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Hamès Constant (dir.), Coran et talismans. Textes et pratiques magiques en milieu musulman. [Jean-Charles Coulon]
d’islam (P. Lory), avec la distinction (difficile) entre cadre géographique et ethnologique délimité, la sym-
les rêves venant des prophètes ou des saints et les bolique et la représentation traditionnelles locales
rêves issus des démons ou du diable. Aussi, on remar- du serpent se mêlent à la civilisation musulmane et
que trois catégories de rêves : ceux qui sont issus de parfois entrent en conflit avec, puisque le praticien
l’inconscient, ceux qui viennent de Satan, ceux qui est aux prises avec les autorités religieuses. Ici c’est à
viennent de Dieu. Or, le rêve est considéré comme partir de la pratique que se détermine la licéité ou
la quarante-sixième partie de la prophétie d’après non de l’acte magique et celle-ci dépend autant de
un ḥadīṯ, ce qui justifie le besoin de différenciation la vision populaire du magicien que de l’opinion des
de ceux-ci (comme pour la distinction du miracle et imâms.
de la magie). Deux types de discours se sont donc Le cas des amulettes du Mali (B. F. Soares) per-
construits : les « synthèses doctrinales » visant à met d’aborder différemment ce problème du rapport
expliquer les rêves, leurs origines, etc., et les écrits entre autorité religieuse et populations : les amulettes
d’onirocritique, visant à donner les clés de l’interpré- fabriquées par un marabout suggèrent un ample
tation des rêves. réseau de diffusion qui occulte le marabout vis-à-vis
Le deuxième grand thème développé dans des populations et génère un circuit de diffusion qui
l’ouvrage est l’analyse des procédés magiques dans s’apparente à une micro-économie de la magie.
la culture musulmane. Pour ce faire, plusieurs types Les cas des manuscrits arabico-malgaches
d’études s’offrent à nous : l’étude de manuels de magie, (P. Beaujard) et des textes islamiques protecteurs
celle d’objets magiques ou de rites observés. aux Comores (S. Blanchy) offrent des études de cas
Ainsi, A. Rahal nous propose une traduction spécifiques, puisque dans des zones en marge du
du manuscrit Ayqash daté du xixe siècle. L’édition monde musulman et avec des liens plus lâches avec
et la traduction de ce type de textes permettent de les grands centres de la civilisation islamique. La
mieux comprendre ces pratiques, d’un point de vue magie y a un rôle social très important.
théorique bien sûr, mais ils peuvent être confrontés Enfin, les deux derniers articles ont un cadre bien
aux pratiques réelles par comparaison avec des objets différent : la France contemporaine. Les variations
magiques. L’article prend également le soin de diffé- sur le retour de l’aimé (L. Kuczynski) sont la quête
rencier l’invocation (duʿā’) à base de versets du Coran de Marie recherchant son « ex-copain » avec l’aide
et l’injonction (qasama) adressée à un esprit. des marabouts et c’est toute l’adaptation du mara-
Deux articles viennent apporter de nouvelles boutisme africain au contexte français qui se dévoile.
études de cas pour l’analyse des objets magiques. Marabouts comme consultants doivent s’adapter l’un
Tout d’abord A. Epelboin, C. Hamès et A. Raggi l’autre à la culture d’autrui. Notamment, le marabout
présentent cinq tuniques talismaniques sénéga- en contexte français perd son statut social supérieur
laises, complétant ainsi l’analyse détaillée de trois et doit trouver un mode de fonctionnement différent,
vêtements de la même collection parue en 1992 trouver comment forcer le don, qui était naturel en
dans le Bulletin d’études orientales. Ces vêtements milieu africain. L’autre grand problème rencontré est
comportent de nombreuses formules talismaniques celui de l’efficacité – qui théoriquement dépend de
et correspondent à un usage répandu, surtout en Dieu –, qui est souhaitée mais non nécessaire au don
Afrique aujourd’hui, mais qui n’est pas sans rappeler en Afrique, alors qu’il est la contrepartie exigée du
les tuniques des officiers ottomans. Aussi, ces études don/salaire en France. Le changement de clientèle
agrandissent-elles le corpus de comparaison pour suppose donc une réadaptation en profondeur de
l’analyse de tels objets. Les deux coupes magico-thé- la fonction de marabout.
rapeutiques présentées par A. Regourd enrichissent Le cas de l’imâm guérisseur Adbdallah en
également ce corpus d’objets magiques qui peuvent Lorraine (M. Khedimellah) traite également de la
servir de référence et de point de comparaison. La difficulté d’adaptation. Dans ce dernier, cas il s’agit de
nature et la fonction des objets sont différentes : d’un rechercher tout ce qui peut rendre licite cette prati-
côté des vêtements sénégalais, de l’autre des coupes que et comment distinguer marabouts et charlatans.
yéménites. Mais les deux sont bien renseignés quant Pieux imâm formé à la théologie, il cherche à concilier
à leurs usages respectifs. L’intérêt des deux coupes est absolument piété orthodoxe et pratiques de guérison
d’autant plus grand que la première est un legs pieux, à partir de versets du Coran récités sur une eau que
qui pose donc la question du statut de ces objets : le patient doit ensuite boire selon sa prescription.
entre objets d’art et objets usuels, avec une utilisation Il est donc un exemple de cas contemporain de la
dépassant largement le cadre privé. difficulté de se distinguer du magicien malgré une
Une autre étude de cas précise est celle de pratique qui s’y apparente.
l’utilisation de la magie pour guérir la morsure des La diversité des thèmes traités permet de rendre
serpents en Mauritanie (Y. Ould el-Bara). Dans un compte des grandes problématiques de l’étude de la