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HISTORIQUE
DU
FRANÇAIS
r O U ’MK II
LES V<HELLES
P A R IS
LIBRAIRIE. C. KI.INCKSII',« ;i>
!
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
(A la Librairie C. Klincksieck)
/ ; cf. lignum de lègo, *dëgnos > dïgnus. Mais dans les mêmes
conditions, c demeure intact ; cf. *sëq-nis > sëgnis. Cette
différence laisse supposer que e avait une articulation moins
forte que ê. Par suite de cela, il a été moins résistant et a
pu subir une assimilation de la part de l’n (graphié g) suivant.
Mais si les voyelles brèves latines étaient plus ou moins relâ
chées, il s'ensuit qu'elles devaient être moins fermées que les
voyelles longues correspondantes.
Cependant cette différence de fermeture a dû être minime,
puisque les premiers grammairiens ne l’ont pas remarquée ou
ont jugé à propos de n’en point parler.
*
* *
ï, il, ë, 5
ï, u, ë, 6.
L’ACCENT EN LATIN
A. — Nature de l ’accent
***
* *
B. — Place de (’accent
a) M o ts l a t in s
b) Mots grecs
L’accentuation des mots latins empruntés du grec dépend en
premier lieu de l’époque à laquelle ils sont entrés dans la langue.
I. — Tant que le latin a possédé l’accent d’intensité initiale
(p. 123), les mots grecs ont été accentués en latin sur la première
syllabe.
C’est ainsi que s’expliquent outre la syncope de ï posttonique
dans *bàlïneom (cf. ci-dessous) > *balneom > balneum, le voca
lisme e pour a dans talentum < *tâlantcm = -i'/wiov, Agrigen-
turn = ’Aypiyavxa (aCCUS. de ’Aypâya;), Tarentum == Tâpavxa.
(accus, de Tapa;), dans le lat. archaïque Alixenlrom — ’A/.^av^pov,
et dans le lat. parlé *col(i)entrum ( > portg. coêntro) < *côlian-
drom = xopilavïpov —, le vocalisme i pour a dans balïneum < *bàlî-
neom < *bàlaneom = ßaXavstov, dans machina < *mâchana <
dorien |j.â-/ava, dans runcïna < *rüncana < gr. dial. dans
trutïna <*trûtana < xpo-Arr\, dans Massïlia < *Mâssalia == Ma~a-
\la —, et le vocalisme u dans Hecùba < *Hécaba = 'Exâpa.
C’est encore peut-être sous l’effet de l’accent d’intensité initiale
que le grec àxpâcpa^(u;) a donné naissance en latin à *atrïpex et
*atrüpex ; cf. ï et ü devant labiale dans centiplex et centüplex, uim-
fex et aurüjex, etc. L’accusatif *atrïpïcem est à la base de l'ital.
atrepice. Mais sous l’influence des mots terminés en -plex (cf.
centiplex, triplex, etc., et centüplex, duplex, etc.), *atripex et *atrü-
pex ont pu devenir atriplex (forme du latin littéraire) et *alrüplex.
Ce dernier, devenu *alrüples dans la langue parlée, a développé
un accusatif *atrüplem qui se retrouve dans le berrich. rouble
« arroche », avec aphérèse de a initial dans *arouble ; cf. paral
lèlement süpplex > *süpples, d’où accus. *süpplem > fr. souple.
Quant à *atrapice et *atropice qui ont donné naissance au v. fr.
arrace et au m. fr. arrosse, ils supposent des nominatifs *atrapex
(issu de atrïpex par assimilation de ï pénultième atone avec a
initial accentué) et *atrôpex (issu de *atràpex avec labialisation
de d pénultième atone sous l’action de p suivant). Enfin, le v. fr.
arrache et le fr. mod. arroche remontent à *atrapïca et *atrôpica,
refaits sur *alrapïcem et *atrôpicem.
128 PRÉLIMINAIRES
gued. gréful, catal. grévol, arag. kréool, etc. De même, piantXov, croisé avec
çjXXov, a donné naissance à fuaçuXXtiv C. Gl. Lat., III, 300, 62, lequel, après
être devenu lui-même *nesfùlon, est à la base du v. fr. nesfle, fr. mod. nèfle.
3°. — D if f é r e n c e s d e r é su lta ts
ENTRE LES GROUPES A, B ET LE GROUPE C
Isidnro, ital. Isidàro) et Isidoras ( > csp. San Isidro). Pour les
formes latines ci-dessus les poètes présentent : azyma, bulÿrnm.
papyrus, sinâpis.
Remarque I. — Pour ïy-Ajç,* > lat. ancôra (d’où fr. ancre, esp. ital. nncora,
etc., REW3, 443 b), un intermédiaire étrusque est probable ; cf. Ernout-
Meillet, D id. élym. lal.*, p. 56. Pour ivibrjix « offrande, ex-voto », cf. p. 130.
Remarque II. — A côté de azymu et de azÿmu, le latin a connu aussi
un type *azümu ; cf. aquil. summo, cité dans le R E II’3, 850, 2.
Remarque III. — Aw1ôei;>.;, dont l’emprunt est tardif, est entré dans
le latin médiéval sous la forme apôdixa « reçu » et il est devenu en italien
pôlizza « certificat, contrat », d’ou le fr. police « certificat » (1371), « con
trat » (xvie s.) ; cf. O. Bloch et V. Wartburg, D id. élym., s.v.
Remarque IV. — ’A-ocm^x, devenu en latin aposlêma, est représenté
en espagnol et en italien par postema. Le franç. aposlème ne date que du
xvie siècle. La forme du moyen-âge est apostume, signalée pour la pre
mière fois chez Jean de Meung, et conservée jusqu’aujourd’hui. Elle pour
rait s’expliquer de la façon suivante : par suite d’un croisement avec le
v. fr. ßeume (< oléyy.»), aposlème serait devenu *aposteume, lequel aurait
ensuite déterminé le changement de l’infinitif apostemer en *aposteumer.
Aposteumer se serait normalement transformé en aposlumer, d’où le sub
stantif apostume pour *aposteume. Pour le passage de -eu- inaccentué à
-u-, cf. p. 429. Pour les formes attestant un verbe apostemer en v. fr., cf.
v. Wartburg, Frz. Etym. Wb., I, p. 105.
Remarque V. — liXâaçr,;uo; est représenté en latin par blasphêmus et
blasphêmus, tous les deux chez Prudence. (Au ixe siècle, Loup, abbé de
Ferrières, déclare blasphêmus meilleur que blasphêmus). Le continuateur
français blasphème (xne s.) est savant, ainsi que le verbe blasphémer (xive s.).
Quant à blâmer (v. fr. blasmer), il provient d’un type blastemare, attesté
sur une inscription gallo-romaine, et refait sans doute sur un grec dialectal
fsXa<jOr]|j.£rv, issu lui-même d’une dissimilation de -ph- en -th- dans Sàxs-
çriasïv ; cf. Kretschmer, Lesb. Dialekt, p. 176. Le substantif blâme (v. fr.
blasme) est un postverbal de blâmer (v. fr. blasmer).
Remarque VI. —- A côté de bütyru et de bütyru, le latin a connu aussi
un type *bâtûru ; cf. lomb. buâur, bedül, sienn. bituro, piém. biitür, etc.
De plus, parallèlement à ce qui a eu lieu pour TrirO'poj (cf. rem. XI),
les dialectes grecs ont dû posséder un type *j3or:Upoç, avec tq à la pénul
tième ; d’où v. prov. boder, béarn. boudé, ital. sept, buter ou buter, etc.
Formes citées d’après M. Lübke, REW3, 1429 et v. Wartburg, Frz.
Etym. Wb., I, p. 665.
Remarque VII. — A côté de camëlus (= gr. yJurßo;), le latin parlé
a possédé deux autres formes : camëllus (d’ou le fr. chameau) et camèllus ;
cf. REW3, 1544.
Remarque VIII. — ’'KyotsuTcov est devenu régulièrement en latin encaus-
tum, avec l’accent sur la pénultième. De cette forme proviennent le v.
ital. incostro et l’ital. mod. inchiostro. Pour d’autres continuateurs, cf.
REW3, n° 2869, 1. Mais les formes françaises du moyen-âge : judéo-fr.
énket, énkest, v. fr. enque (auj. encre) proviennent d’un type accentué sur
l’initiale, sur le modèle du grec. Ce type peut être éncautu, avec chute
de s antéconsonantique (cf. encautum Cod. Theod., Marcell. med. ; encau-
tus, -a, -um : i. q. encauto scriptus est, dans le Thés. ling, lat., s. v. encaus-
tum) ; d’où, après réduction de au à o et passage de o atone à § (cf. lo >
lç), énket et enque ( > encre). On peut avoir eu aussi éncaustu ; d’où *énkosto,
*énkçstç et énkest. Cette dernière forme pourrait aussi s’expliquer â partir
d’une prononciation tardive du grec, énkafsto, avec u-diphtongal devenu
v puis ƒ par assimilation avec l’s suivant : l’emprunt au grec serait alors
13S PRELIMINAIRES
c) M ots c e l t iq u e s e t p r é c e l t iq u e s
I. — Co n c o r d a n c e e n t r e la q u a n t it é d e la p é n u l t i è m e
CELTIQUE OU PRÉCELTIQUE ET L’ACCENTUATION LATINE
3
142 PRELIMINAIRES
II. — D iscordance e n t r e la q u a n t it é d e la p é n u l t iè m e
CELTIQUE OU PRÉCELTIQUE ET L’ACCENTUATION LATINE
*
* *
nir en latin, comme on l’a vu plus haut, -ôna ou -ôna ; mais -onna n’a pu
donner que -ônna. On a donc eu en latin deux terminaisons paroxytoniques :
-ôna et -ônna. Une confusion semble s’être produite entre elles, comme
le prouvent les doubles graphies que l'on a parfois pour le même mot :
-ôna a pu être remplacé par -ônna et -ônna par -ôna. En gallo-roman, le
fait importe peu, le résultat étant le même dans les deux cas. Par suite,
en l’absence d'attestations datant de l’époque latine, il est souvent impos
sible de savoir pour telle ou telle forme d’aujourd’hui la nature exacte
du suffixe primitif.
Mais dans le cas des dérivés en -êtes et -ütes, le modèle pour la
paroxytonisation a fait défaut en latin, ce dernier ne possédant
que -ète (type pciriètem) ou -üti. C’est pourquoi, malgré leur pénul
tième originellement longue, Vénëtes, Nàmnëtes (cf. Nannëtes
chez Priscien), Càlëtes sont devenus Vénëtes, *Nâmnëtes, Câlëtes ;
d’où en français Vannes, Nantes, Caux. De même, Cdrnütes (cf.
l’adaptation Carnüti chez Tibulle ; l’adj. carnütëna chez Paulin
de Périgueux) a passé à *Càrnütes, d’où en français Chartres.
IJ y a cependant un cas où la paroxytonisation était inévi
table. C’est celui des dérivés préceltiques Lémausum, Némausum
qui ont donné en français Limours (Seine-et-Oise) et Nemours
(Seine-et-Marne). La diphtongue au de la terminaison -ausum
ne pouvait prendre en effet en latin une valeur de brève. Si pour
tant Némausum et *Nimausum sont représentés par. Nemze en
ancien provençal et par Nisme(s) en ancien français (fr. mod.
Nimes), c’est qu’on a eu des formes Némasum ou *Nimasum (cf.
Nemasus en 950), provenant d’une réduction ancienne de au à
a ; cf. en Italie Pésaro < Pisaurum.
d) M ots germaniques
Parallèlement les noms propres féminins germaniques en ’-a, 1an ont pris
à l’accusatif la terminaison -âne ; cf. ’Alada > Aude, Bértha > Berte,
G'isïla > v. fr. Gisle, etc., mais Aldan > Aldànem > v. fr. Audain, Bér-
tan > Bertànem > v. fr. Bertain, Gisllan > Gisilânem > Gislain- Guis-
lain, etc.
C. — D é p la c e m e n ts d Ja c ce n t d a n s le latin p a r l é lI
D’autres fois c’est une conjugaison qui a agi sur une autre. Ainsi
le type vcndïmus, vendais est devenu vendïmus, vendîtis sous
l'influence de amdnuis, amûtis, debémus, debêtis, dormimus, dor-
mitis. — De même le parfait féï a déterminé le passage de vdluï,
vôlüî. dôlüï, pdrüï et de *côrüï, *môrüî, etc. (déjà eux-mêmes
analogiques) en valâï, volûï, *dolûï, *paréï et *corûï. *moréï, d’où
en français valus, voulus, parus, courus, mourus et en vieux
français dolui — dolu(s).
De plus, un croisement avec le parfait du verbe dare a opéré
la transformation de véndïdï, véndïdit, vendidërunt en vended!,
vendédit, vendédërunt, sur le modèle de dédï, dédit, dédërunt; d’où
en ancien français vendi, vendiei, vendierent. La réfection s’explique
par la ressemblance qu’il y avait entre les terminaisons de vendï-
dtslï. *vendïdtmus (pour vendtdîmus ; cf. ci-dessus), vendïdtstïs,
devenus *vendedtstï, *vendedîmus, *vendedtstis par dissimilation
de -didi- en -dëdï-, et dedîstï, *dedimus (pour dêdïmus, cf. ci-dessus),
dedistïs. La même transformation s’est produite dans les autres
parfaits du même type, soit primaires comme perdïdï, réddïdï, etc.,
soit secondaires comme descendïdî, respôndldï, etc.
A l’infinitif on constate aussi d’assez nombreux changements
de désinence. Ainsi, dès l’époque latine, -ëre est devenu -ère dans
cadëre, sapëre et -ïre dans cupëre, fallëre, fodëre, fugëre, rapëre. A
l’inverse, -ère a cédé la place à '-ëre dans augëre, mordëre, pendëre,
respondëre, ridëre, tergëre, londëre, torquëre. D’où en français
choir, savoir, jaillir, fouir, fuir, ravir, cueillir d’une part, et aoire
(vx., de *ad-augëre), mordre, pendre, répondre, rire, terdre (vx.),
tondre, tordre de l’autre. Dans le latin parlé en Gaule, on a eu des
doublets pour plovëre (lat. litt, pluëre) et docëre, peut-être même
pour ardëre. En outre posse, ville, môri, offérre, sufférre ont été
remplacés par polëre, volëre, *mor!re (cf. moriri chez Plaute),
*offerïre. *sufferîre. Les raisons de ces changements de désinence
sont nombreuses. Cadëre, sapëre, *plovëre, volëre ont été déter
minés par les parfaits *caduit, sapuit, *plovuit, voluit (cf. habuit :
habëre) ; *cupîre, *fodïre, fugïre, *rapïre par cüpio, födio, fügio,
rapio (cf. dormio : dormire), de même que morire l’a été par morio fr);
*offerîre, *sufferïre par les participes passés offertus, suffertus
(cf. *copertus : *coperiro) ; *aagëre, mordëre, pendëre, respondëre,
*ridëre, *tergëre, londëre, torquëre, *docëre (et peut-être *ardëre) d’une
façon générale par l’emploi fréquent de dicëre, ducëre, facëre, et
d’une façon plus particulière par tel ou tel infinitif en -ëre : *augëre
(cf. legére), *ardére, mordëre (cf. perdëré), pendëre, respondëre, *ton-
dére (cf. accendëre, defendëre, vendëre, etc.), *ridëre (cf. cedëre,
credére, evadëre, etc.), *lergëre (cf. pergëre, spargëre, surgëre, etc.),
torquëre (cf. coquëre, relinquëre), *docëre (cf. dicëre, ducëre).
Enfin, dans les formes verbales proparoxytoniques, compo
sées à l’aide d’une préposition et accentués sur cette dernière, l’ac
cent a passé sur le radical, c’est-à-dire sur la pénultième, lorsque
le sentiment de la composition n’était pas perdu. Ainsi âllocat,
côrwënit, dërnôral, éxplicat, implïcal, *renégat sont devenus allôcat,
l ’accent en latin 157
convénit, demôrat, explîcal, implîcat, recipit, *renêgat sous l’in
fluence de lôcat, vênit, môra, plicat, nëgat ; d’où en français alloue,
convient, demeure, espleiet (vx.), emploie, reçoit, renie. Le même
phénomène s’est produit pour récïpit > recipit, bien que la relation
avec capio ne fût plus sentie ; ici la reconnaissance de re- comme
préfixe a fait que l’accent s’est reporté sur la syllabe suivante.
L’analogie du mot simple a pu d’ailleurs faire que la voyelle radi
cale du verbe composé ait été modifiée ; cf. displicet > *displâcet
> fr. déplait, *dîsfîcit (pour déficit) > *disfacit > fr. défait, rétinel
> *retênet > fr. retient. Là où la relation avec le verbe simple a
échappé, l’accent est resté sur la préposition, à l’initiale ; cf. côllô-
cat > fr. couche, compütat > compte, involat > v. fr. emble «il vole
(en parlant d’un voleur) ».
En dehors du système verbal, les cas de déplacement d’accent
dus à l’action de l’analogie sont relativement peu nombreux.
Le type cônvënit > convénit se retrouve dans cômpàter > com
parer (> fr. compère) et pullipëde(m) > pullipéde ( > vfr. porpié,
auj. pourpier), dus à l’influence des mots simples pàter, pêde(m).
Il est à remarquer que commater ( > fr. commère) n’est pas dans ce
cas, l’a de mater étant long et le composé commater par conséquent
accentué sur la pénultième.
Sur le grec a'jy.wTov (r.-nap) « foie préparé avec des figues » le
latin littéraire avait fait flcâtum (fecur). Ce fîcâtum se retrouve
dans le roum. ficàt, le campidan. (Sardaigne) figau, le vénit. figao,
etc. Mais sous l’influence de cOy.ov «figue», crfy.iviç « de figuier »,
une prononciation populaire jü/.wrov semble s’être développée
dans le grec populaire. C’est sans doute cette dernière qui a déter
miné dans la langue des cuisiniers grecs de Rome un type propa-
roxytonique fïcâtu, immédiatement transformé en fïcâtu. Ce fïcâtu
a donné naissance à l’esp. higado, au port, ftgado, au logoudor.
(Sardaigne) figadu. A son tour, par suite de l’abrègement des
antépénultièmes longues dans les proparoxytons (p. 177), *fïcàtu
est devenu *ficâtu dans le latin parlé ; d’où le fr. foie (xv. feie),
l’ital. fégato, le napol. fêchata, etc. Sans parler des formes méta-
thésées *f'ïtïcu et *ftticu, provenant de *fïcâtu et de *ficâtu, qui
ont donné naissance la première au v. fr. firie, au béarn. hidie,
au lomb. fideg, au piém. fidie, etc., la seconde au v. fr. fege, au
prov., catal. feige, au romain fédico fédago, à l’abruzz. féttacha, etc.
D’autres fois un changement de suffixe a entraîné un dépla
cement d’accent. C’est ce qui s’est produit dans bucïna (ou biic-
cïna) devenu* büctna (v. fr. buisine) d’après les adjectifs en -ïnus.
3° Action combinée de l'analogie et de la phonétique syntactiiue.
— Il s’agit ici des mots du type parïète(m) et fïltolu(m).
La déclinaison de parïës présentait des formes proparoxvto-
niqucs ou datif et à l’ablatif pluriel ; cf. parïétïbus, et, par suite
de la consonantisation de ï inaccentué en hiatus, paryétibus. Sur
le modèle de ce dernier, partète(m) a pu se transformer lui-mème
4
J
15$ PRELIMINAIRES
1° Les pronoms personnels me, te, se, et nos, vos régimes, à l’in
térieur de la phrase, non précédés de prépositions ni accompagnés
de autem, quidem, cum (ce dernier dans le cas de me, te, se), lors
qu’ils se trouvent après un verbe non proparoxytonique ou qu’ils
sont immédiatement suivis du verbe auquel ils se rapportent.
Ex. : ama me, poscit me pecuniam, taedet me vitae, videtur taedere
te vitae, pater nos videt, etc. —, mais : flagïtat mé pecuniam, gra-
tias ago quod mé vivere coegisti, populus sé romanus erexit, etc.
** *
atone; et ï > e dans le v. fr. (N.-Est) les < lllïs, cf. p. 189.
d) Hac höra, illä hora. — Il est évident que le v. fr. (çre, çr,
çres, auj. or) ne peut pas continuer le simple höra, représenté
par heure. L’o ouvert de çre ne peut s’expliquer que par un type
*aura. D’autre part, étant donné que çre a comme pendant le
v. fr. Içres (lors ; fr. mod. lors, alors) et que ce dernier est à n’en
pas douter un composé de illä et hôra, il est préférable d’adopter
pour *aura l’hypothèse d’après laquelle il y aurait ici comme
premier élément le déterminatif hâc, et non la préposition ad ;
cf. d’ailleurs l’espagnol agora > hac hôra. Cependant une accen
tuation hac hora qui convient pour l’esp. agora ne saurait rendre
compte du type *aiira qui est à la base du v. fr. ore. En effet,
il n’y a aucun exemple en français d’un déplacement d’accent
dans le groupe -aó- : *agçra ( < hac hôra), une fois devenu aéra
après la chute de -g-, aurait abouti, par suite de la diphtongaison
de -à-, resté accentué, à *aeure ; cf. du reste v. prov. aora, en face
pourtant de ara < *aura. On ne peut alléguer pour soutenir le
contraire des exemples comme tabône > ton (= taon) Richelet,
Diet. Acad. 1694-1835 ou Sa(u)côna > Saône [son], car ici il n’y
a pas eu "de groupe -a 6-, mais au contraire un groupe -a 5-,
avec un çFaccentué provenant de o + nasale, groupe dans lequel
le timbre extrêmement fermé du second élément a permis à l’ac
cent de se déplacer. Force est donc- de recourir en latin à une
accentuation hâc hôra, avec un accent d’insistance sur le démons
tratif ; cf. *ho die > hodie. Dans ce groupe, qui a dû finir par
former un seul mot, J’cf'de hôra a pu^perdre son accent secon
daire et s’abréger en â, sans changer cependant son timbre, o
et ô latins étant primitivement fermés l’un et l’autre (p. 113 sq.).
Le résultat a été ainsi un proparoxyton *agora, qui par la suite
a passé à *âora et ensuite à *dura, aura par fermeture progres
sive de l’élément vocalique inaccentué.
l ’a c c e n t e n l a t in 167
On doit avoir eu parallèlement lllâ hôra, d’où après l’étape
*(e)laura, le v. fr. lores, lors. L’accentuation illd hôra, au lieu de
llla hôra, peut surprendre, les formes dissyllabiques de ïlle por
tant l’accent sur la syllabe initiale quand elles sont accentuées.
Peut-être le renforcement d’accentuation a-t-il eu lieu à l’époque
où, ïlla ayant perdu de son sens démonstratif, on avait déjà illà
hôra ; c’est à ce moment que illà aurait été revivifié pour créer
une opposition avec hâc(hôra) et qu’on aurait accentué illà hôra.
En tout cas, ce n’est pas à un stade la hôra que l’accent d’insis
tance aurait pu s’ajouter, le catalan présentant llavors dont Yl
mouillé initial suppose une forme ilia.
e) Is. — Le démonstratif is n’a laissé de traces en v. fr. que
dans le mot gier(e), giers « ainsi, donc, c’est pourquoi » qui pro
vient non de de ea re à cause de l’e final de giere, mais de eâ de
re, avec déplacement de l’accent de e sur a, voyelle plus ouverte,
dans l’ablatif éa.
f) Formes renforcées de démonstratif. — A côté des démons
tratifs simples dont il a été question jusqu’ici, le latin parlé en
a connu d’autres, tous accentués à l’origine. Tout d’abord *hoque
(renforcement en -que du vx. latin hoce), à la base du v. fr. avuec,
primitivement adverbe (auj. avec, préposition), poruec « pour
cela, donc », senuec « sans cela ». Pour les composés formés à l’aide
de ecce- : eccïlle... et eccïste..., déjà chez Plaute, ainsi que les neutres
*ecce hoc, *ecce ïllu(d), *ecce îstud, toutes formes accentuées à
l’origine destinées à remplacer les formes simples dont la valeur
démonstrative était en train de disparaître.
L’histoire phonétique des continuateurs de ecce hóe montre
bien ce qu’il en a pu être de l’accent dans la suite. Avant la diph
tongaison de ó (— Ist- <*), çô ( < ecce hôc) est devenu inaccentué
et a passé ainsi à ço. Ce dernier s’est ensuite généralisé sous l’accent
et a échappé à cette diphtongaison. La diphtongaison de ó sur
venant, çô s’est transformé en *çou (cf. flore > *figure), d’où en
v. fr. ceu d’une part ( = fleur) et çô de l’autre ( = flor), suivant
les parlers. A côté de ces formes accentuées, la langue possédait
toujours ço atone. A son tour, ce dernier a passé à ce (avec e cen
tral), conjointement avec lo > le, los > les. La nouvelle forme
inaccentuée a pu encore se généraliser sous l’accent, d’où [tse]
accentué, écrit ce, de, cei (cf. encore chez Jean le Maire les rimes
pensé : en ce). Enfin, ce atone ayant échangé e en a muet a donné
naissance pour la troisième fois à une forme accentuée : ce, qui
s’est conservé dans les locutions pour ce, sur ce, de ce non content.
Pour cela, cf. ci-dessous.
Les continuateurs de eccïlle..., eccïste, adjectif démonstratif,
sont inaccentués dès l’ancienne langue ; cf. auj. cet, ce, cette, ces.
Déjà dès l’époque prélittéraire, le besoin s’est fait sentir de ren
forcer leur valeur démonstrative par l’adjonction de i- à l’ini
tiale ; cf. en v. fr., icil, icele(s), icels, icelui, iceli —, icist, iceste(s),
icez, icestui, icesti pour cil, cele(s), etc., cist, ceste(s), etc. Il er
lf>S PKKI.IMlNWmKS
cola no vont pas dire qu’ils n'ont, subi d’aucune manière l’action
analogique des formes du singulier : sous l’influence de riQsire,
l’o de noz s'est ouvert (cf. en particulier dans Roland, v. 2286,
no; pron. poss. assonant avec t>) et c’est de nçz, vqz que proviennent
les formes actuelles nos, vos avec o et non [u].
R I.
e m a r q u e 11 va sans dire que d’autres processus d’unification ont
pu avoir lieu dans l’ancienne langue. Mais ils n’intéressent pas le français
actuel. Ainsi on trouve nostre sing., nostres plur. pour le masculin et le
feminin. D’autre part, à partir de noz, le v. picard a construit un para
digme : masc. sing, nos suj., no rég., plur. no suj., nos rég. —, fém. sing,
nos suj., no rég., plur. nos suj. et rég., et de plus pour ce dernier genre :
moe sing., moes plur.
R I I . — Une preuve que l’o de noz était primitivement fermé
e m a r q u e
est donnée par le v. pic. nou, à côté de no ; cf. a nou loial pooir v. 1283,
par nous fois (fides plur.) v. 1289, dans la Chronique de Jan van Heilu,
et la rime la voe »la vôtre » (pronom possessif refait sur l’adjectif) : poe
(< frk. paula) dans Adam d’Arras.
(p. 193), dans les groupes qu’il formait après une préposition,
quèm est devenu l’homophone de quç < qaae. Pendant que ce
dernier était encore en train de disparaître au profit de qui, *quç
(<quem) a été pris dans le mouvement et a cédé la place à qui.
Le pluriel a suivi le singulier, qui et quae appartenant à l’un et
à l’autre.
A la différence de qui relatif qui étant inaccentué s’est abrégé
en *quï et est ainsi devenu *que > v. fr. que sauf lorsqu’il se trou
vait en hiatus (p. 171), qui interrogatif, étant accentué, a conservé
son F, d’où en français qui.
Le qui prépositionnel du français moderne continue non pas le
latin qui, mais le datif cul. Ce dernier a donné [küi], puis [kwi] en v.
fr. Mais ce datif étant devenu inaccentué quand il n’était pas
précédé de préposition s’est réduit à [ki] dans le courant du x n e
siècle, comme il est arrivé à cui relatif dans les mêmes condi
tions. Sous l’accent, c’est-à-dire lorsqu’il était précédé d’une
préposition, [kwi] aurait dû se conserver tel quel. Mais la forme
inaccentuée [ki] = qui a prévalu et a supplanté [kwi].
Quant au neutre quid il a abouti à quoi ou à que, encore comme
dans le cas du relatif, selon qu’il était accentué (précédé de pré
position) ou non.
8° I . —
n d é f in is Unus a pris dans le latin parlé la valeur d’un
article indéfini et a perdu en conséquence son accent dans cette
fonction. Ce nouvel emploi de unus se constate déjà chez Plaute ;
cf. sed est huic unus servus violentissimus (Truc. II, 1, 39), quid
ais tu, quam ego unam vidi mulierem audacissumam ? (Asin., 521).
O
174 P R É L IM IN A IR E S
com arde iosl), enz prépos. (St Brandan, Bartsch, 75, 1. 12 : e enz
el num al saint espirt). De même, *antius ( <ante x prius) est
continué en v. fr. par ainz (einz, ains, ans) adv. (Roland, v.
3394 : Une einz .ne puis ne fut si fort ajustée), prépos. (Gautier
de Coinci, Miracl! N.-Dame, dans Bartsch 366, 4 : ains trente fors
départira) ou conjonct. (St-Brandan, dans Bartsch 78, 22 : ne
lur ceilet, ainz lur ad dit). De même encore, *pôstius ( < post x
prius) est représenté en v. fr. par puis adverbe (conservé dans
la langue moderne) et par puis préposition (cf. St-Alexis, 1. 81 d :
puis mun deces en fusses onorez) qui a disparu dès le v. fr.
Mais d’autres fois les formes diffèrent suivant qu’elles sont
restées adverbes, c’est-à-dire accentuées, ou qu’elles sont devenues
préposition ou conjonction, c’est-à-dire atones. Fôris par exemple
était adverbe en latin littéraire. Cependant, vers la fin de l’Em
pire, il a été employé comme préposition. D’où en v. fr. des dou
blets : fuers < fôris accent, et fors < fôris atone. Dès les premiers
textes, fuers, d’ailleurs assez rare, est uniquement adverbe ; mais,
par suite d’une généralisation qui date de l’époque prélittéraire,
fors sans cesser de rester préposition est devenu aussi adverbe
et par conséquent accentué. Les deux formes ont d’ailleurs dis
paru de l’usage. Fors ne s’est conservé que dans la locution
historique Tout est perdu sauf l’honneur. On le retrouve il est
vrai, mais modifié, dans la préposition hors et dans hormis (v.
fr. forsmis), hors de et dehors. — Quômôdô a passé tout d’abord
à *quômodo dans le latin parlé (p. 178) ; puis il s’est réduit à *quomo
et cômo ; cf. pour ce dernier, L. Väänänen, Le lat. vulg. des ins
cript. pompéiennes, pp. 94, 288. Vers la fin de l’époque impériale,
cômo, tout en conservant sa fonction d’adverbe, a pris la valeur
d’une conjonction temporelle : « au moment où ». On a dû avoir
au moment de la diphtongaison de ô deux formes : *kuomo <
*cômo accentué et komo < cômo atone ; cf. pour la première
le v. esp. cuçmo. Cependant cette alternance s’est perdue en
Gaule, par suite de la généralisation de la forme non diphtonguée ;
d’où en v. fr. seulement corn, adverbe et conjonction, l’un et
l’autre du reste atones. De l’ancienne forme diphtonguée on n’a
relevé qu’une seule trace : queme Emp. Constant. 100, cité par
Meyer-Lübke, Gr. des lang. rom,. I, § 613.
D’autres fois encore, un même mot peut avoir été adverbe et
préposition en latin. C’est le cas p. ex. de prôpe. Comme adverbe,
il est devenu pruef en v. fr., mais comme préposition il a abouti
à prof. De fait, prof est inconnu comme préposition. On sait pour
tant qu’il a existé, car c’est lui qui rend compte de la forme adver
biale prof que l’on trouve parfois dans les anciens textes ; cf.
p. ex. Gormont et Isembart, dans Bartsch, 37, 26 : prof vait bruiant
cume tempeste. — C’est encore le cas de supra, qui était accentué
ou inaccentué selon qu’il fonctionnait comme adverbe ou comme
préposition. Comme adverbe, il aurait dù aboutir à *soiwre ; cf.
Lupfajra > Louvre. Comme préposition, il est devenu sur en
passant par les étapes soure, seur(e). Ce sont les formes prépo
sitionnelles inaccentuées qui ont servi pour l’adverbe en v. fr. :
176 PRÉLIMINAIRES
sore, soure, seure ; cf. que vif maufé li. corent sore, Partonopeus
de Blois, v. 1120 ; il leur vont seure Floire et Blanchaflor, v. 93.
Ces formes sont absentes de la langue moderne.
Eece a perdu son accent dans les combinaisons qu’il a formées
avec ille. iste (cf. v. fr. cil, cist, etc.) et avec un pronom personnel
(cf. v. fr. ezvos, esvos, evos « voilà »). Il en est de môme de eccum
dans le v. fr. ekcuos, eikevos « voilà ».
Enfin certains adverbes latins ont perdu leurs sens d’adverbes
et sont devenus simplement prépositions : rétro > v. fr. lier (cf.
Ogier de Danem., v. 5877 : rier lui regarde et vit maint chevalier),
et sübtus > v. fr. soz, fr. mod. sous.
Ill
Frïgïdu > *frigid a > v. fr. freit, auj. froid; cf. encore vpr. freit
et frcq, cat. fret, ital. frcddo, engad. fraid, friôul. fred, etc. (REW 3,
3512).
Arthrïticu ( < gr. ipepuixs;) > *arthrïtïcu à la base de l’ital.
artètico, de l’esp. port, artético et d’où provient, avec déplacement
d'accent, le v. fr. artetique et arthiqne.
R emarque. — Pour le fr. yeuse, cf. p. 179.
ê > ê : débile > débile > v. fr. endieble; cf. encore norm, dieble
(REW 3, 2491) et tosc. diebile (Rom., XVIII, p. 594).
Flëbile > *flëbile > vfr. fieble dans les textes normands et anglo-
normands (Roland, Quatre Livres des Rois, Thomas Becket, etc.).
Pour les continuateurs actuels dans les patois, cf. FEW, III,
p. 615.
Terminaison ordinale -ësimu > *-ësimu > v. fr. -iesme, auj.
-ième dans vingtième, centième, millième, etc.
ô > ö : côpërit (chez Lucrèce; de cö-öperit) > *cöpërit > v. fr.
cuevre ; cf. encore ital. cugpre, cgpre, vpr., port, cpbre, cat. cgbre-
llit « couvre-lit ».
Mobile > *mobïle > vfr. mueble, auj. meuble ; cf. encore v. cast.
mueble, vpr., port, mgvel.
R e m a r q u e I. — Le même abrègement s’est produit dans quömödo >
lat. parlé *quömödo, d’où *quömo, cömo (p. 175) et aussi dans hôdie, s’il
est vrai que le premier élément de ce mot ne soit pas hô-, mais ho, comme
le veulent F. Solmsen, Stud. z. lat. Lautgesch., p. 100 et A. Walde, Lat.
Et. Wbr, p. 368.
R e m a r q u e II. — A supposer que le v. fr. euce, heuce « cheville » (fr.
mod. esse ; cf. norm, eusse, euche, boulon, euche, wall, ese, wese) proviennent
non du frk. *hiltja (cf. A. Thomas, Ess., p. 293 ; E. Gamillscheg, EWF.,
p. 385 a, b), mais du lat. ôbïce, comme le veut le REW3, n° 6011 a, on ne
saurait avoir ici un exemple d’abrègement de ô, le type latin étant déjà
lui-même ôbïce et non ôbïce.
ü > ü : lürïdu > *lurïdu > v ît . lort, auj. lourd ; cf. encore
vpr. lort, ital. lordo.
Mûcidu > *mücidu > vfr. moide ; cf. encore prov. mod. mouide.
Junior > junior > v. fr. joindre, fr. mod. gindre « ouvrier
boulanger qui pétrit le pain ».
Sücîdu > *sucïdu > *südïcu > xvie s. (laine) sourge, à côté
de surge qui provient de sücîdu (cf. REW3, n° 8414, 1 : *sücïdus).
R emarque I. — Le fr. ponce peut aussi bien remonter, avec abrége
ment de l’antépénultième, au lat. pümïce qu’à une forme pomïce (cf. pomcx
dans le C. Cl. L., III, 581, 18 ; 587, 12) d’origine dialectale et probable
ment ombrienne. Même incertitude pour l’ital. pomice, le cast, pomez et
le port, porries.
QUANTITÉ DES VOYELLES LATINES 179
Le prov. pIzer ^ euze (d’où provient le fr. yeuse), ainsi que l’ital. elce
et le veron., vénit. éleze, pose un problème analogue à celui du fr. ponce. Il
peut provenir du l'at. ïllcc, avec abrégement de l’antépénultième ; mais
on peut admettre aussi à sa base un type êlex, -icis d’ailleurs attesté et
originaire de l’Ombrie ou des dialectes du Latium.
R II. — En dehors du français et des mots n o n français cités
e m a r q u e
a) Raisons extra-phonétiques
b) Raisons phonétiques
***
d’où provient le fr. moule (mollusque). Le mot étant en relation avec müs
«souris ». (cf. Walde-Pokorny, Et. Wb. d. idg. Spr., II, p. 313), si cet u
est bref, il est dû à un abrègement de ü antépénultième de proparoxyton ;
s’il est long, il s’est abrégé dans le latin parlé pour les mêmes raisons.
D’une façon comme d’une autre, on a là un exemple de la tendance en
question. Le v. fr. ruiste, ruste et le fr. mod. rustre, rustique (tous deux
attestés depuis le xive s.) sont savants.
De plus ündecim, dont l’u est étymologiquement long, a passé
lui-même à *ündecim, d’où fr. onze ; cf. aussi prov., cat., port.
onze, esp. once. Mais ici l’abrègement de ü pose un grave problème.
Pourquoi, étant donné les résultats romans et français en parti
culier, ne s’est-il pas produit d’une part dans quïndëcim ( > fr.
quinze et prov., cat. port, quinze, esp. quince) qui est constitué
de la même façon que ündecim, et de l’autre dans trëdëcim, sëdëcim,
düôdëcim (cf. v. fr. treze, seze, doze, auj. treize, seize, douze) ?
Le maintien de é, 5 dans ces trois derniers exemples se com
prend fort bien si l’on admet que la tendance à l’abrègement
des antépénultièmes longues de proparoxytons ne s’est exercée
pour ce qui les concerne qu’après le passage de -c- devant voyelle
palatale à [k'x'y], d’où ensuite [t'x'y] et [t's'y]. L’avant-dernière
syllabe de trëdëcim, sëdëcim, düôdëcim, est ainsi devenue longue
par position et la formule — u u (de sï quïdem, p. ex.) a cessé
d’être réalisée. En conséquence, l’antépénultième n’a pas cessé
de rester longue. Quant au fait que trëdëcim, sëdëcim, düôdëcim
aient résisté à la tendance à l’abrègement alors que les mots
du type mobile, lüridu, etc. se laissaient manœuvrer par elle,
cela peut dépendre de leur nature : dans les composés, le premier
élément a pu garder tout son poids.
Mais reste la difficulté d’expliquer le maintien de ï dans quïn-
decim en face de ü > ü dans ündecim, l’un et l’autre de ces mots
étant des composés. D’après ce qui a été dit ci-dessus, le main
tien de ï dans quïndëcim serait normal. C’est ündecim > *ùndecim
qu’il faut expliquer, et l’explication qu’on peut en donner n’a
rien à voir avec la tendance à l’abrègement des antépénultièmes
longues de proparoxytons. Si l’on considère la liste des numéraux
latins, on constate l’emploi fréquent qui est fait de ün- en syllabe
initiale inaccentuée : undëcimus, undëvïginti, undëvïcësimus,
undetrïginta, undetrïcësimus, undëni, undëvïcëni, undëtrïcëni, etc.
C’est en syllabe inaccentuée que ün- serait devenu ün-, confor
mément à ce qui sera dit plus bas ; de là ün-, par suite d’une
généralisation, aurait été transporté dans ündëcim.
18 J P R K I.lM IN A in iiS
** *
** *
***
6
PREMIÈRE PARTIE
PHÉNOMÈNES INDÉPENDANTS
I. — PHÉNOMÈNES D’OUVERTURE
A. — Ouverture de ë et 5 latins
Le passage de ë et ö latins à ç et ç est de toute façon antérieur
aux invasions germaniques. On tâchera de préciser plus bas la date
à laquelle il a pu se produire.
Deux grammairiens latins du ve siècle parlent nettement du
changement qui est intervenu ; cf. Servius (in Donat., Keil, IV,
421, 16 sq.) : « uocales sunt quinque a e i o u. ex his duae, e et o
aliter sonant productae, aliter correptae... e quando producitur,
vicinum est ad sonum i litterae, ut meta ; quando autem cor-
reptum, vicinum est ad sonum diphtongi, ut eqims » —, et Ser
gius (in Donat., Keil, IV, 520, 27 sq.) : « vocales sunt quinque.
hae non omnes varios habent sonos, sed tantum duae, e et o, nam
quando e correptum est, sic sonat quasi diphtongus, equus ; quando
194 VOYELLES ACCENTUÉES : PHÉNOMÈNES INDÉPENDANTS
ü
P
ä
est devenu le suivant :
ä ~
ô
i $
a
196 VOYELLES ACCENTUÉES : PH ÉNO M ÈN ES IN D É P E N D A N T S
B. — Ouverture de ï, ü latins et g e r m a n iq u e s
Bien qu’ayant résisté plus longtemps que ë et ö latins, primi
tivement fermés, à la tendance à l’ouverture, ï et u latins ont
fini cependant par y céder.
On a eu ainsi : crïsfta > *crësfia (d’où fr. crête), fïrfmat >
*{êrjmat d’où fr. ferme), ïlfla > *ëljla (d’où fr. elle), sïc/ca >
*s?cjca (d’où fr. sèche), vïr(ï)de > *verfde (d’où fr. vert), etc.
crûs fia > *cros fta (d’où fr. croûte), cür jtu > *cçrfto (d’où fr.
court), gütfta > *got fta (d’où fr. goutté), tür jre > Hör fre (d’où fr.
tour), etc.
Mais par suite du bouleversement quantitatif qui avait eu lieu
(p. 213), ï et ü latins avaient abouti en syllabe ouverte à i et u
« relâchés » longs, que l’on notera ici par î et ü, en caractères
romains, pour distinguer ces longues tardives des longues latines
ï et ü, restées « tendues ». Parallèlement à ce qui s’est produit
dans les exemples ci-dessus, c’est-à-dire pour ï et ü latins restés
brefs en syllabe fermée, les nouvelles voyelles longues relâchées
I et ü se sont elles-mêmes ouvertes, d’où ë et ô secondaires qui
ont rejoint Yê et Y5 primaires du latin tëla, flôrem, etc.
On a eu ainsi : ftjde > *fifde > *fëfde (d’où fr. foi), pïjlu >
*pdju > *pëjlu (d’où fr. poil), pïjra > *pifra > *pëfra (d’où
fr. poiré), pî'fsu > *p\fsu > *pëfsu (d’où fr. pois), etc.
cü jbat > *cü jbat > *cô fvat (d’où fr. couvé), gü fia > *gü fia
> *gôfla (d’où fr. gueule), lü/pa > Hû/pa > Hôfva (d’où fr.
louve), etc.
Un fait tiré de la phonétique permet de dater approximative
ment l’ouverture de ï relâché (bref ou long) en gallo-roman sep
tentrional.
En face de cire ( < cëra), le v. fr. a en effet ceire, plus tard çoire
«pois chiche » (< *cïcëre, 1. cl. cïcer). L’opposition i : ei que pré
sentent cire et ceXre se résout en une autre plus ancienne, yei (dans
*tsgeira, d’où dre) : ei. Etant donné que le c initial suivi de voyelle
palatale a régulièrement abouti dans les deux cas à tsy-, si cicëre
n’est pas devenu *lsyeire (ce qui aurait donné une seconde fois
PHÉNOMÈNES D ’OUVERTURE 197
dre), mais seulement *tsejre, c’est que le y du groupe tsy- s’est
amuï alors qu’il était encore suivi d’un i dans le continuateur
gallo-roman de ce mot. L’amuissement ne se comprendrait pas
devant un ç résultant de l’ouverture de ï, puisqu’il n’a pas eu
lieu dans Hsyeira (> cire). Le passage de ï à e est donc postérieur
au résultat tsy- (< ce<{-). Mais comme ce dernier n’a été proba
blement atteint en gallo-roman septentrional que dans la seconde
moitié du ve siècle, il s’ensuit que l’ouverture de ï n’a pu commen
cer que pendant cette même période, sinon légèrement après.
R emarque. — D’autres exemples peuvent être cités à l’appui du
raisonnement ci-dessus ; cf. en vfr. receit < * rec îp it, receivre < recipêre,
et les continuateurs de * d e cîp it, decïpère (deceit, d e ce iv re), * p e r c îp it, p e rc l-
përe (p e rce it, perceivre), toutes formes avec ej et non avec i.
***
action Je stèrcus sur flmus. Mais cette explication paraît peu vraisembla
ble. Il est probable qu’il s’agit b\ d'une forme du latin campagnard, dont
l'étymologie se laisse facilement entrevoir. Flmus remonte à un thème
indoeuropéen *dhg-ci-. Dans le latin de Rome, ci a abouti à î ; d’où *flmus,
avec un i long qui se retrouve dans suffîmentu. Cet ï est devenu bref dans
*}ïmare (p. 184 sq.) ; d'où par analogie flmus au lieu de *flmus. Dans le latin
de la campagne romaine, la diphtongue indoeuropéenne ei est normalement
continuée par è ; d'où un type *fêmus qui a dù exister parallèlement à
*flmus. Mais de même que *fïmare est devenu flmare (d’où flmus), *fëmare
a dû passer lui-même à *fâmare (d’où *fëmus). De la sorte, il n’y aurait
pas à parler de substitution vocalique dans flmus.
Le v. fr. beiore * castor » remonte à un type latin bïber (attesté au
v e siècle), issu du croisement de fiber avec le celt, bëbros ; cf. aussi v. pr.
befre. it al. bcvcro. Le v. fr. bièvre (déjà au xii® s.) pourrait s’expliquer
par le celtique, ainsi que le nom de lieu ou l’hydronyme Bièvre(s).
Tandis qu’au moment où l’accent portait encore en latin sur la syllabe
initiale, l’ancien *cÔlobra passait à côlübra dans le latin de Rome, l’ö
inaccentué intérieur a pu se conserver tel quel sous l’action assimilatrice
de â dans le latin de la campagne ; d’où, après déplacement de l’accent,
côlôbra. qui est à la base du vfr. coluevre (auj. couleuvre), du v. pr., cat.
colgbra, du cast, culebra ( < coluebra) et du port, cçbra.
R emarque V. — L’ü accentué ne s’est pas ouvert en p dans ülülat ;
d’où dans la suite [ü] dans le fr. hurle. On attribue ordinairement la conser
vation de ü à une influence onomatopéique. On peut aussi penser à une
autre explication, qui rappelle celle qui a été donnée plus haut pour le
vfr. visné < vlclnatu ; cf. p. 186. La tendance à l’ouverture ayant attaqué
tout d abord le second ü de ülülat, pour la raison qu’il était inaccentué,
le premier ü a été ensuite conservé pour éviter une succession ç — o.
En admettant que bûtüru (gr. ß<müpov), attesté dans l’Edit de Dioclé
tien, ne se soit pas syncopé en *bütru avant l’abrègement des antépénul
tièmes longues (p. 177 sq.), le type *büturu résultant dudit abrègement pour
rait présenter un cas analogue à celui de ülülat. Pour les mêmes raisons
que dans ce dernier mot, l’ü accentué aurait conservé ici son timbre. Quoi
qu’il en soit, on peut toujours expliquer Vu du vfr. bure (auj. beurre, p. 351).
Le même raisonnement vaudrait encore pour le vfr. cisne (auj. cygne).
A supposer qu’il faille partir non du lat. littéraire cïclnu, mais de *clclnu
avec aîbrègement de l’antépénultième longue, la conservation du timbre de
l accentué s’expliquerait par le besoin d’éviter une succession é — e.
R emarque VI. — Enfin l’f ne s’est pas ouvert dans une série de mots
franciques qui doivent avoir été introduits dans la langue à un moment où
la tendance à l’ouverture avait cessé d’agir ; cf. *belllnc > vfr. belin, berlin
« bélier *, *hrlng(la > vfr. fringue, fringre « danse », *simlla > vfr. simble,
simle i semoule », *sklna > fr. échine, etc. Il en est à plus forte raison de
même dans les mots germaniques introduits postérieurement au francique ;
cf. m.néerl. bricke > fr. brique (x v ie s.), néerl. kip > mfr. chipe «haillon»,
v. h. a. kisle > vfr. quisle « corbeille » (à côté de queste), v. nord, krlki
> fr. crique, m. néerl. lippe > lippe, agis, scip > vfr. eskip (auj. esquif,
de l’ital. schifo < lomb. sklf), etc.
De même l et û latins sont continués par i et u dans un grand nombre de
mots savants ; cf. arbitre ( = arbltru), bénigne ( = benlgnu), calice ( = calice),
cantique ( = cantïcu), chemise (= camïsia), concile (= conciliu), digne
(= dîgnu), envie (= invïdia), épitre ( — ejnstola), esprit (= spïrïtu), famille
(~ familia), ides ( = ïdus), infirme (= infïrmu), livre (= lïbru), maligne
( — maliqnu), v. fr. navilie ou navirie, auj. navire (= navïgiu), prémices
( - prirnitias), pupitre ( — pülpïlu), signe (= sïgnu), sinistre (= sïnïstrü),
tripte ( = triplu à côté de triplex), triste (== triste), v. fr. virgc ( — vlrglne),
'■te. ; — v. fr. delubre ( — delübru), v. fr. diluvie, auj. déluge ( — dilüviu),
divulgue (=>= divillgat), v. fr. fluive ( — flüviu), v. fr. lubre (== lübrlcu),
muscle (=* müscnlu), nocturne (= noclürnu), v. fr. quadruve (== quadrüviu),
rude ( ~ rüde), sépulcre ( = sepülchru), tumulte (=» tümüllu), etc., à côté
P H É N O M È N E S D ’O U V E R T U R E 201
desquels 11 peut exister des formes plus ou moins populaires : v. fr. auvoire,
v. fr. enveie, seing (et sin dans tocsin), v. fr. treble, v. fr. verge, v. fr. de-
louve et deloive, v. fr. escolorge (< *excollûbrïcal), fr. moule, v. fr. notourne,
v. fr. lomolte, etc.
Le celt. Belîsama est représenté par Belléme (Orne), Balême (Loiret),
Bellesme (Eure-et-Loir), Blesmes (Aisne), Balesme (Hte-Marne), etc. (cf.
A. Dauzat, Top. franc., p. 144-145) mais aussi par Blismes (Nièvre), auquel
correspond dans le domaine provençal Belime (Puy-de-Dôme).
Note sur l’écriture dite « mérovingienne ». — Les mots du type crlsta
et crüsta ayant passé à *cresta et *crosta tout en pouvant garder leur an
cienne graphie avec i et u, ces deux derniers signes ont été employés, après
l’ouverture de ï en e et de ü en o, pour e et o latins, brefs ou longs. Cette
écriture porte le nom de « mérovingienne », à cause de l’époque à laquelle
elle a commencé et pendant laquelle elle a été en usage. Ainsi on trouve
dans le latin de Frégédaire (vii * s.) des formes rigis, habitur, minsis, etc.
pour reges, habetur, menses, etc., et custudia, gluria, persunas, etc. pour
costodia, gloria, personas, etc.
> v. fr. glie « glisse », *skïjrat (frk. skïran) > v. fr. eschire (auj.
déchire), *slî/tat (frk. slïtan) > v. fr. esclie « fait voler en éclats »,
*wl(tat (frk. wïtan) > guie « il guide », etc. — ; avec î tendu pro
venant de f : lïs/ta > *lisjta > v. fr. listre « bord, lisière », lïs/tja
> üsltja > lice, riki > *rïtjso > riche, etc.
Mais à la différence de ce qui a eu lieu pour fi] qui est resté sans
changement, [u] tendu s’est palatalisé dans la suite en [ü].
Pour le processus de cette palatalisation, cf. p. 229, où le phéno
mène sera étudié avec d’autres du même ordre.
* *
date ; c’est ü et non plus u qui s’est nasalisé, d’où -ün en vx. fran
cien, et -œ en fr. mod. (p. 362 et 372).
Il est du reste probable que la palatalisation a commencé plus
tôt dans les mots où [u] se trouvait au contact d’un élément pala
tal que dans les autres : elle doit être plus ancienne dans [düi]
— v. fr. (lui « deux », juge, jure, etc. que dans charrue, mur, puce,
etc. D’autre part, si elle a pu commencer au v m e siècle, cela
ne veut pas dire que le stade actuel ait été déjà réalisé à cette
époque L’[ü] du début ne devait pas être celui du français d’au
jourd’hui ; il lui a fallu parcourir avant d’y arriver toute une
série d’étapes et passer par une succession de [ü] centraux du
même type que l’u du norvégien hûs « maison ».
B. — Freinage do la tendance à la f e r m e tu r e
Je m’accoumoude
Avec le coude
Pour voir les pous
De l’homme grous ;
PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE LA STRUCTURE SYLLABIQUE
V o y e l l e s lo n g u es V o yelles brèv es
(tendues) (relâchées)
m m m m
[ü] m m {m
le) m m t*i
[pï IP) m m
m là) [<ï] là]
vînum-scrïptum fîdes-crïsta
mûla-füstis güla-crüsta
tëla-tëctum pëdem-përdit
flörem-cö(n)stat möla-pörta
mâter-Sctus ämat-ärma
214 INFLUEN C E D E LA STRUCTURE SYLLABIQUE
?[ î]
ü[ a] ü[ û]
f[ ç]
a
p[ ?]
ç[ p]
â[ ô] â[ ô]
î[. ï] • n ï]
ai üi
s\ ÎSX
n e.\
et e]
9\ <?)
01 ôl
On a eu de la sorte :
vTjnu(m), avec un i long tendu;
*escrïptu(m), avec un i bref tendu (cl. scrïptum) ;
lana, avec un u long tendu ;
füstc(m), avec un u bref tendu (cl. jüstem) ;
têla, avec un e long tendu ;
tldu (m ), avec un e bref tendu;
flôre(m), avec un o long tendu ;
cô(n)stat, avec un o bref tendu;
216 IN F L U E N C E D E LA STR U C TU R E SY LLA BIQ U E
et d’autre part :
*fide(m), avec un i long relâché (cl. fïdem) ;
crïsta, avec un i bref relâché ;
*güla, avec un u long relâché (cl. gûla) ;
crüsla, avec un u bref relâché ;
*pêde(m), avec un e long relâché (cl. pëdem) ;
perdit, avec un e bref relâché ;
*mola, avec un o long relâché (cl. mold) ;
porta, avec un o bref relâché.
R em a r qu e I. — Le «bouleversement quantitatif » avait déjà com
mencé à se réaliser au ive siècle, si l'on en juge par le témoignage de Con
sensus (ve s.) qui blâme les prononciations Cëres, piper, pour Cëres, piper.
II doit être de plus antérieur au passage de ae à ç dans caelum. Ce passage
suppose en effet qu’au moment de la monophtongaison de ae dans ce mot,
la langue possédait déjà un ç. S’il n’y avait eu encore que e dans son sys
tème phonique, l’e long provenant de ae aurait été fermé, comme l’est celui
de prêda issu de praeda à une époque où le latin ne connaissait qu’un e long
fermé. Or l’existence de ç dans le système vocalique du latin ne peut s’ex
pliquer que par le bouleversement quantitatif, à partir d’un ancien ç.
Ce dernier fait permet d’autre part d’affirmer que le bouleversement
quantitatif est postérieur à l’ouverture de e latin en ç.
R em arque II. — Les emprunts du germanique au latin témoignent du
phénomène ci-dessus. C’est ainsi que I’d de Pâdu, l’i de brève, fibre, Pëlru,
spëculu, cerësia, l’6 de *alimösina, cröcu, schöla et l’ü de cruce sont traités
en germanique comme des voyelles longues.
R em a rqu e III. — Le bouleversement quantitatif s’est poursuivi
après les invasions germaniques puisque les mots du francique y ont par
ticipé, ainsi qu’en témoignent les phénomènes de diphtongaison.
R em a r qu e IV. — Le bouleversement quantitatif ne saurait être mis
sur le compte des Germains, attendu qu’en germanique l'allongement des
voyelles en syllabe ouverte ne s’est produit que pendant la période du
moyen-haut-allemand (tardif) ou du moyen-anglais.
CHAPITRE III
Dans *adrëtro (> fr. arrière), *adsèdet (> fr. assied), celt.bëdu
(> vfr. Me:, auj. bief), brève (> vfr. brief, auj. bref), *cathédra
pour cathedra (> vfr. chaiiere, auj. chaire), ëbülu (> fr. hièble),
èrat ( > vfr. iert), fëbre ( > fr. fi èvre), fera ( > fr. fier), gëlat ( > vfr.
giek, auj. gèle), haerëtïcu > *crçdego (> vfr. eriege), hëri ( > fr. hier),
lëpôre (> fr. lièvre), riëpos (> vfr. nies), pëtra (> fr. pierre), tëpïdu
(> fr. tiède), vêtus (> vfr. viez), etc.
Dans *dèbile (pour débile) > vfr. endieble, *flëbïle (pour flëbïle)
> vfr. fieble, vivant encore dans certains coins de Normandie).
Dans caclu > *tsêlu (> fr. ciel), laela > *lçtu ( > vfr. lié),
quaerit > *quçrit (> fr. -quiert), et caecu > *tsçcu (> vfr. cieu),
graecu > *grçcii (> vfr. grieu), Mafthaeu > *Matt ça ( >
Mathieu), etc.
Dans frc. *fëhu ( > vfr. fieu, auj. fief), frc. *mëd ( > vfr. mies
« hydromel »).
Dans frc. -hçm (> -ien de Enghien, Frelinghien, Mazinghien,
etc.), réduction de -haim primitif.
R emarque I. — L’ancien *âlëcer, *dlëcrem, devenu *alêcer, *alêcrem,
s’est conservé dans le latin parlé, d’où le vfr. haliegre, à côté de vfr. alaigre
qui remonte au lat. cl. alacru (résultant de l’assimilation de e intérieur avec
l’d initial dans le primitif *âlëcrem). Le fr. allègre (xvi° s.) vient de l’ital.
allegro, qui suppose une forme hétéroclite *alecrum.
Sous l’influence de lève, levai, on a eu *gr£ve, *grëvat à la place de grave,
gravai ; d’où le fr. grief, vfr. grieve (auj. grève). Grave est un mot savant.
Dans frc. *alôd ( > vfr. alue, auj. dieu), frc. *brôd ( > vfr. breu
« bouillon, décoction)'), frc. *[ddistôl ( > vfr. fddestuel, auj. fau
teuil), frc. *jlôd ( > vfr. fluet «fleuve»), frc. *fôdr ( > vfr. f uerre
«fourreau»), frc. */<5Ôr ( > vfr. f uerre «fourrage», auj. feurre),
frc. *hrôk ( > v. fr. *frue, auj. freux), frc. lôder ( > v. fr. luerre,
auj. leurre), etc.
*
* *
simplifiée en l après une voyelle longue. Par suite stëlla est devenu *slëla.
Ainsi, au moment de la diphtongaison, on avait dans ce mot un è qui a
pu passer à ef ; d’où v. fr. esteile, auj. étoile.
R IV. — Pour l’ë1 du germanique rë1ps, rendu en latin par
e m a r q u e
un è qui s’est ensuite diphtongue en ef dans *rèdu > v. fr. rei', cf. p. 221.
R V. — La diphtongaison n’a pas eu lieu dans cruel, décret,
e m a r q u e
Dans *dewa < âqua, *bontàe$e < bon(ï)tâte, *lsantdere < can-
târe, *L<anlde8es < canlâtis, *cldero < clâru, *clàçve < clâve,
*ndg:o < nûsu, *pde$rç < pâtre, *ldele < taie, etc.
Et dans *blde<üo < blâdu (frc. blàd), *fdera < frc. fâra, etc.
R em arque IV. — L’a s’est conservé sans changement dans les mots
savants comme agathe, candélabre, cas, cave, étal, lac, pape, rare, vase, etc.
Noter en face de avare et rare les anciennes formes phonétiques aver et
rer. De même -ale est représenté par -al dans un grand nombre de mots
refaits sur le latin à différentes époques ; cf. bestial, final, impérial, infer
nal, pascal, spécial, triomphal (xue s.), banal, conjugal, initial, mémorial
(xme s.), boréal, cérémonial, dominical, glacial (xiva s.), cordial, ducal,
hiémal, partial (xve s.), frugal, idéal, jovial, trivial (xvie s.), armorial, social
(xvne s.), amical, boréal, vocal, familial, fluvial, génial, verbal (xix® s.).
Dans l’ancienne langue il a existé des doublets en -el. Mais annual, material,
natural, personal, spiritual, temporal, etc. ont disparu au profit de annuel,
matériel, naturel, personnel, spirituel, temporel, etc. Inversement leiel ( < le
gale) et reiel((< regale) ont cédé la place à leial, reial (auj. loyal, royal). De
même les formes iwel ou oel ( < aequale) du vfr. sont sorties très tôt de
l’usage et seul égal, à moitié savant, est resté.
cf. ballade, croisade (v. pr. crozeda + fr. croix), muscade, muscat, pom
made, salade, etc. (du provençal) — ; rave au lieu de v. fr. reve < rOpa
(du franco-provençal) ; — bocal, carnaval, fanal, madrigal, régal, soldat,
etc. (de l’italien) ; — camarade, réal, etc. (de l’espagnol) ; — spiritual (de
l’anglais) ; — choral (de l’allemand) ; — chacal (du turc), etc.
Re m a r q u eVIII.— La diphtongaison de à est commune à tous les dia
lectes d’oïl. Cependant elle n'a pas eu lieu ni à l’Est, ni au Sud-Ouest, devant
l intervocalique. Ce dernier devait être vélaire, et l’a qui le précédait au si.
Par suite, le segment final de â n’a pu se palataliser en e, et un mot comme
taie est devenu 'tal. C’est de ces régions et plutôt de la dernière que provient
le fr. pal, qui a remplacé le vfr. du Centre pel < palu.
En bourguignon, en lorrain et en wallon, l’influence de -î- resté inter
vocalique ou devenu final a continué à s’exercer et a pu opérer le chan
gement de a vélaire à o, écrit au.
Pour la même raison que ci-dessus, la diphtongaison de â a été empêchée
par le contact d’un w suivant en picard septentrional, en wallon et en lor
rain. Ainsi aqua, c’est-à-dire *âwa, y est continué par aue, awe. D’après
YALF. (carte 432), les formes correspondantes se retrouvent encore aujour
d’hui dans les départements de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle, des
Vosges (pp. 87, 88), de la Hte-Marne (p. 27), de la Hte-Saône (p. 26) et
dans le Jura suisse.
a) Syllabes fermées par r. — Hërba > vfr. çrbe, hibërnu > vfr.
ivçrn, mër(u)lu > vfr. merle, përd(ë)re > vfr. perdre, përt(ï)ca >
vfr. perche, sërvit > vfr. sert, etc.
cörnu > vfr. cgrn, dormit > vfr. dçrl, *excort(ï)cat > vfr.
escçrche, morte > vfr. mgrt, porcu > vfr. pgrc, porta > vfr. pçrte,
etc.
*bôrba > fr. prim, borbe, code > fr. prim, cort, forma > fr. prim.
forme, ôrdfïjnat > fr. prim, orne, ornât > fr. prim, orne, etc.
cïrcat < vfr. cerche, fïrmu > vfr. ferm, vïrga > vfr. verge,
vïr(ï)de > vfr. vert, etc.
cürsu. > fr. prim, cors, cürtu > fr. prim, cort, diürnu > fr.
prim, forn, fürca > fr. prim, forche, surdu > fr. pr. sort, etc.
arb(5)re > arbre, arma > arme, carne > vfr. charn, carc(ë)re
> chartre, parte > part, etc.
*blancu (frc. * blank) > *blanco, campa > tsampo, gamba >
*dzamba, man(ï)ca > * mant sa, pant(ï)cc > *panlse, d e .
R e m a r q u e . — Le lat. ténue a passé à *lènve avant la diphtongaison de
( ; d’où vfr. tenue qui se dénote d’ailleurs comme savant à cause de son e
final.
savante et calquée sur le latin. Il doit en être de même pour les noms
communs en -ol ou -oie, à moins qu’il ne s’agisse d’emprunts au proven
çal (espagnol, rossignol, etc.) ou à l’italien (cabriole, carriole, luciole, etc.)
R e m a r q u e IV. — On constate la diphtongaison en vfr. dans *sçtte
( < lat. sêplc) ; cf. siet à Namur, à Tournai, sielh chez J. d'Avesnes, et
sième < sëpllmu chez Ph. Mousket, sieptsaumes à Tournai, sietisme, sietem-
bre dans la Règle de Cîteaux, sietisme dans le Chev. au Cygne, etc. Actuelle
ment YA LF. (carte 1219) signale [sijçt] aux pp. 271, 280, 282 (Nord), et
[sgi] au p. 367 (Calvados), [Ja] et [ig] aux pp. 42, 43 (Doubs), auxquels on
peut ajouter pour le franco-provençal [sg] et [sût] des pp. 993, 963 (Savoie),
[*a] du p. 947 (Hte-Savoie), des pp. 60, 70, 937, 939, 959, 961, 978, 979,
988, 989 (Suisse romande) et [ip] du p. 936 (id.). Toutes ces formes en *-
supposent un type *sy<>t. La diphtongaison de g dans *sèlle ne peut s’expli
quer d’aucune façon. Probablement *sêtte a été refait en *siette sur le modèle
de *sieis ( < scx) qui a donné plus tard sis.
R e m a r q u e V. — Le mot francique skala avait un a bref. Comme il a
été introduit à une époque où le gallo-roman ne possédait que des longues
en syllabe ouverte et que des brèves en syllabe fermée, la quantité ayant
prévalu, le caractère bref de cet a a été maintenu au moyen de la gémi
nation de l suivant. La forme gallo-romane correspondante a donc été
*eskâlla, d’où vfr. eschale, qui s’est conservé dans l’Ouest.
R e m a r q u e V. — Le fr. salle suppose un croisement de frc. *sal (ou
*sali ?) avec frc. *halla ; d’où le résultat *salla. Mais le croisement a pu ne
pas avoir lieu et dans ce cas l’a se trouvant en syllabe ouverte s’est diph-
tongué ; cf. frc. Sala > Selles (Marne), *Batsalis (frc. bapsal «salle de
bains » > Basseux (Pas-de-Calais), avec -eus et non -ieus (p. 334) d’après
le cas rég. *Bassel.
R e m a r q u e VI. — Pour stëlla et alla devenus stëla et ola en gallo-
roman, cf. p. 225.
tôle, etc. indique bien que si on a un -b- dans v. fr. endieble, y. fr. fieble,
hièble, v. fr. nmeble c’est que la syncope est ancienne dans *dëbïle, *flëbïle,
èbùlu et *m bile.
En regard de ces dernières formes, la non diphtongaison dans *gar(y)-
öfülu (1. cl. cariophyllon) > v. fr. girofle, auj. girofle s’explique sans doute
par le fait que ce mot appartient au langage spécial de la botanique.
R e marq ue II. — Au fr. mod. trèfle et au v. fr. treble « triple », sans
diphtongue, s’opposent cependant les continuateurs du lat. flëbïle qui
tous supposent une diphtongaison de e ; et. après le passage de ei à oi
les anciennes formes floive, floibe, floible (encore signalé comme populaire
par Ménage 1694) et foible (à la base du fr. mod. faible). Cette opposition
s’explique par le fait que déjà au départ fl bile n’était pas^ la forme de
la langue parlée, flebile étant devenu dans cette dernière *flëbïle (p. 178),
d’où v. fr. fieble. Le caractère plus ou moins savant de fl'bïle se reconnaît
dans la suite à la conversation tardive de la pénultième atone qui, lors
qu’elle est tombée, n’est tombée qu’après la diphtongaison de e dans lat.
me > v. fr. mei. Voici du reste comment on peut rendre compte des formes
citées plus haut :
F l o iv e = flëbïle > *flbêele > *flëvele > *fleivele > *fleivel > v. fr.
fleive, floive. L’/ final s’est àmui ici à date prélittéraire après voyelle inac
centuée.
F l o i b e = flëbïle > *flëbele > *jleibele > *fleibel > v. fr. fleibe, floibe.
Cette forme présente la même chute de l final que la première. En même
temps, elle est plus savante à cause de la conservation de -b-.
F l o ib le = flëbïle > *fabele > *fleibele > v. fr. fleible, floible. A
la différence des deux précédentes, cette forme présente la chute de la
pénultième atone.
F o i b l e = La réduction de fleible, floible à feible, foible est due à une
réfection sur l’infinitif feiblir, foiblir, issu lui-même d’une dissimilation
dans un plus ancien fleiblir, floiblir.
R emarq ue III.— De même le fr. prim. estoyble (d’où le fr. mod. éteu-
ble) suppose une syncope tardive dans *estobçla < stùpüla. Le cas est ici
parallèle à celui du vfr. fleible.
Pour le fr. éleule (autre continuateur de stüpüla), cf. vol. III : Conson.
R emarque IV. — L’opposition qui existe entre l’ef ou l’of du v. fr.
feible, foible < flëbïle et l'a du v. fr. amable < amabïle ne prouve pas
que la diphtongaison de à en de soit postérieure à celle de ç en e\, ni que
ce soit entre la diphtongaison de * et celle de à que la syncope de la pénul
tième atone se soit produite dans amabïle (d'ou *amabble et l’impossibi
lité pour a accentué de se diphtonguer). En réalité, si l’évolution de// bile
est loin d’être populaire, celle de -dbïle > -able est tout à fait savante,
commewpermet de le supposer le traitement du suffixe parallèle -îbïle,
dont l’i accentué est continué par i ; cf. nuisible.
Dans *bollotsa ( < celt, büllücia) > vfr. beloce (auj. avec p),
*dodze ( < *dôdece) > vfr. doze (auj. douze), *dzolse ( < Jüdôci)
> vfr. Joce (auj. Jousse), etc.
Dans *tsaoetso ( < capïtiu) > vfr. chevçz (auj. chevet), *krçlsa
( < frc. *krïppja) > vfr. creche (auj. crèche), *parçtsa ( < pïgrïiia)
> vfr. paresse (auj. avec g), *tretsa ( < Inched) > vfr. tresse (auj.
avec ç), etc.
Dans *godza ( < gübia) > vfr. goge (auj. gouge), *korrotsat
( < *corruptiat) > vfr. corroce (auj. courrouce), *rodza ( < rübea)
> vfr. roge (auj. rouge), etc.
et dans *-adzo ( < -atïcu) > -age, *bratso ( < bracchiü) > vfr.
braz (auj. bras), *fatsat ( < facïat) > vfr. jace (auj. fasse), *satsat
( < *captiat) > vfr. chace (auj. chasse), *latso ( < laqueu) > vfr.
laz (auj. lacs), *satsat ( < sapiat) > sache, etc.
i) Syllabes fermées par un y. — Le y implosif qui a empêché
l’allongement de la voyelle précédente et par conséquent la
diphtongaison « spontanée » peut être suivi d’une consonne ou
faire partie d’une géminée yy.
Il est primaire dans mayyu, pçyyus, l’i du lat. maiu, peius se
prononçant yy.
Il est secondaire dans *çisit < ëxit, *lçyyit < lëgit, *mçilus
< mëlius, *mçyyu < mëdiu, *pi>itus < pëctus, *vçilu < uec'lu (1. cl.
vëtulu), etc.
Dans *kçisa < côxa, *nçite < node, *çilu < ôc(ü)lu, *çyye
< hödie, *plçyya < *plôuia (1. cl. plùvia), etc.
Dans *dçiss(y)o < dïscu, *fçir(y)a < fëria, *neiro < nïgru,
*pçfdz(y)e < pïce, *reyye < rëge, *seyyale < sëcale, *teito <
tëctu, etc.
Dans *angoiss(y)a < angüstia, *boista < büxïda, *dortoir(y)o
< dormitôriu, *koiff(y)a < côffea, *kroidz(y)e < crüce, etc.
Dans *essayyo < exagiu, *layyo < lacu, *payyat < pacaf,
*playya < plaga, *plaidz(y)et < placet, etc.
R e marq ue . — Si dans çj, çf (mais non dans ej, çf), ç et ç se sont
segmentés pour donner naissance à des triphtongues lef, ùoj, il s’agit non
d’une diphtongaison « spontanée », mais d’une diphtongaison « condition
née » par i qui sera étudiée p. 288 sq., 290 sq.
On a eu ainsi :
c > es dans fèl, mël, rèm ; d’où fr. fiel, miel, rien.
à > (k dans côr ; d'où fr. euer, auj. cœur.
? > ci dans *trçs ( < lat. 1res) ; d’où vfr. treis, auj. trois.
5 > ou dans *dçs < *dôs (I. cl. duo) ; d’où fr. prim, dous, auj.
deux.
à > ue dans sal et lra(n)s : d’où fr. sel, très.
R e m a r q u e I. — En face de très, *dôs, lra(n)s, il n’est pas nécessaire
de recourir pour le français à des types latins *fcla, *mële, *côre, *salc comme
pour l’ital. fide, miele, cuore, sale ou le roum. fiere, miere, sarc.
R e m a r q u e I I . — Au contraire, à cause de leur c final, il faut admettre
*hüque et non hôc à la base des composés du vfr. avuec (auj. avec) < apud
hôque (p. 167), pomec < *por höque, senuec < *slne hOque. D’ailleurs, même
en admettant la conservation de son c final, hôc ne conviendrait pas pour
une autre raison : faisant partie ici d’un plurisyllabe, son g en syllabe fer
mée n’aurait pas pu se diphtonguer.
De même, le vfr. illuec doit remonter non à illôc (attesté chez Plaute et
Térence), mais à *illôque.
Pour la particule -que dans *hôque et *illôque, cf. p. 167.
R e m a r q u e III. — Bien que monosyllabes, *has (1. cl. habes) et *hat
(1. cl. habet), *vas (1. cl. vadis), *vat (1. cl. vadit) et *va (1. cl. vade) n’ont pas
diphtongué l’a et sont devenus as, a, vas, va. Ces mots pouvaient être accen
tués ou inaccentués. L’emploi proclitique étant le plus fréquent, l’analogie
a empêché la diphtongaison d’avoir lieu sous l’accent.
dans le Nord-Est et dans l'Est ; , cf. p. ex. en v. lorrain Iresp esset «trépasse »,
m esse «masse », m a le id e s «malades », e h e ste «chaque », g ra ice «grâce »dans
(xiie-xuie s.), h a iste «hâte », ta b e rn a ic le , a b a itr e «abattre », etc.
E ze c h ie l
dans le P s a u tie r lo r ra in (xiv* s.). Cette palatalisation se constate encore
aujourd’hui devant consonne en wallon, en lorrain, en franc-comtois, en
lorrain et en bourguignon ; à la finale absolue, dans les deux derniers dia
lectes.
Il ne faut pas confondre avec ce phénomène le passage de a à q dans
les terminaisons -a g e , -a ille , -a g n e, car il s’agit ici d'une palatisation condi
tionnée par [i], [l] et [/'<] ; cf. pp. 346 sq.
C. — Diphtongaison « s p o n t a n é e » dialectale
d'une voyelle unique ; cf. par exemple çi dans *pç\tos ( < pëctus),
avec g continuant ë latin et i continuant c.
D’autre part, un certain nombre de diphtongues ne sont que
des faits d’écriture. Ainsi dans les anciens textes du Nord, du
Nord-Est et de l’Est on trouve pour l’a du francien une graphie
ai ; cf. aisne (Dial. Grégoire), chaiste (Serm. St-Bernard), plaice
(Cheval, as II espées ), etc.., en face du francien asne < as(ï)nu,
chaste, place, etc. Ce n’est pas à dire que dans ces régions a se soit
diphtongué en ai. Dans le Nord, la graphie ai représente un a.
Elle s’explique par le fait que la diphtongue ai a pu s’y réduire
à a, tout en continuant à s’écrire ai. Dans le Nord-Est et l’Est,
elle représente une voyelle [à] ou [ç], résultant de la palatalisation
spontanée d’un ancien a français. A côté de ai on trouve d’ailleurs
aussi ei. Ces deux graphies s’expliquent par le développement
de l’ancienne diphtongue ai (dans fait < factu) d’abord en gf,
puis en ç (p. 258) : [fçt] pouvant s’écrire fait ou feit, un mot comme
malade, prononcé [malade] a pu s’écrire lui aussi malaide ou maleide.
La voyelle g a été autrefois graphiée oi dans les mêmes régions ;
cf. ois « j’ose » (Brut de Münich), enquoire « encore » (Baudoin de
Condé), oist pour ost < höste (Serm. St-Bernard), Theodoire (Gir.
de Roussillon), choise « chose », etc. Cette graphie a pour origine la
réduction de çi à g que l’on constate pour gi primaire dans le
Nord et le Nord-Est et pour gi secondaire ( < ef) à l’Est. Il faut
noter en outre les graphies du type malaurois pour malaurous
« malheureux » (Dial, animae), receuoir pour receuour « receveur »
(Ps. lorrain), etc., où oi représente le son [u], Oi s’explique ici par
les formes malauros, receuor, etc. qui existaient à côté de malau
rous, receuour, etc., et dont l’o a été transcrit oi, comme l’o de
chose.
De même encore, la voyelle g a pu être graphiée anciennement
ei ou ai. Ei se rencontre dans le Nord, le Nord-Est, l’Est, l’Ouest
et jusque dans le Centre ; ai dans le Nord-Est, l’Est et le Nord-
Ouest ; cf. enfeir pour enfer (Serm. St-Bernard), honeiste pour
honeste (J. de Hemricourt), leitre pour lettre (Ph. Mousket), etc.
L’explication de ces graphies est la même que celle qui a été
donnée plus haut. II faut penser de plus pour l’Ouest à la réduc
tion de gi ( < ë, p. 224) à g propre à cette région (p. 271). En Nor
mandie on trouve aussi pour g une graphie oi ; cf. foire « faire »,
soipt « sept », etc. Elle est probablement due au fait qu’à la pro
nonciation locale mg < *mei ( < lat. më) correspondait dans le
Centre une orthographe moi.
Enfin, en lorrain, en wallon et en anglo-normand, on note ancien
nement une graphie ui pour [ü] ; cf. les part. pass, devenuit, perduit,
renduit, venuit, etc. dans les Serm. St-Bernard, les parfaits appa-
ruit, disparuit, et l’adjectif nuid « nu » dans les Dial. Grégoire,
trebuichet dans les Moralium in Job fragm., cunuit « connut »,
pluis « plus » dans certains manuscrits du Voyage de St-Brandan,
DURÉE VOCALIQUE ET TIMBRE 243
etc. Cette graphie s’explique sans doute par les 1res pers. sing,
du parfait fui, valui, conui, etc., qui, malgré la réduction de [üj'J à
[fi], continuaient à s’écrire avec -ui.
PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DU CARACTÈRE NON FINAL DE LA VOYELLE
I. — ë > I
II. — ë > ç
fermé, quand il est devenu final par suite de la chute d’une con
sonne ou qu’il était suivi de ç central, aujourd’hui disparu dans
la prononciation.
Ex. pratu > x ie s. prëô > [pré], bonitate > x ie s. bonté0 >
bonté, cantare > x ie s. chanter > [sâ/e], nasu > x ie s. nés > [ne],
ad-satis > x ie s. assez > [ose], clave > x ie s. clef > [kle] — nata
> x ie s. née > [ne], fata > x ie s. fée > [/?], *contrata > x ie s.
contrée > [À'ô/re], etc.
Mais lorsque il a continué d’être suivi d’une consonne, ë s’est
ouvert, comme Ve provenant de ë et ï latins en syllabe fermée.
Cependant l’ouverture a eu lieu plus tard, comme il est naturel
pour une voyelle longue, plus solidement articulée qu’une voyelle
brève.
Les premiers exemples qu’on a de ë > ç sont du x m e siècle.
Bien qu’ils soient d’une autre région que l’Ile-de-France, on peut
sans doute admettre que dans cette dernière province le phéno
mène a été contemporain. Ainsi on a ele ( < ala) : escuele ( < scu-
tëlla), foer ( < focare) : miroer ( < *miratoriu), merci ( < mercëde):
nommer ( < nominare) ci, dans le Roman de la Rose II. Villon, en
tout cas, fait rimer chere ( < cara) avec maschouère « mâchoire »,
telles avec Vausselles ( < -ëllas), criminel avec isnel ( < germ.
*snël).
Mais la langue savante s’est opposée à ce changement, comme
à tant d’autres. Au moment où ë devenait ç dans la bourgeoisie
et le peuple, elle a maintenu l’ë. On peut se demander pourquoi il
n’en a pas été de même pour Ve bref, provenant de ë, i latins en
syllabe fermée. Cette différence s’explique. L’ouverture de e bref,
comme on l ’a dit, date du x ie-xu e siècle. A cette époque, il ne
pouvait pas être question de langue savante. Mais il n’en est pas
de même au siècle suivant. La langue savante, en effet, a pris
naissance au x m e siècle, avec l’introduction du français dans
les écritures publiques de la justice et de la chancellerie et avec
la création du Parlement. Tout un personnel d’avocats, de con
seillers, de greffiers, de procureurs et de clercs s’est alors cons
titué. C’est tout ce monde là, se chiffrant par milliers, qui s’est
mis à veiller sur la pureté de la langue. Ainsi, Ve a maintenu son
timbre fermé dans la langue savante, et cela jusqu’à la fin du
x v ie siècle ou jusqu’à la fin du x v m e selon les cas. Car il a fini
par s’ouvrir lui aussi au contact de la consonne suivante.
Comme il est naturel, l’ouverture a eu lieu plus tôt devant une
consonne implosive que devant une consonne explosive. D ’où les
deux groupes de faits que l’on va distinguer :1
1. Mots en -er, -el, -ef : Dans les mots terminés en -er, avec r
prononcé, l’e ouvert est devenu général à la fin du x v ie siècle.
Péletier écrit bien mér, chér ; mais Baïf (1574) note un ç dans mer,
Saint-Liens (1580) et Lanoue (1596) en font autant, le premier pour
mer, cher, le second pour ces deux mots et amer.
SUR LE TIMBRE 249
Dans les mots terminés en -el et -ef, Ve ouvert est aussi devenu
général dès la fin du xvie siècle. Péletier (1549) écrit chéf, mèchéf,
derechéf, tél, quél, lequél, etc. (pourtant soèf, sans doute par analogie
avec les mots en -wè-). Mais Meigret (1542) note tèl, et pour qel,
leqel, il hésite entre e fermé et e ouvert. Baïf (1574) écrit tèl, chef,
nèf et Lanoue (1596) indique un e ouvert dans nef, souef, tel, quel,
sel (à côté cependant de chef, couvreehef, derechef, meschef, avec e
fermé).
III. yç > ys
1. Mots en -ier, -ief, ieil, -ierce, -ierge : Chez tous les grammai
riens du xvie siècle, l’e de cette terminaison est noté comme fermé.
C’est en effet un e que prononcent Meigret (1542) dans fier, hier,
tiers, tierse, requiert, fiert < fërit, viel < vëdu; Péletier (1549)
dans fiér, hiér, quiér, requiér, tièrs, tiérce, fiért, briéf, griéf, viélh ;
Baïf (1574) dans fiérté, tiérs, viélh, viérje ; Lanoue (1596) dans les
mêmes mots et dans tiers, quiert, grief, brief, fief, relief, cierge
(ci. cependant q dans hier). Au xvne siècle, Maupas (1625) pro
nonce aussi un q dans fiér, mestier, menestrier, cordoanier (avec r) ;
de même, Dobert (1650) dans fiéf, reliéf, briéf, griéf. Oudin (1633)
indique encore un e dans vieil, mais un q dans fier. Il convient de
signaler de plus Boyer (1703) qui veut un e dans hier et fier. Mais
tous les autres, à partir du début du xvne siècle, prononcent un e
devant une consonne implosive, quelle que soit son articulation.
C’est l’usage actuel.
Re m a r q u e. — Beaucoup de mots en -ier, dont IV ne se prononçait pas
au X V I e siècle, pas plus qu’aujourd’huit ont repris IV au xvne e t au xvme
siècles, par exemple allier, entier, familier, régulier, seculier, singulier, e t c .
Dans ces mots, la prononciation de -ier s’est modelée sur celle de fier, hier.
Cependant on a essayé d’introduire une distinction entre eux. C’est ainsi
qu’au dire de Tallemant (1696), l’Académie voulait qu’on prononçât un ç
dans entier, allier, mais un e dans familiér, singuliér. De même Buffier
(1709) distingue entre entier, avec ç, et particulier, singulier, avec e. Aucune
de ces distinctions ne s’est conservée, pour la bonne raison que dans tous
ces mots, IVest redevenu muet.
tious sont très rares : on sait seulement que Corneille écrit pièce,
et que vieille et jievre se prononçaient encore avec un e, le premier
chez Oudin (1633), le second chez Du Val (1604). On a de plus
amples renseignements pour -iege, -iertie, et -iere. Ils nous appren
nent que dans le cas de -ieme, l'ouverture a été assez rapide. Dès
le début du x v n e siècle, on trouve en effet un e ouvert chez Du Val,
Palliot (1608), D ’Allais (1681). Corneille écrit aussi deuxième, troi
sième ; l'Anonyme de 1696 deuxième, troisième. Le Dictionnaire de
l'Académie de 1762 met toujours l'accent grave sur -ième, et sans
doute faut-il interpréter comme des erreurs typographiques deuxiè
me, huitième. qui se trouvent dans le premier volume de l'édition
de 1740, à côté de cinquième, dixième. Pour -iere, on trouve un e
fermé chez Du Val (1604), Dobert (1650), Corneille, D ’Allais (1681),
Regnier (1705). Mais Hindret (1687), Girard (1716), Douchet (1762)
et Demandre (1769) prononcent un e ouvert. Le Dictionnaire de
VAcadémie de 1762 écrit aussi -ière. Cependant la terminaison
-iege a continué plus longtemps à garder son e fermé. Tous les
grammairiens du x v n e siècle et presque tous ceux du x v m e pro
noncent en effet un e dans piege, liege, siege. Xe font exception que
Féraud (1761) et Douchet (1762). Le Dictionnaire de VAcadémie
a même maintenu l'e fermé jusqu’en 1835. Ce n’est que l’édition de
18/8 qui écrit piège, liège, siège.
R emarque I. — Il faut mettre à part le cas de la terminaison -ierre,
dans pierre, lierre. Ici l’e ouvert est antérieur au xvie siècle et les grammai
riens de cette époque signalent tous un ç.
R emarque II. — Les subjonctifs viegne, souviegne, retiegne, soutienne,
cités par Péletier, sont écrits chez lui avec un e surmonté de l’accent aigu.
R emarque III. — Mienne, tienne, sienne, ainsi que les subjonctifs tienne,
vienne ou les 3e pers. plur. indic. prés, tiennent, viennent étaient primitive
ment prononcées avec ë. Cet ë s’est dénasalisé avant le xvie siècle et l’e
oral qui en est résulté a dû être ouvert. On le trouve cependant noté comme
fermé par Meigret, Péletier, Baïf, au xvie siècle. Lanoue (1596) et Martin
(1632) le donnent comme ouvert. On n’a pas de renseignements pour les
grammairiens postérieurs. Mais il est probable qu’ils ont prononcé miçnne,
tiçrune, etc. comme aujourd’hui.
R emarque IV. — L’ancienne terminaison -iesme, après la chute de s
antéconsonantique, est devenue -ieme, avec un e long qui a dû s’ouvrir
devant m. Cependant Meigret, Péletier, Baïf et Lanoue prononcent un e
fermé dans -ieme. Tous les grammairiens du xvue siècle, par contre, note
ront un § dans cette terminaison. C’est la prononciation actuelle.
PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈNES VOISINS
(Actions au contact)
I. — LES DIPHTONGUES
1° à la finale absolue :
Type lat. vulg. *portai (cl. portavi).
2° devant un y explosif :
Lat. main, gaiu, c’est-à-dire mayyu, gayyu > *mayyo, *gayyo.
Lat. vulg. *ayyo (cl. habeo), *ayyat (cl. habeat), *sayyo (cl. sapio).
Germ, tahhi « épais, visqueux » > gallo-rom. *tayyo ; wähi « beau,
brillant » > gallo-rom. *gwayyo, -a.
Gallo-rom. *rayyo < radiu, *rayyat < radiat, etc.
» *essayyo < exagiu, *essayyat < *exagiat.
» *play y a < plaga, *bayya < baca, *payyat < pacat,
etc.
» *mayyes < magis.
» *fayyet < *fagit (pour facit), *fayye < *fage (pour
fac).
R emarque . — Entre voyelles, le latin avait -yy- et non -y-. C’est encore
à -yy- qu’ont abouti primitivement -dy-, -yy- et y interv. + e, a, c interv.
-fa. .
1° à la finale absolue :
Type ancien : portai.
Type nouveau : mai < *mayyo, dzai < *dzayyo, *ai < *ayyo,
sai < *sayyo, rai < < *rayyo, esai < *esayyo, fai < *fayye, taf
< *tayyo, gai < *g(w)ayyo, etc.
T ype nouveau : mafs < *mayyes, fait < *fayyet, lait < *laido,hait
< *haito, air < *aire, mait < *maide, fait < *faito, vair < *vai-
ro, naist < *naiset, iraist < *iraiset, plaist < *plajdzet, palais
< *pâlaidzo, nais < *naiso, irais < *irafso, etc.
4° devant y explosif :
On retrouve encore l’ancien g dans baie ( < baca), braie ( < braca),
haie ( < germ, haga), ivraie ( < ebriaca), orfraie ( < ossifraga),
plaie ( < plaga), saie ( < saga), vraie ( < *veraia) etc., et parmi
les formes verbales dans aie ( < *ayyat, cl. habeat), paie ( < pacat),
etc.
L’évolution d’un m ot comme plaie a été la suivante. A l’origine on
a eu [playyç), d’où au x n e siècle [phyç]i puis [plçyd]. A son tour,
\ph'ya] s’est réduit à [plça], par suite de l’amuissement de y au
contact de la voyelle palatale précédente. Finalement [ph3] est
devenu [pie] , après la chute de a final.
DIPHTONGUES 261
tata, nez < nasu, etc.), Ç devant consonne (cf. tel, mer, nef, telle,
aimèrent, fève, etc.). L’évolution de l’ë provenant de a serait ainsi
parallèle à celle de Ve provenant de ê, ï latins en syllabe fermée :
l’ouverture de ë ( < a) dans tel, mer, nef, telle, aimèrent, fève, etc.
correspondrait alors à celle de e ( < lat. ë, ï) dans sec, mettre, sèche,
etc. Il y a cependant une différence, mais elle est seulement d’ordre
chronologique. Tandis que l’ouverture de e dans sec, mettre, seche,
etc. est ancienne, celle de ë ( < a) a mis plus de temps à se réaliser,
puisqu’encore au x v m e siècle certains grammairiens prononceront
une voyelle fermée dans tel, pere, etc. (p. 250).
Un fait semble pourtant contredire l’hypothèse suivant laquelle
ë (<r a) aurait été fermé en vfr. En effet, alors qu’il n’assonne ni
avec les mots du type teste, pçrt, etc., ni avec ceux du type ceste, fer
me, etc. (cf. ci-dessus), ë ( < a) apparaît en liaison dès les premiers
textes avec un e dont on peut supposer, vu son origine, qu’il était
ouvert. C’est ainsi que dans la Chanson de Roland et le Voyage de
Charlemagne, par exemple, Deu et Deus ( < Dëu, -us) se trouvent
dans des laisses en ë ( < a) ; cf. aussi Deus : teus ( < talis) dans
Wace et Chrestien de Troies. On note de plus dans le Roland l’asso
nance Orner ( < Homëru) : ber, adorer, etc., au v. 2616, dans le
Voyage de St-Brandan (1122) miserere : frere, dans le Comput et
le Bestiaire de Ph. de Thaun (1119-35) truvé : tempore, furmé :
vale, dans la Vie de St-Gilles (1170-80) trové : Bénédicité, dans
l’Afaitement Catun d’Elie de Winchestres (1130-40) segret ( < se
cretu) : ditet ( < dictatu), dans le Chevalier as II espees ( lre moitié
du x m e siècle) secrées : regardées, etc. Il faut encore signaler
l’assonnance assez commune eret ( < ërat) ou ert ( < ërit) : ë ( < a).
Mais la supposition que dans les mots cités ci-dessus Ye était ouvert
n’est pas toujours justifiée. Ainsi Ye de eret ou de ert était proba
blement fermé, puisqu’il s’agit ici des continuateurs de ërat ou
de ërit en position proclitique (cf. au x ie s. les formes diphton-
guées ieret, iert < ërat, ërit accentués) : dans les groupes ërat,
ërit + adjectif, l’ë, ne portant pas l’accent, ne s’est pas ouvert
comme l’ë accentué (p. 193), et lorsque eret, ert sont devenus
accentués dans la suite, ils ont pu conserver leur e. D’autre part,
Ye de Deus (et par analogie celui de Deu) était sans doute fermé
(p. 341). De plus, s’il est vrai que dans la prononciation du latin
au moyen âge, Ye était ouvert, il faut faire cependant une excep
tion pour les cas où cette voyelle était à la finale absolue : l’his
toire du français montre que dans cette position les anciens ç
se sont fermés (pp. 258 sq.) : il pouvait en être déjà ainsi au début
de la langue et des mots comme tempore, vale, Bénédicité, etc.
pouvaient avoir à cette époque un e. Suivant la même tendance,
secrçd ( < secrëtu), decrçè ( < decrëtu), etc., mots savants pri
mitivement avec ç (cf. v. fr. profite < prophëla), ont changé
1’? en e après la chute, d’ailleurs précoce, de leur 0 final. Le fé
minin secrçSfS a dû devenir lui aussi secrees, dès que l’amuis-
sement de S intervocalique a mis l’ç en contact avec Yç suivant (cf.
laudal > vfr. Joe > loe, p. 342). Il n’y a de difficulté que pour
Omçr ( < Ilomëru) et miserere, dans lesquels l’ç n’a phonétiquement
DIPHTONGUES 263
aucune raison de passer à e. Mais outre que pour le premier de ces
mots une influence de Omêr < Audomaru est possible, on peut
songer à un phénomène d’adaptation : Omçr et miserçre, avec -çr
et -çre, s’opposant à toute la série de mots en -fr (< -are) ou -ère
( < -aire), ont pu à l’occasion échanger leur ç contre un e. Sans doute
peut-on objecter que l’e de tous ces mots, qu’il soit phonétique ou
non, était bref, tandis que l’e provenant de a était long. Mais l’objec
tion, qui se poserait d’ailleurs aussi dans le cas de ë (< a), peut
être tournée en faisant appel encore une fois à une adaptation
au système phonique de la langue. L’e final de tempore, vale, Béné
dicité ou de secre, decre et la terminaison -ees de secrees consti
tuaient des cas aberrants en face de -ë(Q) < -atu et de -êes <
-atas infiniment plus nombreux : sur ie modèle de ces derniers,
-e et -ees ont pu se changer en -ë et -êes. Dans Orner et miserere,
par contre, il y aurait eu à la fois adaptation de quantité et de
timbre.
etc. ; dans le Lapidaire de Marbode, la Mer Rouge est appelée Ruige Mier,
etc. Cette graphie s’explique par le fait qu’après la réduction de ije à e (p.
267), l’ancienne graphie ie avait continué d’être employée avec la valeur sim
plement de c. La réduction de ye à e s’étant produite en Anjou, en Touraine
et dans une partie de l’Orléanais, il n’est pas étonnant qu’on trouve là aussi
une graphie ie pour e ; cf. -icrre « -a to r dans le Roman de la Rose (II) et
dans le Livre de Joslise et Plet. Cette explication ne saurait convenir dans
le cas du St Léger, attendu qu’en wallon ie n’étant pas passé à ye ne pouvait
se réduire à e.
De plus, la chute de y dans les formes du type reneiez (< renegatis,
-atos) a pu être suivie en anglo-normand d’une contraction voealique ; cf.
la rime damnez : reneez dans Adgar (1160). Reneiez, prononcé [rgnêls], a pu
déterminer une graphie -eiez pour -ez. Ainsi s’expliquerait le futur jerreiez
pour jerrez (de gésir) de la Chanson de Roland, v. 1720 (ms. d’Oxford).
Il convient encore de noter, en anglo-normand encore, la graphie ee pour
Ye long provenant de a : cf. peers « pairs » < pares, beer « baron », degreez
« degrés », etc. dans le Voyage de Charlemagne.
santé comme celle dont elle provient. Dans la suite, l’accent s’est
déplacé sur e, dont l’audibilité était plus grande : ie est ainsi devenu
iç, et de là yç, aujourd’hui [ye] ou [yç] suivant les cas.
[yç] dans pied < pëde, trépied < *trïpêde (1. cl. trîpëde), sied
< sëdet, etc.
[yç] dans siècle < saeculu, tiède < tëpïdu, grief < *grève (1. cl.
grave), piège < pëdica, siège < *sëdlcu, ciel < caelu, fiel < fël, miel
< mèl, fier < fëru, hier < hëri, arrière < ad-rëtro, lierre < hëdëra,
pierre < pëtra, paupière < *palpëtra (1. cl. palpëbra), tiers < tër-
tiu, nièce < *nëptia, pièce < *pëttia, assiette < *adsëdiia, antienne
< *antëphona (pour aniïphona, p. 199), Etienne < Stëphânu,
lièvre < lëpôre, etc.
On peut encore ajouter pour l’ancien francien : laetu > lié, tenë-
bras > teniebles, brève > brief, abbrëviat > abriege, mëdïcu >
miege, gëlu > giel, lëpra > liepre, *pëtrïca > pierge, tenëbrïcu
> tenierge, fërrea > fier(r)e, *bërtiu > bierz, nëpos > nies, crê
pât > crieve, *grëvat > grieve, lëvat > lieve,*bëttiu > biez «bou
leau », vêtus > viez, etc.
mots terminés en -Isca ; cf. vfr. danesche < *danisca, francesche < *fran-
clsca, anglesche < *angllsca, etc. Les formes daneise — danoise, franceise
— françoise, angleise — angloise, etc. du vfr. (cf. auj. danoise, française,
anglaise, etc.) ont été refaites sur les masculins correspondants qui provien
nent de types en -iscu.
Mais il s’en faut que tous les anciens [wç] provenant de ei par
l ’intermédiaire de oi, soient actuellement continués par [wa].
C’est qu’avant son passage à [ma], le groupe [uç] s’est réduit à e
dans un certain nombre de mots. On étudiera ici cette réduction,
quelle que soit l’origine de [wç].
L’opposition [wa] ( < wç) : [ç] telle qu’elle résulte des exemples
ci-dessus ne saurait s’expliquer d’aucune façon par la phonétique.
Elle ne dépend pas en tout cas du consonantisme qui précédait au
trefois le groupe wç. La réduction se constate en effet indifférem
ment après un groupe de consonnes ou après une consonne simple,
après une consonne labiale ou une consonne non-labiale. C’est
ainsi qu’on a aussi bien dais, hollandais, français, écossais, harnais,
polonais, marais, roseraie, etc. que (je) vais, verre ou que claie,
glaise, tremblaie, craie, effraie, fraie, frais, etc. De plus, à ces der
niers exemples s’en opposent d’autres comme ploie, croix, croire,
droit, effroi, étroit, froid, lamproie, proie, etc.
On a voulu d’autre part expliquer les formes en [ç] par l’influence
de la Cour des Médicis et par l ’impossibilité où se seraient trouvés
les Italiens de prononcer le groupe wç. Sans doute cette influence
n’est-elle pas à négliger. Mais on verra plus loin dans quelle mesure
il faut en tenir compte. En réalité le phénomène a des origines
beaucoup plus lointaines, puisqu’il remonte à la seconde moitié du
x m e siècle.
Dès cette époque en effet on observe un peu partout dans
le domaine d’oïl une forte tendance à réduire wç, accentué ou
inaccentué, à ç en toute position : en syllabe initiale comme en syl
labe intérieure ou finale. On note pour l’Orléanais : tres ( = trois),
otrai ( = otroi), destret ( = destroit), dret ( = droit), praise ( = proise,
analogique pour prise < *prëtiat), crai ( = croi), vaie ( = voie), aver
DIPHTONGUES 275
(= avoir), vers (= voirs < vëros), fai ( = foi), Pontaise (= Pon
toise), daienl (= doient, analogique pour doivent), courtoise ( = cour
toise), taile ( = toile), sair (= soir), etc., — pour la Champagne:
etet (== eloil), tenret (= tenroit), avet ( = avoit), etc.
Les exemples qu’on peut recueillir dans la région parisienne mon
trent que là aussi et vers la même époque la tendance à l’amuisse-
ment de w a dû être assez forte. Dans les documents de la fin du
x m e siècle, on enregistre des formes comme cres (= crois), crere
(= croire), Englais, Anfrey ou Anfray (= Anfroy < germ. *An-
frïdu), baudraier (== baudroier), oublaier( = oubloier), claie ( — cloie),
etc., et Danois (— Danois), Galais (= Galois), champenois (=
champenois), courraier ( — courroier), hers (= hoirs), monnaiers
(= monnoiers), pastaier (= pastoier), Pontaise, saie (= soie), saient
( — soient), etc.
Mais il faut sans doute établir une distinction entre les diffé
rentes couches de parler.
Les exemples ci-dessus, avec chute de w même après consonne
simple, appartiennent à des textes administratifs et reproduisent
probablement la prononciation vulgaire. Il semble bien en effet
que dans le peuple il y ait eu dès le début une tendance très accusée
à éliminer w dans tous les cas. Jusque vers le début du xvie siècle,
la bourgeoisie au contraire ne paraît avoir pratiqué la réduction
de wç accentué qu’après un groupe consonantique explosif. C’est
du moins ce qui résulte du Livre des Mestiers d’E. Boileaue (deuxiè
me moitié du xm e s.) et du Testament de Villon (milieu du xve s.).
A part sait (= soit) qui peut s’expliquer par un emploi proclitique,
on ne trouve ç pour wç dans le premier texte qu’après un groupe de
consonnes ; cf. crestre (= croislre), claie (— cloie), etc. De son côté,
Villon conserve toujours w après une consonne simple; cf. wç dans
maschouère (= maschoire) : chere, essoine : Seine, et wa dans poirre
(< pëdëre) : barre : carre, fuerre (< germ. *(5dr) : Barre. Mais il est
probable que wç inaccentué a dû éprouver une tendance à se réduire
à ç dans le même milieu. Quant à la langue savante, elle a conservé
we en principe.
Au xvie siècle, on peut dire que l’amuissement de w est un fait
acquis chez le peuple. Au siècle suivant, on note en tout cas dans les
Mazarinades : je cray (— je crois), may (= moi), tay (= toi), recever
(= recevoir), fret (= froid), etc., et avar (= avoir), var ( = voir),
savar (= savoir), tu craras ( — tu croiras), bourgeas ( — bourgeois),
Ira (= trois), employé (= employé), etc. Les paysans de Molière
prononcent aussi dret au lieu de droit ; cf. Don Juan II 2, Le Méde
cin malgré lui II 1. Dans la bourgeoisie, l’ancienne tendance a fait
des progrès : wç inaccentué semble s’être réduit d’une façon géné
rale à ç, et wç accentué peut passer à ç aussi bien après une consonne
simple qu’après un groupe consonantique explosif. Toujours conser
vatrice, la langue savante maintient encore iag,'sauf exceptions
qui seront examinées plus bas.
Ainsi donc, il y avait trois usages : celui du peuple, celui de la
bourgeoisie et celui des « savants », en l’espèce, à partir du xvi9
276 ARTICUL. D ES PH O N ÈM ES V O ISIN S (A C T IO N S A U CONTACT)
L’état actuel ne s’est pas imposé d’un seul coup. Pour les impar
faits et conditionnels, l’adoption de ç au lieu de wç n’est pas allée
sans récriminations de la part des grammairiens. En 1582, H. Es-
tienne en écrivant ie dises, ie dires, note que c’est là la prononcia
tion usitée à la Cour, ce qui veut dire pour lui qu’elle n’est pas
bonne. D’après Bèze (1584), c’est le peuple de Paris qui prononce
ç. Masset (1606), Maupas (1625), Cossard (1633) écrivent qu’il faut
dire wç. Cependant Behourt (1620), Martin (1632), Oudin (1633) et
Vaugelas (1647) sont pour ç. « A la cour, dit celui-ci, on prononce
DIPHTONGUES 279
beaucoup de mots avec la dyphtongue oi, comme s’ils estoient
escrits avec la dyphtongue ai, parce que cette dernière est incom
parablement plus douce et plus délicate. A mon gré, c’est une des
beautez de nostre langue à l’ouir parler, que la prononciation d’ai
pour oi ; ie faiscds, prononcé comme il vient d’estre escrit, combien
a-t-il plus de grace que ie faisois, en prononçant à pleine bouche
la dyphtongue oi ? ». Chifflet (1659) constate de son côté qu’il y a
plus de quarante ans à son époque que ç est « dans le commun
usage ». Sans doute le groupe wç s’est-il maintenu encore assez
longtemps au Palais et dans la langue de l’éloquence, comme il
ressort des remarques de cet auteur. Mais Hindret en 1687 et
Buffier en 1709 reconnaissent que même là la réduction avait fini
par prévaloir de leur temps. Pour ce qui est de l’orthographe,
Berain propose dès 1675 d’écrire ai ; après lui Voltaire et quelques
autres en ont fait de même. L’Académie a finalement admis cette
graphie en 1835.
Il ne faudrait pas croire que les formes avec ç citées dans la liste
des pp. 273 sq. soient les seules à avoir été acceptées par les gram
mairiens. Il en est d’autres, assez nombreuses que tel ou tel d’entre
eux enregistre comme correctes, mais qui n’ont pas été sanction
nées par l’usage. Ainsi celles qu’on trouve pour Beauuoisin, crois
sant, moisson, Noirmoutier, poilu, poirier, soirée, voilure, etc. N’ont
pas été acceptées non plus : vée ( = voie), Ese (= Oise), Ponlese
Sylvius, — day ( = dois), pareden ( = paroissien) Palsgrave, — see
(à côté de soie), seeux (à côté de soyeux) R. Estienne et Oudin, qui
les donne comme archaïques, — caye (à côté de coyé) Lanoue, —
courraie (à côté de courroie) Lanoue, Monet ; etc.
DIPHTONGUES 281
prés, -êiis et *-Uis (1. cl. -Ilis) ainsi que la terminaison *-êtis de la 2e pers.
plur. du futur roman (*cantarëtis = cantare -f (hab)êtis) sont régulièrement
continuées par -eiz--- oiz dans les anciens dialectes de l’Est. Mais dans
le Centre, le Nord et le Nord-Est, -eiz a été remplacé à date prélittéraire par
la terminaison -ez de l’indic. prés, des verbes de la classe I (cf. eantatis
> chantez) de beaucoup les plus fréquents. Dans les dialectes de l’Ouest la
question du remplacement ne se pose pas, -ei; s’étant réduit de bonne heure
à -ez (p. 270).
282 ARTICUL. DES PHONEMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)
R e m a r q u e III. — Si pllcat est continué par plie, c’est par suite d’un
processus analogique. Plical a donné régulièrement pleie, d’où plus tard ploie.
Mais la ressemblance qui existait à l’infinitif entre la terminaison de pleiier
— ployer < plicare et celle de prciier — proyer < precere a déterminé la
réfection de pleie — ploie en plie sur le modèle de prie < prëcal. A son tour,
plie a donné naissance à un infinitif plier, de même que prie a développé une
forme prier. Les anciennes formes s’étant conservées, on a aujourd’hui
encore des doublets : plie — plier, ploie — ployer ; cf. de même déplie —
déplier, déploie — déployer. Sousploie — sousployer ( < süppllcare) ont été
remplacés par sousplie — sousplier, attestés jusqu’au début du xvix® siècle
(cf. le part, passé sousplié chez Cotgrave, 1611), mais disparus devant sup
plie — supplier, savants. Par contre, le subst. emploi a empêché le rempla
cement de emploie — employer par emplie — emptier ; emptier est néan
moins cité par Lanoue (1596) et Oudin (1633). Multiplie — multiplier sont
savants ; le vfr. faisait molteploie, monteploie — molteployer, monteployer
( < mültlpllcare).
tonguer devant l’ancienne affriquée dentale -tts- (plus tard -as-) issue de lat.
-ty- (cf. vfr. [pruettsf] > auj. [prw(s}) ; mais le traitement -ty- > -tts- n’est
pas populaire. Dans -ise et -ice, le vocalisme est savant ; quant au conso
nantisme, il l’est aussi dans le second cas, mais non dans le premier.
R e m a r q u e VIII. — En wallon, le groupe [we] s’est labialisé en \wœ]t
d’où [œ] ; cf. p. ex. meus < më(n)se, teus < têctos chez Jean d’Ontremeuse.
Alors que dans ce dialecte la terminaison -eue < -abat s’est généralisée
à l'imparfait de tous les verbes, avoit et estoit ont fait exception ; d’où au
jourd’hui [awe], f{sfœ].
noté çi1, le second çi1. C’est de celui-ci qu’il va être question, son
premier élément ne s’étant pas segmenté pour donner naissance à
une triphtongue ; gi1 qui présente un traitement opposé sera
étudié p. 290. La diphtongaison de g dans le cas de gi1 et sa non-
diphtongaison dans celui de gi2 montrent bien que gi2 ne s’est
constitué qu’après la première évolution de gj1.
12
286 A RTICU L. D E S PH O N È M E S V O IS IN S (A CT IO N S A U CON TACT)
Avant sans doute que l’[u] roman passât à [ü], dans mur <
müru, v. fr. fust < juste, etc., la diphtongue ui est devenue [üi].
D’où en fr. prim, [üi] dans fuit, ruit, cuide, duire, estui, fui « je
fuis », fruit, luite, truite, buis, pertuise, cuivre, puiz, menuise,
luist, duist, lambruis, uis, tuit, nuit, cuit, uit, cuisse, pui, mui, ennui,
ui, nuist, cuir, muir, puis (adv. et verbe), puisse, cui, dui, fui, lui,
etc., outre aiguille et aiguise mentionnés dans la remarque précé
dente. On a eu de même [üi] + y dans suie, appuie, ennuie.
R em arque I. — Dans le courant du x ie siècle, alors que [u] avait déjà
passé à [fl], une nouvelle diphtongue [ü/] a été constituée par suite de la fer
meture de ç diphtongal (p. 419) dans fr. pr. uelie (= öleu), alors que l’accord
était encore sur [a] —, par suite de la transposition d'un y explosif dans
* e s tu r ie ( = siüdiu) > fr. prim, estuire, *rustie (= r ü s t lc u ) > fr. prim, ruiste.
Peut-ctre faut-il en dire autant pour saumure < *saumure ( < *sal-
müria). Mais on peut invoquer ici une dissimilation u — j > y — 0, anté
rieure au passage de [ mi ] à [röz].
pits), p. 290, on a v. pr. nuoit — nueit < nôcte, v. cat. nuijt (avec üoj > uj),
auj. nil. L’ç de l’ital. voglia, doglia, etc. s’explique comme Yg de peggio, lei
et l’o du cast, noche comme l’e de pecho (p. 290).
R II. — Pour le développement de la triphtongue tfpj, cf.
e m a r q u e
L’explication qui a été donnée pour roe < rôla vaut aussi pour le vfr.
escroe < frc. *skrôda (cf. auj. écrou, dans lettre d ’écrou). Dans le vfr. gloe
«perche fourchue » ( < frc. *globa), c’est non un S, mais un w qui s’est
amuï à l’étape *glùowa.
Jöcat et lôcat sont encore probablement dans le même cas. On a eu
*diiioyf0 > diùoç'i > *diuççO > vfr. foe (auj. joue) et *lûoyçt > *lùoçO
> *liiôfO > vfr. loe (auj. loue). Les rares formes du type jué'e, gieue, lieue
qu'on trouve en vfr. sont analogiques des continuateurs de jöcu et löcu. Ici,
comme dans le cas de rôtal, le radical de la 3e pers. sing, indic. prés, coïn
cide avec celui de l’infinitif.
D’après ce qui vient d’être dit on s’explique la forme poent ( < *pôtent)
du vfr. Elle est régulière. C’est la forme beaucoup plus fréquente pueent
qui est analogique : dans *pûooent le s’est maintenu sous l’action de
l’infinitif *po$eir < *potêre, d’où püehent > p Üe$ent > pweftent et fina
lement pueent.
R e m a r q u e II. — L’évolution rôla > vfr* roe montre que la palatalisa
tion de [u] n’a pas eu lieu au stade üo. *R ûohç n’aurait pu en effet aboutir
à vfr. roe : le à) provenant du déplacement d’accent dans m ou se serait
conservé ou aurait passé à y ; d'où *rûoe dans le premier cas, *rioe dans le
second.
D’autre part, la palatalisation n’a pu avoir lieu après le passage de ûe à
ûê. Le stade ué a été pratiquement sans durée ; il a été immédiatement suivi
de wé, dans lequel w n’est jamais devenu ni, ainsi que le montre le groupe
wç de nombreux dialectes (cf. ci-dessous, Rem. V III) qui cependant con
naissent la palatalisation de [u] accentué.
R emarque III. — Pour le traitement de la diphtongue provenant de
ö dans jouene (pp. 219, 368), cf. pp. 368, 383.
R emarque IV. —• A l’étape we ( < ûe), le «5 s’est amui au contact du v
précédent dans avuec ( < *apud-hique), qui est ainsi devenu avec. Avuec
étant autrefois aussi bien adverbe (c’est sa fonction, primitive) que prépo
sition ; sa réduction a pu entraîner celle de l’adverbe illuec < *illôque qui
présentait la même terminaison ; d’où vfr. illec.
Cependant les formes pleines avuec et illuec ont pu continuer à se main
tenir à côté des formes réduites avec et illec. La première est assez rare en
vfr. ; mais la seconde est assez fréquente. Le passage de «5e à wœ s ’est alors
produit et on a eu des formes avec -œk ; cf. aveuc dans Aucassin, illeoques
avec eo = [œ] dans le Oak Book II (texte anglo-normand du début du x iv e
s.), etc. et aujourd’hui encore [a vœ (k)] du picard, [çvyq:] en lorrain, etc.
R emarque V. — Le lat. förum est représenté par fuer « prix » en vfr.
Son continuateur *feur est devenu régulièrement fur (p. 429) dans la locu
tion au feur et à mesure, où il était inaccentué. De là le substantif fur, au
jourd’hui disparu. Le même changement de œ inaccentué en [ü] se constate
dans l’ancien verbe affurer qui provient de *affeurer (cf. actuellement encore
affeurair à Guernesey), analogique de affuere, affeure < *adfôrat.
R emarque VI. — Le français possède les doublets m eu te et m uette
« logis pour les chiens de chasse, pavillon de chasse », tous deux provenant
de *môvlla (de môvêre). Meule est le continuateur phonétique du vfr. m uete.
Muelle s’explique par une fausse interprétation de l’ancienne graphie au
xvie siècle : l’habitude étant perdue depuis longtemps de transcrire par ue
le son œ, muelle qui s ’était conservé dans l’orthographe a été prononcé com
me le féminin de muet.
Remarque VII. — On avait autrefois cuevre < *côperit (p. 178). prueve
< pribat, suefjre < *sôferit (p. 199), tru eve < *tröpat, uevre < ôperil. Les
formes actuelles couvre, prou ve, so u ffre, trou ve, ouvre, qui datent déjà du
moyen âge, sont analogiques de c o u v rir < *côperire, p ro u v e r < p rö b a re,
souffrir < *sofferire, trouver < * lrô p a re , o u v rir < o perire. Les anciennes
D IP H T O N G U E S 295
formes phonétiques ont pu se conserver jusqu’au xvie ou xvn e siècle. Cf.
«cœuure pour couure, il est receu de l’authorité des bons poetes» (Tabourot,
1587) —, preuve (Oudin, 1633) —, « ie souffre et ie seuffre » (Cauchie, 1575)—,
« il est bien plus doux de prononcer... treuver » (Lartigaut, 1669). Treuoe
se rencontre chez La Fontaine et chez Molière.
1° P r e m i è r e c a t é g o r i e : d i p h t o n g u e s s a n s p a l a t a l i s a t i o n
de u. — Cette catégorie comprend les diphtongues au1, au2, eu1,
eu2. Pu, ou1, ou2, Qu1, Qu2 et uu.
L’exposant 2 sert à indiquer, dans le cas où la diphtongue peut
avoir des origines multiples, que Vu provient de la vocalisation de Z
antéconsonantique.
iers (vfr. Peifiés) < Ptctavis, Angers (vfr. Angies) < Andecavîs de l’autre,
s'explique par le fait que dans -avü le w intervocalique est tombé de très
bonne heure au contact de l’ü final, d’où constitution d’une diphtongue ay,
alors que cette chute n’a pas eu lieu dans -avis, où le w précédait une voyelle
palatale : dans ce dernier cas, le w latin a passé normalement à »et l’a s’est
changé en e dans clé ou en ie dans vfr. Peitiês, Angiés (a étant ici après une
consonne palatale).
R e m a r q u e IV. — Dialcctalement l’évolution du type *clau (-< clavu)
et *fay (< fagu) a pu être différente. Tandis qu’en francien le t r a i t e m e n t
a été le même pour ay final que pour au intérieur de mot, dans certaines
régions l’y de au final ne s’est pas laissé assimiler par a ; c’est lui au contraire
qui a assimilé ce dernier et l’a fait passer à ç ; d'où la constitution d’une
diphtongue Qu. Ce fait suppose de la part de « final et en particulier de y
final une articulation plus tendue qu'en francien.
Dans la suite, la diphtongue secondaire Qu a pu évoluer soit de nouveau
en au dans les régions où çy provenant de Q + / antéconsonantiquc a passé
lui-même à au (p. 312), soit par différenciation en çy. C’est ainsi qu’au moyen
âge, le picard" oriental et le wallon présentent des formes en au, et le picard
occidental, l’anglomormand et le bourguignon des formes en eu. Au francien
clou, s’opposent ainsi des formes dialectales clau et cleu. La carte 304 (clou)
de l’ALF signale encore aujourd’hui -ay dans la Meuse, la Meurthe-et-
Moselle et, avec palatalisation de y, -uÿ dans la Côte-d’Or, œÿ (< ey) dans
le départ, du Nord et le Pas-de-Calais. "
Mais ordinairement l’ancienne diphtongue s’est monophtonguée. On
trouve actuellement -a (< au) en Wallonie et -â dans la Côte-d’Or —, o
(< au ou çy) en Wallonie, dans les Ardennes, la Meuse, la Meurthe-et-
Mosefle, les Vosges, le Haut et le Bas-Rhin, la Hte-Saône, le Doubs, le Jura,
la Marne, l’Aube, l’Yonne, la Hte-Marne, la Côte-d’Or, la Saône-et-Loire, le
Nord, le Pas-de-Calais, la Manche, les îles anglo-normandes et l’Indre — œ
< ey) dans la Hte-Saône, le Jura, la Côte-d’Or, la Hte-Vienne, l’Aisne,
la Somme, le Nord, l’Oise et les Côtes-du-Nord.
R e m a r q u e V. — *Papavu (1. cl. papaver) a donné régulièrement pavou
en vfr. Mais dès le xm e siècle on note à côté la forme pavot, qui est celle du
fr. mod. Pavot peut s’expliquer par l’adoption de l’ancienne finale -çl < -ôllu
à l’étape pavç. Mais après ce qu'on vient de voir dans la remarque précé
dente, on peut aussi songer à un emprunt dialectal.
Au Au
o (xi® siècle) au
(vfr. gr, chgsç) (vfr. lof, lo)
ag
o
J
DIPHTONGUES 301
5 o
(fr. mod. aube) (fr. mod. travaux)
R e m a r q u e II. — Les mots en -ail ( < aliu, -alliu ou -acülu) qui exis
taient déjà dans la langue au moment de la vocalisation complète de / anté-
consonantique ont eu régulièrement en v. fr. le cas sujet sing, et le cas
régime plur. en -aus ----- aus. C’est le cas, outre le mot travail, de ail < alliu,
mail < malleu, v. fr. espirail < spiracülu, gouvernail < gübernacülu, v. fr.
plumail < *plumacülu (refait sur pluma d’après plnnacülu ; cf. v. prov.
plumalh, cat. plomaïï), soupirail < *süspiracülu (refait sur süspirare d’après
spiracülu ; cf. v. prov. sospiralh, cat. sospirall), tramait — trémail < *tre-
macülu. A cette liste, il faut ajouter les postverbaux d’origine ancienne
comme bail, détail, épouvantail (v. fr. espoenlail), fermait, vantail (v. fr. ven
tait), etc., refaits d’après baillier < bajulare, détailler < *dlstaleare, épou
vanter (v. fr. espoenler) < expaventare, fermer < flrmare, venter (de vent),
etc. Après la disparition du cas sujet sing., il n’est plus resté que l’oppo
sition sing, -ail : plur. -aus (auj. -aux). Cependant le pluriel a éprouvé de
bonne heure une tendance à se modeler sur le singulier et -aus a pu être
remplacé par -ails. C’est ainsi qu’on a en fr. mod. mails, gouvernails, tré-
mails — tramails, détails, épouvantails, fermails, en face de travaux, sou
piraux, baux, vantaux. Lanoue (1596) donne déjà espouvantails et gouver
nails, tandis qu’un peu plus tard Malherbe dit encore espouvantaux. Ce
ne sont pas là les seuls exemples de remplacement de -aus par -ails : Lanoue
cite de plus bails, soupirails et travails qui n’ont pas été retenus. Ces plu
riels analogiques en -ails s’expliquent d’ailleurs soit par un emploi plus
fréquent du singulier (cf. gouvernail, tramail, épouvantail, fermait), soit
par l’action de formes correspondantes en ƒ (cf. mail : maillet, détail : détailler,
bailler étant tombé en désuétude n’a pu conserver bails). Des doublets
peuvent exister. A côté de travaux, on a travails qui se dit en parlant d’une
machine à ferrer les chevaux. De même ail fait au pluriel ails et aulx dans
les grammaires ; mais aucune de ces formes n’est en réalité vivante, l’usage
étant d’employer le partitif singulier (de l’ail) au lieu du pluriel. Quant
aux mots d’emprunt en -ail, ils ne font jamais le pluriel en -aux. Cela
s’explique par le fait qu'ils ont été et qu’ils sont surtout employés au
singulier ; cf. camail xive s. (< prov. capmalh), sérail xve s. (< itàl. ser-
raglio qui vient lui-même du persan sdrâi « palais, maison »), caravansérail
xvm e s. (altération d’après sérail d’un plus ancien caravansêrai < persan
karwân-sürâi « maison de caravane »), trenail (l’angl. treenail) et chandail
(aphérèse de marchand d’ail) xix° s., etc. Si cependant le pluriel de rail
xixe s. (< angl. rail), beaucoup plus employé que le singulier, est rails,
c’est probablement sous l’influence du verbe dérailler.
13
302 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CO N TA T C )
R emarque III. — En face de mal, cheval, vassal, élal, loyal, royal, etc.,
formes qui existaient déjà dans le lexique avant la vocalisation complète de
I antéconsonantique et qui par comé-quent ont un pluriel régulier en -aux
(v. fr. -aus), la langue possède un très grand nombre de substantifs ou
d’adjectifs en -al, savants ou d’emprunt, introduit postérieurement à ce
changement. Sur le modèle de mal : maux, cheval : chevaux, etc., la plupart
font le pluriel en -aux ; cf. impérial, bestial, spécial, pascal, canal, etc.
x iie s., initial, provincial, nuptial, banal, etc. xni° s., filial, radical, local,
légal, journal ( < ital. giornale), cardinal ( < ital. cardinale), etc. x iv e s.,
cordial, primordial, pontifical, ducal, seigneurial, etc. x v e s., proverbial,
jovial, médical, national, bocal ( < ital. boccale), caporal ( < ital. caporale),
madrigal ( < ital. madrigale), fanal ( < ital. fanale), piédestal ( < ital.
piedistallo), etc. x v ie.s., armorial, social, oral, confessionnal ( < ital. confes-
sionale), etc. x v n e s., amical, vocal, décimal, normal, machinal, etc. x v in e s.,
familial, génial, fluvial, global, tropical, etc. x ix e s. Mais pour certains
le pluriel, plus ou moins usité, s’est réglé, lorsqu’il s’emploie, sur le singu
lier et se fait en -als ; cf. bancal x v m e s. (refait d’après banc), carnaval
x v ie s. ( < ital. carnevale), chacal x v m e s. ( < turc faqâl), fatal x iv e s.,
festival x ix e s. ( < angle festival), final x iv e s., narval x v n e s. ( < danois-
suéd. nahrval), naval x m e-x iv e s., nopal x v ie s. ( < cast, nopal), régal
x v e s. ( < ital. regalo ; en 1314 régale), serval xviii0 s. ( < port, serval).
Pour d’autres c’est la crainte d’une homonymie fâcheuse qui a pu empêcher
un pluriel en -aux ; cf. cals (de cal x iv e s. < callu), pals (de pal x m e s.
< palu, originaire de l’Ouest ou du Midi), chorals (de choral x ix c s., dérivé
de chorus), qui se distinguent ainsi de [A-ps], ancienne prononciation de
coqs, de peau — peaux et de coraux, plur. de corail. C’est sans doute pour
une raison identique que l’ancien pluriel baus (de bal x n e s., postv. de
baler) a été abandonné pour bals, lorsque bellu a fini par aboutir à beau.
II faut noter qu’un certain nombre de mots qui ont aujourd’hui leur pluriel
en -aux l’avaient autrefois en -als. En 1596, Lanoue cite bocals, canals,
madrigals et vassals et le Dictionnaire général (1897) donne encore doc
torats, patronats, théâlrals, transversals, virginals. Idéal qui fait seulement
idéals d’après le même dictionnaire a naturellement un double pluriel :
idéals et idéaux. Enfin quelques pluriels en -aux n’ont plus aujourd’hui
de singulier ; cf. universaux (v. fr. universal), matériaux (v. fr. material),
{psaumes) pénitentiaux (v. fr. pénitential). Inversement, astral n’a pas
encore de pluriel.
Les réfections en -ail {bercail, bétail, corail, émail, poitrail, portail, vitrail)
ou en -au {matériau dans le langage technique) ont été déterminées par
des pluriels en -aux, cf. vol. III : Conson.
R e m a r q u e IV. — Spatula, devenu *espadola, s’est syncopé en *espadle.
A cette étape, une interversion a pu se produire, d’où *espalde qui a donné
naissance au v. norm, espaude, parallèle au cast, espalda. Mais le groupe
-dl- a passé aussi à II, d’où une vocalisation du premier élément de la
géminée le fr. épaule. Cependant à côté de cette dernière forme, il en existe
une autre qui ne suppose pas anciennement de diphtongue ay. ; cf. wall.
spâle, poit., saint, épâle. La. différence entre ces deux séries de formes
tient sans doute à l’époque à laquelle s’est constitué le groupe II à partir
de dl. Lorsque la syncope a été ancienne dans *espadola, la géminée II
( < -dl-) a été traitée comme II primaire latin ou germanique ou comme II
résultant de l germanique dans le cas de eschale, salle (p. 233) : il s’est
simplifié en / avant l ’époque de la vocalisation de l antéconsonantique.
Quant à Yâ {a postérieur) que l’on note dans les formes wallone, poitevine
et saintongeaise, il est normal devant l. Lorsque au contraire la syncope
a été plus tardive, le groupe -dl- a abouti à II, après la simplification de
la géminée primaire II : ses deux éléments se sont maintenus jusqu’au
moment de la vocalisation de / antéconsonantique, et on a eu alors *espayle,
d’où le fr. épaule.
R e m a r q u e V. — Il est évident que le fr. saule ne peut continuer le
lat. snllce qui a donné en v. fr. sauz et sausse (pp. 465, 467), continués
le premier par -saux dans marsaux « variété de saule » ( < mare sallce),
le second dans saussaie. De même, Gaule ne peut remonter au lat. Gallia,
D IPH TO N G U ES 303
qui aurait donné phonétiquement Jaille ; cf. La Jaille < Gallia (villa),
de Gallius lieu attesté dans la Loire-Inférieure, La Haute-Jaille, La Basse-
Jaille dans la Mayenne. Il est probable que saule et Gaule proviennent
de types franciques *salha et *Walha, avec h représentant une spirante
vélaiVe sourde, devenus *salla et *Gwalla, et de là *saitZa, *Gwaula.
R e m a r q u e VI. — Le v. norm, espaude a son pendant dans les formes
du type saude, signalées dans l’Ouest, cf. actuellement sâod, sdodr, sôdr.
Saude pourrait s’expliquer par une assimilation de h en d au contact de Z
dans *sahla ; d’où *sadla qui se serait ensuite interverti en *salda, comme
*espadla l’a été en *espalda.
R e m a r q u e VII. — Le substantif gaule pourrait s’expliquer par une
romanisation du frc. *wâlu, tout d’abord en *gw la (le mot étant féminin),
puis en *(jwâlla, avec -II- provenant du fait que a bref n’existait plus en
gallo-roman qu’en syllabe fermée ; d’où, par suite de la vocalisation du
premier élément de la géminée -II-, *g(w)ayle.
R e m a r q u e VIII. — Au moment où la géminée secondaire II est devenue
y.1 dans espalle > espaule, il y avait longtemps que II s’était réduit à Z
dans les continuateurs des types franciques *balla, *eskalla (p. 233), *halla
et *salla (p. 233) ; d’où balle, v. fr. cschale, halla et salla. Le toponyme
Haulle, qui se rencontre six fois dans le départ, de l’Eure, pourrait devoir
son vocalisme, identique à celui de épaule, à l’importation tardive de halla
par les Normands. La géminée II aurait eu le même traitement que dans
espalle.
R e m a r q u e IX. — En face de Gaule < frc. *Walha et de saule < salha,
.on a cependant matte, bien que le type francique correspondant ait dû
être *malha. Sans doute s’agit-il ici d’un mot qui a pénétré tardivement
dans le lexique, à un moment où le groupe th s’était réduit à Z. L’introduction
aurait été dans ce cas postérieure à la diphtongaison de a accentué en syl
labe ouverte.
R e m a r q u e VI. — Il n’est pas dit que dans tous les cas cet [u] provienne
directement de ou. Ainsi les rimes du type -or ( < -ôre) : jor ( < diürnu.)
qu’on note au moyen âge en picard et en wallon témoignent que dans ces
dialectes oy a pu se réduire à o, d’où [u], devant un r implosif. Les mêmes
rimes se rencontrent en Champagne et dans l’Ouest. Mais en lorrain, en
bourguignon, en franc-comtois et dans les parlers de la bordure méridio
nale du domaine d’oil, il est certain que la réduction n’a pas eu lieu d’une
façon générale, étant donné le résultat [u] dans les continuateurs de -ôre :
ç se serait conservé tel quel ou se serait diphtongué, comme c’est arrivé
dans les coins où la réduction de oy a eu lieu ; cf. par exemple jyer < floret
dans certains parlers lorrains de’ la Meurthe-et-Moselle.
Par contre une réduction commune à l’ensemble du gallo-roman septen
trional est celle de oy devant une labiale ; cf. cübat > couve, lüpa > louve,
Lupara > Louvre, r bore > rouvre. Même réduction dans douve, qui pro
vient de *doga (REW 3, 2714) par les intermédiaires *doyya, *doywa,
*douva, v. fr. dove.
R e m a r q u e VII. — On peut noter phonétiquement d’autres résultats
que ce ou [u]. C’est ainsi que ou a pu se différencier en çu et de là aboutir
à aii ou à ç. On trouve encore actuellement çu dans la région de Metz, ay
dans la Meuse (Dombras, Tannois, etc.), ç en picard.
Il convient aussi de rappeler la forme le < lupu qui se trouve dans
Aucassin où elle rime avec aler, ramé, planté, assez. Peut-être faut-il penser
ici à une différenciation de œu en ey qui aurait pu se produire dans cer
tains coins du picard, où elle aurait été suivie d’une réduction à e. Le
phénomène serait comparable à celui que l’on constate dans le parler franco-
provençal d’Abondance (Hte-Savoie) où, sauf le cas de la terminaison
- ne représentée par [u], la diphtongue çy a abouti à ç et où précisément
on a lg < lupu.
R emarque VIII. — Là où à droite et à gauche de la zone délimitée plus
haut on a œ, il s’agit d’un phénomène d’importation. Cet œ a pu d'ailleurs
évoluer dans la suite. Il a pu développer un y comme dans aœy « deux »
(Montier-sur-Saulx, Meuse). D’autres fois c’est ûn ÿ que l’on note après lui ;
cf. la carte 396 (deux) de l’ALF. au p. 315 (Sarthe). Le phénomène se cons
tate d’ailleurs à l’intérieur de la zone ; cf. [dœy] au p. 296 (Pas-de-Calais).
D’autre part, œ a pu se former en [ ü] ; cf. par exemple [fçtçyü] « festoyeurs »
à Bournois (Doubs), [su] «seuls » à Germalles (Saône-et-Loire), [vulü] « vo
leur » à Amancey (Doubs), etc. Enfin, œ a pu se délabialiser et passer à e ;
cf. par exemple affrê, -êse « affreux, -euse » à Petitmont (-Meurthe-et-Mo
selle), névé « neveu » à Lorquin (Moselle), etc.
Les emprunts à la zone centrale ont d’ailleurs pu se faire d’une façon
inconséquente. On trouve chez Chrestien de Troies leu à côté de lo < lüpu,
neveu, queuz < *côtis (1. cl. côs), seus < sôlus à côté de -or < -ôre, gole <
güla, sole < sô la —, hureux à côté de oure < hôra h Baume-les-Dames
(Doubs) —, coraigeu à côté de heurouse dans certains coins de la Saône-et-
Loire, etc.
R e m a r q u e IX. — Inversement le français a fait quelques emprunts
aux parlers en fu] ; et. loup pour leu (conservé encore dans la locution à la
queue leu leu), ouïe pour eule < *öla (l. cl. ôlla).
Pour amour, jaloux et époux, en face de ameur < amôre, jaleux < zelôsu
et espeus < spô(n)su, espeuse < spô(n)sa attestés quoique rarement en
vfr., on invoque soit une réfection sur amoureux, jalouser — jalousie et
épouser, soit un emprunt en v. prov. amor, jelos. espos, espose, emprunt qui
aurait été déterminé par l’influence de la lyrique d’oc sur celle d’oïl. Mais
il peut se faire qu’amour, jaloux et époux — épouse proviennent de la
Champagne orientale, centre courtois de première importance, où ces for
mes étaient normales. Amour lorsqu’il s’est conservé en vfr. a pris le sens de
« ardeur amourcuse des animaux ». Pour l’a de jaloux, cf. p. 454,
308 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)
Sont sûrement empruntés aux parlers du Midi prou (dans peu ou prou)
correspondant au fr. preux < prode, pelouse (= pilöse), vfr. louse «jeune
fille » (= tönsa), Toulouse (= Tolôsa), vfr. velous — fr. mod. velours ( =
vlllôsu), ventouse correspondant en vfr. venteuse (chez Commynes).
Quant à proue, il provient du génois prua < prôra, avec chute régulière
de r intervocalique.
R e m a r q u e X. — En picard et en wallon où la triphtongue * ûou avait
maintenu son accent sur le premier élément, on n’a pas eu de diphtongue
oy dans les continuateurs de föcu et sarcôphagu. Ici * ûou s’est réduit à
*ûy, d’où d’abord [u], puis [«] : Fü « feu » survit encore dialectalement çà
et là à côté de la forme française importée.
*tÔîl(ï)ta, oçlte < vol(vï)ta, etc. Pçls < Paül(u)s et le plur. chçls
< caul(e), les plur. cçls < *côll(e)s, fçls < fôll(e)s, mçls <
môll(e)s, etc.
Il faut encore ajouter mçlle < mod(ü)hit, mçlle < *môd(ü)lu,
rçlle < *rot(ü)lat et rçlle < rôt(ü)ln.
Après la vocalisation de l, on a eu une diphtongue gu, qui est
devenue ou par suite de l’action fermante du second élém ent et de
là [u], comme la diphtongue ou8 dant il a été question p. 308. D ’où
actuellem ent couche, coup, moudre, pouce, (ab)soudre, sou, ( ab )-
soute, voûte, les plur. choux, cous, fous, mous, et (il) moule, moule,
(il) roule ; cf. encore en vfr. toudre, toute, Pous, subst. roule.
R e m a r q u e I. — Le nominatif Pous a déterminé en vfr. un cas régime
Pou (au lieu de Pol < Paulu), que Rutebeuf fait rimer avec tous < lat.
laus, mais qui ne s’est pas maintenu. Pous s’est conservé comme nom de
famille.
De même les pluriels chous (auj. choux), cous, fous, mous ont servi de
bonne heure à refaire des singuliers chou, cou, fou, mou, pour vfr. chol <
coule, col < côllu, fol < fölle, mol < mölle. Mais tandis que chol a disparu,
dès le moyen âge, col, fol et mol ont continué à s’employer. Aujourd’hui
mol n’est plus usité même devant un mot à initiale vocalique, comme c’était
autrefois le cas. Le « mol oreiller du doute » de Montaigne n’est qu’un souve
nir littéraire. Col et fol existent pourtant encore, le premier avec une signi
fication différente de cou, le second seulement dans des expressions toutes
faites du même type que « mol oreiller » (cf. un fol espoir, un fol amour, un fol
orgueil, fol enchérisseur, fol appel) et dans le proverbe « qui fol envoie, fol
attend » où fol est substantif. La conservation plus ou moins prolongée de
mol et fol s ’explique donc par des conditions de phonétique syntactique.
Il n’en est pas de même pour col qui, vu sa signification (technique dans le
col d'une bouteille, d’une cornue, de l’utérus, etc. — , vestimentaire dans le
col d ’une chemise, un col, un faux-col) représente soit l’ancienne forme conser
vée par la langue savante, soit un emprunt à l’ital. collo.
R e m a r q u e II. — A côté de roule, le vfr. possédait un autre substantif
reoule < raole. Il s'agit probablement là, avec une dissimilation o — 6
> a — ô, d’un continuateur savant de rôtülu : *rodçlo pour *r(>dolo. Dans
cette dernière forme, le changement d’accentuation peut être dû à la
conjugaison : *rodolare ( < rötülare) a pu déterminer *rodplat d’après le
modèle colare : côlàt (fr. couler). Ni roule ni moule ne se sont conservés. Le
fr. mod. rôle qui les remplace provient d’une contraction vocalique dans
roçle, forme de même origine que la précédente, mais sans dissimilation
et avec un o accentué ouvert analogique des nombreux mots terminés en
-çle. Le vfr. roçle a son pendant exact dans le vpr. et cat. rodÿla < rotùlat.
R e m a r q u e III. — L’évolution a pu être différente dans les divers dia
lectes. Ainsi en picard (et surtout en picard central et artésien) o + / anté-
cons. a abouti au même résultat qu’en francien : ol a passé à çl, d’où çy,
çy, et finalement [u]- Mais l’p du groupe p + l antécons. semble s’être
ouvert en a postérieur ; d’où une diphtongue ay qui s’est réduite ensuite à
o ; cf. dans les anciens textes caup < cöl(a)pu, caus < pl. *côllos, faus
< pl. fôlles, maure < m ôl(e)re, saure < söl(vi)re, taut < töllit, etc.
Dans le lorrain des Vosges, où on constate aujourd’hui une distinction
entre les continuateurs de auscultât, cällru, mültu, pulvere, ultra,"avec [u]
et ceux de côl(a)pu qui supposent un type commun kg (cf. kôa, kœ, kwg,
etc.), il est possible qu’on ait eu anciennement le même phénomène qu'en
picard. O + l antécons. serait devenu çl, puis pj<, çy., uy, d’où finalement
[u] ; en effet [u]_ne peut pas provenir de o (y ) dans cette région. Quant à
ç + l antécons., il aurait abouti à o par l’intermédiaire de al et ay. Il faudrait
peut-être en dire autant du wallon oriental.
D IP H T O N G U E S 313
En wallon occidental, dans le reste de l'Est (la partie de la Champagne
attenante à la Lorraine y comprise), et dans la partie méridionale du Centre
et de l’Ouest, il semble que ç + l antécons. et q + l antécons. aient abouti
autrefois au même résultat. Cependant ce dernier diffère de celui du fran
cien. Ici aussi on a eu dans les deux cas ou, ou et o ; mais ce dernier ne s’est
pas fermé en [u].
R e m a r q u e IV. — L’ancien subsantif toute a disparu. A la place on
trouve -tôte dans maltôte, anciennement maletote. Il peut se faire qu’il
s’agisse ici d’un mot emprunté au picard, où l’on avait taute < toll(l)ta ;
en effet la maltôte fut levée en France en 1292 et dans les années suivantes
pour subvenir aux frais de la guerre de Flandre, et les Picards durent être
les premiers intéressés par le nouvel impôt. En tout cas, la forme francienne
maltoute, employée encore par le peuple de Paris au x vn e siècle (elle se
trouve aussi chez Scarron ; cf. maletoutier chez Furetière) ne représente pas
le vfr. toute. Elle provient de tote ( < pic. taute) par la même voie qui a fait
passer chçse à chouse dans la langue vulgaire (pp. 210 sq.).
On étudiera successivem ent les groupes yei, yçi, yai, y eu, weu qui
ne sont que de fausses triphtongues, leur premier élém ent étant
une consonne (y, w), et les vraies triphtongues, les unes avec leur
dernier élém ent palatal (içi, dgi, üçi), les autres avec leur dernier
élém ent vélaire (ieu, Un, éaii).
A. - F au sses trip h to n g u e s
>
T R IP H T O N G U K S 321
R emarque II. — Parmi les formes verbales, *recîpit (cl. réclpil) appar
tient ù la même catégorie que elefèjre et francisai. Ici Ve provenant de l
latin s’est diphtongué en ef ; mais cette diphtongue n’a pas été précédée de
y, le groupe tsy ( < ke latin) s’étant réduit à ts avant l’ouverture de f en e.
D ’où vfr. rcceù (auj. reçoit). On trouve cependant reciuure dans le SL Léger
et recivre en v. bourguignon. Mais le premier est sans doute une graphie
mérovingienne pour reccivrc < reclpère ; cl. le savir des Serments de Stras
bourg (p. 224). Le second peut correspondre à une véritable prononciation
et avoir été refait d’après sivre «suivre » par suite de la ressemblance qui
existait entre la finale de recevez et celle de sevez « suivez ».
R emarque III. — Le groupe tsy ( < lat. k e initial) semble s ’être réduit
de meilleure heure à ts non seulement devant l accentué, mais encore devant
un e inaccentué. C’est ainsi que *lsyelare ( < cêlare) a dû devenir *tselare,
pendant que tsy se maintenait encore dans *tsyëra ( < cëra). A son tour,
*tselare aurait ensuite déterminé *tsëlat au lieu de *tsy état. D ’où l’expli
cation du vfr. ceile, dont la diphtongue s’oppose à l’i de cire, cive et merci.
Quant au fr. mod. cèle, c’est probablement une forme savante qui n’a rien
à voir avec le vfr. çoile, continuateur de ceile.
R emarque II. — Le vfr. pigne ( < pëclinat) est devenu assez tôt peigne
sous l’influence de p eign (i)er ( < pectinare). De même, sous l’influence de la
conjugaison, le substantif pigne, encore usité au x v n e siècle, a cédé la
place à peigne.
vfr. par muir ; cf. encore vfr. muire < *môriat (cl. môriatur). Cependant
muir a cédé la place de bonne heure à meur(s), sous l’influence de la 2e et de
la 3e pers. sing, indic. prés. ; cf. vfr. muers, auj. meurs (< *môris), vfr.
muert, auj. meurt (< *môrit). La réfection de la Ire pers. sing, indic. prés,
a entraîné ensuite celle du subjonctif présent ; cf. fr. mod. (que je) meure,
(que tu ) meures, etc.
De même, à côté de la forme régulière (je) puis (< *pôssio), la langue
a développé une forme (je) peux, sur le modèle de la 2e et de la 3e pers.
sing, indic. prés. ; cf. (tu) peux (< *pôies) peut (< *pôlef). Cependant, à la
différence du cas précédent, (je) puis, bien que plutôt archaïque et litté
raire, n’a pas disparu.
R III. — D’après les continuateurs de node notés dans YALF,
e m a r q u e
R emarque I. — *Siqu ( < sêbu), *tiçtjla ( < *lëgiila), *riçula ( < *régüla),
*nîçnla ( < ncbüla), mentionnes p. 318, sont représentés régulièrement
en ancien francien par sieu. lieule, rieule, nieule. Tieule est encore attesté
pour le parisien par H. Estienne. Nieule se trouve lui aussi dans le Livre
des M esliers d’Est. Boileau, qui est de Paris. A ces formes correspondent
en picard d ’autres formes en -iu ( < -içii). Siu, liule et riule ont pénétré
en francien, où ils sont devenus suif, tuile, ruile" (cf. pp. 315 sq., 287).
Seuls suif et tuile se sont conservés.
R emarque II. — Le type içu ( < io, lat. (go p. 162), primitivement
accentué mais devenu peu à peu atone, a subi pour cette raison un certain
nombre de transformations dont les unes lui sont propres et dont les autres,
tout en étant communes aux autres mots en -ieu, se sont produites de
meilleure heure chez lui. C’est ainsi qu’il s ’est réduit à ie, comme il apparaît
d ’après la rime prie ie : -ie de Jacques d’Amiens. Il a pu aussi passer à yçy,
d’ou ieu que l’on trouve dans des textes bretons ou dans le Roman de Re-
nart. Il est de plus probable que la forme ieo du St-Alexis (ms. P) ou du
Roman de Rou (jusqu’au v. 4211) n’est qu’une graphie pour ieu. A son tour,
yçy a pu se réduire à ije. que l’on a dans l’ancienne particule affirmative oie
(=" ç < hôc + ye) et qui s ’est continué, après l’étape yi, dans la forme i
signalée encore de nos jours en Franche-Comté, en Bourgogne, en Niver
nais, dans le Jura et dans le Poitou.
Ce n’est pas cependant içu qui a donné naissance aux formes gie, ge du
francien ni au je du français moderne. Pour les uns et les autres, il faiit partir
non de eo, mais de eô, avec un déplacement d’accent dû probablement à
des conditions syntactiques (eo après le verbe, eâ devant le verbe), et dont
l’évolution a été étudiée pp. 162 sq.
R emarque III. — Fief et v. fr. eslrief « étrier » proviennent sans
doute d’une réfection sur v. fr. fiever « donner un fief », v. fr. fievé « feu-
dataire » et sur *estriever « chausser les étriers », *deseslriever « faire sortir
des étriers » (cf. la 3e pers. sg. ind. pr. deseslrive dans Raoul de Cambrai),
construits eux-mêmes sur fiçu, eslriçy, avec passage de -w- (-y-) à -v-.
TRIPHTONGUES 331
Dans la suite, estrief a perdu son ƒ final par analogie avec le plur. estrie(f)s,
d’emploi plus fréquent ; puis eslrié, estriés ont pris un r orthographique
sur le modèle des nombreux mots en -ier, -iers < -ariu, -arios ou -ëriu,
-ërios.
Quant à la diphtongue ie du v. fr. espiet « épieu », elle est d’origine
différente. Le mot paraît être emprunté au v. h. ali. spiez, avec ie prove
nant dès la fin du x e siècle de io issu lui-même au cours du siècle précédent
de eo < çy dans spëut. L’étape io est représentée d’ailleurs par le v. fr.
espiot, qui se retrouve chez Froissart. Le t final de espiel et de espiol s’étant
amuï de bonne heure, on a eu aussi des formes espiel (Ogier le Danois,
Blancandin, etc.) espiol (Partonopeus de Blois, etc.) avec un l orthogra
phique, qui peuvent s’expliquer à partir des pluriels espiés, espios dans
les parlers ou / s’était amuï purement et simplement au contact de s final :
les formes du type tes ( < talis) Rom. de Troie, ostes ( < hospitalis) Chrétien
de Troyes, fos ( < follis) Guillaume de Lorris, etc. (cf. Consonantisme),
écrits aussi tels, oslels, fols, etc, ont pu déterminer des graphies espicls,
espiols pour espies, espios, d’où des sing, espiel, espiol.
R emarque II. — Une fois fuis obtenu, il s ’est créé un cas régime singu
lier fuif, d’après le modèle vis ( < vïvus) : vif ( < v'vu). A son tour, fu if a
déterminé un féminin juive. On a aussi en vfr. un féminin grive, qui sup
pose un masculin *grif, refait sur gris d’après le même modèle.
L’analogie a pu intervenir et sous l’influence de juieu, cieu, grieu. Dieu,
Andrieu, etc., on a aussi en vfr. fuieus, cieus, grieus, Dieus, Andrieus, etc.
R . —
e m a r q u eDialcctalement, les résultats peuvent différer. De bonne
heure, -tçy/w- a pu se réduire à -ty.jw-, pour lequel deux possibilités se
présentent : ou bien, le groupe -ufw- s'est simplifié en w, d’où v. fr. triwe
(Iriue), iwe —, ou bien, -iu/w- a passé à -iu/u- et de là à -iv-, d’où v. fr.
irive, ive. D’autre part, là où -ieu/w- a conservé son e médian, on a pu
avoir une autre évolution que celle qui a été indiquée plus haut : le groupe
-ufw- s’est simplifié en w, d’où v. fr. triewe (trieue).
âge la 3e pers. plur. ind. prés, suient (Partonopeus, Brut, de Munich, etc.)
analogique de suit —, l'infinitif suire, d'où provient suir (Aucassin, Aiol,
Chevalier as deus espées, etc.) d’après fui, fuis, fuit : fuir — sui, suis, suit :
TRIPHTONGUES
(ou Hue), live, lieve (d’où leve au Sud-Ouest), parallèles ù v. fr. triwe, iwe-,
lrive. ive-, trieve, et qui remontent ;\ un type de base *liçu/wa provenant
lui-mème de *lègua, métathèse de leuga. Pour l’évolution de *liçg/wa,
et, p. 332, rem.
pieux. On trouve aussi dialectalement au Moyen âge des formes liel, quid
refaites sur les pluriels tiegs, quiegs.
que celle de nöcui, nôcuil, *nôcucrunt, a cependant abouti au vfr. à pot. pol.
pourent. Cette différence s’explique sans doute par le caractère^ proclitique
du verbe pouvoir. L’accent s’est déplacé de bonne heure sur l’élément mé
dial et, dans wçu qui en est résulté, le w s’est amuï au contact du p précé
dent ; d’où *pçiavi, pçuwet, pgtiwerenl qui, après la réduction de -w !tv- à
-w- sont devenus *pgjoi, *pç.oel, *pQJoerent et finalement poi, pot pouronl en
vfr.
Dans les mots de la seconde série, ùgii qui avait maintenu ses
trois cléments a passé successivement par uçu et üeu pour aboutir
à wçu
Le nouveau groupe weu a eu une évolution différente suivant la
nature de la consonne précédente.
Après ƒ ou k, il s’est réduit à eu, d’où ensuite œii et œ dans feu
< *fceu < *feu < *fweu, queux < *kœu < *À*eu < *kweu, vfr.
surkeu < *sarkoeu < sarkweu (auj. cercueil).
Après les autres consonnes, weil a conservé tout d’abord son të.
Mais ce dernier a fini par se délabialiser en y par dissimilation avec
u, d’où yçu, yœu et finalement yœ dans lieu < *lyœu < *lyeu <
*lüru, Drieux < *Dryæu < *Dryçu < *Drüçu, vfr. gieu < *d:yœu
< *d:yeu < *d:ü'eu. Enfin, par suite de la fusion de y avec la
prépalatale précédente, gieu est devenu jeu. Après le groupe
explosif dr-, y a passé ultérieurement à i dans Drieux.
la chute de ü> dans wey. ; d'où leu, qui est par exemple chez Ruteheuf.
R II. — La forme fu du picard, du wallon et de l’anglo-nor-
e m a r q u e
s’expliquer soit par la chute de c médian dans un type liçy, soit en parlant
encore d’un type *lüey. Au contact de ü et de u, l’e médial a pu se fermer
en i ; d’où *lûiu, qui a passé à *lwiu et de là à liu.
R IV. — Enfin le premier élément de la diphtongue primitive
e m a r q u e
de *jçowo < fôcu semble ne pas s’ètrc fermé en ü comme dans ♦mpo fa
( < môla) > *mûola, sous l’action dissimilatricc du w suivant. Dans ce
cas, il n’a pu y avoir de triphtongue ùçu, mais simplement une diphtongue
çy. Ce serait l’explication de la forme jou que l’on trouve par exemple dans
la Ste Eulalie, dans Y Alexandre d’Albéric de Besançon, et même dans le
Roland (dans ce dernier texte avec cous et sarcou) ; cf. actuellement [sçrk ü]
en lorrain.
les dialectes d’oïl. C’est ainsi qu’on note encore aujourd’hui des formes en
-ça dans le Sud-Ouest et des formes en -ço dans la même région et dans le
Nord-Ouest. Les premières supposent une réduction de au inaccentué à
a, et les secondes la monophtongaison de au en o. Dans le Nord, on trouve
aussi -ço et -çu, mais de plus -e$ qui s’explique par un déplacement tardif
de l’accent et -epy, avec dégagement caractéristique de y, après une voyelle
vélaire finale.
Dans aloèatis ( < alauda + ëllus, -os), boéatis ( < botëllus, -os),
chaéaus ( < cal ëllus, -os), flaéaus (< flagéllus, -os), hoéaus ( < gérai.
hauwa + ëllus, -os), praéaus (< pralëllus, -os) et tuéaus ( < frc.
*poia -f ëllus, -os) dans lesquels la triphtongue çau était précédée
d’une voyelle, l’ç de Çau, après être devenu inaccentué, s’est fermé
en y non seulement dans la langue vulgaire, mais encore dans la
langue savante ; d’où boiaus, chaiaus, flaiaus, hoiaus, praiaus et
tuiaus, continués aujourd’hui par aloyaux, boyaux, fléaux, hoyaux,
préaux, tuyaux qui ont déterminé des singuliers aloyau, boyau, fléau,
hoyau, préau, tuyau.
338 A R T 1C U L . DES PH ONÈM ES V O IS IN S (A C T IO N S AU CONTACT)
Deschamps, mais qui n’a pas été accepté par la langue. Par contre on trouve
en fr. mod. chiot, comparable pour le développement phonétique à fliau.
A côté de fléau et fliau. il a existé aussi une forme flceo. Elle est attestée
d’une façon très nette dans le Dictionnaire de Trévoux : « Fléau. y lit-on,
ne se prononce guère que comme une syllabe dans le discours ordinaire. Je
dis presque, parce qu’en effet on fait un peu sentir l’e même dans la prose,
& pour les vèrs on fait toujours fléau de deux syllabes ». Sans doute faut-il
expliquer flceo par une labialisation de l’e de fléau, analogue à celle qui s’est
produite pour beó > bceô dans la langue savante. De plus, parallèlement
a bceô > bo, on a eu encore flceo > flo. Cette forme est signalée par Lanoue,
Hindret, De la Touche, etc.
R IT. — Dans çwç < aqua (p. 204), l’ç s’est aussi segmenté
e m a r q u e
A. — L a voyelle a c c e n tu é e p e rd son a c c e n t
Le cas s’est déjà produit dans le latin parlé dans le cas de part He
abiële, ariëte, multere et dans celui des mots terminés en -îolu ou
-4ôlu (cf. fïliolu, linléôlu, etc.).
L’accent s’est déplacé sur la voyelle dont l’audibilité était la plus
grande, et on a eu ainsi tout d’abord pariéte, ablele, arïHe, muliére,
fïUólii, lintëdlu, etc., puis, par suite du passage de i devenu inac
centué à y et de la fermeture successive de ë devenu lui aussi
inaccentué à 1 et y, paryéte, abyéte, aryéte, mülyére, fïlyólu, llnlyôlu,
etc.
à fait disparu au xvie siècle. Trahistre par exemple est encore donné par
Lanoue en 1596.
R II. — Le déplacement n’a pas eu lieu dans un certain nom
e m a r q u e
bre de mots qui présentent pourtant la même structure : cf. -a /;- dans
ébahir, envahir, haïr, trahir et naïf. C’est sans doute l’action analogique
des autres infinitifs en -ir ou des formes nominales en -if, avec i précédé
de consonne, qui en est cause.
R III. — Dans pays < payrfnjse, l’accent s’est aussi main
e m a r q u e
tenu sur i, sans doute sous l’influence des mots terminés par consonne
-f ifs J. Ce qui ne veut pas dire toutefois que le fait ait été général dans
l’ancienne langue. La prononciation pays est attestée pour la fin du xve siè
cle ou le début du xvie ; cf. p. ex. Picot, Soties, XXII, 54. Pour I’[e] de [per]
qui s’oppose à l’a de haïr, trahir, etc., cf. p. 43S.
riens indiquent pour certains mots une prononciation [ap] ou faô]. Duez
(1639) dit que l’a subsiste dans paonnesse et à propos de taon, il écrit : «Dans
thaon quelques-uns ne prononcent pas l’a, d'autres ne prononcent pas l’o ;
il vaut mieux ne passer ni l'un ni l’autre, mais seulement l’A. et prononcer
taon ».
vfr. Deus avec un ç qui assonne dans les plus anciens textes avec l’ë
provenant de a accentué en syllabe ouverte (p. 262).
Tüüm et süüm accentués (dont la réduction à *tüm et *sum a été
évitée ; cf. p. 16S) sont devenus tout d’abord *tüom et *süom, la
tendance à l’ouverture s’étant exercée en premier lieu sur le second
ü, pour la raison qu'il était inaccentué. Avec *tüom et *süom on
rentre dans le cas étudié présentement. Alors que crüsta passait à
*crosta, l’ü s’est conservé ici pour éviter une succession op qui
aurait abouti à ô.
R . ;— Ultérieurement, le groupe ûo de *luom, *suom a suivi
e m a r q u e
A. — Action labialisante
B . — A c tio n v é la r is a n te
C. — A c tio n p alatalisan te
16
350 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S AU CO N TA CT)
anciens textes picards et wallons, dans lesquels c’est une voyelle inaccentuée
qui s’est segmentée. C’est sans nul doute l’action ouvrante des consonnes
implosives qui est à l’origine de la diphtongaison.
Mais il faut spécifier. Au début, r et s devaient se prononcer comme en
latin avec la pointe de la langue soulevée contre la région dentale ou alvéo
laire. Actuellement, dans le français parisien du moins, ils s’articulent avec
la pointe de la langue contre les incisives inférieures : la partie post-dorsale
de cet organe est plus ou moins soulevée.
C’est un déplacement d’articulation du même genre qui explique que e et
p aient pu se diphtonguer dans les mêmes parlers.
Tant que r et s étaient apicaux, le dos de la langue était relativement
abaissé : c’est alors que p a pu s’ouvrir en po. Avec le changement d’arti
culation, le dos de la langue se soulevant, c’est la pointe qui s’est abaissée :
alors g a pu s’ouvrir en gs. D’où ensuite ûo, ie et les continuateurs. Ainsi
donc la diphtongaison de p serait antérieure à celle de e.
La tendance à la diphtongaison et le déplacement d’articulation peuvent
être plus ou moins anciens suivant les dialectes ; c’est sans doute dans le
même ordre que les phénomènes ont eu lieu.
L’absence de diphtongaison dans le cas de p en picard peut s ’expliquer
par le fait que la tendance à la segmentation étant venue relativement tard,
r et s étaient déjà plus ou moins articulés avec le dos de la langue soulevé
dans ce dialecte, lorsque la tendance est survenue.
D ’autre part, si le wallon connaît la diphtongaison de e dans bel > biel
et l’ignore dans le cas de belle et terre, ce peut être un signe qu’au moment
de la segmentation les géminées s’étaient déjà plus ou moins simplifiées
dans ce dialecte et que ç se trouvait alors devant une consonne explosive
+ voyelle.
Quoi qu’il en soit, la diphtongaison conditionnée dont il est question ici
est postérieure à la réduction de ie provenant de la diphtongaison spontanée
de g roman (p. 267) à i ; d’où l’opposition du type fyer < fèrru : fi < fera
que l’on note un peu partout. Elle est aussi postérieure à l’ouverture de e en e
dans cercle < cïrcùlu et evesque < episcopu (p. 247), puisque le nouvel <? a
pu passer a ie dans derde et (e)viesque ; cf. encore [fya] ou (fyar] < ferme
ferme ( < fïrmat) dans le Ht-Rhin, le Bas-Rhin et dans quelques coins des
Vosges. La présence de gierbe en v. picard, dans le cas où gi- n’est pas une
simple graphie pour [dij, indiquerait qu’elle est enfin postérieure au pas
sage de jarbe < frc. *garba à gerbe, qui lui-même suppose le phonétisme
er- > ar. (pp. 348 sq.).
Il faut signaler enfin la diphtongaison dialectale d’un ancien p ( < lat.
ô, ü en syllabe fermée) devant un r implosif. Les premiers exemples que l’on
puisse noter se trouvent dans les Moralia in Job, en wallon ; cf. cuert < côrte,
fuer < diürnu, tuerbes < lürbas. Le phénomène apparaît aussi en lorrain
dans certains parlers du cours supérieur de la Moselle (cf. p. ex. [A'tror],
[Atrp/J, [A*u>p], [ku>ç] < cürtu, [/mpy]. [fwç] [ƒ«?£] < fûrnu, [firc] < lùrre, etc.),
dans le Doubs (cf. à Fourgs : [fwç] « four ». à Besançon au x v in e s. couol
« court », louot « tour »), dans le Jura (cf. à Crans [fxro] < *bürgu, [aftap]
« autour », à Exincourt [în>ç] < diürnu, Adinkwe « Audincourt »). Des for
mes actuellement monophtonguées permettent de l ’étendre plus loin : cf.
p. ex. [.-p] « jour », [Ao] « court », [/p] « four », [fp] « tour » à Bourberain
(Côte-d’Or). De même on trouve aujourd’hui encore touome « tourne » dans
le Bessin et [-’oçr] » jour » à Guernesey.
L’action exercée par une consonne nasale sur une voyelle accen
tuée précédente est double. Dans tous les cas, la voyelle s'est
nasalisée. De plus, et antérieurement à la nasalisation, on note
pour certaines voyelles un mouvement de fermeture.
354 A R T IC U L . D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )
A. — A ctio n f e r m a n t e
lectale qui aboutit à [f/1 ; cf. p. 360. D ’autre part, étant donné que le v.
prov. a temps < *tqmps, sempre < *sqmpre ( < sëmper), cent < *cqnt,
rent < *t>çn/, contra < *cçnlra, comte < *cçmte, etc., il est probable que
le français qui a fermé p en o devant une consonne nasale implosive, a
fermé aussi ç en e dans_les mêmes conditions.
R e m II. — D ’aucune façon, il ne peut s ’agir ici de conservation
a r q u e
du timbre fermé de <ret ö latins (pp. 193 sq.) sous l’action de la consonne nasale.
Les formes du vfr. cendre < ctnere, fendre < flndêre, etc., avec è, montrent
bien que l’ouverture de i latin en e (et par conséquent celle de ü en o) est
antérieure à l’action fermante de m ou de n : dans le cas contraire, on aurait
eu en vfr. *cindre, *findre. etc., avec ï. La diphtongaison de ç dans pçdc
> *pi-.de ( > pied) est aussi plus ancienne ; ce qui explique que, malgré
]’m implosif, rçm ait pu devenir *rçim ( > rien). Il s’ensuit que Vë et l’p ont
dû s’ouvrir tout d’abord dans vëntu, ponte, etc. Ainsi donc, l’action fer
mante exercée sur les continuateurs de vëntu, ponte, etc. n’est pas conser
vatrice, mais positive.
Re m III. — Si l'action fermante de m, n implosifs n’a pu s’exer
a r q u e
IL — Action nasalisante
Les consonnes nasales ont agi tout d’abord sur les voyelles
précédentes par anticipation de leur articulation linguale (p. 355).
Mais on a vu qu'elles étaient caractérisées aussi par rabaissement
du voile du palais. A son tour, cet abaissement s’est mis à se
produire, par anticipation, pendant la tenue vocalique, d’où créa
tion d'un nouveau système de voyelles inconnues jusqu’ici dans
la langue, les voyelles nasales.
Mais le phénomène île nasalisation s’est doublé d’un autre : au
fur et à mesure que les voyelles se sont nasalisées, leur substrat oral
s’est ouvert dans le cas de ç, <\ ii, et vélarisé dans celui de à.
De plus, un phénomène inverse s’est produit : à partir d’un cer
tain moment, les voyelles nasales se trouvant encore devant un n
ou un m prononcés sont redevenues orales.
On étudiera donc successivement les phénomènes de nasalisa
tion, les phénomènes d’ouverture ou de vélarisation survenus dans
le substrat oral des voyelles nasales et enfin les phénomènes de
dénasalisation.
1° N asalisation. — Tandis que pour une voyelle ou une
consonne orale le voile du palais est soulevé contre la paroi posté
rieure du pharynx, occupant ainsi une position qui empêche l’air
des poumons de passer dans la cavité nasale, pour n, n et m il est
au contraire abaissé contre la racine de la langue : une faible por
tion de l'air pénètre ainsi dans la cavité buccale d’où il ne peut
s'échapper à cause du barrage formé par les lèvres ou la langue;
mais le gros du courant expiratoire s’écoule par les fosses nasales.
L’abaissement du voile du palais s’opère en particulier par la con
traction des muscles glosso-staphylins, insérés d’une part sur
l’arrière langue et de l’autre sur le voile du palais. Que dans un
groupe voyelle orale -f- consonne nasale cette contraction n’attende
pas pour se produire l’articulation de la consonne nasale, mais
anticipe sur elle, la voyelle orale se met à prendre un timbre nasal,
plus ou moins marqué suivant que l’anticipation est plus ou moins
considérable.
La tendance «à l’anticipation a débuté pour toutes les voyelles
à la fois, quel que soit leur timbre. Mais cela ne veut pas dire qu’elle
ait abouti dans tous les cas avec la même rapidité. Certaines condi
tions ont pu, en effet, la favoriser ou la retarder. Ainsi, il est natu
rel d’admettre qu’à égale qualité de timbre vocalique, l’anticipa
tion a été plus précoce lorsque la consonne nasale était implosive.
De même, à égalité de conditions syllabiques, certaines voyelles
ont dû s’en accommoder plus facilement que d’autres. Cette diffé
rence de comportement tient au degré d’élévation du voile du pa
lais et au degré de contraction des muscles élévateurs de cet organe,
qui caractérisent chacune des voyelles orales. A ce point de vue ces
voyelles se laissent classer de la façon suivante : i et ii, u, oe, c et a
CONSONNE NASALE SUIVANTE 357
(i = élévation et contraction maxima ; a — élévation et contrac
tion minima). Les choses étant physiologiquement ainsi, l’antici
pation glosso-staphyline a dû aboutir plus tôt pour a et e que pour
les autres voyelles, et, comme l’abaissement du voile du palais se
traduit acoustiquement par la nasalisation, cette dernière a été
plus rapidement complète pour a et e que pour i et ü.
C’est ce dernier fait qui importe surtout. La nasalisation n’a été
en effet linguistiquement utilisable qu’à partir d’un certain degré
et lorsqu’elle est vraiment devenue sensible à l’oreille. La ten
dance à la nasalisation peut avoir commencé en même temps pour
toutes les voyelles : seul le résultat, la nasalisation plus ou moins
complète, compte pour la langue.
On étudiera successivement la nasalisation des voyelles et
celle des diphtongues.
a) Voyelles nasales
ë provient :
sperlïncii > esperlênc, subïnde > sovênt, celt. tarïnca > tarênche,
iïnca > lënche, *irïnta (cl. iriginla) > trente, vïnd(ï)cat > vènche
~ venge, gën(ë)ru > *gendre > gendre, gën(ï)tu > gènt, -mënte
> -ment (dans bonamënl, etc.), pënd(ë)re > pendre, sentit > sent,
tempus > tèns, iëmplu > temple, tën(ë)ru > *tendre > tendre,
trëm(ü)lat > *tremble > tremble, vëntu > vent, etc. ; — bênna >
bèn(n)e, gemma > gèm(rn)e, fëm(ï)na > *femme > *fèm(m)e,
sëm(ï)nat > *semme > sème, cütïnna > coèn(n)e, sïnnu > sèn,
*crënnu > crên, pënna > pën(n)e, synodu > *sïdonu > senne,
eelt. *vënna > vën(n)e, etc.
Parallèlement à a(s)ne, bla(s)me, etc. dont il a été question
plus haut p. 357, on a eu aussi au cours du x ie siècle balè(s)me
< baptïsma, chevè(s)ne < capïtine, carë(s)me < quadragesïma.
5
ô provient : •
ï provient :
ü provient :
1° De ü -f n final ou suivi de consonne orale ; cf. au xive s. :
un < ünu, fun < fûne, jëun < jejunu, alun < alûmen, flùn <
flümen, lëùn < legümen, fan < fûma — , range < rümïcal, esco-
mîmge < excommünicat, etc.
C O N S O N N E N A S A L E S U IV A N T E 363
b) Diphtongues nasales
Les diphtongues orales ai, ei, oi, üi, ie, üe, ou suivies de n, m,
n ont nasalisé leur second élément et sont ainsi devenues a-, ex,
tb, i-, ü- et Ü£, 9u-
Cette nasalisation est très ancienne. On verra p. 375 que dans
le St-Léger ai + consonne nasale assonne avec a dans les mêmes
conditions. C’est donc que vers la fin du x e siècle ai + consonne
nasale avait déjà nasalisé son a. Or cette nasalisation en suppose
une autre plus ancienne. En effet si l’a de ai a passé à à, cela
n’a pu être grâce au contact d’une consonne nasale suivante dont
il était séparé par i diphtongal, mais bien sous l’action de ce der
nier qui s’était nasalisé le premier au contact de ladite consonne.
Si dans le cas de ai + consonne nasale, la nasalisation de i
a été si précoce, il a dû en être de même pour Vi de ei, oi, üi et
aussi pour l’e diphtongal de i e, üe et pour Vu diphtongal de ou,
dans les mêmes conditions. La nasalisation de e diphtongal n’a
pas lieu de surprendre, puisque e accentué -f consonne nasale
s’est nasalisé lui-même au x e siècle (p. 358). Quant à celle de i
diphtongal, largement antérieure à celle de i accentué, elle s’ex
plique sans doute par la faiblesse articulatoire propre aux voyelles
diphtongales.
On a donc eu, dès le x e siècle, les diphtongues suivantes avec
second élément nasal : a-, ex, o-, üx, i-, ü -, ü%, pa. On va les passer
successivement en revue.
plana > plaine, rana > ra-ne, sana > saine, vana > va\ne ; —
*certanu > certain, *de-mane > dema\n, exame > essa-tn, fame >
ta\m, germanu > germain, manu > main, nonnane > nonaxn, pane
> paxn, planu > pla~n, ramu > ra\n, remand > rema-nt, sanu
> sain, sub(i)tanu > soda-n, vanu > vaxn, villanu > vilain, etc.
17
36t> A U T ïC .U L . D K S n lO N È M K S V O IS IN S (A C T IO N S A U C O N T A C T )
S{inl > m eant, *pinctu (cl. ph'In) > *pçnto > *p?int > pant,
ein g (è)re > *lsendre ; • *lseindre > candie, eonslrïngf ë)re. > *cos-
tnjndre > cost rand re, extïnguërc > *estendre. > *esteindre > es-
tandie, in gfu ï )ne > \ n n e ' > cine > fine, pïng(e)rc > *pendre
> *peindre > pandre, vïnc( ï)vc > *ventre. > veintre > ventre, clc.
lii'MAi^niK. — Pour lu terminaison -ons de avons ( = habPmus), de
vons ( debenms), etc., et", ci-dessus p. 3(55. La substitution de -iïmus à
émus se eonstnte aussi'5 là Ire pers. plur. du futur et du subjonctif ; cf.
chanterons et non *chantercins (< *eantarPmus), vfr. que nous chantons et
non que nous *chanteins (< cantêmus).
Pï
«r
Cette diphtongue provient de la nasalisation au contact d’un
n implosif du second élément d’une diphtongue iii issue elle-même
de la coalescence d’un ü avec un i résultant de la réfraction d’un
n final dans jüniu > *juno > jün > juin > / üj/ ï (vers le milieu
du x e s.).
Ui
biign < bönu, cügns < cömes, < sönu, tiignt < tond, bü^ne
< bona, süçiie < sönat, tiigne < tönat —, ii^rn < hämo. Cf. de
plus W^n, siign, avec les féminins correspondants tijgne, sügne.
R . — Dans les dialectes où la palatalisation de |u] a été rela
e m a r q u e
«œ
Tandis que la diphtongue üe ( < lat. o) passait à üè devant
une consonne nasale (cf. ci-dessus), son second élément est resté
oral dans le continuateur de fövene (1. cl. jüuene) : dans [dzüevne],
en effet, la diphtongue iie était suivie d’une consonne orale. Ce
n’est qu’après la disparition de v, que e diphtongal est entré en
contact avec n. Mais à cette date, la diphtongue iie de [dziïevné]
était devenue üœ, parallèlement à müele ( < lat. môla) > *müœle ;
cf. p. 293. Le résultat a été jü^ne, avec une diphtongue üœ.
R I. — J avertis pour juvenis s’explique sans doute par la
e m a r q u e
différenciation de -üu- en -ov- que l’on constate dans le latin parlé d’avant
notre ère ; cf. POVERO CIL III, 962, n. 2, plövit « plüvit), FLOVIVM
CIL, I, 199, 6 (•< fluviii), à côté des formes du latin littéraire puerum,
plüit, flüvium. lovenim est attesté lui-même ; cf. CIL, XIII, 1483, 6 (Cler
mont).
R II. —
e m a r q u e Dans les dialectes où la palatalisation de [u] a été
relativement tardive, on a eu une diphtongue ue, avec e et non œ comme
second élément, qui s’est ensuite nasalisée en u; lors de la disparition
du v dans le groupe on.
Pù
Cette diphtongue provient de la nasalisation, au contact de
n, m final ou explosif, du second élément d’une diphtongue ou,
issue elle-même de la diphtongaison de ö latin accentué en syl
labe ouverte ; cf. vers le milieu du x e s. : baroan < barône, [mai-
Z 0 ü Ti] < m a(n)sione, [mentoon] < mentöne, [raidzoan] < ratione,
[cLoqu] < dônu — , [korojjne] < corona, [donne] < dönat, [personne]
< persona, [ponme] < pâma, [Ronme] < Rôma, etc.
a) Voyelles nasales
t
Dans le Si-Léger et le St-Alexis, ê est encore séparé de â à
l’assonance. Mais ces deux phonèmes assonent dans la Chanson
de Roland, sans doute composée en 1110-1120 ; cf. fent, sens,
nient, present, etc. : Rollant (1. 22), à côté il est vrai (1. 135) de
sanglenle, temples « tempes », entendent, etc. : peine, aleine, feindre,
tous les trois avec èp Ainsi donc dès la seconde moitié du xi® siècle,
è a passé à à. Il est évident que cette dernière étape a été précédée
de ç.
D’où aujourd’hui, pour reprendre les formes de la p. 358, un
a nasal dans apprend, amende, pense, prendre, vendre, cendre,
fendre, ensemble, semble, souvent, trente, venge, gendre, -ment,
pendre, sent, temps, temple, tendre, vent, etc., écrits avec en, et
tance, vendange, bande, brelan, sangle, dimanche, frange, rang,
céans, langue, éperlan, taranche, tanche, cran, etc., écrits avec an.
L’ouverture de ê en â s’est produite non seulement devant n,
m suivis de consonne orale, mais encore devant une géminée nasale
non encore simplifiée. D’où, après la dénasalisation, un a (anté
rieur ; cf. p. 374, rem. I) dans les mots du français moderne :
couenne ( < cûtïnna), femme ( < fëmïna), écrits avec e, et banne
( < celt, benna), panne «peluche, velours de coton» ( < penna),
bugrane(< *biigrènne < *bugretna < *bugreretna < *bugleretna <
büculu-retïna), vanne ( < eelt. ? venna), Vannes ( < fr. primit.
Vennes < * Veines < *Vetënis < Venëtis), écrits avec a. On
ajoutera pour le v. fr. : jàm (m )e ( < gemma), repânne «il frappe
des pieds» ( < *repennat < *repëdïnat), reâm(m)e ( < fr. primit.
reèmme < regemïne), sàne ( < fr. primit. senne < synôdii, p. 359),
et garanne «garenne», varanne «varenne», provenant de types
en -enna, dans les Doc. relatifs au Comté de Champagne et de Brie
(1172-1361), publiés par A. Longnon.
les deux parisiens, notent une différence entre l’a nasal provenant de en
et l’a nasal provenant de an. Le dernier dit que le son de en est inter
médiaire entre e et a, plus proche cependant de a, et il recommande de ne
pas' faire comme le peuple et beaucoup d’autres qui prononcent temps,
dent, sagement comme s’il y avait tams, dant, etc. Sans doute prononçaient-
370 ARTICUL. DES PHONÈMES VOISINS (ACTIONS AU CONTACT)
R e m a r q u e I. — P o u r ü a u lie u d e Q d a n s d iv e r s d ia le c te s (e t à P a ris
m ê m e, p ar in filtr a tio n p r o v in c ia le ), cf. p . 360.
R e m a r q u e I I I . — U n e d é la b ia lisa tio n m o in s c o m p lè te a a m e n é la
c ré a tio n d ’u n e d ip h to n g u e aô d a n s c er ta in s parlers d u P e r c h e ; c f. bâô
« b o n », nàô « n o m » d a n s E . H e r z o g , op. cit., n° 101.
R e m a r q u e IV . — E n fin , d a n s c e r ta in s c o in s d u P o ito u , p . e x . d a n s
la rég io n d e N io r t, 5 a p u p a sse r à a n a s a l, e t d e là à f ; cf. bê «b o n », mëd
« m o n d e » d a n s E . H e r z o g , loc. cit.
R emarque I. — L ’a a n té r ie u r p r o v e n a n t de l ’o u v e r tu r e de ê a suivi
e n p a r tie la m ê m e é v o lu tio n q u e l’a a n té r ie u r p rim aire d o n t o n v ie n t de
p arler. D ’où a u jo u r d 'h u i : à p o stér ieu r bref d a n s apprend, souvent, -ment,
sent, e tc . — , « p o sté r ie u r lo n g d a n s amende, pense, prendre, vendre, e tc.
M ais o n a un a a n té r ie u r b ref d a n s couenne, femme, banne, panne, vanne,
Vannes, c lc . p arce q u ’au m o m e n t de la d é n a s a lis a lio n l'a n c ie n a n a sa l
d e c es m o ts , r e la tiv e m e n t ferm é, n 'a v a it p as c o m p lè te m e n t rejo in t celu i
q u i se p r o n o n ça it d a n s dme, âne, etc. et n ’a p u , p ou r c e tte ra iso n , p a sser
c o m m e ce d e r n ier à a p o stérieu r.
R e m a r q u e 11. E n a n g lo -n o r m a n d un ù d ip h to n g a l s'e st d é v e lo p p é
e n tr e à et u n e c o n so n n e n a sa le su iv a n te . D ’où la grap h ie aun, aum qui
a p p a r a ît d è s la p r e m iè re m o itié du . \ m c sièele, et qui s ’est m a in te n u e d an s
les m o ts a n g la is te ls q u e aunt (v. fr. ante < amita), haunt (en fr. hante),
haunch (e n fr. hanche), launch (n orm , lanehc, en fr. lance), paunch (n orm .
panche, v . fr. panse), vaunt (eu fr. vante), etc. Le fait qu e les m o ts de l ’a n
c ie n a n g la is e m p r u n té s A l’a n g lo -n o r m a n d c o n se r v en t au d e v a n t n +
c o n so n n e d e n ta le ou m r c o n so n n e la b ia le, ta n d is q u 'ils le r éd u ise n t ù
a d e v a n t n (v é la ir e ) H- c o n so n n e véla ire (ef. les e x em p le s d a n s K . L u ic k ,
llist. gr. der engl. Spr., 1, p. 150), le fait a u ssi qu 'en a n g la is m o d e r n e aunt
se p r o n o n c e a v e c un a p o s té r ie u r , a lo rs qu e les au tres m o ts c ité s p lu s h a u t
o n t un p, la is se n t e n te n d r e q u 'e n a n g lo -n o r m a n d au a rep ré se n té d u m o in s
au d é b u t u n e d ip h to n g u e n a s a le d,7 e t non un o nasal.
A u x v i* s iè c le , un p h é n o m è n e se m b la b le est n o té sur le c o n tin e n t,
p é le tie r (15191 é cr it en effet : « V rèi êt qu 'au N o rm a n d ie, é a n c o u s an
H retn g n e, an A n jo u , é an v o tr e M e in e ... iz pronon cet l ’a d e c e n t n un p e u
b ien g r o s s e m e n t é q u a si c o m m e s ’il i n u o èt aun par d ifto n g u e ; q u a n d iz
diset A'ormaund, Nannies, A lingers, le M aims, ground chose » ; ef. T liu ro t,
op. cil., I l , p. 150. Ce p h é n o m è n e se c o n s ta te encore de nos jo u r s d a n s le
C o ten tin .
Q uant au té m o ig n a g e d e P a ls g r a v e <15301 : * If m or r fo lo w e n e x te
after u in a fr e n c h e w o r d e , all in o n e sy lla b le , then a sh a ll be so u n d ed
h k e th is d ip h th o n g an, an d s o m e th y n g in th e noose, a s th e se w ord es
ambre, chambre, mander.., sh a ll in r e d y n g e and sp ek y n g e be so u n d e d aninbre,
rhoumbre, maunder... #, il n'n p as la v a le u r a b so lu e que le te x te se m b le ra it
lui d on n er. 11 ne c o n c e r n e p as en to u t ca s la lan gu e c u ltiv é e . S a n s d o u te
P a lsg ra v e s'est il ta issé in flu e n o e r lp a r la p r o n o n cia tio n a n g la ise . Le p h o n é
tism e a u q u e l il fait a llu s io n est le fait se u le m e n t de q u elq u e s p ro v in ces.
C O N SO N N E N A SA L E SU IV A N T E 375
b) Diphtongues nasales
ai
R e m a r q u e . — ■ P o u r le d é v e lo p p e m e n t d e la n o u v e lle d ip h to n g u e fî,
et, c i-d essou s.
ß) Déplacement d'accent
Au cours de l’évolution des diphtongues nasales primitives
Çb üï, ig, Hg, Hä, l’accent s’est déplacé sur le second élément.
Ce déplacement a eu lieu : 1° après la nasalisation de de o en
p (d’où çi), et après la fermeture de çx en üx — ; 2° avant la nasa
lisation de i et de ü, nasalisation qui, comme on le sait, a été
relativement tardive. Il s’explique par la plus grande audibilité
qu’avait ou qu’a fini par avoir le second élément.
Le résultat a été la création de diphtongues nasales croissantes :
tüh ü'f» i f i üÇi vfe*
Cependant d’autres modifications ont eu lieu, qui portent sur
chacun des éléments de ces diphtongues.
Le premier élément a perdu sa valeur vocalique et a passé à
la semi-voyelle correspondante : y dans le cas de i, w dans celui
de il, w (ou w nasal) dans celui de ü. D’où les groupes : wï, wï,
yë, wè, wce. De plus, w nasal a dû se dénasaliser de bonne heure ;
w s’est amuï devant œ, mais s’est conservé devant f et ë ; y par
contre s’est maintenu. On a eu ainsi les résultats : wï, wï, yè, wè,
œ.
Quant au second élément ï, ë, œ, il a fini par s’ouvrir.
On passera en revue chacune des diphtongues nasales primi
tives.
Pt
L’étape o\ est celle de la Chanson de Roland ; cf. poign ( < pô-
gnu) : barun, bastun, etc. (v. 767), poign : raisun, dun, barun,
etc. (v. 874), essoing (lat.-germ. *ex-sünniu) : jour, esperuns,
derumpt (v. 1232), luign (< longe) : bastun, hom,sumunt (v. 250), etc.
Mais dès Je milieu du xm e siècle, on constate le déplacement
d’accent, ainsi que le changement de ï en ë. Dans le Miracle de
Théophile (v. 83), Rutebeuf fait rimer jointes avec saintes. Le
Livre des Mestiers d’Et. Boileaue présente la graphie significative
oens pour oins ( < ünctus). Au xve siècle, wè est bien établi ; cf.
besoings : froins chez Chr. de Pisan, bien : loing chez Martial
d’Auvergne, point : uaint chez Eust. Deschamps, baing : poing
chez Ch. d’Orléans, plaintes : coinctes, pleins : mains : poins chez
Guill. Alecis, oint : craint, point : meins dans le Myst. du Siège
d'Orléans, baing : poing. chez Villon (Bail, iv), baing : soing chez
le même (Les Contrevérités, str. 2 et 3), etc.
A quel moment le ë de la diphtongue wë s’est-il ouvert, comme
il l’est aujourd’hui ? On n’a aucune indication à ce sujet. Sans
doute l’ouverture est-elle contemporaine de celle de ë (< e\) en
£. En tout il faut attendre jusqu’au troisième tiers du xvn® siècle
pour avoir des renseignements quelque peu précis ; cf. D’Aisy
(1674) : « oin sonne oèn » et Hindret (1687) : « la diphtongue pin
se prononce comme s’il y avait un a devant l’i... besoain, moains,
soain, etc. ».
CONSONNE NASALE SUIVANTE 379
R e m a r q u e I. — Mais à côté de tvè ou wë, d’autres prononciations
ont existé dont on trouve la trace chez les grammairiens du xvie et du
XVIIe siècles. Certains d’entre eux font allusion à la diphtongue grecque
öl (Bèze, Ramus, Gauchie) et semblent prononcer un i nasai ; d’autres,
sans en parler, font de même (H. Estienne, St-Liens, ChifTlet) ; d’autres
enfin font entendre une triphtongue, comme Baïf qui écrit moéins, poéint,
soéin et comme D’Allais qui remarque en 1681 : «Nous n’avons qu’une
véritable triftongue sous l’apparence d'une diftongue, à sçavoir oin...
dans laquelle on peut discerner le son de ces trois voyelles o é i devant
une n. Ce qu’on pourra voir dans ces exemples joéindre, poéiniu, qu’on
écrit joindre, pointu »; cf. Thurot, II, p. 492 sq.
R e m a r q u e IL — A l’étape Ôr, le second élément a pu s’amuïr ; d’où
en v. fr. des formes comme pong (Girard de Vienne), pont = point (Spon-
sus), sonc = soin (Rom. d’Alexandre), etc. et lontain = lointain (Garin
le Loherain, Chans, des Saisnes), etc. La même réduction se constate là
où la diphtongue primitive a été uy au lieu de Çi ; cf. punt = point (St-
Brandan), junture = jointure (Lég. de Théophile), etc. Pour le phénomène
dans les patois actuels, cf. E. Herzog, op. cit., n° 104.
R e m a r q u e III. — A l’étape tvè, le premier élément a disparu dans
gindre pour v. fr. joindre (< *junior, avec un û. provenant de *jüniôre,
1. cl. juniore ; cf. pp. 184 sq.) et dans jlaine (< flwçne < jlwène < flüxïna).
R e m a r q u e IV. — Le premier élément de la diphtongue wë a pris une
valeur syllabique dans groin (< *grünniu), où il était précédé du groupe
gr-.
U 'i
uë
Après le déplacement d’accent, cette diphtongue est devenue
en francien : üë et wë, dans buen, mens, huem qui ont disparu dès
le Moyen âge. Que seraient aujourd’hui ces formes si elles s’étaient
conservées ? Probablement leur vocalisme aurait été celui de
juin.
Dans les dialectes où la palatalisation de [u] a été relativement
tardive et où on a eu au début une diphtongue Uß, le résultat
a été wë ; cf. au Moyen âge boin ou boen (< bönu), coins (< comes)
au Nord, au Nord-Est et à l’Est. A boen correspond la graphie
hoem du Pèlerin, de Charlemagne.
Comme dans le cas de bien (p. 380), le ë de wë a. pu s’ouvrir
en à ; cf. en v. fr. viscoans, viscouans « vicomte ». C’est sans doute
l’évolution wë > wà qu’il faut reconnaître dans Rouen, autrefois
Ruam, Ruan (< Roem 1162 < Rodömo < Rotômagu) et dans
Caen = [kâ], autrefois Caanz xne s., Caam 1160 (< Cahem 1095,
Caem Wace < Cadorno < Catômagu pour Catümagu), tous les
deux avec chute de w devenu intervocalique par suite de la chute
de la dentale. De même, avec réduction de wà à à, dans Ruan
(Loir-et-Cher), Pont-de-Ruan (Indre-et-Loire), frères de Rouen,
et dans Argentan (Orne, Manche), Briant (Saône-et-Loire), Caren-
tan (Manche), Ciran-la-Latte (Indre-et-Loire), Manthelan (id),
Rians (Cher), Senan (Loiret, Yonne), tous remontant à des types
attestés en -ômagu. En face de ces formes, on en trouve d’autres
en -on, qui ont pourtant une origine semblable : Argenton-sur-
Creuse (Indre), Blond (Hte-Vienne), Cenon (Vienne), Charenton
(Seine, Cher), Clion (Indre), Doulcon (Meuse), Epernon (Eure-et-
Loir), Monzon (Ardennes), Novion (id), Nouvion (Aisne, Somme),
NijOn (Vosges), Noyon (Eure, Sarthe, Maine-et-Loire), Pondron
(Oise), Tournon (Ardennes, Ille-et-Vil., Indre-et-Loire), Vernon
(Eure, Vienne). Vu la présence de formes en -an et de formes en
-on dans certains départements, il est probable que les secondes
sont savantes à l’origine : dans -J/no ( < -Ômagu) la diphtongaison
de ô n’a pas eu lieu. Quant à Nogent (Aisne, Aube, Eure-et-Loir,
Hte-Marne, Oise, Seine) et peut-être Noyen (Sarthe), ils remontent
à un type Nouientum.
CONSONNE NASALE SUIVANTE 383
R e m a r q u e I. — Huons (St-Léger) et quarts {Sl-Mlezis) représentent une
étape antérieure au passage de uo (< iat. ô) a uc.
R e m a r q u e IL — Huem a pu se réduire à em dans remploi proclitique ;
et. l’em « on » dans le Comput, le Bestiaire de G. le Clerc. A son tour, cet
em a pu s’ouvrir en un et rejoindre ainsi le an (enj provenant de la déla
bialisation de on (< homo proclitique).
R e m a r q u e III. — Dans les patois actuels, on signale btvâ en Nor
mandie —, boi ou bwô en Picardie et en Lorraine —, bwi en Franche-
Comté —, et avec dénasalisation de ô : bwç, bu>t en Lorraine ; et. en partie,
E. Herzog, op. cit., n° 120.
“•ce
3° E v o l u t io n des v oy elles e t d ip h t o n g u e s n a s a l e s p r i
mitives DEVANT CONSONNE NASALE EXPLOSIVE ET DÉNASALI-
sation. — Parmi les voy. et dip'nt. nasales primitives, il y en a
un certain nombre qui ne sont pas suivies de m, n — e. Il faut
écarter le cas de ü~ (p. 379) et aussi celui de ü^, qui, s’il a pu exister
en francien primitif dans *5%ne ( < bona), *sü-nel ( < sönat),
*tü^net (< ionat), a été éliminé de bonne heure par la générali
sation de la forme atone bône (auj. bonne) ou les formes sônet,
tond analogiques de l’infinitif.
On a donc, devant cons. nas. explos., d’une part â, è, o, î, ü,
ab PT> Pü» qui se rencontrent aussi suivis d'une cons. nasale
implosive et de l’autre üœ qui n’existe que devant n -f- e.
L’histoire de ces voyelles et de ces dipht. présente cette carac
téristique, qu’à partir d’une certaine époque elles ont perdu leur
nasalité. De plus, avant leur dénasalisation, elles ont subi certains
changements, dont les uns sont communs avec ceux que l’on
enregistre pour les mêmes voy. ou les mêmes dipht. suivies de
consonne nasale implosive, mais dont certains autres leur sont
particuliers.
loppé devant h dans la finale -agne, qui est ainsi devenue [-mVïfl et fina
lement [-gna] ; cf. Brclaigne : enseigne chez Guill. de Lorris, Charlemaigne :
retiengne, acompaigne : enseigne chez Rutebeuf. Ce phonétisme a pénétré
dans Paris, où on le trouve chez Villon ; cf. Auvergne : Charlemaigne,
Bretaigne : enseigne dans le Testament. De ce dialectalisme, le français
a retenu châtaigne (< castanëa) et araigne (pour aragne, encore chez La
Fontaine) dans musaraigne (et aussi dans araignée).
R
e m a r q u eIII. — Au contraire, dans Montaigne, avec ç, c’est l'ortho
graphe qui a réagi sur la prononciation. Le même phénomène s’cst aussi
produit pour (Philippe de) Champaigne ; mais la prononciation avec
a est considérée comme la seule, correcte.
R
e m a r q u eIV. — Quant à Ve de (il) baigne (cf. aussi inf. baigner), il
est plutôt d’origine analogique. On attend régulièrement bagne, baguer
(< balneat, balneare ; cf. Consonantisme). Ce sont d’ailleurs les formes
du v. fr. et elles se retrouvent encore chez certains grammairiens du xvi®
ou du XVII« siècle : Pelelier (1549), St Liens (1580), Bèze (1584), Monet
(1635), à côté de baigne, baigner chez les deux derniers; cf. Thurot, I, 331,
Baigne, baigner s’expliquent par l’influence de bain (< balneu).
388 A R T I C U L . D E S P H O N È M E S V O I S IN S (A C T IO N S AU CON TACT)
dement, p dans tous ces mots. Il faut attendre jusqu’à Oudin (1633) pour
trouver un témoignage de la nouvelle prononciation : il figure lesmoigner
par tesmoegner. Après lui, Chifflet et Duez sont encore pour l’ancien usage.
Mais les grammairiens postérieurs indiquent [wçn\ et même [taùn]. De
la Touche écrit : « Oi se prononce comme oai devant g et n : exemples
témoigner, éloigner..., prononcez têmoaigner, éloaigner... ». De même, Har-
duin (1757) dit qu’on a oé dans témoigner. Par contre, d’après Milleran
(1692), oign « s’exprime comme Yuagn des Allemands, éloigner... témoi
gner », et Féraud (1761) représente par oagn la prononciation de oign dans
ces mêmes verbes ; cf. Thurot, II, 525 sq. Il va sans dire que le changement
s’est produit dans tout le reste de la conjugaison et dans les substantifs
ou adjectifs correspondants, tels que éloignement, soigneur, soigneux,
témoignage.
Cependant, à la même époque, besogner, cogner, grogner et empoigner
n’ont pas adopté cette prononciation, malgré besoin, coin, groin et poing.
C’est sans doute que dans la conscience linguistique à ces verbes corres
pondaient plutôt besogne, cognée, grogne et poigne (ce dernier alors avec
-çna). Ce n’est pas à dire pourtant que dans certains cas, le modèle des
formes en -oin ou -oing n’ait pas pu s’imposer, Baïf (1574) par exemple
écrit empoègnant. Mais ces formes analogiques semblent avoir été très
rares. Elles n’ont survécu que pour le verbe empoigner et le substantif
poigne (cf. aussi poignard, poignée) avec wa assez tardif.
De plus, dans les verbes en-oindre, le phonétisme u>? de l’infinitif, des
trois premières pers. sg. de l’indic. prés, du futur et du conditionnel a
déterminé dans le reste de la conjugaison un nouveau radical en W(. C’est
ainsi qu’au part. prés, de joindre, par exemple, on a eu dès le xvne siècle
[zwçnà\ au lieu de [zohà]. Martin (1632) est le premier à signaler ce chan
gement : pour lui poignons se prononce poâgnons, et il figure la pronon
ciation de m’enjoignant par manschoenjanl ; cf. Thurot, II, 527. Parallè
lement à témouagner. Milleran cite plus tard (1692) jouagnant. Ce phoné
tisme analogique est devenu de règle dans la langue ; cf. auj. qu’il joigne
— [zwan).
-soigne [-sonç] dans le v. fr. essoigne. Mais dès le Moyen-âge, on trouve une
nouvelle forme : essoine [eswêna], puis [esu>çn3] dont le consonantisme,
comme le vocalisme, indique une réfection complète sur soin autrefois
[swën] ; cf. essoine : moine chez Rutebeuf, essoyne : moyne : saine chez
Villon.
français actuel clame est refait sur l'inf. clamer. Au xvie s., Palsgrave
donne encore je claime à côté de'me clame quitte. Thurot, I, 315. De même,
le v. fr. traime < *tramal a cédé la place à trame, analogique de l’infinitif
tramer. A son tour, le verbe a influencé l’ancien substantif traime ( < trama),
qui a pu devenir trame. Aux xvie et xvn* siècles, trame et traime se ren
contrent chez les grammairiens ; cf. Thurot, I, 325. Mais c’est trame seul
qui a été adopté par la langue, aussi bien pour le verbe que pour le sub
stantif.
A CT ION A L L O N G E A N T E DES CONSONNES S U I V A N T E S 389
produits pour areine ( < arena), estreine ( < slrëna), deigne ( < dignal),
eigne = en v. fr. \çn§] ( < inguina), écrits aujourd’hui arène, étrenne, daigne,
aine. Pour mène (en v. fr. meine < *m nal), on peut penser à l’influence
orthographique de l’infinitif mener.
1° Dans les mots du type isle < insula, misi < mïsit, fçste <
fësta, arreste < *adrëstat, asne < asïnu, chantast < cantassel,
cçste < cösta, tost < töslu, goste < güstat, fust < fuisset, etc., la
voyelle accentuée est devenue longue après la chute de s anté-
consonantique. Dans tous les cas, la longueur est encore indiquée
par les grammairiens du x v ie siècle. Erasme remarque en 1528 que
les Français, en prononçant le latin est, où ils ne faisaient entendre
ni l’s ni le t, donnaient à Ve le double ou même le triple de sa durée
ordinaire. De son côté, Bèze (1584) pose en principe que toute s
muette devant une consonne allonge la voyelle précédente et il
cite comme exemples : tost, rost, est, fist, eust, fust, haste, taste,
hasle, asne, blasme, Rosne, Cosme, teste, beste, feste, alesne, baptes-
me, causme, mesme, estre, naistre, maistre, giste, viste, seusmes, re-
390 A R T IC U L . D E S PH O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S A U CONTACT)
Les allongements dont on vient de parler ont été sans effet sur
l ’c qui est resté ouvert ; cf. actuellement [fet] « fête », [tçt] «tête»,
etc. Mais on a vu pp. 209 sq., 243 sq. que l’p et l’a antérieur ont
changé de timbre une fois devenus longs, le premier passait à o
fermé, le second à a postérieur.
B. — Labialisation
C. — Délabialisation
t
CONSONNE PRÉCÉDENTE ET CONSONNE SUIVANTE 395
7127. Tristan de Thomas 1430, 3060, etc.). La contamination de
aidier (< adjuiare) et de aïe a donné de plus naissance en vfr à une
conjugaison aidier.
A. — Labialisation
B. — Vélarisation
I. ë > ï
formé sur le parfait recëpi. Mais il peut continuer aussi, comme on le verra
plus loin, un type *recïpui, formé sur le présent recïpit.
heure à la 2e, puis à la Ire pers. du pluriel ; d’où fû tes, fû m es, valûtes, valû
mes, etc.
R M I . — Bien que l’i de übi soit long ou bref chez les poètes
e m a r q u e
mes et du fr. mod. eûtes, eûmes. L’i de la 2e pers. sing, s’est d’abord généra
lisé dans *awivistes (< habulstls), *au)wimes (< habufmus < habélm as),
et par suite de l’action labialisante de tu on a eu ensuite [üj.
R e m a r q u e I. — Pour les mêmes raisons que pour übï (p. 400), c'est
de ïbl et non de ïbl qu’il faut partir. Mais au v. fr. o, s’oppose la forme
iv des Scrm. de Strasbourg. A la différence de ce qui a eu lieu pour übï,
il semblerait donc qu’ici le premier ï se soit conservé sous l’action dilatrice
du second. La contradiction n’est qu’apparente. L’i de io s’explique pro
bablement par un type *ïbï, résultant du croisement de ïbï avec hïc.
R e m a r q u e I I . — D’autre part, à la base de mi, li, si qui se rencontrent
anciennement au Nord-Est et à l’Est (yle même en v. prov.), il n’est pas
obligatoire d’admettre un phénomène de dilation qui se serait produit,
avant la contraction, dans les formes latines mihi, tibi, sibi. Les bases mi,
ti, si étant pour ainsi dire pan-romanes, il est probable que la contraction est
de date très ancienne et antérieure h l'ouverture de l en ç dans crista > cres-
ta, à cause de quoi la dilation n’a pas eu sans doute ii intervenir. Ml existant
déjà en latin classique, c’est vraisemblablement sur son modèle que tlbï et
slbï se sont réduits de bonne heure ù tï et ù si.
CHAPITRE VII
A. n + i/... y
ont été küuryu > küivryu > x i e s. [küivrç], auj. [kwivr]. Quant à
buis. il provient non de büxü, mais de büxeu, forme adjective qui
a remplacé la forme substantive, comme cela a eu lieu autre part
pour fagu ; cf. fageu > pic. fay, ital. faggio, cat. faig, etc. Ici
encore les étapes ont été *büssyu > *büissyu > x i e s. [buis] >
[bwis] > auj. [bwi].
Mais lorsque la voyelle finale était un a, l’action du second y
a été neutralisée. Seul y en contact a pu ainsi agir sur Vu précédent.
Mais son action a été insuffisante et Vü accentué s’est ouvert en o ;
cf. lütria > vfr. loir(r)e (à côté de lome, lerne < luira), angüslya
> angoisse, *rüstiat > vfr. roisse, früstiat > froisse, *gusial >
(dé)goise.
Môme dans le cas où la voyelle finale n’était pas un a, Vü ne s’est
pas m aintenu lorsque au moment du passage de crüsta à *crosta, le
second y s’était déjà amuï et qu’il n’y avait que le premier y à
pouvoir agir ; cette action, à elle seule, a été encore une fois insuf
fisante. Ainsi cüneu est devenu *küinyu, parallèlement à mon-
tanea > *montainya ; mais de même que *montainya s’est réduit
to u t d’abord à *montaina, *küinyu est devenu lui-même *küinu,
d’où l ’ouverture de ü en p et finalement le fr. coin. D e cüneu >
coin, il faut encore rapprocher les germ. *sünniu > soin et *bi-
sünniu > besoin. On trouve de même dans divers patois une forme
gorgoillot « gorge » qui suppose un ancien *gorgoil < < *gürgüliu
(cl. gurgulionem), dont l’o s’explique d’une façon analogue.
A plus forte raison, Vü s’est-il ouvert en p lorsqu’il n’y a jamais
eu deux y après lui. Ainsi dans nüniiu > *nüntsyu > *nontsyo >
vfr. noinz, où la transposition de y n’a pas eu lieu à cause de la com
plexité du groupe consonantique ; dans *rübyu (cl. rübeum) >
rouge, *vidübyu > vfr. vëouge, auj. vouge, *quadrüvyu > vfr. car-
roüge, etc., où le y explosif s’est fondu dans la palatale précédente
avan t que la transposition ait pu se produire.
Plusieurs causes ont pu d’ailleurs contribuer au non maintien de
ü. C’est ainsi que dans les exemples suivants, il faut tenir compte
e t de la présence d’un a final et du fait que le y explosif (issu d’une
transposition) s’est fondu dans la consonne palatale suivante,
parallèlem ent à ce qui a eu lieu pour cüneu ou *gurguliu ; cf. *cocü-
lia > cagouille (m ot originaire du Sud-Ouest du domaine d’oïl),
germ, dülja > douille, *gürgülia > gargouille, Tremülia > Tré-
mouille, germ. *brünnja > vfr. broigne, germ. *bi-sünnjat > be-
so(i)gne, verecündia > vergo(i)gne.
R emarque IV. — Enfin, pour expliquer l’ü dit vfr. aür (auj. heur dans
bonheur, malheur), il n’est pas nécessaire de recourir comme on le fait à un
type *augùriu. avec u long. Le latin augüriu suffit, l’a avant conservé nor
malement son timbre dans l’étape intermédiaire agüjryu, résultant de
l’anticipation du y de la terminaison -ryu.
406 ARTICUL. DES PH O N ÈM ES V O ISIN S (ACTIONS COMBINÉES)
B. — à + yy
ter ailleurs ; cf. par exemple en cat. l’infinitif brogir et le substantif brogit
« bruit ». En tout cas, même avec û, rugio et *brugio auraient abouti en
français à des formes avec [ü], parallèlement à fügio > fui(s).
î + y-y et ï + yy
A. — Fermeture de ê latin
B. — Fermeture du a latin
siècle. Cette date serait assez ancienne pour que leur influence ait
pu se faire sentir : -ariu aurait eu le temps de passer à -çriu, et
-çriu celui de se diphtonguer en -ieiro, d’où -ier. On consentira à
admettre ce dernier point. Mais il reste toute une fraction du Midi,
où les Francs ne sont venus qu’assez tard. La Septimanie en effet
n’a été soumise par eux qu’en 759, avec la prise de Narbonne.
Pourtant là aussi on a -ariu > -ier. Peut-on à cette date expliquer
cette évolution par une influence germanique ? C’est vraiment
trop reculer la date de la diphtongaison conditionnée de g roman
en provençal. Voilà donc une contrée où le développement de
-ariu en -ier doit s’expliquer sans l’intervention de la phonétique
germanique. Il y a d’ailleurs à ce fait une contrepartie très instruc
tive. Après la prise de Narbonne, les Francs sont entrés en Catalo
gne et ont établi la Marche catalane. L’influence franque a pu s’y
faire sentir avec autant d’intensité que dans la Septimanie. Or, en
catalan on a -ariu > -er, alors que le latin -ëriu y est continué par
-ir. Il résulte donc de cette double constatation que soit en Cata
logne, soit en Septimanie l’évolution de -ariu n’a rien eu à voir
avec les Francs, et ce fait laisse supposer qu’autre part leur in
fluence n’a pas le caractère de nécessité qu’on a voulu lui attribuer.
Il faut ajouter d’autre part que le fait du bilinguisme qu’on
invoque doit être interprété à sa juste valeur. S’il est exact que la
génération des Francs envahisseurs n’a dû parler que son dialecte
maternel, il est probable que leurs successeurs se sont mis assez
tôt à parler roman. La preuve en est que le français et le proven
çal sont du latin et non du germanique. La considération dont a
joui auprès d’eux l’élite romane le laisse d’ailleurs bien entendre.
Militairement supérieurs, ils ont senti que leur culture était infé
rieure à celle des vaincus et ils ont eu l’intelligence, après l’avoir
senti, de se mettre à leur école. Dans ces conditiosn, on ne s’explique
guère que si dans des cas isolés relevant du lexique (types *wastare
> gâter, altu > haut, etc.) ils ont pu laisser des traces de leur
langue, ils aient complètement bouleversé l’évolution d’un suffixe
latin extrêmement vivant, et cela sans qu’on puisse trouver la
moindre exception.
L’opposition -aire ( < -aria) : -ier ( < -ariu) est d’ailleurs compré
hensible. On a dit que la double action assimilatrice et dilatrice du
y pour être effective exigeait que le y explosif fût suivi d’une voyelle
finale autre que a. Dans les mots où l’action du y explosif a été
annihilée par la séquence de a final, seule l’assimilation de la part
du y implosif a été possible. Mais on a vu qu’elle était sans effet.
En conséquence, dans -airya, l’a accentué ne s’est pas fermé en ç
et le résultat final a été, après la résorption de y explosif, -aira,
d’où fr. -aire, v. prov. aira.
Le traitement de -ariu---- aria, tel qu’on vient de l’exposer, est
donc le traitement régulier qu’on attend dans tous les cas lorsqu’il
s'agit de -ariu et dans les mots où a accentué n’est pas précédé d’une
consonne palatale lorsqu’il s’agit de -aria. Cependant si -aira
( < -aria) vient après une consonne palatale, le résultat n’est plus
le même. Dans la combinaison consonne palatale + -airya, l’a
accentué sous la double action assimilatrice de la palatale précé
dente et du y suivant s’est fermé en ç, d’où -<iirya. C’est le cas de
brucaria > *bruyyairya > *bru(y)yçirya. Mais ici le y implosif s’est
amui par dissimilation avec les deux y explosifs qui l’entouraient,
et il en est résulté la forme bruyère, avec une terminaison -ère (et
non -aire) parfaitement régulière.
Cependant l’ordonnance phonétique : -ariu. > -ier, -aria > -aire
a été troublée très anciennement par l’analogie. Primaria, a-t-on
dit, aurait dû aboutir régulièrement en français à *premaire, par
l’étape *premairya. En réalité, on a depuis le début première (pri
maire n’est qu’une forme savante). Le phonétisme du masculin
s’est en effet généralisé au féminin et cela sans doute dès l’époque
gallo-romane : d’après *premçiryo on a eu *premçirya, d’où après la
diphtongaison conditionnée de ç, un masculin *premieiryo et un
féminin *premieirya, devenus ensuite *premieiro et *premieira.
Cette évolution paraît avoir été commune à tout le gallo-roman
septentrional. Mais à partir des stades *premieiro — *premieira,
des différenciations dialectales sont intervenues. Tandis que dans
le Nord-Est (cf. par exemple per ires « poussière » dans le Brut de
Münich, pourire « id. » dans Aliscans), le féminin *premieira a
évolué phonétiquement en premire (cf. lëctu > *lieit > lit), il a
passé en francien à première sous l’influence du masculin premier
( < *premieir < *premieiro).
Ainsi donc, quand le masculin avait comme correspondant une
forme de féminin en -aria, il a servi à refaire cette dernière. 11
arrive cependant que l’on ait affaire à des formes féminines qui
n’ont pas de correspondant en -ariu et qui pourtant font -ière en
français. Là, il convient de distinguer deux types de mots. Dans
certains cas, la forme masculine peut être absente aujourd’hui,
mais avoir existé autrefois. Il en est ainsi, par exemple, pour ma
nière < man(u)aria ; cf. manuariu > vfr. manier. La terminaison
de manière peut donc s’expliquer à la rigueur par un type masculin
disparu par la suite. D’autres fois, au contraire, la forme masculine
peut n’avoir jamais existé. Ainsi pour luminaria, taxonaria, riparia,
etc., qui ont donné lumière, taisniere — lanière, rivière, etc. Ici
ACTION PO SITIVE D ’U N D O U B L E Y 415
-aria a sans doute modelé son évolution sur celle des mots féminins
ayant comme correspondant un masculin en -aria qui a pu influen
cer -aria.
Mais là où il n’a pu être senti comme une terminaison, -aria a
continué d’évoluer phonétiquement sans que l’analogie soit inter
venue. C’est ce qui explique que l’on ait eu area > aire, germ, hir-
ja > haire, glarea > glaire, parea > paire, etc.
instance des délits commis dans les forêts et les rivières », le français possé
dait une forme gruyer, encore citée aujourd’hui par les dictionnaires. Mais
cette forme n’était pas la seule. On avait aussi groyer et grayer, tous les
deux dans Ménage et Richelet ; cf. de plus Littré : « On dit aussi grayer ».
Gruyer provient sans doute d’un type germanique occidental *grôdi «ver
dure ». Le premier stade de la latinisation aurait été *grôdiu et ce serait son
dérivé *grôdiariu qui aurait donné régulièrement groyer, d’où, avec la réduc
tion de wç à ç, grayer. Quant à gruyer, son vocalisme radical suppose une
action analogique de *grui, continuateur de *grôdiu, qui s’il n’est pas at
testé, est probablement continué par gru «fruits de la forêt, fruits sauva
ges », signalé pour la première fois par Pithou au xvie siècle, et plus tard
par Ménage et Richelet qui le déclarent vieilli. Le rapport qu’il y a entre
gru et grui est le même que celui qui existe entre ru et rui < rïvu. Or c’est
précisément ce *grui qui pose un problème. L’u est-il dû ici à la fermeture de
5 sous l’action de la géminée yy, provenant de -dy- ? L’exemple n’est pas
probant : l’o de *grcdiu a dû être en effet traité comme tous les ô germa
niques, qu’ils soient brefs ou longs, c’est-à-dire comme un <3latin. Il est pro
bable que l’u de *grui s’explique par une diphtongaison conditionnée de ç
sous l’action de y dans un type *grçyyu < *grçdiu.
Soit le fr. empire < impêriu. Selon certains, l’i de ce mot pro
viendrait de la réduction d’une ancienne triphtongue iei, dont le
troisième clément s’expliquerait par une interversion de y. Mais
cette interversion ne paraît pas avoir eu lieu ici. La forme primi
tive est en effet empirie, et non empire. Or dans empirie, la termi
naison laisse voir que le y de -riu ne s’est pas transposé : après la
monophtongaison de iei et la chute de y explosif (cf. pour cette
dernière la réduction de -ieiryo en -iciro, p. 414), *empieiryo serait
devenu empire, mais non empirie.
418 A RTIC UL. D E S P H O N È M E S V O IS IN S (A C T IO N S COMBINEES)
• - -•*.. r* .A
CHAPITRE VIII
vfr. à cest, cele (auj. cet, celle), ço (auj. ce), ça ; — dans les démons
tratifs ïllu, ïlla, etc. em ployés com m e articles ; d ’où le, la (cf.
encore ïllâc > là) ; — dans le futur et le conditionnel du verbe
«êt re» : *esser(e)-ât > sera, *esser(e)-ëat > serait. Sans doute,
pour le premier cas, le v. prov. et le v. catal. ; pour le second, les
autres langues romanes sauf le cast, et une partie du gascon (mais
aussi le roumain, à date très ancienne) ; pour le troisième, l’en
semble des langues romanes sauf le roumain qui forme le futur et
le conditionnel avec l’auxiliaire « vouloir », présentent-ils des
phénomènes analogues ; cf. v. prov. cest, cesta, cela, etc., ço ; v.
catal. cell, cella, ço ; — v. prov. lo, la, etc., v. catal. lo (auj.d), la,
etc. ; v. ital. lo (conservé devant m ot com m ençant par s + con
sonne ou sous forme de V devant m ot à initiale vocalique), la ; roum.
primitif *(ï)llu lupu, *(ï)lla capra > *lupu-llu, *capra-lla > auj.
lupul, capra (mais v. cast, elo > lo, sauf devant m ot à initiale
vocalique où on a el \ v. cast, ela > la ; gasc. ïllu > et, ïlla >
era) ; — v. prov., catal., cast., portg. serà, ital. sarà (mais roum.
va fi). Mais les combinaisons avec ecce, l’emploi du démonstratif
comme article, la formation du futur à l’aide de l’infinitif et de
l’auxiliaire « avoir » étant postérieurs à la période latine, on est
obligé d’admettre que la chute de la voyelle initiale dans toutes
ces formes a eu lieu séparément dans chaque langue romane.
tement le lat. orijza (gr. opulla), mais est emprunté à l’ital. riso.
De même, trivelin (xvue siècle) représente l’ital. Trivellino, type de la
comédie italienne, et ne suppose pas un type syncopé *t(e)rebëlla dans
le latin parlé en Gaule.
Le fr. mod. hémine (xvni® siècle) est calqué sur le latin.
conditions soit en vfr., soit plus tard. Mais cette chute n’est pas
particulière à [e] ou à [œ] initiaux. Aussi en parlera-t-on dans un
chapitre à part ; cf. pp. 509 sq.
IL — MODIFICATIONS INDÉPENDANTES
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
que par les groupes si fera, non fera dans lesquels l’a initial de fara a été
traité comme une prétonique interne et a passé à e.
Devant, au lieu de *dauant < *d(e)-abante, peut s’expliquer par la com
binaison *de davant, dans laquelle davant s’est trouvé dans les mêmes condi
tions que *fara ci-dessus. On peut songer néanmoins à l’influence de dessus
< *de-sû(r)su, dessous < *de-sübtus.
Orteil remonte à un type *ortlculu, issu du croisement de artlculu avec
un mot gaulois *ordiga (cf. ordigas : zachun dans les Gloses de Cassel ; irland.
orddu «pouce »).
Ouvrir continue non aperire, mais operire qui s’est confondu avec ce der
nier dans le Nord et le Midi de la Gaule, ainsi qu’en catalan ; cf. v. prow,
catal. obrir.
Clouer est refait sur clou < clavu. La forme attendue est *claver < cla-
uare (cf. laver < lavare).
Les formes du vfr. trespasser, tresbuchier, etc. (auj. trépasser, trébucher,
etc.) ne remontent pas directement à des formes latines avec tra(n)s-. On
aurait eu dans ce cas tras- ; cf. traverser < tra(nJsversare. Il s’agit ici de
mots composés à l’aide de très provenant detra(n)s en position accentuée.
Le vfr. clairté (à côté de clarté qui s’est conservé jusqu’aujourd’hui) est
refait sur clair < claru.
Par contre, les voyelles initiales autres que f et a ont subi cer
taines transformations. Ces dernières peuvent être classées en
deux categories, suivant qu’elles sont identiques ou non en syllabe
ouverte et en syllabe fermée.
*jünïpëru et *jünïcia (pp. 184 sq.) ont passé de bonne heure à jtniperu
(attesté dans YAppendix Probi) et *jlnïcia, sous la double action assimi
latrice du ƒ initial et de l’ï accentué de la syllabe suivante ; d’où v fr.
geneivre (auj. genièvre) et génisse.
De môme *fünicëlla (1. cl. fûnïcula) a passé à *finicella sous l’action
assimilatrice de l’i et de Vë suivants, et sous l’influence de *fïnus «fin »;
d’où fincelle et v. fr. afinceler «attacher avec une corde ».
R III. — Justice, en face du vfr. jostise, est savant. Il en est de
e m a r q u e
Mais dès la seconde moitié du xvie siècle, cet état de choses s’est
profondément modifié. La cause initiale en est la restauration
de la prononciation latine, inaugurée par Erasme. Au moyen âge
en effet le latin se prononçait à peu près comme le français : l’o
initial, en particulier, y avait pris à partir du xm e siècle le timbre
de [u]. Avec la réforme érasmienne, cet [u] a cédé la place à [p].
Cependant la substitution de [p] à [u] ne s’est pas arrêtée au latin.
Le français lui-même en a subi le contre-coup. La régression a
débuté par les mots savants qui rappelaient de près le latin. Ainsi,
pour ne prendre que les mots commençant par la lettre c, coaguler,
cohérent, cohorte, coïncider, coït, colère, collation, collecte, collection,
collège, collision, colloque, colloquer, collyre, colombe, colon, côlon,
coloquinte, colosse, copie, copieux, copule, cothurne, etc. ont com
mencé à se prononcer avec [p] initial vers 1550. Et avec eux quan
tité d’autres mots, tels que domestique, domicile, local, modérer,
modifier, monarchie, novembre, objet, obligation, odieux, omission,
opiner, volonté, volume, etc. A partir de là, la régression s’est éten
due à des mots de formation populaire. D’où [p], au lieu de l’ancien
[u], dans corbeille, corbeau, corvée, forêt, fromage, froment, orgueil,
ortie, portrait, poteau, rosée, rossignol, soleil, etc. Dans certains mots
appartenant à la même série, l’analogie a pu favoriser la régres
sion. Analogie de mots influencés par le modèle latin : proclamer
et promettre entraînant promener et profit, avec [p] (profil, au lieu
de vfr. pourfil, est emprunté à l'ital. porfilo). Analogie de mots de
formation populaire à radical accentué : des deux prononciations
avec [u] ou [o] — [p] que connaissait l’ancienne langue, seules les
dernières ont été conservées dans côté, fosse, ôter (avec [o]) et dans
broder, folie, mollesse, mortel, ormeau, porcher, porter, prochain, etc.
(avec [p]), d’après côte, fosse, ôte, — brode, fol, mol, mort, orme, porc,
)orie, proche, etc. Dans certains mots, on a indifféremment [o] ou
f p] ; cf. hôtel et taureau, dans lesquels [o] s’explique soit par l’in-
428 VOY ELLES IN A C C E N T U É E S D E S Y L L A B E S IN IT IA L E S
fluence de hôte, soit par la graphie au, et [p] par la loi qui s’est éta
blie en français moderne, sur le modèle de la prononciation éras-
mienne et des mots savants calqués sur le latin, d’après laquelle
l’o initial, de même que tout o inaccentué, est généralement ouvert.
C’est la même loi qui explique l’[p] de coteau, en face de l’[o] de
côté, qui est analogique de côte. Il convient de remarquer, en plus
du phénomène de régression, l’orthographe savante de taureau et
de pauvreté (vfr. ioreau, povreté). Enfin la prononciation [u] a pu
être abandonnée pour distinguer des mots de signification diffé
rente. En vfr., les adjectifs possessifs nos, vos, et les pronoms per
sonnels nos, vos se prononçaient les uns et les autres avec [u] depuis
le x m e siècle. Cependant, sur le modèle de notre et votre (analogi
ques eux-mêmes des pronoms possessifs correspondants), l’ancien
o s’était maintenu dans nos , vos adjectifs. D ’où une double pro
nonciation jusqu’au x v ie siècle pour ces deux formes. A cette
époque, [u] a été définitivement rejeté, et c’est ainsi que nos, vos
adjectifs se distinguent nettement aujourd’hui de nous, vous pro
noms personnels. Les adjectifs notre, votre, de leur côté, ont aussi
abandonné leur ancienne prononciation avec [«], pour prendre un
[p] qui les différencie de nôtre, vôtre pronoms, avec un [o].
Cependant la régression ne s’est accomplie ni d’une façon com
plète, ni d’une façon logique. On continue en effet à prononcer
un [«] dans un grand nombre de mots, tels que boudin, bourdon,
broussailles, couleur, couleuvre, coupable, couronne, cousin, couvenl,
douleur, fourmi, moulin, mourir, mouvoir, nourrir, ouvrier, poulain,
pouvoir, pourceau, tourment, vouloir, etc. Ce sont là des mots de
la langue courante ou de la langue des petites gens. Les uns étaient
trop usités pour s’accommoder de la régression ; les autres étaient
en dehors des préoccupations des milieux cultivés où elle s’opé
rait. D’autres fois, c’est l’analogie qui a pu intervenir. Couler, cour
tois, couper, couver, croûter, douter, jouer, louer, mouiller, nouer,
rouer, souder, tourner, etc. ont sans doute conservé leur [u] sous
l’influence de coule, cour, coupe, couve, croûte, doute, joue, loue,
mouille, noue, roue, soude, tourne, etc. La préposition pour a pu
de son côté maintenir l’[u] dans pourvoir, pourchasser, etc.; la
préposition sous a pu en faire autant pour soulas, soulever, sou
mettre, soupir, souris, sourire, soutenir, souvenir, etc.
De plus, parmi les mots de même formation, les uns ont un
[g], les autres un [u] ; cf. fourbu, fourvoyer et forfaire, forfait
(tous les quatre composés de fors < fCris) ; courroie et corroyer,
corroyeur ; pourceau et porcher, etc.
11 faut enfin noter que la régression n’a pas toujours triomphé.
C’est ainsi que le Diet, de l’Académie (1694) donne, à côté de
broussailles, une forme brossailles qui ne s’est pas maintenue.
R
e m a r q u e . — P oirier e t poilu, q u i é ta ie n t en v fr.perier < *plrariu
et pelu < *pllütu, o n t é t é i n f l u e n c é s p a r poire < plra e t poil < pilu.
Pelu a s u r v é c u j u s q u ’ a u x v m ® s i è c l e .
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 433
A. — Actions au contact
1 ° V o y e l l e in it ia l e p r e m ie r é l é m e n t d e d ip h t o n g u e . —
Le second élément de la diphtongue peut être palatal ou vélaire.
a + a > a ; cf. vfr. baaille ( < *batacülat) > baille, vfr. chaable
(< *catabola) > chable, etc. Il faut encore citer l’adjectif aise qui
provient de la locution à aise et jadis pour ja a dis. Sans doute
guet apens remonte-t-il aussi à guet à apens.
Pour les noms bibliques en -aa-, l’usage a été longtemps indécis.
Au xvie siècle, Baal comptait pour deux syllabes, tandis que
Racine ne le prononce qu’avec un seul a, comme aujourd’hui.
Dans Aaron, la contraction a pu avoir lieu, comme on peut le
déduire du témoignage de Sibilet (1548), confirmé au siècle sui
vant par celui de Maupas (1625). Cependant Bèze (1584) prononce
ce mot avec deux a, et cette pronodciation s’est maintenue.
u -f u > u ; cf. vfr. coole ( < cücülla) > coule, vfr. goorde (<cu-
curbïta) > courge.
INFLUENCE DE L*ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 439
œ + œ > œ ; cf. vfr. emperëeur (< imperatôre) > empereur,
vfr. vendeeur ( < venditôre) > vendeur, vfr. prëechëeur ( < praedi-
catôre) > prêcheur, etc.
On peut ajouter, bien que les deux voyelles en hiatus ne soient
pas précisémment identiques, la contraction de [e] + e qui semble
s’être produite de très bonne heure dans vfr. abëesse (< abbatissa)
> abbesse, vfr. mëesme ( < *metïpsïmu) > même, vfr. prëeche
( < praedïcat) > prêche, vfr. empëeche ( < impedïcat) > empêche,
vfr. vëelin (< *vïtellïnu) > vélin, vfr. vëele (< *vïtëllat) > vêle,
vfr. sëele (< sïgëllat) > scelle, etc. Même phénomène dans vel
de veel et sel de seel, usités encore au xvie siècle, dans [vëeau]
( < vïtëlliï) et [seau] de [sëeau] ( < sïtëllu et *sïgëllü), d’où auj. [yo]
et [so], et dans le vfr. nesle de neele (< nïgëlla) ou nesler — neller
cités jusque chez Oudin. Pour le fr. mod. nielle, cf. p. 440.
Va initial du vfr. est tom bé devant [i], [ç], [ê], [œ], [à] et [u], Ex.:
vfr. graïl — graille ( < *gratïculu----- a) > gril — grille ; — vfr.
paelle ( < patella) > vfr. pelle, d’où plus tard poêle (cf. ci-dessous
p. 377) ; vfr. baée ( < * batata) > bée dans bouche bée ; vfr. cha(i)ere
(< cathedra) > chaire — chaise ; — vfr. chaeine = [/saêjnf] ( < ca
tena) > chaîne ; vfr. gaaing (postverb. de gaagner < germ. lat. wai-
daniaré) > gain — regain ; — vfr. paeur ( < pavore) > peur ; —
vfr. raençon ( < redemplione) > rançon ; Caen = vfr. [kaân ] >
auj. [kà] ; — vfr. aoust ( < auguslu) > auj. [u]; vfr. aouster ( < *au-
güstare) > auj. [ute] ; vfr. saoul ( < satûllu.) > auj. [su]-, vfr. saoule
( < salüllal) > auj. [.su/] ; vfr. aouiiler ( < *adoculare) > ouiller ; etc.
IN F L U E N C E D E L ’A RTICU LA TIO N D ES PH O N ÈM ES V O ISIN S 441
R e m a r q u e I. — Dans le cas de sonder < *sübündare, il y a eu contrac
tion de o + o à l’étape [sççnder], plutôt que chute de o devant ô dans [sçôn-
der]. Sonder est ainsi antérieur à la nasalisation de o.
R e m a r q u e IL — La prononciation de août avec a initial est encore
donnée par certains grammairiens du xvie et du xvne siècles. Vaugelas
(1647), qui la condamne, la signale chez le peuple de la capitale, et Ménage
(1672) chez les procureurs. D’après Domergue (1805), les orateurs de la
Révolution disaient le dix a-ou. Aujourd’hui la prononciation de a dans
août et aoûter est provinciale.
R e m a r q u e III. — Pour saoul, H. Estienne écrit en 1582 que l’on entend
encore saou à son époque, mais que sou est cependant plus fréquent.
R e m a r q u e IV. — Pour Aoste, la langue a hésité longtemps entre la
forme avec a et la forme sans a. Monet (1635) donne Osle à côté de Aoste et
Aouste ; Th. Corneille (1687) écrit Ost et Aost. Aujourd’hui l’a ne se fait
plus entendre dans le français correct.
R e m a r q u e V. — Quant à aoriste, Ramus (1562) le prononçait sans a.
Au contraire, Domergue note que de son temps les hellénistes disaient aoris
te. Les deux prononciations existent aujourd’hui ; mais la seconde semble
plus répandue.
L’[h] initial du vfr. est tombé dans cooing ( < coloneu) > coing
et dans roable ( < rütabulu) > râble.
Pour la chute de [œ] devant voyelle, cf. ci-dessous pp. 520 sq.
3° V o y e l l e in it ia l e + c o n s o n n e . — On étudiera successive
ment le cas d’une voyelle initiale suivie d’une consonne nasale,
le groupe er, el et la voyelle initiale des types payer, foyer, tuyau.
a > a > a : panariu > panier, manëre > manoir (v. fr. infinit. ;
auj. substant.), germ. *fanône > fanon, Hramacülu ( < *trïma-
cülu) > tramail, etc.
ü > ü > ü > ü : fümare > fumer, *grûmëllu (cl. grümülum)
> v. fr. grumel (auj. grumeau), etc.
ç roman ( < lat. e, ï) > ë > e > [e], puis [œ] dans fënucülu >
fenouil, venire > venir, remitiere > remettre, *fenïpëru (cl. juni
per um) > v. fr. genoivre (auj. genièvre), mïnûtu > menu, mïnare
> mener, etc ; — mais [e], puis [ç] au contact d’un [û] suivant
dans ceignant < cïngente, ceignons = cïngïmus, ceignez = cïn-
gïlis, et dans les formes correspondantes des verbes du même
type.
o roman ( < lat. o, ü) > ô > o, puis [u] à partie du x m e siècle
dans donare > v. fr. doner — [duner], tonare > v. fr. toner —
[tuner], sonare > v. fr. soner — [suner], *frümentu (cl. frûmentum)
> v. fr. froment — [frumânt], etc.
INFLUENCE DE L ’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 443
Cet état de choses a pu être modifié par l’action d’autres lois
phonétiques, par l’influence de l’analogie ou par un phénomène de
régression.
Phonétiquement, l’ancien [œ], provenant de [ç], a passé à [ü]
dans les mots du type fumier < vfr. femier (< *(imariiï), jumeaux
< vfr. gemeaus (< gemëllos), etc., pour lesquels voir p. 429. De son
côté, grimoire peut s’expliquer par une suite de dissimilations
vocaliques à partir de grammaire < grammatica. Tout d’abord
a — â > e — a à l’étape [gramârie] ou [gramàjre], d’où [gremçrç] ;
puis e — é > i — é dans fgremçre], d’où [grimere] et finalement,
comme dans vfr. armaire > [armwçre] d’où aujourd’hui [armwar]),
grimoire = [grimwçrçJ, puis [grinmwar].
Sous l’influence de j ’aime, tu aimes, il aime, les formes du vfr.
amons, amez, amer, etc. ont été refaites de bonne heure en aimons,
aimez, aimer, etc. Cependant amant, amour, amoureux ont conservé
leur [a]. De même, les formes modernes donnons, donnez, donner,
etc., sonnons, sonnez, sonner, etc., tonner sont analogiques de je
donne, tu donnes, il donne, je sonne, tu sonnes, il sonne, il tonne. De
même encore, plangïmus, plangïlis, plangente, etc. et jungïmus,
jungïtis, jungenle, etc., qui devraient être représentés par pla-
gnons, plagnez, plagnant, etc. et jougnons, jougnez, jougnant, etc.,
le sont par plaignons, plaignez, plaignant, avec [ç], et joignons,
joignez, joignant, etc. avec [u>ç] puis [wa] influencés par je plains,
tu plains, il plaint, etc., je joins, tu jo ns, il joint, etc. Enfin, bai
gner, qui est pour bagner < ba(l)neare, a été refait sur le modèle
de bain < ba(l)neu ou de v. fr. je baing < ba(l)neo, alors que
v. fr. gaagner < *wa(i)daniare (frc. *waiZanjan) a conservé son
vocalisme initial, d’où gagner.
L’analogie peut encore rendre compte de l’[o] de chômer <
*caumare ou de l’[p] de sommier < *saumariu ( < sagmariu), ro
main, comment, etc., qui sont sous la dépendance de chôme <
*caumat, somme < *sauma (< sagma), Rome, comme, etc. et qui
avaient anciennement un [u]. Mais ce n’est pas elle qui peut expli
quer l’[p] de génisse < *jenïcia (cl. jûnix), ni l’[p] de vomir, fro
ment, promettre, cognée < *cüneata, oignon < *unione, etc., qui ont
succédé à un ancien [œ] ou à un ancien [u]. Il faut invoquer ici
un phénomène de régression comme pour les mots étudiés ci-
dessus p. 432.
refaites sur graine ; et. agrainer, grènetier, grènelis (v. fr. grencis, grenetis),
dont il faut rapprocher rainette, y. fr. reinoille, m ai notie et v. fr. maineile,
sur le modèle de v. fr. raine, main.
R emarque II. — Dommage paraît continuer un type latin *domnalicu,
qui résulte d’une dissimilation a — à > o — à dans *damnaticu, dérivé de
damnu. Le vfr. connaît aussi damage, continuateur régulier de la forme non
dissimiiée *damnaticu, et demage qui provient sans doute d’un type *dem~
naticu, avec a — à > e — à.
R emarque III. — La prononciation [ mwïô ] = oignon est due à l'ortho
graphe. Par contre, dans poignée, poignet — poignard, fma] continue un
ancien [u’ç] provenant de l’action analogique de poing. Si cette action ne
s’était pas exercée, on aurait aujourd’hui [pu-] comme en vfr. La pronon
ciation avec [pg-] qui a aussi existé et qui est aujourd’hui archaïque est due
à une régression.
R emarque IV. — Les mots comme pénal, pénétrer, pénible, mineur (vfr.
meneur), ministre, finir (vfr. fenir), etc. sont d'origine savante.
a > [à] : cambiare > changer, lanterna > lanterne, mandare >
mander, san(i)tate > santé, van(i)tare > vanter, etc.
ç roman ( < îat. e, ï) > [c], puis [à] ; cf. sïn g(ü )lare > sanglier,
et avec l’ancienne graphie -en- : *tempesta > tempête, *trem(u)lare
> trembler, sïm füjlare > sembler, vïnd(ï)care > venger, ïnflare
> enfler, tentare > tenter, *mentionica > mensonge, Nemetoduru >
Nanterre, etc.
i latin > [î], puis [ê] ; cf. prlm(u)-tempus > printemps, *cïn-
quanta > cinquante, lïnteolu > linceul, etc.
o roman ( < lat. o, ü) > [ô] ; cf. dom(l)lare > vfr. donter (auj,
dompter), compfü)tare > vfr. conter (auj. conter et compter), germ. lat.
*dungione > donjon (et aussi vfr. dognon), cüm(ü)lare > combler>
jôntana > fontaine, *môntare > monter, bbn(l)lale > bonté, etc.
ü latin > [ü], puis [œ] ; cf. *lunae-die > lundi.
gier. Ce dernier s’est conservé dans le fr. mod. danger. Comme dans aucune
des tonnes avec lô] initial citées ci-dessus on ne constate-, même sporadique-
IN F L U E N C E D E L ’A R T IC U L A T IO N D E S PH O N È M E S V O IS IN S 445
ment, le passage de [ô] à [à] au contraire de ce qui a lieu pour [ô] prétonique
interne (cf. calümniare > *chalongier > vfr. chalengier), il est probable
que le changement de dongier en dangier est dû à un croisement avec un
autre mot, en l’espèce darn < damnu. Quant à la différence de traitement
que l'on constate entre [ô] initial et [ô] prétonique interne, il s’explique
facilement par la force articulatoire plus grande du premier.
R e m a r q u e II. — En conséquence, les formes du v. fr. dam (< domnu )
et nen (< non), conservé dans nenni pour nen il, doivent s’expliquer par
les combinaisons du type a dom Pierre, de dom Charte, et non,.., dans les
quelles [ô] était en réalité prétonique interne. Le v. fr. danz qui vu sa fonc
tion de cas sujet n’était jamais précédé d’une préposition, est analogique
de dam. Un phénomène analogue s’est produit dans les formes picardes
men, ten, sen, qui s’opposent aux formes franciennes mon, ton, son. Elles
ont sans doute leur origine dans les combinaisons où mon, ton, son étaient
précédés d’une préposition.
R e m a r q u e III. — *Denar(i)ata a donné tout d’abord denerée, avec
[f] dans la première et la seconde syllabe. Mais à côté de denerée, le vfr.
connaît aussi denrée, qui s’est continué jusqu'aujourd’hui et qui représente
une évolution phonétique plus poussée. En effet, par suite de la chute de fj]
prétonique interne entre n et r (cf. vfr. donra pour donera, menra pour mènera,
etc.), denerée est devenu dès l’époque prélittéraire [denréç]. Lorsque la nasa
lisation est survenue, l’[f] initial, se trouvant en contact avec un n implosif,
a passé à [é], d'où plus tard [à].
R e m a r q u e IV. — L’ouverture de [e] en [â] dans ainsi < v fr. ensi
(< tn sic) a été empêchée par i final.
R emarque V. — Le vfr. trenchier (auj. trancher) n’a rien à voir avec
trüncarc. Il provient probablement d’un type *lrln(i)care, pour *trïn(i)care
(cf. ci-dessus p. 180), comparable à *exquartare > écarter ou *exqnïntare
> prov. esquintà (d’où le fr. esquinter).
R e m a r q u e VI. — Ram(ü)scellu aurait dû aboutir à vfr. *rancel (qui
serait aujourd’hui *ranceau) et *man(u)lenere à *mantenir. Si on a vfr.
raincel (auj. rinceau ou rainceau) et maintenir, c’est que les formes phonéti
ques ont été influencées par vfr. rain < ramu et main < manu. De même
tiendra et viendra sont des futurs analogiques qui ont remplacé les ancien
nes formes tendra < *ten(e)ràt, vendra < *ven(i)ràt, sous l’action de tient
< tënet et vient < vlnit.
R emarque VII. — Incliner, indiquer, etc. avec [ê] sont savants.
22
446 VOYELLES IN A CCEN TU ÉES D E SY LLA BES IN IT IA L E S
care, plojier < plie are, lo fier < lïgare, lojien <lïgamen, vo fions
< vïdeamus (et vo fiant analogique du subjonctif), cro fions < *cre-
deamus (et cro fiant), etc.
Primaire ou secondaire, le groupe -o fy- des exemples ci-dessus
est phonétique. Il peut être aussi d’origine analogique. Ainsi dans
jo jiau et nofiau refaits sur vfr. joel ( < *focale) et vfr. noél (*nü-
cale) d'après le modèle : -el ( < -ëllu) : -ian ( — -ëllns, -ëllos), — dans
vofiel, vo fiele, pour vfr. voel, voele < vocale, influencés par voix
< voce ou refaits sur le plur. voieus < vocales.
Dans tous les cas, le groupe -o /y- a passé régulièrement à -ufy-
Les graphies du type fouier ne sont pas rares chez les écrivains du
xvie siècle. Cependant, à cette époque, deux prononciations nou
velles apparaissent, dues l’une et l’autre à l’orthographe. Par
suite de la correspondance oi = [wç\ dans moi, toi, etc., un mot
comme foier (c’était la graphie courante) a commencé à se pro
noncer [fwçe]. Ce phonétisme, il est vrai, n’a pas survécu tel quel.
Un croisement a eu lieu en effet entre l’ancienne prononciation
[juye] et la nouvelle [fwçe]. Il en est résulté un type [fwqye] qui a
fini par se généraliser dans la langue et qui a abouti à [fwaye].
Parallèlement à -a [y- et à -o fy-, le vfr. possédait encore un
groupe -ü fy- dans tu jiau = Hiiiêllu (frc. *ßuta). Là aussi, à cause
de l’équivalence ui = [wi] dans nuit, lui, etc., on a eu tout d’abord
au xvie siècle une prononciation [twio], qui, par sa combinaison
avec l’ancienne [tüyo], a donné le moderne [twiyo].
les anciennes formes hier < llgare, loien < llgamen, ploier < pllcare ont
passé eux-mêmes à lier, lien, plier (ce dernier cependant à côté de ployer ;
cf. aussi déplier — déployer).
R e m a r q u e III. — Légal, légalement, régale, etc. sont des formes sa
vantes.
1° C’est ainsi que l’on a avec e initial et non a : vfr. chevel (auj.
cheveu) < capïllu, chevesne — chevanne < capïlîne, vfr. chevelai-
gne < *capïtaneu d’après *tsevo (> chef) < capul ; — vfr. chëoite
< *cadêcta, vfr. chëoir (auj. choir) < *cadëre, vfr. cheëmenl < *ca~
dïmenlu d’après vfr. chëu < cadütu ; etc. Quant à vfr. chever < ca-
vare, il peut être dû à une proportion achieve < *adcapat : achever
< *adcapare = chieve < cavat : chever. Enfin, le changement de
chan- en chen- dans Chenelieu < Cananaeu, cheneviere — vfr.
chenevuis (auj. chénevis) — chénevotte — vfr. chenevaz, tous déri
vés de *can(n)apu, peut s’expliquer par le passage de vfr. chasne
< cassünu à vfr. chaisne (auj. chêne).
Par contre, on a un a initial au lieu de e dans : charogne < *ca-
rônea d’après carne > vfr. charn — char (auj. chair) ; — vfr.
chalin « chaleur étouffante » < calïgine d’après calore > chaleur ;
— vfr. chaori « petit chien » d’après chael < *calëllu ; — vfr. chaun
< *catûnu d’après chascun < *cascûnu ; — vfr. chalf < *cadïvu
d’après vfr. chaeir < *cadëre ; etc.
11 va sans dire que des mots comme caldaria < chaudière, *cap-
pëllu > vfr. chapel (auj. chapeau), cappëlla < chapelle, *capiiare
> chasser, *carru + -ilia > charetle, *carr(ï)care > charger,
*garra + -ïltu > jarret, etc. peuvent avoir été sous la dépendance
de cal(i)du > chaud, cappa > chape, *capliat > chasse, carru
> char, *carr(i)cat > charge, *garra > vfr. jarre, etc. Mais cette
dépendance n’est pas nécessaire pour expliquer l’a initial. La pre
mière syllabe étant fermée, c’est cette voyelle que l’on attend pho
nétiquement.
mots savants, tels que chanoine < canonicu, chapitre < capitülu, charité
< caritale, chapitel (auj. chapiteau) < *capilëllu, chasuble < casûbla,
v. fr. jagonce < gr. hiactjnlhu, etc. A plus forte raison, le trouve-t-on dans
les mots d’emprunt : chamois < camôce qui vient du Sud-Est, chaleil <
cnllcülu qui est du Midi, chamade qui provient de l’ital. du Nord ciamada,
etc.
Re m a r q u eIII. — En face de chatif, le vfr. présente aussi chailif (d'où
auj. chétif), qui remonte à une forme *cactivu, avec assimilation de p sous
l'action du c initial de mot.
INFLUENCE DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS 451
B. — Actions à distance
2 ° Assimilations
A la différence de ce qui se produit pour la dilation, la voyelle
initiale prend le même timbre que la voyelle suivante qui l’influence.
ner, *glënare > *glanare > glaner, rëmare > *ramarc > ramer,
vfr. mesnage ( < *nmnsionaticu) vfr. masnage, vfr. esrachier ( < *ex-
radicare) > arracher, vfr. crevante (< *crepantat) > vfr. (a)cra-
vente, menace (< *mïnatiat) > vfr. manatee (Eulalie), etc. A ces
exemples, il faut ajouter *perpendiu > *parpenniu > parpaing,
mercatu > mareatn > marché, *mercare (germ, merken) > *mar-
eare > marquer dont il a été déjà question p. 446. Pour aetafe,
*aetaticu. cf. p. 440.
Sans doute *jetone (dérivé de fétus) est-il devenu *fatone sur le
modèle de *fatare ( < fëtare). *Fatone à son tour a donné régulière
ment faon — vfr. [faon], fr. mod. \fà\.
De même, la préposition par s’explique probablement par une
assimilation dans le groupe per ad. On a eu tout d’abord *par ad
et de *par ad on a extrait la forme isolée par. Une fois per étant
devenu par, des verbes comme pervenire, perdonare, etc. ont été
transformés à leur tour en *parvenue, *pardonare, etc., d’où par
venir. pardonner, etc. Per mediu a passé lui aussi à *par mediu, d’où
parmi. Për- n’a conservé son ancien vocalisme que dans les formes
savantes du type percevoir, perfection (à côté de parfait), permet
tre, etc.
R . — Jaloux (< zelôsu), avec a, est analogique de jalousie.
e m a r q u e
e — 11 > u — u dans vfr. berouelte ( < birrotis -f- ïtta) > vfr.
bourouaite (auj. brouette).
0 — e > e — e dans vfr. chatel (< capitale) > vfr. chetel, avec
M , Puis [*<*-]> auj. cheptel = [sœfel] et [Sçptçl] d’après l’ortho
graphe.
3° D is s im il a t io n s
e — e > o — e dans aequale > *ewel > vfr. owel — oel, se-
quenter > *sewenlre > vfr. sovcnire — soentre.
> Laon, Saucona > *Sacona > Safne, Autüra > *Atüra >
Eure, etc. Le même phénomène s’est produit dans auscultât >
*ascultat, dont l’initiale s’est ensuite confondue avec le préfixe
es- < ex- ; d’où v. fr. escoute, auj. écoute. Parallèlement, dans le
v. fr. coissin < *coxïnu, la diphtongue oi s’est réduite à o sous
l’action dissimilatrice de l’i accentué suivant d’où v. fr. cossin,
auj. coussin. Il est encore probable que le changement de v. fr.
uisine < *ofïcïna en usine s’explique par la réduction de [üi]
à [ü] dans les mêmes conditions, et non par le passage de [$i]
à [ü] qui ne s’est produit que plus tard dans v. fr. luiter (< v. fr.
luitier) > lutter, d’ailleurs sans i accentué dans la syllabe suivante.
C. — Actions combinées
R . —
e m a r q u e D ans auctoricare, l a d i p h t o n g u e au a m a i n t e n u s o n
second v f r . otreiier — oiroier, a u j . octroyer), p a r c e q u ’ a u m o
é lé m e n t ( d 'o ù
m ent où augùstu p a s s a i t à *agüstu, l ’ o p r é t o n i q u e i n t e r n e é t a i t d é j à t o m b é
et que d a n s *autregare, l a d i p h t o n g u e ay n ’ é t a i t p a s s u i v i e d ’u n o d a n s l a
s ec o n d e s y lla b e .
CHAPITRE IX
PÉNULTIÈMES ATONES
I. — LA PÉNULTIÈME ATONE
PERD SON INDIVIDUALITÉ SYLLABIQUE
SANS QU’IL Y AIT SYNCOPE
A. — Syncope latine
6° Dans *avïca > *auca, d’où proviennent le vfr. oue (fr. mod.
oie, d’origine dialectale, depuis le x v ie siècle, l’ital. et le catal. oca,
le v. prov. auca, — et sans doute aussi dans *nauïca > *nauca >
vfr. noue, *navïcu > *naucu > vfr. no « cercueil », catal. noc « au
ge ». De fait, aucella se trouve déjà chez Varron ; naucula chez
Pline l’Ancien et nauculor chez Martial.
faire dévier. On a donc eu d’une part dïgïtu > *dîtu (avec î long
relâché), d’où v. fr. deit — doit (auj. doigt), cast., portg. dedo, v.
prov. det \ de l’autre, *dïgïtu > dïtu (avec î long tendu), d’où
ital. dito, catâl. dit.
— pouz, sallce > vfr. salz — sauz est confirmée par la présence de calcem
(pour calicem) chez Plaute.
R II. — Le vfr. cierge suppose que la forme clericu s’est main
e m a r q u e
bien que ce mot a dû être employé de bonne heure, par opposition sans
doute à galllce.
R IV. — A côté de Tours et de Sens, on a Rennes < *Rédônes
e m a r q u e
dard romain, s’est maintenu à côté de *ac’la, désignant l’oiseau de proie. C'est
lui qui a abouti à aigle, dont l’emploi s’est ensuite généralisé.
R VI. — De même, à côté de *tëg’la et de *rêg’la, la langue a
e m a r q u e
conservé les formes pleines lêgüla et régula, qui ont donné vfr. tieule — tiule
(auj. tuile) et vfr. rieule — riule. Tandis que ces dernières formes s’expli
quent par la chute de -g-, amenant le contact de la pénultième atone avec la
voyelle accentuée précédente, il y a eu véritablement syncope dans conjù-
gülu > vfr. conjogle, *ab ôcülo > vfr. avuegle (auj. aveugle), môdülu >
*modle > moule, rôtülu > *rori/e > rôle, spatüla >• *espadle > épaule, etc.
Cependant cette syncope est tardive et ne s’est pas produite à l’époque gallo-
romaine, sans quoi on aurait en vfr. *conjoil, *avueil, *mueil, *rueil, *es-
paille, etc.
R VII. — Le fr. étrille continue plutôt une forme strigüla,
e m a r q u e
attestée dans les scliolies de Juvenal au iv* siècle, que la forme classique
strigllem ou une forme vulgaire *striglla, qui auraient probablement donné
soit *étril, soit *étrile, d’après ce qui a été dit p. 462 au sujet de l’évolution
du groupe -ïgt-.
dre), plngëre > peindre, cïngère > ceindre, stringëre > étreindre,
tïngëre > teindre, jüngere > joindre, ùngëre > oindre, pungëre >
poindre, *adërgère > vfr. aerdre, expërgëre > vfr. esperdre, spargëre
> vfr. espardre, sùrgëre > sourdre, *fülgëre (pour *fülgüre) > ’vfr.
joildre (auj. foudre), etc., pour lesquels il faut admettre des formes
intermédiaires *frand'ëre, *pland'ëre, etc. ou *frandyëre, *plan-
dyëre, etc.
Il faut en dire autant de vïncëre > vfr. veintre (auj. vaincre),
cancèru > vfr. chaintre, *lorcëre (cl. torquëre) > vfr. tortre (auj.
tordre), carcëre > vfr. chartre, *nascëre (cl. nasci) > vfr. naistre
(auj. naître), *pascëre (cl. pasci) > vfr. paistre (auj. paître), cres-
cëre > vfr. creistre — croistre (auj. croître), *conoscëre (cl. cognos-
cëre) > vfr. conoistre (auj. connaître), etc., dans lesquels la syncope
s’est produite aux stades *vint'ëre, *cant'ëru, etc. ou *vintyëre,
*cantyëru, etc.
L-TSY ; cf. pollïce > pouce, salïce > vfr. sausse (cf. auj. saussaie).
M-TSY ; cf. pômice > ponce, rùmice > ronce.
p-TSY ; cf. *atrepice (1. cl. atriplex) > vfr. arrace.
Rp-TSY ; cf. herpice > herse.
p-K ; cf. *atrapica > vfr. arrache (auj. arroche).
T-K ; cf. hütica > huche, natîca > vfr. nache.
D-K ; cf. *aradicat > arrache, *exradicat > vfr. esrache, *nïdï-
cat > niche.
468 VOYELLES INACCENTUÉES : PÉ N U L T IÈ M E S ATONES
s -K ; cf. *drasïca > vfr. dräsche (auj. drêche), *nasïcat > vfr.
nasche.
i.-K ; cf. basilica > d i a l , basoche, *tralüca > troche.
N-K ; cf. *dia domïnïca > dimanche, granïca > vfr. granche,
manïca > manche, *pronïcat > bronche, *ramïca > vfr. ranche
ss-K ; cf. perslca > *pessïca > pêche.
LL-K ; cf. caballïcat > chevauche, collöcat > couche.
RR-K ; cf. carrïcat > vfr. charche.
sp -K ; cf. suspïcat > vfr. sosche.
ST-K ; cf. *domeslïcat > vfr. domesche, mestïcat > vfr. masche
( a u j . mâche).
C’est encore sans doute le cas de facïtis, dïcïtis, qui par les étapes
*fâgïlis, *dïgïtis et *fà(y)yïlis, * d i(y)yïtis sont devenus faites
et dites, avec syncope de la pénultième. La différence que l’on
constate entre le développement de *fayïtis par exemple, où la
pénultième tombe, et celui de *playito, où elle reste, tient sans doute
au fait que *fayïtis faisait partie d’un système où l’on avait, d’ail
leurs par analogie, fay- dans *fayis, *fayi(, etc. pour fads,
facit, etc. Le y a été ici protégé par l’analogie et c’est la pénultième
qui a dû tomber.
L’évolution a dû être la même pour facïmus et dïcïmus, re présen
tés phonétiquement en vfr. par faimes et dimes. Ici encore on a eu
des étapes *fayïmus et *diyïmus.
Dipht. de ö *fieretro
Syncope *fierlro comte
Dipht. de ö — —
Sonorisation — —
SYNCOPE GALLO-ROMANE 469
S’il en est ainsi, rien ne s’oppose à ce que Yë se soit diphtong é normale
ment dans *frëmita > vfr. friente, *fëmlla > fiente. Il n’est pas nécessaire
de recourir à une réfection sur le vfr. friembre < /réméré, vfr. fiens < *!*mus
(cl. flmus). A leur tour, friembre et avec lui vfr. criembre < *crimire (cl.
trémëre), vfr. priembre <. prëmère ne présentent aucune difficulté et n’ont
pas besoin d’avoir été influencés par frient < frémit, crient < *crëmit,
prient < prëmit.
1’s qui term inait le mot. Le groupe ainsi formé s’est réduit de bonne
heure à -s. Ainsi *printseves < principes est devenu *prinlsefs,
puis prinlses ; *palledes < pallidos a passé à *paliers, pour aboutir à
pâlies. A plus forte raison a-t-on un s final, lorsque la consonne qui
précédait la voyelle finale était elle-même un s ; cf. Tricasses >
*Treiesses > vfr. Treies (auj. Troies), Badiâcasses > *Bayuoesses
> *Bayuesses > Bayeux, Durócasses > Dmoesses > Druesses >
Dreux, etc.
Cependant, lorsqu’elle se trouvait en hiatus avec la pénultième
atone, la voyelle finale n’est pas tombée. C’est ce que l’on constate
dans les continuateurs savants des mots latins en -ïcu, du type
canonïcu > vfr. chanonie. Dans ce cas, la paroxyIonisation s’est
opérée par la consonantisation de -ie final en -ye. La transposition
du y devant la consonne précédente qui a eu lieu ensuite et grâce
à laquelle chanonie est devenu chanoine, n’a rien changé au type
rythmique.
PR ÉTO N IQ U ES IN TER N ES
I. — SYNCOPE LATINE
b) Une seconde série comprend des mots qui n’ont pas de pro
paroxytons comme correspondants.
Ainsi *calefare > *calfare, d’où fr. (é)chauffer, v. prov. (es)cau-
far, catal. (es)calfar, ital. mèrid. skarfare ; maledicere > maldicere.
(cf. maldixi à Pompéi, CIL, IV, 2445), d’où fr. maudire, v. prov-
maudir, catal. maldir, cast, maldecir, portg. maldizer ; etc.
La chute de la prétonique interne s’explique plus spécialement
par une réduction haplologique dans matutïnu > *malilnu, d’où
fr. matin, ital. mattino, v. prov. matin, catal. mati ; sanguisüga
> *sansüga (glos. sansügia) > fr. sangsue ; — par une contraction
vocalique dans male habitu > *malabitu, d’où fr. malade, ital.
(am)malato, v. prov. malaute, catal. malalt.
R em a rq u e . — D e p lu s , le p r e m ie r ë de püëllicëlla a p e rd u son c a ra c
t è r e d e p r é t o n i q u e i n t e r n e a p r è s le p a s s a g e d e ü en h ia tu s à w ; d ’ o ù *pwd-
tsçlla, p u i s *pwollsçlla ( a v e c e i n a c c e n t . > o: d i s s i m i l a t i o n a id é e p a r l ’ a c t i o n
d e w e t t), e n f i n putsçlf > pütsçlç = v . fr. pucelle.
R e m a r q u e . — P a r a n a lo g ie , le y p o s tc o n s o n a n tiq u e a p u se m a i n t e n i r
d e v a n t l ’ a c c e n t. C ’e s t c e q u i a e u lie u e n p a r t ic u lie r p o u r m a(n)sionata >
v fr. maisniée medietate
et > man-
v f r . m e it ié ( a u j. m o it ié ) , in flu e n c é s p a r
sio mansione
(e t mediu.
l u i- m ê m e a n a lo g iq u e ) e t
2 ° T im b r e d e s p r é t o n i q u e s i n t e r n e s q u i s e m a in t ie n n e n t .
— Au moment de la syncope, la prétonique interne pouvait être
dans les mots de formation populaire :
un ç < lat., germ, e, ï
un a < lat., germ, a
ou un o < lat., germ, o, a ;
abçvrer a passé de bonne heure à [te], d’où [ü] dans v, fr. abuvrer < v fr.
abeuvrer (auj. abreuver) ; et. ci-dessus, pp. 451_sq.
1° A PRÉTONIQUE INTERNE
savants.
a) Evolution phonétique
se révèlent comme plus ou moins savants : latroclniu > vfr. larrecin (auj.
larcin), *nutritüra > vfr. norreture (auj. nourriture), *putritüra > vfr.
porreture (auj. pourriture), fabrlcare > vfr. javregier, lùbrîcarc > vfr.
lovregier, etc.
ç < lat. e, l ;
0 < lat. p, a ;
1 < lat. f ;
u < lat. ü.
SYNCOPE GALLO-ROMANE 489
Dans la suite, l'i a maintenu son timbre dans *atiyd:yare >
vfr. alisier (auj. attiser). Quant à la diphtongue |u{] de *escuyriuo~
lo et de *aguyd:yare, elle s’est palatalisée en [lii], puis transformée
en [ü'i] vers la fin du xue siècle. A partir de là, il y a eu double évo
lution. Dans le premier mot, le groupe [iïi] s’est réduit à {üj. paral
lèlement à vfr. luiter (<*lüclare) > lutter ; d’où fr. mod. écureuil.
Dans le second, il s’est conservé sous l’influence de aiguise < acü~
tiat ; d’où auj. aiguiser = [çgwizç]. Mais on a aussi régulièrement
[çgizç] — aiguiser ; d’où [çgiz] = aiguise.
Quant à f et p romans prétoniques, ils ont subi d’importantes
transformations.
ç prétonique roman
p roman prétonique
analogique de corroce < *corrüptiat. C’est cette forme qui s’est conservée
dans le fr. mod. courroucer.
R III. — De même, vfr. englçlir (auj. engloutir), vfr. adçber
e m a r q u e
(auj. adouber) < germ. *addübbare, etc. doivent leur o (> u) à glot < glûttu,
adobe < *addübbat.
que de la même façon. La prononciation du fr. mod., avec [wa\ est une
prononciation orthographique.
fermée se devine encore dans Potangis < Posiumiacus, Vesontione > Besan
çon, et dans vfr. chalengier calumniare, dont l’[d] remonte à un ancien [Ô]
inaccentué.
R III. — Dans *faùstellu ( < *fagüsUllu), le groupe secon
e m a r q u e
L-F ; cf. *malefatu > vfr. maufé, *malefatü(ii > vfr. malfëu.
R-FR ; cf. germ. Herifrïdu > Herfroy.
p-T ; cf. capiluneu > vfr. châtaigne, capitëllu > vfr. chatel, repü-
tare > vfr. reter.
B-T ; cf. debïtôre > vfr. detor — detour — deteur, dübïtare >
douter, *subtianu > v fr. soutain.
v-TSY ; cf. *clavïcella > *clavelsyella > vfr. clacele, *navïcella >
*navetsyella > nacelle. ■
D-TSY,; cf. medicina > *medels(y)ina > vfr. mecinet radïcîna
> *radets(y)ina > racine, Codïciacu. > Coucy. " ^ -
SYNCOPE GALLO-ROMANE 493
l-t sy ; cf. *fïlïcella > *filetsyella > ficelle.
r -t s y ; cf. *dürïcïre > *durels(y)ire > durcir.
N-TSY ; cf. minütiare > *minelsyare > vfr. minder.
d - k ; cf. nldïcare > nicher.
MP-T ; cf. compülare > v. fr. conter (auj. compter), impütare >
enter.
RM-T ; cf. dormïtôriu > dortoir, fïrmïtate > v . fr. ferté (cf. encore
a u jo u r d ’h u i le to p o n y m e La Ferté...).
Y D z-T ; cf. soc(i)etate > *soidz(y)etate > v . fr. soistié.
ST-TSY ; cf. *füstïcëlla > *fustetsyello > v. fr. fuissel.
RT-TSY ; cf. partitione > *partetsyone > v. fr. parçon.
NT-TSY ; cf. anlecéssor > *antetsyéssor > ancêtre, mentitionea
> *mentetsyona > v. fr. mençoigne, *pontïcëlla > *pontetsyello
> v. fr. poncel (au j. ponceau).
ND-TSY ; cf. vendïlione > *vendetsyone > v. fr. vençon.
RT-SY ; cf. *pertusiare > v. fr. percier (auj. percer).
NG-L ; cf. eingûlare > v . fr. cengler (a u j. sangler), sanguilentu
( p o u r sanguinolentu) > v . fr. sanglent (a u j. sanglant), sïngülare
> v. fr. sengler (a u j. sanglier).
NG-s ; cf. sanguïsüga > v. fr. sansue (a u j. sangsue).
ST-K ; cf. *domestïcare > v . fr. domeschier, mastïcare > v. fr.
maschier (a u j. mâcher).
D’abord :
Puis :
T-N ; cf. *pütinasiu > punais, punaise.
M -s s Y ; cf. *glomuscëllu > *glomessyello > v. fr. loinsel, ramüs-
cëllu > *ramessyello > *ransel > v. fr. rainsel par croisement
avec rain < rarnu (auj. rinceau).
YY-R ; cf. *impeiorare > v. fr. empeirier (auj. empirer) ; *duceràt
> *duyyerât > -duira. macerare > *mayyerare > v. fr. mairier.
ST-N ; cf. paslinaca > v. fr. pasnaie (auj. panais).
ST-M ; cf. aestimare > v. fr. esmer, blastemare (pour blasphemare)
> v. fr. blasmer (auj. blâmer).
RT-M ; cf. *forlimente > v. fr. forment.
RD-N ; cf. cardinale > v. fr. chernel.
b) Action de l'analogie
b) A c tio n d e l'a n a lo g ie
sede ou sedet et devenu *sedegare. C’est plutôt une réfection sur siège <
sêdlcu.
R IL — On a fait remonter plus haut pencher à *pcnticare
e m a r q u e
(d’après *penta < pendlta), plutôt qu’à pendlcare, car étant donné la pré:
sence de pendit on aurait eu ça et là *pengier (de *pendegare), forme qui
paraît inattestée.
SYNCOPE GALLO-ROMANE 497
R em arque III. — A côté de berger (et bergerie) ainsi gue du vfr. ber-
geal — bergeail < *berbcgale (< *berblcalc), on trouve aussi berchier et ber-
cheric en vfr. et berçai (d’où avec changement de suffixe bercail) en nor-
m anno-picard. Ces dernières formes pourraient provenir, plutôt que d ’une
syncope, d ’une réduction haplologique dans *ber(be)cario et *ber(be)cale.
De m êm e, le vfr. bereit « bercail » pourrait rem onter à *ber(be)cile. Q uant
au vfr. bergil « id. », il résulte probablem ent d’un croisement de bereit avec
berg(i)er.
R em a rq u e IV. — Cadeau e st e m p ru n té au prov. cadau < cabdau <
capitale. Cadet v ie n t
d u gasc. capdet < capltellu.
jorra < *gaudïrât, guarra < *warïràt, partra > *partïrat, repen-
tra < *repaen(i)lïràt, harm < *haiïràt, orra < *audïràt, mentra
< *menlïràt, sc/ùra < *senlïrâl, ferra < *ferïrât, ciiildra — cuea-
dra < *coll(i)gïràt, eistra — isira < *exïràt, assaudra < *adsalï-
ràt, boudra < *büllïràt, et le fr. mod. tiendra (vfr. tendra) < *teni-
rat, viendra (vfr. vendra) < *venïrat, mourra < *morïrat. Cepen
dant, pour des raisons analogiques, les formes pleines se sont
maintenues à côté des formes syncopées. Sur le modèle des verbes
de la Ire conjugaison, où, avant le changement de a accentué ou
prétonique interne, un infinitif comme cantare avait comme cor
respondant un futur *caniarât, un infinitif comme partïre a pu
maintenir un futur *partirai. Au moment où cela se passait, l’i de
*partiràt (bref à cause de son caractère inaccentué ; cf. pp. 184
sq.) conservait encore son timbre latin de [i). Plus tard, il s’est
ouvert en e, comme dans tous les autres mots. Puis, comme il se
trouvait en syllabe ouverte, il a abouti à [c] central ; d’où en vfr.
les formes du type parlera, veslera, guerpera, etc. Mais l’analogie
est intervenue une seconde fois. C’est encore la Ire conjugaison
qui a servi de modèle. Après le passage de a accentué et de a pré
tonique à e, on a eu chanter : chantera avec une voyelle de timbre
identique à la terminaison. Chanter : *chantera a déterminé partir :
partira, avec i. Ainsi, ^partirai a donné naissance à trois formes en
français. L’une, partra, est tout à fait phonétique ; l’autre, parlera,
est analogique pour ce qui est de la conservation de la prétonique
interne, mais non pour ce qui est de son timbre ; la troisième, par
tira, est analogique à tous les points de vue.
VOYELLES FINALES
A. — A final
Les adjectifs féminins du type vfr. grant, fort, etc. ont pris de
bonne heure un -e final sur le modèle des adjectifs du type bo(n)ne.
Ces formes analogiques apparaissent dès les plus anciens textes ;
cf. grande (Alexis), comune, dolente, corteise, verte (Roland), etc.
Elles ne sont pas généralisées avant le xvie siècle. Aujourd’hui
encore on les retrouve dans des locutions stéréotypées comme
grand chère, grand mère, grand rue, elle se fait fort, dans les subs
tantifs composés tels que raifort, Rochefort, Vauvert, etc. Elles sont
aussi à la base des adverbes en -ammenl ou -emment.
Inversement un certain nombre d’adjectifs, primitivement ter
minés par consonne, ont pris un -e final, dès le vfr., par suite d’une
généralisation des formes féminines correspondantes. Ainsi lare
506 V O Y ELLES IN A C C E N T U É E S F IN A L E S
< largu, lois < lüscu, corp < curvu, chalf — chauf < calvu, ferm
< fïrmu, etc. sont devenus largre, lösche (auj. louche), courbe, chauve,
ferme, etc.
Juste, triste, chaste, signe, etc., de même que automne, somme,
vfr. eschame dont il a été question plus haut, p. 503, sont des mots
plus ou moins savants.
Quel que soit leur timbre, les voyelles finales sont tombées lors
que la pénultième atone s’est maintenue. Ex. de chute de -e : prin
cipe > prince, vlrglne > vfr. virge (auj. vierge), imagine > image,
marglne > marge, anate > vfr. ane (auj. bédane), etc. ; — de -o :
episcopu > > évêque, angëlu > ange, pallldu > vfr. pâlie (auj.
pâle), arldu vfr. are, avldu > vfr. ave, pavidu > vfr. pave, sapldu
> vfr. save, orphânu > vfr. orfe, etc. ; — de -a : pagina > page,
lampâda > lampe, Orcàda > vfr. Orche (auj. Ourche), Isàra > Oise,
Barbara > Barbe, etc.
Il n’y a qu’une exception. Lorsque la voyelle finale se trouvait
en hiatus avec la pénultième atone, elle s’est maintenue sous
forme de -e. Ex. : canonlcu > *canoniu > vfr. chanonie, apostollcu
> *apostoliu > vfr. apostolie, etc. qui sont devenus dès le x ie siècle
chanoine, apostoile, etc.
CHAPITRE XII
ÉVOLUTION DE E C E N T R A L
I. — CHUTE DE E CENTRAL
A. — P r e m iè r e p é r io d e
20
510 É V O L U T IO N D E E C E N T R A L
chiel. Elle permet d’écarter pour merveille un lat. vulg. *miribitia ou *meri-
bilia, dont l'explication est d’ailleurs difficile et qui ne saurait convenir en
tout cas pour rital. meraviglia, le prov. meravelha et le catal. meravetla.
R II. — Si on part d’un type *paravisu, le fr. parois, pour
e m a r q u e
*pareois, rentre dans le môme cas. Mais il n’est pas certain qu’il en ait été
ainsi. Paradlsu peut suffire. On aurait eu tout d’abord 'pareois. avec [8],
510 ÉVOLUTION D E E CENTRAL
R
e m a r q u e. — Il y a donc eu anciennement une alternance verai : vrai
et ferai : ferai, dépendante des conditions dans lesquelles se trouvaient ces
mots (verais Dieus I : lo vrai Dieu ; jo frai : ferai jo ?). Cette alternance a
pourtant disparu dès le vfr. Pour vrai, c’est la forme réduite qui s’est géné
ralisée, à cause de la fréquence des cas où il était employé avec l’article et
un substantif, et sous l’action analogique de vraiement. Mais tandis que frai
est la forme commune dans les anciens textes picards, wallons et anglo-
normands, les autres dialectes du vfr. ont maintenu ordinairement ferai.
Peut-être faut-il songer dans le cas au modèle que présentaient les futurs
du type chanterai, parlerai, etc. C’est ferai qui est devenu la forme du fran
çais littéraire.
chiel. Elle permet d’écarter pour merveille un lût. vulg. *miribilia ou *meri-
bilia, dont l’explication est d’ailleurs difficile et qui ne saurait convenir en
tout cas pour l’ital. meraviglia, le prov. merauelha et le catal. meravella.
R II. — Si on part d'un type *paravisu, le fr. parvis, pour
e m a r q u e
*parevis, rentre dans le même cas. Mais il n’est pas certain qu’il en ait été
ainsi. ParadJsu peut suffire. On aurait eu tout d’abord *paréois, avec [8].
512 ÉVOLUTION D E E CENTRAL
A la suite de la syncope, très ancienne elle aussi, qui aurait eu lieu entre r
et [S], * pare Sis serait devenu *par Sis, d’où parvis ; cf. vol. III: Consonnes.
Le v. fr. parëïs serait donc une forme demi-savante : la syncope ne se serait
pas produite et le f 8], resté intervocalique, se serait ensuite régulièrement
amuï. Quant à paradis, il est tout à fait savant.
B. — D eu xièm e période
a) Chute de ç après l et r :
Elle s’est produite quelle que soit la nature de la consonne qui
suivait f :
Ex. : alebastre > albastre, maletoste > maltoste, calemar > cal
mar, palefrenier > palfrenier, salemandre > salmandre, alleman >
alman, etc., qui s’écrivent aujourd’hui albâtre, maltôie, calmar,
sans e, et palefrenier, allemand, avec e ; — sairement > sairment
— serment, derrenier — dernier, (h)oreloge > (h)orloge, larrecin >
larcin, perresil > persil, courretier > courtier, carrelin > carlin
« chien », charretier > charlier, carrefour > carfour, bourreler >
bourler, carrelet > carlet, etc., qui s’écrivent aujourd’hui serment,
dernier, horloge, larcin, persil, courtier, carlin, sans e, et charretier,
carrefour, bourreler, carrelet, etc., avec e.
Au x v ie siècle, on trouve encore palfrenier chez Palsgrave, et
Alman chez R. Estienne. L’ancienne forme alebastre s’est même
conservée jusqu’à la fin du siècle.
Serment, dernier, larcin, persil sont les seules formes que con
naissent les grammairiens de l’époque. A l’inverse, ils écrivent
toujours carrefour. Pour les autres mots, il y a hésitation. Ainsi,
R. Estienne et Tabourot donnent horloge ; mais l’ancienne forme
horeloge s’est conservée jusque chez Lanoue (1596), qui écrit aussi
horeloger. On trouve de plus chez Palsgrave la forme savante
horiloge. A côté de courtier, on a encore au xvie siècle courretier.
Charlier s’est conservé jusqu’au siècle suivant (La Fontaine).
Bourlet, carlet et carlure sont chez R. Estienne, Nicot (1584) et
Oudin (1633).
CHUTE 515
R emarque I. — Salamandre est une forme savante. Salmandre, qui
provient de vfr. salemandre, se trouve encore chez R. Estienne.
R emarque II. — Inversement, on note l’insertion d’un e purement
orthographique dans caleçon, attesté au xvi® siècle à côté de calçon em
prunté à l’ital. calzoni.
R emarque III. — Vilebrequin provient sans doute du croisement de
vfr. vibrequin avec la forme verbale vire, et de la dissimilation de *virebre-
quin qui en est résulté. Malgré la prononciation [vilbrœkê], l’orthographe a
conservé Ve de la seconde syllabe.
b) Chute de § devant l.
Elle ne s’est produite à l’époque considérée que lorsque la con
sonne précédente était une occlusive labiale ou vélaire, mais non
lorsqu’elle était une dentale.
Ex. : beluteau > bluteau, beluter > bluter, belouse > blouse,
reguelisse > reglisse, houbelon > houblon, surpelis > surplis,
pelote > ploie, qui s’écrivent aujourd’hui bluteau, bluter, réglisse,
blouse, houblon, surplis, sans e, et pelote, avec e.
Au xvie siècle, Sylvius (1531) et R. Estienne (1549) donnent
encore plote. Par contre, on trouve beluteau chez le dernier de ces
auteurs, et belouse chez Mourgues (1685).
c) Chute de ç devant r.
Elle ne s’est produite à l’époque dont on parle que lorsque la
consonne précédente était une occlusive quelconque ou une cons
trictive labio-dentale.
Ex. : berouetle > brouette, materas > matras, esperit > esprit,
chauderon > chaudron, chauderonier > chaudronier, e(s)peron >
e(s)pron, chaperon > chapron, naperon > napron, lapereau > la-
preau, hobereau > hobreau, etc., torterelle > tortrelle qui s’écrivent
aujourd'hui brouette, matras, esprit, chaudron, chaudronnier, sans
e, et éperon, chaperon, napperon, lapereau, hobereau, tourterelle, etc.,
avec e.
Au xvie siècle, hobreau et laprcau se trouvent encore, le premier
chez Palsgrave, le second chez R. Estienne. Par contre, Cotgrave
(1611) donne encore ber(r)oette.
R emarque I. — On a eu de plus teriacle > triacle et dérivé triacleur
feronde > fronde. Mais aucune de ces formes n’a subsisté. Elles ont été
remplacées par les formes savantes thériaque (lat. theriaca) et furoncle (lat.
furunculus).
Remarque II. — Dans les dialectes du Centre, la chute de e n’a pas
eu lieu dans les futurs et conditionnels en -era, -eroit, et portera, demandera,
achatera, etc. ont conservé leur ç sous l’influence sans doute des 3e pers.
indic. prés, porte, demande, achate, etc. Il n’en est pas de même en anglo-
normand, en picard et en wallon, où la phonétique a triomphé et où l’on a
à partir du xm®siècle, portra, demandra, acatra —achatra, etc.
516 ÉVOLUTION DE E CENTRAL
R e m a r q u e III. — O n t r o u v e a u s s i d a n s le s m ê m e s r é g io n s e t à l a m ê m e
époque d es fo rm e s c o m m e torra, sejorra, p a n a , e tc ., p o u r tornera . sejornera,
parlera, e t c . , o ù l a c h u t e d e f p a r a i t r é s u l t e r d ’u n e g é n é r a l i s a t i o n d e c e lle q u i
a eu lie u dans le s e x e m p le s p ré c é d e n ts .
Ex. de f devant i : feis ( < fecisti) > fis, meis ( < misisti) > mis,
feist ( = fecisset) > fist, meist (== misisset) > mist, an fille ( < *ana-
lïcula) > anille, beneir ( < benedîcere) > bénir, leveis ( < *levatïciu)
> levis, f fissions ( = fecissemus) > fissions, m issions ( = misis-
semus) > missions, beneissons ( = benedicimus) > bénissons, etc.
Ex. de e devant a : meaille ( < metallea) > maille, seas ( < *seta-
ceu) > sas, eage ( < *aeiaticu) > âge, mfailler > mailler, eagé >
âgé, etc.
Ex. de f devant à : cheance ( < cadentia) > chance, chçant ( < ca-
dente) > -chant dans méchant, crçance ( < credentia) > mov. fr.
crance, etc.
Ex. de Ia] (levant [ü] : vfr. sëur ( < secüru) > sûr, vfr. reuse
( < refusât) > ruse, vfr. dëu ( < *debülu) > dû, vfr. crëu ( < *cre-
dfitu) > cru, vfr. crëu (< *crevâlu) > crû, vfr. bëu ( < *blbülu) >
bu, vfr. vëu ( < *vidülu) > vu, vfr. dëumes ( < debuimus) > dûmes,
vfr. bëumes ( < bibuimus) > bûmes, etc. ; — vfr. mëur ( < matüru)
> mûr, vfr. ëu ( < *habülu) > [ü] écrit eu, vfr. plëu ( < *placûlu) >
plu, vfr. sëu ( < *sapütu) > su, vfr. pëu ( < *pavülu) > pu dans
repu, vfr. jlëulc ( < *flabûla) > flute, vfr. chëu ( < *cadütu) >
chu dans déchu — échu, vfr. armëure ( < armalüra) > armure, etc ;
— vfr. mëu ( < *mouülu) > mu, vfr. plëu ( < *plouûtu) > plu, vfr.
pëu ( < *potûlu) > pu, vfr. conëu ( < *conovûtu) > connu, etc.
R emarque I. — Mais on a vfr. ëur ( < *aguriu) > -heur dans bonheur
malheur, heureux, malheureux et vfr. fëu ( < *fatùtu) > Jeu. C’est-à-dire qu’à
côté de l’évolution [o?ü] > [ü], on a eu [œü] > [œ]. Cette complexité
apparaît encore plus grande quand on considère l’état ancien de la langue.
Non seulement on y trouve meur, seur et fleuie, avec [ne], pour mûr, sûr,
flute ; mais on peut dire que pendant longtemps, et même chez les meilleurs
poètes, il y a eu hésitation entre [ü] et [œ] pour tous les mots qui ont actuel
lement un [ü].
R emarque II. — Les théories proposées pour l’explication de ce phéno
mène font ordinairement appel à l’influence dialectale. On admet d’une part
que heur et feu ( < *fatülu) proviendraient de l’Ouest où le groupe [oe] + [ü]
s’est réduit à [œ]. Mais il est un fait certain : c’est que le peuple de Paris a
prononcé bonhur et malhur jusqu’au xvn° siècle. De même, hureux prédo
minait à cette époque dans la capitale. L’emprunt se serait donc produit
dans la langue savante, ce qui est assez surprenant. La difficulté s’accroît du
fait que bonheur et malheur ne seraient pas les seuls mots à avoir été emprun
tés, puisque [œ] pour [ü] est très fréquent chez les auteurs du x vie et du
x v ii 0 siècles. D’après d’autres, l’opposition mûr : bonheur proviendrait
d’une perturbation causée dans la phonétique parisienne par le picard.
Dans ce dialecte, l’ô et l’ô latins avaient fini par se confondre dans le son [ü].
La prononciation picarde ayant gagné la capitale, les mots qui avaient ori
ginairement un [a] pouvaient ainsi être prononcés aussi bien avec un [ü]
qu’avec un [crj. D’où une confusion qui a pu amener à son tour le change
ment de [ü] originaire (celui de mûr, sûr, etc., entre autres) en [g?]. Un mot
comme noeud venant à se prononcer [ncr] et [nü], on aurait eu pour mûr
[miirj et [mœr]. Pendant tout le x vie siècle, l’hésitation se serait maintenue
et on aurait prononcé [ü] ou [ce] pour le même mot. Avec Malherbe cepen
dant, la chasse aux dialectalismes aurait commencé, et la prononciation
parisienne aurait été restaurée. Non sans que quelques erreurs aient été
commises. C’est ainsi que la langue aurait conservé bonheur, malheur, feu
d’une part, et mûre pour meure ) < môra) de l’autre. Sans vouloir nier l’im
portance du picard dans le phénomène en question, il convient pourtant de
noter que le nombre d’exemples de [ce] pour [ü] est bien plus considérable
chez les auteurs du x v ie et du xvn® siècles que celui des exemples de [ü] pour
[ce] ; de plus, que [œ] pour [ü] n’est pas populaire, comme l’attestent bonhur et
malhur.
Cette triple remarque permet d’entrevoir la véritable explication. Il ne
s’agit pas ici d’une influence dialectale, directe ou indirecte. On est plutôt
en présence d’un cas de phonétique savante. Malgré la réduction de [a] -r
[ü] à [fil. l’ancienne graphie eu s’était conservée dans peu ( < *potütu),
meur ( < matüru), -heur ( < *agüriu), etc. Les exemples parallèles du type
feis, eage, etc., pour fis, âge, etc., abondent aussi au x v ie siècle. Par suite de
la tendance qu’a toujours éprouvée la langue savante à se différencier de
la langue populaire, la graphie eu de peu, meur, -heur, etc. a été interprétée
comme la graphie eu d e feu ( < föcu), jeu, fleur, etc., et tandis que dans la
langue courante on disait pu, mûr, -hur, etc., la langue littéraire a pu pro •
522 É V O L U T IO N D E E C E N T R A L
E x. de [a?] devant [u] : vfr. pëou {= pedücülu) > pou, vfr. vëouge
( < vïdübiu) > iwuge, etc. ‘
Ex. de [œ] devant [o] : vfr. beau ( = bellus) > [£>p], vfr. vëau ( =
vïtëllus) > [pp], vfr. sëau ( = sïtëllus) > [sp], vfr. marlëau ( = mar-
iëllus) > [marto], etc. Cette évolution représente la dernière phase
du traitement -ëllus, -ëllos dans la langue savante. On a vu pp. 336
sq. que ces terminaisons avaient abouti en français commun à
f-eôHsJ, d’où par analogie [-eau] et [-eo] au cas régime singulier.
Cependant tandis que l’e de [-eo] s’est fermé en i dans la langue po
pulaire, d’où [-tp], il s’est conservé tel quel dans la langue savante,
puis s'est labialisé en [œ] sous l’action de l’o suivant, d’où [-œo].
Ex. de [œ] devant [ô] : vfr. rëond — [rœônt] ( < *retondu, cl.
rotondum) > rond, prononcé autrefois [rônt], auj. [rô].
Ex. de [œ] devant [u>] : vfr. chëoir ( < *cadêrc) > choir, vfr. sëoir
( < sedëre) > asseoir, vfr. vëoir ( < vïdëre) > voir., etc. Cependant
Y[ce] se prononçait encore au x v ie siècle d’après le témoignage de
certains grammairiens. L’orthographe a suivi la prononciation
dans choir ( déchoir) et voir, mais non dans asseoir.
Ex. de [œ] après [u] : vfr. louëra ( < *laudaràt, locaràt) > [/ura]
vfr. nouera ( < *nodardt) > [nura], etc. L’orthographe a maintenu
l’e, d’où les graphies actuelles louera, nouera.
a) Cas d'un seul [ce]. — Il tombe s’il n’est précédé que d’une
seule consonne ; mais il se prononce après deux consonnes. Ex. :
amèr(e)ment, touch(e)ra, rapp(e)ler, tout (e) temps, il l’a j(e)lé,
1
etc. beaucoup plus fréquents que j(e) le, j(e) me, qu(e) je, etc. Ex. :
car je n(e) l’ai pas, mais aussi et je n(e) l'ai pas ; car je (e) fais,
1
r..
i'
TA BLE DES M A TIÈR ES
P R ÉLIM IN AIRES
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre P remier
P H É N O M È N E S IN D É P E N D A N T S
Chapitre II
Chapitre III
PH É N O M È N E S DÉPENDANTS
DE LA D U R É E V O C A L IQ U E .I
I. — D u r é e v o c a l iq u e e t d ip h t o n g a i s o n .....................
217
A. — Evolution de ç, p, e, o et de a accentués et longs 219
1° Première diphtongaison spontanée........ 219
2° Seconde diphtongaisonspontanée........... 223
3° Remarques générales sur la diphtongaison
spontanée de ë, p et a............................ 228
TABLE DES MATIÈRES 531
Chapitre IV
Chapitre V
PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
(Actions au contact)
çu français............................. 303
2
ou français.............................. 308
2
çu français.............................. 318
2
D. — A c tio n o u v r a n te ............................................ 3 4 3
1° Action conservatrice................................... 3 4 3
Chapitre V I
PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
(actions à distance)
C h a p it r e VII
PH ÉN O M ÈN ES D É PE N D A N T S
DE L’ARTICULATION DES PH O N ÈM ES V O ISIN S
(Actions com b in ées au contact et à distance)
DEUXIÈME PARTIE
Ch a pit re V III
C h a p it r e VII
PHÉNOMÈNES DÉPENDANTS
DE L’ARTICULATION DES PHONÈMES VOISINS
(Actions combinées au contact et à distance)
DEUXIÈME PARTIE
C h a p it r e VIII
3° Dissimilations.................................. 455
C. — Actions combinées................. .................. 457
C h a p it r e I X
PÉNULTIÈM ES ATONES
Chapitre X
PRÉTONIQUES INTERNES
Ch a p itr e x i
VO Y EL L E8 FIN A L E8
Chapitre xii
ÉVOLUTION DE E CENTRAL