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UNIVERSITÉ DE MONTREAL

LA MAGIE ARABE

PAR
ARIELLE ORVIETO, 20158060

MINEURE EN ÉTUDES ARABES


FACULTÉ D’ARTS ET SCIENCES

TRAVAIL PRESENTE À Mme CHIRINE CHAMSINE


DANS LE CADRE DU COURS ARA-1002
INTRODUCTION AU MONDE ARABE 2
AVRIL 2020
TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES FIGURES 0

INTRODUCTION 1

Chapitre premier : La Magie 2


A. 1.1 La Sīmiyā 2
1.1.1 Mot 2
1.1.2 Auteurs 3
1.1.3 Procédures 6

Chapitre II : La Divination 8
A. 2.1 Les Carrés Magiques 8
B. 2.1.1 Nombre des Anges 10
C. 2.1.2 Nombre des Démons 11

Chapitre III : Les Créatures 12


A. 3.1 Djinns 12
B. 3.2 Harut et Marut 15

Chapitre IV : Islam 16
A. 4.1 Ce qu’en dit le Coran 16
B. 4.2 Certains pays musulmans et approche 18
actuelle à la magie / sorcellerie

CONCLUSION 24

ANNEXES
Annexe I : Valeurs numériques des lettres
25
arabes
Annexe II : Sourates relatives au Djinn
26
Annexe III : Sourate principale
27
concernant la magie dans le Coran

28
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES

Photos Page

Fig. 1 Carré magique 10


INTRODUCTION

Qu’est-ce la magie ? Comment peut-elle être définie dans un cadre culturel


spécifique, ou bien encore aussi vaste que le monde Arabe? Quelles sont les
différentes disciplines qui témoignent d’éléments magiques (de la divination aux
créatures célestes). Quelle est la relation entre l’Islam et la magie ?

Beaucoup trop large comme concept pour pouvoir être qualifié, la magie dans
cette recherche se veut comme titre englobeur pour diverses pratiques et rituels qui
ne correspondent pas forcément à des conventions religieuses monothéistes, mais
qui peuvent s’entremêler à elles pour ainsi créer des phénomènes de syncrétisme
culturels-religieux.

Dans les chapitres qui suivent, nous tâcherons de présenter une panoramique des
principaux concepts et pratiques de la magie que nous avons pu repérer dans le
cadre du monde arabe.

Dans les premiers trois chapitres, nous énumèrerons sous forme taxonomique,
certains rituels, croyances et créatures magiques qui ont prospéré au cours des
siècles dans le monde arabe. Dans le dernier chapitre, qui concerne
particulièrement l’Islam, nous nous permettrons de développer plus une pensée
personnelle critique, surtout en rapport aux pratiques de la magie dans ce
contexte religieux spécifique et en relation aux droits de l’homme et à la condition
de la femme.

Certes, une définition claire et univoque de toutes les formes de magie existantes
dans le monde arabe se révélerait une entreprise monumentale, sinon utopique.
C’est pourquoi, l’analyse descriptive qui suit, ne se veut pas exhaustive. Par ce

1
travail, nous souhaitons simplement mettre en évidence quelques concepts,
expériences et études qui ont été approfondis par des penseurs et praticiens de
cette forme d’expression culturelle et sociale. Notre but étant, en dernière
instance, de fournir un portrait analytique de certaines approches et pensées de la
magie telles que pratiquées dans le monde arabe, dans le passé comme dans le
présent.

CHAPITRE I.
La Magie
1.1 Sīmiyā’
Tout d’abord, considérant l’histoire monothéiste, ainsi que les agendas personnels
des institutions religieuses à travers l’existence de l’humain et de la société, les
biais, avis préconçus ainsi que les stéréotypes face à la magie sont nombreux. En
effet, un panachage d’images existe dans nos esprits, lorsque les thèmes de magie,
divination, occulte, sorcellerie, créatures, etc. sont abordés. Néanmoins, un sujet
qui n’est que trop souvent négligé, est la magie blanche. Sīmiyā est un mot arabe
qui, dans les dictionnaires utilisés, est généralement traduit par « magie blanche »
ou « magie naturelle ».

1.1.1 Mot
La parole sīmiyā’ existe en arabe classique avec la signification de « signe,
marque », ou aussi « apparition » avec les synonymes sīmā et sīmā', qui
appartiennent tous à la racine sémantique swm. Cependant, le mot appliqué aux
arts magiques ne semble pas dériver de cette racine arabe, et les opinions sur son
étymologie demeurent disparates.

Parmi celles-ci, l'une est l'origine perse du terme, qui désigne l'ensemble des
rituels de la soi-disant « magie naturelle ». En fait, le même mot existe dans la

2
langue persane, et il est généralement traduit dans les dictionnaires par « magie
naturelle », ou encore par « enchantement » ou « fascination ». Cependant, très
probablement, la langue persane l'a soustrait de l'arabe et non l'inverse. D'autre
part, Butrus al-Bustānī a suggéré que le mot sīmiyā' vient du mot hébreu Šem,
« nom », étant donné que ceux qui pratiquent la science utilisent continuellement
les noms divins dans leurs rituels et formulations. Une théorie parallèle est celle
qui établit que sīmiyā’ dérive du même ism arabe, qui signifie « nom », et est
donc l’équivalent arabe du hébreu Šem. L’hypothèse la plus plausible, selon divers
auteurs, est que ce terme dérive du grec σημεια, à travers la médiation du syrien,
signifiant à la fois «signes ou lettres de l’alphabet ». Cela concorde également
avec l’utilisation des lettres et des noms divins dans la pratique magique de la
sīmiyā’. Finalement, on pense également que sīmiyā’ n’est qu’un tracé du terme
arabe kīmiyā’, soit alchimie.

1.1.2 Auteurs
Dans le monde islamique, certains théologiens et juristes ont tenté de définir la
position orthodoxe en ce qui a trait à la nature interdite ou autorisée de la magie.
De là, émergent notamment les préceptes juridiques, développés par A Šihāb ad-
Dīn al-Qarāfī (mort en 1228), l'un des juristes les plus importants de l'école Malikí
de son temps, intitulés al-Furūq. Dans ceux-ci, il est établi les différents types de
magie qui existent, dont ceux qui sont condamnables et ceux qui sont acceptables.
Quant à la science de Sīmiyā ’, al-Qarāfī nous dit1:

Ce sont ces arts concernant les vertus terrestres particulières [c.-à-d.


Naturelles], comme une pommade spéciale, un filtre ou certains mots
concrets qui provoquent des fascinations particulières, qui perçoivent les
cinq sens ou qui concernent particulièrement certains de eux. Il existe
1
Al-Furūq, iv, pp. 277-8

3
parfois une existence réelle [de cette figure], Dieu créant ces essences en
réponse à de tels arts. Mais à d'autres occasions, il n'y a pas de réalité, mais
une simple illusion qui a envahi les pensées.

Par ailleurs, le célèbre intellectuel nord-africain Ibn Jaldūn, sans doute l'un des
personnages les plus influents de la culture arabo-islamique, a composé sa
Muqaddima, ou, Introduction à l'histoire universelle, œuvre pour laquelle il est
bien connu, où il y consacre un chapitre consacré à la science de la Sīmiyā'. Selon
lui, c’est un terme qui décrit la science qui étudie les secrets cachés des lettres,
également appelée ilm al-hurūf. De plus, pour Ibn Jaldūn, cette science englobe
toutes les des procédures magiques dans lesquelles les propriétés cachées des
lettres, des noms divins et certaines parties emblématiques du Coran sont utilisées.
Selon l’auteur du Muqaddima, ces sciences occultes sont généralement mises en
pratique par les « soufis extrémistes », de sorte que le terme sīmiyā ’est plutôt un
technicisme du soufisme.

Au XVIIe siècle, Hāŷŷī Jalīfa, historien et géographe naturel d'Istanbul, a composé


une encyclopédie bibliographique intitulée Kašf al-Zunūn. Dans cet ouvrage, il
inclut les définitions de toutes les sciences, et sous Sīmiyā' il écrit: « En somme,
sa base est l'application de certains éléments spécifiques, tels que les onguents, les
filtres ou les mots spéciaux qui provoquent certaines fascinations (jayālāt), telles
que la perception sensible des aliments, des boissons, etc. »

Selon Ibn Tūmart, cette science est basée sur la connaissance des secrets cachés
des lettres, dans lesquelles résident les vertus des quatre éléments, et dans
lesquelles Dieu a déposé le mystère de son nom suprême. Ceci est soutenu par un
concept classique de la pensée soufie, celui de l'Émanation divine (fayd)
vraisemblablement hérité du néoplatonisme, selon lequel le Cosmos est inter-relié
entre toutes ses réalités, les lettres avec les nombres, les nombres avec les

4
éléments, les éléments avec les planètes, les planètes avec les entités spirituelles
des mondes supérieurs, etc. En acquérant ces connaissances cachées, la personne
peut les appliquer chaque fois que son cœur est pur et qu'on ne trouve en lui
aucune trace de doute ou de péché, car de cette manière, la volonté du sujet rejoint
la Volonté divine, et ainsi le résultat souhaité sera obtenu.

D’ailleurs, comme plusieurs études l'ont souligné à cet égard, le travail populaire
de l'occultiste nord-africain a constitué l'adaptation des sciences occultes et des
rituels magiques aux nouvelles formes de dévotion développées par les maîtres du
soufisme. Ainsi, l'astrologie, la science des lettres et des Noms, ou la fabrication
de talismans, se mêlent aux pratiques ascétiques, aux exercices de mortification et
aux récitations continues de versets coraniques et d'autres litanies, comme observé
dans le travail d'Ibn Tūmart. En outre, c’est à lui qu’on attribue le mérite d’avoir
fixé le salaire du magicien.

De plus, de par l'examen de la science des lettres d'al-Būnī, nous pouvons voir que
la spiritualité islamique s’intègre dans ses travaux sur elle. Cette utilisation
magique des lettres provient également de la compréhension cosmologique et
métaphysique de la relation entre les lettres et l'univers, dans laquelle l'univers lui-
même est « l'émanation » de Dieu.

En effet, l'étude des aspects spirituels de la science des lettres d'al-Būnī donne un
portrait plus holistique de sa pensée, à la fois en tant que magicien et soufi.
Également, ses applications magiques de la science des lettres arabes étaient en
fait le résultat du dialogue entre la pratique magique courante à cette époque, en
particulier la magie néoplatonique ou céleste, et la tradition islamique. A cet effet,
les applications magiques des lettres arabes étaient une expression unique et
contextuelle sur la façon dont al-Būnī a construit la relation entre les humains,
Dieu et l'univers et a fourni un soufisme pratique aux masses. De par ce fait, il est

5
possible de faire un lien avec le concept de syncrétisme culturel-religieux, puisque
ladite science peut être désagrégée en divers éléments ou facteurs sociétaux et
religieux.

1.1.3 Procédures
Il y a deux procédures par lesquelles la Sīmiyā est habituellement pratiquée. La
première est appelée dikr. Il s'agit d'un technicisme typique du soufisme, qui est
interprété comme le souvenir continu de Dieu, c'est-à-dire évoquer Dieu à travers
la récitation continue de ses noms ou attributs. Ladite récitation relate avec
l'objectif poursuivi par celle-ci. Par exemple, le dikr du Nom al-Hafīz (le Gardien),
sert à obtenir la défense et la protection de soi, de la famille et des biens et effets
personnels. Celui du Nom al-Kāfī (le Suffisant), est utilisé pour obtenir la
subsistance et la richesse de Dieu.

Citant les mots de l’auteur de Kanz al ulum wa-l-durr al-manzūm (Le trésor des
sciences et la perle enfilée), Ibn Tumart2 :

La nature est la base de toutes les sciences extraordinaires et subtiles. En


effet, Dieu a déposé dans les quatre éléments naturels toutes les clés liées
aux réalités de sa toute-puissance et aux détails les plus subtils de Sa Science
et de Sa Sagesse. […] Le secret des Noms de Dieu se trouve dans ses
paroles; le secret de ses paroles réside dans ses lettres; le secret de ses
lettres est dans son affichage littéral (lib), et le secret de son affichage réside
dans les valeurs numériques obtenues.

Tel qu’énoncé, pour obtenir le secret de l'un des Noms, quatre étapes sont suivies,
correspondantes chacune à l'un des quatre éléments, du plus dense au plus subtil.
2
G. VAJDA, “Une synthése peu connue de la révélation et de la philosophie: Le « Kanz al-‘Ulūm » de Muha mmad b.
‘Alī Ibn Tūmart al-Andalusī”, Mélanges Louis Massignon, 3 vols., Damasco, 1956-7, iii, pp. 359-374.

6
Les Noms de Dieu, tels qu'ils sont des mots, correspondent à l'élément terre, qui
est l'élément le plus dense. Les parties dites subtiles d'un mot sont ses lettres, qui
correspondent à l'élément eau, à son tour élément plus subtil que la terre. Les
parties subtiles de chaque lettre sont obtenues grâce à son affichage dit littéral : il
s'agit d'extraire les lettres qui composent le nom de chaque lettre (lām = l + à + m),
et dans cet état il correspond à l'élément air, plus subtile que l'eau. Enfin, les
parties subtiles des lettres affichées sont leurs valeurs numériques, suivant le
système d'équivalence numérique des lettres arabes, associées à l'élément feu, qui
est le plus subtil des éléments. On suppose que la somme totale de ces valeurs
numériques constitue le secret du Nom en question.

Pour renchérir, plusieurs éléments pour performer les rituels de Sīmiyā rentrent en
compte, notamment un lieu pur, les humeurs, les saisons, les directions, les
stations de la lune, le placement des planètes, les matériaux (souvent utilisés sous
forme de bijoux / bagues qui correspondent aux planètes) la journée et l’heure.

La deuxième procédure est celle des carrés magiques, qui sera approfondie dans le
chapitre suivant.

En bref, cette science est largement conforme à la définition donnée par Ibn
Jaldūn, c'est-à-dire que la Sīmiyā', en al-Andalus, traitait des propriétés cachées
des lettres et de l'utilisation magique des noms divins dans leurs différentes
modalités. C'est également vrai, comme le dit le père de la sociologie, que cette
science a été cultivée en particulier par les adeptes des doctrines soufies. En effet,
les rituels décrits abondent en éléments appartenant à la pratique religieuse du
soufisme et à ses concepts de base, tels que le dikr, la pureté rituelle ou
l'ascétisme. En ce sens, l'affirmation selon laquelle cette science, dans certaines de
ses modalités, ne peut être réalisée que par des personnes ayant un haut degré
spirituel, c'est-à-dire par des maîtres soufis, est concluante. Ce concept exclusif

7
nous amène à déduire qu'Ibn Tūmart, comme le célèbre al-Būnī, conçoit ce type de
magie comme l'une des sciences les plus nobles, de par l’utilisation de matière
première et pour les bénéfices qu'elle rapporte et les effets qu'elle provoque, qui
sont finalement le produit de la Volonté divine.

CHAPITRE II.
La Divination
2.1 Carrés Magiques
Comme toutes les religions monothéistes, l'Islam condamne la magie (siḥr), qui est
considérée comme une tentation par les démons au détriment de l'humanité. Les
textes de la tradition canonique islamique (ḥadīṯ) interdisent aux fidèles de recourir
aux sorciers et aux astrologues, et les positions des juristes sur la punition à
appliquer à ceux qui traitent de cet art sont articulées. En général, les différentes
écoles s'accordent sur la condamnation à mort lorsqu'un crime grave est mis en
place par le magicien (iḏā qatala qutila, « s'il tue il sera tué ») ou si dans son action
on peut détecter des attitudes d'incrédulité (kufr)3.

Dans les premiers chapitres du Futūḥāt al-Makkiyyah, le soufi Ibn 'Arabī (m.
1240) trace, quant à lui, une cosmogonie spirituelle, basée sur le symbolisme des
lettres, qui établit une correspondance étroite entre macrocosme et microcosme.
Sur la base de cette relation, les signes alphabétiques seraient utilisés pour les
différents organes du corps humain et, s'ils sont correctement utilisés, ils peuvent
interagir avec les maladies de ces parties vitales.4

3
Le juriste al-Šāfi'ī (IXe siècle) déclare: « Le magicien n'est tué que lorsque, dans sa pratique magique, il
travaille de manière à atteindre l'incrédulité. Si aucun acte d'incrédulité ne se produit, nous ne pensons pas
qu'il mérite d'être tué. » Le jugement est rapporté par Muḥammad Ibn 'Īsā al-Tirmiḏī, Sunan, Dār al-fikr,
Beyrouth, 2001, vol. III, p. 140.
4
Ibn 'Arabī représente l'Univers comme un livre, dont les personnages sont écrits simultanément et en
continu par la "plume de Dieu" (al-qalam al-ilāhī). En d'autres termes, la création ne serait rien de plus que
la déclinaison incessante de l'alphabet divin. Cf. Ibn 'Arabī, Les Illuminations de la Mecque, textes choisis,
édité par Michel Chodkievicz, Paris, 1989, p. 407

8
D’autre part, le Šams al-ma'ārif al-kubrā, ou « Le soleil d'une plus grande
connaissance » d’al-Buni représente une véritable bibliothèque où apparaissent des
descriptions de recettes, potions et talismans, mais surtout un nombre considérable
de carrés magiques aux formes et tailles les plus variées.

L'origine exacte de ces modèles mathématiques, qui auraient été importés de Perse
ou de Chine, est inconnue. Cependant, c'est dans l'environnement arabo-islamique
qu'ils ont connu un réel foisonnement. L'expression wafq al-a 'dād (souvent
abrégée en wafq, pl. Awfāq), que nous traduisons par « carré magique », signifie
littéralement « accord [harmonieux] des nombres ».

La façon la plus simple de construire un carré magique (voir fig. 1) est la suivante:
étant donné une grille avec n carrés de chaque côté (avec n supérieur à 2), des
nombres naturels toujours différents y sont inscrits afin que la somme (constante
magique) des colonnes horizontalement, verticalement ou diagonalement
corresponde toujours la même. Ensuite, la méthode pour obtenir les noms des
anges et des démons à invoquer lors d'une cérémonie magique, consiste à choisir
tout d'abord un verset coranique selon ce que l'on souhaite réaliser, ainsi qu’un ou
plusieurs noms de Dieu. La somme est ensuite calculée de toutes les lettres qui
composent l’un et l’autre, selon les valeurs numériques associées aux lettres.
Ultimement, l’objectif du carré magique consiste à permettre à la personne qui en
fait l’usage de révéler et, par conséquent, de se rapprocher de différentes
incarnations des émanations divines. Nommément, pour faire appel aux pouvoirs
et propriétés des noms de Dieu, des Anges ou, dans certaines instances, des
Démons. En effet, le calcul des chiffres et des numéros qui se trouvent inscrit dans
ce diagramme vise à déceler le numéro correspondant à un ange ou à un démon
particulier.

9
Fig. 1 Exemple de Carré Magique

2.1.1 Nombre des Anges


Par exemple, ici-bas certains noms des anges et leurs équivalents numériques:
1) La Clé (Miftāḥ): son nom est équivalent au chiffre inférieur, placé dans la case
correspondant à n.1 du carré de base, soit 245;
2) La Serrure (Miġlāq): équivalente au chiffre supérieur, ou 253;
3) Justice ('Adl): elle est extraite de la somme des deux chiffres précités, soit 245 +
253 = 498,
4) L’Arrêt (Waqf): est obtenu à partir de la somme d'une colonne, équivalente au
total du verset et du nom de Dieu, dans ce cas 747;
5) La Contrée (Masāḥah): dérive de la somme de tous les nombres inscrits dans le
deuxième carré magique soit 2 241;
6) L'officier (Ḍābiṭ): équivalent à la somme de l'Arrêt et de la Contrée: 2 988;
7) Le Sommet (Ġāyah): correspond à la somme de toutes les colonnes placées
horizontalement, verticalement et diagonalement (747 x 8), soit 5,976;
8) L'Origine (Aṣl): dérive du produit de la Serrure par le Sommet (253 x 5.976) ou
1.511.928.

Toutefois, il est nécessaire de soustraire de chacun le nombre 51, équivalent au


suffixe āyīl (l'hébreu ēl), commun à tous les anges, étant la valeur numérique des
lettres individuelles: alif = 1, yā '= 10, yā' = 10, lām = 30. Ce qui restera sera la
racine du nom. Une fois la racine déduite, le suffixe āyīl sera à nouveau attaché.

10
2.1.2 Nombre des Démons
Pour ce qui en est des démons, pour extraire les "aides inférieurs" (al-a 'wān al-
sufliyyah) ou les démons, il faut soustraire de chacun des 8 chiffres des nombres
des anges ci-haut le n. 319, correspondant aux lettres ṭ-ī-š, considéré le suffixe
approprié des démons.

Une fois le carré magique composé, la feuille sur laquelle il était écrit est
accrochée à une sibyah, c'est-à-dire une construction composée de trois branches,
en bois de palmier, de grenade ou de coing, de trois bras de long (ḏirā') au milieu,
entrelacé en haut. C'est de l'encens avec deux brûleurs d'encens, l'un dans la main
droite et l'autre dans la gauche, marchant d'avant en arrière sous la feuille. Tout
cela dans une solitude parfaite. L'opération est considérée comme réussie lorsque
le talisman commence à tourner. À ce stade, la prière adressée à Allah est récitée
et les noms des anges sont évoqués.

Ces descriptions nous sont léguées nommément grâce au Mafātīḥ al-Ġayb de Abu
Musab al-Zarqāwī. En outre des éléments relevés, l’auteur survole,
malheureusement que de manière brève, la pratique du riyāḍah (lit. « exercice
spirituel ») qui coïncide en partie avec une véritable initiation. Ce sont des
périodes, plus ou moins longues, marquées par le jeûne, l'isolement, l'abstinence
sexuelle et les prières qui composent le « stage » du magicien, mais qui sont
fortement recommandées de pratiquer à chaque fois que l'on a l'intention
d'accomplir un rituel complexe comme celui des carrés magiques.

À partir du XIIe siècle, l'intérêt pour les carrés magiques a progressivement


diminué, parallèlement au déclin général de la science dans le monde arabo-
islamique. Néanmoins, ils existent tout de même en temps modernes,
principalement auprès des adeptes du soufisme.

11
CHAPITRE III
Les Créatures
3.1 Djinn
On peut évidemment considérer la magie comme la survivance d’anciens
cultes pratiqués avant l’arrivée de la religion. C’est sans doute la première
idée qui vient à l’esprit, en particulier dans le cas de l’Afrique noire, où
surviennent des croyances que l’on classe sous le nom d’« animisme ». Et
c’est ce qu’on pourrait supposer du Coran, qui accepte l’existence des
Djinns. 5

Située à la croisée des traditions juive, chrétienne et arabe, enrichie par de


nombreux apports issus de légendes locales, du folklore et de croyances populaires
antéislamiques, la démonologie musulmane présente une complexité qui s’accrut
encore davantage lorsque les musulman.es ont été confronté.es, par le biais des
traductions de textes philosophiques grecs, avec une démonologie païenne,
d’essence néo-pythagoricienne et néo-platonicienne.

Si la démonologie est en effet une matière souvent obscure dans la religion et la


philosophie du paganisme grec, elle l’est tout autant en Islam. Face au schéma
biblique, axé sur l’antagonisme entre anges et démons, le Coran distingue une
troisième classe d’êtres intermédiaires : les djinn. Alors que la conception
musulmane des anges et du diable (Iblis), tant en version coranique que dans ses
élaborations postérieures, s’enracine profondément dans les traditions judéo-
chrétiennes, la croyance aux djinns est un héritage de l’Arabie antéislamique. Issu

5
Démons Et Merveilles D’Orient. Bures-sur-Yvette: Groupe pour l'étude de la civilisation du Moyen-Orient, France,
RES Orientales Volume XIII, 2001, Pages 201-212.

12
de l’imagination du bédouin, qui croyait reconnaître dans un environnement
souvent hostile l’influence de forces surnaturelles, le djinn est un génie du désert,
tantôt ennemi de l’homme, tantôt son complice. Mentionnée une quarantaine de
fois dans le Coran, l’existence des djinn est devenue un dogme en islam, à tel
point que, selon Ibn Taymiya, nier leur réalité est une aberration, dont seuls sont
capables quelques philosophes étourdis.

Si les anges ont été créés de lumière (nur) ou de feu (nar), les djinn ont été tirés du
« feu de la fournaise ardente » (nar as-samum) (S.15 : 27), d’une langue de feu
(marig min nar) (S.55 : 15). Bien que moins nobles que les anges, certains djinns
se distinguent par leur vertu et par leur obéissance aux injonctions divines : ils se
comportent en bons musulmans, offrent leur aide aux humains et intercèdent en
leur faveur auprès des forces célestes. D’autres, par contre, s’avèrent maléfiques et
se confondent aux démons. Iblis, par exemple, le Satan de la bible, serait par
nature un djinn (S.18 :50), mais le plus souvent il est désigné comme ashaytan, le
diable par excellence. Pour autant que le terme shaytan revêt généralement un sens
péjoratif, la littérature musulmane l’emploie volontiers comme synonyme du djinn
maléfique.

Dotés d’un corps subtil, léger et lumineux, les djinns se laissent diviser en deux
catégories. Les premiers, dont le corps est visible, sont les « formes », « âmes »,
ou « personnes » des sphères et corps célestes, qui exercent leur influence sur les
êtres d’ici-bas ; « ils coulent dans les éléments comme les formes coulent dans la
matière »6. Les seconds, aux corps occultés, sont les « forces naturelles » qui
émanent du monde supérieur dans les trois règnes terrestres : minéraux, plantes et
animaux. Dans chaque catégorie, il y a des djinns pieux et bénéfiques, ainsi que
des djinns impies et maléfiques. Les bons d’entre eux possèdent toutes les

6
Démons Et Merveilles D’Orient. Bures-sur-Yvette: Groupe pour l'étude de la civilisation du Moyen-Orient,
France, Res Orientales Volume XIII, 2001, Page 67.

13
capacités intellectuelles : par leur rationalité et leur perception philosophique, ils
s’associent aux âmes humaines pures, qu’ils assistent, guident et conseillent, tant
dans les affaires de la vie quotidienne que dans la remontée vers leur origine
céleste. Par leur intermédiaire, l’âme du croyant quitte le corps matériel et la forme
humaine et devient pareil à eux, c’est-à-dire un esprit / une énergie qui s’élève vers
le monde spirituel. En revanche, les djinns maléfiques, identifiés aux diables et
démons, incorporent la force irascible et concupiscible qui tente de corrompre les
âmes en les attirant vers le péché, et par là ils empêchent leur remontée céleste.

La sorcellerie est souvent associée aux djinns et aux afarits (type puissant de
démon dans la mythologie islamique) du Moyen-Orient. Par conséquent, un
sorcier peut invoquer un djinn et le forcer à exécuter ses ordres. Les djinns
invoqués peuvent être envoyés à la victime choisie pour provoquer une possession
démoniaque. De tels sorts se faisaient par invocation, à l'aide de talismans ou en
satisfaisant les djinns par le médium d’offrandes, pour ainsi conclure un contrat.
Les djinns sont également considérés comme des assistants des devins. Les devins
révèlent des informations du passé et du présent; les djinns pouvant être une
source de ces informations considérant que leur durée de vie excède celle des
humains.

Les djinns ne sont pas surnaturels dans le sens d'être purement spirituels et
transcendants à la nature; alors qu'ils sont considérés comme invisibles (ou
souvent invisibles), ils mangent, boivent, dorment et se reproduisent, avec une
progéniture qui ressemble à leurs parents. Les rapports sexuels ne se limitent pas
au seul djinn, mais sont également possibles entre l'homme et le djinn. Cependant,
cette pratique est méprisée (makruh) dans la loi islamique. Il est contesté que ces
rapports puissent ou non donner lieu à des descendants. Au final, ces créatures
ressemblent aux humains à bien des égards, leur subtilité (pour dire, essence,
énergie) étant la seule différence principale. Mais c'est cette nature même qui leur

14
permet de changer de forme, de se déplacer rapidement, de voler et de pénétrer
dans le corps humain, provoquant parfois l'épilepsie et la maladie, d'où la tentation
pour les humains de se faire des alliés au moyen de pratiques magiques.

3.2 Harut et Marut


Harut et Marut sont deux anges mentionnés dans l'ayah (verset 102) de la
deuxième sourate du Coran, qui étaient présents sous le règne de Sulaymân
(Salomon), et étaient situés à Bābil (Babylone). Le Coran indique qu'ils étaient un
procès pour le peuple, et qu’à travers eux, le peuple a été testé avec la sorcellerie.
Les noms sont probablement étymologiquement liés à Haurvatat et Ameretat, deux
archanges zoroastriens.

L’histoire de ces deux personnages va comme suit. Les anges étaient étonnés des
actes de désobéissance commis par les êtres humains sur Terre, affirmant qu'iels
feraient mieux qu'elleux. Par conséquent, Dieu a mis les anges au défi de choisir
deux représentants parmi eux, qui descendraient sur terre et seraient dotés de
désirs corporels. Harut et Marut sont donc envoyés séjourner sur terre, et pendant
leur périple, ils tombent amoureux d'une femme nommée Zohra (souvent
identifiée à Vénus). Elle leur proposa de devenir intime avec eux s'ils la
rejoignaient dans l'idolâtrie. Les anges ont refusé et sont restés pieux. Plus tard, ils
l'ont rencontrée à nouveau, et elle déclara cette fois-la qu'elle deviendrait intime
avec eux s'ils buvaient de l'alcool. Les anges, qui pensaient que l'alcool ne pouvait
pas causer beaucoup de tort, ont donc accepté la condition. Après avoir été ivres,
ils ont eu des rapports avec elle et, après avoir remarqué un témoin, ils l’ont tué.
Le lendemain, Harut et Marut ont regretté leurs actes, mais ne pouvaient plus
monter au ciel puisque, à cause de leurs péchés, leur lien avec les anges étant
désormais rompu. Conséquemment, Dieu leur a demandé de choisir le lieu de leur
punition, soit dans ce monde ou dans l'au-delà. Ils ont choisi d'être punis sur terre

15
et ont donc été envoyés à Babel, enseignant la magie aux humains, mais non sans
les avertir qu'ils n'étaient qu'une tentation.

C’est cette histoire qui est référée dans le fameux verset Coranique, bannissant
éternellement les pratiques magiques du peuple musulman, tel que développé dans
le chapitre qui suit.

CHAPITRE IV
Islam

4.1 Ce qu’en dit le Coran


Le Coran consacre beaucoup d'espace au sujet de la magie, mais le verset le plus
célèbre à cet égard est II, 102, où l'accusation de « sorcier », adressée au roi
Salomon et où le mythe fondateur de la magie se propage à l’œuvre des anges
Hārūt et Mārūt.

[Les Juifs] suivent les inventions des démons contre le Royaume de Salomon.
Salomon n'était pas un Négateur, mais les démons, qui ont enseigné la magie
aux hommes et ce qui a été révélé aux deux anges, Hārūt et Mārūt, à
Babylone, qui, cependant, n'ont rien enseigné à personne sans d'abord lui
dire: « Faites attention que nous sommes une tentation, méchante de ne pas
l'être donc! « Les hommes ont appris de leurs sorts à séparer l'homme de sa
femme (mais ces anges n'ont fait de mal à personne sauf avec la permission
de Dieu) et ils ont de nouveau appris ce qui leur était nuisible et non
avantageux, sachant même qui avait acheté ce n'aurait pas joué un rôle dans
l'autre vie. (S.II, 102)

16
Particulier de par le fait que cette analyse est basée sur une traduction du texte le
plus sacré de l’Islam, on désirait tout de même soulever certains éléments.
Notamment, ce qui est la thèse de l’un des propos critiques de cette recherche, soit
que la magie est tellement vaste, qu’elle s’est, entre autre, développée dans des
manichéismes de blanche/noire. En effet, l’ayah ci-haut aborde la magie
(sorcellerie) qui sait séparer le mari de son épouse. Pourtant, il n’y a que la magie
noire, art sombre qui fait appel à des forces négatives et obscures, qui offre des
recettes pour intentionnellement générer le mal et la séparation. Effectivement,
peut-être n’est-ce qu’une des interprétations possibles, mais à notre avis, nous
somme persuadées que ce n’est pas l’art de la magie qui est proscrit ci-haut, sinon
que la magie noire, celle qui fait appels aux différentes créatures mentionnées dans
les livres abrahamiques et qui est en mesure d’aller à l’encontre de la Volonté
Divine.

La croyance en la sorcellerie, la magie, les fantômes et les démons est répandue et


omniprésente dans le monde musulman. Les croyances magiques s'expriment dans
le port d'amulettes, la consultation de guérisseurs spirituels et de diseuses de bonne
aventure, le culte au sanctuaire, les exorcismes, le sacrifice d'animaux et de
nombreuses coutumes et rituels qui protègent du mauvais œil, des démons et des
djinns. Les craintes associées à ces croyances vont des hantises et des
malédictions, à la maladie, à la pauvreté et aux malheurs quotidiens. Les pratiques
surnaturelles qui visent à apporter la bonne fortune, la santé, un statut accru,
l'honneur et le pouvoir abondent également. Les croyances magiques ne sont pas
reléguées aux régions rurales ou aux régions pauvres. Au contraire, elles sont
observables dans tous les segments de la société, quel que soit le statut socio-
économique des gens qui font usage de ces pratiques.

4.2 Certains pays musulmans et approche actuelle à la magie / sorcellerie

17
Dans cet ordre d’idée, toute forme de magie, fréquemment associée à la
sorcellerie, est considérée comme un acte impardonnable dans multiples États
arabo-musulmans. Ayant pour objectif de discerner non seulement ce qu’est la
magie arabe, mais aussi comment elle s’épanouit ou se développe dans divers
contextes et espaces, cette recherche s’est penchée vers la sorcellerie sous sa forme
la plus récente possible. Compte tenu des éléments mentionnés précédemment,
notamment l’illégalité absolue des actes de sorcellerie, le peu d’information trouvé
à ce sujet s’est avérée assez particulière. À tel propos, nous n’avons pu détecter
que quelque cas de réprimandes spécifiques plutôt que des renseignements faisant
appel à des lignes de conduite générale. En effet, différents évènements,
principalement en Arabie Saoudite, ont marqué l’histoire de la sorcellerie Arabe,
comme ceux de Amina bint Abdel Halim Nassar et Muree bin Ali bin Issa al-
Asiri.

Amina bint Abdel Halim Nassar a été exécuté en décembre 2011 pour avoir
« commis la sorcellerie » (witchcraft and sorcery), selon un communiqué du
ministère de l'Intérieur d’Arabie Saoudite. Nassar a fait l'objet d'une enquête avant
son arrestation et a été « condamnée pour ce dont elle était accusée sur la base de
la loi », selon le communiqué. Sa décapitation a eu lieu dans la province de
Qariyat, dans la région d'Al-Jawf. Le journal saoudien basé à Londres, Al-Hayat, a
cité une source dans la police religieuse du pays qui a déclaré que les autorités
avaient fouillé le domicile de Nassar et trouvé des livres sur la sorcellerie, un
certain nombre de talismans et des bouteilles en verre remplies de liquides
prétendument utilisés à des fins magiques. La source a déclaré au journal que
Nassar vendait des sorts et des bouteilles de potions liquides pour environ 400
dollars chacun.

Dans un communiqué publié lundi 12 décembre 2011, Amnesty International a


qualifié l'exécution de profondément choquante et a déclaré qu'elle « mettait en

18
évidence le besoin urgent de suspendre les exécutions en Arabie saoudite ». Philip
Luther, directeur par intérim d'Amnesty International du programme Moyen-
Orient et Afrique du Nord déclare à ce propos 7 :

Bien que nous ne connaissions pas les détails des actes que les autorités ont
accusés d'Amina, l'accusation de sorcellerie a souvent été utilisée en Arabie
saoudite pour punir des personnes, généralement après des procès
inéquitables, pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression ou de
religion.

Parallèlement, un Saoudien a été décapité pour sorcellerie (witchcraft and


sorcery), selon l'agence de presse officielle SPA. L'homme, Muree bin Ali bin Issa
al-Asiri, a été retrouvé en possession de livres et de talismans, a déclaré SPA. Il a
également admis avoir commis un adultère avec deux femmes, selon le
communiqué. L'exécution a eu lieu dans la province méridionale de Najran, en
juin 2012.

Amnesty International affirme que le pays ne classe pas officiellement la


sorcellerie comme une infraction capitale. Mais le rédacteur en chef des Affaires
arabes de la BBC, Sebastian Usher, dit qu'il y a une interdiction très stricte de
certaines pratiques de la part des puissants chefs religieux conservateurs du pays.
Certains, explique-t-il, ont à maintes reprises demandé des sanctions aussi sévères
que possible contre toute personne soupçonnée de sorcellerie - qu'il s'agisse de
diseuses de bonne aventure ou de guérisseurs. L'Arabie saoudite, une monarchie
absolue, pratique une version puritaine de l'islam et est régie par la charia ou la loi

7
AMNESTY INTERNATIONAL, « Saudi Arabia : Behading for ‘sorcery’ shocking », Amnesty International, 12
décembre 2011. https://www.amnesty.org/en/latest/news/2011/12/saudi-arabia-beheading-sorcery-shocking/
[Consulté en ligne en Février et Mars 2020]

19
islamique. Dans le royaume profondément conservateur, la sorcellerie et le
blasphème sont tous des délits passibles de la peine de mort.

Effectivement, l'Arabie saoudite prend la sorcellerie si au sérieux qu'elle a interdit


la série Harry Potter de l'écrivaine britannique J.K. Rowling, ainsi que plusieurs
histoires de sorcellerie et de magie. Elle a créé l'unité anti-sorcellerie en mai 2009
et l'a placée sous la responsabilité du Comité pour la promotion de la vertu et la
prévention du vice (CPV), aussi reconnue en tant que la police religieuse d'Arabie
saoudite. L'unité est chargée d'appréhender les sorciers.ères et d'inverser les effets
néfastes de leurs sorts. Sur le site Internet du CPV, une hotline encourage les
citoyens de tout le royaume à signaler les cas de sorcellerie aux autorités locales
pour traitement immédiat. L'Unité anti-sorcellerie a été créée dans le but d'éduquer
le public sur le danger des sorciers et pour combattre les manifestations du
polythéisme et la dépendance à l'égard d'autres dieux, a rapporté l'agence de presse
saoudienne (SPA).

L'unité, ayant pour objectif de sensibiliser le public aux maux de la sorcellerie,


d’enquêter sur les sorciers présumés, et de neutraliser les objets maudits, elle a, en
2012, suite à une session de formation sur la magie mandatée par le gouvernement,
appréhendé plus de 200 « sorcières ». Une grande partie des « sorcières »
arrêtées par le CPV étaient des Africain.es et des Indonésien.es car la magie noire
est souvent attribuée aux travailleurs.ses étrangers.ères, en particulier aux femmes
de chambre. En septembre 2011, des centaines de femmes saoudiennes se sont
plaintes lorsque le Conseil de la Shura (un organe consultatif), a permis aux
femmes marocaines, internationalement réputées par les musulman.es comme des
maîtres de la magie noire, de travailler comme domestiques dans les ménages
saoudiens. Les épouses ont affirmé que cela « équivalait à permettre l'utilisation de
la magie noire dans leurs maisons pour voler leurs maris ... le problème n‘étant pas
le manque de confiance en leurs maris, mais que leurs hommes étaient impuissants

20
à conjurer les sorts.» Les domestiques étrangères dans le royaume sont
régulièrement accusées de sorcellerie soit en raison de leurs pratiques
traditionnelles, soit parce que les Saoudiens, accusés de harcèlement sexuel,
veulent discréditer leurs accusatrices.

Quoi qu’il en soit, l'Arabie saoudite n'a pas de définition légale de la sorcellerie,
laissant les agents rechercher des indices comme l'encens, les bougies, la nudité,
les talismans, le sacrifice d'animaux et la profanation du Coran pour prendre
action.

De surcroît, l'une des coutumes les plus populaires est la dise de bonne aventure
(fortune telling), qui diffère de la pratique occidentale, généralement reléguée au
statut d'acte de carnaval et axée sur la prédiction de l'avenir. En général, la
pratique de la bonne aventure au Moyen-Orient se concentre davantage sur la
protection spirituelle et le conseil familial que sur la prédiction et la prophétie. En
plus de lire des cartes, des dés, des palmiers et les marques de café, les activités
comprennent la vente d'amulettes pour éloigner les mauvais esprits et la fourniture
de conseils pour les problèmes conjugaux. En Afghanistan, les diseuses de bonne
aventure opèrent à partir de petits magasins ou à l'extérieur des mosquées et
sanctuaires à travers le pays, mais sont rarement consultées pour présager l'avenir;
le plus souvent, leurs client.es sont des femmes ou des personnes âgées qui
recherchent des conseils sur les problèmes affectant leur famille. En Iran, la
narration de fortune est devenue de plus en plus populaire, et les gens de tous âges
se tournent vers les diseuses de bonne aventure à la recherche de bonheur et de
sécurité. Au Pakistan comme au Liban, la narration de fortune et la croyance en
l'astrologie sont si répandues que les pratiquant.es apparaissent dans certaines
émissions de télévision du matin.

21
Néanmoins, dans les dernières années, en Afghanistan, à Gaza, à Bahreïn et en
Arabie saoudite, des lois, des arrestations et des exécutions plus strictes ont eu lieu
pour dissuader les pratiques magiques. Par exemple, en 2010, le groupe islamiste
Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, a mené une campagne contre la
sorcellerie dans la région, engendrant l'arrestation de 150 femmes, qui ont ensuite
été forcées de signer des aveux et des déclarations renonçant à la pratique. Selon le
Hamas, « les activités de ces femmes représentent un réel danger social,
également parce qu'elles risquent de « briser leur famille », de provoquer le
divorce et de gaspiller de l'argent […] Parfois, leurs activités ont également des
répercussions criminelles. »8 En plus des arrestations, le Hamas a placé de grandes
affiches anti-sorcellerie dans les mosquées, les universités et les bureaux du
gouvernement, mettant en garde les femmes contre les pratiques magiques et
fournissant des informations aux habitants de Gaza souhaitant accuser leurs
voisins. En août 2010, la campagne a dégénéré en violence lorsqu'une femme de
62 ans, reconnue en tant que guérisseuse traditionnelle, a été assassinée devant sa
maison par un homme du voisinage après avoir été accusée par ses voisins de
pratiquer la sorcellerie. En janvier 2012, le Hamas a déclaré la profession de
diseuse de bonne aventure illégale et a « contraint 142 diseuses de bonne aventure
à signer des déclarations écrites affirmant qu'elles cesseraient d'essayer de prédire
l'avenir et de vendre des babioles qui sont supposées offrir une protection
personnelle. »9

Les chasses aux sorcières européennes ont pris fin lorsque la révolution
scientifique et les Lumières ont mis en évidence la raison empirique, et que la
rationalité a finalement remplacé les visions superstitieuses du monde occidental.
La vision islamique de la sorcellerie est très différente. Dans les chasses aux

8
PERLMUTTER, D. (2013). « The politics of muslim magic. » Middle East Quarterly, VOL 20, ISS.2, 73-
80. Retrieved from https://proquest-saintlaurent.proxy.collecto.ca/docview/1324623409?accountid=160406
[Consulté en ligne en Février et Mars 2020]
9
Ibid

22
sorcières islamiques contemporaines, il existe une tradition surnaturelle acceptée,
établie de longue date et sanctionnée théologiquement. Bien que la science ait été
cultivée dans les pays musulmans pendant l'âge d'or de l'islam, les chasses aux
sorcières n'ont jamais cessé parce que les idéologies rationalistes des Lumières
n'ont pas remplacé la vision du monde magique islamique. Les chasses aux
sorcières islamiques sont plutôt devenues une combinaison de technologies
rituelles primitives et modernes où des vidéos d'exorcismes et de décapitations
sont désormais disponibles sur Internet. Or, il est nécessaire aussi de reconnaître
que, indépendamment de sa location, de la polarisation de l’Orient et de
l’Occident, ces dites chasses ont souvent été un simple masque pour des
féminicides sous un fond de misogynie axée sur le contrôle intégral de la femme.

CONCLUSION

Chaque concept est consigné à la subjectivité de son contexte spacio-tempo-


culturel. De par ce fait, ce texte n’est qu’un bref survol de ce qu’est réellement la

23
Magie Arabe, développant sur certaines sphères de celle-ci. Par exemple,
lorsqu’associée à la sorcellerie, elle est perçue, dans le monde arabo-musulman,
comme un réel blasphème. Pourtant, ladite sorcellerie englobe des pratiques qui
elles peuvent être affiliées à l’alchimie, l’herboristerie, la médecine naturelle, etc.
De là, il est possible de percevoir certaines caractéristiques à titre de misogynie, de
par le fait que ces rites sont fortement réprimandés notamment car ils sont, en
majorité, réalisés par des femmes. C’est d’ailleurs une des excuses utilisées par
des agresseurs saoudiens pour se déresponsabiliser.

De plus, tel que vu précédemment, le Coran joue un rôle principal dans la


direction des perceptions face à la magie Arabe. Néanmoins, tel que mentionné,
n’est-ce pas possible que c’est la sorcellerie de magie noire, celle qui vise la
séparation de l’homme de sa femme, qui soit explicitement bannie et
condamnable ? N’est-ce cette spécifique forme de canalisation d’énergies
invisibles que les anges Harut et Marut on tenté les, et enseigné aux, peuples de
Babylone ? Ou, tel qu’écrit, ce sont toutes les pratiques, chacune des formes de la
siḥr (magie) qui déterminent notre fatum dans l’au delà.

En d’autres termes, ne serait il pas envisageable de croire que le bannissement de


toute forme de pratique magique tel que promue par le Coran n’était qu’une
proposition large pour protéger les individus muslman.es de la magie noire, seul
réel danger pour une personne pratiquante risquant de s’écarter du juste chemin ?

Ce questionnement ne peut que demeurer, pour le moment, ouvert et flou car il


implique une perspective vaste et articulée qui exige des études ultérieures. C’est
pourquoi, cette recherche nous a finalement permis de saisir jusqu’à quel point un
portrait de la magie dans le monde arabe se prêterait à des analyses plus
circonstancielles et spécifiques. Car, en dernière instance, la « magie » désigne

24
un terme générique qui englobe tout ce qui sort du rationnel de son époque, et elle
demeure irrévocablement circonscrite à son contexte socio-culturel.

ANNEXES

Annexe I. Valeurs Numériques Arabes

Annexe II. Sourates relatives au Djinn

S. 15 V. 27

25
S. 18 V. 50 (Iblis – Djinn)

S.55 V. 15

S. 51 V.56

Annexe III. Sourate principale concernant la magie dans le Coran et


traduction en anglais

26
S. 2 v. 102

BIBLIOGRAPHIE

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27
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Versnel, 2002, 468 pages en 24 essais.

Extrait d'un colloque, d’un congrès, d'une table ronde

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28
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29

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