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ET DE LA FORMATION CONTINUE
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Présentation
1. Avertissement
Il m’a donc fallu penser à une formule qui puisse répondre d'une manière
satisfaisante à un objectif simple : permettre au candidat d'avoir des
connaissances précises sur les principaux traits grammaticaux de l'ancien
français. Nous verrons plus bas que l'ancien français n'est pas une langue
standardisée comme l'est le français moderne. Plusieurs dialectes, plusieurs
langues littéraires qui ont coexisté au Moyen Age forment ce qu'on appelle
communément l’ancien français. Les différences entre ces dialectes, ces parlers
régionaux, si l’on s'y attarde, risquent de créer des confusions entre des traits
communs et des traits dialectaux et de gêner la réalisation du premier objectif de
ce cours (en italique dans ce même paragraphe). Pour éviter les problèmes de
dialectologie comparative j'ai dû élaborer mon cours à partir de deux lais très
courts de Marie de France : Bisclavret (318 v.) et Laüstic (160 v.)
1
La dialectologie, c’est-à-dire l’étude linguistique des dialectes) ne sera cependant pas tout à fait absente de ces
fascicules.
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2 Méthodologie
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Introduction
1) Origine du français.
La rupture entre les deux langues s'est faite au Ve siècle, soit à partir du
moment où les habitants de la Gaule n'ont plus compris le latin, On peut donc
raisonnablement penser que la naissance du français date du Ve siècle, et on
peut le définir comme étant le résultat de l'évolution du latin parlé (vulgaire) en
Gaule. Cette langue, exclusivement orale à l'origine, est connue sous le nom de
gallo-roman (c’est-à-dire le roman tel qu'il est parlé en Gaule). On dit également
protofrançais (= français primitif). Le français, comme toutes les langues issues
du latin,, est donc une langue romane (l'adjectif dérive de Rome).
Par quoi ce roman est-il déjà du français ? Les traits les plus
caractéristiques sont : 1/ en morphologie, une opposition de deux cas (sujet et
objet) remplaçant la flexion latine à six cas (nominatif, accusatif, génitif, datif,
ablatif, vocatif). 2/ En syntaxe, la phrase se développe selon un ordre plus
linéaire (postposition du sujet lorsque la phrase commence par un régime -
complément nominal ou adverbe - ; le déterminant se place devant le déterminé ;
etc.).
2
Ce latin "classique" a été fatalement simplifié et altéré par le voisinage du latin populaire. On lui donne le nom
de « bas-latin »
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Ces traits (et bien d'autres qu'il est inutile d'évoquer ici parce que l'objet de ce
cours n'est pas le gallo-roman mais bien l'ancien français), ces traits donc
distinguent nettement cette nouvelle langue du latin.
2) l’ancien français
Les grands dialectes d'oïl sont donc le normand à l'ouest et son voisin
d'Angleterre l’anglo-normand3 (d'ailleurs Bisclavret et Laüstic sont des textes
anglo-normands), le picard et le wallon au nord, le champenois et le lorrain à
l'est, et le francien en Ile-de-France (région correspondant à peu près à la Plaine
de France, c'est-à-dire au Bassin Parisien). Les dialectes d'oc les plus importants
sont le provençal et le limousin. Notons qu’il existe une petite zone dialectale
intermédiaire entre ces deux groupes de dialectes : celle du franco-provençal.
3 L'Angleterre a été envahie au lIe siècle par les Normands. Cette conqugte correspond à une extension du
domaine linguistique français. L’anglo-normand n'est en fin de compte que du normand parlé et écrit en
Angleterre.
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une forme adoucie dans le Midi : mutare (= « changer ») a donné mudar en
provençal et muer en francien.
2/ Il n’y avait pas de véritables frontières entre les différents dialectes de telle
sorte qu’il est presque impossible de les catégoriser d'une manière stricte. Les
textes qui nous sont parvenus peuvent contenir des traits dialectaux d'origines
diverses.
3/ C'est le francien qui a abouti au français moderne, non pas pour des raisons
linguistiques (tous les dialectes cités plus haut se "valaient") mais pour des
raisons politiques : le comte de Paris est devenu roi de France
Pour pouvoir étudier d'un point de vue linguistique les textes médiévaux,
il convient de prendre en considération les principes de base suivants :
1/ La langue médiévale se transforme plus vite que la langue d'aujourd'hui -ces
forces conservatrices que sont l'école, les dictionnaires, les grammaires
n’existaient pas.
2/ I’évolution est inconsciente : chaque génération a toujours cru parler comme
la précédente,
3/ Les changements semblent se faire selon un processus commandé par des
lois, dégagées de l'observation -comme n'importe quelle loi physique-.
4/ Ces changements ne se font pas par décret académique, ils sont, comme on l’a
dit, inconscients. Cela fait que des formes archaïques peuvent côtoyer des
formes innovatrices à l'intérieur d’un même texte, parfois dans la même phrase.
5/ Les textes médiévaux qui nous sont parvenus ne sont presque jamais de
première main, En fait, ils nous parviennent sous forme de manuscrits écrits par
des copistes 50 ans, 100 ans, même davantage après la rédaction des originaux.
Ce décalage temporel est à prendre en ligne de compte. D'un autre côté, le
scribe n’est pas forcément de la même zone dialectale que l’auteur et son
manuscrit contient presque toujours des particularités de son propre dialecte.
6/ Il n’y avait pas d'orthographe commune en ancien français. Par exemple pour
chevaux, on peut trouver les formes graphiques suivantes : chevals, chevaus,
chevax, chevaux. Il est à signaler que les éditeurs modernes des textes
médiévaux tendent souvent à rendre uniformes les réalisations graphiques, pour
la commodité de la lecture.
Le premier texte écrit en français qui nous soit parvenu est Le Serment de
Strasbourg (842). Il s'agit également de la première manifestation écrite de
l’allemand étant donné que c'est un texte bilingue dans lequel Charles le Chauve
et Louis le Germanique (deux des petits-fils de Charlemagne) se promettent une
assistance mutuelle contre les entreprises de leur frère Lothaire. Le Serment
n'est donc pas une oeuvre littéraire mais un simple accord militaire entre une
armée franque et une armée tudesque.
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Les premières œuvres littéraires - dans un sens large - sont fortement
marquées par la religion ; elles sont d’ailleurs le plus souvent traduites du latin
comme la Séquence de sainte Eulalie (881) ou la Vie de saint Alexis (1040). Ce
n'est qu'au XIIe et au XIIIe siècles que les textes proprement littéraires ont vu le
jour. Les œuvres qui datent de cette période sont très diversifiées et touchent à
plusieurs genres. En voici les plus importants :
3/ Le roman courtois : Le genre, même si son nom peut prêter à confusion, est
versifié. Il témoigne du "raffinement progressif de la société médiévale". On
peut distinguer plusieurs cycles ici aussi :
- Les plus célèbres d'entre ces romans en vers sont du cycle du roi Arthur
et de ses Chevaliers de la Table Ronde. Ce roi légendaire et ses chevaliers ont
inspiré les romans bretons de Chrétien de Troyes ainsi que les Lais de Marie de
France4. On peut également rattacher à ce cycle Tristan et Iseut raconté par les
trouvères anglo-normands Thomas et Béroul.
- Le cycle du Saint-Graal a pour héros Lancelot du Lac que plusieurs
romans en vers et en prose, ont glorifié.
- Le Roman de Renart appartient a un genre plus populaire. Il est
composé de 26 poèmes ou "branches" et il est considéré comme une parodie du
roman courtois.
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manuels ou des livres spécialises, ne serait-ce que le Lagarde et Michard
consacré au Moyen Age.
4) Bibliographie
a/ Connaissances philologiques générales : histoire de la langue, vocabulaire,
étymologie, dictionnaires :
1) J. Batany : Français médiéval. Bordas, 1978.
2) O. Bloch et W. Von Wartburg : Dictionnaire étymologique de la langue
française.PUF.
3) F. Brunot : Histoire de la langue française, des origines à 1900.
(1905....).Champion
4) J. Chaurand : Histoire de la langue française ."Que sais-je ?" PUF,1969.
5) " : Introduction à l'histoire du vocabulaire français. Bordas, 1977.
6) A. Dauzat : Histoire de la langue française. Payot, 1950.
7) A. Dauzat, J.Dubois et H.Mitterand : Nouveau dictionnaire étymologique.
Larousse.
8) M. Galliot : Etudes d'ancien français. Didier
9) F. Godefroy : Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous les
dialectes, du IXe au XVe siècles.Vieweg Bouillon (10 volumes). 1881-1902.
10) Godefroy, Bonnard, Salmon : Lexique de l'ancien français. Champion, 1990
11) Gougenheim : Etudes de grammaire et de vocabulaire français . Payot,1970.
12) A. J. Greimas : Dictionnaire de l'ancien français . Larousse, 1968.
13) A. Lanly : Fiches de philologie française,1971
14) J. Picoche et C. Marchello-Nizia : Histoire de la langue française .Nathan.
1989.
18) G. Raynaud de Lage : Manuel pratique d'ancien français. Picard. 1983.
19) A. Rey : Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert. 1992.
b/ Phonétique :
20) H. Bonnard - Synopsis de phonétique historique.Hachette/Larousse, 1982.
21) E. et J. Bourciez : Phonétique française .Klincksieck, 1978
22) F. de la Chaussée : Initiation à la phonétique historique du français.
Klincksieck, 1974.
23) G. Joly : Précis de phonétique historique du français. Armand Colin, 1995.
24)G. Zink : Phonétique historique du français . PUF, 1986.
c/ Morpho-syntaxe :
25) N. Andrieux et E. Baumgartner : Systèmes morphologiques de l'ancien
français, Sobodi, 1987.
26) A. Bonnard et Régnier : Petite grammaire de l'ancien français. Magnard .
27) Brunot et Bruneau : Précis de grammaire historique de la langue française.
Masson, 1932.
28) F. de la Chaussée : Initiation à la morphologie historique du français,
Klincksieck, 1978.
29) P. Fouché : Morphologie historique du français. Le verbe.. Klincksieck,
1977.
30) L. Foulet : Petite syntaxe de l'ancien français . H.Champion, 1930
31) P. Guiraud : L'ancien français . PUF "Que sais-je ?". 1971.
32) " : Le moyen français . PUF "Que sais-je ?",1963.
33) A. Lanly : Morphologie historique des verbes français . Bordas 1977
34) Ph. Ménard : Syntaxe de l'ancien français.SOBODI. 1973.
35) G. Moignet : Grammaire de l'ancien français. Klincksieck, 1973.
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36) " : Essai sur le mode subjonctif en latin postclasique et en ancien
français. PUF,1959.
37) K. Nyrop : Grammaire historique de la langue française. Payot, 1914-1936.
(6 volumes).
38) J. Picoche : Précis de morphologie historique du français. Nathan, 1979.
39) G. Raynaud de Lage : Introduction à l'ancien français. SEDES,1947.
40) G. Raynaud de Lage et Geneviève Hasenohr : Introduction à l'ancien
français.SEDES, 1990.
41) R.-L. Wagner : L'ancien français. Larousse, 1974.
42) G. Zink : L'ancien français. PUF "Que sais-je ?",19
.
43) " : Le moyen français. PUF "Que sais-je ?",1990.
44) " : Morphologie du français médiéval, PUF,1989.
e/ Métrique :
45) F.Deloffre : Le Vers français. SEDES. 1973.
46) W.Th. Elwert : Traité de versification française. Klincksieck, 1964.
47) G.Lote : Histoire du vers français. Première partie : le Moyen Age (3
volumes). Boivin/Hatier. 1949. 1951. 1955.
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5) Répartition des dialectes en France au Moyen Age
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6) Marie de France.
1/ Les Lais : un recueil de 12 poèmes - que Marie appelle parfois lais narrant
des histoires d'amour souvent féériques et merveilleuses, toujours émouvantes.
Les Lais ont été écrits entre 1160 et 1170 en anglo-normand. Ils nous sont
parvenus grâce à 5 manuscrits qui les reproduisent totalement ou partiellement.
Le manuscrit le plus fiable et le plus proche chronologiquement est le manuscrit
de Harley, qui a été écrit en Angleterre vers le milieu du XIIIe siècle. Le texte
que vous avez en photocopie reproduit dans sa quasi totalité ce manuscrit
anglais.
N.B. Ce qu'on appelle habituellement lai, c'est un genre de poésie chantée
caractérisé par des strophes longues, or cela n'est pas le cas des lais de Marie qui
ne sont ni chantés ni strophiques, les Lais de Marie de France sont en fait des
contes rimés inspirés, selon l'aveu même de l'auteur, des lais bretons.
2/ Les Fables : que Marie de France a traduit de l'anglais à partir des Fables
attribuées au roi Alfred. L'intervalle dans lequel Marie a pu écrire ses Fables est
compris entre 1167 et 1189.
4) Corpus : Bisclavret et Laüstic ne sont pas les plus importants des lais de
Marie de France. Des Lais comme Lanval, Guigemar, Eliduc ont sans doute plus
de poids que les deux œuvres de l’u.v.. Peu importe, notre approche ne sera pas
littéraire mais linguistique. Bisclavret et Laüstic seront des instruments de
travail, choisis justement parce qu’ils ne sont pas très longs. Le cours sera
consacré à la discription d’extraits du Bisclavret, et je réserve les passages non
étudiés de ce lai, ainsi que la totalité de Laüstic en tant que corpus pour
l’examen.
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Extrait de l’article de Encyclopedia Universalis consacré à la langue française
Pour rendre compte de l’évolution d’une langue, le linguiste distingue traditionnellement deux sortes
de facteurs : des facteurs internes, c’est-à-dire des mécanismes de changements proprement
linguistiques, dus aux modifications et au réaménagement des systèmes, et des facteurs externes, à
savoir les modifications de la société, des techniques, etc., ainsi que les événements historiques. Ces
causes non linguistiques ont sur le lexique une action nettement discernable, mais il est impossible de
mettre directement en rapport avec un fait historique un fait de syntaxe quel qu’il soit. On peut
seulement affirmer que les périodes de faiblesse politique et de désordre social accélèrent l’évolution
d’une langue, tandis qu’un pouvoir fort et la centralisation ont tendance à la fixer. D’autre part, les
changements linguistiques sont très lents, beaucoup plus lents que les changements sociaux ; aussi
n’est-il pas rare de voir certaines évolutions freinées ou stoppées par l’apparition de nouveaux
facteurs externes avant d’être arrivées à leur terme. Cet enchevêtrement des causes rend délicate
l’interprétation de leurs effets.
Ces hypothèses et ces observations sont celles des principaux historiens du français, de Ferdinand
Brunot à Marcel Cohen et Walther von Wartburg. Issue de la tradition linguistique française du
XIXe siècle finissant, tradition à la fois historique et sociologique qui est aussi celle de Meillet,
l’histoire de la langue s’est constituée en « discipline » originale sous l’impulsion de F. Brunot. Dans
la première moitié du XXe siècle paraissent plusieurs histoires du français, ouvrages de longue
haleine, et d’innombrables travaux ponctuels. Ainsi un travail considérable est d’ores et déjà
accompli ; l’histoire externe du français se trouve faite dans ses grandes lignes, une masse de
matériaux a été accumulée, des dates fixées, les évolutions esquissées.
Les études d’histoire linguistique ont ensuite connu une désaffection et l’histoire de la langue a été
totalement abandonnée, du moins sous la forme de synthèses que lui avaient donnée ses créateurs. La
raison principale en est la domination, dans les sciences humaines, des théories structuralistes, bien
que leur incompatibilité avec l’histoire vienne plutôt de prémisses mal posées que de questions de
fond. D’ailleurs la linguistique historique dans sa dimension temporelle , diachronique, n’a jamais
cessé d’être pratiquée (il y a un structuralisme diachronique). C’est la dimension sociale de l’histoire
qui s’est trouvée évacuée par la prééminence accordée aux descriptions synchroniques des structures,
c’est-à-dire aux permanences, aux invariants.
De nombreux signes indiquent, dans l’évolution récente des études linguistiques, un renversement
de ces tendances : la prise en compte de la variation en synchronie par la sociolinguistique, la
dialectologie ou les analyses de discours, entraînera tôt ou tard une complète réévaluation de la
variation diachronique. L’histoire des langues en général et du français en particulier s’en trouvera
renouvelée et profondément modifiée dans ses méthodes et ses principes sinon son esprit et ses
objectifs qui restent actuels.
1. Histoire
Du latin au français
L’histoire du français, langue romane, commence au latin, non pas au latin classique mais au latin
« vulgaire » ou « populaire » ou encore « roman commun » : on appelle ainsi ce que l’on suppose
avoir été la langue parlée dans la partie occidentale de l’Empire romain. De l’ancienne langue
celtique gauloise, qui n’était pas écrite, il n’est resté que quelques mots. Les invasions germaniques
en Gaule entraînent, avec le morcellement et la faiblesse du pouvoir politique, la ruine des lettres et
des études latines et une accélération de l’évolution qui fait éclater le gallo-roman en dialectes
multiples répartis en deux groupes principaux : le groupe d’oïl au nord et le groupe d’oc au sud. En
même temps, un nombre assez important d’éléments germaniques pénètrent dans la langue.
L’ancien français s’est constitué dans le domaine d’oïl. Ses caractères dominants sont ceux des
variétés écrites et parlées en Île-de-France, par suite de circonstances historiques et politiques
(unification du pays par les rois de France autour de Paris, leur capitale).
Le premier texte en langue romane qui nous soit parvenu est celui des Serments de Strasbourg
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(842). Depuis la conquête de César, en 51 avant J.-C., huit siècles se sont écoulés, pendant lesquels le
latin parlé par les colonisateurs romains s’est profondément transformé. Toutefois, on ignore presque
tout des modalités et des phases de cette évolution.
L’ancien français
La situation linguistique
La période qui s’étend du Xe au XIIIe siècle voit s’établir puis s’effondrer la féodalité. Chrétienne,
diversifiée et fortement hiérarchisée, guerrière, agricole et campagnarde plus qu’urbaine, telle est la
société féodale.
Tout au long de son histoire, l’unification linguistique de la France est liée à son unification
politique et aux progrès de la centralisation. La cour du roi, fixée à Paris, est malgré quelques éclipses
une des plus brillantes ; la capitale doit aussi son rayonnement intellectuel à ses écoles et à son
Université. La centralisation de l’administration et du pouvoir judiciaire va dans le même sens – à
partir du XIIIe siècle, la justice royale s’affirme aux dépens des juridictions seigneuriales ou
ecclésiastiques. Aussi, il semble bien que se soient élaborées très tôt dans le domaine d’oïl des
variétés écrites communes, scripta administrative, koïne littéraire, plus ou moins fortement teintées
de traits dialectaux selon les époques et les régions, mais intelligibles dans tout le Nord et ne
s’identifiant à aucun dialecte localement parlé. Au XIIe siècle, la langue des œuvres littéraires
présente des différenciations provinciales : normandes (Béroul), picardes (Jean Bodel) ou
champenoises (Villehardouin, Chrétien de Troyes). Au XIIIe siècle, de nombreux témoignages
montrent le prestige et l’influence croissante de l’ancien français « commun », illustrée à partir de
1276 par l’immense succès du Roman de la Rose . De même, les scriptae régionales perdent au fil du
temps leurs traits dialectaux. Ce que l’on a appelé le francien , à la suite des romanistes de la fin du
XIXe siècle, semble finalement ne pas avoir existé en tant que langue parlée en Île-de-France mais
correspondrait plutôt à la scripta de cette région. Le dialecte local réellement parlé dans les milieux
populaires nous reste peu ou prou inconnu. Dans le Midi, la situation linguistique générale présente la
même organisation ; mais l’occitan comme langue littéraire dépérit après la croisade des Albigeois
(XIIIe s.) ; la scripta provençale résistera un peu plus longtemps. Et le domaine d’oc restera fractionné
en de multiples parlers locaux.
La période d’équilibre classique de l’ancien français se situe aux XIIe et XIIIe siècles. C’est surtout
cet état de langue qui est décrit ici.
Une langue colorée et harmonieuse
Le lexique de l’ancien français, en harmonie avec la société médiévale, est dans l’ensemble concret et
technique, c’est-à-dire tourné vers les réalités rurales ou guerrières et la vie pratique ; d’autre part, le
système féodal et le monde courtois font naître un vocabulaire indiquant des rapports hiérarchiques
ou aristocratiques complexes.
À partir d’un fonds primitif provenant du roman commun, auquel s’ajoutent un faible substrat
gaulois et un superstrat germanique plus important, ce lexique se développe beaucoup par dérivation.
La dérivation régressive est un procédé très productif jusqu’au XVIIe siècle (par exemple, acointer
donne acoint ou acointe ). Quant aux formes suffixées, leur variété est impressionnante, mais elles
ne sont pas spécialisées sémantiquement et les doublets prolifèrent (abit , abitage , abitement ,
abitance , abitail signifient tous habitation , mot savant qui les a remplacés). Dès cette époque, le
vocabulaire savant commence à se « relatiniser », mais les termes empruntés sont francisés selon les
schémas phoniques et morphologiques de l’ancien français. Coexistent aussi des synonymes issus de
dialectes différents. Richesse et diversité morphologique, telles sont donc les caractéristiques du
vocabulaire médiéval.
L’accent tonique, extrêmement fort en latin vulgaire et jusqu’au XIe siècle, est responsable d’une
véritable érosion phonétique qui ruine les flexions et réduit la plupart des mots à une ou deux syllabes
(par exemple, oculum œil ; hospitem hôte ). Les voyelles qu’il frappait se sont conservées du
latin au français, mais elles ont été diphtonguées ; l’abondance et la variété de ces diphtongaisons qui
vont peu à peu disparaître au cours de l’évolution, opposent l’ancien français aux autres langues
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romanes. Les voyelles initiales, frappées par un accent secondaire, ont moins évolué. Presque toutes
les voyelles inaccentuées ont disparu. Les consonnes ont eu tendance à s’amuïr entre les voyelles et
en position finale ; les groupes consonantiques se tont réduits.
Avec ses nuances vocaliques nombreuses, son [2] (e sourd) caractéristique de l’évolution du
français (il provient surtout du a final latin qui se rencontrait dans les substantifs féminins de la
première déclinaison, et il devient ainsi la marque du féminin français), avec ses consonnes simples
(les groupes consonantiques, nombreux dans la plus ancienne langue, sont en voie de disparition),
l’ancien français donnait une impression générale de douceur, attestée par des témoignages de
l’époque.
La graphie, quoique très fluctuante, est assez simple et phonétique.
Les transformations qui, sur le plan du système morpho-syntaxique, mènent du latin vulgaire à
l’ancien français puis au moyen français s’expliquent en partie par l’action déstructurante de
l’évolution phonétique, tantôt compensée, tantôt compliquée, tantôt accélérée par les changements
sémantiques et par un processus analogique, important dans une langue évoluant librement.
L’ancien français a ainsi hérité du latin, pour les substantifs et déterminants masculins, une
déclinaison réduite à deux cas : le cas sujet singulier (fonctions : sujet, attribut) y est marqué par un s
final dont l’absence caractérise le cas régime (fonctions : complément d’objet direct, régime des
prépositions) ; au pluriel, on trouve la répartition inverse. Cette flexion a dû disparaître très tôt de
l’usage parlé. Le fait est acquis au XIVe siècle. Le système prépositionnel de l’ancien français et
l’article, création romane, assuraient déjà une partie des fonctions dévolues en latin aux désinences ;
l’amuïssement de l’s en position finale et la fixation progressive de l’ordre des mots (sujet-verbe-
complément) feront le reste, sans qu’on puisse dire lequel parmi tous ces facteurs a précédé les autres.
C’est presque toujours le cas régime, beaucoup plus employé que le cas sujet à cause de ses fonctions
multiples, qui l’emporte ; ainsi l’s final est devenu la marque écrite de notre pluriel moderne.
La diversité morphologique constitue un des caractères les plus frappants de l’ancienne langue.
Elle a plusieurs causes :
– l’évolution phonétique, responsable, par exemple, de l’alternance vocalique du radical dans
beaucoup de conjugaisons (parfait fort de veoir : vi , veïs , vit , veïsmes , veïstes , virent ) ainsi que
des formes différentes pour le cas sujet et pour le cas régime des substantifs (sire , seignor ; lerre ,
larron ) ;
– l’analogie, source de réfections nombreuses (ainsi, plus tard, on reconstruira deux flexions
régulières, une pour sire , une pour seignor ; une pour chantre , une pour chanteur ) ;
– enfin l’introduction de traits dialectaux d’origines diverses, comme les désinences de l’imparfait de
l’indicatif chantoe , -oue (anglo-normand), chanteve , -eive (Est) à côté de chanteie, -oie pour la
première personne du singulier.
La syntaxe se présente comme un système beaucoup plus cohérent et parfois très différent de celui
du français moderne : même si les formes sont demeurées, leurs fonctions, en général, ont changé. On
ne prendra que deux exemples :
– L’emploi de l’article dépend du degré plus ou moins grand de détermination ; l’indétermination
entraîne l’absence d’article, devant les termes abstraits par exemple (« Povre sens et povre
memoire/M’a Diex done... », Rutebeuf). L’indéfini remplit une fonction d’actualisation et la série
uns , une introduit des personnes ou des choses parfaitement individualisées (comparez : « Je suis
uns vius hom » et « Il ne remaint en branche fueille », Rutebeuf).
– La valeur et l’emploi de quelques formes verbales : les temps composés gardent la valeur des temps
simples et, dans les mêmes textes, le présent peut alterner avec le passé composé (qui commence à
entrer en concurrence avec le parfait). Le subjonctif est d’un emploi très étendu, particulièrement
dans les phrases hypothétiques.
Enfin, l’ordre des mots dans la proposition, tout en étant soumis à des habitudes précises, est d’une
souplesse que la langue moderne a perdue.
Le moyen français
De la guerre de Cent Ans à la Renaissance
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Dans ce laps de trois siècles, la périodisation est très discutée. Si la plupart des historiens de la langue
sont à peu près d’accord sur la limite supérieure (première moitié du XIVe s.), l’appartenance du
XVIe siècle à l’entité moyen français est souvent remise en question. L’expression elle-même de
« moyen français », due sans doute à Darmesteter et imposée par Ferdinand Brunot, n’est pas
exempte de connotations téléologiques, et parfois dévalorisantes, que formule autrement Charles
Bruneau lorsqu’il parle de « français fluant ». De toute façon, il importe de rejeter l’idée que le
moyen français serait un état de langue intermédiaire qui permettrait de « passer » de l’ancien
français au français moderne, via la langue de la Renaissance et le français classique. Les systèmes
linguistiques et les conditions socio-historiques sont suffisamment distinctes et caractéristiques pour
qu’on les décrive de façon autonome. Il reste que de nombreux traits encore présents dans les états de
langue postérieurs apparaissent au XIVe siècle et que la langue française connaît alors de profondes
transformations. Telles que des écrivains comme Froissart ou Villon, médiévaux par la culture et les
thèmes, emploient une langue beaucoup plus proche de celle de Rabelais que de celle de Joinville ou
de Rutebeuf. Ici, l’histoire de la langue et celle de la littérature ne coïncident pas.
Le système féodal est en déclin ; la centralisation s’amorce. L’usage du français s’étend, dans les
villes tout au moins, car les provinces et les campagnes parleront jusqu’à la Révolution les anciens
dialectes réduits au rang de patois.
Aux XIVe et XVe siècles apparaissent des tendances et des facteurs d’évolution que les
circonstances sociales et culturelles portent à leur maximum de développement et d’efficacité au
XVIe siècle. Avec la prose littéraire (romans, histoire, théâtre religieux ou profane) et les débuts
d’une prose judiciaire solide et logique (rédaction des Coutumes ), le français entame les positions du
latin. Les notions de style, de technique, d’amélioration possible de l’écriture se font plus
impérieuses. Toutefois, cette promotion se fait sous l’étroite tutelle du latin, à la fois recours et
modèle, et l’on assiste au développement d’une étrange folie latinisante.
En face de cette langue écrite, on entrevoit, à travers les farces, les mystères, les soties et les
poésies en jargon comme celles de Villon, l’existence d’un langage parlé populaire, qui en est bien
différent.
Au XVIe siècle, l’autorité royale se renforce ; François Ier, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts
(1539) abolissant l’emploi du latin dans les tribunaux, inaugure une politique linguistique. Cependant
on a toutes les raisons de penser que cet acte autoritaire entérine une évolution déjà bien avancée dans
les faits. De même, dans le Midi, la scripta de l’administration royale avait achevé de se substituer à
la scripta locale provençale dès le XVe siècle. Les guerres d’Italie, les luttes intérieures brassent les
hommes et les idées. L’imprimerie – le premier imprimeur s’était installé à Paris en 1470 – donne
naissance à un commerce important et change les conditions de lecture, de composition littéraire et
d’uniformisation de la langue.
Le mouvement humaniste de la Renaissance est un retour aux sources gréco-latines qui a autorisé
une relatinisation de la langue écrite. Mais il s’accompagne de l’ambition nouvelle de hisser le
« vulgaire » français sur le même plan que le latin, et de réflexions approfondies sur les divers
moyens de cultiver dans ce dessein l’idiome national. L’expression la plus brillante de ces
préoccupations se trouve dans la Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay.
Cet intérêt nouveau pour les problèmes linguistiques fait naître la philologie, une réflexion
grammaticale digne de ce nom, ainsi que les premiers dictionnaires, « thresors » français-latins (Jean
Nicot, Robert Estienne). Petit à petit, le français gagne la médecine, les mathématiques, la
philosophie, etc. Sa victoire sur le latin sera complète à la fin du XVIe siècle malgré la persistance
jusqu’au XVIIe siècle d’une littérature latine d’ailleurs assez médiocre.
Création lexicale et fixation progressive
Pour remplir ces fonctions nouvelles de langue écrite, le vocabulaire doit se développer : le moyen
français constitue la période de création lexicale la plus intense de l’histoire de notre langue : le
mouvement commence dès le XIVe siècle. D’après les analyses statistiques de P. Guiraud portant sur
20 000 mots souches actuellement vivants, 22 p. 100 remontent à l’ancien français, 43 p. 100 sont
entrés dans l’usage du XIVe au XVIe siècle et 35 p. 100 depuis. On peut dire, en tenant compte des
mots proscrits au XVIIe siècle, qu’une très large part du vocabulaire de la langue est renouvelée.
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Ce prodigieux accroissement est fait, pour moitié, d’emprunts au latin que l’on « escume ». On lui
reprend des affixes savants (-tion ) ; on importe directement (radius ) ; on francise (génie , horaire ) ;
on dérive (humaniste ) ; on calque (chèvre-pied , chose publique ) ; enfin on relatinise à tort ou à
raison (enferm devient infirme ) et il arrive que le mot populaire résiste à côté de son substitut savant
(frêle /fragile ). Beaucoup de ces latinismes n’ont pas survécu (expériment ). Les conséquences de ce
processus sont considérables. Les nouveaux mots, plus abstraits ou plus techniques que les anciens,
sont toujours plus longs, car ils n’ont pas subi l’érosion phonétique ; fixés dans la langue écrite par la
tradition puis par l’école, ils s’introduiront dans le français commun et en modifieront profondément
le caractère.
Les mêmes remarques s’appliquent aux emprunts au grec, nombreux à partir du XVIe siècle. Les
autres sources, italienne, espagnole, provençale, sont moins productives ; elles affectent des domaines
plus concrets. La Pléiade préconisait la dérivation et la composition à partir de souches françaises ; en
fait, on y a beaucoup moins recouru qu’à l’emprunt aux langues anciennes, plus facile et plus
prestigieux.
Sur le plan phonétique, presque toutes les évolutions importantes sont achevées lorsque finit le
XVIe siècle.
La plupart des diphtongues et des hiatus se sont réduits à des voyelles simples. L’e sourd s’est
amuï (à Paris au moins) et les consonnes finales ne se prononcent plus, ce qui, dans le cas d’s et de t ,
est lourd de conséquences pour l’équilibre morpho-syntaxique.
Mais toutes ces lettres continuent de s’écrire. Pis, on en ajoute pour distinguer les homonymes (un
numéral/ung indéfini) ou par souci étymologique (tere devient terre à cause de terra ; fait devient
faict à cause de factum ). La complexification de l’orthographe française est chose faite au XVIe
siècle et, déjà, les efforts des réformateurs échouent devant la conjuration des scribes et des
imprimeurs.
La prononciation présente une articulation plus nette et plus ferme que celle de l’ancien français.
Une prononciation cultivée, assez stable, commence à se différencier de la prononciation populaire,
probablement vers 1300. Au début du XVIe siècle en tout cas, un certain nombre de phonétismes les
distinguent nettement (chouse/chose ; biau/beau ; Maubart/Maubert ). Le maintien de la liaison
pour éviter certains hiatus est une réaction savante contre la chute des consonnes finales, générale
dans la langue populaire.
L’état du système morpho-syntaxique présente un apparent désordre. Dans les textes, les habitudes
anciennes et l’usage nouveau coexistent jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle. Dans tous les
domaines on élimine et l’analogie reconstruit tant bien que mal ; un ordre relatif s’établit. Par
exemple, dans les conjugaisons, on réduit de nombreuses alternances vocaliques du radical ; peu à
peu, nous amons , il cuevre , poiser cèdent la place à nous aimons , il couvre , peser . La conjugaison
en -er s’étend au détriment des autres (par exemple, brûler remplace ardre ). Enfin les désinences
temporelles se fixent, telles que nous les connaissons aujourd’hui.
D’autre part, le nombre des flexions diminuant, les outils grammaticaux se précisent. Par exemple,
les articles – de plus en plus employés, y compris devant les noms abstraits – tendent à devenir de
simples marques du substantif indiquant genre et nombre ; la répartition moderne des emplois entre
défini et indéfini s’ébauche ; le système est complété par la création d’un indéfini pluriel, des , qui
remplace uns dont l’s final n’était plus senti, et la mise en place de notre moderne partitif du , de
la ; de même, le pronom personnel tend à devenir la marque de la personne verbale (le français
moderne dit « je fais » là où l’ancien français disait seulement « fai »).
En même temps qu’aboutit cet ensemble de changements, qu’on peut qualifier de systématiques, la
syntaxe écrite se latinise, non sans excès parfois : l’introduction de l’adjectif relatif lequel , laquelle ,
dont on use et abuse, l’adaptation de la proposition infinitive et du participe absolu latins donnent au
moyen français écrit son style si particulier. D’autre part, alors que l’ancien français procédait très
volontiers par coordination, on élabore, non sans tâtonnements, un système de conjonctions de
subordination qui permet une articulation complexe et souple de la phrase, inspirée de la période latine
(alors que , afin que , comment que , etc.).
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Ancien français : Texte n°1
Marie de France : Bisclavret (1170)
(dialecte anglo-normand)
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46 e de vus perdre tel poür,
47 si jeo n'en ai hastif cunfort,
48 bien tost en puis aver la mort.
49 kar me dites u vus alez,
50 u vus estes, u conversez!
51 mun escïent que vus amez,
52 e si si est, vus meserrez."
53 "dame," fet il, "pur Deu, merci!
54 mal m'en vendra, si jol vus di,
55 kar de m'amur vus partirai
56 e mei meïsmes en perdrai."
57 quant la dame l'ad entendu,
58 ne l'ad neent en gab tenu.
59 suventefeiz li demanda;
60 tant le blandi e losenga
61 que s'aventure li cunta;
62 nule chose ne li cela.
63 "dame, jeo devienc besclavret:
64 en cele grant forest me met,
65 al plus espés de la gaudine,
66 s'i vif de preie e de ravine."
67 quant il li aveit tut cunté,
68 enquis li ad e demaundé
69 s'il se despuille u vet vestu.
70 "dame, fet il, "jeo vois tut nu."
71 "di mei, pur Deu, u sunt voz dras."
72 "dame, ceo ne dirai jeo pas;
73 kar si jes eüsse perduz
74 e de ceo feusse aparceüz,
75 bisclavret sereie a tuz jurs;
76 jamés n'avreie mes sucurs,
77 de si k'il me fussent rendu.
78 pur ceo ne voil k'il seit seü."
79 "sire," la dame li respunt,
80 "jeo vus eim plus que tut le mund:
81 nel me devez nïent celer,
82 ne [mei] de nule rien duter;
83 ne semblereit pas amisté.
84 qu'ai jeo forfait? pur queil peché
85 me dutez vus de nule rien?
86 dites [le] mei, si ferez bien!"
87 tant l'anguissa, tant le suzprist,
88 ne pout el faire, si li dist.
89 "dame," fet il, "delez cel bois,
90 lez le chemin par unt jeo vois,
91 une vielz chapele i esteit,
92 ke meintefeiz grant bien me feit:
93 la est la piere cruose e lee
94 suz un buissun, dedenz cavee;
95 mes dras i met suz le buissun,
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96 tant que jeo revi[e]nc a meisun."
97 la dame oï cele merveille,
98 de poür fu tute vermeille;
99 de l'aventure se esfrea.
100 e[n] maint endreit se purpensa
101 cum ele s'en puïst partir;
102 ne voleit mes lez lui fisir.
103 un chevaler de la cuntree,
104 que lungement l'aveit amee
105 e mut preié'e mut requise
106 e mut duné en sun servise--
107 ele ne l'aveit unc amé
108 ne de s'amur aseüré--
109 celui manda par sun message,
110 si li descovri sun curage.
111 "amis," fet ele, "seez leéz!
112 ceo dunt vus estes travaillez
113 vus otri jeo sanz nul respit:
114 ja n'i avrez nul cuntredit;
115 m'amur e mun cors vus otrei,
116 vostre drue fetes de mei!"
117 cil l'en mercie bonement
118 e la fiance de li prent;
119 e el le met par serement.
120 puis li cunta cumfaitement
121 ses sire ala e k'il devint;
122 tute la veie kë il tint
123 vers la forest l[i] enseigna;
124 pur sa despuille l'enveia.
125 issi fu Bisclavret trahiz
126 e par sa femme maubailiz.
127 pur ceo que hum le perdeit sovent
128 quidouent tuz communalment
129 que dunc s'en fust del tut alez.
130 asez fu quis e demandez,
131 mes n'en porent mie trover;
132 si lur estuit lesser ester.
133 la dame ad cil dunc espusee,
134 que lungement aveit amee.
135 issi remist un an entier,
136 tant que li reis ala chacier;
137 a la forest ala tut dreit,
138 la u li Bisclavret esteit.
139 quant li chiens furent descuplé,
140 le Bisclavret unt encuntré;
141 a lui cururent tutejur
142 e li chien e li veneür,
143 tant que pur poi ne l'eurent pris
144 e tut deciré e maumis,
145 de si qu'il ad le rei choisi;
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146 vers lui curut quere merci.
147 il l'aveit pris par sun estrié,
148 la jambe li baise e le pié.
149 li reis le vit, grant poür ad;
150 ses cumpainuns tuz apelad.
151 "seignurs," fet il, "avant venez!
152 ceste merveillë esgardez,
153 cum ceste beste se humilie!
154 ele ad sen de hume, merci crie.
155 chacez mei tuz ces chiens arere,
156 si gardez quë hum ne la fiere!
157 ceste beste ad entente e sen.
158 espleitez vus! alum nus en!
159 a la beste durrai ma pes;
160 kar jeo ne chacerai hui mes."
161 li reis s'en est turné atant.
162 le Bisclavret li vet sewant;
163 mut se tint pres, n'en vout partir,
164 il n'ad cure de lui guerpir.
165 li reis l'en meine en sun chastel;
166 mut en fu liez, mut li est bel,
167 kar unke mes tel n'ot veü;
168 a grant merveille l'ot tenu
169 e mut le tient a grant chierté.
170 a tuz les suens ad comaundé
171 que sur s'amur le gardent bien
172 e li ne mesfacent de rien,
173 ne par nul de eus ne seit feruz;
174 bien seit abevreiz e peüz.
175 cil le garderent volenters;
176 tuz jurs entre les chevalers
177 e pres del rei se alout cuchier.
178 n'i ad celui que ne l'ad chier;
179 tant esteit franc e deboneire,
180 unques ne volt a rien mesfeire.
181 u ke li reis deüst errer,
182 il n'out cure de desevrer;
183 ensemble od lui tuz jurs alout:
184 bien s'aparceit quë il l'amout.
185 oëz aprés cument avint.
186 a une curt ke li rei tint
187 tuz les baruns aveit mandez,
188 ceus ke furent de lui chasez,
189 pur aider sa feste a tenir
190 e lui plus beal faire servir.
191 li chevaler i est alez,
192 richement e bien aturnez,
193 ki la femme Bisclavret ot.
194 il ne saveit ne ne quidot
195 que il le deüst trover si pres.
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196 si tost cum il vint al paleis
197 e le Bisclavret le aparceut,
198 de plain esleis vers lui curut;
199 as denz le prist, vers lui le trait.
200 ja li eüst mut grant leid fait,
201 ne fust li reis ki l'apela,
202 de une verge le manaça.
203 Deus feiz le vout mordrë al jur.
204 mut s'esmerveillent li plusur;
205 kar unkes tel semblant ne fist
206 vers nul hume kë il veïst.
207 ceo dïent tut par la meisun
208 ke il nel fet mie sanz reisun:
209 mesfait li ad, coment que seit;
210 kar volenters se vengereit.
211 a cele feiz remist issi,
212 tant que la feste departi
213 e li barun unt pris cungé;
214 a lur meisun sunt repeiré.
215 alez s'en est li chevaliers,
216 mien escïent tut as premers,
217 que le Bisclavret asailli;
218 n'est merveille s'il le haï.
219 ne fu puis gueres lungement,
220 ceo m'est avis, si cum j'entent,
221 que a la forest ala li reis,
222 que tant fu sages e curteis,
223 u li Bisclavret fu trovez;
224 e il i est od lui alez.
225 la nuit quant il s'en repeira,
226 en la cuntree herberga.
227 la femme Bisclavret le sot;
228 avenantment se appareilot.
229 al demain vait al rei parler,
230 riche present li fait porter.
231 quant Bisclavret la veit venir,
232 nul hum nel poeit retenir;
233 vers li curut cum enragiez.
234 oiez cum il est bien vengiez!
235 le neis li esracha del vis.
236 quei li peüst il faire pis?
237 de tutes parz l'unt manacié;
238 ja l'eüssent tut depescié,
239 quant un sages hum dist al rei:
240 "sire," fet il, "entent a mei!
241 ceste beste ad esté od vus;
242 n'i ad ore celui de nus
243 que ne l'eit veü lungement
244 e pres de lui alé sovent;
245 unke mes humme ne tucha
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246 ne felunie ne mustra,
247 fors a la dame que ici vei.
248 par cele fei ke jeo vus dei,
249 aukun curuz ad il vers li,
250 e vers sun seignur autresi.
251 ceo est la femme al chevaler
252 que taunt par suliez aveir chier,
253 que lung tens ad esté perduz,
254 ne seümes qu'est devenuz.
255 kar metez la dame en destreit,
256 s'aucune chose vus direit,
257 pur quei ceste beste la heit;
258 fetes li dire s'el le seit!
259 meinte merveille avum veü
260 quë en Bretaigne est avenu."
261 li reis ad sun cunseil creü:
262 le chevaler ad retenu;
263 de l'autre part la dame ad prise
264 e en mut grant destresce mise.
265 tant par destresce e par poür
266 tut li cunta de sun seignur:
267 coment ele l'aveit trahi
268 e sa despoille li toli,
269 l'avenutre qu'il li cunta,
270 e quei devint e u ala;
271 puis que ses dras li ot toluz,
272 ne fud en sun païs veüz;
273 tresbien quidat e bien creeit
274 que la beste Bisclavret seit.
275 le reis demande la despoille;
276 u bel li seit u pas nel voille,
277 ariere la fet aporter,
278 al Bisclavret la fist doner.
279 quant il l'urent devant lui mise,
280 ne se prist garde en nule guise.
281 li produm le rei apela,
282 cil ki primes le cunseilla:
283 "sire, ne fetes mie bien:
284 cist nel fereit pur nule rien,
285 que devant vus ses dras reveste
286 ne mut la semblance de beste.
287 ne savez mie que ceo munte:
288 mut durement en ad grant hunte.
289 en tes chambres le fai mener
290 e la despoille od lui porter;
291 une grant piece l'i laissums.
292 s'il devient hum, bien le verums."
293 li reis meïsmes le mena
294 e tuz les hus sur lui ferma.
295 al chief de piece i est alez,
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296 deuz baruns ad od lui menez;
297 en la chambrë entrent tut trei.
298 sur le demeine lit al rei
299 truevent dromant le chevaler.
300 li reis le curut enbracier,
301 plus de cent feiz l'acole e baise.
302 si tost cum il pot aver aise,
303 tute sa tere li rendi;
304 plus li duna ke jeo ne di.
305 la femme ad del païs ostee
306 e chacie de la cuntree.
307 cil s'en alat ensemble od li,
308 pur ki sun seignur ot trahi.
309 enfanz en ad asés eüz,
310 puis unt esté bien cuneüz
311 [e] del semblant e del visage:
312 plusurs [des] femmes del lignage,
313 c'est verité, senz nes sunt nees
314 e si viveient esnasees.
315 l'avenutre ke avez oïe
316 veraie fu, n'en dutez mie.
317 de Bisclavret fu fet li lais
318 pur remembrance a tutdis mais.
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Fascicule n°1
B15-B20
Orthographe et ponctuation.
L'orthographe, on l'a dit plus haut, n'était pas fixée. Bretaine du vers 15
est graphiée Bretaigne au vers 260, On trouve Breitaine, Bretaingne, Brutaine
dans les autres lais. Pratiquement, toutes les combinaisons graphiques entre le g,
le n et le i sont possibles, et elles rendent compte de la nasale mouillée ou
palatalisée5. En français moderne, c’est le digramme gn qui assume ce rôle, mais
l’orthographe actuelle de oignon [ ] est révélatrice de cet état graphique
ancien. Même remarque à propos de seinur, où ici aussi c’est le digramme in qui
assume la mouillure ou palatalisation.
Morpho-syntaxe
Prenons le vers 15, "En Bretaine maneit uns ber". Comme la morphologie
verbale ne sera pas abordée dans le premier fascicule, occupons-nous du groupe
qui se situe à droite du verbe maneit : uns ber. La fonction sujet de ce groupe est
facile à deviner, même pour un non-initié. Or on constate deux phénomènes
morphologiques très caractéristiques de l'ancien français et qui n'ont pas leur
équivalent en français moderne.
1/ L’article indéfini uns se termine sur un s.
2/ La forme ber ne possède pas de s et n'a pas d'entrée dans les dictionnaires.
Commençons par l'article. D'après le vers 15, on peut déduire que l'article
indéfini est doté d’un s lorsqu'il est dans un groupe sujet. Il y a donc un lien
entre la morphologie et la syntaxe, dans l'ancienne langue, beaucoup plus
marqué qu'en français moderne (où l'article est le même quelle que soit la
fonction du substantif qu’il détermine). Par ailleurs, comme le substantif que
l'article détermine est au singulier, le s de uns ne doit donc pas être interprété
comme une marque du pluriel. Nous trouvons ce même phénomène de s non
pluriel au vers 17 "Beaus chevaliers e bons esteit". Les s des deux adjectifs et du
substantif ne s'expliquent pas par le pluriel mais bien par la fonction syntaxique
des deux groupes coordonnés : ils ont une fonction d’attribut.
5
C'est-à-dire prononcée au niveau du palais dur.
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Ces deux remarques vont nous permettre d'évoquer la théorie des cas en
ancien français. On distingue en fait deux cas : le cas sujet et le cas régime (où
le mot est régi par un autre).
1/ Le cas sujet intéresse les fonctions suivantes :
- fonction sujet : ex. notre vers 15 « uns ber »
- attribut du sujet : ex. B63 « jeo devienc bisclavret »
- apostrophe : ex. B111 « Amis, fet ele, seiez liez »
- apposition au sujet : ex. B70 : « jeo vois tuz nuz »
2/ Le cas régime intéresse toutes les autres fonctions, essentiellement les
fonctions complément :
- complément d'objet direct : ex. B140 « Le bisclavret ont encuntré »
- complément d’objet indirect : ex. B159 « A la beste durrai ma pes »
- compléments déterminatifs : ex. L11 « Pur la bunté des dous baruns »
- compléments circonstanciels : ex. « En seint Malo en la cuntree »
etc.
En fait, les éléments qui se réfèrent au sujet grammatical sont aussi au cas
sujet et les éléments qui sont régis, "gouvernés" sont au cas régime. Pour étudier
le comportement morpho-syntaxique des éléments non-verbaux et variables, il
faut tenir compte de trois types d'opposition :
1) opposition de cas : régime/sujet,
2) opposition de genre : féminin/masculin,
3) opposition de nombre : singulier/pluriel6
L’article indéfini
Masculin
. Singulier pluriel
CS Uns un
CR Un uns
Féminin
. Singulier pluriel
CS Une unes
CR Une unes
6
Il existe en ancien français un duel, c'est-à-dire une catégorie grammaticale du nombre, différente du singulier
et du pluriel, qui indique deux personnes ou deux choses.
7 C.S et C.R. seront désormais mis pour Cas Sujet et Cas Régime.
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Exercice n°l : Faire le relevé des articles indéfinis rencontrés dans Bisclavret et
donner pour chaque occurrence le cas, le genre, le nombre.
Une unique occurrence de l'article une est au CS sing, Je rappelle que les
deux cas sont confondus au féminin. 'Une vielz chapele i esteit (B91). L'article
détermine le groupe sujet et c'est pour cette raison qu'il est au C.S.
Singulier Pluriel
CS Li pere Li pere
CR Le pere Les peres
c) Troisième déclinaison
C’est donc ainsi que s’explique l’absence de –s dans ber, qui est au CS
sing. : les substantifs à alternance radicale n’ont, en principe, pas de –s puisque
c’est la forme même du radical qui nous renseigne sur le cas. Notons toutefois
que l’analogie avec la première déclinaison masculine fait que la forme bers est
parfois attestée. On remarque par ailleurs que, pour certaine mots, les formes du
C.S. et du C.R. ont survécu et ont donné des substantifs indépendants les uns des
8
Le deuxième élément est le CS pluriel.
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autres (gars/garçon, copain/compagnons, sire/seigneur, pâtre/pasteur,
chantre/chanteur, etc.).
a) Première déclinaison
L’opposition casuelle a disparu précocement de la première déclinaison des
susbstantifs féminins. Il n’y a donc aucune différence morphologique avec le
français moderne en ce qui concerne les noms féminins en –e
Singulier Pluriel
CS La fille Les filles
CR La fille Les filles
b) Deuxième déclinaison
c) Troisième déclinaison
Singulier Pluriel
CS La none Les nonains
CR La nonain Les nonains
Orthographe, et Phonétique
Les participes des vers B19 et B20 : privez et amez se terminent par un z.
Cette graphie représente en fin de mot le son complexe [ts]. Au vers B20,
l'adjectif tuz indique le pluriel de tut (="tout") ; c'est donc l'ajout du s à tut qui
donne tuz
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Chaque fois qu'on ajoute un s de flexion à un mot se terminant sur une dentale
(=[t]), les deux sons se combinent et réalisent l'affriquée [ts] qui est notée par –z.
Même quand la dentale est tombée en ancien français,, la graphie z et son timbre
sont restés. C'est le cas de nos deux participes. A privez correspond au cas
régime privé et à amez correspond amé. Jusqu’au Xe siècle, on a prononcé
privet et amet (sans doute avec une dentale adoucie [], comme notre ) c'est
cette ancienne dentale qui est la cause de l’affriquée z des vers B19 et B20. Le
contact avec une nasale dentale (= [n]) permet également la réalisation du son
[ts] rendu par z. Au vers B113, la préposition sans est réalisée sanz.
Morphologie
Masculin
. Singulier pluriel
CS Tuz Tuit, tut (anglo-normand)
CR Tut Tuz
Féminin
. Singulier Pluriel
CS Tute Tutes
CR Tute Tutes
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CS Seürs Seür Seüre Seüres Seür
CR Seür Seürs Seüre Seüres
CS Biaus Bel Bele Beles Bel
CR Bel Biaus Bele Beles
• Cette loi phonétique est un fait très important en français. Elle explique :
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Comme on le constate sur le tableau, dans la deuxième classe des
adjectifs, les féminins n'ont pas de e. D'ailleurs, jusqu'à nos jours des mots
composés comme grand-mère9 sont la survivance de cette classe d’adjectifs. Je
signale à ce propos que l'orthographe de grand'mère avec apostrophe est
actuellement considérée comme fautive puisqu'il n'y a jamais eu de e à élider.
Autres adjectifs de la deuxième classe :
Cruel, feal, fort, gentil, grief, leal, mortel, prod, quel, real, souef, soutil, tel, val,
vert, vil, ainsi que tous les participes présents et les adjectifs verbaux en –ant ou
–ent.
Dans le texte n°1, nous avons deux possessifs : sun (vers B19) et ses
(B20). Examinons donc la morphologie du possessif. Dans les deux exemples
que nous avons, le référent est le chevalier dont Marie de France va nous conter
l'aventure. Au vers B19, on parle de son seigneur et le substantif qui est
déterminé par l'article est singulier et régime. Au vers 20, veisins représentent
un pluriel régime. Les tableaux suivant classeront l’ensemble des possessifs de
l’ancien français :
Le possessif atone
Féminin
. singulier pluriel
1ère pers CS/CR ma, me (picard) mes
2ème pers CS/CR ta, te (picard) tes
3ème pers CS/CR sa, se (picard) mes
9
Exemples de survivance dans la toponymie : Granville, Rochefort, Vauvert (où vau- remonte à val féminin
comme dans Laval)
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CR nostre, no (picard) noz, nos
2ème pers CS vostre(s), vos (picard) vostre, vo (picard)
CR vostre, vo (picard) voz, vos
3ème pers Fome unique : lor, lour, leur, lur (anglo-normand)
Féminin
. singulier pluriel
1ère pers CS/CR nostre, no, noe (picard) noz, nos, noes (picard)
2ème pers CS/CR vostre, vo, voe (picard) voz, vos, voes (picard)
3ème pers Fome unique : lor, lour, leur, lur (anglo-normand)
Le possessif tonique
Féminin
. singulier pluriel
1ère pers CS/CR moie, meie (anglo-normand), moies, meies (anglo-
mieue (picard) normand), mieues (picard)
2ème pers CS/CR toe, toue, teue, tue (anglo- toes, toues, teues, tues
normand), tieue (picard) (anglo-normand), tieues
(picard)
3ème pers CS/CR soe, soue, seue, sue (anglo- soes, soues, seues, sues
normand), sieue (picard) (anglo-normand), sieues
(picard)
Masculin
. singulier pluriel
1ère pers CS nostre(s), nos (picard) nostre, no (picard)
CR nostre, no (picard) nostres, noz, nos (picard)
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2ème pers CS vostre(s), vos (picard) vostre, vo (picard)
CR vostre, vo (picard) vostres, voz, vos (picard)
3ème pers Fome unique : lor, lour, leur, lur (anglo-normand)
Féminin
. singulier pluriel
1ère pers CS/CR nostre, no, noe (picard) nostres, noz, nos, noes
(picard)
2ème pers CS/CR vostre, vo, voe (picard) vostres, voz, vos, voes
(picard)
3ème pers Fome unique : lor, lour, leur, lur (anglo-normand)
Outre les articles et les pronoms possessifs, on trouve en ancien français des
adjectifs possessifs, qui qualifient directement un substantif. Dans La meie mort
me rent si anguissus" (La Chanson de Roland) (« la mienne mort me rend plein
d'angoisse »), le possessif joue le rôle d’un adjectif. D'ailleurs ce tour est encore
possible dans un français moderne un peu archaïsant : un mien ami est devenu
ministre
•
Exercice n°2 : Faites le relevé des articles possessifs de Bisclavret. Donnez leur
cas, leur genre, leur nombre et leur référent.
10
Amour était féminin en ancien français et même en français classique.
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- Référent unique : deuxième presonne du pluriel (vouvoiement de politesse),
- Vostre = CR masculin singulier
Mes jeo creim tant vostre curut (B35).
- Vostre = CR féminin singulier
Vostre drue fetes de mei (B116).
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Syntaxe
On constate, d'autre part, que l'ordre des mots n'est pas celui du français
moderne et qu'il y a plus de liberté dans l’agencement des différents groupes qui
constituent la phrase. Dans l'exemple précis qui nous intéresse, le groupe
prépositionnel initial de sun seinur est en fait rattaché à l'adjectif attribut privez
et sa place -attendue- est plutôt la finale : privez de sun seinur. Nous pouvons
formuler une remarque semblable à propos de la seconde proposition (B20) bien
que la situation syntaxique soit différente. En effet malgré le parallélisme dans
les structures des deux propositions et malgré la mise en facteur du verbe être
(=de tuz ses veisins [esteit] amez), le groupe prépositionnel de tuz ses veisins
fonctionne ici comme un complément d'agent du verbe au passif [esteit] amez.
Quoi qu'il en soit, même l'antéposition du complément d'agent paraîtrait
anormale en français moderne.
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La flexion casuelle, qui donne immédiatement le statut grammatical des mots,
permet une grande liberté dans l'ordre des éléments de l'énoncé et de leurs
regroupements.
Fascicule n°2
B1-1B14
Phonétique
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- i + nasale : devindrent, tindrent.
Le principe phonétique de base est que la voyelle aussi bien que la consonne
nasale se prononcent.
- Pour e + nasale, le son e est nasalisé (= [n]) dans tous les cas de
contact sauf quand il s'agit du -ent désinentiel. Nous avons d'ailleurs un
exemple au vers B4 : apelent, où le e qui précède la nasale est oral et le
n du temps de Marie de France n'était probablement qu'une graphie
désinentielle. Signalons l’aperture du e nasale en a nasale, phénomène
dont les répercussions se font sentir même en français moderne
puisqu’actuellement on prononce de la même manière les deux
syllabes de enfant, par exemple.
- Pour a + nasale, la voyelle est nasalisée et la consonne est pertinente
phonétiquement ( = [n]).
- Pour o et u + nasale, les deux voyelles réalisent en anglo-normand le
même son (= [un]).
- Pour i + nasale, le i reste oral à l'époque des Lais et est réalisé [i].
Morphologie
Nous avons dans le texte 3 occurrences de hum : Jadis le poeit hum oïr
(B5) ; Hume plusur garvalf devindrent (B7) ; Hummes devure (B11). Il sagit
dans les 3 cas d’un mot qui provient du latin homo (= « homme »). Dans les
deux derniers cas, hume représente un substantif et conserve le sens
étymologique (« homme »), mais dans le premier cas il s'agit d'un pronom
personnel qui doit se traduire par l'indéfini on.
- B5 On pouvait jadis l’entendre
- B7 plusieurs hommes devinrent des loups-garous
- B11 il dévore des hommes.
11
C'est-à-dire une différenciation de deux sons identiques : [forests] > [forets]
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Ce n'est pourtant pas la forme qui permet de savoir s'il s'agit d'un substantif ou
d’un pronom personnel mais plutôt le sens et le contexte. Les différences
orthographiques et morphologiques sont relatives au statut casuel des
occurrences et le dédoublement du m dans hummes n'est pas du tout en prendre
en considération. Il existe en effet d’autres manuscrits qui écrivent hume avec
un seul m. La déclinaison de hum - substantif et pronom - est assez particulière.
On l'adjoint généralement aux substantifs de la troisième déclinaison
Singulier Pluriel
CS hum hume
CR hume humes
L’article défini
Masculin
. singulier pluriel
CS li li
CR le, lo (Est, Ouest), lu (anglo- les
normand)
li CS singulier s’élide devant élément jonctif mais pas l’article li CS pluriel :
Masculin
. singulier pluriel
CS l’escuz li escu
CR l’escu les escuz
Féminin
. singulier pluriel
CS la, le (picard) les
CR la, le (picard) les
Le cas régime masculin et les deux cas féminins ne diffèrent pas du français
moderne et le CS masculin est toujours représenté par li
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• L'élision devant voyelle est de règle pour le et la : l’ami, l'espee, mais,
comme on l’a déjà évoqué, li ne s'élide qu’au singulier. Attention à ne pas
confondre le, la, li, les, articles, et le, la, li, les, pronoms. L'article est à
gauche du substantif qu'il détermine, et le pronom clitique est dans
l’environnement immédiat du verbe auquel il se rattache.
• Pour qu'il y ait enclise il faut nécessairement que le mot qui suit commence
par une consonne. C'est bien le cas pour nos deux occurrences. On forme des
enclises à partir de 3 propositions : a,13 de et en.
+ le + les
a+ Al, au As, aus
de + Del, deu, do, dou, du Des
en + El, eu, ou, u, on (Ouest) Es
1) Le verbe faire est transitif direct mais le verbe s'entremetre admet une
construction avec de (exemple : de mal dire s'entremet = « s'occupe de dire du
mal »). D'un autre côté, des n'était pas un article indéfini pluriel dans l'ancienne
langue -comme il l'est en français moderne-. La traduction "faire des lais" est
possible toutefois, bien que problématique. En fait, trois analyses peuvent etre
envisagées :
I/ Analyser des comme un partitif : on considérera ainsi les Lais que
Marie de France a composés comme étant une partie d'une collection -
déterminée ou non- d’objets poétiques qui seraient les lais. Cette solution
est peu satisfaisante parce que le partitif en ancien français s'applique aux
choses qui ne se dénombrent pas par unitést or ce n'est pas le cas des Lais
et prêter à Marie une intention métaphorique serait sans doute abusif.
12
Il existe également des enclises du pronom dans l’ancien système.
13
La préposition a s’écrivait bien sans accent grave : il ne s’agit pas d’une faute de frappe !
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II/ Présenter des comme étant une réalisation précoce de l'article indéfini
pluriel. Mais là aussi ce serait assez imprudent étant donné qu'il n'y a pas
d'équivalent de cet ordre dans les Lais.
III/ Partir du fait que Bisclavret ne nous est parvenu que grâce à un seul
manuscrit (le manuscrit de Harley) -du moins pour les 232 premiers vers-
et raisonner à partir de la leçon de ce manuscrit que Jean Rychnerg
l'éditeur des Lais a rejetée. Le manuscrit note : Quant dc lais faire
m'entremet. On peut sans doute lire de pour le dc du manuscrit. Si cette
lecture est permise la situation devient claire : de serait la préposition qui
rattache le verbe conjugué m’entremet à son infinitif faire. Si on
reconstitue l'ordre moderne, on a : quant m'entremet de faire lais. On sait
déjà que l'article indéfini pluriel n'est pas exprimé dans l'ancienne langue).
2) A propos de la seconde enclise à étudier del, qui est, comme le montre le
tableau des enclises de l’article, le résultat de la soudure entre la préposition de
et l'article défini régime le, on peut dire que de est régi par l'infinitif cunter et
que cette préposition peut se traduire par « à propos de », « au sujet de ». Nous
avons encore de nos jours cette valeur -bien qu'elle soit en perdition- dans les
titres de certains ouvrages : De la culture, De la pédagogie, De la fabrication du
cidre, etc.
Vocabulaire
Forez : L'étymologie de ce mot est assez particulière. Forest est issu d'un
adjectif latin tardif forestis, qui appartient en fait au domaine juridique, avec le
sens de «ce qui relève du tribunal ou de la cour royale. En latin foresti silva,
signifiait forêt domaniale. A l’origine c’était donc silva qui rendait le sens de
forêt. Le nom silva a été éliminé et forest est devenu un nom (et non plus un
adjectif) qui a très vite perdu son acception juridique et qui a signifié -et qui
signifie toujours- toute étendue boisée. Les mots sylvestre, sylvicole,
sylviculture attestent de ce sens étymologique.
Suleir : E sovent suleit avenir (B6). Le verbe est ici impersonnel. Il est issu du
latin solere et signifie « avoir l’habitude ». Le verbe n’a pas laissé de trace en
français moderne, mais en moyen français « se souloir faire » signifiait « on
fabriquait : Henri estienne, dans la seconde moitié du XVIe siècle, écrivait : « A
Pistoye se souloyoit faire de petits poignards ».
Converser : Es granz forez converse e vait (B12). Du latin conversari qui veut
dire « fréquenter ». Le verbe a deux sens en ancien français : 1) vivre avec, 2)
fréquenter. C'est ce dernier sens qui convient à notre exemple : il fréquente les
forêts, il y vit. Le sens moderne de parler en société n'est apparu qu'au XVIIe
siècle, sous l’influence de conversation, qui signifiait dès 1537 « échange de
propos familiers ».
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Ore : Du latin hora (= « unité de mesure du temps»), Il peut être un substantif et
signifier l'heure, le temps, l'instant, un moment de la journée, etc. ou être un
adverbe de l’énonciation -ce qui est le cas dans notre exemple- et se traduire par
« à présent », « maintenant ». Le même étymon aboutira au substantif heure et à
or qui, plus tard, sera conjonction de coordination.
Syntaxe
Corrigé de l’exercice n° 3
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La femme ad del païs ostee (B305) (mot à mot : il a ôté la femme du
pays, il l’a bannie, donc oster quelqu'un de quelque part)
Puis unt esté bien cuneü
E del semblant et del visage (B310-B311) (Les enfants de la femme
du bisclavret sont reconnaissables à cause de leur allure -
"semblant"et de leur visage. Le champ sémantique de la préposition
de était plus vaste dans l'ancienne langue. En français moderne, on
emploierait plutôt la préposition à : on les reconnaît à l'allure et au
visage)
Plusurs des femmes del lignage (B312) del = « du » : les femmes de
la lignée, du lignage.
Al : enclise de la préposition a (sans accent en ancien français) et de l'article
défini le.
El demain vait al rei parier (B229). Le verbe aler se construit sur la
préposition a quand la destination est indiquée (comme en français
moderne)
Quant uns sages hum dist al rei (B239). Dire quelque chose à
quelqu’un comme en français moderne
Ceo est la femme al chevalier (B251). Ici, on remarque que la
détermination est rendue par la préposition a (dans la langue parlée
moderne, et dans certains patois, on retrouve la préposition quand le
substantif déterminant est un nom propre : la femme à Jules)
Al bisclavret la fist doner (B278) doner a comme en français
moderne
Al chief de piece i est alez (B295).A chief de piece : locution figée
« au bout d'un moment »
Sur le demeine lit al rei (B298). Même remarque que pour
l'occurrence de B251 (le lit du roi en français moderne).
Phonétique
Nous avons, dans notre texte, trois suites qui combinent e et i : poeit (B5),
eit (B6) et meisun (B8). Pour les deux premiers cas, il s'agit de la désinence
verbale de l'imparfait. La prononciation de ei devant t, du temps de Marie de
France, était sans doute []. De ce fait, on peut dire qu’il n'y avait pas de
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différence phonétique entre les suites -eit et les suites -ai de faire, de lai et de
vait, qui représentent un voyelle ouverte et non plus une diphtongue. Le
digramme16 -ei est d'ailleurs caractéristique de l'anglo-normand, à la même
époque en francien on transcrivait poait et solait nos deux occurrences.
Morphologie
Le verbe estre (être) paraît à deux reprises dans notre texte sous la forme
est, troisième personne du singulier du présent de l'indicatif : ceo est beste
salvage (B9). Il est en cele rage (B10). Le verbe estre -comme en français
moderne- repose sur deux bases : sui, es ou ies, est, sumes - parfois la première
personne du pluriel repose sur la base de l’infitif : esmes - (en francien, somes),
estes et sunt (en francien, sont).
1) Le présent de l’indicatif
16
Groupe de deux lettres formant un son unique.
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en –eir
en –re
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1ère conjugaison
Francien Anglo-normand
Chant- chant-
Chant-es chant-es
Chant-e(t) chant-e(t)
Chant-ons chant-um, -uns
Chant-ez chant-ez
Chant-ent chant-ent
Francien Anglo-normand
Chang-e chang-e
Chang-es chang-es
Chang-e(t) chang-e(t)
Chanj-ons chanj-um, -uns
Chang-iez chang-iez
Changent Changent
2ème conjugaison
Francien Anglo-normand
Fen-is fen-is
Fen-is fen-is
Fen-it fen-it
Fen-iss-ons fen-iss-um, -uns
Fen-iss-ez fen-iss-ez
Fen-iss-ent fen-iss-ent
3ème conjugaison
Francien Anglo-normand
Dorm- dorm-
Dor-s dor-s
Dor-t dor-t
Dorm-ons dorm-um, -uns
Dorm-ez dorm-ez
Dorm-ent dorm-ent
Francien Anglo-normand
Muef Muef
Mue-s mue-s
Mue-t mue-t
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Mov-ons mov-um, -uns
Mov-ez mov-ez
Muev-ent muev-ent
2) Le présent du sujonctif
1ère conjugaison
Francien Anglo-normand
Chant- chant-
Chant-s > chant-s > chanz
chanz
Chant-t > chant-t > chant
chant
Chant-ons chant-um, -uns
Chant-ez chant-ez
Chant-ent chant-ent
Francien Anglo-normand
Chang-e chang-e
Chang-es chang-es
Chang-e(t) chang-e (t)
Chanj-ons chanj-um, -uns
Chang-iez chang-iez
Changent Changent
2ème conjugaison
Francien Anglo-normand
Fen-isse fen-isse
Fen-iss-e-s fen-iss-e-s
Fen-iss-e-(t) fen-iss-e-(t)
Fen-iss-ons, - fen-iss-um, -uns, -
iens iens
Fen-iss-iez fen-iss-iez
Fen-iss-ent fen-iss-ent
3ème conjugaison
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Francien Anglo-normand
Dorm-e dorm-e
Dorm-es dorm-es
Dorm-e(t) dorm-e(t)
Dorm-ons dorm-um, -uns
Dorm-ez dorm-ez
Dorm-ent dorm-ent
Francien Anglo-normand
Muev-e muev-e
Muev-es muev-es
Muev-e(t) muev-e(t)
Mov-ons mov-um, -uns
Mov-ez mov-ez
Muev-ent muev-ent
• lère personne du pluriel : La terminaison est dans tous les cas -uns (francien
-ons).
Le verbe aler de B12, bien que se terminant sur -er, n'est régulier qu'au
niveau de la lère et de la 2ème personne du pluriel. Il repose, comme en français
modernes sur deux bases vais, vas, va, aluns alez, vunt. Pour les personnes du
singulier, on retrouve plusieurs variantes -tant graphiques que phonétiques- vois
et veis pour la première personne, vais pour la 2ème, vait et vet pour la 3ème.
Nous n'avons pas évoqué le cas de les de B13 : Cest afere les ore ester, à cause
de sa graphie curieuse. En effet, il s’agit vraisemblablement de la forme de la
1ère personne du verbe laissier. La graphie attendue serait plutôt lais ou à la
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rigueur leis. Quoi qu'il en soit, le verbe laissier se conjugue ainsi : lais, laisses,
laisse (mais aussi lait ou laist attestés chez Marie de France elle-même),
laissuns, laiss(i)ez, laissent.
Les autres verbes du passages n’ont pas d’infinitifs en –er (ou -ier) :
- Bl : m'entremet (infinitif = entremettre),
- B2, B14 : voil (infinitif = voleir),
- Bll : fait (infinitif = faire).
Ces occurrences sont toutes du 3ème type morphologique, qui peut être défini
négativement : tous les verbes qui ne sont ni du ler ni du 2ème groupe sont du
3ème. Il est donc difficile de donner la conjugaison-modèle de tous les verbes du
3ème groupe. En gros -mais non d'une manière systématique-, la lère pers. n'est
pas marquée ; la 2ème est caractérisée par un –s ; la 3ème par un -t- ; au pluriel,
il n'y a pas de changement notable par rapport à la conjugaison du ler type.
Conjuguons nos verbes :
Entremet (le t ici est radical), entremez (t + s sont graphiés z), entremet,
entremetuns, entremetez, entremetent.
Voil (ou vueil), vueus (ou veus) (vocalisation de la liquide au contact du s
implosif), vueut (ou veut), volons, volez, vuelent. Le paradigme du verbe voleir
est assez complexe, mais cette complexité s’explique par des causes
phonétiques: le traitement et l’évolution de la voyelle radicale ne sont pas les
mêmes selon que cette voyelle est sous l'accent (lère, 2ème, 3ème personnes du
singulier + 3ème personne du pluriel) ou non (lère et 2ème personnes du
pluriel).
Faz, fais, fait faimes (ou faisons), faites, funt.
Les verbes de troisième type n'ayant pas de conjugaison « préétablie », nous
conjuguerons chaque cas rencontré d'une manière systématique.
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une forme forte où l'accent est sur le radical et une forme faible où l'accent est
sur la désinence.
- entendre : entent, entenz, entent, entenduns, entendez, entendent. Pourquoi un t
à la 1ère pers ? Simplement parce que les consonnes sonores finales sont réalisées
sourdes en ancien français, c'est-à-dire que [d] est réalisé [t], [z] est réalisé [s],
[b] est réalisé [p], [v] est réalisé [f], [g] est réalisé [k]. De même, le z graphique
de la 2ème personne réalisé phonétiquement [ts] résulte en fait de l’union entre le
s désinentiel et la dentale sourde.
- Losengier : losenge, losenges, losenge, losengiuns,losengiez, losengent. Le i
n'apparaît que dans les désinences qui contiennent une vraie voyelle (c'est-à-dire
une voyelle différente de e sourd).
Le texte n°2 contient deux verbes à l'imparfait poeit (B5) et suleit (B6),
de poeir et suleir. Le paradigme de l'imparfait est très régulier en ancien
français : eie, eies, eit, ïens, ïez, eient (en anglo-normand, pour le francien oi à la
place de ei). N.B. ïens et ïez comptent pour deux syllabes, la synérèse ne s’est
faite qu'à une époque tardive.
Conjuguons nos deux verbes :
- poeie, poeies, poeit, poïens, poïez, poieient.
- suleie, suleies, suleit, sulïens, sulïez, suleient.
Syntaxe
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Dans la phrase
Tant cum il est en cele raget
Hummes devure, grant mal fait... (B10-B11)
la locution conjonctive tant cum marque la simultanéité entre deux procès,
celui du verbe d'état et celui des verbes d'action qui résultent de cet état : devure,
fait, converse, vait. tant cum peut se traduire, dans cet exemple précis, par
« aussi longtemps que ». Outre cette acception, tant cum peut être moins nuancé
et signifier pendant que. A noter que tant que en ancien français a plutôt le sens
de « jusqu’à ce que », bien qu’il y ait souvent interaction entre les deux
locutions conjonctives de subordination.
Morphologie
Le démonstratif Cist
Cas Féminin
Singulier pluriel
CS (i)ceste
CR1 (i)ceste (i)cestes
CR2 (i)cesti, cestei (Est)
Le démonstratif Cil
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CR2 (i)celui (i)ceus, (i)chiaus
Cas Féminin
singulier pluriel
CS (i)cele
CR1 (i)cele (i)celes
CR2 (i)celi, celei (Est)
- Toutes ces formes peuvent avoir un i initial qui ne semble pas avoir de valeur
particulière, « sinon que leur forme plus étoffée leur confère peut-être une
expressivité supérieure » comme le dit G.Moignet. Ce préfixe i- a été conservé
en français moderne dans ici
- contrairement au français moderne, ous ces paradigmes sont valables aussi
bien pour la catégorie des articles que pour celle des pronoms, c'est-à-dire qu’un
démonstratif est pronom ou article en fonction de son rôle syntaxique dans la
phrase, non en fonction de sa forme.
- Revenons à nos exemples : cele rage, cele est bien au CR, féminin singulier et
cest afere est au CR masculin singulier (afere résultant de la composition du
groupe prépositionnel a + fere (= « à + faire ») participe des deux genres en
ancien français).
Dans ceo est beste salvage (B9), nous avons affaire au pronom neutre ceo
(graphie anglo-normande pour ce). Le décompte syllabique du vers qui le
contient
(Gar/valf/ceo / est/ bes/te/ sal/vage) (8 syllabes), nous renseigne sur son
caractère inélidable. Ce pronom sert à évoquer les êtres en dehors de toute
détermination de genre et de nombre et doit se traduire par le ce moderne.
Fascicule n°3
B21-B36
Phonétigue
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Dans beu semblant (B22), la graphie beu pour bel est assez particulière,
En effet, ce n'est qu'en contact avec une dentale implosive que le [l] s’est
vocalisé, Bel donne au cas sujet singulier beus et beaus mais au cas régime la
latérale demeure intacte : bel. Comment donc expliquer ce beu ? Il semble ici
que ce soit le s de semblant qui ait vocalisé [1] et qui, donc, ait agi exactement
comme un s de flexion.
Vocabulaire
- Semblant : participe passé substantivé du verbe sembler. Ce mot a des sens qui
gravitent autour du paraître : image, portrait, physionomie, mine, apparence
mais aussi manière d'être, allure. Semblant signifie aussi avis et pensée.
L'expression par semblant veut dire « à ce qu'il semble ». Dans notre texte,
semblant participe de l'expression verbale : faire bel semblant = « faire bon
visage, montrer belle apparence ».
- Repeirier : Issu du bas latin repatriare. D'ailleurs ce verbe latin donnera, par
emprunt savant, rapatrier au XVe siècle. Dans rapatriare, il y a patria (=
« patrie»). Ce verbe contient l'idée de retour à la patrie. Repeirier a le sens de
revenir, retourner chez soi. C’est d'ailleurs ce dernier sens qu'il a au vers 29. Le
substantif qui en dérive : repeire (en francien repaire) a survécu en français
moderne mais son sens premier de "retour" a disparu.
- Liez : Au cas régime lié, liet. Cet adjectif est issu du latin laetum (=
« heureux »). Le sens a un peu faibli en passant du latin au français : lié =
joyeux, gai. Le substantif liesse -dont la première forme attestée date du XIIIe
siècle- est encore employée de nos jours.
Enquerre : participe passé = enquis, issu du latin inquierere (= « s’enquérir ») ;
a le sens de chercher à savoir, demander. Le vers 31 : Demandé li ad e enquis
contient une légère redondance mais enquerre a sans doute des nuances que ne
possède pas demander : enquerre = « chercher à obtenir des informations ».
Morphologie
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Dans B21, le verbe aveir est au passé simple. Voici sa conjugaison : oi, eüs, ot,
eümes, eüstes, orent. Des formes en -ou sont également attestées : 2ème pers.
oüs, 3ème pers. out, pluriel = oümes, oüstes, ourent. Voici la conjugaison du
passé simple en ancien français.
Le passé simple
a) Les passés faibles :
-Le type en –ai : tous les verbes en –er et –ier à l’exception d’ester et
d’arester
-Le type en en –i (3e personne en –i) : tous les verbes en –ir sauf gesir,
loisir, luisir, plaisir, taisir (passé fort en –u), venir et tenir (passé fort en –
i), morir (passé faible en –ui)
Les passés dits forts présentent à la fois des formes faibles et des formes fortes
dans leur radical à partir de la distribution suivante :
1e, 3e et 6e personnes = formes fortes
2e, 4e et 5e personnes = formes faibles
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Ce type morphologique inclut également les passés dits sigmatiques, c'est-
à-dire les passés qui se terminent par un –s radical originel à la 1ère
personne du singulier (en grec –s = sigma)
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Durent Burent Esturent Conurent Jurent
La forme ert du vers 24 peut représenter aussi bien l’imparfait que le futur
simple ! Il s'agit ici de l'imparfait. C'est le contexte qui nous renseigne, pas la
morphologie, du moins à la troisième personne du singulier. Comparons les
deux paradigmes :
Dans B27, nous avons côte à côte la forme "normale" de l'imparfait et une
réalisation typique des dialectes de 1’Ouest, donc de l'anglo-normand :
U deveneit ne u alout.
La conjonction ne indique que les deux verbes ont une même valeur temporelle
et aspectuelle, pourtant leur morphologie est nettement différente.
Prenons la phrase : Il amot li e ele lui (B23). Les quatre pronoms personnels
qui y participent se réfèrent deux à deux au héros du lai et à sa femme, donc à
des personnes déjà évoqués dans le discours : ce sont des pronoms personnels
représentants, c’est-à-dire qu'ils représentent des référents textuels précis. Les
représentants sont toujours de la troisième personne (pluriel et singulier) et ont -
par rapport aux autres personnels un comportement morphologique particulier.
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Morphologie des pronoms personnels
Première personne
singulier Pluriel
CS jo, jou (picard), ju (wallon), jeo (anglo- nos, nus (anglo-normand, Est)
normand), je, ge, gié
CR me, mei, moi, mi (picard) nos, nus (anglo-normand, Est)
Deuxième personne
singulier Pluriel
CS tu, te (picard) vos, vus (anglo-normand, Est)
CR te, tei, toi, ti (picard) vos, vus (anglo-normand, Est)
Troisième personne
masculin féminin Neutre réfléchi
Alors que les 3èmes personnes représentent des référents, les 1 ère et 2ème
personnes17 évoquent les référents par leur rang dans la situation du discours : le
locuteur se dénomme et dénomme le destinataire de ses propos, dans l’instance
de l’énonciation.
17
Que les Guillaumiens appellent personnels purs.
Page 60 sur 95
morphologiquement. Ele est le sujet d'un verbe amer implicite, ce pronom
représente la femme du bisclavret et est au CS.singulier féminin. Lui
(repésentant du bisclavret) est l'objet du verbe aimer : il est au CRII et
obligatoirement à la forme forte.
Nous avons à deux reprises dans le texte n°3 la présence de nul (B28),
(B36). Dans la première occurrence, il s’agit d'un pronom indéfini qui remplit la
fonction de sujet du verbe saveir et dans la seconde occurrence nule est le
déterminant indéfini du substantif féminin rien, qui, en ancien français, a
conservé son sens étymologique (rien<rem « la chose »). La morphologie de nul,
pronom et déterminant, est unique.
Singulier Pluriel
Masculin Féminin Masculin Féminin
CS Nus Nule Nul Nules
CRI Nul Nule Nus Nules
CRII Nului Nuli
Dans notre premier exemple, nuls est le sujet du verbe saveir. Il est donc
au cas sujet singulier ; ce qui est conforme à notre table malgré la présence du -1
qui s'est vocalisé à l'époque de Marie de France et qui doit être considéré ici
comme une simple graphie. nule. Dans le second exemple, nule détermine rien,
il a donc théoriquement le cas et le genre du substantif. Comme on l’a vu, Rien
est un substantif féminin et assume la fonction de complément d'objet direct du
verbe reduter. Son déterminant est donc au CRI féminin.
Syntaxe
Comment peut-on reconnaître les formes fortes et les formes faibles des
pronoms ? Il convient d’abord de différencier deux types de pronoms : 1) les
pronoms clitiques (ou particules) qui n’ont pas d’autonomie prosodique et qui se
placent devant (proclitiques) ou derrière (enclitiques) le verbe dont ils
dépendent.
2) les pronoms non clitiques, qui forment des SN prosodiquement autonomes, et
qui ne dépendent pas directement du verbe. Dans notre exemple : il amot li et ele
lui, nous avons affaire à quatre pronoms non clitiques à la forme forte. Par
contre, dans Demandé li a (B31), le pronom est placé entre le participe passé et
l'auxiliaire. C’est un pronom proclitique : il s'agit de la forme faible du CS
masculin singulier. C'est donc l'auxiliaire conjugué et non pas le participe qui
commande la forme.
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Le CRI intéresse la fonction de complément d'objet direct et le CRII les
fonctions de complément d'objet indirect, de complément d'attribution, de
complément circonstanciel, etc.
- Nule chose ne li cela (B62) : C'est exactement le même cas que le précédent. li
est un pronom personnel proclitique représentant la femme du chevalier, CRII
forme faible, complément d'objet indirect du verbe celer.
Fascicule n°4
B21-B36
Phonétique
Nuls contient dans une position implosive une consonne latérale, qui est
purement graphique : nuls = [nyws], la latérale se vocalisant devant dentale (s ou
t). D'ailleurs à ce sujet, la graphie mut (B21, B22, B34) représente l'adverbe issu
du latin multum. La disparition complète de la latérale (mut au lieu de mult)
prouve que pour le copiste du moins, même la voyelle qui a remplacé [1]
implosif n'a plus aucune pertinence phonétique.
Morphologie
Page 63 sur 95
- des locutions adverbiales : a force, a gab (« par plaisanterie »), de jur, de nuit,
a chatons (« à quatre pattes comme un chat »), a reculons, a genoillons, etc.
Soens dans Ne nuls des soens nient n'en sout (B28) est un pronom
possessif. Le pronom ne diffère formellement de 1’article possessif que quand le
possesseur est unique. Quand le référent est multiple, nous avons le même
paradigme que pour l'article (nostre, vostre, noz, voz, lur…). La distinction
graphique que le français moderne fait pour différencier notre et de nostre
n'existait pas en ancien français et n’avait pas d'équivalent. Dans notre exemple,
soens est un pronom possessif au CR pluriel, complément déterminatif du
pronom sujet.
Am-asse Chanj-asse
Am-asses Chanj-asses
Am-ast Chanj-ast
Am-assuns Chanj-assuns
Am-asseiz Chanj-asseiz
Am-assent Chanj-assent
Part-isse Plains-isse
Part-isses Plains-isses
Part-ist Plains-ist
Part-issuns Plains-issuns
Part-isseiz Plains-isseiz
Part-issent Plains-issent
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- type en –usse : (verbes à passé faible en –ui et à passé fort en –u)
Par-usse Cone-üsse
Par-usses Cone-üsses
Par-ust Cone-üst
Par-ussuns Cone-üssuns
Par-usseiz Cone-üsseiz
Par-ussent Cone-üssent
Exercice n°8 : Repérez les adverbes de l'extrait qui occupe les vers B103-B134.
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- feit il (B240) : il pronom personnel enclitique sujet du verbe feire, 3ème pers.
Du sing représentant sages hum. La postposition du sujet pronominale
s’explique ici par l’incise, phénomène syntaxique qui est toujours en vigueur en
français moderne.
- od vus (B241) : pronom personnel non clitique à la forme forte, complément
d'accompagnement, CR masculin 2ème personne du pluriel (il s’agit ici d’un vus
de politesse).
- celui de nus (B242) : nus pronom personnel non clitique à la forme forte,
complément déterminatif du pronom démonstratif de type fort celui CR
masculin pluriel (1ère personne).
- Ki ne l’eit veü (B243) : l’ pronom personnel proclitique représentant la
bisclavret, complément d'objet direct du verbe veeir, CRI masculin singulier. Le
pronom aurait dû représenter ceste beste de B241 mais l'absence de –e à veü
(accord du participe passé avec le COD) et surout la présence du pronom lui au
vers 244 prouvent bien que Marie de France ne se réfère pas à la beste mais au
chevalier.
- E pres de lui alé sovent (B244) : lui pronom personnel non clitique à la forme
forte représentant le chevalier (ou le bisclavret), complément de lieu de aler, CR
tonique masculin singulier.
- Jeo vus dei (B248) : Jeo pronom personnel sujet du verbe deveir, CS 1ère
personne du singulier (forme anglo-nomande de je). vus pronom personnel
clitique complément d'objet indirect du verbe deveir, CR 2 ème personne du
pluriel (de politesse).
- Aukun curuz ad il vers li (B249)) : il pronom personnel enclitique représentant
le chevalier sujet du verbe aveir, CS 3ème pers. du masculin singulier.
L’inversion du sujet pronominal s’explique par la présence d’un complément en
tête de phrase. D’ailleurs, ce complément initial peut provoquer l’effacement du
pronom sujet. Li pronom personnel non clitique à la forme forte représentant la
dame, régi par la préposition vers, CRII, 3ème personne du féminin singulier.
- S'aucune chose vus diroit (B256) : vus pronom personnel proclitique
complément d'objet indirect du verbe dire, CR masculin 2ème pers. du pluriel
(de politesse)
- ceste boat* la heit (v*257) : 1a pronom personnel proclitique représentant la
dame, complément d'objet direct de haer (« haïr »), CRI féminin 3ème pers. du
singulier.
-fetes li dire s’el le seit (B258) : li pronom personnel enclitique (verbe à
l’impératif) représentant la dame, complément d'objet indirect du verbe faire,
CRII fém.3ème pers. du sing. el pronom personnel représentant la dame, sujet
du verbe saveir CS féminin 3ème pers. du sing. (el est mis ele). Le pronom
personnel représentant toute la phrase qui précède (B257), complément d'objet
direct du verbe saveir, CRI, neutre.
Page 66 sur 95
Syntaxe
L’adjectif vailant de B211 n’a pas de –e. Il ne s'agit pas ici d’une erreur
d'accord : vailant est un adjectif de la 2ème classe comme tous les participes
présents (en –ant) et les adjectifs verbaux (en –ant et en –ent).
Dans Ne nuls des soens nient n'en sout (B28), plusieurs éléments sont
négatifs. Le ne initial est une conjonction de coordination qui introduit une
proposition négative. Le sens du pronom indéfini nuls, sujet du verbe sout, est
également négatif, Le verbe saveir est nié par 2 éléments : la particule négative
ne (ici élidée à cause de la voyelle qui la suit) et le pronom indéfini nïent.
• On sait que la négation en ne préposé au verbe peut être renforcé par des
éléments positifs qui étaient à l'origine des substantifs (pas, point, goutte,
mie, rien18). Ces substantifs indiquaient l'unité minimale de 1’objet à nier -du
moins au début. Dans je ne marche pas, l'unité minimale de la marche est le
pas ; dans je ne bois goutte, goutte est l’unité minimale de ce qu'on peut boire
c'est la goutte ; dans je ne vois point, l’unité minimale de ce qui est visible
c'est le point19 ; dans je ne mange mie, l'unité minimale de ce qu’on peut
manger c'est la miet (de pain), etc. Mais ces substantifs positifs ont perdu à la
fois leur nature substantive et leur caractère positif et ne sont plus que des
renforcements adverbiaux de la négation, Pour nïent, la situation est
différente puisque ce pronom indéfini a toujours été négatif et il signifie
« rien », « nulle chose ». Donc ne et nïent en tant que particules du verbe
(proclitique + verbe + enclitique) signifient « ne...rien ». Nïent peut être en
ancien français soit préposés (proclitique, comme c'est le cas ici), soit
postposé au verbe (enclitique)20 ; alors que ne est généralement préposé.
18
Rien = « chose »
19
A l’origine il s’agissait sans doute du point de couture.
20
Ex. Nïent i a, nïent avreiz / Et a nïent vos entendreiz (Wace Le Roman de Rou) « Il n’y a rien, vous n’aurez
rien, et vous nous donnerez du mal pour rien ».
Page 67 sur 95
régimes préposées. Dans une feiz esteit repeiriez, c'est un circonstanciel qui
conditionne l'omission du sujet pronominal.
• Les conjonctions et les relatifs placée en tête de phrase ne provoquent pas la
postposition du sujet, parce que ces outils grammaticaux sont considérés
comme en dehors de la phrase et de ses constituants. Ex. n’impliquent pas
l’inversion du sujet nominal ni l'omission du sujet pronominal. Ex. : Kar jeo
ne chacerai hui mes (B160)
Exercice n°10 Décrivez les inversions des sujets nominaux et les omissions des
sujets pronominaux de l'extrait qui va du v.l au v.36.
Fascicule n°5
B117-B134
Phonétique
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Le tréma de fïance est un ajout de l'éditeur. Ce signe précise simplement
que le i est une vraie voyelle et que le groupe -ïan- forme deux syllabes,
Versification
21
Synérèse ici. La diérèse n’était obligatoire après un groupe conjoint consonne + liquide –r ou -l
Page 70 sur 95
Ses/ com/pai/nuns/ tuz/ a/pe/lad
Sei/gnurs/fet/il/a/vant/ve/nez
Ces/te/ mer/vei/llë/ es/gar/dez22
Cum/ ces/te/ bes/te/ s’hu/mi/lie
E/le ad / sen/ d’hu/me/ mer/ci / crie
Cha/ciez / mei / tuz / ces /chiens / a/riere
Si / gar/dez / que / hum / ne / la /fiere
Ces/te / bes/te ad/ en/ten/te e/ sen
Es/plei/tiez / vus / a/lum / nus / en
A/ la / bes/te/ du/rrai / ma /pes
Kar/ jeo/ ne/ cha/ce/rai/ hui/ mes.
Vocabulaire
Mercier : Ce verbe doit être traduit par « remercier, rendre grâce » dans
notre extrait. Il peut avoir aussi le sens de « récompenser ». Mercier dérive du
substantif merci qui est issu du latin mercedem (« récompense »). Ce verbe est
resté usuel jusqu'au XVIIe siècle et il a été peu à peu remplacé par son dérivé
remercier (le préfixe re- est un intensif ici), qui est apparue au XIVe siècle. Sa
disparition s'explique sans doute par la concurrence de son dérivé intensif. Il y a
eu une sorte d’ »inflation », et le sens de mercier s'est affaibli.
Fïance : c’est un substantif qui dérive du verbe fier. Il peut avoir le sens
de « confiance, foi », le sens d’ « engagement », de « promesse », et même le
sens de « fiançailles ». Dans notre texte, on peut traduire ce terme par
"promesse" ou "engagement". Le mot n’a pas survécu mais plusieurs de ses
dérivés sont courants en français moderne : confiance, méfiance fiancé, fiancer
(d'ailleurs le verbe fiancer voulait dire à l’époque des Lais "prendre un
engagement").
Sire : Ce mot -ainsi que son autre forme casuelle seignur - avait bien sûr le
sens toujours présent de seigneur mais il avait également le sens de mari - et
c'est le cas au vers B121- (le mari étant également le seigneur de son épouse
dans cette société où les femmes pouvaient certes écrire des lais mais où elles ne
pouvaient pas transformer le 1exique).
22
Le tréma est un ajout de l’éditeur pour indiquer qu’il n’y a pas élision et que le –e doit compter même devant
voyelle.
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Au vers B125, 1e premier mot de la phrase est issi, qu’il ne faut pas confondre
avec son homonyme – et souvent d’ailleurs son homographe – ici (écrit
fréquemment issi en ancien français). En fait, i de B125 est un adverbe de
manière qui équivaut à ainsi et qu'on peut traduire par "de cette manière".
Syntaxe
• En plus des valeurs que le passé simple garde encore en français moderne (cf.
Philippe Ménard « Le passé simple qui évoque un passé complètement
révolu, sans lien avec le présent, a un aspect ponctuel et perfectif. Il
distingue et détaille des événements qui ont un commencement et une fin »),
ce temps peut signifier des états du passé et être traduit par le duratif
moderne.
• L'imparfait était moins fréquent que de nos jours (dans la Chanson de Roland
on ne compte qu’une quarantaine d’occurrences de l’imparfait sur 4002
vers). Pourtant, dans Bisclavret, 1’imparfait est relativement fréquent : sur les
318 vers du lai il y a 38 verbes à l’imparfait et au plus-que-parfait. La
différence de fréquence de l'imparfait entre ces deux œuvres anglo-
normandes et assez nette : alors que dans la Chanson de Roland on compte
en moyenne un imparfait sur 100 vers, dans Bisclavret on en compte un tous
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les 8 vers. Il est vrai que le lai Marie de France est plus récent que la
Chanson de Roland et que l'imparfait a reçu progressivement ses lettres de
noblesse dans l’ancienne langue.
Dans :
Quidouent tuit communalment
Que dunc s’en fust del tut alez (B128-129),,
le verbe estre est à l'imparfait du subjonctif alors que le verbe de la principale
quidier est à l'imparfait de l'indicatif (forme anglo-normande). La présence du
subjonctif dans la subordonnée s’explique par le fait que le procès du verbe estre
n'est pas actualisé et qu'un doute subsiste sur le sort du bisclavret. Mais fust est
ici rattaché syntaxiquement au.participe alez ; l'auxiliaire estre et le participe
forme un temps composé : le plus-que-parfait du subjonctif. Ce temps, comme
tous les temps composés en ancien français, sert à marquer l'accomplissement du
procès. Le départ du bisclavret est rendu par le sémantisme du participe alez.
L'aspect incertain, dubitatif de ce départ est rendu par le mode subjonctif. La
valeur temporelle passée est rendue par l'imparfait de l'auxiliaire estre. L’aspect
accompli de cette action est rendu par la présence de l’auxiliaire et du participe.
Page 73 sur 95
(complètement) ou une locution adverbiale (tout à fait) : tut dans cet exemple est
au neutre régime.
Fascicule n°6
B117-B134
Phonétique
Page 74 sur 95
En français moderne, gemme et femme ne riment pas, malgré leur
ressemblance orthographique. Ces deux mots forment pourtant la rime chez
Marie de France : ce qui prouve qu'ils avaient une même prononciation.
Occupons-nous de la phonétique de femme (B126). Ce mot est issu du latin
femina :
- Le -a final latin s'est transformé en -e sourd en ancien français.
- Le -i- médian s'est effacé en passant du latin au français comme toutes les
voyelles pénultièmes (avant-dernières) non accentuées min > mn.
- m et n ainsi mis en contact grâce à l'amuïssement du -i-, c'est-à-dire son
effacement, ont d’abord formé la géminée24 qui s’est tôt réduite à [m].
- Le –e latin s'est nasalisé en ancien français devant consonne nasale : [e] avant
de s’ouvrir en [a].
- le f- initial s’est conservé,
À l'époque de Marie de France, femme devait donc correspondre à [feme].
Vocabulaire
24
En arabe, on dit « chedda ».
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Quidouent (B128) : verbe quidier issu du latin cogitare (qui a permis la
création, dans la seconde moitié du XIXe siècle, de cogiter qui un faux
archaïsme et qui n'emploie ironiquement dans le sens « penser »). Les deux
principaux sens de quidier (ou cuidier) sont « penser » et « croire ». Dans notre
texte, la traduction par l'un ou l'autre de ces deux verbes est possible : « tous
pensaient » ou « tous croyaient ».
Estuit (B132) : passé simple du verbe estuveir (qui viendrait de opus est =
« besoin est, il faut »- avec postposition du verbe est opus. Cet impersonnel a le
sensno de « falloir, convenir ». Dans notre exemple si lur estuit peut être traduit
par « il leur fallut ».
Ester (B132) : Il ne faut pas confondre ester avec estre (« être »). Ester
provient du latin stare « se tenir debout »25, sens que ce verbe a gardé en ancien
français. Son autre sens important, c’est « demeurer, séjourner ». Par exemple,
au vers B241 : Ceste beste a esté od vus = « Cette bête a vécu avec vous » (et
non pas « a été avec vous »). Le groupe lessier ester a le sens de « rester
tranquille" ; c'est aussi le sens de notre exemple : mot à mot = « il leur fallut
rester tranquille ».
Morphologie
Dans le texte n°6, un seul participe est de type fort : il s'agit de quis
participe passé de quiere (ou querre).
25
Sens conservé dans des dérivés comme station.
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• En ancien français, en plus des des types en -é (ou -ié) et en -i, il y a 2 autres
types faibles :
- en -eit : cuilleiz (cuillir), cheeiz (cheeir = « tomber »), toleiz (toldre =
« enlever »). Les représentants de cette classe sont très rares, et très vite, par
analogie, ils ont adopté les désinences en –i ou en –u (cuilli, cheu)26
- en -u : Certains verbes en –ir (sans inffixe –iss-), ainsi que la plupart des
verbes en –eir et en -re ont ce suffixe participial. Dans le Bisclavret, nous avons
les participes entendu (B57), tenu (B58), vestuz (B69), perduz (B73), aparceüz
(B74), rendu (B77), seü (B78), veü (B167), feruz (B173, de ferir), peüz (B174,
de paistre), etc.
• Les participes passée de type fort ne sont pas aussi faciles à classer. On
distingue généralement deux classes de participes forts : une classe en -s
féminin -se) et une classe en -z (féminin -te).
- participes en -s : ars (ardeir « brûler »), ascuns (ascundre « cacher »), asous
(asoudre « absoudre »), clos (clore), mes (maneir), mis (metre), mors (mordre),
ocis (ocire « tuer »), pris (prendre), quis (querre), respuns (respundre), ris
(rire), sis (seeir « s’asseoir »), etc.
- participes en -z : atainz (ataindre), ceinz (ceindre), cuvers (cuvrir), crienz
(criembre), despiz (despire « mépriser »), diz (dire), duiz (duire « conduire »),
escriz (escrire), faiz (faire), feinz (feindre), joinz (joindre), liz (lire), morz
(morir), oferz (ofrir), overz (ovrir), roz (rompre), soferz (sofrir), traiz (traire
« tirer »), etc.
N.B. Dans ces 2 listes, le participe passé est au CS singulier. Ex. :
Singulier Pluriel
CS Diz Dit
CR Dit Diz
• Pour identifier les participes passée forts, il est souvent utile de se référer à la
situation actuelle. La morphologis des participes forts a, en effet, très pou
changé depuis le Moyen Age.
26
Ce sont ces formes analogiques qui sont passées à la langue classique et au français moderne.
Page 77 sur 95
- Mis (B264, B279) : pp de metre
- Neies (B313) : pp de maistre
- Pris (B143, B213, B263) : pp de prendre
- Quis (B130) : pp de quere (querir)27
Syntaxe
Dans La dame ad cil dunc espusee / Que lunguement aveit amee (B133/B134),
les verbes de la principale et de la subordonnée sont composés chacun de 2
éléments : l'auxiliaire aveir et un participe passé. Le verbe de la principale ad
espusee a un auxiliaire conjugué au présent ; il ne s’agit pourtant pas d'un
« passé composé » mais d’un présent qui a une valeur résultative et qui présente
1’action comme accompli (ici l'action d'épouser). Nous retrouvons le
phénomène de la composition dans le verbe de la relative avoit amee (B134),
27
Il s’agit en fait d’un doublet infinitif, comme courre et courir.
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mais le plus-que-parfait marque ici l’antériorité du procès du verbe amer sur
celui du verbe espusee).
Quelques vers après notre texte, nous avons un emploi assez curieux du plus-
que-parfait :
Des que il a le roi choisi
Vers lui curut quere merci.
Il l’aveit pris par sun estrié
La jambe li baise e le pié. (B145/148)
Examinons la concordance des temps : dans les 2 phrases de l'extrait un temps
du présent côtoie un temps du passé. 1/ Présent accompli (a choisi) + passé
simple (curut) ; 2/ plus-que-parfait (avait pris) + présent (baise). Dans la
première phrase, il y a une succession temporelle entre choisir et curir. On peut
voir également une opposition d'aspect entre les 2 verbes (accompli +
inaccompli). Dans la deuxième phrase, le plus-que-parfait est antérieur au procès
du présent (= d'abord il lui prend l'étrier et ensuite il lui baise la jambe) pourtant
il semble bien ici que le plusque-parfait ait une valeur ponctuelle (tout comme le
présent de B148), c'est-à-dire que l'action de « prendre » apparaît à un certain
point du temps du récit. D'ailleurs il n'y a aucune différence aspectuelle entre
avoit pris et baise (mis à part l'antériorité). Cette valeur ponctuelle dans
l'antériorité du plus-que-parfait est insolite par rapport au système verbal
médiéval.
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- La dame ad cil dunc espusee (B133) : le pp s’accorde avec le complément
d'objet direct – antéposé - la dame, et est doté de ce fait d'un -e féminin.
- Que lunguement aveit amee (B134) : amee s’accorde avec le complément
d'objet direct de la relative : que qui a pour antécédent la dame.
29
Le personnage s’adresse à un médecin.
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La conjonction de subordination que (ou ke) telle qu'elle apparaît dans le
texte n°6 introduit des complétives. Cela est très net dans B128-129 où la
subordonnée est le complément d'objet direct du verbe régissant quidier. Dans
Puis li cunta cumfaitement /Ses sire ala e k’il devint (B120-121) la conjonction
k’ est directement rattachée au verbe régissant cunter. La proposition que la
conjonction introduit est toujours complétive mais ce genre de lien est
impossible en français moderne où l’on doit remplacer la conjonction par le
groupe pronominal ce que, qui introduit une complétive interrogative indirecte
(raconter, dire ce qu’il devient).
Fascicule n°7
Pour ce dernier fascicule, j’utiliserai tout le lai, et non plus un extrait. Cette vue
d’ensemble me permettra de détecter la plupart des questions qui n’ont pas été
étudiées jusque-là.
Phonétique
Page 81 sur 95
[b] : gab/gas
[m] : verm/vers, ferm/fers (« fort, fortifié »), enferm/enfers
- une labio-dentale (f)
[f] : buef/bués, cerf/cers, chaitis/chaitif, chief/chies, grief/gries, soif/sois,
sauf/saus, vif/vis. En français moderne, on dit toujours un bœuf / des bœufs
([bœf]/[b]) ou un œuf / des œufs ([œf]/[]).
Vocabulaire
1)
- Meserrez (B52) : présent du verbe meserrer composé du préfixe mes- et de
errer. En ancien français, il y a deux verbes errer homonnymes : errer issu de
iterare qui a le sens de « cheminer » et au figuré de « se comporter » ; errer issu
de errare qui signifie « s’égarer » et au figuré « se tromper » (c'est de ce dernier
verbe que dérive error = « erreur »). Le préfixe négatif mes- s’ajoute au premier
verbe et non au second puisque le second est déjà négatif. Le verbe meserrer a le
Page 82 sur 95
sens de « commettre une faute ». C'est bien le cas de notre exemple : la dame
accuse son mari de meserrer c'est-à-dire de commettre une faute, ou mieux la
faute (puisqu’en l’occurrence il ne peut s’agir ici que de l’adultère.
- cavee (B94) : adjectif issu du latin cavus (« creux »), a gardé ce sens en ancien
français et dans notre texte : le rocher dans lequel le bisclavret cache ses
vêtements est creux. L’adjectif cave a subsisté en français moderne mais avec un
sens assez restrient (veine cave). Notons que dans le Bisclavret, la réalisation de
l'adjectif participial tiré de caver (= « creuser »).
Page 83 sur 95
(d'ailleurs casa a donné chese « maison », d’où provient la préposition chez
toujours actuelle). Chaser = « pourvoir d'un fief, doter d'un domaine ». Un
suzerain chase son vassal et c’est ce que fait le roi du lai ; en contrepartie le
vassal jure fidélité et soumission à son suzerain.
- Trait (B199, B38) : verbe traire (du latin tragere « tirer ») dont le sens
principal est « tirer ». C’est le sens de traire dans B199 : vers lui le trait = « il le
tire vers lui ». (le bisclavret est en train de mordre le chevalier). Ce verbe peut
avoir un sens moins violent : vers lui la traist, la beisa = il l’attira vers lui et
l’embrassa. Le sens de traire s’est spécialisé en français moderne : « tirer le lait
d’un mammifère.
- Entent (B220) : le verbe entendre (du lat. intendere « tendre vers ») n'avait pas
le sens que nous connaissons de ce terme (rendu dans l'ancienne langue par oïr).
Il a le sens de « faire attention », « être attentif », donc celui de « comprendre »,
sens qui d'ailleurs est toujours possible en français moderne. Dans notre
contexte, si cum j’entent = « d’après la façon dont je comprends les choses ».
2)
- Appareillier (B228) = s’équiper, s’apprêter, se préparer.
- Avenantment (B228) = grâcieusement, avec élégance (mot à mot : d’une
manière avenante).
- Blandir (B60) = flatter, câliner.
- Celer (B62, B81) = cacher.
- Curage (B110) = le cœur, ce qu’on a dans le cœur : les sentiments.
- Deboneire (B179) = bon, doux (mot à mot de bon aire dont le contraire
est de put aire). (Aire = origine, race).
- Demeine (B298) = personnel, propre, particulier.
- Departir (B212) = (se) disperser.
- Descupler (B139) = découpler, lâcher.
- Desevrer (B182) = (se) séparer.
- Despescier (B238) = mettre en pièce, massacrer.
- Destresce (B264) = torture.
- El (B88) = autre chose.
- Entente (B157) = intelligence.
- Errer (B181) = partir en voyage, s’absenter.
- Garir (B42) = sauver.
- Gaudine (B65) = bois, forêt.
- Guerpir (B164) = laisser.
- Hus (B294) = porte (français moderne : huis, huissier)
- Lé (B93) = large.
- Leid (B200) = mal.
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- Ore (B13) = maintenant, à présent, pour l’heure.
- Otreier (B113-115) = occorder, offrir.
- Partir (B44-55-101-163) = s’éloigner, quitter, partir.
- Piece (B291) = laps de temps.
- Remaneir (B135, 211) = rester.
- Remembrance (B318) = souvenir.
- Repeirier (B214-225) = retourner, revenir.
- Retenir (B262) = arrêter, faire prisonnier.
- Sen (B154-157) = sens, intelligence, bon sens.
- Travaillier (B112) = torturer physiquement ou moralement.
- Vis (B235) = visage30
C)
- Aseürer qq1 de qqc (B108) = promettre quelque chose à quelqu’un.
- Bel : estre bel a qq1 (B166) = il lui plaît, il s’en félicite.
- Chief : al chief de piece (B295) = après un moment.
- Chier : aveir chier (B178) = estimer, chérir.
- Chierté : tenir a chierté (B169) = entourer de soins attentifs, bien soigner.
- Destreit : metre en destreit (B255) = soumettre à la question, torturer.
- Endreit : en maint endreit (B100) = maintes façons.
- Entendre : entendre a qq1 (B240) = lui prêter attention.
- Escient : mun escïent (B51), mien escïent (B216) = à mon avis.
- Gab : tenir en gab (B58) = prendre à la légère.
- Garde : prendre garde (B280) = se soucier, s’occuper.
- Merveille : n’estre merveille si (B218) = il n’est pas étonnant que…
- Munter : que ceo munte (B287) = à quoi cela tient.
- Plain esleis (B198) = d’un bond (mot à mot : de plein élan).
- Poi : pur poi (B143) = pour un peu.
- Tant : a tant (B161) = sur ce, là-dessus.
- Tant : tant …e (B265) = aussi bien … que.
- Tut : a tut dis mes (B318) = à toujours, à jamais.
- Tut : del tut (B129) = définitivement, pour toujours.
Morphologie
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associe l’infinitif à l’auxiliaire aveir (<habere) conjugué au présent et à
l’imparfait, avec syncope du radical -av- à la 4e et la 5e personnes du présent
et à toutes les personnes de l’imparfait.
31
Rappelons que les 3e personnes du singulier et du pluriel ont les mêmes formes au futur et au passé simple.
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Voici la forme que prend le radical au futur de certains verbes de notre
texte :
(a)beivre ((a)bevrai), aler (irai), aparcevoir (aparcevrai), aveir (avrai),
conoistre (conoistrai), criembre (criembrai), (de)venir ((de)vendrai), deveir
(devrai), dire (dirai), (en)querre ((en)querrai), entendre (entendrai), estuveir
(estuvra), faire (ferai), maneir (mandrai), metre (metrai), oir (orrai), paistre
(paistrai), perdre (perdrai), poeir (porrai), (re)tenir ((re)tendrai), rendre
(rendrai), respundre (respundrai), saveir (savrai), suleir (suldrai), traire
(trairai), veeir (verrai), vivre (vivrai), voleir (voldrai).
+ le + les +i +en
je + gel, jel, jeu, jou jes
tu + tel
ne + nel, nul, no, nou, nes
nu
se + sel ses
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si + sil sis sin
que + quel ques quin
qui + Quil quis, ques qu’i
Syntaxe
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- Que : dans Mes d'une chose ert grant ennui,, / Qu'on la semeine le perdeit /
Treis jurs entiers, qu'el ne saveit / U devenait ne u alout (B24-27), le premier
que semble introduire une causale : la proposition qu'il annonce contient la cause
du grant ennui de la dame - ce que est donc bien une conjonction de
subordination-. Le second que, par contre, introduit une relative dans laquelle il
joue le rôle de complément de temps, que du vers B26 est donc un pronom
relatif ayant un antécédent à valeur temporelle : treis jurs entiers.
- Quant : joue surtout le rôle d'un adverbe de temps mais peut être une
conjonction et introduire une subordonnée circonstancielle de temps :
Ex. Les jurs quant vus partez de mei (B44)
ou de cause :
Ex. Quant des lais faire m’entremet, / Ne voil ublier Bisclavret (B1-2). Ici
quant = « du moment que », « puisque ».
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Ex. Ja nen avreie mes sucurs / De si k’il me fussent rendu (B76-77).
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La préposition de peut introduire le complément d'agent régi par un verbe au
passif :
Ex. De tus nos veisins amez (B20)
De peut introduire un complément de lieu qui indique le début du verbe de
mouvement34.
Ex. E chaciee de la cuntree (B306)
34
Nous verrons plus loin le cas de de introduisant un complément déterminatif.
35
Message = « messager ».
36
Rappelons que despuille est un nom d’action.
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- Senz : « évoque l'absence, celle d'un objet matériel, d'une action, d’une qualité,
etc. (Moignet).
Ex. …Senz nes sunt neies (B313).
- lez et delez : le de- est un simple renforcement, il n'y a donc pas un grand
changement de sens entre les deux prépositions. Il s'agit dans les deux cas de
prépositions marquant le lieu et qui signifient « à côté ».
Ex…., delez cel bois, / Lez le chemin par unt jeo vois (B89-90). Delez et
lez = « à côté, à proximité de »
- Si : à ne pas confondre avec le si (se) hypothétique même si les deux ont une
position initiale par rapport à la phrase. Si marque souvent la succession logique
ou chronologique des événements et il est pratiquement intraduisible dans cette
fonction.
Ex. Quant il l’oï, si l’acola / Vers lui la traist, si la baisa, (B37-38). Il y a
une succession chronologique entre ces différentes actions et l'adverbe si
les ponctue. On peut tout de même le traduire par alors ou par et mais il
est tout à fait possible de le négliger.
Si à l'intérieur de la phrase a le sens de « ainsi » -rendu généralement par issi-
mais avec une valeur atténuée :
37
D’où, lundi, mardi, mercredi, etc.
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Ex. si si est, vu meserrez" (B52). Le premier si est une conjonction
hypothétique et le second est un adverbe. Mot à mot = si ainsi est, donc,
en français moderne : « s'il en est ainsi », « si c'est ainsi ».
- Car : en tant qu'adverbe car (ou kar) commence souvent les phrases
impératives pour appuyer l’ordre :
Ex. Kar metez la dame en destreit (B255). L’adverbe se traduit par
« donc » dans ce cas : « mettez donc la dame à la torture ! »
Le complément déterminatif
Ce cours n'est pas une grammaire complète de l'ancienne langue -il est
d'ailleurs bien difficile d’être exhaustif en une centaine de pages. Je renvoie aux
grammaires citées dans la bibliographie tous ceux qui désirent approfondir leurs
connaissances grammaticales en ancien français - bien que je sache que
l'archéologie des langues rebute beaucoup de monde-. Quoi qu'il en soit les
questions que je poserai à l'examen - puisque examen il y a - ont été discutées
dans ces 125 pages, mais ces questions supposent de bonnes connaissances
relatives à la grammaire moderne, que je n’ai pas évoquées ici parce qu’elles ne
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diffèrent pas du vieux au nouveau système. Je rappelle que le corpus de
l’examen est constitué de Bisclavret, et de Laüstic. Bon courage !
Devoir
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Questions
1/ Vocabulaire :
donner le sens de mandez (v.187), chasez (v.188) et leid (v.200).
2/ Versification :
syllaber les vers 197, 200, 206, 216.
3/ Phonétique :
transcrire phonétiquement les graphèmes en gras : tint (v.186), tuz
(v.187), femme (v.193), verge (v.202), s'esmerveillent (v.204), hume
(v.206), pris (v.213), haï (v.218).
5/ Morpho-syntaxe :
a) décliner : une curt (v.186), tuz les baruns (v.187), nul hume (v.206),
li chevaliers (v.215).
b) conjuguer au temps de leur emploi dans le texte les verbes suivants :
tint (v.186), furent chasez (v.188), quidot (v.194), aparceut (v.197),
eüst (v.200), se vengereit (v.210).
c) donner la nature et la fonction de : de lui (v.188), aturnez (v.192),
Bisclavret (v.193), leid (v.200), le jur (v.203), li plusur (v.204), tel
semblant (v.205), issi (v.211).
d) faire l'analyse grammaticale des phrases suivantes :
"Ja li eüst [...] manaça" (v.200-202)
"Mut s'esmerveillent [...] ke il veïst" (v.206)
"Alez s'en est [...] asailli" (v.215-217).
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