,
Aiznç < *Aisna, rçpa\drçt < *rcpaidrat, aidzç < *ayaidzes,
faidç < *faida, etc.
258 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

3° devant consonne finale ou groupe consonanlique final :

T ype nouveau : mafs < *mayyes, fait < *fayyet, lait < *laido,hait
< *haito, air < *aire, mait < *maide, fait < *faito, vair < *vai-
ro, naist < *naiset, iraist < *iraiset, plaist < *plajdzet, palais
< *pâlaidzo, nais < *naiso, irais < *irafso, etc.

4° devant y explosif :

T yp e ancien :rayyet < *rayyat, essayyet < *essayyat, playyf <


*playya, bayyç < *bayya, payyçt < *pàyyat, etc.
R em a rq u e . — A une époque où le français était déjà constitué, une
nouvelle diphtongue a/ est née soit d’une interversion de y dans les mots du
type ajvf < aviç < avia, pailç < paliç < palliu, arma{rç < armariç < ar-
mariii, etc., soit d’un déplacement d’accent dans les mots comme germ.
*hatïna > vfr. haj.nç < hainç, *tragïnat < vfr. traïnç > trainç, etc.
E st encore de formation française la diphtongue a* du vfr. vait. qui
résulte d’une réfection de va sur fait d’après la ressemblance des 3e pers.
plur. vont, font — , et celle de [desblayyç] (écrit desblaie), refait d’après le
modèle [payçr] = payer : [payyç] = paie sur [desMayer] (écrit desblaier) qui
résulte de l’insertion d’un y transitoire dans un plus ancien desblaer < *dis-
blatare.

Quelle que soit sa position dans le m ot, la diphtongue af a abouti


à ç dès le x n e siècle, par l’interm édiaire de ei.

R em a r q u e . — Dans les premiers textes littéraires on a encore aj. La


preuve en est que ai assonne avec a ; cf. p. ex. lairmes : candélabres, capes,
marbre, desevrassent dans le St-Alexis, abaisset : altres, place, etc. dans le
Pèlerinage de Charlemagne, etc.
Au Nord et au Nord-Est, ai s ’est souvent réduit à a ; cf. fraies pour frai-
les, fare pour faire dans Aucassin, trast pour traist ( < traxit) dans les Dialo­
gue Gregore, mas pour mais dans Floovant, etc.
D ’autre part, dans les régions du Nord-Est où il avait conservé ses deux
éléments, af s’est longtemps conservé. Encore en 1620, Du Gardin écrit :
* Nous autres Wallons prononçons ai... en telle sorte qu’on entend l’a
et l’i ».

D ans la suite, Yç résultant de ai a évolué différemment suivant


la position qu ’occupait dans le m ot l ’ancienne diphtongue et qu’il
occupait lui-m êm e.

1° Cas de ai (> ç) à la finale absolue,


L’ç s ’est fermé en e. D ès le vfr., à la l re pers. sing, indic. prés, de
avoir, à la l re pers. sing, du passé sim ple des verbes en -er et à la
l re pers. sing, de tou s les futurs, là par conséquent où elle termi-
DIPHTONGUES 259

nait le mot, l’ancienne diphtongue ai est continuée par ç. C’est


ainsi que on trouve les rimes amour ai : demouré, ostai : oslé, etc.
«tin s le Roman de la Rose I ( l re moitié du x m e siècle), et les rimes
tendré ( — tendrai) : engendré, livré ( = livrai) : enivré, etc. dans Fau-
vel (x m e-x iv e s.). L ’usage est le même dans le français correct
d’aujourd’hui qui oppose encore (pour combien de temps ?) portai,
porterai avec g à portais, porterais avec g.
Il est probable que dans les autres mots (substantifs et adjectifs)
terminés en -ai, on a eu phonétiquement e. Mais l’analogie a dû
jouer ici de bonne heure. A côté de vrai, avec e, on avait vrais et
vraie avec g ; à côté de essai avec e, essais et essaie avec g, etc. Les
formes avec g étant les plus nombreuses ont sans doute déterminé
le changement de g en g dans vrai, essai, etc. Pendant un certain
temps, la langue a hésité entre les deux prononciations, comme on
peut encore s’en rendre compte par les grammairiens du x v ie et du
x v iie siècles. Mais actuellement l’usage a prévalu dans le français
correct de prononcer avec g tous les substantifs ou adjectifs ter­
minés en -ai, à l’exception de gai et de quai qui ont un e.

R emarque . — Le vfr. sai ou say ( < *sayyo, 1. cl. sapio) se prononçait


normalement avec un [e], comme j'ai ou j ’ay ( < *ayyo, cl. habeo). C’est la
prononciation que donnent au xvie siècle Meigret et Péletier . Par contre,
Baïf écrit je sè, avec un [g] qui représente aujourd’hui l’usage général. Cet
[g] est évidemment d’origine analogique. Il s’explique soit par l’influence
de sais (vfr. ses < sapis) et sait (vfr. set < sapit) dont l’[ê] primitif, prove­
nant de lat. a, avait fini par s’ouvrir devant la consonne finale prononcée
(cf. ci-dessus p. 248), soit par l’influence des l res pers. sing, jais, vais fré­
quemment employées comme sai (devenu orthographiquement sais à partir
du x m e siècle) en fonction de proclitique devant un infinitif. La prononcia­
tion par [e] existe cependant encore dans le français actuel. En face de la
2e pers. sing, sais et de la 3e pers. sing, sait qui ont toujours un [g], on ne
peut l’interpréter que comme une survivance, bien affaiblie, de l’ancien
état de choses, due à une influence savante.
A côté de je sè, Baïf écrit aussi j ’è. Cette prononciation s’explique sans
doute par l’action analogique des l res pers. sing, jai(s), vai(s) et sai(s).
A la différence de sai, dont l’e a pu se conserver fermé jusqu’aujour­
d’hui, les l re pers. sing, fai, tai (v. fr. faz < facio, taz < taceo) qui ont été
refaites sur les 2e pers. sing, fais, tais, ont eu dès le début, comme ces
dernières, un [g]. Ultérieurement, fai et tai ont été orthographiés fais
et tais.
En vfr., les trois pers. sing, indic. prés, du verbe haïr faisaient hé < *hato,
hez < *hatis, het < *hatil avec un [ê] long. A la 2e et à la 3e pers. sing, cet
[g] s’est ouvert dans la suite devant la consonne finale. Par analogie, l’fe]
de la l re pers. sing, est devenu lui-même ouvert. De telle sorte qu’après
l’adoption de l’orthographe ai, la l re pers. sing, hai ou hay (devenue plus
tard hais) a toujours eu un [g].
A la l re pers. sing, indic. prés, des verbes avoir et savoir, l’ancienne
diphtongue ej provenant de aj a pu se conserver assez longtemps. Au xyi®
siècle, Meigret écrit encore j ’ey ou j ’é. je sey ou je sé. Cette conservation
s’explique par la phonétique syntactique et p)us précisément par le fait que
dans les groupes où [g/], fsgj’] étaient suivis d’un mot commençant par
voyelle, le [fl final ne formait plus diphtongue avec le [g] précédent (ce qui
a empêché la monophtongaison), mais faisait partie, comme consonne explo­
sive, de la syllabe suivante.
260 ART1CUL. DES PHONÈMES (VOISINS ACTIONS AU CONTACT)

2° Cas de ai ( > ç) suivi de consonne -f- voyelle.

Ici e s'est conservé tel quel ; cf. à la laisse IV de la Chanson de


Roland les assonances desfaire, repaire ( < repatriat), suffraites
( < *su ff raclas) : terre, feste, termes, nuveles, testes, etc. < terra,
fèsta, termina, novellas, testas, etc.
Aujourd’hui encore, après l’amuïssement de la voyelle finale
dans la prononciation, on a un ç dans laide, faire, faite, laisse, mai­
gre, aire, baise, baisse, laisse, naître, Aisne, fraîne, haine (vfr. haine),
traîne (vfr. traîne), etc., avec la graphie étymologique ai ou ai, et
dans brème, guère, frêle, guette, etc. avec la graphie phonétique
e, è ou ê.

R emarque . — L’usage orthographique actuel a été réglé surtout par les


grammairiens du xvie et du xvue siècles. Au moyen âge, la liberté était com­
plète. On écrivait indifféremment mestre, repeslre, ferc, etc. pour maistre
( < magislm), repaistre ( < pasceré), faire, etc. Inversement, on a écrit de
bonne heure aile pour ele ( < ata) et cette orthographe s’est conservée jus­
qu’aujourd’hui.
Pour le passage de g à a dans larme (vfr. terme — lairme < lacrlma),
cf. pp. 348 sq.
Pour le changement de ç en wç, plus tard wa, dans armoire (v. fr. armoire
< armariu), grimoire (autre forme de grammaire < grammatica), poêle
(v. fr. paile < palliu), cf. pp. 376 sq.

3° Cas de ai ( > ç) suivi de consonne finale :

Ici encore ç s'est conservé jusqu’aujourd’hui, non seulement


dans air, vair où la consonne finale a continué de se prononcer,
mais encore dans les autres mots où elle s’est amuïe, par exemple
dans laid, -hait (cf. souhait), mait, fail, naît, plaît, palais, plur.
balais, etc.

R emarque. — A côté de la graphie étymologique des exemples ci-des­


sus, on trouve la graphie phonétique e dans guéret (vfr. garait < vervactu)
et guet (vfr. gait) post verbal de guetter (vfr. gaitier — gaiter).

4° Cas de ai ( > %) suivi de y + voyelle :

On retrouve encore l’ancien g dans baie ( < baca), braie ( < braca),
haie ( < germ, haga), ivraie ( < ebriaca), orfraie ( < ossifraga),
plaie ( < plaga), saie ( < saga), vraie ( < *veraia) etc., et parmi
les formes verbales dans aie ( < *ayyat, cl. habeat), paie ( < pacat),
etc.
L’évolution d’un m ot comme plaie a été la suivante. A l’origine on
a eu [playyç), d’où au x n e siècle [phyç]i puis [plçyd]. A son tour,
\ph'ya] s’est réduit à [plça], par suite de l’amuissement de y au
contact de la voyelle palatale précédente. Finalement [ph3] est
devenu [pie] , après la chute de a final.
DIPHTONGUES 261

Au x v ie siècle, les grammairiens donnent les deux prononcia­


tions [plçyd] et [plça]. La première, avec maintien de y, peut être
savante (à cause du phénomène de conservation) ou dialectale.
Th. de Bèze en signale une troisième : \plays]. Plus que probable­
ment c’est une prononciation picarde ou wallonne (cf. la
remarque de Du Gardin, p. 258).
R e m a r q u e . — La prononciation avec y s’est maintenue dans le langage
populaire dans paie = [pçy\, sans doute sous l’influence de l'infinitif payer.
La prononciation avec ey que Lanoue (159G) préfère dans bai, balai, gai,
vrai, etc. s’explique par l’influence de l’ancienne prononciation [-çyç] des
mots terminés en -aie.

ae roman, — Par suite de l’action assimilatrice du second élé­


ment, la diphtongue ae provenant de la segmentation de a accentué
en syllabe ouverte (pp. 225 sq.) a abouti à e long dès l’époque
prélittéraire.
La monophtongaison est attestée dès le premier quart du ix e
siècle ; cf. Nodelis pour Natalis dans le Polypiique d’Irminon. Avant
la fin du même siècle, la Sainte-Eulalie a aussi presentede < prae-
senlata, spede < spatha. Cependant les Serments de Strasbourg qui
sont de 842 écrivent salvar < salvare, fradre < fratre, ce qui
s’explique sans doute par le caractère franco-provençal de la
langue du texte.
L’ë provenant de la monophtongaison de ae n’assonnant dans
les premiers textes ni avec l’ç continuant le lat. ê en syllabe fermée
(cf. p. ex. vfr. tçste < testa, pert < përdit, etc.), ni avec Ve issu dans
les mêmes conditions de lat. ê, ï (cf. p. ex. vfr. dete < débita, cestc
< ecce-îsta), il est probable qu’il devait se différencier de l’un et de
l’autre par sa longueur.
Tout le monde est d’accord là-dessus. Il n’en est pas de même
sur la question de savoir quel était le timbre de cet ë. Certains veu­
lent qu’il ait été fermé, d’autres qu’il ait été ouvert. A s’en tenir à
l’état le plus ancien de la langue, il faut reconnaître qu’il est impos­
sible de répondre dans un sens ou dans l’autre. Heureusement la
suite de l’évolution permet de croire que l’ë du vfr. a été fermé.
Si on suppose en effet que cet ë était ouvert, on se condamne à ne
pas pouvoir expliquer pourquoi Ve de tel ( < talc), mer ( < mare),
nef ( < nave), aimèrent ( < amarunt), feue ( < faba), etc. s’est pro­
noncé fermé jusqu’au milieu du xvm e siècle. L ’e qui se prononçait
primitivement dans mettre ( < mïttêre), seche ( < sïcca), met ( < mit-
tit), sec ( < sïccu), etc. s’étant ouvert en ç dans le courant du x ie siè­
cle (p. 247), on ne comprendrait pas que par un mouvement inverse
l’ç ait pu se fermer en vfr. dans tel, mer, nef, aimèrent, feve, etc.
Si au contraire on admet que l’ë du vfr. était fermé, tout s’ex­
plique. Non seulement l’ancien e de tel, aimer, nef, aimèrent, feve,
etc., mais encore la répartition ? — ç du français actuel : e*à la
finale absolue ou devant e muet final (cf. pré<pratu, chantée < can -
262 A R T IC U L . D E S PH O N È M E S V O ISIN S (A CTION S A U CONTACT)

tata, nez < nasu, etc.), Ç devant consonne (cf. tel, mer, nef, telle,
aimèrent, fève, etc.). L’évolution de l’ë provenant de a serait ainsi
parallèle à celle de Ve provenant de ê, ï latins en syllabe fermée :
l’ouverture de ë ( < a) dans tel, mer, nef, telle, aimèrent, fève, etc.
correspondrait alors à celle de e ( < lat. ë, ï) dans sec, mettre, sèche,
etc. Il y a cependant une différence, mais elle est seulement d’ordre
chronologique. Tandis que l’ouverture de e dans sec, mettre, seche,
etc. est ancienne, celle de ë ( < a) a mis plus de temps à se réaliser,
puisqu’encore au x v m e siècle certains grammairiens prononceront
une voyelle fermée dans tel, pere, etc. (p. 250).
Un fait semble pourtant contredire l’hypothèse suivant laquelle
ë (<r a) aurait été fermé en vfr. En effet, alors qu’il n’assonne ni
avec les mots du type teste, pçrt, etc., ni avec ceux du type ceste, fer­
me, etc. (cf. ci-dessus), ë ( < a) apparaît en liaison dès les premiers
textes avec un e dont on peut supposer, vu son origine, qu’il était
ouvert. C’est ainsi que dans la Chanson de Roland et le Voyage de
Charlemagne, par exemple, Deu et Deus ( < Dëu, -us) se trouvent
dans des laisses en ë ( < a) ; cf. aussi Deus : teus ( < talis) dans
Wace et Chrestien de Troies. On note de plus dans le Roland l’asso­
nance Orner ( < Homëru) : ber, adorer, etc., au v. 2616, dans le
Voyage de St-Brandan (1122) miserere : frere, dans le Comput et
le Bestiaire de Ph. de Thaun (1119-35) truvé : tempore, furmé :
vale, dans la Vie de St-Gilles (1170-80) trové : Bénédicité, dans
l’Afaitement Catun d’Elie de Winchestres (1130-40) segret ( < se­
cretu) : ditet ( < dictatu), dans le Chevalier as II espees ( lre moitié
du x m e siècle) secrées : regardées, etc. Il faut encore signaler
l’assonnance assez commune eret ( < ërat) ou ert ( < ërit) : ë ( < a).
Mais la supposition que dans les mots cités ci-dessus Ye était ouvert
n’est pas toujours justifiée. Ainsi Ye de eret ou de ert était proba­
blement fermé, puisqu’il s’agit ici des continuateurs de ërat ou
de ërit en position proclitique (cf. au x ie s. les formes diphton-
guées ieret, iert < ërat, ërit accentués) : dans les groupes ërat,
ërit + adjectif, l’ë, ne portant pas l’accent, ne s’est pas ouvert
comme l’ë accentué (p. 193), et lorsque eret, ert sont devenus
accentués dans la suite, ils ont pu conserver leur e. D’autre part,
Ye de Deus (et par analogie celui de Deu) était sans doute fermé
(p. 341). De plus, s’il est vrai que dans la prononciation du latin
au moyen âge, Ye était ouvert, il faut faire cependant une excep­
tion pour les cas où cette voyelle était à la finale absolue : l’his­
toire du français montre que dans cette position les anciens ç
se sont fermés (pp. 258 sq.) : il pouvait en être déjà ainsi au début
de la langue et des mots comme tempore, vale, Bénédicité, etc.
pouvaient avoir à cette époque un e. Suivant la même tendance,
secrçd ( < secrëtu), decrçè ( < decrëtu), etc., mots savants pri­
mitivement avec ç (cf. v. fr. profite < prophëla), ont changé
1’? en e après la chute, d’ailleurs précoce, de leur 0 final. Le fé­
minin secrçSfS a dû devenir lui aussi secrees, dès que l’amuis-
sement de S intervocalique a mis l’ç en contact avec Yç suivant (cf.
laudal > vfr. Joe > loe, p. 342). Il n’y a de difficulté que pour
Omçr ( < Ilomëru) et miserere, dans lesquels l’ç n’a phonétiquement
DIPHTONGUES 263
aucune raison de passer à e. Mais outre que pour le premier de ces
mots une influence de Omêr < Audomaru est possible, on peut
songer à un phénomène d’adaptation : Omçr et miserçre, avec -çr
et -çre, s’opposant à toute la série de mots en -fr (< -are) ou -ère
( < -aire), ont pu à l’occasion échanger leur ç contre un e. Sans doute
peut-on objecter que l’e de tous ces mots, qu’il soit phonétique ou
non, était bref, tandis que l’e provenant de a était long. Mais l’objec­
tion, qui se poserait d’ailleurs aussi dans le cas de ë (< a), peut
être tournée en faisant appel encore une fois à une adaptation
au système phonique de la langue. L’e final de tempore, vale, Béné­
dicité ou de secre, decre et la terminaison -ees de secrees consti­
tuaient des cas aberrants en face de -ë(Q) < -atu et de -êes <
-atas infiniment plus nombreux : sur ie modèle de ces derniers,
-e et -ees ont pu se changer en -ë et -êes. Dans Orner et miserere,
par contre, il y aurait eu à la fois adaptation de quantité et de
timbre.

Il est évident que la diphtongue ae n’a pu passer directement à


vfr. ë. Le second élément était ouvert selon toute vraisemblance, et
on attend normalement *ç. Si de fait on a ë en vfr., c’est proba­
blement qu’un nouveau phénomène est intervenu après la mo-
nophtongaison.
Pour le déceler, il importe de voir ce qui s’est produit dans d’au­
tres dialectes que le francien. Dans toute une zone qui comprend la
Flandre française, une partie de la Picardie occidentale, la Wallo­
nie, la Lorraine, la Franche-Comté, la Champagne et la Bourgogne
orientales, la partie méridionale du Centre, le Sud-Ouest et le
Nord-Ouest, c’est-à-dire dans l’ensemble des dialectes de la
périphérie, on trouve au moyen âge comme continuateur de à latin
en syllabe ouverte une diphtongue et Les plus anciens exemples
sont de la fin du xne siècle ; cf. boteir = boter, espaventeiz = espa-
venlez, demeneie = demenee, etc. dans les Dial. Grégoire. Ils se con­
tinuent plus ou moins fréquemment dans la région indiquée ci-
dessus pendant le xm e et le xive ; cf. pour le xm e siècle veriteit,
jureit, citeit, degreiz, teil, stc. à Liège, clcif, neij, seis < sapis, freire,
meire, peire dans les Serm. St-Bernard, doney « donné », grevey
« grevé », prey « pré » à Dijon, freire, mostreirent, aleirent, presen­
ted à Caen, etc.

R emabque . — U ltérieurem ent a pu passer à d ou g®, à a ( ou a* et


à oj ou o®. P ar suite d ’une réduction, on a eu aussi e, a, o ou [u]. Tous ces
stades sont encore représentés dans les parlors actuels ; cf. p. ex. ej à Nam ur,
dans le canton de Falk (Moselle) —. g/ dans plusieurs localités des cantons
de Vie et de Château-Salins (Meurthe) —. a j < -atu à Thaon (Calvados) et
dans la banlieue de St-Pol (Nord) —, g/, pf, ge. a®, o® dans la région de Mo-
reuil (Somme) — . g à Liège, Seraing. Verviers. Stavelot, etc. (Belgique), à
Pange (Moselle) — . g au Sud de Namur, dans les parlers lorrains depuis
Metz jusqu’à La Bresse (Vosges) et en Bourgogne —. a dans les parlers lor­
rains depuis La Bresse ju sq u ’aux environs de Belfort, à Damprichard et à
Montbéliard (Doubs), à R a venei (Oise) — a en Poitou — , o et [u] en
Ardenne.
26 I A R T I C l 'L . D E S P H O N È M E S V O I S I N S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

La diphtongue ei dont on vient de parler montre bien que la te n ­


dance à la palatalisation ne s’est pas im m édiatem ent éteinte avec
le passage de a accentué en syllabe ouverte à *ae, puis *g. Une
fois cette dernière étape réalisée, elle a continué d’agir et par l’inter­
médiaire de çe on a abouti à ë dans l’ensemble du domaine d’oïl.
Là se sont arrêtés le francien et les dialectes du Centre. Mais autre
part, la tendance palatalisantc, agissant encore une autre fois, a
diphtongué ê en ei. cela dès le courant du x n e siècle et à des dates
plus ou moins tardives suivant les dialectes.

R e m a r q u e I. — La persistance de la tendance palatalisantc qui, après


la diphtongaison de d en ae et la monophtongaison de ae en g, a pu encore
faire passer cet g à e oblige,"semble-t-il, à séparer par un intervalle de temps
assez considérable la diphtongaison de e < ei et de à < ag de celle de o >
o«, qui suppose une tendance tout à fait différente (pp. 228 sq.).
R emarque II. — Avant la diphtongaison de a, aqua était déjà devenu
*awa. Après la diphtongaison, on a eu *àçwa, d’où *gwa. Mais ici Yg, au
lieu de se fermer en ë comme dans les autres mots, s’est conservé ouvert
sous l’action du w suivant, d’où en français primitif gw§. D ’une façon
analogue on a eu à la même époque blgwg < germ, blawa. Pour l’évolution
postérieure de gwg et de blgwg, cf. p. 338.
R e m a r q u e III. — Par suite de la réduction de -ier ( < -are après élé­
ment palatal, p. 393) au contact de s et i (cf. vol. III : Conson.), les infi­
nitifs du type cerchier < circare, mangier < manducare, etc. ont commencé
à devenir cercher, manger, etc. dès le x m e siècle. Au siècle suivant, les adjec­
tifs et les substantifs du type chier < caru, bergier < *berbicariu, etc. ont
suivi le mouvement. Comme les anciennes formes se sont conservées pen­
dant un certain temps à côté des nouvelles, il en est résulté un flottement
qui a pu amener le remplacement de -er par -ier. On a de la sorte soulier,
sanglier, écolier, bachelier, collier, pilier, tarière, etc., pour de plus anciens
soler < *sübtelare, sengler < slngülare, escoler < scholarc, bacheler < *bac-
calare, coler < collare, piler < *pilare, larere < *taratru etc. C’est sans
doute d’une façon analogue que s’explique la forme du vfr. guiere(s) pour
guere(s) < germ, waigaro.
R e m a r q u e IV. — Lave, pare « orne », qui étaient en vfr. leve < laval,
pere < parat, ont été refaits sur laver, parer. La forme moderne compare
n’a rien à voir cependant avec le vfr. compere < comparai qui avait le sens
d’« acheter, procurer » : elle est calquée sur le lalin.
R e m a r q u e V . — Dans un certain nombre de mots, les terminaisons
-ël ( < -ale) et -ëls (< -a les) sont devenues à date prélittéraire -gl et -gis par
analogie avec les nombreux mots en -gl ( < -ëllu) et -gis ( < -ëllos). D ’où
aujourd’hui une finale en -eau ou en -au dans linteau ( = limitale), fronteau
( = frontale), noyau ( — nücale) ; ci. pp. 318 sq.
R em arque VI. — Dans la V ie de Si-Léger (x* s.), on note régulière­
ment ie pour e ( < -a) ; c i. veriliet, h u m ilitiet, tiel < taie, m iel < m a lu , lau­
dier < lau dare, etc. Mais la présence de tels et de lauder dans le même texte
indique que ie est mis pour e. Le fait que là où on devrait avoir ie (p. 393)
on trouve simplement e (cf. evesquet pour evesquiet, quev pour qu iev < caput)
permet de donner une explication de cette graphie. Sans doute le scribe,
ignorant de la phonétique française, mais sachant qu’à son a provençal
correspondaient en français aussi bien ie que e (cf. chief, verilet), a-t-il em­
ployé sans discernement les deux graphies.
Mais autre part, ie pour e doit s ’expliquer différemment. Ainsi dans les
textes anglo-normands. Dans le ms. L du Comput, par exemple, on lit siet,
mier, nief. clief, etc. pour set < sapil, mer < mare, nef < nave, clef < clave,
D I P H TO N G U E S 265

etc. ; dans le Lapidaire de Marbode, la Mer Rouge est appelée Ruige Mier,
etc. Cette graphie s’explique par le fait qu’après la réduction de ije à e (p.
267), l’ancienne graphie ie avait continué d’être employée avec la valeur sim­
plement de c. La réduction de ye à e s’étant produite en Anjou, en Touraine
et dans une partie de l’Orléanais, il n’est pas étonnant qu’on trouve là aussi
une graphie ie pour e ; cf. -icrre « -a to r dans le Roman de la Rose (II) et
dans le Livre de Joslise et Plet. Cette explication ne saurait convenir dans
le cas du St Léger, attendu qu’en wallon ie n’étant pas passé à ye ne pouvait
se réduire à e.
De plus, la chute de y dans les formes du type reneiez (< renegatis,
-atos) a pu être suivie en anglo-normand d’une contraction voealique ; cf.
la rime damnez : reneez dans Adgar (1160). Reneiez, prononcé [rgnêls], a pu
déterminer une graphie -eiez pour -ez. Ainsi s’expliquerait le futur jerreiez
pour jerrez (de gésir) de la Chanson de Roland, v. 1720 (ms. d’Oxford).
Il convient encore de noter, en anglo-normand encore, la graphie ee pour
Ye long provenant de a : cf. peers « pairs » < pares, beer « baron », degreez
« degrés », etc. dans le Voyage de Charlemagne.

ii roman. — Cette diphtongue provient de la coalescence d'un


I accentué latin avec un i résultant :
Soit de la résolution d’une palato-vélaire en y ; cf. dïxit > *dii-
set, dïcëre > *diiyere > diire, frïgere, *friiyere > fcijre, etc. ;
Soit de la transposition d’un y appartenant à une syllabe sui­
vante ; cf. fïlia > *filya > *fiil(y)a, sûspïriu > *sospiir(y )o,
Parïsiis > Pariis(y)es, sorïce > *soridzye > *soriidz(y)e, etc.
Mais cette diphtongue n’a eu probablement qu’une durée très
réduite : l’i a dû se fondre de très bonne heure avec Yi précédent.
En tout cas, ce n’est que i qu’on trouve dès le début de la langue
dans dist (auj. dit), dire, frire, etc., fille, sospir (auj. soupir), Paris,
soriz (auj. souris), etc.
R e m a r q u e . — Dans les mots comme mica, celt. *lïga, mendïcat, caslî-
gal, etc., on a eu au cours de l’évolution un groupe -iy /y-, avec -yy- résul­
tant de ° ou ga intervocaliques. Mica par exemple est devenu *miyya. Mais
le groupe -iy /y- n’a pas tardé à se réduire â -i/y-, puis à i ; d’où dès le début
de la langue mie, lie, mendie, chastie, etc.

b) Conservation des deux éléments

Il s’agit des diphtongues gallo-romanes çe, ei, oi et ui.

çe roman. — Cette diphtongue provient de la segmentation de


roman (p. 219), de ç roman dans les monosyllabes fël, mël, rëm
(p. 235) et de ç roman dans les mois du type tërtiu, *bëttiu (p. 236),
*ferry a (p. 238).
Par suite de la tendance qu’éprouve une voyelle à se fermer au
contact d’une autre voyelle plus ouverte (phénomène de diffé­
renciation), çs a passé à ce, puis h iç el à h’, diphtongue décroîs-
266 ARTICUL. D ES PH ONÈM ES V O ISIN S (ACTIONS A U CONTACT)

santé comme celle dont elle provient. Dans la suite, l’accent s’est
déplacé sur e, dont l’audibilité était plus grande : ie est ainsi devenu
iç, et de là yç, aujourd’hui [ye] ou [yç] suivant les cas.

On a donc actuellement en français :

[yç] dans pied < pëde, trépied < *trïpêde (1. cl. trîpëde), sied
< sëdet, etc.
[yç] dans siècle < saeculu, tiède < tëpïdu, grief < *grève (1. cl.
grave), piège < pëdica, siège < *sëdlcu, ciel < caelu, fiel < fël, miel
< mèl, fier < fëru, hier < hëri, arrière < ad-rëtro, lierre < hëdëra,
pierre < pëtra, paupière < *palpëtra (1. cl. palpëbra), tiers < tër-
tiu, nièce < *nëptia, pièce < *pëttia, assiette < *adsëdiia, antienne
< *antëphona (pour aniïphona, p. 199), Etienne < Stëphânu,
lièvre < lëpôre, etc.
On peut encore ajouter pour l’ancien francien : laetu > lié, tenë-
bras > teniebles, brève > brief, abbrëviat > abriege, mëdïcu >
miege, gëlu > giel, lëpra > liepre, *pëtrïca > pierge, tenëbrïcu
> tenierge, fërrea > fier(r)e, *bërtiu > bierz, nëpos > nies, crê­
pât > crieve, *grëvat > grieve, lëvat > lieve,*bëttiu > biez «bou­
leau », vêtus > viez, etc.

Les remarques qui vont suivre concernent non seulement le


provenant de ë, ae latins et de ë, ë2 germaniques accentués en
syllabe ouverte (pp. 219 sq.), mais encore le issu de la diphton­
gaison de a accentué en syllabe ouverte et précédé d’une palatale
(p. 393) et ie provenant de -ariu -----a (dans tous les dialectes,
excepté le lorrain et le bourguignon, p. 415).

1° Le déplacement d’accent dans ie > ye s’est produit de


très bonne heure en francien. Les exemples du type vfr. maisniée
< *mansionata indiquent qu’il est antérieur à la chute de -ô-
intervocalique, qui s’est produite dans le courant du ixe siècle.
Si le changement d’accentuation avait eu lieu après, *maisnled§
aurait abouti à *maisniee et de là à maisnie, par contraction des
deux e, comme c’est arrivé par exemple en picard où la diph­
tongue ie s’est longtemps maintenue avec l’accent sur i.
Le déplacement d’accent s’est aussi produit à la même date,
dans tout le Centre, dans l’Ouest (sauf la partie septentrionale de
la Normandie), et en Champagne (sauf dans la partie attenante à la
Lorraine). C’est en tout cas ye qui a été introduit en Angleterre
avec les Normands (a. 1066). Dans le Nord (la partie septentrio­
nale de la Normandie y comprise), dans le Nord-Est et dans tout
l’Est (Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté), i est resté au con­
traire accentué. Cette différence tient probablement à l’intensité du
substrat germanique dans ces régions : le germanique en effet ne
connaît que des diphtongues descendantes.
DIPHTONGUES 267
2° Quant à ye, il a conservé en francien ses deux éléments, sauf
dans certaines conditions qui seront étudiées dans le vol. III :
Consonnes (précession d’une consonne palatale : type giel > gel ;
— précession d’un groupe consonne + r : type crieve > crève ;
— influence de l’analogie : type lieve > lève). Une modification
de timbre est pourtant à signaler pour e : cette voyelle s’est main­
tenue fermée à la finale absolue ou devant e muet, mais elle s’est
ouverte devant une consonne prononcée (pp. 250 sq.). D’où la
répartition [ye] — [yç] dans les exemples cités plus haut.
Les faits sont essentiellement les mêmes dans les dialectes où
ie a abouti à ye.
Cependant dans l’Ouest, sauf en Normandie, on note dès les pre­
miers textes une tendance à la réduction de ye à e, ’que le groupe yç
se trouve dans des mots du type giel ou crieve (réduction condi­
tionnée) ou non (réduction spontanée). C’est ainsi que dès le xie
siècle apparaissent dans le Maine et en Bretagne des formes comme
Esclancher (1080) pour Esclenchier, parcheminer et draper (1060)
pour parcheminier et drapier. Dans la première moitié du siècle
suivant, YEpître de St-Eiienne (Touraine) présente l’assonance
esragerefnjt (pour esragierent) : gitere(n)t, lapidere(n)t. Aujour­
d’hui encore, d’après YALF., le latin pëde est continué par pe en
Vendée (pp. 448, 429, 521, 531), dans les Deux-Sèvres (pp. 510,
511, 512, 513), dans la Vienne (pp. 508, 507, 514) et dans l’Indre
(p. 505). La réduction a eu lieu aussi en anglo-normand, où l’on
peut dire que vers 1200 on n’a plus que e pour ye. Les premiers
exemples du phénomène datent du début du xne siècle ; cf. dans
le Comp ut de Phil, de Thaun (vers 1120) marchels {*mercalis) : icels,
dans les Proverbia Salomonis de Samson de Nanteuil (vers 1150)
veer (< vîdëre) : preisier. Si dans le dernier tiers du xive siècle,
YOrthographia gallica recommande de prononcer ye, c’est sans doute
à cause du courant monastique venu de la France et pénétré en
Angleterre dès le siècle précédent.

3° Dans les régions où l’accent s’est maintenu primitivement


sur i, il faut distinguer entre ie et -iee < -ata après consonne
palatale.
La diphtongue ie a pu se réduire à i ; cf. pour le v. wallon : derrir
« derrière », Pire « Pierre » {Poème moral), Pirres « id. » {Dial. Gré­
goire) —, pour le v. picard : destrir « dextrier », civres « chèvres »
{Aucassin) ; — pour le v. lorrain : volentirs « volontiers », manire
« manière », cil « ciel », etc. {Dial, animaé) ; etc. Pour le mot pied,
YALF. signale encore aujourd’hui pi dans le département du
Nord (p. 282), en Belgique (pp. 294, 291, 199, 198, 196, 197, 195,
187, 194, 192, 186, 185, 193, 191, 190, 184, 176) en Lorraine (pp.
175, 165, 156, 164, 144, 154, 143 Meurthe, 163, 162, 150, 170
Meurthe-et-Moselle, 155, Marne, 49 Hte-Marne, 140, 59, 48, 86,
78, 76 Vosges, 85 Ht-Rhin) et dans la Franche-Comté (pp. 47,
46, 45, 56, 44, 55 Hte-Saône, 65, 75 Belfort, 33, 43, 54, 53, 32, 42
Doubs, 23, 21 Jura). Pour « pierre », pir est général en Wallonie,
268 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

très fréquent dans le départ, de la Meuse, plus rare dans la Meurthe-


et-Moselle et dans les Vosges. On le rencontre en Bourgogne et dans
le département du Nord aux pp. 193, 282.
Mais le traitement ie > i n’est pas seul à exister aujourd'hui
dans les régions qui accentuaient ie au moyen âge. Essentiellement
wallon, lorrain et franc-comtois, il est rare en picard et en bourgui­
gnon. Il est absent dans certains coins de la Lorraine et de la
Franche-Comté. En effet, ie a pu devenir ye, mais à une date beau­
coup plus tardive que dans le Centre et l’Ouest. En lorrain, à côté
de ye ou yç (haute région de la Sarre et de la Moselle), on trouve
même yœ (Pays messin).
Sans doute, là où on a ye (ou yœ), l’intensité de i a-t-elle été moins
forte : la fin du mot a pu attirer l’accent sur e. En tout cas, ni ici
ni autre part dans le domaine d’oïl, on ne constate d’alternance du
type pi ( <pède) : pyera (< pëtra) ou fyer (< fera) : fira ( < fera) si
caractéristique de certains coins du franco-provençal. Partout
l’ancien te est devenu soit i, soit ye (yœ) ; mais les deux résultats
n’existent pas à la fois dans les mêmes localités.

R e m a r q u e . — On trouve aussi pi « pied » dans la Manche, dans le


Calvados et dans les îles anglo-normandes. Mais il semble qu’ici l’i s’explique
par la fermeture de e sous l’action du yod précédent ; cf. d’ailleurs pyi
aux pp. 395, 378 (Manche).

Le traitement de iee ( < -ala précédé de consonne palatale) n’est


pas exactement parallèle à celui de te. Ce groupe s’est réduit à ie
non seulement en wallon, en lorrain et en franc-comtois, mais
encore en picard, en normand septentrional, en bourguignon et en
champenois oriental. Ainsi liee ( < laeia) et maisniee ( < *mansio-
nala) sont devenus en v. picard lie et maisnie. Ces formes se sont
généralisées au moyen âge dans toute la littérature d’oïl. De plus,
lie s’est conservé jusqu’aujourd’hui dans la locution {aire chère lie,
où chère continue le latin tardif cara < gr. /.iyx « tète ».

4° On a vu pp. 264 sq. comment la réduction de ye à e a pu


donner naissance à une graphie ie servant à noter Vë des mots
du type mër < mare.
Inversement, la graphie ee servant à noter en anglo-normand
l’e long provenant de a (p. 265), on a pu l’utiliser, une fois que
cet ë est devenu bref à la finale absolue, pour transcrire Ye pro­
venant de la réduction de ye ; cf. dans le Comput, ms. C, veenl
ou oéènt pour vient < vënil, vv. 2169, 2183.
Il faut enfin signaler qu’après la réduction de ie à i dans les
dialectes dont on a parlé ci-dessus, la graphie ie a pu être utilisée
au lieu de i ; cf. iaisiebles pour tais i blés dans les Dial. Grégoire.
Sans doute ne faut-il pas attacher trop d’importance aux graphies
ttdre < hêdéra du Jonas et becm < bëne du Cantique des Canti­
ques, étant donné le peu de soin avec lequel ces documents ont été
D IP H T O N G U E S 269
écrits. Eedre, en particulier, doit être probablement interprété
comme edre, qui paraît d’ailleurs trois fois dans le texte, et cilg
eedre peut fort bien se lire cilge edre = « ce lierre », avec le démons­
tratif au féminin puisque dans ce cas edre est lui-même du féminin,
comme l’indique l’attribut seche qui suit. Quant au fait que edre
ne présente pas de diphtongue dans le Jonas, cela s’explique faci­
lement par le fait que le copiste notait rapidement un sermon dans
lequel le mot latin hedera revenait plusieurs fois.

çi roman. — Cette diphtongue a plusieurs origines. Elle peut


provenir :

1° De la segmentation de ë roman (pp. 223 sq.) et de ë roman


dans la monosyllabe *tres < très (p. 235).

20 De la coalescence de ë roman (pp. 213 sq.) avec un g issu du


développement :
Du groupe -Id- ; cf. en fr. prim, leit < Heito < tëctu, drçit <
dïrëctu, estreit < strïctu, coilleite < collecta, etc.
Du groupe -gr- ; cf. en fr. prim, neir < *neiro < nïgru.
De -ke- ; cf. en fr. prim, feis < *feidz(y)e < *vedzye < vïce,
peis < pïsce.
Du groupe intervocalique sk + e, o ; cf. en fr. prim, deis <
*deis(y)o < *dessyo < dïscu, margis < marïscu (frc. marïsk),
freis < frïscu (frc. frïsk), creis < crësco, etc. et creist < *creis
(y)et < *crestsyet < crëscit.
Des groupes -sy-, -ry-, -try- ; cf. en fr. prim, feire < *feir(y)a
< fêria, cerveise < *tserveiz(y)a < ceroïsia, alveire < arbitriu.

3° De la coalescence de ë roman (pp. 196 sq.) avec le premier


élément d’une géminée yy issue de l’évolution.
De -ge- ; cf. en fr. prim, lei < *leyye < lëge, rei < rëge, Leire
< *Leyyëre < Lïgëre.
De -1<°- et -ga- ; cf. en fr. prim, pleie < *pleyyat < *plegat
< plïcat, freie < frïcat, leie < lïgat, etc.
Des groupes -dy-, -gy- ; cf. en fr. prim, enveie < *enveyya <
invïdia, corrçie < corrïgia.

R I. — L’évolution ultérieure de pleie, freie, leie, correie oblige


e m a r q u e

à penser que dans ces mots on avait primitivement une diphtongue ej + y


explosif. Si e + y explosif peut rendre compte à la rigueur du passage de
e à ce, puis o, dont il sera question p. 270, il ne saurait cependant expli­
quer la production du groupe ôg + y, puis wg + y, qui a eu lieu au cours du
développement de veie, pleie, etc.
En réalité, en vfr. comme en gallo-roman toute diphtongue accentuée
à second élément j était suivie d’un y explosif devant une voyelle.
U
270 ARTICUL. D E S PHONÈM ES V O ISIN S (ACTIONS A U CONTACT)

De même on a dû avoir en v. fr. [diçyyç\ < gaudia et parallèlement


à [plfliyç] < pHcal une prononciation [playyg] < plaga.
Dans les continuateurs de qu(i)ëla, scia, etc., où la diphtongue ef tout
d’abord suivie d'une consonne à l’étape [*Ae/Ba], [se/ôa], etc. est venue à se
trouver en contact avec un ç final par suite de la chute de o intervocalique,
un y explosif s’est développé entre ef et ç et on a eu en fr. prim, [keyyg],
[seyyg], etc.
R II. — Comme pour *paif(y)a (< palea) et *montaj.h(y)a
e m a r q u e

(< *montanea) signalés p. 257, on a eu jusqu’à une certaine époque en gallo-


roman une diphtongue e\ dans les mots du type *konseil(y)o (< conslliu),
*veil(y)at (< vtgïlal), * pareiîfyjo (< *parïcülu), *ensefn(y)al (< *insl-
griat), etc. Mais cette diphtongue s’est réduite de bonne heure à e par suite
de la fusion du second élément avec / et n.
R III. — Il n’y a pas eu non plus de diphtongue ef dans les
e m a r q u e

mots terminés en -Isca ; cf. vfr. danesche < *danisca, francesche < *fran-
clsca, anglesche < *angllsca, etc. Les formes daneise — danoise, franceise
— françoise, angleise — angloise, etc. du vfr. (cf. auj. danoise, française,
anglaise, etc.) ont été refaites sur les masculins correspondants qui provien­
nent de types en -iscu.

La diphtongue ei a abouti à oi dans tout le domaine d’oïl, sauf à


l’Ouest (Anjou, Maine, Touraine, Perche, Bretagne, Normandie
centrale et méridionale, Poitou) et dans l’Orléanais.
Ce changement, qui est loin d’être particulier au gallo-roman
septentrional (on le constate en rhétique, dialectalement en Italie,
et, en dehors de la Romania, dans des parlers celtiques et alle­
mands) ne doit pas s’être produit tout d’un coup. Entre ei et oi, il
y a eu sans doute une étape du type œi que l’on peut expliquer de la
façon suivante.
A cause de son contact avec i, Ye de ei était menacé de se fermer
en i. Ce danger a dû augmenter lorsqu’une nouvelle poussée de la
tendance palatalisante a fait passer à e le segment final de l’ancien
ë résultant de la diphtongaison de à en syllabe ouverte (p. 224). La
langue a réagi contre cette assimilation menaçante et ei s’est alors
différencié en œi. C’était, avec l’ouverture de ei en ai, le seul moyen
efficace, à condition de vouloir conserver ces deux éléments de
la diphtongue, d’éviter un résultat *ii, qui aurait abouti à i*
En effet, une différenciation en çi n’aurait pas été suffisante :
tôt ou tard, çi se serait fermé en ei et serait devenu *ii, puis i.
Le passage de ei ou çi à œi n’est pas du reste sans exemples en
gallo-roman septentrional ou ailleurs ; cf. orléan. mod. parœi
« pareil », bologn. avœir < *aveir < habëre, etc.
Si à son tour œi a passé à oi, c’est sans doute par suite d’une nou­
velle différenciation. Avec le temps en effet Yce de œi a pu être
menacé de perdre son caractère labial au contact de i et de redeve­
nir ainsi e. Pour éviter ce danger, qui aurait eu les conséquences
dont on a parlé plus haut, œ a reculé progressivement son point
d’articulation vers le centre de la cavité buccale et a fini par pren­
dre le timbre d’un o central. Ce dernier est ensuite devenu o par
adaptation avec le système phonique de la langue.
DIPHTONGUES 271
Quoi qu’il en soit, la graphie oi apparaît en syllabe accentuée dès
la seconde moitié du xn e siècle ; cf. soie < sëta, poise < pë(n)sat,
etc. chez Chrestien de Troies, moi < më, voient < vident chez
Gautier d’Arras. Au siècle suivant, elle deviendra générale.
En syllabe inaccentuée, la graphie oi est plus ancienne. On trouve
en effet noieds < necatos au x e siècle dans le Jonas qui est du Nord-
Est, Soifridus = Sïgfrïdus en 1078 dans un document de la Meuse,
et Poissiacu = Pissiacu en 1137 dans la Seine.
Cette différence chronologique, ajoutée au fait que le Jonas pré­
sente haueir < habëre et saveiet < sap(i)ëbat à côté de noieds, si-
gnifie-t-elle, comme on l’a parfois voulu, que le passage de ei à oi
a eu lieu plus tôt en syllabe inaccentuée qu’en syllabe accentuée ?
La chose est possible, le danger d’assimilation de la part de i étant
plus grand pour un e en position faible. Mais elle ne saurait être
démontrée. En tout cas ce n’est ni noieds ni Soifridus qui peuvent
servir de preuve. Il faut tenir compte en effet qu’une dissimilation
e — é > o — e a pu se produire à l’étape neiédos, *Seifréido.
Ainsi la diphtongue oi de noieds et de Soifridus (qui n’est qu’une
latinisation) s’expliquerait autrement que celle de moi < mei (lat.
më) et pourrait n’avoir aucune valeur pour la question qui est de
savoir si le changement de ei en oi a eu lieu plus tôt en syllabe
inaccentuée qu’en syllabe accentuée. Pour la même raison, Pois­
siacu ne saurait être allégué, une dissimilation du même genre
ayant pu se produire à l’étape *Peissyeyyo > Poissy.
Ainsi tomberait en même temps la question qui s’est posée de
savoir si le passage de ei à oi ne s’est pas produit dans l’Est plutôt
qu’ailleurs.

Re m a r q u eI. — En anglo-normand e t dans les dialectes de l’Ouest, ei


n’a pas passé à oj. Il s ’ e s t simplement différencié en e/, lequel s’est ensuite
réduit à ç. Même état d e choses dans l’Orléanais ; cf. les rimes valeir (< va-
lêre) : à l’air, veire (< vëra) : nécessaire, ameie (imparfait analogique en
-eie < *-ëa(, pour -ë.bat, d’après *habêat < habëbat) : aie, etc. dans le Roman
de la Rose (II), et aperceive (< adperclp(i)at) : Veioe (< aqua) dans le
Livre des Miracles de Chartres.
Re m a r q u eII. — La diphtongue oi a pu perdre son second élément
dans le Nord, le Nord-Est et l'Est ; cf. prennoz pour prennoiz < *prendltls
(1. cl. préndltïs) dans les Serm. St Bernard et actuellement en picard les
imparfaits en -o < -oit ainsi que les formes do «doigt », fro «froid », etc.
Dans l’Est, la même réduction s’est produite dans la diphtongue oj résul­
tant de la segmentation de ë tardif p. (240).

La diphtongue oi provenant de ei ayant ainsi rejoint la diph-


tingue p| issue de o -f- y (p. 283) et la diphtongue oi résultant
de la fermeture de çi < au + y (p. 285), les considérations géné­
rales qui vont suivre s’appliqueront indifféremment à toutes les
trois. Les remarques de détail concernant l’une ou l’autre prendront
place dans l’étude qui sera faite de chacune d’elles.
272 ARTICUL. D E S PHONÈM ES V O ISIN S (ACTIONS A U CONTACT)

La diphtongue pi a tout d’abord passé à ôe par suite d’une assi­


milation d’aperture du second élément avec le premier. Mais
cette étape n’a pas été de longue durée. L’accent s’est en effet
déplacé sur e dont l’audibilité est plus grande que celle de o ;
d’où oé, [zpp] et finalement [iüç], avec ouverture de e sous l’action
d’un w précédent. Toute cette évolution peut avoir été terminée
suivant les dialectes vers la fin du xn e siècle ou le début du x m e.
Déjà à cette époque le Roman de Renart (XI) fait rimer joie <
gaudia, coie < qufijcta avec Percehaie et envoit < *invïet avec
ait.
Mais tandis que la langue savante s'en est tenue là, la langue
populaire a poussé l’évolution plus loin : sous l’action ouvrante de
w, ç a passé chez elle à a ; d’où la prononciation [zaa]. Dès la seconde
moitié du x m e siècle, on note pour la capitale des graphies comme
voars = voirs ( < vëros), voar = voir ( < vïdêrë), etc.
Au début du siècle suivant, le registre du Parler aus borjois pré­
sente un exemple de cortoasie pour courtoisie. Avec Villon, la nou­
velle prononciation fait son entrée dans la littérature. Dans le
Grand Testament, poire ( < pïra) rime avec quarre = guerre ( < quae-
rëre) et poirre ( < pëdëre) avec barre. Au xvie siècle, Palsgrave
(1530) prononce [u>a] dans joys, soyt, croyst, françoys, disoit, lisoyt,
etc. et boys < *bôscu, voyx < voce, croyx < cruce, etc. De même,
R. Estienne (1549) écrit voarre pour voirre ( < vïtru) et poale pour
poisle ( < pënsïle). Cependant, quelque progrès que le nouveau pho­
nétisme ait pu faire dans la bourgeoisie parisienne et même à la
Cour, la grande majorité des grammairiens lui est hostile. Th. de
Bèze, par exemple, écrit en 1554 : «Corruptissime vero Parisien-
sium vulgus... pro voirre sive ut alii scribunt verre... scribunt et pro-
nuntiant voarre..., itidemque pro trois, troas et tras ». Dans sa
Remontrance aux autres Courtisans, H. Estienne reproche à cer­
tains de ces derniers de prononcer troas moas pour trois mois et
je joas, je voas, pour *je [fwç], je [vive] = je fais, je vais. Nouveaux
progrès de [wa] au x v n e siècle. Les grammairiens étrangers ensei­
gnent même cette prononciation. Mais les grammairiens français la
condamnent encore d’une façon générale. En 1687, Hindret, après
avoir constaté que beaucoup d'honnêtes gens « à la Cour aussi bien
qu’à Paris » disent des noüâ, du boüâ, etc. pour des noix, du bois,
etc., ajoute : « Cette prononciation est fort irrégulière, et elle n’est
pas à imiter, car elle sent son homme grossier et paresseux, qui ne
daigne pas se contraindre en rien, ni s’assujettir à la moindre
règle ». Il faut attendre jusqu’au début du xvm e siècle pour que
[wa] obtienne enfin droit de cité chez les grammairiens français.
Encore la place qu’ils lui font est-elle bien minime. En 1709, Boin-
din, par exemple, ne l’admet que dans bois, mois, noix, poids. On
établit des catégories entre les mots : dans certains il faut pronon­
cer [wa], dans d’autres [wç\. A la fin du siècle encore, Domergue et
Boulliette s’efforcent de les maintenir. En vain, cependant. Déjà
en 1760, Féraud veut qu’on prononce [wa] dans tous les cas. Mais ce
n’est qu’après la Révolution que ce phonétisme, essentiellement
parisien et d’origine populaire, s ’imposera en français.
DIPHTONGUES 273

R emarque I. — Jusqu’en deuxième quart du xx* siècle, l’a du groupe


[œa] a eu un double timbre dans le français moyen de la société cultivée
parisienne : il a élé tantôt antérieur, tantôt postérieur, sans que cette
répartition puisse toujours se justifier par des raisons phonétiques. En
gros, l’état de choses était le suivant dans le cas de oi accentué.
On prononçait un [a] postérieur bref dans les terminaisons -oix, -oit et
dans (tu) crois ; un [a] postérieur long dans les terminaisons -oise, -otte
-oitre et dans goitre.
On prononçait un [a] antérieur bref dans les terminaisons -oi, -oit, -oiffe,
-oigne, -oile, -oine, -oite et dans doigt, froid, froide, soif, poil ; un [a] antérieur
long dans les terminaisons -oir, -oire, -oive et dans poivre.
Les terminaisons -oie et -ois se prononçaient avec un [a] antérieur bref
dans les formes verbales, avec un [a] postérieur bref autre part.
Quelques exceptions sont à signaler : foi, roi, toit se prononçaient avec
[a] postérieur bref ; fois (et les composés) avec un [a] antérieur bref ; loi
avec un [a] antérieur ou postérieur bref.
Aujourd’hui, on a partout un [a] antérieur, sauf dans trois et hautbois.
R II. — Il convient de signaler que le groupe [wç\, même
e m a r q u e

lorsqu’il ne provient pas de oi, a passé à [wà\ dans un certain nombre de


mots. Ainsi dans [mwal] = moelle, métathèse de v. fr. meolle < medulla ;
dans rouelle < rotëlla qui s’est prononcé et se prononce encore çà et là
[rmaZ], à côté de [rwçl] plus correct ; et dans fouet, diminutif du vfr. fou
< fagu, qui se prononçait encore naguère [fwa] à Paris. Pour couenne —
[Arman], et fouarre, cf. p. 295.

Mais il s’en faut que tous les anciens [wç] provenant de ei par
l ’intermédiaire de oi, soient actuellement continués par [wa].
C’est qu’avant son passage à [ma], le groupe [uç] s’est réduit à e
dans un certain nombre de mots. On étudiera ici cette réduction,
quelle que soit l’origine de [wç].

Ainsi le français actuel prononce un ç.

1° Dans les terminaisons de l’imparfait de l’indicatif et du


conditionnel ; cf. devais, devait, devaient —, devrais, devrait, de­
vraient (cf. les terminaisons du vfr. : -oie, -oies, -oit < *-êam,
*-ëas, *-êat, *-ëant pour-ëbam, -êbas, -ëbat, -ëbant, p. 271, Rem. I).

2° Dans un grand nombre de mots désignant des habitants de


pays, de villes ou de provinces ; cf. albanais, anglais, aragonais,
béarnais, bordelais, boulonnais, calabrais, charentais, chalonnais,
charolais, dijonnais, écossais, finlandais, français, gàtinais, hollan­
dais, irlandais, islandais, japonais, lyonnais, mantais, milanais,
narbonnais, navarrais, Orléanais, piémontais, polonais, portugais,
rouerinais, zélandais, etc., en face d'albigeois, amiénois, autunois,
badois, bâlois, berlinois, bernois, brandebourgeois, bruxellois, cartha­
ginois, champenois, chinois, crétois, danois, dantzicois, dauphinois,
finnois, franc-comtois, gallois, gantois, gaulois, génois, genevois,
grenoblois, hambourgeois, hongrois, liégeois, niçois, quercinois,
rémois, siamois, suédois, strasbourgeois, vaudois, viennois, etc.
274 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)

3° Dans la terminaison -aie (vfr. -oie < -êta) servant à désigner


un endroit planté d’arbres ou de fleurs ; cf. aunaie, châtaigneraie,
chênaie, coudraie, frênaie, pommeraie, prunelaie, roseraie, saussaie,
tremblaie, etc.

4° Dans un certain nombre de mots isolés comme cèle (vfr.


çoile < cëlat), claie (vfr. cloie < celt, clëta), connaître (vfr. conoistre
< cognoscëre), craie (vfr. croie < crëta), cueillette (vfr. coilloite <
collëcta), dais (vfr. dois < dïscu), défraie (vfr. desfroie < germ.
*desfrïdat), délaie (vfr. deloie < *delïcat pour delïquat), effraie (vfr.
esfroie < germ. *exfrïdat), emplette (vfr. emploite < *ïmplïcïta),
espère (v. fr. espoire < spêrat), faible (v. fr. foible, p. 234), fraie
(v. fr. froie < fricat), frai (v. fr. froiz, post, verty de *froicier
< *frïcliare), adj. frais (v. fr. frois < lat.-germ. *frïscu), fressure
(v. fr. froissure < *frïxüra, p. 184), glaise (v. fr. gloise < *glïtea),
harnais (v. fr. harnois < lat.-germ. *harnïsçu), marais (v. fr.
marois < lat.-germ. *marïscu), monnaie (v. fr. monoie < monëta),
métairie ~ métayer (v. fr. moitoierie ~ moitoier, cf. vol. III :
Consonnes), paraître (v. fr. paroistre < parëscëre), pèse (y. fr.
poise < *pësat < pensât), raide (v. fr. roide < rïgïda), raie (v.
fr. roie < celt, rïca), rets (v. fr. roiz < rëtes), sèvre (v. fr. soivre
< sëpërat), taie (v. fr. toie < thëca), tonnerre (v. fr. tonoire <
lonïtru), verre (v. fr. voire < vïtru), etc.

L’opposition [wa] ( < wç) : [ç] telle qu’elle résulte des exemples
ci-dessus ne saurait s’expliquer d’aucune façon par la phonétique.
Elle ne dépend pas en tout cas du consonantisme qui précédait au­
trefois le groupe wç. La réduction se constate en effet indifférem­
ment après un groupe de consonnes ou après une consonne simple,
après une consonne labiale ou une consonne non-labiale. C’est
ainsi qu’on a aussi bien dais, hollandais, français, écossais, harnais,
polonais, marais, roseraie, etc. que (je) vais, verre ou que claie,
glaise, tremblaie, craie, effraie, fraie, frais, etc. De plus, à ces der­
niers exemples s’en opposent d’autres comme ploie, croix, croire,
droit, effroi, étroit, froid, lamproie, proie, etc.
On a voulu d’autre part expliquer les formes en [ç] par l’influence
de la Cour des Médicis et par l ’impossibilité où se seraient trouvés
les Italiens de prononcer le groupe wç. Sans doute cette influence
n’est-elle pas à négliger. Mais on verra plus loin dans quelle mesure
il faut en tenir compte. En réalité le phénomène a des origines
beaucoup plus lointaines, puisqu’il remonte à la seconde moitié du
x m e siècle.
Dès cette époque en effet on observe un peu partout dans
le domaine d’oïl une forte tendance à réduire wç, accentué ou
inaccentué, à ç en toute position : en syllabe initiale comme en syl­
labe intérieure ou finale. On note pour l’Orléanais : tres ( = trois),
otrai ( = otroi), destret ( = destroit), dret ( = droit), praise ( = proise,
analogique pour prise < *prëtiat), crai ( = croi), vaie ( = voie), aver
DIPHTONGUES 275
(= avoir), vers (= voirs < vëros), fai ( = foi), Pontaise (= Pon­
toise), daienl (= doient, analogique pour doivent), courtoise ( = cour­
toise), taile ( = toile), sair (= soir), etc., — pour la Champagne:
etet (== eloil), tenret (= tenroit), avet ( = avoit), etc.
Les exemples qu’on peut recueillir dans la région parisienne mon­
trent que là aussi et vers la même époque la tendance à l’amuisse-
ment de w a dû être assez forte. Dans les documents de la fin du
x m e siècle, on enregistre des formes comme cres (= crois), crere
(= croire), Englais, Anfrey ou Anfray (= Anfroy < germ. *An-
frïdu), baudraier (== baudroier), oublaier( = oubloier), claie ( — cloie),
etc., et Danois (— Danois), Galais (= Galois), champenois (=
champenois), courraier ( — courroier), hers (= hoirs), monnaiers
(= monnoiers), pastaier (= pastoier), Pontaise, saie (= soie), saient
( — soient), etc.
Mais il faut sans doute établir une distinction entre les diffé­
rentes couches de parler.
Les exemples ci-dessus, avec chute de w même après consonne
simple, appartiennent à des textes administratifs et reproduisent
probablement la prononciation vulgaire. Il semble bien en effet
que dans le peuple il y ait eu dès le début une tendance très accusée
à éliminer w dans tous les cas. Jusque vers le début du xvie siècle,
la bourgeoisie au contraire ne paraît avoir pratiqué la réduction
de wç accentué qu’après un groupe consonantique explosif. C’est
du moins ce qui résulte du Livre des Mestiers d’E. Boileaue (deuxiè­
me moitié du xm e s.) et du Testament de Villon (milieu du xve s.).
A part sait (= soit) qui peut s’expliquer par un emploi proclitique,
on ne trouve ç pour wç dans le premier texte qu’après un groupe de
consonnes ; cf. crestre (= croislre), claie (— cloie), etc. De son côté,
Villon conserve toujours w après une consonne simple; cf. wç dans
maschouère (= maschoire) : chere, essoine : Seine, et wa dans poirre
(< pëdëre) : barre : carre, fuerre (< germ. *(5dr) : Barre. Mais il est
probable que wç inaccentué a dû éprouver une tendance à se réduire
à ç dans le même milieu. Quant à la langue savante, elle a conservé
we en principe.
Au xvie siècle, on peut dire que l’amuissement de w est un fait
acquis chez le peuple. Au siècle suivant, on note en tout cas dans les
Mazarinades : je cray (— je crois), may (= moi), tay (= toi), recever
(= recevoir), fret (= froid), etc., et avar (= avoir), var ( = voir),
savar (= savoir), tu craras ( — tu croiras), bourgeas ( — bourgeois),
Ira (= trois), employé (= employé), etc. Les paysans de Molière
prononcent aussi dret au lieu de droit ; cf. Don Juan II 2, Le Méde­
cin malgré lui II 1. Dans la bourgeoisie, l’ancienne tendance a fait
des progrès : wç inaccentué semble s’être réduit d’une façon géné­
rale à ç, et wç accentué peut passer à ç aussi bien après une consonne
simple qu’après un groupe consonantique explosif. Toujours conser­
vatrice, la langue savante maintient encore iag,'sauf exceptions
qui seront examinées plus bas.
Ainsi donc, il y avait trois usages : celui du peuple, celui de la
bourgeoisie et celui des « savants », en l’espèce, à partir du xvi9
276 ARTICUL. D ES PH O N ÈM ES V O ISIN S (A C T IO N S A U CONTACT)

siècle, celui des grammairiens. Le premier importe peu, ou n'im­


porte qu’imlirectement pour le phonétisme du français actuel. Ce
dernier résulte essentiellement du compromis qui s’est établi entre
la langue de la bourgeoisie et la langue des grammairiens. D ’une
part, en effet, les grammairiens ont fini par accepter ç dans de
nombreux mots et même dans des séries entières de mots ; de
l’autre, la bourgeoisie a abandonné ç au bénéfice de wç pour tous
les mots où la langue savante avait maintenu wç, et plus tard, sous
la poussée du phonétisme populaire, elle a transformé wç en wa. De
la sorte, tous les mots du français où l’on a wa sont savants à cause
du w et phonétiques à cause de 1 [a] du groupe [u>a].

Cependant avant de se demander pour quelles raisons la langue


savante a adopté ç au lieu de wç, il importe de noter que môme
chez elle la réduction de wç a pu se produire soit par voie phoné­
tique, soit par voie analogique.

1° Réductions phonétiques. — C’est le cas des imparfaits où wç


était précédé de i. Péletier (1549) établit une distinction entre ces
imparfaits et les autres. « Nous prononçons, écrit-il, prièt, crièt,
étudièt : e toutes tierces persones de l’imparfèt indicatif venant des
verbes en ïer ». Mais quand il s’agit d’autres verbes, il continue à
prononcer wç. Sans doute le groupe wç s’est-il encore réduit phoné­
tiquement à ç dans les imparfaits comme voyoit, croyait, oyoit,
(é-, dé-Jchoyoit, (as-)soyoit, etc., où il était précédé de y. Peut-être
en a-t-il été de même dans les conditionnels devrait, voudroit, fau­
drait, où le groupe wç, d’ailleurs précédé de consonne -f- r, était le
plus souvent inaccentué par suite de l’emploi proclitique. A ces
deux raisons s’en ajoute une autre qui a pu avoir aussi son impor­
tance : l’emploi fréquent de ces formes verbales a sans doute
amené de son côté une usure phonétique assez rapide. La fré­
quence de leur emploi et leur utilisation comme proclitiques expli­
quent enfin que même dans la langue savante estoit et avoit, seroit
et auroit semblent avoir perdu de bonne heure leur w.

2° Réductions analogiques. — C’est le cas de frais (vfr. frois),


qui s’est modelé sur le féminin fraîche (vfr. fresche) et sur fraîcheur
(vfr. frescheeur). Celui encore d’un certain nombre de formes verba­
les. Pèse (vfr. poise), cèle (vfr. çoile), sèvre (vfr. soivre), dont les
infinitifs étaient primitivement pçser, cçler, sçvrer, avec un ç central
au radical, se sont modelés sur ces derniers et sont ainsi devenus
pèse, cèle, sèvre, avec passage de § à ç sous l’accent et devant
consonne. Erre (v. fr. oirre) a été refait sur errer, et espère (v. fr.
espoire) sur espérer, dont Ve prétonique interne provient peut-
être du mot savant espérance.

Re m a r q u eI. — L’action analogique peut être très ancienne. C’est


ainsi que frois. çoile, oirre et espoire ne sont signalés par aucun grammairien
du xvi* siècle.
D IP H T O N G U E S 277
R IT. — A la 3 e pers. sing, indie. prés. de peser, celer et sevrer,
e m a r q u e

on a en autrefois d'autres formes analogiques en œ, refaites sur l'infinitif


lui-même. La prononciation [porzd], \ccete], [sœvrv] est encore attestée dans la
seconde moitié du xvne siècle, et en 1660, Lancelot constate que de son
temps les provinciaux prononçaient la première syllabe de pèse comme dans
peser.

En dehors des cas m entionnés ci-dessus, on peut dire qu’à l ’ex­


ception de falaise (vfr. faloisé) qui paraît avoir été emprunté de
bonne heure au normand, tous les m ots où l ’on a ç au lieu de wç
( > auj. wa) doivent leur prononciation à la langue de la bourgeoi­
sie. Il s ’agit là de formes d ’usage courant et de m ots employés dans
la vie journalière ; de m ots aussi que les bourgeois avaient appris
de la bouche des artisans et des gens de la campagne avec lesquels
ils étaient plus ou m oins en contact.
D es raisons spéciales ont d ’ailleurs pu faciliter l ’emprunt. Pour
ce qui est des im parfaits et des conditionnels, l ’existence de for­
mes com m e p ria it, criait, étudiait, etc., était, avait, devrait, voudrait,
faudrait, etc. a sans doute contribué pour sa part à l ’adoption de ec
dans aim oit, aimeroit, etc. D ’autre part, le besoin de différenciation
a pu intervenir ; ainsi dans dais (vfr. dois), taie (vfr. toie), raie (vfr.
roie) qui ont été distingués de doigt, doit, toi, toit, roi.
L ’adoption de ç a été d’autant plus facile que la Cour au x v ic
siècle prononçait ç au lieu de we, Certains grammairiens de l ’épo­
que sont allés mêm e jusqu’à dire que c’étaient les habitudes ita­
liennes de la Cour qui étaient cause de la nouvelle prononciation.
E n 1631, Guillaume des Autels par exemple fait la remarque sui­
va n te : « Pourquoi sera ce que quelque dame voulant bien contre­
faire la courtisane a l’entree de cest yver dira qu’z’Z fait fret ?»
H . E stienne (1582) note de son côté : « Quant à François, Anglois.,,
il y a longtem ps que plusieurs (Italiens) ont confessé n’avoir pas la
langue faicte pour les prononcer ; et ... ont esté fort ioyeux d’estre
quittes pour dire... en parlant... Frances... E t ie scay bien qu’entre-
vous courtisans trouvez tous ces mots de trop meilleure grace, pour
ce qu’ils sont plus mignards et qu’il ne faut pas que les dames ou­
vrent tan t la bouche ». Quoi qu’il en soit, il est probable que reine
(v. fr. roine) est une prononciation de la Cour qui s’est généralisée.
Les courtisans du temps des Médicis ayant moins l’occasion d’em­
ployer le mot roi, la prononciation rwç s’est maintenue, d’où
aujourd’hui [rwa].

On a vu que pour les noms d’habitants, l’ancienne terminaison


-ois s’est tantôt réduite à -ois, tantôt maintenue. La solution la
plus simple et sans doute la plus vraie est d’admettre que la réduc­
tion de wec n’a eu lieu que pour les mots les plus usités. Cependant
cette explication ne saurait suffire à elle seule. Bien des mots d’usa­
ge peu courant dans la société parisienne du x v ie et du x v n e siècle
ont en effet un ç, alors que d’autres qui sont dans le même cas
ont conservé leur w. Il faut faire sans doute intervenir l’analogie.
278 ARTICUL. D E S PHONÈM ES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

Des mots comme dijonnais, lyonnais, etc. ont pu servir de modèle


à leur tour à boulonnais, chalonnais, etc., et hollandais, irlandais à
islandais, finlandais, zélandais, etc. On a invoqué l’influence de
l’orthographe anglaise pour expliquer japonais. Il n’est pas indis­
pensable d’y recourir. Le passage de japonois à japonais peut en
effet s’expliquer par un processus analogique. Que l’on songe au
maintien de la terminaison -ois dans chinois, dont l’équivalent
anglais Chinese présente pourtant une finale identique à celle de
Japanese. En réalité, si japonois est devenu japonais, c’est à cause
de Japon : le modèle Lyon : lyonnais a pu s’imposer ici. A chinois
au contraire correspondait Chine et dans ce cas la langue n’offrait
pas de modèle pour le changement de -ois en -ais. Ce n’est pas à
dire que l’influence de l’anglais soit complètement à écarter. Si on a
par exemple malais, féminin malaye, au xvm e siècle, on ne peut
pas dire qu’il s’agisse là d’un changement de -ois en -ais. Malois
ne semble pas avoir existé en français, et malais, malaye (auj.
malaise) ont été calqués directement sur l’anglais. De même javanais
sénégalais, soudanais, etc. qui paraissent d’ailleurs ne dater que du
x ix e siècle et pour lesquels en tout cas des formes en -ois ne sont pas
attestées. Enfin, les conditions historiques ont pu jouer leur rôle.
La cour de Henri IV peut avoir acclimaté dans la conversation des
formes telles que béarnais, navarrais, etc. ; les relations avec
l’Espagne et l’Italie, d’autres comme aragonais, barcelonais, etc.
ou milanais, piémontais, etc. D’autre part, il est indéniable que
dans les pays de langue d’oc, il y a eu une adaptation de la pronon­
ciation française à la prononciation locale. Là où dans cette dernière
on avait -ès, la terminaison -ois est devenue -ais. Ainsi dans lourdais,
luchonnais, tarbais, etc. Mais là où au contraire on n’avait pas
-ès, la terminaison -ois s’est conservée. Ainsi dans audois, mézois,
niçois, etc., dont les correspondants locaux sont en -enc. Les repré­
sentants du pouvoir royal en province ont pu adopter les premiers
la nouvelle prononciation et la faire ensuite accepter dans la langue
administrative.
R e m a r q u e . — P o u r les nom s de régions, on constate aussi u n flo tte ­
m ent : les uns so n t term in és en -ois, les autres en -ais ; cf. Cauchois, Ver-
mandois, Albigeois, Valois, Vendômois, Angoumois, Dunois, Hurepoix,
Barrois, Blésois, Artois, Auxois, etc., en face de Lauraguais, Beaujolais,
Charolais, Valais, Lyonnais, Bourbonnais, Dijonnais, Nivernais, Gûlinais,
Vivarais, etc.

L’état actuel ne s’est pas imposé d’un seul coup. Pour les impar­
faits et conditionnels, l’adoption de ç au lieu de wç n’est pas allée
sans récriminations de la part des grammairiens. En 1582, H. Es-
tienne en écrivant ie dises, ie dires, note que c’est là la prononcia­
tion usitée à la Cour, ce qui veut dire pour lui qu’elle n’est pas
bonne. D’après Bèze (1584), c’est le peuple de Paris qui prononce
ç. Masset (1606), Maupas (1625), Cossard (1633) écrivent qu’il faut
dire wç. Cependant Behourt (1620), Martin (1632), Oudin (1633) et
Vaugelas (1647) sont pour ç. « A la cour, dit celui-ci, on prononce
DIPHTONGUES 279
beaucoup de mots avec la dyphtongue oi, comme s’ils estoient
escrits avec la dyphtongue ai, parce que cette dernière est incom­
parablement plus douce et plus délicate. A mon gré, c’est une des
beautez de nostre langue à l’ouir parler, que la prononciation d’ai
pour oi ; ie faiscds, prononcé comme il vient d’estre escrit, combien
a-t-il plus de grace que ie faisois, en prononçant à pleine bouche
la dyphtongue oi ? ». Chifflet (1659) constate de son côté qu’il y a
plus de quarante ans à son époque que ç est « dans le commun
usage ». Sans doute le groupe wç s’est-il maintenu encore assez
longtemps au Palais et dans la langue de l’éloquence, comme il
ressort des remarques de cet auteur. Mais Hindret en 1687 et
Buffier en 1709 reconnaissent que même là la réduction avait fini
par prévaloir de leur temps. Pour ce qui est de l’orthographe,
Berain propose dès 1675 d’écrire ai ; après lui Voltaire et quelques
autres en ont fait de même. L’Académie a finalement admis cette
graphie en 1835.

Je vois se rencontre encore chez Meigret (1542), Pillot (1550),


Ramus (1562) et Gauchie (1570). Mais R. Estienne (1549) donne
déjà je vay, et en 1582 H. Estienne condamne vois. Cependant mal­
gré cette condamnation, vois s’est maintenu longtemps encore.
Dans son Commentaire sur Desportes, Malherbe corrige vais en vois.
Du Val (1604) donne un subjonctif voise — voisent qui suppose évi­
demment un indicatif vois. Maupas (1625) écrit : « je vay, vais ou
vois ». Mais après lui, les grammairiens ne citent guère vois que
pour le blâmer. En 1647, Vaugelas fera cette remarque : « Vois pour
vais est un vieux mot françois... M. de Malherbe escrit toujours
je vois pour je vais... Mais je ne voudrois pas l’imiter en cela... parce
qu’il ne se dit presque point, et que personne ne l’escrit ».

Dans les noms d’habitants en -ois, la prononciation avec ç ne


semble s’être introduite dans la langue savante que vers la seconde
moitié du xvie siècle. En 1582, H. Estienne s’insurge contre elle
à propos de mots comme François, Anglois, Escossois, Milanois, etc.
Bèze la condamne aussi et l’interprète comme un italianisme.
Mêmes protestations chez Palliot, en 1608. Cependant ç tend à pré­
valoir dès le premier quart du xvne siècle. Il y a eu, cela va sans
dire, un certain flottement dans l’usage et on a pu hésiter long­
temps dans tel ou tel cas. C’est ainsi que quelques auteurs indi­
quent une prononciation avec wç pour : albanais (Ménage, Féraud
1761, Domergue 1805), anglais (Patru vers 1674 ; « chez plusieurs»
Ménage), boulonnais (De Soule 1698), calabrais (Féraud), charolais
(« il n’y a pas vingt ans que Paris et la cour disoient encore made­
moiselle de Charoloès » d’Olivet 1736), français (« plusieurs » Mé­
nage ; « dans le discours » Patru ; « dans le discours et dans les
vers » Regnier), gâlinais (Ménage, De Soule, « à l’Académie »
Dumas 1733), hollandais (« plusieurs » Ménage ; « dans le discours »
Patru), japonais (la prononciation actuelle ne s’est introduite que
du temps de Girard, 1716), milanais (Patru prononce -ais s’il s’agit
280 ARTIC UL. D ES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

de la région, mais -ois s’il s’agit des habitants), Orléanais (Ménage, de


Soule), polonais (deux prononciations d’après Ménage, qui condam­
ne pourtant -ois ; -ois dans le discours d’après Patru), etc. Le Dic­
tionnaire de Trévoux est très conservateur à cet égard : dans l’édi­
tion de 1771, tous les mots qui ont aujourd’hui -ais ont encore la
terminaison -ois. Inversement, là où ie w s’est maintenu jusqu’à
présent, certains grammairiens indiquent une prononciation avec
e. Il en est ainsi en particulier pour dauphinois (Boulliette 1760),
hongrois et liégeois (Raillet 1684), suédois (Raillet ; deux termi­
naisons, d’après Ménage qui condamne pourtant -ais), etc. Comme
on peut le conjecturer par certains détails, les formes en ç n’ont dû
être acceptées qu’en dernier lieu dans la langue de l’éloquence et de
la poésie. Chifflet s’exprime clairement sur ce point et montre bien
la différence qui existait à son époque : « Il faut dire Français, Polo­
nais, Anglais, Holandais dans la conversation, et non en parlant
publiquement ».

Pour les mots isolés, on trouve également des formes en oi ou oy


jusqu’au xvn e siècle ; cf. cloye (auj. claie) Thierry (1572), Oudin
(1633) — croye (auj. craie) R. Estienne (qui donne aussi craye, crée),
amploite (auj. emplette) Monet (1635), emploitte Oudin (à côté de
amplete chez le premier, de emplette chez le second) —, foyble
Palsgrave (1530), foèble Péletier (1549), foible Oudin, (à côté de fehle,
noté comme archaïque), Duez (1639), etc.,— monoye (auj. monnaie)
Mourgues (1685 ; à côté de monaye, mais monoye est « selon l’usage
commun »), — mortoise (à côté de mortaise) Richelet (1680), De la
Touche (1696) et Diet, de l'Académie 1694 (dans l’édition de 1762,
seul mortoise est indiqué), — poise Palsgrave, R. Estienne, poézez
Baif (1574, à côté de péze), poise, poiser Tabourot (1587) ; à côté de
pesé, peser), empoise Tabourot (à côté de empoiser), ampoiser Monet
(à côté de ampeser), empoiser Monet (à côté de ampeser), empoiser
Oudin (à côté de empeser), etc. — roie (= raie) Bovelles (1533),
roye (à côté de raie) R. Estienne, Tabourot, Lanoue (1596), etc.
— sausoye ( = saussaie) Palsgrave, Tabourot, — tonnoyre Pals­
grave, tonoirre Sylvius (1531), ionnoirre R. Estienne, — voyrre
( — verre) Palsgrave (et voirier, voiriere), voirre Sylvius, « verre
voyez voirre » R. Estienne, etc.Il

Il ne faudrait pas croire que les formes avec ç citées dans la liste
des pp. 273 sq. soient les seules à avoir été acceptées par les gram­
mairiens. Il en est d’autres, assez nombreuses que tel ou tel d’entre
eux enregistre comme correctes, mais qui n’ont pas été sanction­
nées par l’usage. Ainsi celles qu’on trouve pour Beauuoisin, crois­
sant, moisson, Noirmoutier, poilu, poirier, soirée, voilure, etc. N’ont
pas été acceptées non plus : vée ( = voie), Ese (= Oise), Ponlese
Sylvius, — day ( = dois), pareden ( = paroissien) Palsgrave, — see
(à côté de soie), seeux (à côté de soyeux) R. Estienne et Oudin, qui
les donne comme archaïques, — caye (à côté de coyé) Lanoue, —
courraie (à côté de courroie) Lanoue, Monet ; etc.
DIPHTONGUES 281

L’adoption de ç au lieu de wç n’a pas cependant empêché les


anciennes formes de se maintenir dans certains cas. D’où la pré­
sence de doublets tels que benêt — Benoît, harnais — harnois,
raide — roide, (d)échet— (d)échoit, ormaie — ormoie, charmaie —
charmoie, français — François, Langlais — Langlois, etc. Benoît,
François et Langlois, en face de benêt, français et Langlais s’expli­
quent sans doute par le caractère conservateur des noms de bap­
tême ou de famille; (d)échoil est probablement une forme du
Palais ; quant à ormoie et charmoie, ils représentent peut-être la
prononciation de la langue poétique, tandis que ormaie et charmaie
sont des formes de la conversation. Dans deux cas, la langue a voulu
utiliser l’hésitation qui a existé à un moment donné entre ç et wç.
C’est ainsi qu’avec Ménage apparaît la distinction que l’on a faite
longtemps entre harnais et harnois. «On dit indifféremment harnois
et harnais », écrit-il. Il ajoute pourtant : « Je dirois les harnais des
chevaux. Mais je dirois au contraire endosser le harnois, suer sous le
harnois ». De même, tandis que Tabourot, Lanoue et Martin pro­
noncent raide ou roide, que Duez, Ménage, Hindret disent raide et
que Regnier ne connaît que roide, d’autres grammairiens distin­
guent entre conversation et discours. De la Touche par exemple
dit « qu’en parlant en public on pourroit prononcer roide comme il
est écrit », c’est-à-dire avec wç. « Dans le discours soutenu, conti­
nue Moulis (1761), l’oi de roide se change en oè ». Cet usage a sub­
sisté longtemps dans la poésie et l’éloquence. En 1835 encore, le
Diet, de VAcadémie mentionne les deux prononciations [e] et [um].
Aujourd’hui cependant roide aussi bien que harnois ne constitue
qu’un archaïsme.

Il convient enfin de noter la réduction dialectale de wç pro­


venant de o latin (p. 295) dans les formes toponymiques telles
que Auxerre < Autessiodüru, Tonnerre < Tornodüru, Nanterre
< Nemetodüru, ou, avec ç > a (pp. 348 sq.), Briar(r)e < Bri-
vôdüru, Jouarre < Divodüru.

R e m a r q u eI. — *Jcnïpëru (1. cl. fûnïpëru) a donné en vfr. geneiver


— genoivre. Le fr. mod. genièvre, qui semble attesté pour la première fois
dans Ronsard, présente une difficulté à cause de son groupe [yç]. D’après
certains, ce serait là une francisation du poitevin genèore (< geneivre),
déterminée par la correspondance poit. é : fr. ié dans les mots comme poit.
pé (< pëde) : fr. pied. Il est cependant plus probable que tenièvre provient
phonétiquement de l’ancien genoivre = [drçnii'Çvrc], par suite du change­
ment de w en y sous la double action dilatrice du dz (ou z) et de 1’? de la
syllabe initiale.
R II. — Les terminaisons accentuées de la 2 e pers. plur. indic.
e m a r q u e

prés, -êiis et *-Uis (1. cl. -Ilis) ainsi que la terminaison *-êtis de la 2e pers.
plur. du futur roman (*cantarëtis = cantare -f (hab)êtis) sont régulièrement
continuées par -eiz--- oiz dans les anciens dialectes de l’Est. Mais dans
le Centre, le Nord et le Nord-Est, -eiz a été remplacé à date prélittéraire par
la terminaison -ez de l’indic. prés, des verbes de la classe I (cf. eantatis
> chantez) de beaucoup les plus fréquents. Dans les dialectes de l’Ouest la
question du remplacement ne se pose pas, -ei; s’étant réduit de bonne heure
à -ez (p. 270).
282 ARTICUL. DES PHONEMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

R e m a r q u e III. — Si pllcat est continué par plie, c’est par suite d’un
processus analogique. Plical a donné régulièrement pleie, d’où plus tard ploie.
Mais la ressemblance qui existait à l’infinitif entre la terminaison de pleiier
— ployer < plicare et celle de prciier — proyer < precere a déterminé la
réfection de pleie — ploie en plie sur le modèle de prie < prëcal. A son tour,
plie a donné naissance à un infinitif plier, de même que prie a développé une
forme prier. Les anciennes formes s’étant conservées, on a aujourd’hui
encore des doublets : plie — plier, ploie — ployer ; cf. de même déplie —
déplier, déploie — déployer. Sousploie — sousployer ( < süppllcare) ont été
remplacés par sousplie — sousplier, attestés jusqu’au début du xvix® siècle
(cf. le part, passé sousplié chez Cotgrave, 1611), mais disparus devant sup­
plie — supplier, savants. Par contre, le subst. emploi a empêché le rempla­
cement de emploie — employer par emplie — emptier ; emptier est néan­
moins cité par Lanoue (1596) et Oudin (1633). Multiplie — multiplier sont
savants ; le vfr. faisait molteploie, monteploie — molteployer, monteployer
( < mültlpllcare).

R e m a r q u e IV. — Llgat, llgare ont donné régulièrement en vfr. leie, loie


— leiier, loier. Actuellement encore ces formes se rencontrent plus ou moins
transformées en Belgique, dans le Pas-de-Calais, le Nord, les Ardennes, la
Somme, l’Oise, la Marne, la Hte-Marne, la Meuse, la Hte-Saône, la Côte-
d’Or, le Doubs, le Jura et dans la partie Nord-Est de la Suisse romande.
Mais depuis le début de la langue, le Centre et l’Ouest présentent d’une
façon plus que générale lie — lier. A partir du x v e siècle, ce sont les seules
formes littéraires. Vu la date très ancienne à laquelle elles apparaissent,
il faut peut-être supposer pour le Centre et l’Ouest des types *lïgat — * lîga­
re, postulés d’ailleurs par le v. prov. liar, ligar, le cat. lligar, le cast, et le
port, ligar, dont l’ï pourrait s’expliquer par le germ, occid. *lik (cf. m. bas
allem, lik « lien »). S’il en était ainsi lie — lier ne seraient pas des réfections
analogiques, comme le sont plie — plier, déplie — déplier, etc.

R e m a r q u e V. — De même enveier ( < invldiare) est devenu envier et


l’infinitif a déterminé une 3e pers. sing, indic. prés, envie, pour enveie ( < in-
vldiat). Le substantif envie (vfr. enveie, à côté de envidie, envirie savants) est
un postverbal de envier et non pas la forme savante du lat. invidia qui est
envidie, envirie en vfr.
Enveier n’est pas d’ailleurs le seul infinitif du type -Idiare à avoir déve­
loppé une forme analogique en -ier. C’est ainsi qu’on trouve au moyen âge
afoiblier, charrier, costier, es banier, festier, jolier, guerrier, lermier, manier,
nettier, otrier, tournier, etc. à côté de afoibloier, charroier, costoier, etc. A ces
infinitifs en -ier correspondent des 3« pers. sing, indic. prés, afoiblie, charrie,
costie, esbanie, festie, folie, guerrie, lermie, manie, nettie, otrie, tournie, etc.
pour afoibloie, charroie, costoie, etc. Seuls manier — manie et charrier —
charrie ont été retenus (ces derniers à côté de charroie — charroyer ; cf. le
subst. charroi) et depuis le x v ie siècle on ne conjugue plus que festoyer — fes­
toie, guerroyer — guerroie, larmoyer — larmoie, nettoyer — nettoie, octroyer
— octroie, tournoyer — tournoie. Les autres verbes en -oyer ont disparu avant
cette époque.
R e m a r q u e VI. — Quiëtu, devenu quêtu cf. Vol. III : Consonnes est
représenté normalement par coi, qui a survécu dans la locution se tenir
coi. Le vfr. possède encore acoise < +adqu(i)ëliat.
A côté de coi et acoise, il existe la forme quitte, postverbal de vfr. quitier
(auj. quitter) pour lequel cf. Vol. III : Consonnes.

R e m a r q u e VII. — A côté de -eise-----oise, continuateur phonétique


de la terminaison -itia (cf. vfr. richeise < frc. *rlkki + -itia, proeise < *prô-
de -(- -itia), le vfr. présente trois autres formes toutes plus ou moins savan­
tes : -esse ou -ece (cf. auj. richesse, prouesse), -ise (cf. auj. sottise, couardise,
franchise, etc.) et -ice (cf. auj. avarice, justice, malice, etc., auxquels il faut
ajouter pour -itiu : service, vice). La terminaison -esse est phonétique pour ce
qui concerne le vocalisme, Vf roman provenant de lat. l n’ayant pu se diph-
DIPHTONGUES 283

tonguer devant l’ancienne affriquée dentale -tts- (plus tard -as-) issue de lat.
-ty- (cf. vfr. [pruettsf] > auj. [prw(s}) ; mais le traitement -ty- > -tts- n’est
pas populaire. Dans -ise et -ice, le vocalisme est savant ; quant au conso­
nantisme, il l’est aussi dans le second cas, mais non dans le premier.
R e m a r q u e VIII. — En wallon, le groupe [we] s’est labialisé en \wœ]t
d’où [œ] ; cf. p. ex. meus < më(n)se, teus < têctos chez Jean d’Ontremeuse.
Alors que dans ce dialecte la terminaison -eue < -abat s’est généralisée
à l'imparfait de tous les verbes, avoit et estoit ont fait exception ; d’où au­
jourd’hui [awe], f{sfœ].

oj( roman. — Cette diphtongue provient de la coalescence de o


roman ( < lat. ô, ü en syllabe fermée) accentué avec un y issu
lui-même :
D e la résolution d’une consonne palatale en contact avec lui,
comme dans le cas de *boista < *bùxïda.
De la transposition d’un y appartenant à la syllabe suivante,
dans le cas des groupes :
-ry- ; cf. *dortoir (y )o < dormitôriu, *rasoir(y)o < rasôriu,
etc.
-fy- ; cf. coif(y)a < cofea.
-dzy- roman ( < -ce- latin) ; cf. *croidz(y)e < *crodzye < crûce,
*noidz(y)e < nüce, *voidz(y)e < voce, etc.
-ssy- roman (-sty-, -sce, -sc°,u latins) ; cf. *angoiss(y)a < *an-
gossya < angüslia, foisna < foiss(y)ena < *jossyena < füscïna,
*loiss(y)o < *lossyo < lüscu, *conoiss(y)o < cognôsco, conois-
s(y)et < cognôscit, conoistre < cognôscëre, etc.

R e m a r q u e I. — II n’y a pas eu de diphtongue oi dans le cas de lùsca,


le groupe -sk- devant a ayant passé à -stS-, En face du vfr. lois < lüscu
on a donc en vfr. Içsche (auj. louche, adjectif).
De même on aurait dû avoir en vfr. conois < cognôsco, conoisl < cognôs-
cil d’une part, et conosche < cognôscal de "l’autre. Mais celte dernière forme
a été remplacée à date prélittéraire par conçissel, refait sur le radical de
l’indic. prés, et de l’infinitif.
R e m a r q u e II. — Par contre, dans les mots terminés en -ücülu, -üllio
-----ai, il a existé au cours de l’évolution une diphtongue o/. Mais par suite de
la fusion de j*diphtongal avec le / suivant, p/ s’est réduit très anciennement
à p ; cf. (enüc(ü)lu > */enp|/o > *fenolo > vfr. Ufnol] auj. jenouil, *bülliat
>"vfr. [bçlf] auj. bouille.
Ce qui vient d’être dit vaut aussi pour le groupe -oiiiat de * besognai
(germ, bl-sünnial) qui a passé de très bonne heure à -oiiat, d’où vfr. besogne
auj. besogne.

Au moment de la fermeture de ö roman en [u] (p. 207), l ’p de la


diphtongue oi est resté sans changement, l’articulation de j diphton­
gal ayant empêché le soulèvement de la partie post-dorsale de la
langue. Dans la suite, 0 / a passé à [aç] d’après le processus indiqué
pour oi provenant de (pp. 272 sq.) ; d’où la prononciation actuelle
de botte, dortoir, rasoir, coiffe, croix, noix, voix, angoisse, foine, etc.
284 A R T1C U L. D E S P H O N È M E S V O I S I N S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

Pour les remarques d’ordre général concernant la réduction


de [u>c] a ç dans connais, connaît, connaître et le passage de [wç\
à [u>a] dans les autres mots, cf. pp. 272 sq.
Suivront quelques remarques intéressant spécialement la diph­
tongue pi issue de o + y.

R e m a r q u e I. — On a (les doublets dans botte, avec [wa], et boette ou


bouelte, termes de pèche, avec [wç\. L’explication est la môme que précé­
demment. Il faut remarquer à ce. propos que nombre de formes qui sont
dans le même cas n’ont pas survécu, par exemple coëffe, coëjfé, mirouer,
poevre, etc. —- et que poêle se prononce malgré son orthographe comme poile,
> p (n)slle, autre forme du môme mot. Cependant si coëffe, coëffé ne se
sont pas maintenus dans l’orthographe, on continue d’écrire Coëffeteau qui
se prononce non pas avec [wç], mais, suivant la graphie, avec [oé].
R e m a r q u e II. — Le lat. cülcïta a donné naissance à des triplets. A
côté de coite, coule (p. 466) ou coltre (avec un r épenthétique), l’ancienne
langue possédait une forme coûte ou coite d’origine dialectale. Coule se
retrouve dans courte-pointe. Quant à coite, il est continué par coite, avec
[ma], et par couette, avec [zzzç], L’orthographe et la prononciation actuelle
de couette s’expliquent comme précédemment.

R e m a r q u e III. — 11 peut enfin y avoir quatre formes pour le même


mot. Ainsi dans le cas du lat. füsclna. Ce mot a donné en vfr. foisne, d’où
aujourd’hui régulièrement foine, avec [ma]. Mais on a à côté trois autres
formes : fouëne. foène et fouine, auxquelles correspondent les prononciations
[fwçn], [foçn] et [fwin]. Fouëne présente le même cas que bouée et couette.
Il en est de même pour foène ; mais ici la prononciation actuelle avec ç,
et non w comme autrefois, suppose que l’orthographe a réagi sur la pronon­
ciation. Quant à fouine, sa prononciation est purement orthographique :
on a lu tout d’abord [fotnd], d’où, par suite de la fermeture de l’o inaccentué
en hiatus, [fwin].
R e m a r q u e IV. — Le vfr. lois <.lüscu a été remplacé dès le moyen âge
par lösche, auj. louche. La forme du féminin s’est ici généralisée sous l'in­
fluencé de l’infinitif loschier, auj. loucher.
R e m a r q u e V. — En anglo-normand on constate pour oj un double
résultat. D ’une part, cette diphtongue a évolué en [mç] comme en francien,
sans aboutir cependant à wa ; de là, elle a pu se réduire à ç. De l’autre,
elle se présente sous les formes [zzj] et [m/]. Il est probable que les Normands
de la Seine-Inférieure ont importé of dans la péninsule, et les Normands
de la Manche ou du Calvados [zzj]. Cette dernière diphtongue suppose qu’à
la différence de ce qui a eu lieu dans les autres régions, l’o de oj s’est fermé
de bonne heure en [u] en Basse-Normandie (et dans la partie septentrionale
de l’Ouest ?). Cette fermeture peut s’expliquer par une articulation moins
antérieure de l’j diphtongal : la tendance générale qui a fait passer o à [u]
(pp. 207 sq.) n’aurait pas été contrariée par un j articulé trop en avant.
A l’étape [zzj], l’j a pu s’amuïr ; d’où simplement [u]. Un reste de la pro­
nonciation [mz] se retrouve dans l’angl. kilt qui remonte à cuilte, forme
anglo-normande du coilte dont on a parlé dans la rein. II.
R e m a r q u e VI. — On constate la réduction de pjen o et la labialisation
de \ w<i\ en *[zz;œ] > œ dans les mêmes dialectes dont il a été question p. 271
rem. II et p. 283, rem. VIII.

pi* roman tardif. — La diphtongue çi s’est constituée à diverses


Époques c i a eu par suite des traitements différents. On distinguera
donc.po.ur .plus de clarté entre pi ancien et pi tardif. Le premier sera
D IP H T O N G U E S 285

noté çi1, le second çi1. C’est de celui-ci qu’il va être question, son
premier élément ne s’étant pas segmenté pour donner naissance à
une triphtongue ; gi1 qui présente un traitement opposé sera
étudié p. 290. La diphtongaison de g dans le cas de gi1 et sa non-
diphtongaison dans celui de gi2 montrent bien que gi2 ne s’est
constitué qu’après la première évolution de gj1.

La diphtongue çj2 provient :


1° De la simplification d’une ancienne triphongue âoi dont les
deux premiers éléments continuent une diphtongue primitive a\i,
et dont le dernier est issu :
D’un groupe -dy-, dans *dlgyya < *diàoyya < gaudia, *gyyo
< audio, *oyyat < audiat, *Savgyya < Sapaudia, etc.
Ou de la transposition du y du groupe -sy- dans *ngis(y)a
< *nàoisya < nausea.

2° De la coalescence de fr. prim, ç ( < lat. d en syllabe ouverte de


mots savants) avec un y issu d’une transposition dans les groupes
-ly-, -ry-, -n y - ; cf. fr. prim, apostgilç < apostçlie ( < aposlôlïcu),
changine < changnie ( < canonïcu), mçjne < mçnie ( < *mônïcu),
estgire < estgrie ( < hïstôria), glgjre < glgrie, memgire < memo­
rie, etc. Cf. vol. III : Consonnes.

Cet gi2 ne rime pas encore avec oi provenant de ei (p. 269) ou de


p + y (p. 283) chez Chrestien de Troies. Cependant les deux diph­
tongues n’ont pas tardé à se confondre, par suite du passage de gj
à oi. Gautier d’Arras, qui a écrit vers la même époque que Chres­
tien de Troies, fait rimer pgi ( < paucu) avec moi ( < më). La fer­
meture de g dans çi s’explique sans doute par la même action
de i dont il a été question à propos de l’anglo-normand [iq] <
oi, p. 284 rem. VI.
Une fois devenue oi, la diphtongue gi a suivi la même évolution
que lui (pp. 283 sq.) et a abouti à wç, puis wa ; cf. la prononciation
actuelle de joie, Savoie, noise, chanoine, moine, histoire, gloire,
mémoire, etc.
R emarq ue I. — A la Ire pers. sing, indic. prés, du verbe aller, le vfr.
fait vois. Cette forme provient du lat. vado, dont le d intervocalique a dû s’a-
muïr de très bonne heure à cause de l’emploi proclitique ; d’où *vao, conservé
en v. prov. sous la forme vau, mais devenu en gallo-roman septentrional
*vg, parallèlement à auru > or. Sous l’influence de la Ire pers. sing, indic.
prés, de avoir, *vç a passé ensuite à *vçi. comme en italien (voi) et en cas­
tillan (voy). A son tour, *vçj a pris un s final, probablement dans la combi­
naison voi + ad, par analogie avec vais (< vaais) + ad. De là, la forme vois
s’est généralisée. Phonétiquement, on a eu [vwg], en même temps que voi
(< vei < video) est devenu [vwç\. Parallèlement à [iwç] « video) > [uu»a],
on a pu avoir aussi [vwà] = vado. Mais plus importante est la réduction
de [vwç] à [vç], qui explique la forme actuelle je vais. On a parlé plus haut,
p. 279, du flottement qui a longtemps existé dans la langue entre formes
en [inç] et celles en [çj.

12
286 A RTICU L. D E S PH O N È M E S V O IS IN S (A CT IO N S A U CON TACT)

R e m a r q u e IL — Le v. fr. boie, dialectal à côté de v. fr. b u ie (p. 130),


est continué a u jo u rd ’hui p a r bouée. L ’orthographe, q u ’a co n tin u é à suivre
la prononciation, s’explique p a r le fa it q u ’elle a été fixée à une époque
où la langue sav an te ignorait encore [ w a J.

R e m a r q u e II I. — C h oix e st un postverbal de c h o isir ( < got. k a u s ja n ),


p o u r lequel cf. vol. I l l : C onson.
C loître (vfr. cloistre) p rovient du croisem ent du vfr. closlre ( < c la u stru )
avec cloison ( < *clau sion e).

ui roman. — Cette diphtongue a diverses origines et peut pro­


venir :

1° Soit de Ja coalescence d’un [u] roman (< lat. ü p. 203 ; lat.


ô, ô, conservés ou fermés sous l ’action de y, pp. 403 sq.) avec un
y issu : (cf. vol. III : Conson.) :
De -yV- dans *fuyyet < fügit, *ruido < *ruyyedo < rûgitu,
*kuidat < *kuyyedat < cogitât (p. 415), *duire < *duyyere <
*dugere < cl. dücëre.
Des groupes -dy- et -gy- dans *esfuyyo < stüdiu, * fuyyo < fügio,
*suyya < celt. *südia.
Des groupes -kt- et -ks- dans *fruito < früdu, *luitat < *lüctat
(p. 199), *truita < *trüda (p. 199), *buiss(y)o < büxeu.
De la transposition d ’un y explosif dans le groupe latin -ry-(cf.
*aguiro < a(u)güriu), dans les groupes romans -zy- < sy- (cf.
*periuisat < *pertusiat), -vry- < -pry (cf. kuivro < cüpreu), -dzy-
< lat." -ty-, -A-e,1 (cf. *puidzo < *puidzyo < püteu, *menuidzat <
*minütiat, *aiguidzat < *acütiat, *luidzet < *luidzyet < lacet,
duidzet < dücit), -ssy- < lat. -sty-, -sku\ cf. *uisso < *ussyo < *ûs-
tiu (p. 416) *lambruisso < *lambrussyo < lambrûscu) et dans
*tuit < *tôtti (cl. tôti) p. 398.

2° Soit de la sim plification d’une ancienne triphtongue ûoi


(p. 327) dans *nuite < *nüoile < node, *kuito < coclu, *uûô
< odo, *kuissa < kûoissa < coxa, *puyyo < *pûoyyo < podîu,
*appuyyat < *ad-podial, *muyyo < môdiu, *enuyyo < *inodiu,
*enuiyat < *ïnodiat, *uyye < hödie, *nuidzet < *nùoidz(y)et
< nocet, *kuiro < *küoir(y)o < cöriu, *muiro < *mörio (1. cl.
mörior), *mufrat < *möriat (1. cl. morialur), *puisso < *pùoiss(y)o
< *postius (== post x prius) et *possio (1. cl. possum), *puissat
< *pössiat (1. cl. pössit), Hruyya < Hrüoyya < *troja, *pluyya
< *plö(v)ya (1. cl. plùvia), etc.
3° De la consonantisation de f final après une voyelle dans cüï,
*düï (1. cl. duo), *illuï > *cui, *dui, *illui et dans les parfaits jüï,
valùï, *morùï (1. cl. moriuus sum), etc. > *fui, *ualui, *morui, etc.
R e m a r q u e . — Il y a eu p rim itiv em en t une diphtongue ui d an s *aguj-
la, continuateur de *acüc(u)la. M ais elle s'est réd u ite de bonne
heure à [u] p ar suite del a fusion de | avec le l suivan t. On a prononcé un
DIPHTONGUES 287
I ü] ( < [ h]) dan s le vfr. aguille, -ill- n’étant qu’une graphie pour ƒ. Si on a
aujourd’hui [wi] d an s aiguille, c'est à cause d'une interprétation défec­
tueuse de la graphie. Il en est de même dans le cas d ’aiguise. Chresticn de
Troies fait déjà rimer aguille avec roïlle < *robïcula.

Avant sans doute que l’[u] roman passât à [ü], dans mur <
müru, v. fr. fust < juste, etc., la diphtongue ui est devenue [üi].
D’où en fr. prim, [üi] dans fuit, ruit, cuide, duire, estui, fui « je
fuis », fruit, luite, truite, buis, pertuise, cuivre, puiz, menuise,
luist, duist, lambruis, uis, tuit, nuit, cuit, uit, cuisse, pui, mui, ennui,
ui, nuist, cuir, muir, puis (adv. et verbe), puisse, cui, dui, fui, lui,
etc., outre aiguille et aiguise mentionnés dans la remarque précé­
dente. On a eu de même [üi] + y dans suie, appuie, ennuie.
R em arque I. — Dans le courant du x ie siècle, alors que [u] avait déjà
passé à [fl], une nouvelle diphtongue [ü/] a été constituée par suite de la fer­
meture de ç diphtongal (p. 419) dans fr. pr. uelie (= öleu), alors que l’accord
était encore sur [a] —, par suite de la transposition d'un y explosif dans
* e s tu r ie ( = siüdiu) > fr. prim, estuire, *rustie (= r ü s t lc u ) > fr. prim, ruiste.

R em arque II. — Une autre diphtongue accentuée [ üj] a été créée


par suite de la réfection à date ancienne de luisir < luc re et de nuisir
< noc, re en luire et nuire.
R emarque III. — Mais avant le changement de [a/] en f«5i] dont il sera
question ci-dessous, on note la réduction de [ af\ à [ ü] dans les 1res pers. sing,
des parfaits du type f u i , v a l u i , m o r u i , etc., qui sont ainsi devenues fu, valu,
m o r u , etc. La réduction est phonétique dans le cas de fui, le plus souvent
proclitique. Une fois f u i devenu fu , les autres verbes se sont modelés sur lui.
De même [ü/J s’est réduit à [ü] devant r final dans [*aü/r] < a fu jg ü riû ,
d’où en v. fr. aür et eür.

La diphtongue [üi] assonne encore avec [ü] chez Guiart de Pro­


vins (xne-xm e s.) et chez Rutebeuf (seconde moitié du x m e s.) ;
cf. murmure : luire, rue : pluie chez le premier ; ordure : luire, cure :
nuire chez le second. Cependant on note le passage de [üt] à [wï]
dans des textes plus anciens ; cf. pour la seconde moitié du x n e siè­
cle : gui ( < côgito) : ci, enemi, etc. chez Wace, luite : confite chez
Chrestien de Troies. On trouve d’ailleurs aussi cuide : accide ( < ace­
dia) chez Rutebeuf. Le changement d’accentuation peut être
considéré comme général vers 1150 dans la région centrale.
R e m a r q u e I. — Le passage de [ü/] à [toi] est peut-être dû à une diffé­
renciation. L’[ü] du début ne devait pas avoir le caractère palatal si pro­
noncé qu’il a aujourd’hui. Il l’a acquis peu à peu. Avec le progrès de la
palatalisation, il a tendu à assimiler Vf diphtongal suivant. Pour éviter cette
assimilation, l’articulation de ; a été renforcée : ƒ a pris ainsi une valeur
syllabique et est devenu i. Dans la suite, le pouvoir acoustique de i étan t
plus grand que celui de ü, l’accent s'est déplacé sur i (seconde moitié du
x n e s.).
R e m a r q u e II. — Dans l’Est et le Nord-Est, l’évolution [a/] > [të/J
a été plus tardive, et [ tï/J s’est même souvent réduit à [ u] ; d’où par exem­
ple au moyen âge us, pertus, etc. en face des formes centrales uis , perluis,
etc. C'est sans doute de l’Est que provient rut, pour ruit (lat. rügllu).
288 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

Peut-ctre faut-il en dire autant pour saumure < *saumure ( < *sal-
müria). Mais on peut invoquer ici une dissimilation u — j > y — 0, anté­
rieure au passage de [ mi ] à [röz].

R e m a r q u e III. — Dans la Wallonie orientale où [iz] ne s ’est pas pala-


talisé (p. 205), la diphtongue [uj] a cependant passé à [ «/], la tendance pala-
talisante ayant été renforcée ici par le j. D ’où aujourd’hui [ «] dans fru
< früctu, lur « luire », etc.

R e m a r q u e IV. — Dès le moyen âge, [tü/J a éprouvé une tendance à se


réduire à [z] après un groupe consonantique explosif, une labiale ou unp
vélaire. Cette tendance a abouti dans défriche (vfr. desfruiche < *dïsfrücl!cat)
effrite (vfr. esfruite < *exfrüctat), lambris (vfr. lambruis < *lambrüscu),
vide (vfr. vuide < *vôcîtu), trémie (vfr. tremuie < trimôdia) et dans qui
(vfr. cui < cüï), employé dans les combinaisons prépositionnelles à qui,
de qui, par qui, etc. Au x v ie et même au x v u e siècle, l’usage n’était pas
encore fixé pour certains de ces mots, et on prononçait soit [âîz], soit [z] dans
vide et trémie par exemple. Dans l’ancienne langue, on trouve de plus apris-
me pour apruisme < *apprôximat. La réduction de [ai] à [z] s’est encore
produite dans aiguise sous l’in f uence de l’orthographe ; mais la pronon­
ciation avec [ici] passe pour plus correcte.

R e m a r q u e V. — En face de l’évolution [wz] > [z] que l’on constate


dans les m ots précédents, lutte, qui était autrefois et jusqu’au x v iie siè­
cle luite, ne peut s ’expliquer phonétiquement. On a ici une réfection d’après
lutter ( < vfr. lutter — luitier < lùctare), avec réduction de [âiz] inaccen­
tué à [ü], par assimilation de i en ü après w.

R e m a r q u e VI. — Déjà au moyen âge, on note la délabialisation de


[wi] en [zz>z] dans divers dialectes ; cf. dès la fin du x m e siècle, ouit pour
uit ( < ôcto) dans des textes de Liège, du Luxembourg belge, de l’Indre
et de la Manche — moui et mui ( < mödiu) dans les Ardennes, etc. Cette
évolution s’est aussi produite dans le parler populaire de la capitale. Dans
les iMazarinades, on trouve couir, couisse, couivre, ouile, troupe, Villejoui,
etc. pour cuir, cuisse, cuivre, huile, truie, Villejuif, etc. Sans doute, [wi]
a-t-il été adopté pour tel ou tel mot par les grammairiens. R. Estienne
écrit par exemple : « huilres où mieux ouystres ». Mais la langue savante
s’est opposée à ce phonétisme.

2 ° S e c o n d g r o u p e (avec segmentation du premier élément). —


A la différence des diphtongues étudiées jusqu’ici, les diphtongues
palatales romanes qi. et çi1 (cette dernière plus ancienne que celle
dont on a parlé plus haut, p. 285) présentent un phénomène de
segmentation, dont le résultat a été la création de triphtongues.

qi latin et roman. — Cette diphtongue est primaire dans les mots


latms pei jyus, pei fyor (écrits pëjus, pëjor), et dans le lat. vulg.
*seijyor (abréviation de senior).

Mais elle peut être secondaire et provenir dans ce cas :

1° De la coalescence d’un q < lat. ae avec un i issu de la ferme­


ture d’un f final en hiatus, dans *illaeï (forme vulgaire du féminin
correspondant au masc. illüï) > *illqi.
DIPHTONGUES 289

2° De la coalescence d’un q relâché ( < la t . ë) avec un i issu de la


résolution d’une consonne ou d’un groupe consonantique en con­
tact (cf. vol. III : Consonnes) :

lat. -ëgel- > -qi/y- dans lëgit > *lçllyit.


lat. -ëdy- > -qi jy- dans mëdiu > *mçj /yu.
lat. -ëgr- > -eir- dans intëgru > intej,ru.
lat. -ëk'l- > -qil- dans vëclu (cl. vëtülum) > *oqjlu.
lat. -ëks- > -qis- dans ëxit > *qisil, tëxit > *tçisit, sëx > *sqis
despëxit > *despqisit.
lat. -ëkt- > -qil- dans pëctus > *pqitus, lëctu > *lqitu, despëdu
> *despqilu, pëdïn e > *pqiline, *jedat > *jqilat.

3° De la coalescence d’un q ( < lat. ë) avec un y entré en contact


avec lui par suite d’une transposition (cf. vol. III : Consonnes) :
lat. -ëly- > -qily- dans mëlius > *mqilyus, mëlior > mqilyor.
lat. -ëry- > -qiry- dans *misiëriu (cl. ministerium, p. 476) >
*mistqiryu.
lat. -ëny- > -qiny- dans vënio > *vqinyo, vëniat > *vqjnyat,
tëneo > *tqinyo, îëneat > *lqinyat, ingëniu >*ingqihyu.
lat. tardif -qssy- ( < -ësty-, -ëscy-) > -eissy- dans bëstia > *bes-
sya > *bqissya, n ësdu > *nqssyu > nqissyu.

4° De l’évolution des finales -ariu, -aria, passées tout d’abord


à -airyu, -airya, puis -qiryu, -eirya, la première par voie phonétique,
la seconde par analogie (pp. 413 sq.).

R e m a r q u e . — SI l’on s’en rapporte à une langue comme l’italien qui


pratique la diphtongaison spontanée de i latin accentué en syllabe ouverte,
mais qui ne connaît pas la diphtongaison de è sous l’action d’un i suivant, il
apparaît clairement qu’à l’époque où pëde est devenu *pçide (p. 219),
l’è latin était déjà en contact avec un j, non seulement dans le cas de *pej.j
pus ou de *illaeï, mais encore dans celui de mëlius, vënio, mëdiu, lëgit,
intëgru, etc. et que la syllabe accentuée de ces mots était fermée en italien
au moment de la diphtongaison spontanée de ë ; cf. piede, mais peggio,
lei, meglio, vegno, legge, entero, etc. Il en a été probablement de même
pour le français, comme pour les autres langues romanes.

La diphtongue ei a abouti pendant la période gallo-romane à la


triphtongue iqi. Le processus a été sans doute le suivant ; au contact
de i, la partie finale de ç a tendu naturellement à se fermer ; la
langue s’est opposée à cette assimilation, et par différenciation
elle a ouvert davantage le segment final. On a eu ainsi q > qz. A ce
moment, la première partie de la voyelle étant plus fermée que la
seconde s’est fermée davantage et la triphtongue primitive qzi est
devenue iqi.
290 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

D’où les résultats :


pcy/ijus > *pky jyos, pei/yor > *piçy/yor, *seijyor > *siçylyor ;
*(il)lei > *lià ;
*lei)yit > *liçy jyet ;
*mei jyu > *migy jyo ;
*intçiru > *entigiro ;
*vçi!u ; viçilo
*çisit > içiset, *tçisit > *tiçiset, *sçis > *siçis ;
*pçitus > *pieitos, *lçitu > *despçitu. > *despiçito, *p a ­
tine > *piçitene. *dzçitat > *dziçiiat ;
*meilyus > *miçilyos, *mçilyor > *miçilyor ;
*vçinyo > *uiçinyo, *vçinyat > *uieinyat, *tçinyo > *tiçinyal,
*ingçinyu > engiçinyo ;
*mistçiryu > *mesiiçiryo ;
*bçissya > *biçissya, *nçissyu > *niçissyo ;
*primçiryu > *premiçiryo.
R emarque I. —La triphtongaison de fi en ifi a eu lieu aussi en proven­
çal et en catalan ; cf. v. pr. pieitz < pèdus, v. cat. piz (avec iei > i), auj.
pit. Mais elle est absente en italien et en castillan. Dans cette dernière
langue qui pratique la diphtongaison spontanée de ë même en syllabe fer­
mée, le j a empêché par assimilation l’ouverture du segment final de f ; d’où
v. cast, pechos, auj. pecho, et non *piechos, *piecho. En italien, l’action
assimilatrice de t a été contrebattue par une différenciation plus forte qu’en
français et la voyelle s’est ouverte tout entière ; cf. l’e ouvert de peggio,
lei, meglio, vegno, legge.
R em arque II. — Pour l’évolution ultérieure de la triphtongue Içi,
cf. pp. 324 sq.
çi1 latin et roman ancien. — Cette diphtongue est primaire dans
trçflya = lat. vuig. tröja.
Mais elle peut être secondaire et provenir dans ce cas :
1° De la coalescence d’un g < lat. d avec un i issu de la résolution
d’une consonne ou d’un groupe consonantique en contact (cf.
vol. III : Consonnes) :
lat. -ögl- > -gy Iy- dans eelt. *brögïlu > *brgy jyïlu.
lat. -ovy- > -gy /y- dans *plövia (1. cl. pluvia) > *plgyya.
lat. -ody- > -gy/y- dans hödie > *çylye, mödiu > *mgy jyu,
pödiu > *pgy/yu, *adpödiat > *appgy jyat, *inôdiu > ingy lyu,
inodiat > ingy jyat, trimôdia > *trimgy /ya.
lat. -o/c’Z- > -gilr dans oc(u)lu > * qUu>*troc(u)lu (pour torcüla)
> *lrgilii.
lat. -oks- > -gis- dans coxa > *kçisa, proxlmu > *prgisïmu.
lat. -okt- > -çit- dans coda > *kçitu, node > *ngite, odo >
*çito.
lat. -ölg1- > -gif. dans côll(i)git > *kgilit.
DIPHTONGUES 291
2° De la coalescence de ç ( < lat. o) avec un y entré en contact
avec lui par suite d’une transposition (cf. Vol. III : Consonnes) :
lat. -oly- > -gily- dans doliu > *dgilyu, föliu > *fçilyu, soliu
> *sgilyu, döleo > *dgilyo, *uöleo (cl. volo) > *vçilyo, döleat >
*dgilyat, söleal > *sgilyat, *vôleal (cl. velit) > *vgilyaî, *dispolial >
*dispgilyat, *molliat > *mgüyat.
lat. -ory- > -piry- dans cörius > cpiryu, *môrio (cl. mörior) >
*mpiryo, *moriat (cl. morialur) > *m"çiryat.
lat. -osiry- > -çistry- dans östrea > *çistrya.
lat. -össy- > -çissy- dans *pössio (cl. pössum) > *pçissyo, *pôs-
siat (cl. pössit) > *pçissyat.
lat. tardif *-össy- (< -östy-) > -çissy- dans *postius (p. 286)
> *p çissy us.

3° De la coalescence de ç (< 5 germanique, p. 219) avec un y issu


d’une transposition dans *urgôliu (frc. urgôli) > *urgçilyu.
R . —
e m a r q u e Ici encore l’italien montre qu’à l’époque de la diphton­
gaison de mola en moola (p. 221), l’o latin était déjà en contact avec un
; dans *v<oleat, döleat, söleat, föliu, spoliât, modiu, hödie, *brögilu, coll(i)git,
etc.; cf. sans diphtongue voglia, doglia, soglia, foglio, spoglia,'moggio,
oggi, broglio, coglie, etc., parallèles à peggio, lei, meglio, vegno, legge (p.
289).

La diphtongue çi1 a abouti à ûçi, en même temps que çi passait


lui-même à éçi (p. 288). Le processus a été le même : au contact de ƒ,
la partie finale de p a tendu à se fermer : mais la langue s’est oppo­
sée à la fermeture et par différenciation, le segment final de ç s’est
ouvert en o. On a eu ainsi ç > ço. A ce moment, la première
partie de la voyelle étant plus fermée que la seconde s’est fermée
davantage et la triphtongue primitive $oi est devenue ûçi.

D’où les résultats :


*trçy}ya > *Lrüçy jya ;
*brçy lyïlo > *brüçilo ;
*çi jye > *üçy fye, *mçi fyu > *müçy jyo, *pçy fyu > *pügy fyo,
*appçy f-at > *appùçy /yat, *inçy fyu > *enüçy fyo, *inçy fyat >
*enüçy jyat, *lrimçy lya > *tremùçy jya ;
*çilu > *ûçilo, *lrçilu > *trügilo ;
*kçisa > *kâgisa, *prçisïmu > *prüçismo ;
*kçilu > kûçito, *nçiie > *nügite, *çito > *ûçilo ;
*kçilit > *kügilet ;
*dçilyu > *dùgilo, *(gilyu > *fùçilo, *sçüyu > *sùçilo, *dgi-
lyo > *dùgilo, *vçilyo > *vûgilo, *dçilyat > *dùçilat, *sçilyat
VV

*sùçilat, *vgilyat > *vüçilat, *dispçilyat > *despùçilat, *mgilyat


*müeilat ;
292 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISIN S (ACTIONS A U CONTACT)

*kçinju > *kügiro, * *mgiryo > pmüeiro, *mqiryat > *müeirat ;


*gistrya > *üoistra ;
*pçissyo > *pûpisso, *pqissyat > *püpissat ;
*pgissyus > *püeissos ;
*urggüyu > *orgupilo.
R I. — Parallèlement à pëctus > v. prov. pieitz, cat. p ii (vx.
e m a r q u e

pits), p. 290, on a v. pr. nuoit — nueit < nôcte, v. cat. nuijt (avec üoj > uj),
auj. nil. L’ç de l’ital. voglia, doglia, etc. s’explique comme Yg de peggio, lei
et l’o du cast, noche comme l’e de pecho (p. 290).
R II. — Pour le développement de la triphtongue tfpj, cf.
e m a r q u e

ci-dessous, pp. 327 sq.


Pour une autre origine de la triphtongue ûçj, cf. ci-dessous p. 327.

B. — Diphtongues à second élém ent vélaire

Parmi ces diphtongues, l’une au, existait déjà en latin et en ger­


manique ; une autre, çu, en germanique seulement. Le gallo-roman
et le vfr. en ont multiplié les exemples. De plus, ils en ont créé de
nouvelles.
Au point de vue de leur évolution, on distinguera deux grands
groupes, comme pour les diphtongues à second élément palatal.
Dans le premier, le premier élément ne se segmente pas. C’est le
contraire qui se produit dans le second ; d’où la création de triph-
tongues.
Il faut cependant remarquer qu’à la différence de ce qui a lieu
pour les diphtongues à second élément palatal, les diphtongues
vélaires du premier groupe aboutissent toujours, plus ou moins tôt,
en français central à une simple voyelle.

1° P remier groupe (sans segmentation du premier élément). —


Il faut distinguer deux catégories suivant que le second élément
est un ? ou un u diphtongal.

a) Le second élément est un o diphtongal. — Cette catégorie ne


comprend que la diphtongue romane (fo.

go roman. — Cette diphtongue provient de la segmentation de


ç roman (p. 219), de q roman dans la monosyllabe cor (p. 235) et de q
roman dans *nôplias, *torcet (p. 237), *appröpiat, *pröpiu, *reprô-
piat (p. 238).
DIPHTONGUES 293
Par suite de la tendance qu’éprouve une voyelle à se fermer au
contact d’une autre voyelle plus ouverte (phénomène de différen­
ciation), a passé à 00 puis à üç et tip. A ce stade, le second élément
menacé de s’assimiler à ti et de perdre ainsi son individualité, s’est
différencié en e ; d’où üe, qui au moment de la palatalisation
de [u] est devenu üe, puis üœ (par labialisation de e diphtongal
au contact de ü accentué), woe (après déplacement d’accent sur
la voyelle la plus ouverte) et finalement œ.
On trouve uo dans la Sie-Eulalie (seconde moitié du ixe siècle)
cf. buona < böna, ruovet < rogat —, et dans le St-Léger (xe s.) ; cf
mode < rota. Cette graphie, d’ailleurs assez rare, se maintie
jusqu’au xn e siècle ; cf. quor < cor dans le St-Alexis (ms
< dolus dans le Brut de Munich, etc. Mais dès le xie,
apparaître ue qui sera la graphie courante des siècles sui\j
premiers exemples dans le Domesday Book (a. 1084) :
< mölas, Rainbued < frc. Raginbödo. Ce n’est qu’e
signale eu dans un document du départ, du Nord ; cf. Idem
< Scaldöbrïga (auj. Escaudœuvres). Quelle que soit la^alôpr
faille lui attribuer, il est certain que l’étape [œ] était
au xiie siècle, comme le montrent les rimes bues (<
( < ïllos), Bayeues (< Bafocasses) : lieues (< celt, leucas
mière dans le Roman de Troie, la seconde dans le Roman
Au xm e, ce devait être la prononciation générale de l’Ile-de-France.
Dans la suite, cet [œ] a pu se conserver fermé ou au contraire
s’ouvrir en [œ] dans des conditions ont été examinées plus haut
(p. 252). De fait on a aujourd’hui [œ] bref dans bœufs, meut, peut,
etc., [œ] long dans creuse, meute, etc., [<$\ bref dans bœuf, peuple,
aïeul, etc., [œ\ long dans peuvent, fleur, etc.
R em arq ue I. — L’étape üo semble être confirmée phonétiquement par
l’évolution du lat. rôta, qui a abouti à roue (vfr. roe). On a eu tout d’abord
*rûo$ç. Mais le -S- se trouvant ici entre deux éléments vocaliques inaccen­
tués se serait amuï de bonne heure ; d’où *rûo§ et, par déplacement d’ac­
cent amené par la séquence de §final, *ruçe, *rivçç, à une époque antérieure
à la palatalisation de [u]. A son tour, *rwo§ se serait réduit à roç, par suite
de l’amuïssement de w postconsonantiquè devant voyelle vélaire. Ainsi le
vfr. roe pouvant s’expliquer phonétiquement, il n'est pas nécessaire de
recourir à une réfection sur vfr. roer (auj. rouer) < rotare ; cela d'autant
moins qu’une telle réfection ne paraît guère vraisemblable, le substantif étant
infiniment plus employé que le verbe.
De même rôtat a pu devenir régulièrement roue (vfr. roe). Mais la conju­
gaison forme un système : rotât coexiste avec rotare. Or dans l’infinitif
*roSer le - S- étant au contact d’une voyelle accentuée a dû se maintenir
plus longtemps que dans *rüo 8e0 < r$tat. Il en est résulté que dans cette
dernière forme le -8- a pu se conserver par analogie jusqu’après le pas­
sage de ûo à üe et la palatalisation de üe en üe. D’où le v. fr. ruée, qui a
disparu devant la forme phonétique roe (auj. roue), étayée par l’infinitif
roer (auj. rouer).
Ce qui est arrivé à *ro$çd < rôtat est probablement arrivé aussi par
analogie à *rùoùg < rôta. D’où en vfr. le substantif ruée et ses continua­
teurs, reue, remue dans des documents du Nord, rueie dans les Dial. Grégoire
(texte wallon) ; cf. enco e aujourd’hui [rœj, [rœi] en lorrain et (rvœ] au p.
57 (Vosges), [ryœi] aux pp. 171, 173 (Meurthe-et-Moselle) d’après'l'ALF.
294 ART1CUL. D E S PH O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

L’explication qui a été donnée pour roe < rôla vaut aussi pour le vfr.
escroe < frc. *skrôda (cf. auj. écrou, dans lettre d ’écrou). Dans le vfr. gloe
«perche fourchue » ( < frc. *globa), c’est non un S, mais un w qui s’est
amuï à l’étape *glùowa.
Jöcat et lôcat sont encore probablement dans le même cas. On a eu
*diiioyf0 > diùoç'i > *diuççO > vfr. foe (auj. joue) et *lûoyçt > *lùoçO
> *liiôfO > vfr. loe (auj. loue). Les rares formes du type jué'e, gieue, lieue
qu'on trouve en vfr. sont analogiques des continuateurs de jöcu et löcu. Ici,
comme dans le cas de rôtal, le radical de la 3e pers. sing, indic. prés, coïn­
cide avec celui de l’infinitif.
D’après ce qui vient d’être dit on s’explique la forme poent ( < *pôtent)
du vfr. Elle est régulière. C’est la forme beaucoup plus fréquente pueent
qui est analogique : dans *pûooent le s’est maintenu sous l’action de
l’infinitif *po$eir < *potêre, d’où püehent > p Üe$ent > pweftent et fina­
lement pueent.
R e m a r q u e II. — L’évolution rôla > vfr* roe montre que la palatalisa­
tion de [u] n’a pas eu lieu au stade üo. *R ûohç n’aurait pu en effet aboutir
à vfr. roe : le à) provenant du déplacement d’accent dans m ou se serait
conservé ou aurait passé à y ; d'où *rûoe dans le premier cas, *rioe dans le
second.
D’autre part, la palatalisation n’a pu avoir lieu après le passage de ûe à
ûê. Le stade ué a été pratiquement sans durée ; il a été immédiatement suivi
de wé, dans lequel w n’est jamais devenu ni, ainsi que le montre le groupe
wç de nombreux dialectes (cf. ci-dessous, Rem. V III) qui cependant con­
naissent la palatalisation de [u] accentué.
R emarque III. — Pour le traitement de la diphtongue provenant de
ö dans jouene (pp. 219, 368), cf. pp. 368, 383.
R emarque IV. —• A l’étape we ( < ûe), le «5 s’est amui au contact du v
précédent dans avuec ( < *apud-hique), qui est ainsi devenu avec. Avuec
étant autrefois aussi bien adverbe (c’est sa fonction, primitive) que prépo­
sition ; sa réduction a pu entraîner celle de l’adverbe illuec < *illôque qui
présentait la même terminaison ; d’où vfr. illec.
Cependant les formes pleines avuec et illuec ont pu continuer à se main­
tenir à côté des formes réduites avec et illec. La première est assez rare en
vfr. ; mais la seconde est assez fréquente. Le passage de «5e à wœ s ’est alors
produit et on a eu des formes avec -œk ; cf. aveuc dans Aucassin, illeoques
avec eo = [œ] dans le Oak Book II (texte anglo-normand du début du x iv e
s.), etc. et aujourd’hui encore [a vœ (k)] du picard, [çvyq:] en lorrain, etc.
R emarque V. — Le lat. förum est représenté par fuer « prix » en vfr.
Son continuateur *feur est devenu régulièrement fur (p. 429) dans la locu­
tion au feur et à mesure, où il était inaccentué. De là le substantif fur, au­
jourd’hui disparu. Le même changement de œ inaccentué en [ü] se constate
dans l’ancien verbe affurer qui provient de *affeurer (cf. actuellement encore
affeurair à Guernesey), analogique de affuere, affeure < *adfôrat.
R emarque VI. — Le français possède les doublets m eu te et m uette
« logis pour les chiens de chasse, pavillon de chasse », tous deux provenant
de *môvlla (de môvêre). Meule est le continuateur phonétique du vfr. m uete.
Muelle s’explique par une fausse interprétation de l’ancienne graphie au
xvie siècle : l’habitude étant perdue depuis longtemps de transcrire par ue
le son œ, muelle qui s ’était conservé dans l’orthographe a été prononcé com­
me le féminin de muet.
Remarque VII. — On avait autrefois cuevre < *côperit (p. 178). prueve
< pribat, suefjre < *sôferit (p. 199), tru eve < *tröpat, uevre < ôperil. Les
formes actuelles couvre, prou ve, so u ffre, trou ve, ouvre, qui datent déjà du
moyen âge, sont analogiques de c o u v rir < *côperire, p ro u v e r < p rö b a re,
souffrir < *sofferire, trouver < * lrô p a re , o u v rir < o perire. Les anciennes
D IP H T O N G U E S 295
formes phonétiques ont pu se conserver jusqu’au xvie ou xvn e siècle. Cf.
«cœuure pour couure, il est receu de l’authorité des bons poetes» (Tabourot,
1587) —, preuve (Oudin, 1633) —, « ie souffre et ie seuffre » (Cauchie, 1575)—,
« il est bien plus doux de prononcer... treuver » (Lartigaut, 1669). Treuoe
se rencontre chez La Fontaine et chez Molière.

R e m a r q u e VIII. — Dans les anciens textes anglo-normands ou éma­


nant de l’Ouest, de l’Orléanais, de la Champagne, etc. on note la graphie oe
au lieu de ue ; cf. Iroeue dans le Brut de Munich, doels : cels chez Marie de
France, noeve : recoeve dans le Roman de la Rose I, auoeques : arcevesques dans
Guillaume de Dôle, etc.
La suite de l’évolution permet d’interpréter cette graphie comme repré­
sentant wç. Quant 5 ce phonétisme, il s’explique sans doute par un déplace­
ment précoce de l’accent dans l’ancienne diphtongue üe. Avant que [u] passe
à [ü], ûe est devenu ué et de là wç. A ce stade, la palatalisation n’a plus été
possible. Ainsi donc la différence entre le résultat œ et le résultat wç tien­
drait au fait que pour wç le déplacement d’accent se serait produit à l’étape
üe et pour œ à l’étape ûe.
Dans les mêmes régions, wç a d’ailleurs éprouvé une forte tendance à se
réduire à ç après une consonne ; cf. déjà au x n e siècle queivre ( < *c6perit) :
beiure ( < blbëre) dans le Voyage de St-Brandan. et un peu plus tard jeune (s)
pour juefne(s) < jùvene(s) chez G. Guiart (Branche des royaux lignages.
première moitié du x ive s.), chez Martial d’Auvergne (L’Amant rendu Cor­
delier, x v e s.), chez Ch. d’Orléans, etc. Les toponymes du type Auxerre
(Yonne ; vfr. Auçuerre) < eelt. Autessiödüru, Tonnerre (Yonne) < celt.
Ttirnödüru, Denèvre (Hte-Saône) < eelt. Donöbrïga, Dèvres (Cher) < celt.
Dövêra, Mareil (Sarthe, S.-et-Oise) < celt. Maröiälu, Yerneil (Sarthe)
< celt. Vernôiâlu, etc. s’expliquent précisément à partir d’un ancien wç.
dont le premier élément s’est amuï.
Devant r, wç et ç ont pu passer à wa ou a ; cf. Jouarre (Seine-et-Mame)
et Jouars (Seinc-et-Oise) < Divôdüru, Briare et Briarres (Loiret) < celt.
Brivôdùru, à côté de Brières (Scine-et-Oise), etc. La forme dialectale foerre
pour fuerre — feurre < frc. *fôdr s’est même acclimatée dans la capitale
où elle est devenue fouarre ; cf. la Rue du Fouarre.
Il ne faut pas confondre avec la graphie oe ayant la valeur de [u;ç] celle
que l’on note au début d’un mot dans les anciens dialectes qui prononcent
pourtant [œ], Oe est employé ici à la place de ue = [wcej — [œj pour éviter
une confusion avec ne ou avec ve qui s’écrivait ue au moyen âge : d’où les
graphies comme oef < ôvu, oes < öpus, oevre < ôpera, etc. Un autre moyen
a été l’emploi de h initial devant ue ; cf. hues < *ôvos, huevre < ôpera dans
la Bible de Guiot de Provins.

R e m a r q u e IX. — Tandis qu’en francien l’ancienne diphtongue Ûe


passait à üé, puis à iùe, elle a maintenu son accentuation dans le Nord. En
Wallonie orientale et dans l’Est où la palatalisation de [u] est très tardive et
où on a eu ue jusqu’au x in 0-xive siècle, l’accent, s’est aussi maintenu sur
u. La palatalisation survenant on a eu alors ûe comme dans le Nord. Qu’il
soit ancien ou récent cet ûe s’est réduit à [ü] bref ou long ; cf. en picard et
en lorrain les formes du type [biï] — [bü] < bôve, [nü] — [nü] < növu,
[ü] — [ü] < ovu, etc. Mais le déplacement d’accent a pu aussi avoir lieu
en lorrain, d’où des formes comme [nyœ] > [nyü] > [nF] ( < nôvu). qui
supposent une évolution üe > üœ > ü œ > w ce identique à celle du fran­
cien, mais beaucoup plus tardive.
Dans la Wallonie orientale où la palatalisation de [u] n’existe pas. on a
par exemple [àu] — [i>ü] < bôve, [rai] — [nu] < nôvu, (u] — [ô] < ôvu, etc.
De même en anglo-normand on note la réduction de île à \u], écrit u ou o ;
cf. jufne < juefne, repruce ( < reprue.ce p. 238) dans les Quatre Livres des
Rois, fure « fuerre) chez Bozon ; buf ou bof ( < buef). Huches ou ilokes
« illuec) dans des ms. du Voyage de Sl-Brandan, etc.
296 A R TIC U L. D E S PH ON ÈM ES VOISIN S (ACTIONS A U CONTACT)

b) Le second élément est un u diphtongnl. — Les diphtongues en u


se laissent diviser en deux catégories, suivant que u s’est palatalisé
en ii ou non.

1° P r e m i è r e c a t é g o r i e : d i p h t o n g u e s s a n s p a l a t a l i s a t i o n
de u. — Cette catégorie comprend les diphtongues au1, au2, eu1,
eu2. Pu, ou1, ou2, Qu1, Qu2 et uu.
L’exposant 2 sert à indiquer, dans le cas où la diphtongue peut
avoir des origines multiples, que Vu provient de la vocalisation de Z
antéconsonantique.

au1 latin, germanique ou roman. — Cette diphtongue peut être


primaire, comme dans les mots pré- ou celto-latins alauda, alausa,
*gaula, nauda, *iraucat — dans les mots latins audit, auru, *ausat
(d’après le part. pass, ausus, de audere), caule, causa, claudit, clausu,
laudat, laudo, pauca, pausat, paupere, rauca, etc., — ou dans les mots
franciques *laubja, *pauta, *rauba.

Elle peut être aussi secondaire et avoir dans ce cas diverses


origines :
Type *portant < portavit.
Type *sauma < gr.-lat. sagma.
Tjrpe auca < avica, *nauca < navïca.
Type *canaula < canabüla, *paraula < parabola, *faurgat < fa-
brïcat.
Type *klau < *cla/û < clavu, *Pïclau < Pïctavu, *Andecau
< Andecavu, celt, caliau < *caliavu, etc"
Type *esklau < esclagu (frc. slag), fan < fagu.
Type *aura < ha(c)hôra (p. 166).
R e m a r q u e . — Pour naucu, paucu, raucu, *traucu, Augu, *estaupu (frc.
staup) et les parfaits habuit, habuerunt, sapuit, sapuerunt, tacuit, tacuerunt,
etc. dans lesquels l’évolution phonétique a amené une diphtongue accentuée
au + w explosif, cf. pp. 309 sq.
Pour Catalaunos, *faunt (< *fagunt < *facunl, 1. cl. faciunt), *atint
« *habunt, 1. cl. habent p. 173), *haunta (< frc. haunipa), cf. pp. 354,
359.
Noter *fanlansma — ^âv-ra-xua x Oaüpa de même signification.

La première modification qu’a subie la diphtongue au1 a consisté


dans l’ouverture de son second élément, par assimilation d’aper-
ture avec le premier : au1 est devenu tout d’abord *àç. A cette
étape , se sont adjoints aux exemples ci-dessus les deux mots germa­
niques blâo et *flao (frc. hlao). Dans les uns et dans les autres, la
diphtongue *âç continuant son évolution a passé, par une nouvelle
assimilation, à *âç et a finalement abouti à q. C’est ainsi que dans
le français le plus ancien on a prononcé un q dans aloe, alose, joe, noe,
DIPHTONGUES 297
Iroe, ol, or, ose, chol, chose, clot, clos, loe, lo, poe, pose, povre, roe, loge,
poe, robe, some, fanlosme, oe, noe, chanole, parole, forge, cio, Peito,
Anjo, caillo, jo, eselo, ore, blo, jlo, etc.
R em arque I. — L’étape àç est postérieure à la palatalisation de k
devant a, sinon on aurait cose au lieu de chose < causa.
R em arque IL — La non-diphtongaison de Yç de *nçjs(y)a < nausea
indique que le résultat ç (< au1) est postérieur lui-même à la diphtongaison
conditionnée de g au contact d’un y (pp. 290 sq.).
R em arque III. — Cependant au1 a dû aboutir à ç avant le vic siècle,
puisqu’on signale en 558 une forme fona pour Icauna, et qu’en 514 on trouve
dans les Formulae Andecavenses la graphie inverse ausles pour hosles.

Mais cette uniformité de vocalisme ne s’est pas maintenue. Une


première différenciation a eu lieu : dans certains mots, l’g a conti­
nué à rester ouvert, tandis qu’il se fermait dans d’autres. Dès le
x ie siècle en effet, on a eu g > o dans deux cas : à la finale absolue
et devant un e en hiatus. Il s’est établi de la sorte une opposition
vocalique entre alose, ot, or, ose, chol, chose, dot, clos, pose, povre, loge,
robe, some, fanlosme, chanole, parole, forge, ore, etc. avec g, et lo, cio,
Peito, Anfo, caillo, fo, eselo, blo, flo, etc. ou doe, foe, noe ( < nauda et
*nauca), oe, troe, loe, poe (< pauca et pauta), oe, etc. avec o. Vers la
fin du x ie siècle ou le début du xn e, l’opposition ç : o s’est transfor­
mée en ç : u, cio, Peito, Anfo, etc. et aloe, joe, noe, etc. étant devenus
clou, Poitou, Anjou, etc. et aloue, joue, noue, etc. (p. 208).
Enfin, dans le courant du xm e siècle, une nouvelle différencia­
tion est intervenue dans les mots qui avaient conservé jusque là
l’ancien ç. Devant un [z], ou un [p], cet g qui était primitivement
bref est devenu long dans alose, ose, chose, pose et dans povre. Comme
le système phonique de la langue ne tolérait pas de g long, ce dernier
s’est fermé ; d’où alose, ose, chose, pose et povre. De même la chute de
s final ou antéconsonantique a amené rallongement de g dans
clgs, repgs, fantçsme, qui sont devenus clg(s), repç(s), fantç(s)me,
puis clç(s), repô(s), fantô(s)me. Mais, en face de la double série
ose, chose, etc., povre et clç(s), etc., on a continué de garder g
à la même époque dans gr, chgl, clgre, Igge, rgbe, sgmme, pargle,
fgrge, gre(s) ou gr(s), etc.
R em arque I. — Le fr. queue remonte non au lat. class, cauda qui est
une hypercorrection, mais à coda, forme populaire et étymologiquement
exacte.
R em arque IL — *Portaut aurait dû aboutir en vfr. à *portg > *portg
(cf. cast, porto, ital. porto), lequel serait aujourd’hui représenté par *portoù.
Si on a porta dès le début de la langue, c’est sous l’influence de a < *at (L cl.
habet) et d’après la proportion ai < *ayyo (1. cl. habeo), as < *as (1. cl. habes) :
portai < *porlai (1. cl. porlavi), portas < portasti = a : x.
R em arque III. — Parallèlement à clavu > fr. pr. clg > do, fr. mod.
clou, on a aussi Plctavu > fr. pr. Peitç > Peito, fr. mod. Poitou, et Ande-
cavu > fr. pr. Anfg >. Anjo, fr. mod. Anjou. La différence de terminaison
que l’on constate entre clou, Poitou, Anjou d’une part, et clé < claue, Poi-
29S A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)

iers (vfr. Peifiés) < Ptctavis, Angers (vfr. Angies) < Andecavîs de l’autre,
s'explique par le fait que dans -avü le w intervocalique est tombé de très
bonne heure au contact de l’ü final, d’où constitution d’une diphtongue ay,
alors que cette chute n’a pas eu lieu dans -avis, où le w précédait une voyelle
palatale : dans ce dernier cas, le w latin a passé normalement à »et l’a s’est
changé en e dans clé ou en ie dans vfr. Peitiês, Angiés (a étant ici après une
consonne palatale).
R e m a r q u e IV. — Dialcctalement l’évolution du type *clau (-< clavu)
et *fay (< fagu) a pu être différente. Tandis qu’en francien le t r a i t e m e n t
a été le même pour ay final que pour au intérieur de mot, dans certaines
régions l’y de au final ne s’est pas laissé assimiler par a ; c’est lui au contraire
qui a assimilé ce dernier et l’a fait passer à ç ; d'où la constitution d’une
diphtongue Qu. Ce fait suppose de la part de « final et en particulier de y
final une articulation plus tendue qu'en francien.
Dans la suite, la diphtongue secondaire Qu a pu évoluer soit de nouveau
en au dans les régions où çy provenant de Q + / antéconsonantiquc a passé
lui-même à au (p. 312), soit par différenciation en çy. C’est ainsi qu’au moyen
âge, le picard" oriental et le wallon présentent des formes en au, et le picard
occidental, l’anglomormand et le bourguignon des formes en eu. Au francien
clou, s’opposent ainsi des formes dialectales clau et cleu. La carte 304 (clou)
de l’ALF signale encore aujourd’hui -ay dans la Meuse, la Meurthe-et-
Moselle et, avec palatalisation de y, -uÿ dans la Côte-d’Or, œÿ (< ey) dans
le départ, du Nord et le Pas-de-Calais. "
Mais ordinairement l’ancienne diphtongue s’est monophtonguée. On
trouve actuellement -a (< au) en Wallonie et -â dans la Côte-d’Or —, o
(< au ou çy) en Wallonie, dans les Ardennes, la Meuse, la Meurthe-et-
Mosefle, les Vosges, le Haut et le Bas-Rhin, la Hte-Saône, le Doubs, le Jura,
la Marne, l’Aube, l’Yonne, la Hte-Marne, la Côte-d’Or, la Saône-et-Loire, le
Nord, le Pas-de-Calais, la Manche, les îles anglo-normandes et l’Indre — œ
< ey) dans la Hte-Saône, le Jura, la Côte-d’Or, la Hte-Vienne, l’Aisne,
la Somme, le Nord, l’Oise et les Côtes-du-Nord.
R e m a r q u e V. — *Papavu (1. cl. papaver) a donné régulièrement pavou
en vfr. Mais dès le xm e siècle on note à côté la forme pavot, qui est celle du
fr. mod. Pavot peut s’expliquer par l’adoption de l’ancienne finale -çl < -ôllu
à l’étape pavç. Mais après ce qu'on vient de voir dans la remarque précé­
dente, on peut aussi songer à un emprunt dialectal.

En résumé, vers la fin du* x m e siècle, la diphtongue au, avec


second élém ent ne provenant pas de la résolution de l antéconso-
nantique, avait abouti à trois résultats différents :
ç dans çr, chçl, clgre, Içge, rgbe, sgmme, fantgme, pargle, fgrge,
çre(s) ou g r(s).
5 dans ose, chose, close, pose (et repose), alose, pgore et clô(s),
repô(s).
u dans (je ) lou, nou ( < *naucu), clou, jou, esclou, blou, flou e t
(ilj loue, aloue, noue ( < *nauca et nauda), joue.

A peu de chose près, c’est encore l’état du français actuel, compte


tenu des m ots disparus du lexique, tels que blou remplacé par bleu
(p. 305), fou et doue continués par les dérivés fouet et clouetle, compte
tenu encore de certaines m odifications concernant la quantité
(cî. clos, repos, avec un p bref à cause de la position en finale
DIPHTONGUES 299

absolue ; — clore, loge, or avec un ç long à cause de la séquence


des nouvelles consonnes allongeantes r et £).

Cependant on ne saurait dire que cet état de choses est vrai­


ment phonétique. C’est que depuis la fin du x m e siècle, l’évolution
s’est poursuivie dans la langue populaire (chose, ose, pauvre, clos,
repos, etc. y sont devenus chouse, ouse, pouvre, clous, repous, etc.),
mais n’a pas été acceptée par la langue savante (p. 210).

auz français. — Cette diphtongue a eu un traitement différent


de celui de au1.
Elle provient de la coalescence d’un a accentué et d’un u issu
de la vocalisation de Zantéconsonantique. Cet Zpeut être primaire
comme dans les mots latins alba, alnu, altem, malva, palma, salva,
talpa, etc. — , ou secondaire, et dans ce cas continuer un ancien Z
intervocalique entré en contact avec une consonne suivante par
suite d’une syncope, comme dans calfïjdu, *gall(e)ga ( < gal-
lïca), *tsevall(o)s ( < caballos), etc., ou un ancien l intervoca­
lique devenu antéconsonantique dans les mêmes conditions,
comme dans *traval(o)s ( < *trïpalios), *governal(o)s ( < *güber-
nacülos), etc.
On verra (Vol. III : Conson.) que Z antéconson. primaire ou
Z devenu antéconson. par suite d’une syncope s’est vocalisé par­
tiellement à une époque ancienne, en tout cas antérieure à la
chute des voyelles finales. On a eu déjà à cette époque *a?lba
pour alba. Mais la diphtongue de *a*lba n’a pas subi l’évolution
qui a été indiquée pour alauda, alausa, etc. pp. 296 sq. Son second
élément ne s’est pas ouvert en ç, sans doute à cause de l’Zimplosif
suivant qui l’a maintenu fermé. D ’autre part, a ne s’est pas labia-
lisé en â au contact de u, parce que ce dernier était trop bref
et faiblement articulé. Dans la suite est survenue la vocalisation
totale de Z antéconsonantique : *a“ZZ>a a passé à *auba. De son
côté l’ancien l intervocalique, devenu antéconsonantique et trans­
formé en t, s’est vocalisé lui aussi en u / *travals, ou plus exac­
tement travails, a abouti à *travatts et de là à travauls. Dans l’un
et l’autre cas, la vocalisation complète de t antéconsonantique
peut être considérée comme terminée vers la fin du x ie siècle.
C’est alors que l’évolution qui n’avait pas pu se produire à
l’étape *aulba a eu lieu. Elle a été exactement la même que celle
de la diphtongue au dans auru, causa, laudat, etc. Dans aubç
( < *aulbç < *aulba) ou dans travaids, au s’est développé en
âç, puis ào, pour aboutir à ç.
Mais tandis que Yç de *ç>ro ( < auru), *tsçea ( < causa), Içùat
( < laudat) s’était abrégé pendant l’époque gallo-romane en ç,
l’p de çbç, travçs a conservé sa longueur et s’est fermé en ô. La
différence de traitement s’explique d’ailleurs par la chronologie.
Le Nord de la Gaule n’a pas toléré de o long ouvert. Chaque fois
que l’évolution phonétique en a créé un, elle s’en est défait. Pour
cela, deux moyens sont possibles : ou bien ç perd sa durée et reste
300 A K T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)

ouvert, ou bien il garde sa durée et devient fermé. La langue a


employé l’un et l’autre de ces deux moyens ; mais chacun à un
moment différent. A l’époque gallo-romane, elle a choisi le pre­
mier : g est devenu g et cet g à son tour a pu se fermer (lo§) ou se
conserver ouvert (gr, chgse), en attendant que l’p de chgse rede­
vienne long et soit transformé en 5, comme on l’a vu p. 210. Or
l’p de çbe et de travgs est non seulement postérieur à l’époque
gallo-romane, mais date du moment où l’p de chgse passait à 5,
c’est-à-dire du x m e siècle ; cf. déjà en 1292, dans les Rôles de taille
parisiens, la graphie Iehan l'aulogier pour J. Vho(r)logier. L’exemple
de chgse devenant chôsç montre bien quel moyen la langue avait
alors adopté pour se débarrasser de g / gbe et travgs ont de même
évolué en ôbe et travôs, avec un 5 trop tardif pour se fermer en
[«]■. et qui s’est maintenu jusqu’aujourd’hui dans aube, tandis
qu’il s’est abrégé à la finale dans travaux.
Le schéma ci-dessous indique ce qu’il y a de commun et de diffé­
rent dans l’évolution de la diphtongue au suivant son origine.

Au Au

avec second élément ne prove­ avec second élément provenant


nant pas de la vocalisation de de la vocalisation de Z anté­
l antéconsonantique consonantique
au
àg
âg
Ç
Q (Fr. prim.)

o (xi® siècle) au
(vfr. gr, chgsç) (vfr. lof, lo)
ag

(fr. mod. loue) ag


( x m e siècle) Q
(fr. mod. gr) (vfr. chgsç) (vfr. çbe, travgs)

o
J
DIPHTONGUES 301

(fr. mod. chose) (vfr. ôbç, travös)

5 o
(fr. mod. aube) (fr. mod. travaux)

R e m a r q u e I. — L’o long provenant de au (< a + /) a pu se conserver


dialectalement ouvert jusqu’au xvie siècle aumoins, si l’on s’en rapporte au
témoignage de Palsgrave (1530) : « au in the frenche tongue, écrit-il, shalbe
sounded lyke as we sounde hym in these wordes in our tongue, a dawe, a
mawe, a lawe ».
A la même époque, on note la conservation de l'ancienne diphtongue chez
certains grammairiens. Fabri (1521) fait rimer au bal avec aoust bal, et
Meigret (1542) prononce lui-même ao. Mais il s’agit probablement là de
dialectalismes. Fabri en effet est originaire de Normandie et Maigret de
Lyon. Ils appartiennent à des régions où la prononciation diphtongale s’est
maintenue plus longtemps.

R e m a r q u e II. — Les mots en -ail ( < aliu, -alliu ou -acülu) qui exis­
taient déjà dans la langue au moment de la vocalisation complète de / anté-
consonantique ont eu régulièrement en v. fr. le cas sujet sing, et le cas
régime plur. en -aus ----- aus. C’est le cas, outre le mot travail, de ail < alliu,
mail < malleu, v. fr. espirail < spiracülu, gouvernail < gübernacülu, v. fr.
plumail < *plumacülu (refait sur pluma d’après plnnacülu ; cf. v. prov.
plumalh, cat. plomaïï), soupirail < *süspiracülu (refait sur süspirare d’après
spiracülu ; cf. v. prov. sospiralh, cat. sospirall), tramait — trémail < *tre-
macülu. A cette liste, il faut ajouter les postverbaux d’origine ancienne
comme bail, détail, épouvantail (v. fr. espoenlail), fermait, vantail (v. fr. ven­
tait), etc., refaits d’après baillier < bajulare, détailler < *dlstaleare, épou­
vanter (v. fr. espoenler) < expaventare, fermer < flrmare, venter (de vent),
etc. Après la disparition du cas sujet sing., il n’est plus resté que l’oppo­
sition sing, -ail : plur. -aus (auj. -aux). Cependant le pluriel a éprouvé de
bonne heure une tendance à se modeler sur le singulier et -aus a pu être
remplacé par -ails. C’est ainsi qu’on a en fr. mod. mails, gouvernails, tré-
mails — tramails, détails, épouvantails, fermails, en face de travaux, sou­
piraux, baux, vantaux. Lanoue (1596) donne déjà espouvantails et gouver­
nails, tandis qu’un peu plus tard Malherbe dit encore espouvantaux. Ce
ne sont pas là les seuls exemples de remplacement de -aus par -ails : Lanoue
cite de plus bails, soupirails et travails qui n’ont pas été retenus. Ces plu­
riels analogiques en -ails s’expliquent d’ailleurs soit par un emploi plus
fréquent du singulier (cf. gouvernail, tramail, épouvantail, fermait), soit
par l’action de formes correspondantes en ƒ (cf. mail : maillet, détail : détailler,
bailler étant tombé en désuétude n’a pu conserver bails). Des doublets
peuvent exister. A côté de travaux, on a travails qui se dit en parlant d’une
machine à ferrer les chevaux. De même ail fait au pluriel ails et aulx dans
les grammaires ; mais aucune de ces formes n’est en réalité vivante, l’usage
étant d’employer le partitif singulier (de l’ail) au lieu du pluriel. Quant
aux mots d’emprunt en -ail, ils ne font jamais le pluriel en -aux. Cela
s’explique par le fait qu'ils ont été et qu’ils sont surtout employés au
singulier ; cf. camail xive s. (< prov. capmalh), sérail xve s. (< itàl. ser-
raglio qui vient lui-même du persan sdrâi « palais, maison »), caravansérail
xvm e s. (altération d’après sérail d’un plus ancien caravansêrai < persan
karwân-sürâi « maison de caravane »), trenail (l’angl. treenail) et chandail
(aphérèse de marchand d’ail) xix° s., etc. Si cependant le pluriel de rail
xixe s. (< angl. rail), beaucoup plus employé que le singulier, est rails,
c’est probablement sous l’influence du verbe dérailler.

13
302 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CO N TA T C )

R emarque III. — En face de mal, cheval, vassal, élal, loyal, royal, etc.,
formes qui existaient déjà dans le lexique avant la vocalisation complète de
I antéconsonantique et qui par comé-quent ont un pluriel régulier en -aux
(v. fr. -aus), la langue possède un très grand nombre de substantifs ou
d’adjectifs en -al, savants ou d’emprunt, introduit postérieurement à ce
changement. Sur le modèle de mal : maux, cheval : chevaux, etc., la plupart
font le pluriel en -aux ; cf. impérial, bestial, spécial, pascal, canal, etc.
x iie s., initial, provincial, nuptial, banal, etc. xni° s., filial, radical, local,
légal, journal ( < ital. giornale), cardinal ( < ital. cardinale), etc. x iv e s.,
cordial, primordial, pontifical, ducal, seigneurial, etc. x v e s., proverbial,
jovial, médical, national, bocal ( < ital. boccale), caporal ( < ital. caporale),
madrigal ( < ital. madrigale), fanal ( < ital. fanale), piédestal ( < ital.
piedistallo), etc. x v ie.s., armorial, social, oral, confessionnal ( < ital. confes-
sionale), etc. x v n e s., amical, vocal, décimal, normal, machinal, etc. x v in e s.,
familial, génial, fluvial, global, tropical, etc. x ix e s. Mais pour certains
le pluriel, plus ou moins usité, s’est réglé, lorsqu’il s’emploie, sur le singu­
lier et se fait en -als ; cf. bancal x v m e s. (refait d’après banc), carnaval
x v ie s. ( < ital. carnevale), chacal x v m e s. ( < turc faqâl), fatal x iv e s.,
festival x ix e s. ( < angle festival), final x iv e s., narval x v n e s. ( < danois-
suéd. nahrval), naval x m e-x iv e s., nopal x v ie s. ( < cast, nopal), régal
x v e s. ( < ital. regalo ; en 1314 régale), serval xviii0 s. ( < port, serval).
Pour d’autres c’est la crainte d’une homonymie fâcheuse qui a pu empêcher
un pluriel en -aux ; cf. cals (de cal x iv e s. < callu), pals (de pal x m e s.
< palu, originaire de l’Ouest ou du Midi), chorals (de choral x ix c s., dérivé
de chorus), qui se distinguent ainsi de [A-ps], ancienne prononciation de
coqs, de peau — peaux et de coraux, plur. de corail. C’est sans doute pour
une raison identique que l’ancien pluriel baus (de bal x n e s., postv. de
baler) a été abandonné pour bals, lorsque bellu a fini par aboutir à beau.
II faut noter qu’un certain nombre de mots qui ont aujourd’hui leur pluriel
en -aux l’avaient autrefois en -als. En 1596, Lanoue cite bocals, canals,
madrigals et vassals et le Dictionnaire général (1897) donne encore doc­
torats, patronats, théâlrals, transversals, virginals. Idéal qui fait seulement
idéals d’après le même dictionnaire a naturellement un double pluriel :
idéals et idéaux. Enfin quelques pluriels en -aux n’ont plus aujourd’hui
de singulier ; cf. universaux (v. fr. universal), matériaux (v. fr. material),
{psaumes) pénitentiaux (v. fr. pénitential). Inversement, astral n’a pas
encore de pluriel.
Les réfections en -ail {bercail, bétail, corail, émail, poitrail, portail, vitrail)
ou en -au {matériau dans le langage technique) ont été déterminées par
des pluriels en -aux, cf. vol. III : Conson.
R e m a r q u e IV. — Spatula, devenu *espadola, s’est syncopé en *espadle.
A cette étape, une interversion a pu se produire, d’où *espalde qui a donné
naissance au v. norm, espaude, parallèle au cast, espalda. Mais le groupe
-dl- a passé aussi à II, d’où une vocalisation du premier élément de la
géminée le fr. épaule. Cependant à côté de cette dernière forme, il en existe
une autre qui ne suppose pas anciennement de diphtongue ay. ; cf. wall.
spâle, poit., saint, épâle. La. différence entre ces deux séries de formes
tient sans doute à l’époque à laquelle s’est constitué le groupe II à partir
de dl. Lorsque la syncope a été ancienne dans *espadola, la géminée II
( < -dl-) a été traitée comme II primaire latin ou germanique ou comme II
résultant de l germanique dans le cas de eschale, salle (p. 233) : il s’est
simplifié en / avant l ’époque de la vocalisation de l antéconsonantique.
Quant à Yâ {a postérieur) que l’on note dans les formes wallone, poitevine
et saintongeaise, il est normal devant l. Lorsque au contraire la syncope
a été plus tardive, le groupe -dl- a abouti à II, après la simplification de
la géminée primaire II : ses deux éléments se sont maintenus jusqu’au
moment de la vocalisation de / antéconsonantique, et on a eu alors *espayle,
d’où le fr. épaule.
R e m a r q u e V. — Il est évident que le fr. saule ne peut continuer le
lat. snllce qui a donné en v. fr. sauz et sausse (pp. 465, 467), continués
le premier par -saux dans marsaux « variété de saule » ( < mare sallce),
le second dans saussaie. De même, Gaule ne peut remonter au lat. Gallia,
D IPH TO N G U ES 303

qui aurait donné phonétiquement Jaille ; cf. La Jaille < Gallia (villa),
de Gallius lieu attesté dans la Loire-Inférieure, La Haute-Jaille, La Basse-
Jaille dans la Mayenne. Il est probable que saule et Gaule proviennent
de types franciques *salha et *Walha, avec h représentant une spirante
vélaiVe sourde, devenus *salla et *Gwalla, et de là *saitZa, *Gwaula.
R e m a r q u e VI. — Le v. norm, espaude a son pendant dans les formes
du type saude, signalées dans l’Ouest, cf. actuellement sâod, sdodr, sôdr.
Saude pourrait s’expliquer par une assimilation de h en d au contact de Z
dans *sahla ; d’où *sadla qui se serait ensuite interverti en *salda, comme
*espadla l’a été en *espalda.
R e m a r q u e VII. — Le substantif gaule pourrait s’expliquer par une
romanisation du frc. *wâlu, tout d’abord en *gw la (le mot étant féminin),
puis en *(jwâlla, avec -II- provenant du fait que a bref n’existait plus en
gallo-roman qu’en syllabe fermée ; d’où, par suite de la vocalisation du
premier élément de la géminée -II-, *g(w)ayle.
R e m a r q u e VIII. — Au moment où la géminée secondaire II est devenue
y.1 dans espalle > espaule, il y avait longtemps que II s’était réduit à Z
dans les continuateurs des types franciques *balla, *eskalla (p. 233), *halla
et *salla (p. 233) ; d’où balle, v. fr. cschale, halla et salla. Le toponyme
Haulle, qui se rencontre six fois dans le départ, de l’Eure, pourrait devoir
son vocalisme, identique à celui de épaule, à l’importation tardive de halla
par les Normands. La géminée II aurait eu le même traitement que dans
espalle.
R e m a r q u e IX. — En face de Gaule < frc. *Walha et de saule < salha,
.on a cependant matte, bien que le type francique correspondant ait dû
être *malha. Sans doute s’agit-il ici d’un mot qui a pénétré tardivement
dans le lexique, à un moment où le groupe th s’était réduit à Z. L’introduction
aurait été dans ce cas postérieure à la diphtongaison de a accentué en syl­
labe ouverte.

eu1 roman. — Cette diphtongue a apparu au cours de l’évo­


lution de sëbü, régula et tëgüla.
Par suite de la chute précoce de -b- et de -g- au contact de ü, ces
trois mots sont devenus *sçu, *reula et *teula. Mais comme à ce
moment la grande majorité des diphtongues avec premier élément
e et second élément u avait un g, l’çy de *seu, *reula et *teula s’est
adapté en gu. D’où *sgw, *rg«Za et *tçula qui seront étudiés pp. 317 sq.

eu2 francais. — Cette diphtongue provient de la coalescence


d’un e accentué avec un « issu de la vocalisation de l antéconso-
nantique.
Cet l peut être primaire comme dans les mots franciques *fïltir,
*gïlda, *Ishïldi, etc. — ou secondaire, et dans ce cas continuer un
ancien Z intervocalique entré en contact avec une consonne sui­
vante par suite de la chute des voyelles finales, comme dans *els
< ïllos, *cçls < ecce — ïllos, tsçvels < capïllos, etc., ou un ancien
/ intervocalique devenu antéconsonantique dans les mêmes condi­
tions, comme dans consçl(o)s ( < *consïlios), *parel(o)s ( < *pari-
culos), etc.
Après son passage à œu par assimilation du premier élément
avec le second, çy. a abouti à œ en francien vers la fin du xn° siècle.
304 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

D ’où feutre, v. fr. gcude « corporation », Iseut ou heult, v. fr. eus


(auj. eux), v. fr. cens. (auj. ceux), v. fr. cheveus (auj. cheveux),
v. fr. consens (auj. conseils), v. fr. pareus (auj. pareils), etc.

R e m a r q u e I. — Mais l’évolution ci-dessus n’est pas la seule à avoir


eu lieu. Dialectalement, les résultats ont pu être différents. Sous l’in­
fluence ouvrante de y, l’e a passé à ç en picard et la nouvellejdiphtongue
%u a subi le même traitement que ey provenant de ë latin + y ( < l anté-
cons.). Parallèlement à bçys ( < bëllus, -os) > beays — biaus, on a eu eaus
— iaus, ceaus — ciaus ( < ecce-illos), caviaus, etc. L'ouverture de ey en
ey et le passage de ey à eay — iau se constate encore autre part au moyen
âge ; cf. wallon cheâuz, ceaus, ciâus (d’où ceaz, ceas), lorrain eaulz, ceaulz,
iaulz (d’où ialz, cialz), champenois eaus, ceaus, ciaus, bourguignon, franc-
comtois, bourbonnais eaus, ceaus (d’où eas, ceas), saintongeais, angoumois,
eaus, ceals, ceaus, berrichon ceaus, etc. Après la monophtongaison de au
on a pu avoir des formes eos, ceos comme en ancien lorrain ou en ancien
poitevin.

R e m a r q u e II. — Mais la diphtongue ey a pu s’ouvrir davantage et


passer à ay, par exemple dans certains coins de la Picardie (cf. aus, consaut
< conslliet, etc. dans des chartes, paraus < *parlcülus dans le Miserere
du Reclus de Moilliens), de la Wallonie et de la Lorraine (cf. actuellement
o « eux » dans quelques localités), de la Bourgogne et de la Franche-Comté
(cf. anciennement aus). Mais çu > ay semble avoir été général en Cham­
pagne et dans les dialectes de l’Ouest, de l’Orléanais et du Nivernais. C’est
ainsi que l’on trouve aus, solauz ( < *solicülus) chez Chrestien de Troies
et que basilica est représenté par Basoche(s) dans la Seine-et-Oise, l’Eure-
et-Loir, l’Orne, le Loiret, la Nièvre, l’Aisne, Bazoque(s) dans l’Eure, l’Orne,
le Calvados, Bazoge(s) dans la Manche et la Sarthe.

R e m a r q u e III. — Enfin ey s’est assimilé en ou d’une façon générale


en lorrain ; cf. dans les anciens textes ous, oulz, sous, soülz, etc. La diph­
tongue ou s’est d’ailleurs réduite de bonne heure à [u], comme l’indiquent
les anciennes rimes du type vermous ( < vermlcùlus) : dangerous, et la forme
actuelle [u] « eux » que l’on note dans quelques localités de l’extrême Sud-
Est de la Wallonie, de l’extrême Nord de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle
ou la forme actuelle [su] « ceux » qui apparaît dans les Vosges. Cf. encore
Bazouge(s) < Basilica dans l'Ille-et-Vilaine, la Mayenne et la Sarthe.
R emarque IV. — D’après ce qui a été dit plus haut, le fr. basoche
( < basilica) ne peut être d’origine francienne. On devrait avoir en effet en
francien *baseuche. Basoche a été sans doute emprunté au x v e siècle d’un
dialecte où eu a passé à ay > ç, et en premier lieu d’un dialecte de l’Ouest.
Conseils, pareils sont des pluriels analogiques refaits sur les sing, conseil,
pareil. Inversement cheveu au lieu de chevel ( < capllliï) a été déterminé
par le pluriel cheveux.
Filtre est une forme savante, empruntée du latin médiéval filtrum. La
forme phonétique est feutre en francien. On trouve aussi chez Chrestien de
Troies, Philippe Mousket, Froissart, etc. la forme dialectale fautre, qui est
encore usitée à Clairvaux et à Reims.
Le v. fr. geude a disparu, ainsi que feuge ( < *flllca) qui a cédé la place
à fougère. Pour ce dernier, cf. p. 436. '

§u. — Cette diphtongue qui provient de la coalescence d’un


g issu de a accentué (pour ç et non ê, cf. p. 264) avec un w inter-
vocalique devenu implosif par suite de la chute d’une voyelle
finale, ne se présente que dans un seul cas, celui de *blçy.
DIPHTONGUES 305

Cette forme provient d’un type *blawo, dû à une adaptation


du frc. *blâo sur le féminin blawa. Après son passage à *blçwo,
*blawo est devenu *blçu lors de la chute de o final. Dans la suite,
Yi s’étant labialisé sous l’action de u, on a eu *blcçu, *blœ et fina­
lement blœ, écrit bleu.

R e m a r q u e I. — Le féminin blawa devrait être continué phonéti­


quement par *blève. Bleue a été refait sur le masculin bleu.
R e m a r q u e II. — Là où le masculin originaire s’est conservé, on a eu
régulièrement blao > v. fr. blç, blo, blou, formes parallèles à v. fr. clç,
cio, fr. mod. clou < cla(v)u ; cf. pp. 296 sq. En picard, à klau, klœ ont
dû correspondre aussi blau, bleu et blœ qui rejoint ainsi le francien bleu.
R e m a r q u e III. — Il ne faut pas confondre avec çu, dont Yç est long,
la diphtongue çu des mots du type Dëu qui a un e bref. Cette différence de
longueur n’est pas d'ailleurs ce qu’il y a de plus important à noter. Ce qui
l’est davantage c’est que çu est ancien et çu récent ou plus exactement
postérieur au passage de a accentué à ç. Au moment où çu s’est constitué
dans *blçu, il n’y avait plus dans la langue de diphtongue çu, cette der­
nière ayant déjà abouti à une triphtongue ieu ; cf. pp. 317 sq.

o«1 roman. — Cette diphtongue a une double origine. Elle


peut provenir :

1° De la segmentation de 5 roman en syllabe ouverte (pp. 223 sq)


et de 5 dans la monosyllabe *dôs < *duôs (p. 235).

2° De la réduction de *wôu ( < *uou, p. 334) après une consonne


labiale ou vélaire dans *fwou ( < *fûou < *fuowo < föcu) >
*fou, *kwou ( < *kûou < *küowo < *cöcu, 1. cl. coquu) ffi *kou,
*sarkwou ( < *sarkûou < *sarkûowo < gr.-lat. sarcôphagu) >
*sarkou.

En tenant compte du picard et du wallon occidental où les


résultats sont les mêmes, il semble que l’évolution de ou ait été
la suivante en francien. Le soulèvement de la partie’ post-dorsale
de la langue qui est à l’origine de la diphtongaison de p roman
a dû avoir comme effet de fermer de plus en plus l’o bref qui
restait dans la langue. Sous l’action de cette tendance qui devait
s’affirmer chaque jour davantage et sous l’action en même temps
de I’m diphtongal, l’o de ou a fini par être menacé de passer à
u. Pour lutter "contré cette" menace qui aurait amenéjune diph­
tongue uu, d’où aurait résulté un u, l’o de om s’est peu à peu
différencié en œ ; d’où une nouvelle diphtongue œu qui s’est
ensuite réduite à œ.

R e m a r q u e . — Le passage de à try est postérieur à la chute de ß


et de y dans *eskrçu$a ( < scrçba) et *sçyya ( < soca). Après cette chute
on a eu *escrowa, *sowa avec un w explosif et la diphtongue çy faisant
ici défaut, o n’a pas pu se différencier en œ ; d’où en v. fr. escroc (auj.
écrou « pièce de métal ou de bois percée en spirale, dans laquelle entre une
vis ») et sçe « corde ».
306 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S AU C O N T A C T )

D'autre part, le passage de çy â cey est antérieur à la chute de S dans


*kœy$a (< coda), d’où queue. Si cette chute avait eu lieu à l’étape kçyoa,
on aurait eu *kçwa, qui aurait donné en vfr. *cçe.

Quant à l’œ résultant de la réduction de œu , il s’est conservé tel


quel jusqu’aujourd’hui à la finale absolue ou devant -e muet final ;
cf. deux, feu, nœud, oiseux, preux, (maître-) queux, vœu, queue, etc.
Mais il s’est ouvert en œ devant consonne prononcée ; cf. fleur,
gueule, heure, saveur, seul, etc.
Pour l’histoire de cette répartition, cf. pp. 252 sq.

R e m a r q u e I. — *Sarkoy (gr.-lat. sarcôphagu) est représenté phonéti­


quement par sarqueu en vfr. L’ancienne voyelle accentuée s’est conservée,
avec le timbre ouvert cependant, dans le fr. mod. cercueil, dont le [y] final,
en vfr. [/], sera étudié dans le Vol. III : Conson.

R e m a r q u e II. — Le lat. jügu aurait dû donner *dioy, d’où auj. *jeu.


Le vfr. jo, auj. joug ne. peut s’expliquer que par l’action du verbe jügat, qui
par les intermédiaires *diou^at et *diowat est devenu régulièrement
joe en vfr.

R e m a r q u e III. — Les anciennes formes phonétiques ont pu céder la


place à des réfections analogiques. C’est ainsi que nôdat, *adoôtat, côlat, etc.,
qui ont donné en vfr. neue, aveue, keule, etc., sont représentés dès le moyen
âge par noue, avoue, coule, etc., sous l’influence de nouer < nodare, avouer
< * advotare, couler < celore, etc. ; cf. cependant aveu, postverbal de
aveue. — Quant à môra, il faisait autrefois régulièrement meure. Si on a
aujourd’hui mûre, c’est par analogie avec mûrier, qui est lui-même pour
un plus ancien meurier (au lieu de morier — mourier) refait sur meure
< môra. De même, prude, à côté de preux < *prôdis, est tiré de prud’hom­
me,lequel est un ancien preux d’homme. Pour le [«] de mûrier et de prud’hom­
me, cf. p. 429.

R e m a r q u e IV. — Le résultat ce n’apparaît phonétiquement d’après


H. Suchier que dans une zone qui se laisse délimiter en gros à l’Ouest par
Le Tréport (Seine-Inférieure), Amiens (Somme), Beauvais (Oise), Gisors,
Vernon et Evreux (Eure), Dreux, Chartres (Eure-et-Loir), Orléans et Beau-
gency (Loiret), Bourges (Cher) et à l’Est par Montargis (Loiret), Château-
Landon (Seine-et-Marne),' Nogent-sur-Seine (Aube), Provins et Jouarre
(Seine-et-Marne), Sézanne et Reims (Marne), Mézières et Givet (Ardennes),
Namur et Verviers (Belgique). Les continuateurs du lat. lüpu permettent
de compléter ces indications ; cf. Canteleu (Seine Inf.), Cauteleux (Pas-de-
Calais). Pisseleu (Oise), Pisseleux (Aisne), Saint-Leu (Est de la Seine-et-
Oise, Oise).
R e m a r q u e V. — De part et d’autre de la zone ainsi délimitée, la diph­
tongue ou a abouti généralement à [uj. C’est ce qui ressort des cartes 907
{neveu),'396 {deux), 693 {heureux), 732 {joyeux), 1009 {peureux), 249 {chas­
seur), 542 {faucheur), 692 {heure), 1228 (seule) de VALF. Dans la toponymie,
on note Canleloup dans le Calvados, l’Eure et la Manche. — Chanleloup
clans le Cher, les Deux-Sèvres, l’Eure, l’Ille-et-Vilaine, l’Indre-et-Loire, le
Maine-et-Loire, la Manche, la Nièvre, l’Orne, la Sarthe, la Seine-et-Marne
et la Scine-et-Oise — , Pisseloup dans la Hte-Marnc et la Saône-et-Loire — ,
Saint-Loup dans les Ardennes, l’Aube, le Calvados, la Charente-Inf., lé
Cher, les Deux-Sèvres, l’Eure-et-Loir, la Hte-Marne, la Hte-Saône, le Jura,
le Loiret, la Manche, la Marne, la Mayenne, la Nièvre, la Saône-et-Loire,
la Seine-et-Marne et l'Yonne.
D IP H T O N G U E S 307

R e m a r q u e VI. — Il n’est pas dit que dans tous les cas cet [u] provienne
directement de ou. Ainsi les rimes du type -or ( < -ôre) : jor ( < diürnu.)
qu’on note au moyen âge en picard et en wallon témoignent que dans ces
dialectes oy a pu se réduire à o, d’où [u], devant un r implosif. Les mêmes
rimes se rencontrent en Champagne et dans l’Ouest. Mais en lorrain, en
bourguignon, en franc-comtois et dans les parlers de la bordure méridio­
nale du domaine d’oil, il est certain que la réduction n’a pas eu lieu d’une
façon générale, étant donné le résultat [u] dans les continuateurs de -ôre :
ç se serait conservé tel quel ou se serait diphtongué, comme c’est arrivé
dans les coins où la réduction de oy a eu lieu ; cf. par exemple jyer < floret
dans certains parlers lorrains de’ la Meurthe-et-Moselle.
Par contre une réduction commune à l’ensemble du gallo-roman septen­
trional est celle de oy devant une labiale ; cf. cübat > couve, lüpa > louve,
Lupara > Louvre, r bore > rouvre. Même réduction dans douve, qui pro­
vient de *doga (REW 3, 2714) par les intermédiaires *doyya, *doywa,
*douva, v. fr. dove.
R e m a r q u e VII. — On peut noter phonétiquement d’autres résultats
que ce ou [u]. C’est ainsi que ou a pu se différencier en çu et de là aboutir
à aii ou à ç. On trouve encore actuellement çu dans la région de Metz, ay
dans la Meuse (Dombras, Tannois, etc.), ç en picard.
Il convient aussi de rappeler la forme le < lupu qui se trouve dans
Aucassin où elle rime avec aler, ramé, planté, assez. Peut-être faut-il penser
ici à une différenciation de œu en ey qui aurait pu se produire dans cer­
tains coins du picard, où elle aurait été suivie d’une réduction à e. Le
phénomène serait comparable à celui que l’on constate dans le parler franco-
provençal d’Abondance (Hte-Savoie) où, sauf le cas de la terminaison
- ne représentée par [u], la diphtongue çy a abouti à ç et où précisément
on a lg < lupu.
R emarque VIII. — Là où à droite et à gauche de la zone délimitée plus
haut on a œ, il s’agit d’un phénomène d’importation. Cet œ a pu d'ailleurs
évoluer dans la suite. Il a pu développer un y comme dans aœy « deux »
(Montier-sur-Saulx, Meuse). D’autres fois c’est ûn ÿ que l’on note après lui ;
cf. la carte 396 (deux) de l’ALF. au p. 315 (Sarthe). Le phénomène se cons­
tate d’ailleurs à l’intérieur de la zone ; cf. [dœy] au p. 296 (Pas-de-Calais).
D’autre part, œ a pu se former en [ ü] ; cf. par exemple [fçtçyü] « festoyeurs »
à Bournois (Doubs), [su] «seuls » à Germalles (Saône-et-Loire), [vulü] « vo­
leur » à Amancey (Doubs), etc. Enfin, œ a pu se délabialiser et passer à e ;
cf. par exemple affrê, -êse « affreux, -euse » à Petitmont (-Meurthe-et-Mo­
selle), névé « neveu » à Lorquin (Moselle), etc.
Les emprunts à la zone centrale ont d’ailleurs pu se faire d’une façon
inconséquente. On trouve chez Chrestien de Troies leu à côté de lo < lüpu,
neveu, queuz < *côtis (1. cl. côs), seus < sôlus à côté de -or < -ôre, gole <
güla, sole < sô la —, hureux à côté de oure < hôra h Baume-les-Dames
(Doubs) —, coraigeu à côté de heurouse dans certains coins de la Saône-et-
Loire, etc.
R e m a r q u e IX. — Inversement le français a fait quelques emprunts
aux parlers en fu] ; et. loup pour leu (conservé encore dans la locution à la
queue leu leu), ouïe pour eule < *öla (l. cl. ôlla).
Pour amour, jaloux et époux, en face de ameur < amôre, jaleux < zelôsu
et espeus < spô(n)su, espeuse < spô(n)sa attestés quoique rarement en
vfr., on invoque soit une réfection sur amoureux, jalouser — jalousie et
épouser, soit un emprunt en v. prov. amor, jelos. espos, espose, emprunt qui
aurait été déterminé par l’influence de la lyrique d’oc sur celle d’oïl. Mais
il peut se faire qu’amour, jaloux et époux — épouse proviennent de la
Champagne orientale, centre courtois de première importance, où ces for­
mes étaient normales. Amour lorsqu’il s’est conservé en vfr. a pris le sens de
« ardeur amourcuse des animaux ». Pour l’a de jaloux, cf. p. 454,
308 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

Sont sûrement empruntés aux parlers du Midi prou (dans peu ou prou)
correspondant au fr. preux < prode, pelouse (= pilöse), vfr. louse «jeune
fille » (= tönsa), Toulouse (= Tolôsa), vfr. velous — fr. mod. velours ( =
vlllôsu), ventouse correspondant en vfr. venteuse (chez Commynes).
Quant à proue, il provient du génois prua < prôra, avec chute régulière
de r intervocalique.
R e m a r q u e X. — En picard et en wallon où la triphtongue * ûou avait
maintenu son accent sur le premier élément, on n’a pas eu de diphtongue
oy dans les continuateurs de föcu et sarcôphagu. Ici * ûou s’est réduit à
*ûy, d’où d’abord [u], puis [«] : Fü « feu » survit encore dialectalement çà
et là à côté de la forme française importée.

ou2 français. — Cette diphtongue provient de la coalescence


d’un Q roman ( < ô lat. et u lat. ou germ., en syll. fermée) avec
un u issu de la vocalisation d’un l antéconsonantique.
Cet l peut.être primaire comme dans fr. prim, ascglle < a(u)s-
cültat, bolgre < bülgaru, coltre < cültru, coite < cülcïta, dglz <
dülce, hols < frc. hüls, molt < mültu, olme < ülmu, pois < pülsu,
polt < pülte, volt < vültu, etc. —, ou secondaire, et dans ce cas
continuer un ancien / intervocalique entré en contact avec une
consonne suivante par suite d'une syncope, comme dans poldre
< pül(vë)re, un ancien l antéconsonantique dépalatalisé, comme
dans foldre < *foldre < *fulgëre (1. cl. fülgür), ou encore un ancien
l intervocalique devenu antéconsonantique par suite de la chute
d’une voyelle finale, comme dans genglz < *genglz < *genglos
< genücülos, verrolz < verrüculos, etc.
Lorsque dans la seconde moitié du xie siècle, la vocalisation de
l antéconsonantique est devenue générale, on a eu une diphtongue
ou dans asc gute, cgutre, dguz, moût, poudre, pout, pous, vgut, etc.,
foudre, genguz, verrguz, etc. A cette étape, la fermeture de g est
survenue et la diphtongue gu a passé à um, puis [u]. Ce résultat a
été atteint dès la première moitié du xne siècle, comme permettent
de le supposer les rimes du type eslouz ( < slultus) : touz ( < töttos)
qu’on trouve après 1150. D’où actuellement [u] dans écoute, courte
(-pointe), coutre, doux, poudre, pouls, foudre, genoux, verroux, etc.
R e m a r q u e I. — A l’étape py, la graphie a commencé de suivre la pro­
nonciation : on a écrit ou au lieu de ol. Une fois ou devenu [u], la graphie
s’est conservée. C’est pourquoi les mots du type cçrt, coste, doze, etc. ont pu
s’écrire eux-mêmes avec ou, après la fermeture de p en [u]. Cependant
la graphie ol s’est maintenue jusqu’au delà du xni8 siècle.

R e m a r q u e II. — Le v. fr. oume < ülmu a survécu dialectalement.


Pour la forme moderne orme, cf. vol. III : Consonnes.
R e m a r q u e III. — Le lat. slngültu étant devenu *slnglütlu, sans doute
sous l’influence de glüttu, il n’y a pas eu de diphtongue dans la suite de
l’évolution. Le continuateur phonétique de ce mot se retrouve dans le vfr.
stngloul. Mais, avant la fermeture de p en [u] et sous l’action de la termi­
naison -çl < -öltu, senglçt a pu passer à senglçt, d’où la prononciation mo­
derne (sap/pj, avec un p provenant de ç après la chute de t final. Le phéno­
mène est le même que celui qui s’est produit pour mot ; cf. p. 208.
DIPHTONGUES 309
gy> roman. — Cette diphtongue a une double origine. Elle peut
provenir :

1° De la coalescence d’un g issu de la monophtongaison de au


latin avec un w intervocalique devenu implosif par suite de la
chute d’une voyelle finale, dans paucu > *pçyo > ppwo > *pgu,
*traucu > *trgyo > *trgwo > *trgu, raucu > *rgyo > *rgwo
> *rgu, Augu > *Oyo > *pwo > pu.

2° De la coalescence d’un q issu de la monophtongaison de au


roman avec un w explosif entré en contact avec lui par suite de la
chute d’une consonne intervocalique et devenu ensuite implosif
après la chute d’une voyelle finale ou d’une pénultième atone,
dans habuit > *au$wit > *gßwet > *gwet > gut (cf. aussi sapui
> sgut), iacuit > *tauyivit > *tgywet > *tgwet > tgut (cf. aussi
placuit > plgut), *hâbuerunt > *außwerunt > *gßweront > *gwe-
ront > gurent (cf. aussi *sapuerunt > sgurent), *tàcuerunt > *tauy-
werunt > *tgyweront > *tgweront > tgurent (cf. aussi *plâcuerunt
> plgurent).

3° De la réduction de la triphtongue w$u, issue de ùgu, au con­


tact d’une labiale précédente (p. 335) dans pötuit > *pàgubwet
> *pw$uwei > *pçwel > pgut et dans *p6luerunt > *pügu%we-
*ont > pw$uweront > *pgweront > p gurent.

La diphtongue gu1 présente un double traitement, suivant qu’il


s’agit du premier cas ou des deux autres.
1° Dans *pgu (< paucu), elle a passé tout d’abord à ou par
assimilation d’aperture du premier élément avec le second. A partir
de là, on a eu la même évolution que pour ou primaire (celui de
*figure < flore) et *pou a abouti, par l’étape pœij, à p?, écrit peu.
R e m a r q u e I. — Raucu et traucu auraient dû aboutir eux-mêmes à
*reu et *treu en francien. Mais au lieu de ces formes on trouve ro — rou et
trç — trou (fr. mod. seulement trou), refaits sur (en)roer < inraucare (auj.
s’enrouer), troer < *lraucare (auj. trouer).
R e m a r q u e II. — En dehors du francien, on trouve pour py1 les traite­
ments les plus différents. En Wallonie, dans la Flandre française, le Hainaut
et une partie de l’Artois, gu1 s’est différencié en au (cf trau dans Aucassin,
pau et trau chez Froissart, etc.), d’où aujourd’hui pp en wallon, trç en wal­
lon et dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Mais py a pu
maintenir son p ; cf. actuellement encore en lorrain ppp dans le Pays-Haut
et à Metz. C’est pu qui est sans doute à la base de l’p de pp et trç que l’on
trouve dans les Ardennes, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle, les Vosges et la
Moselle, et de la diphtongue ap que l’on trouve dans pap (Dombas. Meuse).
D’autre part py a pu se différencier en f p et aboutir à œ ; cf. ro* (< raucu)
dans les Vosges, le Nord, la Somme, l’Oise et l’Aisne. On trouve encore fp
à l’état plus ou moins pur dans la Meuse, la Meurthe-et-Moselle, le Nord
et le Pas-de-Calais. Dans ce dernier département, on a même des formes en
oeÿ. C’est le traitement p? > fy > ce qui a donné naissance ù la forme Eu
310 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

^Seine-Inf.) < Augu. Enfin, çtj a pu se fermer en oy, et de là se réduire à p


(cf. pp en Moselle : Fentsch, Dieuze, Lorquin) ou à p (cf. po : lo < laud'o
dans Guiot de Provins). Po est la forme courante en vfr. dans la Champa­
gne et les régions de la Loire. Quant à pp il a passé ensuite à [pu]; cf. pou:
Pou ( = Paulu) chez Rutebeuf (la prononciation [pu] de Pou est attestée
par la rime Pou : lous < laus), et actuellement encore [pu] en Wallonie, en
Meurthe-et-Moselle et en Moselle.
R e m a r q u e III. — Il est probable qu'un peu partout le masculin plu­
riel pauci a été représenté par poi. Pauci est la seule forme de la déclinaison
dont le développement consonantique devait s’opposer à celui de toutes
les autres : ici en effet -A'1 passe phonétiquement à une affriquée dentale,
tandis que dans paucus, paucu, paucos, pauca, paucas, le k se change en w
au contact de l'élément vélaire précédent. Une réfection est dans ce cas
tout à fait normale. D ’après *ppwos < paucus, -os, *ppwo < paucu, *ppwç
< pauca, *pçwçs < paucas. le continuateur de pauci, au lieu d’être *pp/dzi
(cf. aucellu > vfr. oisel. auj. oiseau), a été sans doute *ppwi. Quant à ce
dernier, il a ensuite passé à p çi, comme *pwi ( < habuï) à vfr. p/.
R e m a r q u e IV. — Mais à côté du nominatif masculin pluriel poi, on
trouve aussi des formes en -pi- pour tout le reste de la déclinaison et pour
l ’adverbe paucu. Leur extension n’est d’ailleurs pas la même que celle de
poi = pauci. Malgré l’usage qui en est fait çà et là dans les anciens textes,
elles apparaissent surtout à l’Ouest et au Sud-Ouest ; cf. encore aujour­
d’hui l’adverbe [pwa] dans les Deux-Sèvres et la Vendée. Elles sont évi­
demment d’origine analogique. Cependant la réfection ne peut guère s’ex­
pliquer par l’influence de poi — pauci. On ne comprend pas bien en effet
comment une forme refaite à un moment donné sur les autres formes de la
déclinaison (cf. ci-dessus) aurait pu ensuite les supplanter et se substituer
même au continuateur phonétique de l’adverbe paucu. Plus exactement,
le nominatif masculin pluriel poi n'a été qu’un prétexte au phénomène de
réfection. A l’Ouest et au Sud-Ouest, en effet, poç < pauca et poçs < paucas
sont devenus ppiç et ppiçs par suite de l’intercalation d’un y transitoire
entre ç et $ (p. 209). Dans les mêmes régions, il semble qu’on ait eu d’autre
part, après la réduction de ou k o, une déclinaison masculine : sing, cas sujet
pos, cas régime po, plur. cas régime pos. Le masculin (sauf le cas sujet plur.)
s’opposait ainsi, à cause de l’absence de y, au féminin. Comme il arrive dans
les cas analogues, le radical des deux genres a cherché à s’unifier. D'ordi­
naire, c’est le féminin qui se modèle sur le masculin. Mais ici, on avait déjà
poi au cas sujet masculin pluriel. Ce point de contact entre le masculin et
le féminin a fait que la diphtongue pi de poie, poies a passé au masculin ;
d’où pois, po au singulier et pois au pluriel à la place de *pos, *po et *pos.

R e m a r q u e V. — D ’une façon analogue pourraient s’expliquer les


anciennes formes : bloi(s) «bleu, blond», floi(s) «flou», roi(s) «rauque,
enroué», iroi(s) «trou», qui appartiennent essentiellement, elles aussi,
à l’Ouest et au Sud-Ouest, c’est-à-dire à un domaine où un y s’est intercalé
entre o accentué et e final (p. 209). A l’époque où on avait encore *rpwo,
*trpwo ( < raucu, *lraucu), *rpwos, *lrpwos ( < raucus, -os, *traucus, -os),
l’analogie aurait développé des cas suj. plur. *rpwi, *trpwi qui auraient
abouti à rpi, trpj. Ces derniers à leur tour, sous l’action du fém. rpje(s)
ou des formes verbales s’enrpie, trpie ( < *inraucat, *traucat), auraient
généralisé pi dans le reste de la déclinaison masculine. De même, dans le
cas des germ, bldo, hldo, les formes primitives *blau, *flay. (rég. sing.),
•blays, */lays (suj. sing., rég. plur.) auraient pu déterminer des sujets
masc. p\ur. *blauwi, *flauwi ( = *blawi X *b/ay, etc.) qui seraient devenus
bip}, /Ipj, avec un pi qui se serait généralisé au masculin sous l’action des
fém. bipje (s), flçie(s).
R emarque VI. — il reste enfin à signaler la forme poc qui se rencontre
au moyen âge en Wallonie et dans la région centrale, et qui s’est conservée
dans le wallon actuel. Poc ne peut représenter, comme on l’a voulu, une
forme latine pauc*, réduction de paucu employé proclitiquement devant
D IP H T O N G U E S 311

un mot à initiale vocalique (-k- se serait amuï au contact de l’o précédent)


ou à initiale consonantique (-k- ou son continuateur sonore -g~ se serait
assimilé avec la consonne suivante). Il faut sans doute admettre une forme
latine *pauccu à gémination expressive, comparable à paullum attesté en
latin tardif à côté de paulum. En tout cas, le féminin [ppfc] usité dans le
Loir-et-Cher avec le sens de « jeune fille » suppose un type *paucca, contra­
rié d’ailleurs dans son évolution par *pauccu.

2° Dans le cas des auxiliaires gut, gureat et par analogie dans


celui de sçut, tçut, plgut, pgut, sgureat, tgureat, plgureat, pgureal,
la diphtongue gu semble s’être réduite de très bonne heure à g ;
d’où çt (sçt, tgt, plgt, pgt), great (sgrent, tgrenl, plgrent, pgreal)
en y. fr.
La réduction doit être antérieure à la fermeture de gu en ou et
à plus forte raison au passage de ou à œu., d’où ce. S’il en était autre­
ment, on ne s’expliquerait pas qu’on ait gt et non [œl] en vfr.
Quant à *gut > gt, *gureat > great, la réduction peut être due
à l’emploi proclitique et aussi à l ’influence du parfait du verbe
être : d’après fui : fut, füreat on a eu gi : gt, great. Plus tard, gt
et great ont cédé la place aux formes du fr. mod. eut, eureat sous
l’action combinée du même parfait et des formes faibles eus,
eûmes, eü(s)tes devenues [äs], [times], Utes] : d’après fus, fumes,
fûtes : fut, fureat, on a eu [üs] = eus, [iim;s] = eûmes, [ ütes] =
eûtes : [iif] = eut, [ üreal] = eureat. Les formes en [ü] apparaissent
dès la première moitié du x iv e siècle ; cf. dans la Braache des
royaux ligaages de Guiart : ut : mourut 725, pureat : fureat 351, etc.

R e m a r q u e . — En dehors du francien, on trouve pour çut, çurent, etc.


les mêmes développements signalés p. 309 à propos de peu. En Wallonie,
dans la Flandre française, le Hainaut et une partie de l'Artois, on a au
moyen âge aut, aurenl ; cf. auret < *hàbuerat dans la Ste-Eulalie y. 20,
laut < tacuit, plaurent dans les Dialogues Grégoire, etc. En Picardie, og
( < Qv) s’est différencié en eg, d’où çeg et œ; cf. eut dans Aucassin: eut, peut
< *pavoit dans Li Romans de Carile et Miserere de Rendus de Moiliens, etc.
Partout ailleurs, d’une façon générale, çg ou son continuateur ou ont
conservé plus ou moins longtemps leurs deux éléments, d’où les graphies
courantes du vfr. out, ourent à côté de ot, orenl. Ultérieurement ou s’est
réduit à o, d’où [u]. C’est sans doute un [u] et non un [ii] qu’il faut voir dans
les formes anglo-normandes du x n e siècle ut : mourut (Thomas, Tristan
3067), pleut : receut = plut : reçut (Adgar, Légendes de Marie, XXI, 15) etc.

gu2 fraacais. — Cette diphtongue provient de la coalescence


d’un g roman ( < au lat., ö lat. en syll. fermée) avec un « issu de
la vocalisation de Z antéconsonantique.
Cet Z est toujours secondaire et continue un ancien Z intervoca-
lique entré en contact avec une consonne suivante par suite de la
chute d’une voyelle, comme dans fr. prim, cglche < cöll(ö)cat,
cglp < col(à)pu, mgldre < mol(ë)re, pgtce < poll(ï)ce, sçldre <
sôl(vë)re, sglt < sol(i)du et *sol(vï)tu, tgldre < tÔll(ë)re, tçlte <
312 A R T 1C U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N TA C T)

*tÔîl(ï)ta, oçlte < vol(vï)ta, etc. Pçls < Paül(u)s et le plur. chçls
< caul(e), les plur. cçls < *côll(e)s, fçls < fôll(e)s, mçls <
môll(e)s, etc.
Il faut encore ajouter mçlle < mod(ü)hit, mçlle < *môd(ü)lu,
rçlle < *rot(ü)lat et rçlle < rôt(ü)ln.
Après la vocalisation de l, on a eu une diphtongue gu, qui est
devenue ou par suite de l’action fermante du second élém ent et de
là [u], comme la diphtongue ou8 dant il a été question p. 308. D ’où
actuellem ent couche, coup, moudre, pouce, (ab)soudre, sou, ( ab )-
soute, voûte, les plur. choux, cous, fous, mous, et (il) moule, moule,
(il) roule ; cf. encore en vfr. toudre, toute, Pous, subst. roule.
R e m a r q u e I. — Le nominatif Pous a déterminé en vfr. un cas régime
Pou (au lieu de Pol < Paulu), que Rutebeuf fait rimer avec tous < lat.
laus, mais qui ne s’est pas maintenu. Pous s’est conservé comme nom de
famille.
De même les pluriels chous (auj. choux), cous, fous, mous ont servi de
bonne heure à refaire des singuliers chou, cou, fou, mou, pour vfr. chol <
coule, col < côllu, fol < fölle, mol < mölle. Mais tandis que chol a disparu,
dès le moyen âge, col, fol et mol ont continué à s’employer. Aujourd’hui
mol n’est plus usité même devant un mot à initiale vocalique, comme c’était
autrefois le cas. Le « mol oreiller du doute » de Montaigne n’est qu’un souve­
nir littéraire. Col et fol existent pourtant encore, le premier avec une signi­
fication différente de cou, le second seulement dans des expressions toutes
faites du même type que « mol oreiller » (cf. un fol espoir, un fol amour, un fol
orgueil, fol enchérisseur, fol appel) et dans le proverbe « qui fol envoie, fol
attend » où fol est substantif. La conservation plus ou moins prolongée de
mol et fol s ’explique donc par des conditions de phonétique syntactique.
Il n’en est pas de même pour col qui, vu sa signification (technique dans le
col d'une bouteille, d’une cornue, de l’utérus, etc. — , vestimentaire dans le
col d ’une chemise, un col, un faux-col) représente soit l’ancienne forme conser­
vée par la langue savante, soit un emprunt à l’ital. collo.
R e m a r q u e II. — A côté de roule, le vfr. possédait un autre substantif
reoule < raole. Il s'agit probablement là, avec une dissimilation o — 6
> a — ô, d’un continuateur savant de rôtülu : *rodçlo pour *r(>dolo. Dans
cette dernière forme, le changement d’accentuation peut être dû à la
conjugaison : *rodolare ( < rötülare) a pu déterminer *rodplat d’après le
modèle colare : côlàt (fr. couler). Ni roule ni moule ne se sont conservés. Le
fr. mod. rôle qui les remplace provient d’une contraction vocalique dans
roçle, forme de même origine que la précédente, mais sans dissimilation
et avec un o accentué ouvert analogique des nombreux mots terminés en
-çle. Le vfr. roçle a son pendant exact dans le vpr. et cat. rodÿla < rotùlat.
R e m a r q u e III. — L’évolution a pu être différente dans les divers dia­
lectes. Ainsi en picard (et surtout en picard central et artésien) o + / anté-
cons. a abouti au même résultat qu’en francien : ol a passé à çl, d’où çy,
çy, et finalement [u]- Mais l’p du groupe p + l antécons. semble s’être
ouvert en a postérieur ; d’où une diphtongue ay qui s’est réduite ensuite à
o ; cf. dans les anciens textes caup < cöl(a)pu, caus < pl. *côllos, faus
< pl. fôlles, maure < m ôl(e)re, saure < söl(vi)re, taut < töllit, etc.
Dans le lorrain des Vosges, où on constate aujourd’hui une distinction
entre les continuateurs de auscultât, cällru, mültu, pulvere, ultra,"avec [u]
et ceux de côl(a)pu qui supposent un type commun kg (cf. kôa, kœ, kwg,
etc.), il est possible qu’on ait eu anciennement le même phénomène qu'en
picard. O + l antécons. serait devenu çl, puis pj<, çy., uy, d’où finalement
[u] ; en effet [u]_ne peut pas provenir de o (y ) dans cette région. Quant à
ç + l antécons., il aurait abouti à o par l’intermédiaire de al et ay. Il faudrait
peut-être en dire autant du wallon oriental.
D IP H T O N G U E S 313
En wallon occidental, dans le reste de l'Est (la partie de la Champagne
attenante à la Lorraine y comprise), et dans la partie méridionale du Centre
et de l’Ouest, il semble que ç + l antécons. et q + l antécons. aient abouti
autrefois au même résultat. Cependant ce dernier diffère de celui du fran­
cien. Ici aussi on a eu dans les deux cas ou, ou et o ; mais ce dernier ne s’est
pas fermé en [u].
R e m a r q u e IV. — L’ancien subsantif toute a disparu. A la place on
trouve -tôte dans maltôte, anciennement maletote. Il peut se faire qu’il
s’agisse ici d’un mot emprunté au picard, où l’on avait taute < toll(l)ta ;
en effet la maltôte fut levée en France en 1292 et dans les années suivantes
pour subvenir aux frais de la guerre de Flandre, et les Picards durent être
les premiers intéressés par le nouvel impôt. En tout cas, la forme francienne
maltoute, employée encore par le peuple de Paris au x vn e siècle (elle se
trouve aussi chez Scarron ; cf. maletoutier chez Furetière) ne représente pas
le vfr. toute. Elle provient de tote ( < pic. taute) par la même voie qui a fait
passer chçse à chouse dans la langue vulgaire (pp. 210 sq.).

uu. — Cette diphtongue a une double origine. Elle peut pro­


venir :

1° De la coalescence d’un ü issu par dilation d’un ô latin (p. 398)


avec un u provenant d’un ancien w explosif devenu implosif par
suite de la consonantisation d’un ü suivant en hiatus, dans *müwlwi
< *müwiïï < *môwm (cl. môiiï), *müw jwil < *môwüit, et dans
*conüw jwi < *conüwüï < *conôwüi (cl. cognôuï), *comüwjwit
< *conôwüit.

2° De la coalescence d’un u roman ( < lat. ü) avec un u résultant


de la vocalisation d’un / antéconsonantique. Il convient d’ailleurs
de noter qu’après un [u] ce dernier phénomène est antérieur au
passage de [u] à [ü]. Le cas se présente dans *puutse < *pultse
( < pülïce), *kuus < *kuls ( < cülus, -os), *nuus < *nuls ( <
*nülus, -os, cl. nüllus, -os).

Une fois constituée, la diphtongue uu n’a pas dû tarder à se


réduire à u, à cause de la ressemblance de ses deux éléments.
*Muw jwi, *conuw jwi et *muwlwit, *conuw fwil sont devenus
*muwi, *conuwi et *mawit > *mutuel, *conuwit > *conuwet, puis,
par suite de la chute de w intervocalique au contact de u, *mui,
*conui et *muet, *conuet. Ces deux derniers ont passé à leur tour à
*mut, *conui, au moment de la chute des voyelles finales. Quant à
*puutse, *kuus, *nuus, ils se sont réduits à *pulse, *kus et *nus.
D ’où après la palatalisation de u, les formes du vfr. müi, conüi,
mût, conüt, pütse (écrit pulce), cüs, nils.

R e m a r q u e I. — Le fr. mod. a conservé nuit, connut et, avec simple


changement de graphie, culs et puce.
R e m a r q u e IL — Cependant avant le passage de üj à ici (attesté dès
la seconde moitié du xn® siècle) müi et co(n)nüi se sont réduits à mu,
con(n)u (auj. mus, counnus) par analogie avec /üj passé lui-même à fu
(auj. fus) par suite de son emploi proclitique.
314 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

R emarque III. — Quant à nus, il a été refait en nuis, avec l prononcé,


sur le modèle du sing, nul dont la consonne finale s’était conservée à l’in­
verse de celle de cul.
R em arque IV. — Môucrunt et *conöuerunt (cl. cognôuérunt) sont
devenus *mùwêrunt et *conûwirunt sous l’influence des 3e pers. sing, cor­
respondantes qui avaient fait passer régulièrement <3à a (p. 398), et ont
ainsi abouti par les étapes *muijront et *conuiiront à murent et connurent.

2° D e u x iè m e catégorie : d iph to n g u e avec palatalisation


de u. — Cette catégorie ne comprend que la diphtongue iu.
iti roman ou français. — Cette diphtongue a des origines mul­
tiples. Elle peut provenir :

1° De la coalescence d’un f latin avec un ü final qui était en


contact avec lui, dans pïu (1. cl. pïùm), devenu de bonne heure *piu.

2° De la coalescence d’un ï latin avec un ü final entré en contact


avec lui par suite de la chute d’un w intervocalique dans rïvü > *rïu
(cf. rivus non rius dans YAppendix Probi) > *riu, *bajulïvu >
*baiulïü > bajliu, fugitïvu > *fugitïü > *fuitiu, etc.

3° De la coalescence d’un i roman (issu par dilation de e roman


ou de ie < lat. ë ; cf. p. 397 sq.) avec un u provenant d’un w explo­
sif devenu implosif par suite de la chute d’une voyelle finale dans
les l re et 3e pers. sing., 3e pers. plur. des parfaits dëbui, *crëuui (cl.
crëvï), *crëdui (cl. crëdidi), *frëgui (cl. frêgi), *lëgui (cl. lëgi), *slë-
iui (cl. stëti), *bibui (cl. bïbï), -cïpui (cl. -cïpi) et dans llcuil. Pour
dëbui par exemple l’évolution a été la suivante : l re pers. sing.
*dibui (avec i phonétique) > *diuwi > *diwi > *diu, —• 3e pers.
sing. *dibuil (avec i phonétique) > *diuwet > *diwet > *diut ;
— 3 e pers. plur. *dibuerunt (avec i analogique) > *duiweront
> diweront > diiirent. On a eu de même *crin, *criut, *criurent
(pour *crëwui et *crëdui), — *friu, *friut, *friurenl, — *liu, *liut,
*liurent, — *estiu, *estiut, *esiiurent, — biu, *biut, *biurent, —
*-ûiu, *-lsiut, *-îsiurent, — et *liut. Il faut ajouter les formes
des parfaits jacuï, *caduï (*dziu, etc. ; *isiu, etc.), dont l’a s’est
fermé de bonne heure en g ( > le) après consonne palatale ; cf.
p. 393.

4° De la coalescence d’un i ( < lat. ï) avec un u issu de la vocali­


sation de l antéconsonantique dans les mots du type gentius < gen­
tils < yenlïlis ou du type fiuz < filz < filz < fîlios.

R em arque . — Enfin fy peut résulter de la réduction conditionnée de


la triphtongue içu dans *si{ire, *siy, *siijs, *s/y/. qui sont pour d’anciens
*siç\iw ire ( < *siquêre, cl. sequi), *slçiiw e '(< sèque), *siç{twes ( < *sâqiüs),
*s çitwel ( < *sâquil). Mais pour des raisons de commodité, révolution ulté­
rieure de ces formes ainsi que leur origine seront étudiées pp. 332 sq.
DIPHTONGUES 315
Dans tous les cas, iu a passé à iü au moment de la palatalisation
de [«]. Ce changement est un changement « conditionné ». L’u
diphtongal, qui est resté intact dans les autres diphtongues, s’est
palatalisé ici au contact de l’i précédent, ou d’une manière plus
exacte, la tendance à la palatalisation impuissante à transformer
un u diphtongal en ü, l’articulation de u étant légèrement plus en
arrière que celle de [u], a été renforcée par l’action de i.

Quant à iü, son traitement a été double en francien.


Lorsque iü était suivi d’un s final, son ü diphtongal s’est délabia-
lisé en / sous l’action combinée de cette consonne et de l’i précédent.
On a eu ainsi en vfr. au cas sujet singulier et au cas régime pluriel
pis < *piüs (lat. plus), baillis < *bailliüs, fuitis <*fuitiüs, genlis
< *gentiüs, fiz < fiiiz, etc.
Dans les autres cas, la diphtongue iü a continué à garder ses deux
éléments. Phonétiquement, on a dù avoir à un moment donné : cas
régime singulier et cas sujet pluriel *piü, *bailliü, *riü (lat. rïvu),
*fuiliü, etc. (mais gentil < gentïle, fil < fïliu, etc.), — l re pers.
sing, du parfait *diü. *cri il, *friü, *esliü, *biü, *-tsiij, *diiü, — 3e
pers. sing, du parfait *diiit, *criüt, *friül, *estiiit, *biül, *-tsiüt,
*dziüt, *liüt, — 3e pers. plur. du parfait *diürent, *criiirent,
*friüirent, *estiiirent, *biürent, *-lsiürent, *dziürent.

Cependant l’alternance phonétique -iü---- i(s) a pu être troublée


par l’analogie.
D’une part, iü s’est conservé devant s flexionnel dans *riüs sous
la double influence sans doute de *riii et de *riüssel (< rïvuscellu).
De l’autre, le modèle vis < vifs ( < vivus, -os) : vif a pu s’imposer
et transformer iü final en if. Régulièrement on aurait dû avoir
pour le continuateur de vïvus une déclinaison vis — viü et viü —
vis en francien, vius — viu et viu — vius en picard, normand, etc.
De fait, on a partout vis ( < *vifs) — vif au singulier, et vif — vis
( < *vifs) au pluriel, le w intervocalique de *viwo, -os ( < vïvu, -os)
ayant passé anciennement à v sous la double influence du fém.
vïva, -as et des formes de la conjugaison telles que vïvit, vivat, etc.
Dès l’époque prélittéraire, en francien, baillis (< *bailli iis), fuitis
(< *fuitiijs), ont déterminé des formes bailiff, fuilif au lieu de
*bailliü, *fuitiü, d’après vis : vif ; ci. de plus en v. franc, jolis :jolif,
hastis : haslif, nais : naïf, plaintis : plaintif, remontant tous à des
types en -ïvu, et même aprentis < aprentiz (< *adprendiliciu,
-us, -os) : aprentif. Seuls ont conservé 1’/ final en fr. mod. hâtif,
naïf et plaintif, ainsi que fugitif qui a remplacé l’ancien fuilif.
Baillif, jolif et aprentif ont cédé la place à bailli, joli et apprenti.
Ce ne sont pas d’ailleurs les seules formes en if que l’on puisse citer
pour l’ancien francien. Là où *ri iis a maintenu son ü, parce que
l’analogie de *riü ou de riiissel n’a pas joué, *ris a déterminé aussi
au cas régime singulier et au cas sujet pluriel une forme rif, aujour-
316 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N TAC T)

d’hui disparue. Quant à *ris qui a sûrement existé puisqu’on trouve


au moyen âge ri, après la chute de s final, il est peut-être continué
par la forme déris « ruisseau parfois à sec », signalée dans le Maine.
De même *pis (cf. vfr. pi, parallèle à ri), a donné naissance à pif,
fém. pive (cf. encore l’ancien adverbe pivement).

Là où iii s’est maintenu, il a passé à üi. D’où en français primitif


rüis — rüi (lat. rivu) et les l re pers. sing, du parfait düi (dëbui),
crüj (*crëvui et *crëdui), *früi (*frëgui), lui (*lëgui), esli'ii (*stïtui),
büi (*bîbui), -tsüi (*-cïpui), dzïû (facui). Il peut se faire qu’il y ait
eu une simple interversion de iii en iii, l’ü prenant la place de
l’accent à cause de son articulation plus complexe (linguale et
labiale à la fois) que celle de i.
R e m a r q u e I. — L es*3e p ers. sing, e t p lu r. d u * p a rfa it *düft — ^düfrent,
*crüft — *crüirent, *früit — *früfrent, *lüü — luirent, *esliiit — *es/üj‘-
rent, *büft — *büirent, *-tsüit — *-tsüirent, *dzûft — *dzüirent, *lüft, se
s o n t ré d u ite s dès l’ép o q u e " p ré litté ra ire à dut — durent, crût— crûrent,
früt — *frürent, lût —• lürent, estût — estûrent, bût — bürent, -tsüt —
-tsürent, dzüt — dzûrent, lût s u r le m odèle de füi : fût, fürent.
R e m a r q u e II. — A leur tour, mais seulement dans la seconde moitié
du xie siècle ou le début du x i i ®, les l re pers. sing, des parfaits en -üj se
sont réduites en -il, sous l’influence de fui (du verbe être) devenu fü à cause
de son emploi proclitique. D’où en vfr. du, cru, lu, bu, reçëu, etc., aujour­
d’hui dus, crûs, crus, lus, bus, reçus.
R e m a r q u e III.— En Normandie, dans le Maine, l’Anjou, la Bretagne,
la Touraine, la Picardie, la Wallonie, le Nord-Ouest de la Champagne, etc.,
les anciens textes présentent -iu pour -ivu et -ius pour -ivus, - ïlis, -îles. D’où
des formes bailliu, fuitiu, baillius, fuitius, gentius, vius, etc. C’est sans doute
un signe que la tendance à la palatalisation de [u] a été moins forte qu’en
francien. On sait du reste que cette palatalisation a été relativement tardive
en picard et surtout en wallon.
Parallèlement on note au moyen âge en picard des parfaits du type diu,
diut, diurent.
R e m a r q u e IV. — La forme fuiz ( = filius) qui apparaît fréquemment
dans les Rôles de taille parisiens de la fin du xm® s. et du xiv® s. provient
sans doute du picard fins. L’évolution fins > fuiz est parallèle à celle qui
a eu lieu dans riu (< rîvu) > rui et dans les emprunts au picard : siy
(< sëbu) > v. fr. sui (auj. suif), tiule (< tegüla) > tuile (p. 330).
R e m a r q u e V. — Dans une partie de la Picardie, iy. a pu passer à iey
(p. 330), d’où rieu — rieus, baillieu — baillieus, gentieus, vieus (< vïlis,
vïles), fieus ; cf. actuellement [fyœ] ou [fyü]. Fieux chez La Fontaine, Fables
IV, 16 est en picardisme. Cette forme s’est employée quelque temps vers la
fin du xix® siècle dans le langage populaire. Essieu, refait sur essieus (< axï-
lis, -es) a la même origine.
R e m a r q u e VI. — La diphtongue iu ayant passé à iü (p. 315) en fran­
cien et le phonétisme iu > iey lui étant d’ailleurs étranger, il ne reste, si on
veut faire provenir le fr. pieux du lat. plus, qu’à recourir à un emprunt au
picar-. où plus aboutit régulièrement à pieu, pieus. Pieus aurait alors déve­
loppé un fém. pieuse par analogie avec les adjectifs en -eus (< -ôsu) : -euse
(< -osa). Cependant il n’est guère vraisemblable qu’un mot de ce genre
ait été emprunté au picard. Il est préférable d’admettre que pieux remonte
à une forme du latin ecclésiastique, d’ailleurs attestée, piôsus, refaite sur
plus, comme pigrôsu (< catal. pregos) l’a été sur pigru.
DIPHTONGUES 317
R em a rqu e VII. —Dans les parlers de l’Est, ü | a pu se réduire à il (p. 287).
D’où la forme rü qui a pénétré dans la langue littéraire, où il s’est conservé
jusqu’à la fin du xvie siècle.

2° Seco n d g r o u pe (avec segmentation du premier élément). —


A la différence de celles qui ont été étudiées jusqu’ici, les trois
diphtongues vélaires qu1, qu2 et ëu ont segmenté leur premier élé­
ment, amenant ainsi la création de triphtongues.
qu1 roman. — Cette diphtongue est primaire dans le celt, lëuca
et dans les mots germaniques espqutu (frc. spëut), *estrqupu (frc.
sirëiip).
Mais elle peut être secondaire et provenir dans ce cas :

1° De la coalescence d’un q ( < lat. ë, aé) avec un u issu de la


consonantisation d’un u final en hiatus :
D é/u > *Dqu, *tonolë jü (cl. teloneum) > *lonolqu ; Ma(t)thaelü
*Ma(t)tëlü > Matqu, judaeju > *]'udqlü > judqu.

2° De la coalescence d’un g ( = ë latin ou germanique) avec un


u issu de o en hiatus, d’abord passé à u, puis à u :
ego > *ë jo > qu : »
germ, fëjodu (frc. fëhu + öd « possession en bétail ») > *fejudu
> *fqudü.

3° De la coalescence d’un q (= ë latin) avec un ü entré en contact


avec lui par suite de la chute d’un -b- dans nqbüla > *ne jüla >
> *nqula.
R em arque I. — A ces exem ples il fa u t a jo u te r *sçu, *rçyla e t *tçy,la>
de sêbu, rëgüla e t lëgüla (p. 303).
R em arque II. — M ais le frc. trëywa, p ré se n te n t un groupe -iv jw- isolé
dan s la langue, s ’e st ré d u it à *trëwa ; d ’ou après la d ip h to n g aiso n de ë en
syllabe ou v erte le v fr. trieve a u j. trêve.

Par suite de l’action ouvrante de u sur les voyelles antérieures, la


partie finale de q a passé à s, et on a eu ainsi une triphtongue
A ce moment, le premier e qui était moins ouvert que le second s'est
fermé en e, puis en i, et on a eu iqu.
D’où les résultats :
Iqiica > *liquga, *espqulu > *espiqudo, *estrqupu > *estriqu-
bo : "
*Dqu > Diqij, *tonolqu > *tonoliqii ;
*Ma(l)lliqu > *Mat iqu ou *Madiqu. *dzudqu > dzudieu ;
318 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CO N TA C T)

*çu > *içtj ;


*fçudu > *fiçudo ;
*nçtjla > *nieula ;
*sçu > *siçu, *rçtila > *rieula, *fçula > *iieula.

Pour l’évolution ultérieure de la triphtongue içti, cf. pp. 329 sq.

R emarque I. — D’une façon générale, à côté de Dieu, on trouve en vfr.


un cas sujet Deus, sans triphtongue. On ne saurait raisonnablement admet­
tre que Deus est une forme latine, car on ne voit pas pourquoi le lat. Dçu
ne se serait pas conservé au cas régime. La différence entre Dieu et Deus
semble tenir à des raisons phonétiques. Tandis en effet que dans le latin
D èjù, l’ü était à la finale absolue, dans Dê/üs il était suivi de s. Cette con­
sonne a probablement permis à l’ü de conserver sa valeur syllabique et l’a
empêché de se consonantiser en ti. De la sorte, il n’y a pas eu de diphtongue
çu dans Dèus, mais simplement un e et un ü en hiatus (p. 341).
R emarque II. — Dans le vfr. Maheus < Maihaeus et le vfr. jueus
< judaeus qui s’opposent ordinairement au vfr. à Mahieu < Mathaeu et à
juieu < fudaeu, le cas est en partie analogue à celui de Deus. Ici encore l’s
final a empêché la constitution d’une diphtongue çu. On à eu un ç et un û
en hiatus. D ’autre part, si Yç ne s ’est pas diphtongué dans Maheus et jueus,
c’est sans doute que l’action de u s ’est opposé à l’ouverture du segment final
de ç.
R emarque III. — L’ancien picard présente des possessifs féminins
mieue, iieue, sieue, qui proviennent de masculins non attestés *mieu, *tieu,
*sieu. On trouve aussi miue, tiue, siue, avec réduction de ieu à iu, par exem­
ple dans Aucassin. Mieu, tieu, sieu remontent à des formes *mçu, *lçu,
*sçij, dont la première continue normalement le lat. me/ü, et les deux autres
proviennent de la réfection de tüu, süu sur le modèle de mêu. L’évolution
est ici parallèle à celle qui a eu lieu pour Dê/ü > *Dçu > Dieu. Cependant
le francien fait mien, tien, sien (d’où mienne, tienne, sienne). De ces trois
formes masculines, seule la première est phonétique. Mais elle s’oppose au
picard mieu, bien qu’il n’y paraisse pas à première vue, mien et mieu pré­
sentant l’un et l’autre une diphtongue ie. Tandis en effet que ie résulte
en picard de la segmentation du premier élément de la diphtongue dans
*mçu, il est le produit en francien d’une simple coalescence. En réalité, la
différence qui sépare le picard mieu du francien mien est du même ordre que
celle qui existe en vfr. entre Dieu et Deus, et cette différence résulte du fait
que l’m final du latin meum ne s ’est pas conservé en picard, tandis qu’il s’est
maintenu en francien, comme on peut s’en apercevoir par la voyelle nasale
de mien. En partant de mëum, et non plus de mêu, on est en effet dans le cas
de Dèus dont il a été question plus haut. L’ü final latin étant suivi d’un m
implosif ne s’est pas consonantisé en y. ; il a gardé sa valeur syllabique et a
continué à former hiatus avec IV précédent. Sous l’action encore de l’hiatus,
celui-ci a résisté à la diphtongaison en çs. D ’où, après l’ouverture de ü
final en o, une forme *méon, parallèle à Deus. L’étape meon a été conservée
par les Serments de Strasbourg. C'est ce meon qui a donné naissance au
fr. mien par suite du changement de éo en te (puis ie), analogue à celui
que l’on constate dans icopardu > v. fr. lieparl, germ. Theodorîcu > Thierry,
etc., et de la nasalisation de l’e ainsi obtenu au contact de n final. Pour
lien, sien, cf. p. 342.

çm2 français. — Lorsque vers la fin du x i e siècle, la vocalisation


de l antéconsonantique est devenue générale, on a eu une diphton­
gue çm dans ançus, bqus, chapçus, chaslçus, mariqus, musçus, porcçus,
D IPH TO N G U ES 319

rastçus, seçus, pçus, espçule, hçume, etc. qui proviennent de anels


( < anèllus, -os), bçls ( < bëllus, -os), chapqls ( < *cappcllus, -os),
chaslqls ( < *caslëllus, -os), martels ( < *martëllus, -os), musrls
( < *müsëllus, -os), porcqls ( < porcëllus, -os), raslçls ( < raslëllus,
-os), seqls ( < sitëllus, -os), pqls ( < pëllis, -es), espçlle ( < spëlta),
hçlme ( < germ. *hëlmü), etc.

Dans tous ces mots, la diphtongue ç«2 a segmenté son premier


élément en ça sous l’action ouvrante de I’m suivant, et on a eu ainsi
une triphtongue ça«.
D ’où anqaus, baçus, chapçaus, chastqaus, marlqaus, musqaus, por-
cçaus, rastftaus, se^aus, pqaus, espÇaute, heaume, etc.
Pour 1’évolution ultérieure de cette diphtongue çau, cf. pp. 335 sq.
R emarque I. — La différence de traitement qui existe entre £wl et£tr
laisse supposer que Y§ de la diphtongue çul était moins ouvert que celui
de la diphtongue çu2. L’action ouvrante de u a amené dans le premier cas
la production d’un s, et dans le second celle d’un a.
R emarque II. — Le résultat çau est commun à tous les dialectes d’oil.
excepté au lorrain. Ici, la finale -çls s’étant réduite à -çs avant la vocalisa­
tion de l antéconsonantique, il n’y a pas eu de diphtongue çu. ni par consé­
quent de triphtongue -çau.

ëu français. — Cette diphtongue résulte de la coalescence d’un


ë ( < lat. a accentué en syllabe ouverte) avec un u issu de la vocali­
sation de l antéconsonantique, dans tëus, këus, ostëus, pëtis, etc.
qui proviennent de tels ( < talis, -es), qmjls ( < qualis, -es), ostëls
( < hospitalis, -es), plis ( < palus, -os), etc.
Par suite de l’action ouvrante de u, l’ë s’est segmenté en e'ç, d’où
une triphtongue équ, qui s’est transformée en içu, parallèlement à
ce qui a eu lieu à date beaucoup plus ancienne pour la diphtongue
eu1 (pp. 317 sq.).
On a eu comme résultat : tiqus, kiqus, osüçiis, pieus, etc. qui se
sont opposés aux sing, tel, quel, ostël, pël, etc.
R emarque I. — Pour l’évolution ultérieure de la triphtongue ieu. cf.
p. 334. Il semble que la triphtongue içu n’ait pas existé dans un certain
nombre de mots où l’analogie du cas régime singulier en -ël, d’emploi plus
fréquent, a dû empêcher la segmentation du premier élément de çy. C’est le
cas de Noel ( < Natale), déel ( < digitale), sel ( < sale), et de quelques adjec­
tifs comme corporel, formel, etc., pour lesquels on ne trouve dans les anciens
textes que des formes en -eus. ( < -alis, -aies).

R emarque II. — D’autre part, à cause de l'échange qui a pu avoir


lieu entre -ël ( < -ale) et -ql (< ellu), on a eu -éays (cf. ci-dessus) au lieu
de -Iqus dans frontçayis (pour fronüqys < frontales), linléaijs (pour lintlqus
< limitâtes), noSéaus (pour nodiçys < nücales), auj. fronteaux, linteaux,
noyaux, avec [p] (pp. 335 sq.). On trouve encore en v. fr. dayaulx « anneaux
pour attacher les chevaux» (pour daieus < digitales) et journiaus (pour
fournieus < diurnales).
320 A R T IC L E . U E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S AU CO N TA CT)

R emarque JII.—■ Là où a n’a pas abouti à e devant l, connue dans le


Sud-Ouest, le Sud-Est et l’Est, on a eu pour -aies des correspondants en
-nus. Talcs par exemple est représenté là anciennement par iaus. Cepen­
dant fans peut se rencontrer autre part que dans ces régions ; cf. par ex.
dans le Brut de Munich qui est de la Wallonie. Mais là il s’agit de talcs atone,
dont l’a n’a pas passé à ë.
R emarque IV. — Dans les dialectes où on a eu -ëis ( < alis -aies), l’évo­
lution a pu ne pas être la môme qu’en francien. En lorrain, dans une partie
du Sud-Est, de la Champagne et de la Wallonie, tels s’est réduit h les avant
la vocalisation de l antéconsonantique. Il n’y a pas eu par conséquent de
diphtongue êu. Dans d’autres parties de la Champagne et dans certains
coins de la Picardie où -ëis a passé à -ëus, Vë ne s’est pas segmenté, peut-être
sous l’influence des formes correspondantes en -el ; d’où tcus. Enfin, en Nor­
mandie, dans la plus grande partie de la Picardie, ainsi que dans le Nord-
Ouest, le traitement de -eus ( < alis, -aies) a été le môme qu’en francien:
tëus a abouti à Uçus.

II. — LES TR IPH TO N G U ES

On étudiera successivem ent les groupes yei, yçi, yai, y eu, weu qui
ne sont que de fausses triphtongues, leur premier élém ent étant
une consonne (y, w), et les vraies triphtongues, les unes avec leur
dernier élém ent palatal (içi, dgi, üçi), les autres avec leur dernier
élém ent vélaire (ieu, Un, éaii).

A. - F au sses trip h to n g u e s

yei. — Ce groupe résulte de la coalescence d’une diphtongue ej


issue de ë latin avec un y précédent appartenant aux groupes :
*lsy ( < lat. -ke initial ou après consonne) dans *lsyeira < *tsyera
< cëra, *tsyeiva < *tsyçva < cëpa, *mertsyeidc < *mertsyede <
mercëde ;
*tsy ( < germ. ke) dans *martsyçise < *martsyese < *markë(ri)se ;
*idzy ( < lat. ke intervocalique) dans *Belvaidzyeise < *Belvai-
dzyese < *Bellovace(n)sc, *Cambraidzyçise < *Cambraidzyese
< Camerace(n)se, *dzyaidzyçire < *dzyaidzyere < jacëre, *leid-
zyeire < Heidzyere < lïcëre, *mojdzyeirc < *moidzyçre < *mücëre.
(ci. mücëre ; p. 184), *plaidzyeire < *plaidzyerc < placere,
*Noidzyeido < *Noidzyçdo < Nücëtn ;
*izy ( < lat. -s y-) dans *Pariizyçise < *Pariizye.se < Parisie(n)-
se ;
*yy ( < lat. gre intervocalique) dans *paiyeise < *paiyese < pa-
y ë ( n)se.

>
T R IP H T O N G U K S 321

Par suite de la fermeture de ç m édial sous la double action du y


précédent et de Vi suivant, yçi a passé tout d ’abord à yii , puis à i ;
d’où cire, vive, merci — vfr. marchis (auj. marquis sous l'influence
de l’ital. murchesc), — lieauvaisis, Cambraisis , vfr. gésir, loisir (vfr.
infin. Icisir), moisir, plaisir, Noisy, — Parisis, — pays (vfr. pais).

R emarque I. — Au cours de leur évolution clr(é)re et francisai ont


présenté eux aussi une diphtongue ef, issue de la coalescence de e ( < lat. f)
avec le y des groupes romans *-yr- ( < -K ’r-) et *-ys:w( < rom. -yssyo < lat.
-.seu). Cependant bien que l’t latin ait été précédé ici de A* et qu’on ait
eu par conséquent un développement A® > tsy, comme dans c?ra, cêpu et
mcrcr.dc, les formes du français primitif sont cefre et francefs, avec ei et non
/. C’est qu’avant le passage de i à e, le y du groupe tsy s’est fondu avec lui.
Ainsi, lorsqu’après l’ouverture de Ve qui en est résulté est venu en contact
avec un y suivant pour former la diphtongue ef, cette dernière n’a pu être
précédée d’un y : il n’y a pas eu de groupe yej, ni possibilité d’avoir un i.
Même réduction de tsy dans *lsylnfre ( < clhëre), qui est devenu *tslnëre
( < cintre), qui est devenu *tslnère, puis *lsendrc. Mais ici Ve ( < i) ne pou­
vait d’aucune façon donner naissance à une diphtongue ef, puisqu’il se trou­
vait en syllabe fermée : on n’a pu avoir que cendre.

R emarque II. — Parmi les formes verbales, *recîpit (cl. réclpil) appar­
tient ù la même catégorie que elefèjre et francisai. Ici Ve provenant de l
latin s’est diphtongué en ef ; mais cette diphtongue n’a pas été précédée de
y, le groupe tsy ( < ke latin) s’étant réduit à ts avant l’ouverture de f en e.
D ’où vfr. rcceù (auj. reçoit). On trouve cependant reciuure dans le SL Léger
et recivre en v. bourguignon. Mais le premier est sans doute une graphie
mérovingienne pour reccivrc < reclpère ; cl. le savir des Serments de Stras­
bourg (p. 224). Le second peut correspondre à une véritable prononciation
et avoir été refait d’après sivre «suivre » par suite de la ressemblance qui
existait entre la finale de recevez et celle de sevez « suivez ».

R emarque III. — Le groupe tsy ( < lat. k e initial) semble s ’être réduit
de meilleure heure à ts non seulement devant l accentué, mais encore devant
un e inaccentué. C’est ainsi que *lsyelare ( < cêlare) a dû devenir *tselare,
pendant que tsy se maintenait encore dans *tsyëra ( < cëra). A son tour,
*tselare aurait ensuite déterminé *tsëlat au lieu de *tsy état. D ’où l’expli­
cation du vfr. ceile, dont la diphtongue s’oppose à l’i de cire, cive et merci.
Quant au fr. mod. cèle, c’est probablement une forme savante qui n’a rien
à voir avec le vfr. çoile, continuateur de ceile.

R emarque IV. — En face de marchis. le vfr. a borgeis (auj. bourgeois)


< *burgë(n)se, et non *borgis. On considère ordinairement borgeis comme
une réfection sur borg ( < bürgu) à l’aide du suffixe -eis ( < ênse) qui se
trouve par exemple dans corteis (auj. courtois) < cortë(n)sc (denier, sol) tor-
ncis < *lüronê(n)se, etc. Mais cette dérivation aurait amené *borgueis
et non borgeis ; cf. it al. borghese, v. pr. borgues, cast, bur gués, port, burguez.
11 faut donc de toute nécessité partir d’un type *burgë(n)se. La difficulté
que présente l’eis de borgeis en face de Vis de marchis s’explique d’ailleurs
aisément par la chronologie. Tandis que le germ, marka n’a pénétré en Gaule
qu’avec la conquête franque, bürgu a dû être connu bien avant par les
Latins, puisqu’il se trouve chez Végèce (ive s.) et qu’on a burgarii dans le
Codex Theodosianus. S’il en est ainsi. burgê(n)se est antérieur ù *markt (n )-
se. C’est cette différence qui a déterminé l’opposition entre borgeis et m ar­
chis. Dans le groupe -rd f y- de *bordîyese, le y avait dû tomber antérieure­
ment à la diphtongaison de ê en ef. Mais *markê(n)se ayant été créé beau­
coup plus lard, le groupe rtsy résultant dans ce mot de rke n’avait pas eu
encore le temps de perdre son y : il en est résulté un groupe yei qui a donné
naissance à i ci. Vol. I ll : Consonnes.
r
322 ARTICU L. D ES THONÈM ES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

R emarque V. — D ans los im parfaits *diceal, jaceat, *licçat, *placçat


(pour dicëbat, etc., d ’après *habêat < habpbat) où il y a eu au cours de.
l'évolution un groupe yçj, on atten d rait par conséquent un i, comme dans
jacèrc > v. fr. gésir, licPre > v. fr. loisir (nuj. substantif), placêrc > plaisir.
Mais l'analogie des autres im parfaits en -ébat dans lesquels ë n ’était pas
précédé de À‘c en latin (cf. habpbat, bibFbat, etc.) a fait que le groupe yçi
a m aintenu son ç, d ’où après la chute de y une diphtongue ?ƒ dans le fr.
prim . *diseiet, *giseiet, *leiseiet, *plaiseiet, comparables à *aveiet, *bei>eiet, etc.

yçi. — Ce groupe s’est rencontré au cours de l’évolution de


jèctat (1. cl. jaclal). J éclat a donné régulièrement gile, qui se rencon­
tre assez rarement en vfr. L’z provient ici de la réduction du groupe
yçi dans un type *d:yçitat. Cependant la forme la plus fréquente du
vfr. est jel(l)e, qui est aussi celle du français actuel. D’aucune façon
elle ne peut remonter à *jèctat. Sans doute faut-il supposer que l’infi­
nitif *jectare a passé de bonne heure à *jettare, par assimilation du
groupe kt en tl avant l’accent. A son tour, *jettare aurait
déterminé *jëltat, d’où proviendrait jette.

yai. — Ce groupe résulte de la coalescence d’un y appartenant au


groupe d :y - ( < lat. j initial) ou au groupe tsy ( < lat. A* initial),
d’un a et d'un i appartenant au groupe -idzy- ( < lat. Âe intervoca-
lique) ou faisant partie d’une géminée -yy- ( < lat. -A*- intervoca-
lique) dans jacct > *d:yajd:yet, cacat > C y aiy at.
De même, la finale celto-latine -iacu a abouti, par les étapes
-yapyo, -yaet,o, à -yaiyo dans Clîppiaca > *Clitsyaiyo, Clûniacu
> *Clunyaiyo! Vïctoriacn > *Viltryaiyo, etc.

Par suite de la fermeture de l’a médial sous la double influence du


y précédent et de l’i suivant, yai a passé successivement à yçi, yei,
puis yii, d’où i dans gît (vfr. gist), chie, Ciichy, Cluny, Vitry, etc.
Remarque I. — Le vfr. giste (auj. gîte) est sans doute un postverbal de
gisler, qui bien qu’attesté un siècle plus ta rd ( x m e) a dû exister av an t lui.
Pour l’un et pour l’autre, il faut probablem ent p artir d ’une forme du latin
vulgaire *jacitare (cf. 1. cl. jaciturus). A cause du i de giste, la syncope de la
pémilticme atone dans *jacitat doit avoir eu lieu avant la sonorisation des
sourdes intervocaliques et p ar conséquent av an t que le groupe -tsy- ( < lat.
-A-*-) ait pu passer à -dry- et de là h -idzy-. pour former avec le groupe ya
précédent une fausse triphtongue yaf. Giste ne peut donc provenir que de
*jac(i)lat. Dans ce cas, la forme prim itive aurait été gile < *dîyailat,
et le vfr. giste (avec s, d ’où l’accent circonflexe du fr. mod.) au rait été
ensuite influencé par gist < jacet.

Remarque II. — Les toponym es en -iacu sont représentés suivant


les régions par des formes en -y,’ ou des formes en -ey — e ( < çf ou ye) ;
cf. Albiniacu > Aubigny (Aisne, H te-M arne, Pas-de-Calais, Nord) — Â u -
bigné (Deux-Sèvres, ïllc-et-Yilaine). Anioniacu > Antony (Seine) — An-
toigné (Maine-et-Loire), Blandiacu > Blandy (Seine-et-Marne, Seine-et-
Oise), Blangy (Pas-de-Calais), Bligny (Yonne) — Blancey (Côte-d’Or),
Blanzay (Vendée), Blanzée (Meuse), Campaniacu > Champigny (Aube,
T R IP H T O N G U E S 323
Marne, Yonne, Loir-et-Cher, Htc-Marne) — Champagné (Sarthe, Vendée),
Sabiniacu > Sévigruj (Ardennes) — Savigné (Sarthe, Vendée), Sévigné
(Ille-et-Vilaine), etc.

yeu français. — Ce groupe résulte de la coalescence de ye pro­


venant de l’ancienne diphtongue ie (pp. 265 sq.) avec un u issu
de la vocalisation de Z antéconsonantique ; cf. fr. prim, mieuz,
mieudre, cieus, vieux, continuateurs de mielz < mèlius, mieldre <
milior, ciels < cœlos, vielz < vëclos (1. cl. vitülos).

Par suite de la labialisation de e en cç, ce groupe a abouti à yæu,


puis à yœ (première moitié du x n e s.). D’où la prononciation
actuelle de mieux, deux et vieux.
R emarque I. — A l’E st, par suite de la chute de l antéconsonantique
après e, on n ’a pas eu de groupe yeu. Mielz et vielz y sont représentés au
moyen âge par miez et viez.

R emarque IL — Dans le N ord-Est, l’E st, en Champagne et dans


l’Orléanais, on trouve pourtant au moyen âge miauz (ou meauz), viauz,
dans ; cf. par exemple miauz chez Chrestien de Troies, ciaus chez R ute-
beuf, etc. L’a explique ici par l’ouverture de e soit devant l antéconsonan-
lique de mielz, vielz, ciels, soit devant I’ m diplitongal de mieuz, vieuz, cieus.
R emarque III. — En picard, où l’accent de la diphtongue ie ne s ’est
pas déplacé, on a eu une Iriphtongue ieu et non un groupe yeu. D ’où par
réduction de ieu à tu, des formes mius oil mix, dus.
R emarqué IV. — Le sing, ciel a pu déterminer un pluriel analogique
ciels, qui a survécu dans ciels de lit, ciels de tableau, ciels de carrière et dans
ciel signifiant « climat ».

weil français. — Ce groupe provient de la coalescence d’une


diphtongue we ( < iie < ûç < lat. Ö) avec un u issu de la vocalisa­
tion de Zantéconsonantique dans dwçus, dweut,sweus,sweut, vweus,
vweut — dwçus, kweus, kwçut, orgwçuz, weuz, continuateurs de
dweis ( < doles), dwelt ( < dölet), swels ( < söles), swelt ( < sold),
vwels ( < *völes), vwelt ( < *völd) — dwelz ( < *dölius, -os), kwelz
( < cöllïgis), kwelt ( < colligit), orgwelz ( < germ, ürgölius), welz
( < öcülus, -os).

Deux évolutions ont été possibles.

Après v, k ou g, weu s’est réduit à eu. On a eu ainsi vweus >


veus, vweut > veut, kwetjz > keuz, kiôeut > keut, orgwçuz > orgeuz.
D’où après l’évolution wæu > w v > œ le fr. mod. veux, veut et le
vfr. keus, keut, orgueus.
Après les autres consonnes, wçu a conservé son premier élément ;
mais dans la suite, w s’est délabialisé en y par dissimilation avec u
321 A RTICU L. DES PHONÈM ES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

et on a obtenu un groupe yeu, cpii a abouti à yœ. D ’où en fr. mod.


yeux et en vfr. dieuz — diens (*dolius, -os), dieus (doles), dieul (dôlet),
siens (so les), sieul (so ld ).

R emarque 1. — Sous l’influence de veus (auj. veux), veut, les formes


dieus, dieu/ et siens, sieul ont pu passer en vfr. à deus, deut et seus, sent, par
suite de la ressemblance qui existait entre volons, volez, voloir d’une part et
dotons, dolez, doloir —- solons, solez, soloir de l’autre. On trouve aussi à la
même époque eut pour ieul ou ueul ( < ölet). Deut et seut ont survécu jusque
vers le milieu du xvii®siècle.
R emarque II. — Inversement on note en vfr. des formes comme ineus,
vieut (pour veus, veut), quieut (pour keut) et orguieuz (pour orgucuz). Les
trois premières pourraient s’expliquer par une influence de dieus, dieut —
sieus, sieul. Mais le modèle analogique faisant défaut pour orguieuz, il faut
sans doute admettre que dialectalement le w du groupe tiùçu ne s'est pas
amuï après v, k ou g.
Remarque III. — Toutes les formes expliquées ci-dessus supposent
un groupe üeu remontant à une triphtongue üeu. Mais là où la palatalisa­
tion de u a été plus tardive, on a eu ûeu et non Üeu et par conséquent, pour
le verbe vouloir, vüeus (*vôles) et vùeut (*vôlet). Régulièrement ces derniè­
res formes auraient dû aboutir à *vus et *vut, parallèlement à *fùou > fu
(p. 335). Mais l’évolution a été troublée par l’action analogique de vueil
( < *voleo), et au lieu que ce soit le second élément de ügy qui ait disparu,
ç’a été le dernier. D’où vues, vûet qui sont ensuite devenus vwçs, vwçt, écrits
vues, vuet — voes, voet ou même en anglo-normand vois, voit.
R emarque IV. -— Dans la triphtongue üeu qui a précédé le groupe üeu,
la segmentation de e au contact de u n’a pas eu lieu, pour la raison qu’il
était fermé. Les formes de l’ancien champenois diaut, viaut, iaulz, quiaut, etc.
s’expliquent de la même façon que miauz, viauz ( < vêclos), etc. (p. 323). On
trouve aussi dans le même dialecte des graphies du type viot.
R emarque V. — Pieuvre ( < *pûeuvre < pôlgpu) est une forme d’ori­
gine normande, introduite dans le lexique par V. Hugo (cf. Les Misérables).

B. — T r ip h to n g u e s à dern ier élém ent palatal

tçi. — Cette triphtongue provient comme on l’a vu (pp. 288 sq.)


de la segmentation de ç dans la diphtongue çi.

Elle peut résulter encore de la coalescence d’une diphtongue ie


avec un y issu :

1° De l’évolution du groupe latin -gr- ou de -k»- et -g*- latins


en contact avec elle :
germ. *brëkat (frc. *brëkan) > *briçgat > *briçyyat, prëcat
> *priçgat > *priçyyat, nëcat et nëgal > *niçgat > *niçyyat,
sëcat > *siçgat > *sieyyat.
TRIPH TO N G U ES 325

2° De la transposition d’un y appartenant à la syllabe suivante :


dëce > *diçtsye > *diçdzye > *diçidzye ;
prëtiu > *priqlsyo > *priçdzyo > prieidzyo, prëlial > *priei-
dzyat ;
*eclësia (cl. ecclësia) > *egliçsya > *egliçzya > *eglieizyu,
*cerësia (1. cl. cerasea) > *lsyeriçsya > *lseriezya > tseriezya.

Le traitement de la triphtongue içi, quelle que soit son origine,


dépend de la consonne qui suit.

a) Lorsque cette consonne était un l ou un n, l’i de ici s’est fondu


avec elle, et la triphtongue s’est ainsi réduite à ie. Ainsi *miqi!yos,
miçilyor, *virilo, *uiçinyo, *viçir,yat, *tiçinyo, *liçinyat, *endzieinyo ont
passé de bonne heure à *miqï(y)os, miel(y)or, *viçlo, *vien(y)o,
*viçiï(y)at, *tiçn(y)o, *tiçn(y)at, *endzieji(y)o.
A ce stade, une nouvelle distinction s'est introduite. Dans les
continuateurs de *mielos, *mielor et *vlçlos, la diphtongue ie
s’est d’abord maintenue, puis a passé à yç ; d’où miçlts > vfr.
miçlz, mieldre > vfr. mieldre, viçlts > vfr. viçlts, qui sont devenus
ensuite miçuz, miçudre, viçuz (avec Zcons- > w), auj. mieux, vieux. Mais
lorsque la consonne palatale était un n, le sort de la diphtongue iq
a été différent selon que n est devenu final ou antéconsonantique
après la chute des voyelles finales, ou qu’il s’est conservé inter-
vocalique. Tandis que dans le second cas le n n’a pas éprouvé de
changement, dans le premier il s’est réfracté en i -j- n, amenant
ainsi, par combinaison de i avec la diphtongue précédente ie, une
nouvelle triphtongue içi qui s’est monophtonguée en i. D e la
sorte, on a eu en vfr. tiegne < *lienat, viegne < *vieiiat ; mais
*tiqno, *viçno et *endziqno sont devenus *tiqn, *vien, *cndziqn, puis
*tiqin, *viqir, *endziçin, d’où vfr. tin(g), vin(g), engin.

R emarque I. — L’absorption de ƒ au contact de l ou n suivants doit


être contemporaine de celle qui a eu lieu dans *pa{la < palea et *montaina
< montanea (p. 257) et doit être par conséquent rapportée après le passage
de a accentué en syllabe ouverte à àç ( > ê).

R emarque II. — Les fonnes tin(g), vin(g) sont extrêmement rares


en vfr. A leur place on trouve vien(g), tien(g), analogiques des 2e et 3e pers.
sing, tiens, tient, viens, vient ; cf. auj. je tiens, je viens.

bJ Lorsqu’au contraire la consonne qui suivait la triphtongue


ici était autre que l ou n, içi a conservé ses trois éléments jusqu’au
moment de la chute des voyelles finales.
A partir de là, l’évolution a été différente selon que la conscnne
finale était un r ou non.
326 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

D ans le cas où elle était suivie de r final, la triphtongue a perdu


son dernier clém ent et s ’est réduit à iç, devenu plus tard ije ; cf.
*cn tiçiro > * e n ü ç ir > *cn liçr > entier, *m estiçiro > *m esiiçir
> * m e s tie r > m estier, *m ostiçiro > *m ostiçir > m o stie r > m ostier,
* p r i m ie i r o > p r e m iç ir > p r e m ie r > p rem ier.
Mais devant une consonne finale autre que r, les trois élém ents
de la triphtongue ont continué à se conserver jusqu’au jour où, par
suite de la fermeture de e médial en i après y et devant /, e lle s’est
m onophtonguée en i par l’étape iü . Ainsi s ’explique la voyelle de
p i s ( p ë j u s ) , p ir e ( p ë j o r ) , sire ( * s ë i o r ) , vfr. li (* illa e ï), m i ( m ë d i u ) ,
vfr. ist ( e x i t ) , vf. list ( l ë x i t ) , s i x ( s ë x ) , p i s ( p ë c l n s ) , lit ( lëc tu ,
l ëgit), d é p it ( d e s p ë c t u ) , v fr. p i g n e ( p e c t i n e ) , p ë c l in a t ) , nice ( n e s -
c i u ) , v fr. p r e m ir e ( p r i m a r i a ) , v fr. entire ( i n t é g r a ) , p r i e ( p r ë c a t ) ,
scie ( s ë c a t ) , n ie ( n ë g a t ) , cerise ( cerësia) , église (* e c lë s ia ), d i x
( d i c e ) , p r i x ( p r i t i u ) , p r i s e ( p r e t i a t ) , etc.

R emarque I. — Parallèlement à dëce > *dëtsye, dëcïmu a dû donner


lui aussi *dëlsylmu. Mais, par suite de la réduction précoce de tsy devant l
(p. 321, Rem. I), *d tsyïmu est devenu de bonne heure *dèlsïmu ; d’où
plus tard *dielsemo et *diedzemo. Dans cette dernière forme, à la différence
de *dilsye > *diqdzye et *diçidzye il ne pouvait plus être question d’une
transposition de y ni par conséquent d’une triphtongue Içi. Il en est résulté,
après la chute de la pénultième atone, diezme — diesme. De la même façon,
ündëclmu, duodëcimu, tredëcïmu, *quatuordëc!mu, *quindëcimu, *sedëcïmu
ont donné naissance à des formes terminées en -iezme : *ondiezmc, *dodiezme,
*trediezme, *qualordiezme, *quindiezme, *sediezme, dont le radical a été
refait à date prélittéraire sur celui des cardinaux correspondants ; cf.
aujourd’hui onzième, douzième, treizième, etc. Ainsi le v. fr. disme (auj.
dime) a été influencé par le v. fr. dis (auj. dix). De même, la concomitance
de diezme et disme a pu déterminer autrefois onzisme, dozisme, etc. au
lieu de onziezme — onziesme, doziczme — doziesme etc.

R emarque II. — Le vfr. pigne ( < pëclinat) est devenu assez tôt peigne
sous l’influence de p eign (i)er ( < pectinare). De même, sous l’influence de la
conjugaison, le substantif pigne, encore usité au x v n e siècle, a cédé la
place à peigne.

R emarque III. — Les formes du vfr. preie — proie et seie — soie,


pour prie ( < prëcat) et sie ( < sëcat), s ’expliquent par une généralisation du
radical de l’in fin itif; cf. vfr. preiier — proier ( < precare), seiier — soier
( < secare), aujourd’hui prier, scier sous l’influence de prie, scie. Aucune de
ces formes ne s ’est maintenue. Il n’en est pas de même pour noie, qui est
pour nie < nëcal et qui a été refait sur l’infinitif noyer < necare (ici la
réfection a été nécessaire pour distinguer nie < nëcal de nie < nëgat, qui
lui s ’est conservé), ni pour broie qui est pour *brie < *brëkat (seul le subst.
brie « querelle » est attesté en vfr.) et qui a été refait sur broyer < *brekare.

R emarque IV. — A l’époque prélittéraire, il a dû exister une alter­


nance entre les masculins entier, premier et les féminins entire, premire. Elle
n’existe cependant plus dans les anciens textes. Le féminin a été refait sur le
masculin ; d’où entière, première. L’inverse a pu aussi se produire. On trouve
en effet en vfr. des masculins enlir et premir, avec un i analogique du féminin.

R emarque V. — Pour le traitement de -arya dans aire ( < area) glaire


( < glarea), etc., de -aryu dans vair ( < varia), contraire ( < conlrariu), etc.,
cf. pp. 413, 415.
T R 1PH T 0N G U E S 327
R e m a r q u e V I.— Pour matière. ( < materia) et cimetière. ( < coemetiriu),
dont la terminaison s’oppose è celle de vfr. entire, cf. pp. 417 sq.
Pour le vfr. matire et cemelirc, dans lesquels -ire. s’explique par un pro­
cessus différent de celui qui est à la base du vfr. entire, cf. ibid.
R e m a r q u e V II.— Dans les dialectes, l’évolution de la triphtongue
tçi a pu être différente. A l’Ouest, içi, après avoir passé à yç{, a perdu son
premier élément et a abouti à ci — c cf. tecta > teil — tel (et |/ce] dans une
partie de l’IUe-ct-Vilainc. du Morbihan et des Côtes-du-Nord). Ce traite­
ment est aussi propre à l’Est. Cependant, à l’Ouest, on en trouve un autre,
exactement opposé : yçi a pu y devenir yç ; cf. leclu > liet. Pour ce qui
concerne en particulier le suffixe -aryu, on note anciennement -eir à l’Est
(cf. aujourd’hui [ç/] au Nord, jaj] au Sud), et -er à l’Ouest. Dans le Nord et
le Nord-Est, on a non seulement -ire < arya comme en francien prélitté­
raire, mais aussi -ir < -aryu : cf. dextrariu > destrir dans Aucassin. Cepen­
dant ici l’i provient non de *i/j ( < içi) comme en francien, mais de iç(i),
avec chute du dernier élément de la triphtongue.

agi. — Cette triphtongue qui se rencontre au cours du dévelop­


pement de gaudia, audio, audial, Sapaudia, nausea, a abouti, après
la réduction de au à p (pp. 296 sq.), à la diphtongue pi, dont le
traitement a été étudié pp. 285 sq.

üçi. — Cette triphtongue provient comme on l’a vu (p. 327)


de la" segmentation de p relâché dans la diphtongue pi.
Elle peut résulter encore de Ja coalescence d’une diphtongue ûg
( < lat. o) avec un i provenant de la transposition d’un y de la syl­
labe suivante dans nocet > nüotsyel > *nügd:yel > *nüçidz(y)et,
*cöcit (cl. côquii) > *kûçtsyet > *küçdzyet > *kûçidz(y)et.

Le traitement de la triphtongue dpi est plus ou moins parallèle


à celui de la triphtongue içi étudiée pp. 324 sq. Il dépend lui
aussi de la nature de la consonne suivante.

a) Lorsque cette consonne était un l, üçi s’est réduit à dp par


fusion de i avec l. On a eu de la sorte *brüglo (*brogilu), *ùglo
(Ôculu), Hrùçlo (*trôcülu), *dùçlo (doliu), *fùçlo (föliu), *fûçla
(folia), *düçlo (döleo), *sûglo (söleo), *uùglo (*uoleo), *düglai
(döleal), *sûglal (soient), *uüçlat (*vôleat), *orgûg!o (germ. *ür-
gôliiï), etc. Après les étapes ûe, ue, üœ et wœ, üg a abouti finale­
ment à œ > puis, œ dans fr. mod. breuil, oeil, treuil, deuil (doliu),
seuil, feuille, veuille, orgueil ; cf. encore en vfr. : fueil, dueil (döleo),
sueil (söleo), vueil, dueille, sueille, vueille.
R emarque I. — Pcmr la date de l’absorption de ƒ au contact de /, cf. ce
qui a été dit pp. 257, 325.
R emarque I I.— Après les étapes *kûçhl, *kûçlt, *kiiçlt i ii<Çll et *üçlos,
*üçfz, *iiçtz et *ïùçîz, *küçlet ( < cölligit) et *üçlos (< ocCilos) sont devenus
kweyl et iùçyz, qui ont abouti à v. fr. quieut/ieus (p. 335).
328 A R T IC U L . DES PHONÈM ES V O ISIN S (A C T IO N S AU CONTACT)

R e m a r q u e III. — *l)espùçlat < *dispôliat e t *müçlat < *mvlliat


sont représentés régulièrement en vfr. par despueillc et nuieille. Mais dès le
début, on trouve beaucoup plus souvent despoille et maille (auj. dépouille
e t mouille), analogiques des infinitifs despoillier e t moillier (auj. dépouiller
et mouiller).

b) Tandis que la triphtongue üçi se réduisait à üç, au contact


d’un ( suivant, elle a conservé son dernier élément devant les
autres consonnes.
Cependant là aussi une réduction a fini par se produire : avant
la chute des voyelles finales, üçi a passé en effet à ûj par suite de la
ferm eture de q médial sous l’action combinée de ù et de i. On a eu
ainsi au m om ent de ia chute, üi dans trois positions :
A la finale de m ot dans les continuateurs de hödie, mödiu, pödiu,
*inödiu (cf. *üçyye > *üi, *mûçyyo > *müi, *püçyyo > *püi,
*cnüoyyo > *enüi) ;
D evan t un groupe ye dans les continuateurs de *plofa, *trôja,
inodiat, trimodia (cf. *plùçyya > *plûiye, *irüoyya > *trüiye,
*enüoiyat > *cnüyyet, *tremùçiya > Hremùyye) ;
E nfin devant consonne autre que y dans les continuateurs de
cü.ra, pröxim u, öcfo, cöctii, node, östrea, *pössio, *pössiat, *pöstius,
cöriu, *mörio, *m örial, nocet, *cöcit (cf. kûçissa > *küise), *prügis-
mo > *prüism ç, *ügilo > *üit, *küçilo > *kûit, *nüçite > *n ùit,
*üçistra > üistre, *pûçisso > *püis, *pûçissat > *püisset, *pûçis-
so > *püis, *kûçiro > *küir, *mûçiro > *mûir, *müçirat > *müi-
re t, *n üçidzet > nüisi, *kûçidzet > *küist.).

R e m a r q u e I. — Il faut admettre que la réduction de ûçj à ûi s’est


produite avant la chute des voyelles finales, si on veut expliquer la conser­
vation de i devant r final dans *kûir ( < *kûçiro), d’où provient le fr. mod.
cuir. Si en effet on avait eu encore *kûoiro à cette date, il est probable
que le i se serait amuï après un élément vocalique inaccentué et devant
r devenu final, comme cela e eu lieu dans *entiçir > *enüçr. L’i ne s’est
maintenu devant r final que lorsque la voyelle précédente était accentuée ;
cf. nlgru > *nej[ro > v. fr. neir (auj. noir)
R e m a r q u e II. — Quant à la différence de traitement que l’on est obligé
de supposer entre la triphtongue içi et la triphtongue ûçi avant la chute des
voyelles finales, elle s’explique facilement par la différence articulatoire de
ç d’une part, et u, ç de l’autre. Tandis que i et ç sont articulés avec la
partie antérieure de la langue, relativement dure, u et ç le sont avec la
partie arrière de cet organe, dont la musculature est plus ou moins lâche.
Il en résulte que l’assimilation a pu se produire dans le cas de ûçi, devenant
*üuj et ûi, alors que T / n’était pas encore menacé, comme il finira par l’être
plus tard quand il passera lui-même à *tij, d’où i (p. 326).

Dans la suite, ui s ’e st palatalisé en üi, prononciation du français


primitif. P uis, dans le courant du x n e siècle, l’accent s’étant
déplacé sur l’élém ent le plus audible, üi est devenu ü'i, pronon­
ciation du français actuel.
T R IP H T O N G U E S 320

Ainsi jusqu’à la seconde moitié du xne siècle, on a eu üi dans


m ui, pui, enui, — ïùyç dans pluie, truie, enuie, iremuie, — üi +
cons. dans cuisse, pruisme, uil, cuit, nuit, uistre, puis, puisse, puis
(*pôstius), cuir, muir, muire, nuist, cuist. Après le déplacement
d’accent, il n’y a rien à signaler pour le premier et le troisième
groupe ; cf. actuellement wi clans aujourd'hui, muid, puy, ennui,
et dans cuisse, huit, cuit, nuit, huître, puis, puisse, puis (adverbe),
cuir, nuit (verbe), cuit (indic. prés.). Quant à [plüyye], il est devenu
[plwiye], puis, après la chute de e final, fplü-i\ ; ci', encore truie =
[trwi], ennuie = \ànüi\.
R I. — Le groupe €ûi s'est réduit à i dans trémie et dans
e m a r q u e

le v. fr. aprisme, qui sont pour de plus anciens trémuic, apruisme.


R II. — *Mörio (cl. mörior) est représenté régulièrement en
e m a r q u e

vfr. par muir ; cf. encore vfr. muire < *môriat (cl. môriatur). Cependant
muir a cédé la place de bonne heure à meur(s), sous l’influence de la 2e et de
la 3e pers. sing, indic. prés. ; cf. vfr. muers, auj. meurs (< *môris), vfr.
muert, auj. meurt (< *môrit). La réfection de la Ire pers. sing, indic. prés,
a entraîné ensuite celle du subjonctif présent ; cf. fr. mod. (que je) meure,
(que tu ) meures, etc.
De même, à côté de la forme régulière (je) puis (< *pôssio), la langue
a développé une forme (je) peux, sur le modèle de la 2e et de la 3e pers.
sing, indic. prés. ; cf. (tu) peux (< *pôies) peut (< *pôlef). Cependant, à la
différence du cas précédent, (je) puis, bien que plutôt archaïque et litté­
raire, n’a pas disparu.
R III. — D’après les continuateurs de node notés dans YALF,
e m a r q u e

on a dialectalement pour la triphtongue üçi les résultats suivants. Dans


de très nombreux parlers, ûçj a abouti à üi comme en francien, d’où fi
avec chute du dernier élément, et aussi üi. Autre part, üoi a conservé tout
d’abord son élément médial ; d’où *woj, puis oi —, wœi puis cei et œ —. et
enfin wœi. puis yœ dans nœ. Mais lorsque üoi est devenu üoi, on a pu avoir
*üei, puis üçi, d’où yc dans ne, et simplement c.

C. — Triphtongues à dernier élément vélaire

i<iu roman. — Cette, triphtongue provient comme on l’a vu


p. 317 de la segmentation de ç dans la diphtongue c»1.
Elle peut résulter encore de la coalescence d’une diphtongue
ie avec un u issu :

1° De la résolution de qu intervocalique en contact avec elle :


ëqua > *iegwa > *ieuwa, *sëquunt (cl. sequunlur) > *sieg-
Lvont > *sieuwonl, *s equal (cl. sëquatur) > *sicgival > *siçitwat,
*sëquëre (cl. sequi ) > *siçgwëre > *siçuwere, *sëquo (cl. sëquor)
> *siçgwo > *sieuwo, *sëquis (cl. sëquëris ) > *siçgwes > *siçu-
wes, *sëquit (cl. sëquïtur) > siçgwei > *sieuwet.

2° D ’un w explosif provenant de -Â-u-latin et devenu u par su ite


de la chute d ’une voyelle finale :
330 ART1CUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

caccu > *tsiçw 3 > ,


* tsiçu caccos > *lsiçw )s >
*lslçtp , graecu
> *griçw o > * g riçu , graecos > *griçwos > *griçtp.

R e m a r q u e . — Aux exemples ci-dessus, il faut ajouter pour le Nord et


le Nord-Est ceux de içu résultant de la segmentation de i dans la diphton­
gue iy ( < lat. -Uni, fr/primit. i + t antéconsonantique primaire ou secon­
daire) dans pieu ( < p'ù), riçu ( < r'vu), gcnliçin ( < gent lis, -es), a is s iç p
( < a x tlis, -es), vi({is ( < vilis, -es), fie ta ( < / ilius, -os) ; cf. p. 316.

L’évolution de la triphton^ue içu dépend de sa position dans le


m ot.

a) A la finale absolue ou, à l'intérieur du mot, devant une con­


sonne (autre que i\ w ) + voyelle, içu est devenu gœ. Le processus
a été le suivant. T out d ’abord, içu a passé à iéu dans le courant
du x n e siècle par suite du déplacem ent de l’accent sur la voyelle
la plus ouverte. Puis IV s’est labialisé au contact de I’ m suivant
et on a eu iœtj. Enfin l’i s’est fermé en y sous l’action de l’hiatus,
et ceu s’est réduit à œ.
Ainsi s’explique la prononciation actuelle de D ieu , tonlieu,
M a h ie u (et S la th ie u ), A iu lrieu , épieu ( < frc. spent), et celle du
v . fr. ju i e u ( < jü d a e u ), ebrieu, caldieu ( < chaldaeu), cieu ( < caeciï),
grien ( < graecu), fieu ( < b.-lat. feudu), eslrieu ( < frc. slreup).

R emarque I. — *Siqu ( < sêbu), *tiçtjla ( < *lëgiila), *riçula ( < *régüla),
*nîçnla ( < ncbüla), mentionnes p. 318, sont représentés régulièrement
en ancien francien par sieu. lieule, rieule, nieule. Tieule est encore attesté
pour le parisien par H. Estienne. Nieule se trouve lui aussi dans le Livre
des M esliers d’Est. Boileau, qui est de Paris. A ces formes correspondent
en picard d ’autres formes en -iu ( < -içii). Siu, liule et riule ont pénétré
en francien, où ils sont devenus suif, tuile, ruile" (cf. pp. 315 sq., 287).
Seuls suif et tuile se sont conservés.
R emarque II. — Le type içu ( < io, lat. (go p. 162), primitivement
accentué mais devenu peu à peu atone, a subi pour cette raison un certain
nombre de transformations dont les unes lui sont propres et dont les autres,
tout en étant communes aux autres mots en -ieu, se sont produites de
meilleure heure chez lui. C’est ainsi qu’il s ’est réduit à ie, comme il apparaît
d ’après la rime prie ie : -ie de Jacques d’Amiens. Il a pu aussi passer à yçy,
d’ou ieu que l’on trouve dans des textes bretons ou dans le Roman de Re-
nart. Il est de plus probable que la forme ieo du St-Alexis (ms. P) ou du
Roman de Rou (jusqu’au v. 4211) n’est qu’une graphie pour ieu. A son tour,
yçy a pu se réduire à ije. que l’on a dans l’ancienne particule affirmative oie
(=" ç < hôc + ye) et qui s ’est continué, après l’étape yi, dans la forme i
signalée encore de nos jours en Franche-Comté, en Bourgogne, en Niver­
nais, dans le Jura et dans le Poitou.
Ce n’est pas cependant içu qui a donné naissance aux formes gie, ge du
francien ni au je du français moderne. Pour les uns et les autres, il faiit partir
non de eo, mais de eô, avec un déplacement d’accent dû probablement à
des conditions syntactiques (eo après le verbe, eâ devant le verbe), et dont
l’évolution a été étudiée pp. 162 sq.
R emarque III. — Fief et v. fr. eslrief « étrier » proviennent sans
doute d’une réfection sur v. fr. fiever « donner un fief », v. fr. fievé « feu-
dataire » et sur *estriever « chausser les étriers », *deseslriever « faire sortir
des étriers » (cf. la 3e pers. sg. ind. pr. deseslrive dans Raoul de Cambrai),
construits eux-mêmes sur fiçu, eslriçy, avec passage de -w- (-y-) à -v-.
TRIPHTONGUES 331

Dans la suite, estrief a perdu son ƒ final par analogie avec le plur. estrie(f)s,
d’emploi plus fréquent ; puis eslrié, estriés ont pris un r orthographique
sur le modèle des nombreux mots en -ier, -iers < -ariu, -arios ou -ëriu,
-ërios.
Quant à la diphtongue ie du v. fr. espiet « épieu », elle est d’origine
différente. Le mot paraît être emprunté au v. h. ali. spiez, avec ie prove­
nant dès la fin du x e siècle de io issu lui-même au cours du siècle précédent
de eo < çy dans spëut. L’étape io est représentée d’ailleurs par le v. fr.
espiot, qui se retrouve chez Froissart. Le t final de espiel et de espiol s’étant
amuï de bonne heure, on a eu aussi des formes espiel (Ogier le Danois,
Blancandin, etc.) espiol (Partonopeus de Blois, etc.) avec un l orthogra­
phique, qui peuvent s’expliquer à partir des pluriels espiés, espios dans
les parlers ou / s’était amuï purement et simplement au contact de s final :
les formes du type tes ( < talis) Rom. de Troie, ostes ( < hospitalis) Chrétien
de Troyes, fos ( < follis) Guillaume de Lorris, etc. (cf. Consonantisme),
écrits aussi tels, oslels, fols, etc, ont pu déterminer des graphies espicls,
espiols pour espies, espios, d’où des sing, espiel, espiol.

R emarque IV. — Dans le Nord, içu a pu se réduire à iu, d’où ancien­


nement diu, fiu, estriu, ebriu, etc. Un peu partout, on trouve aussi en v.
fr. des formes en -eu, dans lesquelles le passage de çu à içy n’a pas eu lieu
pour des raisons savantes ; cf. deu, feu, estreu, ebreu, etc. C’est de ces formes,
primitivement en çy, que provient sans doute la terminaison -é de v. fr.
dé et d ’André Mahé, Mahey, etc., originairement formes d’appel, ce qui
explique la réduction ; cf. parallèlement et pour la même raison -içy >
-iç dans Mahiet.

b) D evant un s final, ie dernier élément de la triphtongue içu


semble s’être assimilé en ü, puis i, sous l ’action des phonèmes
voisins ; d’où -içus > *-içüs > *-içis et finalement -is.
C’est de cette façon qu’on peut expliquer les formes du v. fr. :
ju i s < *dzüieis < *dzuieijs ( < jüdaeus, -os) et Gris < * G r i d s
< * G rieü s ( < graecus, -os).

R emarque I. — A côté de Andrieu, Barlelemieu et Mahieu, on trouve


aussi en vfr. Andri, Bartelemi (auj. Barthélemy) et Mahi. Peut-être ces
formes proviennent-elles de la chute de s final dans *Andris,* Barlelemis,
*Mahis dont le développement phonétique serait ainsi identique à celui
du vfr. fuis et Gris. On trouve aussi en vfr. une forme si « suif » qui pour­
rait bien être lui-même pour un ancien *sis ( < siÿs < sieys).

R emarque II. — Une fois fuis obtenu, il s ’est créé un cas régime singu­
lier fuif, d’après le modèle vis ( < vïvus) : vif ( < v'vu). A son tour, fu if a
déterminé un féminin juive. On a aussi en vfr. un féminin grive, qui sup­
pose un masculin *grif, refait sur gris d’après le même modèle.
L’analogie a pu intervenir et sous l’influence de juieu, cieu, grieu. Dieu,
Andrieu, etc., on a aussi en vfr. fuieus, cieus, grieus, Dieus, Andrieus, etc.

c) Devant w suivi de voyelle, içu s’est réduit à ie dans *triçtjwa


( < frc. treuwa), par suite du passage de w à v dans le groupe
- uw- et de la chute de u au contact du v suivant (cf. ou > o dans
les mêmes conditions, p. 307) ; d’où v. fr. trieve qui est ensuite
devenu treue (auj. treue) soit phonétiquement, soit sous l ’action
de l ’ancien verbe treuer ( < *treuiuare). En face de trieue, on a eu
aussi en v. fr. ieue < *içuwa < lat. ëqua.
332 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)

R . —
e m a r q u eDialcctalement, les résultats peuvent différer. De bonne
heure, -tçy/w- a pu se réduire à -ty.jw-, pour lequel deux possibilités se
présentent : ou bien, le groupe -ufw- s'est simplifié en w, d’où v. fr. triwe
(Iriue), iwe —, ou bien, -iu/w- a passé à -iu/u- et de là à -iv-, d’où v. fr.
irive, ive. D’autre part, là où -ieu/w- a conservé son e médian, on a pu
avoir une autre évolution que celle qui a été indiquée plus haut : le groupe
-ufw- s’est simplifié en w, d’où v. fr. triewe (trieue).

Les continuateurs franciens de *sëquëre (1. cl. sëqui) présentent


un cas particulier. On attendrait, parallèlement à v. fr. trieue
et ieve, des formes sieut < *sëquit, sieve < *sëquat, etc. En réalité,
on a eu siut, sive, etc.
La différence de traitement que l’on constate entre trieue, ieve
d’une part, et siut, sive de l’autre se laisse expliquer à partir de
l’infinitif.
En effet, dans *siçuwere, l’e de içm a pu s’amuïr sous l’action
dissimulatrice des deux e suivants ; d’où *sluwere et, après la syn­
cope de la pénultième atone, le v. fr. siure. A son tour, le voca­
lisme de siure a pu se généraliser dans le reste de la conjugaison ;
d’où, d’une part, *siuwet > siut, avec chute de la voyelle finale
antérieure au passage de -u/w- à -u/v-, et de l’autre, *siuwat >
sive, avec passage de -ufw- resté intervocalique à -u/v-, puis chute
de u au contact de v suivant.
On a donc eu phonétiquement une opposition iu : iv dans *siure,
*siu, *sius, *siut d’une part, et sivent, sive de l’autre. Mais
l’analogie étant entrée en jeu, elle ne s’est pas toujours maintenue :
la seconde série a été sacrifiée à la première.
Après la palatalisation de u, *siure, *siu, *sius, *siut sont deve­
nus *siüre, *siü, *siüs, *siüt. A cette étape, il convient de remar­
quer que *5i üs qui aurait dû se réduire à *sis par suite de la déla­
bialisation de ü au contact de i et de 5 (p. 315) a conservé son ü
sous l’action de *siüre, *siii et *siïit. Puis *siure, *siij, *siüs, *siül
se sont intervertis en süire, süi, suis, süit ; d’où grâce au "change­
ment de üi en wi, swire, swi, swis, swit. Ces trois dernières formes se
retrouvent encore dans le fr. mod. (je) suis, (tu) suis, (il) suit.
L’ancien vocalisme s’est aussi conservé dans l’infin. suivre ; mais
ici le v est dû à l’action des formes telles que suivant, suivons, sui­
vez, suivoit, etc., dont le vocalisme est analogique comme on le
verra ci-dessous.
Des mots de la série sivent, sive, aucun n’a conservé le vocalisme
régulier : sivent, sive, etc. ont été refaits dès le v. fr. en suivent,
suive, etc. sur le modèle de suivre, (je, tu) suis, (il) suit. Le voca­
lisme de ces dernières formes s’est étendu même à celles qui avaient
phonétiquement un e : sevant, sevons, sevez, sevoit, etc. sont ainsi
devenus suivant, suivons, suivez, suivoit, etc.
R I. — Comme autres formes en toi on peut citer au moyen-
e m a r q u e

âge la 3e pers. plur. ind. prés, suient (Partonopeus, Brut, de Munich, etc.)
analogique de suit —, l'infinitif suire, d'où provient suir (Aucassin, Aiol,
Chevalier as deus espées, etc.) d’après fui, fuis, fuit : fuir — sui, suis, suit :
TRIPHTONGUES

x —. l’infin. suivir (chez Christine de Pisan) issu du croisement de sevLr


(refait sur le parfait sévi) avec suit Encore aujourd’hui on trouve \swlr]
dans le Nord-Est.
Remarque II. — Mais là où (y n’a pas passé anciennement à iji. on a
des 3e pers. sing, indic. prés, siut dans le Nord et le Nord-Est (d’où par dépla­
cement d'accent syut et sut en anglo-normand) —, sieut dans le Nord, le
Nord-Est, l’Est, la Normandie, le Nord-Ouest (sieut remonte à siut en pi­
card et en wallon, mais ailleurs il continue sans doute l’ancien type *siçy.u>rf.
qui s’est réduit autre part à siyt, d'où *siÿ.t en francien) —, sent dans le
Nord, le Nord-Est, l’Est, où il provient ’probablement de la réduction
de sieut. Des formes \syæi] ou \syoe] sont encore signalées aujourd’hui en
manceau, en normand et en lorrain.
Re m a r q u eI I I .— A ces 3e pers. sing. ind. prés, ont correspondu des
infinitifs siure (écrit siwre dans les Quatre Livres des Rois, anglo-normand)
ou s ivre, ce dernier avec un v analogique de seront, serons, etc. —, sieurc ou
en anglo-normand sievre (avec un r qui s'explique de la même façon que ci-
dessus) — seure. sans doute réduction de sieure et serre {Ezechiel) avec un v
analogue à celui de sivre et sievre. Siure est représenté aujourd’hui par Is:r]
dans certains parlers wallons, et, avec déplacement d’accent et palatalisa­
tion tardive de lu], par [spür] dans la Meuse et le Calvados : seure par îsærl
dans la Hte-Marne et l’Aube.
Sous l'influence du consonantisme final de siut, sieut et seul, les infini­
tifs sz'ure, sieure et seure ont pu devenir siudre qui est riarrc Chrestien de
Troies, sieudre et de là seudre. Ces deux dernières formes sont actuellement
représentées par [syœdr] en Bretagne et [sædr] dans la Haute-Marne et
l’Aube.
R emarque IV. — Toutes les formes infinitives qui ont été citées sup­
posent le changement de ou intervocalique en -u u>-. Mais il peut se faire
que la syncope de la pénultième atone se soit produite non à l’étape *siwcre
( < *siçuwêre), mais à un moment où on avait encore *s.egu>ere. El en est
résulté un infinitif siegre qu’on rencontre au moyen âge en Bourgogne et
dans le Sud-Ouest. Dans cette dernière région il' s’est conservé jusqu’au­
jourd'hui sous la forme réduite {sfgr]. A son tour, sepre a pu devenir seizpre
par contamination avec la 3e pers. sing, ind- prés, seid ; d’où seugre, attesté
actuellement dans la Hte-Marne et l’Aube.
R emarque V. — *Sëguère devait devenir phonétiquement *sekèrc et
si le -qu- s’est maintenu dans l’infinitif latin c’est sous l'influence de ’‘sèçuiL
*Sékère a cependant existé en gallo-rc rran septentrional. C’est lui qui
par l'intermédiaire de l’étape *sièire est à la base des formes ]sér] — ]spr]
du lorrain moderne, et qui a déterminé une 3e pers. sing. ind. prés. *sicit
représenté au Moyen âge par seit ou siet dans le Sud-Ouest. A seit corres­
pond une 3e pers. ind. prés. seirenL
Il faut enfin signaler un certain nombre de formes dont le vocalisme ne
peut être phonétique à aucun degré. D’abord soivre (Purtonopcus) sans
doute refait sur boivre ( < bibire\ d’après la proportion berarü, berons. etc. :
boivre — seront, serons, etc. : x. Puis serir analogique du parfait seri ; d’où,
par contamination avec siut ou sieut, sirir et sierir.

Quant à lieue ( < celt, leuga), il ne saurait être opposé au v.


fr. 'trieue, ieve. Dans ce cas, en effet, il n'y a pas eu de groupe
-ieujw-. Le g s'étant amuï après le dernier élément, velaire, de la
triphtongue içy provenant de (K, on a eu simplement *heita,
c’est-à-dire *lie]wa, avec une diphtongue ie suivie d’un w explosif ;
d’où, après la labialisation de e diphtongal au contact du w sui­
vant, *lierwç et finalement [J/qrf], auj. '[Z;qr], écrit lieue.
334 A R T IC U L . DES P H O N È M E S V O ISIN S (A C T IO N S A U CONTACT)

R . — On trouve dialectalement dans l’ancienne langue : Uwe


e m a r q u e

(ou Hue), live, lieve (d’où leve au Sud-Ouest), parallèles ù v. fr. triwe, iwe-,
lrive. ive-, trieve, et qui remontent ;\ un type de base *liçu/wa provenant
lui-mème de *lègua, métathèse de leuga. Pour l’évolution de *liçg/wa,
et, p. 332, rem.

ieu français. — Cette triphtongue provient de la segmentation


de è ( < a, pp. 261 sq.) devant un a issu de la vocalisation de Z
antéconsonantique ; cf. en fr. prim, tieus, Ideas, pieus, continua­
teurs de tels < taies, quels < quales, péls < palos, etc.
La triphtongue ieu, après avoir passé à iéu, est devenue yæu
et finalement yœ. D'où la prononciation actuelle de pieux, pluriel
de pieu.
R I. — Les plur. quels, tels ont été refaits sur les sing, quel,
e m a r q u e

tel. Les formes phonétiques se rencontrent encore au xvie siècle.


R II. — Inversement, le sing, pieu est analogique du plur.
e m a r q u e

pieux. On trouve aussi dialectalement au Moyen âge des formes liel, quid
refaites sur les pluriels tiegs, quiegs.

üqu . — Cette triphtongue a une double origine. Elle provient


de la coalescence d'une diphtongue ûç ( < lat. ô) :

1° Avec un u appartenant à un groupe -tj jw- dans les l re et 3e


pers. sing., 3e pers. plur. du parfait nôcüi, et dans les continuateurs
de *eslôpüil (de *estopëre, refait sur est opus d’après oporlêre) et de
*plöun~iit ; cf. nöcui > *nüguwi, nôcuit > *nüçuwet, *nÔcuerunt
(cl. nocàerunt) > *nÜQuweront, *cstôpiiit > *estÙQuwet, *plôwüil
> *plùçuwet.

2° Avec un u issu de w intervocalique par suite de la chute d’une


voyelle finale, dans *lugu < *lûçwo < lôcu, *Drùou < *Drùçwo
< germ. Drögo, *dziiou. < dzùçwo < jöcu, *füçu < *füçivo <
fôcu, *küçu < *küçwo < *côcu (cl. côquu), *sarkûgu < *sarkùgwo
< sarcophagi!.

La triphtongue üqu a eu un traitement différent dans les deux


séries de mots.
Dans la première, où il était suivi d’un w explosif, üqu s’est
réduit de bonne heure à uti parallèlement à ce qui a eu lieu pour
ici dans les mêmes conditions (p. 326). Quant à la nouvelle diph­
tongue uu, elle s’est simplifiée en u. D'où *nüçuwi > *nutuvi >
*nuwi, *nùçuwet > *nuuwet > *nuwet, *nûçuweront > *niiuwe-
ront > *nuweront, *cstùçuwei > *estuijwet > *estuwct, *plùçuwet
> *pluuwet > *phiwet, et finalement, après diverses autres trans­
formations, les formes du vfr. nui, nul, mirent, estul, plut, dont
seule la dernière s’est conservée en fr. mod.
T R IP H T O N G U E S 335
R . — Pölui, pöluil, *p6luerunl dont la structure est la même
e m a r q u e

que celle de nöcui, nôcuil, *nôcucrunt, a cependant abouti au vfr. à pot. pol.
pourent. Cette différence s’explique sans doute par le caractère^ proclitique
du verbe pouvoir. L’accent s’est déplacé de bonne heure sur l’élément mé­
dial et, dans wçu qui en est résulté, le w s’est amuï au contact du p précé­
dent ; d’où *pçiavi, pçuwet, pgtiwerenl qui, après la réduction de -w !tv- à
-w- sont devenus *pgjoi, *pç.oel, *pQJoerent et finalement poi, pot pouronl en
vfr.

Dans les mots de la seconde série, ùgii qui avait maintenu ses
trois cléments a passé successivement par uçu et üeu pour aboutir
à wçu
Le nouveau groupe weu a eu une évolution différente suivant la
nature de la consonne précédente.
Après ƒ ou k, il s’est réduit à eu, d’où ensuite œii et œ dans feu
< *fceu < *feu < *fweu, queux < *kœu < *À*eu < *kweu, vfr.
surkeu < *sarkoeu < sarkweu (auj. cercueil).
Après les autres consonnes, weil a conservé tout d’abord son të.
Mais ce dernier a fini par se délabialiser en y par dissimilation avec
u, d’où yçu, yœu et finalement yœ dans lieu < *lyœu < *lyeu <
*lüru, Drieux < *Dryæu < *Dryçu < *Drüçu, vfr. gieu < *d:yœu
< *d:yeu < *d:ü'eu. Enfin, par suite de la fusion de y avec la
prépalatale précédente, gieu est devenu jeu. Après le groupe
explosif dr-, y a passé ultérieurement à i dans Drieux.

R I. — L’action dissimilatricc de u a pu aller jusqu’à amener


e m a r q u e

la chute de ü> dans wey. ; d'où leu, qui est par exemple chez Ruteheuf.
R II. — La forme fu du picard, du wallon et de l’anglo-nor-
e m a r q u e

mand suppose la chute de l’élément médial de la triphtongue dans un type


*{iieu, et la contraction de üy en u ; cf. encore ju, lu, sarku.
R III. — Les mêmes dialectes présentent lia, giu. Liu peut
e m a r q u e

s’expliquer soit par la chute de c médian dans un type liçy, soit en parlant
encore d’un type *lüey. Au contact de ü et de u, l’e médial a pu se fermer
en i ; d’où *lûiu, qui a passé à *lwiu et de là à liu.
R IV. — Enfin le premier élément de la diphtongue primitive
e m a r q u e

de *jçowo < fôcu semble ne pas s’ètrc fermé en ü comme dans ♦mpo fa
( < môla) > *mûola, sous l’action dissimilatricc du w suivant. Dans ce
cas, il n’a pu y avoir de triphtongue ùçu, mais simplement une diphtongue
çy. Ce serait l’explication de la forme jou que l’on trouve par exemple dans
la Ste Eulalie, dans Y Alexandre d’Albéric de Besançon, et même dans le
Roland (dans ce dernier texte avec cous et sarcou) ; cf. actuellement [sçrk ü]
en lorrain.

c'ah français. — Cette triphtongue provient de la segmentation


de ç*dans la diphtongue çij issue de la coalescence d’un ancien ç
( < lat. ë en syllabe fermée) et d'un u résultant de la vocalisation
de l antéconsonantique ; cf. en fr. prim, ancaus, béaus, chapeaus,
chasléaus, martéaus, muséaus. porcéaus, rasléaus, seca us, pêaus,
espéaule, hèaume, etc., pp. 318 sq.
336 A R T IC U L . D E S PHONÈM ES V O IS IN S (A C T I O N S AU CONTACT)

La première modification qui s’est produite dans cette triphton­


gue, c’est le déplacement de l’accent sur l’élément Je plus audible :
eau > çàu. Elle a dû avoir lieu dans la première moitié du x n e siè­
cle, puisque Marie de France, après 1150, fait rimer béais ( — [beaus])
avec reials et chevals, tous les deux terminés en —aus.
R . — Le déplacement d’accent ne s’est pas produit dans tous
e m a r q u e

les dialectes d’oïl. C’est ainsi qu’on note encore aujourd’hui des formes en
-ça dans le Sud-Ouest et des formes en -ço dans la même région et dans le
Nord-Ouest. Les premières supposent une réduction de au inaccentué à
a, et les secondes la monophtongaison de au en o. Dans le Nord, on trouve
aussi -ço et -çu, mais de plus -e$ qui s’explique par un déplacement tardif
de l’accent et -epy, avec dégagement caractéristique de y, après une voyelle
vélaire finale.

La nouvelle triphtongue çàu a abouti à o dans le fr. mod. anneau,


beau, etc. Pour bien comprendre ce résultat et l’interpréter d’une
façon convenable, il faut tenir compte de l’évolution de çàu dans
les dialectes autres que le francien. Sauf là où la triphtongue éau
a fait défaut (p. 319) et où, lorsqu’elle a existé, elle n’a pas passé
à çàu (cf. ci-dessus), on note trois résultats : yo, y au et y a. Tous les
trois supposent la fermeture progressive de ç devenu inaccentué en
e, i et y. De plus, dans yo, la diphtongue au s’est monophtonguée,
tandis qu’elle a conservé ses deux éléments dans yau. A son tour,
yau a pu se réduire en ya. On trouve encore aujourd’hui yau dans
certains parlers du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et du Sud-Est ;
ya dans quelques coins de la Normandie, du Nord-Ouest, du Sud-
Ouest, de la Wallonie, et du Sud-Est. Mais yo est de beaucoup le
résultat le plus fréquent. C’est encore à lui que l’on doit rattacher
le groupe yœ du picard occidental, qui suppose le passage de yo à
you , avec dégagement caractéristique de u après voyelle vélaire
finale. Aux alentours même de Paris, on a aussi yo.
Plus que cela, il semble bien qu’on ait eu yo dans la capitale
même. Les Rôles de Taille parisiens de la fin du x m e siècle ou du
début du x iv e présentent en effet de nombreuses formes avec -iau ;
cf. par exemple chapiaus, bediau, quariaus, Aliaum e, A n siau , A n -
liaume, etc. Deux siècles plus tard, Peletier écrit dans une lettre
à Meigret : « comme les habitants de Paris qui disent un sio dio
(un seau d’eau) ». Sur le plan de Paris datant du x iv e siècle, on note
également des noms de rues en -iau. Le fait que dans les dialectes
environnants on ait eu aussi yo rend invraisemblable la supposi­
tion que le parler parisien n’ait pas connu lui-même l’évolution
çàu > yo et que les formes signalées ci-dessus soient des emprunts
au picard, au champenois ou à Forléanais.
S’il en est ainsi, l’o de beaux doit être considéré comme d’origine
savante. Au moment où la langue vulgaire hésitait encore entre
beàus et biâus, la langue savante, jugeant la prononciation biâus
campagnarde et dialectale, s’est opposée au nouveau phonétisme
et s’est efforcée de maintenir l’ç de beàus. Mais elle n’y a réussi que
quelque temps, car bçâus a été pris à son tour par l’évolution
TRIPHTONGUES 337
phonétique. Il est vrai que cette évolution n’a pas été la même
que celle de la langue vulgaire. Après la monophtongaison de au,
Ve était venu à se trouver en contact avec un p dans beô(s). Sous
l’action de cet o, il a commencé à se labialiser et il a fini par devenir
un son voisin de œ ; d’où bœç. Bœç rentrait ainsi dans la catégorie
de mëur ( < malüru), sëur ( < secO.ru), etc. Lorsque ces mots se sont
réduits à mûr, sûr, etc., bœç est devenu lui-même bo.

R emarque I. — Cependant o est loin d’être général chez les grammai­


riens du XVI« siècle. Ainsi Péletier note toujours l’e de beaus par un e fermé
et Bèze écrit que dans eau on entend un e fermé suivi de o. De son côté,
Ramus prononce e féminin devant l’o, et BaïE note aussi la même voyelle
dans beaucoup, trumeau, nouveau. Enfin Erasme (1528) et Meigret (1542)"font
entendre une triphtongue. D’après le premier, on distinguait dans -eau un
e, un a et un o ; d’après le second, beau et veau étaient en réalité beao et
vrao. En tout cas, la prononciation actuelle o n’est signalée pour la pre­
mière fois qu’en 1568 par Meurier, et il faut attendre jusqu'à 1580 pour
qu’un autre grammairien, Saint-Liens, en parle ; encore l’enregistre-t-il
uniquement chez les courtisans, dont on sait que la prononciation n’avait
pas très bonne grâce à cette époque auprès des grammairiens.
Mais si ces derniers ne sont pas d’accord sur la prononciation de -eau,
ils sont unanimes à repousser -iau. Bèze écrit en particulier : Vitanda est
autem vitiosissima vulgi Parisiensis pronunciatio in hac triphthongo, nempe
Viaue et biau pro l’eau et beau ».
R II. — Les singuliers anneau, beau, etc. sont analogiques des
e m a r q u e

pluriels correspondants en -eaux. Bel s’est cependant conservé devant un


mot à initiale vocalique ; cf. un bel enfant. Les noms de personnes Bel (Lebel),
Brunei, Morel — Maurel, etc. sont des formes de langue d’oc ; cf. en fr.
Beau (Lebeau), Bruneau, Moreau, etc.
R emarque III. — Dépiauter, dérivé de piau (= pêlle), a été emprunté
au xixesiècle aux dialectes du Nord (région de Lille, Boulogne etc.). Fabliau,
qui a été introduit dans la langue au xvie siècle par Cl. Fauchet, est une
forme picarde. La forme savante, fableau, était déjà tombée en désuétude à
cette époque.
R emarque IV. — Le vfr. connaissait une forme perdrial (< *perdicale),
correspondant au v. pr. perdigal. D’après le plur. perdriaus, on a refait un
sing, perdriau. Mais la terminaison -iau étant sentie comme dialectale, la
langue savante a transformé perdriau en perdreau d’après l’équivalence
biau : beau. Perdreau est signalé par Mourgues (1685) qui cite des exemples
de Sarrazin et de Richer.

Dans aloèatis ( < alauda + ëllus, -os), boéatis ( < botëllus, -os),
chaéaus ( < cal ëllus, -os), flaéaus (< flagéllus, -os), hoéaus ( < gérai.
hauwa + ëllus, -os), praéaus (< pralëllus, -os) et tuéaus ( < frc.
*poia -f ëllus, -os) dans lesquels la triphtongue çau était précédée
d’une voyelle, l’ç de Çau, après être devenu inaccentué, s’est fermé
en y non seulement dans la langue vulgaire, mais encore dans la
langue savante ; d’où boiaus, chaiaus, flaiaus, hoiaus, praiaus et
tuiaus, continués aujourd’hui par aloyaux, boyaux, fléaux, hoyaux,
préaux, tuyaux qui ont déterminé des singuliers aloyau, boyau, fléau,
hoyau, préau, tuyau.
338 A R T 1C U L . DES PH ONÈM ES V O IS IN S (A C T IO N S AU CONTACT)

R e m I. — Fléau a pu devenir ensuite Jliau qui se trouve chez Eust.


a r q u e

Deschamps, mais qui n’a pas été accepté par la langue. Par contre on trouve
en fr. mod. chiot, comparable pour le développement phonétique à fliau.
A côté de fléau et fliau. il a existé aussi une forme flceo. Elle est attestée
d’une façon très nette dans le Dictionnaire de Trévoux : « Fléau. y lit-on,
ne se prononce guère que comme une syllabe dans le discours ordinaire. Je
dis presque, parce qu’en effet on fait un peu sentir l’e même dans la prose,
& pour les vèrs on fait toujours fléau de deux syllabes ». Sans doute faut-il
expliquer flceo par une labialisation de l’e de fléau, analogue à celle qui s’est
produite pour beó > bceô dans la langue savante. De plus, parallèlement
a bceô > bo, on a eu encore flceo > flo. Cette forme est signalée par Lanoue,
Hindret, De la Touche, etc.

R IT. — Dans çwç < aqua (p. 204), l’ç s’est aussi segmenté
e m a r q u e

en éa au contact du w suivant, d’où une forme éawc, qui par suite de la


chute de f final est devenu éau. A son tour, é.au a passé à yo dans la langue
vulgaire et à o dans la langue savante ; cf. le fr. eau. — L'ç de *blçu>ç
(p. 204) par contre ne s'est pas diphtongué à cause du masc. blçu (p. 305) ;
d’où v. fr. blève, et le masc. analogique bief.

III. — VOYELLE ACCENTUÉE PRÉCÉDÉE OU SUIVIE


D ’UNE VOYELLE INACCENTUÉE EN HIATUS

Deux phénomènes sont à étudier concernant la voyelle accen­


tuée, précédée ou suivie d’une voyelle inaccentuée appartenant à
une autre syllabe qu’elle. Elle peut perdre son accent ou avoir un
traitement spécial.

A. — L a voyelle a c c e n tu é e p e rd son a c c e n t

Le cas s’est déjà produit dans le latin parlé dans le cas de part He
abiële, ariëte, multere et dans celui des mots terminés en -îolu ou
-4ôlu (cf. fïliolu, linléôlu, etc.).
L’accent s’est déplacé sur la voyelle dont l’audibilité était la plus
grande, et on a eu ainsi tout d’abord pariéte, ablele, arïHe, muliére,
fïUólii, lintëdlu, etc., puis, par suite du passage de i devenu inac­
centué à y et de la fermeture successive de ë devenu lui aussi
inaccentué à 1 et y, paryéte, abyéte, aryéte, mülyére, fïlyólu, llnlyôlu,
etc.

R e m a r q u e . — Le changement de fllîôlu, Untéôlu, etc. en fihjôlu, Jin-


t’i'jlu, etc. montre bien qu’il n’est pas nécessaire pour pariéte, abiële, ariëte,
rruVJëre > parue le, aryéte, mülyére, de faire appel â des formes parléllbus,
abiêtihws, rnultéribus, dont l’emploi d’ailleurs moins fréquent ne pouvait
guère servir de base pour une réfection.
Ce déplacement d’accent et la eonsonantisation qui s’en est suivie sont
attestés avant notre ère. On a déjà abjele chez Ennius (230-100 av. J.-C.).
V O Y E L L E S A C C E N T U É E S E N H IA T U S 339
Chez Plaute, abielem, prononcé abjetem, est un tribraque : — „ —. Dans
le vers de Virgile : abielibus iuvenes patriis et menlibus aequos (Aen., IX,
074), abieli(bus) est un dactyle et témoigne ainsi d’une prononciation abjê-
tlbus.

Le timbre de la voyelle qui primitivement inaccentuée est deve­


nue accentuée pose par ailleurs un problème. L’ancien ë est repré­
senté en français par ei — oi dans paryête > vfr. parti, auj. paroi,
abyële > vfr. auei — avoi, aryéte > v î t . arei — aroi ; mais par ie
dans mülyêre > vfr. moillier. D’autre part, l’ô de filyâlu, linlyâlu,
etc. est continué par ue — œ dans vfr. filluel, auj. filleul, vfr. lin-
çuel, auj. linceul, etc. C’est-à-dire qu’on a dans paroi, vfr. aroi la
continuation d’un ë (fermé), dans vfr. moillier et dans filleul, lin­
ceul, etc. celle d’un ë ou d’un ö (ouverts).
Cette anomalie peut s’expliquer de la façon suivante. L’ë latin
était primitivement fermé (pp. 113sq.). Au moment de son ouverture,
l’ë accentué de paryête étant précédé d’un y s’est maintenu fermé.
Mais avant cette date, l’y de mulyêre devait s’être déjà combiné
avec / pour le palataliser en l, avec lequel il s’était ensuite fondu.
Ainsi Vë de *mulére n’étant plus précédé d’un y s’est ouvert nor­
malement ; d’où *mulçre. On pourrait admettre cette dernière
explication pour filyôlu : à l’étape *filölu, ö se serait ouvert comme
Yê de *mulëre. Mais le cas de *linlyçlu, devenu de bonne heure
*linlsy5lu puis *linlsyçlu oblige à supposer que précédé ou non d’un
y, 6 s’est ouvert en ç, son articulation étant trop éloignée de celle
de y pour que ce dernier ait pu exercer une action assimilatrice
sur lui.
R . — Un enseignement qu'on peut tirer de l'évolution qui
e m a r q u e

vient d’être décrite, c’est que le système d’accentuation du latin parlé


n’était pas toujours le même que celui du latin littéraire. Dans un mot de
plus de deux syllabes, ce dernier reportait l’accent sur l’antépénultième
lorsque la pénultième était brève. Mais de même qu’il opposait integru,
*colobra, etc. au latin classique integrum, côlùbram, etc., le latin parlé
s’accommodait d’accentuations arête, paréte. *mùlére, fHÔlu, etc., avec une
pénultième brève, laquelle est ensuite devenue longue en syllabe ouverte
lors du bouleversement quantitatif.

Trois autres exemples sont également anciens. Il s’agit tout


d’abord du vfr. ore, ors, continué aujourd’hui par or, et du vfr.
lors, conservé jusqu’à nos jours et formant le premier élément de la
conjonction lorsque. Qu’on suppose hä hora ou a(d)hôram pour
ore, l’accent était sur ô. Mais il s’est déplacé sur l’a dont le pouvoir
auditif était plus grand, d’où la constitution d’une diphtongue ap
qui a abouti à p. Le même phénomène s’est produit dans illâ hüra,
dont provient lors. D’autre part, le groupe mane + tpsu a donné
en vfr. mantis, manois, demands, demanois « tout de suite » : avant
l’ouverture de ï en e (p. 174A, l’i de ïpsit a perdu son accent et formé
avec Yç précédent, devenu accentué, une diphtongue ci dans *ma-
nefsso. Une explication analogue vaut pour le vfr. ançeis, ançois,
qui est d’ailleurs une forme secondaire. Ante + ipsu a dû aboutir
UO A R T IC U L . DES PH ONÈM ES V O IS IN S (A C T IO N S AU CONTACT)

à *anieis . parallèlement à m antis < mane + îpsu, et à son tour


*anieis s'est transformé en anceis par croisement avec an: <
aniius. de même signification.
Mais le plus grand nombre d’exemples date du moyen âge. On
avait prim itivem ent faîne < fagîna, gaine < imgïna, haïne < gallo-
rom. *hatïna (frc. *hatjan), maïstre < magïstru, traîne < *lragînat,
traître < tradïtor. Au début du x v ie siècle il y avait déjà longtemps
qu'on prononçait comme aujourd'hui faine, gaine, haine, maître,
traîne, traître. Ici encore l'accent s'est reporté de i sur a : d'où une
diphtongue ai qui a abouti à ç.

R I. — Cependant l’ancienne prononciation n’avait pas tout


e m a r q u e

à fait disparu au xvie siècle. Trahistre par exemple est encore donné par
Lanoue en 1596.
R II. — Le déplacement n’a pas eu lieu dans un certain nom­
e m a r q u e

bre de mots qui présentent pourtant la même structure : cf. -a /;- dans
ébahir, envahir, haïr, trahir et naïf. C’est sans doute l’action analogique
des autres infinitifs en -ir ou des formes nominales en -if, avec i précédé
de consonne, qui en est cause.
R III. — Dans pays < payrfnjse, l’accent s’est aussi main­
e m a r q u e

tenu sur i, sans doute sous l’influence des mots terminés par consonne
-f ifs J. Ce qui ne veut pas dire toutefois que le fait ait été général dans
l’ancienne langue. La prononciation pays est attestée pour la fin du xve siè­
cle ou le début du xvie ; cf. p. ex. Picot, Soties, XXII, 54. Pour I’[e] de [per]
qui s’oppose à l’a de haïr, trahir, etc., cf. p. 43S.

De m ême, le groupe a -f I accentué a passé à tiî qui, par l ’étape


âï, a abouti à fè] ; dans (rejgain et train, autrefois regain < gallo-
rom. *umidïmen (frc. *waiba) et traîn < *tragîmen.
De m êm e encore le groupe a -f ô accentué est devenu àô ; d’où
par l’étape âü, [à] dans paon, faon, taon, flan, autrefois [paon]
< pavône, [faon] < *fatone ( < *}etüne), [faon] < tabôr.e, [/7aôn]
< fladône. On prononce aussi [J] dans les noms de lieux suivants,
qui n'appartiennent pas d ’ailleurs à la région parisienne : Laon
(Aisne), L aons (Eure-et-Loir), Craon (Mayenne), Thaon (Calvados,
Vosges) ; cf. aussi avec l’orthographe -an-, Rancourt (Meuse,
Som m e, V osges). Il y a lieu de citer encore la curieuse remarque
de Du V e z : « Of a and o, as in these Mordes pourra on, m ay one,
y e shall rede pourran ».

R emarque I. — Cependant chez certains grammairiens du x v ie et du


xvne siècles, on trouve des prononciations avec [ôj. Ainsi pour taon, Maupas
donne « Than ou thon », Oudin et Richelet : ton. C’est cette dernière forme
que cite le Diet, de l’Académie (1694-1835). Il doit s'agit sans doute ici
d une forme dialectale. Dans la Nièvre par exemple, on note J/ôJ. Il est
probable que dans l’expression scieur de long, le mot long, qui n’a rien à
voir avec l’adjectif de même forme, représente un ancien laon < germ.
*ladone. La prononciation [/ô] s’explique par le fait que l’approvisionne­
ment de bois de la capitale provenait du Morvan. De même, à côté de
Laon = [là], on trouve dans la Vienne un Saint-Laon = [W]. Déjà Régnier
( 170Ô). p)e la Touche (1696) et Douchet (1762) signalent cette prononcia­
tion et écrivent d’ailleurs Sainl-Lon. Dans la Vienne encore existe une loca-
VOYELLES ACCENTUÉES EN H IA T U S 341
lité du nom de Craon — [AtÔ). Saône = (spn), dont le vocalisme s’oppose à
celui de paonne, féminin de paon, provient sans doute des régions de l'Est,
où coule cette rivière. Toutefois Lamnois se prononce (fomual ; mais les
conditions ne sont pas les memes que dans Laon, les deux éléments voca-
liques étant tous les deux inaccentués dans ce dérivé.
R II. — De plus, à côté de |d] et de (ô], quelques grammai­
e m a r q u e

riens indiquent pour certains mots une prononciation [ap] ou faô]. Duez
(1639) dit que l’a subsiste dans paonnesse et à propos de taon, il écrit : «Dans
thaon quelques-uns ne prononcent pas l’a, d'autres ne prononcent pas l’o ;
il vaut mieux ne passer ni l'un ni l’autre, mais seulement l’A. et prononcer
taon ».

B. — La voyelle accentuée su b it un tra ite m e n t spécial.

Lorsque deux voyelles sont en contact, la langue tend à préser­


ver dans la mesure du possible la frontière syllabique qui les sépare
et, pour cela, à assurer un minimum d'écart entre leurs apertures.
Elle s’oppose d’une part à teute modification de timbre qui aurait
pour effet de le supprimer complètement (phénomène conservatif).
De l ’autre, elle cherche à en créer un, lorsque l'évolution phonéti­
que amène la rencontre de deux voyelles d’aperture égale (phéno­
mène positif).
Avant de passer à l’étude des phénomènes concernant les voyel­
les accentuées suivies d’une voyelle inaccentuée, on donnera le
tableau des apertures vocaliques :
1 i u
2 e 0
3 e ? Q
4 a

Il y a trois cas à distinguer dans l’évolution du latin au français,


suivant que les apertures des deux voyelles en contact présentent
un ou plusieurs degrés d'écart, ou n’en présentent aucun.

1. Un seul degré d'écart entre les apertures. — C’est le cas du


lat. mêüm, lorsqu’il a conservé son m final, conservation qui a
empêché l’ü de devenir diphtongal (p. 169). Dans mèùm, l’ è éta it
primitivement fermé (pp. 113 sq.). Un seul degré d’écart suffisant
pour la netteté de la frontière syllabique, IV a ici échappé à l’ou­
verture générale de ? en ç (pp. i93 sq.) par suite de l'action assi­
milatrice de l’Ù suivant, qui était plus fermé que lui. Ainsi tan d is
que pïde devenait pçde, mïùm a conservé son ?.
C’est encore le cas du nominatif üfüs. dont le m aintien de l’s final
a maintenu le caractère syllabique de ù . Il n'est donc pas étonnant
qu’en face de Dieu < D(u, avec une diphtongue ie, on ait eu en
342 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

vfr. Deus avec un ç qui assonne dans les plus anciens textes avec l’ë
provenant de a accentué en syllabe ouverte (p. 262).
Tüüm et süüm accentués (dont la réduction à *tüm et *sum a été
évitée ; cf. p. 16S) sont devenus tout d’abord *tüom et *süom, la
tendance à l’ouverture s’étant exercée en premier lieu sur le second
ü, pour la raison qu'il était inaccentué. Avec *tüom et *süom on
rentre dans le cas étudié présentement. Alors que crüsta passait à
*crosta, l’ü s’est conservé ici pour éviter une succession op qui
aurait abouti à ô.
R . ;— Ultérieurement, le groupe ûo de *luom, *suom a suivi
e m a r q u e

la même évolution que la diphtongue uo provenant de o roman (p. 293) ;


d’où *tucn, *suen et *lüen. *süen, puis *twen, *swen. Dans *swen, le iù s’est
ensuite délabiaMsé au contact de s et de e ; d’où *syen, et, après la nasali­
sation, *syën, aujourd’hui [syê]. Tien est analogique de mien, sien.

2. Plusieurs degrés d'écart entre les apertures. — Dans ce cas,


la marge est assez grande pour que l’évolution spontanée ait pu se
produire librement. Au moment où crïsta et crüsta sont devenus
*cresta et *crçsta (pp. 193 sq.), Ma, via d’une part, et sua, tua,
frc. trûha ont passé à *trea, vea et soa, ira, trça, d’où v. fr. troie,
voie, v. fr. sçe, v. fr. tçe, v. fr. troe «coffre, bahut». Malgré l’ou­
verture de i et de ü, l’écart entre les apertures restait encore
considérable.
R e m a r q u e I. — L’ë de mea aurait pu s’ouvrir en g. Si on a pourtant
continué d ’ a v o i r mea (d’où le vfr. meie, moie), c’est sans doute par analogie
avec le masc. mëum.
R II. — Dans le frc. *lêha, devenu laie « femelle du sanglier »,
e m a r q u e

la diphtongaison de g en gs a été empêchée ; la diphtongaison aurait amené


ici un écart d’apertures trop faible.
R III. — Le f r . grue continue sans doute une forme du latin
e m a r q u e

parlé *grüa, au lieu de grüe, avec un a analogique du nom. sing. grüs.

3. Aucun degré d'écart entre les apertures. — L’aperture de la


voyelle accentuée peut se conserver ou éprouver une modification.
A vant l ’ouverture de ü, tüüm et süüm ont pu se maintenir sans
doute sous l ’influence de tüa, süa, tüos, süos, etc. Il s’agit donc d’un
cas de conservation analogique.
Dans cül, dût (attesté au i n e s. pour duo), füï, i l l ü ï et dans les
parfaits du typ e *valûî ( < valût), Vü ne s’est pas ouvert en o, l’ar­
ticulation de ü étant favorisée ici par celle de i : le m ouvement
lingual est en effet plus com plexe pour la succession o -j- i que pour
la succession ü -f- i. Le manque d ’écart entre les deux apertures
vocaliques était d ’ailleurs compensé par la grande différence qui
existe entre l’articulation de ü et celle de ï.
Par contre, il y a eu modification d ’aperture dans *m;on <
mëum et dans les m ots du type lof <
laudat *Mçon et I ç f sont
CONSONNE ORA LE SU IV A N TE 343

devenus en effet le premier *mion, le second loe. Dans ce cas, la


différence des points d’articulation était moindre que dans celui de
cûï et de *valüï. Elle n’a pu compenser le manque d’écart entre les
apertures. Aussi pour maintenir la netteté de la frontière syllabi­
que, l’articulation de e et de g a-t-elle été exagérée et ces voyelles
sont-elles passées progressivement à i et à o.

R I. — Dans la suite, *mion est devenu *mien, par assimi­


e m a r q u e

lation de o inaccentué avec i ; d’où *myen, et, après la nasalisation de e,


*mycn, aujourd’hui [myèj = mien.
R II. — Une fois les étapes *myen, *syen réalisées, *lwen est
e m a r q u e

devenu *tyen par analogie ; d’où, après la nasalisation, *tyên, aujourd’hui


[tyê] = tien.

IV. — VOYELLE ACCENTUÉE + CONSONNE ORALE

On a déjà parlé de l’action réductrice de certaines consonnes sur


le dernier élément des diphtongues et des triphtongues. Pour le
type *louva ( < lüpa) > vfr. love (auj. louve), cf. p. 306 ; — pour le
type *erîtieir ( < intëgru) > entier, cf. p. 326 ; — pour frc. treiiwa
> *til^ttva > *iAwa ( > fr. trêve), cf. p. 331.
Mais dans le cas des voyelles accentuées, l’action des consonnes
suivantes a été beaucoup plus considérable. Elle peut avoir été :
labialisante ;
vélarisante ;
palatalisante ;
ouvrante ;
fermante ;
nasalisante ;
allongeante.
On étudiera successivement chacune de ces actions.

A. — Action labialisante

On verra qu’à partir du x iv e siècle, e accentué entre deux


consonnes d’articulation plus ou moins labiale a passé à œ ; cf.
p. 429.
Le phénomène se constate également lorsque c est sim plem ent
suivi d’une consonne labiale. Mais il est très rare et le résultat ne
s’est pas maintenu dans la langue. C’est ainsi qu’on trouve en
moyen-français des formes comme abeulles, conveux (Oresme), leu-
vre, treuve, etc., pour abeilles, convex, lèvre, treuve, etc.
344 A R T IC U L . DKS PHONÈM ES V O IS IN S (A C T I O N S A U C O N TAC T)

R k m a r q u r 1. — Flaume., donné sans autre indication par R. Esticrinc


(1519) et condamné comme vulgaire par H. Kstienne (1582) et par Oudin
(1(538) ne résulte pas de la labialisation de e au contact de m dans un ancien
flamme — fiai mina < gr. phlcgma. Fleumc, déjà attesté en 1314 sous la
forme fleugme présente le même traitement -gm~ > -ym- que sagma > iat.
vulg. sayma. Il ne provient donc pas de flemme — flaimme. Ces der­
niers continuent une forme savante flegme, dans laquelle le g s’est assimilé
à m. Une troisième fois, au x v ie siècle, le mot a été repris au grec par Ambr.
Paré avec la prononciation actuelle de [flçgm]. Le français familier flème
n'a rien à voir avec ce dernier, mais continue plutôt le vfr. flemme —flaim­
me. A noter que fleumc a pu passer à flume. D’après Hindret (1687), la petite
bourgeoisie de Paris employait cette forme. Mais il s’agit là probablement
d'une prononciation d’origine provinciale ; cf. auj. lyonn. flume, Démuin
(Somme) flumme.

R e m a r q u e I L — Abreuve est sans doute analogique de abeuvrer < vfr.


abevrer ( < *adblberare).

R e m a r q u e III. — Fleure, pour flaire, attesté dès le xive-xve siècle


s'explique non par l’action de ƒ initial mais par une contamination avec
fleur.

R e m a r q u e IV. — Les 3« pers. sing, indic. prés, creuve, leuve, peuse


donnés encore par Lanoue (1596) ne résultent pas d’une labialisation de e
accentué dans (il) crève, lève, pèse. Ce sont des formes refaites sur les infi­
nitifs crever, lever, peser.

R e m a r q u e V. — On trouve seuf < site dans Villon, Gréban, Ron­


sard, etc. C'est une forme de l’Ouest, avec labialisation de e provenant de la
réduction de wç au contact de ƒ final. Il ne faut pas confondre ce phénomène
avec le passage de we à œ, caractéristique du wallon ; cf. dans ce dialecte
esteut < estoit, estreut < estroit, steûle < estoile, etc.

R e m a r q u e VI. — La labialisation de e accentué a pu se produire aussi


au contact d'une chuintante, qui comporte comme on sait une légère pro­
jection labiale ; cf. en v. fr. geurle < gerülu, à côté de jarle « corbeille,
vaisseau en bois à deux oreilles trouées ».

B . — A c tio n v é la r is a n te

A propos de c e tte a ctio n se pose la q u estio n des continuateurs


de la term inaison -abat (im p a rfa it de l ’in d ic a tif de la classe I) en
v ieu x français.
P rim itiv em en t on a eu -evet d an s l ’E st e t le N o rd -E st ; - out, pro­
venant de - ouet, à l ’O u est. Ce dernier s ’e st réd u it de bonne heure
en -ot (form e du Roman de Troie , de ïE n éas et de Marie de France),
et a pénétré dans les te x te s littéraires non originaires de l’Ouest
dès la seconde m o itié du x n e siècle ou du d éb u t du x m e ; cf. p.
ex. amoi chez B u teb eu f, dans la Chastelaine de Vergi, menot dans
J o u /jro i, etc.
CO NSO NN E O tt AUE SU IV A N T E 3 15

Hkmahuuk I. — Au xi it0siècle, -evet a cédé la place à -oit dans les tex­


tes. Dans la langue parlée, au contraire, -evet s’est généralisé h l'imparfait
de tous les verbes en wallon. Par suite de la labialisation »lont on a parlé
plus liant, il est continué aujourd’hui par ja/|. Seuls avait et estait (de estre)
ont maintenu leur terminaison ; ef. actuellement [es/œ).
UtiMAiiQiTB 11. ~ Dans tes parlera de l'Ouest où (>g s’est différencié en
Çg, on a une terminaison -eut au lieu île -ont ou -ot ; cf. p. ex. aient, jeûnent,
mangent, parlent dans des textes normands du xme siècle, s'estuet (= s’es­
tent) dans lienart, 1, 2123 L, etc.
Kumahque UI. — 11semble que primitivement le francien et le picard
aient appartenu à la zone de -ont. La généralisation île -eil <-ë(b)at ù l’im­
parfait des verbes en -er qui a eu lieu ici de très bonne heure, comme plus
tard dans l’Ouest, ne peut guère s’expliquer que par le besoin de différen­
cier la terminaison île ama(u)l de celle des parfaits o(u)t,pla(u)t,sa(u)t, etc.
La langue fournissait déjà un modèle pour cette différenciation, avec le dou­
ble imparfait qu'elle possédait : estant (de ester < stave) d’une part et esteit
— estait (de estre < essore) de l’aut re.

Pour -onet > -ont, on suppose que la terminaison latine - abat,


après avoir [tassé h *-aanit a vélarisé son a accentué au contact du
w suivant.
A celte hypothèse, qui est communément admise, on peut faire
un certain nombre d’objections.
La première concerne le consonantisme. Pourquoi le -b- de
-abat serait-il devenu -tv-, alors qu’il a abouti ailleurs <\ p dans les
mêmes conditions (cf. baba > vîr. bève, faba > fève) ou dans des
conditions plus critiques, dans rabattu > cheval par exem pel, où
il est pourtant devant l’accent ?
Comment, se fait-il d’autre par! qu’eu francien, eu picard et
dans foui l’Ouest, 17f accentué ne se soit pas vélarisé au contact
de w dans le continuateur de aqua, qui a élé *aiva à un moment
donné, ni dans laval > vfr. leve.
On ne saurait d’ailleurs tenir compte de mots comme vfr. groe
« rivage, grève », v. fr. boe (auj. boue), v. fr. choe (dans chouette)
pour prouver que la vélarisation de d en o a existé devant -iv-
en gallo-roman septentrional.
Gratta a donné partout grève. D ’autre part, si on a ù c»Mé une
forme groe, elle ne peut, vu son extension géographique, être consi­
dérée comme une forme caractéristique de l’Ouest ; ef. en par­
ticulier le lorr. croue. Son phonétisme ne s’oppose pas cependant
à celui de grève, car elle, provient d’un type étymologique diffé­
rent : *grauca, postulé, ù cause du consonantisme, par le poitev.
(frage, de même signification ; cf. encore dans le départ, de la
Vienne les noms de lieux tels que (trage, Orages, (iragets, etc.
Le v. fr. boe (auj. baue), peut continuer, mm pas * banni, comme
ou l’admet assez communément, mais un type *buuga, (tout le
suffixe -ga se recommit non seulement dans le poitevin bouge
« terrain inculte et couvert; de petites hrumles », mais encore
dans le normand bmigues « terrains uuuvcageux et mouvants des
310 A U TIC U E. DES l ’HONÙMKS VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

bonis île lu mer » (cf. encore puschl. boga). Contrairement à ce


qu'on a pu dire, il n’y a aucune difficulté phonétique à faire pro­
venir le v. fr. boc. de *bauga.
Enfin, le type *raua dont on fait ordinairement provenir Je
v. fr. choc ne s’impose nullement. On peut tout aussi bien partir
de *caiw a , attesté dans des gloses latines du m c s., avec un groupe
- w/m;- (pii se n trouve dans le moy. néerJ. caïuoe «corneille». De
plus, le prov. cavcr, Je calai, c.avcca, avec suffixe au degré plein :
-crm -Fera, permet teut de supposer qu’iJ a pu exister aussi un
type *catica, avec suffixe au degré zéro. Ce serait ce *cauca qui
potin ait êt re à l’origine du v. fr. choc. S’il en est ainsi, on s’ex­
plique que, orne, boe. 11 choc aient pu exister dans les mômes régions
où on a graua > grève, laval > v. fr. lève, etc. Il n’y a pas anta­
gonisme entre les deux phonétismes. Ce sont les types étymolo­
giques qui sont différents : dans grava, laval, etc. on a un a, dans
*granca, *bauga, *cauca ou *couva on a une diphtongue au. Quant
au développement de ces derniers types, il ne présente aucune
difficulté : on a eu p. ex. *grauca > *grauga > *grywu > *gryivç
> vfr. groc.
S’il en est ainsi, il en résulte que la terminaison -oui de l’impar­
fait des verbes en -cr n’est pas d’origine phonétique. Elle pourrait
s'expliquer par une contamination avec le parfait, temps du reste
voisin de l’imparfait et avec lequel ce dernier se confondait sou­
vent aulrefois. Lu 'V- pers. sing. *amuul (1. cl. arnavit) aurait déter­
miné la réfection de amabal en *amaubat, et de là la diphtongue
au se scraiL étendue à toutes les autres personnes.
IIkmauquk . — Parallèlement, à grava > grève on attendrait pour le
lui. pava une forme *pcve. Or c’est poe que l’on a en vfr. Ce dernier s’expli­
que par mie réfection sur un maso. *po < pava, qui a dû exister ancienne­
ment, mais qui a disparu au profil de paon < pabnne. - Pour l’évolution
du frc. *blûo, fém. blawa, cf. pp. 304-5, 310 et 204, 338.

C. — A c tio n p alatalisan te

Trois groupes de phénomènes sont à distinguer :


1° Dans Je Nord, Je Nord-Est, l’Est et l’Orléanais, 1’« des termi­
naisons -ail et -aille est devenu e en vfr. sous l’action du l suivant.
Traveil et Iravcille y sont représentés par Iravcil et Iraveillc.
Les formes en e sont encore données par des grammairiens du
xvP' siècle ; cf. Iravcil, Iravcillcr chez Sylvius (d’Amiens), je Ira-
vcillc chez Bovelles (des environs de Saint-Quentin). Mcigret qui
est de Lyon, écrit aussi Iravcil, ce qui prouve que le phénomène en
question dépasse les frontières du français.
Aucune trace de -cil, -cille pour -ail, -aille n’cxisLe dans le fran­
çais actuel.
CONSONNE ORALE SUIVANTE 347

R k m a u q u e . — L’action assimilatrice de l a pu être combattue, d’où,


à l’inverse, -ail, -aille pour -cil, -eille, par suite d’une différenciation. D’où
des formes comme parail, mcrvaille, etc. Ce phonétisme a été adopté par
la langue commune dans ouai le (pour vfr. oeille < ovlcûla usité jusqu'à
Oudin). Au xvic siècle, K. listienne donne aussi melail, pour méleil < *mix-
llliu et au xvue, Oudin indique mcslail et méleil.

2° A l’Est, et dans l’Orléanais, l’a de la terminaison -agne est


devenu anciennement e sous l’action du n suivant. D’où des formes
comme araigne pour aragne ( < aranea), monlaigne — monle.ingne,
pour montagne, Brclaigne pour Bretagne, etc.
De l’Orléanais, cette prononciation est montée jusque dans
1’Ile de France. C’est ainsi qu’au x m e siècle Rutebeuf fait rimer
acompaigne avec esloingne et enseingne. Plus tard, Villon présentera
les rimes Auue(r)gne : Charlemaigne, Bretaigne : enseigne. Au x v ie
siècle, Tabouret (1587) de Dijon, dit que la plupart des mots en -ei­
gne peuvent rimer avec -aigne. De même, Lanoue (1596), peut-être
angevin, écrit que les deux terminaisons -aigne et -eigne ont une
prononciation identique. De fait, Malherbe quelque temps après
fera rimer compagne avec dédaigne. Enfin, en 16U8, Palliot criti­
quera la prononciation par e et il sera suivi en cela par tous les
autres grammairiens.
Sans doute faut-il voir une forme dialectale dans araigne qui
s’est conservé dans musaraigne et dans araignée (La Fontaine écrit
encore aragne). La chose n’est pas aussi sûre pour châtaigne, qui a
pu être influencé par châtain. Pour les formes verbales comme
baigne, plaigne, on doit probablement y voir des formes analogi­
ques soit de bain, soit de plaint. Il en est de même pour allaigne,
enfraigne, avec un e analogique de vfr. attaint, vfr. enfraint, et où
l’orthographe a suivi la prononciation ; cf. auj. atteigne, enfrei­
gne. Enfin saigne, pour un plus ancien sagne < sanguïnat, a suivi
l’évolution de bagne ( < balneal) > baigne.
Monlaigne, nom propre, à côté de montagne, doit sa prononcia­
tion avec e à l’orthographe.

3° En Wallonie, en Lorraine, dans la partie orientale de la Pi­


cardie, en Bourgogne, en Normandie et dans les dialectes méridio­
naux de l’Ouest, l’a a passé anciennement à e devant les affriquées
ts, dz ou les prépalatales s, z. On a ainsi des formes du type saiche
pour sache, saige pour sago.
Ce phonétisme a pénétré aussi par voie littéraire dans l’Ile de
France. La Farce de Palhclin, par exemple, présente les rimes cor-
saige : neige, froumaige : aurai-je.Il
Il n’a laissé aucune trace dans la langue commune.
318 a u t ic u i .. ur.s rnoNi':MriS v o isin s ( a ctio ns au contact )

I). — Action ouvrante

Cot to action prut cire conservatrice ou positive.

1° Action conskhvatuick. — On constate une action ouvrante


conservatrice (tans le cas du vfr. çwc < aqua. On a vu que a accen­
tué en syllabe ouverte est devenu ç, puis ê dans le vfr. mer < mare
(pp. 201 sq.). Mais au contact d’un w, dont la nature est d’ouvrir
les voyelles palatales, l’ç de * fwe s’est conservé tel quel, et c’est
ainsi qu’il a pu se diphtonguer plus Lard en ç* ; d’où é'we, puis
edive et finalement can (p. 338).

2° Action uositivk. L'action ouvrante est au contraire


positive dans le cas de. r. Encore faut-il remarquer que cette con­
sonne n’a agi qu’à la condition d’etre implosive ou géminée. Son
action se manifeste dans ce cas sur les voyelles i, [ii] et e.

a) Au contact d’un r implosif suivant, i accentué s’est ouvert


dans sa partie finale, et il en est résulté une diphtongue ie, primi­
tivement accentuée sur son premier élément, ensuite sur le second.
Le vfr. virge ( < vïrgïnc) et le vfr. cirge ( < cërcu) sont ainsi devenus
vierge, cierge, puis vierge, cierge. Ces deux dernières formes se sont
conservées jusqu’à nos jours. Mais le vfr. présente encore d’autres
exemples ; cf. desiert pour desirt (3e pers. sing. subj. prés, de dési­
rer), mierre pour mirre (auj. myrrhe, savant).

b) Er consonne a commencé à s’ouvrir en ar dès le x m e siècle.


Parmi les plus anciens exemples, on peut citer les rimes de Rute-
beuf ; sarge (pour serge < serica) : large. Us se multiplient au cours
du x iv e et du x v e. A cette dernière époque, la confusion de er et
de ar est commune chez tous les poètes. Villon, par exemple, pré­
sente les rimes Robert : Lombart, aherdre ( < aderigere) : ardre
( < ardëre), iverrie et gouverne : Marne, erre ( < Herat) : Barre, etc.
II. Estienne fera la remarque suivante en 1582 : « Plebs praeser-
tim parisina hanc litteram a pro e in multis vocibus pronuntiat,
dicens Piarre pro Pierre..., guarre pro guerre... place Maubart pro
place Maubert ».
Ce phénomène, ainsi que le précédent, ne peut s’expliquer que
par Je passage de r apical dental ou alvéolaire, hérité du latin, à r
dorsal, c’est-à-dire à l’r parisien d’aujourd’hui. L’ouverture de
er + consonne à ar est comparable à celui de e + w en q + w en
gallo-roman : le dos de la langue en se soulevant dans la région
vélaire, pour r dorsal et pour w, a déterminé l’abaissement de la
partie antérieure, abaissement qui a provoqué l’ouverture des
voyelles antérieures.
Cependant la langue savante s’est opposée encore une fois à ce
nouveau phonétisme. Au x v ie siècle, les grammairiens considèrent
CONSONNE ORALK SUIVANTE m
ar pour er comme vulgaire. II. Estienne le laisse bien entendre dans
le texte cité plus haut, où il emploie l’expression de « plebs pari-
sina ». L'orthographe, en effet, a contribué à maintenir la pronon­
ciation avec e dans les milieux cultivés. Ce (pii ne veut pas dire
qu’il n’y ait pas eu en même temps des phénomènes de régression :
restitution de er dans les mots où la langue savante avait elle-même
adopté anciennement ar sous l’influence de la langue populaire.
11 va sans dire que malgré les condamnations des grammairiens
du x v ie et du xvn e siècles, le peuple a continué pendant longtemps
à prononcer ar pour er. On a de nombreux exemples de ce fait
dans les textes populaires de l’époque, et surtout dans les Mazari-
nades. Molière, lui aussi, quand il fait parler Jes paysans ou les gens
du peuple, met dans leur bouche des formes comme : mar (mer),
aparçu, barlne, charcher, imparlinmte, libarté, marcier, parmission,
pardu, parsonne, renvarsés, saroileur, etc.
La langue fixée par les grammairiens et à leur suite par les salons
a conservé évidemment er ; cf. cerf, fer, herbe, perdre, terme, terre,
etc. Cependant certains mots avec ar pour er ont été adoptés par le
lexique pour des raisons diverses.
On trouve d’abord ar dans des mots qui au moment de la fixa­
tion de la langue, n’appartenaient pas au langage courant de la
société, soit parce qu’ils étaient compagnards ou techniques, soit
parce qu’ils n’étaient pas de bon ton. Il n’y avait donc pas là de
modèles en er capables de s’imposer. On peut citer : harde « troupe
d’oiseaux » (vfr. herde < frc. *herdd), hargne (vfr. hergne < hernia),
dartre (vfr. dertre < celt. *dervita), écharpe (vfr. escherpe < frc.
*skerpa), et, avec ar en syllabe inaccentuée : barlong (vfr. berlong
— beslong < bislongu), harceler (du vfr. hercer, dérivé de herse
< *herpice), parpaing (pour perpaing, d’origine obscure, mais
provenant d’une forme avec per-), sarcelle (vfr. cercelle < *cerce-
dula, cl. querquedula), marmelade (de l’esp. mermelada ; la forme
mermellade se trouve chez Oudin, au xvn e s.), etc.
D’autre part, une fausse étymologie a pu faire admettre ar au
lieu de er. Ainsi boulevard (xve s. boulever < m. néerl. bolwerc) et
lézard (vfr. laisert parallèle au prov. lazert < lacerhi) ont été rete­
nus parce qu’on a cru que la terminaison -ard de la langue vul­
gaire correspondait au suffixe -ardu.
Une étymologie mal comprise a fait qu’on a adopté larme au
lieu de lerme, forme du vfr. Lacrïma ayant un a accentué, on a
commis l’erreur de croire que larme était le continuateur régulier
du type latin.
Cependant er, prononciation des salons et de la Cour, a fini par
être imité par la bourgeoisie, puis par le peuple de la capitale. Dans
ces milieux, par un phénomène inverse de celui qui avait entraîné
anciennement le passage de er à ar, il devint de mode au x v n e
et au xvm e siècle de prononcer de nouveau er. On a là-dessus des
témoignages de grammairiens. Ménage note en 1672 : « Le peuple
de Paris dit boulevert, mais l’usage des honnêtes gens est pour bou­
levard ». En 1712, Grimarest écrit de même : « Que l’on prenne

16
350 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S AU CO N TA CT)

garde en voulant imiter le courtisan de tomber dans le précieux, ce


qui n'arrive que trop souvent, comme à ces marchandes du Palais
qui., au lieu do boutevart, etc., prononcent boiilevert ». On s’aperçoit
par cet exemple que la mode populaire est allée plus loin que les
grammairiens. En effet, la bourgeoisie et le peuple ont recommencé
à prononcer cr un peu à tort et à travers. l)e là un certain nombre
de mots dans la langue commune qui font cr, là où l’étymologie
exige ar. Les formes du vfr. esparge ( = sparagu), jarbe ( < frc.
*garba), sarpe ( < sarpa, de sarpere), etc. sont devenus asperge,
gerbe, serpe, etc. Par contre les prononciations populaires erme
pour arme, berbe pour barbe, etc. n’ont pas été retenues. En syl­
labe inaccentuée, on a de même er pour ar dans cercueil (v. fr.
sarcueil < sarcôphagii), gercer (v. fr. jarcer), sertir (v. fr. dessartir,
de sarlu, pp. de sarcire), et, parmi les noms de personnes : Ernout
à côté de Arnold — Arnold, Gliernier à côté de Garnier, Berthé-
lemy, à côté de Barthélemy, etc.
Mais ce n’est pas seulement devant un r implosif que la bour­
geoisie et le peuple de Paris ont changé a en c. Le fait s’est même
produit devant un r suivi de voyelle. La mode avait déjà existé au
début du x v ie siècle, puisque G. Tory (1529) fait remarquer que les
dames de Paris disaient volontiers de son temps : « Mon merg est
à la porte de Peris ». Mais à ce moment-là, il faut y voir une réac­
tion de la société contre le phonétisme populaire. Au x v n e et au
x v m e siècles, il n’en est plus de même. C’est la bourgeoisie et le peu­
ple qui, ayant adopté la prononciation er de la société, renchéris­
sent là-dessus et sentant que e est plus élégant, le prononcent mê­
me dans guérir (vf. garir < frc. *warjan), guérite (vfr. garile, de
meme racine que guérir), guéret (vfr. garet < *varvadu pour ver­
ra et u) et dans d’autres mots que la langue commune n’a pas rete­
nus. Us sont allés encore plus loin d’ailleurs : à la même époque,
l’habitude s ’est prise dans ce milieu de prononcer e tous les a, où
qu’ils se trouvent. Les mêmes marchandes du Palais qui disaient
boulevert , prononçaient aussi médéme pour madame, dira de La
Mothe le Vayer.

c ) Il faut encore signaler l’action ouvrante que r implosif a


exercée sur un [ü] précédent, qu’il a fait passer à œ. Le phénomène,
il est vrai, n ’est pas francien. Mais il a laissé des traces dans la
langue commune.
Au m oyen âge, on avait h u rle et hurler. C’est la forme qu’em­
ploie encore Meigret dans sa traduction du M en teu r (1548). Sa
réplique à Péletier qui le blâm e de l ’avoir fait est intéressante,
parce qu’elle nous indique que heurle était senti comme dialectal ;
« Celuy qui me consentira q’on doève prononcer h urle... pour
heurle... sera celuy qui voudra uzer d’un langaje gracieux è d’une
prolacion èzée, lèssant ao demourant cet aotre prononciacion revê­
che dificil è lourde par eu ao Picars ». En effet, non seulement en
Picardie, mais encore à l ’E st et à l ’Ouest, l’[ü] s’était ouvert en œ
au contact d’un r im plosif.
C O N S O N N E O R A L E S U IV A N T E 351

C’est également d’un dialecte de l’Est ou de l’Ouest que doit


provenir, au xvi° siècle, la prononciation beurre , pour vfr. bure
( < buluru, gr. poozôpoy).
R emarque I. — Il faut distinguer des cas précédents, celui de bonheur
et de malheur. La prononciation phonétique du parisien était bonhur et
malhur, le vfr. ëur ( < *agüru) s'étant contracté normalement en für],
comme dans mëur ( < malùru) > mûr. sëur ( < sccüru) > sur, etc. Le fait
est d’ailleurs attesté. Malherbe, d’après Racan, « ne vouloit point qu’on
rimât sur malheur ni bonheur, parce qu’il disoit que les Parisiens n’en pro-
nonçoient que l’u, comme s ’il y avoit bonhur, malhur ». En 1687, Hindret
fait encore la remarque suivante : « Ce seroit parler en badaut que de dire
bonur comme quantité de gens disent à Paris ». En effet, bonhur et malhur
ont cédé la place à bonheur et malheur. On s ’est demandé si la finale de ces
mots ne venait pas d’un emprunt aux dialectes des régions signalées plus
haut dans lesquels précisément le vfr. -ëur est devenu -eur. Il est plus pro­
bable que c’est là une prononciation calquée sur l’orthographe qui a conservé
dans ces mots l’ancien groupe -eur, malgré l’amuïssement de e en hiatus,
sous l’influence de heure ( < hôra) et à cause des expressions de sens voisin
ou équivalent à la bonne heure, à la malheure. Toutefois, l’influence des
poètes normands ou autres qui faisaient rimer normalement heur avec coeur,
fleur, etc. a pu contribuer elle aussi à ce phonétisme. Mais c’est tout.
R emarque II. — Toujours, semble-t-il, à cause de l’orthographe meur,
seur qui s’est maintenue longtemps après l'amuïssement de e en hiatus, on
a pu de même prononcer meer et sœr au xvi« et au x v u e siècles. Mais ces
prononciations ne se sont pas conservées, faute d'un modèle qui existait
dans le cas de bonheur et de malheur.
C’est la même influence livresque qu’on doit sans doute admettre à la
base des prononciations [fœ] = feu < vfr. fëu ( < *falûtu) et [iœn] = jeûne
< vfr. jeune ( < jejùnu).

d) N ote su r la diphton gaison conditionnée dialectale


au contact de r, l, s

On constate dans le vieux picard nord-oriental la diphtongaison de i


dans les continuateurs des mots latins où cette voyelle était suivie d’un
groupe r ou s + consonne ou d’une géminée rr, Il et ss. Cf. coviert < copërlu,
coviercle < copërcülu, dioiers < divërsu, ierbe < hêrba, piert < perdit, sierf
< sërvu, uiers < vôrmes, etc. — , bieste < *bësla, ficsle < fësta, iestes
< ëstis, liesle < testa, viespres < uéspëras, etc. — . fier < fërra, lierre < iërra,
anciele < *ancèlla (1. cl. ancllla), apiele < appellat, biele < bëlla, cslinciele
< * sclnlëlla (1. cl. scintilla), mamiele < *mamëlla (1. cl. mamilla), < con-
fiesse < confessât, priesse < *prëssat, adies < *addëssu ( < ad Id Ipsu +
prêssu), biel < bel u, noviel < novellu, pries < prèssu et les composés apries
prieske, etc.
Les faits sont les mêmes en ancien wallon pour ë suivi de r ou s + con­
sonne. Mais il semble qu'il n’y ait pas eu de diphtongaison dans le cas de ë
suivi d’une géminée. Les rares formes du type lierre, priesse, noviele, etc.
qu’on relève dans les anciens textes — et qui du reste ne sont pas consti-
nuées dans la langue moderne — proviennent probablement de scribes
picards.
On note encore ailleurs au moyen âge des exemples de diphtongaison ;
cf. par exemple priesle « prêtre » dans le Cartulaire d'Orval (Meuse), tiexles
— iieusles « textes » à Fécamp (Seine-Inf.), piart « perd », soffiart « souffert »
dans le Roman de la Rose (ms. Ha), lierre dans le Psautier lorrain, etc.
352 A R T 1C U L . DES riïO N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S AU CONTACT)

Tour le typ e é -p r 4- consonne, on a aujourd'hui [yç] dans la W allonie


(ef. [pyçd] «perdre)', [vyer] « v e r » , etc. à Seraing. [syç] « sert », [pyçt]
« perdre », [yçp] « herbe »'. à N am ur ; etc.) — dans la B elgique picarde et
le départ, du Nord (cf. d ’après VA L F ., cartes herbe 686 et perdre 999 :
[yç] au x pp. 281, 292, 291) — et dans le P ays gau m et (extrêm e S u d -E st
de la B elgique). De plus, d ’après les m êm es cartes de VA L F : [yç] aux
pp. 89, 180 (M .-et-M os.), 85 (lit-R h in ), 88 (B .-R h in ), GG, G7, G8, 77, 8G,
87 (V osges), 75 (Jerr. de B elfort), 72, 73 (Jura S u isse), et [I] < * ie aux
pp. 75 Rerr. de B elfort), 64, 7-1 (Jura Suisse). Cf. encore [yçp] et [èp] « herbe »,
[p y ç t] « perdre » à lla ttig n y (M oselle), miete « merle » à E p iez (M .-et-M os.),
[m'y al] 5 R ournois (D ou b s), m icrle dans plusieurs lo ca lités de la B o u rg o ­
gne, piert « perd » dans quelques coins du Berry, etc.
Pour le ty p e *bèsta, fenestra, fèsta, testa, [yç] est encore v iv a n t en w allon !
cf. [b y çs], [fin yçs], etc. à Seraing, [ty es], [fyçs], etc. à N am ur, [ty çs] à H u y.
De plus VALF'. note [vç] aux pp. 290, 292, 293, 294 (B elgique picarde), 270.
280. 281, 282 (N o rd ),'et [î] < *ie au x pp. 15G, 1G4, 1G5, 174 (M euse). E n
gaum et o n a ]fïct], tu t], bïet] ; dans le N ord du d épartem ent des A rdennes,
jbiyét] et [biyèt] ; dans les environs de L onguyon (M eurthe-et-M oselle),
[bu] et [fît], iï M angiennes (ibid.) [bit] ; dans l ’E st de la Creuse, byetyo, fe~
nyetro, fyelo, etc.
Pour le typ e terra, V A L F . (carte 1299) signale [yç] au x pp. 281 (N ord),
89, 180 (M eurthe-et-M oselle), 85 (H .-R h in ), 88 (B .-R h in ), GG, G8, 78, 8G, 87
(V osges), [ie] au p. 182 (P a y s gaum et), [ï] aux pp. 164, 174 (M euse), 74 (Jura
su isse), et [va] au x pp. 12 (C ôte-d’Or], 7 (S aône-et-L oire), 508 (V ienne),
Ticrre est aussi relevé en Berry.
Pour le ty p e fèrru, [yç] est a tte sté actu ellem en t encore dans la région de
Liège, à N am ur, à lla ttig n y (M oselle) et dans les parlers du S u d -E st de la
M eurthe-et-M oselle : [va] dans les m êm es parlers, et sp oradiquem ent en
B ourgogne et en Eranche-Com té.
Pour le tvp e bèllu, V A L F . m entionne [yç] et [i] au x pp. 182 (P a y s gau ­
m et). 89, 180 (M eurthe-et-M oselle), 88 (B .-R h in ), 48, 59, G9, 7G, S7, 140
(V osges), 49 (H te-M arne), 10, IG (Côte d ’Or), [yei] au x pp. 170 (M eurthe-et-
M oselle), 68 (V osges), et [i] au x pp. 15G, 1G4, lGo, 174. 175 (M euse). On sign a­
le de plus [byç] et [pye] ou [pë1] < pelle à H a ttig n y (M oselle), et [èyç] spora­
d iquem ent en B ourgogne et en Franche-C om té. "
l'n trait qui oppose le w allon au picard, c’est dans le prem ier de ces d ia ­
lectes la diph ton gaison de ö devan t r et s su iv is de consonne. On a par e x e m ­
ple a u jou rd ’hui [wç] dans [mwçr] < m o rl(u )u , [pwçt] < porta ù Liège,
[fwçr] < förte, [pw çt] « porte » à Seraing, [kw çt] < chorda, [dwçm ] < dôr-
m io, [w çdz] < hórden à H u y , etc. — et Iwa] dans [dwa] < dorm it, [kw at]
« corde » [w ats] « orge » à N am ur. D ’autre part côsta est continué par [kw çs]
à Seraing et à H u y et par [kwas] à N am ur. La première a tte sta tio n de ce
phénom ène est p eu t-être la form e qualuozc < . *quatt(u)ordcce des Gloses
de D arm stadt.
La d ip h ton gaison de ô placé dans les m êm es conditions se co n sta te autre
part. D ’après les cartes corde, force, fort, niort de V A L F . on a [wo] a u x pp.
89, 18U (M eurthe-et-M oselle), 85 (H .-R h in ), 88 (B .-R h in ), 57, 58, GG, 67,
G8, 77, 78, 8G, 87 (V osges), 75 (terril, de B elfort), 35, 3G (Ilte -S a ô n e ), 16
(C ôte-d’Or), 21 (Ju ra), G4 (Ju ra S u isse) — , [wa] aux pp. 180 (M eurthe-et-
M oselle), 88 (B .-R h in ), 31 (D o u b s), 20, 30 (Jura), 122 (A ube) — , [wç] au x
pp. 46 (llte -S a ô n e ), 75 (terril, de B elfort). Autre part on trouve des d ip h to n ­
gues d escen d an tes : ]u0| dan s le P a y s gau m et et [ue] dans la m êm e région et
dans le Jura su isse. D ’où , par réd u ction , sim plem ent [u], en dehors du
p. 188 (W allon ie), au x pp. 182. 183 (P a y s gaum et), 163, 171, 173 (M eurthe-
et-M oselle), 143, 144, 153, 154, 156, 164, 1G5, 174, 175 (M euse), 78 (V osges),
25, 35, 44. 47 (llte -S a ô n e ), 146, 155 (M arne), 49, 132 (H te-M arne). 32, 54
(D oubs), 13 (Ju ra). 64, 74 (Jura su isse).
Que dans tou s ces ex em p les il s ’agisse d ’une d iphtongaison con d ition n ée
et non d ’une d ip h ton gaison sp on tan ée qui se serait produite m êm e en s y l­
labe ferm ée, cela ressort des exem p les com m e term ite « erm ite », sierpent
« serpent », siernw n « serm on », viertu t « vertu », etc., si fréquents dans les
C O N S O N N E N A S A L E S U IV A N T E 353

anciens textes picards et wallons, dans lesquels c’est une voyelle inaccentuée
qui s’est segmentée. C’est sans nul doute l’action ouvrante des consonnes
implosives qui est à l’origine de la diphtongaison.
Mais il faut spécifier. Au début, r et s devaient se prononcer comme en
latin avec la pointe de la langue soulevée contre la région dentale ou alvéo­
laire. Actuellement, dans le français parisien du moins, ils s’articulent avec
la pointe de la langue contre les incisives inférieures : la partie post-dorsale
de cet organe est plus ou moins soulevée.
C’est un déplacement d’articulation du même genre qui explique que e et
p aient pu se diphtonguer dans les mêmes parlers.
Tant que r et s étaient apicaux, le dos de la langue était relativement
abaissé : c’est alors que p a pu s’ouvrir en po. Avec le changement d’arti­
culation, le dos de la langue se soulevant, c’est la pointe qui s’est abaissée :
alors g a pu s’ouvrir en gs. D’où ensuite ûo, ie et les continuateurs. Ainsi
donc la diphtongaison de p serait antérieure à celle de e.
La tendance à la diphtongaison et le déplacement d’articulation peuvent
être plus ou moins anciens suivant les dialectes ; c’est sans doute dans le
même ordre que les phénomènes ont eu lieu.
L’absence de diphtongaison dans le cas de p en picard peut s ’expliquer
par le fait que la tendance à la segmentation étant venue relativement tard,
r et s étaient déjà plus ou moins articulés avec le dos de la langue soulevé
dans ce dialecte, lorsque la tendance est survenue.
D ’autre part, si le wallon connaît la diphtongaison de e dans bel > biel
et l’ignore dans le cas de belle et terre, ce peut être un signe qu’au moment
de la segmentation les géminées s’étaient déjà plus ou moins simplifiées
dans ce dialecte et que ç se trouvait alors devant une consonne explosive
+ voyelle.
Quoi qu’il en soit, la diphtongaison conditionnée dont il est question ici
est postérieure à la réduction de ie provenant de la diphtongaison spontanée
de g roman (p. 267) à i ; d’où l’opposition du type fyer < fèrru : fi < fera
que l’on note un peu partout. Elle est aussi postérieure à l’ouverture de e en e
dans cercle < cïrcùlu et evesque < episcopu (p. 247), puisque le nouvel <? a
pu passer a ie dans derde et (e)viesque ; cf. encore [fya] ou (fyar] < ferme
ferme ( < fïrmat) dans le Ht-Rhin, le Bas-Rhin et dans quelques coins des
Vosges. La présence de gierbe en v. picard, dans le cas où gi- n’est pas une
simple graphie pour [dij, indiquerait qu’elle est enfin postérieure au pas­
sage de jarbe < frc. *garba à gerbe, qui lui-même suppose le phonétisme
er- > ar. (pp. 348 sq.).
Il faut signaler enfin la diphtongaison dialectale d’un ancien p ( < lat.
ô, ü en syllabe fermée) devant un r implosif. Les premiers exemples que l’on
puisse noter se trouvent dans les Moralia in Job, en wallon ; cf. cuert < côrte,
fuer < diürnu, tuerbes < lürbas. Le phénomène apparaît aussi en lorrain
dans certains parlers du cours supérieur de la Moselle (cf. p. ex. [A'tror],
[Atrp/J, [A*u>p], [ku>ç] < cürtu, [/mpy]. [fwç] [ƒ«?£] < fûrnu, [firc] < lùrre, etc.),
dans le Doubs (cf. à Fourgs : [fwç] « four ». à Besançon au x v in e s. couol
« court », louot « tour »), dans le Jura (cf. à Crans [fxro] < *bürgu, [aftap]
« autour », à Exincourt [în>ç] < diürnu, Adinkwe « Audincourt »). Des for­
mes actuellement monophtonguées permettent de l ’étendre plus loin : cf.
p. ex. [.-p] « jour », [Ao] « court », [/p] « four », [fp] « tour » à Bourberain
(Côte-d’Or). De même on trouve aujourd’hui encore touome « tourne » dans
le Bessin et [-’oçr] » jour » à Guernesey.

V. — VOYELLE ACCENTUÉE + CONSONNE NASALE

L’action exercée par une consonne nasale sur une voyelle accen­
tuée précédente est double. Dans tous les cas, la voyelle s'est
nasalisée. De plus, et antérieurement à la nasalisation, on note
pour certaines voyelles un mouvement de fermeture.
354 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

A. — A ctio n f e r m a n t e

Deux cas peuvent être distingués :

1° Devant une consonne nasale implosive, ç et ç romans, pro­


venant de ë, ö latins accentués en syllabe fermée, ont passé tout
d’abord à f, o.
On a eu ainsi : tèmpus > *tqns > *tens, cëntu > *cqnt > *cent,
vëntu > *vqnt > *vent, sentit > *sent > *sçnt, tormëntu > *tor-
ment > *torment, pëndëre > *pendre > *pendre, etc. ; — ponte
> *pçnt > *pont, contra > *contre > *contre, comité > *cçmte
> *comte, *cômpütu > *cçnte > *conte, homïne > *gmme >
*omme, *côgnïlu > *cçntu > cointe, etc,
De même, l’p provenant de la monophtongaison de au latin ou
germanique s’est fermé en p dans les mêmes conditions ; cf. a(v)-
ünc(u)la > *onclo > *onclo, *habunt (cl. habent) > *atint >
*çnt > *ont, *}acunt (cl. faciunt) > *faunt > *fçnt > *font, va-
dunt > *vaunt > *uont > *vont, frk. haunïta > *hçnta > honta,
Catalaunos > *tsa§alçns > *tsa&alons, etc.

Re m I. — Le passage de p à p est postulé par l’évolution dia­


a r q u e

lectale qui aboutit à [f/1 ; cf. p. 360. D ’autre part, étant donné que le v.
prov. a temps < *tqmps, sempre < *sqmpre ( < sëmper), cent < *cqnt,
rent < *t>çn/, contra < *cçnlra, comte < *cçmte, etc., il est probable que
le français qui a fermé p en o devant une consonne nasale implosive, a
fermé aussi ç en e dans_les mêmes conditions.
R e m II. — D ’aucune façon, il ne peut s ’agir ici de conservation
a r q u e

du timbre fermé de <ret ö latins (pp. 193 sq.) sous l’action de la consonne nasale.
Les formes du vfr. cendre < ctnere, fendre < flndêre, etc., avec è, montrent
bien que l’ouverture de i latin en e (et par conséquent celle de ü en o) est
antérieure à l’action fermante de m ou de n : dans le cas contraire, on aurait
eu en vfr. *cindre, *findre. etc., avec ï. La diphtongaison de ç dans pçdc
> *pi-.de ( > pied) est aussi plus ancienne ; ce qui explique que, malgré
]’m implosif, rçm ait pu devenir *rçim ( > rien). Il s’ensuit que Vë et l’p ont
dû s’ouvrir tout d’abord dans vëntu, ponte, etc. Ainsi donc, l’action fer­
mante exercée sur les continuateurs de vëntu, ponte, etc. n’est pas conser­
vatrice, mais positive.
Re m III. — Si l'action fermante de m, n implosifs n’a pu s’exer­
a r q u e

cer au moment de la diphtongaison de ç (et par conséquent aussi de p),


à plus forte raison ne peut-on l’invoquer pour expliquer l’absence de diph­
tongue dans bon < bönu, bonne < dona, on < homo, v. fr. cons < cornes,
sonne < sônal, son < sônu, tonne < tônat, ton < tônu, ni pour soutenir
que l’action fermante de la consonne nasale s’est opposée dans ces mots
à la tendance à l’ouverture, cause de la diphtongaison. Des exemples
comme v. fr. buen < bönu, buene < bôna (cf. buona dans la Sainle-Eulalie),
huem < hömo, cuens <. cornes, tuent < tönet (Psaut. de Cambridge), paral­
lèles à bine > bien, lënet > tient, vënit > vient, montrent suffisamment
que la consonne nasale n’a pas empêché la diphtongaison. L’absence de
diphtongue dans les cas signalés plus haut s’explique soit par l’analogie,
dans sonne, tonne, son, ton, refaits d’après sonner, tonner, soit dans bon,
bonne, par un phénomène phonétique survenu après la diphtongaison :
devant un substantif avec lequel il formait groupe, l’ancien buon est sans
doute devenu *binon, par suite d'un déplacement de force articulatoire
CONSONNE NASALE SUIVANTE 355
conditionné par le mot accentué suivant et *bwon à son tour s’est réduit
à bon. Il est probable qu’on a eu tout d’abord une alternance buon
bucn : bon dans les doublets syn tactiques li pedre est buens : li bons pedre.
Mais bon a été généralisé de bonne heure comme le prouve le premier
vers du Saint-Alexis : Bons fu li siècles al tens ancienur. Une explication
parallèle à celle de bon peut être donnée pour on et le v. fr. cons : employés
comme proclitiques, *hûom et cûons ont pu devenir *wôm, *kw0ns, et de
là on, cons.
R IV. — Pour le mécanisme de la fermeture de ç et q au con­
e m a r q u e

tact d’une consonne nasale implosive, cf. ci-dessous.

2° Devant une consonne nasale explosive, le second élément


de la diphtongue de, issue de la segmentation de a accentué en
syllabe ouverte, a passé à i ; d’où une nouvelle diphtongue ai.
Ex. : amat > *aemat > *aimat, lana > *laena > laina, sana
> *saena > *saina, varia > *vaena > vaina, germana > *ger-
maena > *germâina, etc. ; — fame > *faeme > *faime, manu
> ~*maeno > *maino, *de-mane > *demaene > *demaine, nanu
> *naeno > *naino, planu > *plaeno > *plaino, etc.

Tous les phénomènes de fermeture dont on vient de parler


s’expliquent par une assimilation de la part de la consonne nasale
suivante.
Cette dernière comporte une double articulation : d’une part,
le voile du palais s’abaisse ; de l’autre, la langue prend une position
bien déterminée. Pour m, la pointe s’élève au niveau du point de
séparation entre les incisives inférieures et les incisives supérieures.
Pour n, elle entre plus ou moins au contact des alvéoles. Quant
à la racine de la langue, elle se soulève légèrement.
C’est l’articulation linguale de m, n qui intéresse seule pour
la fermeture de ç et ç.
Pour ç, la masse antérieure de la langue est déjà soulevée ; mais
la pointe est au niveau des incisives inférieures. Par anticipation,
cette dernière a pris pendant la tenue de ç la position qu’elle devait
avoir pour m ou n : du même coup, elle a entraîné, dans son mouve­
ment ascensionnel, la masse antérieure de la langue qui s’est ainsi
rapprochée du point d’articulation de e.
Dans le cas de la diphtongue ae, dont le second élément était
plus sensible à l’assimilation, l’anticipation du mouvement de la
pointe a eu pour résultat de faire passer e à i. Il est d’ailleurs
permis de supposer que ce résultat a été favorisé par le fait que e
se trouvait en contact avec un élément vocalique plus ouvert
et tendait par conséquent lui-méme à se fermer par différenciation.
Pour ç, c’est au contraire l’anticipation du mouvement de la
racine linguale qui a agi. Cette différence s’explique par la nature
même de ces voyelles : ici, en effet, la masse postérieure de la
langue est déjà soulevée contre le voile du palais. Sous l’action
de m ou de n, ce soulèvem entVest accentué.
356 A RTICUI.. DUS PHONKMKS VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

IL — Action nasalisante

Les consonnes nasales ont agi tout d’abord sur les voyelles
précédentes par anticipation de leur articulation linguale (p. 355).
Mais on a vu qu'elles étaient caractérisées aussi par rabaissement
du voile du palais. A son tour, cet abaissement s’est mis à se
produire, par anticipation, pendant la tenue vocalique, d’où créa­
tion d'un nouveau système de voyelles inconnues jusqu’ici dans
la langue, les voyelles nasales.
Mais le phénomène île nasalisation s’est doublé d’un autre : au
fur et à mesure que les voyelles se sont nasalisées, leur substrat oral
s’est ouvert dans le cas de ç, <\ ii, et vélarisé dans celui de à.
De plus, un phénomène inverse s’est produit : à partir d’un cer­
tain moment, les voyelles nasales se trouvant encore devant un n
ou un m prononcés sont redevenues orales.
On étudiera donc successivement les phénomènes de nasalisa­
tion, les phénomènes d’ouverture ou de vélarisation survenus dans
le substrat oral des voyelles nasales et enfin les phénomènes de
dénasalisation.
1° N asalisation. — Tandis que pour une voyelle ou une
consonne orale le voile du palais est soulevé contre la paroi posté­
rieure du pharynx, occupant ainsi une position qui empêche l’air
des poumons de passer dans la cavité nasale, pour n, n et m il est
au contraire abaissé contre la racine de la langue : une faible por­
tion de l'air pénètre ainsi dans la cavité buccale d’où il ne peut
s'échapper à cause du barrage formé par les lèvres ou la langue;
mais le gros du courant expiratoire s’écoule par les fosses nasales.
L’abaissement du voile du palais s’opère en particulier par la con­
traction des muscles glosso-staphylins, insérés d’une part sur
l’arrière langue et de l’autre sur le voile du palais. Que dans un
groupe voyelle orale -f- consonne nasale cette contraction n’attende
pas pour se produire l’articulation de la consonne nasale, mais
anticipe sur elle, la voyelle orale se met à prendre un timbre nasal,
plus ou moins marqué suivant que l’anticipation est plus ou moins
considérable.
La tendance «à l’anticipation a débuté pour toutes les voyelles
à la fois, quel que soit leur timbre. Mais cela ne veut pas dire qu’elle
ait abouti dans tous les cas avec la même rapidité. Certaines condi­
tions ont pu, en effet, la favoriser ou la retarder. Ainsi, il est natu­
rel d’admettre qu’à égale qualité de timbre vocalique, l’anticipa­
tion a été plus précoce lorsque la consonne nasale était implosive.
De même, à égalité de conditions syllabiques, certaines voyelles
ont dû s’en accommoder plus facilement que d’autres. Cette diffé­
rence de comportement tient au degré d’élévation du voile du pa­
lais et au degré de contraction des muscles élévateurs de cet organe,
qui caractérisent chacune des voyelles orales. A ce point de vue ces
voyelles se laissent classer de la façon suivante : i et ii, u, oe, c et a
CONSONNE NASALE SUIVANTE 357
(i = élévation et contraction maxima ; a — élévation et contrac­
tion minima). Les choses étant physiologiquement ainsi, l’antici­
pation glosso-staphyline a dû aboutir plus tôt pour a et e que pour
les autres voyelles, et, comme l’abaissement du voile du palais se
traduit acoustiquement par la nasalisation, cette dernière a été
plus rapidement complète pour a et e que pour i et ü.
C’est ce dernier fait qui importe surtout. La nasalisation n’a été
en effet linguistiquement utilisable qu’à partir d’un certain degré
et lorsqu’elle est vraiment devenue sensible à l’oreille. La ten­
dance à la nasalisation peut avoir commencé en même temps pour
toutes les voyelles : seul le résultat, la nasalisation plus ou moins
complète, compte pour la langue.
On étudiera successivement la nasalisation des voyelles et
celle des diphtongues.

a) Voyelles nasales

L’ordre d’apparition des voyelles nasales est le suivant : â, ë,


o, ï etjyi.
â
Dès la fin du x e siècle, â est attesté. Si la Passion de Clermont-
Ferrand fait encore assoner cantes avec reswardat (49) et forsfait
avec oicisesant (44), le St-Léger évite de faire assoner a + consonne
nasale avec a + consonne orale, ce qui doit être sans doute inter­
prété comme une preuve de la nasalisation de a dans le premier
cas.
â provient :
1° De a latin accentué + n explosif ou implosif ; cf. au x ie siè­
cle : aranea > arà(i)gne, interanea > entrâ(i)gne, montanen >
montä(i)gne, Campania > Champä(i)gne, Hispania > E spä(i)-
gne, etc., — man(i)ca > manche, planen > planche, etc.
2° De a latin accentué + n, m implosifs ou géminés ; cf. au x ie
siècle : germ, blancn > blanc, campu > champ, grande > grant,
tantu > tänt, cam(e)ra > chambre, demandât > demande, planta
> plante, etc. ; — annu > an, bannu > bän, damnu > *dammo
dân, an(i)ma > *amma > âme, flamma > flàme, etc.
D’autres exemples viendront s’ajouter au cours du xie siècle,
lorsque la chute de [2] antéconsonantique mettra en contact un
a avec une consonne nasale ; cf. asinu > asne > v. fr. âne, blasme
(postverb. de blasmer < *blastemare, altération de blasphemare)
> v. fr. blà(s)me, etc. Dans la Chanson de Roland on trouve
358 A R TIC U L. D ES PHONÈM ES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

déjà, à côté de blasme, pasment : chevalchel, altre, target, etc. (1.


105), les assonances blasme : estrange, angles « anges », France,
etc. (1. 86).

R I. — Pour le passage de 5 à â, cf. ci-dessous pp. 373 sq.


e m a r q u e

R II. — La terminaison -ante du participe présent des verbes


e m a r q u e

de la classe 1 s’est généralisée de bonne heure à toutes les conjugaisons.


D’où vendant (= vendente), devant (= debenté), dormant (= *dormenle, pour
dormienle). etc. Cependant cette substitution n’a pu avoir lieu qu’après
l’assimilation de -ce- latin dans dicente, placente ; d’où le [z] de disant, plai­
sant, etc. Elle a entraîné à son tour le changement de *-ence (< -entia) en
-ance dans les mots abstraits comme confiance (= confidentia), vfr. creance —
auj. créance et croyance (= credentia), vfr. chëance — auj. chance (= caden-
lia), etc. La terminaison -ence de prudence (= prudentia), confidence, etc.
est savante. Le même phénomène de substitution s’est produit au gérondif.
Dans toutes les conjugaisons, c'est le résultat de -ande qui apparaît ; ce qui
explique les formes telles que buvande (= bibenda), offrande (= offerenda),
viande ( = vivenda), etc.
R III. — Pour l’anglo-normand chaunte < chante (< cantal) ;
e m a r q u e

cf. ci-dessus p. 374.


f

Dans la Passion de Clermont-Ferrant, e + consonne nasale


n’est pas encore nasalisé ; d’où les assonances crucifige : ensems
(1. 14), Jherusalem : plorer (1. 66), vestimenz : ver ( < vêrum) (1. 68),
etc. Cependant, comme pour a (cf. ci-dessus), le St-Léger évite
de faire assoner e -(- consonne nasale avec e -f- consonne orale,
ce qui doit être encore interprété comme un signe de la nasali­
sation de e dans le premier cas. Ainsi donc ë paraît attesté en
même temps que â. Mais ii est vraisemblable, pour les raisons
physiologiques dont on a parlé p. 356, que ë est légèrement plus
tardif que â.

ë provient :

1° De e roman ( < lat. ë, ï) -f fi, n explosifs ; cf. au x ie siècle


dïgnat > dë(i)gne, insïgnat > ensç(i)gne, tinea > tè(i)gne, etc.
— prëndunt > *prenent > prënent, pectine > pë(i)gne.

2° De e roman ( < lat. ë, ï et germ. ï en syllabe fermée ; lat. ë


dans les conditions indiquées ci-dessus p. 354) -f n, m implosifs ou
géminés ; cf. au x i e siècle : apprëndil > aprënt, emëndat > amende,
pënsal > pense, prendëre > prendre, *lëntial > tènce, vëndëre
> vendre, vïndëmia > vèndënge, germ, binda > bënde, germ, bret-
lïncu > brelènc, cïn(e)re > cendre, cing(ü)la > cingle, die domï-
n(ï)ca > diemènge, fïn d (ë)re > fendre, *frimbia > frënge, germ.
hrïngu > rêne, insïmul > *ensemble > ensemble, ïntus > ënz (et
aussi çaiënz < ecce-hac-ïntus, laiënz < illac-ïnlus), germ, kamar-
Uncu > camerlênc, germ, laidïnga > laidënge, germ, lausïnga >
losënge, lingua > lêngue, sïm (ü )lal > *semble > semble, germ.
CONSONNE NASALE SUIVANTE 359

sperlïncii > esperlênc, subïnde > sovênt, celt. tarïnca > tarênche,
iïnca > lënche, *irïnta (cl. iriginla) > trente, vïnd(ï)cat > vènche
~ venge, gën(ë)ru > *gendre > gendre, gën(ï)tu > gènt, -mënte
> -ment (dans bonamënl, etc.), pënd(ë)re > pendre, sentit > sent,
tempus > tèns, iëmplu > temple, tën(ë)ru > *tendre > tendre,
trëm(ü)lat > *tremble > tremble, vëntu > vent, etc. ; — bênna >
bèn(n)e, gemma > gèm(rn)e, fëm(ï)na > *femme > *fèm(m)e,
sëm(ï)nat > *semme > sème, cütïnna > coèn(n)e, sïnnu > sèn,
*crënnu > crên, pënna > pën(n)e, synodu > *sïdonu > senne,
eelt. *vënna > vën(n)e, etc.
Parallèlement à a(s)ne, bla(s)me, etc. dont il a été question
plus haut p. 357, on a eu aussi au cours du x ie siècle balè(s)me
< baptïsma, chevè(s)ne < capïtine, carë(s)me < quadragesïma.
5

Dans le St-Léger, o + consonne nasale assonne avec o + con­


sonne orale ; cf. sermons : trestoz (1. 6), passions : senior (1. 30),
raisons : corroptios (1. 32). Ce n’est que vers la fin du x n e siècle
que les mots en -on ne s’uniront qu’avec eux-mêmes, ce qui permet
de dater la nasalisation de o de la seconde moitié de ce siècle.

ô provient : •

1° De o roman ( < lat. 5, ü, germ, ü) + n explosif ; cf. au x m e s. :


Bologne < Bonônia, charogne < *carônia, Borgôgne, eschalôgne
< ascalônia, ivrogne < *ëbriônia, mensôgne < *mentiônia, te(s)-
môgne < testimonial, etc. —, besogne, essôgne < germ, -sünnja,
brôgne < frk. *brünnja, grogne < *grünniat, lôgne < lümbea,
trogne < celt, trügna, vergogne < verecündia, etc.

2° De o roman ( < lat. 5, ü, germ, ü en syllabe fermée ; lat.


o, lat. germ, au dans les conditions signalées p. 354) -f- n, m suivis
de consonne orale ou géminés ; cf. au x m e s. : mont < monte,
ponce < pômïce, fônz < fundus, fondre < fündere, ombre < umbra,
parfont < profündu, rompre < rümpëre, ônde < ünda, ongle <
üngüla, onze < ündecim, ronce < rümïce, blônt < frk. blünd,
fronce < frk. *hrünkfa, conte < comité et compütu, contre <
contra, lönc < löngu, pont < ponte, tondre < töndere, chôme <
*caumat (du gr. cauma « ardeur du soleil »), sôm(m)e < *sauma
( < sagma), oncle < *aunclu (1. cl. avuncülii), Chalôns < Cala-
launis, ont < *aunt ( < *habunt, 1. cl. habenl), font < *faunl <
*facunt (1. cl. faciunl), vont < *vaunt < vadunl, etc. —, gôm(m)e
< gümma, gôn(n)e < celt, gunna, sôm(m)e < sümma et sömnu,
hôm(m)e < hom(ï)ne, Sôn(m)e < Süm(i)na, etc.

A ces exemples dont l’o roman accentué est phonétique, il faut


ajouter ceux de bon ( = bönu), cons ( = cömes), son (±= sönu),
tön (— tönu), et ceux de bön(n)e ( = bona), sön(n)e ( = sönat),
360 A R T IC U L . D E S PH O N ÈM ES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

tôn(n)c ( = tonal), dont l’o accentué est analogique (cf. p. 354,


rem. III) —, et ceux de eslôgne, jôgne, ôgne, pôgne ( = éloigne,
joigne, oigne, poigne du verbe poindre), continuateurs de formes
analogiques refaites, avant la chute des voyelles finales, sur le
radical de *lone < lönge, *dzonet < jüngit, *onet < üngit, *pono
< pügnu.

Ainsi en francien la nasalisation est antérieure à la fermeture


spontanée de o en [u]. Autre part cependant, et d’une façon assez
générale, c’est le contraire qui s’est produit, soit que la fermeture
de o ait été plus précoce qu’en francien, soit que la nasalisation
soit survenue plus tard. Le résultat a été [ü], au lieu de ô. Au
Moyen âge, le phonétisme [à] apparaît non seulement en anglo-
normand, mais encore à l’Ouest : besongne, sougne « souci », tes-
mougne, dans le Comte de Poitiers ; dount dans la Vie de St-Nicolas
de Wace ; soume, houme, preudoume, Roume, noume dans le Livre
des Métiers ; houme a. 1293 Evreux ; preudoumes a. 1282 Verneuil ;
bounes a. 1320 Cherbourg ; etc. — ; au Nord : oume et blons,
parfont : amorous, dox dans Aucassin ; honte : temoute < tumültu
dans Guillaume de Dole ; houme, Roume, soume, sounent dans
Amadas et Ydoine ; adount, founs, counlre, Fouchemount, tenrount
dans des documents du Vermandois ; etc. — ; à l’Est : ount « ont »,
verrunt, penrunt, etc. dans des documents de la Champagne nord-
orientale ; graphies ou dans des documents de Joinville et Aire,
etc. Pour l’époque actuelle, E. Herzog (Neufrz. Dialekttexte, 2e
éd. E 14) signale [û] dans les patois de Normandie, du Perche,
de l’Orléanais, de la Champagne, de la Lorraine, de la Bretagne,
de la Franche-Comté, de la Bourgogne et du Nivernais.
Plusieurs grammairiens du xvie et du xvn e siècles notent aussi
soit [û], soit [«]. ce dernier provenant de la dénasalisation d’un
ancien [ù] + me, ne. D’après Palsgrave (1530), si un o est suivi
d’un n ou d’un m appartenant à la même syllabe ou non, il sonne
comme ou — [u] et « quelque peu dans le nez » ; ainsi dans mon,
home, somme, bonne, etc. Meigret (1542) prononce aussi un [ù] dans
la terminaison des l re pers. plur. Jusqu’en 1629, Behourt enseignera
la prononciation [û] dans ombre, oncle, etc. et dans homme, donne,
etc., tandis que trente ans plus tard Chifflet ne notera cette voyelle
nasale que devant n, m finale ou suivis de consonne. D’autre
part, dans les transcriptions phonétiques qu’il donne dans sa
Grammaire française à l'usage des Allemands, Martin (1632) note
nun, dunck, unbr, unke, etc. pour nom, donc, ombre, onque, etc.Il
Il s’agit là évidemment de prononciations régionales. Elles ont
pu s’introduire à Paris, comme on le constate dès le Moyen âge ;
cf. soume, houme, preudoume, Roume, noume, etc. dans le Livre
des Mestiers d’Et. Boileaue (xm e s.) et houme, preudoume fréquents
dans les Ordonnances royales. On les retrouve au x vn e siècle dans
les Mazarinades. Cependant, elles n’ont pas pu s’imposer. En
1683, le parisien Oudin écrit : « L’o français se prononce fort
CONSONNE NASALE SUIVANTE 361
ouvert (on verra pourquoi p. 370), contre l’opinion impertinente
de ceux qui le veulent faire prononcer comme ou, quand il est
devant m ou n, car ceux qui parlent bien ne disent jamais houme,
coume, boune ». Dans la suite, Ménage (1672) et Hindret (1687)
les condamneront comme familières et provinciales.
R emarque I. — Mayence, v. fr. Maiience, continue non pas le lat.
Magüntia (Fortunat), mais une forme *Magentia, avec changement de
suffixe ; cf. v. h. ail. Magintza.
R emarque II. — La prononciation [ù] au lieu de [ô], est probablement
à l’origine d’escarboucle, resté dans la langue, en face du v. fr. escarboncle
(< -carbüncülu) encore chez Tabourot (1587) et Lanoue (1596). Cf. encore
brouze (pour bronzé) chez Meigret (1542), et trou de chou (pour tronc de
chou) qui est encore dans Ménage (1672), Richelet (1680) et le Diet, de
l’Académie de 1694, 1718-40.
R emarque III. — Le v. fr. molt (< mültu), devenu [mut], a pu passer
à [münt], écrit mont ou munt, sous l’action de m initial; cf. aussi en v.
fr. muntepleiier pour moltepleiier = [mutçpl-] < multiplicare.

Dans les plus anciens textes, i + consonne nasale assonne


avec i + consonne orale ou i final. Au xn e siècle, on note cou­
ramment des assonances du type fin : hardiz, tenir, mis (Chanson
de Roland), orfelin, chemin : menti, plaisir (Huon de Bordeaux),
etc. Vers la fin du même siècle, Provins est rendu par Provis
chez Wolfram von Eschenbach, et vers 1200 on note princes :
crevisses dans la Bible de Guyot de Provins (Champagne), coissins :
assis dans Guillaume de Dole (Beauvains), etc.
Au xm e siècle, ces habitudes disparaissent. D’autre part, dans
le dernier tiers du même siècle, on trouve des graphies qui attestent
une prononciation ê ; cf. plin pour plein dans le Livre des osts
du Duc de Bretagne, Morin pour Morain dans un document du
départ, de la Marne (1278), vainrent pour vinrent dans un docu­
ment d’Amiens (1291), Cochin pour Cochein dans le Rôle de Taille
parisien de 1296. Cette prononciation è fait supposer qu’on avait
déjà un ï bien nasalisé dès la première moitié du xm e siècle, au
moins dans certains dialectes et spécialement en francien.

ï provient :

1° De i roman (quelle que soit son origine) + n final ou n, m


suivis de consonne orale ; cf. vers le milieu du xm e s. : crin < crïne,
fin < fine, lïn < lïnu, vin < vïnu, sain < sagïmen, engin <
ingëniu. Ouïn < Eugëniu, e(s)crïn < scrïniu, etc. —, cinq <
cïnque (1. cl. quïnque), prince < principe, quinze < quïndecim,
singe < slmiu, simple < simplu, rëince « rince » < recëntiat, etc.
362 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

2° De i roman (quelle que soit son origine) + m, n, n explosifs ;


cf. vers le milieu du x m e s. : lime < lima, prime < prima, e(s)~
pîne < spïna, voisine < vïcïna, faine < *faglna, haine < *ha-
iïna (germ, hafjan),\ gaine < vagina, traîne < *lraglnat, dîne
(auj. digne) < dïgnu -a, mallne (auj. maligne) < maligna, benlne
(auj. benigne)*.< benigna, sine (auj. signa) < sïgnu, sine (auj.
cygne) < clcïnu, saine < sagêna, etc.
A ces exemples il faut ajouter tlng, vlng formes du Nord et du
Nord-Est, pour tieng < tëneo, vieng < vënio.
R emarque I. — La terminaison atone de la l re pers. plur. des parfaits
forts -Imus a pris l’accent dès la période latine sous l’influence de la 2e
pers. plur. ; d’où fëcïmus, oênïmus, etc. > *fecïmus, ventmus, etc. De
plus, 1’/ devenu accentué, au lieu de passer à e, a conservé son timbre
toujours sous l’action de la 2e pers. plur. -îstîs dont le vocalisme est lui-
même analogique de celui de la 2e pers. sing. ; cf. p. 400. D ’où vers le
milieu du x m e s. : fesiims, venimzs, etc.
R emarque II. — Dans dormons, renons, etc., la terminaison -ons ne
correspond pas à -ïmus (cf. lat. dormlmus, venïmus) qui aurait donné -Ins
(conservé dans quelques dialectes). Elle provient de la généralisation à
date ancienne de -ümus (de sumus), qui s’est d’ailleurs supplanté non seu­
lement à -îmus, mais encore à -îmus.
R emarque III. — Sous l’influence de la syllabe précédente (avec
voyelle et consonne implosive nasales), l’i final a pu se nasaliser en v. fr.
dans ainsi ; d’où les formes ainsln (ou ein-, en-), ainslnc, ainslnt etau s(s)ln t,
autres (s)lnt.
De même, sous l’action de l’m précédent, ami a pu devenir amln dans
l’ancienne langue.
Mais il faut distinguer des deux cas ci-dessus celui du v. fr. prins, l re
pers. sing, du parfait de prendre, pour pris (p. 397). Ici c’est l’analogie
qui est en cause. La parenté sémantique qui existe entre prendre et tenir,
jointe à la ressemblance des terminaisons entre prenons, prenez et tenons,
tenez et surtout entre prenez! et tenez!, a fait que d’après le parfait tln (s),
a eu aussi en v. fr. prln (s). A son tour, le parfait prins a déter­
miné le passage de pris, participe passé, à prins.

On n’a aucune indication pour fixer la date à laquelle ü +


consonne nasale a passé à ü. Cependant, étant donné ce qui a eu
lieu pour i dans les mômes conditions et aussi les conditions phy­
siologiques de l’articulation de [u] moins favorables à l’anticipa­
tion des mouvements du voile du palais que pour i, il semble
permis de situer la nasalisation de cette voyelle au xive siècle.

ü provient :
1° De ü -f n final ou suivi de consonne orale ; cf. au xive s. :
un < ünu, fun < fûne, jëun < jejunu, alun < alûmen, flùn <
flümen, lëùn < legümen, fan < fûma — , range < rümïcal, esco-
mîmge < excommünicat, etc.
C O N S O N N E N A S A L E S U IV A N T E 363

2° De ü + m, n explosifs ; cf. au x iv e s. : brume < brüma,


fume < fumât, plïïme < pluma, lime < lûna, prune < prüna,
üne < üna, fëime < fefünat, -ûme (amertijme, costiime, vieillume,
etc.) < -üme < -ümme < -umne < -*umïne (1. cl. -üdïne), alüm (m )e
< alümme < allumnat < *allümïnat, etc.
Remarque I. — Dans une grande partie du gallo-roman septentrional
il n’y a pas eu de ü, pour la raison que la palatalisation de ü latin a été
relativement tardive et que la nasalisation est survenue à un moment
où on avait encore [u]. On a donc eu un [il] qui a pu s’ouvrir ensuite à
ô. C’est ainsi que d’après VALF (c. 1097) on note prôn ( < prüna) dans
tous les points de la Belgique romane et des départements du Nord, du
Pas-de-Calais, de la Somme, aux points 235, 245, 24(5, 253 de l’Oise et au
point 262 de l’Aisne. E. Herzog, Dialekttexte, nos 91 sq signale ö ( < ünu)
dans divers coins de la Wallonie, et Isakù « chacun », kokù « quelqu'un »
à Germolles (Saône-et-Loire). Aucon, chascon apparaissent au Moyen Age
dans les textes ou documents du Nord, du Nord-Est, de la Bourgogne,
de l’Ouest et du Sud-Ouest.
On trouve encore aujourd’hui l’ancien [ü] ; cf. d’après VALF (c. 1040)
plüm ( < pluma) au p. 190 (Belgique) ; (c. 1400 : vingt-et-un) [il] au p. 41
(Doubs), (c. 220 : chacun) [-ûn] aux pp. 184, 193 (Belgique), 41 (Doubs),
(c. 1118 : quelqu’un) [-ùk) au p. 184 (Belgique).
Remarque II. — L'évolution des noms de lieux celtiques A second
élément -dûnu pose un problème. A côté de formes en -un, provenant d’un
ancien j-ün], telles que Autun < Augustodünu, Verdun < Virodünu, etc.,
on en trouve d’autres en -on, comme Laon (Aisne), Loudon (Saillie), Lion-
sur-Mer (Calvados) < Lügdünu, Aulhon (Eure-et-Loir) < Augustodünu,
Cervon (Nièvre) < Cervidünu a. 843, Courson-les-Carricrcs (Vomie) <
Carcedûnum vie s., Averdon (Loir-et-Cher) < Eburodünu, etc. La finale
-on peut s’expliquer de la même manière que le -on du v. fr. aucon, chascon.
Mais on peut penser pour tel ou tel mot A une autre explication. On a
supposé un type -dünnu pour dû nu, phénomène qui serait identique A celui
que présente le latin lïltera : litera ou le gaulois brûkko : brüko, rikka :
rïka. De fait on trouve Meclodünnu ( — Melun) dans César, JL C. vu,
58 et Caladunno a. 710 > Caladon a. 832 > Chadelons a. 988 ( = Chalons,
Mayenne), parallèles à civ. Cenomanoram Not. Gall. : Cenornannis vi* s.
On peut encore penser A une substitution de suffixes : -tine plus fréquent
aurait pu çà et là remplacer -ünu. Enfin, dans les adjectifs en -dünensis,
l’û inaccentué aurait pu s’abréger en latin (pp. 184 sq.) et l’tf résultant
de cet abrégement passer ensuite à ç ; d’où -done(n)sis qui aurait déter­
miné un type -dono au lieu de -düno. Il est probable, par exemple, que le
-on de Meudon ( < Melodünu), qui se trouve en pleine zone de -ünu >
[-iin], ne saurait s’expliquer que par l’une ou l’autre des trois dernières
raisons.
Remarque III. — Le latin parlé *irnpromütare (1. cl. promütuari) a
pu devenir *emprümutare par assimilation de o prétonique interne avec
l’û suivant (assimilation postérieure à l’ouverture de ü en p) et de là passer
à *emprumtare ; d’où emprunter et emprunte au xiv® siècle. Mais A côté
de emprunter, emprunte, on trouve aussi emprunter, emprunte en v. fr.
Sans doute ces formes s’expliquent-elles par le fait que l’assimilation de
o prétonique interne n’a pas eu lieu dans *lmprornütare ; d’où, après syn ­
cope, *empromlare et *empromtat ; et. ital. improntare.
Remarque IV. — Le fr. humble est savant, à cause de la conservation
du timbre de ü qu’il suppose dans hümïlis ; on a donc eu au moment de
la nasalisation un fü]. De même défunt. Mais ici, il s'agit d’un mot introduit
tardivement dans la langue (xiv* s.), qui a pris la place de /iiu (auj. feu)
< *faiûtu. Il a été calqué directement sur le latin defünctu qui se pronon­
çait lui-même avec [ü], puis [ce], A la française.
364 A K T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

Remarque V. — Dans les anciens textes de la Wallonie, de la Lorraine


et de la Bourgogne, on trouve pour -ûnu des formes en -uen : alcuen, aucuen,
chascuen, commuai. Ce ne sont probablement là que de simples graphies :
uen a ici la valeur de [-ûn] ; cf. en v. wall, uestuere pour vesture, M. Wil-
motte, Rom., xvii, p. 559, note.
Remarque VI. — Les formes du v. fr. : aigrun < acrümen, aubun
< albumen, betun < bitümen, netun « lutin » < Neptünu, tendrun < *tene-
rûmen sont continuées aujourd’hui par égrain (ou égrin, aigrin), aubin,
lutin, béton, tendron ; cf. aussi en v. fr. nuilon et luiton à côté de netun.
Il peut s’agir là de substitutions de suffixes, comme il est généralement
admis. Mais on peut avoir aussi à faire à des formes d’origine dialectale :
pour -on, cf. ci-dessus rem. i ; pour -in p. 373.

b) Diphtongues nasales

Les diphtongues orales ai, ei, oi, üi, ie, üe, ou suivies de n, m,
n ont nasalisé leur second élément et sont ainsi devenues a-, ex,
tb, i-, ü- et Ü£, 9u-
Cette nasalisation est très ancienne. On verra p. 375 que dans
le St-Léger ai + consonne nasale assonne avec a dans les mêmes
conditions. C’est donc que vers la fin du x e siècle ai + consonne
nasale avait déjà nasalisé son a. Or cette nasalisation en suppose
une autre plus ancienne. En effet si l’a de ai a passé à à, cela
n’a pu être grâce au contact d’une consonne nasale suivante dont
il était séparé par i diphtongal, mais bien sous l’action de ce der­
nier qui s’était nasalisé le premier au contact de ladite consonne.
Si dans le cas de ai + consonne nasale, la nasalisation de i
a été si précoce, il a dû en être de même pour Vi de ei, oi, üi et
aussi pour l’e diphtongal de i e, üe et pour Vu diphtongal de ou,
dans les mêmes conditions. La nasalisation de e diphtongal n’a
pas lieu de surprendre, puisque e accentué -f consonne nasale
s’est nasalisé lui-même au x e siècle (p. 358). Quant à celle de i
diphtongal, largement antérieure à celle de i accentué, elle s’ex­
plique sans doute par la faiblesse articulatoire propre aux voyelles
diphtongales.
On a donc eu, dès le x e siècle, les diphtongues suivantes avec
second élément nasal : a-, ex, o-, üx, i-, ü -, ü%, pa. On va les passer
successivement en revue.

Cette diphtongue provient de la nasalisation au contact de


m, n implosifs ou explosifs du second élément de la diphtongue
ai, issue elle-même :

1° Soit de la segmentation en ae d’un a latin accentué en syllabe


ouverte ; cf. au x ie siècle : amat > axme, clamai > claxme, fontana
fonta-ne, germana > germaxne, lana > laxne, nana > naxne,
CONSONNE NASALE SUIVANTE 365

plana > plaine, rana > ra-ne, sana > saine, vana > va\ne ; —
*certanu > certain, *de-mane > dema\n, exame > essa-tn, fame >
ta\m, germanu > germain, manu > main, nonnane > nonaxn, pane
> paxn, planu > pla~n, ramu > ra\n, remand > rema-nt, sanu
> sain, sub(i)tanu > soda-n, vanu > vaxn, villanu > vilain, etc.

2° Soit de la coalescence d’un a (< lat. a en syllabe fermée) et


d’un i résultant d’une réfraction de n final ou antéconsonantique ;
cf. au x i e siècle : ba(l)neu > *bano > *ban > *bain > bain, germ.
wadaniu > *guadano > *guadan > gaain > gaaxn, impérat.
plange > *plane > *plan > plain > plaxn, etc. ; — sanctu >
*sahto > saint > saint, sancta > *santa > sainte > sainte, plan-
g (ë)re > *plandre > *plaindre > plaindre, planclu > *planto
> plaint > plaint, plangit > *plafiet > *plant > plaint > plaint,
etc.
R em arque I. — Pour le passage de a® à ai, cf. ci-dessus p. 35 5 .

R e m a r q u e II. — A la Ire pers. plur. indic. prés, des verbes de la classe


1, on ne trouve nulle part de terminaison -âjns < -amus. La raison en est
que dans le gallo-roman septentrional -amus, ainsi d’ailleurs que -émus et
-Imus, semble avoir été remplacé de bonne heure par -ümus, sous l’influence
de s ümus ; d’où partout -ons dès les premiers textes. Cependant cette subs­
titution ne peut avoir eu lieu qu’apres la palatalisation et l’assimilation de
-ce-, comme le montrent les formes plaisons (= placêmus), taisons (= tacê-
mus) etc., avec [z] intervocalique. La forme oram (= oramus) qui se trouve
dans la Sainle-Eulalie, est savante.
R e m a r q u e III. — Remanëre a donné régulièrement en vfr. remâneir
— remànoir. L’ancien infinitif remâindre est analogique de remàint.

Cette diphtongue résulte de la nasalisation au contact de m,


n implosifs ou explosifs du second élément de la diphtongue çl
issue elle-même :
1° Soit de la segmentation d’un e roman accentué ( < lat. ë, i)
en syllabe ouverte ; cf. au x ie siècle : alëna > ale-,ne, arena >
are-,ne, avëna > avçxne, catëna > chaîne, frënat > frçxne, *pëna
(cl. poena) > pexne, plëna > ple\ne, strëna > eslrçxne, vëna >
vçxne, vervëna > vervçxne, minât > mçxne ; — *(ënu (cl. faenu)
> fçxn, frënu > frexn, plënu > plçxn, Rëmis > Rç-,ns, rêne > rç\n,
minus > mçxns, sïnu > sçxn, etc.

2° Soit de la coalescence d’un ç ( < lat. ï en syllabe fermée) et


d’un i résultant de la réfraction d’un n final ou antéconsonantique :
cf. au x ie siècle : impérat. cinge > *tsene > *tsçn > tsçjn > cç-n(g),
finge > *fçne > *fçn > *fein > fçxn, etc. et sïgnu > *seno >
*sen > *sein > sçxn ; — cïnctu > *tsçnto > *tsçjnt > cç-nt, *finclu
(cl. fïdu) > *fçnlo > *fçfnt > fçxnt, ïncïnctu > *enlsçnto > *enl-

17
36t> A U T ïC .U L . D K S n lO N È M K S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )

S{inl > m eant, *pinctu (cl. ph'In) > *pçnto > *p?int > pant,
ein g (è)re > *lsendre ; • *lseindre > candie, eonslrïngf ë)re. > *cos-
tnjndre > cost rand re, extïnguërc > *estendre. > *esteindre > es-
tandie, in gfu ï )ne > \ n n e ' > cine > fine, pïng(e)rc > *pendre
> *peindre > pandre, vïnc( ï)vc > *ventre. > veintre > ventre, clc.
lii'MAi^niK. — Pour lu terminaison -ons de avons ( = habPmus), de­
vons ( debenms), etc., et", ci-dessus p. 3(55. La substitution de -iïmus à
émus se eonstnte aussi'5 là Ire pers. plur. du futur et du subjonctif ; cf.
chanterons et non *chantercins (< *eantarPmus), vfr. que nous chantons et
non que nous *chanteins (< cantêmus).

K kmauouk II. •— I.’aecord des langues romanes ou de la plupart d’en­


tre elles permet de supposer (pie racêmu, pullicPnu et vcnPriu sont devenus
en latin vulgaire *racïmu. *pullicïnu et *veninu ; d’où raisin, vfr. polcin
(nuj. poussin), venin (vfr. aussi velin). Pour la même raison, on doit aussi
admettre un type *Saraeinu. pour Saraeênu, d'où le v. prov. sar(r)asin
> fr. sarrasin.' Il est vrai que raccmu, pullicënu auraient abouti au même
résultat en français : l'ë latin se serait fermé en i au contact du groupe précé­
dent -dry- ou tsy- ( < lat. -e°-). comme cela a eu lieu pour céra > cire.
l\n tout cas. dans parchemin, la (piestion du changement de suffixe ne se
pose pas. Le mot provient en effet d'un type particamïnu, issu du croise-
nunt de parthiea (pellis), avec le gréco-latin pergamïnu. dont l’î s’explique
par la fermeture de rt, au u psiècle de notre ère. dans le grec -îpyjtur^o'î.

Cotte diphtongue provient de la nasalisation au contact de n


implosif du second élément d'une diphtongue oi, issue elle-même
de la coalescence d'un p roman (lat. ô, ü, germ, ü en syllabe fermée ;
lat. ô dans les conditions étudiées, p. 354) et d’un i résultant d’une
réfraction de n final ou antéeonsouantique ; cf. vers le milieu du
siècle : copi < *con < cüneu, coopt < *co$on < eotôneu, grojn
^ *yriinniu, topt < longe, popi < pügnu, sopt (et besoin) <
gallo-roman soniu (masculinisation du frk. sùnnja), tesmçin <
testimôniu , eoptte < *conte < côgnitu -a, acopüe < *adcognïtat,
joint jùnclu, opit < ünctu, point < pùnetn, joindre < jüngere,
optdre < Cmgëre, populre < pittigere, joindre < *jünior (de *ju­
ni Ore, 1. cl. jüniöre ; cf. pp. 184 sq.), etc.

A ces premiers exemples, d’autres sont venus s’ajouter un peu


plus tard :

1° Après la chute de [:] préconsonantique dans *jliixïna >


floisrte > flgine, fascina > *foisne > fopte.

2° Après l’interversion de y dans les mots du type *monicu


(pour inonàcu) > monie > monye > moine > moine, canonîcu
> chanonie > chanonye > chanoine > chanoine, etc.
CONSONNE NASALE SU IV A N TE 367

«r
Cette diphtongue provient de la nasalisation au contact d’un
n implosif du second élément d’une diphtongue iii issue elle-même
de la coalescence d’un ü avec un i résultant de la réfraction d’un
n final dans jüniu > *juno > jün > juin > / üj/ ï (vers le milieu
du x e s.).

Cette diphtongue provient de la nasalisation au contact de n


implosif explosif ou de m, n explosifs du second élément d’une
diphtongue ie issue elle-même :
1° De la diphtongaison spontanée de ë latin accentué ; cf.
vers le milieu du x e s. : bign < bëne, frigm < frëmo, gigm < gëmo,
rign < rëm, gigns < gënus, figns < *(ëmus (1. cl. fïmus), tignt
< tenet, vignt < vënit, fignte < *fëmita, frignte < *jrëmïla, etc.—;
Estigne < Stephänu, tignent < tënunt, (1. cl. tenenf), vignenl <
*vënunt (1. cl. vëniunt), gigment < gëmunt, etc.

2° De a accentué en syllabe libre après un élément palatal ;


cf. vers le milieu du Xe s. : chign < cane, Blanchign < germ. Blan-
cane, mairign < *materiamen, necign < neptiâne, deiign < decanu,
leiign%< legamen, meiign < medianu, paiign < paganu, -iigns
(terminaison des l res pers. plur. de l’indic. prés, et du subj. prés.)
< -ëamus et - ïamus) — ; féminins chigne, meiigne, paiigne, meriigne
< meridiana, etc.
3° De la diphtongaison conditionnée de ë latin accentué sous
l’action d’un y suivant ; cf. vers le milieu du x e s. : tigùe < *ti€(y )-
nat < tënëat, vigne < *vie(y)hat < vëniat (auj. tienne, vienne
analogiques).
4° D’une ancienne diphtongue i0 dans mign (fém. migne) <
m i/i < m iji < mëum, Brigne < *Brifne < *Brijne < Breôna ;
cf. aussi les formes analogiques tign, sign (avec les féminins cor­
respondants tgne, signe), au lieu de tügn < tü ji < tüjx < tuon
< tüüm et de sügn < sùûm.

Ui

Cette diphtongue provient de la nasalisation au contact et d’un


n implosif et explosif ou d’un m final du second élément d’une
diphtongue ü6, issue elle-même de la diphtongaison spontanée de
o latin accentué en syllabe ouverte ; cf. vers le milieu du x8 s. :
368 A R T IC U L . D E S PH O N ÈM ES VO ISINS (ACTIONS AU CONTACT)

biign < bönu, cügns < cömes, < sönu, tiignt < tond, bü^ne
< bona, süçiie < sönat, tiigne < tönat —, ii^rn < hämo. Cf. de
plus W^n, siign, avec les féminins correspondants tijgne, sügne.
R . — Dans les dialectes où la palatalisation de |u] a été rela­
e m a r q u e

tivement tardive, on a eu une diphtongue ui au lieu de ü~e.

«œ
Tandis que la diphtongue üe ( < lat. o) passait à üè devant
une consonne nasale (cf. ci-dessus), son second élément est resté
oral dans le continuateur de fövene (1. cl. jüuene) : dans [dzüevne],
en effet, la diphtongue iie était suivie d’une consonne orale. Ce
n’est qu’après la disparition de v, que e diphtongal est entré en
contact avec n. Mais à cette date, la diphtongue iie de [dziïevné]
était devenue üœ, parallèlement à müele ( < lat. môla) > *müœle ;
cf. p. 293. Le résultat a été jü^ne, avec une diphtongue üœ.
R I. — J avertis pour juvenis s’explique sans doute par la
e m a r q u e

différenciation de -üu- en -ov- que l’on constate dans le latin parlé d’avant
notre ère ; cf. POVERO CIL III, 962, n. 2, plövit « plüvit), FLOVIVM
CIL, I, 199, 6 (•< fluviii), à côté des formes du latin littéraire puerum,
plüit, flüvium. lovenim est attesté lui-même ; cf. CIL, XIII, 1483, 6 (Cler­
mont).
R II. —
e m a r q u e Dans les dialectes où la palatalisation de [u] a été
relativement tardive, on a eu une diphtongue ue, avec e et non œ comme
second élément, qui s’est ensuite nasalisée en u; lors de la disparition
du v dans le groupe on.


Cette diphtongue provient de la nasalisation, au contact de
n, m final ou explosif, du second élément d’une diphtongue ou,
issue elle-même de la diphtongaison de ö latin accentué en syl­
labe ouverte ; cf. vers le milieu du x e s. : baroan < barône, [mai-
Z 0 ü Ti] < m a(n)sione, [mentoon] < mentöne, [raidzoan] < ratione,
[cLoqu] < dônu — , [korojjne] < corona, [donne] < dönat, [personne]
< persona, [ponme] < pâma, [Ronme] < Rôma, etc.

R e m a r q u e . — La nasalisation du second élément de la diphtongue


ou devant consonne nasale doit être antérieure ù la palatalisation de y
diphtongal en ÿ dans flçüre < flore. Lors de cette palatalisation, ça n’a
pas passé à çz.

2° E volution des voyelles et diphtongues nasales primi­


tives DEVANT CONSONNE NASALE FINALE OUSUIVIE DE CONSONNE
orale. — Les voyelles et diphtongues nasales dont il vient
d’être question ont évolué avec le temps. On étudiera successi­
vement l’évolution des voyelles nasales et celle des diphton­
gues nasales.
CONSONNE NASALE SUIVANTE 369

a) Voyelles nasales

Dans l’évolution des voyelles nasales primitives suivies d’une


consonne nasale implosive, on constate des phénomènes d’ouver­
ture et un cas de vélarisation.

a) Phénomènes d’ouverture. — Us concernent dans l’ordre chro­


nologique, les voyelles ê, o, ï et ü.

t
Dans le Si-Léger et le St-Alexis, ê est encore séparé de â à
l’assonance. Mais ces deux phonèmes assonent dans la Chanson
de Roland, sans doute composée en 1110-1120 ; cf. fent, sens,
nient, present, etc. : Rollant (1. 22), à côté il est vrai (1. 135) de
sanglenle, temples « tempes », entendent, etc. : peine, aleine, feindre,
tous les trois avec èp Ainsi donc dès la seconde moitié du xi® siècle,
è a passé à à. Il est évident que cette dernière étape a été précédée
de ç.
D’où aujourd’hui, pour reprendre les formes de la p. 358, un
a nasal dans apprend, amende, pense, prendre, vendre, cendre,
fendre, ensemble, semble, souvent, trente, venge, gendre, -ment,
pendre, sent, temps, temple, tendre, vent, etc., écrits avec en, et
tance, vendange, bande, brelan, sangle, dimanche, frange, rang,
céans, langue, éperlan, taranche, tanche, cran, etc., écrits avec an.
L’ouverture de ê en â s’est produite non seulement devant n,
m suivis de consonne orale, mais encore devant une géminée nasale
non encore simplifiée. D’où, après la dénasalisation, un a (anté­
rieur ; cf. p. 374, rem. I) dans les mots du français moderne :
couenne ( < cûtïnna), femme ( < fëmïna), écrits avec e, et banne
( < celt, benna), panne «peluche, velours de coton» ( < penna),
bugrane(< *biigrènne < *bugretna < *bugreretna < *bugleretna <
büculu-retïna), vanne ( < eelt. ? venna), Vannes ( < fr. primit.
Vennes < * Veines < *Vetënis < Venëtis), écrits avec a. On
ajoutera pour le v. fr. : jàm (m )e ( < gemma), repânne «il frappe
des pieds» ( < *repennat < *repëdïnat), reâm(m)e ( < fr. primit.
reèmme < regemïne), sàne ( < fr. primit. senne < synôdii, p. 359),
et garanne «garenne», varanne «varenne», provenant de types
en -enna, dans les Doc. relatifs au Comté de Champagne et de Brie
(1172-1361), publiés par A. Longnon.

R I. — Au xvie siècle, Pasquier (1572) et H. Estienne, tous


e m a r q u e

les deux parisiens, notent une différence entre l’a nasal provenant de en
et l’a nasal provenant de an. Le dernier dit que le son de en est inter­
médiaire entre e et a, plus proche cependant de a, et il recommande de ne
pas' faire comme le peuple et beaucoup d’autres qui prononcent temps,
dent, sagement comme s’il y avait tams, dant, etc. Sans doute prononçaient-
370 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

ils encore pour en un à antérieur et pour an un a postérieur. Bien qu'il


s’agisse ici d ’une préoccupation de lettrés, la remarque est significative :
pendant tout le m oyen âge le a issu de ê a dû être différent de l’a origi­
naire, et m oins ouvert que lui. En tout cas, encore aujourd’hui, on peut
noter une différence entre les deux, par exemple à Guernesey, d'après
E. Herzog, o p . c it., n° 114.

R e m a r q u e II. — Le représentant régulier de së m in a t en v. fr. est


d’abord s e m ( m ) e , puis sä m e (ce dernier chez Rutebeuf, G. de Coinci, etc.
On aurait aujourd’hui sa m e , si sâ m e avait survécu. Mais sous l'influence
de l ’ancien infinitif sem er ( > fr. act. sem er), Yê nasal de s ë m (m ) e s'est
conservé, d’où, après la dénasalisation, sèm e, forme du français actuel.
R e m a r q u e III. — Les m ots latins ou bibliques en -em ou -en se sont
prononcés avec a pendant tou t le Moyen âge. Cela conformément à la
prononciation générale du latin en France. Erasme, en effet, reproche
« au vulgaire des Français » ( galloru m vu lg u s ) de dire quan dam , valon s,
re d a m p tu s, va n d o , ta m p u s pour qu em dam , valens, redem ptus, vendo, tem pu s.
On rappellera à ce propos les calembours de Tabourot (1587) : om n ia ten-
tate = on y a tant tasté, ven ti co n tra ria = vent t ’y contrariera, duc finem
f it = duc fin en fist, etc. Conformément à cet usage, qui avait cours encore
au x v ie siècle, Ronsard fait rimer h ym en avec an, et Péletier (1549) écrit
ita m pour item . Cependant au début du xvii ® siècle, la nouvelle pronon­
ciation ê avait prévalu, bien qu’on trouve encore pendant les années sui­
vantes des traces de l’ancienne ; ci. la rime h ym en : L ib a n chez Boileau
(dans Le Gaygnard) et la remarque de Wodroephe (1625) qui dit que
a B etlehem se prononce B etleh an ». Les m ots en -en qui existaient déjà
dans la langue avant cette époque se sont donc prononcés £ ; cf. la rime
eden : ja r d in chez Voltaire. Cependant, à son tour, cette prononciation
a été supplantée par une autre : [çn \, qui est celle du français actuel. Seul
exam en a conservé l'ancien ç. Quant à la terminaison -em , elle se prononce
partout [çm ].
Remarque IV. — In d e m n is latin se prononçait [ë d in is ] au Moyen
âge. Sur son modèle, in dem n e, m ot savant pénétré tard dans la langue
(il n’est attesté qu’au x v e siècle), a dû se prononcer tout d ’abord [èdana] ;
d’où, après la dénasalisation, [ë d a m ]. Avec la Renaissance, le groupe m n
a été prononcé [mn], et non plus [n]. D ’où une nouvelle prononciation
\ëdam na], indiquée par la graphie in d a m n e chez Monet (1635). Plus tard,
lorsque le latin in d em n is a fait entendre le groupe [çmn], in dam n e sur son
modèle s’est prononcé [çdçm na]. Dans in d em n ité et in dem n iser, [amn] a
pu se conserver jusqu’aujourd’hui ; mais cette prononciation est plus ou
moins vieillie et c’est [çm n] qui finit par l’emporter.
Remarque V. — Dans certains parlers de l’Ouest, du Nord, du Nord-
Est, de l’E st et du Sud-Est, Y ë primitif s’est arrêté à #. Il en est encore
ainsi aujourd’hui, sauf emprunts au français.
Rrmarque VI. — Dans certains coins du Poitou et de la Champagne,
ê a passé à ç, par l’intermédiaire de ä ; cf. W. Meyer-Lübke, Gram, des
l. rom . I, n° 91, et E. Herzog, op. c it., n° 124.

Remarque V II. — Au lieu de ë, on note en Morvan une diphtongue


\wç], issue d’un développement de w après une consonne précédente ; cf.
L îngÿnes > L o in g res, v ïn d ç m ia > m enoinge.

Cette voyelle s’est ouverte en ç . Cette ouverture a dû se pro­


duire avant le milieu du x in ° siècle, si on en juge par celle de
C O N SO N N E NASALE S U IV A N T E 371

î en è, qui, physiologiquement plus difficile, est cependant attestée


dès la fin du même siècle ; cf. ci-dessous.
On a donc eu dès cette époque, non seulement bgn, sgn (sönu),
tgn ( = lönu), etc., mais encore bgne, sgne, igné, etc.

R e m a r q u e I. — P o u r ü a u lie u d e Q d a n s d iv e r s d ia le c te s (e t à P a ris
m ê m e, p ar in filtr a tio n p r o v in c ia le ), cf. p . 360.

R e m a r q u e II . — P a r su ite d ’u n p h é n o m è n e d e d é la b ia lis a tio n ,g a


p a ssé à an a sa l d a n s c er ta in s p arlers d u S u d -O u e st ; cf. cante « c o m te » :
oilante d a n s le Roman de Troie, v. 5 6 2 8 , cante « c o m p te » : seixanie d a n s
la Chronique des Ducs de Normandie, v . 4 8 1 8 , e tc .

R e m a r q u e I I I . — U n e d é la b ia lisa tio n m o in s c o m p lè te a a m e n é la
c ré a tio n d ’u n e d ip h to n g u e aô d a n s c er ta in s parlers d u P e r c h e ; c f. bâô
« b o n », nàô « n o m » d a n s E . H e r z o g , op. cit., n° 101.

R e m a r q u e IV . — E n fin , d a n s c e r ta in s c o in s d u P o ito u , p . e x . d a n s
la rég io n d e N io r t, 5 a p u p a sse r à a n a s a l, e t d e là à f ; cf. bê «b o n », mëd
« m o n d e » d a n s E . H e r z o g , loc. cit.

On a vu p. 361 que l’ouverture de ? en è est attestée dès le der­


nier tiers du x m e siècle.
La prononciation è a pu être repoussée pendant un certain temps
par la langue savante. Mais elle a été finalement acceptée. Au
x v ie siècle, tous les grammairiens sont pour è. Chez Palsgrave
(1530), la terminaison latine -Tnu se trouve avoir trois orthographes :
ein dans poussein, -ayn dans boudayn, -in dans boudin. D ’après
Sylvius (1531), il y a équivoque entre sain et eine ( = cinq). R.
Estienne (1549) dit à propos de peindre : « on devrait escrire
pindre », et de fait St-Liens (1580) écrit demin, la min, plin, etc.
Tabourot (1587) remarque : « le Parisien prononce tous les mots
terminés en in en ain ».
Il est évident que l’e nasal provenant de î a été d’abord fermé.
Au xvie siècle, il reste encore quelque chose de cette prononciation.
H. Estienne (1582) la condamne : « mauvaise prononciation de
ce mot sainct en prononçant sin, comme souvent on l’oit pro­
noncer ». Bèze (1584) écrit que ein ne diffère que peu de in ; c’est
donc que les deux sons n’étaient pas identiques. Au x v u e siècle,
Oudin (1633) note : « Aim et ain... se prononcent un peu plus
ouvert qu’im ou in, plaindre, faim... ein se prononce comme in,
mais un peu plus ouvert », et avant Mourgues (1685), Hindret
1687), Dangeau (1694), la plupart des grammairiens constatent
que ain égale ein et que tous les deux diffèrent, quoique légèrement,
de in ; cf. Thurot, op. eil., II, p. 486 sq.
Cependant au x v ie siècle, les auteurs picards et ceux d’autres
provinces ne confondent pas in et ein, ain, soient qu’ils aient
prononcé une diphtongue dans le dernier cas, un î dans le pre­
mier. Beaucoup plus tard, en 1694, Dangeau écrira : «Il faut bien
372 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O ISIN S (A C T IO N S A U C O N TAC T)

prendre garde que, dans la plupart des mots où nous trouvons


un in, il faut que la prononciation soit comme s’il y avoit
un en. Faute d’y prendre garde, il y a beaucoup de provinces
qui ont des prononciations vicieuses et qui prononcent un in comme
dans divin... enfin... mince... prince, d’une manière qui approche
trop du son de l’f, au lieu qu’èle doit aprocher du son de l’c ».
La Normandie était l’une des provinces auxquelles il fait allusion,
comme il résulte du témoignage de Lancelot, dans sa Breve ins­
truction sur les regies de la poesie françoise (1663) et de celui de
St-Pierre (1730) ; cf. Thurot, op. cit. II, p. 480. Encore aujour­
d’hui î survit dans des patois wallons (ZRPh., xxiv, p. 16), nor­
mands (Mém. de la Soc. de Ling, de Paris, v, p. 176) ou franc-
comtois et lorrains (cf. E. Herzog, op. cit., n° 89).
R e m a r q u e I. — D ans l ’ancien parler du Ponthieu, ï est devenn ïû
au con tact de n vélairc dans chiunc < cinque (1. cl. quïnque).

Patrinu a donné parrin en v. fr. Mais on trouve aussi


R e m a r q u e II. —
parrain e t parrein. La présence de parein dans le Voyage de St-Brendan
qui est du premier quart du x n e siècle ne peut être interprété, étant donné
cette date, com m e un exem ple de changem ent orthographique de dési­
nence. Il suppose au contraire un typ e latin *palranu, correspondant de
*matrana > marraine, et ici -ein est une graphie de -ain. On a eu en réalité
au M oyen âge parrin, parrain. Tous les deux ont fini par se confondre
phonétiquem ent ; mais seule la forme parrain a survécu.
Le cas de nourrain est différent. Il s’agit en effet ici d’un changement
orthographique survenu dans le v. fr. nourrin ( < *nutrimen), après l’ou­
verture de f en è.

On n’a aucune indication sur la date à laquelle ü a passé à œ.


Cependant l’ouverture de ü doit être postérieure à celles de ï.
En effet, tandis que les grammairiens du xvie siècle prononcent
tous $ (cf. ci-dessus), beaucoup d’entre eux en sont encore à la
prononciation u. Ainsi Palsgrave (1530) ne donne pas à l’u de
humble un autre son que dans plus, vertu. Cauchie (1540), écri­
vant que u français répond à l’u marqué d’un tréma de l’allemand
übel, cite en exemples d’un côté vertu, fétu, bossu et de l’autre
chacun, emprunte. Que ce témoignage soit exact ou non, il prouve
en tout cas que Cauchie ne prononçait pas ce dans ces deux der­
niers mots. En 1587 encore, Tabourot peut se permettre ce jeu
de mots : « Dieu tape un nid = Dieu t ’a puny ». Pourtant Lanoue
(1596) semble indiquer la prononciation avec ce : il cite l’u parmi
les voyelles qui « espessissent » leur son devant m, n et il donne
comme exemples alum, quelqu’un, importun. Son témoignage
manque encore de précision. Celui de D’Aisy (1674) est plus net.
Mais il aura fallu attendre jusqu’à cette date. « Un, écrit-il, a tou­
jours le son confus et l’u sonne eu : un, commun ». Il est vrai cepen­
dant qu’en dehors des grammairiens la prononciation ce est bien
attestée au milieu du xvie siècle. Dans la Correspondance avec
C O N SO NN E N ASA LE SU IV A N T E 373

Marie de Lorraine, reine d’Ecosse, on trouve pour l’année 1548


des graphies qui ne trompent pas : heumble, empreunte, eung ;
cf. M. K. Pope, From Latin to Modem French, n° 458, 2.

R e m a r q u e I. — La prononciation ü se constate encore aujourd’hui


dans certains parlers de la Lorraine et de la Franche-Comté ; cf. E. Herzog,
op. cil., n° 92.
U n reste de l ’ancien ü se rencontre, mais sans nasalité : dans l ’expres­
sion un — [ün], deux, em ployée en marquant le pas, ainsi que dans la locu­
tion [e dün] qui s’écrit et d’une.
R e m a r q u e II. — Par suite d’une délabialisation, œ a pu passer à è
dans divers patois (cf. E. Herzog, op. cil., n° 93) et dans le français régional
de plusieurs provinces. La délabialisation est en train de se produire même
à Paris, non seulem ent dans le peuple mais encore chez les personnes
cultivées. Mais il est trop tô t d’écrire, comme certains, que la distinction
entre è et œ n ’existe plus dans les nouvelles générations. L’opposition à
e est encore très vive.

ß) Vélarisation de a nasal. En français moderne, l’a nasal est


toujours postérieur. De plus, après la dénasalisation, un ancien
a nasal est continué par un a postérieur dans âme, âne, blâme,
damne, flamme, Jeanne, pâme, etc.
La question se pose de savoir si l’a antérieur roman était devenu
postérieur en se nasalisant ou si le caractère postérieur de à n’a
pris naissance que plus tard, après le phénomène de dénasali­
sation.
Avec la première hypothèse, on ne peut expliquer pourquoi
les mots terminés en -ane (< -âne) ont un a antérieur. On est
donc forcé d’admettre que si Va de -an est postérieur, il l’est
devenu après la dénasalisation de l’a de -ane, c’est-à-dire relati­
vement tard. Reste cependant la série âme, âne, etc. qui semble
faire objection.
En réalité, il n’en est rien si on suppose qu’en v. fr. a antérieur
était tantôt bref, tantôt long. On avait un à antérieur bref devant
m, n finals ou suivis de consonne orale. Dans le cas de " suivi de
consonne nasale + e, â antérieur était bref lorsque en roman
a oral était suivi d’une consonne nasale simple ; mais il était long :
1° lorsque l’a oral roman était suivi d’une géminée nasale, pri­
maire ou secondaire, dont la simplification a entraîné un allon­
gement compensatoire de la voyelle — ; 2° lorsque l’a oral du
français primitif était suivi d’un fzjjpréconsonantique, dont la
chute a eu le même effet.
On a eu ainsi en v. fr., d’une part un " antérieur bref dans ün
( < annu), blanc, champ, chant, grand, etc., plur. ânz ( < annos),
blanche, chante, grande, etc. —, et de l’autre, un à antérieur long
dans âme ( < *amma < *anma < anïmo), flimfmje ( < flamma),
dân(n)e ( < *dannat < damnat). Jëan(n)e'(< Johanna), ä(s)ne
( < äne < asne < asinu), blä(s)me ( < blâme < blasme < *blas-
tïmat pour blasphémai), pà(s)me (< pâme < pasme < pasmat
pour spasmat), etc.
374 A R T IC U L . DES PHONÈM ES V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)

Ultérieurement, le nombre des à antérieurs longs a pu s’ac­


croître, par suite de la chute des consonnes nasales en fin de mot
ou devant consonne orale. L’a antérieur de an, blanc, champ,
chant, grand, etc., blanche, chante, grande, etc., jusque là bref,
est devenu long par allongement compensatoire.
C’est à ce moment que l’a antérieur long serait devenu posté­
rieur, par conséquent vers le même temps que l’a antérieur long
dans pâte.

D'où, après la dénasalisation de à devant consonne nasale + e


et l’abrégement en finale absolue :

à postérieur bref dans an, blanc, champ, chant, grand, etc.


à postérieur long dans blanche, chante, grande, etc.
u postérieur (et long) dans âme, âne, blâme, damne, flamme,
Jeanne, pâme, etc.

R emarque I. — L ’a a n té r ie u r p r o v e n a n t de l ’o u v e r tu r e de ê a suivi
e n p a r tie la m ê m e é v o lu tio n q u e l’a a n té r ie u r p rim aire d o n t o n v ie n t de
p arler. D ’où a u jo u r d 'h u i : à p o stér ieu r bref d a n s apprend, souvent, -ment,
sent, e tc . — , « p o sté r ie u r lo n g d a n s amende, pense, prendre, vendre, e tc.
M ais o n a un a a n té r ie u r b ref d a n s couenne, femme, banne, panne, vanne,
Vannes, c lc . p arce q u ’au m o m e n t de la d é n a s a lis a lio n l'a n c ie n a n a sa l
d e c es m o ts , r e la tiv e m e n t ferm é, n 'a v a it p as c o m p lè te m e n t rejo in t celu i
q u i se p r o n o n ça it d a n s dme, âne, etc. et n ’a p u , p ou r c e tte ra iso n , p a sser
c o m m e ce d e r n ier à a p o stérieu r.

R e m a r q u e 11. E n a n g lo -n o r m a n d un ù d ip h to n g a l s'e st d é v e lo p p é
e n tr e à et u n e c o n so n n e n a sa le su iv a n te . D ’où la grap h ie aun, aum qui
a p p a r a ît d è s la p r e m iè re m o itié du . \ m c sièele, et qui s ’est m a in te n u e d an s
les m o ts a n g la is te ls q u e aunt (v. fr. ante < amita), haunt (en fr. hante),
haunch (e n fr. hanche), launch (n orm , lanehc, en fr. lance), paunch (n orm .
panche, v . fr. panse), vaunt (eu fr. vante), etc. Le fait qu e les m o ts de l ’a n ­
c ie n a n g la is e m p r u n té s A l’a n g lo -n o r m a n d c o n se r v en t au d e v a n t n +
c o n so n n e d e n ta le ou m r c o n so n n e la b ia le, ta n d is q u 'ils le r éd u ise n t ù
a d e v a n t n (v é la ir e ) H- c o n so n n e véla ire (ef. les e x em p le s d a n s K . L u ic k ,
llist. gr. der engl. Spr., 1, p. 150), le fait a u ssi qu 'en a n g la is m o d e r n e aunt
se p r o n o n c e a v e c un a p o s té r ie u r , a lo rs qu e les au tres m o ts c ité s p lu s h a u t
o n t un p, la is se n t e n te n d r e q u 'e n a n g lo -n o r m a n d au a rep ré se n té d u m o in s
au d é b u t u n e d ip h to n g u e n a s a le d,7 e t non un o nasal.
A u x v i* s iè c le , un p h é n o m è n e se m b la b le est n o té sur le c o n tin e n t,
p é le tie r (15191 é cr it en effet : « V rèi êt qu 'au N o rm a n d ie, é a n c o u s an
H retn g n e, an A n jo u , é an v o tr e M e in e ... iz pronon cet l ’a d e c e n t n un p e u
b ien g r o s s e m e n t é q u a si c o m m e s ’il i n u o èt aun par d ifto n g u e ; q u a n d iz
diset A'ormaund, Nannies, A lingers, le M aims, ground chose » ; ef. T liu ro t,
op. cil., I l , p. 150. Ce p h é n o m è n e se c o n s ta te encore de nos jo u r s d a n s le
C o ten tin .
Q uant au té m o ig n a g e d e P a ls g r a v e <15301 : * If m or r fo lo w e n e x te
after u in a fr e n c h e w o r d e , all in o n e sy lla b le , then a sh a ll be so u n d ed
h k e th is d ip h th o n g an, an d s o m e th y n g in th e noose, a s th e se w ord es
ambre, chambre, mander.., sh a ll in r e d y n g e and sp ek y n g e be so u n d e d aninbre,
rhoumbre, maunder... #, il n'n p as la v a le u r a b so lu e que le te x te se m b le ra it
lui d on n er. 11 ne c o n c e r n e p as en to u t ca s la lan gu e c u ltiv é e . S a n s d o u te
P a lsg ra v e s'est il ta issé in flu e n o e r lp a r la p r o n o n cia tio n a n g la ise . Le p h o n é ­
tism e a u q u e l il fait a llu s io n est le fait se u le m e n t de q u elq u e s p ro v in ces.
C O N SO N N E N A SA L E SU IV A N T E 375

b) Diphtongues nasales

Pour l’évolution des diphtongues nasales primitives, il convient


de les classer en deux groupes, suivant que l’accent s’est main­
tenu sur le premier élément ou qu’il s’est déplacé sur le second.

a) Non déplacement d'accent

Font partie du premier groupe les diphtongues prim itives aj,


ei et ou. Dans toutes les trois, le premier élément s’est nasalisé ;
d’où les résultats ai, êt et o^. Toutes les trois, ont abouti à de simples
voyelles nasales.

ai

La nasalisation du premier élém ent de cette diphtongue est


très ancienne. Elle se constate déjà dans le Si-Léger, où âj assone
avec ä ; cf. v. 3-4 sanz ( = sâjnz < sanctos) : aanz « efforts », v .
183-4 grand : desanz ( = desâjnz < *de-cx -antius).
Mais déjà dans le Roman de Troie, qui est de 1165, on note
la rime meins ( < minus) : mains ( < manus), v. 28691. Elle per­
m et de supposer que ä{~ avait déjà passé à êî dans la première
moitié du x n e siècle et que vers le milieu du même siècle èi s’était
fermé lui-même en èp La date de la fermeture de âj en ët doit
être considérablement avancée (et sans doute aussi celle de la
fermeture de ëî en è) si l’on fait appel aux textes non littéraires.
Dans les documents latins du x ie et x n e siècles de la H te-B retagne
et du Maine étudiés par H. Drevin (Diss. Halle, 1912), on note
en effet, en 1080, une forme Sent pour saint, ce qui reporte la date
de ât- > cr (ct fi) jusqu’au second tiers du x i e siècle.
11 est cependant probable, étant donné la nasalité, que la ferm e­
ture de ai en ëi a dû être légèrement postérieure à celle de ai
en çi (p. 258). En tout cas, elle semble exclure l’existence de à
postérieur dans le plus ancien français.

R e m a r q u e . — ■ P o u r le d é v e lo p p e m e n t d e la n o u v e lle d ip h to n g u e fî,
et, c i-d essou s.

Cette diphtongue a dù passer à .q- à peu près en même tem p s


que aj se nasalisait lui-même en àj. Dans la suite, la diphtongue
fi, celle qui provient de ej comme celle qui provient de a (cf.
ci-dessus), a perdu son second élem ent et s'est réduite à f
376 A R T IC U L . DES PHONÈMES V O ISIN S (A C T IO N S AU CONTACT)

Dès le x n i e siècle, on trouve in pour ain ; cf. M orin = Morain


(127S) en Bourgogne, et Cochin pour Cochein dans le Rôle de
Taille parisien de 1296. Les traits se m ultiplient dans les siècles
suivants.
Cependant l'élément diphtongal a pu subsister jusqu'au x v ie
siècle, ainsi qu'il résulte du témoignage de Meigret (1542) : « vou’
trouverez qe leur prononciation (de -ain, -ein) n’èt point aotre
qe d'un e clos accompagné d’un i en une même syllabe » — , de
celui de Ram us (1562) : « r. nos Franci intégré proferimus, cum
peindre, feindre dicimus » — , et de l’usage de Baïf ou de Péletier
qui écrivent éin. De même, dans ses Scholies (1554), Bèze écrit :
* Galli hane diphthongum (grec s-.) retinent in quibusdam (voca-
bulis). ut plein, sain, feinet, quibus adjungere possemus bain,
nain, pain, sainct -. Il est vrai qu'autre part, dans son De Fran-
cicae linguae recta pronuntiatione (1524), il note : « Haec diph-
thongus (e i) non profertur nisi mox sequente n, et ita pronun-
ciatur. ut paululum prorsus ab i simplici différât ». Après lui,
à part quelques exceptions, les grammairiens ne parlent plus de
diphtongue, ni pour ain ni pour ein.
A une époque qui ne peut être déterminée, mais en tout cas
avant la dénasalisation / s’est ouvert en ç, et c’est è que l’on
prononce aujourd'hui.

R emarci' e L — A l’Est (Lorraine, Champagne, Bourgogne), ei -f


consonne nasale a abouti à oi, comme dans le cas de *leile ( < lêla) >
lotie (p . 270) : cf. foindre ( < fingère) et le part. prés, foindant dans les
Dial. Grég., foinl ( < fingif) : oint ( < ûnetu) chez Eust. Deschamps (de
Vertus, Marne), plains ( < plénos) chez Everat (Genèse), moinet ( < *mînat)
dans les Serm. de St Bernard, moinnes ( < *minas) : poines dans le Psautier
lorrain, moinenl chez Bertrand de Bar-sur-Aube ( Gérard de Vienne), etc.
Le phénomène se retrouve aussi au Xord-Est : E. Herzog, n° 9ô, signale
mon * m ne * dans la région de Liège. Sans doute la nasalisation a-t-elle
été ici plus tardive que dans le Centre, le Xord et l’Ouest. La diphtongue
ei a d’abord passé à c i et c’est après cette étape qu’elle a eu lieu.

R emarque IL — Fënu, m inus et avîna sont représentés en v. francien


par fein, meins, aueine. Aujourd’hui on a pourtant foin, moins, avoine.
Le vocalisme de ces derniers mots rappelle celui des parlers de l’Est dont
on a parlé plus haut, et de fait on a voulu l’expliquer par un emprunt à
ces parlers. La chose paraît invraisemblable pour moins. A la rigueur,
l'hypothèse pourrait convenir pour foin et avoine, ces formes ayant pu être
apportées de l’Est avec le fourrage ou la céréale ; cf. en effet la Rue du
Fouarre (e t non du Feurre) à Paris, p. 295. Cependant elle ne s’impose
pas.
En effet, on constate un peu partout dès le Moyen âge le passage de
{ à tvf au contact d ’une consonne labiale précédente. D ’où actuellement
(U) aboie pour abaie ( < *bayat < *bawyat < *baubyat, 1. cl. baubari),
armoire pour armaire ( < armarie < armariu), cramoisi pour cramesi
( < arabe qirmizt), émoi ( < v. fr. esmoi pour esmai, postv. de esmaiier
< *tx-magare, du frk. magan * pouvoir »), grimoire pour gra- grimoire
( < gramarie ^ *gramadie < grammatica), malvoisie pour malvesie ( < Ma-
,
leo esie nom d’un îlot grec du Sud-Est de la Morée), pantois pour pantais
CONSONNE NASALE SU IV A N TE 377
(postv. du v. fr. pantaisier < *panta$iare, 1. cl. phantasia ; cf. aussi v. fr
panloiser), p-iéle pour paile ( < pâlie < pallium), poêle ( < *pele < paele
< patella), v. fr. poilrin = pétrin « pistrînu), Amboise pour Ambaise
( < Ambatia), Sermoise pour Sermaise ( < Sarmatia), St-Poiz ( < Pes <
Pers < Paerns < Paternus), etc. IJ est à remarquer d’ailleurs que les
anciennes formes sans {it’J se sont maintenues souvent jusqu’en plein
XVI« siècle. Palsgrave (1530) donne y aboyé et yabaye, R. Estienne (1549)
et St-Liens (15S0) ne citent que abbayer, abbay, abbayeur ou abayans.
De même Thierry note en 1572 : * esmoy. Aucuns escrivent esmay. Inde
se esmay er », et esmay er se trouve à côté de esmoyer chez Lanoue : cf. Thurot,
I, p. 335, 337 sq.
D'autres formes du type armoire ne se sont pas conservées. Mais elles
se rencontrent encore chez les grammairiens du xvi« siècle. Ainsi may
pour may ( < maiu) Palsgrave. Tabourot (1537) blame la prononciation
parisienne de fai:, rais, jamais en fouas, vouas, jamouas, que R. Estienne
avait déjà ridiculisée de son temps ; cf. Thurot, I, p. 412 sq.
Etant donné cela, il est possible d’expliquer moins et foin, avoine sans
avoir besoin de recourir aux parlers de l’Est. Les anciennes formes se re­
trouvent d’ailleurs aux xvi* et xvn« siècles ; cf. * fain ou foin » Bovelles
(1533), « fein voyez foin » R. Estienne (1549), fein et foin Lanoue (15961 —,
* mins vel moins « Sylvius (1531), et le témoignage de Yaugelas en 1647 :
* une infinité de gens disent mains pour dire moins, et par conséquent
néantmains pour néanlmoins..., ce qui est insupportable » — : avene R.
Estienne, Thierry (1572), Oudin (1633). Patru écrit vers 1674 : « Tay ouy
beaucoup de gens de la cour dire aveine ; à Paris on le prononce partout
ainsy, et je suis pour cette prononciation, qui sans doute est beaucoup
plus douce ». Mais déjà en 1647, Yaugelas faisait la remarque suivante :
« Il faut dire avoine avec toute la cour, et non pas aveine avec tout Paris »,
et dans son édition de 1740-62 le Diet, de l’Académie n’enregistre que
avoine ; cf. Thurot, I, p. 405 sq.

R e m a r q u e III. — Le cas de moins, foin, avoine n’est pas le seul à se


présenter dans l’histoire de la langue. Un peu partout au Moyen âge. en
dehors des régions de l’Est, on rencontre des formes en -oin- au lieu de
-ein- ; cf. par exemple pointe ( < *pïncta < picta — pîngëre) : cointe ( < c ô -
gnîta), pointe : moine ( < *minat) chez Guillaume de Lorris. Il est encore
possible que ce ne soient pas des formes d’emprunt.
Dans le cas de besoings : froins * freins », Christine de Pisan, I, 26, la
question est plus embarrassante, car dans frein, -ein n’est pas précédé
d’une consonne labiale permettant le développement d’un |ii’}. Cependant
on ne saurait séparer ce cas de celui de mots tels que commentaire, pres-
bytoire, roysin, roisine, fournoise pour commentaire, presbytère, raisin,
résine, fournaise (Palsgrave), « froilon et frelon », * paritaire quasi parié­
taire (R. Estienne), aloine pour alêne (Tabourot), par la morguoy au lieu
de par la morgué (Cyrano, Pédant II, 2), etc. Or ici le (u>] de oi s’explique
par le flottement linguistique amené par la reduction de |u«f] primaire
à ç que l’on note à Paris dès la fin du xm e siècle (pp. 274 sq.), et à laquelle
s’est opposée la langue savante. Le flottement entre [u^J et ( a pu entraîner
à son tour le passage de frein à froin dans d’autres régions que l ’Est.

Ici encore la nasalisation du premier élément doit être très


ancienne : Oÿ a dû aboutir de bonne heure à Ôÿ, pour se réduire
peu après à ô. Quant à ce dernier, il s’est ouvert dans la suite
en p, comme le p primaire, et sans doute en même tem ps que lui.
Pour les remarques à faire, elles sont les memes que pour ô, pp. 370sq.
378 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

ß) Déplacement d'accent
Au cours de l’évolution des diphtongues nasales primitives
Çb üï, ig, Hg, Hä, l’accent s’est déplacé sur le second élément.
Ce déplacement a eu lieu : 1° après la nasalisation de de o en
p (d’où çi), et après la fermeture de çx en üx — ; 2° avant la nasa­
lisation de i et de ü, nasalisation qui, comme on le sait, a été
relativement tardive. Il s’explique par la plus grande audibilité
qu’avait ou qu’a fini par avoir le second élément.
Le résultat a été la création de diphtongues nasales croissantes :
tüh ü'f» i f i üÇi vfe*
Cependant d’autres modifications ont eu lieu, qui portent sur
chacun des éléments de ces diphtongues.
Le premier élément a perdu sa valeur vocalique et a passé à
la semi-voyelle correspondante : y dans le cas de i, w dans celui
de il, w (ou w nasal) dans celui de ü. D’où les groupes : wï, wï,
yë, wè, wce. De plus, w nasal a dû se dénasaliser de bonne heure ;
w s’est amuï devant œ, mais s’est conservé devant f et ë ; y par
contre s’est maintenu. On a eu ainsi les résultats : wï, wï, yè, wè,
œ.
Quant au second élément ï, ë, œ, il a fini par s’ouvrir.
On passera en revue chacune des diphtongues nasales primi­
tives.

Pt
L’étape o\ est celle de la Chanson de Roland ; cf. poign ( < pô-
gnu) : barun, bastun, etc. (v. 767), poign : raisun, dun, barun,
etc. (v. 874), essoing (lat.-germ. *ex-sünniu) : jour, esperuns,
derumpt (v. 1232), luign (< longe) : bastun, hom,sumunt (v. 250), etc.
Mais dès Je milieu du xm e siècle, on constate le déplacement
d’accent, ainsi que le changement de ï en ë. Dans le Miracle de
Théophile (v. 83), Rutebeuf fait rimer jointes avec saintes. Le
Livre des Mestiers d’Et. Boileaue présente la graphie significative
oens pour oins ( < ünctus). Au xve siècle, wè est bien établi ; cf.
besoings : froins chez Chr. de Pisan, bien : loing chez Martial
d’Auvergne, point : uaint chez Eust. Deschamps, baing : poing
chez Ch. d’Orléans, plaintes : coinctes, pleins : mains : poins chez
Guill. Alecis, oint : craint, point : meins dans le Myst. du Siège
d'Orléans, baing : poing. chez Villon (Bail, iv), baing : soing chez
le même (Les Contrevérités, str. 2 et 3), etc.
A quel moment le ë de la diphtongue wë s’est-il ouvert, comme
il l’est aujourd’hui ? On n’a aucune indication à ce sujet. Sans
doute l’ouverture est-elle contemporaine de celle de ë (< e\) en
£. En tout il faut attendre jusqu’au troisième tiers du xvn® siècle
pour avoir des renseignements quelque peu précis ; cf. D’Aisy
(1674) : « oin sonne oèn » et Hindret (1687) : « la diphtongue pin
se prononce comme s’il y avait un a devant l’i... besoain, moains,
soain, etc. ».
CONSONNE NASALE SUIVANTE 379
R e m a r q u e I. — Mais à côté de tvè ou wë, d’autres prononciations
ont existé dont on trouve la trace chez les grammairiens du xvie et du
XVIIe siècles. Certains d’entre eux font allusion à la diphtongue grecque
öl (Bèze, Ramus, Gauchie) et semblent prononcer un i nasai ; d’autres,
sans en parler, font de même (H. Estienne, St-Liens, ChifTlet) ; d’autres
enfin font entendre une triphtongue, comme Baïf qui écrit moéins, poéint,
soéin et comme D’Allais qui remarque en 1681 : «Nous n’avons qu’une
véritable triftongue sous l’apparence d'une diftongue, à sçavoir oin...
dans laquelle on peut discerner le son de ces trois voyelles o é i devant
une n. Ce qu’on pourra voir dans ces exemples joéindre, poéiniu, qu’on
écrit joindre, pointu »; cf. Thurot, II, p. 492 sq.
R e m a r q u e IL — A l’étape Ôr, le second élément a pu s’amuïr ; d’où
en v. fr. des formes comme pong (Girard de Vienne), pont = point (Spon-
sus), sonc = soin (Rom. d’Alexandre), etc. et lontain = lointain (Garin
le Loherain, Chans, des Saisnes), etc. La même réduction se constate là
où la diphtongue primitive a été uy au lieu de Çi ; cf. punt = point (St-
Brandan), junture = jointure (Lég. de Théophile), etc. Pour le phénomène
dans les patois actuels, cf. E. Herzog, op. cit., n° 104.
R e m a r q u e III. — A l’étape tvè, le premier élément a disparu dans
gindre pour v. fr. joindre (< *junior, avec un û. provenant de *jüniôre,
1. cl. juniore ; cf. pp. 184 sq.) et dans jlaine (< flwçne < jlwène < flüxïna).
R e m a r q u e IV. — Le premier élément de la diphtongue wë a pris une
valeur syllabique dans groin (< *grünniu), où il était précédé du groupe
gr-.

U 'i

Dans cette diphtongue, le déplacement s’est produit avant que


le ü ait eu le temps de se nasaliser, ce qui de toute façon n’aurait
eu lieu qu’assez tard. La nouvelle diphtongue "î a ensuite passé
à wï, puis à wç, w<j ; cf. la prononciation [zwîj] du mot juin.

R e m a r q u e . — Sous l’influence des mots en -oin = [- irç], le «5 de la


diphtongue w5? a pu perdre sa palatalité et devenir w. En 1761, Féraud
condamne déjà la prononciation jouin pour juin.

Dans le St-Léger, ie + consonne nasale assonne avec ie + con­


sonne orale ; cf. biens : Lethgier (v. 5), bien : evesquet c’est-à-dire
evesquiet (v. 121), mistier : ben c’est-à-dire bien (v. 81). Ces asso­
nances supposent que dans tous ces mots l’accent tombait encore
sur i. L’assonance juvent : tiemps (v. 31) ne fait pas difficulté,
tiemps n’étant dans ce texte qu’une graphie pour temps.
L’état de choses est le même dans la Chans, de Roland (cf.
pied : bien v. 120), dans le Pèler. de Charlemagne (cf. sozlient :
Ogiers, travaillier, congiet), dans Huon de Bordeaux (cf. Orliens :
plenier ; vient : conseillier), dans Aiol (cf. bien : brief ; rien : che­
valiers ; moiien : entier), etc.
SSO A R T IC U L . DES PHONÈM ES V O IS IN S (A C T IO N S AU CONTACT)

Mais dans le Rom . d'A lexandre et dans le Chevalier au C ygne,


qui sont du dernier tiers du x n e siècle, les m ots en -ien so n t groupés
ensem ble, et dans la seconde m oitié du x m e s. ie -j- consonne
nasale a cessé de s'unir à ie — consonne orale. C'est que le dépla­
cem ent d'accent a vait eu lieu et que ig éta it devenu yë.
A l'origine, IV de -ien a été fermé, com m e Ve de p ied ( < pëde).
Mais il a dû s ’ouvrir d'assez bonne heure, si l'on en ju ge par les
graphies d iain ( — deiien < decanu) du Com put et In d ia in , Troiain
de B en oît, par les rimes meriens ( = *m ateriam en) : R ain s ( < R e­
m is) : raim s ( < ramos), vain ( < vieng < vënio) : vain ( < vanu)
de R utebeuf. et surtout par le passage de -ien à -ian que l ’on
constate dans la seconde m oitié du x m e siècle, et qui a dû être
précédé de yë. Cependant au x v i e siècle, de nom breux auteurs
sont encore pour yë, en particulier Meigret, Péletier, R am us, B aïf,
L anoue. D e m êm e au siècle suivant, D'Allais (1681), D e la Touche
(1696) prononcent y ë ; mais D ’Aisy (1676) et, au x v m e siècle,
R egnier (1705) sont pour yë.
Ce ne sont pas là les seules prononciations indiquées par les
grammairiens. De la F aye (1613), Godard (1620), l’A nonym e de
1654 et Milleran (1692) donnent yï. Bèze fait une distinction
curieuse : bien, chien, chrestien, mien, rien, sien, tien sont pro­
noncés par ceux qui parlent purement comme s’ils étaien t écrits
par deux i, tandis que dans ancien, lien, moijen = moyen, fient
( < fîm us), quotidien et tous les nom s d’habitants en -ien com m e
P arisien , SaDoisien, où ien est dissyllabe, on prononce yë. On sait
qu’aujourd’hui -ien se prononce avec un ë ouvert.
D ans son édition du Rom. de la Rose (Introd., p. 212), Ern.
Langlois a relevé dans l’Orléanais pour la seconde m oitié du x m e
siècle et la première m oitié du x m e de nombreuses formes en
ian ( = ien) ; cf. dans le Livre de Joslice et de Plet (vers 1260) :
lian = lien, viant veant vant — vient, aviant — , dans .4 6 m anus­
crit Orléanais de la 2 e partie du Rom. de la Rose : lians = liens,
paians = payens, ayans ( < habeamus), maian mean ( < me-
dianu) — , dans une charte d ’Orléans de 1286 : reans ( < rëm) — ,
dans une autre de Lavardin (Loir-et-Cher), datée de 1288 : leant
( < tenet), bean ( < béne) — , dans la Branche des royaux lignages
(vers 1306) de Guill. Guiart : lian, au sien tour : entour, bannes :
meannes ( < m edianas), etc. Par là s’explique sans doute la term i­
naison -ans d'Orléans, prim itivem ent Orliens ( < A urelianis).
D'autres exem ples sont signalés pour l’Ouest par E. Gorlich :
Die nordwestl. D ial, des langue d ’oil, Bretagne, A njou, Alaine,
Touraine (in Franz. Stud, v, 3). Certains sont même plus anciens
que les précédents ; cf. dean « doyen » (1260, La Flèche), seans
« siens », beanfet (1262, Léon). Le phonétisme apparaît aussi à
Paris à peu près vers la même époque, comme on peut en juger
par les Rôles de Taille parisiens de 1292, 1296-1300, 1313 étudiés
par K. Michaëlsson, dont on signalera l’article : Alternances - ien :
-ian en ancien français (in Sludia neophilologie a, v u , p. 18 sq.).
Au x v e siècle, Villon fait rimer ancien, crestien avec an. De son
CONSONNE NASALE SUIVANTE 381
temps en effet la prononciation -ian était devenue générale à
Paris, mais dans le peuple seulement. C’est ce qui explique que
les grammairiens du xvie siècle, à l’exception de Palsgrave, l’igno­
rent ou ne la citent que pour la ridiculiser. Ainsi Tabourot (1587)
qui parlant du « populace de Paris » (sic) met plaisamment dans
la bouche d’un habitant de la capitale cette phrase : « Et bian
bian, ie varron si monsieur le Doyan qui a tant de moyan, ayme
les citoyans, et si, à la coustume des ancians, il leur baillera rian ».
De ce phonétisme populaire il est resté une trace, avec fiente qui
se prononce [jyâ:t].
Du cas de fiente, on ne saurait rapprocher celui de cliente, con­
sciente, omnisciente, (il) oriente, patiente, ni celui de client, con­
scient, escient, expédient, inconvénient, ingrédient, omniscient,
orient, patient, toutes formes savantes et dont le à est dù au fait
que le groupe -ien y était anciennement dissyllabique : ë (et non
yè) a ainsi passé normalement à à. La même explication vaut pour
les mots terminés en -ience, tels que conscience, patience, science,
etc. et pour ceux qui finissent en -uence, comme affluence (xive s.)
influence (xm e s.).
Un autre problème se pose au sujet de la terminaison latine
-ianu, représentée dès le plus ancien français non seulement par
-ien, mais aussi par -ian ; cf. ancien-ancian, crestien-crestian,
Julien-Julian, Vivien-Vivian, etc. On pourrait songer pour -ian
à l’une ou l’autre des explications qui ont été proposées ci-dessus,
l’une pour fiente, l’autre pour client et partir par conséquent de
-ien ou de -ijen. Mais la première est exclue du fait que l’on trouve
de nombreux exemples de -ian pour -ien dans les plus anciens
textes. De même la seconde, car on peut se demander pourquoi
en face de client, conscience, etc. qui ont conservé leur e primitif
dans l’orthographe, -ien aurait cédé graphiquement la place à
-ian dans ancian, crestian. De plus, on a -ian dans des dialectes
où t ne passe pas à à ; cf. par exemple : ancianz à côté de anciien
dans l'Histoire des Anglais de Gaimar, anglo-normand (environ
1148). Sans vouloir nier que dans tel ou tel cas l’une des deux
explications proposées soit possible, il paraît plus vraisemblable
d’admettre que d’une façon générale les anciennes formes en -ian
sont savantes et calquées sur le latin -ianu. Ces formes en -ian
ont pu se conserver jusqu’au xvne siècle (ainsi quotidian et Chris­
tian dans christianté), où elles ont été définitivement remplacées
par celles en -ien ; cf. Thurot, II, p. 462 sq. Les formes en -éan,
de même nature que celles en -ian ont disparu un peu plus tôt :
dès la fin du xvie siècle, on ne dit plus que Chaldéen, Européen, etc.

Re m a r q u eI. — Parallèlement à ce qui a eu lieu dans les mots du


v. fr. comme coter (< collare), escoler (< scolare), etc. devenus collier,
escolier, etc. (p. 264, rem. III), yè a pu se substituer à ê ; cf. v. fr. tterrien
à côté de derrain (< *derelranu), v. fr. deventrien pour deoanlrain (< devant
-f erain) et gardien à côté de v. fr. gardenc (< frk. *warding), à moins
que ce mot ne continue, comme le v. prov. gardian, un type du bas-latin
guardianu, dérivé lui-même du lat.-germ. guardia.
1S
382 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

R em a rq u e II. —Par contre, le v. fr. prochien (< *propeanu) est devenu


prochain, par suite de la réduction de yë à ë au contact de la prépalatale
précédente ; cf. encore en v. fr. St-Agnen pour St-Agnien (< Anianu),
auj. SL-Aignan.
Le y s’est pourtant maintenu dans chien, sans doute sous l’influence
du fém. chienne où il a pu se conserver pour éviter une homonymie avec
chaîne (< catena).
R em a rq u e III. — Dans les patois actuels, on trouve yï (cf. biïn, riïn,
iiïn «tiens ! ») dans le Bessin — ; ï (cf. bïn) dans le Perche et, d’après
E. Herzog, op. cit., n° 106 dans le Doubs (Exincourt, Bournois) —, i,
dénasalisation de f, dans le Calvados (Herzog, n° 111) — ; yâ dans le Ht-
Maine, l’Anjou, le Blaisois, l’Orléanais et d’après Herzog, n° 111 dans la
Saône-et-Loire (Germolles) — ; ä dans râ «rien » à Germolles, à Bournois,
à Bourberain (C.-d'Or), à Crans (Jura).


Après le déplacement d’accent, cette diphtongue est devenue
en francien : üë et wë, dans buen, mens, huem qui ont disparu dès
le Moyen âge. Que seraient aujourd’hui ces formes si elles s’étaient
conservées ? Probablement leur vocalisme aurait été celui de
juin.
Dans les dialectes où la palatalisation de [u] a été relativement
tardive et où on a eu au début une diphtongue Uß, le résultat
a été wë ; cf. au Moyen âge boin ou boen (< bönu), coins (< comes)
au Nord, au Nord-Est et à l’Est. A boen correspond la graphie
hoem du Pèlerin, de Charlemagne.
Comme dans le cas de bien (p. 380), le ë de wë a. pu s’ouvrir
en à ; cf. en v. fr. viscoans, viscouans « vicomte ». C’est sans doute
l’évolution wë > wà qu’il faut reconnaître dans Rouen, autrefois
Ruam, Ruan (< Roem 1162 < Rodömo < Rotômagu) et dans
Caen = [kâ], autrefois Caanz xne s., Caam 1160 (< Cahem 1095,
Caem Wace < Cadorno < Catômagu pour Catümagu), tous les
deux avec chute de w devenu intervocalique par suite de la chute
de la dentale. De même, avec réduction de wà à à, dans Ruan
(Loir-et-Cher), Pont-de-Ruan (Indre-et-Loire), frères de Rouen,
et dans Argentan (Orne, Manche), Briant (Saône-et-Loire), Caren-
tan (Manche), Ciran-la-Latte (Indre-et-Loire), Manthelan (id),
Rians (Cher), Senan (Loiret, Yonne), tous remontant à des types
attestés en -ômagu. En face de ces formes, on en trouve d’autres
en -on, qui ont pourtant une origine semblable : Argenton-sur-
Creuse (Indre), Blond (Hte-Vienne), Cenon (Vienne), Charenton
(Seine, Cher), Clion (Indre), Doulcon (Meuse), Epernon (Eure-et-
Loir), Monzon (Ardennes), Novion (id), Nouvion (Aisne, Somme),
NijOn (Vosges), Noyon (Eure, Sarthe, Maine-et-Loire), Pondron
(Oise), Tournon (Ardennes, Ille-et-Vil., Indre-et-Loire), Vernon
(Eure, Vienne). Vu la présence de formes en -an et de formes en
-on dans certains départements, il est probable que les secondes
sont savantes à l’origine : dans -J/no ( < -Ômagu) la diphtongaison
de ô n’a pas eu lieu. Quant à Nogent (Aisne, Aube, Eure-et-Loir,
Hte-Marne, Oise, Seine) et peut-être Noyen (Sarthe), ils remontent
à un type Nouientum.
CONSONNE NASALE SUIVANTE 383
R e m a r q u e I. — Huons (St-Léger) et quarts {Sl-Mlezis) représentent une
étape antérieure au passage de uo (< iat. ô) a uc.
R e m a r q u e IL — Huem a pu se réduire à em dans remploi proclitique ;
et. l’em « on » dans le Comput, le Bestiaire de G. le Clerc. A son tour, cet
em a pu s’ouvrir en un et rejoindre ainsi le an (enj provenant de la déla­
bialisation de on (< homo proclitique).
R e m a r q u e III. — Dans les patois actuels, on signale btvâ en Nor­
mandie —, boi ou bwô en Picardie et en Lorraine —, bwi en Franche-
Comté —, et avec dénasalisation de ô : bwç, bu>t en Lorraine ; et. en partie,
E. Herzog, op. cit., n° 120.

“•ce

La diphtongue üpr de [diurne] (p. 368) est devenue d’abord üœ


(puis wœ) par déplacement d accent, et le nouveau groupe wcê
s’est ensuite réduit à œ, parallèlement à *mwœle (< lat. mâla) >
meule ; d’où en v. fr. (d)zœne.
R e m a r q u e I. — De son côté, diurne (p. 368, rem. II) a abouti à v.
îr. juenne, jouen (n)e, ienne. On rencontre encore d’autres formes au Moven
âge. Parmi les plus intéressantes, on citera : juevre, jeuvre (< *juevehe),
juenure joerivre jenvre < *jüenvene (< juevene y juenne), gienvle < *jüenvle
< *jüeiwele < *jüenvene, giemble < gienvle.

3° E v o l u t io n des v oy elles e t d ip h t o n g u e s n a s a l e s p r i ­
mitives DEVANT CONSONNE NASALE EXPLOSIVE ET DÉNASALI-
sation. — Parmi les voy. et dip'nt. nasales primitives, il y en a
un certain nombre qui ne sont pas suivies de m, n — e. Il faut
écarter le cas de ü~ (p. 379) et aussi celui de ü^, qui, s’il a pu exister
en francien primitif dans *5%ne ( < bona), *sü-nel ( < sönat),
*tü^net (< ionat), a été éliminé de bonne heure par la générali­
sation de la forme atone bône (auj. bonne) ou les formes sônet,
tond analogiques de l’infinitif.
On a donc, devant cons. nas. explos., d’une part â, è, o, î, ü,
ab PT> Pü» qui se rencontrent aussi suivis d'une cons. nasale
implosive et de l’autre üœ qui n’existe que devant n -f- e.
L’histoire de ces voyelles et de ces dipht. présente cette carac­
téristique, qu’à partir d’une certaine époque elles ont perdu leur
nasalité. De plus, avant leur dénasalisation, elles ont subi certains
changements, dont les uns sont communs avec ceux que l’on
enregistre pour les mêmes voy. ou les mêmes dipht. suivies de
consonne nasale implosive, mais dont certains autres leur sont
particuliers.

a) Phénomènes communs. — Devant n, m explosifs, comme


devant n, m implosifs, on constate les changements suivants :
L’ouverture de B en g ; cf. Bonlône, charme, Bouvgône, etc. de
la p. 359 > Boulôhç, charçjhç, Bomgçne, etc.
384 ARTIGUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

La monophtongaison de ai > a? > êf en ç ; cf. a'Lme, fontaine,


Zi^ne, etc. de la p. 364 > [<f/na], [/on/£na], [Zçna], etc.
La monophtongaison, suivie d’une ouverture, de # > ^ >
I? en l ; cf. deine, arçine, fr^ne, etc. de la p. 365 > [alçnd], [ur^na],
[/rçna], etc. —, et de ça > où > o en p ; cf. coroQne, donne, po^me,
etc. de la p. 368 > [/ozrpna], [dgna], [pp/na], etc.
Le déplacement d’accent, suivi d’une ouverture, de Zg > *<? >
yë; cf. E stiène, tiquent, v ifie n t, etc. de la p. 367 > [etyçnd],
[Zi/çna], [yz/çna], etc. —, et de pf > o* > ô; > we en wç ; cf. v.fr.
floisne > floine > [flwçno] qui s’est réduit à [flçnd], v. fr. /p/sne
> foine > [fwçno], p. 366.

R e m a r q u e . — Il est probable que le passage de yë h yç a été plus tardif


devant consonne nasale explosive que devant consonne nasale implosive.
C’est à cause de cela qu’au xvi® siècle, c’est-à-dire à une époque où la
dénasalisation était survenue, Bèze par exemple, tout en admettant yç
dans bien, chien, mien, etc. prononce ye dans chiene, miene. Cependant,
au début du siècle suivant, tous les grammairiens prononcent yç dans les
mots du dernier type.

Est encore commun le maintien du timbre antérieur de a de­


vant consonne nasale explosive comme devant consonne nasale
implosive.

b) Phénomènes particuliers aux voyelles et diphtongues nasales


devant n, m + e — • Tandis que e s’est ouvert successivement
en p, puis a devant n, m finals, une géminée nasale ou n, m suivis de
consonne orale (p. 369), il est devenu simplement p devant consonne
nasale explosive. Ainsi dë(i)gn e , ensè(i)gne , tê(i)g n e , etc. de la
p. 358 sont devenus dç(i)gne, ensç(i)gne , tç(i)g n e , etc.

R e m a r q u e . — Dialectalement, on trouve en v. fr. des exemples de


â ; cf. ensagne subst. dans le Comte de Poitiers ; prannant (pour prënent >
fr. mod. prennent, de *prëndent avec chute du d sous l’action dissimulatrice
de la préposition de dans les tournures partitives) dans la Mort du roi Artu ;
regne = [rânç] : femme dans Eneas ; miguarrame ( < care(s)me) dans un
doc. de Cheminon (Marne) de 1244, etc. On a un reste de ce phonétisme
dans le mot sanne « double-six » (aux dominos), auj. vieilli, que continue
le v. fr. savant senes ( = lat. sent « six à six » ; cf. aussi v. fr. sines), sans
diphtongaison de ë en e$.
Cf. encore les subj. langne, vangne des verbes tenir et venir, ( < v. fr.
teigne, veigne, réductions de iieigne, vicigne < tëneat, vëniat) dans le patois
de Possesse (Marne) ; cf. Tarbé, Rech. sur Vhist. du langage et du patois de
Champagne, Reims, 1851, p. 124.

Pour üœ devenu üœ, puis wœ et finalement œ dans [zœno] —


jeune, cf. ci-dessus p. 383.
Mais ce qu’il y a de plus important à noter, c’est que devant
n, m -f e, les anciens ï et ü ne se sont pas ouverts en ç > ç, respect.
ce ; d’où aujourd’hui cousine, voisine, lime, une, lune, fume, etc.
CONSONNE NASALE SUIVANTE 385
Cependant -me, -Une sont-ils réellement phonétiques ? La
question vaut la peine qu’on s’y arrête, car on peut avoir là une
pierre de touche pour la chronologie de la dénasalisation dont
on parlera un peu plus loin.
On sait qu’au xvn e s. on prononçait cousaine, voisaine, etc.
à Paris et qu’on trouve déjà roieine pour rolne ( < regîna -f roi)
au xm e s. dans le Liv. des Mestiers d’Est. Boileaue. Cette pronon­
ciation est d’ailleurs blâmée par les gramm. : Duval (1604), Hin-
gret (1687), Villecomte (1751) ; cf. Thurot, I, 350, II 478, 501.
Mais est-elle indigène ? Le fait que Hindret la taxe de « provin­
ciale », s’il n’est pas une preuve en soi, laisse cependant présumer
qu’il n’en est rien. Un argument plus sérieux est le suivant. Sup­
posons [-fn] — [-çn9] ou [-çna] dans le parisien vulgaire. Si la 1.
sav. avait fait [-in] — [-ina] ou [-ins], on ne pourrait comprendre
qu’elle ait pris à celle-là seulement [-çn] et non pas [-èna] ou [-çna].
Si d’autre part, elle faisait [-çn] — [end] ou [-çna], pourquoi aurait-
elle conservé [-ên] et aurait-elle renoncé à [-end] ou [-çna] pour
calquer la désinence féminine sur le latin ? En réalité, la langue
vulgaire et la langue savante devaient faire l’une et l’autre [çn]
— [-ïnd] ou [-ma], et si on a prononcé [-êna] ou [-çna] à Paris, c’est
là une prononciation venue de la province.
Ainsi donc, on peut partir pour la capitale d’un phonétisme
[-en] — [-ïnd], commun à la langue vulgaire et à la langue savante
et on peut se servir de cette pierre de touche pour la chronologie
de la dénasalisation. Ce qui est dit de -in, -ine doit être répété
pour un (= œn], -une = [üna].
R em a rq u e . — Dans les patois actuels, -ène (ou ses continuateurs) et
-eune, au lieu de -ine et -une sont très fréquents. On les rencontre pour
ainsi dire dans toutes les provinces. Pour un aperçu, cf. Herzog, op. cit.,
n03 87 sq.

L’opposition [-ëri] — [-ïnd] s’explique par le fait tout naturel


que la nasalisation s’est produite d’abord devant une cons. nas.
implosive, appartenant à la même syll. que la voyelle, plus tard
devant une consonne explosive, appartenant à la syll. suivante.
Or è-f/i, m implosifs est signalé dès la fin du xm e s. (p. 371).
Etant donné le temps qu’il a fallu à ï + n, m implosifs pour s’ou­
vrir en ë, on peut dater la nasalis. de i en f de 1250 environ. D’autre
part, la 1. sav. étant en retard sur la 1. vulg., on peut admettre
que dans celle-là la pleine nasalisation de i -}- n, m implosifs
n’a eu lieu que dans la première moitié du xive siècle. Elle sera
encore plus tardive dans le cas de i -f mf n explosifs. En suppo­
sant qu’il ait fallu un demi-siècle pour que dans la langue savante
f dans ce dernier cas ait pu passer à ê, comme cette ouverture
n’a pas eu lieu chez elle, cela reporte la dénasalisation de ï + n,
m explosifs au début du xve s., ce qui ne veut pas dire évidemment
que la dénasalisation ait eu lieu d’un seul coup et chez tous les
individus à la fois et que ï n’ait pas pu subsister après cette date.
386 ART1CUL. DES PHONÈM ES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

De plus, de même que la nasnlité a été plus tardive pour i (et


0) que pour les autres voyelles, et cela pour des raisons physio­
logiques (p. 356), la dénasalisation doit s’être aussi produite en
premier lieu pour i (et ü). La tendance à l’anticipation vélaire,
plus difficile ù s’établir pour i (et ü) a sans doute commencé à
s’affaiblir pour cette voyelle et î,ii + n, m explosifs ont dû
être les premiers ù se dénasaliser. La dénasalisation des autres
voyelles nasales dans les mêmes conditions n’a dû se produire
qu’après coup, en finissant par à, et on peut considérer que, d’une
façon générale, elle était terminée vers le milieu du xv e siècle
ou le début du x v ie, cela malgré des retards et des conservations
individuelles inévitables.
Ainsi, en tenant compte du phénom. de dénasalisation, on peut
distinguer quatre périodes dans l’histoire des voyelles et des
voyelles diphtongales suivies de consonne nasale.

I. — Tendance à l’anticipation des mouvements de voile du


palais, entraînant la nasalisation de toutes les voyelles et voyelles
diphtongales, selon un ordre physiologique, devant m, n implosifs
ou explosifs —, et leur ouverture dans les mêmes conditions, à
l’exception de f, ü + m, n explosifs.

I L — Ralentissement de cette tendance, empêchant ï, ü + m,


n explosifs de s’ouvrir en è, œ.

III. — Nouveau ralentissement de cette tendance, ayant pour


conséquence la dénasalisation des voyelles nasales devant m, n
explosifs, alors que la nasalité se conserve devant m, n implosifs.
C’est en effet ainsi, semble-t-il, qu'il faut interpréter les faits.
Dans l’ancien bône, avec e final prononcé, le n explosif, séparé
par la coupe syllabique de o, a perdu de sa force anticipatrice
qui assurait la nasalité de la voyelle précédente ; cette dernière
est redevenue orale. Si dans bon et chdnte, au contraire, la voyelle
s’est maintenue nasale, c’est qu’au moment où bône passait à
bone, elle était encore suivie d’un appendice consonantique nasal
implosif (bôn, sânh), lequel, appartenant à la même syllabe qu’elle,
a pu continuer d’agir et de maintenir sa nasalité.
Ainsi, au moment de la dénasalisation des voyelles nasales
4- m, n explosifs, les voyelles nasales étaient sous la dépendance
étroite d’une consonne nasale implosive et n’existaient pas par
elles-mêmes. Le système phonique ne connaissait, comme depuis
le début de la nasalisation, que des voyelles nasales « conditionnées »IV.

IV. — Chute de l’élément consonantique nasal implosif, dans les


types [bön], \sânt9], etc., entraînant l’allongement compensatoire
de la voyelle nasale qui a disparu à la finale absolue : type [ùè] —»
mais qui s’est conservé devant une consonne orale : type chante
{*â:t].
CONSONNE NASALE SUIVANTE 387
La chute s’est produite au moment de la fixation de la langue :
les voyelles nasales se sont maintenues même sans le secours d’un
appendice nasal implosif. Le système phonique possède à partir
de ce moment des voyelles nasales « inconditionnées ».
Quoi qu’il en soit, à la suite de la dénasalisation, on a eu, en
reprenant les exemples de la p. 384, les résultats suivants :
ç dans (il) aime, fontaine, laine, etc.
dans aleine, arcne, freine, etc.
dans daigne, enseigne, teigne, etc.
et dans flaine (*flüxïna), p. 379.
ç dans Boulogne, charogne, Bourgogne, etc.
et dans consonne, (il) donne, pomme, etc.
yç dans Etienne, (ils) tiennent, (ils) viennent, etc.
wç dans fouëne (fuscïna)
œ dans jeune
a, bref dans -ane, banne, panne, vanne, Vannes, long dans âme,
flamme, damne, Jeanne, âne, blâme, pâme ; cf. p. 374.

Ce n’est qu’après la dénasalisation, et dans le courant du x v ie


et du xvue siècles, que œ s’est ouvert dans jeune et que a long
est devenu postérieur dans les mots cités ci-dessus.
R
e m a r q u eI. — Les formes verbales (il) fane, rame ne peuvent pas
s’expliquer par une ouverture de ç en à, dénasalisé ensuite en a, dans
[/#na], [rçma], qui d’ailleurs ne sont pas attestés. Cette ouverture ne s’est
produite en effet que devant une consonne nasale suivie de consonne orale
ou devant une géminée nasale. Il s’agit probablement ici d’une dissimi­
lation e-à > a-â dans les infinitifs fenare, remare, p. 453.
R II. — Dans l’Est, le Centre-Sud et l’Ouest, un y s’est déve­
e m a r q u e

loppé devant h dans la finale -agne, qui est ainsi devenue [-mVïfl et fina­
lement [-gna] ; cf. Brclaigne : enseigne chez Guill. de Lorris, Charlemaigne :
retiengne, acompaigne : enseigne chez Rutebeuf. Ce phonétisme a pénétré
dans Paris, où on le trouve chez Villon ; cf. Auvergne : Charlemaigne,
Bretaigne : enseigne dans le Testament. De ce dialectalisme, le français
a retenu châtaigne (< castanëa) et araigne (pour aragne, encore chez La
Fontaine) dans musaraigne (et aussi dans araignée).
R
e m a r q u eIII. — Au contraire, dans Montaigne, avec ç, c’est l'ortho­
graphe qui a réagi sur la prononciation. Le même phénomène s’cst aussi
produit pour (Philippe de) Champaigne ; mais la prononciation avec
a est considérée comme la seule, correcte.
R
e m a r q u eIV. — Quant à Ve de (il) baigne (cf. aussi inf. baigner), il
est plutôt d’origine analogique. On attend régulièrement bagne, baguer
(< balneat, balneare ; cf. Consonantisme). Ce sont d’ailleurs les formes
du v. fr. et elles se retrouvent encore chez certains grammairiens du xvi®
ou du XVII« siècle : Pelelier (1549), St Liens (1580), Bèze (1584), Monet
(1635), à côté de baigne, baigner chez les deux derniers; cf. Thurot, I, 331,
Baigne, baigner s’expliquent par l’influence de bain (< balneu).
388 A R T I C U L . D E S P H O N È M E S V O I S IN S (A C T IO N S AU CON TACT)

De même, le subst. gain a pu influencer (il) gagne, gagner, d'où encore


au xvi° s. une prononc. [ggna], [gçne], à côté de [gano], [gane], chez Bèze,
Tabourot et Lanoue.

R e m V. — Dans (il) éloigne, soigne, témoigne, le groupe actuel


a r q u e

[wa] continuant un ancien [wç], lequel provient de la dénasalisation d'un


ancien [ta?] analogique de loin, soin, témoin. Les formes phonétiques seraient
aujourd’hui [e/pfi], [spn], [le/npn] ; cf. en effet ç dans besogne, grogne,
trogne, etc.
Ces formes analogiques sont relativement récentes. Au xvi® et même
au x v siècle, en effet, on prononçait encore [p] ou parfois, par retar­
i i c

dement, p dans tous ces mots. Il faut attendre jusqu’à Oudin (1633) pour
trouver un témoignage de la nouvelle prononciation : il figure lesmoigner
par tesmoegner. Après lui, Chifflet et Duez sont encore pour l’ancien usage.
Mais les grammairiens postérieurs indiquent [wçn\ et même [taùn]. De
la Touche écrit : « Oi se prononce comme oai devant g et n : exemples
témoigner, éloigner..., prononcez têmoaigner, éloaigner... ». De même, Har-
duin (1757) dit qu’on a oé dans témoigner. Par contre, d’après Milleran
(1692), oign « s’exprime comme Yuagn des Allemands, éloigner... témoi­
gner », et Féraud (1761) représente par oagn la prononciation de oign dans
ces mêmes verbes ; cf. Thurot, II, 525 sq. Il va sans dire que le changement
s’est produit dans tout le reste de la conjugaison et dans les substantifs
ou adjectifs correspondants, tels que éloignement, soigneur, soigneux,
témoignage.
Cependant, à la même époque, besogner, cogner, grogner et empoigner
n’ont pas adopté cette prononciation, malgré besoin, coin, groin et poing.
C’est sans doute que dans la conscience linguistique à ces verbes corres­
pondaient plutôt besogne, cognée, grogne et poigne (ce dernier alors avec
-çna). Ce n’est pas à dire pourtant que dans certains cas, le modèle des
formes en -oin ou -oing n’ait pas pu s’imposer, Baïf (1574) par exemple
écrit empoègnant. Mais ces formes analogiques semblent avoir été très
rares. Elles n’ont survécu que pour le verbe empoigner et le substantif
poigne (cf. aussi poignard, poignée) avec wa assez tardif.
De plus, dans les verbes en-oindre, le phonétisme u>? de l’infinitif, des
trois premières pers. sg. de l’indic. prés, du futur et du conditionnel a
déterminé dans le reste de la conjugaison un nouveau radical en W(. C’est
ainsi qu’au part. prés, de joindre, par exemple, on a eu dès le xvne siècle
[zwçnà\ au lieu de [zohà]. Martin (1632) est le premier à signaler ce chan­
gement : pour lui poignons se prononce poâgnons, et il figure la pronon­
ciation de m’enjoignant par manschoenjanl ; cf. Thurot, II, 527. Parallè­
lement à témouagner. Milleran cite plus tard (1692) jouagnant. Ce phoné­
tisme analogique est devenu de règle dans la langue ; cf. auj. qu’il joigne
— [zwan).

R VI. — Le germ, sünnja est représenté régulièrement par


e m a r q u e

-soigne [-sonç] dans le v. fr. essoigne. Mais dès le Moyen-âge, on trouve une
nouvelle forme : essoine [eswêna], puis [esu>çn3] dont le consonantisme,
comme le vocalisme, indique une réfection complète sur soin autrefois
[swën] ; cf. essoine : moine chez Rutebeuf, essoyne : moyne : saine chez
Villon.

R VTI. — Clamat a donné régulièrement claime en v. fr. Le


e m a r q u e

français actuel clame est refait sur l'inf. clamer. Au xvie s., Palsgrave
donne encore je claime à côté de'me clame quitte. Thurot, I, 315. De même,
le v. fr. traime < *tramal a cédé la place à trame, analogique de l’infinitif
tramer. A son tour, le verbe a influencé l’ancien substantif traime ( < trama),
qui a pu devenir trame. Aux xvie et xvn* siècles, trame et traime se ren­
contrent chez les grammairiens ; cf. Thurot, I, 325. Mais c’est trame seul
qui a été adopté par la langue, aussi bien pour le verbe que pour le sub­
stantif.
A CT ION A L L O N G E A N T E DES CONSONNES S U I V A N T E S 389

Re m a r q u eVIII. — On note une substitution de suffixes dans aveline


(dès le X V e s.), qui a remplacé le v. fr. avelaine < (nux) abellana. A vêlaine
se rencontre encore au xvne et au xvm* siècles (Diet, de Trévoux, sous la
forme aoellaine). D’autre part, *matrina (d’après patrïnu) a donné marrine
en v. fr. ; mais à côté l’ancienne langue possédait une forme marraine
< *mairâna ; cf. pl. marrenes (Chans, de Roland, v. 3982). C’est cette
dernière qui a triomphé, après avoir déterminé la disparition de parrin
' < patrïnu), au bénéfice de parrain ( < *patranu).

R IX. — Noter les changements orthographiques qui se sont


e m a r q u e

produits pour areine ( < arena), estreine ( < slrëna), deigne ( < dignal),
eigne = en v. fr. \çn§] ( < inguina), écrits aujourd’hui arène, étrenne, daigne,
aine. Pour mène (en v. fr. meine < *m nal), on peut penser à l’influence
orthographique de l’infinitif mener.

R X. — A côté de fouëne ( < fascina), les dictionnaires mo­


e m a r q u e

dernes enregistrent foène, foëne et fouine, pour l’explication desquels cf.


p. 284.

VI. ACTION ALLONGEANTE DES CONSONNES


SUR LES VOYELLES PRÉCÉDENTES

Au contact d’une consonne suivante, les voyelles ont pu devenir


longues. Il s’agit d’ailleurs de deux phénomènes différents : dans
certains cas, il y a eu allongement compensatoire à la suite de la
disparition de la consonne ; dans d’autres, c’est la consonne qui
sans disparaître a allongé la voyelle. De plus, l’allongement a pu
avoir une répercussion sur le timbre vocalique, mais pas tou­
jours. D ’où deux périodes à distinguer.

1° P r e m iè r e p é r i o d e . — Durant cette période, l ’a llo n g e ­


ment peut être dû tout d’abord à la chute d’une consonne suivie
d’une autre consonne (s + cons.) ou d’une consonne finale (s).

1° Dans les mots du type isle < insula, misi < mïsit, fçste <
fësta, arreste < *adrëstat, asne < asïnu, chantast < cantassel,
cçste < cösta, tost < töslu, goste < güstat, fust < fuisset, etc., la
voyelle accentuée est devenue longue après la chute de s anté-
consonantique. Dans tous les cas, la longueur est encore indiquée
par les grammairiens du x v ie siècle. Erasme remarque en 1528 que
les Français, en prononçant le latin est, où ils ne faisaient entendre
ni l’s ni le t, donnaient à Ve le double ou même le triple de sa durée
ordinaire. De son côté, Bèze (1584) pose en principe que toute s
muette devant une consonne allonge la voyelle précédente et il
cite comme exemples : tost, rost, est, fist, eust, fust, haste, taste,
hasle, asne, blasme, Rosne, Cosme, teste, beste, feste, alesne, baptes-
me, causme, mesme, estre, naistre, maistre, giste, viste, seusmes, re-
390 A R T IC U L . D E S PH O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)

ceusmcs, crouste, vouste, etc. Cette prononciation est celle de tous


les grammairiens suivants jusqu'à D ’Olivet (1736). L’allongement
a lieu du reste même en syllabe inaccentuée ; cf. esperon, esperonne,
espier, esmeute. esrnoiwoir chez Bèze. Dans un cas comme dans
l’autre, les voyelles brèves caractérisent une prononciation dialec­
tale. Andry (1689) écrit par exemple : « Les Picards et les Gascons
prononcent breves la plupart des syllabes qu’on doit faire longues ;
par exemple, ils disent un patte, de la patte, battir, pour un paste,
de la paste, bastir. Ils prononcent une cotte pour une coste. Ils pro­
noncent hoste et hotte de la mesme manière ».

2° Avec l’amuissement des consonnes nasales antéconsonanti-


ques, qui a eu lieu beaucoup plus tôt que celui des consonnes nasa­
les finales, la voyelle précédente s’est elle aussi allongée, qu’elle
fût accentuée ou non. Bèze écrit encore que toute syllabe terminée
par un m ou un n non redoublés, devant une autre consonne est
longue par nature : feindre, teindre, bonté, endormir, temporel,
autant, haultement ont pour lui une voyelle nasale longue. Son
enseignement se retrouve plus ou moins bien conservé chez les
grammairiens postérieurs. Mais les exceptions à la règle devien­
nent avec le temps de plus en plus nombreuses et en 1687 Hindret
donne comme brèves toutes les finales nasales suivies ou non d’une
consonne dans l’orthographe (-ant, -ent, -ang, etc.). C’est l’usage
actuel, les voyelles nasales n’étant plus longues aujourd’hui que
lorsqu’elles sont suivies d’une consonne prononcée.

3° Enfin, la chute de s final a eu pour conséquence l’allonge­


m ent de la voyelle précédente. Cet allongement est encore de règle
au x v ie siècle et il continuera de l’être longtemps après. C’est ainsi
qu’au pluriel, Domergue (1805) sera le premier à faire des restric­
tions à l’usage antérieur qui voulait qu’on prononçât une voyelle
longue, par opposition avec le singulier. Il recommande de pro­
noncer longs a, oi, o, eu suivis d’un s ou d’un x muets : les sophas,
les plats, les lois, les dominos, les turbots, les feux, les habits bleus, les
fous, les projets, les essais, les valets, etc. Mais il prescrit une voyelle
brève dans : les défis, les vertus, les vérités, les dangers, etc. « Pour
moi, écrit-il, je ne vois aucune différence entre un cri et des cris ».
A ctuellem ent l’ancienne distinction a complètement disparu.

R I. — Il ne faudrait pas croire que la règle de l’allongement


e m a r q u e

vocalique devant un s final non prononcé n’ait pas souffert d’exceptions


chez les premiers grammairiens. Ainsi pour Péletier (1549), les 2e pers. plur.
donnez, aile: ont une voyelle accentuée brève, de même que les participes
passés pluriels préparez, ebahiz, nourriz, suz, vuz, etc. Sans doute, dans ce
dernier cas, faut-il recourir à l’action analogique des formes correspondan­
tes du masculin singulier. A leur tour, les participes donnez, allez ont pu in­
fluencer les 2e pers. plur. de l’indic. prés.
R e m a r q u e I I . — L’analogie a pu d’ailleurs jouer en sens inverse. Péle­
tier prononce encore une voyelle brève dans di < dlco, sè < sapio, veu «je
veux » et dans les parfaits apperceu, repondi, vi, etc. ; mais une voyelle Ion-
ACTION A LLO N G EA N TE D E S C O N SO N N E S S U IV A N T E S 391
gue dans fë « fais », soë « que je soie », avoë « avoio ». L'allongement s’expli­
que dans ces derniers exemples par l'influence des 2° pers. sing, corres­
pondantes qui avaient régulièrement une voyelle longue. Il convient de
remarquer que certaines 1res pers. sing, avaient normalement eux aussi une
voyelle longue : celles du type Jinis, crois, parais, etc. Hiles ont pu contri­
buer pour leur part à cet te extension analogique de la quantité. l)’un autre
côté, les 1res pers. sing, à voyelle phonétiquement brève ont pu déterminer
un changement de quantité dans les 2e pers. sing, ou dans les 1res per.>.
sing, à voyelle phonétiquement longue, telles que tu vêtis, tu dis, etc. ou je
finis, je parais etc. CetLe lutte entre tendances phonétiques et réactions ana­
logiques fait que les phénomènes sont parfois très complexes chez, les gram­
mairiens du xvie-xvin° siècles et varient de l’un à l’autre.
R em a r q u e 111. — Du reste, l’opposition entre singulier et pluriel ne
se bornait pas primitivement à une question de quantité vocalique. Le
consonantisme était différent dans les deux nombres. C’est ainsi qu'aux sin­
guliers lac, hanap, bonèt, squij, coc, but, avec voyelle brève et consonne finale
prononcée, Meigret (1512) oppose des pluriels Ides, bunûps, bones, squtfs,
côcs, bûs, avec voyelle longue finale. De même, Péletier marque du signe
de la longue les finales de lispagnos, grés, léquéz, briéz. pluriels de Espagnol,
grec, lequel, brief.

Mais l’allongement vocalique peut aussi avoir eu lieu sous l’ac­


tion de [z], v et l, quand ils étaient explosifs.

Les grammairiens du x v ie siècle et des siècles suivants notent ce


phénomène. C’est ainsi qu’ori trouve les graphies èze « aise », mau-
vêzes chez Péletier, et que Saint-Liens (1580) et llèze signalent une
voyelle longue, le premier dans Caucase, mauvaise, cerise, chose, en­
close, cornemuse, hideuse, le second dans chose, cause, loise, noise,
bise, mise, cuise, frise, ruse, muse, camuse.

R ema rq u e I. — Si les p re m ie rs g r a m m a i r i e n s i n d i q u e n t u n e v o y e lle


longue d e v a n t u n e s ylla be c o m m e n ç a n t p a r s, ce ne p e u t ê tr e q u e p a r s u i t e
d ’u n e influence a nalogique. P o u r des e xem ples de -cw.sc, -asse, -ace. c.f.
p p . 245 sq. Meigret signale en o u tr e u n i long d a n s les fo r m e s v e r b a l e s jatssc.
fuisses, san s d o u te influencées p a r lu fuis, avec i n o r m a l e m e n t long.
R emarqu e II. — P o u r cache, crache, sache a v e c a long c hez 11. K s t i e n n e .
d ’a p r è s fâche, lâche, mâche, cf. p. 246.

Bien que nulle part les grammairiens du x v ic siècle ne parlent


de la quantité de la voyelle accentuée de pauvre, il est certain
d’après ce qu’on verra plus loin que l’o a été allongé de lionne
heure dans ce mot, sous l’action de v. Par contre, Bè/.e note un a
long dans aille, baille, caille, faille, maille, paille, saille, taille, vaille,
etc. qui s’opposent ainsi aux mots du type travail, dont l’a est tou­
jours indiqué comme bref. La différence entre. Va long de maille
et l’a bref de travail est d’ailleurs facilement explicable : il est natu­
rel que l’a ait pu être allongé au contact d’une consonne appar­
tenant à une syllabe suivante et qu’il soit resté bref au contact d ’un
l implosif, dont la présence dans la même syllabe a empêché l’a de
s’allonger.
392 A R T IC U L . DES P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S AU CONTACT)

Les allongements dont on vient de parler ont été sans effet sur
l ’c qui est resté ouvert ; cf. actuellement [fet] « fête », [tçt] «tête»,
etc. Mais on a vu pp. 209 sq., 243 sq. que l’p et l’a antérieur ont
changé de timbre une fois devenus longs, le premier passait à o
fermé, le second à a postérieur.

2° S e c o n d e p é r i o d e . — Dans cette période qui commence


après le passage de a antérieur long à a postérieur long, des allon­
gem ents vocaliques ont pu encore se produire ; mais ils ont été
sans effet sur le timbre. O ouvert et a antérieur pourront devenir
longs ; mais le premier restera cependant ouvert, et le second,
antérieur.
D ’autre part, il n’y a plus au cours de cette période d’allonge­
m ent compensatoire par suite de la chute d’une consonne. L ’allon­
gem ent vocalique est dû uniquement à l’action de certaines con­
sonnes, et précisément de consonnes dont l’action ne s’était pas
m anifestée auparavant : r et z.
C’est ainsi qu’on a aujourd’hui une voyelle longue dans rire,
foire, cœur, pur, pari, or, four et dans tige,“neige, Maubeuge, juge,
courage, loge, bouge. On remarquera que malgré leur durée, l’a de
part, courage est antérieur, et l ’o de or, loge, ouvert.
Dans le cas der, l’allongement semble avoir suivi de près le chan­
gem ent de a antérieur en a postérieur, puisqu’il est déjà noté par
tous les grammairiens du xvi^ siècle. Dans celui de z, il a fallu
attendre plus longtemps. Au x v ie siècle, le premier grammairien
qui signale l ’allongement devant cette consonne est Lanoue (1596).
Mais on sent à ce qu’il dit, que le phénomène est à ses débuts. Pour
la terminaison -age, il n’admet, de longue que dans voyage. Pour
-oge, après avoir écrit : « Si quelqu’un se veut dispenser d’aparier
à ceste terminaizon celle en auge... qu’il iuge premierement en ces
deux vers combien la penultiesme longue sonne mal à la rencontre
de ceste cy. qui est breve :
N ’a guere au partir de ma loge
I’ay veu le sanglier en la bauge »,
il ajoute cependant : « E t puis qu’il en face ce qu’il luy plaira #
laissant ainsi entendre que l ’usage de o long commençait à s’établir
à son époque. Pendant tout le x v n e et le x v m e siècle, les gram­
mairiens seront partagés et il faut arriver jusqu’à Domergue (1805)
pour que la voyelle suivie de i soit reconnue définitivement comme
longue.

V II. — CONSONNE + VOYELLE ACCENTUÉE

On notera des phénomènes de fermeture, de labialisation et de


délabialisation.
V O Y E L L E A C C E N T U É E S U IV A N T E 393

A. — Action fermante des consonnes palatales

A une certaine époque, alors que l’a de mare continuait â rester


tel quel, l’à accentué long (c’est-à-dire en syllabe ouverte) s’est fermé
en # sous l’action d’une consonne palatale précédente. Calel, caru,
cane, pacare, adjutare, laxare, medielale, etc. ont été à un moment
donné *tsêlet, *tsçro, *lsçne, patjyçre, aid’ ire, lais’ire, meit'ite, etc.
Dans la suite, cette action fermante s’est continuée. Au contact
de la consonne palatale, la partie initiale de i s’est fermée progres­
sivement pour aboutir à i. De la sorte, on a eu une diphtongue te
qui a évolué comme celle qui provient de la segmentation de ë
latin accentué en syllabe ouverte (pp. 265 sq.). Caru par exemple,
après l’étape *tsçro, est devenu *lsiero, d’où le v. fr. chier (auj.
cher). Parallèlement calet, pacare, adjutare, laxare, medielale ont été
représentés en v. fr. par chielt, peiier, aidier, laissier, meitié, etc.
(auj. payer, aider, laisser, moitié, etc.).
Dans les mots comme cane, paganu, où l’a était suivi d’une
consonne nasale, le second élément de la diphtongue s’est nasalisé ;
d’où chien, vfr. paiien (auj. pay en).

R e m a r q u e I. — Que l’étape ie ait été précédée de l’étape ç, cela ressort


de la comparaison du français avec le franco-provençal. On sait que l’a
d’un mot comme mare est resté intact dans ce domaine. Or le franco-pro­
vençal a chier < caru comme le français. Chez lui. le résultat ie ne peut donc
s’expliquer par la modification sous l’action de la palatale précédente d’un
e résultant, par l’intermédiaire d’une diphtongaison ou non, d’un a accentué
en syllabe ouverte. S’il en est ainsi pour le franco-provençal, il doit en avoir
été de même pour le français.
Cela à plus forte raison, puisque avec le passage de mare à mer, le fran­
çais se dénote comme une langue plus palatalisante que le franco-provençal.
Les choses étant ainsi, il est même probable que le passage de a à i
dans caru > *tsçro a été plus précoce dans le premier que dans le second.
R e m a r q u e II . — La fermeture en £ n’a pas eu lieu lorsque a accentué
se trouvait en syllabe fermée. L’opposition sera la même en syllabe initiale
inaccentuée entre caballu > cheval (primitivement avec un ç central) et
carbone > charbon (p. 449). C’est que l’effort musculaire nécessité par la
consonne implosive donne un surcroît d’énergie à la voyelle précédente, qui
devient de ce fait moins sensible à l’assimilation. D’où carru > char,
carcere > charlre, *captiat > chasse, cailu > chat, etc.
R e m a r q u e III. — La fermeture en £ est postérieure à l’invasion fran­
que, comme permet de le supposer l’évolution de frc. *skâk > vfr. eschiec
(auj. échec « insuccès »). Quant à la diphtongaison de cet i en le.elle est pos­
térieure à celle de £ latin accentué en syllabe ouverte. En effet cette dernière
si elle s’est poursuivie après l’invasion franque, a commencé probablement
avant elle. Or il a fallu un certain temps à l’a du frc. *skûk, introduit en
pleine diphtongaison de ç latin, pour se fermer en £ et de là passer à ie.
R e m a r q u e IV. — Les choses étant ainsi, il est plus que probable qu’il
n’y a pas eu de passage de a à ç dans les continuateurs de jacet et de cacat.
Au moment de la fermeture on avait déjà les étapes diaidzet et *tsayijat.
L’a étant ici en syllabe fermée n’a pu devenir § ; il s’est fermé simplement en
ç, puis en ç et finalement en i sous l’action combinée de la prépalatale ini­
tiale et de l’j diphtongal suivant (p. 322).
394 ARTICUJL. D E S PH ONÈM ES VOISIN S (ACTIONS AU CONTACT)

R em arque Y. — Chielt < calet se trouve dans la Ste-Eulalie. Mais


cette forme a cédé de bonne heure la place à chalt, de fait sur chaleir < calëre,
d’après la proportion chaleur : valeir (< valere) — valt (< valet) : x. Chalt,
devenu chaut, survit encore dans les locutions peu me chaut de..., peu lui
chaut de...

R em arque VI. — Pour la réduction de ge à e dans chier > cher, aidier


> aider, laissier > laisser, etc., cf. p. 264.
R em arque VII. — Pour la réduction, au stade ie, du second élément
de la diphtongue au Nord, au Nord-Est et à l’Est (cf. civres pour kieores
< capras dans Aucassin), cf. ci-dessous p. 267.

B. — Labialisation

Un phénomène inverse se constate aux personnes faibles des


parfaits du type -ui.
Par suite de l’évolution , habutstî, habéïmus, habutstïs et de-
buistï, debûimus, debuïslïs, par exemple, avaient abouti en gallo-
roman à *awwisli, *awwimos, *awwistes et *dewwisti, *dewwimos,
*dewwistes dont l’i accentué peut être de nature phonétique (2e
pers. sing.) ou analogique ( lre et 2e pers. plur.).
Au contact du ww précédent, cet i s’est labialisé en ü ; d’où en
vfr. oiis, oümes, oüstes et dëus, dëumes, dëustes, auj. eus, eûmes,
eûtes et dus, dûmes, dûtes.

R em a r q u e . — Mais la labialisation n’a pas eu lieu au Nord ni au Nord-


Est, où les formes correspondantes ont été awis, awimes, awisles et demis,
dewimes, dewistes. Ici en effet la géminée ww a dû se simplifier de meilleure
heure qu’en françien. Dans ces conditions -w- intervocalique n’a pas réussi
à labialiser l’i suivant.

C. — Délabialisation

A côté de çaius et laius, composés de ça, là (p. 226) et de ius


(cf. vol. III : Consonnes), le v fr. connaît aussi gais et lais, dans
lesquels l’i s’explique par la délabialisation de ü accentué sous
l’action du y précédent, lequel s’est ensuite fondu avec i.
De même, à côté de aiue ( < adjütat), on a en vfr. aie ; cf. aussi le
subj. prés, dit (Chanson de Roland v. 1865, 3338, Tristan de Bé-
rould v. 628, etc.), qui peut se trouver écrit aisi (R. de Cambrai

t
CONSONNE PRÉCÉDENTE ET CONSONNE SUIVANTE 395
7127. Tristan de Thomas 1430, 3060, etc.). La contamination de
aidier (< adjuiare) et de aïe a donné de plus naissance en vfr à une
conjugaison aidier.

VIII.— CONSONNE + VOYELLE ACCENTUÉE + CONSONNE

On distinguera des phénomènes de labialisation et de vélarisa­


tion.

A. — Labialisation

Sous l’influence d'une labiale précédente et d’une labiale sui­


vante, un ancien e, quelle que soit son origine, s’est labialisé en
œ aux environs de 1300. Le premier exemple qu’on trouve de
ce phénomène semble être veuve (pour veve < vïdua), que Guiart
dans la Branche des royaux lignages fait rimer avec preuve. C’est
d’ailleurs le seul que la langue moderne ait conservé, après de
nombreuses hésitations : Vaugelas note encore en 1647 : «il faut
escrire veuve ou veufve et non pas vefve, comme on dit en plusieurs
provinces de France».
De même [swçf] (> site) est devenu [swœf], puis seuf qui est
dans le Testament de Villon et la Passion de Gréban, mais qui
dès la fin du xvie siècle est tombé en désuétude au profit de [swef],
auj. soif. En 1587, Tabourot écrit : «Ronsard a dit seuf, et rime
avec bœuf, mais il le faut plus tost admirer en cela que de l’en-
suyvre ». Il faut encore citer les noms de personne Lefeuve, Feuvre,
Lefeuvre (Ouest), Feuvre, Lefeubre (Poitou), à côté de Fèvre, Le­
fèvre > fabru. Il ne faut pas confondre ces formes avec d’autres
sans v, comme Feme, Lefeure qui sont pour Fevre et Lefevre mal
lus. Lefèvre s’écrivait aussi Lefebvre : le v a pu être pris pour un
u, d’où le nom propre Lefébure. On trouve aussi orfeuvres chez
St-Liens (1580). Enfin, fève > faba a pu devenir feuve ; cf. dans
Lanoue (1596) : «/cime. On l’escrit febue et, soubz umbre de la
vicinité de son orthographe auec les terminaizons an eve, on rime
auee ordinairement. Toutesfois sa pronontiation est celle de ceste
terminaizon euve, où il convient mieux de l’aparier qu’à nulle
autre ».

B. — Vélarisation

Jacques a aujourd'hui un a postérieur. C’est sans doute ce que


laissent entendre déjà Lanoue, Hindret, De la Touche et D’Olivet
396 ARTICUL. OES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)

en indiquant que ce mot a un a long. Il est probable que la véla­


risation s’explique ici à la fois par le z précédent, qui comporte
un léger mouvement de projection labiale, et le k suivant.
C’est encore par l’action combinée de k et de r que (il se) carre et
quart peuvent avoir un a postérieur à côté d’un a antérieur.
La même remarque vaut pour rare, dont l’a est entre deux r.
CHAPITRE VI

PHÉNOM ÈNES DÉPENDANTS DE L'ARTICULATION


DES PHONÈMES VOISINS
(Actions à distance)

On étudiera successivement dans ce chapitre l’action positive de


ï final et l’action conservatrice de ï final.

I. — ACTION POSITIVE DE I FINAL

L’action positive de f final peut s’étre exerçée sur e ou sur ô


latins, qui se sont fermés en f, respect, û.

I. ë > ï

1° ë > f. — De bonne heure les parfaits fëcï, *prë(n)sï, vënï,


*tënï (cl. tenui) ont passé à *flcl, *prïsl, *uïnï, *tïriî, d’où en fran­
çais lis, pris, vins, lins.
Le même phénomène s’est produit dëbuï, *crëvuï (cl. crëvï), *crë-
duï (cl. crëdidi), qui, par les étapes *dlbuï, *crïouï, *crïduï et *diwwi,
*criwwi (= *crïvuî et *crlduî), ont abouti en vfr. à dui, crui ( =
parf. de croître et croire), auj. dus, crûs, crus. Pour la labialisation
de l’i du radical dans ces formes de parfait, cf. ci-dessus p. 394.
R
e m a r q u eI. — Pour le fr. brebis, on a supposé aussi une action d e l
final sur ë dans un type *oeroëcï, qui aurait supplanté vervêces dans le latin
de la Gaule. Cette hypothèse est inutile, car le latin possédait un type v e r v îx ,
-ic is à côté de vervêx, -te ls . Le fr. brebis, ainsi que le prov. b e rb ilz, continue
naturellement veruîce.
19
398 A RTICU L. D E S PH O N ÈM ES V O ISIN S (A C T IO N A DISTANCE)

R IL — Le fr. reçus peut s’expliquer par un type *recêpui,


e m a r q u e

formé sur le parfait recëpi. Mais il peut continuer aussi, comme on le verra
plus loin, un type *recïpui, formé sur le présent recïpit.

2° ô > ü. — Parallèlement à ë > ï, on constate la fermeture


de ô en ü sous l’action de ï final dans tutti (cl. tôti), qui a passé à
*hltti ; cf. tutti dans le Gloss, de Cassel, 163. Tutti se retrouve en
italien où il a influencé le sing, tutlo. Mais en français il a continué
d’évoluer et est devenu tuit avec un vocalism e qui s’oppose à celui
du masc. plur. toz (cas régime) et du féminin tote, totes. On a de
môme tuil et tug en v. prov. et tuit en v. cat. Sans doute, l’i final
de *tutti s’est-il consonantisé en y dans les combinaisons syntac-
tiques du type tutti homines, tutti *ant ( = habent), et on a eu ainsi
*tulty, qui, par interversion de y a donné naissance aux formes
citées ci-dessus.
La présence en vfr. de conëu (auj. connu) et de mëu (auj. mu) qui
remontent à des participes *coqnovütu et *movüiu (cl. cognilum et !
molum) fait supposer l’existence de parfaits *cognôvul et *mövuï I
(cl. cognôvï et müvî). Là aussi, l’ô s’est fermé en ü sous l’action de j
f final et par les étapes *conüwwi et *müwwi on a abouti en vfr. à j
conui et mui, auj. connus et mus. iIl

Il importe de se demander quelle est la nature de l’i final qui a


ainsi agi sur ë et ô. Par la même occasion, on pourra déterminer la
date à laquelle s’est produite la fermeture de ces deux voyelles.
Le paradigme du parfait du verbe faire est instructif à cet égard.
On sait que le vocalisme i se rencontre en vfr. non seulement à la
l re pers. sing, mais aussi à la 3* du sing, et du plur. : fis, fist, firent, j
en face de fesis, fesimes, fesisies. Si la fermeture de ë en ï est uni- \
quement attribuée à l’action d’un ï final, il en résulte que le voca­
lisme de la l re pers. sing, est phonétique (cf. en latin fëcï), mais que
celui de la 3e pers. du sing, et du plur. ne peut être qu’analogique
(cf. en latin fëcït, fëcërunt), et analogique de celui de la l re pers.
sing. Or il parait extraordinaire que cette dernière personne ait
pu avoir une telle action sur la 3° du sing, qui est beaucoup plus
employée. On comprend que la 3e pers. plur. ait pu harmoniser son
vocalisme sur la 3e sing. ; mais il est difficile d’admettre que la 3e
sing, ait réglé le sien sur la l re pers. sing. Il faut sans doute ad­
mettre que la fermeture de ë eu ï a eu lieu en môme temps dans
fëcï et dans fëcït ; ce qui revient à dire que l’i final a agi sans aucune
considération de quantité et uniquement par son timbre. S’il en
est ainsi, le phénomène n’a pu se produire qu’avant l’ouverture de
ï dans crïsla > *crçsla, ce qui permet de dire que les phénomènes de
dilation positive sont antérieurs aux phénomènes de dilation conser­
vatrice dont il sera question plus loin.
Il est de plus probable qu’on a affaire ici à la continuation d’une
tendance déjà latine. Si on jette en effet un coup d’œil sur le latin,
on y constate un certain nombre de phénomènes de dilation dus à
ACTION CONSERVATRICE DE I FINAL 399
l’action d’un i appartenant à la syllabe suivante. Pour laisser de
côté les exemples de ë devenu F, sujets à discussion, on note dans
certaines conditions le changement de ë en i devant une syllabe
contenant un i ou un ï ; cf. *qënïs > cïnïs, *në-hïlo(m) > nïhil,
*në-mïs > nï-mïs, *vëgîl > vïgïl, etc.
R e mar qu e I. — Dans les emprunts irlandais au latin, l’i a exercé
la même action dilatrice que ï ; cf. J. Loth, L es m ots tat. d an s les l. britton.
1893, p. 76, qui ajoute : « Si 1’? bref, en irlandais, produit les mêmes effets
que î, c’est que là, il existait encore à peu près intact au moment où l’in­
fection vocalique s’est produite. »
R emarque II. — Naturellement, l’action dilatrice de ï a pu être con­
trariée par l’analogie. Ainsi, Ve de v e n d it et l’o de * co sil (1. cl. consuit),
* resp o n d it (1. cl. resp o n d et), par exemple, peuvent avoir été maintenus
par l’infinitif ; cf. le v. esp. fezo (< fêcft), à côté de fizo , qui peut s'expliquer
par la 3e pers. plur. *feziero n de l’espagnol primitif.

Ce qui vient d’être dit de ë vaut probablement pour 5. On peut


affirmer sans grandes chances d’erreur que la fermeture de ces deux
voyelles accentuées s’est produite sous l’action d’un i aussi bien
que d’un f finals et qu’elle date des premiers siècles de notre ère.
Déjà en 392, on note ficerunt qui suppose lui-même un *ficit (cl.
fecit).

II. — ACTION CONSERVATRICE DE I FINAL

L’action conservatrice de F final se manifeste soit sur un ï, soit


sur un ü accentués précédents.
Ces deux voyelles, menacées de s’ouvrir en e, respect, o, au mo­
ment où crïsla et crüsla passaient à *cresta ( > fr. crête) et *crosta
(> fr. croûte), ont maintenu leur timbre lorsque le mot auquel
elles appartenaient se terminait en latin par un f.
Il convient de remarquer que l’i final dont il s’agit ici ne peut
être qu’un ï long. Non que la durée soit ce qui importe. Ce n’est
pas à cause de sa longueur que l’Ffinal a pu avoir une action. La
longueur n’est intervenue que d’une façon indirecte. C’est parce
qu’il était long, c’est-à-dire tendu que t final n’a pas éprouvé de
tendance à s’ouvrir en e et c’est par le timbre de i qu’il a conservé
qu’il a pu agir sur un t ou un ù précédents, menacés autrement de
passer à f ou à o.

1° Conservation du timbre de ü. — Les seuls cas à signaler sont


ceux de *fùsti (cf. 2e pers. plur. fustis CIL. IV, 7470) > fr. fus et
de la terminaison -üstî des parfaits du type valui ; cf. *valùsiï >
valus, *corràstï > courus, *morüslï > mourus, etc.
400 A R TIC U L. DES PHONÈMES VOISINS (ACTION A DISTANCE)

R I. — Le vocalisme de la 2° pers. s’est généralisé de bonne


e m a r q u e

heure à la 2e, puis à la Ire pers. du pluriel ; d’où fû tes, fû m es, valûtes, valû­
mes, etc.
R M I . — Bien que l’i de übi soit long ou bref chez les poètes
e m a r q u e

latins, c’est übï, c’est-à-dire la forme du latin parlé (avec abrègement


iambique de ï final), qu’il faut admettre à la base des langues romanes.
11 s’agit donc d’un cas parallèle à celui de fëcït (p. 398). Mais ici l’action
dilatrice de ï final n’a pu maintenir le timbre de Vu précédent ; cf. v. fr.
o, auj. où. La raison en est qu’au moment où Yü de übï était menacé de
s’ouvrir en o, l’ï final était déjà passé à e.

2° Conservation du timbre de ï. — On note ce phénomène dans


les cas suivants :

a) Terminaison de la 2e pers. sing. des parfaits forts en -ï, -sï,


*-dedi : -ïslï est continué par -is dans les formes du vfr. fesis < je-
cïstï, mesis < misïslï, *vendedïstï > vendis, auj. fis, mis, vendis.
Le même phénomène s’est produit à la 2e pers. sing, des parfaits
forts en -uï. L’ï de la terminaison -*wïstï (cf. habuïstï > *awwïsti)
s’est tout d’abord maintenu avec son timbre latin. Mais une évo­
lution supplémentaire a eu lieu ensuite : cet i s’est labialisé en
[üj sous l’action du w précédent ; d’où v fr. oüs (auj. eus), v. fr.
ploüs < placuïstï (auj. plus), etc.

R I. — Comme il a été indiqué à propos de *fü stî, *valüslï, etc.,


e m a r q u e

le vocalisme de la 2e pers. sing, s’est généralisé de bonne heure à la 2e puis


à la Ire i>ers. du pluriel ; d’où en vfr. fesistes, fesimes, m esim es, mesistes,
vendistes, vendîmes, etc., auj. files, fîmes, miles, m im es, vendîtes, vendîmes,
etc.
R II. — De la même façon s’explique l ’ [ ü ] du vfr. oüslcs, oüs-
e m a r q u e

mes et du fr. mod. eûtes, eûmes. L’i de la 2e pers. sing, s’est d’abord généra­
lisé dans *awivistes (< habulstls), *au)wimes (< habufmus < habélm as),
et par suite de l’action labialisante de tu on a eu ensuite [üj.

b) Vïgïntï > vfr. vint, auj. vingt. Il faut probablement partir


d’une accentuation vïgtnlï, conforme à la phonétique latine, la
voyelle finale étant ici longue. Quant à vïgïnli, il a dû se réduire
rapidement à vïnlï dans les combinaisons telles que viginli duo,
viginti 1res, etc. ; cf. parallèlement quaüraginla > quarranla en
latin vulgaire.

c) Pluriels ïllï, ïstï, Ipsï. — Le timbre de ï s’est régulièrement


conservé; d’où en vfr. il (auj. ils) et -il dans (i)cil < *ecce-ïllï,
-ist dans (i)cist < *ecce-istï, -is dans rieis — nis < nec-ïpsî.
Mais si les formes du pluriel ne présentent aucune difficulté, il
n’en est pas de même de celles des singuliers correspondants. Le
latin fait en effet ici Ule, ïste, ïpse, avec e final, et non î. Pourtant
on a en vfr. il (conservé encore aujourd’hui) et les composés (ijcil
< *ecce~iüe, (i )cist < *eecc-isle, neïs — nis < nec-îpse.
ACTION CONSERVATRICE DE I FINAL 401

Pour expliquer 17 du sing, il, on a supposé une réfection de ïlle


d’après le pluriel ïllï, sur le modèle de la déclinaison du relatif
masculin, où quï sert pour le singulier et le pluriel. D’autres ont
voulu voir dans il le continuateur de illic, qui de fait est attesté
dans l’emploi de ille ; cf. qui facet, ilic amicus herit, CIL. XII, 915.
Cependant cette double hypothèse ne paraît guère vraisembla­
ble. Pourquoi en effet l’adverbe illic se serait-il substitué au dé­
monstratif ille, alors que, au contraire de illac, il n’a pas laissé de
continuateurs en gallo-roman, ce qui témoigne de la précarité de
son emploi dans ce domaine à date ancienne ? Si on trouve çà et
là une forme de démonstratif illic, cela s’explique assez bien par le
fait que, pour une raison à déterminer, ille était déjà devenu *illi :
le c final ne se prononçant plus dans les mots latins, une confusion
graphique a été dès lors possible. D’autre part, il est difficile d’ad­
mettre que l’analogie avec le relatif puisse avoir déterminé illi
au lieu de ille : un tel processus est à l’encontre du principe de dis­
tinction entre singulier et pluriel dont les désinences s’opposaient
partout ailleurs que dans le relatif. Si l’unification s’est produite
entre singulier et pluriel dans les démonstratifs, et si on a eu illi,
isti, ipsi au nominatif des deux nombres, ce ne peut avoir été que
sous l’action d’une force aveugle et opérant en dehors de toute
considération de morphologie ou de syntaxe, c’est-à-dire par voie
phonétique.
Certains indices prouveraient d’ailleurs qu’il en a été ainsi. Il
n’apparaît au singulier que dans le gallo-roman septentrional ;
l’ancien provençal fait el — elh. Or à cette répartition en corres­
pond une autre : tandis que dans le Midi de la France le pronom
sujet n’a jamais été exprimé, sauf dans les cas d’insistance, il n’en
est pas de même dans le Nord. On sait en effet que l’expression du
pronom sujet est obligatoire en vfr. pour éviter que la phrase com­
mence par le verbe ou un pronom complément atone (je viens a vos,
— il me dist ; mais or me dist). Cet usage remonte du reste assez
haut, ainsi qu’il résulte de l’exemple de Grégoire de Tours (Histo-
ria Francorum, 2, 32) : « cum ad eum accessero, ego faciam ». Etant
donné cela, on peut supposer que dans les combinaisons où ille
était suivi d’un verbe à initiale vocalique et surtout dans les com­
binaisons avec est, erat, etc. ou *hat (cl. habet), habebat, etc., l’e
final de ïlle se trouvant en hiatus s’est fermé en i. Le résultat *ïlli
se serait ensuite généralisé, à cause de la fréquence des types *ïlli
hat, ïlli est, etc. De cette façon, on s’expliquerait que le v. prov.,
qui fait pourtant -ïslï > -ist, ne possède pour ïlle. que des formes en
f. Les faits syntaxiques de la Péninsule ibérique étant les mêmes
qu’en provençal, on comprendrait encore pourquoi, en face de
-ïslï > -is t---- isle, on a en catalan ell, en v. espagnol elle (auj. el),
en v. port. el(l)e (auj. elle). Il est curieux en tout cas de constater
le parallélisme qu’il y a entre l’évolution de ïlle et les phénomènes
syntaxiques dont on vient de parler.
Du traitement de ïlle dépend sans doute celui des autres formes
démonstratives. Une fois ille, pronom personnel, passé à *illi, le
composé pronominal *e.ccc-ille a pu devenir lui-même *ecce-illi et
402 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N A DISTANCE)

à son tour le composé, pronominal *eccc-istc, en traîné par *ecce-illi,


a pu être remplacé par *ccce-isli. Par suite de la généralisation de
ces formes, on aurait en ensuite des composés adjectivaux *ecce-
illi et *ecce-isti. Mais les formes simples hic et ïpse, n’étant le plus
souvent employées que comme adjectifs, ne se sont pas conformées
au système pronominal, c’est-à-dire à un système où les nomina­
tifs masculins singuliers étaient terminés en -i. C’est ce qui explique
qu’en vfr. ïstc et ïpse soient représentés ordinairement par des for­
mes à radical en e. Ordinairement, mais pourtant pas toujours, car
il n’y a pas que l’analogie provenant d'un système à avoir pu agir.
L’équation sing, illi : pîur. illi a pu avoir aussi une influence pure­
ment formelle, et sur son modèle les pluriels isli et ipsi ont pu déter­
miner çà et là des singuliers *isii et *ipsi, qui sont à la base sinon de
ist (Serments de Strasbourg) ou de ipse (Alexis, 125 c), du moins
du vfr. nëis < *nec-ipsi (à côté de nërs < nec-ipse.) et medisme—
mëisme < *melipsimu (à côté de mcdesmc — mëcsrnc, auj. même).

R e m a r q u e I. — Pour les mêmes raisons que pour übï (p. 400), c'est
de ïbl et non de ïbl qu’il faut partir. Mais au v. fr. o, s’oppose la forme
iv des Scrm. de Strasbourg. A la différence de ce qui a eu lieu pour übï,
il semblerait donc qu’ici le premier ï se soit conservé sous l’action dilatrice
du second. La contradiction n’est qu’apparente. L’i de io s’explique pro­
bablement par un type *ïbï, résultant du croisement de ïbï avec hïc.
R e m a r q u e I I . — D’autre part, à la base de mi, li, si qui se rencontrent
anciennement au Nord-Est et à l’Est (yle même en v. prov.), il n’est pas
obligatoire d’admettre un phénomène de dilation qui se serait produit,
avant la contraction, dans les formes latines mihi, tibi, sibi. Les bases mi,
ti, si étant pour ainsi dire pan-romanes, il est probable que la contraction est
de date très ancienne et antérieure h l'ouverture de l en ç dans crista > cres-
ta, à cause de quoi la dilation n’a pas eu sans doute ii intervenir. Ml existant
déjà en latin classique, c’est vraisemblablement sur son modèle que tlbï et
slbï se sont réduits de bonne heure ù tï et ù si.
CHAPITRE VII

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS DE L’A R T IC U L A T IO N


DES P H O N È M E S V O ISIN S
(A ctions c o m b in ées au contact et à d ista n c e ).

Dans un certain nombre de cas, l’action an contact (phénomène


d'assimilation) s’est doublée d’une action à distance (phénomène
de dilation).
On étudiera successivement l’action conservatrice ou positive
d’un double y et l’action combinée de s + y, de i et [ü] accentués
+ ü-

I. — ACTION CONSERVATRICE D’UN DOUBLE Y

On examinera successivement le cas de ü + /;... y et de u + yy,


puis le traitement de ï dans les mômes conditions.

A. n + i/... y

Au moment où ü s’ouvrait en o dans crusta > *cro$ta^ yüla >


*gola, etc., il a maintenu son timbre latin sous l'action d'un y au
contact (issu d’une transposition) et d’un y à distance (originaire),
non suivi de a.
C’est, ainsi que païen, après l’étape *püjdzyu, n’est pas devenu
*poidzyo et a pu être continué au xi° siècle par [piiils], puis par
[/nii'is] et finalement par [/në/]. Cuivre et buis s’expliquent d’une
façon analogue. A la base de cuivre, il faut admettre non cùpru,
mais ctipreu, qui provient de la locution aes cupreus. Les étapes
404 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S C O M B IN É E S )

ont été küuryu > küivryu > x i e s. [küivrç], auj. [kwivr]. Quant à
buis. il provient non de büxü, mais de büxeu, forme adjective qui
a remplacé la forme substantive, comme cela a eu lieu autre part
pour fagu ; cf. fageu > pic. fay, ital. faggio, cat. faig, etc. Ici
encore les étapes ont été *büssyu > *büissyu > x i e s. [buis] >
[bwis] > auj. [bwi].
Mais lorsque la voyelle finale était un a, l’action du second y
a été neutralisée. Seul y en contact a pu ainsi agir sur Vu précédent.
Mais son action a été insuffisante et Vü accentué s’est ouvert en o ;
cf. lütria > vfr. loir(r)e (à côté de lome, lerne < luira), angüslya
> angoisse, *rüstiat > vfr. roisse, früstiat > froisse, *gusial >
(dé)goise.
Môme dans le cas où la voyelle finale n’était pas un a, Vü ne s’est
pas m aintenu lorsque au moment du passage de crüsta à *crosta, le
second y s’était déjà amuï et qu’il n’y avait que le premier y à
pouvoir agir ; cette action, à elle seule, a été encore une fois insuf­
fisante. Ainsi cüneu est devenu *küinyu, parallèlement à mon-
tanea > *montainya ; mais de même que *montainya s’est réduit
to u t d’abord à *montaina, *küinyu est devenu lui-même *küinu,
d’où l ’ouverture de ü en p et finalement le fr. coin. D e cüneu >
coin, il faut encore rapprocher les germ. *sünniu > soin et *bi-
sünniu > besoin. On trouve de même dans divers patois une forme
gorgoillot « gorge » qui suppose un ancien *gorgoil < < *gürgüliu
(cl. gurgulionem), dont l’o s’explique d’une façon analogue.
A plus forte raison, Vü s’est-il ouvert en p lorsqu’il n’y a jamais
eu deux y après lui. Ainsi dans nüniiu > *nüntsyu > *nontsyo >
vfr. noinz, où la transposition de y n’a pas eu lieu à cause de la com­
plexité du groupe consonantique ; dans *rübyu (cl. rübeum) >
rouge, *vidübyu > vfr. vëouge, auj. vouge, *quadrüvyu > vfr. car-
roüge, etc., où le y explosif s’est fondu dans la palatale précédente
avan t que la transposition ait pu se produire.
Plusieurs causes ont pu d’ailleurs contribuer au non maintien de
ü. C’est ainsi que dans les exemples suivants, il faut tenir compte
e t de la présence d’un a final et du fait que le y explosif (issu d’une
transposition) s’est fondu dans la consonne palatale suivante,
parallèlem ent à ce qui a eu lieu pour cüneu ou *gurguliu ; cf. *cocü-
lia > cagouille (m ot originaire du Sud-Ouest du domaine d’oïl),
germ, dülja > douille, *gürgülia > gargouille, Tremülia > Tré-
mouille, germ. *brünnja > vfr. broigne, germ. *bi-sünnjat > be-
so(i)gne, verecündia > vergo(i)gne.

R e m a r q u e I. — D ’après ce qui a été dit plus haut, * p ù le a t et *püteare


doivent aboutir normalement à * p ç ils y a t et * p ç ftsy a re . De fait on trouve
p o i s e r en Vendomois, p o ijie r en Berry, p o u é se r dans le Bas-Gâtinais. Si on
a p u i s e — p u is e r , ce ne peut être que sous l’influence de p ü le u sur *pü leat et
* p ü te a r e . Inversement, p ü te u peut s’être modelé sur les formes verbales ;
d ’où des types remontant à * p ç ils y o dans la région Sud-Ouest du domaine
français, dans les parlera bourguignons et en franco-provençal. Quant à l’ÿ
du v. prov. p ç t z , il est parfaitement régulier, un type *püj[lsyu, avec trans­
p o sitio n de y , étant inconnu dans le domaine d’oc.
ACTIO N C O N SE R V A T R IC E ü ’U N D O U B L E Y 405

R emarque II. — Le v. prov. bois continue le latin büxu. Le type büxu


a laissé aussi des continuateurs en lorrain, en bourguignon et en franco-
provençal, où la forme de base est bois. Mais on ne saurait faire remonter à
bçis ( < büxu) la forme [bwi] qui occupe la plus grande partie du domaine
oïl ou du domaine franco-provençal. Il faut la considérer comme une évolu­
tion d’une forme plus ancienne [i>#i]. En effet, déjà au moyen âge, on cons­
tate dans le Nord de la France une tendance à faire passer wi à wi. Dès la
fin du x i» 0 siècle, on note ouil pour uit ( < ôcto) dans des textes de Liège,
du Luxembourg belge, de l’Indre et de la Manche. En 1289, on note moui it
mui < mödiu dans un document des Ardennes. Au x vi0 siècle, R. Estienne
écrit : « huitres ou mieux ouystres » et au siècle suivant on trouve dans les
Mazarinades : couir, couisse, couiure, ouile, trouye, Villejoui pour cuir, cuisse,
cuivre, huile, truie, Villejuif. C’est évidemment la même tendance, favorisée
ici par le b initial, qui a transformé l’ancien buis ( < büxeu) en bouis, un peu
partout dans le Nord, le Centre et l’Ouest du domaine d’oïl. Bouis s’est
conservé dialectalement jusqu’à nos jours : mais il a pu se retransformer en
[bwi\, notamment en parisien, en même temps que couir, couisse, etc. cédaient
la place à cuir, cuisse, etc.

R emarque II. — Le type cüpru a cependant laissé des continuateurs en


gallo-roman. Sans parler du v. prov. coure — coire et de certaines formes
franco-provençales, on peut noter pour le domaine d’oïl : [koef — kuf] en
Wallonie, keuvre (Cligès) en v. champenois, cuevere (sans doute pour Areu-
acre) en v. tourangeau, queuvre en v. Orléanais, etc. D’autre part, le v.
normand présente une forme coivre qui s’explique peut-être par un type
*kobryo refait sur *kobro ( < cüpru) ; cf. cobrium dans les Gesta Francorum.
Dans ce coivre, l’o a été primitivement fermé. Mais sous l’influence des mots
assez nombreux qui possédaient une diphtongue çi, coivre a pu devenir cçi-
vre et de là, par suite d’une diphtongaison conditionnée *kuoivre, d’où les
formes queivre de la Navig. St-Brandàn et cuevre du Roman de Brut.

R emarque III. — Müria devrait aboutir régulièrement à moire, l’action


dilatrice de y ayant été empêchée dans *müirya par la séquence de a final.
C’est ce que montrent d’ailleurs les formes "méridionales mouiro — mouro,
saumouiro — saumouro citées par Mistral, ainsi que les formes franco-pro­
vençales provenant de *mwojra < *mojra. Or le français présente un [ü]
dans saumure ( < saumuire). Pour expliquer cet [ü], on a eu recours à diver­
ses reconstructions : *môria ou *müria. Toutes se heurtent à de graves diffi­
cultés. De plus, elles sont parfaitement inutiles. En effet, la forme ancienne
du français est moire. Le vocalisme de la forme actuelle saumure suppose
probablement un emprunt aux parlers de la région du Jura, où *mojra a pu
devenir régulièrement mwire ; cf. l’évolution nüce > nojz > [mai], crüce >
crojz [Ariai], etc. dans de nombreux points du franco-provençal. La région
dii Jura étant spécialisée dans l’extraction du sel gemme, cet emprunt n’a
rien de surprenant. Il faut d’ailleurs noter qu’à côté du français commun
saumure, les dictionnaires signalent aussi une forme simple muire, de carac­
tère dialectal, spécifiquement franc-comtoise et particulière aux parlers de
la région de Salins (Jura). Déjà au xvm e siècle, le Dictionnaire de Trévoux
consigne le fait. C’est donc, à n’en pas douter, une forme franc-comtoise
qui est à la base du fr. saumure, et le changement de [mmi'rf] en (mwirç]
(d’où saumuire et saumure) est comparable à celui dont on a parlé plus haut
à propos de bouis devenu buis ; cf. Rem. IL

R emarque IV. — Enfin, pour expliquer l’ü dit vfr. aür (auj. heur dans
bonheur, malheur), il n’est pas nécessaire de recourir comme on le fait à un
type *augùriu. avec u long. Le latin augüriu suffit, l’a avant conservé nor­
malement son timbre dans l’étape intermédiaire agüjryu, résultant de
l’anticipation du y de la terminaison -ryu.
406 ARTICUL. DES PH O N ÈM ES V O ISIN S (ACTIONS COMBINÉES)

B. — à + yy

En plus de puits, buis, cuivre, vfr. aür, l’action d’un double y


permet d’expliquer la l re pers. sing, indic. prés, du verbe être.
Plusieurs théories ont été proposées pour le vfr. sui, auj. suis
(cf. aussi v. prov. sui). Elles se réduisent à trois principales. On
a supposé une réfection de süm sur le parfait fui. On a voulu aussi
partir d’un type latin *sïo qui-aurait donné naissance à siu et de là,
par métathèse de iu en ui (cf. rivu > riu — vfr. rui), à sui. Cepen­
dant l’hypothèse qui semble la plus communément admise est celle
qui suppose une base *soyo < *so (c’est-à-dire *som, pour sûm)
+ *ayo ou une base *sçy < *sç (provenant de *sçm, pour sum)
+ *ayo.
A la première hypothèse on peut objecter qu’une combinaison de
süm ou de s p ( < süm) avec fui ne paraît pas vraisemblable : nulle
part dans le domaine d’oïl on ne constate une pareille action de la
l re pers. sing, du parfait sur la l re pers. sing, de l’indic. prés. Il
s’agirait donc là d’un cas unique et qui a tout l’air d’être inventé
pour les besoins de la cause.
La seconde théorie ne semble guère plus défendable. Siu n’appa­
raît, semble-t-il, dans aucun texte du Nord ou du Midi de la France.
De plus, aurait-il existé, il serait impossible d’en dériver en proven­
çal une forme sui, attendu que dans ce parler rïvu est représenté
par riu (ou rien) et non par *rui.
Plus naturelle est l’hypothèse d’un croisement de süm ou de
ses continuateurs, avec *ayo. Cependant les bases *soyo ou *sçy
qu’on a postulées sont sujettes à caution. Sans doute la chute
de m final dans süm ne présente-t-elle pas de difficulté. Il n’en
est pas de même du passage de sü(m ) à *sô ou à *sp. Rien ne
permet en effet de justifier l’o ou Y q de *sôyo ou *sçy, prototypes
supposés du fr. sui — suis et du prov. sui.
Ce sont pourtant ces types que la répartition dialectale semble­
rait exiger, a-t-on dit, pour les parlers d’oïl actuels. En réalité, il
n’en est rien, car si on compare le vocalisme des continuateurs de
node avec celui des représentants de süm, on constate dans plu­
sieurs régions un écart considérable.
Partant de l’hypothèse d’un croisement de süm avec la l re pers.
sing, de l’indic. prés, de habere, mais en évitant de recourir à une
base *sôyo ou *sçy, pour les raisons déjà dites, on proposera une
autre explication. Mais auparavant, il faut être fixé sur la l re pers.
sing, de l’indic. prés, de l’auxiliaire habere en latin vulgaire. On sait
que le latin ne connaissait pas de y intervocalique, mais seulement
à sa place une géminée yy. Un m ot comme peior était en réalité
peyyor. Le phonétisme yy est d’ailleurs conforme à l’étymologie ;
cf. peior ( = peyyor) < *pe<l-jo-s, rnaior ( = mayyor) < *mag-yo-s,
etc. 11 est dès lors logique de supposer que parallèlement à peyyor
ACTION CONSERVATRICE D ’UN DOUBLE Y 407
(= peior), la forme réduite de habeo en latin vulgaire a été non
*ayo, comme on l’admet généralement, mais *ayyo. Ceci dit, à une
époque où l’ü de süfm) était encore ü, un croisement a pu se pro­
duire avec *ayyo, et il en est résulté une forme *süyyo. C’est dans
cette forme que Vu se serait maintenu sous la double action assi­
milatrice et dilatrice de la géminée yy. Cette double action est ici
nécessaire, comme le montre l’exemple de düclu > vfr. doit, dans
lequel un y simple n’a pas suffi à empêcher l’ouverture de Yü pré­
cédent.
Le cas de sui — suis n’est d’ailleurs pas le seul de son espèce.
Il faut en rapprocher celui de fügio > vfr. fui, auj. fuis. D’une
façon ordinaire, pour expliquer Vu de cette forme, on a recours à un
artifice qui consiste à remplacer l’u du type latin par ü. La diffi­
culté n’est pas écartée pour cela : elle est simplement transportée
dans le domaine latin où elle attend encore sa solution, car celle
qu’on propose (généralisation du radical du parfait fügi) constitue
dans la morphologie latine un cas trop isolé pour paraître vraisem­
blable. L’u de fui (s) s’explique normalement par les ressources de
la phonétique gallo-romane, sans qu’il soit besoin de partir d’un
type latin avec ü. On a affaire ici au même processus que pour
*süyyo > suifs). En effet, fügio a dû devenir tout d’abord *füyyo
et à ce stade le timbre de l’û latin a été maintenu sous la double
action, assimilatrice et dilatrice, de la géminée yy.
Fügis > fuis et fügit > fuit peuvent s’expliquer d’une façon
analogue. Ici encore les étapes intermédiaires ont dû être *füyyes
et *füyyit, -g- ayant abouti sous l’action de la voyelle palatale
suivante d’abord à -gy-, puis à -yy-. On ne peut d’ailleurs invoquer
ici une action analogique de la l re pers. sing. Dans le système
morphologique du français, c’est l’inverse qui a lieu, et la l re
pers. sing, indic. prés, est sous la dépendance de la 2e et de la
3e sing.
I. — A côté de s u i, on trouve aussi so i en vfr. ; cf. C a n t. 23,
R em a rq u e
27, C hanson de R o la n d 1478, S t-A le x is 44e, D ia l. A n . V 5, VI 13,
S p o n su s
XXVII 28, etc. S o i est d’autre part à la base de la grande majorité des for­
mes provençales ou franco-provençales. On peut l’expliquer en supposant
que la combinaison avec * a y yo s’est produite dans certaines régions à une
époque plus tardive que là où on a s u i f s ) , et à un moment où s ü f m ) avait
déjà passé à *so. De cette combinaison aurait résulté une forme * s o y y o qui
aurait donné normalement s ç j, l’action de la géminée y y ayant été nulle
sur ç.
R em arq ue II. — La géminée yy s’étant simplifiée de bonne heure
devant l’accent, *füyyire (< fügire) est devenu *füyire, d’où *foyire, v.
fr. foïr, puis fouir qui s’est conservé jusqu’au xvne siècle. Vaugelas éprouve
encore le besoin de le condamner : « Fouir pour fuyr, écrit-il, ne vaut rien,
quoy que plusieurs le disent à la Cour ». Fuir est donc analogique de (je)
fuis, (tu) fuis, (il) fuit.
R em arq ue III. — On aurait pu joindre au cas de fügio celui de rugio
et *brugio, si le vfr. avait présenté à l’infinitif des formes avec p, ce qui
n’est pas le cas. En face du couple vfr. fui : foïr, l’u de ruir, bruir indique
que les types étymologiques avaient un ü dans le latin de la Gaule. De fait
on a en latin rügio et rügio. D’autre part, le type *brugire, avec ü, a pu exis-
408 A R T IC U L . D E S PH O N ÈM ES V O ISIN S (ACTIONS COM BINÉES)

ter ailleurs ; cf. par exemple en cat. l’infinitif brogir et le substantif brogit
« bruit ». En tout cas, même avec û, rugio et *brugio auraient abouti en
français à des formes avec [ü], parallèlement à fügio > fui(s).

C. — Traitement de ï latin dans les formules

î + y-y et ï + yy

On a vu ci-dessus qu’û latin accentué suivi de deux y séparés


l’un de l’autre ou d’une géminée yy ne s’est pas ouvert en o, quand
la voyelle finale du mot n’était pas un a.
Le traitement de ï suivi de y...y ou de yy est plus simple : qu’il
s’agisse de la terminaison -ïliu ou des terminaisons -ïsiu, -igiu, il
semble qu’il se soit ouvert normalement en e.
C’est ainsi qu’on trouve des noms de localité du type Teil ( < 77-
liu) dans la Vienne, le Loir-et-Cher, le Maine-et-Loire, le Morbihan,
l’Ille-et-Vilaine, la Mayenne, la Sarthe, l’Orne, l’Eure, le Calvados,
la Manche, l’Yonne, la Seine-et-Marne, etc. cf. aussi (Le) Theuil
dans l’Eure-et-Loir, les Deux-Sèvres, la Vienne, Est. Boileau, qui
est Orléanais, écrit teil. Robert Estienne, en parlant des Manceaux,
cite la même forme. Ceil ( < cïliu) existe en vfr. Mïliu est continué
par des formes en e dans le Poitou occidental ; meil est d’ailleurs
attesté en vfr. Pour *petrosïliu (cl. pelroselinum), on note des for­
mes en g dans la Meurthe-et-Moselle. *Mistïliu est devenu méteil.
En vfr. on a pesteil (d’où aussi pestail), continuateur d’un type
pistïl(l)iu qui a coexisté avec pistellu > vfr. pestel.
D ’autre part, on signale un Varois ( < Varïsiu) dans la Côte-
d’Or et un Venoy ( < Venïsiu) dans l’Yonne. On sait qxTElïgiu a
donné Eloi. Enfin, d’après A. Longnon, Saint-Anthot, dans la
Côte-d’Or, remonterait à Anlhïdiu.
L’ouverture de ï paraît s’expliquer assez facilement. Dans -ïilyu
( < -ïliu), Yy implosif a dû s’amuir de très bonne heure au contact de
ï et de /. Dans -ïisyu ( < -ïsiu) et -ïyyu ( < -ïgiu, -ïdiu), il est encore
probable que le y implosif n’a pas tardé à se fondre avec 17 pré­
cédent. De la sorte, au moment où crïsta est devenu *crësta, on
n’avait plus que des terminaisons -ïlyu, -ïsyu et -ïyu, avec un
seul y. Ce dernier n’a pas suffi à empêcher l’ouverture de ï.
Cependant on trouve de nombreux représentants de Tiliu >
Thyl ou Thil dans l’Eure, l’Oise, la Marne, l’Aube, la Côte-d’Or,
la Nièvre, le Loiret, l’Yonne, etc. ; et la forme ordinaire de ciliu,
miliu, petrosiliu est cil, mil, persil.
On a voulu expliquer phonétiquement 17 de til, mil, cil et persil
par une évolution -eil > -il. Tïliu serait d’abord devenu tçil, et
ACTION CONSERVATRICE D ’UN DOUBLE Y 409
Yç de tçil se serait fermé après coup en i sous l'action assimilatrice
du l suivant. Dans merveille ( < mirabilià) au contraire, 17 qui suit
Ye étant explosif et appartenant à une autre syllabe n’aurait eu
aucun effet sur Ye qui se serait maintenu tel quel. Il resterait à
expliquer pourquoi on a soleil ( < solîculu) en face de til : les condi­
tions phonétiques sont pourtant les mêmes, si on part de teil. Il
faudrait expliquer en outre pourquoi, en dehors du francien, les
types en -ïliu présentent souvent un traitement divergent dans
un même dialecte et pourquoi l’action fermante de l implosif se
serait exercée dans tel mot et non dans tel autre.
Quant à cil, on a pensé à une action de la consonne palatale
initiale et on a rapproché son cas de celui de cëra > cire. Mais on
a dit que l’i de cire s’explique par la monophtongaison d’un groupe
yei (p. 320). Or il se trouve qu’il n’y a jamais eu de groupe yei au
cours de l’évolution de cïliu. D’une part, Yy de tsy- ( < k°~) a dû
se fondre de bonne heure dans 17 suivant, et le y implosif résultant
de la transposition du y explosif dans le groupe -lyu a dû en faire
autant.
Si on ne peut tirer phonétiquement l’i de ç dans til, mil, cil,
persil, on ne peut songer non plus à l’expliquer par l’action analo­
gique de formes accentuées sur la terminaison. Théoriquement,
il est possible que teil, par exemple, soit devenu til sous l’influence
de tilleul ou de formes du type Tillel, Tillay, etc. Mais on constate
que teil apparaît sur de nombreux points où on a précisément des
dérivés en til- ; inversement on a til là où les dérivés sont en e.
Quant à mil, il n’a pu subir l’influence de millet, car dans les régions
où on le trouve, mil existe presque toujours en dehors de tout déri­
vé. De plus, s’il existe des formes dérivées pour til et mil, on ne
peut guère en supposer pour persil, ni pour le vfr. mestil. L’an­
cienne langue possédait sans doute un verbe déciller (primitivement
aussi deceülier). Mais ce verbe qui a pu être usuel dans les milieux
féodaux où l’on pratiquait la chasse au faucon, l’a été sûrement
beaucoup moins pour la grande majorité de la population qui n’en
avait que faire, mais qui avait à employer pourtant le mot cil (ou
sourcil). Une remarque analogue peut être faite à propos de l’an­
cien mot pestil : le « pilon » est plus essentiel que le verbe qui expri­
me l’action de s’en servir. Bref, l’influence de dérivés, possible dans
certains cas, ne saurait fournir une explication raisonnable du voca­
lisme i dans les mots qu’on est en train d’étudier.
Il ne reste d’autre explication possible pour l’i de til, mil, cil,
persil, vfr. mestil, vfr. pestil que de supposer pour ces formes un
type latin avec f, au lieu de i.
On sait que pour certaines terminaisons le latin présentait soit
un i, soit un f. On a ainsi -ïcius et -ïcius. D’autre part, certains
substantifs étaient en -Icula, comme cornïcula (diminutif de cor-
nîcem) ; d’autres en -ïcula, comme lentïcula. Le sens de ces alter­
nances quantitatives, assez délicates d’ailleurs, a pu se perdre et
s’est perdu de fait un peu partout dans la Romania. Cornïcula par
exemple a passé à *cornïcula, d’où le fr. corneille. ; lentïcula est
410 ARTICUL. D ES PH O N ÈM ES V O ISIN S (A C T IO N S COM BINÉES)

devenu *lentïcula, d'où le fr. lentille. Il y a donc eu une période de


trouble linguistique qui peut être mise à profit pour l’explication
de til, mil, etc.
D’autant qu’à côté de noms de personnes en -ïlius, le latin en
possédait beaucoup d’autres en -ïlius. En effet, tandis que Aemi-
lius, Coecilius, Hersilius, Orbilius, Otacilius, etc. avaient un ï,
Agrilius, Caesilius, Caltilius, Campilius, Caprilius, Caruilius,
Divilius, etc. avaient un ï. Cette alternance -ïlius : -ïlius est plus
que suffisante pour expliquer que tïliu, mïliu, *petrosïliu, cïliu,
etc. aient pu passer dès l’époque latine à *tïliu, *mïliu, *petrosïliu,
*cïliu, etc. Plus encore. Dans la série de noms communs, le latin
n'avait sans doute avec -ïlius que le seul mot fïlius. Mais il faut
reconnaître que fïlius et son pendant féminin fïlia constituaient
un excellent modèle pour une réfection, étant donné la fréquence
de leur emploi.
A ces influences, d’autres ont pu s’ajouter. Ainsi pour miliu, il
n’est pas interdit de penser à celle du numéral mïlle. Vu la peti­
tesse du grain de mil et le grand nombre des grains qui compo-
posent l’épi ou qui contiennent dans une poignée, il n’y a aucune
difficulté à l’admettre.
Un exemple qui montre clairement que la substitution de i en
f a pu se produire est celui de tïnea. Ce mot est sans doute repré­
senté par teigne en français ; mais au-dessus d’une ligne qui coupe
la Somme, l’Aisne, les Ardennes, la Marne, la Meuse et la Meürthe-
et-Moselle, on a ordinairement tigne. Or d’après ce qui a déjà
été dit, tigne ne peut continuer tïnea, au moins à cause de la voyelle
finale a. Force est donc de recourir à un type tïnea, dans lequel
la substitution de f en f peut s’expliquer, outre la coexistence
en latin de noms de personnes en -ïnius et -ïnius, par l’influence
formelle de mots comme lïnea, tïnio (— tïnnio) et surtout vïnea.

II. — ACTION POSITIVE D’UN DOUBLE Y

Sous la double action, assimilatrice et dilatrice, d’un double y,


ë, ö et a latins se sont fermés en ï, en ü et en ç.

A. — Fermeture de ê latin

Le mot latin ëbrïu a donné en français ivre ; ci. encore en v.


prov. ibre, ibri, iure et ieure.
Pour le fr. ivre on pourrait partir, comme certains l’ont fait, d’un
type latin *ëbriu : ï i de ivre résulterait dans ce cas de la réduction
d’une triphtongue lef dans iefvre, et la triphtongue s’expliquerait
ACTION POSITIVE d ’UN DOUBLE Y 411

à son tour par la diphtongaison conditionnée de ë latin au contact


d’un y de transposition . Mais le latin ëbriu a un e long, qui trans­
paraît clairement dans l’engad. aiver. D’ailleurs *ëbriu ne saurait
convenir pour le provençal où le traitement de îe/ est différent de
celui du français et où on a pourtant un i, sans qu’on puisse parler
d’emprunt.
En partant de êbriu, on pourrait encore songer à l'explication
suivante pour le fr. ivre. L’ë de ëbriu, se trouvant en syllabe ouverte,
se serait normalement diphtongué en ei, d’où une forme *eivryç
dans laquelle l’e se serait fermé en i sous l’action combinée de l’i
diphtongal et du y de la syllabe suivante. Mais cette explication
ne convient pas pour le provençal qui ne diphtongue pas e.
Il faut donc admettre que le type *eivrye, nécessaire pour le
français et le provençal, résulte de l’anticipation du y de ëbriu.
Elle a eu lieu aussi en provençal, comme l’indiquent les formes
cuebre < *cobryo (< cöperio), Trueyre < Tr(i)obriu, ochoire <
octôbriu, etc.
De la même façon que l’i de ivre, s’explique sans doute celui du
vfr. cirge (< cëreu), auquel correspond en v. prov. cire.

B. — Fermeture du a latin

Il s’agit ici du suffixe -ariu, représenté par -ier en français et


en provençal.
Parmi les théories qui ont été proposées pour expliquer cette
évolution, on mentionnera les suivantes.

1° Théorie de l’influence germanique. — Mettant à profit le


phénomène de 1’« Umlaut », caractéristique des dialectes germani­
ques occidentaux, A. Thomas explique la transformation de -ariu
en -çriu (> -ier) par la généralisation chez les Gallo-romans d’un
phonétisme qui aurait débuté dans la partie franque de la popu­
lation, chez laquelle l’a de -cliari, -hari, -gari (second élément de
noms propres) s’est ouvert en e sous l’influence de l’i final.
Cette théorie s’appuie sur deux faits certains : phonétique ger­
manique et bilinguisme germano-roman. Elle ne tient pas compte
cependant de la géographie linguistique. Qu’on admette pour
l’instant que dans la France du Nord l’évolution -ariu > -çriu soit
due à une influence franque. Peut-on faire la même hypothèse pour
le Midi ? On sait que les Wisigoths qui ont occupé la Gaule de la
Loire aux Pyrénées à partir des premières années du ve siècle ne
connaissaient pas et n’ont jamais connu 1’« Umlaut » de a en ç.
Pourtant -ariu a donné -ier dans le domaine d’oc. Les partisans
de la théorie germanique sont en droit, il est vrai, de répondre que
les Francs ont occupé la Gaule du Sud de la Loire après la bataille
de Vouillé (507), par conséquent dans la première moitié du vie
412 ARTICUL. D E S PH O N ÈM ES V O ISIN S (A C T IO N S COMBINÉES)

siècle. Cette date serait assez ancienne pour que leur influence ait
pu se faire sentir : -ariu aurait eu le temps de passer à -çriu, et
-çriu celui de se diphtonguer en -ieiro, d’où -ier. On consentira à
admettre ce dernier point. Mais il reste toute une fraction du Midi,
où les Francs ne sont venus qu’assez tard. La Septimanie en effet
n’a été soumise par eux qu’en 759, avec la prise de Narbonne.
Pourtant là aussi on a -ariu > -ier. Peut-on à cette date expliquer
cette évolution par une influence germanique ? C’est vraiment
trop reculer la date de la diphtongaison conditionnée de g roman
en provençal. Voilà donc une contrée où le développement de
-ariu en -ier doit s’expliquer sans l’intervention de la phonétique
germanique. Il y a d’ailleurs à ce fait une contrepartie très instruc­
tive. Après la prise de Narbonne, les Francs sont entrés en Catalo­
gne et ont établi la Marche catalane. L’influence franque a pu s’y
faire sentir avec autant d’intensité que dans la Septimanie. Or, en
catalan on a -ariu > -er, alors que le latin -ëriu y est continué par
-ir. Il résulte donc de cette double constatation que soit en Cata­
logne, soit en Septimanie l’évolution de -ariu n’a rien eu à voir
avec les Francs, et ce fait laisse supposer qu’autre part leur in­
fluence n’a pas le caractère de nécessité qu’on a voulu lui attribuer.
Il faut ajouter d’autre part que le fait du bilinguisme qu’on
invoque doit être interprété à sa juste valeur. S’il est exact que la
génération des Francs envahisseurs n’a dû parler que son dialecte
maternel, il est probable que leurs successeurs se sont mis assez
tôt à parler roman. La preuve en est que le français et le proven­
çal sont du latin et non du germanique. La considération dont a
joui auprès d’eux l’élite romane le laisse d’ailleurs bien entendre.
Militairement supérieurs, ils ont senti que leur culture était infé­
rieure à celle des vaincus et ils ont eu l’intelligence, après l’avoir
senti, de se mettre à leur école. Dans ces conditiosn, on ne s’explique
guère que si dans des cas isolés relevant du lexique (types *wastare
> gâter, altu > haut, etc.) ils ont pu laisser des traces de leur
langue, ils aient complètement bouleversé l’évolution d’un suffixe
latin extrêmement vivant, et cela sans qu’on puisse trouver la
moindre exception.

2° Théories phonétiques. — On a soutenu que -ariu serait deve­


nu régulièrement -ier après une consonne palatale, et qu’en dehors
de ce cas il aurait abouti à -er. On aurait eu ainsi au début une
opposition entre les mots du type vïrïtliariu > vergier et ceux du
type pomariu > *pomer. La désinence -ier se serait ensuite généra­
lisée et *pomer serait ainsi devenu pom(m)ier. On peut objecter à
cette théorie le comportement du provençal, où l'a accentué n’étant
pas modifié par une consonne palatale comme en français, une
opposition vergier : *pomer ne peut pas s’être présentée.
D ’autres ont admis un passage de -ariu à -çriu (d’où -ier) sous
J’action dilatrice du y. Mais si cette action n’a pas suffi à maintenir
le timbre de ü dans le français (vx.) noinz, rouge, vouge, (vx.)
ACTION POSITIVE D ’UN DOUBLE Y 413
carrouge, etc. (cf. ci-dessus p. 404) ou du prov. potz (cf. ci-dessus
p. 404, Rem.), comment admettre qu’elle ait pu changer un a en ç ?
Pour d’autres enfin, -ariu se serait tout d’abord transposé en
-airo, et à cette étape, d’ailleurs très ancienne, le groupe ai serait
devenu ç. Cet ç se serait ensuite diphtongué en ie en même temps
que ë latin. Mais cette explication, valable à la rigueur pour le
français, ne peut pas l’être pour le provençal, car ce dernier ne
connaît pas cette diphtongaison. Il y a d’ailleurs une autre objection
à faire. On sait que dans des mots tels que franc, harja, lat. parea,
area, etc., l’a de la diphtongue ai, provenant de la transposition du
y, est demeuré intact jusqu’à la fin du xie siècle en français, d’où
haire, paire, aire, etc. Ainsi, ai ne s’est pas réduit à ç avant la diph­
tongaison spontanée de ë en ie. Il n’est pas vraisemblable de sup­
poser, comme certains l’ont fait, que la transposition du y aurait
eu plus tôt dans -ariu que dans -aria et que dans le premier cas elle
aurait pu être antérieure au passage de ë à ie. Il n’y a aucune rai­
son en effet pour que -aria ne se soit pas transposé en -aira en mê­
me temps que -ariu passait lui-même à -airo. La qualité de la
voyelle qui suit le y n’a pas d’importance pour le phénomène.

3° Théorie proposée. — Tout s’explique si on admet que à une


date ancienne le y s’est anticipé sans quitter la place qu’il occu­
pait primitivement dans le mot. C’est en effet ce genre d’anticipa­
tion qu’il faut supposer pour le français dans le cas de consonne
+ y. L’évolution de formes telles que püteu, büxeu, cupreu, augûriu,
ëbriu (pp. 403 sq. et 410 sq.) d’une part, et de palea > paille,
montanea > montagne (pp. 257 et 325) de l’autre montrent qu’il
en a été ainsi. Il en a été de même en provençal pour les groupes
ry, sy, sty, ly ; cf. coriu > *cuoiryu > *cueiryu > cuor — euer,
*eclësia > glieisa, *pôstius > puois — pueis, folia > *fuoila >
fuolha — fuelha, etc.
Ainsi -ariu est devenu tout d’abord -airyo. Dans cette terminai­
son, l’a sollicité à la fois par la force assimilatrice du y implosif et
la force dilatrice du y explosif s’est sans doute fermé de bonne
heure en ç, ce qu’il n’aurait pu faire ni dans le cas de -ariu, ni dans
celui de -airo, l’assimilation et la dilation étant insuffisantes, cha­
cune à elle seule, à opérer une telle fermeture. A l’étape -çirio a
eu lieu la diphtongaison conditionnée de g sous l’influence du y
suivant, soit en français, soit en provençal ; d’où -ieiryo, puis -ieiro.
Au moment de la chute des voyelles finales, -ieiro s’est réduit à
-ieir. Mais cette étape a été de peu de durée : le groupe implosif -ir
s’est simplifié en r après le groupe ie dont le premier élément était
accentué à l’origine, tandis qu’il se conservait dans *neir ( < *neiro
< nïgriï) où il venait immédiatement après une voyelle accentuée.
De la sorte, -ieir est devenu -ier non seulement en français, mais
encore en provençal, et cela dans tous les mots de formation popu­
laire, que la consonne précédente ait été une palatale ou non.
Quant à -aria, son évolution phonétique est représentée dans
haire < franc, harja, glaire < glarea, paire < parea, aire < area.
20
414 ARTICUL. D E S PH O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S C O M BIN ÉES)

L’opposition -aire ( < -aria) : -ier ( < -ariu) est d’ailleurs compré­
hensible. On a dit que la double action assimilatrice et dilatrice du
y pour être effective exigeait que le y explosif fût suivi d’une voyelle
finale autre que a. Dans les mots où l’action du y explosif a été
annihilée par la séquence de a final, seule l’assimilation de la part
du y implosif a été possible. Mais on a vu qu’elle était sans effet.
En conséquence, dans -airya, l’a accentué ne s’est pas fermé en ç
et le résultat final a été, après la résorption de y explosif, -aira,
d’où fr. -aire, v. prov. aira.
Le traitement de -ariu---- aria, tel qu’on vient de l’exposer, est
donc le traitement régulier qu’on attend dans tous les cas lorsqu’il
s'agit de -ariu et dans les mots où a accentué n’est pas précédé d’une
consonne palatale lorsqu’il s’agit de -aria. Cependant si -aira
( < -aria) vient après une consonne palatale, le résultat n’est plus
le même. Dans la combinaison consonne palatale + -airya, l’a
accentué sous la double action assimilatrice de la palatale précé­
dente et du y suivant s’est fermé en ç, d’où -<iirya. C’est le cas de
brucaria > *bruyyairya > *bru(y)yçirya. Mais ici le y implosif s’est
amui par dissimilation avec les deux y explosifs qui l’entouraient,
et il en est résulté la forme bruyère, avec une terminaison -ère (et
non -aire) parfaitement régulière.
Cependant l’ordonnance phonétique : -ariu. > -ier, -aria > -aire
a été troublée très anciennement par l’analogie. Primaria, a-t-on
dit, aurait dû aboutir régulièrement en français à *premaire, par
l’étape *premairya. En réalité, on a depuis le début première (pri­
maire n’est qu’une forme savante). Le phonétisme du masculin
s’est en effet généralisé au féminin et cela sans doute dès l’époque
gallo-romane : d’après *premçiryo on a eu *premçirya, d’où après la
diphtongaison conditionnée de ç, un masculin *premieiryo et un
féminin *premieirya, devenus ensuite *premieiro et *premieira.
Cette évolution paraît avoir été commune à tout le gallo-roman
septentrional. Mais à partir des stades *premieiro — *premieira,
des différenciations dialectales sont intervenues. Tandis que dans
le Nord-Est (cf. par exemple per ires « poussière » dans le Brut de
Münich, pourire « id. » dans Aliscans), le féminin *premieira a
évolué phonétiquement en premire (cf. lëctu > *lieit > lit), il a
passé en francien à première sous l’influence du masculin premier
( < *premieir < *premieiro).
Ainsi donc, quand le masculin avait comme correspondant une
forme de féminin en -aria, il a servi à refaire cette dernière. 11
arrive cependant que l’on ait affaire à des formes féminines qui
n’ont pas de correspondant en -ariu et qui pourtant font -ière en
français. Là, il convient de distinguer deux types de mots. Dans
certains cas, la forme masculine peut être absente aujourd’hui,
mais avoir existé autrefois. Il en est ainsi, par exemple, pour ma­
nière < man(u)aria ; cf. manuariu > vfr. manier. La terminaison
de manière peut donc s’expliquer à la rigueur par un type masculin
disparu par la suite. D’autres fois, au contraire, la forme masculine
peut n’avoir jamais existé. Ainsi pour luminaria, taxonaria, riparia,
etc., qui ont donné lumière, taisniere — lanière, rivière, etc. Ici
ACTION PO SITIVE D ’U N D O U B L E Y 415

-aria a sans doute modelé son évolution sur celle des mots féminins
ayant comme correspondant un masculin en -aria qui a pu influen­
cer -aria.
Mais là où il n’a pu être senti comme une terminaison, -aria a
continué d’évoluer phonétiquement sans que l’analogie soit inter­
venue. C’est ce qui explique que l’on ait eu area > aire, germ, hir-
ja > haire, glarea > glaire, parea > paire, etc.

R I. — Là où il n’y a pas eu de diphtongaison conditionnée de


e m a r q u e

çf en /ef, et là où premieira s’est réduit anciennement à *premeira, on a


premeire (Est) et pre/nère"(Normandie).

R II. — Il convient de signaler la parenté qui existe entre le


e m a r q u e

cas de -ariu - — aria et celui de intêgru — intégra. On dit ordinairement


que le masculin entier est analogique et que la véritable forme phonétique
serait entir, attesté en vfr. C’est probablement le contraire qui est vrai. A
l’origine, on a dû avoir *entçiro et *entçj.ra, puis après la diphtongaison
conditionnée de ç, *entteiro — *entieira. On reconnaît là -ariu > * -le \r (y )o
et -aria > analogique *-leir(y)a. Ultérieurement, on a eu sans doute
*entieiro > entie(i)r, *entiejra > *entieire et finalement entier — entire.
C’est donc entier qui est phonétique et entière qui est analogique, analogique
du masculin. Le processus a été identique, qu’il s’agisse de -ariu ou de inté­
gra.
R III. — On a dit plus haut que prim aire est une forme savan­
e m a r q u e

te. Il en est de même de mots comme adversaire, contraire, etc. La termi­


naison -aire remonte ici à -arie < -ariu ; cf. d’ailleurs dans le plus ancien
français primarie, aversarie, contrarie, etc. Mais que penser de vair < variu
que l’on ne peut pas considérer comme savant à cause de l’absence de e final?
Le développement variu > vair ne contredit pas la théorie exposée plus
haut. A côté de variu, il existait en effet un verbe variare. Or, soit dans varta­
re dont l’a radical est inaccentué, soit dans variât qui a un a final, on ne peut
s’attendre à une fermeture de a en ç. Par analogie avec variare ou v ariât,
variu a maintenu lui aussi son a, d’où * v a p (y )o et finalement vair.

C. — Fermeture et non fermeture de 5 latin

Dans le lat. parlé côgïiat a dû passer de bonne heure à *c5yyïtal


(cf. vol. III: Consonnes) et sous l’action du groupe -yy-Yo s’est
fermé en ü comme dans hui(i)us < hoiios, cui(i)us < quoiios ;
d’où v. fr. cuide et v. pr., cat., esp., port, cuida.
Mais au contraire de ce qui a eu lieu pour êbriu > ivre et -ariu
> -ier, l’ô de -ôriu n’a pas passé à u en gallo-roman, peut-être
parce qu’au moment (plus tardif que pour e et a) où cette ferme­
ture aurait pu avoir lieu, -oiryo s’était déjà réduit à -oiro. Dès
lors, il n’y avait plus qu’un seul y à pouvoir agir sur o : ce dernier
s’est maintenu tel quel. D’où fr. -oir (fém. -oire), v. pr. -or (fém.
-oira) ; cf. dormitâriu > fr. dortoir, dolatôria > v. fr. dolëoire,
auj. doloire.
416 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S COM BINÉES)

R . — Pour désigner «l’officier qui connaissait en première


e m a r q u e

instance des délits commis dans les forêts et les rivières », le français possé­
dait une forme gruyer, encore citée aujourd’hui par les dictionnaires. Mais
cette forme n’était pas la seule. On avait aussi groyer et grayer, tous les
deux dans Ménage et Richelet ; cf. de plus Littré : « On dit aussi grayer ».
Gruyer provient sans doute d’un type germanique occidental *grôdi «ver­
dure ». Le premier stade de la latinisation aurait été *grôdiu et ce serait son
dérivé *grôdiariu qui aurait donné régulièrement groyer, d’où, avec la réduc­
tion de wç à ç, grayer. Quant à gruyer, son vocalisme radical suppose une
action analogique de *grui, continuateur de *grôdiu, qui s’il n’est pas at­
testé, est probablement continué par gru «fruits de la forêt, fruits sauva­
ges », signalé pour la première fois par Pithou au xvie siècle, et plus tard
par Ménage et Richelet qui le déclarent vieilli. Le rapport qu’il y a entre
gru et grui est le même que celui qui existe entre ru et rui < rïvu. Or c’est
précisément ce *grui qui pose un problème. L’u est-il dû ici à la fermeture de
5 sous l’action de la géminée yy, provenant de -dy- ? L’exemple n’est pas
probant : l’o de *grcdiu a dû être en effet traité comme tous les ô germa­
niques, qu’ils soient brefs ou longs, c’est-à-dire comme un <3latin. Il est pro­
bable que l’u de *grui s’explique par une diphtongaison conditionnée de ç
sous l’action de y dans un type *grçyyu < *grçdiu.

III. — ACTION COMBINÉE DE S ET Y

Dans toute la Romania les continuateurs du latin ostiu suppo­


sent une base avec ü.
Devant cet accord, on a admis qu’à côté du classique ostium, le
latin possédait déjà une forme dialectale *üslium, l’une et l’autre
coexistant avec austium attesté sur des inscriptions. Ce type
*üstium aurait été apporté par la conquête dans tous les pays de
l ’Empire romain.
Quoi qu’il convienne de penser de l’ancienneté de *üstium en
latin, il est évident qu’on ne saurait voir dans l’û de cette forme
le continuateur normal de la diphtongue contenue dans l’une ou
l’autre des deux bases : *ous ou * ous- de l’indo-européen commun.
La dernière est représentée en latin par aus-culum, aus-iium, am­
ené, qui ont donné dialectalement osculum, ostium, oreae, acceptés
ensuite dans le vocabulaire classique. La première se trouve dans
os, ôra. Peut-être *ous- aurait-il pu donner naissance à *üs, par
suite de l’évolution régulière ou > ü commune à tout le latin (celui
de Préneste excepté). Mais les formes générales os, ôra montrent
bien que dès la période prélatine *ous- s’est réduit à os-, ce qui rend
improbable, à partir de *ous-, un type *üslium. Ainsi donc l’évo­
lution spontanée de *ous- et *ous- ne peut expliquer en latin la
présence d’un type *üstium.

R e m a r q u e . — On ne peut invoquer les triades raudus — rôdus — rûdus


et naugatoriae — ri0gae — nügae, comme on 1a fait, pour admettre qu à côté
de austium. et de ostium il a pu exister parallèlement vine forme *Ostium. 11
faudrait prouver en effet que dans ces triades il s agitd une alternance, de
nature phonétique* ce qui précisément ne semble pas être le cas pour la
ACTION COMBINÉE D E I ACCENTUÉ ET Y 417
première et ce qu’il est impossible de savoir pour la seconde, en l’absence
de toute étymologie connue. Ces triades n’auraient pu agir tout au plus sur
austium et ostium par action analogique et déterminer ainsi un troi­
sième terme *Ostium. Mais il faut avouer que le modèle analogique, réduit
à deux exemples, manquerait singulièrement de force, et l’impossibilité
paraît plus grande encore si on songe à la fréquence de ôslium en face de
raudus — rôdus — rüdus et de naugatoriae — nôgae — nügae.

On a imaginé une autre hypothèse pour rendre compte de *üs-


tium. Conformément à la phonétique latine qui oppose claudere
à includere, issu de *indaudere, à une époque où l’accent était sur
l’initiale, on aurait eu, avec l’accent sur la préposition, *in üstio,
*de üstio, *ex üstio, *per üstinm au lieu de in ôstio, de ôstio, ex ôstio,
per ôslium. Plus tard, par suite de la fréquence de l’emploi prépo­
sitionnel, la forme avec ü se serait généralisée. Pour laisser de côté
la question de savoir si les cas de indaudere et de in ôstio sont
bien comparables, et si ce qui s’est produit à l’intérieur d’un com­
posé a dû nécessairement se produire dans un groupe préposition
+ substantif, il est étonnant que si on a eu *üslium ou *üstio
devant une préposition, il n’en soit resté aucune trace dans le latin
classique ou le latin des premiers siècles de notre ère. Ce n’est en
effet que chez Marcellus Empiricus, donc après les invasions ger­
maniques, que l’on trouve pour la première fois üstium. Quant aux
exemples de ustiarius, ils sont encore plus tardifs.
De tout cela il résulte que *üstium n’est pas aussi ancien qu’on
l’a prétendu. Sans doute la fermeture de l’ô d’ostium s’est-elle pro­
duite indépendamment dans chaque région de la Romania aux
premiers siècles de notre ère, sous la double action de l’s implosif
et du y explosif.
R . — Le v. fr. bisse (auj. biche, emprunté du picard) dérive
e m a r q u e

probablement de *bïslici, issu de bëstia avec ë > ï sous l’action combinée


de s implosif et de y. De fait, bistia se trouve dans Grégoire de Tours
(vie s.). D’autre part, bestia se serait conservé dans la langue de la prédi­
cation, où il servait à désigner le diable, et de là il aurait passé dans la
langue populaire ; d’où *bçstie > v. fr. beste, auj. bête, sans qu’on ait
besoin de recourir à un type besta d’attestation douteuse.

IV. — ACTION COMBINÉE DE I ACCENTUÉ ET Y

Soit le fr. empire < impêriu. Selon certains, l’i de ce mot pro­
viendrait de la réduction d’une ancienne triphtongue iei, dont le
troisième clément s’expliquerait par une interversion de y. Mais
cette interversion ne paraît pas avoir eu lieu ici. La forme primi­
tive est en effet empirie, et non empire. Or dans empirie, la termi­
naison laisse voir que le y de -riu ne s’est pas transposé : après la
monophtongaison de iei et la chute de y explosif (cf. pour cette
dernière la réduction de -ieiryo en -iciro, p. 414), *empieiryo serait
devenu empire, mais non empirie.
418 A RTIC UL. D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S COMBINEES)

Voici donc l’explication qu’on propose. Malgré le caractère


savant du mot, Yë de impëriu a commencé par se diphtonguer en
ie, comme par exemple dans lëpra > vfr. liepre (auj. lèpre). On a
donc eu *empieryo. A ce stade, l’e du groupe ie se trouvant précédé
d’un i accentué et suivi en même temps d’un y appartenant à la
syllabe finale s’est fermé en z. D ’où un groupe -z'z-, qui par contrac­
tion a abouti à z et par suite une forme *empiryo qui a donné en
vfr. empirie, passé ensuite à empire, parallèlement à glorie > gloire,
ùorie > ivoire, etc.
A côté de empirie — empire, on a d’ailleurs d’autres formes en
vfr. : empier (Doon de Mayence) et empere (Ille et Galeron). La
première est parallèle à mestier < *mïstëriu (cl. ministerium) et
se révèle, du moins au point de vue phonétique, comme non sa­
vante. Au contraire de ce qui a été dit plus haut au sujet de empi­
rie, il y a eu ici anticipation du y : impëriu est devenu tout d’a­
bord *empieiryo, puis, après la chute du y explosif, empieiro, d’où
*empieir par amuissement de la voyelle finale et en fin de compte
empier, par réduction de iei en ie devant r final implosif ; cf. pour
premier < *premieir, p. 413. Empere a par contre un caractère plus
savant que empirie — empire. Ici il n’y a pas eu de diphtongaison
de ë latin, ni anticipation de y : la forme prélittéraire à laquelle
semble avoir abouti impëriu dans ce cas est *emperie : cette forme
a régulièrement donné empere, parallèlement à *ministerie et
*monasterie devenus l’un ministère, l’autre monastère. En tout cas,
il faut remarquer que dans *emperie (et l’observation vaut pour
*ministerie et *monasterie), Ve accentué n’étant sollicité que par le y
de la syllabe finale n’a pu se fermer en i.
De impëriu on doit rapprocher coemetëriu et evangëliu. A empirie
— empire, correspondent en vfr. cemetire — cimetire — cimiiire
et évangile. Empier a son correspondant dans le vfr. cymilier, et
empere le sien dans le vfr. cimetere — cemetere — cymitere et evan-
gele. De toutes ces formes, seul évangile s’est conservé. Quant à la
forme moderne cimetière, elle est pour un plus ancien *cimetierie,
qui représente l’étape antérieure à *cimelirie — cimetire et dans
laquelle l’action assimilatrice de i accentué et l’action dilatrice de
y ne se sont pas exercées par suite d’une influence savante.
On peut citer encore mëdïcu > vfr. mirie — mire et remédia >
vfr. remir(i)e. L’i accentué de ces formes s’explique comme celui
de empirie — empire. Pour mëdïcu, les étapes ont été les suivantes,
du moins celles qui intéressent ici : *miehge > *mi&ye. De même,
on a eu *remiehye et *remi$ye, avant le vfr. remirie — remire.
D’autre part, materia est anciennement représenté, entre autres
formes, par malire. Pour ce dernier, il faut encore supposer une
étape *maüerye, avec diphtongaison de ë latin, étape qui a été suivie
d’une autre : *malirye, avant d’aboutir à matire. Le cas de *malirie
— malire est donc analogue à celui de empirie — empire : là aussi
assimilation et dilation sous l’influence d’un i accentué et d’un g.
Cependant *malirie — matire permet de faire une constatation
des plus importantes. Ici l’action ouvrante de a final a été sans
ACTION COMBINÉE DE Ü ACCENTUÉ ET D E Y 419
effet, au contraire de ce qui a eu lieu dans le cas de ü latin suivi
de y. - -y (p. 404).
Cette constatation est confirmée par un certain nombre d’exem­
ples. C’est ainsi qu’on a en vfr. Graecia > Grice, spëcia (cl. spëciem)
> espice, auj. épice. Les étapes intermédiaires ont été pour le
premier mot : *Grietsya, et pour le second *espietsya. Grèce et
espèce sont plus savants, de même que par rapport à *matirie —
matire les formes maiere (Melusine) et matière. Ce dernier, loin de
résulter d’un croisement trop artificiel entre matire et malere,
comme on l’a voulu, continue plutôt, avec arrêt de l’évolution
sous une influence savante, un ancien *matierye, lequel évolué
jusqu’au bout, a donné *matirie — matire ; cf. ce qui a été dit ci-
dessus à propos de cimetière.
R e m a rq u e . — L’explication donnée par certains : *Griepsya > Grice,
*esp iepsya > espice ne peut pas être retenue, car le groupe ky n’a pas dégagé
de y devant lui. Cette condition faisant défaut, il est probable qu’on n’a
pas eu ici de triphtongue iej et l’z de Grice, espice doit s’expliquer autre­
ment que par iej > i.

V. — ACTION COMBINÉE DE Ü ACCENTUÉ ET DE Y

Presque jamais en roman, le latin öleu ne présente au point


< de vue consonantique de traitement régulier : le groupe -ly- y
est représenté par l. Cette anomalie peut s’expliquer par le fait
que öleu étant employé surtout après un nom de mesure (cf. par
exemple sextarius olei), la forme du génitif *oli ( < *olii < olei)
aurait empêché la combinaison de l et de y dans le reste de la décli­
naison. Mais on peut penser aussi à l’usage liturgique de ce mot et
ne voir plutôt ici qu’un fait de langue savante.
Quoi qu’il en soit, Yô latin a pu se diphtonguer et il en est résulté
une forme ùelie, attestée dans les Quatre Livres des Rois. C’est cette
forme qui est à la base du fr. huile. On a eu tout d’abord ûelie,
après la palatalisation de u en ü. A cette étape, l’e du groupe âe
s’est fermé en i sous la double action fermante de l’ü accentué pré­
cédent et du y suivant. Le phénomène est analogue à celui qui a
eu lieu pour *empierye devenu empirie, puis empire ; cf. ci-dessus
p. 418. A son tour, *üilye s’est réduit à uile par suite de la transpo­
sition de y, et finalement ûile est devenu [wile] auj. huile, parallè­
lement à [nuit] (< node) > [nwil], auj. [nü'i].
R emarque . — La base ûelie a donné naissance à d'autres formes en
gallo-roman septentrional. Dans certains dialectes, l’e de la diphtongue ûe
n'a pas dû se fermer en i : après l’évolution tie > (o’), on a eu en vfr. soit
oeile, soit eule, ce derner avec chute du y de transposition. Là où la
diphtongue ûe a passé à wç, le résultat a été soit *«’ej7e (cf. auj. [n>Ç?7] à
Montiers-sur-Saulx : Meuse), soit *wçlç, avec chute du y de transposition
(cf. auj. sans w initial [du] à Fribourg : Suisse romande).
Mais d’autres formes plus savantes supposent la non diphtongaison de à
latin ; cf. en vfr. olie, oil(l)e.
418 A RTIC UL. D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S COMBINEES)

Voici donc l’explication qu’on propose. Malgré le caractère


savant du mot, Yë de imperia a commencé par se diphtonguer en
ic, comme par exemple dans lëpra > vfr. liepre (auj. lèpre). On a
donc eu *empieryo. À ce stade, Ve du groupe le se trouvant précédé
d’un i accentué et suivi en même temps d’un y appartenant à la
syllabe finale s’est fermé en i. D ’où un groupe -ii-, qui par contrac­
tion a abouti à i et par suite une forme *empiryo qui a donné en
vfr. empirie, passé ensuite à empire, parallèlement à glorie > gloire,
ii orie > ivoire, etc.
A côté de empirie — empire, on a d’ailleurs d’autres formes en
vfr. : empier (Doon de Mayence) et empere (Ille et Galeron). La
première est parallèle à mestier < *mïstëriu (cl. ministerium) et
se révèle, du moins au point de vue phonétique, comme non sa­
vante. Au contraire de ce qui a été dit plus haut au sujet de empi­
rie, il y a eu ici anticipation du y : impëriu est devenu tout d’a­
bord *empieiryo, puis, après la chute du y explosif, empieiro, d’où
*empieir par amuissement de la voyelle finale et enfin de compte
empier, par réduction de iei en ie devant r final implosif ; cf. pour
premier < *premieir, p. 413. Empere a par contre un caractère plus
savant que empirie — empire. Ici il n’y a pas eu de diphtongaison
de ë latin, ni anticipation de y : la forme prélittéraire à laquelle
semble avoir abouti impëriu dans ce cas est *emperie : cette forme
a régulièrement donné empere, parallèlement à *ministerie et
*monasterie devenus l’un ministère, l’autre monastère. En tout cas,
il faut remarquer que dans *emperie (et l’observation vaut pour
*minislerie et *monasterië), Ye accentué n’étant sollicité que par le y
de la syllabe finale n’a pu se fermer en i.
De impëriu on doit rapprocher coemetëriu et evangëliu. A empirie
— empire, correspondent en vfr. cemetire — cimetire — cimitire
et évangile. Empier a son correspondant dans le vfr. cymitier, et
empere le sien dans le vfr. cimetere — cemetere — cymitere et evan-
gele. De toutes ces formes, seul évangile s’est conservé. Quant à la
forme moderne cimetière, elle est pour un plus ancien *cimetierie,
qui représente l’étape antérieure à *cimetirie — cimetire et dans
laquelle l’action assimilatrice de i accentué et l’action dilatrice de
y ne se sont pas exercées par suite d’une influence savante.
On peut citer encore mëdïcu > vfr. mirie — mire èt remëdiu >
vfr. remir(i)e. L’i accentué de ces formes s’explique comme celui
de empirie — empire. Pour mëdïcu, les étapes ont été les suivantes,
du moins celles qui intéressent ici : *miehye > *mië>ye. De môme,
on a eu *remiehye et *remibye, avant le vfr. remirie — remire.
D’autre part, matëria est anciennement représenté, entre autres
formes, par malire. Pour ce dernier, il faut encore supposer une
étape *matierye, avec diphtongaison de ë latin, étape qui a été suivie
d’une autre : *matirye, avant d’aboutir à malire. Le cas de *matirie
— malire est donc analogue à celui de empirie — empire : là^ aussi
assimilation et dilation sous l’influence d’un i accentué et d’un y.
Cependant *maiirie — malire permet de faire une constatation
des plus importantes. Ici l’action ouvrante de a final a été sans
ACTION COMBINÉE DE Ü ACCENTUÉ ET D E Y 419
effet, au contraire de ce qui a eu lieu dans le cas de ü latin suivi
de y. . . y (p. 404).
Cette constatation est confirmée par un certain nombre d’exem­
ples. C’est ainsi qu’on a en vfr. Graecia > Grice, spëcia (cl. spëciem)
> espice, auj. épice. Les étapes intermédiaires ont été pour le
premier mot : *Grietsya, et pour le second *espietsya. Grèce et
espèce sont plus savants, de même que par rapport à *matirie —
matire les formes matere (Melusine) et matière. Ce dernier, loin de
résulter d’un croisement trop artificiel entre matire et matere,
comme on l’a voulu, continue plutôt, avec arrêt de l’évolution
sous une influence savante, un ancien *malierye, lequel évolué
jusqu’au bout, a donné *matirie — matire ; cf. ce qui a été dit ci-
dessus à propos de cimetière.
R e m a r q u e . — L'explication donnée par certains : *Grieitsya > Grice,
*espiejtsya > espice ne peut pas être retenue, car le groupe ky n’a pas dégagé
de y devant lui. Cette condition faisant défaut, il est probable qu’on n’a
pas eu ici de triphtongue lej et l’z de Grice, espice doit s’expliquer autre­
ment que par ie{ > z.

V. — ACTION COMBINÉE DE Ü ACCENTUÉ ET DE Y

Presque jamais en roman, le latin öleu ne présente au point


< de vue consonantique de traitement régulier : le groupe -ly- y
est représenté par l. Cette anomalie peut s’expliquer par le fait
que öleu étant employé surtout après un nom de mesure (cf. par
exemple sextarius olei), la forme du génitif *oli (< *olii < olei)
aurait empêché la combinaison de / et de y dans le reste de la décli­
naison. Mais on peut penser aussi à l’usage liturgique de ce mot et
ne voir plutôt ici qu’un fait de langue savante.
Quoi qu’il en soit, l’ô latin a pu se diphtonguer et il en est résulté
une forme üelie, attestée dans les Quatre Livres des Rois. C’est cette
forme qui est à la base du fr. huile. On a eu tout d’abord üelie,
après la palatalisation de u en ü. A cette étape, l’e du groupe ûe
s’est fermé en i sous la double action fermante de l’ü accentué pré­
cédent et du y suivant. Le phénomène est analogue à celui qui a
eu lieu pour *empierye devenu empirie, puis empire ; cf. ci-dessus
p. 418. A son tour, *ûilye s’est réduit à ùile par suite de la transpo­
sition de y, et finalement ûile est devenu [wile] auj. huile, parallè­
lement à [nuit] (< node) > [nüit], auj. [nün].
R em arq ue . — La base üelie a donné naissance à d’autres formes en
gallo-roman septentrional. Dans certains dialectes, l’e de la diphtongue ûe
n’a pas dû se fermer en z : après l’évolution ûe > [«■], on a eu en vfr. soit
oeile, soit eule, ce denier avec chute du y de transposition. Lû où la
diphtongue üe a passé ù wç, le résultat a été soit *zwj7e (cf. auj. [zi>(’|7] ù
Montiers-sur-Saulx : Meuse), soit *wçlf, avec chute du y de transposition
(cf. auj. sans w initial [élu] à Fribourg : Suisse romande).
Mais d’autres formes plus savantes supposent la non diphtongaison de d
latin ; cf. en vfr. olie, oil(l)e.
DEUXIÈME PARTIE

LES VOYELLES INACCE

On étudiera successivement l’évolution des voyelles de syllabes


initiales (chap. VIII),

des pénultièmes atones (chap. IX),


des prétoniques internes (chap. X),

des voyelles finales (chap. XI),


et enfin l’évolution de e central provenant dans certaines condi­
tions de voyelles inaccentuées (chap. XII).
1

• - -•*.. r* .A
CHAPITRE VIII

VOYELLES DE SYLLABES INITIALES

Les voyelles de syllabes initiales sont tombées dans certains


mots. Mais d’une façon générale elles se sont maintenues. On
étudiera, dans ce cas, les modifications qu’elles ont pu subir,
modifications qui dépendent ou non de l’articulation des phonèmes
voisins.

I. — CHUTE DES VOYELLES INITIALES

Dès les premiers textes français, on constate la chute des voyelles


initiales dans un certain nombre de cas. Cette chute peut d’ailleurs
remonter à des époques différentes.
Dès l’époque latine prëhendere, cohorte et cööperire se sont con­
tractés en prêndere, côrte et côperire (avec un 5 long relâché) ;
d’où à côté du fr. prendre, cour (v. fr. cort — court), couvrir, l’ital.
prendere, code, coprire, le v. prov. prendre, cort, cobrir, le catal.
pendre, cort, cobrir, le cast, et le portug. prender, code, ciibrir et
le roum. prinde, curte, (a)cop(e)ri. On peut aussi rapporter à la
même époque la chute qui s’est produite dans quiritare et *corrot-
( u)lare ; d’où le fr. crier et crouler, à rapprocher du prov. cridar
et crotlar, du catal. cridar, du cast, et du port, gritar, de l’ital.
gridare et crollare. Ici la voyelle de la syllabe initiale était suivie
d’un r et d’une voyelle de timbre identique. Ce n’est qu’un peu
plus tard et après l’ouverture de ï que la syncope a eu lieu dans
dïrectu : par suite du passage de ï à e, on a été dans les mêmes
conditions que pour quiritare et *corrotulare. D’où le fr. droit,
parallèle au prov. dreit —• drech, au catal. drei, au roum. drept et
à l’ital. dritto < diritto.
Dans d’autres cas, la chute de la voyelle initiale ne paraît remon­
ter qu’à l’époque gallo-romaine. Ainsi dans les composés *ecc(e)~
ïstu, *ecc(e)-ïlla, etc., *ecc(e)-hoc, ecc(e)-hac qui ont abouti en
424 VOYELLES IN A C C EN T U ÉE S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S

vfr. à cest, cele (auj. cet, celle), ço (auj. ce), ça ; — dans les démons­
tratifs ïllu, ïlla, etc. em ployés com m e articles ; d ’où le, la (cf.
encore ïllâc > là) ; — dans le futur et le conditionnel du verbe
«êt re» : *esser(e)-ât > sera, *esser(e)-ëat > serait. Sans doute,
pour le premier cas, le v. prov. et le v. catal. ; pour le second, les
autres langues romanes sauf le cast, et une partie du gascon (mais
aussi le roumain, à date très ancienne) ; pour le troisième, l’en­
semble des langues romanes sauf le roumain qui forme le futur et
le conditionnel avec l’auxiliaire « vouloir », présentent-ils des
phénomènes analogues ; cf. v. prov. cest, cesta, cela, etc., ço ; v.
catal. cell, cella, ço ; — v. prov. lo, la, etc., v. catal. lo (auj.d), la,
etc. ; v. ital. lo (conservé devant m ot com m ençant par s + con­
sonne ou sous forme de V devant m ot à initiale vocalique), la ; roum.
primitif *(ï)llu lupu, *(ï)lla capra > *lupu-llu, *capra-lla > auj.
lupul, capra (mais v. cast, elo > lo, sauf devant m ot à initiale
vocalique où on a el \ v. cast, ela > la ; gasc. ïllu > et, ïlla >
era) ; — v. prov., catal., cast., portg. serà, ital. sarà (mais roum.
va fi). Mais les combinaisons avec ecce, l’emploi du démonstratif
comme article, la formation du futur à l’aide de l’infinitif et de
l’auxiliaire « avoir » étant postérieurs à la période latine, on est
obligé d’admettre que la chute de la voyelle initiale dans toutes
ces formes a eu lieu séparément dans chaque langue romane.

R e m a r q u e . — Cest, cela, etc. ne proviennent pas de la réduction de for­


mes plus anciennes icest, icele, etc. En tout cas, l’i de ces dernières formes ne
continue pas l’e initial de ecce : la fermeture en i serait inexplicable. Cest, cele,
etc. sont des formes originaires, et c’est à partir d’elles que s’expliquent
icest, icele. Pour cela, *ecce-hïc a pu servir de modèle. La forme primitive ci
a été intensifiée à l’aide de i < hïc ; d’où ici. A son tour, le doublet ci — ici
a sans doute amené la réfection de cest, cele, etc. en icest, icele, etc., avec une
valeur démonstrative plus marquée à l’origine.

La chute de la voyelle initiale peut être encore plus tardive dans


des mots comme b o u tiq u e < a p o th ë ra , m a rc (de raisin) < emarcu,
m in e (mesure de capacité) < h ë m in a (gr. r.pfva), m ig r a in e < hëm i-
c r a n ia (gr. Y,pv/c:av{a), ta ie < a ta v ia , etc.

R . — Le fr. riz, attesté au x i v e siècle, ne continue pas direc­


e m a r q u e

tement le lat. orijza (gr. opulla), mais est emprunté à l’ital. riso.
De même, trivelin (xvue siècle) représente l’ital. Trivellino, type de la
comédie italienne, et ne suppose pas un type syncopé *t(e)rebëlla dans
le latin parlé en Gaule.
Le fr. mod. hémine (xvni® siècle) est calqué sur le latin.

Ln dehors de ces cas, les voyelles initiales latines ou romanes


Sf>nt maintenues jusqu’en ancien français. Sans doute l’[f], ou
■--.y,, . 1, , llf ; o n | . . | „ l| , i ; r nVsl-il -1----- «nrhni ni i c
ARTICULATION D ES PH ONÈM ES V OISINS SANS IN F L U E N C E 425

conditions soit en vfr., soit plus tard. Mais cette chute n’est pas
particulière à [e] ou à [œ] initiaux. Aussi en parlera-t-on dans un
chapitre à part ; cf. pp. 509 sq.

IL — MODIFICATIONS INDÉPENDANTES
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS

Il convient de noter tout d’abord que, dans les cas où l’articu­


lation des phonèmes voisins n’intervient pas, f latin (maintenu
long pour des raisons analogiques ; cf. p. 186) et a latin n’éprou­
vent aucune modification.
Ex. : fïlare > filer, rïparia > rivière, vïvente > vivant, lïberare
> livrer, etc. ; — valere > valoir, habëre > avoir, lavare > laver
partire > partir, claritate > clarté, etc.
R . — Le futur fera, au lieu de *fara < *fare + ât, s’expli­
e m a r q u e s

que par les groupes si fera, non fera dans lesquels l’a initial de fara a été
traité comme une prétonique interne et a passé à e.
Devant, au lieu de *dauant < *d(e)-abante, peut s’expliquer par la com­
binaison *de davant, dans laquelle davant s’est trouvé dans les mêmes condi­
tions que *fara ci-dessus. On peut songer néanmoins à l’influence de dessus
< *de-sû(r)su, dessous < *de-sübtus.
Orteil remonte à un type *ortlculu, issu du croisement de artlculu avec
un mot gaulois *ordiga (cf. ordigas : zachun dans les Gloses de Cassel ; irland.
orddu «pouce »).
Ouvrir continue non aperire, mais operire qui s’est confondu avec ce der­
nier dans le Nord et le Midi de la Gaule, ainsi qu’en catalan ; cf. v. prow,
catal. obrir.
Clouer est refait sur clou < clavu. La forme attendue est *claver < cla-
uare (cf. laver < lavare).
Les formes du vfr. trespasser, tresbuchier, etc. (auj. trépasser, trébucher,
etc.) ne remontent pas directement à des formes latines avec tra(n)s-. On
aurait eu dans ce cas tras- ; cf. traverser < tra(nJsversare. Il s’agit ici de
mots composés à l’aide de très provenant detra(n)s en position accentuée.
Le vfr. clairté (à côté de clarté qui s’est conservé jusqu’aujourd’hui) est
refait sur clair < claru.

Par contre, les voyelles initiales autres que f et a ont subi cer­
taines transformations. Ces dernières peuvent être classées en
deux categories, suivant qu’elles sont identiques ou non en syllabe
ouverte et en syllabe fermée.

A. — C h a n g e m e n ts identiques en syllabe ouverte


et en syllabe ferm ée

a initial latin, primaire ou issu de l’abrègement de û (pp. 184sq.),


s’est ouvert en o à parlir du v® siècle.
426 V OY ELLES IN A C C E N T U É E S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S

Ex. de u primaire > o : sübïnde > *sovende, cübare > *covare,


püllanu (cl. pullïnu) > *pollano, düb(i)iare > *doptare, etc.
Ex. de ü secondaire : *nütrïre (1. cl. nülrire) > *nodrire, *}rü-
mentu (1. cl. frümentu) > *fromento, *frud(ï)care (cf. Iat. früdus)
> *frotcare, etc.
R I. — L’ü de scütella a maintenu son timbre latin jusqu’au
e m a r q u e

moment de sa palatalisation en [ü] sous l’influence de scütu.


R II. — Jünlpërus et *jûnïcia (d’après le lat. jünïce), devenus
e m a r q u e

*jünïpëru et *jünïcia (pp. 184 sq.) ont passé de bonne heure à jtniperu
(attesté dans YAppendix Probi) et *jlnïcia, sous la double action assimi­
latrice du ƒ initial et de l’ï accentué de la syllabe suivante ; d’où v fr.
geneivre (auj. genièvre) et génisse.
De môme *fünicëlla (1. cl. fûnïcula) a passé à *finicella sous l’action
assimilatrice de l’i et de Vë suivants, et sous l’influence de *fïnus «fin »;
d’où fincelle et v. fr. afinceler «attacher avec une corde ».
R III. — Justice, en face du vfr. jostise, est savant. Il en est de
e m a r q u e

même de fructifier, lugubre, submerger, tumulte, etc.

ï initial latin, primaire ou issu de l’abrègement de F (pp. 184 sq.),


s’est ouvert en e à la même époque.
Ex. de ï primaire : cïcüta > *tsegüha, ït(e)rare > *ehrare,
pïlare > *pelare, fïrmare > *fermare, vïrtute > vertuSe, etc., d’où
vfr. cëue, errer, peler, fermer, vertu, etc.
Ex. de ï secondaire : *prïmariu (1. cl. prïmariu) > *premayryo,
*divïnu (i. cl. dïvïnu) > *devino, *vïcïnu (1. cl. vïcïniï) > *veidzino,
*fïnïre (1. cl. fïnïre) > *fenire, *vïtïcüla (1. cl. vïtïcâla) > *vedila,
etc., d’où premier, devin, voisin, vfr. fenir, vfr. veille (auj. vrille), etc.
R e m a r q u e I. — Ciguë et tribut, en face des anciennes formes cëue et
trëu < trïbütu sont savants. De même illusion, irréparable, etc. Finir peut
continuer le lat. cl. fïnïre, avec un ï initial maintenu sous l’action de finis.
R e m a r q u e II. — L’I du francique a eu le même traitement que l’I
latin ; cf. frc. bisôn > vfr. beser « courir çà et là, en parlant des vaches
poursuivies par des taons », frc. *btrson > vfr. berser «tirer de l’arc, chas­
ser », etc. Iseu.lt < frc. Ishildi est tardif ou savant.

ü initial latin, maintenu long pour des raisons analogiques (cf.


p. 186), a passé à [ü], comme sous l’accent, vers le v m e siècle.
Ex. : d iira re > d u re r, m ü r a lia > m u ra ille, j û d ( i ) c a r e > juger,
lû m ( i) n a r ia > lu m iè re , * n ü llu i > vfr. n u lu i, etc.

o initial gallo-roman, quelle que soit son origine, s’est fermé en


[u] au cours du x ie siècle.
Ex. de o provenant de u primaire latin : *soven de (cl. sübïnde)
> souveni ; *cgva re (1. cl. cü bare) > couver ; * p o lla n u ( < püllanu,
cl. pu llïn u m ) > p o u la in ; * d o p ta re (1. cl. d ü b ila re) > douter, etc.
Ex. de o < ü secondaire: * n o d rire ( < * n ü trire, cl. n ütrire) >
nourrir ; *'formento ( < * frü m en tu , cl. frü m en tu m ) > vfr. fourment
(auj. froment) ; * fro lc a re ( < * frü c tic a re ) > vfr. J r o u c h (i)e r ; etc.
ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS SANS INFLUENCE 427
Ex. de p provenant de ö latin : corona (cl. corona) > couronne ;
*molino (1. cl. môlinum) > moulin ; *morire (< *mörire, cl. möri)
> mourir ; *tormento (1. cl. tôrmenturri) > tourment ; *portsellos
(cl. porcëllos) > pourceaux ; etc.
Ex. de p issu de ö < lat. 5 : *solatsyo (cl. sôlacium) > soulas ;
*cortese ( < *côrtense) > courtois ; etc.
Ex. de p issu de au : *lodare (cl. laudare) > ■vfr. loer, auj.
louer ; *dzodire ( < *gaudïre, cl. gaudëre) > jouir ; *ostarda ( <
*austarda, lat. avis tarda) > outarde ; etc.
R e m a r q u e . — Cependant les mots comme oslel ( < höspitale), oster
(< öbstare), fossé, coslé, costeau, etc., s’ils ont commencé à se prononcer avec
[u] à partir du xne siècle, ont pu aussi garder l’ancien osous l’influence de
osle (< höspite), oste (< ôbstat), fosse, caste, etc., dans lesquels l’p accentué
s’était fermé au contact de s. De même, les mots comme porter, dormir,
mortel, porcher, forment (< *forti-menlë), ordure, folage, prochain, etc. ont
pu avoir deux prononciations à partir de la même époque : l’une avec [u],
l’autre avec un p analogique de pçrte, dçrt, mçrt, pçrc, fçrt, çrd (< hôrridu)
fçl, prçche, etc.

Mais dès la seconde moitié du xvie siècle, cet état de choses s’est
profondément modifié. La cause initiale en est la restauration
de la prononciation latine, inaugurée par Erasme. Au moyen âge
en effet le latin se prononçait à peu près comme le français : l’o
initial, en particulier, y avait pris à partir du xm e siècle le timbre
de [u]. Avec la réforme érasmienne, cet [u] a cédé la place à [p].
Cependant la substitution de [p] à [u] ne s’est pas arrêtée au latin.
Le français lui-même en a subi le contre-coup. La régression a
débuté par les mots savants qui rappelaient de près le latin. Ainsi,
pour ne prendre que les mots commençant par la lettre c, coaguler,
cohérent, cohorte, coïncider, coït, colère, collation, collecte, collection,
collège, collision, colloque, colloquer, collyre, colombe, colon, côlon,
coloquinte, colosse, copie, copieux, copule, cothurne, etc. ont com­
mencé à se prononcer avec [p] initial vers 1550. Et avec eux quan­
tité d’autres mots, tels que domestique, domicile, local, modérer,
modifier, monarchie, novembre, objet, obligation, odieux, omission,
opiner, volonté, volume, etc. A partir de là, la régression s’est éten­
due à des mots de formation populaire. D’où [p], au lieu de l’ancien
[u], dans corbeille, corbeau, corvée, forêt, fromage, froment, orgueil,
ortie, portrait, poteau, rosée, rossignol, soleil, etc. Dans certains mots
appartenant à la même série, l’analogie a pu favoriser la régres­
sion. Analogie de mots influencés par le modèle latin : proclamer
et promettre entraînant promener et profit, avec [p] (profil, au lieu
de vfr. pourfil, est emprunté à l'ital. porfilo). Analogie de mots de
formation populaire à radical accentué : des deux prononciations
avec [u] ou [o] — [p] que connaissait l’ancienne langue, seules les
dernières ont été conservées dans côté, fosse, ôter (avec [o]) et dans
broder, folie, mollesse, mortel, ormeau, porcher, porter, prochain, etc.
(avec [p]), d’après côte, fosse, ôte, — brode, fol, mol, mort, orme, porc,
)orie, proche, etc. Dans certains mots, on a indifféremment [o] ou
f p] ; cf. hôtel et taureau, dans lesquels [o] s’explique soit par l’in-
428 VOY ELLES IN A C C E N T U É E S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S

fluence de hôte, soit par la graphie au, et [p] par la loi qui s’est éta­
blie en français moderne, sur le modèle de la prononciation éras-
mienne et des mots savants calqués sur le latin, d’après laquelle
l’o initial, de même que tout o inaccentué, est généralement ouvert.
C’est la même loi qui explique l’[p] de coteau, en face de l’[o] de
côté, qui est analogique de côte. Il convient de remarquer, en plus
du phénomène de régression, l’orthographe savante de taureau et
de pauvreté (vfr. ioreau, povreté). Enfin la prononciation [u] a pu
être abandonnée pour distinguer des mots de signification diffé­
rente. En vfr., les adjectifs possessifs nos, vos, et les pronoms per­
sonnels nos, vos se prononçaient les uns et les autres avec [u] depuis
le x m e siècle. Cependant, sur le modèle de notre et votre (analogi­
ques eux-mêmes des pronoms possessifs correspondants), l’ancien
o s’était maintenu dans nos , vos adjectifs. D ’où une double pro­
nonciation jusqu’au x v ie siècle pour ces deux formes. A cette
époque, [u] a été définitivement rejeté, et c’est ainsi que nos, vos
adjectifs se distinguent nettement aujourd’hui de nous, vous pro­
noms personnels. Les adjectifs notre, votre, de leur côté, ont aussi
abandonné leur ancienne prononciation avec [«], pour prendre un
[p] qui les différencie de nôtre, vôtre pronoms, avec un [o].
Cependant la régression ne s’est accomplie ni d’une façon com­
plète, ni d’une façon logique. On continue en effet à prononcer
un [«] dans un grand nombre de mots, tels que boudin, bourdon,
broussailles, couleur, couleuvre, coupable, couronne, cousin, couvenl,
douleur, fourmi, moulin, mourir, mouvoir, nourrir, ouvrier, poulain,
pouvoir, pourceau, tourment, vouloir, etc. Ce sont là des mots de
la langue courante ou de la langue des petites gens. Les uns étaient
trop usités pour s’accommoder de la régression ; les autres étaient
en dehors des préoccupations des milieux cultivés où elle s’opé­
rait. D’autres fois, c’est l’analogie qui a pu intervenir. Couler, cour­
tois, couper, couver, croûter, douter, jouer, louer, mouiller, nouer,
rouer, souder, tourner, etc. ont sans doute conservé leur [u] sous
l’influence de coule, cour, coupe, couve, croûte, doute, joue, loue,
mouille, noue, roue, soude, tourne, etc. La préposition pour a pu
de son côté maintenir l’[u] dans pourvoir, pourchasser, etc.; la
préposition sous a pu en faire autant pour soulas, soulever, sou­
mettre, soupir, souris, sourire, soutenir, souvenir, etc.
De plus, parmi les mots de même formation, les uns ont un
[g], les autres un [u] ; cf. fourbu, fourvoyer et forfaire, forfait
(tous les quatre composés de fors < fCris) ; courroie et corroyer,
corroyeur ; pourceau et porcher, etc.
11 faut enfin noter que la régression n’a pas toujours triomphé.
C’est ainsi que le Diet, de l’Académie (1694) donne, à côté de
broussailles, une forme brossailles qui ne s’est pas maintenue.

R em arque . — Poireau, à côté de porreau dont l’fp] initial est dû à une


régression, est probablement dû à l’influence de poire < plra.
C’est encore par l’analogie que s’expliquent pleuvoir, pleurer, fleurir,
etc., au lieu de vfr. plo(u)voir < *plôvëre, vfr. plo(u)rer < plàrare, vfr.
jlofujrir < *florire, etc. Ces formes sont refaites sur pleut < *plôvel,
pleure < pleral, fleur < flore, etc. De même, cueillir (cf. vfr. eoillir < *col-
ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS SANS INFLUENCE 429
ligïré) s’est modelé sur cueille < côll(i)gil. et meunier (cf. vfr. mounier
< molinariu) sur v. fr. meut < môlet, ainsi que le v. fr. meudre (pour moudre
< môlere).

[œ] initial du français primitif s’est fermé en [ÿ] dès la seconde


moitié du x u e siècle (cf. déjà fumier dans le Chevalier au Lyon,
jumele dans Flore et Blancheflor), en tout cas avant la labialisation
spontanée de [?] central en [œj, attendu que ce dernier n’a plus
passé à [ü]. Il faut donc distinguer entre [œ] ancien et [œ] récent.
Seul le premier a été transformé.
Quant à [œ] ancien, il peut être d’origine phonétique et provenir
dans ce cas soit d’une diphtongue eu (cf. vfr. del -j- initiale conso-
nantique > dey. > [dœ]), — soit d’une diphtongue ou (cf. super >
vfr. sour(e) > seiir > [sœr]) ; — soit encore d’un [ç] central se
trouvant dans des conditions particulières, c’est-à-dire précédé
et suivi de consonnes exigeant un mouvement labial plus ou moins
prononcé (cf. *fïmariu > vfr. femier > [fœm-\ ; blbente > vfr.
bevant > [bœv-\ ; gemellos > vfr. gemeaus > [zœm-] ; etc.). L’[œ]
ancien peut être aussi d’origine analogique. Ainsi dans pleuvoir,
pleurer, fleurir, meunier étudiés plus haut, et vfr. affeurer (d’après
feur < foru), bleuet (d’après bleu), v. fr. deleurré (d’après leurre
< frc. lôpr), meulon (d’après meule), v. fr. meurier (d’après meure
< môra), v. fr. meutin (d’après meule), v. fr. peleuser (d’après
peleus < pïlôsu), v. fr. preudJiomme (d’après preu < prôde), v. fr.
*seuage (d’après seue « corde »), etc. Cf. encore feur inaccentué
dans la locution v. fr. au feur et à mesure, et jeudi, dont la pre­
mière syllabe représente le traitement de Jovis en position accen­
tuée.
La fermeture en [fi] se constate encore aujourd’hui dans du, sur,
fumier, buvant — buvons, jumeaux, bluet, déluré, mulon, mûrier,
mutin, prud'homme, suage (vx) ; cf. aussi au fur et à mesure. L’an­
cienne langue possédait de plus pluvoir, munier (qui n’a subsisté
que comme nom de pers.), affurer, pluser, etc. Ce n’est pas d’ail­
leurs sans hésitations que l’usage actuel s’est établi pour certains
mots. Au xvie siècle, Palsgrave (1530) donne « nous veuvons, vous
beuvez ». Rabelais emploie les mêmes formes, et Ramus (1562) cite
encore bernons à côté de buvons.
Par contre, pleuvoir, pleurer, fleurir, meunier ont conservé leur
[œ], sous l’influence de pleut, pleure, fleur, vfr. meut — meudre. De
même, bleuet, qui existe à côté de bluet, est analogique de bleu.
Pour jeudi, Eugène, Eulalie, Euslache, il faut invoquer une raison
savante. La langue populaire prononce d’ailleurs ces trois derniers
mots avec un [ü] conformément à la phonétique.
A plus forte raison, l’[e] de Gémeaux, nom de constellation, se
dénote-t-il comme savant, en face de jumeaux.
21
430 V O Y E L L E S IN A C C E N T U É E S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S

B. — Modifications différentes suivant que la voyelle


initiale est en syllabe ouverte ou en syllabe fermée

Le cas ne se produit que pour e gallo-roman, quelle que soit


d’ailleurs son origine.

10 En syllabe fermée, e initial gallo-roman s’est tout d’abord


conservé tel quel, pendant qu’il passait à [ç] en syllabe ouverte ;
cf. ci-dessous n° 2. Puis il s’est ouvert en [ç] au cours de la seconde
moitié du x n e siècle.

Ex. de e provenant de lat. ï : *fermare (cl. fïrmaré) > fçrmer,


*vertude (cl. vïrtutem) > vçrtu, *fermetate (cl. fïrmitatem) > vfr.
fçrté (auj. Fqrté nom de lieu et de pers.) etc.

Ex. de e provenant de lat. ë : *perdente (cl. përdentem) > per­


dant, *survente (cl. sërvientem) > servant, *mertsyeide (cl. mërcëdem)
> merci, etc.

Au moment du passage de e à [ç] en syllabe fermée, l’s anté-


consonantique s’était déjà amuï. En conséquence, l’e s’est main­
tenu dans les mots du type espine < spïna, descroistre < *dïs-
crescëre, desplaire < *dïsplacëre, mesdire < *mïsdicëre, etc., auj.
épine, décroître, déplaire, médire, etc. Mais dans les mots du type
derrière < *de-rëtro, errer < ïterare, etc., l’e se trouvant encore à
ce moment en syllabe fermée par le premier élément de la gémi­
née rr qui ne s’était pas simplifiée, s’est ouvert normalement en
[e]. Le timbre [e] s’est conservé jusqu’aujourd’hui, malgré la simpli­
fication de cette géminée, survenue après coup.
En face de Y[e] de épine, décroître, etc., l’[ç] de vêtir < vëstire
se dénote comme analogique de vêt < vëstit. La prononciation avec
[ç] existe cependant dans le français moderne.
Quant à setier < sëxtariu, il doit probablement son [œ] à un
phénomène de phonétique syntactique. L’e du vfr. sestier s’est sans
doute labialisé en [œ] sous l ’action de l’[ü] précédent dans le groupe,
usuel à l ’époque, un sestier — [ün setye]. A cette assimilation de
la part de [ü] peut s’être d’ailleurs ajoutée l’influence dissimila-
trice de l’[e] final accentué.
Fierté ne continue pas directement fëritate (cf. vfr. ferlé) ; il a été
refait sur fier < fëru. De même, tiédir et vfr. grieté, fr. mod. griève-
iê, grièvement sont analogiques de tiède < tëpidu et de grief <
*grëve.

2° Dans les syllabes initiales originairement ouvertes, Y? gallo-


roman a passé à [e] central dès l’époque prélittéraire. Cette pro­
nonciation a persisté jusqu’aux environs du xv® siècle, époque à
ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS SANS INFLUENCE 431
laquelle cet [f] s’est labialisé spontanément en [œ]. Ce dernier
changement est de toute façon postérieur au passage de [dœ],
[sœr], etc. à du, sur, etc. ; cf. p. 429.
Ex. de e provenant de lat. i : *pelare (cl. pllare) > peler.

Ex. de e provenant de *ï < lat. I : *premayryo (cl. prïmarium)


> premier ; *devino (cl. dïvïnum) > devin ; *veydzino (cl. vïcï-
num) > vfr. veisin — voisin ; *vedila (cl. vïtïcula) > vfr. veille.
Ex. de ç provenant de lat. ë : *levare (cl. lëvare) > lever ; *fçnes-
ira (cl. fënestram) > fenêtre.
Ex. de e provenant de *ë < lat. ë : *fenolo (cl. fënüculum) >
fenouil ; *debere (cl. dëbëre) > devoir ; *pesare (cl. pënsare) > peser.

Ex. de e provenant de lat. a après consonne palatale : *tsçvallo


(lat. caballum) > cheval ; *tsenudo (lat. canülum) > chenu ; etc.

R emarque I. — La réduction des géminées a dû avoir lieu avant le


passage de e à [g] en syllabe cmverte. C’est ce qui explique que, malgré le
caractère fermé de la syllabe initiale, dans les formes gallo-romanes *sem-
mana < *setmana < *sept(i)mana, *mettante < mlttente, etc., on ait eu
en vfr. un g dans semaine, mettant, etc. Cependant la réduction ne s’était
pas<produite encore pour la géminée -rr-, qui s’est maintenue longtemps
après le passage de egallo-roman à [g] en syllabe ouverte; cf. ci-dessus p. 430.
Ultérieurement Y[g] a passé à [œ] dans semaine. Mais l’évolution a été
contrariée dans mettant, dont l’[g] est analogique de mettre. La forme phoné­
tique [mœlâ] survit encore dans certains dialectes. De même, à côté de
péter, téter, refaits sur pet et telle, les dictionnaires signalent encore peter,
teler, avec un [œ] tout à fait régulier.
R emarque II. — Lorsque la consonne explosive suivante était une
prépalatale s ou i (résultant de la réduction des affriquées ls et di), Ve gallo-
roman en syllabe ouverte a conservé son timbre. Ainsi dans les mots du
type léger < *léviariu, péché < pëccalu, sécher < stccare, neiger < *nlvi-
care, etc. Ces deux derniers mots se prononcent aussi aujourd’hui avec [ç],
sous l’influence de sèche < sïccat, neige < *nloicat.
Parallèlement, Ve gallo-roman s’est maintenu devant y dans néant < vfr.
neient (< *ne-gente).
Il est enfin probable que dans les mots comme bégayer, cépeau, chérir,
gélif, message, péter, seller, téter, etc., on a prononcé en vfr. soit régulière­
ment [g] > [œ], soit [g] d’après bègue, cep, cher, gel. vfr. mes < missu, pète
selle, tette, etc. De même, les mots du type désarmer, deshonorer, etc., ont
pu avoir, en vfr. une double prononciation : l’une phonétique avec [g], l’autre
analogique avec [e], cette dernière résultant de l’influence des mots comme
desfaire, desdire, etc. à une époque où l’s antéconsonantique n’était pas
encore tombé. Mais on n’a pas eu certainement un [g] dans chèvrefeuille à
cause de chèvre faussement senti comme premier élément du mot, ni à plus
forte raison dans bédane, béjaune, composés de bec, bégueule < vfr. bée
gueule, etc.

Cependant, dès la seconde moitié du xvie siècle, de profondes


modifications sont intervenues, analogues à celles qui ont été
432 VOYELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

signalées ci-dessus, p. 427 pour le continuateur de o initial latin.


Ici encore le mouvement est parti de la réforme érasmienne. A la
fin du moyen âge, Ye initial des mots latins, en syllabe ouverte,
se prononçait [ce] comme en français. Au x vie siècle, Y[e] fut rétabli.
Il en fut de même, par voie de conséquence, dans les mots fran­
çais qui rappelaient de près le modèle latin. Ainsi, pour ne citer
que des exemples commençant par les premières lettres de l’al­
phabet, dans bénévole, bénédiction, bénigne, cécité, célébrer, céleste,
cénacle, céphalique, céruse, chérubin, débet, débile, décadence, déca-
logue, décéder, décembre, décence, déception, décerner, décès, décider,
décime, décision, déclamer, décrépit, décret, décuple, déduction, dé-
funcl, dégradation, délecter, déléguer, délibérer, délicat, délice, délit,
démission, démolir, démon, démonstration, dépérir, déprécation,
déprimer, dériver, déroger, désigner, désoler, etc. Ce sont là des mots
savants qui avaient pénétré dans le lexique avant le xvie siècle.
Mais la régression s’est aussi attaquée à des mots de formation
populaire. Dans certains, le modèle latin était assez transparent
et pouvait être encore présent à l’esprit : défendre, dénuer, désir,
égal, église, hériter, héraut (bas-lat. heraldus), pèlerin, péril, quérir,
etc. Dans d’autres, cette raison ne peut être invoquée : béton,
déluge, ennemi, félon, génisse, hérisser, hérisson, lévrier, lézard,
pépie, sénéchal, trémie, trémois, etc., et surtout séjour, dont l’an­
cien [ç] > [œ] provient de la dissimilation de o dans le vfr. sojorn
< *süb-diùrnu. La régression s’est encore produite, sous l’influence
des mots commençant par dé- (type phonétique défaire < vfr.
desfaire ; type savant décéder), dans débonnaire, débuter, déhait,
dévisager, etc., issus d’anciennes locutions prépositionnelles : de
bon aire, de but, de hait, de visage, etc. De plus, il convient de noter
que le flottement qui a pu exister autrefois dans les mots comme
bégayer, cépeau, chérir, gélif, message, seller, désarmer, déshonorer,
etc. (cf. ci-dessus, p. 431) a complètement disparu de la langue. On
prononce aujourd’hui uniquement un [e] (bégayer, cépeau, chérir,
gélif, désarmer, déshonorer, etc.) ou un [ç] (message, seller). Seuls
peler et teter ont conservé l’ancienne prononciation, à côté de
péter et téter. Toutefois, [ce] s’est conservé dans certains mots d’usa­
ge courant, ainsi que dans certains mots techniques ou apparte­
nant à la langue de la campagne ; cf. bedeau, belette, benêt, Be­
noît, besace, besaiguë, besant, besicles, ceci, cela, cerise, chemin, che­
mise, chenal, chenet, chenil, chenille, chenu, cheval, cheveu, chevroter,
deçà, dedans, degré, delà, depuis, devin, deviner, devoir, fenêtre, fenil,
fenouil, jeter, lever, menu, peser, premier, second, semaine, semer,
seneçon, tenir, venir, etc. Comme dans le cas de [u] > [p], la régres­
sion n’a pas été toujours logique : c’est ainsi que bélier, lévrier, etc.
se prononcent avec un [ç], tandis que levrette, levraut, etc. ont
continué à garder [ce]. Elle n’a pas non plus toujours triomphé :
on dit, par exemple, encore aujourd’hui senestre ou séneslre.

R
e m a r q u e . — P oirier e t poilu, q u i é ta ie n t en v fr.perier < *plrariu
et pelu < *pllütu, o n t é t é i n f l u e n c é s p a r poire < plra e t poil < pilu.
Pelu a s u r v é c u j u s q u ’ a u x v m ® s i è c l e .
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 433

III. — MODIFICATIONS DÉPENDANTES


DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS

Il faut distinguer entre actions au contact, actions à distance


et actions combinées.

A. — Actions au contact

Plusieurs cas se présentent :

1 ° V o y e l l e in it ia l e p r e m ie r é l é m e n t d e d ip h t o n g u e . —
Le second élément de la diphtongue peut être palatal ou vélaire.

a) Diphtongues à second élément i. — Ce i provient de l’évolu­


tion de -ce-, -g1-, -dy-, -ty-, -sy-, -ry-, -et-, -ks-, -sce-, -cr-, -vy-, -sty

ii initial gallo-roman s’est réduit à date prélittéraire à i dans


*liydzone (< lïtione) > tison, *diytare (< dïciare) > vfr. ditier
(auj. dicter).

ci initial gallo-roman a passé successivement d’abord à [oi], puis


à [oe], [ ue], [wç], [tua] dans Heydzire ( < lïcëre) > loisir, *veyd-
zino (< vleïnu) > voisin, *meytate (< medietate) > moitié, *mey-
sone (< mëssione) > moisson, veytura (< vëctura) < voiture,
*peysone ( < pïseione) > poisson, etc.
L ’évolution est donc la même que sous l’accent. Pour la question
de savoir si elle a été plus précoce en syllabe inaccentuée, cf. p. 271.

R emarque I. — On a de plus en vfr. eissir —oissir < êxire, preisier


—proisier < prêtiare qui ont cédé la place à vfr. issir (cf. encore aujour­
d’hui issu, issue) et à priser, analogiques de vfr. ist < exit et de prise < prë-
tiat.
R emarque II. — La diphtongue ej s’est réduite à e devant r implosif
dans *neircir < *nigricire, d’où vfr. nercir. La forme moderne noircir
est refaite sur noir.
Remarque III. — Le vfr. leissioe (= *ilx"wa) qui n’apparaît qu’au
xiv® siècle semble être une forme venue du Sud. Au moment où elle a été
introduite, l’évolution ei > oi n’avait plus lieu. Le mot a été traité comme
coissin (< *coxïnu) > cossin > coussin ; le second élément de la diphton­
gue ei a disparu sous l’influence dissimilatrice de l’i accentué de la syllabe
suivante (p. 457).
434 VOYELLES IN A C C EN T U ÉE S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S

R e m a r q u e IV. — Dans les anciens dialectes du Nord-Est et de l’Est, le


g ne s’était pas fondu dans le / ou le o suivants, comme en francien. Il en
résulte que là où le francien a simplement e, on trouve ici oi < ei ; cf. moi-
lour < mëliore (Floovant), soignor < sëniore (id.).

ai initial gallo-roman a passé à e vers la fin du x ie siècle, d’où


ensuite [e] dans chétif < vfr. chaitif < *cactivu (cl. captivum), Menil
< vfr. maisnil < *ma(n)sionïle, ménage < vfr. maisnage <
*ma(n)sionaticu, véron < vfr. vairon < *varione, érable < *ais-
rable < *acerabülu, etc. L’ancienne graphie s’est conservée dans
plaisir < placêre, raisin < *racïmu (cl. racêmum), saisir < *sa-
cire (germ, sakjan), aider < adfutare, raison < ratione, saison
< satione, maison < ma(n)sione, traiter < tractare, laisser <
laxare, laisson < *taxone (germ, occid. pahsu), vaisselle < vascella,
faisser < fasciare, etc. ; d’où aujourd’hui un [ç]. C’est encore un [çj
qu’on prononce dans serment < vfr. sairement < sacramentu et
dans merrain < vfr. mairien < *materiame.

R emarque I. — Cependant raisin et maison se prononcent aujourd’hu


aussi bien avec [e] qu’avec [e], A côté de véron, avec [e], on a aussi vairon,
avec [ç] d'après la graphie. ’

R emarque II. — *Materiamentu a donné en vfr. mairement Ce mot


se retrouve dans le fr. mod. marmenteau qui suppose le passage de [$]
initial à a devant r devenu implosif par suite de la chute de [ç] prétonique
interne ; cf. ci-dessous p. 446.

R emarque III. — Acütu est représenté phonétiquement par ëu en vfr.


La graphie ai de aigu, avec [e], de même que celle de aiguille < *acü-
cula et aiguillon < *aculeone, s’explique par l’évolution du lat. acutiare.
Ce dernier, après l’étape *aguydzare, est devenu *ayguydzare par suite de
l ’anticipation du y de la seconde syllabe, d’où vfr. aiguisier — [egüizyer],
fr. mod. aiguiser = [egzôize] ou [egize]. Sur *ayguydzare, la langue a refait
*aygudo et *aygula qui ont donné aigu et aiguille = vfr. [egiïlç], fr. mod.
[egwiy].
Tacëre a abouti régulièrement à vfr. taisir, qui a été remplacé par la for­
me analogique taire ; cf. aussi aujourd’hui plaire à côté de plaisir, devenu
substantif.
Le vfr. maislié < mafestate a disparu de bonne heure de la langue.

oi initial gallo-roman a subi la même évolution que la diphton­


gue oi issue de ei (cf. p. 433). Ex. : *poydzone ( < potione) > poi­
son, *toydzone ( < tonsione) > toison, *gutt(u)rione > vfr. goitron,
otiôsu > oiseux, *füsione (cl. füsionem) > foison, *mücëre (cl.
mücëre) > moisir, No(v)isiacu > Noisy, Bo(v)iniacu > Boigny,
etc.

R emarque I. — Le vfr. poissant < *pôssiente a été remplacé par puis­


sant, analogique de puis < *pôssio, puisse < *pôssiat.

R IL — Côctione et *cöcina (cl. côquïna) auraient dû donner


e m a r q u e

*caisson et *coisine. Cependant, au lieu de ces formes, le français ne connaît


dès le début que cuisson et cuisine, refaits sur cuire < *cöcire (cl. côquire).
IN FLU E N CE D E L ’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 435

Remarque III. — La diphtongue çi s’est réduite à o dans vfr. coissin


(< côxinu) > vfr. cossin (d’où auj. coussin) sous l’influence dissimilatnce_
de l’i accentué suivant. De même, la diphtongue [we] provenant de oj
a perdu son premier élément après le groupe initial fr- dans [frwçsürç]
(v fr. froissure < freissure < *frlxura, p. 184), d’où le fr. mod. fressure.
Remarque IV. — Dans les groupes gallo-romans -oyl-, -oyn-, le y
s’est fondu de bonne heure dans la palatale suivante, sauf dans les dialectes
du Nord-Est et de l’Est. D’où en vfr. p dans mofi)llier < môlliare, co(i)gnée
< cüneata, o(i)gnon < *ûnione < (cl. ùnionem), etc. Au xm e siècle, cet p
étant devenu [u], on a régulièrement aujourd’hui mouiller, parallèle à
dépouiller < despoliare.
Remarque V. — Le vfr. coiement, avec ses variantes coement —■ com­
ment, est analogique de coi < qufijëtu. Ce mot a disparu de la langue, ainsi
que le vfr. soislie < soc(i)etate.

ui initial gallo-roman, représenté par [üi] au début de la langue,


a passé à [wi] au cours du xne siècle. Ce [wi] s’est conservé jus­
qu’aujourd’hui dans luisant, -duisant, huissier, fruitier, puiser,
etc., sous l’action analogique de luit, -duit, fruit, puise, etc. Mais
il s’est réduit phonétiquement à [ü], par suite de la labialisation de
[i], dans lutter < vfr. luitier (< *lüctare), curée < vfr .cuirée (dérivé
de cuir), burette < vfr. buirette (dérivé de buire).
R emarque I. — Le lat. plûriores, influencé par plus, est devenu *plü-
siôres, d’où pluisors en vfr. Le fr. mod. plusieurs présente une réduction
ancienne de [üj] à [ü] sous l’influence de plus, dont l’action s’est ainsi exercée
une seconde fois. Quant à la terminaison -ieurs, au lieu de -eurs, elle a été
calquée sur le lat. -iôres.
R emarque II. — Le groupe [üj] s’est également réduit à [ü] dans usine
< vfr. uisine ( < *oflcïna), sous l’action dissimilatrice de l’i accentué sui­
vant, parallèlement à ce qui s’est produit dans vfr. cossin < vfr. coissin
étudié plus haut p. 433.
R emarque III. — Le groupe [tôi] dans cuiller < cochleariu est dû à la
graphie, comme celui de aiguiser, aiguille, aiguillon. Dans tous ces mots, le
vfr. prononçait régulièrement un [ü].
R emarque IV. — Vfr. fuissel < *fùsticellu, vfr. buisine < *bùcïna,
vfr. cuid(i)er < côgitare ont disparu de la langue. Le vfr. fuytif a été rem­
placé par la forme savante fugitif.
R emarque V. — Le groupe [toi] s’est réduit au contraire à [i] dans le
vfr. vuider ( < *oôcitare), où il était précédé de v ; d’où vider. L’ancienne for­
me s’est maintenue jusqu’au xvne siècle, comme il ressort d’une remarque
d’Oudin (1633) : « vuider et vide se prononcent ordinairement vider et vide »
et d’une autre du Diet, de l’Acad. (1694) qui constate que l’on « prononce
peu » le «5 dans ces mots. Vider n’est pas seul à présenter la réduction de
u»i] à [i]. A propos de buisson, Régnier (1705) écrit : « L’usage a retranché
l’u, en sorte qu’on le prononce d’ordinaire, comme s’il estoit escrit bisson ».
Cet usage n’a pas prévalu. De même, buignet est devenu bignet, et sur cette
dernière forme on a refait bigne pour buigne

b) Diphtongues avec second élément u. — Le u peut être pri­


maire ou provenir du groupe -fer’- et de l antéconsonnantique.
436 VOVELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

iu initial gallo-roman s’est réduit à i dans ficelle < vfr. fiucele


(< *fîlicella). Fiucele est encore attesté au xive siècle.
eu initial gallo-roman a abouti à [œ] au x m e siècle, d’où le nom
de pers. Feugère (vfr. feugière) < fïl(i)caria. A son tour, cet [œ]
s’est fermé en [ü] dans du ; cf. ci-dessus p. 429.

R e m a r q u e . — La forme fougère, avec passage de ey à ou, puis réduction


de oy à [u], est d’origine dialectale. Les noms de lieu Fougères, Fougère sont
très répandus dans l’Ouest.
Beauté, qui aurait dû être régulièrement *beuté (cf. vfr. belté < *billitaté),
a été refait sur beau, comme nouveauté (cf. vfr. novelté < *nôvellilale) l'a été
sur nouveau.
Le vfr. meulris (cf. aussi meltriz < merelrice) ne s'est pas conservé

ait initial, latin ou germanique, après s’être réduit k g , a passé


à p àdate prélittéraire. Cet p s’est conservé jusqu’au xm e siècle,
époque à laquelle il s’est fermé en [«], comme l’p provenant de lat.
o ,ô ou ü (pp. 426 sq.). De cet état de choses, il ne subsiste plus
aujourd’hui que quelques traces ; cf. outarde < *austarda (lat. avis
tarda), louer < laudare, ouir < audire (dans l’expression par oui-
dire), jouir < *gaudïre (cl. gaudëré), éblouir < *ex-blaudïre (frc.
*blauhjan), trouer < Hraucare. Au lieu de [u], on a un [o] dans
oser < *ausare, poser < pausare, clôture ( < *clausitüra) qui sont
analogiques de ose < *ausat, pose < pausat, clos < claüsu. De
même, par suite de la régression qui s’est accomplie à partir du
x v ie siècle, on a un [p] dans oreille < aurïc(u)la, orage < *auraticu,
doré < *dauratu (cl. deauratum) ou un [o], à cause du [z] suivant
dans roseau (got. raus), et à cause de la graphie dans autruche
(v. fr. oslruce) < *austrucia (1. cl. struthio), taureau (v. fr. toreau)
= taurèllus, laurier (v. fr. lorier) < laurariu, etc.
La diphtongue secondaire au, avec second élément issu de l
antéconsonantique, a elle aussi abouti à [p] après la fermeture de o
dans le type moulin < molïnu (cf. ci-dessus p. 426), ce qui fait
qu’on n’a pas [u] dans sauter < saltare, faucon < falcone, chauffer
< *calefare, saunier < salfijnariu, aussi < *al(i)-sïc, autant
< *al(i)tanlu, aucun < *al(i)cunu. La graphie étymologique
s’est maintenue dans tous les cas. C’est à cause de cela qu’il s’est
établi dans la langue une équivalence au — [o] et que dans les
mots comme taureau, laurier, où au est d’origine savante on pro­
nonce [p] et non [g] à l’initiale.
La diphtongue secondaire att, avec second élément issu de b
dans le groupe -br- ou de g dans le groupe -gm- ne présente nulle
part le traitement phonétique attendu. Régulièrement, on devrait
avoir abrotanu > *ourone, fabricare > *fauregare > *fourger.
Mais à cause de la régression signalée plus haut p. 427 et de la
graphie adoptée, on a aurone avec [o]. Quant à forger avec [o] ini­
tial, il a été refait sur forge.
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 437

Lorsque l'Ip] provenant de la diphtongue primaire au est entré


en contact avec un y, on a eu une nouvelle diphtongue çi > oi qui
évolué comme [oi] provenant de çi (p. 433). Ex. : aucellus >

oydzellos = oiseau, *clausione > cloison.


R em arq ue . — C lo îtrer a été refait su r cloître, d o n t la diphtongue pro ­
v ien t elle-m êm e d ’u n croisem ent de clostre < claustru avec cloison.

ou initial gallo-roman a eu un traitement différent suivant son


origine. Lorsque le second élément de cette diphtongue provient
de Zantéconsonantique, on a [u] ; cf. coupable < cülpabile, bouger
< *büll(i)care, poussin < *pull(i)cïnu, couteau < cüllellu, pous­
ser < pülsare, couper < *col(a)pare, souder < sôl(i)dare, coucher
< côll(o)care, mouture < *mol(i)tura, voudra < *vrd(e)rât, etc.
Mais en dehors de ce cas, on a [œ] dans Neuilly < *Nov(e)lliacu,
ou [ü] provenant de [œ] dans sur < [sœr] < sour < super.
R e m a r q u e . — M l( i ) n a r iu est représenté phonétiquement en vfr. par
m o (u )n ie r . La forme moderne m eunier est analogique de vfr. m eut < m àlet.
A son tour, m e u n ier a pu passer en vfr. à m unier comme il a été déjà dit
p. 429.

2° V o y e l l e in it ia l e e n h ia t u s . — ■ Par suite de la chute


d’une consonne intervocalique, la voyelle initiale a pu former hia­
tus avec une voyelle suivante, accentuée ou non. Dans le nouveau
groupe vocalique ainsi constitué, diverses modifications se sont
produites. Dans certains cas, l’accent s’est déplacé sur la voyelle
initiale qui est devenue premier élément de diphtongue. Lorsqu’il
n’y a pas eu de déplacement d’accent, on constate des changements
de timbre, des disparitions (soit par contraction, soit par chute
pure et simple) et des consonantisations.

a) D é p l a c e m e n t s d ’a c c e n t . — A initial suivi de i accentué


est devenu -ai-, d’où ensuite [ç], dans les mots du type faîne (> fa-
gïna) > faîne, pour lesquels cf. p. 340.

A ini Liai suivi de i inaccentué a formé avec ce dernier une diph­


tongue -ai- qui s’est aussi réduite à ç. Le cas s’est produit pour
aimant, autrefois aimant < *adimante (1. cl. adamante), pour rai­
fort dont le premier élément est l’ancien rtiîz < radice, et pour
(dé)gainer, traîner, etc. qui sont d’ailleurs sous la dépendance de
gaine, traîne, etc.
R e m a r q u eI. — L’ancienne l a n g u e connaît encore eyder, largement
attesté par les grammairiens du xvi®siècle et qui représente un ancien aider,
refait sur le vfr. aide (p. 395).
438 VOYELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

R e m a r q u e II. — De même [pafzân] est devenu [peizân ] = paysan, et


c’est sans doute à cette prononciation que l’on doit l ’ç de [pçi] — pays, qui
a pu ensuite passer à e. A son tour, [pei] a influencé paysan, d’ou aujour­
d'hui [pe/zâ] à côté de ’{pçjzâ] et [pezâ] dialectaux.
L’e de [abei] = abbayeparallèle à l’e de [pei], s ’explique probablement
par l’influence du mot abbé.
R e m a r q u e III. — On trouve encore au x v i e et au x v u e siècles, pour
le verbe haïr, des formes avec e telles que je herray (Palsgrave) (haïssons
(Garnier), je hairay (Maupas). Ce sont sans doute là des réfections sur le
modèle de je (tu) hais, il hait.
R e m a r q u e IV. — Si trahison s ’est conservé trisyllabique, c’est sous
l'influence de trahir. Phonétiquement, l’z aurait dû former diphtongue avec
l’a précédent. De fait c’est ce qui est arrivé. Dans la X I e Sottie de l’édition
Picot on trouve traysons, et trahison compte assez souvent pour deux syllabes
au x v ie siècle.

A initial suivi de f inaccentué a passé à âï, d’où [g] dans sain­


doux, dont le premier élément est le vfr. sain < *sagïmen.

E initial suivi de i accentué a passé lui aussi à -ci-, qui s’est


ensuite monophtongué en [e], dans gêne, autrefois gehinne (post-
verbal de gehir < frc. jahjari). Pour ce mot, Péletier et R. Es-
tienne donnent encore des graphies avec ei. Cependant sous l’in­
fluence de gehir, l’ancienne forme avec diérèse s’est conservée
jusqu’au xvie siècle ; cf. gehyne (lre pers. sing.) chez Palsgrave et
gehinne (subst.) chez Sylvius (1531).

b) N o n d é p l a c e m e n t d ’a c c e n t . — Lorsque la voyelle initiale


reste inaccentuée, trois cas se présentent : elle peut se contracter
avec la voyelle suivante, changer de timbre ou s’amuïr.

1) Contractions vocaliques. — La contraction se produit lorsque


la seconde voyelle est identique :

a + a > a ; cf. vfr. baaille ( < *batacülat) > baille, vfr. chaable
(< *catabola) > chable, etc. Il faut encore citer l’adjectif aise qui
provient de la locution à aise et jadis pour ja a dis. Sans doute
guet apens remonte-t-il aussi à guet à apens.
Pour les noms bibliques en -aa-, l’usage a été longtemps indécis.
Au xvie siècle, Baal comptait pour deux syllabes, tandis que
Racine ne le prononce qu’avec un seul a, comme aujourd’hui.
Dans Aaron, la contraction a pu avoir lieu, comme on peut le
déduire du témoignage de Sibilet (1548), confirmé au siècle sui­
vant par celui de Maupas (1625). Cependant Bèze (1584) prononce
ce mot avec deux a, et cette pronodciation s’est maintenue.

u -f u > u ; cf. vfr. coole ( < cücülla) > coule, vfr. goorde (<cu-
curbïta) > courge.
INFLUENCE DE L*ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 439
œ + œ > œ ; cf. vfr. emperëeur (< imperatôre) > empereur,
vfr. vendeeur ( < venditôre) > vendeur, vfr. prëechëeur ( < praedi-
catôre) > prêcheur, etc.
On peut ajouter, bien que les deux voyelles en hiatus ne soient
pas précisémment identiques, la contraction de [e] + e qui semble
s’être produite de très bonne heure dans vfr. abëesse (< abbatissa)
> abbesse, vfr. mëesme ( < *metïpsïmu) > même, vfr. prëeche
( < praedïcat) > prêche, vfr. empëeche ( < impedïcat) > empêche,
vfr. vëelin (< *vïtellïnu) > vélin, vfr. vëele (< *vïtëllat) > vêle,
vfr. sëele (< sïgëllat) > scelle, etc. Même phénomène dans vel
de veel et sel de seel, usités encore au xvie siècle, dans [vëeau]
( < vïtëlliï) et [seau] de [sëeau] ( < sïtëllu et *sïgëllü), d’où auj. [yo]
et [so], et dans le vfr. nesle de neele (< nïgëlla) ou nesler — neller
cités jusque chez Oudin. Pour le fr. mod. nielle, cf. p. 440.

2° Changements de timbre. — Au contact d’un ü accentué,


o initial s’est palatalisé en [œ], dans les personnes faibles des par­
faits du type habui ; cf. vfr. oüs (< habuïstî) > vfr. [œüs], vfr.
oümes ( < habuïmus) > vfr. [œilmes], vfr. oüstes (< habuïstis)
> [œiistes].
De son côté, a initial s’est fermé en [e] devant un ü accentué
dans matürü > vfr. mëur, *habütu > vfr. eu, *placütu > vfr. plêu,
Hacütu > vfr. tëu, sabücu > vfr. sëu, a(u)guriu > vfr. ëur, *jatütu
> vfr. fëu, auxquels on peut ajouter vfr. jehui « aujourd’hui »,
composé de ja et de hui.
Ultérieurement cet [e] s’est labialisé en [œ] comme celui des per­
sonnes faibles des parfaits du type debui. Vfr. mëur est devenu
[mœür], comme vfr. dëus ( < debuïstï) est devenu lui-même [dœüs].
Cette labialisation est spontanée. Cependant elle a dû se produire
ici plus tôt qu’ailleurs. à cause de l’action assimilatrice de i’ü sui­
vant qui l’a favorisée.

Dans les exemples qui viennent d’être étudiés, le changement


de timbre est dû à une assimilation. Mais d’autres phénomènes
peuvent intervenir.
Ainsi, de deux voyelles en hiatus la plus fermée tendant à se
fermer davantage, l’[f] de *pëon < pëdône a passé de bonne heure
à i d’où pion ; cf. encore lion < leône, v. fr. criatiire < creatùra
et v. fr. crier < creare. De la même façon s’explique l’i de v. fr.
liepart < leopardu et celui de Thierry < Theodorïcu, dans lesquels
le phénomène s’est compliqué du passage de io à ie.

C’est au contraire par suite d’une différenciation dans le groupe


roman *de çvorie ( < de ëboreu) que l’on a eu en vfr. ivorie, d’où le
fr. mod. ivoire ; cf. déjà la graphie ivorgiis dansles Gloses de Reiche­
nau.
440 VOYELLES IN A C C EN T U ÉE S D E SY L L A B E S IN IT IA L E S

R e m a r q u e I. — Il est peu probable que les formes du vfr. aé et aage


qui existent à côté à’ëé et de ëage soient dues la première à une différencia­
tion de § + c en a -f e, et la seconde à une assimilation de ç + a en a + a.
La diphtongue ae du latin aetate et *aetaticu s’est sans doute réduite à a
devant l'a accentué de la seconde syllabe, comme dans aerame > *arame
(cf. p. 453), d’où normalement vfr. aé et aage. Les formes latines avec ae
auraient pu cependant se maintenir dans la langue savante et ce seraient
elles qui seraient à la base du v. fr. ëé et ëage. Cf. en effet, v. fr. edage.

R e m a r q u e IL — Il n’y a rien de phonétique dans l’évolution qui a


amené le changement du vfr. lëece < laeticia et du vfr. pëestre < pëdëstre
en liesse et piètre. L’influence du vfr. lié < laetu. et de pied < pêde est ici
en cause.
R e m a r q u e III. — D’autre part, les conjonctions ni (vfr. ne) et si
(vfr. se < si provenant de lat. sï dans les combinaisons si quidcm, si quis)
résultent probablement d’une fausse coupure dans le vfr. nil ( < ne il) et
sil ( < se il).
R e m a r q u e IV. — Enfin reine ne continue pas directement le lat.
regina. La forme phonétique se trouve en v. fr., où l’on a rëine. Si cette
dernière s’était continuée, on aurait probablement aujourd’hui *rine. En
réalité, reine suppose une réfection sur le masculin roi. On a prononcé
tout d’abord [rwçnç] comme on prononçait [rwç]. Mais tandis que wç se
maintenait dans [rwç], passé plus tard à [rwa], [rwçnç] s’est réduit à [rçnç]
à la Cour des Médicis, dans la bouche des courtisans italiens qui ne con­
naissaient pas le groupe wç. Ces courtisans ayant surtout l’occasion de
s’adresser à la reine, on comprend fort bien qu’à la même époque le groupe
wç soit resté intact dans le mot roi.
R e m a r q u e V. — Nielle, qui a remplacé l’ancien nesle vient de l’ital.
niello. Sur cette forme, qui se trouve déjà chez R. Estienne, la langue a
refait nieller, nielleur, niellure.
R e m a r q u e VI. — Dans certains mots comme leal ( < legale), féal
( < fidele influencé par le précédent), peage ( < *pedaticu), veage (< *viaii-
cu), creable ( < credibile + -able), etc., l’[f] en hiatus a pris nettement le son
de [e). On a conservé féal, d’ailleurs vieilli, et péage. Au xvie siècle, on note
encore leal, deleal chez Sylvius (1531) ; leal, veage et creable chez R. Estienne
(1549). Ces formes ont survécu jusqu’au siècle suivant. A son tour, l’[e] en
hiatus a pu passer à [z], d’où viaige chez Palsgrave, fiable chez Bovelles
Tabourot et Oudin, cf. v. fr. feable.

3 ° Chutes. — La chute des voyelles initiales en hiatus se cons­


tate pour a , pour [u] et surtout pour [œ\.

Va initial du vfr. est tom bé devant [i], [ç], [ê], [œ], [à] et [u], Ex.:
vfr. graïl — graille ( < *gratïculu----- a) > gril — grille ; — vfr.
paelle ( < patella) > vfr. pelle, d’où plus tard poêle (cf. ci-dessous
p. 377) ; vfr. baée ( < * batata) > bée dans bouche bée ; vfr. cha(i)ere
(< cathedra) > chaire — chaise ; — vfr. chaeine = [/saêjnf] ( < ca­
tena) > chaîne ; vfr. gaaing (postverb. de gaagner < germ. lat. wai-
daniaré) > gain — regain ; — vfr. paeur ( < pavore) > peur ; —
vfr. raençon ( < redemplione) > rançon ; Caen = vfr. [kaân ] >
auj. [kà] ; — vfr. aoust ( < auguslu) > auj. [u]; vfr. aouster ( < *au-
güstare) > auj. [ute] ; vfr. saoul ( < satûllu.) > auj. [su]-, vfr. saoule
( < salüllal) > auj. [.su/] ; vfr. aouiiler ( < *adoculare) > ouiller ; etc.
IN F L U E N C E D E L ’A RTICU LA TIO N D ES PH O N ÈM ES V O ISIN S 441
R e m a r q u e I. — Dans le cas de sonder < *sübündare, il y a eu contrac­
tion de o + o à l’étape [sççnder], plutôt que chute de o devant ô dans [sçôn-
der]. Sonder est ainsi antérieur à la nasalisation de o.
R e m a r q u e IL — La prononciation de août avec a initial est encore
donnée par certains grammairiens du xvie et du xvne siècles. Vaugelas
(1647), qui la condamne, la signale chez le peuple de la capitale, et Ménage
(1672) chez les procureurs. D’après Domergue (1805), les orateurs de la
Révolution disaient le dix a-ou. Aujourd’hui la prononciation de a dans
août et aoûter est provinciale.
R e m a r q u e III. — Pour saoul, H. Estienne écrit en 1582 que l’on entend
encore saou à son époque, mais que sou est cependant plus fréquent.
R e m a r q u e IV. — Pour Aoste, la langue a hésité longtemps entre la
forme avec a et la forme sans a. Monet (1635) donne Osle à côté de Aoste et
Aouste ; Th. Corneille (1687) écrit Ost et Aost. Aujourd’hui l’a ne se fait
plus entendre dans le français correct.
R e m a r q u e V. — Quant à aoriste, Ramus (1562) le prononçait sans a.
Au contraire, Domergue note que de son temps les hellénistes disaient aoris­
te. Les deux prononciations existent aujourd’hui ; mais la seconde semble
plus répandue.

L’[h] initial du vfr. est tombé dans cooing ( < coloneu) > coing
et dans roable ( < rütabulu) > râble.

Pour la chute de [œ] devant voyelle, cf. ci-dessous pp. 520 sq.

4° Consonantisations — Lorsqu’ils se trouvaient en hiatus,


[i], [u] et [ü] initiaux ont passé aux semi-voyelles correspondantes :
[y]> [$].
Le phénomène date du moyen âge. Cependant la langue savante
a mis du temps à l’accepter. D’une façon générale, les grammai­
riens du x v ie siècle ne le reconnaissent pas ; ce qui ne veut pas
dire que çà et là, ils ne pratiquent la synérèse.
Ainsi Sibilet (1548) compte diable pour deux syllabes et lien
pour une ; mais il maintient vi jande. Pour Meigret (1542), violet
est dissyllabique ; mais il prononce lion, pion avec [i].
La consonantisation paraît plus fréquente dans le groupe [u]
+ [g], sans doute à cause de la présence dans le système phonéti­
que du groupe [wç\ ( < oi). Sibilet fait moelle = [mtüt’/f] de deux
syllabes et R. Estienne écrit même moilon pour moellon. Pour lui,
fouet est monosyllabique, ainsi que pour Lanoue (1596) qui ortho­
graphie foit. Péletier, Cauchie et Lanoue sont d’accord pour dire
que poëte peut compter pour deux syllabes, aussi bien que pour
trois. Il faut d’ailleurs remarquer que dans ce mot l’o initial repré­
sentait ordinairement un [u] ou un [u>] au xvie et au xvne siècles :
« Il faut dire indubitablement pouete et non pas poëte, quoyqu’on
écrive poëte », dit Ménage (1G72) ; et Richelet (1680) note : « poete,
prononcez poiiete ». De même pour Louis et louange, Meigret écrit
que « Vu se prononce lejiercmènt quelque peu èn consonante ».
442 VOYELLES INACCENTUÉES D E SYLLABES IN ITIA LES

Enfin Sibilet signale la prononciation [m] pour juif et puïr


< *putïre (cl. putëré).
Aujourd’hui, la consonantisation est générale dans la langue
parlée. Il n’en est pas cependant de même dans la langue de la
poésie, où des mots comme fouet, diable, etc. se prononcent avec
[u], [t] ou [w], [g] selon qu’on a besoin d’une syllabe de plus ou de
moins pour le vers.

3° V o y e l l e in it ia l e + c o n s o n n e . — On étudiera successive­
ment le cas d’une voyelle initiale suivie d’une consonne nasale,
le groupe er, el et la voyelle initiale des types payer, foyer, tuyau.

a) Voyelle initiale + consonne nasale. — Comme les voyelles


accentuées, les voyelles initiales (et avec elles, toutes les autres
voyelles inaccentuées) se sont nasalisées devant une consonne
nasale explosive ou implosive ; cf. les graphies significatives du
v. fr. : enneur à côté de eneur ( < honore), pannier à côté de panier
( < panariu), etc.

1° La consonne nasale est explosive. — Devant une consonne


nasale explosive, les voyelles initiales, dont la nasalité devait
être d’ailleurs dans ce cas assez faible, se sont dénasalisées de
bonne heure, et cela avant le passage de e inaccentué en syllabe
ouverte à e central, puis œ (pp. 430 sq.).

L’évolution a été la suivante :

a > a > a : panariu > panier, manëre > manoir (v. fr. infinit. ;
auj. substant.), germ. *fanône > fanon, Hramacülu ( < *trïma-
cülu) > tramail, etc.
ü > ü > ü > ü : fümare > fumer, *grûmëllu (cl. grümülum)
> v. fr. grumel (auj. grumeau), etc.
ç roman ( < lat. e, ï) > ë > e > [e], puis [œ] dans fënucülu >
fenouil, venire > venir, remitiere > remettre, *fenïpëru (cl. juni­
per um) > v. fr. genoivre (auj. genièvre), mïnûtu > menu, mïnare
> mener, etc ; — mais [e], puis [ç] au contact d’un [û] suivant
dans ceignant < cïngente, ceignons = cïngïmus, ceignez = cïn-
gïlis, et dans les formes correspondantes des verbes du même
type.
o roman ( < lat. o, ü) > ô > o, puis [u] à partie du x m e siècle
dans donare > v. fr. doner — [duner], tonare > v. fr. toner —
[tuner], sonare > v. fr. soner — [suner], *frümentu (cl. frûmentum)
> v. fr. froment — [frumânt], etc.
INFLUENCE DE L ’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 443
Cet état de choses a pu être modifié par l’action d’autres lois
phonétiques, par l’influence de l’analogie ou par un phénomène de
régression.
Phonétiquement, l’ancien [œ], provenant de [ç], a passé à [ü]
dans les mots du type fumier < vfr. femier (< *(imariiï), jumeaux
< vfr. gemeaus (< gemëllos), etc., pour lesquels voir p. 429. De son
côté, grimoire peut s’expliquer par une suite de dissimilations
vocaliques à partir de grammaire < grammatica. Tout d’abord
a — â > e — a à l’étape [gramârie] ou [gramàjre], d’où [gremçrç] ;
puis e — é > i — é dans fgremçre], d’où [grimere] et finalement,
comme dans vfr. armaire > [armwçre] d’où aujourd’hui [armwar]),
grimoire = [grimwçrçJ, puis [grinmwar].
Sous l’influence de j ’aime, tu aimes, il aime, les formes du vfr.
amons, amez, amer, etc. ont été refaites de bonne heure en aimons,
aimez, aimer, etc. Cependant amant, amour, amoureux ont conservé
leur [a]. De même, les formes modernes donnons, donnez, donner,
etc., sonnons, sonnez, sonner, etc., tonner sont analogiques de je
donne, tu donnes, il donne, je sonne, tu sonnes, il sonne, il tonne. De
même encore, plangïmus, plangïlis, plangente, etc. et jungïmus,
jungïtis, jungenle, etc., qui devraient être représentés par pla-
gnons, plagnez, plagnant, etc. et jougnons, jougnez, jougnant, etc.,
le sont par plaignons, plaignez, plaignant, avec [ç], et joignons,
joignez, joignant, etc. avec [u>ç] puis [wa] influencés par je plains,
tu plains, il plaint, etc., je joins, tu jo ns, il joint, etc. Enfin, bai­
gner, qui est pour bagner < ba(l)neare, a été refait sur le modèle
de bain < ba(l)neu ou de v. fr. je baing < ba(l)neo, alors que
v. fr. gaagner < *wa(i)daniare (frc. *waiZanjan) a conservé son
vocalisme initial, d’où gagner.
L’analogie peut encore rendre compte de l’[o] de chômer <
*caumare ou de l’[p] de sommier < *saumariu ( < sagmariu), ro­
main, comment, etc., qui sont sous la dépendance de chôme <
*caumat, somme < *sauma (< sagma), Rome, comme, etc. et qui
avaient anciennement un [u]. Mais ce n’est pas elle qui peut expli­
quer l’[p] de génisse < *jenïcia (cl. jûnix), ni l’[p] de vomir, fro­
ment, promettre, cognée < *cüneata, oignon < *unione, etc., qui ont
succédé à un ancien [œ] ou à un ancien [u]. Il faut invoquer ici
un phénomène de régression comme pour les mots étudiés ci-
dessus p. 432.

R emarque I. — L’e initial [a] de grenier, grenouille (v. tr. renoille),


menotte ne peut continuer sans plus l’a inital de granariu, ranücüla, manu
+ -çtta, qui régulièrement devrait être continué par a ; cf. en v. fr. granier,
granate, granetier, manotle et auj. manette. Il s’explique par une réfection
des formes dérivées sur les mots simples correspondants avec âj, ëj, ê :
grain (< granu), v. fr. raine (< rana), main (< manu). On a eu de la sorte
*grenier, *(g)rênoille, *mènotte, qui, après la dénasalisation de è inaccentué
et le passage du e ne résultant à { central puis [a], ont abouti aux formes
avec [a] mentionnées plus haut ; cf. encore grené, grener, grenu, égrener,
engrener, anciens dans la langue. Le radical [pran-] a pu d’ailleurs servir
dans la suite à former d'autres dérivés, tels que grencter (xvi0 s.), grenage,
grenette (xvni® s.), etc., ou à façonner des mots d’emprunts comme grena-
dille (xvne s.) < esp. granadilla. D'autre part, on a des formes en Ififrçn-],
444 VOYELLES IN A C C E N T U É E S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S

refaites sur graine ; et. agrainer, grènetier, grènelis (v. fr. grencis, grenetis),
dont il faut rapprocher rainette, y. fr. reinoille, m ai notie et v. fr. maineile,
sur le modèle de v. fr. raine, main.
R emarque II. — Dommage paraît continuer un type latin *domnalicu,
qui résulte d’une dissimilation a — à > o — à dans *damnaticu, dérivé de
damnu. Le vfr. connaît aussi damage, continuateur régulier de la forme non
dissimiiée *damnaticu, et demage qui provient sans doute d’un type *dem~
naticu, avec a — à > e — à.
R emarque III. — La prononciation [ mwïô ] = oignon est due à l'ortho­
graphe. Par contre, dans poignée, poignet — poignard, fma] continue un
ancien [u’ç] provenant de l’action analogique de poing. Si cette action ne
s’était pas exercée, on aurait aujourd’hui [pu-] comme en vfr. La pronon­
ciation avec [pg-] qui a aussi existé et qui est aujourd’hui archaïque est due
à une régression.
R emarque IV. — Les mots comme pénal, pénétrer, pénible, mineur (vfr.
meneur), ministre, finir (vfr. fenir), etc. sont d'origine savante.

2° La consonne nasale est implosive. — Il faut ici distinguer


deux cas suivant que la consonne nasale est un n, ou un fi.

a. — Devant un n implosif, les voyelles initiales se sont nasali­


sées et ont subi la même évolution que les voyelles accentuées se
trouvant dans les mêmes conditions. La nasalisation a dû se pro­
duire après la simplification de la géminée -mm-, comme en témoi­
gnent semaine < *semmana < *setmana < sept(i)m an a, semer
< *semmare < sem(i)nare, lumière < *lummaria < lum (i)naria,
etc., avec voyelle orale.

a > [à] : cambiare > changer, lanterna > lanterne, mandare >
mander, san(i)tate > santé, van(i)tare > vanter, etc.

ç roman ( < îat. e, ï) > [c], puis [à] ; cf. sïn g(ü )lare > sanglier,
et avec l’ancienne graphie -en- : *tempesta > tempête, *trem(u)lare
> trembler, sïm füjlare > sembler, vïnd(ï)care > venger, ïnflare
> enfler, tentare > tenter, *mentionica > mensonge, Nemetoduru >
Nanterre, etc.

i latin > [î], puis [ê] ; cf. prlm(u)-tempus > printemps, *cïn-
quanta > cinquante, lïnteolu > linceul, etc.

o roman ( < lat. o, ü) > [ô] ; cf. dom(l)lare > vfr. donter (auj,
dompter), compfü)tare > vfr. conter (auj. conter et compter), germ. lat.
*dungione > donjon (et aussi vfr. dognon), cüm(ü)lare > combler>
jôntana > fontaine, *môntare > monter, bbn(l)lale > bonté, etc.
ü latin > [ü], puis [œ] ; cf. *lunae-die > lundi.

R I. — *Domniariu est représenté en vfr. par dongier et dan-


e m a r q u e

gier. Ce dernier s’est conservé dans le fr. mod. danger. Comme dans aucune
des tonnes avec lô] initial citées ci-dessus on ne constate-, même sporadique-
IN F L U E N C E D E L ’A R T IC U L A T IO N D E S PH O N È M E S V O IS IN S 445
ment, le passage de [ô] à [à] au contraire de ce qui a lieu pour [ô] prétonique
interne (cf. calümniare > *chalongier > vfr. chalengier), il est probable
que le changement de dongier en dangier est dû à un croisement avec un
autre mot, en l’espèce darn < damnu. Quant à la différence de traitement
que l'on constate entre [ô] initial et [ô] prétonique interne, il s’explique
facilement par la force articulatoire plus grande du premier.
R e m a r q u e II. — En conséquence, les formes du v. fr. dam (< domnu )
et nen (< non), conservé dans nenni pour nen il, doivent s’expliquer par
les combinaisons du type a dom Pierre, de dom Charte, et non,.., dans les­
quelles [ô] était en réalité prétonique interne. Le v. fr. danz qui vu sa fonc­
tion de cas sujet n’était jamais précédé d’une préposition, est analogique
de dam. Un phénomène analogue s’est produit dans les formes picardes
men, ten, sen, qui s’opposent aux formes franciennes mon, ton, son. Elles
ont sans doute leur origine dans les combinaisons où mon, ton, son étaient
précédés d’une préposition.
R e m a r q u e III. — *Denar(i)ata a donné tout d’abord denerée, avec
[f] dans la première et la seconde syllabe. Mais à côté de denerée, le vfr.
connaît aussi denrée, qui s’est continué jusqu'aujourd’hui et qui représente
une évolution phonétique plus poussée. En effet, par suite de la chute de fj]
prétonique interne entre n et r (cf. vfr. donra pour donera, menra pour mènera,
etc.), denerée est devenu dès l’époque prélittéraire [denréç]. Lorsque la nasa­
lisation est survenue, l’[f] initial, se trouvant en contact avec un n implosif,
a passé à [é], d'où plus tard [à].
R e m a r q u e IV. — L’ouverture de [e] en [â] dans ainsi < v fr. ensi
(< tn sic) a été empêchée par i final.
R emarque V. — Le vfr. trenchier (auj. trancher) n’a rien à voir avec
trüncarc. Il provient probablement d’un type *lrln(i)care, pour *trïn(i)care
(cf. ci-dessus p. 180), comparable à *exquartare > écarter ou *exqnïntare
> prov. esquintà (d’où le fr. esquinter).
R e m a r q u e VI. — Ram(ü)scellu aurait dû aboutir à vfr. *rancel (qui
serait aujourd’hui *ranceau) et *man(u)lenere à *mantenir. Si on a vfr.
raincel (auj. rinceau ou rainceau) et maintenir, c’est que les formes phonéti­
ques ont été influencées par vfr. rain < ramu et main < manu. De même
tiendra et viendra sont des futurs analogiques qui ont remplacé les ancien­
nes formes tendra < *ten(e)ràt, vendra < *ven(i)ràt, sous l’action de tient
< tënet et vient < vlnit.
R emarque VII. — Incliner, indiquer, etc. avec [ê] sont savants.

ß. — D evant un [n] implosif, il y a eu formation de diphtongues


nasales, le [û] s’étant réfracté en ses éléments composants y + n
au contact de la consonne suivante. On a eu primitivement [èj]
dans cïndüra > ceinture, *pïnctüra > peinture, dignitate > dein-
iié (auj. daintiers) ; — [ai] dans sanditate > vfr. sainté (auj. sain­
teté) ; — et [ôi] dans *lông(i)tanu > lointain, jünctura > join­
ture, pünctüra > pointure, etc.
Dans la suite, [«/] a rejoint [èj], et la diphtongue unique ainsi
obtenue s’est simplifiée en [c], Quant à [ôj], il a abouti à [wê]. D’où
les prononciations modernes.

22
446 VOYELLES IN A CCEN TU ÉES D E SY LLA BES IN IT IA L E S

b) Groupe E + R implosif. — Comme sous l’accent (pp. 348 sq.)


l’fc] initial s'est ouvert en a dans la langue populaire du moyen
âge.
La langue littéraire a accepté le nouveau phonétisme dans un
certain nombre de mots. C’est ainsi qu’on dit aujourd’hui sarcelle
(le Diet, de l’Académie de 1694 donne encore cercelle) < *cerce-
dula (cl. querquedula), harceler < vfr. herseler (dérivé de herse), bar-
long < *borlong < *beslong ( < *bïs-longu), sarpillière < *ser-
pic(u)la. De même, le cast, mermelada, a été introduit dans le
lexique au x vn e siècle sous la forme populaire marmelade.
Cependant, la langue littéraire a conservé Ye dans la grande
majorité des cas. De plus, on note chez elle de fausses régressions :
l’a, pourtant étymologique, étant considéré comme vulgaire devant
un r implosif, est devenu [ç] par hypercorrection dans cercueil (vfr.
sarcueu < sarcophagu) et hermine (vfr. armine < armenia). Le
mouvement a même atteint guérir (vfr. garir < *wariro < frc.
*warjan), où l’a initial n’était pourtant pas suivi d’un r implosif
Cette hypercorrection s’exerçant en dehors de ses limites primi­
tives est même signalée par G. Tory (1629) chez la petite bourgeoi­
sie de son époque : « Mon meri est à la porte de Peris «, disaient
les petites dames de son temps.

R em arq ue I. — Il faut distinguer du cas de sarcelle, harceler, etc. celu


de marché < mercalu, dont l’a s’explique par une assimilation ancienne de
e initial avec l’a accentué suivant. Marcalus se trouve déjà dans les textes
latins de l’époque mérovingienne. Il faut en dire autant sans doute de par­
paing < perpendiu et de marquer < *mercare (germ, merken), dont le
[A*] dénote d’ailleurs une origine normande ou picarde.
R emarque II. — Hargneux doit être considéré comme un dérivé de
hargne, où le passage de er à ar a eu lieu en syllabe accentuée ; cf. ci-dessous
pp. 348 sq.
R emarque III. — Pour l’a de la préposition par < për, cf. ci-dessous
p. 454.
R emarque IV. — Dans certaines parties de l’Est, on constate ancien­
nement et aujourd’hui encore le passage inverse de celui que l’on a signalé
pour le francien. A initial y devient [ç] devant un r implosif ; cf. chergier
< chargier dans les Dial. Grég. 134. Pour des exemples modernes, cf. E.
Herzog, Neufrz. Dialekltexte, § 172. Cette différence de traitement tient
sans doute à une différence du caractère articulatoire de r.

c) Groupe E -f L implosif. — L’e gallo-roman s’est ouvert en


a au contact d’un Zimplosif suivant dans delphïnu > *dalfinu >
dauphin et dans el(ee)mosina > *almosna > aumône.

d) Groupe E + consonne palatale. — L’ancien verbe fegier,


dérivé de v. fr. fege < *fïtïcu, a passé à figier, auj. figer, par suite
de la fermeture de e initial en i sous l’action de la prépalatale
suivante.
IN FLU EN CE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 447
Il faut cependant noter qu’en francien, une médio-palatale
suivante n’a eu aucun effet sur l’e initial, qui reste e. Ex. meilleur
< meliôre, veiller < vïgïlare, seigneur < seniôre, peigner < pëc-
tinare, v. fr. deigner (auj. daigner) < dïgnare, feignant (= fin-
gente) ; etc. Sur ce point, le traitement des initiales s’oppose à
celui des prétoniques internes, pour lesquelles la fermeture de e
en i a eu lieu ; cf. v. fr. paveillon(< papïliône) > fr. mod. pavillon,
champignon < *champeignon (< *campanione), etc.
R emarque I. — Tilleul n’esfpas'pour un plus ancien *teilleul, mais pro­
vient d’un type *liliôlu avec î ; cf. aussi vfr. til < tïliu, pour llliu.
R emarque II. — Signer est un mot savant, refait sur le latin slgnare.
R emarque III. — Dans les anciens dialectes du Nord, la fermeture
de e initial en i a lieu régulièrement devant une palatale.
Ex. : milleur,
signeur, chival, vigniens < veniamus, villier < vlgllare, etc.

e) Types payer, foyer, tuyau. — A côté de la diphtongue -ai- le


vfr. possédait aussi le groupe -a fy-. Ainsi dans pajier < pa'care,
fa fiant < *gagante (cl. gïgantem), pajien < paganu, fa fiole <
*gaveola, a fieul < *aviolu, ra fion < *radiu + -one, gla f-ieul < gla-
diolu, a fions < habeamus (et aussi a fiant analogique du subjonc­
tif), ça fiens < *ecce ha(c)-ïntus, lafiens < illa(c)-ïntus, cha fiere
< cathedra, pra fiaus < pratëllus, fia f-iaus < flagëllus, cha fiaus <
catëllus, cafier < *caern < quaternu. Il faut ajouter à ces exem­
ples pafis < pagê(n)se, dans lequel l’a de la syllabe initiale était
en contact non avec un y, mais avec un i accentué ; cf. encore
le dérivé vfr. pafisan.
Sous l’action assimilatrice du y ou de l’i, l’a s’est fermé et on a
aujourd’hui [e] dans géant, céans, préau, fléau ou [ç] dans payer,
rayon, ayons — ayant, pays, paysan (dans ces derniers exemples
l’[g] s’explique par la graphie). Cependant la langue savante a
maintenu l’a dans païen, aieul — aïeux, glaïeul et cahier.
Dans . la suite, d’autres transformations ont pu se produire.
Chaiere, après l’étape *cheiere, est devenu chaire — chaise par
suite de la chute de y et de la contraction des deux e entrés en
contact. Jaiole, après les étapes *geyole et geôle, a labialisé son
ç et l’[œ] qui en est résulté s’est amuï devant la voyelle accentuée
suivante. Enfin, chaiau est devenu *cheau, puis *chiau, écrit chiot.
A côté du type pafier, le vfr. connaissait aussi le type fo fier
< focariu. Le groupe -o /y- pouvait d’ailleurs être d’origine pri­
maire ou secondaire. Ex. de -o /y- primaire : lo fier < locariu,
fofieus < *gaudiôsu, hofiau — germ, hauwa-ëllus, bojiau —
*bötcllus, mo fiou = modiolu, etc. Ex. de -o/y- secondaire issu de
-oi/y- < -çi fy- : lofial < legale, ro/ial < regale, rofiaume (croi­
sement de vfr. reiamme < regimine avec vfr. reial), mo fien <
moi fien < mei fien < mëdianu, do fien < dëcanu, no fier < nëcare,
bro fier < *brïcare (frc. *brëkan), pro fier < prëcare, so jier < së-
448 VOYELLES INACCENTUÉES D E SYLLABES IN IT IA LE S

care, plojier < plie are, lo fier < lïgare, lojien <lïgamen, vo fions
< vïdeamus (et vo fiant analogique du subjonctif), cro fions < *cre-
deamus (et cro fiant), etc.
Primaire ou secondaire, le groupe -o fy- des exemples ci-dessus
est phonétique. Il peut être aussi d’origine analogique. Ainsi dans
jo jiau et nofiau refaits sur vfr. joel ( < *focale) et vfr. noél (*nü-
cale) d'après le modèle : -el ( < -ëllu) : -ian ( — -ëllns, -ëllos), — dans
vofiel, vo fiele, pour vfr. voel, voele < vocale, influencés par voix
< voce ou refaits sur le plur. voieus < vocales.
Dans tous les cas, le groupe -o /y- a passé régulièrement à -ufy-
Les graphies du type fouier ne sont pas rares chez les écrivains du
xvie siècle. Cependant, à cette époque, deux prononciations nou­
velles apparaissent, dues l’une et l’autre à l’orthographe. Par
suite de la correspondance oi = [wç\ dans moi, toi, etc., un mot
comme foier (c’était la graphie courante) a commencé à se pro­
noncer [fwçe]. Ce phonétisme, il est vrai, n’a pas survécu tel quel.
Un croisement a eu lieu en effet entre l’ancienne prononciation
[juye] et la nouvelle [fwçe]. Il en est résulté un type [fwqye] qui a
fini par se généraliser dans la langue et qui a abouti à [fwaye].
Parallèlement à -a [y- et à -o fy-, le vfr. possédait encore un
groupe -ü fy- dans tu jiau = Hiiiêllu (frc. *ßuta). Là aussi, à cause
de l’équivalence ui = [wi] dans nuit, lui, etc., on a eu tout d’abord
au xvie siècle une prononciation [twio], qui, par sa combinaison
avec l’ancienne [tüyo], a donné le moderne [twiyo].

R I. — U i de prier, scier, nier (= nëgare) est analogique de


e m a r q u e

prie < *prëcat, scie < sëcat, nie < nëgat.


R II. — Sur le modèle de proier, soier, devenus prier, scier,
e m a r q u e

les anciennes formes hier < llgare, loien < llgamen, ploier < pllcare ont
passé eux-mêmes à lier, lien, plier (ce dernier cependant à côté de ployer ;
cf. aussi déplier — déployer).
R e m a r q u e III. — Légal, légalement, régale, etc. sont des formes sa­
vantes.

4 ° C o n s o n n e -f- v o y e l l e i n i t i a l e . — On étudiera successi­


vement les cas de ka'-, ga'-, de e précédé d’une consonne palatale,
les cas de labialisation et la réduction de wç- à ç.

a) Ka-, Ga-, — En syllabe ouverte,, l’a des groupes initiaux


ca’-, ga’- a passé à ç en gallo-roman, d’où plus tard [?] et finale­
ment [œ]. Ex. : caballu > cheval, *cadutu > vfr. chëu (auj. -chu
dans déchu), *cadantia (1. cl. cadenlia) > vfr. chëance (auj. chance),
caminata > cheminée, *camïnu > chemin, camïsia > chemise, ca-
nale > chenal, *canile > chenil, canabüla > vfr. chenole, canûtu >
chenu, capislru > chevêtre, capreôlu > chevreuil, *capriône > che­
vron, casale > vfr. chesal, catabôla > vfr. chëable, *catünu (— xceri
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 449
+ ünu) > vfr. chëun, c(l)avïcüla > cheville, etc. ; — gallïna
geline, Gamapius (vicus) > Jemappes, *garofülu (cl. caryophyl-
lum) > vfr. gerofle, etc.

Cependant l’a initial s’est conservé dans un certain nombre de


cas :

1° Devant un / explosif vélaire, dans calore > chaleur, Colon-


nas > Chalonnes, calümniat > vfr. chalonge, Galoniacu > Jalo-
gny-

2° Par suite d’une dissimilation «préventive », lorsque la voyelle


de la syllabe suivante était un e primaire ou secondaire, accentué
ou non. Ex. de e accentué primaire : *cadëre (cl. cadëre) > vfr.
chaeir, calëre > vfr. chaleir, camëlu > vfr. chameil, *camëllu >
vfr. charnel, *capëre (cl. capëre) > vfr. chaveir, *catëllu > vfr.
chael, catena > vfr. chaeine, cathedra > vfr. chaiere, etc. et gabëlla
> javelle, galëta > vfr. jaleie, etc. ; — de e accentué provenant de
lat. a : canale > vfr. chanel (cf. angl. channel), cavare > vfr. chaver,
et gadale > vfr. jael ; — de e inaccentué issu de a lat. prétonique
interne : calamellu > vfr. chalemel (auj. chalumeau), Catalaunis
> vfr. Chaëlons (auj. Châlons), catalëdu > vfr. chaëlit, etc. — de
e lat. prétonique interne : canïstëllu > vfr. chanestel, *catëni5ne
> vfr. chaeignon (auj. chignon), *catafalcu > vfr. (es)chadefauc,
*cadlmentu > vfr. chaëment, etc.

3° Lorsque la consonne suivante était un y explosif. Ex. *ca-


veola > vfr. jaiole (auj. geôle), *gagante (cl. gïgantem) > vfr.
jaiant (auj. géant), gagate > vfr. jaiet (auj. jais).
Des exemples ci-dessus, il résulte que la fermeture de a dans
les groupes initiaux cal et ga- est postérieure à celle de a accentué
dans mare > mer et à celle de a prétonique interne dans ornamentu
> ornement. De plus, la série *caveôla > vfr. jaiole, etc. laisse
supposer que la fermeture de a initial dans caballu > cheval,
gallïna > vfr. geline, etc. est due à l’action non de ts- ou de rff-,
mais de tsy- et d zy- précédents. Lorsque l’a initial était suivi d’un
y, ce dernier a amené par dissimilation la réduction de tsy- et de
dzy- à ts- et dé-. Dans ces conditions, l’a initial n’étant plus précédé
d’un y, la fermeture, n’a pas eu lieu.
En syllabe fermée, l’a des groupes initiaux ca-, ga- s’est con­
servé. Ex. : *catafalcu > vfr. chafaud, cannabula > vfr. chanole,
*cappône > chapon, cap(i)tale > vfr. chatel et chadel, cap(i)taneu
> vfr. châtaigne, captivu > vfr. chatij, castanea > châtaigne,
castëllu > vfr. chastel (auj. château), castïgat > châtie, *cascünu
(< quïsquc -ünu + *catünu) > chacun, carbone > charbon, car-
done (cl. carduus) > chardon, carrûca > charrue, etc. ; — et *gall(i)-
care > jauger, galbïnu > v. fr. jalne (auj. jaune), germ. *gardinu
> jardin, *garrïca > v. fr. jarrie, *garrïciu > v. fr. jarris, etc,
450 VOYELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

Cette alternance entre e et a a pu être détruite, parfois dès l’épo­


que prélittéraire, par le jeu de l’analogie ou de l’assimilation.

1° C’est ainsi que l’on a avec e initial et non a : vfr. chevel (auj.
cheveu) < capïllu, chevesne — chevanne < capïlîne, vfr. chevelai-
gne < *capïtaneu d’après *tsevo (> chef) < capul ; — vfr. chëoite
< *cadêcta, vfr. chëoir (auj. choir) < *cadëre, vfr. cheëmenl < *ca~
dïmenlu d’après vfr. chëu < cadütu ; etc. Quant à vfr. chever < ca-
vare, il peut être dû à une proportion achieve < *adcapat : achever
< *adcapare = chieve < cavat : chever. Enfin, le changement de
chan- en chen- dans Chenelieu < Cananaeu, cheneviere — vfr.
chenevuis (auj. chénevis) — chénevotte — vfr. chenevaz, tous déri­
vés de *can(n)apu, peut s’expliquer par le passage de vfr. chasne
< cassünu à vfr. chaisne (auj. chêne).
Par contre, on a un a initial au lieu de e dans : charogne < *ca-
rônea d’après carne > vfr. charn — char (auj. chair) ; — vfr.
chalin « chaleur étouffante » < calïgine d’après calore > chaleur ;
— vfr. chaori « petit chien » d’après chael < *calëllu ; — vfr. chaun
< *catûnu d’après chascun < *cascûnu ; — vfr. chalf < *cadïvu
d’après vfr. chaeir < *cadëre ; etc.
11 va sans dire que des mots comme caldaria < chaudière, *cap-
pëllu > vfr. chapel (auj. chapeau), cappëlla < chapelle, *capiiare
> chasser, *carru + -ilia > charetle, *carr(ï)care > charger,
*garra + -ïltu > jarret, etc. peuvent avoir été sous la dépendance
de cal(i)du > chaud, cappa > chape, *capliat > chasse, carru
> char, *carr(i)cat > charge, *garra > vfr. jarre, etc. Mais cette
dépendance n’est pas nécessaire pour expliquer l’a initial. La pre­
mière syllabe étant fermée, c’est cette voyelle que l’on attend pho­
nétiquement.

2° Postérieurement, l’assimilation a pu jouer aussi son rôle.


C’est ainsi qu’on a e — a > a — a dans vfr. chaable > *catabola,
et a — e > e — e dans vfr. chëel < *catëllu et vfr. chetel < cap(i)-
taie (auj. cheptel).

R e m a r q u e I. — Le vfr. jëun (auj. jeun) peut aussi bien remonter,


d'après ce qui a été dit, à jejunu qu’à jajunu, tous les deux attestés. Quant
au vfr. jenvier (auj. janvier) il provient de jenfu jariu (cf. cast, enero) et non
de ja rifu ja riu : dans cette dernière forme en effet l’a initial se serait mainte­
nu par dissimilation «préventive » devant le -ier de la terminaison.
R II. — L'a initial s’est conservé dans un certain nombre de
e m a r q u e

mots savants, tels que chanoine < canonicu, chapitre < capitülu, charité
< caritale, chapitel (auj. chapiteau) < *capilëllu, chasuble < casûbla,
v. fr. jagonce < gr. hiactjnlhu, etc. A plus forte raison, le trouve-t-on dans
les mots d’emprunt : chamois < camôce qui vient du Sud-Est, chaleil <
cnllcülu qui est du Midi, chamade qui provient de l’ital. du Nord ciamada,
etc.
Re m a r q u eIII. — En face de chatif, le vfr. présente aussi chailif (d'où
auj. chétif), qui remonte à une forme *cactivu, avec assimilation de p sous
l'action du c initial de mot.
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 451

Re m a r q u eIV. — Dans les dialectes d u Nord, l’a des groupes initiaux


ca-, ga- s’est conservé intact ; cf. caviaus < caplllos dans Aucassin, kaveslre
< caplslru dans Aiol ; etc. Ces formes avec a se rencontrent encore aujour­
d’hui dans les patois.

b) Ge-. — Au contact de la prépalatale précédente, Ye initial


provenant de a s’est fermé en i dans vfr. gerofle > fr. mod.
girofle et dans Gironde < * Geronde < *Garunda,

c) Labialisations. — Faisant < *facenle (cl. fadentem), faisait


< *facêbat (cl. fadebat) sont devenus vers le xvie siècle [fœzà],
[fœzç], par suite de la labialisation de l’[ç] provenant de la diph­
tongue ai, au contact de / initial. Il faut rapprocher de ces deux
exemples, celui de faisan (= phasianu), emprunté au provençal au
xm e siècle, qui se prononce [fœzà].

d) Rédudion de wçà ç. — L’ancien froissure < *frïxura (p. 184),


après avoir passé à \fmesure], est devenu fressure, par suite de la
réduction du groupe [wç] devant le groupe initial fr-. On a un
phénomène analogue dans le cast, frenle, qui provient d’un ancien
fruente < frönte. Dans faiscelle < fïscella, au contraire, le w du
groupe \fwç-] a été absorbé par la labio-dentale précédente. Un
phénomène identique s’est produit dans métayer, anciennement
meiteier, moiteier, dérivé de meilié — moitié < medietate. Le w du
groupe initial [mwç] s’est amuï au contact de m; d’où ensuite
\më-]. Il en est de même dans métairie < vfr. moiteierie, dérivé
à son tour de moiteier. L’évolution a été encore plus poussée dans
mitaine et mitoyen, qui proviennent de vfr. *moilaine et moileen
— moiteien, appartenant eux aussi à la famille de medietate. Là
encore le [wç] des anciennes formes s’est d’abord réduit à [e] > [ç]
comme dans métayer, métairie. Mais de plus, et sans doute sous
l'influence de mi < mëdiu, cet e s’est fermé en i.
R . — Dans froisser, la conservation de [w
e m a r q u e ç], devenu plus tard
[wa], est dû à l’action analogique de froisse < *früstiat.

5° Conso n n e -f- v o y elle initiale -f consonne. — On étu­


diera successivement les cas de labialisation et de fermeture.

a) Labialisations. — Avant la fermeture de [a?] inaccentué en


[ü] dans du, sur, prudhomme, etc. (cf. ci-dessus, p. 429), l’[f] initial
a passé à \œ\ sous l’action des consonnes labiales environnantes
dans vfr. bcvant < bïbenle, vfr. femier < *fimariu, *vfr. ferner
< *fïmare, vfr. abevrer < *adbïberare, femelle < *feminella, etc.
D’où, après fermeture de [œ] inaccentué à [ïi], les formes du fr.
mod. buvant, fumier, fumer et celles du vfr. abuvrer, fumelle,
452 VOYELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

La même évolution se constate au double contact d’une labiale


proprement dite (m) et d’une prépalatale (i) ou d’une sifflante
(s) dont l’articulation linguale s’accompagne d’un léger arrondis­
sement des lèvres ; cf. fr. mod. jumeaux < v. fr. gemeaus <
gemèllos et v. fr. sumer (encore chez Villon) < sem(i)nare, avec
son dérivé sumence.
La labialisation a pu enfin se produire même lorsque l’une des
deux labiales n’était pas contiguë avec l’[f] ; cf. vfr. prumier < pre­
mier (qui survit encore aujourd’hui en wallon et en picard p. ex.)
et v. pic. jrumer < fremer < fermer < fïrmare.

R I . — Sous l’influence de abreuve, la langue a maintenu l ’ [œ ]


e m a r q u e

dans abreuver et l’ancien abuvrer a disparu. Cf. encore breuvage, à côté du


vfr. bruvage.
Re m a r q u e I I . — Affubler « *adfïbulare) s’explique par la labialisa­
tion en [iï] de l'i étymologique, sous la double action de ƒ et de b.

b) Fermetures. — Pour jacente, on a eu tout d’abord une forme


*dzyaidzante, parallèle à *dzyaidzet < jacet. Dans les deux cas,
on a donc eu une triphtongue -yai-. De même que la triphtongue
accentuée de *dzyaidzet, par assimilation de a médial en e:, puis
i sous l’action des deux y environnants, s’est réduite h i dans
vfr. gist (auj. gît dans ci-gît), de même la triphtongue de *diyaid-
zante a abouti à i dans gisant.
En face de gisant, on devrait avoir, semble-t-il, *gisir < jacêre.
Mais le vfr. ne connaît que gésir. Sans doute pour prévenir une
séquence i — i que la langue aurait aussitôt remplacée par e — i,
la triphtongue -yei-, provenant de -yai- dans *dzyaidzire, n’a-t-elle
pas passé à -yii- et s’est-elle réduite à -ye- ; d’où, par fusion du y
avec la prépalatale initiale, simplement e.
Jëctare, lui aussi, aurait dû aboutir à Agiter, par l’étape*dzyei-
tier, à condition qu’il eût conservé son groupe -et-. Mais, par suite
d’une assimilation consonantique devant l’accent, jectare est
devenu de bonne heure *jetlare ; d’où v. fr. geter, auj. jeter. Si on
a giter en v. fr. il s’agit d’une fermeture de e initial en i sous l’ac­
tion de la consonne palatale précédente (p. 451).

B. — Actions à distance

On distinguera des phénomènes de dilation, d’assimilation et


de dissimilation.
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 453
1 ° D il a t io n s .

Il faut entendre par là les phénomènes de fermeture dus à l’ac­


tion d’un i, d’un y ou d’un w séparés du phonème influencé par
une ou plusieurs consonnes.
Ainsi l’o de collïbertu semble avoir passé à u, sous l’action de \’i
de la syllabe suivante. D’où v. fr. culvert — ouvert. Il faut pour­
tant noter que la fermeture de o ne peut s’expliquer ici par les
moyens du gallo-roman. Collibertu étant un terme de droit féodal,
c’est sans doute dans la bouche des Francs que le phénomène a
eu lieu, parallèlement à ce que l’on constate pour mônëta > *mo-
nita > v. ha. muniza (all. Münze), môlina > v. ha. mulina (ail.
Mühle), etc. Le v. fr. possède aussi une forme cuivert qui paraît
résulter d’une dissimilation l — l > l — 0 dans la forme non
syncopée culibertos précédée de l’article défini.
R I. — Colibert, qui existe aussi envfr.,est une forme savante.
e m a r q u e

R II. — L’existence de co(i)llier (> port, colher) en v. fr.


e m a r q u e

interdit de penser pour l’ancien cu(i)llier à un type cochlearin, dans lequel


la double action dilatrice de y aurait fermé l’oen u (> ü) à l’étape *colayryo.
D’autre part, on ne saurait expliquer le groupe tùi du fr. mod. [kiùiyçr]
par cuit, cuisine, comme certains le font. Peut-être faudrait-il partir de
*cocülyare ; cf. lat. coculea (Ernout-M., sv. cochlea), agl.-sax. cuculer. Lors
de l’ouverture de u en o, l’u de *cocültjare aurait maintenu son timbre
par dissimilation préventive, et après cette date *coculyare aurait passé
à *culyare par réduction haplologique (cf. culiare a. 780, H. Schuchardt,
Vok. I, 433) ; d’où v. fr. cu(i)llier avec [ü]. Quant à la prononciation
actuelle avec wi, elle serait due à l’orthographe.
Quant au vfr. igal, il remonte à un ancien *egwale (forme plus
ou moins savante) < aequale, dans lequel Ve initial s’est fermé en i
sous l’action du w de la seconde syllabe. Le même phénomène s’est
produit dans le v. prov. igal et l’esp., catal. igual. A ce compte-
là, le fr. mod. égal se dénote comme plus savant, avec son [ç]
initial. Pour les continuateurs populaires de aequale, cf. ci-dessous,
p. 455.

2 ° Assimilations
A la différence de ce qui se produit pour la dilation, la voyelle
initiale prend le même timbre que la voyelle suivante qui l’influence.

Plusieurs cas se présentent :

e — à > a — d : dans *bïlancia > *balancia > balance, *trl-


paliu > *trapaliu > travail, sïlvaticu > *salvaticu > vfr. salvage
(auj. sauvage), *trïmaculu > *tramaclu > tramail, *erame (cl. aera-
men) > *arame > vfr. arain (auj. airain), *dzçgante (cl. gïgan-
tem) > *dzaganle > vfr. jaiant (auj. géant), fênare > *janare > fa-
454 VOYELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

ner, *glënare > *glanare > glaner, rëmare > *ramarc > ramer,
vfr. mesnage ( < *nmnsionaticu) vfr. masnage, vfr. esrachier ( < *ex-
radicare) > arracher, vfr. crevante (< *crepantat) > vfr. (a)cra-
vente, menace (< *mïnatiat) > vfr. manatee (Eulalie), etc. A ces
exemples, il faut ajouter *perpendiu > *parpenniu > parpaing,
mercatu > mareatn > marché, *mercare (germ, merken) > *mar-
eare > marquer dont il a été déjà question p. 446. Pour aetafe,
*aetaticu. cf. p. 440.
Sans doute *jetone (dérivé de fétus) est-il devenu *fatone sur le
modèle de *fatare ( < fëtare). *Fatone à son tour a donné régulière­
ment faon — vfr. [faon], fr. mod. \fà\.
De même, la préposition par s’explique probablement par une
assimilation dans le groupe per ad. On a eu tout d’abord *par ad
et de *par ad on a extrait la forme isolée par. Une fois per étant
devenu par, des verbes comme pervenire, perdonare, etc. ont été
transformés à leur tour en *parvenue, *pardonare, etc., d’où par­
venir. pardonner, etc. Per mediu a passé lui aussi à *par mediu, d’où
parmi. Për- n’a conservé son ancien vocalisme que dans les formes
savantes du type percevoir, perfection (à côté de parfait), permet­
tre, etc.
R . — Jaloux (< zelôsu), avec a, est analogique de jalousie.
e m a r q u e

Quant à l’a de ce dernier, il s’explique sans doute, au contraire des exemples


ci-dessus, par une assimilation de e initial avec un a précédent, dans l’an­
cien groupe la *jelosie.

e — ó > o — 6 dans praeposlu > vfr. provost, *rënione >


*ronione > rognon.

e — 11 > u — u dans vfr. berouelte ( < birrotis -f- ïtta) > vfr.
bourouaite (auj. brouette).

0 — e > e — e dans vfr. chatel (< capitale) > vfr. chetel, avec
M , Puis [*<*-]> auj. cheptel = [sœfel] et [Sçptçl] d’après l’ortho­
graphe.

o — ce > ce — œ dans mo(n)sieur (la forme mossieu est encore


employée dans la comédie) > fmœsyœ].

o — a > a — a dans vfr. ochaison ( < occasione) > vfr. achai-


son — achoison — achison et dans *forasticu > vfr. farasche. Le
fr. farouche pourrait bien être un croisement de farasche avec
feroge < *feroiicu.

On ne peut cependant pas parler d’assimilation dans le cas de


ici, ni dans celui de vfr. icil, icisl, etc., composés à l’aide de l’adverbe
ecce. Comme on l’a déjà vu p. 424, l’i initial de ces formes, loin de
continuer l’e initial de ecce représente au contraire le latin hic.
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 455

3° D is s im il a t io n s

Ici encore plusieurs cas se présentent :

e — e > a — e dans pïgrïtia > *perece > paresse.

e — e > o — e dans aequale > *ewel > vfr. owel — oel, se-
quenter > *sewenlre > vfr. sovcnire — soentre.

e — e > i — e dans *hïnmdëlla > *erondelIe > hirondelle


Desideriu > *Disderiu > Didier, caementu > *cementu > ciment,
levïstica > Hevesleca > livêche, aequale > *ewel > vfr. iwel — ivel
(d’où ivelté), *heresia > vfr. eresic > vfr. iresie (Aiol), *esnellu
(frc. snel) > *esnel > vfr. isnel, etc. De même, le fr. piuoine((yfr.
pioine) est dû à une dissimilation e — e > i — e qui s’est produite
à l’étape [pewçnç]. Il faut encore signaler le cas du vfr. ireter ( =
hereditäre), dont le vocalisme s’explique en partant de la 3e pers.
sing, indic. prés. Dans *erete < hëreditat, la succession de deux e
a été évitée par le changement de e initial en i, le second s’étant
maintenu à cause de l’accent. Ireter est donc analogique de vfr.
irete. La forme phonétique de l’infinitif est en vfr. eriter (auj. héri­
ter), qui provient de la dissimilation de l’ç médial dans un plus
ancien * er eter. A son tour, le vfr. erite (auj. hérite) est analogique
de l’infinitif. Pour l’i initial de vfr. ireçon <*ericione, cf.ci-dessous
p. 489.

e — we > i — we dans *gremoire, autrefois avec [zuç] > gri­


moire, cf. p. 443.
a— a > e — a dans v. fr. damage > v. fr. demage (p. 444),
gramaire > *gremaire (p. 443).

a — a > a — i dans adamante > *adimante, d’où vfr. aimant,


auj. aimant (p. 437).

a — a > o — a dans *danariu (assimilation de denariu) >


> *donariu > vfr. donier, à propos duquel on peut cependant
penser à l’influence de don, donne ; *damnaticu > dommage.

o — o > e — o dans conuc(u)la > quenouille, rotündu > *ro-


tondo > vfr. rëont (auj. rond), *rotûndiare > vfr. rëoignier (auj.
regner), sororicu---- a > vfr. serorge, *büllucea > *bollotsa > be-
loce, corona > vfr. querone, scrore > vfr. serer, honore > vfr. enor,
sübmon(i)ta > vfr. semoule, *sübmonëre > semondre (cf. aussi
semonce), süccüssa > secousse, süccürrit > secourt, *süb-longu >
selon, *sporone > éperon, et *sûb-diümat vfr. séjourné (aussi séjour)
avec [c], puis [œ], auj. séjourne avec un [?] de régression ; cf. ci-
dessus p. 432.
456 VOYELLES INACCENTUÉES DE SYLLABES INITIALES

Natale a abouti régulièrement en vfr. à nael ou aussi neel, par


assimilation de a initial. Cependant ces formes sont très rares. La
forme courante en vfr. est déjà noel, seul conservé dans la langue
moderne, et qui suppose un type *notale. Ce *notale peut-il s’expli­
quer par une dissimilatiob a — a > o — a ? L’exemple de natare
> *notare > vfr. nocr permet de le penser, quoique ce ne soit pas
l’opinion courante. D'ailleurs l’action dissimilatrice a pu être
favorisée dans *notale soit par une influence de növus, soit plutôt
par une une influence de nötiis. Dans l’office de Noel, en effet, le
verset : «Notum fecit Dominus saltare suum» revient à plusieurs
reprises. Un croisement entre natale et notum n’est pas impossible
dans les milieux ecclésiastiques de l’époque gallo-romane.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de supposer une dissi­
milation i — i > e — I dans vïcïnu > voisin, dïvïnu — devin,
vïtïc(u)la > vfr. veille, *pïtpïta (cl. pïtuïta) > pépie, etc. D’après
la loi de l’abrègement vocalique dont il a été question pp. 184 sq.,
un mot comme vïcïnu a passé régulièrement à vïcïnu, avec un i
bref initial qui s’est ensuite ouvert en e. Fïnïre est dans le même
cas et a donné normalement fenir en v. fr. (le fr. mod. finir est
calqué sur le latin).
Le cas de demi < *dïmëdiu (cl. dlmïdium) est analogue. On n’a
pas besoin de faire intervenir une dissimilation i — i > e — i
dans un intermédiaire *dimi. L’i initial de *dïmediu s’est abrégé
régulièrement en i : on a eu ainsi demi et jamais *dimi.
Par contre, dans les formes comme mïsïstl, dïxîstï, etc., où 17
initial a dû se maintenir long sous l’influence de mïsi, dïxi, etc.
la dissimilation i — i > e — i a eu lieu, d’où le vfr. mesis, de-
sis, etc.
Il faut de plus mentionner les cas de dissimilation « préventive ».
Un mot comme hïbernu a passé anciennement à *hïbernu. Au mo­
ment de l’ouverture de ï en e, ce dernier aurait dû aboutir à *everne
(d’où *ever en français). Mais on aurait eu alors une succession
e ~ é, que la langue n’aurait pas tolérée. Pour l’éviter, elle a
maintenu le timbre de ï, d’où hiver. C’est d’une façon analogue
que s’explique 17 ciseau ( = cïsëUus, cl. cïsëllus). Dans vlcînatu qui
a donné visné en vfr., les deux F, étant inaccentués, se sont abrégés,
d’où une forme *vïcïnatu qui, après l’ouverture de ï, devait aboutir
à *veydzenado. Là aussi, la succession de deux e a été évitée et 17“
initial, le plus fort, a conservé son timbre. Pour la même raison, 17“
de dïsje(ju)nare n’a pas passé à e, d’où, après la syncope de la pré­
tonique interne, *disnare > vfr. disner, auj. dîner. Dans le vfr.
desjune, au contraire, rien ne s’opposant à l’ouverture de i en ç,
celle-ci a eu lieu.
Enfin, dans certains mots, la dissimilation a pu amener la chute
d’un des éléments vocaliques de la syllabe initiale. Le cas se pré­
sente pour la diphtongue au : elle s’est réduite de bonne heure à
a, lorsque la voyelle accentuée de la syllabe suivante était un u ou
un o. Ex. : augâslu > *agustu > août, auguriu > *aguriu > vfr.
ëur (auj. -heur dans bonheur, malheur), Laudünu > *Ladüm
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 457

> Laon, Saucona > *Sacona > Safne, Autüra > *Atüra >
Eure, etc. Le même phénomène s’est produit dans auscultât >
*ascultat, dont l’initiale s’est ensuite confondue avec le préfixe
es- < ex- ; d’où v. fr. escoute, auj. écoute. Parallèlement, dans le
v. fr. coissin < *coxïnu, la diphtongue oi s’est réduite à o sous
l’action dissimilatrice de l’i accentué suivant d’où v. fr. cossin,
auj. coussin. Il est encore probable que le changement de v. fr.
uisine < *ofïcïna en usine s’explique par la réduction de [üi]
à [ü] dans les mêmes conditions, et non par le passage de [$i]
à [ü] qui ne s’est produit que plus tard dans v. fr. luiter (< v. fr.
luitier) > lutter, d’ailleurs sans i accentué dans la syllabe suivante.

C. — Actions combinées

Praebenda est devenu provende par suite d’une dissimilation de


e — é et de l’action labialisante de b sur e initial.
Quant à ivraie, il provient directement d’une forme *eibryaga
< ëbriaca (herba), dans laquelle Ye initial s’est formé en i sous
l’action du second élément de la diphtongue ei et sous l’influence
du y de la seconde syllabe.

R . —
e m a r q u e D ans auctoricare, l a d i p h t o n g u e au a m a i n t e n u s o n
second v f r . otreiier — oiroier, a u j . octroyer), p a r c e q u ’ a u m o ­
é lé m e n t ( d 'o ù
m ent où augùstu p a s s a i t à *agüstu, l ’ o p r é t o n i q u e i n t e r n e é t a i t d é j à t o m b é
et que d a n s *autregare, l a d i p h t o n g u e ay n ’ é t a i t p a s s u i v i e d ’u n o d a n s l a
s ec o n d e s y lla b e .
CHAPITRE IX

PÉNULTIÈMES ATONES

D’une façon générale, les pénultièmes atones latines ont perdu


leur individualité syllabique en français. Cela, par l’effet d’une
syncope ou non. Cependant elles se sont parfois maintenues; dans
ce cas, la voyelle finale s’est amuïe.
Ainsi, d’une manière ou d’une autre, le type proparoxytonique
latin a complètement disparu en français dès l’époque prélitté­
raire. Les proparoxytons latins sont tous devenus paroxytons.
On verra plus loin pp. 506 sq. qu’à leur tour ces paroxytons secon­
daires, de même que les paroxytons originaires, ont fini par céder
la place à des oxytons, au cours de l’histoire de la langue.

I. — LA PÉNULTIÈME ATONE
PERD SON INDIVIDUALITÉ SYLLABIQUE
SANS QU’IL Y AIT SYNCOPE

C’est ce qui se produit chaque fois que la pénultième atone s’est


trouvée en hiatus avec une autre voyelle, accentuée ou non. L’hia­
tus peut d’ailleurs être primaire, comme dans le latin tenue, impe­
rium, etc., ou secondaire et provenir de la chute d’une consonne
intervocalique.

Plusieurs cas se présentent.

10 La pénultième atone peut se combiner avec la voyelle finale


pour former une diphtongue inaccentuée, qui se monophtongue
de bonne heure.
amuïssement sans syncope 459
Ex. : gr. sarcöphagu > *sarcöfau > sarcöfo> *sarcöwo > vfr. sarcueu
(auj. cercueil) ; eelt. uérlragu > *veltrau > *vellro > vautre ;
eelt. Rotömagu > Rothomau — Rolhomo (dans Fredégaire) >
Rouen ; eelt. Catömagu > *Catömau > *Calömo > Caen ; eelt.
Dorocóregu > *DorcÖreu > Dorcörou > *Dorcöro > Donqueur ;
rëprohu > *rëprou > * repro > vlr. enrievre, etc.

2° La pénultième atone peut ou bien se fondre dans la voyelle


accentuée précédente, ou bien se combiner avec elle pour former
une diphtongue qui s’est monophtonguée dans la suite.
Ex. du premier cas : digïlu > *dïyïtu > *dllu (avec / long relâ­
ché) > vfr. deit — doit (auj. doigt) ; calïgine > *calîyïne > câ­
line (avec f long tendu) > vfr. > chalin ; vertïgîne > avertin etc.
Ex. du second cas : plantaglne > *planlayïne > *plantaine >
plantain ; indagïne > andain ; fusagïne > fusain ; propagïne >
vfr. provain (auj. provin) ; magïde > mayïde > *maide > mait
magïda > vfr. maie ; rügïtu > vfr. ruit (auj. rut) ; etc.
La syncope est encore apparente dans le cas de côgïtat — *placï-
tat et *vocïtat. Avec la sonorisation de -ce à - ge dans les deux der­
niers mots et le passage de -g6 à -yy- cf. vol. III : Consonnes
on a eu *cu(y)yïtat *pla(y)yïtat et *vuo(y)yïtat ; d’où, après la
disparition du y, un i en hiatus qui a permis la sonorisation du
t suivant ; dans v fr. cuide, plaide, v fr. vuide (auj. vide).
De même placïto est devenu pla(y)yïto, *plaito, *plaido et
après la chute de la voyelle finale plait en vfr. (auj. plaid).
Quant à l’adjectif verbal *vocïtiis, il a donné régulièrement en
vfr. vuit (qui correspond à plait), fém. vuide. La généralisation de
la forme du féminin dès l’ancien français s’explique par la conju­
gaison.

3° La pénultième atone peut se consonantistT. Ainsi dans


tenüe > *tenwe > vfr. tenue, — lanve, vïdûa > vïdwa > vfr. vedve
— veve, et dans les mots du type film, *vïnïa (cl. vinea), etc., deve­
nus de bonne heure *fllyu, *vïnya, etc. Ainsi encore dans les pro­
paroxytons en ’-ïcu, la terminaison -àticu, par exemple, a passé
par les étapes : *âdigu, *-ddiu pour aboutir à *-âdyo et finalement
à vfr. [- adzç], auj. [-ai], dans *villatka > village, *coraticu > cou­
rage, *ripatïcu > rivage, silvatten > sauvage, etc. On a de même
pour -ëtïcu et -ëdïcu : Gemëticos > Jumièges, mëdlcu > vfr. miege
*sëdïcu > siège, *pëdïcu (cl. pëdïca) > piège, etc.
Lorsque la terminaison -ïcu était précédée d’un t quittant
appuyé par une consonne n’a pu se sonoriser, on a eu comme
résultat, au lieu d’une affriquée ou d’une constrictive prépalatale
sonores, une affriquée ou une constrictive prépalatale sourde ;
cf. portion > vfr. [pgrtsf], auj. porche \ Përlïcu > (le) Perche ;
Aventïcos > Avanches, etc.
460 VOYELLES INACCENTUÉES : PÉ N U L T IÈ M E S ATONES

4° L’i pénultième atone a pu se consonantiser en y, comme dans


le paragraphe 3. Mais, à son tour, ce y a pu se transposer devant
la consonne précédente et se trouver ainsi en contact avec la
voyelle accentuée, comme dans le paragraphe 2.

a) Dans une première série de mots, la combinaison a produit


tout d’abord une diphtongue. Il en est ainsi, par exemple, pour
grammatica > grammaire, dalmatïca > vfr. daumaire, arte-ma-
(thema)tica > vfr. artimaire, qui présentent d’ailleurs un traite­
ment savant de la terminaison -âtica : *-adye > *-ahye > *-arye.
Le premier élément de la diphtongue ai ainsi obtenue correspond
à la voyelle accentuée de -âtïca ; le second, à l’ancienne pénul­
tième atone.
Le même cas se présente pour les formes du français primitif :
apostolie < apostolïcu, chanonie < canonïcu, estorie < hïstorïa>
glorie < gloria, memorie < memoria, monie < monicu (CIL,
XIII, 2431), palie < palliu, savie < *sabiu, estudie < studia,
rustie < rusticu, etc. (avec i = y), qui sont devenues dès le vfr.,
par suite de la transposition de y, apostoile, chanoine, estoire, gloire,
memoire, paile, saive, estuire, ruiste, etc., avec des diphtongues oi,
ai, devenues plus tard [wç] — [wa] dans chanoine, histoire, etc.,
[g] puis [wç\ — [u>a] dans poêle « drap mortuaire ».

b) Dans une seconde série de mots avec i primaire ou secon­


daire accentué, le y issu de la consonantisation de ï pénultième
atone, après s’être transposé devant la consonne précédente, a
disparu par simple fusion.
Ex. de i primaire (d’origine savante) : invïdïa > *envirie >
vfr. erwire ; homicïdïu. > *omecirie > vfr. omecire ; Aegidius
> vfr. Gilies et Giles — *Giries et Gires ; *fïtïcu > *fi$yç > fi-
ryç > vfr. fire « foie ».
Ex. de i secondaire, provenant soit de la fermeture de e dans la
diphtongue ie sous la double action du premier élément et du y
de la terminaison, — soit de la fermeture de e dans la diphtongue
e\ sous la double action du second élément et du y de la terminai­
son : impërïu > *empierye > vfr. empirie — empire ; matërïa >
*matieryç > *malirye > vfr. matire ; coemetërïu > *cemetieryç >
vfr. cimetire ; remëdïu > *remiehye > *remierye > *remiry§ >
vfr. remire ; evangëlïu > *evangielye > *evangily °ç > évangile, etc.
— ëbrïu > *eibryf > *ivryç > ivre.

II. — LA PÉNULTIÈME ATONE SUBIT LA SYNCOPE

r» ■ • ' 1’ -— — ,1^.1 ; ; TV1 l;t rw'.TiTi I ( i À m i t 'itn n p psi


SYNCOPE LATINE 461
Cette chute s’est d’ailleurs produite à différentes époques. Pour
beaucoup de mots, il est impossible d’en déterminer la date. Pour
d'autres, au contraire, certains points de repère, permettent de la
fixer d’une façon approximative.
On peut distinguer en tout cas une « syncope latine », une « syn­
cope gallo-romaine » et une « syncope gallo-romane ».

A. — Syncope latine

Certaines syncopes sont communes à l’ensemble ou à une partie


notable des parlers romans. De ce fait, on peut les faire remonter
à l’époque latine de la fin de la République ou du début de l’Em­
pire. Il semble, en effet, que dans le sermo cotidianus la rapidité
du débit ait entraîné la chute de la pénultième atone dans un
certain nombre de cas.

1° Entre r, l d’une part et p, t, d, g, m, de l’autre. Des formes


syncopées, l’une, lardum, a été adoptée par la langue littéraire,
à côté de laridum ; d’autres sont attestées par des auteurs parti­
culiers : caldus (Varron) < calïdus, soldus (id.) < solïdus, vïrdis
(Caton) < vïrïdis. D’où en fr. lard, chaud, sou (vfr. soit, sout), veit ;
à rapprocher de l’ital., portg. lardo, caldo, soldo, verde, du cast.
lardo, caldo, sueldo, verde, du roum. cald, verde, et du v. prov. lart,
calt, sol, vert. Malgré l’absence de formes latines attestées, l’accord
des langues romanes permet encore de supposer pour la même
époque les réductions *falta < *fallïta, *tölta < *tôllïla, *volta
< *volvïta, *solta < solvïta, *calmu < calamu, *cölgit < colligit,
*colpu < colapu, *alquid < alïquid *ermu < ërëmu et peut-être
aussi *calmu < calamu. D’où faute, vfr. volte « direction », vfr.
soit — e (auj. -sout---- e dans absout---- e, dissout---- e), cueille,
coup, vfr. erm, chaume ; à rapprocher de l’ital. falla (vx), volta,
solia, coglie, colpo, ermo, calmo, du cast, vuelta, suelto, coje, yermo,
du portg. volta, solio, colhe, ermo, du v. prov. falta, volta, soit, cuelh,
colp, erm, du catal. falta( < cast., portg. falta), volta, soit, cull, cop,
erm. De même, l’infinitif *ergëre < erïgëre supposé par toutes les
langues romanes (cf. vfr. aerdre) postule pour l’époque latine une
forme *ërgo pour ërigo.

2° Entre s et t dans postus, attesté à côté de posïtus, et d’où


proviennent, outre le vfr. -post (dans compost) ou -vost (dans pre-
vost — provost < praeposlu), le roum. adàpost « abri » < deposlu,
l’ital. portg. posto, le cast, puesto, le v. prov. et le catal. post.
On ne peut cependant parler de syncope dans le cas de quacs-
tus qui existe eh latin à côté de quacsîlus. Ce sont là deux formes
indépendantes. dont' la seconde correspond au parfait quavsïvi et la
462 VOYELLES INACCENTUÉES : PÉ N U L T IÈ M E S ATONES

première a été refaite sur un parfait *quaes(s)ï, contraction de


quaeslin, d’après ussï ; iislum, gessï : gestum, hausl : haustum, etc.
Ainsi le vfr. -qucst(e) dans aquest, conquests, queste (auj. acquêt,
conquête, quête), de meme que l’ital. et le cast, conquista, ne sup­
pose pas de syncope.

3° Entre m et n dans dommis < dominus et domna < domina


(dommis est attesté dans Plaute) ; d’où vfr. dan — dame (fr.
mod. seulement dame), rourn. domn — doamnà, ital. donna, cast.
dueno — duefia, portg. domna.

4° Entre occlusives de même point d’articulation, dans nïtïdu


> *nïttu > fr., prov., catal. net, ital. netto, cast., portg. neto ; pütï-
du > *pültu > vfr., v. prov. put, ital. putto, cast., catal. puta ;
pëdïtu > *pëttu > fr., v. prov., catal., piemont., lomb. pet.

5° Entre p et t dans compülat > *comptat, d’où vfr. conte (auj


conte et compte), ital., prov., catal., portg. conta, cast, cuenta.

6° Dans *avïca > *auca, d’où proviennent le vfr. oue (fr. mod.
oie, d’origine dialectale, depuis le x v ie siècle, l’ital. et le catal. oca,
le v. prov. auca, — et sans doute aussi dans *nauïca > *nauca >
vfr. noue, *navïcu > *naucu > vfr. no « cercueil », catal. noc « au­
ge ». De fait, aucella se trouve déjà chez Varron ; naucula chez
Pline l’Ancien et nauculor chez Martial.

7° Le groupe -ïgï- des proparoxytons latins a subi aussi de


bonne heure une réduction. Mais cette évolution est double. Lors­
que rien n’est venu la contrarier, -ïgï- a passé à -ï- (f long tendu
dans le cas de -ïgï- ; ï long relâché dans celui de -ïgï-) ; lorsque,
au contraire, une influence analogique est intervenue, le g s’est
conservé et seule la pénultième atone est tombée.
Soit d’abord frïgïdu (pour frï- cf. p. 178). Les continuateurs
romans sont d’une part fr. froid, ital. freddo, réth. freid, catal.
fret, v. prov. freit — freg qui supposent un type *frïgdu ; de l’autre,
v. cast, frido (auj. frio) qui remonte à un type frïdu (cf. fridam
dans une inscription de Pompéi, CIL, IV, 1291). Frïgïdu a nor­
malement abouti à frïdu par une étape *frïyïdu ; si on a eu *frï-
gïdu > *frïgdu, c’est que l’influence de frïgus a maintenu le g.
De même, vïgïlat a donné régulièrement *vïlat (avec ï long relâ­
ché), d’où le cast, vela ; mais sous l’action de vïgil, on a eu *vïglat,
d’où le fr. veille, l’ital. vegghia (vx), le prov. vella et le catal. vetlla.
De même encore, *fïgïcat > *fïgcat > *fïccat s’explique par l’ac­
tion du verbe fïgo ; cf. fr. fiche, ital. ficca, cast, hinca, portg. finca.
Dans dïgïtu (p. 179) par contre, l’évolution du groupe -ïgï- a
été normale, la langue ne possédant pas de modèle qui pouvait la
SYNCOPE GALLO-ROMAINE 463

faire dévier. On a donc eu d’une part dïgïtu > *dîtu (avec î long
relâché), d’où v. fr. deit — doit (auj. doigt), cast., portg. dedo, v.
prov. det \ de l’autre, *dïgïtu > dïtu (avec î long tendu), d’où
ital. dito, catâl. dit.

8° C’est encore le cas de parler des proparoxytons latins en


'-ülu. Ces proparoxytons étaient de deux types : dans le premier,
-ülu continuait une ancienne terminaison diminutive -elo- (cf.
porculus, catulus, etc.) ; dans le second, la pénultième atone résul­
tait d’une épenthèse vocalique dans le suffixe instrumental -klo-
(cf. pocülum, vehicülum, etc.). Or, dans les proparoxytons du
second type, les formes sans voyelle épenthétique alternaient
phonétiquement, au cours de la déclinaison, avec les formes qui
en avaient une ; cf. pocülum, mais pocli. De même, la série figülus,
tabula, etc. alternait avec la série jiglïna, tablïnum, etc. Dans le
latin littéraire, des échanges se sont produits dans les deux sens
entre le type pocülum et le type pocli. Mais il semble que dans la
langue courante, la rapidité du débit ait fait préférer les formes
sans voyelle épenthétique et les ait étendues à toute la déclinaison.
A leur tour, et par analogie avec les proparoxytons instrumen­
taux les diminutifs en -ülu ont suivi le mouvement et ont laissé
tomber la pénultième.
C’est ainsi que dès le milieu du Ier siècle de notre ère, Pétrone
présente des formes comme bublum, manoplum, pediclum, ranu-
clum, etc., et que dans les inscriptions de Pompéi, antérieures
par définition à l’an 79 ap. J.-C., on trouve colicla, Felicia, Proclus,
mascl(os), musclos, mentla, subla, etc.
De fait, pour un mot tel que ocülus, toutes les langues romanes
attestent une syncope latine ; cf. fr. œil, ital. occhio, roum. ochiü,
v. prov. uelh, catal. ull, cast, ojo, portg. olho. C’est pour la même
raison qu’en plus de pedüc(ü)lu > vfr. pëoil (auj. pou), ranüc(ü)la
> vfr. renoille (auj. grenouillé), colüc(ü)la > quenouille, masc(ü)lu
vfr. masle (auj. mâle), müsc(ü)lu > moule, pour lesquels la syn­
cope est déjà attestée au début de notre ère, il faut encore faire
remonter à l’époque latine celle qui s’est produite dans a(v)ünc(ü)-
lu > oncle, amb(ü)lat > vfr. amble (auj. subst. amble), acücfü/la
> aiguille (avec ü et non m en vfr.), aurïc(u)la > oreille, genü-
c(ü)lu > vfr. genoil (auj. genou), misc(ü)lat > vfr. mesle (auj.
mêlé), rëg(ü)la > vfr. reille, *coag(ü)lai > caille, üng(ü)la >
ongle, vët(ü)lu > vieil — vieux, sït(ü)la > seille, côp(ü)la >
couple, etc. Pour tous ces proparoxytons, les langues romanes
présentent des continuateurs sans pénultième atone.

B. — Syncope gallo-rom aine

Au contraire des syncopes qui viennent d’être étudiées et qui


sont d’une extension générale ou presque générale, d’autres ne se
.161 VOYELLES IN A C C E N T U É E S P É N U L T IÈ M E S A TO N ES

présentent que dans telle ou telle langue romane. On s’occupera


ici de celles qui concernent exclusivement on non le français.
Ces syncopes se sont succédées depuis Centrée des Romains en
Gaule jusqu’au moment de la chute des voyelles finales autres
que a.
Cependant cette longue durée se laisse diviser elle-même en
deux grandes périodes. Le traitement de l’e et de Vü finals des
proparoxytons permet de les distinguer. En effet, dans les conti­
nuateurs français, ces deux voyelles se sont tantôt maintenues
avec le timbre de -e, et tantôt amuïes. On verra plus loin p. 500 à
quoi est due cette différence de traitement. De ce qui sera dit,
il résulte que certains proparoxytons latins ont été syncopés avant
les invasions germaniques. Ce sont précisément ceux dont les
continuateurs en français ne présentent pas d ’e final. Cette syn­
cope, antérieure au v e siècle, constitue ce qu’on peut appeler la
« syncope gallo-romaine ».
Elle comprend deux groupes de phénomènes. Sans doute, les
uns et les autres ne sont-ils-que le développement de tendances
que l’on a déjà vues à l’œuvre pendant la période latine. Cepen­
dant certaines d’entre elles supposent que rien n’est changé dans
le système consonantique du latin. D ’autres, au contraire, laissent
entendre que certains changements ont eu lieu, qui constituent la
première transition entre la période latine proprement dite et la
période romane.

1° Premier groupe. — La syncope a continué à se produire :

Entre l, r et consonne, dans pollïce > vfr. polz — pouz, salïce


> vfr. salz — sauz (cf. auj. -saux dans marsaux), celt. Calëles >
Caux ; — *luridu > vfr. lort — lourl (auj. lourd), horrïdu > vfr.
ort, clërïcu > clere, eelt. *Türones ( = Türônes) > Tours, celt.
Camborïtu > Chambord, etc.
Entre n et consonne, dans gëriïtu > vfr. gent, romanice > *ro-
manïtsye > vfr. romanz.
Entre b et t, dans celt. Atrâbaies ou *Atrâbetes ( = Alrëbates) >
Arras.
Entre k et t, dans *applïcïtu > vfr. apleit — aploit « attelage de
bœufs », *explïcïtu > vfr. esploit — esploil (auj. exploit), *sollïcitu
— vfr. soleit — soloit « soin, souci » et probablement aussi impli­
cita > vfr. empleite — emploite (auj. emplette).
Entre [a] et t dans civile > vfr. cit.
Entre [in] et t dans *movita > *monta, d’où vfr. muete (auj.
meute).
Il faut ajouter sans doute les cas suivants où l’haplologie sylla­
bique a pu aider la syncope : eelt. *Senönes > Sens, et *fïndila
> *fenla > fente, *lendïta > tente, *tôndïla > tonte, vendïta >
vente, perdïta > perle, etc.
SYNCOPE GALLO-ROMAINE 465

Il est encore probable que le mouvement analogique dont on a


parlé p. 463 s’est poursuivi, et que la syncope s’est produite de
bonne heure dans *matrïculat > vfr. marcille, tragüla > traille,
*bùlülas > vfr. bueilles, *brüslülat > vfr. brusle (auj. brûle),
radüla > raille, acïdüla > oseille, *capülu > vfr. chaple, rutabülu
> vfr. roable (auj. râble de boulanger), tabula > table, fabula >
fable, *türbülat > trouble, *albüla > vfr. able, bajülat > baille, etc.
Par suite d’une extension de ce mouvement, l’t et Yà pénultièmes
atones se sont aussi syncopés dans brogïlu > breuil, aquïla >
*ac’la > vfr. aille, et dans les mots celtiques à terminaison -ojalu,
comme Altojalu > Auleuil, Marojalu > Mareuil, etc.

R I. — L’ancienneté de la syncope dans polllce > vfr. polz


e m a r q u e

— pouz, sallce > vfr. salz — sauz est confirmée par la présence de calcem
(pour calicem) chez Plaute.
R II. — Le vfr. cierge suppose que la forme clericu s’est main­
e m a r q u e

tenue, pour des raisons savantes, à côté de *clercu.


R III. — Le traitement de la finale dans romanlce montre
e m a r q u e

bien que ce mot a dû être employé de bonne heure, par opposition sans
doute à galllce.
R IV. — A côté de Tours et de Sens, on a Rennes < *Rédônes
e m a r q u e

(= Rédônes), avec c o n s e r v a t i o n de la pénultième atone jusqu’après le


V e s iè c le .

R V. — Aqulla, ou plus exactement *aküa, désignant l’éten­


e m a r q u e

dard romain, s’est maintenu à côté de *ac’la, désignant l’oiseau de proie. C'est
lui qui a abouti à aigle, dont l’emploi s’est ensuite généralisé.
R VI. — De même, à côté de *tëg’la et de *rêg’la, la langue a
e m a r q u e

conservé les formes pleines lêgüla et régula, qui ont donné vfr. tieule — tiule
(auj. tuile) et vfr. rieule — riule. Tandis que ces dernières formes s’expli­
quent par la chute de -g-, amenant le contact de la pénultième atone avec la
voyelle accentuée précédente, il y a eu véritablement syncope dans conjù-
gülu > vfr. conjogle, *ab ôcülo > vfr. avuegle (auj. aveugle), môdülu >
*modle > moule, rôtülu > *rori/e > rôle, spatüla >• *espadle > épaule, etc.
Cependant cette syncope est tardive et ne s’est pas produite à l’époque gallo-
romaine, sans quoi on aurait en vfr. *conjoil, *avueil, *mueil, *rueil, *es-
paille, etc.
R VII. — Le fr. étrille continue plutôt une forme strigüla,
e m a r q u e

attestée dans les scliolies de Juvenal au iv* siècle, que la forme classique
strigllem ou une forme vulgaire *striglla, qui auraient probablement donné
soit *étril, soit *étrile, d’après ce qui a été dit p. 462 au sujet de l’évolution
du groupe -ïgt-.

2° Second groupe. — Après le passage de g» appuyé sur conson­


ne à d ' (dg), mais en même temps avant celui de d' à dzy dans
argenlu > *ardzijento > argent, la syncope a eu lieu dans gurgïte
> vfr. gort — gourt.
On peut en conclure que la syncope s’est produite à la même
époque dans frangëre > vfr. fraindre (auj. enfreindre), plangère
> plaindre, *allangere (cl. attïngere) > vfr. atlaindre (auj. atlein-
466 V O Y ELLES IN A C C E N T U É E S : P É N U L T IÈ M E S A T O N E S

dre), plngëre > peindre, cïngère > ceindre, stringëre > étreindre,
tïngëre > teindre, jüngere > joindre, ùngëre > oindre, pungëre >
poindre, *adërgère > vfr. aerdre, expërgëre > vfr. esperdre, spargëre
> vfr. espardre, sùrgëre > sourdre, *fülgëre (pour *fülgüre) > ’vfr.
joildre (auj. foudre), etc., pour lesquels il faut admettre des formes
intermédiaires *frand'ëre, *pland'ëre, etc. ou *frandyëre, *plan-
dyëre, etc.
Il faut en dire autant de vïncëre > vfr. veintre (auj. vaincre),
cancèru > vfr. chaintre, *lorcëre (cl. torquëre) > vfr. tortre (auj.
tordre), carcëre > vfr. chartre, *nascëre (cl. nasci) > vfr. naistre
(auj. naître), *pascëre (cl. pasci) > vfr. paistre (auj. paître), cres-
cëre > vfr. creistre — croistre (auj. croître), *conoscëre (cl. cognos-
cëre) > vfr. conoistre (auj. connaître), etc., dans lesquels la syncope
s’est produite aux stades *vint'ëre, *cant'ëru, etc. ou *vintyëre,
*cantyëru, etc.

R e m a r q u e . — De m ê m e il s e m b le que cülclta s e s o it r é d u it à *cülta p ar


s u ite d 'u n e h a p lo lo g ie s y lla b iq u e s u rv e n u e à l ’é ta p e *cültÿita.

C. — Syncope gallo-rom ane

Elle commence après les invasions germaniques du v e siècle.


Avec l’entrée des Germains en Gaule, l’intensité des voyelles
accentuées s’accroît d’une façon considérable. De plus, la voyelle
finale des proparoxytons qui n’avaient pas été précédemment
réduits est affectée d’un Nebenton, Le schéma rythmique devient
le suivant : — v ' .
Dans ces conditions, la pénultième atone perd de son pouvoir
acoustique et partant de sa force articulatoire, tandis que la voyelle
finale reçoit un supplément d’intensité. Ce double fait explique
d’abord que la syncope des pénultièmes atones se soit multipliée
à partir de ce moment ; ensuite que, lors de la chute des voyelles
finales autres que a les voyelles finales des paroxytons, primaires
ou secondaires, existant dans la langue à l’arrivée des Germains, se
soient amuïes, mais non celles des proparoxytons qui ne se sont
réduits qu’après l’invasion : celles-ci étaient moins débiles que
celles-là.

Dans la syncope gallo-romane, on peut distinguer trois phases


principales.

1° Première phase. — Elle se situe entre les invasions germa­


niques et la sonorisation des sourdes intervocaliques.
SY NCO PE GALLO-ROMANE 467
On note la non sonorisation de la consonne ouvrant la syllabe
finale et en môme temps, à l’occasion, le maintien de e final dans
le cas des groupes suivants :
B-T ; cf. b ïb ïta > vfr. bette, cübitu > vfr. cote, débita > vfr.
dete (auj. dette), dübïtat > doute, *gabita > jatte, sübïlu > vfr.
sole.
s-T ; cf. *vïsitu > vfr. viste (auj. vile), primitivement adjectif
féminin dont la forme s’est généralisée au masculin.
M-T ; cf. amïta > vfr. ante (auj. tante), comité > comte, domïtat
> vfr. donte (auj. dompte), *jémita > fiente, limite > vfr. tinte,
*imprûmütat > emprunte, sêmïta > sente.
N-T ; cf. sübmonïta > vfr. semonte.
N-T ; cf. cognïtu > *coneto > vfr. cointe — acointe.
NN-T ; cf. Namnetes > *Nanneîes > Nantes.
RB-T ; cf. celt, derbïta > vfr. derte — dertre (auj. dartre).
MP-T ; cf. compütat > vfr. conte (auj. compte), imputât > ente.
s p -T ; cf. hospïte > vfr. oste (auj. hôte).
, ST-i. ; cf. frc. *nastïla > vfr. nasle.
RM-T ; cf. *termite (pour termine) > vfr. terte — tertre.
RT-N ; cf. Carnutes > *Cartunes > Chartres.
LL-TR ; cf. *püllëtra (avec maintien de l’accent sur la première
syllabe d ’après püllëter) > poutre.
SB-TR ; cf. *présbitru (avec maintien de l’accent sur la première
syllabe d ’après présbiler) > vfr. prestre (auj. prêtre).

L-TSY ; cf. pollïce > pouce, salïce > vfr. sausse (cf. auj. saussaie).
M-TSY ; cf. pômice > ponce, rùmice > ronce.
p-TSY ; cf. *atrepice (1. cl. atriplex) > vfr. arrace.
Rp-TSY ; cf. herpice > herse.
p-K ; cf. *atrapica > vfr. arrache (auj. arroche).
T-K ; cf. hütica > huche, natîca > vfr. nache.
D-K ; cf. *aradicat > arrache, *exradicat > vfr. esrache, *nïdï-
cat > niche.
468 VOYELLES INACCENTUÉES : PÉ N U L T IÈ M E S ATONES

s -K ; cf. *drasïca > vfr. dräsche (auj. drêche), *nasïcat > vfr.
nasche.
i.-K ; cf. basilica > d i a l , basoche, *tralüca > troche.

N-K ; cf. *dia domïnïca > dimanche, granïca > vfr. granche,
manïca > manche, *pronïcat > bronche, *ramïca > vfr. ranche
ss-K ; cf. perslca > *pessïca > pêche.
LL-K ; cf. caballïcat > chevauche, collöcat > couche.
RR-K ; cf. carrïcat > vfr. charche.
sp -K ; cf. suspïcat > vfr. sosche.
ST-K ; cf. *domeslïcat > vfr. domesche, mestïcat > vfr. masche
( a u j . mâche).

R T -K ; cf. excortïcat > écorche, (pelle) parthïca > vfr. parche,


pertïca > perche.
N D -K ; cf. *espandïcat > épanche, *pendïcare > penche, revindi­
cate > vfr. revenche ( a u j . s u b s t . revanche), vïndïcat > vfr. venche.
M B-K ; cf. celt. *ambïca > anche.

C’est encore sans doute le cas de facïtis, dïcïtis, qui par les étapes
*fâgïlis, *dïgïtis et *fà(y)yïlis, * d i(y)yïtis sont devenus faites
et dites, avec syncope de la pénultième. La différence que l’on
constate entre le développement de *fayïtis par exemple, où la
pénultième tombe, et celui de *playito, où elle reste, tient sans doute
au fait que *fayïtis faisait partie d’un système où l’on avait, d’ail­
leurs par analogie, fay- dans *fayis, *fayi(, etc. pour fads,
facit, etc. Le y a été ici protégé par l’analogie et c’est la pénultième
qui a dû tomber.
L’évolution a dû être la même pour facïmus et dïcïmus, re présen­
tés phonétiquement en vfr. par faimes et dimes. Ici encore on a eu
des étapes *fayïmus et *diyïmus.

R em a r q u e I. — Pour ce qui concerne le rapport qui existe entre cette


première phase et la diphtongaison de ê, ö accentués en syllabe ouverte, le
vfr. fierlre < fërëlru offre un excellent point de repère. Cet exemple montre
que la diphtongaison de ë est attérieure à la chute de la pénultième atone.
Par contre, comte > côm lte et vfr. sem ante < *sübm ônlla indiquent que la
diphtongaison de <5 ne s’est produite q u ’après. Diphtongaison et syncope
sont d’ailleurs dans les"deux cas antérieures à la sonorisation des sourdes
ntervocaliques. On peut dresser le schém a chronologique suivant :

Dipht. de ö *fieretro
Syncope *fierlro comte
Dipht. de ö — —
Sonorisation — —
SYNCOPE GALLO-ROMANE 469
S’il en est ainsi, rien ne s’oppose à ce que Yë se soit diphtong é normale­
ment dans *frëmita > vfr. friente, *fëmlla > fiente. Il n’est pas nécessaire
de recourir à une réfection sur le vfr. friembre < /réméré, vfr. fiens < *!*mus
(cl. flmus). A leur tour, friembre et avec lui vfr. criembre < *crimire (cl.
trémëre), vfr. priembre <. prëmère ne présentent aucune difficulté et n’ont
pas besoin d’avoir été influencés par frient < frémit, crient < *crëmit,
prient < prëmit.

R emarque II. — B lblta est représenté régulièrement par bette en vfr.


La.forme moderne boite, qui existe aussi dans l’ancienne langue a été refaite
sur boit < blbit.
R emarque III. — Le vfr. muete < *môulta, devenu meute au xm*
siècle (le fr. mod. a conservé aussi la forme primitive) ne contredit pas le-
schéma dressé plus haut, et ne s’oppose pas à comte. En effet, ue dans
muete provient de la diphtongaison conditionnée, et non spontanée, de ô
sous Taction de w dans un plus ancien *môwta, résultant de la syncope,
gallo-romane de *môwlta.
R emarque IV. — Pour grange qui a supplanté le v fr. granche, charche
et pour venche, remplacés de bonne heure par charge et venge, parallèles
à chargier < carricare, vengier < vïndïcare, cf. vol. III : Consonnes.
. R emarque V — Yeuse, avec s sonore et -e final provient, par fausse
coupure, du prov. li (article) euse < ëlïce.

2° Deuxième phase. — Elle se situe entre la sonorisation des'


sourdes intervocaliques et la fricatisation des sonores dans la même
position.
Pendant la première phase, la syncope n'avait pas atteint tous
les proparoxytons existant dans la langue. Une partie d’entre
eux, pour des raisons phonétiques (difficulté du groupe conso-
nantique devant résulter de la syncope), analogiques ou savantes,
avait maintenu la pénultième atone. Dans ces conditions, les
consonnes demeurées intervocaliques ont pu se sonoriser. Parmi
ceS proparoxytons, certains se sont réduits peu de temps après la
sonorisation. C’est la seconde phase de la syncope gallo-romane.
D’autres attendront pour le faire que les sonores intervocaliques
soient devenues fricatives. Ce sera la troisième phase. Pour d’au-’
tres enfin, on verra que la syncope n’a pas eu lieu.
Dans mîsërunt > vfr. misdrenf, *prê(n)sërunt > vfr. prisdrentf
cô(n)s(u)ëre > vfr. cosdre (auj. coudre), etc., la syncope a pu être
retardée spus l’influence de mïsit, *prê(n)sit, cô(n)suit, etc.
De même, dans *ündëce, *dôdëce, *trêdëce, *quatordëce, *quïn~
dëce, *sëdëce (cl. ündecim, duodecim, tredecim, qualiuordecim, quin-
decim, sedecim), le numéral dece a pu retarder pour quelque temps
la chute de la pénultième atone. Celle-ci n’a eu lieu qu’après le
passage de *ondetsye, etc. à *ondedzye, etc. ; d’où onze, vfr. doze
(auj. douze), vfr. treze (auj. treize), quatorze, quinze, vfr. seze (auj.
seize), avec consonne sonore. L’action retardatrice de l’analogie
apparaît nettement quand on compare dodece > vfr. doze à Jüdoci
> (St.) Josse. Dans ce dernier mot, le modèle analogique faisant
470 VOYELLES IN A CCEN TU ÉES : P É N U L T IÈ M E S A TONES

défaut, la syncope s’est produite normalement avant la sonorisa­


tion du groupe -tsy- provenant de -ce-.
Enfin, orbïta peut avoir été influencé par obïtaria, qui devait
maintenir plus longtemps sa pénultième atone ; d’où vfr. orde
à côté de ordi ère.
Dans une seconde série d’exemples, on ne peut invoquer l’ana­
logie. C’est le caractère plus ou moins spécial du mot ou du milieu
dans lequel il a évolué qui est en cause. Ainsi, Lazaru est un mot
liturgique : le groupe -ts- ( — z) a eu le temps de se sonoriser avant
la syncope, d’où, avec -d- transitoire et non -t-, vfr. lasdre,(sL\i).
ladre). De même, serïca n’a pas dû être employé dans le peuple :
il ne s’est syncopé qu’au stade *serëga, d’où serge. Enfin, cücürbïta
est un terme de botanique et, comme tel, il a pu passer à *cogor-
bëda avant de se réduire à *cogorbda, d’où vfr. cohorde (auj. gourde).
Parallèlement, gallïca, qui appartient à la même catégorie, est
devenu d’abord *gallëga avant de se réduire à *galga ; d’où gauge,
à côté duquel existe d’ailleurs en vfr. dialectal gauque < *galca.

R emarque I. — Les parfaits m islrent et pristren t du vfr. sont analo­


giques de distrent < dixcrunt et ne supposent pas une syncope antérieure
à la sonorisation de -s- dans m isërunt et * p r ï(n )së n m t.
R emarque II. — Pour forge ( < fabrlca), où la syncope est postérieure
au passage de -br- à -y r en syllabe pénultième atone et où par conséquent
la sonorisation de k est normale, cf. ce qui a été dit à propos de forger, p. 496.
R e m a r q u e III. — Les formes féminines du vfr. serorge < sororlca,
tenerge < tenebrlca, etc. sont analogiques des masculins homonymes, pro­
venant de sororlcu. tenebrlcu, etc. L’inverse s’est produit pour manlcu >
manche, (et non *mange), ferotlcu > farouche (cf. cependant aussi feroge
en vfr.), etc., influencés par m anlca > manche, ferotica > farouche, etc.

3° Troisième phase. — Elle va de la fricatisation des sonores


intervocaliques à la diphtongaison de ë accentué en syllabe ouverte.
Tout d’abord, -b- primaire ou secondaire ( < -p~) a passé
à -V-. On a eu ainsi iëpïdu > *tievede, sapïdu > *savede, capïdu >
*ravede, alapa > *aleve, sïnape > *seneoe, cannabe > *chaneve,
etc., auxquels il faut ajouter m al(e)habïtu-----a > *malavede et
cübïtu > *covede. Par suite de la syncope, on a eu *lievde, *savde,
*ravde, *malavde, *coode ; d’où tiède, vfr. sade (cf. auj. maussade),
vfr. rade, malade, vfr. code — coude, vfr. chanve — chanvre, vfr.
aloe — auve, vfr. senoe, etc.
A une époque ultérieure, -d~ primaire ou secondaire ( < -/-) est
devenu lui-même -S-. On a donc eu, là aussi, platanu > *plaoene,
capïtïne > *chevehene, *bodïna > *bo$ene, Rhodanu > *Rohene;
d’où, après la syncope, *plabne, *cheve$ne, *bohne, *Rohne, et par
suite du changement de -Ô- antéconsonantique en s, vfr. plasne,
chevesne, vfr. bosne (auj. borne), vfr. Rosne (auj. Rhône).
D ’autre part, le -g- provenant de la sonorisation de -k- dans
*Jacàmu (pour Jacobu), après avoir passé à-y-, s’était déjà palata-
CONSERVATION DE LA PÉNULTIÈME ATONE 471

lisé en -y- au contact de Ve suivant provenant de o pénultième


atone, lorsque la syncope a eu lieu. On a donc eu *dzâyemo >
*diaymo, d’où vfr. Jaime.
Enfin, il y a tout lieu de penser que la syncope a été relative­
ment tardive dans *âydzyeno < acïnu, *lsiydzyeno < cïcïnu,
*réydzyeno < rïcïnu, *rôydzyeno < rücïnu, *grâydzyele < gracile,
*déydzyemo ou diéydzyemo < dëcïmu et *lsértsyeno < cïrclnu.
La complexité du consonantisme devant résulter de la chute voca-
lique a dû retarder cette dernière. Après la réduction, on a eu vfr.
aisne (auj. aine), vfr. cisne, vfr. roisne, vfr. graisle (auj. grêle), vfr.
diesme et disme (auj. dîme), vfr. cersne (auj. cerne).
R emarque I. — Le fr. coude, en face du vfr. cole — coûte, représente
sans doute l’évolution de cübltu dans le langage médical de l’époque méro­
vingienne. Il doit en être de même pour malade > m al(e)habltu -------- a.
R emarque II. — L’opposition -b- : -v- dans vf. escharbe < scarabu
vfr. chanve < cànnabe, vfr. sem e < sinape montre bien que dans ces deux
derniers mots la syncope a été plus tardive : le -b- primaire ou secondaire
y a eu le temps de passer à -v-.
R emarque III. — A côté de chevesne, le français a aussi chevanne qui
s’explique par une réduction antérieure au passage de -d- à -5-. *Cheveone
a abouti à chevenne, dans lequel l’é, provenant de e devant consonne nasale,
s’est ouvert normalement en à.

III. — LA PÉNULTIÈME ATONE SE CONSERVE

Cependant, par suite de l’affaiblissement de l’accent d’inten­


sité, la tendance à la syncope a fini par s’éteindre. Elle existait
encore après la diphtongaison de ë accentué en syllabe ouverte,
puisque antïphôna, pë(n)sïle et flëbile ont abouti à vfr. anteine
— antoine, vfr. peisle — poisle (auj. poêle « fourneau ») et fleible,
après les étapes anteivene, *peisele et *fleibele. Cf. encore Vënulas
> Voinsles dans la Seine-et-Marne. Mais au moment de la diphton­
gaison de a accentué en syllabe ouverte, chronologiquement plus
récente, elle avait cessé. Le français ne possède en effet aucun
exemple de proparoxyton latin présentant le changement de a en
e. A plus forte raison, ne peut-on plus parler de syncope lorsque
survient la chute des voyelles finales autres que a.
Cela ne veut pas dire que les proparoxytons qui existaient
encore soient restes proparoxytons. Ils étaient en petit nombre et
ils constituaient ù cause de cela une sorte d’anomalie dans la
langue. Sur le modèle du type paroxytonique qui dominait de
beaucoup, ils ont éprouvé une tendance à se réduire eux-mêmes
à des paroxytons. La syncope des pénultièmes atones que le gallo-
roman avait pratiquée jusqu’alors ne pouvant plus être utilisée, la
472 VOYELLES INACCENTUÉES : PÉNULTIÈM ES ATONES

langue a profité du moyen que lui offrait, tout à propos, la chute


des voyelles finales. Elle a laissé tomber en effet ces voyelles dans
les proparoxytons. A leur tour, les consonnes intervocaliques deve­
nues finales se sont vite amuïes au singulier, de même que l’s prove­
nant du groupe qu’elles ont formé avec l’s du pluriel.

La chute de la voyelle finale des proparoxytons se constate


dans deux séries de mots.

10 Dans une première série, la pénultième atone s’était main­


tenue jusqu’à cette époque à cause de la complexité du groupe
consonantique qu’aurait entraîné la syncope. Ainsi dans *printseve
< principe, *rantsede < rancïdu, *evesqueve < epïscopu, *so-
pleise < supplice, *p-adzene < pagina, *imadzene < imagine,
vvirdzene < virgïne, *mardzene < margïne, *andzele < angëlu,
etc., qui sont d’abord devenus *printsef, *rardseü, *eveskef. *soplels,
*padzen, *imadzen, *virdzen, *mardzen, *andzel, etc., puis finaler
ment printse, rantse, eveske, sople, padze, imadze, virdze, mardze,
andze, etc., graphiés en vfr., prince, rance, evesque (auj. évêque),
sople (auj. souple), page, image, virge, marge, ange, etc. Si dans les
plus anciens textes on trouve encore des formes comme virgene,
evesqueve, angele, etc., il faut bien les interpréter. Elles ne comp­
tent plus, la première et la troisième que pour deux syllabes, la
seconde que pour trois. Ce ne sont que des graphies traditionnelles
rappelant l’ancien état de choses.

2° Sans doute certains mots étudiés ci-dessus peuvent-ils être


considérés comme savants si l’on s’en rapporte à la sémantique
et, pour quelques-uns, à leur vocalisme. Mais savants ou non,
le retard de la syncope s'explique parfaitement par la raison pho­
nétique donnée plus haut. Il n’en est pas de même pour les mots de
la seconde série. Ici la pénultième atone s’est conservée jusqu’au
moment de la chute des voyelles finales sans qu’on puisse invoquer
pour cela une raison phonétique. Ainsi dans *pallehe, pallidu,
*areâe < arïdu, *aue§e < avidu, *paveàe < pavïdu, *covehe <
cüpïdu, *savehe < sapidu, *seneâe < synodu, *lampe$e < *lam-
pade, *Orcheâe < Orcada, *anebe < anäte, *feiere < *fïcàtu,
*orguene < organu, * orfene < orphanu, *Eisere < Isâra, *Barbere
< Barbara, etc., devenus tout d’abord *pa/Ze9, *nreO, *aveQ,*paueü,
*cove0, *saveü, *seneh, *lampei, *Orche^i, *aneß, */eieQ, *orguen,
*orfen, *Eiser, *Barber, etc., puis en vfr. pâlie (auj. pâle), are, ave,
pave, cove, save, sene, lampe, Drehe (auj. Ourche), ane (cf. auj. bé­
dane — bec d'ane), feie (auj. foie), orgue, orfe, Eise (auj. Oise), Bar­
be, etc. C’est le même processus qui explique encore le vfr. cuie
< *cuieh < cogitai et le vfr. deie < *deieH < dïgita, à supposer que
*dïta ne soit pas à la base.
Dans les formes du pluriel, la consonne qui précédait la voyelle
finale est entrée en contact , après la chute de cette dernière, avec
CONSERVATION DE LA PÉNULTIÈME ATONE 473

1’s qui term inait le mot. Le groupe ainsi formé s’est réduit de bonne
heure à -s. Ainsi *printseves < principes est devenu *prinlsefs,
puis prinlses ; *palledes < pallidos a passé à *paliers, pour aboutir à
pâlies. A plus forte raison a-t-on un s final, lorsque la consonne qui
précédait la voyelle finale était elle-même un s ; cf. Tricasses >
*Treiesses > vfr. Treies (auj. Troies), Badiâcasses > *Bayuoesses
> *Bayuesses > Bayeux, Durócasses > Dmoesses > Druesses >
Dreux, etc.
Cependant, lorsqu’elle se trouvait en hiatus avec la pénultième
atone, la voyelle finale n’est pas tombée. C’est ce que l’on constate
dans les continuateurs savants des mots latins en -ïcu, du type
canonïcu > vfr. chanonie. Dans ce cas, la paroxyIonisation s’est
opérée par la consonantisation de -ie final en -ye. La transposition
du y devant la consonne précédente qui a eu lieu ensuite et grâce
à laquelle chanonie est devenu chanoine, n’a rien changé au type
rythmique.

R emarque I. — Certains proparoxytons ont été traités de deux façon


différentes ; cf. *diàkene (< diaconu ) > vfr. diacne (> diacre) et diaque ;
*pa ssa re > vfr. pa stre et passe ; domestïcu > d’une part *doméstegue >
vfr. dom esie, et de l’autre *domeslyo > vfr. domesche ; rûstlcu > d’une
part *rûstegu e > vfr. ruste (> rustre) et de l’autre *ruslie > vfr. ru iste ;
etc.
Remarque II. — Il n’y a qu’un seul cas où la pénultième ne soit pas
tombée, du moins dans le plus ancien français. C’est lorsqu’elle était précé­
dée du groupe consonne -f r. Ainsi Matrona a du donner primitivement
*M à rren e, par l’étape *M üdrenc. Mais la pénultième atone a fini par s’amuïr
dès l’époque prélittéraire au contact de r, parallèlement à ce qui a eu lieu
dans vfr. d orra pour douera vfr. m en a pour mènera, etc. (p. 510).
CHAPITRE X

PR ÉTO N IQ U ES IN TER N ES

Comme les pénultièmes atones, les prétoniques internes se sont


généralement amuïes. Ici encore, on peut distinguer une syncope
« latine », une syncope « gallo-romaine » et une syncope « gallo-
romane ».

I. — SYNCOPE LATINE

Parallèlement à ce qui a eu lieu pour les pénultièmes atones,


certaines prétoniques internes ont dû tomber dès l’époque latine.
Leur chute, dans ce cas. est attestée par l’ensemble ou une partie
notable des langues romanes. Comme pour les proparoxytons qui
se sont réduits à la même époque, c’est la rapidité du débit qui est
en cause.

a) Dans une première série de mots, il s’agit de phénomènes qui


ont leur pendant dans des formes proparoxytoniques correspon­
dantes.
Ainsi *coll(ï)gIre (cl. collïgëre), comp(ü)tare, vïg(ï)lare, *fïg(i)~
care, amb(u)lare, *mïsc(ü)lare, *coag(ü)lare, *affïb(uflare, etc.
ont dû suivre de près coll(ï)git, comp(ü)tat, vïg(ï)lat, *fîg(ï)cat,
amb(ü)lat ; *mïsc(ü)lat, *coag(ü)lat, *affîb(ü)lat, etc. (pp.460 sq.),
d’où en fr. cueillir, conter — compter, veiller, ficher, ambler (vx),
mêler, cailler, affubler, etc., à rapprocher de l’ital. contare, vegghi-
are (vx), ficcare, ambiare, mischiare, quagliare, affibbiare, etc., du
v. prov. culhir, conlar, velhar, ficar, amblar, mesclar, calhar, afiblar
— afublar, du catal. cullir, contar, velllar, mesclar ( > cast, mezclar,
portg. mesclar), collar, afiblar, du cast, coger < coll(ï)gêre, contar,
hincar, cuajar, du portg. colher < coll(ï)gëre, contar, fincar, coal-
har, etc.
SYNCOPE GALLO-ROMAINE 475

De plus, sur le modèle de vir(ï)de, cal(l)du, sol(i)du,col(a)pu,


frigfïjdu, pêd(ï)lu — *pëttu, pût(ï)du— *püttu, etc., on a pu
avoir de bonne heure des dérivés *virdiariu, *caldare, *soldare,
*colpare, *frigdôre, *peltare, *puttanu, etc. qui ont donné en fr.
verger, échauder, souder, couper, froideur, péter, putain, etc., à
rapprocher de l’ital. scaldare, sodare (vx), colpire, freddore, du v.,
prov. verger, escaudar, soudar, colpar — copar, freidor, petar, putan,
du catal. verger, escaldar, soldar, copar, fredor, petar, putana, du
cast, escaldar, soldar, copar, fredor, putanear, du port, escaldar, sol­
dar, copar. De même, à côté de *avïca > *auca, on a eu avicellu
> aucellu (déjà latin), d’où fr. oiseau, ital. uccello, v. prov. auzél,
catal. ocell.
R emarque . — L e fr. lécher peut aussi bien remonter à *liccare, c o n tra c ­
tio n de *liglcare (forme intensive de lingere) qu’au frc. *llkkôn.

b) Une seconde série comprend des mots qui n’ont pas de pro­
paroxytons comme correspondants.
Ainsi *calefare > *calfare, d’où fr. (é)chauffer, v. prov. (es)cau-
far, catal. (es)calfar, ital. mèrid. skarfare ; maledicere > maldicere.
(cf. maldixi à Pompéi, CIL, IV, 2445), d’où fr. maudire, v. prov-
maudir, catal. maldir, cast, maldecir, portg. maldizer ; etc.
La chute de la prétonique interne s’explique plus spécialement
par une réduction haplologique dans matutïnu > *malilnu, d’où
fr. matin, ital. mattino, v. prov. matin, catal. mati ; sanguisüga
> *sansüga (glos. sansügia) > fr. sangsue ; — par une contraction
vocalique dans male habitu > *malabitu, d’où fr. malade, ital.
(am)malato, v. prov. malaute, catal. malalt.
R em a rq u e . — D e p lu s , le p r e m ie r ë de püëllicëlla a p e rd u son c a ra c ­
t è r e d e p r é t o n i q u e i n t e r n e a p r è s le p a s s a g e d e ü en h ia tu s à w ; d ’ o ù *pwd-
tsçlla, p u i s *pwollsçlla ( a v e c e i n a c c e n t . > o: d i s s i m i l a t i o n a id é e p a r l ’ a c t i o n
d e w e t t), e n f i n putsçlf > pütsçlç = v . fr. pucelle.

II. — SYNCOPE GALLO-ROMAINE

Mais la syncope des prétoniques internes peut ne pas présenter


l’extension des exemples ci-dessus. Il faut alors admettre une
syncope « gallo-romaine » et une syncope « gallo-romane ».
La première s’étend de la conquête de la Gaule par les Romains
jusqu’aux invasions germaniques du v®siècle. Durant cette période,
le principe reste le même : c’est la rapidité du débit qui, dans cer­
tains cas particuliers, entraîne la chute de la prétonique interne.
476 VOYELLES INACCENTUÉES : PRÉTONIQUES INTERNES

C’est ainsi que la syncope doit être reportée au début de l’épo­


que gallo-romaine pour les infinitifs en -ülare, tels que *brag(ü)-
lare > brailler, *brüst (ü)lare > vfr. brasier (auj. brûler), *batac(ü)~
lare > vfr. baaillier (auj. bailler), *fodïc(ûflare > vfr. (oeillier
(auj. fouiller), *matrïc(ü)lare > vfr. mareillier, pendïcülare >
pendiller, *rag(ü)lare > railler, *rotïc(ü)lare > vfr. roeillier (auj.
rouiller « les yeux »), *somnïc(u)lare > sommeiller, *tüdïc(ü)lare
> vfr. ioeillier (auj. touiller), türb(ü)lare > troubler, etc. C’est une
extension de la tendance constatée à l’époque précédente.
Ministeriu, par .une sorte de. réduction haplologique, est devenu
minsleriu, c’est-à-dire mistëriu, d’où le fr. métier. La forme pleine
s’est cependant conservée dans ministeriale qui a donné ménestrel
(le fr. ménétrier est emprunté au v. prov. menestrier < -ariu). A
son tour, ministeriu > mistëriu a entraîné *monislëriu (avec, un
i dû à l'influence de mbnacu > *monïcu) > *mostëriu, d’où le fr.
moutier. Ministère et monastère ont été calqués assez tard sur
le latin (le premier n’apparaît qu’au xvie siècle, le second au xive)
et n’obligent pas à supposer que ministeriu et *monisteriu ont
subsisté, à côté de *misteriu et de *mosteriu, pendant les périodes
gallo-romaine et gallo-romane.
' D’après une évolution connue déjà pendant la période latine,
(cf. avica > *auca, avicellu > aucellu), jovisbarba, avisiarda, et
*avistrucia (cl. struthio) ont dû aussi se réduire de bonne heure à
*jousbarba, *austarda et *austrucia, d’où joubarbe, outarde, vfr.
oslruce (auj. autruche). Le v. prov. jousbarba, austarda et le catal.
jusbarba(< cast, jusbarba, chubarba) supposent le même phoné­
tisme.
C’est encore à l’époque gallo-romaine, et plutôt à son début,
que se sont produites les réductions du type *parïëte > *parêle,
d’où fr. paroi, battüdlia > *baitalia, d’où fr. bataille. Le processus
semble avoir été le suivant : tout d’abord l’ï ou l’u inaccentués en
hiatus se sont fermés en jy], respect, [in] ; à leur tour, [y] et [in] post-
consonantiques se sont amuïs devant l’accent. Pour [y], on a de
nombreux exemples de chute dans cette position ; cf. *arïête > vfr.
arei, *gar(y)ôfülu > vfr. gerofle (auj. girofle), Cur(y)ossôlilu >
Corseult, *minister (y )àle > ménestrel, *denar(y)âta > vfr. dene-
rée (auj. denrée), *soc(y)etàte > vfr. soistié, etc. Il n’y a qu’un seul
cas où le y manifeste sa présence : c’est lorsqu’il était précédé de l.
Il s’est alors combiné avec cette consonne pour donner naissance
à un l ; cf. *mülyére (cl. mültërem) > vfr. moillier, *filyÔlu (cl.
fiUölum) > filleul, etc. Peu importe d’ailleurs. Dans une série
comme dans l’autre, il y a eu disparition de l’ancien i voyelle.
Quant à [u>] post-consonantique, il s’est amuï dans tous les cas
devant l’accent; cf. *batt(w)ac(u)lu (lat. baltûaculum) > batail,
*febr(w)ariu (cl. febrüarium) > février *man(w)aria (cl. manüaria)
> manière, *mas(w)elïnu (cl. mansüetïnus) > vfr. mastin (auj.
mâtin), *cos(w)etum(i)ne (ci. consüetudinem) >■ vfr. costume (auj.
coutume), etc. Le vfr. anvel < annüale et le fr. janvier < janüariu,
avec va > v, sont dés formes savantes. Sans doute,' toutes les lan-
SYNCOPE GALLO-ROMANE 477

gués romanes présentent-elles le même phénomène. Ce n’est pas


cependant une raison pour le faire remonter à l’époque latine.
Le passage de ï et ü en hiatus à y et w est en effet postérieur au
début de notre ère. Le phénomène en question n’a donc pu se pro­
duire que séparément dans les diverses langues romanes. De très
bonne heure toutefois, et pour ce qui est du français dans les pre­
miers temps de la période gallo-romaine.

R e m a r q u e . — P a r a n a lo g ie , le y p o s tc o n s o n a n tiq u e a p u se m a i n t e n i r
d e v a n t l ’ a c c e n t. C ’e s t c e q u i a e u lie u e n p a r t ic u lie r p o u r m a(n)sionata >
v fr. maisniée medietate
et > man-
v f r . m e it ié ( a u j. m o it ié ) , in flu e n c é s p a r
sio mansione
(e t mediu.
l u i- m ê m e a n a lo g iq u e ) e t

Il n’y en a pas eu de réduction gallo-romaine dans le cas de


*domnicëllu---- a > vfr. damoisel — damoiselle, *domniariu >
danger, qui sont des dérivés de domnu, contraction déjà latine de
dorninu. Cf. aussi le v. prov. donseV -a et le catal. donzell, -a.

III. — SYNCOPE GALLO-ROMANE

De beaucoup la plus importante, cette syncope est due au ren­


forcement de l’accent d’intensité qui s’est manifesté en Gaule
après les invasions germaniques.
Pour plus de commodité, on classera les faits en deux groupes,
suivant que le mot latin contient deux prétoniques internes ou une
seule.

A. — Cas de deux prétoniques internes

On étudiera d’abord les phénomènes de chute ou de conserva­


tion, puis le timbre des prétoniques qui se maintiennent.

1° C h u t e o u c o n s e r v a t io n . — D’une façon générale, dans


les mots de formation populaire, une seule des deux prétoniques
internes s’est conservée. L’autre est tombée dans les conditions
suivantes :

a) Si la première prétonique interne se trouve en syllabe ou­


verte, elle s’amuït ; la seconde se maintient, qu’elle soit en syl­
labe ouverte ou en syllabe fermée.
24
478 V O Y ELL ES IN A C C E N T U É E S : P R É T O N IQ U E S IN T E R N E S

Ex. : *annofinïscn > vfr. anlenois, *antepedïnia > *ampe-


deigne > empeigne, auclorïcare > vfr. oireiier — olroiier (auj.
octroyer), *din domïnïca > *didemanche > vfr. diemanche (auj.
dimanche), Ebnrodünii > *Ebrodüno > vfr. Embrëun (auj. Em­
brun), lïberatione > livraison, *mater (i)am entu > vfr. maire-
ment (auj. marmenteau), medietatariu > *meitedier > vfr. meiteier
— moiiaier (auj. métayer), *Mercuri die > mercredi, parthïcamïnu
(p. 366) > parchemin, piperïnella > vfr. piprenelle (auj. pimpre-
nelle), similitüdïne > vfr. sembletume, subitamente > vfr. sote-
ment, temperamentu > vfr. temprement, etc.
Antecessôre > vfr. ancessor, arborïscëllu > vfr. arbreissel (auj.
arbrisseau), arcuballista > arbalète, param entariu > parmentier,
etc.
R emarque I. — La première prétonique interne a pu cependant se
maintenir (et c’est alors la seconde qui tombe) par suite d’une raison analo­
gique. Les formes correspondantes accentuées sur le radical ont pu en effet
exercer leur action. Ainsi *repœnitïre, *adsëdltare, *adblbërare, *desùbllare,
*exradicare, *extanlcare, consïdërare, desîdêrare, intamlnare, recüpërare,
*fructifIcare, *panïfïcare, aedlfïcare, etc. ont été sous la dépendance de
*pcenîtit, *adsédltat, *adbtbërat, etc. ; d’où repentir, vfr. asseter, vfr. abe-
vrer (auj. abeuvrer), vfr. desoler, vfr. esrachier (auj. arracher), étancher, vfr.
cosirer, désirer, entamer, vfr. frotegier, vfr. panegier, vfr. aigier, etc. De
même, dans amarïtüdïne > vfr. amartume — amertume, la première pré­
tonique interne s’est conservée sous l’influence de amaru. Il peut se faire
du reste que plusieurs formes à radical accentué soient entrées en jeu ;
ainsi dans communicare > vfr. comengier, *cüpidietare > vfr. coveitier
— covoitier (auj. convoiter), *intossicare (== *intoxicare) > vfr. entoschier,
etc., influencés à la fois par commûnlcat, *cupîdietat, intôxïcat etc. et par
communis, cuptdine, tôxicu etc. Ailleurs, ce sont les formes sans préfixe qui
peuvent avoir agi ; cf. *adrationare > vfr. araisnier, *adsalionare > vfr.
asaisnier, *impotionare > vfr. empoisnier, influencés par *rationare, *satio-
nare, raiione, satione, potione, etc. Enfin, l’action des formes sans préfixe
peut s’être ajoutée à celle des formes à radical accentué ; cf. revïsltare >
vfr. revisder, *desëpêrare > vfr. dessevrer (auj. desseuvrer), *adcubltare >
(vfr. acouder), etc., influencés à la fois par vïsltare,*sêpërare, cübïtu, etc. et
par visitât, *desëpërat, adcûbltat, etc.
De même, aux étapes *amidz(y)etate < *amïcltate et *mendidz(y)etate
< mendïcitale, la première prétonique interne s’est conservée sous l’action
analogique des continuateurs de amïcu et mendïcat ; d’où les formes du vfr.
amislié (auj. amitié) et mendistié.
R e m a r q u e IL — La conservation de la première prétonique interne
dans *comïnltiare > commencer s’explique elle aussi sans doute par l’action
du simple Inltiare, dans lequel 1’l initial devait se maintenir avec la valeur
de e. La forme simple n’est pas représentée en français ; mais elle a dû exis­
ter dans le latin parlé en Gaule, puisque *cominitiare, qui a été refait sur
elle, ne date pas de l’époque latine.
R e m a r q u e III. — Le mot palefroi < parauerêdu ( = gr. icapa - f celto-
lat. verëdu) présente un cas particulier. Dans *palaverëdu, issu d’une dissi­
milation r — r > l — r, c’est la seconde prétonique interne et non la pre­
mière qui s’est amuïe. La raison en est sans doute à l’identité de timbre
qu’elle présentait avec la voyelle accentuée suivante. Pour le groupe -/r-,
cf. Consonantisme,
R e m a r q u e IV. — On fait ordinairement remonter épargner à un type
germanique *sparanjan que l’on peut expliquer par un croisement de
l’adj. frk. spar (cf. v. ha. spar = spa-ra, all. sparsam = sparsam) avec
SYNCOPE GALLO-ROMANE 479

(waid)anjan « gagner ». Il est cependant impossible, à partir de là, de rendre


compte du fr. épargner. Le gallo-rom. *esparânyat — *esparanyüre ne peut
aboutir qu’à esparaigne — espraignier, attestés d’ailleurs en v. fr. Epar­
gner provient sans doute d’un type *sparnjan, issu du croisement du frc.
sparjan (cf. angl. sax. sparian, v. fris, sparla) avec le subst. via. *sparnissi
= spar-nissi (ail. Ersparniss).
R e m a rq u e V. — Le vfr. aspreté (auj. âpreté) < asperltate. bien que
régulier pour ce qui concerne le traitement des prétoniques internes, est en
réalité un mot savant, comme le prouve le -t- de la finale -té.
R e m a rq u e VI. — Araisnier, asaisnier, empoisnier ont été remplacés
dès le vfr. par araison(n)er, asaison(n)er, empoisonner, analogiques de
araison(n)e < *adratiônat, asaison(n)e < *adsatiônat.

b) Si la première prétonique interne est en syllabe fermée, elle


se maintient et c’est la seconde qui tombe.
Ex. : minister(i)àle > ménestrel; interrogare > *enterrever
vfr. enterver ; — et de plus : *impastoriare > vfr. empaistrier (auj.
empêtrer) ; *adcosturare > acoutrer ; excortïcare > écorcher ; revïn-
dïcare > vfr. revenchier, * revertïcare > vfr. reverchier ; d(e)exfruc-
tïcare > *desfruichier > défricher ; *caballicare > chevaucher ;
*domestïcare > vfr. domeschier ; Afujgustodünu > vfr. Ostedun
— Ostëun (auj. Autun), Castellodûnu > vfr. Chasteldun (auj. Châ-
teaudun), etc., dans lesquels l’influence analogique des formes sans
préfixe ou des formes à radical accentué a pu favoriser la conser­
vation de la première prétonique interne.

c) La première prétonique interne s’est encore conservée après


le groupe pr dans *imprümutare ( = impromütuare), d’où emprun­
ter.

R e m a r q u e . — Matrlcülare > vfr. mareillier est en dehors de la ques­


tion, l’ü de la terminaison -ülare étant tombé au début de la période gallo-
romaine. Au moment de la syncope gallo-romane, il n’y avait plus dans
ce mot qu’une seule prétonique interne.

d) Dans certains mots cependant, les deux prétoniques inter­


nes se sont maintenues.
Cette double conservation peut être d’origine phonétique. Ainsi
dans éparpiller < *exparpiliare, apprivoiser < *adprivaliare
( = *adprivatare x vïtiare), vfr. espoenter (auj.épouvanter) < * ex p a -
ventare. Dans ces trois mois, la seconde prétonique interne s’est
trouvée en syllabe fermée au moment de la syncope : dans le pre­
mier, par le y du groupe -yl- provenant de -ly- latin ; dans le deuxiè­
me, par le y du groupe -ydz- provenant de -ty- latin ; dans le der­
nier, par n. Quant à la première prétonique interne, elle s’est
maintenue, parce qu’elle était en syllabe fermée dans éparpiller ;
précédée de -pr- dans apprivoiser ; en hiatus dans espoenter.
480 VOYELLES INA C CEN TU ÉES : PR É T O N IQ U E S IN T E R N E S

Mais la conservation peut n’être pas phonétique. Là encore, il


convient do distinguer. Dans A ( u) gustodwm > vfr. Osledun —
Ostè'un (auj. Auiuri), par exemple, la première prétonique interne
s’est maintenue régulièrement à cause du caractère fermé de la
syllabe : mais la conservation de la seconde est savante. Au con­
traire, la conservation de l’une et de l’autre prétonique interne
est savante dans vfr. emperëor (auj. empereur) < ïmperatôre, vfr.
empëechier (auj. empêcher) < *impedicare. Enfin, la double conser­
vation est de nature analogique dans le vfr. envoleper (auj. enve­
lopper), refait sur la forme simple du vfr. voleper < celt. *volüp-
pare.

2 ° T im b r e d e s p r é t o n i q u e s i n t e r n e s q u i s e m a in t ie n n e n t .
— Au moment de la syncope, la prétonique interne pouvait être
dans les mots de formation populaire :
un ç < lat., germ, e, ï
un a < lat., germ, a
ou un o < lat., germ, o, a ;

dans les mots savants ou les formes analogiques :

un i < lat., germ. ï


ou un u < lat., germ. ü.

Dans la suite, il n’y a aucune modification à enregistrer pour


i ; u a tout d’abord conservé son timbre, puis a passé à [ü] comme
tous les autres u, accentués ou non ; e, a et o ont subi des modi­
fications dans certains cas.

i roman prétonique. — On le retrouve sans changement dans


vfr. amistié (auj. amitié), vfr. mendistié, vfr. aïgier, vfr. revisder,
vfr. cosirer, désirer, apprivoiser, etc.
Dans tous ces mots, il s’explique soit par le caractère savant du
mot (vfr. aïgier = aedïfïcare) ; soit par l’action analogique de
formes avec radical en ï accentué (cf. amïcu, mendïcu, revîsïlat,
considérât, desldërat) ou avec ï initial (prïvatu), dans lesquelles
17 devait normalement maintenir son timbre latin.

u gallo-roman préionique. — Il se présente soit seul, soit for­


mant diphtongue avec un y suivant dans les continuateurs de
*imprümutare, *exfrudare, *d(e)-exfrudicare, approximare, dont
le vocalisme est sous la dépendance de celui des formes à radical
accentué.
Dans le premier mot, il s’est nasalisé après avoir passé à fü] ;
d’où vfr. [ü], puis [ce] dans emprunter. Quant à *exfruclare, *d(e)-
exfrudicare, approximare, ils sont représentés en vfr. par esfruilier,
SYNCOPE GALLO-ROMANE 481
desfruichier, apmismier, avec une diphtongue [üf], qui après être
devenue [wi], s’est réduite à [i] derrière le groupe consonne + li­
quide ; d’où effriter, défricher qui se sont conservés, et apriser qui
a disparu du lexique. On trouve déjà aprismerenl dans le Ps.
d'Oxford qui est du milieu du xne siècle.

e roman prétonique. — a) Lorsqu’au moment de la transfor­


mation, e roman prétonique se trouvait en syllabe ouverte, il a
passé à [ç\ central, d’où plus tard [œ] (cf. ci-dessus pp. 430 sq.) :
Dans antenois, mercredi, âpreté, etc., où la syllabe était origi­
nairement ouverte ;
Dans v. fr. asseter, v. fr. ancessor, où la syllabe, originairement
fermée, était devenue ouverte par suite de la simplification des
géminées -tt-, -ss-.
Il a cependant conservé son timbre dans trois cas : au contact
d’un y suivant dans v. fr. meiteier — moiteier ; — au contact d’un
l provenant de la réduction d’un ancien groupe -yZ- (< lat. -ly-)
dans *esparpeilier ; — au contact d’un z ou d’un s, provenant
de la réduction d’anciennes affriquées dz — ts dans v. fr. frotegier,
v. fr. panegier, v. fr. escolovregier, v. fr. empëechier. Ultérieurement,
cet e ainsi conservé s’est fermé en [i] dans éparpiller et c’est au
contraire ouvert en [ e] dans métayer et empêcher, dans le premier
mot sous l’influence de la graphie -ay-, dans le second sous l’action
de empêche.
R . — Sous l’action des labiales environnantes, l’f du v. fr.
e m a r q u e

abçvrer a passé de bonne heure à [te], d’où [ü] dans v, fr. abuvrer < v fr.
abeuvrer (auj. abreuver) ; et. ci-dessus, pp. 451_sq.

b) Lorsqu’au contraire, au moment de la transformation, e


roman prétonique se trouvait en syllabe fermée, il a maintenu
partout son timbre jusqu’à la fin du xne siècle. A partir de cette
date, une distinction est intervenue. Elle s’explique par le fait
que peu auparavant les syllabes primitivement fermées par un s
antéconsonantique étaient devenues ouvertes par suite de la
chute de cette consonne, alors que les autres syllabes continuaient
à rester fermées.
Il en est résulté que l’ancien e s’est conservé dans v. fr. mene(s)
trel, mais a passé à f ç] dans v. fr. enterver, reverchier.

R e m a r q u e I. — Le second e du fr. mod. ménestrel est ouvert, à cause


du caractère fermé de la syllabe à laauelle il appartient, la prononciation
ayant été calquée sur l'ancienne orthographe qui avait conservé le s.
R e m a r q u e II. — Chasleldun a été refait en Châteaudun sur le modèle
de château < castëtlu.
4S2 VOYELLES INACCENTUÉES : PR ÉT O N IQ U ES IN TERN ES

Un cas particulier est celui de e roman prétonique suivi d’un


g implosif qui s’est maintenu. La diphtongue ci qui a résulté
de la combinaison a passé à oi dans Je courant du x e siècle, et
de là a évolué en [wç], puis [wa], dans v. fr. coveitier — covoitier
(auj. convoiter).
R e m a r q u e . — Dans v. fr. arbreissel < *arborîscellu et v. fr. vermeissel
< *vermlscellu, ej, a passé à ii ( > ï) par suite d'une dissimilation avec
( accent, et de l’action fermante de ƒ. D’où v. fr. arbrissel, vermisset, auj.
arbrisseau, vermisseau.

a roman prètoniqne. — Préalablement au passage de e roman


prétonique à [e] central, a roman prétonique s’était palatalisé en
e lorsqu’il se trouvait en syllabe ouverte. C’est ainsi qu’on a eu
un e dans les continuateurs gallo-romans de *mat(e)r(i)amentu,
temp(e)ramentu, imperatôre, mais non dans ceux de *esparpïliare ;
— *amar(ï)tümine, arc(ü)ballista, *caball(ï)care, intam(ï)nare,
*exrad(ï)care ; — *adrationare, *adsationare, *impast(o)riare où
l’a roman prétonique se trouvait soit en syllabe originairement
fermée, soit en syllabe devenue fermée par suite de la syncope
de la seconde prétonique ou par le développement d’un y implosif
de transposition.
Au moment où e roman prétonique passait à [e] central en
syllabe ouverte, la syllabation avait pu changer dans les mots
de la seconde série. Par suite de la simplification des géminées,
l’a roman prétonique était venu à se trouver en syllabe ouverte
dans les continuateurs gallo-romans de arc(ü)ballïsta, intam(ï)nare
(< *entammare). Il en est de même pour celui de exrad(i)care,
l’ancienne affriquée -ts- s’étant réduite avant cette date à -s-.
Peu importe cependant. Dans tous les mots où, au moment de
la syncope des prétoniques internes, la syllabe était fermée, on
a eu un a prétonique qui s’est opposé à l’[e] central de v. fr. mai-
remenl, v. fr. temprement, v. fr. emperëor, provenant lui d’un a
prétonique originairement en syllabe ouverte.
Cet a s’est conservé sans changement dans éparpiller, arbalète,
entamer, arracher. Mais il s’est nasalisé dans étancher, où il était
suivi d’une consonne nasale implosive. Au contact d’un w prove­
nant de / antéconsonantique, il a formé avec ce dernier une diph­
tongue au qui s’est monophtonguée en o à date prélittéraire dans
chevaucher. De même, en combinaison avec un y implosif, il a
donné naissance à une diphtongue ai qui s’est réduite à e dans
v. fr. araisnier, v. fr. asaisnier, v. fr. empaislrier (auj. empêtrer).

R . — Le v. fr., fr. mod. amertume, pour v. fr. amartume, a


e m a r q u e

été refait sur amer < amaru.

o roman prétonique. — a) Lorsqu’au moment de la transfor­


mation, o roman prétonique se trouvait en syllabe ouverte, il a
passé comme e (primaire ou provenant de a) à [$] central, d’où
SYNCOPE GALLO-ROMANE 483
plus tard [œ] (cf. ci-dessus pp. 430 sq.), dans v. fr. Embrëun (auj.
Embrun), v fr. diemanche (auj. dimanche), v fr. Ostëun (auj.
Autun).
R emarque I. — Les deux o prétoniques de v fr. escolovregier s’expli­
quent par l’influence de colovregier, influencé lui-même par lovregier
< *lübricare.
II. — De même, v. fr. aco(u)ter — aco(u)der doit son ç
R emarque
( > aux formes accentuées sur le radical v. fr. aco(u)le — aco(u)de.
u)
R emarque III. -— L’o prétonique (d’où plus tard u) s’est encore
conservé à cause de l’hiatus dans v. fr. espoenter (auj. épouvanter).

b) Mais si, au moment de la transformation, o roman préto­


nique était en syllabe fermée, il s’est conservé pour passer ensuite
à u vers le xm e siècle, dans acoutrer (< acoslrer).
Au contact d’une consonne nasale implosive, il s’est nasalisé
ô, et cet à s’est ouvert normalement, à cause de son caractère
inaccentué, en â, dans v. fr. comengier < commünicare, fr. chalen-
gier < calümniare.
R e m a r q u e . — h ’ç de écorcher e s t a n a lo g iq u e de écorche < *excôrlicat.

B .— Cas d’une seule prétonique interne

Il faut distinguer le traitement de a de celui des autres voyelles.

1° A PRÉTONIQUE INTERNE

Au moment où les autres prétoniques internes tombaient, a


s’est maintenu soit en sullabe ouverte, soit en syllabe fermée,
qu’il fût précédé de deux ou d’une seule consonne dans la même
syllabe.
Mais la syllabation qui n’a eu aucune importance sur le main­
tien de cette voyelle au moment de la syncope, en a eu une dans
la suite.
En effet, a prétonique interne s’est fermé en e dans les syllabes
originairement ouvertes ou devenues ouvertes par suite de la
simplification des géminées anciennes (p. 482) ou de la réduction
de -y/-, -yh- ( < lat. -ly-, -ny-) à -l-, -n-. Il a conservé son timbre
latin dans les syllabes restées fermées. D’où deux groupes de
notes à distinguer.

a) A prétonique interne en syllabe ouverte. — En syllabe ori­


ginairement ouverte ou devenue ouverte, « prétonique interne
s’est fermé tout d’abord en ç.
484 VOYELLES IN A CCEN TU ÉES C P R É T O N IQ U E S IN T E R N E S

Quant à cet e, il a éprouvé un double traitement, suivant qu’il


était suivi d’une consonne autre que / et n ou non.
Devant une consonne autre que l et n, l’e provenant de a a
passé à e central, puis de là à œ (pp. 430 sq.).
Ex. : alramentu > v. fr. arrement, germ. Austraberia > Aus-
treberte, *baccalare > v. fr. bacheler (auj. bachelier), Campanïscu
> Champenois, *canapütiu > v. fr. chenevuis (auj. chénevis),
*canlarât > chantera, *cantareat > v. fr. chantereit — chanteroit
(auj. chanterait), *eskapïnu (frc. *skapin) > échevin, *eskrabïtia
(frc. *krabltja) > écrevisse, ferramentu > ferrement, *fortarïcia
> forteresse, in-transactu > v. fr. entresait, ment(e) habere >
v. fr. mentevoir, ornamentu > ornement, orphaninu > orphelin,
sacramentu > v. fr. sairement (auj. serment), etc.
Avec [e] en hiatus en v. fr. / armatüra > armëure, Hevatïciu
> levëiz, abbatïssa > abëesse, anatïcüla > anëiïle, *mercatante >
marchëant, *miratôriu > mirëoir, *catalëdu > chaëlit, Catalaunos
> Chaëlons, cruda-menie > cruëment, media-nöcte > miënuit, etc.,
auj. armure, (ponl-)levis, abbesse, marchant, miroir, châlit, Châlons,
crûment (ou cruement), minuit, etc.

Remarque I. — En v. fr. on a achale < *adcaptat et acheter < *adcap-


tare. Acheter suppose qu’au moment du passage de a inaccentué à ç, la
géminée tt issue du groupe -pt- s’était déjà simplifié : l’a prétonique interne
se trouvant dans une syllabe ouverte a passé normalement à ç. Si on a
un a accentué dans y. fr. achate, c’est qu’au moment de la diphtongaison
de a dans mare la simplification de la géminée tt n’avait pas encore eu
lieu. Ainsi on peut conclure que le passage de a inaccentué à e est posté­
rieur à la diphtongaison de a accentué, l’un et l’autre en syllabe ouverte.
D’autre part, la simplification des géminées anciennes doit probablement
se situer entre les deux phénomènes.
Remarque II. — Passereau remonte non au lat. litt, passer, mais
à une forme parlée *passar, qui est aussi à la base du cast, pajaro et du
roum. pasare.
Remarque III. — Eperon provient sans doute d'un type *esparône,
résultant d’une dissimilation o — ó > a — 6 dans *esporône (frc. *sporo).
R emarque IV. — De même une dissimilation du type e — e — é > e
— a — é a dû se produire dans *vertabêlla, qui est pour vertlbella ; d’où fr.
vertevelle. La forme sans dissimilation donne régulièrement vervette en
v. fr., par suite de la syncope de e provenant de ï.
Remarque V. — Le v. fr. denerée (auj. denrée) suppose un type *dena-
rala provenant de la chute de y postcons avant l'accent dans *denariata.
Si cette chute n’avait pas eu lieu (sous l’action analogique de denariu),
on aurait eu *denairée, parallèlement au vpr. denairada.
Remarque VI. — L’a de écraser (v. fr. escraser) s’explique par l'action
de la forme simple du v. fr. crasir (frc. krasjan) ou *craser.
R
e m a r q u e VII. — L'a du v. fr. esvanir < *exvariïre (1. cl. evanascere)
est sans doute dû au caractère savant du mot. Le fr. évanouir, qui semble
refait sur le parfait latin evanuit, se révèle lui-même d’origine savante.
R emarque VIII. — Pour la chute de Vf provenant de a dans denrée,
< denerée, v. fr. donra — dorra, < donnera, v. fr. finra < finera (de finer)
etc., cf. p. 510.
SYNCOPE GALLO-ROMANE 485
Mais lorsqu’il était suivi de l et h, l’e provenant de a prétonique
interne s’est tout d’abord conservé et a passé ensuite à i.
D’où vfr. champignuel < *campaniolu, champignon < *campa-
nione, vfr. escheillon (auj. échillon) < *escalione, vfr. gaïgnier <
*gaeignier < *wa(i)daniare (frc. waihanjan), gaspiller < *gas-
peillier < celt. *waspaliare, vfr. traveillier et iravillier < *lripa-
liare, etc.
e m a r q u e . — Les formes avec [a] telles que baaillier (auj. bâiller )
R
< *balaculare, compagnon < *companione, vfr. gangnier (auj. gagner), vfr.
gaspaillier, travailler, etc. sont analogiques de baaille < *batacülat, com-
pain (primitivement kom pajn ) vfr. gaagne < *wa(i)danjat, vfr. gaspaille
< *waspaliat, travaille < *iripaliat, etc.

b) A préionique interne en syllabe fermée. — En syllabe fermée


a prétonique interne a conservé son timbre.

Ex. : vfr. esparvier < *esparvariu (frc. sparwâri), vfr. escharnir


< *escarnire (frc. *skarnjan), vfr. eschargaite < *escarguaita (frc.
*skârwahta), vfr. malastru < *mal(e)-astrücu, etc.
R I. — Vu sa date ( x n e s.) esperoier (auj. épero-) est dû à
e m a r q u e

une assimilation plutôt qu’à une fausse régression (p. 446).


R II. — Dans v. fr. eschalgaite, qui existe à côté de eschar­
e m a r q u e

gaite, l’a prétonique interne s’est combiné avec le w provenant de l anté-


consonantique pour former une diphtongue au, qui s’est monophtonguée
de bonne heure en o ; d’où fr. mod. échauguelte.
R III. — Le fr. mod. malotru résulte probablement d’une
e m a r q u e

dissimilation a — a > a — o dans vfr. mala(s)tru, à laquelle s’est ajoutée


l’action assimilatrice de la voyelle finale du mot.
R IV. — L’a prétonique de chevalier est dû à l’influence de
e m a r q u e

cheval < caballa. La géminée -II- s’étant simplifiée avant le passage de a


prétonique interne à e, on aurait dû avoir régulièrement *chevalier.

C’est encore le cas des mots où a prétonique interne était dans


une syllabe fermée par un y, devenu i diphtongal. Mais ici l'a a
fini par se fermer en e sous l’action de i, et la diphtongue ei a subi
le même traitement que la diphtongue ei provenant de ê latin ;
d’où oi dans occasione > vfr. achoison, oratione > vfr. oroison,
*pantasiare > vfr. pantoisier (d’où le fr. mod. pantois), *spasma-
tione > pâmoison, venatione > vfr. venoison.
R 1 . — Sous l’influence de mots comme raison < ratione,
e m a r q u e

aison < satione, dans lesquels la diphtongue a( en syllabe initiale s’est


maintenue plus longtemps et a fini par passer à ç, on a aussi en vfr. oraison,
venaison, achaison, pasmaison. Les deux premières formes se sont conti­
nuées jusqu’aujourd’hui.
R e m a r q u e II. — L’[ç] de besaiguë < *bisacùla (ascia) est analogique
de celui de aigu < acûtu.
486 VOYELLES INACCENTUÉES : PR ÉTO N IQ U ES INTERNES

R III. — L’ai du vfr. pantaisier (d’où aussi vfr. pantais ) peut


e m a r q u e

s’expliquer de la même façon que celui de oraison, venaison, etc. ; mais


aussi par l’influence de vfr. pantoise < *pantasiat.
R IV. — Dans les anciens dialectes du Nord et de l’Est,
e m a r q u e

ainsi qu’en anglo-normand, la diphtongue ej, provenant de aj, s’est réduite


à i ; d’où orison, venison, ochison, etc., parallèles à damisele < *domnicëlla.
R V. — Occasion, adm iration, création, etc. sont des mots
e m a r q u e

savants.

2° P rétoniques internes autres que A

L’évolution peut être phonétique ou avoir été troublée par


l’analogie.

a) Evolution phonétique

Dans certains cas les prétoniques internes se sont maintenues.


On étudiera la question de leur timbre. Dans d’autres cas, elles
se sont amuies.

D’où la triple division suivante : 1° Phénomènes de conservation


— 2° Etude du timbre des prétoniques internes qui se conservent
— 3° Phénomènes de chute.

1° Phénomènes de conservation. —- Les prétoniques internes


autres que a se sont conservées dans les cas suivants :

a) Lorsqu’au moment de la syncope, elles se trouvaient en syl­


labe fermée :
Par le premier élément d’une géminée ; cf. avellana > vfr. ave-
laine (auj. aveline), *cancellariu > chancelier, appellare > appeler,
* tabellare > taveler, etc.
Par un y implosif appartenant aux groupes -yl-, -yh- (lat. -ly-,
-ny-) dans papïlione > vfr. paveillon (auj. pavilon), Castellione
> vfr. Chasteillon (auj. Châtillon), consïliare > conseiller, *catë-
nione > vfr. chaeignon (auj. chignon), etc. ; — appartenant au
groupe -yr- ( < lat. -gr-, -ry-) dans *pelegrïnu (cl. peregrinum) >
*peleyrino > pèlerin, *escüriolu (cl. scürium) > *escuyrolu > vfr.
escuireul — escuriel (auj. écureuil) ; — appartenant au groupe
-yss- (lat. -ssy-) dans excüssione > *escoyssone > vfr. escoisson ; —
appartenant au groupe -ydz- (lat. -ty-) dans acütiare > *aguydzare
SYNCOPE GALLO-ROMANE 487
> aiguiser ; — appartenant au groupe -yss- (lat. -sce) dans *gru-
miscëllu > *grumeyss(y)ello > *grumeisel > vfr. grumisseau,
*vermïscëllu > vfr. vermeissel (auj. vermisseau).
Par le premier élément d’une géminée ; cf. senecione > *senetl-
sione > seneçon, *ericione > vfr. ireçon (auj. hérisson), suspicione
> vfr. sospeçon (auj. soupçon), *hamicione > hameçon, corriip-
tiare > vfr. correcier (auj. courroucer), etc.
Par un r, un Zou un n suivis de consonne ; cf. tabernariu > taver-
nier, germ. *esmeltire > vfr. esmeltir, *juvencëllu > jouvenceau, etc.
Par le groupe sp dans *albïspïna > aubépine.

R I. — Le vfr. joignor remonte non à *jüveniore, mais à


e m a r q u e
*juniore (cl. juniorem) pour l’ü duquel cf. pp. 184 sq.
R II. — Le vfr. greslor ne continue pas directement graciliore
e m a r q u e

mais a été refait sur gresle (auj. grêle) < gracile.


Re m a r q u eIII. — Lorsque, pour une raison savante, les groupes
latins -ly-, -ny- n’ont pas abouti à -yl-, -yn-, la prétonique interne est tom­
bée régulièrement ; cf. Auriliacu > Orly, Mariliacu > Marly, *Gari-
niacu > Jarny, etc.

ß) Lorsque, tout en étant en syllabe ouverte, elles se trouvaient


précédées du groupe consonne liquide.

Ex. : *putritüra > vfr. porrëure, caprïfôlia > chèvrejeuil, qua-


drïfürcu > vfr. carreforc (auj. carrefour), *pelrosïliu (cl. petroseli-
num) > vfr. perresil, Petriciacu > Perrecy, et les futurs du vfr.
covrera (de courir), sofrera (de sofrir), emplera (de emplir).

R I.. — En plus d e ces exemples, on peut en citer d’autres qui


e m a r q u e

se révèlent comme plus ou moins savants : latroclniu > vfr. larrecin (auj.
larcin), *nutritüra > vfr. norreture (auj. nourriture), *putritüra > vfr.
porreture (auj. pourriture), fabrlcare > vfr. javregier, lùbrîcarc > vfr.
lovregier, etc.

y) Lorsque, au moment de la syncope, elles étaient en hiatus


avec une voyelle suivante ou précédente.

Ex. : *escofïna ( = *scofïna) > vfr. escohïne (auj. écoine), *escro~


fëllas ( = *scrofëllas) > vfr. escroeles (auj. écrouelles), etc.
*bragïtïre > *bra(y)idire > vfr. braidir (et braidif), *hagirône
(frc. *haigiro) > *ha(y)irone > vfr. hairon (auj. héron), côgïtare
> *cu(y)itare > *cuidar”e > vfr. cuidier, *placïtare > *pla(y)itare
> *plàidare > vfr. plaidier (auj. plaider), vocïtare > *vo(y)itare
> voidare > vfr. vuidier (auj. vider).
488 VOYELLES INACCENTUÉES : PRÉTONIQUES IN TERN ES

Rkmaiujce. - ~ Le phénomène est parallèle à celui que l’on constate


dans le cas de ptantaginc (p. 459) : le y issu de la simplification de yy(-g*>
-c• de prétonique interne), a disparu au contact de l’i suivant. Ce dernier se
trouvant en hiatus s’est maintenu tout d'abord avec sa valeur syllabique,
et a permis au -t- de se sonoriser.
On ne saurait d’ailleurs opposer le cas de vfr. meitié (auj. moitié) à celui
de euiditr, plaidier, vuidicr. Si le s’est maintenu sourd dans *me(y)yelate
(< medietate), c’est que. IVprétonique s’étant ici amuï, il est entré au contact
d’un y.
Plusieurs raisons ont pu intervenir d’ailleurs à la fois pour
maintenir les prétoniques internes. Elles peuvent être, les unes
et les autres, de nature phonétique, comme dans le cas de *riüs-
cêlltt ( = *rii>ùscèllu) > vfr. riussel (auj. ruisseau), et de *faüstëllu
(= *fagüstèllu) > fouteau, dans lesquels la prétonique était en
hiatus avec la voyelle précédente et en même temps suivie d’une
consonne implosive. Mais le plus souvent, c’est l’analogie qui est
venue renforcer l’action de la phonétique. Ainsi, dans vfr. ernboi-
sier < *imbausiare, vfr. espaissier (auj. épaissir) < *spïssiare,
vfr. angoissier (auj. angoisser) < angüstiare, vfr. neteiier — netoiier
(auj. nettoyer) < *nïttïdiare, etc. ; — vfr. esfrëer (auj. effrayer)
< germ. *exfrïdare, vfr. aproismier < *adpro.vimare, vfr. empleiier
— emploiier (auj. employer) < *implicate, vfr. despreisicr — des-
proisier < *d(e)exprèliare, etc., la prétonique interne devait se
maintenir soit à cause du y implosif suivant, soit à cause du groupe
consonne + liquide précédent. On ne saurait nier cependant l’in­
fluence qu’ont pu exercer les formes sans préfixe *bansiare, plïcare,
prètiare, etc. ou les formes correspondantes accentuées sur le radical
*spïssiat, angüstiat, *nïttïdiat, *exfridai, adprôximat, etc. Tout ce
qu’on peut dire, c’est que cette influence analogique n’est, pas indis­
pensable.

2° Timbre des prétoniques qui se maintiennent. — .11 reste main­


tenant à étudier le timbre des prétoniques internes autres que a,
dans les cas où elles se sont maintenues.

Au moment de la syncope gallo-romane, on avait à la préto­


nique interne :

ç < lat. e, l ;
0 < lat. p, a ;

Et de plus, dans les continuateurs de *attïtiare, *escüriolu et


acütiare, dont le vocalisme était sous la dépendance de celui de
*attïtiat, *escürin et aeûtiat,

1 < lat. f ;
u < lat. ü.
SYNCOPE GALLO-ROMANE 489
Dans la suite, l'i a maintenu son timbre dans *atiyd:yare >
vfr. alisier (auj. attiser). Quant à la diphtongue |u{] de *escuyriuo~
lo et de *aguyd:yare, elle s’est palatalisée en [lii], puis transformée
en [ü'i] vers la fin du xue siècle. A partir de là, il y a eu double évo­
lution. Dans le premier mot, le groupe [iïi] s’est réduit à {üj. paral­
lèlement à vfr. luiter (<*lüclare) > lutter ; d’où fr. mod. écureuil.
Dans le second, il s’est conservé sous l’influence de aiguise < acü~
tiat ; d’où auj. aiguiser = [çgwizç]. Mais on a aussi régulièrement
[çgizç] — aiguiser ; d’où [çgiz] = aiguise.
Quant à f et p romans prétoniques, ils ont subi d’importantes
transformations.

ç prétonique roman

jc) Lorsqu’au moment de la transformation, ç roman prétonique


se trouvait en syllabe ouverte, il a passé à [f] central, d’où plus tard
[œ] (cf. pp. 430 sq.) :
Dans chèvrefeuille, vfr. carreforc (auj. carrefour), où la syllabe
était originairement ouverte ;
Dans appeler, vfr. avelaine (auj. aveline), chancelier, taveler,
etc., où la syllabe, originairement fermée, était devenue ouverte
par suite de la simplification de la géminée -H- ;
Dans séneçon, hameçon, vfr. ireçon (auj. hérisson), vfr. sospe-
çon (auj. soupçon), etc., où l’affriquée intervocalique -tfs- s’était
réduite à -s- ;
Et dans péleiin qui remonte à un ancien *peleyrino (< *pdegrï-
nu, cl. peregrinum), dans lequel le y s’est amuï, après la chute des
prétoniques internes, sous l’action dissimilatrice de l’i accentué
suivant, comme cela a eu lieu dans *coissin (< *coxïnu) > vfr.
cossin (auj. coussin).
Il a cependant conservé son timbre dans deux cas : lorsque
la consonne suivante était un / ou un n, provenant eux-mèmes
d’anciens groupes -y/-, -yn- (< lat. -ly-, -ni/-) dans lesquels le g
avait été absorbé par / et n ; cf. *pavçfone < papïlione, *t$astçlone
< Castellionc, *lsadchone < *catênionc, *Avçnone < Ave-
nione, *kwatrçlone < *qualrïnione, etc ; — lorsque la consonne
suivante était un Z, provenant de la réduction d’une ancienne affri-
quée dz, dans vfr. favregier, vfr. lovregier. Ultérieurement, cet e
ainsi conservé s’est fermé en i au contact de / et d dans pavillon,
Chàtillon, tourbillon, carillon, chignon, Avignon et Flavigny <
Flaviniacu, Aubigng < Albiniacu, Savigny < Sabiniacu. etc. Les
formes avec ç existent encore en vfr. ; cf. p. ex. paveillon, Chasleil-
Ion, chaeignon, etc.
R emarque l. — L’[f] prétonique du vfr. irreon est parfaitement régu­
lier, car il continue un ancien 1provenant, de l'abrègement de I inaccentué
dans *erlcione (cl. erîcium). Quant, à l’i initial, il peut s’expliquer par une
490 VOYELLES IN A CCEN TU ÉES : P R ÉT O N IQ U ES IN T E R N E S

dissimilation e — e — e — > — e-----i — e dans l'ancien groupe *dcs


ereçons. La forme du fr. mod. hérisson (cf. aussi vfr. eriçon) provient peut-
être elle-même d’une dissimilation e — e > e — i dans le groupe *un
ereçon.
R II. — Conseiller < conslliare — conslliariu doit son Q
e m a r q u e

prétonique à l’influence de conseille < conslliat, conseil < conslliu.

3) Si, au moment de la transformation, ç roman prétonique


se trouvait en syllabe fermée, il a maintenu partout son timbre
jusqu’à la fin du x n e siècle. A partir de cette date, une distinction
est intervenue. Elle s’explique par le fait que peu auparavant
les syllabes primitivement fermées par un s antéconsonantique
étaient devenues ouvertes par suite de la chute de cette consonne,
alors que les autres syllabes continuaient à rester fermées.
Il en est résulté que l’ancien e s’est conservé dans aube(s)pine
(auj. aubépine), mais a passé à g dans tavernier, gouverner, etc.
R . — Dans le vfr. esmeltir, Ye roman prétonique qui s'était
e m a r q u e

conservé en syllabe fermée a formé une diphtongue avec le w provenant de


/ antéconsonantique, d’où ey. [ce] dans le fr. mod. émeulir.

Un cas particulier est celui de e roman prétonique suivi d’un y


implosif qui s’est maintenu. La diphtongue ei qui a résulté de la
combinaison a passé à oi dans le courant du x e siècle, et de là a
évolué en [u>g], puis [wa] dans *domnicëllu > *[domeydzçlo] > vfr.
dameisel — damoisel (auj. damoiseau), *domnicëlla > vfr. damei-
sele — damoiselle (auj. demoiselle).
Dans les mots du type vfr. empleiier — emploiier < implïcare,
vfr. neteiier — netoiier < *nïttïdiare, la diphtongue ei a passé
à oi avant la réduction de la géminée -yy-, d’où, après la réduction
vfr. emplo lier, vfr. neto jier qui ont cédé la place vers le x v ie siècle
à [â™plwçy e\, [netwçye], auj. [dplwaye], [netwaye], d’après le proces­
sus étudié pp. 269 sq.

p roman prétonique

x) Lorsqu’au moment de la transformation, o roman prétonique


se trouvait en syllabe ouverte il a passé à [ç] central, d’où plus tard
[ce] (cf. pp. 430 sq.) :
Dans vfr. perresil (auj. persil), où la syllabe était originairement
ouverte ;
Dans vfr. larrecin (auj. larcin), vfr. correcier (auj. courroucer),
-où la syllabe, originairement fermée, était devenue ouverte par
suite de la simplification.de l’affriquée -f/s > rS-. "r
SYNCOPE GALLO-ROMANE 491
R I. — Dans Périgord. < *Petrocoru Yi prétonique interne
e m a r q u e

s’explique par une dissimilation e — e —> e — i qui s’est produite dans


un plus ancien *Peregord.
R II. — A côté de correcier, le vfr. possédait aussi corroder,
e m a r q u e

analogique de corroce < *corrüptiat. C’est cette forme qui s’est conservée
dans le fr. mod. courroucer.
R III. — De même, vfr. englçlir (auj. engloutir), vfr. adçber
e m a r q u e

(auj. adouber) < germ. *addübbare, etc. doivent leur o (> u) à glot < glûttu,
adobe < *addübbat.

Mais F o roman prétonique n’a pas passé à \e] central lorsqu’il


était en hiatus avec une voyelle accentuée suivante. Ultérieure­
ment, cet o s’est fermé en u ; d’où écrouelles.

R . — La conservation de o roman dans vfr. escolne s'expli­


e m a r q u e

que de la même façon. La prononciation du fr. mod., avec [wa\ est une
prononciation orthographique.

L’o roman prétonique s’est encore conservé au contact de l et de


n ; d’où vfr. despoillier (auj. dépouiller) < *despoliare, vfr. cëoi-
gnole < ciconiola, Galoniacu > Jalogng.

R . — Burgündione est représenté régulièrement en vfr. par


e m a r q u e

Borgoignon. Si on a en vfr. Borguignon, auj. Bourguignon, c’est qu’il s’est


produit à date ancienne une dissimilation o — à > e — ô. L ’e prétonique
ainsi obtenu s’est fermé en i au contact du n suivant. Le même phénomène
a eu lieu dans Coloniacu > Coligny et dans échignole, forme normanno-pi-
carde, correspondant au vfr. cêoignole.

ß) Si, au moment de la transformation, o roman prétonique


se trouvait en syllabe fermée, il a conservé son timbre. Ainsi dans
vfr. behorder < germ. *bihurdare, où l’o s’est fermé en u au xm®
siècle, et dans écouter, anciennement escolter, dans lequel Vu pro­
vient de la diphtongue ou, avec second élément provenant de l
antéconsonantique.

R I. — Avorter < abortare, absorber (vfr. assorbir), etc., avec


e m a r q u e

p, sont le premier analogique de avorte < abortat, le second savant.


R II. — La conservation de o prétonique interne en syllabe
e m a r q u e

fermée se devine encore dans Potangis < Posiumiacus, Vesontione > Besan­
çon, et dans vfr. chalengier calumniare, dont l’[d] remonte à un ancien [Ô]
inaccentué.
R III. — Dans *faùstellu ( < *fagüsUllu), le groupe secon­
e m a r q u e

daire -a /ü- a formé une diphtongue a y. qui s’est monophtonguéc de bonne


heure en o. Cet o, se trouvant en syllabe fermée par s antéconsonantique,
s’est conservé, d’où plus tard u, dans fouteau.
492 VO YELLES IN A C C E N T U É E S P R É T O N IQ U E S IN T E R N E S

3° Phénomènes de chute. — En dehors des cas qui viennent


d'être signalés, les prétoniques autres que a sont régulièrement
tombées avant la sonorisation des sourdes intervocaliques.

La syncope s’est produite en premier lieu dans les cas où la pré­


tonique interne était précédée d’une consonne simple ou d’une
géminée :

L-F ; cf. *malefatu > vfr. maufé, *malefatü(ii > vfr. malfëu.
R-FR ; cf. germ. Herifrïdu > Herfroy.
p-T ; cf. capiluneu > vfr. châtaigne, capitëllu > vfr. chatel, repü-
tare > vfr. reter.
B-T ; cf. debïtôre > vfr. detor — detour — deteur, dübïtare >
douter, *subtianu > v fr. soutain.

v-t ; cf. civïtate > cité, *grëvïtate > vfr. grieté.


s-T ; cf. *co(n)s(u)elüdïne > coutume, *co(n)sütüra > couture,
ma(n)s(u)etïnu > vfr. mastin (auj. mâtin).
Y-T ; cf. pietate = [piyetafe] > pitié, quietare — [kiyetare] > vfr.
quitier (auj. quitter).
L-T ; cf. *ali-tantu > autant, molïtura > mouture.
R-T ; cf. amantüdine > vfr. amarlume (auj. amertume), clari-
iate > clarté, obscur ïtate > vfr. oscurié, verdate > vfr. verlé.
M-T ; cf. comïtatu > comté, domïtare > vfr. douter (auj. dompter),
*limïtale > vfr. lintel (auj. linteau), Nemetôdüru > Nanterre, Ne-
metoiulu > Nanteuil, semïtariu > sentier.
N-T ; cf. bonïtate > bonté, sanitate > santé.
N-T ; cf. *adcognîlare > *acconetare > vfr. acointier (auj. s'ac­
cointer), dignitate > *denetale > vfr. deintié (auj. daintiers), *longî-
tanu > *lonetanu > lointain.
L-TR ; cf. melelrïce (dissimilation de meretrïce) > vfr. meltriz.
p -T SY ; cf. *crepïcella > *crepelsyella > crécelle.
B-TSY ; cf. b ïb ïtio n e > *bebetsyone > vfr. besson (auj. boisson).

v-TSY ; cf. *clavïcella > *clavelsyella > vfr. clacele, *navïcella >
*navetsyella > nacelle. ■
D-TSY,; cf. medicina > *medels(y)ina > vfr. mecinet radïcîna
> *radets(y)ina > racine, Codïciacu. > Coucy. " ^ -
SYNCOPE GALLO-ROMANE 493
l-t sy ; cf. *fïlïcella > *filetsyella > ficelle.
r -t s y ; cf. *dürïcïre > *durels(y)ire > durcir.
N-TSY ; cf. minütiare > *minelsyare > vfr. minder.
d - k ; cf. nldïcare > nicher.

s-K ; cf. nasïcare > vfr. naschier.


L-K ; cf. fïlïcaria > vfr. felchiere.

R-K ; cf. aurichalcu > vfr. orchal (auj. archaï).


M-K ; cf. fumïcare > v. pic. funkier.

N-K ; cf. pronïcare > broncher.


R - s ; cf. Cur(i)osolitu > Corseult.

L-s ; cf. *ali-sïc > aussi.


LL-p ; cf. pullïpëde > vfr. polpié (auj. pourpier).

LL-T ; cf. *bellïtate > vfr. belté (auj. beauté).

YY-T ; cf. medietate > *meyyetale > vfr. meitié (auj.moitié).


ss-TSY ; cf. ossïcellu > *ossetsyello > vfr. ossel.
LL-TSY ; cf. *follïcëllu > *follelsyello > vfr. foucel, *pû(e)lli~
cella > pucelle, sollicitât > soucie.
NN-TSY ; cf. *domnïcëllu > *donnetsyello > vfr. doncel.
TT-K ; cf. kc(o)adïcare > *cattïcare > cacher, *flecticare >
*flettïcare > vfr. flechier.
SS-K-; cf. *intoxicare> *intossecare >vfr. entoschier, *laxïcare >
*lassecare > vfr. laschier (auj. lâcher), *persicariu > pessecario >
vfr. peschier (auj. pêcher).
LL-K ; cf. caballïcare > chevaucher, collôcare > coucher.
RR-K ; cf. carrïcare > vfr. charchier.

Bien qu’antérieure à la sonorisation, la syncope doit avoir été


cependant plus tardive dans les cas où la prétonique interne était
précédée d’un groupe consonantique :
sp -T ; cf. hospitale > v fr. ostel (a u j. hôtel).
ND-T ; cf. *finditïcia > vfr. fentiz, *pendilïciu > appentis,
*.tanditüra > tonture, *tondïtïcïa > tonlisse.
494 V O Y E L L E S IN A C C E N T U É E S : P R É T O N IQ U E S IN T E R N E S

MP-T ; cf. compülare > v. fr. conter (auj. compter), impütare >
enter.
RM-T ; cf. dormïtôriu > dortoir, fïrmïtate > v . fr. ferté (cf. encore
a u jo u r d ’h u i le to p o n y m e La Ferté...).
Y D z-T ; cf. soc(i)etate > *soidz(y)etate > v . fr. soistié.
ST-TSY ; cf. *füstïcëlla > *fustetsyello > v. fr. fuissel.
RT-TSY ; cf. partitione > *partetsyone > v. fr. parçon.
NT-TSY ; cf. anlecéssor > *antetsyéssor > ancêtre, mentitionea
> *mentetsyona > v. fr. mençoigne, *pontïcëlla > *pontetsyello
> v. fr. poncel (au j. ponceau).
ND-TSY ; cf. vendïlione > *vendetsyone > v. fr. vençon.
RT-SY ; cf. *pertusiare > v. fr. percier (auj. percer).
NG-L ; cf. eingûlare > v . fr. cengler (a u j. sangler), sanguilentu
( p o u r sanguinolentu) > v . fr. sanglent (a u j. sanglant), sïngülare
> v. fr. sengler (a u j. sanglier).
NG-s ; cf. sanguïsüga > v. fr. sansue (a u j. sangsue).
ST-K ; cf. *domestïcare > v . fr. domeschier, mastïcare > v. fr.
maschier (a u j. mâcher).

RT-K ; cf. excortïcare > écorcher.


ND-K ; cf. *expandïcare > épancher, vïndïcare > v. fr. venchier,
v. fr. revenchier.
NT-K ; cf. *penticare > pencher.

De plus, bien que le phénomène de sonorisation ne puisse four­


nir aucun renseignement, il est probable que la syncope s’est
produite à la même époque que dans les mots ci-dessus lorsque
la prétonique interne était entourée des consonnes suivantes :

D’abord :

p-R ; cf. leporariu > *leprario > levrier.


B-R ; cf. *haberât > *abrdt > aura.
L-B ; cf. *alibanu (frc. *aliban) > aubain, aubaine.
l-n ; cf. *salïnariu > saunier.
R-v ; cf. cerebelle > *iserevello > v. fr. cervel (auj. ce rv ea u ).
SYNCOPE GALLO-ROMANE 495
R-D ; cf. *far(w)idare (frc. farwidari) > farder.
R-L ; cf. parabolare > *parolare > parler.
R-M ; cf. *experimentare > v. fr. espermenler.
M-L ; cf. sïmilare > sembler, iremülare > trembler.
LB-R ; cf. germ. Albericu > Aubry.

Puis :
T-N ; cf. *pütinasiu > punais, punaise.
M -s s Y ; cf. *glomuscëllu > *glomessyello > v. fr. loinsel, ramüs-
cëllu > *ramessyello > *ransel > v. fr. rainsel par croisement
avec rain < rarnu (auj. rinceau).
YY-R ; cf. *impeiorare > v. fr. empeirier (auj. empirer) ; *duceràt
> *duyyerât > -duira. macerare > *mayyerare > v. fr. mairier.
ST-N ; cf. paslinaca > v. fr. pasnaie (auj. panais).
ST-M ; cf. aestimare > v. fr. esmer, blastemare (pour blasphemare)
> v. fr. blasmer (auj. blâmer).
RT-M ; cf. *forlimente > v. fr. forment.
RD-N ; cf. cardinale > v. fr. chernel.

ND-N ; cf. *grandimente > v. fr. gramment.


YS-N ; cf. taxonaria > taisenaria > v. fr. iaisnière (auj. tanière).
y z - n ; cf. ma(n)sionata > *maizenata > v. fr. maisniée.

Yss-N ; cf. fascinare > *faissenare > v. fr. faisnier.


YDz-T ; cf. *amicïtate > *ami(i)dz(y)etate > v. fr. amistié
(auj. amitié), *mendicilate > *mendi(i)dz(y)etate > v. fr. mendis-
tié, soc(i)eiaie > *soidz(y)etate > v. fr. soistié.
YDz-R ; cf. acerabulu > *aidz(y)erablo > érable.
YDz-N ; cf. rationare > *radiz(y)enare > v. fr. raisnier.
R emarque I. — De ces cas de syncope, il faut distinguer celui de
*globusccllu,qui à l’étape *glo(w )oyssyello a contracté oo en o, d’où *gh{s-
syello,puis par fermeture de o inaccentué en u sous l’action
*gluissello
des deux suivants ; d’où v. fr. gluicel, auj. luissel.
y
R emarque II. — L’exemple de so c(i)e ta te > v. fr. so istié, indique
que la sonorisation de tsy (< lat. -ce) où -d zy- et le développement de ce
dernier groupe en -lydzy- sont antérieurs à la syncope et à la sonorisation
de précédant immédiatement la voyelle accentuée.
496 VOYELLES INACCENTUÉES : PR ÉT O N IQ U ES IN T ER N ES

R emarque III. — Chaufour ne continue pas un type *calcifurnu, mais


est plutôt un composé de chaux < calce et de four < fürnu.
R emarque IV. — La sonorisation est normale dans fabrlcare qui est
devenu forger. Le groupe explosif br a empêché la syncope d’avoir lieu en
même temps que dans les exemples ci-dessus. Ce n’est qu’après le change­
ment de -br- en -yr- qu’elle a pu se produire ; mais à cette date le k s’était
sonorisé. On a donc eu *fabrecare > *fabregare > *fayrégaré > *faur-
gare d’où forger.

b) Action de l'analogie

Sous l’action de l’analogie, la syncope a pu être retardée et les


consonnes sourdes ont eu ainsi la possibilité de se sonoriser. De
plus, on note grâce à elle des conservations et des restitutions de
prétoniques internes.

1° Syncope retardée et sonorisation. — Plusieurs cas sont à


distinguer :
La prétonique interne a pu se maintenir jusqu’après la sono­
risation des sourdes intervocaliques précédant immédiatement la
voyelle accentuée, quand elle avait comme correspondant une finale
de paroxyton. C’est ce qui a eu lieu pour *bombïtire, *büllïcare,
capitëllu, corrlcare, fodîcare, *nldïcare, nïvïcare, *plümbïcare,
*lardïcare, vïsïtare, qui influencés par bombit, bullit, capu(t) carru,
fodit, nïdu, nlve, plümbu, tardât, vïsu sont devenus *bombedire,
*bollegare, *cabedello, *carregare, *fodegare, *nidegare, *nevegare,
*plombegare, *tardegare, *uisedare, d’où bondir, bouger, vfr, chadel
et chadeler « conduire », charger, vfr. fougier, vfr. nigier, neiger,
plonger, vfr. largier, vfr. visder.
Le même phénomène a pu avoir lieu lorsque la prétonique interne
avait comme correspondant une voyelle accentuée. Ainsi dans
adjutare, berbicariu, filïcaria, manducare, vindïcare, qui sous l’in­
fluence de adiütat, berbïce, filïdu, manducat, vindicta, sont deve­
nus *ajudare, *berbegario, *felegaria, *mandugare, *vendegare,
d’où aider, berger, fougère, manger, venger.
La syncope a pu être évitée pendant un certain temps dans le
proparoxyton sübitus pour éviter une homonymie avec l’adverbe
sübtus ; d’où *sobedo qui explique à son tour *sobedano > soudain
à côté du vfr. soutain.
R em arque I. — Siéger ne continue pas un type *scdïcare, influencé par
sede ou sedet et devenu *sedegare. C'est plutôt une réfection sur siège <
sëdlcu.
R e m a r q u e II. — On a fait remonter plus haut pencher à *peniicare
(d’après *penla < pendlla), plutôt qu’à pendlcare, car étant donné la pré:
sence de pendit on aurait eu ça et là *pengier (de *pendegare), forme qui
paraît inattestée.
SYNCOPE GALLO-ROMANE 497
R emarque III. — A côté de berger (et bergerie) ainsi gue du vfr. ber-
geal— bergeail < *bcrbegale (< *berblcale), on trouve aussi berchier et ber-
chcrie en vfr. et berçai (d’où avec changement de suffixe bercail) en nor-
manno-picard. Ces dernières formes pourraient provenir, plutôt que d’une
syncope, d ’une réduction haplologique dans *ber(be)cario et *ber(be)cale.
De même, le vfr. bereit « bercail » pourrait rem onter à *ber(be)cîle. Quant
au vfr. bergil « id. », il résulte probablement d ’un croisement de bereit avec
berg(i)er.
R emarque IV. — Cadeau est em prunté au prov. cadau < cabdau <
capitale. Cadet vient capdet < capllellu.
du gasc.

2° Conservation de prétoniques internes. — Lorsque les préto­


niques internes se sont maintenues sous l’influence des formes à
voyelle radicale accentuée, leur timbre a été au début le même
que celui de cette voyelle. Plus tard, il a subi les transformations
propres aux voyelles inaccentuées. Ces transformations pouvant
être identiques ou non à celles qui ont affecté les voyelles accen­
tuées, il en résulte qu’il peut y avoir ou ne pas y avoir de parallé­
lisme entre le timbre des prétoniques internes et celui des voyelles
accentuées correspondantes.
C’est ainsi que *îscütëlla, salütare, me(n)sürare, Cordubanu,
marïtare, mendlcare, *tragïnare, *delïcare (= delïquare), suble-
vare, etc., influences par *ïscütu, salütai, me(n)sürat (et mensûra),
Cordûba, marital (et marïtu), mendïcat (et mendïcu), *tragïnat,
délicat, etc., sont devenus écuelle, saluer, mesurer, cordouan, marier,
mendier, vfr. traîner, vfr. deleiier (auj. délayer), etc., parallèles à
écu, salue, mesure, Cordoue, marie, mendie, vfr. traîne, vfr. deleie
(auj. délaie), etc.
Par contre, dolorösu, amorösu, demôrare, sublëvare, *derëlranu,
etc., influencés par dolôre, amôre, demôrat, sublëvat (et levât), de
rétro, etc., ont donné en vfr. doloros, amoros, demorer, solever, dere-
rain, etc., avec un vocalisme différent de celui de dolour, amour,
demuere, solieve (et lieve), derrière etc. La même différence existe
encore aujourd’hui entre douloureux et douleur. Elle a été cepen­
dant effacée dans amoureux — amour (forme dialectale) et demeu­
rer— demeure. De même, en vfr. on avait [ü] dans escuier [?s-
küyer] < *ïscülariu et escu < *ïsciitu. Mais le parallélisme a dis­
paru par suite du passage de [ü/] à [wi] ; d’où fr. mod. écuyer et
écu. Dans le vfr. escui(e)ric, dérivé de escuier, le même changement
de \iii] en [wi] s’est produit, et à partir de la fin du xne siècle le
parallélisme a cessé d’exister entre ce mot et escu. Mais il a été
rétabli, le [$/] de e(s)cui(e)rie étant devenu [ü], comme dans vfr.
luilcr > fr. mod. lutter ; d’où aujourd’hui [ü] dans écurie et écu\
Un cas spécial est celui des futurs et conditionnels des verbes
en -ire. Sauf emplera, covrera, sofrera, la prétonique interne a dû
tomber régulièrement dans ces formes verbales comme en témoigne
le vfr. faudra < *fallïrât, veslra < *vestïrât, findra < *finïrât,
496 VOYELLES INACCENTUÉES : PRÉTONIQUES INTERNES

R em a r q u e III. — Chaufour ne c o n tin u e p a s u n ty p e *calcifurnu, mais


e st p lu tô t u n com posé de chaux < calce e t de Jour < fürnu.

R em a r qu e IV. — La sonorisation est normale dans fabrlcare qui est


devenu forger. Le groupe explosif br a empêché la syncope d’avoir lieu en
même temps que dans les exemples ci-dessus. Ce n’est qu’après le change­
ment de -br- en -gr- qu’elle a pu se produire ; mais à cette date le k s’était
sonorisé. On a donc eu *fabrecare > *fabregare > *fagregare > *faur-
gare d’où forger.

b) A c tio n d e l'a n a lo g ie

Sous l’action de l’analogie, la syncope a pu être retardée et les


consonnes sourdes ont eu ainsi la possibilité de se sonoriser. De
plus, on note grâce à elle des conservations et des restitutions de
prétoniques internes.

1° S yncope retardée et so n o risa tio n . — Plusieurs cas sont à


distinguer :
La prétonique interne a pu se maintenir jusqu’après la sono­
risation des sourdes intervocaliques précédant immédiatement la
voyelle accentuée, quand elle avait comme correspondant une finale
de paroxyton. C’est ce qui a eu lieu pour * b o m b ïtîre , *bullïcare,
c a p ïtë llu , corrïcare , fodlcare, * n ïd ïca re. n ïv ïc a r e , *plümbïcare ,
* ta rd ïca re, v ïslta re , qui influencés par bom bit, b u llit, c a p u (t) carru,
fo d it, n ïd u , n ïv e , p lü m b u , ta rd â t, v isu sont devenus *bombedire ,
*bollegare, *cabedello, *carregare, *fodegare, * n id eg a re, *nevegare,
* plom begare, *tardegare, *visedare, d’où bon dir, bouger, vfr. chadel
et chadeler « conduire », charger, vfr. fou gier, vfr. n ig ier, neiger,
p lon ger, vfr. ta rg ier, vfr. visder.
Le même phénomène a pu avoir lieu lorsque la prétonique interne
avait comme correspondant une voyelle accentuée. Ainsi dans
a d ju ta re, berbicariu , filïc a r ia , m anducare, v in d ïc a re , qui sous l’in­
fluence de a d jû ta t, berbïce, filïc tu , m an dû cat, v in d ïc la , sont deve­
nus * aju da re, *berbegario, *felegaria, *m an du gare, *oendegare,
d’où aider, berger, fou gère, m an ger, venger.
La syncope a pu être évitée pendant un certain temps dans le
proparoxyton sû b itu s pour éviter une homonymie avec l’adverbe
sü b tu s ; d’où *sobedo qui explique à son tour *sobedano > soudain
à côté du vfr. so u ta in .
R I. — Siéger ne continue pas un type *sedfcare, influencé par
e m a r q u e

sede ou sedet et devenu *sedegare. C’est plutôt une réfection sur siège <
sêdlcu.
R IL — On a fait remonter plus haut pencher à *pcnticare
e m a r q u e

(d’après *penta < pendlta), plutôt qu’à pendlcare, car étant donné la pré:
sence de pendit on aurait eu ça et là *pengier (de *pendegare), forme qui
paraît inattestée.
SYNCOPE GALLO-ROMANE 497
R em arque III. — A côté de berger (et bergerie) ainsi gue du vfr. ber-
geal — bergeail < *berbcgale (< *berblcalc), on trouve aussi berchier et ber-
cheric en vfr. et berçai (d’où avec changement de suffixe bercail) en nor-
m anno-picard. Ces dernières formes pourraient provenir, plutôt que d ’une
syncope, d ’une réduction haplologique dans *ber(be)cario et *ber(be)cale.
De m êm e, le vfr. bereit « bercail » pourrait rem onter à *ber(be)cile. Q uant
au vfr. bergil « id. », il résulte probablem ent d’un croisement de bereit avec
berg(i)er.
R em a rq u e IV. — Cadeau e st e m p ru n té au prov. cadau < cabdau <
capitale. Cadet v ie n t
d u gasc. capdet < capltellu.

2° Conservation de préioniques internes. — Lorsque les préto­


niques internes se sont maintenues sous l’influence des formes à
voyelle radicale accentuée, leur timbre a été au début le même
que celui de cette voyelle. Plus tard, il a subi les transformations
propres aux voyelles inaccentuées. Ces transformations pouvant
être identiques ou non à celles qui ont affecté les voyelles accen­
tuées, il en résulte qu’il peut y avoir ou ne pas y avoir de parallé­
lisme entre le timbre des prétoniques internes et celui des voyelles
accentuées correspondantes.
C’est ainsi que *ïscütëlla, salütare, me(n)sürare, Cordubanu,
marîtare, mendîcare, *lraginare, *delïcare (— delïquare), suble-
vare, etc., influences par *ïscütu, salütat, me(n)sürat (et mensüra),
Cordûba, marital (et marïtu), mendïcat (et mendïcu), *lragïnat,
délicat, etc., sont devenus écuelle, saluer, mesurer, cordouan, marier,
mendier, vfr. traîner, vfr. deleiier (auj. délayer), etc., parallèles à
écu, salue, mesure, Cordoue, marie, mendie, vfr. traîne, vfr. deleie
(auj. délaie), etc.
Par contre, dolorôsu, amorôsu, demôrare, sublëvare, *derëtranu,
etc., influencés par dolôre, amôre, demôrat, sublevat (et levât), de
rëtro, etc., ont donné en vfr. doloros, amoros, demorer, solever, dere-
rain, etc., avec un vocalisme différent de celui de dolour, amour,
demuere, solieve (et lieve), derrière etc. La même différence existe
encore aujourd’hui entre douloureux et douleur. Elle a été cepen­
dant effacée dans amoureux — amour (forme dialectale) et demeu­
rer— demeure. De même, en vfr. on avait [ü] dans escuier [?s-
kiiyçr] < *ïscütariu et escu < *isciltu. Mais le parallélisme a dis­
paru par suite du passage de fü/J à fiti] ; d’où fr. mod. écuyer et
écu. Dans le vfr. escui(e)rie, dérivé de escuier, le même changement
de fii/'l en fwi] s’est produit, et à partir de la fin du xne siècle le
parallélisme a cessé d’exister entre ce mot et escu. Mais il a été
rétabli, le [$(] de e(s)cui(e)rie étant devenu fü], comme dans vfr
luiler > fr. mod. lutter ; d’où aujourd’hui [ü] dans écurie et écu]
Un cas spécial est celui des futurs et conditionnels des verbes
en -Tre. Sauf emplera, covrera, sojrera, la prétonique interne a dû
tomber régulièrement dans ces formes verbales comme en témoigne
le vfr. faudra < *fallïràt, vestra < *vestirât, findra <: *finirai,
498 V O Y ELLES IN A CC EN T U ÉE S : P R É T O N IQ U E S IN T E R N E S

jorra < *gaudïrât, guarra < *warïràt, partra > *partïrat, repen-
tra < *repaen(i)lïràt, harm < *haiïràt, orra < *audïràt, mentra
< *menlïràt, sc/ùra < *senlïrâl, ferra < *ferïrât, ciiildra — cuea-
dra < *coll(i)gïràt, eistra — isira < *exïràt, assaudra < *adsalï-
ràt, boudra < *büllïràt, et le fr. mod. tiendra (vfr. tendra) < *teni-
rat, viendra (vfr. vendra) < *venïrat, mourra < *morïrat. Cepen­
dant, pour des raisons analogiques, les formes pleines se sont
maintenues à côté des formes syncopées. Sur le modèle des verbes
de la Ire conjugaison, où, avant le changement de a accentué ou
prétonique interne, un infinitif comme cantare avait comme cor­
respondant un futur *caniarât, un infinitif comme partïre a pu
maintenir un futur *partirai. Au moment où cela se passait, l’i de
*partiràt (bref à cause de son caractère inaccentué ; cf. pp. 184
sq.) conservait encore son timbre latin de [i). Plus tard, il s’est
ouvert en e, comme dans tous les autres mots. Puis, comme il se
trouvait en syllabe ouverte, il a abouti à [c] central ; d’où en vfr.
les formes du type parlera, veslera, guerpera, etc. Mais l’analogie
est intervenue une seconde fois. C’est encore la Ire conjugaison
qui a servi de modèle. Après le passage de a accentué et de a pré­
tonique à e, on a eu chanter : chantera avec une voyelle de timbre
identique à la terminaison. Chanter : *chantera a déterminé partir :
partira, avec i. Ainsi, ^partirai a donné naissance à trois formes en
français. L’une, partra, est tout à fait phonétique ; l’autre, parlera,
est analogique pour ce qui est de la conservation de la prétonique
interne, mais non pour ce qui est de son timbre ; la troisième, par­
tira, est analogique à tous les points de vue.

3 ° Restitution de prélonigues internes. — Dans une autre série


d’exemples, où la syncope s’est produite normalement, la préto­
nique interne a été restituée après coup sous des influences encore
analogiques.

Ainsi vfr. milfeuil < *millefôliu, forment < *forlemente, gram-


ment < * grandemente, etc. sont devenus millefeuille, fortement,
grandement, etc. d’après de mille, forte, grande, etc.

Raisnier < *rationare, raisnable < ralionabile, asaisnier <


*adsationare, empoisnier < *impotionare et m inder < minutiare
ont été refaits dès le vfr. en raisonner, raisonnable, asaisonner,
empoisonner, menuisier, sur le modèle de raisonne < rational,
raison < ralione, assaisonne < adsatiônat, empoisonne < *impo-
tiOnat, empoisonne < *impoliônat, rnenuise < minüliat.

A côté de felnie — faunie < *fellonia, le vfr. possède felonie


(conservé par le fr. mod), refait sur felon.

Le vfr. maisniee < *rnafn)siono(a a cédé la place au xvm*


SYNCOPE GALLO-ROM ANE 499

c) Mots savants ou demi-savants

Dans certains mots, la chute de la prétonique interne a été retar­


dée, de sorte qu’on a une consonne sonore au lieu d’une consonne
sourde. Dans d’autres, la prétonique interne s’est conservée.

10 Syncope retardée et sonorisation. — C’est par exemple le


cas de Andecavu > *Andegau > Anjou, Andecavis > *Andegaves
> vfr. Angiés (auj. Angers), de delïcatu > vfr. delgié — deugié, de
Domitiacu > Donzy, de *domnïcellu > vfr. donzel9 de malïfatiu >
mauvais, de verecündia > vergogne, etc.

2° Conservation de la prétonique interne. — On peut citer comme


exemples vfr. balisier (auj. baptiser) < baptizare, vfr. benëir <
benedïcere, vfr. benëeit — benëoit (auj. Benoit, et aussi benêt d’ori­
gine normande) < benedïctu, vfr. sevelir (auj. ensevelir) < sepelïre,
obéir < obedïre, vfr. majoraine (auj. marjolaine), < *majoranaf
monument < monùmentu, etc.
Il faut signaler le cas des mots savants tels que chrestiien < chris-
/ïamz, anciien < *antianu, etc., dont le premier i représente la
prétonique interne et le second le premier élément du groupe ye
provenant de la diphtongaison de a latin au contact d’une pala­
tale (ici une voyelle). Cependant le groupe -i jy- s’est réduit à -*/-
dans le cours du x m e siècle.
Souvent la forme savante a coexisté avec la forme populaire
syncopée. Ainsi on trouve en vfr. : malëir et maudire < maledïcere,
vérité et verté < veritate, partition et parçon < partitione, visiter
et visder < visitare etc. et aujourd’hui encore : naviguer et nager
< navigare, opérer et ouvrer < operare, pénitence et repentance <
paenitentia, libérer et livrer < liber are, tempérer et tremper < tem­
perare, hôpital et hôtel < hospitale, vigilant et veillant < vigilante,
Molinier (n. propre) et meunier < molinariu, blasphémer et blâmer
< blasphemare, computer et conter — compter < compütare, fermeté
et Fer/é (n. de lieu) < fïrmitate, etc.

R e m a r q u e . — D a n s vfr. sentement e t vestement (a u j. vêtement) , o n a


des form es m oins sa v a n t es que sentiment e t bâtiment (v fr. z /n en f).T an d is
que les p re m iè re s p ré s e n te n t u n tra ite m e n t f > ç > [^], les se c o n d e s s o n t
calquées e n tiè re m e n t s u r le la tin sentimentu ou le b a s - la tin *bastimentu
re fa it s u r *bastire, d 'a p rè s le m odèle sentire : sentimentu.
CHAPITRE XI

VOYELLES FINALES

On distinguera les voyelles finales de paroxytons et les voyelles


finales de proparoxytons.

I. — VOYELLES FINALES DE PAROXYTONS

Le sort des voyelles finales de paroxytons diffère suivant qu’il


s’agit de -a, ou de -e ( < lat. -e et ï) -i ( < lat. F), -o ( < lat. ô etû).

A. — A final

L’a final des paroxytons latins ou autres s’est conservé sous la


forme de e, qui représente en vfr. un le] central et plus tard un
[œ] (pp. 430 sq.).
Cette conservation se constate soit à la finale absolue, soit
devant un -s, un -t ou le groupe -n t. Ex. : v ia > voie, m ü la > mule,
alba > aube, h a rp a > h arpe, etc. ; — portas > portes, portât
> porte, p o rta n t > p o rten t, etc.
Il est probable que le passage de a final à [ç] s’est produit en
premier lieu au contact d’une prépalatale précédente ou d’un s
suivant, ce changement ayant été favorisé par l’action de ces
consonnes. Ainsi a final a dû passer à [ç] de meilleure heure dans
vacca > vache et dans p o rta s > p o rtes que dans m ü la > mule et
que dans p o r tâ t > porte.
Quoi qu’il en soit, -a > [-?] doit être postérieur au changement
de -e, -i, -o, -u en [g] ; sans quoi on ne comprendrait pas que le
premier [f] se soit maintenu, tandis que le second est tombé, comme
on le verra plus bas.
FINALES DE PAROXYTONS 501
De toute façon cependant, -a > [-f] est antérieur aux plus an­
ciens textes ; cf. dans les Gloses de Reichenau (viie-vme s.) gule
< güla, anoget < *inodiat, calves < caloas. Sans doute les Serments
de Strasbourg (842) présentent-ils dunat, a(d)judha, cadhuna à
côté de fazet < faciat. Mais cette dernière forme permet d’inter­
préter l’-a des trois premières comme une simple graphie tradi­
tionnelle, rappelant le modèle latin. A partir de la Ste-Eulalie
(fin du ixe s.), on a invariablement -e à la finale.
Pour la chute de [?] final provenant de -a latin dans seit, ait,
— c il---- oit ( < *-ëat, cl. -ébat), etc., cf. p. 512.

R. — Voyelles finales autres que -a

On étudiera successivement les cas de chute et de conservation.

1° Chute. — A la différence de -a, les autres voyelles finales


de paroxytons : -e ( < lat. e, ï), -i ( < lat. -ï), -o ( < lat. o, ü) sont
tombées d’une façon générale, qu’elles terminent directement le
mot ou qu’elles soient suivies d’un s ou d’un Zflexionnels. Ex. :
valle > val, hërï > hier, vënî > vien(s), porto > vfr. (je) port,
mûrü > mur, etc. ; — vents > viens, müros > murs, dëbët >
doit, etc.
Cette chute a eu lieu non seulement en français, mais encore
en provençal et en catalan. Cet ensemble de langues s’oppose ainsi
au castillan, au portugais, à l’italien et en partie au roumain (litté­
raire) qui fait pàcat < peccatu ; mais sâcure < securim.
Il est probable que -e, -i et -o ont abouti, avant de se réduire,
à une voyelle commune du type [e] central. Vu ce qui s’est passé
dans d’autres langues, il est permis de croire que -i a été le dernier
à subir le changement. Quoi qu’il en soit, le passage à [e] a dû être
très ancien. Lorsque cet \ç] est tombé, l’a final conservait encore
sans doute son timbre latin. C’est pourquoi il a résisté. Ce n’est
que plus tard qu’il a passé à son tour à [?].
En tout cas, la chute des voyelles finales autres que a doit être
antérieure à la fin du ixe siècle, puisque dans les Serments de
Strasbourg (842) on note amur, xpian (= Christian), savir < *sa-
plre, etc.
2° Conservation. — Cependant les voyelles finales autres que
-a se sont maintenues pour des raisons phonétiques ou non. Dans
certains cas par contre la conservation n’est qu’apparente.
a) Raisons phonétiques. — La conversation des voyelles fina­
les est phonétique dans les cas suivants :
502 V O YELLES IN A C C EN T U ÉE S FINALE’S

1° Après un groupe consonne + liquide ; cf. pâtre > père (vfr.


pedre), matre > mère. (vfr. niedre), fèbre > fièvre, intro > (j ) entre,
ïnflo > enfle, dûplu > double de-rèlro > derrière, etc.
Dans les mots comme inter, major, midior, quatt(u)or, insïmul,
un [-f] s’est même développé après la chute de l’c des terminaisons
-er, -or, -ul ; d’où entre (préposit.), maire (vfr. adject., auj. subst.),
vfr. mieldre(s), quattre, ensemble. Il est probable que l’on a eu
primitivement ici un l ou un r vocalique. Cet l ou cet r s’est ensuite
réfracté en / -f [f] ou r 4 - |<>] dans les groupes où il était suivid’un
mot commençant par une consonne. Postérieurement les formes
avec [-f] final se sont généralisées dans toutes les positions.
R emarque I. — Dans noir < nlgru. vfr. entir < *intêgru, etc., il n’y
a pas d’-e parce qu’au moment de la chute, les voyelles finales étaient précé­
dées dans ces mots de -yr-. Cependant, malgré le groupe -yr- ( < -gr-),
Ve final s’est maintenu dans la forme demi-savante aire < agru, qui s’est
maintenue jusqu’aujourd’hui dans débonnaire (vfr. de bon aire).

R emarque II. — Nostru et *vostru (cl. oëstru) ont abouti à noslre et


vostre (auj. nôtre. vôtre et notre, votre). Mais au pluriel, tandis que nostres
et vostres se maintenaient tels quels comme formes pronominales accen­
tuées (d’où auj. nôtres et vôtres), ils se sont réduits de très bonne heure à
*nosts et *vosts, d’où vfr. noz et voz, puis nos et vos, lorsqu’ils étaient em­
ployés en fonction d’adjectifs et qu’ils étaient par conséquent proclitiques.
R emarque III. — En face de arrière et derrière, formes normales de
ad-rêtro et de-rèlro, les anciens textes présentent aussi arrier et denier, avec
une réduction analogue à celle qui a eu lieu dans la série soure < süpra
onque(s) < ünquam, etc. ; cf. ci-dessus p. 513.

2° Après une chuintante i. Ex. : rübeu > rouge, somniu >


songe, simiu > singe, harden > orge.

3° Dans les terminaisons verbales -'ent et -'uni, où la voyelle


finale a été protégée par le groupe consonantique suivant. Ex. :
dêbent > doivent, vendunt > vendent, etc.
R emarque . — Dans *habunt (cl. babent x *sunt) et *facunt (1. cl. fa-
ciunt), l’u de la syllabe finale est entré de bonne heure en contact avec l’a
précédent, par suite de la chute de la consonne intervocalique, et a formé
avec lui une diphtongue ay. qui s’est réduit à o, d’où ont et font.

4° Après les groupes -wm- et -wn-, provenant de -Im- et -In-,


dans ülmu > vfr. houme, germ, helmu > heaume, germ. Wilhelmu
> Guillaume.
Il n’est pas juste de vouloir opposer à cette catégorie d’exem­
ples les mots tels que vfr. estorn < germ. *esturmu, vfr. forn (auj.
jour) < diürnu, vfr. corn (auj. cor, < cornu, vfr. verm (auj. ver)
< verme, vfr. ferm < fïrmu, comme on le fait habituellement. Ici
FIN A L E S D E PAROXYTONS 503

la voyelle finale était précédée de -rn- ou -rm-, Il n'y avait aucune


difficulté physiologique pour empêcher sa chute.
A plus forte raison, ne faut-il pas en rapprocher les mots comme
dommis > vfr. danz, danmu > dam, germ. Berhlhramnu > Ber-
tran(d), Interamnes > Antran (Vienne), dans lesquels la voyelle
finale était probablement précédée au moment de la chute d’une
simple consonne -m-, provenant de -mm- < -mn-. Ici, la chute est
toute naturelle.

R e m a r q u e I. — Fin face de vfr. estorn, jorn, corn, le fr. orne ( = ornus)


fait figure de mot savant. Ce fait ne peut guère surprendre, si on songe que
cet arbre ne pousse pas à l’état sauvage en France, et que le mot n’apparaît
qu’au xvie siècle.
R e m a r q u e II. — Il faut en dire autant de vfr. olme — fr. mod. orme,
en face du vfr. houme. La conservation de l anléconsonantique dans le pre­
mier, supposée aussi par le second (orme résultant sans doute d’une dissi­
milation l — l > / — r dans le groupe l’olme), ne peut laisser de doute à cet
égard.
R e m a r q u e III. — En face de vfr. danz, dan et Bertran(d), les formes
telles que somme < somnu et vfr. eschame < scamnu doivent aussi être
considérées comme savantes. A plus forte raison automne, dans lequel le
groupe -mn- n’a pas passé à -mm- > m.
R e m a r q u e IV. — Est également savant le vfr. dame < dominu, que
l’on retrouve dans les anciennes locutions Damedeus, Damedé, etc. Ce ne
sont pas du reste les seules que possède le vfr. ; cf. Dampnedeu, Damledeu,
Damrcdeu, etc. Ici, comme dans automne, le groupe -mn- a persisté sous une
influence savante et s’est ensuite différencié en -ml- ou -mr-. A leur tour,
-ml- et -mr- ont pu se développer en -mbl- et -mbr- ; d'où vfr. Dambledeu,
Dambredeu, etc.

5° Dans sommes < sümus. Le vfr. connaissait aussi la forme


sons. Cependant ce sons qui a joué un rôle considérable dès l'épo­
que prélittéraire, puisque c’est lui qui est à la base de la termi­
naison -ons de la Ire pers. plur. de tous les temps et de tous les
modes, a cédé de bonne heure la place «à sommes. D’une façon ordi­
naire, on incline à croire que sons est phonétique et que sommes
ne l ’est pas. On explique ce dernier par un croisement de sons
avec l’ancien esmes ( < *esstmus). Il n’en est probablement rien.
Sümus, à la pause, a abouti normalement à sons ; de même, dans
les combinaisons où il était suivi d’un participe passé commen­
çant par une voyelle : type sumus amati. Mais lorsque le participe
commençait par une consonne comme dans sumus venuti, le groupe
-s + consonne initiale a protégé la voyelle finale de sümus, d’où
sommes, aussi régulier que sons.
L ’e final de vfr. estes (auj. êtes) < estis et celui de vfr. esmes
< *essïmus doivent sans doute s’expliquer d’une façon analogue.

b) Raisons extra-phonétiques. — Dans certains mots, la conser­


vation des voyelles finales s’explique par l ’analogie.
504 VOYELLES INACCENTUÉES FIN A L ES

Le rôle de l’analogie a pu être simplement conservateur. C’est


ainsi que dans les formes verbales du type cantasiis (cl. cantavistis)
et vantasses (cl. cantavisses), la voyelle finale ne semble pas être
tombée. Dès les plus anciens textes, on a en effet chantastes (auj.
chantdles) et chantasses. Dans chantasles, la langue a sans doute
voulu conserver la relation avec la 2e pers. sing. Si la phonétique
avait été seule à agir, on aurait eu en effet *chantast d’une part
et *chantasts de l’autre. Or , *chantasts se serait normalement
réduit à fchantats (cf. hostcs > vfr. oz, c’est-à-dire ots), et dans ce
cas le groupe -si- de la 2e pers. sing, ne se serait plus retrouvé à la
2e plur. Dans la nécessité de conserver le groupe -st- et devant la
difficulté qu’il y aurait eu, en même temps, de prononcer -sts à
la fin du mot, la langue a maintenu la voyelle finale, d’où chan-
tastes. Cf. parallèlement dormistes, vëistes, mesistes, oüstes, etc.
A son tour, chantastes a déterminé chantâmes, qui est pour *chan-
tans < *cantammus. Peut-être dites : vfr. dimes, faites : vfr. /aimes
ont-ils servi là de modèle. Cf. parallèlement dormimes, vëimes,
mesimes, oiïmes, etc.
De même, cantasses aurait dû être représenté phonétiquement
par *chantas. Mais le français ignore cette forme. Il est probable
qu’au moment de la chute de -e final, cette voyelle a été ici conser­
vée, pour éviter une homonymie avec *chantas < cantassem. Cf.
parallèlement dormisses, uëisses, mesisses, oüsses, etc.

R em a r qu e . — Dans les anciens dialectes de l’Est, on trouve cependant


des formes comme mesins, fesins, etc. pour mesimes, fesimes, etc.

Mais le plus souvent, le rôle de l’analogie a consisté à restituer


un -e final à des formes verbales ou autres qui en étaient originai­
rement privées. Le fait se présente tout d’abord à la Ire pers. sing,
indic. prés, des verbes en er- du type chante, porte, etc. Dans le
plus ancien français, on avait régulièrement chant, port, etc. Mais
dès la fin du x n e siècle, les formes modernes commencent à appa­
raître. Elles deviendront générales à la fin du xive. On a invoqué
pour expliquer l’-e de chante, porte, etc. l’action des 1res pers. sing,
du type entre, semble, etc., dans lesquelles l’-e, venant après un
groupe consonne + liquide, était parfaitement régulier. Mais ces
dernières formes étant relativement peu nombreuses, il faut recou­
rir probablement à une autre explication. Or c’est un fait que la
Ire pers. sing, indic. prés, a toujours tendu en français à se mode­
ler sur la 2e et la 3e sing., d’un emploi plus fréquent ; cf. je fai(s),
je peux, je veux, etc., d’après tu fais, il fait, tu peux, il peut, tu
veux, il veut, etc. Ce qui se passait dans les verbes appartenant aux
autres conjugaisons que celle en -er a pu aussi contribuer à la
réfection ; cf. je doi(s) : tu dois, il doit ; — je vend(s) : tu vends, il
vend ; — je dor(s) : tu dors, il dort, etc. Sous l’action de l’un ou
l’autre de ces deux phénomènes, et sans doute des deux à la fois,
chant, port, etc. sont devenus chante, porte, etc. La série entre,
semble, etc. n’a pu que favoriser la réfection, mais non la provoquer.
FINALES DE PAROXYTONS 505

De même cantefn, cantes, cantet étaient représentés régulièrement


dans le plus ancien français par chant, chanz, chant. Cependant, dès
la fin du xn e siècle chante, chantes, chante commencent à apparaître
et ces formes deviennent générales à la fin du xive. Ici non plus
les subjonctifs du type entre < ïntrem, semble < sïm(u)lem, etc.
ne peuvent suffire à eux seuls à expliquer la généralisation de -e
final. Sans doute faut-il admettre une réfection sur le modèle des
subjonctifs appartenant aux autres conjugaisons que celle en -er,
dans lesquels -am, -as, -at étaient normalement continués par -e, -es,
-e. La chose est d’autant plus vraisemblable que parmi eux il se
trouvait seie (soie), seies (soies), aie, aies, puisse, fasse, etc., d’un
usage très courant. Il convient de noter pourtant que, bien avant
la fin du xn e siècle, on trouve un certain nombre de formes avec
-e ; cf. raneiet < renëget et degnel < dïgnet dans Eulalie, anseinet
< insïgnei dans Alexis (312 manuscr. L). Rien de semblable ne se
constate pour la l re pers. sing, de l’indicatif. Il est probable que ce
sont là des formes analogiques de *seiet ou de aiet.
Enfin, à la l re pers. sing, imparf. subj., cantassem aurait dû
être continué régulièrement par *chantas. Mais on ne trouve jamais
de formes de ce type dans les anciens textes. Dès l’époque pré­
littéraire, *chantas a été refait en chantasse. Cette réfection doit
être postérieure au passage de *chaniast (< cantasti) à chantas.
L’homonymie entre la 2e pers. sing, du parfait et la l re pers. sing,
de l’imparf. du subj. a été supprimée par l’addition d’un -e final
dans cette dernière, sur le modèle de chantasses, lui-même analo­
gique (cf. ci-dessus p. 504). Cf. parallèlement dormisse, vëisse,
mesisse, oüsse, etc.
R emarque . — A la 3e pers. sing., certains subjonctifs de la classe en
-er se sont maintenus sans -e final jusqu’au x v ie siècle, dans des locutions
toutes faites : D ieu te gard !, L e diable m ’emport !, D ieu l’a it !, etc.
R emarque II. — Dans les tournures interrogatives, l ’-e final de la
lre pers. sing, indic. prés, des verbes de la classe en -er, qui était tout d’abord
inaccentué (type proproxytonique chânte-je ?), a reçu l’accent vers le xv»
ou le x v ie siècles et a passé à M, d’où chanté-je ? Par extension, on a eu aussi
entendé-je ? m enté-je V, etc. Meme phénomène à la Ire pers. sing, de l’im ­
parf. du subj. dans les formules optatives fussé-je.... p u issé-je...

Les adjectifs féminins du type vfr. grant, fort, etc. ont pris de
bonne heure un -e final sur le modèle des adjectifs du type bo(n)ne.
Ces formes analogiques apparaissent dès les plus anciens textes ;
cf. grande (Alexis), comune, dolente, corteise, verte (Roland), etc.
Elles ne sont pas généralisées avant le xvie siècle. Aujourd’hui
encore on les retrouve dans des locutions stéréotypées comme
grand chère, grand mère, grand rue, elle se fait fort, dans les subs­
tantifs composés tels que raifort, Rochefort, Vauvert, etc. Elles sont
aussi à la base des adverbes en -ammenl ou -emment.
Inversement un certain nombre d’adjectifs, primitivement ter­
minés par consonne, ont pris un -e final, dès le vfr., par suite d’une
généralisation des formes féminines correspondantes. Ainsi lare
506 V O Y ELLES IN A C C E N T U É E S F IN A L E S

< largu, lois < lüscu, corp < curvu, chalf — chauf < calvu, ferm
< fïrmu, etc. sont devenus largre, lösche (auj. louche), courbe, chauve,
ferme, etc.
Juste, triste, chaste, signe, etc., de même que automne, somme,
vfr. eschame dont il a été question plus haut, p. 503, sont des mots
plus ou moins savants.

c) Conservations apparentes. — Il s’agit tout d’abord du mot


comme. En réalité l’-e final de comme ne représente pas l’-o final du
latin *quomo (cl. quomodo). Comme continue un composé de quomo
et de la conjonction et.
On ne peut non plus parler de conservation des voyelles finales
dans le cas des mots du type *cantaï (cl. canlavï) > chantai, cüï >
vfr. cui (mod. qui dans a qui, pour qui), fü ï > vfr. fui (auj. fus),
déu > dieu, *rïu (cl. rïvu) > vfr. riu — rui, *sëu (cl. sëbu) > vfr.
sieu (auj. suif), *clau (cl. clavu) > clou, etc. Au moment de la chute
des voyelles finales, on n’avait plus dans ces mots d’i ou d’u sylla­
biques, ces voyelles formant diphtongue avec la voyelle accentuée
précédente.
Pour föcu, löcu, föcu, *cocu (cl. coquum), le cas est différent.
L’û final, n’étant pas en hiatus, avait conservé ici sa valeur sylla­
bique et s’était ouvert de bonne heure en -o. On a eu par conséquent
des intermédiaires *fuowo, *luowo, *dzuowo, *cuowo. Au moment
de la chute des voyelles finales, cet -o est tombé régulièrement,
d’où *fuou, *luou, *dzuou, *cuou, dont le dernier élément repré­
sente le w issu de -c- latin, et finalement feu, lieu, jeu, queux.

II. — VOYELLES FINALES DE PROPAROXYTONS

Il faut distinguer deux cas, suivant qu’il y a eu syncope ou non


de la pénultième atone.

A. — A m uïssem ent de la pênultiône atone

Quelle que soit la date à laquelle la pénultième atone s’est amuïe,


-a final de proparoxyton s’est maintenu sous forme de e ( = [ç]
central, plus tard fœ]). Ex. : aurïcfüjla > oreille, tab(ü)la > table,
*fall(i)ta > faute, d êb(ï)ta > dette, m an(ï)ca > manche, pert(ï)ca
> perche, cam(ë)ra > chambre, fëm (ï)n a > femme, trem(ü)lat
> tremble, Sequ(a)na > Seine, etc.
Quant aux autres voyelles finales, leur traitement dépend de
la date à laquelle a eu lieu la syncope de la pénultième atone.
F IN A L E S D E PR O PÀ R O XY TO NS 507

Si la syncope date de l’époque latine ou de l’époque gallo-romaine


(cf. pp. 461 sq. et 463 sq.), elles sont tombées. Ex. : oc(ü)lu > œil,
vïr(ï)de > vert, lar(l)du > lard, cal(ï)du > chaud, sol(l)du >
sou, *col(à)pu > coup, frïg (ï)d u > froid, explic(ï)tu > exploit,
etc. Autrement dit, ces proparoxytons ont été traités comme des
paroxytons originaires.
Comme pour ces derniers, on note les mêmes conservations, soit
après un groupe consonne + liquide : lëp(o)re > lièvre, vend(ë)re
> vendre, trem(ü)lo > tremble, sim(u)lo > semble, etc; — soit
après une consonne chuintante : *sororicu > vfr. serorge, *villaticu
> village, portïcu > porche, Aventïcos > Avenches, etc. ; — soit
après le groupe -wm- : cal(a)mu > chaume. Il faut encore ajouter
*ess(i)mus > vir. esmes (auj. êtes), facïmus > vfr. f aimes, facïtis
> faites, dïclmus > vfr. dimes, dlcltis > dites, dans lesquels la
conservation de -e final est due à un phénomène de phonétique
syntactique ; cf. ce qui est dit pour esmes p. 507.
Mais lorsque la pénultième atone n’est tombée qu’à l’époque
gallo-romane, les voyelles finales autres que -a se sont conservées
sous forme de -c. Ex. : limite > vfr. linte, comité > comte, *rümlce
> ronce, *pümlce > ponce, *ündece > onze, *d(u)odece > douze,
tëpldu > tiède, sapldu > vfr. sade (auj. maussade), cübltu > coude,
etc.

R em a r qu e I. — Pour les formes anciennes v u i t ( = * v ö c itiï), r e it — r o it


( = r l g ï d u ). en face de v u i d e , r e id e — r o id e , cf. ci-dessus, p. 459.
II. — Pour l’opposition qui existe en vfr. entre p o lz — p o u z ,
R em a r q u e
d’une part, et p o u c e , s a u c e de l’autre, les deux séries de formes
sa lz — s a u z
remontant à p ö ll ïc e et s a llc e , cf. ci-dessus, pp. 465, 467.

B. — Conservation de la pénultiène atone

Quel que soit leur timbre, les voyelles finales sont tombées lors­
que la pénultième atone s’est maintenue. Ex. de chute de -e : prin­
cipe > prince, vlrglne > vfr. virge (auj. vierge), imagine > image,
marglne > marge, anate > vfr. ane (auj. bédane), etc. ; — de -o :
episcopu > > évêque, angëlu > ange, pallldu > vfr. pâlie (auj.
pâle), arldu vfr. are, avldu > vfr. ave, pavidu > vfr. pave, sapldu
> vfr. save, orphânu > vfr. orfe, etc. ; — de -a : pagina > page,
lampâda > lampe, Orcàda > vfr. Orche (auj. Ourche), Isàra > Oise,
Barbara > Barbe, etc.
Il n’y a qu’une exception. Lorsque la voyelle finale se trouvait
en hiatus avec la pénultième atone, elle s’est maintenue sous
forme de -e. Ex. : canonlcu > *canoniu > vfr. chanonie, apostollcu
> *apostoliu > vfr. apostolie, etc. qui sont devenus dès le x ie siècle
chanoine, apostoile, etc.
CHAPITRE XII

ÉVOLUTION DE E C E N T R A L

Ainsi qu’on l’a vu dans les chapitres précédents, l’ancienne lan­


gue possédait un e inaccentué articulé dans la région médiane de la
cavité buccale, qu’on peut appeler e central [e].

Cet [f] provient :

1° En syllabe initiale (inaccentuée), soit de ç roman, comme


dans : lëvare > Içver, dëbëre > dçvoir, pïlare > p§ler, dïvïnu >
*dïvïnu (p. 187) > dçvin, etc.
Soit de a latin dans devant, fera ou de a procédé d’un élément
palatal, comme dans caballa > cheval, gallina > gçline, etc.
Soit encore d’une dissimilation de o roman, comme dans *sübmo-
nëre > *somondre > sçmonde, etc.

2° En syllabe prétonique interne ou en syllabe pénultième atonet


de n’importe quelle voyelle romane, à condition qu’elle ne se soit
pas amuïe (cf. ornamentu > ornement, *quadrïfürcu > carrçforc,
*corrüpliare > corrçcier, etc. ; — eplscopu > evesquç, principe >
princç, angëlu > angç, anale > anç, etc.).
Et que ne soit pas intervenue l’action de phonèmes voisins (cf.
papïlione > pavillon, etc.) ou de l’analogie (cf. vfr. corroder, refait
sur corroce, etc.).

30 En syllabe finale inaccentuée, soit de a latin, comme dans


porta > portç, dïbïta > detç, etc.
Soit de n’importe quelle autre voyelle latine après certains
groupes consonantiques (cf. fëbre > fievrç, intro > entrç, *helmu
> helmç, etc.) et dans les paroxytons syncopés à partir du |
\ e siècle (cf. comité > comtç, ïta > cçd§, etc.). j
t
CHUTE 509
4° Il faut encore ajouter l’ff] qui provient de l’affaiblissement
de certains monosyllabes proclitiques ou enclitiques ; cf. më > me,
të > te, së > se, dë > de, non > ne, quid > que, ego > *eo > je,
ecce-hoc > ce, [i7]/u > le.

D’après ce qui a été dit p. 431, le passage de e roman à [e] n’a


eu lieu qu’après la simplification des géminées autres que -rr-.
D’autre part, l’s antéconsonantique ne se prononçant plus à la fin
du xie siècle, les mots du type épine < spïna laissent supposer
que ce passage est antérieur à cette date ; cf. ci-dessus p. 430. Un
mot comme fumier, attesté dès le xne siècle, permet encore de
remonter plus haut. On sait que fumier a été précédé des étapes
[fœmier] et [fçmier] < *fïmariu. Vu le temps exigé par chacune
d’elles, il est permis de penser que le passage de ç roman à [e]
pourrait bien remonter au xe siècle.
L’[ç] du vfr. devait sans doute ressembler à Ve final de l’alle­
mand Gabe, alle, etc. Acoustiquement, il gardait une certaine
parenté avec l’e roman qui était à sa base. Certains faits l’indi­
quent d’ailleurs. Dans les rimes léonines du moyen âge, en effet,
il va de pair avec e ou ç ; cf. p. ex. dans la IIe partie du Roman de
la Rose qui est de la seconde moitié du xme siècle sera : plaira,
anemis : ai mis, simples on : saison, le chief : meschief, etc. C’est
encore ce timbre voisin de ç qui permettra au xve siècle, lorsque
l’accent se sera déplacé dans le type interrogatif du vfr. chântç-
je ?, d’avoir chanté-je ? avec un [e] accentué.
Dans la suite, cet e central a pu s’amuïr. Lorsqu’il a conservé
son individualité, il s’est labialisé en [œ] dans certaines conditions
et à son tour cet [œ] a pu se conserver ou disparaître.

I. — CHUTE DE E CENTRAL

On peut distinguer deux périodes, l’une qui va de l’époque


prélittéraire à la fin du xue siècle, l’autre qui va de cette date
jusqu’au milieu du xve.

A. — P r e m iè r e p é r io d e

Durant cette période qui comprend elle-même plusieurs subdi­


visions, V[f] intérieur interconsonantique et V[f] final sont tombés
dans certains cas.

20
510 É V O L U T IO N D E E C E N T R A L

10 En syllabe initiale. — Dès le début de la langue, on trouve


vrai pour verai < *veraiu (issu d’une dissimilation dans *verariu,
construit sur veru, comme primariu sur prim u) et frai pour ferai.
L’ancienneté de la réduction s’explique ici par des conditions
syntactiques spéciales. On a déjà vu, p. 425, que le passage de
*farai ( < lat. *fare ayo) à ferai n’a pu avoir lieu que dans les
combinaisons si farai, non farai, jo farai, où fa- était en réalité
une prétonique interne. C’est encore dans ces combinaisons que
ferai a pu devenir à son tour frai dès l ’époque prélittéraire. A cause
de sa faiblesse articulatoire, due à sa position de prétonique interne,
Vf de ferai a disparu de très bonne heure au contact de l’r suivant.
Parallèlement, verai s’est réduit à vrai dans les groupes où il était
précédé de l’article et accompagné d’un substantif. On peut aussi
penser à l’influence qu’a pu exercer sur verai l’adverbe vraiement
< veraiement, dont Y § initial a dû s’amuïr rapidement à cause de
son éloignement par rapport à l’accent.

Remarque. —■ Il y a donc eu anciennement une alternance verai : vrai


et ferai : ferai, dépendante des conditions dans lesquelles se trouvaient ces
mots (verais Dieus 1 : lo vrai Dieu ; jo frai : ferai jo ?). Cette alternance a
pourtant disparu dès le vfr. Pour vrai, c’est la forme réduite qui s’est géné­
ralisée, à cause de la fréquence des cas où il était employé avec l’article et
un substantif, et sous l’action analogique de vraiement. Mais tandis que frai
est la forme commune dans les anciens textes picards, wallons et anglo-
normands, les autres dialectes du vfr. ont maintenu ordinairement ferai.
Peut-être faut-il songer dans le cas au modèle que présentaient les futurs
du type chanterai, parlerai, etc. C’est ferai qui est devenu la forme du fran­
çais littéraire.

2° A Vintérieur du mot. — Dans tous les dialectes du vfr., on


constate la chute de [e] entre n et r au futur et au conditionnel des
verbes donner et mener (amener). On a eu anciennement deux
séries de formes : les unes avec -nr-, donra, donreit-----oit, menra,
m enreit-----oit, les autres avec -rr- < -nr-, dorra, dorreit---- oit,
merra, merreit-----oit. A cause du futur dunrai qui se trouve dans
le St-Alexis, on peut considérer que la chute de [e] remonte ici à la
première moitié du x ie siècle, sinon à la seconde moitié du xe.
L’assimilation -nr- > -rr- est elle-même très ancienne, puisque les
premiers exemples de dorra, merra, etc. sont des environs de 1100
(Ps. d’Oxford, Ps. de Cambridge). Elle est très rare dans les dialec­
tes de l’Est et inconnue pour ainsi dire en picard, en wallon eten
francien. Cependant elle s’est implantée peu à peu dans le Centre,
comme en témoignent les formes citées par les grammairiens du
x v ie et du x v n e siècles. Les futurs et conditionnels en -nr- et -rr-
sont restés en effet longtemps dans l’usage. Palsgrave (1530) cite
amenront, donront, pardonront ; H. Estienne (1582) écrit : « dici-
mus amerray pro ameneray, dorray pro donneray. Quidam tarnen
hic pro rr ponunt nr scribentes donray : sed malim litteram post
syncopen geminari... ». En 1584, Bèze note que la syncope est
usitée « in nonnullis vocabulis... ut donra pro donnera, amerra pro
amenera ». Mais en 1607, Maupas emploie le mot de « rarement » à
CHUTE 511

propos de amerray, et en 1632 Oudin remarque que « donray et


donrois sont antiques et hors d’usage ou pour mieux dire vitieux »,
et condamne amerray. Enfin Vaugelas (1647) ajoute : « [les poètes]
souffrent encore moins vous me pardonrez pour pardonnerez,
donray ou dorray pour donneray qui sont des monstres dans la lan­
gue ».
R I. — Les formes modernes donnera, mènera, etc. ne conti­
e m a r q u e

nuent pas les formes primitives d’avant la syncope. Elles n’apparaissent


qu’au xv° siècle, époque à laquelle elles ont été refaites sur donner, mener
d’après le modèle chanter : chantera.
R emarque II. — A l’exception de finera (de finer) > finra, qui se
trouve dans Rustebeuf, on ne constate de chute de [ç] dans aucun autre
des futurs ou conditionnels dont les terminaisons -era, -ereit--- eroit sont
précédés de n. On a eu toujours en vfr. endinera, ordonnera, penera, sanera,
sonera, etc.

Parallèlement aux formes du futur ou du conditionnel dont il


a été question ci-dessus, on trouve dans les plus anciens textes
denrée ou derrée pour denerée (< *denariata). Mais ici la forme
syncopée n’a pas disparu en vfr., ce qui laisse supposer que la
chute de [§] est moins ancienne que dans les cas précédents.
Il faut en dire autant de celle qui a eu lieu dans les futurs et
conditionnels du type demorera, demorereit---- oit. Ce n’est qu’au
début du xne siècle que l’on note les premières formes syncopées
(esperrat pour espererat dans le Ps. d'Oxjord). Ici encore les plus
anciens textes de l’Est ne connaissent que les formes avec e. Au
Centre les formes syncopées n’apparaissent qu’au xm e siècle ;
cf. durra < durera, demorra, plorra < plorera chez Rustebeuf ;
jurra < jurera, mesurroni < mesureront, restorra < restorera dans
le Livre des Mestiers. Mais les formes avec e sont aussi fréquentes
et ce sont les seules qui se sont finalement conservées. Quant aux
formes syncopées, elles ont persisté jusqu’au xvne siècle. Pals­
grave cite encore demourroyt, et Cauchie (1570) écrit : « frequens
est syncope... demouray... demourois ». Mais Oudin (1632) condamne
ces formes comme « antiques « et « vitieuses ».
En dehors de ces formes verbales il faut citer mairie pour maire-
rie, contrôle pour contrerole qui se sont conservés jusqu’aujourd’hui,
ainsi que le vfr. derrain pour dererain < *de-retranu et le mfr.
courrie pour courrerie.
Enfin Y[§\ semble être tombé de très bonne heure entre r et v dans
merveille < *mereveille ( < mirabilia) et vfr. enlerver < *enterre-
ver ( < interrogare).
R I. — La forme marevelle, sans syncope, se trouve dans Eze­
e m a r q u e

chiel. Elle permet d’écarter pour merveille un lat. vulg. *miribitia ou *meri-
bilia, dont l'explication est d’ailleurs difficile et qui ne saurait convenir en
tout cas pour rital. meraviglia, le prov. meravelha et le catal. meravetla.
R II. — Si on part d’un type *paravisu, le fr. parois, pour
e m a r q u e

*pareois, rentre dans le môme cas. Mais il n’est pas certain qu’il en ait été
ainsi. Paradlsu peut suffire. On aurait eu tout d’abord 'pareois. avec [8],
510 ÉVOLUTION D E E CENTRAL

1° En syllabe iniliale. — Dès le début de la langue, on trouve


vrai pour verai < *veraiu (issu d’une dissimilation dans *verariu,
construit sur vem, comme primariu sur primu) et frai pour ferai.
L’ancienneté de la réduction s’explique ici par des conditions
syntactiques spéciales. On a déjà vu, p. 425, que le passage de
*farai ( < lat. */are -f- ayo) à ferai n’a pu avoir lieu que dans les
combinaisons si farai, non farai, jo fand, où fa- était en réalité
une prétonique interne. C’est encore dans ces combinaisons que
ferai a pu devenir à son tour frai dès l ’époque prélittéraire. A cause
de sa faiblesse articula Loire, due à sa position de prétonique interne,
Ve de ferai a disparu de très bonne heure au contact de l’r suivant.
Parallèlement, verai s’est réduit à vrai dans les groupes où il était
précédé de l’article et accompagné d’un substantif. On peut aussi
penser à l’influence qu’a pu exercer sur verai l ’adverbe vraiement
< veraiemeni, dont l’ç initial a dû s’amuïr rapidement à cause de
son éloignement par rapport à l’accent.

R
e m a r q u e. — Il y a donc eu anciennement une alternance verai : vrai
et ferai : ferai, dépendante des conditions dans lesquelles se trouvaient ces
mots (verais Dieus I : lo vrai Dieu ; jo frai : ferai jo ?). Cette alternance a
pourtant disparu dès le vfr. Pour vrai, c’est la forme réduite qui s’est géné­
ralisée, à cause de la fréquence des cas où il était employé avec l’article et
un substantif, et sous l’action analogique de vraiement. Mais tandis que frai
est la forme commune dans les anciens textes picards, wallons et anglo-
normands, les autres dialectes du vfr. ont maintenu ordinairement ferai.
Peut-être faut-il songer dans le cas au modèle que présentaient les futurs
du type chanterai, parlerai, etc. C’est ferai qui est devenu la forme du fran­
çais littéraire.

2° A l'intérieur du mot. — Dans tous les dialectes du vfr., on


constate la chute de [f] entre n et r au futur et au conditionnel des
verbes donner et mener (amener). On a eu anciennement deux
séries de formes : les unes avec -nr-, donra, donreit-----oit, menra,
menreit---- oit, les autres avec -rr- < -nr-, dorra, dorreii---- oit,
merra, merreit---- oit. A cause du futur dunrai qui se trouve dans
le St-Alexis, on peut considérer que la chute de \e\ remonte ici à la
première moitié du x ie siècle, sinon à la seconde moitié du xe.
L’assimilation -nr- > -rr- est elle-même très ancienne, puisque les
premiers exemples de dorra, merra, etc. sont des environs de 1100
(Ps. d’Oxford, Ps. de Cambridge). Elle est très rare dans les dialec­
tes de l’Est et inconnue pour ainsi dire en picard, en wallon eten
francien. Cependant elle s’est implantée peu à peu dans le Centre,
comme en témoignent les formes citées par les grammairiens du
xvie et du xvn e siècles. Les futurs et conditionnels en -nr- et -rr-
sont restés en effet longtemps dans l’usage. Palsgrave (1530) cite
amenront, donront, pardonront ; H. Estienne (1582) écrit : « dici-
mus amerray pro ameneray, dorray pro donneray. Quidam tarnen
hic pro rr ponunt nr scribentes donray : sed malim litteram post
syncopen geminari... ». En 1584, Bèze note que la syncope est
usitée « in nonnullis vocabulis... ut donra pro donnera, amena pro
amenera ». Mais en 1607, Maupas emploie le mot de « rarement » à
CHUTE 511
propos de amerray, et en 1632 Oudin remarque que « donray et
donrois sont antiques et hors d’usage ou pour mieux dire vitieux »,
et condamne amerray. Enfin Vaugelas (1647) ajoute : « [les poètes]
souffrent encore moins vous me pardonrez pour pardonnerez,
donray ou dorray pour donneray qui sont des monstres dans la lan­
gue ».
R I. — Les formes modernes donnera, mènera, etc. ne conti­
e m a r q u e

nuent pas les formes primitives d’avant la syncope. Elles n’apparaissent


qu’au XV® siècle, époque à laquelle elles ont été refaites sur donner, mener
d’après le modèle chanter : chantera.
R II. — A l’exception de finera (de finer) > finra, qui se
e m a r q u e

trouve dans Rustebeuf, on ne constate de chute de [ç] dans aucun autre


des futurs ou conditionnels dont les terminaisons -era, -ereit--- eroit sont
précédés de n. On a eu toujours en vfr. enclinera, ordonnera, penera, sanera,
sonera, etc.
Parallèlement aux formes du futur ou du conditionnel dont il
a été question ci-dessus, on trouve dans les plus anciens textes
denrée ou derrêe pour denerée ( < *denariata). Mais ici la forme
syncopée n’a pas disparu en vfr., ce qui laisse supposer que la
chute de [ç] est moins ancienne que dans les cas précédents.
Il faut en dire autant de celle qui a eu lieu dans les futurs et
conditionnels du type demorera, demorereit---- oit. Ce n’est qu’au
début du xn e siècle que l’on note les premières formes syncopées
(esperrat pour espererat dans le Ps. d'Oxford). Ici encore les plus
anciens textes de l’Est ne connaissent que les formes avec e. Au
Centre les formes syncopées n’apparaissent qu’au x m e siècle ;
cf. durra < durera, demorra, plorra < plorera chez Rustebeuf ;
jurra < jurera, mesurront < mesureront, restorra < restorera dans
le Livre des Mestiers. Mais les formes avec e sont aussi fréquentes
et ce sont les seules qui se sont finalement conservées. Quant aux
formes syncopées, elles ont persisté jusqu’au xvne siècle. Pals­
grave cite encore demourroyt, et Cauchie (1570) écrit : « frequens
est syncope... demouray... demourois ». Mais Oudin (1632) condamne
ces formes comme « antiques « et « vitieuses ».
En dehors de ces formes verbales il faut citer mairie pour maire-
rie, contrôle pour contrerole qui se sont conservés jusqu’aujourd’hui,
ainsi que le vfr. derrain pour dererain < *de-retranu et le mfr.
courrie pour courrerie.
Enfin l’[f] semble être tombé de très bonne heure entre r et v dans
merveille < *mereveille ( < mirabilia) et vfr. enterver < *enterre-
ver ( < interrogare).
R I. — La forme mareoelle, s a n s syncope, se trouve dans Eze­
e m a r q u e

chiel. Elle permet d’écarter pour merveille un lût. vulg. *miribilia ou *meri-
bilia, dont l’explication est d’ailleurs difficile et qui ne saurait convenir en
tout cas pour l’ital. meraviglia, le prov. merauelha et le catal. meravella.
R II. — Si on part d'un type *paravisu, le fr. parvis, pour
e m a r q u e

*parevis, rentre dans le même cas. Mais il n’est pas certain qu’il en ait été
ainsi. ParadJsu peut suffire. On aurait eu tout d’abord *paréois, avec [8].
512 ÉVOLUTION D E E CENTRAL

A la suite de la syncope, très ancienne elle aussi, qui aurait eu lieu entre r
et [S], * pare Sis serait devenu *par Sis, d’où parvis ; cf. vol. III: Consonnes.
Le v. fr. parëïs serait donc une forme demi-savante : la syncope ne se serait
pas produite et le f 8], resté intervocalique, se serait ensuite régulièrement
amuï. Quant à paradis, il est tout à fait savant.

3° A la fin du mot. — A la finale, Y[e] est tombé à date pré­


littéraire à la 3e pers. sing. subj. prés, du verbe être. Dès les pre­
miers textes, on ne trouve que seit, plus tard soit. Le modèle latin
est ici *sïat et non, comme on le suppose parfois, le lat. cl. sït. En
face de *sïam > seie, *sïas > seies, *sïamus > seiiens, *sïalis >
sciiez, *sïant > seient, il est impossible d’admettre que l ’on n’ait
pas eu un type *sïat à la 3e pers. sing, et qu’une forme aberrante
comme sït ait été conservée à sa place. Il faut donc interpréter seit
comme une réduction de *seiet < *sïat.
Parallèlement à *seiet > seit, on a eu aussi de très bonne heure
aiet ( < *ayat, cl. habeat) > ait. Mais la forme primitive aiet appa­
raît parfois en vfr.
A la 3e pers. sing, de l’imparf. indic. et du condit., l’[e] final de
la terminaison -eiel ( < *-ëat, cl. - ëbat) subsiste encore dans les plus
anciens textes : cf. saueiet, doceiet et metreiet, fereiet clans le Jonas,
sostendreiet dans la Ste-Eulalie. Mais déjà dans le St-Alexis, on ne
trouve plus que -eit, qui a passé ensuite à -oit.
À l’Ouest, *-ouet ( < -abat) s’est aussi réduit très anciennement
à -out, lequel est devenu - ot vers le x u e siècle. Les terminaisons
provenant de -abam, -abas, etc. ayant cédé la place en francien à
-eie, -eies, etc. ( < -ëbam, -ëbas, etc.), on a eu de bonne heure -eit à
la 3e pers. sing, de l’imparf. des verbes de la classe I. Cependant
on trouve quelques traces de -ot jusqu’au x m e siècle ; cf. p. ex.
amot dans Rustebeuf, Guillaume de Lorris et Jean de Meung.
Dans les exemples ci-dessus, la chute de [ç] est constante en
vfr. Il n’en est pas de même pour un certain nombre de formes du
subjonctif, qui apparaissent dans les anciens textes parfois sans e,
mais le plus souvent avec e. Parmi les plus fréquentes, on peut
citer puist, truist, ruist, à côté de puisse, truisse, ruisse ; — voist,
estoist, à côté de voise, estoise ; — doinst, à côté de doinse ; — ait
ou aut, à côté de aille (infinitifs poeir — pooir — povoir, trover,
rover, ester, donner, aller). D ’autres sont plus rares et pour ainsi
dire sporadiques ; cf. hast dans le Tristan de Bérould, en face de
hace (haïr) ; — curt dans les Miracles de la Sle-Vierge, en face de
curre — corre (corir) ; — veit dans le Ps. Arundel, en face de veie
(veoir) ; — esjoil > esjot dans le Ps. Oxford, en face de esfoie (joïr),
etc. Dans tous ces subjonctifs, l’[f] final représente phonétique­
ment ou non, un a latin. Le phénomène est le même dans certains
subjonctifs proparoxytoniques de la classe I, où [f] continue direc­
tement un e latin ; cf. p. ex. chevalzt < *caballicet, colzt < collycet
dans la Chanson de Roland, dans lesquels Ve final s’était primitive­
ment maintenu, comme dans *rümïce > ronce, *herpïce > herse, etc.
CHUTE 513
La chute de [§] dans tous ces cas s’explique par la durée très
brève de cette voyelle devant t final. Le latin connaissait déjà un
phénomène analogue ; cf. amas, mond, audit avec voyelle dési-
nentielle longue, en face de amat, monet, audit avec voyelle dési-
nentielle brève. Le français n’a fait que développer la tendance
latine. Chez lui la réduction est allée jusqu’à la chute complète de
la voyelle. Cela ne veut pas dire d’ailleurs que d’autres causes ne
soient pas intervenues. Mais elles n’ont pas eu d’autre effet que de
hâter la chute. On a vu par exemple qu’à côté de seit, forme unique
du vfr., les anciens textes présentent ait et aid. Cette différence peut
tenir à des raisons de phonétique syntactique. En effet, dans la
conjugaison passive et la conjugaison des verbes intransitifs,
*seiet était invariablement suivi, dès l’origine, du participe passé :
*qu’il seiet amez, *qu’il seiet venuz. Au contraire, la combinaison
était plus lâche dans le cas de aid suivi d’un participe passé : à côté
de qu'il l’aiet ceinte, qu’il aiet ceinte l'espée, existait aussi la cons­
truction qu'il aid l'espée ceinte. Dans les deux premiers exemples,
aiet était inaccentué ; dans le troisième, il portait l’accent. Ainsi,
dans les combinaisons avec le participe passé, seiet était toujours
proclitique, tandis que aiet pouvait être accentué. C’est sans doute
à cause de cela que la chute de [e] final a été plus radicale et plus
précoce dans *seiet que dans aiet. A plus forte raison cette chute
a-t-elle dû être plus tardive dans les autres cas. Ainsi, pouvoir et
aller, employés comme auxiliaires, pouvaient eux aussi être accen­
tués (qu'il~puisset — aillet ço faire) aussi bien qu’inaccentués
(qu’il puisset — aillet faire cela) ; de plus, leur emploi dans cette
fonction était beaucoup moins fréquent que celui de être et avoir.
Quant aux formes verbales à valeur absolue, elles étaient toujours
accentuées. Il est naturel que, dans ces conditions, la chute de
[ç] final ne se soit produite chez elles que plus tard, bien qu’à une
époque ancienne.
Quoi qu’il en soit, à l’exception de seit — soit, de ait et de la
terminaison -eit---- oit de l’imparfait, aucune des formes synco­
pées ne s’est maintenue. Ici la chute de [f] n’offrait aucun incon­
vénient. Il en était autrement ailleurs. Après l’amuïssement de s
antéconsonantique, une forme comme puist, prononcée [pwuit],
s’opposait trop violemment aux formes sigmatiques du reste du
paradigme. De même, aut était trop aberrant en face de aille, ailles,
etc. Puisse et aille ont triomphé. D’autre part, des subjonctifs
comme court ou veil — voit ne se seraient pas distingués des for­
mes correspondantes de l’indic. prés. Pour éviter cet écueil, on a
conservé coure, voie, etc.
Ce n’est pas seulement dans les formes verbales où il était suivi
d’un t que l’[ç] final est tombé avant la fin du xn® siècle. Dès les
premiers textes, on trouve en effet sour — seur (d’où sur), one,
or(s), lor(s), mar pour soure — seure < sùpra, onque(s) < ün-
quam, ore(s) < ha(c)-hora, (i)lore < (hïc) illa-hora, mare < mala-
hora. Bien que ces formes réduites soient employées indifféremment
devant consonne ou devant voyelle, il est probable qu’elles sont
dues à l’origine à une élision de [f] final devant initiale vocalique.
514 ÉVOLUTION DE. E CENTRAL

B. — D eu xièm e période

Cette période va approximativement de la fin du x u e siècle


jusqu'au milieu du xve, c’est-à-dire jusqu’au moment où [ç] passe
à [a5] dans la langue populaire.
La chute de [f] devient plus fréquente, tout en restant limitée
par certaines conditions.
Elle peut se produire : en syllabe initiale ou intérieure entre
consonnes ;
En syllabe initiale ou intérieure devant une voyelle accentuée ou
inaccentuée ;
En syllabe intérieure après une voyelle inaccentuée ;
Et enfin en syllabe finale après une voyelle accentuée.

1° En syllabe initiale ou intérieure, entre consonnes. — Dans


ce cas, la chute de e n'a eu lieu d’une façon générale qu’au contact
de l et de r.

a) Chute de ç après l et r :
Elle s’est produite quelle que soit la nature de la consonne qui
suivait f :
Ex. : alebastre > albastre, maletoste > maltoste, calemar > cal­
mar, palefrenier > palfrenier, salemandre > salmandre, alleman >
alman, etc., qui s’écrivent aujourd’hui albâtre, maltôie, calmar,
sans e, et palefrenier, allemand, avec e ; — sairement > sairment
— serment, derrenier — dernier, (h)oreloge > (h)orloge, larrecin >
larcin, perresil > persil, courretier > courtier, carrelin > carlin
« chien », charretier > charlier, carrefour > carfour, bourreler >
bourler, carrelet > carlet, etc., qui s’écrivent aujourd’hui serment,
dernier, horloge, larcin, persil, courtier, carlin, sans e, et charretier,
carrefour, bourreler, carrelet, etc., avec e.
Au x v ie siècle, on trouve encore palfrenier chez Palsgrave, et
Alman chez R. Estienne. L’ancienne forme alebastre s’est même
conservée jusqu’à la fin du siècle.
Serment, dernier, larcin, persil sont les seules formes que con­
naissent les grammairiens de l’époque. A l’inverse, ils écrivent
toujours carrefour. Pour les autres mots, il y a hésitation. Ainsi,
R. Estienne et Tabourot donnent horloge ; mais l’ancienne forme
horeloge s’est conservée jusque chez Lanoue (1596), qui écrit aussi
horeloger. On trouve de plus chez Palsgrave la forme savante
horiloge. A côté de courtier, on a encore au xvie siècle courretier.
Charlier s’est conservé jusqu’au siècle suivant (La Fontaine).
Bourlet, carlet et carlure sont chez R. Estienne, Nicot (1584) et
Oudin (1633).
CHUTE 515
R emarque I. — Salamandre est une forme savante. Salmandre, qui
provient de vfr. salemandre, se trouve encore chez R. Estienne.
R emarque II. — Inversement, on note l’insertion d’un e purement
orthographique dans caleçon, attesté au xvi® siècle à côté de calçon em­
prunté à l’ital. calzoni.
R emarque III. — Vilebrequin provient sans doute du croisement de
vfr. vibrequin avec la forme verbale vire, et de la dissimilation de *virebre-
quin qui en est résulté. Malgré la prononciation [vilbrœkê], l’orthographe a
conservé Ve de la seconde syllabe.

b) Chute de § devant l.
Elle ne s’est produite à l’époque considérée que lorsque la con­
sonne précédente était une occlusive labiale ou vélaire, mais non
lorsqu’elle était une dentale.
Ex. : beluteau > bluteau, beluter > bluter, belouse > blouse,
reguelisse > reglisse, houbelon > houblon, surpelis > surplis,
pelote > ploie, qui s’écrivent aujourd’hui bluteau, bluter, réglisse,
blouse, houblon, surplis, sans e, et pelote, avec e.
Au xvie siècle, Sylvius (1531) et R. Estienne (1549) donnent
encore plote. Par contre, on trouve beluteau chez le dernier de ces
auteurs, et belouse chez Mourgues (1685).

c) Chute de ç devant r.
Elle ne s’est produite à l’époque dont on parle que lorsque la
consonne précédente était une occlusive quelconque ou une cons­
trictive labio-dentale.
Ex. : berouetle > brouette, materas > matras, esperit > esprit,
chauderon > chaudron, chauderonier > chaudronier, e(s)peron >
e(s)pron, chaperon > chapron, naperon > napron, lapereau > la-
preau, hobereau > hobreau, etc., torterelle > tortrelle qui s’écrivent
aujourd'hui brouette, matras, esprit, chaudron, chaudronnier, sans
e, et éperon, chaperon, napperon, lapereau, hobereau, tourterelle, etc.,
avec e.
Au xvie siècle, hobreau et laprcau se trouvent encore, le premier
chez Palsgrave, le second chez R. Estienne. Par contre, Cotgrave
(1611) donne encore ber(r)oette.
R emarque I. — On a eu de plus teriacle > triacle et dérivé triacleur
feronde > fronde. Mais aucune de ces formes n’a subsisté. Elles ont été
remplacées par les formes savantes thériaque (lat. theriaca) et furoncle (lat.
furunculus).
Remarque II. — Dans les dialectes du Centre, la chute de e n’a pas
eu lieu dans les futurs et conditionnels en -era, -eroit, et portera, demandera,
achatera, etc. ont conservé leur ç sous l’influence sans doute des 3e pers.
indic. prés, porte, demande, achate, etc. Il n’en est pas de même en anglo-
normand, en picard et en wallon, où la phonétique a triomphé et où l’on a
à partir du xm®siècle, portra, demandra, acatra —achatra, etc.
516 ÉVOLUTION DE E CENTRAL

R e m a r q u e III. — O n t r o u v e a u s s i d a n s le s m ê m e s r é g io n s e t à l a m ê m e
époque d es fo rm e s c o m m e torra, sejorra, p a n a , e tc ., p o u r tornera . sejornera,
parlera, e t c . , o ù l a c h u t e d e f p a r a i t r é s u l t e r d ’u n e g é n é r a l i s a t i o n d e c e lle q u i
a eu lie u dans le s e x e m p le s p ré c é d e n ts .

d) En dehors des cas où e était en contact avec / ou r, ii n’y a


guère à signaler que soupçon { < souspeçon), attesté dès le xm e
siècle. Ici la syncope doit probablement s’expliquer par analogie
avec soupçonner, soupçonneux, dans lesquels l’ancien f a pu tom­
ber à cause de son éloignement par rapport à l ’accent.

2° En syllabe initiale et intérieure, devant voyelles accentuées ou


inaccentuées. — Dans cette position, la chute de e a été générale
au cours de la période qui va du xm e au milieu du xv e.

Ex. de f devant i : feis ( < fecisti) > fis, meis ( < misisti) > mis,
feist ( = fecisset) > fist, meist (== misisset) > mist, an fille ( < *ana-
lïcula) > anille, beneir ( < benedîcere) > bénir, leveis ( < *levatïciu)
> levis, f fissions ( = fecissemus) > fissions, m issions ( = misis-
semus) > missions, beneissons ( = benedicimus) > bénissons, etc.

Ex. de e devant a : meaille ( < metallea) > maille, seas ( < *seta-
ceu) > sas, eage ( < *aeiaticu) > âge, mfailler > mailler, eagé >
âgé, etc.

Ex. de f devant à : cheance ( < cadentia) > chance, chçant ( < ca-
dente) > -chant dans méchant, crçance ( < credentia) > mov. fr.
crance, etc.

D'une façon ordinaire, Ve a cependant continué à s’écrire jusqu’à


la fin du x v ie siècle et même au delà. Les formes du xvi«' siècle
telles que feis, meis, etc. doivent donc être lues fis, mis, etc.
Pourtant la prononciation avec œ ( < e) est encore signalée pour
eage par H. Estienne (1582), Xicot (1606) et Palliot. En 1604, Du
Val la qualifie d’« inepte ».
R e m a r q u e . — D an s la la n g u e ju d ic ia ir e e t e c c lé s ia s tiq u e , l ’ [ f ] du v fr.
séance, séant, créance, (es)chëance, (m es)crëant s ’ e s t m a i n t e n u s o u s fo rm e
d e [e], d ’ o ù a u j o u r d ’ h u i séance, séant, créance, échéance, mécréant.

3° A l’intérieur du moi après une voyelle inaccentuée. — Sans


doute note-t-on la chute de [f] dans cette position dès le début du
x n e siècle en anglo-normand ; cf. deveras pour deveeras, enveirad
pour enveierad dans le Ps. Cambridge. Mais ce n’est qu’au cours du
siècle suivant que le phénomène apparaît et prend de l’ampleur
dans le français continental. Dès le x m e siècle, on recueille des
CHUTE 517
graphies comme prirai, oblirai. crirai, pairai, vraiment, aveugle­
ment, aisément, prirement. etc., pour prierai. oblierai, crierai, paierai,
vraiement, aveugleement, aiseement, priveement. etc.
Au xvif siècle, Marot présente bien encore oubli erai, tu era,
à côté de humili(e)ra, publi(e)ray, oubli(e)re:, etc. Mais St-Gelais,
Ronsard et Garnier ne connaissent que les formes sans e. De même
Péletier (hardiment, manimant), Balf (kontinùrai) et Bèze (envoirai,
ennuîrai). En 1582, H. Estienne déclare que dans ambiguement,
estourdiement, l’e ne sert qu'à allonger la voyelle précédente.
Cependant si l’[f] était tombé depuis longtemps dans la langue
populaire, il se maintenait encore çà et là, et sans doute avec le
timbre de [ce], dans la langue savante. Gauchie (1570) par exemple
dit que le second e de priveement, aiseement compte pour une
syllabe dans les vers, et Deimier (1610) blâme mani'ronl chez Ron­
sard. Quelques années auparavant, Malherbe avait lui aussi repro­
ché à Desportes d’avoir écrit rarira au lieu de variera. Pourtant à
l'époque de Yaugelas, la voyelle avait complètement cessé de se
prononcer même dans le discours ou les vers.
L’orthographe a suivi la prononciation dans aisément, ambigus
ment, vraiment, etc. ; mais non dans les formes du futur et du condi­
tionnel. On continue en effet d'écrire priera, oublierait, etc.

4° En syllabe finale après une voyelle accentuée. — Jusque


vers la fin du xne siècle, seit, ait et -eit (< *-ëat, cl. -ëbat) s’oppo­
saient d’une manière constante à seie, seies, scient ; — aie, aies,
aient ; -----eie, -eies, -eient dont l’e final se prononçait. A partir
de cette époque, la voyelle finale a commencé à s’amuïr dans cette
triple série de formes. C'est sans doute l’influence des 3e pers.
sing, qui est ici en cause. Déjà dans le Poème Moral qui est des
environs de 1200, on trouve poroi ge pour poroie ge. sarroi pour
sarroie, voldroi pour voldroie. Les exemples se multiplient dans
les siècles suivants. Au xvie siècle, la chute de la voyelle finale
est un fait accompli. Pourtant dans son Art Poétique, Ronsard,
tout en qualifiant de picardismes les terminaisons de voudroye,
aimeroye, diroye, etc., conseille de ne pas les rejeter, à cause de
leur utilité dans le vers. Pour la 3e pers. plur., on note encore un
flottement. Fabri (1521) écrit par exemple : «et sont plusieurs qui
disent que alloient et venoient ne sont que de deux syllabes ce
qui laisse entendre que pour d’autres il n'en était pas ainsi. Sibilet
(1548) ajoute : « Si tu y avises de près, tu verras beaucoup de gens
les prononcer et escrire sans e, comme disoint. moint, avoint, cou-
roint ». Cependant pour Meigret (1542), la prononciation est iden­
tique à la 3e pers. sing, et à la 3e pers. plur., sauf que dans celle-ci
la voyelle accentuée est plus longue que dans celle-là. Au xviie siè­
cle, agent compte encore pour une ou deux syllabes d'après Th.
Corneille : * Si on en fait, écrit-il. qu'une syllabe, on prononce sou­
vent ce mot comme s’il en faisait deux, et on rend par là le vers
trop long .*le contraire arrive si on en fait deux syllabes et qu’on le
prononce comme s’il n’en faisait qu’une ».
518 ÉVOLUTION. D E E CENTRAL

Parallèlement les 3me pers. plur. indic. prés, du type voient,


envoient, croient, etc. ont laissé, tomber l’e final. Mais d’après Sibilet
certains le prononçaient encore à son époque.
L’orthographe s’est conformée à la prononciation dans (que je,
que tu) sois, dans la terminaison de la l re et 2e pers. sing, de l’im-
parf. et du condit. -ais (autrefois -ois), aux trois pers. sing, indic.
prés, des verbes en -ayer, -oyer, -uyer (je paie, tu paies, il paie ; —
j'emploie, tu emploies, il emploie ; — j'essuie, tu essuies, il essuie),
ainsi qu’à toutes les 3e pers. plur. (qu'ils soient, qu’ils aient, ils
étaient, ils seraient, ils paient, ils emploient, ils essuient).
En dehors des formes verbales, il semble que la chute de [œ]
final après voyelle ait été plus tardive. Pourtant dès la seconde
moitié du x m e siècle, on note eau pour eaue < aqua, pour lequel
on peut d’ailleurs admettre un phénomène d’élision dans le groupe
l'eaue est chaude — froide. Dans les textes, les exemples de chute ne
deviennent un peu nombreux que vers la fin du x v e siècle. Il est
vrai que la langue populaire a dû être en avance sur ce point,
comme sur tant d’autres, sur la langue savante. De fait au x vie
siècle, Ronsard pourra écrire dans son Art Poétique : « Tu dois aussi
noter que rien n’est si plaisant qu’un carme bien façonné, bien
tourné, non entr’ouvert ni béant : Et pour-ce, sauf le jugement de
nos Aristarques, tu dois oster la dernière e féminine, tant des
vocables singuliers que pluriers qui se finissent en ée et ées, quand
de fortune, ils se rencontrent au milieu de ton vers... Si tu veux que
ton poeme soit ensemble doux et savoureux, pour ce tu mettras
rou', jou', nu’, contre l’opinion de tous nos maîtres, qui n’ont de
si près avisé à la perfection de ce mestier ». Péletier se permet la
même liberté : « J ’é usé de gru’s e oç’s pour grues et oçes... deman­
dant ce conge-la, e an donnant de même ». Baïf écrit aussi anné’,
fumé’, doré', maladV, vV, anvV,suplV,vrè',keu’. Du Bellav supprime
e même dans les mots qui terminent le vers et fait rimer par exem­
ple né avec hymenée. En dehors des poètes, on note fourni, glu chez
O. Estienne, eau et eaue chez Palsgrave. Et. Dolet observer encore
en 1542 que la terminaison -ée se prononce avec un é long. Il résulte
de tout cela que I’[œ] final après voyelle n’était plus articulé dans
la conversation, non seulement dans le peuple, mais aussi dans la
société.
Dans cette dernière classe pourtant, tout le monde n’était pas
du même avis, et il y a eu des protestataires. Sibilet (1548) écrit :
« Prononçant aimée, desestimée, tu sens bien le plein son du pre­
mier é masculin... et le mol et flac son du second e féminin en la
syllabe dernière ». De même, Malherbe note dans son Commentaire
sur Desportes : « Jamais ne dis Proté, Promethé, mais Prolée, Pro-
methée ». Mau pas (1625) de son côté recommandera de prononcer
î ’e final dans les mots comme portée. Mais il semble bien qu’à partir
de 1610 ou 1620, l’fœj final après voyelle ait fini par disparaître
complètement. Si on parle de le prononcer, il ne s’agit plus que du
langage noble et soutenu, Lorsqu 'en 1639 Duez remarque que
LABIALISATION 519
Ye de -ie ou -ue fait une syllabe, il n’est question chez lui que de
poésie. De même, si Dumas (1733) et Boulliette (1760) veulent
qu’on le prononce, c’est le premier dans le discours, le second à la
fin des vers.

II. — LABIALISATION DE E CENTRAL

L’e central a éprouvé de bonne heure une tendance à se Jabia-


liser et à passer à [ce], Cette tendance, faible au début, s’est affirmée
avec le temps. A l’origine, elle n’a pu aboutir que grâce à un
concours particulier de circonstances. Ce n’est seulement que plus
tard qu’elle a été assez forte pour produire à elle seule ce chan­
gement. C’est dire qu’il y a eu deux sortes de labialisations l’une
conditionnée, l’autre spontanée, séparées l’une de l’autre par un
intervalle de temps assez considérable.
La labialisation conditionnée semble s’être produite tout d’abord
au contact de deux consonnes exigeant une articulation labiale
plus ou moins prononcée. Il s’agit des mots du type jçmier (< *fi-
mariu) passé à fœmier avant de devenir fumier ; cf. ci-dessus p. 000.
Fumier étant attesté au xne siècle, on peut faire remonter ici la
labialisation de [e] en [œ] au xie. Il est aussi probable que de bonne
heure, mais plus tard [e] s’est changé en [ce] au contact d’une
voyelle labiale suivante ou précédente : devant un [ü] dans dëu
(< *debütu), bëu (< *bïbütu), mëur (< matûru), etc. ; devant
un [ce] dans emperëeur (< imperatôre), vendëeur (< venditôre),
etc. ; devant un [u] dans pëou (= pedücùlu), vëouge (< vïdübiu),
etc. ; devant un [o] dans bëau (= bëllus), vëau (— uïtëllus), etc. ;
devant [ô] dans rëond = [reônd] ) < rolondu) ; après un [»] dans
louera (< *laudaràt, *locarât), nouera (< *nodardt), etc. Un [w]
suivant a dû avoir le même effet, dans chëoir ( < *cad re), vëoir
(< uidëre), etc.
Mais le phénomène le plus important est celui qui a fait spon­
tanément passer à \œ] tous les [/] qui étaient restés intacts jusque
là. Les premiers exemples de cette labialisation spontanée datent
de la seconde moitié du xve siècle. Cretin, par exemple, présente
la rime léonine renom : peu, non. Mais il est permis de penser,
vu le retard que met la langue littéraire à adopter les changements
phonétiques, que le phénomène doit être reporté dans la langue
courante vers le début du xve siècle, sinon vers la fin du xive.
Au xvie siècle, les grammairiens ont essayé de définir le nouveau
son. Cependant ce qu’ils en disent est loin d’être clair. Palsgrave,
en écrivant qu’il se prononce à peu près comme un o et fortement
dans le nez, laisse du moins entendre que l’ancien timbre, plus
ou moins voisin de e, avait fait place à un autre de caractère labial.
520 É V O LU T IO N D E E C E N T R A L

Sans doute faut-il interpréter de Ja môme façon le « suboscurus »


de Pillot (1550). Les autres indications ne peuvent guère être uti­
lisées. Sibilet (15-18) parle du « mol et flac son » de e inaccentué,
et Bèze (1584) le qualifie de « imbecillam et vix sonoram vocem ».
Tout cela peut convenir aussi bien à [f] qu’à [as].
C’est que la langue savante semble s ’être opposée pendant long­
temps au changement de [$>] en [ce] qu’elle considérait sans doute
comme vulgaire. A côté de la rime léonine citée plus haut, Cretin
présente encore, avec l’ancien phonétisme, a quelle fin : Ha qu’il
esf fin. Au x v ie siècle, Meigret (1542) appelle d’autre part Ye final
de bone « e clos bref », par opposition à l’e final de bonté qui est
« clos et long » ; en quoi d’ailleurs il se fait blâmer par Des Autels
et Pélctier. En 1587, Tabourot donne la même prononciation pour
par le bas et parlez bas. Un siècle plus tard, Bérain (1675) et Hin-
dret (1687) préféreront encore anvoyez-lai à anvoyez-leu. Le seul
reste de l’ancienne prononciation s ’est conservé dans les formules
interrogatives du type chanté-je ?
Mais plus im portante que la question du timbre, est la chute
de [e] qui a commencé à se m anifester dès l’époque prélittéraire
et qui a été suivie plus tard par celle de [œ].

III. — CHUTE DE [œ] PROVENANT DE [ç]

Il faut distinguer entre le traitem en t de [œ] résultant de la


labialisation spontanée de [ç] e t celui de [œ ] provenant d’une
action ordonnée.

A. — [œ] provenant de la labialisation conditionnée de [ç]

Cet [œ ] a une triple origine. Il représente le plus souvent un


ancien e < lat. e, ï passé à [œ ] au contact d’une voyelle labiale
accentuée su iv a n te : [ü], [os], [«], [o], [Ô] ou d ’un [iü] suivant, ainsi
qu’au co n ta ct d ’un [u] in accen tu é précédent. Mais il peut pro­
venir aussi d ’un ancien ç (issu de a en hiatus avec [ü], comme
dans v . fr. m e ü r < * m a ü r < m a tü r u , ou de a dans le groupe
c a - \ com m e dans v . fr. cheü < * c a d u tu ) ou d’un ancien o, qui se
son t l’un lab ialisé (v. fr. m e ü r > m œ ü r ), l’autre palatalisé (v. fr.
m o u s de m o v u is ti > m œ ü s ) au co n ta ct d’un [ü] accentué suivant.

Quelle que so it son origine, c et [œ ] s ’est am uï au cours de la


période qui va de la fin du x n e siècle à la seconde m oitié du x v e.
C H U TE D E CE PRO V EN A N T D E E CEN TRA L 521

Ex. de Ia] (levant [ü] : vfr. sëur ( < secüru) > sûr, vfr. reuse
( < refusât) > ruse, vfr. dëu ( < *debülu) > dû, vfr. crëu ( < *cre-
dfitu) > cru, vfr. crëu (< *crevâlu) > crû, vfr. bëu ( < *blbülu) >
bu, vfr. vëu ( < *vidülu) > vu, vfr. dëumes ( < debuimus) > dûmes,
vfr. bëumes ( < bibuimus) > bûmes, etc. ; — vfr. mëur ( < matüru)
> mûr, vfr. ëu ( < *habülu) > [ü] écrit eu, vfr. plëu ( < *placûlu) >
plu, vfr. sëu ( < *sapütu) > su, vfr. pëu ( < *pavülu) > pu dans
repu, vfr. jlëulc ( < *flabûla) > flute, vfr. chëu ( < *cadütu) >
chu dans déchu — échu, vfr. armëure ( < armalüra) > armure, etc ;
— vfr. mëu ( < *mouülu) > mu, vfr. plëu ( < *plouûtu) > plu, vfr.
pëu ( < *potûlu) > pu, vfr. conëu ( < *conovûtu) > connu, etc.
R emarque I. — Mais on a vfr. ëur ( < *aguriu) > -heur dans bonheur
malheur, heureux, malheureux et vfr. fëu ( < *fatùtu) > Jeu. C’est-à-dire qu’à
côté de l’évolution [o?ü] > [ü], on a eu [œü] > [œ]. Cette complexité
apparaît encore plus grande quand on considère l’état ancien de la langue.
Non seulement on y trouve meur, seur et fleuie, avec [ne], pour mûr, sûr,
flute ; mais on peut dire que pendant longtemps, et même chez les meilleurs
poètes, il y a eu hésitation entre [ü] et [œ] pour tous les mots qui ont actuel­
lement un [ü].
R emarque II. — Les théories proposées pour l’explication de ce phéno­
mène font ordinairement appel à l’influence dialectale. On admet d’une part
que heur et feu ( < *fatülu) proviendraient de l’Ouest où le groupe [oe] + [ü]
s’est réduit à [œ]. Mais il est un fait certain : c’est que le peuple de Paris a
prononcé bonhur et malhur jusqu’au xvn° siècle. De même, hureux prédo­
minait à cette époque dans la capitale. L’emprunt se serait donc produit
dans la langue savante, ce qui est assez surprenant. La difficulté s’accroît du
fait que bonheur et malheur ne seraient pas les seuls mots à avoir été emprun­
tés, puisque [œ] pour [ü] est très fréquent chez les auteurs du x vie et du
x v ii 0 siècles. D’après d’autres, l’opposition mûr : bonheur proviendrait
d’une perturbation causée dans la phonétique parisienne par le picard.
Dans ce dialecte, l’ô et l’ô latins avaient fini par se confondre dans le son [ü].
La prononciation picarde ayant gagné la capitale, les mots qui avaient ori­
ginairement un [a] pouvaient ainsi être prononcés aussi bien avec un [ü]
qu’avec un [crj. D’où une confusion qui a pu amener à son tour le change­
ment de [ü] originaire (celui de mûr, sûr, etc., entre autres) en [g?]. Un mot
comme noeud venant à se prononcer [ncr] et [nü], on aurait eu pour mûr
[miirj et [mœr]. Pendant tout le x vie siècle, l’hésitation se serait maintenue
et on aurait prononcé [ü] ou [ce] pour le même mot. Avec Malherbe cepen­
dant, la chasse aux dialectalismes aurait commencé, et la prononciation
parisienne aurait été restaurée. Non sans que quelques erreurs aient été
commises. C’est ainsi que la langue aurait conservé bonheur, malheur, feu
d’une part, et mûre pour meure ) < môra) de l’autre. Sans vouloir nier l’im­
portance du picard dans le phénomène en question, il convient pourtant de
noter que le nombre d’exemples de [ce] pour [ü] est bien plus considérable
chez les auteurs du x v ie et du xvn® siècles que celui des exemples de [ü] pour
[ce] ; de plus, que [œ] pour [ü] n’est pas populaire, comme l’attestent bonhur et
malhur.
Cette triple remarque permet d’entrevoir la véritable explication. Il ne
s’agit pas ici d’une influence dialectale, directe ou indirecte. On est plutôt
en présence d’un cas de phonétique savante. Malgré la réduction de [a] -r
[ü] à [fil. l’ancienne graphie eu s’était conservée dans peu ( < *potütu),
meur ( < matüru), -heur ( < *agüriu), etc. Les exemples parallèles du type
feis, eage, etc., pour fis, âge, etc., abondent aussi au x v ie siècle. Par suite de
la tendance qu’a toujours éprouvée la langue savante à se différencier de
la langue populaire, la graphie eu de peu, meur, -heur, etc. a été interprétée
comme la graphie eu d e feu ( < föcu), jeu, fleur, etc., et tandis que dans la
langue courante on disait pu, mûr, -hur, etc., la langue littéraire a pu pro •
522 É V O L U T IO N D E E C E N T R A L

noncer [poe], [moer], [-ocrj, etc. Cependant la prononciation de l’élite n’a pu


se maintenir devant celle de la masse. Seuls se sont conservés avec [œ]
-heur dans bonheur, malheur, heureux, malheureux et feu ( < *falûlu). Encore
a-t-il fallu pour cela des raisons spéciales. Feu n'était guère usité que dans
la société. Quant à bonheur et malheur, ils ont pu se conserver sous l’influence
des locutions à la bonne heure, à la male heure, dans lesquelles heure repré­
sentait le latin hôra.

E x. de [a?] devant [u] : vfr. pëou {= pedücülu) > pou, vfr. vëouge
( < vïdübiu) > iwuge, etc. ‘

Ex. de [œ] devant [o] : vfr. beau ( = bellus) > [£>p], vfr. vëau ( =
vïtëllus) > [pp], vfr. sëau ( = sïtëllus) > [sp], vfr. marlëau ( = mar-
iëllus) > [marto], etc. Cette évolution représente la dernière phase
du traitement -ëllus, -ëllos dans la langue savante. On a vu pp. 336
sq. que ces terminaisons avaient abouti en français commun à
f-eôHsJ, d’où par analogie [-eau] et [-eo] au cas régime singulier.
Cependant tandis que l’e de [-eo] s’est fermé en i dans la langue po­
pulaire, d’où [-tp], il s’est conservé tel quel dans la langue savante,
puis s'est labialisé en [œ] sous l’action de l’o suivant, d’où [-œo].

R emarque I. — Quelques mots présentent un traitement particulier.


Lorsque Ve de l’ancien groupe [-eau] s’est trouvé en contact avec une voyelle
précédente, il semble que même dans la langue savante il soit passé à i. On
a eu ainsi pralêllu = praiau, flagëllu — flaiau, *botëllu = boiau, germ.
hauiva -f -ëllu = hoiau, alauda + -ëllu — aloiau, Hütëllu (frc. pata) = luiau.
De fait, on trouve encore flaiau chez les grammairiens du x v ie siècle ; cf.
flaiau (Palsgrave), flaiaux (Bovelies), flayau (R. Estienne). Mais à son tour,
flaiau a passé à *fleiau, de même que praiau à *preiau, d’où les formes du
fr. mod. fléau, préau. Il faut noter d’ailleurs que fléau a pu donner de son
côté fliau, qui se trouve dans E. Deschamps. Parallèlement à fléau et préau,
on a eu aussi chéaux de *chéiaux ou chaiaux ( < catellos), d’où le fr. mod.
chiol, comparable pour le développement phonétique à fliau. Cependant,
tout ce qui vient d’être dit représente le traitement populaire. Dans la lan­
gue savante, préau et fléau ont suivi une évolution identique à celle de
[veau] > [vœç] > [vo]. La prononciation [flœç] est signalée d’une façon très
nette dans le Diet, de Trévoux : « Fléau ne se prononce guère que comme
une syllabe dans le discours ordinaire. Je dis presque, parce qu’en effet on
fait un peu sentir Ve même dans la prôse, & pour les vers on fait toujours
fléau de deux syllabes. Au moins le P. Mourgues a remarqué dans son traité
de la Poésie françoise que tel étoit l’usage de nos bons Auteurs ». Mais de
même que [vœo] s’est réduit à [vo], de même [//ceo] s’est changé en [flo]. Cette
dernière forme est attestée plusieurs fois par les grammairiens ; cf. fléau
« monosyllabe » (Lanoue), « prononcez le mot fléau comme seau » (Hindret),
« on prononçait autrefois fléau, mais il y a longtemps qu’on ne fait plus
sentir l’e » (De la Touche), « flau, punition, est écrit par au, les flaux dont
il nous châtie » (Girard), « Jlô » (Anonyme de 1727).

R emarque II. — La forme perdreau, signalée au x v ie siècle, n’a rien de


phonétique. En vfr., on avait perdrial. < *perdix-gallus. D’après le
pluriel perdriaus, on a refait un singulier perdriau. Mais la terminaison -iau
étant sentie comme populaire, la langue savante a transformé perdriau en
perdreau, d’après l’équivalence fr. popul. biau : fr. sav. bëau. Cette forme
est encore donnée par Mourgues (1685) qui cite des exemples de Sarrazin
et de Richer. Enfin, de même que bëau s’est réduit à [èo], de même perdreau
a passé à [pçrdrç].
CHUTE D E GE PROVENANT DE E CENTRAL 523

Ex. de [œ] devant [ô] : vfr. rëond — [rœônt] ( < *retondu, cl.
rotondum) > rond, prononcé autrefois [rônt], auj. [rô].

Ex. de [œ] devant [u>] : vfr. chëoir ( < *cadêrc) > choir, vfr. sëoir
( < sedëre) > asseoir, vfr. vëoir ( < vïdëre) > voir., etc. Cependant
Y[ce] se prononçait encore au x v ie siècle d’après le témoignage de
certains grammairiens. L’orthographe a suivi la prononciation
dans choir ( déchoir) et voir, mais non dans asseoir.

Ex. de [œ] après [u] : vfr. louëra ( < *laudaràt, locaràt) > [/ura]
vfr. nouera ( < *nodardt) > [nura], etc. L’orthographe a maintenu
l’e, d’où les graphies actuelles louera, nouera.

R emarque I. — Le cas de vfr. esboëler (< ex-botellare) > fr. mod.


ébouler n’est pas le même. Ici il n’y a pas eu à proprement parler de chute de
[œ]. Cette voyelle en effet semble avoir passé à [u] dès le xm e siècle, sous
l’action assimilatrice de l’[u] précédent (cf. la graphie esboouler) et on a eu
en réalité [ebuulçr] > ebulçr] avec contraction de [«] + [u] en [u].
R emarque II. — Il faut en dire autant de la série brouiller, fouiller,
rouiller « rouler (les yeux) », touiller, qui étaient en vfr. broeillier (< *brodl-
cùlare), foeillier (< *fodlcülare), roeillier (< *rotlcülare), loeillier ( < tudl-
cülare, Varron). Ici encore Ve prétonique interne du français primitif a dû
se labialiser de bonne heure en {œ] au contact de la voyelle labiale précé­
dente. L’assimilation se poursuivant, cet [œ] s’est ensuite transformé en
[u], comme le montrent les graphies du xm e siècle brooillier, fooillier, rooil-
lier, tooillier. Plutôt que chute de [ce], il y a eu aussi dans ces mots contrac­
tion de [u] + [u] en [u].
R emarque III. — Souiller peut très bien s’expliquer par le vfr. soeillier
< *südlcülare. Dans ce cas, l’évolution a été la même que pour brouiller,
fouiller, etc. Cependant il peut avoir une autre origine. Le français du xii®
siècle connaît en effet une forme soillier, dérivée de soil < sâïle, qui a bien
pu aboutir à souiller ; cf. moillier « *molliarë) > mouiller.

B. — [œ] provenant de la labialisation sp on tan ée de [?J

Lorsque vers le début du x v e siècle ou la fin du x iv e, l’ff] a


passé spontanément à [œ], cette dernière voyelle a éprouvé une
tendance à la chute encore plus forte que celle qui avait menacé
l’[f] aux siècles précédents. Depuis cette époque, cette tendance
n’a fait que se développer. Elle a atteint l’[œ] final après consonne,
c’est-à-dire dans une position où l’ancien [e] n’avait pas été atta­
qué. Quant à l’amuïssement de [o?] interconsonantique, il a pris
des proportions inconnues au x m e et au x iv e siècles. On étudiera
successivement ici le sort de [œ] :
En syllabe finale après consonne ;
En syllabe intérieure de mot ou de groupe entre consonnes ;
En syllabe initiale de mot ou de groupe entre consonnes.
Ô2J ÉVOLUTION D E E C E N T R A L

1° En syllabe finale après consonne. — Tandis que lachute de


C final après voyelle accentuée remonte assez haut, l’[ce] final
après consonne ne semble avoir commencé à s’amuïr que vers le
milieu ou la fin du xve siècle. Ce qui le laisse supposer, c’est que les
grammairiens du xvie ou du x v n e le prononcent encore, les pre­
miers en date sans faire allusion à sa faiblesse (Barcley, Pals­
grave, Delamothe), les autres en la notant (Bèze, Mermet, Dei-
mier, Martin, Du Gardin, Oudin). Il faut attendre jusqu’en 1622,
pour que Van der Aa reconnaisse qu’il est imperceptible, et jus­
qu’en 1639 pour que Duez écrive qu’on l’omet complètement. Il
n’en est pas de même, a-t-on vu, lorsqu’il s’agit de [œ] après voyelle :
la prononciation populaire était déjà plus ou moins adoptée par
les grammairiens de la première moitié du x v ie siècle. Quoi qu’il
en soit, tous les témoignages sont d’accord à la fin du x v n e ou au
début du xvm e pour admettre que V[œ] final ne se prononce en
aucun cas dans la conversation.
C’est l’usage actuel. A la fin d’un polyssyllabe, 1’[ce] est muet ;
qu’il soit précédé d’une seule consonne ou de plusieurs. Ex. : un(e)
femm(e) pass(e) tout(e) seul(e) derriè(e) cett(e) muraill(e) ; —
un grand cern(e), un(e) corn(e) de taureau, etc.
Cependant, dans les combinaisons syntactiques où sa dispari­
tion amènerait la création d’un groupe consonantique trop com­
pliqué, Y[œ] final continue à se prononcer ; cf. un grand cerne bleu ;
un(e) corne très longu(e).
De même, lorsque ï[œ] final est précédé d’un groupe consonne
-b liquide, il tombe à la pause ; mais il peut continuer à se pro­
noncer dans un groupe syntactique. Ex. un maltr(e), un(e) tabl(e),
avec r et l sourds ; mais un maître d’écol(e), quatre sous, etc., à côté
de un maîtr(e) d'écol(e), quatr(e) sous, etc., avec r sourd. Ce n’est
que dans le langage familier que non seulement l’[œ], mais encore
la liquide qui précède tombe ; cf. un m alt(re) d'école, quat(re)
sous, etc. Dans le langage populaire, le phénomène a lieu même
à la pause ; cf. un maît(re), quat(re), etc.
Enfin, l’[œ] final se prononce devant le groupe [ry-] et devant un
h dit « aspiré » ; cf. je n(e) demande rien, une hache, etc.

2° En syllabe intérieure de mol ou de groupe entre consonnes. —


On a vu que pendant la période précédente, l’[f] interconsonanti-
que est tombé au contact de l ou de r, et pour des raisons spéciales
dans soupçon. Cependant il semble bien que dès le x v e siècle la
syncope se soit intensifiée et que l’[œ] ait manifesté une tendance
à s’amuïr entre deux consonnes dont aucune n’était une liquide.
En 1549, Péleticr écrit dechicte (refait sur dechicler < déchiqueter).
Cette forme permet de supposer que le phénomène était amorcé
depuis quelque temps déjà dans la langue populaire. Mais c’est
surtout à partir du xvie siècle qu’il a dû se développer. Au xvne
la chute de [ce] interconsonantique était assez avancée pour pro­
voquer cette protestation de Chifflet (1659) : « Je dis de cette pro-
CHUTE DE ΠPROVENANT DE E CENTRAL 525
nonciation affectée qu’elle est fausse, injurieuse à nostre langue
et totalement pernicieuse à la poésie françoise. Elle est fausse,
parce qu’elle anéantit des syllabes entières, qui ont droit d’estre
distinguées des autres, quoy que j’avouë qu’elles sont fort courtes,
et qu’il les faut prononcer brièvement. Elle est injurieuse à nostre
langue, d’autant qu’elle la rendroit dure, scabreuse et frémis­
sante, à cause du choc des consonnes, contre l’extrême inclination
qu’elle a à la douceur. Enfin elle ruineroit toute la poésie, estro­
piant les vers du nombre des syllabes qui est requis à leur mesure ».
Ces protestations et d’autres ne servirent cependant de rien et
on peut dire que la prononciation du xvme siècle ne diffère pas
de celle d’aujourd’hui.
Dans le français actuel, du moins dans le français de la conver­
sation, la prononciation de [œ] interconsonantique obéit aux lois
suivantes, qu’il s’agisse d’un [œ] intérieur de mot ou d’un [ce]
intérieur de groupe rythmique.

a) Cas d'un seul [ce]. — Il tombe s’il n’est précédé que d’une
seule consonne ; mais il se prononce après deux consonnes. Ex. :
amèr(e)ment, touch(e)ra, rapp(e)ler, tout (e) temps, il l’a j(e)lé,
1

etc. ; mais justement, courbera, restera, entreprise, quelquefois, os de


poulet, au soleil levant, etc.
La chute a lieu même lorsque ï[œ] est suivi de deux consonnes.
Ex. : pas d(e) scandal(e), mon ami 1(e) statuair(e), etc., en face
de il me scandalis(e), où l’[œ] intérieur est précédé de deux conson­
nes.
Elle ne se produit pas, si l’[œ], même précédé d’une seule conson­
ne, est suivi du groupe [ry]. Ex. : nous serions mieux, vous aime­
riez bien, etc., en face de coup d(e) pied, plus d(e) bièr(e), etc.

b) Cas de deux syllabes consécutives contenant un [ce]. — Un


seul des deux [œ] se prononce : le premier, s’il est précédé de deux
consonnes ; le second, si le premier n’est précédé que d’une seule.
Ex. : pour me 1(e) dir(e), il me 1(e) dit, or le ch(e)val, etc. ; mais
on n(e) te croit plus, si j(e) te disais, ell(e) secoua la lêt(e), etc.
Cette règle peut être contrariée par la présence de groupes
figés, qui ont une prononciation invariable, comme je n(e), ou
une prononciation privilégiée, comme je (e), je m(e), que j(e),
1

etc. beaucoup plus fréquents que j(e) le, j(e) me, qu(e) je, etc. Ex. :
car je n(e) l’ai pas, mais aussi et je n(e) l'ai pas ; car je (e) fais,
1

mais aussi et je (e) fais ; or je m(e) souviens, mais aussi quand je


1

m(e) souviens, etc.

c) Cas de plus de deux syllabes consécutives contenant un [a?]. —


C’est au fond le même cas que le précédent. Tout dépend du trai­
tement du premier [œ]. S’il se prononce (étant précédé de deux
consonnes), le second disparaît, le troisième se prononce, et ainsi
526 ÉVOLUTION DE E CENTRAL

de suite. Si au contraire il tombe (étant précédé d’une seule conson­


ne), le second se prononce, le troisième disparaît, et ainsi de suite.
Ex. : lu n(e) me 1(e) demandais pas, qu'est-c(e) que j(e ) le dirai ?,
mais n(e) le d(e)venez pas, d’une part, ; et il ne m (e) le d(e)man-
dait pas, car ne (e) devinait-il pas ?, de l’autre.
1

Ici encore la présence de groupes figés peut contrarier la loi.


Ex. : dis lui que je n(e) sais rien, conforme à la loi générale ; mais
dis-leur que je n(e) sais rien, où je conserve son [œ], alors qu’on
devrait normalement prononcer (e) après que. Les cas de ce genre
sont les seuls où le français prononce deux [œ] dans deux syllabes
consécutives.

3° En syllabe initiale de mot ou de groupe après une pause. —


On a vu que dans une période précédente, [e] s’était amuï dans
cette position au contact d’une liquide ; cf. pp. 510 sq. A mesure qu’on
approche du xvie siècle, le mouvement de chute s’accentue, et
l’[œ] provenant de [e] éprouve une tendance à s’amuïr entre deux
consonnes dont la première est une constrictive. Déjà chez H.
Estienne on trouve une graphie squenie pour sequenie (vfr. sous-
quenie < m. h. ail. sukenie) qui est dans Rabelais. De même, R.
Estienne écrit scourgeon pour secourgeon ( < m. néerl. *sod-korn).
D’autres exemples se rencontrent chez d’autres grammairiens du
x v ie et du x vn e siècles ; cf. j ’nesire Duez (1639), stier = setier
Tabourot (1587), c’pendant Duez, s’ia Duez, Oudin (1633), l’çon
Duez, Oudin, r'nom Oudin, fnommée, r’çoy— feeu, ftourner,
r'viendray, r’muemesnage, ch'val — ch’valier, clémin, déminée,
déminer Duez.
C’est l’état de choses du français actuel. Cependant à la diffé­
rence de ce qui a eu lieu pour bluter, blouse, brouette, etc. ; la gra­
phie n’a pas suivi la prononciation. On peut admettre pour expli­
quer ce fait que l’orthographe était plus ou moins fixée lorsque le
phénomène a pris son plein développement. Mais c’est surtout la
position à l’intérieur de groupe qui est en cause. En effet, tandis
que fenêtre isolé devenait f'nêtre et que la fenêtre se prononçait la
f'nêtre, on continuait et on continue à dire un(e) fenêtre. Ainsi,
suivant son emploi, fenêtre a une double prononciation. Les choses
étant ainsi, l’orthographe ne pouvait pas varier.
Dans le français actuel, l’[œ] d’une syllabe initiale de mot ou de
groupe ne tombe pas, lorsque la consonne qui la précède est une
occlusive ; cf. besace, peser, degré, tenir, guenille, quenouille, que
dis-tu ?, te sens-tu bien ?, etc. Cependant les grammairiens du
xvn e siècle donnent quelques indications qui semblent contredire
l’usage actuel; cf. p(e)tit Duez, t'nanl — t’nez — t ’nons Duez,
t(e)nez Oudin, d(e)mander Oudin, Duez, d(e)vant, d(e)ssus, d(e)s-
sous, d(e)main, d(e)meurer Duez, qu(e)nouille Hindret ^(1687),
gu(e)non Oudin, etc. Il serait étonnant que le français d’aujour­
d’hui soit revenu en arrière. Les formes ci-dessus doivent être
sans doute interprétées comme provenant d’une généralisation :
CHUTE DE CE PROVENANT DE E CENTRAL 527

à l’intérieur d’un groupe où il est précédé d’une voyelle, un mot


comme petit se prononce p ’til ; cf. petit à p(e)til..Quoi qu’il en
soit, cette généralisation n’a pas abouti dans le français actuel.

R e m a r q u e I. — Lorsque les deux premières syllabes du mot ou du groupe


contiennent chacune un [ce], on n’en prononce qu’un. Le premier, si les
consonnes qui l’entourent sont toutes les deux des occlusives ou des cons­
trictives, ou bien encore une occlusive et une constrictive ; le second, si les
consonnes qui entourent le premier sont une constrictive et une occlusive.
Ex. : que t ( e ) d it- il ?, que d (e )m a n d e z -v o u s ? — , je n ( e ) s a is p a s , je 1 (e )
s a is — , te l ( e ) d i t- il ?, que n ( e ) v ie n t-il ? — ; mais j ( e ) le d is , c ( e ) que tu
fa is , etc.
Si le groupe commence par plus de deux syllabes consécutives conte­
nant un [ce], le 3e[œ] se prononce ou non suivant que le second tombe ou se
prononce, et ainsi de suite. Ex. que t ( e ) d em a n d e-t-il ?, je n ( e ) le s a is p a s
te l( e ) d e m a n d ( e ) - t- il ?, j ( e ) t e l( e ) d i s , etc.
Tout cela, bien entendu, dans le français dit correct, mais non néces­
sairement dans le parler populaire.
R em a rq u e II. — Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas ici de [ce], il faut
signaler la réduction de cet et cette à [si] et [stœ ] ou [si] dont parlent les gram­
mairiens du x v i e et du x v ii ® siècle. Il est probable que si on a dit sto m e
( = cet hom m e ), ste fem m e, ç’a été par analogie avec les cas où ces démons­
tratifs se trouvaient à l’intérieur d’un groupe où ils étaient précédés d’une
préposition, comme asteu re ( = à cette heu re).
f

r..

i'
TA BLE DES M A TIÈR ES

P R ÉLIM IN AIRES

T im bre des voyelles latines au début de l’époque


im p é r ia le .............................................................. 113
L’accent en la tin ..................................................... 121
A. — Nature de l'accent .................................... 121
B. — Place de l'accent........................................ 126
a) Mots latins ............................................. 126
b) Mots grecs............................................... 127
c) Mots celtiques et préceltiques................. 139
d) Mots germaniques.................................... 148
C. — Déplacements d'accent dans le latin parlé .. 150
a) Cas apparents.......................................... 151
b) Cas réels ................................................. 155
1 ° Phonétique syntactique................... 155
2° Action de l’analogie......................... 155
3° Action combinée de l’analogie et de
la phonétique syntactique.................. 157
D. — Mots inaccentués ou devenus inaccentués en
latin ou en gallo-roman................................. 158
Q uantité des voyelles latines........... 177
A. — A brégement des antépénultièmes longues de
proparoxytons............................................... 177
B. — Abrégement des voyelles longues en syllabe
inaccentuée.................................................... 184

PREMIÈRE PARTIE

LES VOYELLES A C C EN TU ÉES

Chapitre P remier

P H É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S

P hénom ènes d ’o u v e r t u r e ........................................... 193


A. — Ouverture de $ latins......................... 193
530 TABLE DES MATIÈRES

B. — Ouverture de ï, ü latins et germaniques ... 196


C. — Conservation jusqu’à nos jours de ï latin
et germanique ; conservation temporaire de ë, ô
latins et de ü latin et germanique .................... 201
II. — P h é n o m è n e s de pala talisation ........................... 203
III. — P h é n o m è n e s de fe r m e t u r e ......................................... 207
A. — Aboutissement de la tendance à la fermeture. 207
1° p franç. provenant de 5 latin ou de û
latin et german, en syllabe fermée......... 207
2° p franç. provenant de p final ou en hiatus. 209
3° p franç. provenant de la diphtongue pu
(< p + l antéconsonantique).................... 209
B. — Freinage de la tendance à la fermeture. ... 210
1° p franç. provenant de p............................ 210
2° pfranç. provenant de ö devant consonne . 211

Chapitre II

PHÉNOM ÈNES DÉPENDANTS


D E LA S T R U C T U R E S Y L L A B I Q U E

Bouleversement quantitatif.................................................... 213

Chapitre III

PH É N O M È N E S DÉPENDANTS
DE LA D U R É E V O C A L IQ U E .I

I. — D u r é e v o c a l iq u e e t d ip h t o n g a i s o n .....................
217
A. — Evolution de ç, p, e, o et de a accentués et longs 219
1° Première diphtongaison spontanée........ 219
2° Seconde diphtongaisonspontanée........... 223
3° Remarques générales sur la diphtongaison
spontanée de ë, p et a............................ 228
TABLE DES MATIÈRES 531

1*. - - Evolution de ç, ç, e, o, a accentués et brefs. . 230


1° Non diphtongaison........................... 230
a) Syllabes fermées par r................. 230
b) Syllabes fermées par l................. 230
c) Syllabes fermées par s................. 230
d) Syllabes fermées par d................. 231
e) Syllabes fermées par une consonne
nasale ..................................... 231
f) Syllabes fermées par le premier élé­
ment d’une géminée................... 232
g) Syllabes fermées par le premier élé­
ment des groupes intervocaliques bl, fl 233
h) Syllabes fermées par le premier élé­
ment d’une affriquée.................... 234
i) Syllabes fermées par un y ............ 235
2° Diphtongaison ................................ 235
a) Monosyllabes ........................... 235
b) Plurisyllabes présentant un groupe
quadriconsonantique..................... 236
c) Plurisyllabes présentant un groupe
géminée + consonne ou y ............ 238
C. — Diphtongaison «spontanée» dialectale...... 240
1° Diphtongaison de ë tardif............ 240
2° Diphtongaison de ç plus tardif.... 241
3° Diphtongaison de p tardif........... 241
4° Diphtongaison de p plus tardif.... 241
II. — Durée vocalique et timbre............................... 243
1° Allongement phonétique.............. 244
2° Allongement analogique............... 245
3° Allongement savant.................... 246
4° Allongement expressif................. 246

Chapitre IV

P H ÉNO M ÈNES D ÉPEND AN TS


DU CAR ACTÈRE NON FINAL DE LA VOYELLE
532 TABLE DES MATIÈRES

III. — yç>y c ...................................................................... 250


IV. — œ* > X»œ ....................................................................... 252

Chapitre V

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
(Actions au contact)

I. — Les Diphtongues.................................................. 254


A. — Diphtongues à second élément palatal--- 254
1° Premier groupe (sans segmentation du
premier élément)................................... 255
a) Monophtongaison ........................ 255
ae latin............................................ 255
oe latin............................................ 256
ai latin, germanique ou roman---- 256
ae roman........................................ 261
ii roman ...................................... 265
b) Conservation des deux éléments.. 265
çz roman ...................................... 265
ei roman ...................................... 269
oi roman ...................................... 283
Q roman tardif........................... 285
} 2

ujf roman...................................... 286


2° Second groupe (avec segmentation du
premier élément) ................................ 288
êï latin et roman......................... 288
qI latin et roman ancien............. 290
B. — Diphtongues à second élément vélaire. .. 292
1° Premier groupe (sans segmentation du
premier élément) ................................ 292
a) Le second élément est un odiphtongal 292
ço roman....................................... 292
b) Le second élément est un y diphtongal 296
1° l re catégorie : Diphtongues sans
palatalisation de « .................. 296
ay latin, germanique ou roman . 296
1

aiia français.............................. 299


TABLE DES MATIÈRES 533
çu roman............................... 303
1

çu français............................. 303
2

\u français ............................. 304


ou roman............................... 305
1

ou français.............................. 308
2

gu1 roman............................... 309


çu français.............................. 311
2

uu roman ............................... 313


2° 2e Catégorie : Diphtongues avec
palatalisation de u ................... 314
iu roman oufrançais................ 314
2° Second groupe (avec segmentation du
premier élément) ............................... 317
çu roman ................................ 317
1

çu français.............................. 318
2

eu français ............................. 319


II. — Les Triphtongues............................................. 320
A. — Fausses triphtongues ......................... 320
yei roman................................. 320
yçi roman................................. 322
yai roman................................. 322
yçu français................................ 323
wçu français............................... 323
B. — Triphtongues à dernier élément palatal... 324
içî roman................................... 324
âQÎ roman................................. 327
üqi roman................................. 327
C. — Triphtongues à dernier élément vélaire... 329
içy roman................................. 329
içy. français............................... 334
üpu roman................................. 334
éau français............................... 335
III. — Voyelle accentuée précédée ou suivie d’une
voyelle inaccentuée en hiatus........................ 338
A. — La voyelle accentuée perd son accent....... 338
B. — La voyelle accentuée subit un traitement
spécial........................................................ 341
IV. — Voyelle accentuée + consonne orale................ 343
A. — Action labialisanie...................... 343
B. — Action vélarisante....................... 344
534 TABLE D ES M ATIÈRES

C. — A ction p a ta ta lisa n te ....................................... 3 4 g


1 ° -a il > - c i l ..................................................... 3 4 g
2 ° -agne > - e i g n e ............................................ 3 4 7

3° sache > s a i c h e ............................................ 3 4 7

D. — A c tio n o u v r a n te ............................................ 3 4 3

1° Action conservatrice................................... 3 4 3

2° Action p o s itiv e ............................................ 3 4 3

a) * + r ................................... . ......... 348


b) e + r ................................................ 348
c) ü + r ................................................... 350
d) Note sur la diphtongaison condi­
tionnée dialectale au contact de r, s, l 351

V. — Voyelle accentuée -f- consonne n a s a l e .............. 353

A. — Action fermante....................................... 354


B. — Action nasalisante...................................... 356
1° Nasalisation ........................................... 356
a) Voyelles nasales primitives............ 357
à . . . .................... 357 ï .......................... 361
e . . *.................... 358 n __ 362
ù . . . .................... 359
b) Diphtongues nasales primitives... 364
ar. . . .................... 364 is.......................... 367
C
riT.**. ’, .................... 365 ü s ........................ 367
ri .• .• .................... 366
O7 Ü r........................ 368
Ür . . .................... 367 0,-,........................ 368
2° Évolution des voyelles et diphtongues
nasales primitives devant consonne na­
sale finale ou suivie de consonne orale . 368
a) Voyelles nasales ......................... 369
a) Phénomènes d’ouverture...... 369
369 î ....................... 371

P) Vélarisation de à ....................... 373


b) Diphtongues nasales..................... 375
a) Non déplacement d’accent--- 375
377
ar . . . 375 ?ü ......................
fî . . . 375
TABLE DES MATIÈRES 535

ß) Déplacement d’accent............. 378


Pi .................... 378 üg 382
«i...................... 379 üà 383
iê .................... 379
3° Évolution des voyelles et diphtongues
nasales primitives devant consonne na­
sale explosive et dénasalisation......... 383
a) Phénomènes communs avec le n° 2 383
b) Phénomènes particuliers aux vo­
yelles et diphtongues nasales devant
n, m -(- e....................................... 384
VI. — Action allongeante des consonnes sur les
voyelles précédentes....................................... 389
1° Première période.................................. 389
2° Seconde période .................................. 392
VII. — Consonne + voyelle accentuée......................... 392
A. — Action fermante des consonnes palatales.. 393
B. — Labialisation............................................ 394
C. — Délabialisation........................................ 394
VIII. — Consonne -j- voyelle accentuée + con son n e... 395
A. — Labialisation............................................ 395
B. — Vélarisation............................................. 395

Chapitre V I

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
(actions à distance)

I. — Action positive de î fin a l......................................... 397


A. — ê> ï ...........................................v............. 397
B. — 5>ü....................................................... 398
II. — Action conservatrice de ï fin al ............................ 399
A. — Conservation du timbre de ü ................... 399
B. — Conservation du timbre de ï ..................... 400
536 TABLE DES MATIÈRES

C h a p it r e VII

PH ÉN O M ÈN ES D É PE N D A N T S
DE L’ARTICULATION DES PH O N ÈM ES V O ISIN S
(Actions com b in ées au contact et à distance)

I. — Action conservatrice d ’un double Y ..................... 403


A. — ü + y...y..................................................... 403
B. — ü + y y ...................................................... 406
C. — ï + y - y et ï + y y .................................... 408
II. — Action positive d’un double Y ................................ 410
A. — Fermeture de ë latin................................ 410
B. — Fermeture de a latin................................ 411
C. — Fermeture et non fermeture de 5 latin---- 415
III. — Action com binée de s et y ........................................ 416
IV. — Action com binée de i accentué et de y ................. 417
V. — Action com binée de ü accen tu é et de y ........... 419

DEUXIÈME PARTIE

LES VOYELLES INACCENTUÉES

Ch a pit re V III

VOYELLES DE SYLLABES INITIALES

I. — Chute des voyelles in itia les.................................... 423


II. — M odifications indépendantes de l’articulation
des phonèm es v o isin s......................................... 425
A. — Changements identiques en syllabe ouverte
et en syllabe fermée............................................. 425
ü latin............................................... 425
l latin.............................................. 426
ü latin.............................................. 426
ç roman ........................................... 426
TABLE DES MATIÈRES 537

B. — Modifications différentes suivant que la


voyelle initiale est en syllabe ouverte ou en syl­
labe fermée....................................................... 430
1° ç roman en syllabe fermée.................... 430
2° ç roman en syllabe ouverte................... 430
Modifications dépendantes de l’articulation des
phonèmes voisins................................................ 433
A. — Actions au contact................................... 433
1° Voyelle initiale premier élément de diph­
tongue...................................................... 433
a) Diphtongues à second élément f . .. 433
b) Diphtongues à second élément u .. 435
2° Voyelle initiale en hiatus...................... 437
a) Déplacements d’accent................... 437
b) Non déplacement d’accent........... 438
1° Contractions vocaliques......... 438
2° Changements de timbre......... 439
3° Chutes ................................... 440
4° Consonantisations................... 441
3° Voyelle initiale + consonne................. 442
a) Voyelle initiale + consonne nasale 442
1° La consonne nasale est explo­
sive............................................ 442
2° La consonne nasale est implo­
sive............................................ 444
a) n, m .................................. 444
ß) n ...................................... 445
b) Groupe e + r implosif................... 446
c) Groupe e -f Zimplosif................... 446
e) Types payer, foyert tuyau........... 447
4° Consonne 4- voyelle initiale................. 448
a) K a\ Ga^........................................ 448
b) Gel................................................. 451
c) Labialisations.................................. 451
d) Réduction de wç à e...................... 451
5° Consonne + voyelle initiale consonne 451
a) Labialisations................................. 451
b) Fermetures..................................... 452
B. — Actions à distance................................... 452
1° Dilations........................................ 453
2° Assimilations................................... 453
536 TABLE DES MATIÈRES

C h a p it r e VII

PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
(Actions combinées au contact et à distance)

I. — Action conservatrice d’un double Y ................. 403


A. — ü + y...y ............................................. 403
B. — ü + y y .............................................. 406
c. — Ï + y - y et I + y y ............................... 408
II. — Action positive d’un double Y .......................... 410
A. — Fermeture de ë latin ........................... 410
B. — Fermeture de a latin ........................... 411
C. — Fermeture et non fermeture de 5 latin . . . . 415
III. — Action combinée de s et y ................................ 416
IV. — Action combinée de t accentuéet de y ................ 417
V. — Action combinée de ü accentué etde y ......... 419

DEUXIÈME PARTIE

LES VOYELLES INACCENTUÉES

C h a p it r e VIII

VOYELLES DE SYLLABES INITIALES

I. — Chute des voyelles initiales.............................. 423


II. — Modifications indépendantes de l’articulation
des phonèmes voisins.................................. 425
A. — Changements identiques en syllabe ouverte
et en syllabe fermée.................................... 425
ü latin...................................... 425
I latin...................................... 426
ü latin...................................... 426
ç roman................................... 426
œ français ............................... 429
TABLE DES MATIÈRES 537

B. — Modifications différentes suivant que la


voyelle initiale est en syllabe ouverte ou en syl­
labe fermée....................................................... 430
1° ç roman en syllabe fermée................... 430
2° ç roman en syllabe ouverte................. 430
III. — Modifications dépendantes de l’articulation des
phonèmes voisins................................................ 433
A. — Actions aucontact.................................... 433
1° Voyelle initiale premier élément de diph­
tongue ...................................................... 433
a) Diphtongues à second élément f . . . 433
b) Diphtongues à second élément u.. 435
2° Voyelle initiale en hiatus..................... 437
a) Déplacements d’accent................... 437
b) Non déplacement d’accent........... 438
1° Contractions vocaliques......... 438
2° Changements de timbre......... 439
3° Chutes .................................... 440
4° Consonantisations................... 441
3° Voyelle initiale + consonne............... 442
a) Voyelle initiale + consonne nasale 442
1° La consonne nasale est explo­
sive............................................. 442
2° La consonne nasale est implo­
sive............................................. 444
a) n, m .................................. 444
ß) n ...................................... 445
b) Groupe e + r implosif................... 446
c) Groupe e -f l implosif................... 446
e) Types payer, foyer, tuyau........... 447
4° Consonne + voyelle initiale................ 448
a) Ka±, Gai......................................... 448
b) Ge-.................................................. 451
c) Labialisations.................................. 451
d) Réduction de wç à g....................... 451
5° Consonne + voyelle initiale + consonne 451
a) Labialisations.................................. 451
b) Fermetures...................................... 452
B. — Actions à distance................................... 452
lo Dilations......................................... 453
2° Assimilations................................... 453
538 TABLE DES MATIÈRES

3° Dissimilations.................................. 455
C. — Actions combinées................. .................. 457

C h a p it r e I X

PÉNULTIÈM ES ATONES

I. — La pénultièm e atone perd son individualité syl­


labique san s qu’il y ait syncope........................ 458
II. — La pénultièm e atone su b it la syn cop e.................. 460
A. — Syncope latine............................................. 461
B. — Syncope gallo-romaine................................ 463
1° Premier groupe ........................................ 464
2° Second groupe ........................................ 465
C. — Syncope gallo-romane................................ 466
1° Première p h ase........................................ 466
2° Deuxième phase........................................ 469
3° Troisième phase........................................ 470
III, — La pénultième atone se conserve...................... 471

Chapitre X

PRÉTONIQUES INTERNES

I. — Syncope latine......................................... 474


II. — Syncope gallo-romaine........................... 475
III. — Syncope gallo-romane........................... 477
A. — Cas de deux prétoniques internes 477
1° Chute ou conservation............. 477
2° Timbre des prétoniques internes qui se
sont m aintenues......................................... 480
i roman..................................................... 480
u rom an ................................................... 480
ç r o m a n ................................................... 481
a r o m a n ................................................... 482
482
o roman ...................................................
TABLE DES MATIÈRES 539

R* — Cas d’une seule prétonique interne......... 483


1° A prétonique interne.............. 483
a) en syllabe ouverte...................... 483
b) en syllabe fermée....................... 485
2° Prétoniques internes autres queA . ... 486
a) Evolution phonétique................. 486
1. Phénomènes de conservation. . 486
2. Timbre des prétoniques internes
qui se sont maintenues......... 488
ç prétonique roman.............. 489
P —d° — .............. 490
3. Phénomènes de chute........... 492
b) Action de l’analogie................... 496
1. Syncope retardée et sonorisa­
tion .................................... 496
2. Conservation de prétoniques
internes............................... 497
3. Restitution de prétoniques
internes............................... 498
c) Mots savants ou demi-savants...... 499
1. Syncope retardée et sonorisa­
tion .................................... 499
2. Conservation de prétoniques
internes ............................. 499

Ch a p itr e x i

VO Y EL L E8 FIN A L E8

Voyelles fin a les de p a r o x y t o n s ......................... 500


A. — A final....................... 500
B. — Voyelles finales autres que A ....... 501
1° Chute ......................................... 501
2° Conservation ................................ 501
a) Raisons phonétiques ............... 501
b) Raisons extra-phonétiques......... 503
c) Conservations apparentes........... 506
Voyelles fin a le s de p r o p a r o x y t o n s ............................ 506
A. —Amuïssement de la pénultième atone .. 506
B. —Conservation de la pénultième atone ... 507
510 TABLE DES MATIÈRES

Chapitre xii

ÉVOLUTION DE E CENTRAL

I . — Chute de E central ................................................. 509


A. — Première période..................................... 509
1° En syllabe initiale............................... 510
2° A l’intérieur du mot ........................... 510
3° A la fin du m ot................................... 512
B. — Seconde période....................................... 514
1° En syllabe initiale ou intérieure, entre
consonnes.............................................. 514
2° En syllabe initiale et intérieure, devant
voyelles accentuées ou inaccentuées . 516
3° A l’intérieur du mot, après une voyelle
inaccentuée.............................................. 516
4° En syllabe finale, après une voyelle
accentuée.................................................. 517
II. — Labialisation de E central..................................... 519
III. — Chute de [œ] provenant deE central................. 520
A. — [œ] provenant de la labialisation condi­
tionnée de E central.......................................... 520
B. — [œ] provenant de la labialisation spontanée
de E central....................................................... 523
1° En syllabe finaleaprès consonne........... 524
2° En syllabe intérieure de mot ou de grou­
pe entre consonnes ................................. 524
a) Cas d’un seul [œ]................... 525
b) Cas de deux syllabes consécu­
tives contenant un [œ].......... 525
c) Cas de plus de deux syllabes... 525
3° En syllabe initiale de mot ou de groupe,
après une pause........................................ 526

I. T. E. ---- COLOMHES (SEINE)

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