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C O L L E C T I O N « L E S L A N G U E S D U M O N D E »!

publiée sous la direction de H e n r i HIERCHE

GRAMMAIRE COMPARÉE
DES

LANGUES SLAVES
T O M E II

MORPHOLOGIE
Première Partie : FLEXION NOMINALE

PAR

ANDRÉ VAILLANT
Professeur au Collège de France
Directeur d'études à l'École des Hautes-Études

IAÇ
LYON, RUE VICTOR-LAGRANGE
P A R I S , 6 Ws, R U E D E L ' A B B A Y E (VI«)
© 1958 by Editions IAC, Lyon.
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.
GRAMMAIRE COMPARÉE
DES

LANGUES SLAVES

Première partie : FLEXION NOMINALE

Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique


PREMIÈRE ÉDITION : 1958

COLLECTION «LES LANGUES DU MONDE»

F. BI.ATT. — Syntaxe latine.


A. DAUZAT. — Grammaire raisonnée de la langue française (Médaille
de l'Académie Française), 3 e édition.
e
G . GOUGENHEIM. — Grammaire de la langue française du XVI siècle.
M. GRAMMONT. — Phonétique du gree ancien.
A. MARTINET. — Initiation pratique à l'anglais.
F . MOSSÉ. — Esquisse d'une histoire de la langue anglaise.
L . R E N O U . — Grammaire védique.
B . 0. UNBEGAUN. — Grammaire russe.
A . VAILLANT. — Grammaire comparée des langues slaves. 3 volumes.
R . W . ZANDWOORT. — Grammaire descriptive de l'anglais contemporain.
L . R E N O U . — Histoire de la langue sanskrite.
DU MÊME AUTEUR

Grammaire de la langue serbo-croate (en collaboration avec Antoine


MEILLET). Paris, Champion, 1924.
La langue de Dominko Zlataric, poète ragusaîn de Ur fin du XVI' siècle.
Paris, Champion, I. 1928, II. 1931.
Le De Autexusio de Méthode d'Olympe, version slave et texte grec édités
et traduits en Français. Paris, Firmin-Didot, 1930.
L'Évangéliaire de Kulakia, un parler slavon du Bàs-Vardar ( e n c o l l a b o r a -
tion avec André MAZON). Paris, Droz, 1938.
De Virginitate de saint Basile, texte vieux-slave et traduction française.
Paris, Institut d'Études slaves, 1943.
Le t r a i t é contre les Bogomiles de Cozmas le Prêtre ( e n collaboration
avec Henri-Charles PUECH). Paris, Droz, 1945. •
Manuel du Vieux Slave, I, Grammaire, I I , Textes et glossaire. Paris,
Institut d'Études slaves, 1948.
Le Livre des secrets d'Henoch, texte slave et traduction française.
Paris, Institut d'Études slaves, 1952.
Discours contre les Ariens de saint Athanase, v e r s i o n s l a v e e t t r a d u c t i o n
française. Sofia, Académie des Sciences de Bulgarie, 1954.
AVANT-PROPOS

Aux indications bibliographiques sommaires données dans


le tome I, p. 7-10, il importe d'ajouter:
J. J. M I K K O L A , Urslavische Grammatik, Heidelberg, I, 1913,
II, 1942, III, 1950.
F. T R Â V N Î C E K , Historickd mluvnice ceskoslovenskêho jazyka,
Prague, 1935.
E . F . K A R S K I J , Belorusskaja rëc', Saint-Pétersbourg, 1 9 1 8 . '
A. LESKIEN, Gramqnaiik der serbo-kroalischen Sprache,
Heidelberg, 1914.
A . B E L I C , Zamëtki po cakavskim govoram, Saint-Pétersbourg,
1910.

Et pour la morphologie:
O. H U J E R , , Slovànskâdeklinace jmennâ, Prague, 1 9 1 0 .
Ghr. S. STANG, Das slavische und baltische Verbum, Oslo,
1942.
H. GRAPPIN, Les noms de nombre en polonais, Cracovîe,
1950.
H . G R A P P I N , Histoire de la flexion du nom en polonais,
Wroclaw, 1956.
M. VEY, Morphologie du tchèque parlé, Paris, 1946.
Fr. R A M O V S , Morfologija slovenskega jezika, Ljubljana,
1952.
M . André M A Z O N et M . Boris U N B E G A U N ont bien voulu lire
chacun un jeu complet d'épreuves de ce tome II ; je leur suis
reconnaissant de la peine qu'ils ont prise et de toutes les fau-
tes qu'ils m'ont évitées.
P R E M I È R E P A R T I E

FLEXION NOMINALE
A
CHAPITRE P R E M I E R

LA FLEXION DES NOMS

122. Observations générales. — La flexion est très riche en


slave, comme en baltique. Le vieux slave a trois genres et
trois nombres ; il a sept cas, presque autant que le sanskrit
et l'avestique qui en ont huit, plus que le grec et le latin
classiques. Il distingue une flexion nominale et une flexion
pronominale, et en outre une flexion composée de l'adjectif,
avec superposition de désinences pronominales aux désinences
nominales. Il présente des types divers de flexion nominale,
avec six désinences différentes de génitif singulier, en -a, en
-y, en -g, en -u, en -i et en -e. Les langues slaves modernes
conservent une bonne partie de ce système compliqué, avec
des simplifications, mais aussi quelques complications
nouvelles, et en révélant un jeu supplémentaire d'accent et
des oppositions de quantité ou d'intonation.
Par leur flexion casuelle, toutes les langues slaves, à la
seule exception du bulgaro-macédonien, diffèrent, avec le
lituanien et le lette, des langues romanes et germaniques ou
du grec moderne à flexion très réduite ou abolie. Elles se
comparent à des états beaucoup plus anciens de ces langues,
et elles présentent l'intérêt de montrer vivant un système
flexionnel ordinairement disparu. On observe que ce système
est parfaitement clair et commode pour la pratique du
^ langage : ce sont plutôt les langues à morphologie pauvre,
comme l'anglais, qui sont de maniement subtil et difficile.
10 LA FLEXION DES NOMS, [127]

Toutefois, si l'usage d'une langue à flexion riche est aisé,


l'acquisition en est lente : pour un étranger, apprendre une
langue slave nécessite au début un gros effort. Que le slave
et le baltique aient pu maintenir leur flexion casuelle et la
garder jusqu'à l'époque présente est l'indice que les Slaves
et les Baltes, s'ils ont assimilé un bon nombre d'allogènes, ne
l'ont jamais fait que progressivement, et qu'ils n'ont pas
connu les brassages de population qui, dans le monde latin
et grec, ont précipité l'évolution des langues. La Macédoine,
exemple classique du mélange de peuples, et la Bulgarie, où
les éléments romans et grecs ont été puissants, apportent
la preuve du fait contraire (§ 128).
Au point de vue de la grammaire comparée, le système
flexionnel que présente le slave, et plus encore celui que
restitue le balto-slave, apparaissent nettement conservateurs
et relativement proches de l'état indo-européen primitif. Ils
n'en portent pas moins la marque de leur âge : le slave est
attesté tardivement, et davantage le baltique. Des désinences
ont été obscurcies par les altérations phonétiques et les
réductions de finales, et plusieurs ont été refaites, Si la flexion
reste malgré tout assez stable, les types flexionnels sont en
pleine transformation : le vieux slave garde beaucoup des
types anciens, mais pour une bonne part à l'état de vestiges
dont la langue est en train de se débarrasser, et en présentant
dans ceux qu'il maintient les plus vivants l'opposition
nouvelle d'un type dur et d'un type mouillé.

123. Les genres.— H y a trois genres : masculin, féminin


et neutre. La valeur des genres est nette avec les pronoms et
les adjectifs employés absolument : v. si. tu « celui-là », ta
« celle-là », to « cela » ; r. molodôj « le jeune marié », molodâja
« la jeune mariée », mâloe « le peu ». Mais avec les substantifs
la distinction des genres est en général aussi peu justifiée
qu'en allemand ou en français : on ne voit pas, d'après le
[123] . • LES GÊNÉES- ' - 11
. ' !
sens, pourquoi v. si. xlëbu «pain», r. xleb, -est masculin,
voda «eau», r. vodâ, féminin, et vino « vin », r. vinô, neutre/
On observe seulement que les noms désignant des êtres mâles
sont ordinairement masculins, ceux qui désignent des êtres
femelles ordinairement féminins, et que le neutre ne comprend
en principe que des noms de choses ou des abstraits, ou des
noms d'êtres jeunes qu'on peut considérer comme asexués.
On trouve des séries à trois termes comme v. si. mçzï « homme,
mari », masc., zena « femme », fém., otrocç « enfant », neutre,
konjî «cheval», kobyla « jument », zrêbç. «poulain». E t ces
séries se multiplient avec le développement du suffixe neutre
-g (§ 194), ainsi s.-cr. Bus «Russe», fém. Buskinja, neutre
Rusce «enfant russe». Mais le nom de T« enfant » est aussi
bien v. si. dëtistï, masc., et le russe répond au type neutre v. si.
zrëbç par un type masculin zerebënok. Le genre réel ne
présente donc rien de général ni de constant : le genre est
essentiellement grammatical et fixé par la syntaxe d'accord,
qui oblige à dire v. si. pçtï lu «ce chemin», masc., mais
nostï ta « cette nuit », fém.
Le genre est un élément hérité. La distinction primitive,
d'après le hittite, est celle de deux genres seulement, un
genre inanimé (neutre), et un genre animé : le premier avec
confusion du cas sujet (nominatif) et du cas objet (accusatif),
le second différenciant les deux cas et marquant fortement
le cas sujet par une forme spéciale, le plus clairement par une
désinence -s de nominatif singulier. La comparaison avec
d'autres langues laisse entrevoir l'origine lointaine de ce
nominatif animé pourvu d'une désinence: c'est un ancien cas
oblique de nom d'agent, un « ergatif », et la distinction des
genres animé et inanimé du hittito-indo-européen se ramène
à celle de deux constructions verbales avec ou sans nom
d'agent, « il est fait une chose », et « il est fait par quelqu'un »
(ergatif) devenant « quelqu'un fait » (nominatif).
Pour le genre féminin de l'indo-européen, le développement
332
LA FLEXION DES NOMS, [127]

en est nouveau, puisque le hittite l'ignore, mais on èn voit


mal le point de départ. Le type féminin le plus caractéris-
tique, en -à-, avec des types parallèles en -ï- et en -â- (§ 150),
est nettement suffixal. Mais ce suffixe fournit également un
pluriel neutre, et l'on doit supposer qu'il servait primitivement
à former des abstraits et des collectifs, d'une façon analogue
à celle du suffixe si. -ïsku dans s.-cr. zènsko « du féminin, une
femme» (d'où r. zénscina). De quelque origine qu'elle
soit, l'opposition est régulière, dans les pronoms et les adjectifs
qui fixent la syntaxe d'accord et la notion de genre, entre
un thème masculin en -o- et un thème féminin en -â-, en
regard du neutre en -o- : masc. *yos« lequel », neutre *yod, fém,
*yâ, skr. yah, yad, yâ, gr. ôç, ô, t], si. i-ze, je-ze, ja-ze.. E t l'on voit
l'opposition s'étendre dans les langues indo-européennes. Le
grec classique a encore largement des noms en -o- féminins,
le latin ne les connaît plus que dans u n type de noms d'arbres
et dans quelques vieux mots, et ils n'apparaissent plus ailleurs:
à gr. f) ÏTTTTOS « la jument » en face de ô nnros « le cheval » se
substitue lat. equa, skr. âçvâ, v. lit. esva, asvà (§ 48). Le type
athématique et les thèmes en -i- et en -a- comprennent des
féminins comme des masculins, mais, dans la flexion des
participes présents en *-ont-j*-nt-, lat. ferens « portant »,
masc. et fém., est remplacé par skr. bhâran, masc., fém.
bhârantî (thème bhârant-ï-, -t-yâ), gr. cpépcov, fém. çépouaa
(thème *<pspovT-yâ-), lit. nesqs, fém. nesanti, v. si. nesy, fém.
nesçsti, et dans la flexion des adjectifs en -u- on voit skr,
laghûh « léger », masc. et fém,, céder la place à masc. laghùh,
fém. laghvï, gr. êAccx^S « petit » fém. è'Kâyeia, lit. saldùs
« doux », fém. saldi, avec extension d'un suffixe de féminin -?-
qui passe à -yâ- (§ 154) du type courant des féminins en -â-.

134. Le genre en slave. — Le balto-slave a continué d'ac-


centuer la différenciation morphologique des genres. Il ignore
naturellement les thèmes en -o- féminins, et le slave doit
[124] LE GENRE EN SLAVE 13

rendre le féminin grec f| KsSpos « le cèdre » — devenu d'ail-


leurs masculin en grec récent — par un masculin, v. si. kedrU,
r. kedr. Dans les thèmes en -i-, il y a des masculins et des
féminins, mais les masculins vont tendre à s'éliminer (§ 169)?
et le type à devenir proprement féminin. D'autre part, le
slave, comme le lituanien, introduit à certains cas une dis-
tinction dans la flexion d'après le genre : masc. pgtï « chemin »,
instr. sing. pgtïmï, nom. plur. pçtïje, acc. pçti, et fém. kosti
« os », instr. sing. kostïjç, nom.-acc. plur: kosti. Dans les thèmes
en -u-, les féminins sont remaniés, les neutres se fondent avec
les masculins (§ 159), et le type devient un type masculin qui
en slave va complètement fusionner avec l'autre type mas-
culin des thèmes en -o-. Le type athématique garde les trois
genres, mais, perdant beaucoup de son importance, il se
segmente en petits groupes de masculins, de neutres et de
féminins avec des différences de flexion selon les genres.
Le genre et la flexion, primitivement indépendants, se
trouvent ainsi étroitement liés. En slave, dans la flexion des
adjectifs, où les thèmes en -z- et en - « - o n t été éliminés, et où
il ne subsiste plus que quelques vestiges du type athématique,
il n'y a que trois types de flexion répondant aux trois genres :
masc. novû « nouveau », neutre novo, fém. nova. Le système
de la déclinaison des substantifs reste sensiblement plus
complexe : il y a une catégorie importante de masculins en
-a- k flexion féminine, et les langues slaves ont développé des
masculins en -o, et aussi en -e (§ 208) ; le type féminin en -i-
reste vivant et ordinairement bien distinct (non partout, § 167),
et les restes de l'ancien type athématique ont été incomplè-
tement normalisés. Mais en gros on peut distinguer dans les
langues slaves quatre types de flexion : une flexion des mas-
culins, une flexion des neutres, une flexion principale des
féminins (thèmes en -â-), une flexion secondaire des féminins
(thèmes en -i-), c'est-à-dire disposer l'ensemble de la. flexion
selon les genres.
14 „ LA FLEXION DES NOMS [124]

Il en résulte que le genre, lié à la flexion et à l'aspect même


du mot, est ordinairement facile à reconnaître en slave. Lés
trois genres du slave ne- constituent en aucune façon une
complication et une gêne pour la langue, comme c'est le cas
en allemand : ils font office de classificateurs, non, ou très peu,
selon le sens réel, mâles, femelles et choses, mais selon les
types dominants de substantifs, v. si. domu « maison », masc.,
mësto «lieu», neutre, strana «région», fém., r. dom, mésto,
storonâ. En allemand, la distinction des genres n'est assurée
que par des déterminants, das Haus, der Ort, die Gegend: elle
est aussi précaire que malcommode, et l'obscurcissement des
déterminants suffit à la détruire, ainsi en anglais. En slave,
elle est très stable, et tend de plus en plus à s'identifier à la
forme du mot. Le russe vulgaire fait passer régionalement
le type neutre ïmja « nom » au type des féminins en -'a (§ 207).
Dans le groupe bulgaro-macédonien, où le développement
d'un article postposé, bulg. dom-ât, mjâsto-to, stranâ-ta,
renforce la division tripartite des substantifs, le type féminin
bulg. krâv-tâ « le sang » devient dialectalement masculin
168) et il ne reste plus que trois types de substantifs,
répondant exactement aux trois genres.
Toutefois, cette stabilité du système à trois genres du slave
n'existe qu'au singulier. Au pluriel, dans la flexion prono-
minale, la distinction des genres n'apparaissait qu'au nomi-
natif et à l'accusatif. Elle s'est perdue complètement pour
les pronoms et les adjectifs en russe et ukrainien, en bulgaro-
macédonien, et elle est remplacée en slovaque et en tchèque
parlé, en polonais et en sorabe par une distinction nouvelle
entre genre animé ou personnel et genre inanimé ou non
personnel (§ 235). Du même coup, dans plusieurs langues,
les substantifs des trois genres ont rapproché leurs flexions
de pluriel jusqu'à les confondre presque. On ne peut plus
guère parler en russe de différences de genre au pluriel, malgré
ce qu'il en subsiste au génitif ou génitif-accusatif, puisque
[125] LE NEUTRE . 15

même la désinence -a, qui était caractéristique des neutres,


se rencontre largement en regard de singuliers masculins :
type gôrod « ville », plur. gorodâ (mais gén. gorodôv), comme
zérkalo « miroir », plur. zerkalâ (gén. zerkâl, mais dial. -ov).

125. Le neutre.— Le système des trois genres, si net en


slave, a été un moment menacé, et le neutre a failli disparaître.
En effet, dans les thèmes en -o-, les désinences balto-slaves
nom. -as, acc. -an des masculins, et nom.-acc. -an des neutres,
se réduisaient également à si. -u (§§ 86, 88), ce qui aurait
entraîné au singulier une fusion du masculin et du neutre.
Mais la flexion pronominale maintenait la distinction de tu,
masc., lit. tàs, et de fo, neutre, v. pr. sta, de i.-e. *tod. La dési-
nence balto-slave *-a(d), si. -o, devenue caractéristique du
neutre, a été étendue; d'abord aux adjectifs, d'après le type
lit. géra, neutre de géras « bon », et peut-être dès le balto-slave
(§ 135), puis en slave aux substantifs. Le fait est sûrement
antérieur à la réduction complète de -as, -an à si. -u, et ii n'y
a pas lieu de penser que le neutre, défendu par l'accord des
pronoms et des adjectifs, ait jamais été flottant en slave
avec le masculin : que si. daru « don » soit parallèle à gr. Scopov,
lat. dônum, n'est pas une raison pour y voir un ancien neutre.
Au contraire, les substantifs en -u comme *medu « miel »,
v. pr. meddo, étaient en regard d'adjectifs en -u, du type lit.
grazù de grazùs « beau », et leur finale n'était pas modifiée
et donnait si. -u: d'où medu, masc.
Ce sont les langues baltiques, où pourtant nom. sing. -as,
-us se maintenait bien distinct de nom.-aec. neutre -an, -u,
qui ont éliminé le neutre et réduit à deux genres le système
des trois genres. Mais le fait est récent : le vieux prussien
conservait le neutre des substantifs au xiv e siècle, et il en
gardait encore des traces au x v i e siècle ; le lituanien moderne
a toujours des formes neutres d'adjectifs, et le lette en présente
des vestiges adverbialisés. La disparition du neutre doit être
16 LA FLEXION DES NOMS, [127]

en liaison avec un trait propre aux langues bal tiques, la


confusion complète des 3 e s personnes du singulier et du
pluriel des verbes, et elle doit être partie du nominatif pluriel.
Dans une phrase comme lit. *vartâ at-si-vërë « la porte
s'ouvrit » (mod. vaftai atsivërè), il était impossible de recon-
naître si *varlâ était un pluriel neutre, v. si. vrata, ou un
féminin singulier, et le pluriel des neutres a pris l'aspect d'une
sorte de collectif féminin singulier en -â, mais avec flexion
de masculin pluriel aux cas obliques. D'où deux normalisa-
tions : soit en féminin singulier, v. pr. œarto, acc. wartin;
soit en masculin pluriel, lit. vaftai d'après dat. vartams, etc.
En dehors des pluralia tàntum comme *vartâ, le pluriel neutre
a été normalement refait en pluriel masculin, et le singulier
neutre en -an en singulier masculin en -as: v. pr. assaran
«lac », si. jezero, et lit. èzeras, lette ezers. Mais non toujours :
en regard de si. mgso « chair », à pluriel très usuel, on a v. pr.
mensâ, fém., acc. mensan, et lettè miesa, avec un pluriel
féminin nouveau v. pr. mensas; à v. pr. slayan «barre de
traîneau», plur. (ou fém. sing.} slayo «traîneau», répond
lit. slâyos « traîneau », fém. plur. Ceci rappelle l'élimination
du neutre dans les langues romanes, lat. folium, plur. folia,
donnant v. fr. fueil, collectif la feuille, français moderne
feuille, plur. feuilles. — Les parlers lettes de Livonie font
disparaître plus ou moins complètement le genre féminin et
tendent à n'avoir plus de distinction de genre, comme le live,
du groupe finnois, auquel ils se sont superposés.

On peut observer en slave une petite limitation du genre


neutre des substantifs, en ce qu'il ne forme plus de mots
directement sur la racine : en regard des types masculins et
féminins très vivants de v. si. isxodù « sortie » (isxoditi
« sortir »), izmëna « changement » (izmëniti « changer »), il n'y
a pas de type neutre correspondant. Mais les adjectifs neutres
substantivés et la grande productivité de plusieurs suffixes
[126] . SOUS-GENRE PEBSONNEL ET ANIMÉ 17

de forme neutre, -ïje, -ïslvo, -isle,-(d)lo, compensent largement


l'absence de dérivés simples en -o. Pour les emprunts, s'ils
ne donnent pas ordinairement de neutres en vieux slave, il
n'en est pas de même dans les langues modernes (§ 209).

126, Sous-genre personnel et animé. — Dans le genre


masculin, le slave a introduit une distinction entre les noms
désignant des personnes, dont l'accusatif singulier est rem-
placé par le génitif (génitif-accusatif), et les autres noms,
dont l'accusatif singulier reste identique au nominatif :
v. si. ostavitu domû svoi « il quittera sa maison », avec domû
non personnel, mais ostavitu otïca svojego «il quittera son père »,
avec otïcï personnel. Cette distinction est nouvelle et inconnue
du baltique, mais elle est déjà presque fixée en vieux slave,
limitée en principe aux masculins en -o- (génitif-accusatif
en -a), mais quelque peu étendue par analogie aux masculins
en -i- (génitif-accusatif en -z, § 170), et plus largement aux
féminins athématiques en -er- (gén.-acc. -ère, § 197) et en
-û- (gén.-acc. -uve, §: 201). E t elle s'élargit : d'une part, pro-
gressivement et à des dates diverses, les langues slaves assi-
milent les noms d'animaux aux noms de personnes et
transforment le sous-genre personnel en sous-genre animé ;
d'autre part le génitif-accusatif se développe au pluriel et
au duel, d'abord dans la flexion pronominale avec les pronoms
et adjectifs employés absolument, puis, pour une partie des
langues, dans la flexion des substantifs. A d'autres cas encore,
des désinences deviennent caractéristiques du sous-genre
personnel ou animé : dat. sing. -ovi en vieux slave et dat.-loc.
sing. -ovi en tchèque(§ 142), nom. plur. -owie en polonais ( § 140).
La différence du sous-genre animé et du sous-genre inanimé
joue ainsi dans la flexion dès masculins un rôle soit notable,
soit considérable, selon les langues. Le russe, avec l'obscur-
cissement de la notion de genre au pluriel (§ 124), l'étend
au pluriel des féminins et des neutres, distinguant acc. ryb
18 LA FLEXION DES NOMS, [127]

(gén.-acc. plur.), de rtfba «poisson», et vôdy, de vodâ «eau»,


acc. materéj, de mâteri « mères », et kôsti « os », acc. rebjât,
de rebjâta « enfants », et vremenâ « temps ». Au singulier, on
a exceptionnellement dans la flexion du pronom de la
troisième personne le génitif-accusatif neutre r. egô, s.-cr. ga,
et le génitif-accusatif féminin r. eë, s.-cr. je, pour les anciens
accusatifs v. r. e, ju, pol. je (couramment go), jq.
Le polonais et le sorabe ont compliqué secondairement
la distinction des sous-genres dans la flexion des masculins :
ils opposent au singulier, et au duel en sorabe, un sous-genre
animé et un sous-genre inanimé, et au pluriel un sous-genre
personnel et un sous-genre non personnel. Ainsi pol. dwôr
« manoir », acc. sing. dwôr, nom.-acc. plur. dwory (inanimé) ;
kot « chat », gén.-acc. sing. kota, nom.-acc. plur. koiy (animé
non personnel), et mqz «mari, homme», gén.-acc. sing.
mgza, nom. plur. mçzowie, gén.-acc. plur. mçzôw (animé per-
sonnel) ; bas-sor. kôn « cheval », gén.-acc. sing. kônja, gén.-
acc. duel kônjowu, nom.-acc. plur. kônje, gén. kônjow, et
clowjek «homme», gén.-acc. sing. clowjeka, gén.-acc. duel
clowjekowu, nom. plur. clowjeki, gén.-acc. clowjekow. Dans
la flexion des pronoms et des adjectifs, au pluriel, lé polonais
ne garde plus de la distinction des genres que l'opposition
d'une forme personnelle masculine, nom. tadni « jolis », gén.-
acc. ladnych, et d'une forme unique non personnelle, nom.-
acc. ladne, mais cette opposition est forte et génératrice d'inno-
vations : de duzy « grand, gros », nom.-acc. duze non personnel
et nom. duzi personnel (§ 113).

127. Les nombres. — Le slave a trois nombres : singulier,


pluriel et duel. Dans cet état hérité de l'indo-européen, la
conservation du duel est notable pour une langue attestée
tardivement comme le vieux slave, et son maintien jusqu'à
l'époque actuelle dans deux langues, le sorabe et le slovène.
Le pluriel se caractérise par un jeu de désinences différentes
[127] LES NOMBRES 19
1
de celles du singulier, où dès l'indo-européen on ne reconnaît
aucun indice particulier de pluriel. Un certain élément -s
sert de marque au nominatif et à l'accusatif pluriels dans des
désinences comme nom. sing. fém. *-â, acc. *-ân, nom. plur.
*-âs, acc. *-âns, v. pr. genno « femme », gennan, madlas
« prières », gennans ; si bien que -s est devenu caractéristique
de pluriel dans certaines langues, ainsi en anglais et en français. 1
On voit d'autre part le lituanien faire de -s le signe distinctif
de son datif et de son instrumental pluriels- en -ms, -m( i)s, par
opposition au datif et à l'instrumental duels en -m (§ 133),
Ce ne sont là que des utilisations postérieures de finales de
désinences qui n'étaient plus analysées, et le fait n'intéresse
pas le slave, où l'on a nom.-acc. plur. zeny, dat. zenamiï, etc.
Le bulgaro-macédonien, qui a supprimé à peu près complète-
ment la flexion des noms, maintient solidement la distinction
du singulier et du pluriel : bulg. zenâ, plur. zeni ; d'ailleurs,
comme les autres langues slaves, avec des caractéristiques
variées du pluriel, masc. -i, -ove, -e, fém. -i, -e, neutres -a,
-eta, etc. Dans les autres langues qui conservent la flexion, un
élargissement du thème du pluriel du genre du grec moderne
vpcona-s « boulanger », plur. ^coiaccS-sç ou du roumain vin « vin »,
plur. vinur-i, n'a de l'importance qu'en serbo-croate et en
slovène, dans le type s.-cr. grâd « ville », plur. gràdov-i (§ 144) ;
le type r. néb-o «ciel», plur. nebes-â, est ancien, mais très
limité (§ 192).
Pour le duel, voir § 213. Il se présente avec une flexion
réduite à un jeu de trois désinences dans chaque type flexion-
nel. Il n'en est pas moins distinct à toutes ses formes du pluriel
et de ses six cas, chacune de ses désinences valant pour deux
cas : nominatif-accusatif, génitif-locatif, datif-instrumental.
U y a là un état spécial, qui remonte à l'indo-européen et
aux origines premières, quelles qu'elles soient, du duel. Le
nombre duel, qui a également ses désinences propres aux
trois personnes de la flexion verbale, n'est complètement
20 LA FLEXION DES NOMS, [127]

conservé qu'en slave et en indo-iranien ; de façon déjà plus res-


treinte en lituanien et en grec ancien, partiellement en vieux
germanique (pronoms personnels et verbes), et sous des formes
moins claires en vieil irlandais [(seulement dans les noms).
L'existence du duel en hittite est douteuse.
Le duel, nominal et verbal, est d'emploi rigoureux en vieux
slave : on dit obligatoirement ucenika idete « les disciples
allèrent » quand il s'agit de deux disciples, et non ucenici
idç, qui est le pluriel. Dans un tour comme « des disciples
allèrent», quand il n'a pas été encore parlé d'eux et de leur
nombre, la forme duelle est normalement dûva ucenika
«deux disciples» avec le numératif exprimé. C'est naturel,
puisque « un disciple » se dit couramment uceniku jeteru
(oui nëkyi) « un certain disciple », gr. p>A0R|TF|S TIÇ, et dans
les langues modernes r. odin ucenik. Ce n'est d'ailleurs pas
absolu, et ne vaut pas pour les mots qui indiquent des couples
usuels : oci «des yeux», roditelja «des parents (père et mère) ».
Même hors de ce cas, on trouve en vieux slave des exemples
comme eda osce mi sini esta Ruth, I, 11 (rédaction croate)
« est-ce que j'ai encore des fils », avec le duel parce que le sens
est « deux fds ». Le duel a disparu en tant que nombre dans
la plupart des langues slaves, et de même en lette et en vieux
prussien, mais en laissant des vestiges très importants dans
plusieurs langues (§ 214).

Le système des nombres ne se limite pas en slave à l'oppo-


sition d'un singulier, d'un pluriel et d'un duel : en concurrence
avec le pluriel, le slave a largement développé la catégorie du
collectif, et du même coup la catégorie inverse du singulatif.
Voir § 211, § 212.

128. Les cas. — Il y a sept cas en balto-slave : nominatif,


accusatif, génitif, locatif, datif, instrumental, vocatif. Cet
ordre des cas s'impose en slave (mais non en baltique), du
[131] LESDÉSINENCES:SINGULIER 21

fait qu'on a fréquemment à parler de nominatif-accusatif,


de génitif-accusatif (§ 126), de génitif-locatif, de locatif-datif,
de datif-instrumental, le vocatif étant à part. Les valeurs des
cas sont sommairement indiquées par leurs noms tradition-
nels; le détail des emplois èst complexe et appelle une étude
spéciale. Le vocatif ne possède de forme propre qu'au singu-
lier des substantifs masculins et féminins, et ailleurs il est
exprimé par le nominatif (sauf des particularités d'accent,
§ 217) ; dans la flexion des adjectifs, il n'apparaît en vieux
slave qu'au masculin singulier, et il est en voie de dispa-
rition (§ 270). Il y a donc seulement six cas au pluriel, et trois
seulement au duel, où nominatif et accusatif, génitif et locatif,
datif et instrumental se confondent. Au total, on a un jeu de
seize désinences dans la flexion d'un nom. Quelques désinences
présentent la même forme et ne se distinguent que par leur
valeur, mais il reste douze finales casuelles distinctes dans la
flexion d'un féminin rgka « main » en vieux slave (quatorze
en restituant des différences d'accent, § 220), et treize dans
la flexion de masculin du démonstratif tu « ce ».
Le système des cas du balto-slave continue celui de l'indo-
européen, avec des désinences qu'on n'analyse pas. On a pu
supposer que la désinence du génitif pluriel, en slave *-on, ~u
(§ 132), représentait le suffixe d'un dérivé possessif, et de
même la désinence de génitif singulier -F particulière à l'italo-
celtique. On peut imaginer que les désinences casuelles sont
ordinairement les débris d'anciens adverbes soudés au nom.
E t en effet les prépositions étaient à l'origine des adverbes
à place libre et volontiers postposés, comme on le voit en
indo-iranien, en grec homérique, en ombrien, et aussi en
letto-lituanien, où des postpositions -nfa), -p(i), d'emploi
courant en vieux lituanien, ont donné des types adverbiaux,
et aussi une désinence et un cas nouveaux. Le lituanien
possède dialectalement un huitième cas, l'« illatif », indiquant
le lieu où l'on va, ainsi dangun zehgli « aller au ciel », de
342 LA FLEXION DES NOMS, [127]

dangùs « ciel » ; il est usuel en lituanien oriental, et il résulte


de l'addition de -n(a) à l'accusatif. Il semble que les dési-
nences en -m- du balto-slave, avec leurs variantes en- *-bh-
dans d'autres langues (§ 134), aient une origine lointaine
analogue. Mais on n'en sait rien : on n'a plus affaire dès le
début qu'à des désinences casuelles.
E t on ne restitue pas exactement l'état indo-européen
initial : il devait y avoir des différences dialectales sensibles,
telles que celles qu'on observe actuellement entre les langues
slaves, et le hittite donne à penser que le système flexionnél
n'était pas partout également développé (§ 133). Le système
le plus riche est celui de findo-iranien, avec huit cas, dont un
ablatif qui ne présente une désinence distincte, en -d (-t),
qu'au singulier des thèmes en -o- et de la flexion pronominale,
et qui ailleurs se confond avec le génitif au singulier, avec le
datif au pluriel et avec le datif-instrumental au duel. En
slave et en baltique, l'ablatif est complètement confondu
avec le génitif, qui assume les deux valeurs de génitif et
d'ablatif, avec la forme de l'ablatif au singulier .des thèmes
nominaux en -o-, *-5d, si. -a, comme skr. -ât, et avec celle
du génitif au masculin singulier de la flexion pronominale,
*-esa ou *-asa, v. pr. stesse de stas « ce », et si. logo, cf. skr.
tâsya (§ 226). Si le letto-lituanien présente dans les pronoms
la forme de l'ablatif, lit. tô, lette ta, il faut penser que c'est
secondairement et par emprunt à la flexion nominale. Mais le
balto-slave a pu conserver longtemps la distinction d'un
génitif *-esa et d'un ablatif *-ôd dans la flexion des pronoms.
Pour la désinence indo-européenne de génitif singulier des
noms en -o-, elle ne se laisse pas restituer (§ 131).
Le système de la déclinaison est stable t a n t que les traite-
ments phonétiques n'obscurcissent pas gravement les finales.
Les désinences, n'étant pas analysables, ne subissent que des
réfections morphologiques : extension de formes plus carac-
téristiques, emprunts de la flexion nominale à la flexion
[128] . LES CAS 23

pronominale, ou d'un type de flexion nominale à 1-autre.


L'évolution des constructions analytiques, avec préposition,
est toute différente, beaucoup plus libre et plus radicale,
sans être d'ailleurs très rapide. Les changements de détail
dans la flexion sont fréquents, souvent compliqués, parfois
obscurs même à l'époque historique. Mais le système subsiste.
Les langues slaves modernes, tout en différant assez entre
elles, gardent généralement les sept cas du vieux slave. Les
réductions sont très limitées : le russe a perdu le vocatif, mais
non l'ukrainien ; le serbo-croate confond à peu près complè-
tement le datif et le locatif, mais non ses dialectes cakavien
et kajkavien. Il n'y a d'exception que pour le groupe bulgaro-
macédonien.
Confondant en finale inaccentuée a et â, o et u, e et i (§ 94),
ce qui brouillait la distinction d'un bon nombre de désinences,
le bulgaro-macédonien n'a pas réagi contre cette confusion,
mais a accepté un type balkanique de flexion réduite, parallèle
à ceux du roumain, du grec et de l'albanais. On peut dégager,
dans la ruine progressive de la déclinaison, un type masculin
singulier, le plus complet, à nominatif, vocatif, cas oblique
et prépositionnel, datif ; mais le datif n'est plus que dialectal
et a ordinairement disparu, et le cas oblique et prépositionnel
en -a, limité aux noms de personnes, est en train de s'éliminer
en bulgare actuel. Dans l'ensemble, le nom n'est plus fléchi,
avec seulement une forme de vocatif dans les masculins et
les féminins. La désinence en -om d'instrumental singulier a
donné un type d'adverbes (§ 321). ,
Le letto-lituanièn garde les sept cas du balto-slave, et l'on
a vu que le lituanien a même développé dialectalement un
huitième cas, l'« illatif ». Mais en vieux prussien, où la flexion
apparaît assez brouillée, le locatif et l'instrumental avaient
disparu, en ne laissant que des traces adverbiales, et le datif
commençait de se confondre avec l'accusatif.
24 LA FLEXION DES NOMS [129]

129. Les types de flexion. — Il faut d'abord distinguer


une flexion nominale et une flexion pronominale. La flexion
pronominale comprend des thèmes en -o-, fém. -à-, et, à l'état
de traces, de rares thèmes en -i-, v. si. ci-to « quoi », sï « celui-
ci » ; la flexion des pronoms personnels, anomale, est à part.
Cette flexion présente à une partie des cas des désinences
qui lui sont propres, et dont certaines peuvent diverger
fortement entre les langues indo-européennes : le hittite en
a révélé d'inattendues. Presque effacée en grec, limitée en
latin, la différence des deux flexions nominale et pronominale
est forte en indo-iranien, en balto-slave et en germanique, et
là flexion pronominale a pris dans ces deux derniers groupes
de langues une grande importance : le germanique l'a étendue
aux adjectifs dans sa déclinaison dite « forte », et le balto-
slave^ développé un jeu de formes déterminées de l'adjectif
à second élément pronominal. Ceci aboutit dans les langues
slaves à une déclinaison pronominale de l'adjectif parallèle ou
presque identique à celle des pronoms, et qui, s'opposant à
la flexion des substantifs, est devenue la flexion pronominale
régulière dont celle des pronoms se distingue par diverses
anomalies.
Dans la. flexion nominale, on reconnaît à l'origine un type
général, mais déjà fractionné en plusieurs sous-types selon
la nature de l'élément final du thème, consonne, sonante ou
voyelle. Le jeu de l'accent, avec réduction des voyelles
inaccentuées (§ 94), avait obscurci et compliqué les dési-,
nences en provoquant des réfections. Des contractions
avaient lieu avec les thèmes terminés par voyelle ; le cas de
h qui s'amuissait (§ 98) est encore trop obscur pour se laisser
préciser, mais doit pourtant être envisagé (§ 150). On distingue
ainsi trois types principaux, le type à voyelle thématique -o-,
le type à voyelle thématique -â~, et le type sans voyelle thé-
matique, dit athématique, sans formes contractes, mais qui
se morcelle. Les finales -i- et -u- se fondent avec les désinences ;
[129] LES TYPES DE FLEXION 25
j
et il faut alors parler de thèmes en -i- et en -u-. Avec les autres
finales, à côté des noms radicaux, il se constitue des groupes
représentés par des suffixes, -er-, -en-, -men-, -ont-, etc., qui
présentent chacun leurs particularités. On aboutit ainsi à
une multiplicité de types nominaux, les uns avec des flexions
très différentes, les autres avec une flexion commune dans
l'ensemble, mais des divergences de détail : thèmes en -o-,
en -â-, en -i-, en -u-, et aussi en -t- et en -u-, et type radical
athématique, types athématiques sùffixaux, en -t-, en -es-,
, en -yes-j-is-, en -voes-j-us-, etc.
Le balto-slave Gonserve un très grand nombre de ces types :
outre les grands types en -o-, -â-,- i- et -u-, le vieux slave pré-
sente les types en *-û-, en -en- et en -(j)an-, en -men-, en -t-,
en -es-, en -er-, en *-nt-, en *-wes-, en *-yes-, et il a même déve-
loppé deux types athématiques d'aspect nouveau, en -tel- et en
Les langues baltiques gardent de même des traces impor-
tantes des types athématiques. Mais, en baltique et en slave, ce
ne sont plus que des traces, en voie de disparition : le système
des thèmes nominaux, qui était encore très riche à l'époque
du balto-slave, est en train de se réduire fortement, à quatre
thèmes dans les langues baltiques et dialectalement à trois
(décadence du type en -u-, § 160), à trois thèmes dans les
langues slaves ; système nouveau que des survivances des
types antérieurs ne font que compliquer un peu.
Mais une complication bien plus grave a surgi : l'opposition
des thèmes en -o- et en -yo-, des thèmes en -â- et en -yâ-,
du fait des traitements phonétiques spéciaux des voyelles
précédées de -y- (§ 78). E n baltique, on a pour les masculins
deux flexions parallèles lit. -as, gén. -o, et -is, gén. -io, cette
dernière fusionnant avec les masculins en - t - ; et pour les
féminins deux flexions parallèles lit. -a, gén. -os, et -ê, gén. -es.
On distingue de même en slave une flexion « dure » des mas-
culins, v. si. -û, gén. -a, et une flexion « molle », v. si. .-ï, gén.
-ja, une flexion dure (-0) et molle (-je) des neutres, une flexion
26 LA FLEXION DES NOMS, [127]

dure (-a, gén. -y) et molle (v. si. -ja, gén.--/g) des féminins,
avec des différences nettes entre les deux types de flexions
dans une partie des désinences, et qui ne sont pas uniquement
d'origine phonétique.
D'autre part, la catégorie du genre tend à dominer la flexion
(§124). C'est d'après le genre que se répartissent les types
flexionnels les plus importants du slave, et c'est aussi d'après
lui que se subdivisent les autres types. Le principe de classi-
fication des types de flexion reste double, surtout dans le
système encore complexe du vieux slave. On distingue en
vieux slave : 1) les masculins anciens thèmes en -o-, à flexion
dure e t à flexion molle, avec les anciens thèmes en -u- qui
se contaminent avec eux ; 2) les neutres anciens thèmes en
-o-, à flexion dure et à flexion molle ; 3) les féminins anciens
thèmes en -â-, à flexion dure et à flexion molle ; 4) les anciens
thèmes en -i-, féminins et masculins ; 5) les anciens thèmes
consonantiques, masculins, neutres et féminins. Ceci se sim-
plifie dans les langues slaves modernes, et en fonction du
genre. Mais l'étude historique et comparée des types de
flexion appelle une disposition qui garde sa priorité au thème
sur le genre, et qui restitue au type en -u- l'individualité qu'il
conservait encore en slave commun, comme il la conserve en
baltique.
CHAPITRE II

LES THÈMES EN -0-

130. Flexion générale. — Le type comprend r a grande


majorité des substantifs masculins, la majorité des substantifs
neutres, et la totalité des adjectifs masculins et neutres de
flexion nominale, du fait de l'élimination en slave des adjectifs
en -u-, conservés en baltique, et des adjectifs en -i-, sauf des
vestiges du type athématique dans la flexion du comparatif
et des participes actifs,.
Une partie des désinences présente une même finale
caractéristique dans tous les types de flexion ou dans plusieurs
d'entre eux. Ainsi, au datif pluriel, ,v. si. -mu s'ajoute à divers
éléments thématiques, ce qui rend reconnaissables encore
les thèmes flexionnels de l'indo-européen : -omu, -jemu
(thèmes en -o- et en -yo-), -amû (thèmes en -â-), -ïmu (thèmes
en -i-), -ûmu d'après instr. plur. -umi (thèmes en -u-), et -ëmû
dans la flexion pronominale, avec la trace du type athéma-
tique -mû sans voyelle de liaison (§ 179) ; le baltique a -m(u)s,
lit. -ams, -oms et -êms (thèmes en -â- et en -yâ~), -ims, -ums,
-iems. Ce parallélisme des désinences dans les différents types
est à la fois un état hérité et une tendance naturelle, et il
a commandé certaines innovations, mais il est partiel, et
les désinences doivent être étudiées séparément dans chaque
type flexionnel.
Voici la flexion d'un substantif masculin du type dur en
vieux slave, rabû «serviteur, esclave», comparée d'une part
28 LES THÈMES EN -o- [131.1

avec celle du lituanien, vyras « homme ». de l'autre avec


celle d'une langue slave moderne, le russe (rab, dar « don ») :
lituanien vieux slave russe
Sing. N. vyras rab Ci rab '•
A. vyrq rabu, raba rabà (dar)
G. vyro raba rabâ
L. vyre rabë rabé
D. vyrui rabu rabu
I. vyru rabomï rabôm
V. vi/re rabe
Plur. N. vyrai rabi raby
.A. vyrus- raby rabôv (dary)
G. vyru rabu rabôv
L. vyruose rabëxu rabâx
D. vyrams rabomu rabâm
I. vyrais raby rabâmi
Duel N ,-A vyru raba
G---L- rabu
D. -I. vyram raboma
Dans le cas où le thème se termine par une gutturale,
la flexion se complique en slave d'Un jeu d'alternances (§111) :
v. si. mçcenikû «martyr», gén.-acc. mçcenika, etc., mais voc.
mçcenice, et d'autre part loc. sing. mçcenicë, loc. plur. mpcem-
cëxu, et nom. plur. mçcenici avec la désinence prise au type
mouillé reportée sur la forme alternante antérieure (§ 132) ; —-
bogu « dieu », gén.-acc. boga, etc., et voc. boze, loc. singl
bodzë, loc. plur. bodzëxû, nom. plur. bodzi ; — grëxû « péché »,
loc. sing. grësë, loc. plur. grësëxu, nom. plur. grësi, et voc. duse
de duxu « esprit » ; — Ijudiskû « du peuple », et Ijudïstë
f-scë), Ijudisiëxu (-scëxu), Ijudïsti (-sci), Les alternances sont
régulières en vieux slave et en slavon, dans la flexion des
substantifs et dans celle des adjectifs : Enoxu « Hénoch »,
[131] LES DÉSINENCES: SINGULIER 29

voc. Enose, loc. sing. Enosë ; dlûgu « long », suxu «sec», loc.
sing. dludzë, susë, etc., et même vlùxvu «magicien», voc.
vlusve, nom. plur. vlusvi •(§ 20). Elles l'étaient à date ancienne
dans toutes les langues slaves, mais avec des variantes dia-
lectales : devant -ë, -i, la forme alternante de x est s dans
le groupe septentrional (§ 13), qui se maintient jusqu'au
tchèque moderne, ainsi hoch « garçon », nom. plur. hosi. La
forme alternante de sk est se dans le groupe septentrional et
partiellement en vieux russe (§ 18), et l'on a encore en tchèque
nom. plur. zemsti (v. tch. -sci) de zemsky «terrestre», et en
polonais ancien la trace remaniée de *-szczy dans nom. plur.
polszcy (mod. polscy) de polski « polonais ».

131. Les désinences : singulier. — Le nominatif singulier


v. si. -û répond au balto-slave -as, de i.-e. *-os, avec une
réduction spéciale delà finale (§ 86), et l'accusatif -u au balto-
slave -an, v. pr. -an, lit. -q, lit. dial. et lette -u, de i.-e. *-on,
*-om (§ 88). La réduction de -as au nominatif a ses parallèles
dans les langues baltiques, v. pr. -as, -is, -s, lit. -as, -s, lette -s,
et elle peut résulter du fait que le nominatif singulier n'avait
pas grand besoin de cette désinence qui constitue un trait
original de l'indo-européen (§ 123), et pouvait admettre une
prononciation négligée. Une autre hypothèse est possible :
à l'accusatif, l'altération de -are en *-un, si. -u(n), détruisait
le parallélisme que présentaient les autres flexions entre
nom. -us, -is, si. -û(s), -ï(s), et acc. -un, -in, si. -u(n), -ï(n),
et rapprochait les masculins en -o- des masculins en -u- :
un nominatif -û(s) pour -as a pu se développer par analogie
de -u(n). Ce qui est sûr, c'est que ce -û est nouveau et posté-
rieur à la seconde palatalisation des gutturales (§ 19). Mais
il a rejoint -u d'origine ancienne, ce qui a eu pour résultat
en slave la confusion des types flexionnels en -o- et en -u-.
A l'accusatif singulier, le slave substitue le génitif dans
les noms désignant des personnes (§ 126). Un accusatif rabu
30 LES THÈMES EN -o- [131.1

existe encore en vieux slave, mais il est rare, et l'on a ordi-


nairement l'opposition acc. daru (nom.-acc.) dans le sous-
genre non personnel, puis inanimé, et acc. raba (gén.-acc.)
dans le sous-genre personnel, puis animé.
Le génitif -a répond à lit. -o, lette -a; la désinence -as du
vieux prussien représente la superposition à *-â de la finale
-s du génitif dans les autres types de flexion, fém. -as, -is
(lit. -os, -es), etc., sans doute par l'intermédiaire des masculins
en -is, gén. -is, qui confondaient les deux types en -yo- (gén.
lit. -io) et en -i- (gén. lit. -ies). Le génitif balto-slave continue
l'ablatif indo-européen en *-5t, *-ôd, indo-iranien -ai, v. lat.
-ôd, avec deux particularités : d'une part la longue est d'into-
nation douce, ce qui indiquerait un produit de contraction
(§ 9 8 ) ; d'autre part le traitement *-â du letto-lituanien
n'est pas le traitement normal d'un ancien *ô (§ 49). L'indo-
européen ne distinguait l'ablatif et le génitif singuliers que
dans la flexion des thèmes en -o- (§ 128). Pour la forme du
génitif singulier, elle est mal connue : la désinence skr. -asya,
gr. hom. -oio, germ. -is, etc., est prise à la flexion pronominale,
et l'italo-eeltique présente -ï, le hittite -as. On voit que l'his-
toire d'une désinence balto-slave d'aspect assez clair peut
cacher bien des problèmes, et le hittite, avec ses désinences
-az (= -ats) d'ablatif et -il, -et d'instrumental, les complique
pbur l'indo-européen.
Au locatif, -ê, avec sa forme mouillée ~(j)i (§ 136), d'into-
nation douce (§ 99), représente un balto-slave *-ai, de i.-e.
*-oi (§ 87). La désinence indo-européenne se laisse analyser
en -o-i, avec addition à la voyelle thématique d'une désinence
*-i attestée dans le type athématique (§ 178). En baltique,
le vieux prussien a perdu le locatif, mais on peut retrouver
-ai dans des adverbes comme schai « ici », du démonstratif
schis « celui-ci ». En letto-lituanien, le locatif, dont la désinence
est importante parce qu'il continue de s'employer sans
préposition, a été fortement remanié, en lituanien par géné-
[131] LES DÉSINENCES: SINGULIER 31
i
ralisation d'une désinence -e, dial. -i, dont l'origine n'est pas
• claire (§ 178). Mais la désinence ancienne du type en -o-, -ie
de -ai (§ 50), est conservée dans un adverbe comme lit.
namië « à la maison », et en vieux lituanien et encore dialec-
talement devant la postposition - p ( i ) : Dievië-pi «près de
Dieu ». C'est sans doute cette désinence qu'on retrouve dans
le type adverbial v. pr. labbai « bien », lit. labaï « beaucoup »,
v. si. dobrë, ici avec une forme -ai, et non -ie, en lituanien
(§318).
Au datif, si. -u répond à lit. -ui, dial. -ou, de *-uoi, i.-e.
*-5i (§ 87), d'intonation douce (gr. ôeco sous l'accent), et où
l'on peut reconnaître un produit de contraction de la voyelle
thématique -o- et de la désinence *-ei du type athématique.
La désinence était en balto-slave une triphtongue qui s'est
altérée diversement : v. pr. -u, etc.
A l'instrumental, si. -omï; var. -umi (§ 161), est nouveau,
pour letto-lit. -u, d'intonation rude et réduit de -uo (§ 86,
§89) : lit. gerù, déterm. gerûo~ju, de géras «bon» ; le vieux
prussien, qui a perdu l'instrumental, atteste de même -u
dans des formes fixées comme -ku « par quoi », lit. kuô, de
sënku « afin que», littéralement «avec quoi», ail. damit.
La désinence balto-slave était donc *-5, et si elle a été modifiée
en slave, c'est qu'elle se confondait avec celle du génitif-
ablatif *-ô(d), de même qu'en lette la désinence de datif,
lit. -ui, se réduisant à -u, a été remplacée par -am de la flexion
pronominale parce qu'elle se confondait avec instr. et acc. -u.
La forme indo-européenne était *-ô ou *-ë: en dehors du
baltique, elle n'est attestée comme forme casuelle vivante
que par le védique et l'avestique -â, qui est ambigu, mais qui
continuerait *-ë d'après l'adverbe av. pasca « après », ancien
instrumental, en face de paskât, ancien ablatif. Ailleurs, on
n'a plus que des formes adverbiales, et le latin présente à
la fois les deux types uërô et uërë.
D'une façon générale, les désinences d'instrumental singulier
32 LES THÈMES EN -o- [131.1

ont été remaniées dans les différents types de flexion. La


caractéristique ancienne en était un allongement de la voyelle
thématique, *-ô (ou *-ë) de -o-, de -u-, *-f de -i-, et *-â
dans le type en -à-, comme si la désinence primitive, qu'on
ne restitue pas dans le type athématique (§ 178), avait été
*-h (§ 98). Le balto-slave a étendu une caractéristique -mi
parallèle à celle en -m- de l'instrumental et du datif pluriels
et du datif-instrumental duel, et de même l'arménien avec
la variante indo-européenne -bh- de -m- (§134). Mais l'exten-
sion n'est pas la même en slave et dans les langues baltiques.
Si, dans le type en -â-, une désinence *-ôn, sûrement réduite
de *-â~mi (§ 150), représente une innovation ancienne du
balto-slave, des désinences lit. -umi, si. -urnï, dans le type
en -u-, et lit. -imi, si. -ïmï, dans le type en -i- et de là dans
le type athématique (seulement pour les masculins et lès
neutres en slave), sont en regard .de lit. dial. et lette -u, -i,
et il est clair au moins pour les thèmes en -i- que la désinence
balto-slave était *-f, même, si -i du lette résulte pour une
part de l'élimination de -imi conservé dans les pronoms
personnels, manim, etc. (§ 249). Le slave, allant plus loin que
le lituanien, a étendu -mi aux thèmes en -o-, ainsi que l'ar-
ménien l'a fait pour *-bh- (getov « par le fleuve » comme
srtiv ,« par le cœur », thème en -i-), et il présente -mi comme
caractéristique générale de l'instrumental singulier masculin
et neutre, à côté de -Q pour les féminins. Mais l'innovation
ne peut pas être très ancienne, et il est même possible qu'elle
ait eu lieu dès le début sous deux formes différentes et concur-
rentes, -omï adopté ensuite par . une partie des dialectes du
slave commun, et -umï par l'autre : -omï par report de -mï
sur l'élément thématique resté clair dans dat. plur. ~omu,
dat.-instr. duel -orna et nom.-acc. sing. neutre -o, -ùmï par
simple emprunt au type en -u- qui commençait à se conta-
miner avec le type en -o-. La désinence antérieure, qui donnait
si. *-a, pourrait être conservée dans des adverbes en -a,
[132] PLURIEL 33
j

comme v. si. v liera «hier», r. vcerâ (§ 322), mais ce n'est


plus discernable.
Au vocatif, la désinence est -e en balto-slave, continuant
i.-e. *-e, lat. lupe « loup », gr. ÀÛKÊ, skr. vfka. Elle présente le
thème nu, avec une forme alternante -e de -o- qui se retrouve
avec allongement dans l'instrumental *-ë à côté de *-5.
L'alternance ejo à joué un grand rôle en indo-européen ( § 118) ;
on la constate sans pouvoir l'expliquer.

? 132. Pluriel. — Au nominatif, la désinence est en slave -i,


qui provoque la seconde palatalisation des gutturales comme
-é issu de *-ai ; elle est -ai en vieux prussien, et en lituanien -ai
d'intonation douce (dievaï «dieux»), mais en regard de -ie
d'intonation douce dans la flexion des pronoms (lië «ces»),
et de -i, issu de -ie d'intonation rude, dans la flexion des adjec-
tifs (geri «*hons », déterm. gerie-ji). La désinence -balto-slaye
est -ai, mais les traitements de cette finale n'ont pas été
simples. En lituanien, on trouve à la fois le traitement ancien
-ie et le traitement nouveau -ai, ce qui appelle une expli-
cation (§ 50) ; l'intonation était douce, et l'intonation rude
dans la flexion de l'adjectif est nécessairement secondaire
(§ 299). En slave, le traitement normal de -ai est -e, et il faut
admettre que *-ë a été éliminé par extension de sa forme
mouillée -i (§ 87). Les interactions des flexions dure et molle
sont fréquentes à l'époque historique, èt elles répondent à
un besoin de simplification. On observera que la désinence -é
est celle de l'accusatif masculin pluriel et du nominatif-
accusatif féminirf pluriel des types mouillés dans une grande
partie des langues slaves, c'èst-à-dire qu'à ces cas le slave
commun avait deux formes, -ë et -g, entre lesquelles les
langues slaves ont fait secondairement un choix (§ 136). Ceci
peut aider à comprendre que le slave ait adopté -i comme
caractéristique unique du nominatif masculin pluriel ' dés
thèmes en -o-, en supprimant l'opposition du type dur et du
34 LES THÈMES EN -o- [131.1

type mouillé ; d'ailleurs tardivement, puisque ce -i nouveau


garde la seconde palatalisation des gutturales de *-e ancien,
et d'une façon qui ressemble à la substitution de loc. sing.
otïci à *olïcé 19).
Le balto-slaye -ai répond à i.-e *-oi, qu'on a dans gr. -oi,
lat. -f de v. lat. -oe, et ailleurs. Mais cette désinence est prise
à la flexion des démonstratifs, skr. té «ces», got. pai; la
désinence ancienne est i.-e. *-ôs, produit de contraction de -o-
thématique et de la désinence *-es du type- athématique :
liitt. -as, indo-iranien *-âs, skr. -ah, got. -os. L'extension de
*-oi n'est pas ancienne en italo-celtique, où l'osco-ombrien
conserve *-os (-us), et où le vieil irlandais maintient *-ôs
comme vocatif pluriel à côté de *-oi comme nominatif. En
gotique, -ai est passé à la flexion des adjectifs, mais non à celle
des substantifs.

A l'accusatif, si. -y répond à v. pr. -ans et à letto-lit. -us de


*-uons, -uos, dans la flexion de l'adjectif lit. gerùs, déterm.
gerûos-ius (§ 88). Les autres langues indo-européennes
attestent une désinence *-ôns ou *-ons : gr. dial. -ovs, got. -ans,
qui n'indiquent pas la quantité de la voyelle, et skr. -ân: On
attend *-ons, avec addition à -o- de la désinence *-ns du type
athématique. Mais une finale indo-européenne *-Sns s'alté-
rait, comme on le voit au nominatif singulier des thèmes
en on-, où elle a donné * -on ou *-5'(§ 88). La désinence est
donc refaite, et elle a pu l'être par addition de *-ns, conservé
dans d'autres types flexionnels, soit à la voyelle thématique
-o-, soit à *-ô- de la désinence réduite plus ancienne ou du nomi-
natif pluriel *-os. Le letto-lituanien représente *-5ns d'into-
nation rude, qui paraît garder la trace d'une flexion masculine
nom. *-5s (remplacé par lit. -ai, lette -i), acc. *-ôns, parallèle
à la flexion féminine nom. *-âs, acc. *-âns (§ 150). Mais le
vieux prussien et le slave peuvent fort bien répondre à la
forme -ans refaite sur le thème -a-, et le slave, en effet, n'atteste
[132] PLURIEL i 35

pas l'intonation rude. En slave, les pronoms personnels à


thèmes na-, va- (§ 250) indiqueraient *-5ns, mais dans une
flexion ancienne et isolée, et il n'est pas sûr qu'il ne s'agisse
pas de *-â(n)s fém.
Au génitif, qui fait fonction de génitif-ablatif, le slave
présente, et dans tous les types fïexionnels, une désinence -û
qui ne peut être issue que de i.-e. *-on, *-om (§ 88). Également
comme caractéristique générale du génitif pluriel, le lituanien
a -ïl, sous l'accent -Q d'intonation douce, et le lette -u, dans
là flexion pronominale tùo « de ces » d'intonation douce : ici,
la désinence est *-uon, de i.-e. *-ôn, *-ôm, et le vieux prussien
-an, -on peut aussi représenter *-ôn dans tous les cas (§ 49).
Hors du balto-slave, la désinence est -on, *-5m, pour toutes les
flexions, dans skr. -âm, gr. -cov, v. h. a -o, mais le grec présente
sous l'accent, comme le lituanien, une même intonation
douce, en principe produit de contraction (§ 98), dans le type
athématique KUVCOV « des chiens » et dans le type thématique
Oscov «des dieux». En italo-celtique, au contraire le vieil
irlandais suppose *-om, et sans doute aussi l'ombrien, le latin
-um, v. lat. -om, étant ambigu. La divergence entre le slave
*-on et le baltique -on est curieuse, mais elle n'est pas plus sur-
prenante qu'entre v. h. a. -o et got. -ê à l'intérieur du germa-
nique : elle indique que la désinence de génitif pluriel a été
remaniée, et elle pose la question, non seulement de la forme
primitive de cette désinence, mais de son origine et de celle
du cas lui-même. D'après des vestiges dans la flexion prono-
minale, comme lat. nostrrim et nostrï « de nous », proprement
« du nôtre », skr. asmâkam (asmâkah « nôtre »), la finale *-on,
*-om, aurait été initialement une forme fixée d'adjectif
dérivé possessif en -o-. En hittite, on trouve un génitif pluriel
en -an, et -zan dans la flexion pronominale, mais on le rencontre
aussi en valeur de génitif singulier, pour -as, sans qu'on
puisse encore préciser l'interprétation à donner du fait.
•Devenue désinence, la finale s'est combinée avec les thèmes
36 LES THÈMES EN -o- [131.1

vocaliques pour donner des formes contractes, *-on de *-o-on,


et ces formés plus pleines ont pu être étendues ensuite aux
thèmes consonantiques. Ainsi a fait le baltique., mais non le
slave : la désinence *-on était donc encore largement repré-
sentée en balto-slave. Dans le type thématique en -o-, le
génitif pluriel *-on contracte devait en slave donner *-y et se
confondre avec l'accusatif pluriel, et la langue a eu recours à
la forme *-on >-u des autres types, plus brève, mais bien
caractérisée par l'accent qu'elle portait (§ 217).
Au locatif, si. -ëxu, forme mouillée -(j)ixû, donc avec -ë-
issu de *-ai-, est en regard de lit. -uose, v. lit. -uosu et dial.
-unsi, lette -uôs. La forme balto-slave était *-aisu, et il est
visible qu'en letto-lituanien, outre la généralisation de -su
d'autres types flexionnels pour -su (§ 10), elle a été déformée
d'après l'« illâftif » ' ( § 128) à postposition -n(a) ajoutée à
l'accusatif pluriel, type lit. namuoshà «vers la maison»
(namaï) comme namuosè «à v la maison», et qu'ensuite la
finale -u est devenue -e, dial. -i, d'après le locatif singulier.
La forme indo-européenne était *-oisu, dial. *-oisu : skr.-esu,
av. -aësu, et gr. - oicn avec -i du locatif singulier. La carac-
téristique générale du locatif pluriel, dans tous les types de
flexion, était *-su, dial. *-sa après i, u, r, k. Le slave, à l'inverse
du lituanien, a généralisé *-su, balto-slave *-su, sous la forme
-xû, en ne gardant qu'une trace de *-su, -su, après consonne
dans v. tch. -s .(§ 179), outre gén.-loc. nasu, vasu dans la
flexion des pronoms personnels (§ 250). Pour i.-e. -oisu du
type en -o-, s'il n'est pas pris à la flexion pronominale avec
ses désinences sur thème en *-ot- ('§ 229), il aurait l'aspect
d'une superposition de *-su à *-oi du locatif singulier.
Au datif, si. -omû répond à v. lit. -amus, lit. -ams, v. lette
et dial. -iems (emprunt à la flexion pronominale), lette -iëm, v.
pr. -amans, et c'est si. -mû, lit- -m(u)s, lette -m(s), v. pr.
-mans, qui sert de caractéristique du datif pluriel pour tous
les types de flexion. Le vieux prussien superpose à -m- la
[1321 PLURIEL 37
' I
désinence -ans de l'accusatif pluriel, en raison de la confusion
qui s'accuse dans cette langue du datif et de l'accusatif ( § 128).
Il conserve dans la flexion des pronoms personnels une dési-
nence plus ancienne -mas, qui elle-même doit avoir été
substituée à -mus et peut avoir été refaite sur un datif-ins-
trumental duel *-ma (§ 133) : de ious «vous» on a un exemple
de dat. ioumus, ailleurs ioumas et aussi ioumans. Le lette Lm,
qui est datif-instrumental pour -ms, s'explique par une
contamination du duel et du pluriel. La désinence baltique
était donc probablement -mus, mais il n'est pas sûr qu'elle
ait été balto-slave. On ne restitue pas une désinence indo-euro-
péenne de datif pluriel : le germanique -m, et got. -am dans
le type en -o-, avec conservation d'une forme -mr en vieil
islandais, est un datif-instrumental qui doit dérivêr de *-mis.
Avec la variante -bh- de -m- (.§ 134), lat. -bus, également datif-
instrumental, paraît issu de -bhos, mais les pronoms personnels
présentent une autre désinence -bïs, v. lat. -beis, et l'irlandais
-ib suppose *~bhis ; en indo-iranien, avec une forme distincte de
datif, on a skr. -bhyah, av. -byo.
A l'instrumental, si. -y répond à lit. -ais, sous l'accent -aïs
d'intonation douce, vieux lette et dial. -is, de i.-e. *-5is, skr.
-aih, av. -Sis, lat. -ïs (dat.-abl.-instr.) pour v. lat. -eis, -oes,
osque -ois, et gr. -ois,'sous-l'accent -oïç, qui comme locatif-
datif-instrumental s'est confondu avec le locatif -oicn. Le
traitement si. -y de *-5is suppose un balto-slave *-uois (§ 87) :
le traitement -ais du letto-lituanien n'est donc pas phonétique,
non plus que celui de nom. plur. -ai : on doit supposer une
substitution de -ais à *-uois par extension de la caractéristique
thématique -a-, d'après dat. plur. -am(u)s et le parallélisme
du datif et de l'instrumental dans tous les autres types de
flexion, ou, plus directement, d'après l'ancien locatif *-aisu.
La désinence *-ôis est propre aux thèmes en -o- : avec les
autres thèmes, la désinence d'instrumental pluriel est si. -mi,
lit. -mis, supposant *-mïs. Elle pose le même problème que
358 LES THÈMES EN -o- [131.1

celle du datif pluriel, avec laquelle elle se confond dans une


partie des langues indo-européennes : avec la variante -bh-,
l'indo-iranien a *-bhis, skr. -bhih. Dans *-ôis du type en -o-
et *-mîs, *-bhïs des autres types, on reconnaît un même
élément -ïs qui doit être la désinence primitive, et en effet
l'avestique a -ïs à côté de -bïs dans la flexion athématique.
La diphtongue longue de *-ôis résulterait d'une contraction
de *-o-ïs, ou bien d'une superposition de *-ïs à *-ô de l'instru-'
mental singulier. L'intonation n'est indiquée sûrement ni
par le lituanien, où la désinence est remaniée, ni par le grec,
où l'intonation douce de -oîç peut être celle du locatif -oïcrt.

133. Duel. — Toute la flexion du duel pose des problèmes


spéciaux, et très obscurs (§ 213). Au nominatif-accusatif,
si. -a répond à lit. -u, de -ûo d'intonation rude (adj. gerù,
déterm. gerûo-ju), lette -u dans des vestiges dialectaux, et
à i.-e. *-ô, védique -â, gr. -co (sous l'accent -cb), etc., avec une
variante *-5u dans skr. -au. Cette désinence est celle des
thèmes masculins en -o-: les neutres en -o- présentent une
autre désinence, si. -ë (§ 135), et l'on trouve si. -ë, -y, -i dans
les autres types de flexion.
Au génitif-locatif, si. -u est caractéristique du cas dans tous
les types, en se joignant diversement aux thèmes : -ov-u,
-ï-ju, -oj-u dans les thèmes en -u-,, en -i- et pronominaux.
La forme baltique était -au, conservée dans de rares vestiges
adverbiaux : lit. pusiaû et pusiâu « par moitié », lette pusu,
du féminin lit. pùse « moitié » ; lit. dvîejau « par deux », ancien
génitif-locatif de du «deux» (§ 303). On trouve une variante
lit. dvlèjaus, mais elle ne prouve rien dans une langue où les
adverbes en -aus sont courants, type geriaus «mieux » à côté
de geriaû (§ 286), et où l'advérbe tuojaû «aussitôt», de tuo
«par cela» et jaû «déjà», passe à tuojaûs. Une désinence
balto-slave -au est donc sûre; une autre désinence *-aus,
qui indiquerait une distinction du génitif et du locatif duels,
[133] DUEL 39
' I '
n'est que théoriquement possible. La comparaison avec les
autres langues indo-européennes est limitée : le sanscrit a
gén.-loc. -oh de *-aus; l'avestique distingue gén. -â, d'origine
peu claire, et loc. -o, de *-au; le grec a -ouv, -oiv, sous l'accent
-oïv, qui sert de génitif-locatif et de datif-instrumental, avec
une variante -oiuv, -ouv, en arcadien.
Au datif-instrumental, le slave a -oma dans le type en -o-,
et -ma comme caractéristique dans tous les types, s'opposant
à dat. plur. -mû et instr.-plur. -mi. En baltique, le lituanien
a -am, et -m dans tous les types, avec une différence d'into-
nation sous l'accent entre le datif et l'instrumental. Mais
cette différence est secondaire : dat. -dm, instr. -am, sont
analogiques du pluriel, dat, -âms, instr. -ms (-ôms, -ums,
-ims) réduit de -mis (§ 96). Le lette a -m, devenu désinence
de datif-instrumental pluriel. La forme -m du letto-lituanien
suppose la chute récente d'une voyelle finale. On trouve en
vieux lituanien quelques exemples de la forme complète,
qui est -mi, mais aussi un exemple de - m a : akima, de akis
«œil». Exemple isolé, mais confirmé par les formes mùma,
jùma des pronoms personnels, qui se maintiennent comme
possessifs (§ 253). En vieux prussien, le datif pluriel -mas,
-maris, s'explique bien par une contamination des désinences
de pluriel et de duel, comme en lette, et de dat. plur. -mus
et dat. duel -ma. C'est l'absence de l'-s du pluriel qui carac-
térise le datif-instrumental duel en lituanien, et v, lit. -mi
doit avoir été substitué, d'après instr. plur. -mis, à -ma, qui
atteste un balto-slave *-mâ. Dans les autres langues [indo-
européennes, la comparaison se restreint à l'indo-iranien, où
l'on a, avec la variante -bh- de -m-, skr. -bhyâm, et av. -bya,
v. perse -b-iyâ, de *-bhyâ.
Le *-â final du balto-slave, sans doute aussi de l'indo-iranien,
se retrouve comme caractéristique du duel dans la flexion
verbale, à la deuxième personne v. si. -ta, lit. -ia, en regard
du grec dorien -T5V (2 e -3 e pers.), et l'on voit cette caracté-
40 LES THÈMES EN -o- [131.1

ristique s'étendre, en slave à la 3 e pers. -la pour -te, en litua-


nien à la l r e pers. -va pour si. -vë. Mais il est difficile d'établir un
rapport entre la désinence nominale et la désinence verbale.

134. Remarques sur les désinences. — Dans l'en-


semble, les désinences casuelles du slave et du baltique se
ramènent sans trop de peine à un système de désinences
balto-slaves, et en attestent la forte unité. Mais plusieurs
désinences apparaissent très remaniées, et l'histoire s'en
trouve être conjecturale dans le détail, avec de sérieuses
obscurités qui subsistent. On est renseigné sur ces faits par ce
qui s'est passe à l'époque historique, où, partant d'une base
commune que le vieux slave restitue ordinairement avec
précision, les flexions des langues slaves en sont venues à
diverger sensiblement. S'il est curieux que le slave et le bal-
tique présentent deux formes différentes de génitif pluriel,
si. *-on >-û et lit. *-ôti >%, il ne l'est pas moins qu'on trouve
des formes si variées de génitif pluriel dans les langues slaves
modernes, r. rabôv, tch. robû (= robu), s.-cr. ràbôvâ, également
éloignées de v. si. rabu; et s'il est facile de rendre compte des
désinences r. ~ov et tch. -ù, il l'est moins d'expliquer la carac-
téristique -â du cas en serbo-croate.
Les désinences du balto-slave se laissent, en une proportion
remarquable, comparer avec celles d'autres langues indo-
européennes et ramener à un prototype indo-européen'. Mais
là, que de problèmes, et comme il est visible que, si l'on
croit identifier beaucoup d'éléments flexionnels de l'indo-
européen, ce sont surtout des développements parallèles des
langues indo-européennes que l'on atteint !
Au datif et à l'instrumental pluriels et au datif-instrumental
duel, on ne restitue pas de désinences de l'indo-européen, à
l'exception d'instr. plur. *-5is dans les thèmes en -o-, mais
on trouve des désinences qui sont semblables sans coïncider
entre elles, et sur deux bases différentes, en -bh- ou en -m-
[134] REMARQUES SUR LES DÉSINENCES 41

selon les langues. Or le hittite fait penser que la flexion du


pluriel, en dehors du nominatif et de l'accusatif, était assez
réduite à l'origine : il ne présente qu'une désinence -as en
valeur de génitif-locatif-datif, outre une désinence -an de
génitif. Les autres langues indo-européennes ont tendu à se
constituer une flexion complète de pluriel, mais il ne semble
pas qu'elles y aient toutes réussi, pas plus qu'elles n'y ont
réussi au duel. Il y a eu sûrement de grands flottements dia-
lectaux en indo-européen. Il ne s'agit pas naturellement de
la création de toutes pièces d'un système flexionnel, mais de
l'utilisation d'éléments d'un système antérieur moins riche,
avec addition d'éléments nouveaux. Une désinence *-su de
locatif pluriel est ancienne, même si elle n'était que d'emploi
dialectal en hittito-indoeuropéen ; on retrouve également
une désinence *-ïs d'instrumental pluriel. Mais une désinence
*-on de génitif pluriel paraît empruntée à la dérivation.
Pour l'élément -bh- porteur de désinences casuelles en indo-
iranien, en itàlo-celtique, en arménien, le grec en indique
l'origine.
En grec homérique, -qn sert de variante semi-adverbiale
du datif, avec toutes les valeurs du datif en grec, locatif-datif-
instrumental, et même avec valeur de génitif-ablatif, et pour
le singulier comme pour le pluriel : ôeô<pi au sens de ©sep et dé
0£oïs. Ce n'est donc pas une désinence casuelle, mais une
postposition, qui s'ajoute directement au thème. Les autres
langues ont utilisé diversement cette particule invariable *-bhi
que conserve le grec archaïque, en lui adjoignant des carac-
téristiques casuelles : l'arménien comme instrumental sin-
gulier -b, -v, avec un instrumental pluriel -bkh, -vkh; l'indo-
iranien comme datif pluriel *-bhy-as, instr. *-bhi-s, dat.-instr.
duel *-bhy-à(m) ; l'italo-celtique comme datif-instrumental
pluriel lat,-bus (et -bïs), irl. *-bhi-s. On reconnaît, à l'instru-
mental pluriel, l'addition à *-bhi de *-ïs plus ancien, de même
que dans lat. -bïs celle de l'autre désinence, lat. -ïs, de datif-
instrumental.
42 LES THÈMES EN -o- [131.1

La variante -m- de -bh- a été traitée de la même façon :


en germanique dat.-instr. plur. *-mis, en balto-slave instr.
sing. -mi, dont on suit l'extension, dat. plur. -mus (en litua-
nien), instr. *-mfs, dat. -instr. duel si. -ma. Ceci laisse voir que
la forme de datif -mus est secondaire : lit. -mus a pris son -s
à l'instrumental *-mïs, et *-mu a dû se différencier de l'instru-
mental singulier en empruntant son -u au locatif pluriel
*-su. Comment expliquer ce parallélisme étroit des désinences
en -bh- et en -m-? S'agirait-il dé deux postpositions différentes
qui se seraient concurrencées en indo-européen, ou bien
d'une même postposition qui aurait présenté les formes
*-bhi et *-mi selon la nature de l'élément précédent, comme
on a -b et -v en arménien, et en hittite de mêmes formations
en -w- et (après -u-) en -m-, nom verbal en -war et en -mar,
etc. ? Il est plus naturel de penser que la différence entre -m-
du germanique et du balto-slave et -bh- des autres langues
n© remonte pas si haut, et qu'il n'y a pas là un trait ancien
qui indiquerait une parenté spéciale du germanique et du
balto-slave, mais un développement semblable dans deux
groupes de langues où la flexion pronominale a fortement
influencé la flexion nominale. Le balto-slave connaît *-bh-
dans la flexion des pronoms personnels, ainsi au datif si.
tebë, v. pr. tebbei, comme av. taiby-â, lat. tibï; et l'indo-iranien
connaît -m- dans la flexion pronominale, au datif singulier
skr. tdsmai comme v. pr. stesmu, si. lomu, got. pamma, au
locatif skr. tâsmin comme si. tomï, lit. tamè. Il suffit d'admettre
que les formes en -m- du singulier ont été étendues au pluriel,
au datif lit. tiems, si. tërnu, got. paim, pour skr. tébhy-ah, et
qu'ainsi -m- a été substitué à *-bh- dans la flexion pronomi-
nale et de là dans la flexion nominale, parallèlement en balto-
slave et en germanique.

135. Flexion des neutres. — La flexion des neutres ne


diffère de celle des masculins que par des formes qui lui sont
[Ï35] FLEXION DES NEUTRES 43

propres au nominatif-accusatif des trois nombres. Ainsi, de


v. si. mësto « lièu » :
vieux slave russe
Sing. N.-A. mësto mésto
G. mësta mésta
.L. mëstë, etc. méste, etc.
Plur. N.-A. mësta mestd
G. mëstu mest
L. mëstëxu, etc. mestdx, etc.
Duel N.-A. mëstë
G.-L. mëstu
D.-l. mëstoma

Les thèmes terminés par gutturale sont rares, sauf dans les
formes neutres d'adjectifs, mais l'alternance des gutturales
est régulière devant -ë : • vëko « paupière », nom.-acc. duel
vëcë; uxo « oreille », loc."sing. usë (nouveau pour usese, § 193).
Nom.-acc. .sing. -o, en regard de v. pr. -an, i.-e. *-on ou
*-om, hitt. -an, gr. -ov, etc. L'opposition du neutre et du
masculin (et masculin-féminin) était à l'origine une opposition
d'inanimé et d'animé (§ 123), où l'inanimé ne présentait pas
de distinction du cas sujet et du cas objet, ni de marque de
ces cas dans la flexion nominale, tandis que l'animé avait
un nominatif pourvu d'une désinence *-s, et d'autre p a r t un
accusatif à désinence *-n ou *-m. On a ainsi, le plus clairement
dans la flexion des thèmes en -i- et en -u-, nom.-acc. neutre
*-i, *-u, en face de nom. masc. (et fém.) *-is, *-us, acc. *-in,
*-un. Dans la flexion nominale des thèmes en -o-,"le nominatif-
accusatif neutre apparaît muni d'une désinence *-n, *-m.
La flexion pronominale présentait les mêmes désinences de
nominatif et d'accusatif masculin, mais au nominatif-accu-
satif neutre une désinence *-d, donc *-od dans la flexion en
-o-, balto-slave -a, si. -o. C'est cette désinence -o du type
44 LES THÈMES EN -o- [131.1

pronominal que le slave a étendue à la flexion nominale


(§ 125). Le lituanien atteste également -a dans la flexion des
adjectifs, par où l'extension a commencé, et le lette en garde
la trace dans des adverbes et des locutions comme (man) sali
« (j'ai) froid », qui répond à lit. sâlta, sait. Il ne s'agirait pas
d'un fait d'époque balto-slave, mais d'un développement
parallèle du letto-lituanien et du slave, d'après le vieux
prussien où l'on trouve -an au neutre des adjectifs : labban
« bon », à la différence de lit. géra. Mais le témoignage du vieux
prussien est ici sans valeur : la désinence pronominale -a
y est visiblement en décadence (wissan « tout », une seule fois
wissa), comme tout le neutre, et des adverbes la conservent
dans l'adjectif, ilga «longuement», salta «froid».
Nom.-acc. plur. -a d'intonation rude (§ 222), répondant à
v. pr. -o (plus ou moins confondu avec le nominatif singulier
féminin, § 125), i.-e. *-â, véd. -â, got. -a, -5 {po « ces »). Cette
désinence est identique à celle du nominatif singulier du type
en -â-, et elle laisse reconnaître que le pluriel neutre est un
ancien collectif singulier, qui a pris secondairement aux cas
obliques la flexion de pluriel du genre animé, comme, les
collectifs en -a du slave prennent une flexion de pluriel dans
une partie des langues (§ 211). La désinence *-â était liée au
type flexionnel en -o-; de même que le type en -â- fournit
un féminin au type masculin en -o-. Le slave, ainsi que le
germanique, a généralisé -â comme caractéristique du nomi-
natif-accusatif pluriel neutre dans tous les types de flexion,
mais il conserve les vestiges d'une autre désinence *-ï dans
des thèmes en -i- (§ 166) et dans la flexion athématique
(§ 179). La comparaison avec les autres langues indique :
*-F pour les thèmes neutres en -i-, véd. çûeï « brillants », etc. ;
*-û pour les thèmes neutres en -u- (disparus en slave), ,véd.
purû « nombreux », av. pourû ; et dans le type athématique
véd. -i ou désinence zéro, et désinence zéro en avestique,
véd. nâmâni et nâmà « noms », av. nqma, avec généralisation
[136] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 45
F
de -i (-ni) en sanskrit et avee des remaniements en avestique
par extension de -f du type en -i-. En grec, on a -a (bref)
qui répond à skr. -i, mais qui a été étendu à tous les types
flexionnels ; et de même en latin -â, avec -â conservé excep-
tionnellement dans le type trî-gintâ, mais largement dans les
dialectes italiques (osque -û de *-â). La~ correspondance de
skr. -i, av. zéro, grec et lat. -a, restitue une désinence
c'est-à-dire *-h (§ 98), qui explique directement les longues
*-î et *-ù des types en -i- et en -u-.' Les problèmes sont les
mêmes que pour les formes de féminin singulier (§ 150),
auxquelles les formes de pluriel neutre apparaissent identiques.
Nom.-acc. duel -ë, dans le type mouillé ~(j)i. La compa-
raison se limite à l'indo-iranien, qui présente une désinence
-e, de *-ai. Le baltique a pérdu la forme, et le slave ne fournit
pas de renseignements bien valables sur l'intonation de la
désinence : on ne peut pas se fier en effet à l'accentuation
du slovène, qui présente le type poljê «plaine» ( = r. pôle),
duel pôlji comme plur. pôlja (= r. poljâ, § 222), ou à celle
de mots isolés d'autres langues comme r. dial. mudé « testi-
cules » (§ 214), et en conclure à une intonation rude supposant
une désinence *-âi. Mais le duel neutre en -ë est celui du type
en -â- qui a fourni le pluriel neutre, et c'est là qu'il faut
chercher des données plus complètes sur la forme de la dési-
nence (§ 150). Pour les autres types flexionnels, le slave
présente -i (secondairement -é d'après le pluriel nouveau en
-a) dans le type athématique (§ 180), et dans les deux mots
isolés oci, usi qu'il incorpore à son type féminin en -i- (§ 193) :
cette désinence *-f relève du type en -i-.

136. Flexion du type mouillé. — Dans les langues bal-


tiques, en vieux prussien et en lituanien, la flexion des anciens
thèmes en -yo- diffère de celle des thèmes en -o- du fait de
la contamination des thèmes en -yo- et des thèmes masculins
en -i-, avec emprunt de quelques désinences au type en -i- :
46 LES THÈMES EN -o- [131.1

lit. vyras, acc. vyrq, mais élnis «cerf», acc. élnj., d'ailleurs à
côté de élnias, élniq ; de même v. pr. -is. -in, et en outre
acc. plur. -ins, mais lit. élnius comme vyrus. C'est là un fait
récent, qui a son parallèle dans le développement des langues
slaves (§ 172), mais de façon indépendante. Aux autres cas,
les désinences sont les mêmes dans les thèmes en consonne
dure et les thèmes en consonne mouillée, si ce n'est que 'a
flotte dans la prononciation avec 'e (§ 48), et qu'on a ainsi
en lituanien nom. sing. élnias et élnes, nom. plur. élniai et
élnei, en face de vyras, vyrai. Le baltique n'oppose pas un
type masculin dur en -as et un type mouillé en -es aussi
nettement qu'il oppose un type féminin dur en *-â et un type
mouillé en *-ë (§ 151).
En slave, le traitement des voyelles et diphtongues précé-
dées de / (§§ 78-79) a donné à un bon nombre de désinences
des formes différentes de celles qu'elles présentent après
thème dur. L'adaptation de ces désinences à des thèmes en
^consonne mouillée n'apparaît plus dès le vieux slave comme
phonétique, mais comme morphologique, et c'est pourquoi
elle a persisté après la perte dialectale des mouillures, en
obéissant à des principes nouveaux mais très conservateurs
de l'état ancien, tandis que ce sont justement les langues où
les mouillures se conservent qui tendent à effacer les diffé-
rences entre la flexion dure ët la flexion mouillée (§ 115).
Le type mouillé comprend des noms en *-yo- après consonne,
c'est-à-dire à consonne palatalisée (§ 24), type masc. mçzï
« homme », neutre çze « corde » ; des noms en *-yo- après
voyelle, et alors le nominatif singulier est v. si. -i (§ 63),
type krai « bord », qui passe à kraj et rejoint le type précédent;
des noms en *-iyo-, v. si. .-ii, neutre -ije, et le type masculin
en -ii a eu dans la suite des traitements spéciaux (§ 146) ;
et des noms en -ci, neutre -ce, et en -dzï, avec des semi-occlu-
sives sifflantes produites par la seconde palatalisation des
gutturales (§ 18). Cette répartition est étymologique, et des
[136] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ I 4
7

mots d'autres provenances s'adjoignent librement au type


mouillé, emprunts au roman comme krizi « croix », emprunts
en -ii au grec -ioç, etc: Les substantifs en -cl, -ce, -dzï, ayant
changé leur finale primitivement dure *-k-, *-g- en finale mouil-
lée, ont été assimilés au type mouillé, sauf au vocatif-qui reste
du type dur, avec l'alternance k: c, g: dz devant -e: otïcï
« père », kunçdzï « prince », voc. otïëe, kunçze. On a loc. sing.
otïci, loc. plur. otïcixu, par substitution morphologique de
-i, -ixu à -é, -ëxu phonétiques (§ 19) ; et l'instrumental pluriel
oiïci doit être analogique également, puisque la désinence
était *-uois (§ 132) et que la seconde palatalisation n'a pas
eu lieu devant u. La flexion pronominale n'a pas été atteinte
en vieux slave par cette innovation : sicï « tel (que ceci) »,
gén.-loc. plur. sicëxu (§ 258) ; sur la flexion des rares adjectifs
du type, nicï « tête baissée », gobïdzï « riche », on n'est pas
renseigné.
Voici en vieux slavè la flexion du type mouillé de mçzi
« homme », avec les variantes des types krai « bord » et ôtïcï
« père » :
Sing. Plur. . Duel
N. mçzï, krai mçzi )
. „ v , „• 5 mçza, -zë
A. mçzi, -za, -ze, krai mçze )
G. mçza, -zë mçzï, krai )
T v ,• „ i mçzfjju
L. mçzi mçzixu )
D. mçzfjlu mçzemû )
T „ „. . > mozema
1. mçzemi mçzi )
V. mçz(j)u, otïce
E t la flexion du type neutre de srudïce « cœur » aux formes
qui diffèrent de celles de la flexion des masculins :
N.-A. srudïce srùdïca, -cë srudïci
L'opposition est régulière, entre type dur et type mouillé, de
-û et -ï (nom.-acc. sing. masc., gén. plur.) ; -o et -e (nom.-
48 LES THÈMES EN -o- [131.1

acc. sing. neutre), -omï et -emï (instr. sing., var. -urnï et -ïrnï,
§ 161), -omu et -emù (dat. plur.), -orna et -ema (dat.-instr.
duel) ; -ë (de *-ai) et -i (loc. sing., nom.-acc. duel neutre),
-ëxu (de *-aisu) et -ixu (loc. plur.) ; -y et -i (instr. plur.).
Au génitif singulier (et génitif-accusatif), au nominatif-accu-
satif duel masculin et au nominatif-accusatif pluriel neutre,
des graphies du type mçzë, très rares en vieux slave après
chuintante ou c, dz, sont régulières dans la glagolite après
les autres consonnes, ainsi korablë de korabljï « bateau », kraë
du thème kraj-. L'orthographe cyrillique est normalement
~(j)a, et la plupart des langues slaves ont uniformisé en -a
la désinence des deux types dur et mouillé, de même que le
baltique en *-â, au génitif singulier lit. élnio comme vyro. Mais
non le tchèque, qui oppose à gén. sing. roba du type dur
v, tch. muzë, mod. muze du type mouillé (muza dialectalement
et en slovaque), à nom.-acc. plur. neutre mësta v. tch. srdcë,
mod. srdce, et de même au nominatif-accusatif duel masculin
en vieux tchèque.
S'il n'y a pas de différence au nominatif pluriel masculin
entre le type dur rabi et le type mouillé mçzi, c'est parce
que la forme -i du type mouillé a été généralisée (§ 132).
Deux désinçnces appellent des observations particulières.
A l'accusatif pluriel, le traitement de la désinence *-yons,
passée à *-jens, a été ~(j)ç en vieux slave et dans les langues
méridionales, mais -ë en russe et dans le groupe septentrional
(§ 88) : s.-cr. mûze (mûzeve}, slov. mo.zê, de -g, et, de v. si. konjï
« cheval », v. r. konë, ukr. kôni (devenu nom.-acc.), v. pol.
konie, sor. kônje, v. tch. konë, avec -ë. Les traitements diver-
gents des finales *-ans et *-jens ont créé une forte différence
entre la désinence -y du type dur et la désinence -ç, -ë du type
mouillé. Pour le double traitement -g et -ë de la désinence
mouillée, qui se retrouve dans la flexion des thèmes en -â-
(§ 151), il ne représentait à l'origine qu'une variante assez
légère, puisque -ë était la forme dénasalisée de -g (§ 65) :
[136] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 49

sûrement un simple flottement de prononciation qui i n'est


devenu qu'après coup divergence dialectale.
Au vocatif, ~(j)u du type mouillé n'a pas de rapport avec
-e du type dur. La désinence est slave commune : ukr. mûzu,
pol. mçzu, tch. muzi (-i de -u), etc. ; mais elle n'apparaît pas
dans le type otïcï, voc. otïce, passé secondairement à la flexion
mouillée, et dans les adjectifs le vieux slave présente un vocatif
buje de bui « fou », isolé, mais qui peut attester que ~(j)u est
lié à la flexion des substantifs. Il s'agit en effet d'un emprunt
à la flexion des substantifs en -u-, conservant le souvenir
d'un type mouillé en *-yu- (§ 159) qui a disparu en slave par
fusion avec le type en *-yo~. Le lituanien renseigne sur la
contamination des noms en -yo-, -is, et des noms en *-yu-,
-ius. A divers substantifs en -is, et particulièrement aux noms
d'agents en -tojis, il donne non seulement un vocatif en -iau,
mais aussi un génitif singulier en -iaus : mokïntojis « précep-
teur», gén. mokintojo et mokiniojaus, voc. mokintojau. Mais
pourquoi le slave a-t-il remanié le vocatif des substantifs en
*-yo~? On doit supposer qu'il était malcommode, et que la
forme balto-slave n'en était pas *-je. En lituanien, elle est
-i : élni, sans rapport avec celle du vocatif des thèmes en -i-,
qui est -ie de *-es (§ 165); en latin, elle est -ï: fllï; en
gotique, elle est -i : laisareis « précepteur », voc. laisari. Ceci
paraît indiquer une désinence *-ï, variante ancienne de *-ye,
qui créait en slave de graves complications, puisqu'elle
opposait à la consonne palâtalisée des autres cas une consonne
simple au vocatif : avec cette désinence, le vocatif de v. si.
vozdï « guide » serait *vodi. Le lituanien, dans son système
d'alternances (•§ 154), s'accommode d'un vocatif svetè de
svëcias «hôte», mais le slave a substitué vozd(j)u à *vodi,
d'après les noms du type de vozdï qui, issus de thèmes en
*-yu-, avaient un vocatif en - ( j ) u avec maintien de la consonne
palatalisée.
50 LES THÈMES EN -o- [131.1

137. Évolution de la flexion. — Le système flexionnel à


sept cas au singulier et six au pluriel s'est maintenu généra-
lement, mais avec élimination du duel dans la plupart des
langues. Sauf en bulgaro-macédonien (§ 128), il n'a guère
subi de réduction : perte du vocatif en russe et en slovène,
tandis que le bulgare a non seulement conservé le vocatif,
mais a transmis au roumain son vocatif féminin en -o, peut-
être aussi son vocatif masculin en -e; en serbo-croate, confu-
sion du locatif et du datif en un cas unique locatif-datif,
avec seulement au singulier des différences d'accent entre le
cas sans préposition, ancien datif, et le cas avec préposition,
ancien locatif (§ 219). Toutefois, si le système général de la
flexion nominale subsiste dans l'ensemble, il s'est beaucoup
modifié dans le détail, de façon différente selon les langues,
et l'écart est assez grand entre les langues slaves, et, à l'inté-
rieur dés langues, les variantes nombreuses entre les dialectes.
Une flexion complexe ne se maintient pas sans évoluer.
Elle doit s'adapter à des changements phonétiques, dont
l'action est profonde, bien visible dans certains cas, dans
d'autres plus secrète. Il est sûr que les conditions ne sont
pas les mêmes dans des langues qui opposent des consonnes
dures et des consonnes mouillées (russe, polonais), ou des
longues et des brèves (tchèque, serbo-croate), et dans celles
qui ont perdu ces oppositions ; dans des langues à accent
mobile (russe, slovène, serbo-croate) et des langues à accent
fixe. On constate, de façon plus précise, que des modifications
phonétiques qui obscurcissent des désinences appellent des
remaniements, ou, si ces remaniements n'ont pas lieu, altèrent
le système flexionnel : le serbo-croate et le slovène, confondant
i et y (§ 53), ont restauré la distinction du nominatif et de
l'accusatif pluriels des masculins en généralisant une caracté-
ristique -e d'accusatif masculin pluriel, mais le serbo-croate,
perdant à date récente h ' ( § 10), a perdu le locatif pluriel.
C'est pour n'avoir pas réagi contre la confusion de ses finales
[138] RUSSE 51
J .
inaccentuées que le bulgaro-macédonien a ruiné sa flexion.
Mais il y a une autre cause, morphologique, de modification
des désinences. Le slave héritait d'un jeu de flexions très
complexe, à thèmes multiples, et la distinction des thèmes
avait cessé d'être claire. Les langues slaves ont rassemblé
tous leurs masculins en -o-, -yo-, -i-, -u-, athématiques, en
une flexion unique à deux formes dure et mouillée ; mais cette
flexion unique est une flexion composite qui, basée sur le
type dominant en -o-, -yo-, a fait d'abondants emprunts, et
de façon variée selon les langues, aux flexions en -u- (§ 161)
et en -i- (§ 172), et même au type athématique (§ 206).
E t d'autres causes agissent, diversement : l'élimination du
duel, non pas simple, mais par fusion dans le pluriel (§ 214) ;
l'extension du sous-genre animé ou personnel ( § 126) ; l'obscur-
cissement de la distinction des genres au pluriel (§ 124).
L'histoire de la flexion nominale dans les langues slaves
est extrêmement compliquée, et elle n'est pas toujours bien
éclaircie. Elle ne peut être suivie en détail que dans chaque
langue : on doit se contenter ici de donner une caractéristique
des systèmes de flexion.

138. Susse.— Le vocatif est perdu, et le duel. L'opposition


d'un type dur et' d'un type mouillé ne reste nette qu'au
génitif pluriel : -ov dans le type dur, -ej dans le type mouillé.
La désinence -ë, -e, de locatif singulier du type dur a été
généralisée. Au nominatif ou nominatif-accusatif : pluriel,
on n'a plus qu'une différence d'ordre phonétique entre -y
après consonne dure et -i après consonne mouillée, avec perte
de l'accusatif v. r. -é du type mouillé ; de même à l'instru-
mental singulier, type dur -om = - a m et type mouillé -ém
= -'im, formes réduites de -omet -'ôm (écrit -ëm) sous l'accent;
et loc. plur. -ax et -'acc, etc. Le russe retrouve, sauf au génitif
pluriel, l'état primitif balto-slave à flexion unique, la même
sur thème à consonne dure et sur thème à consonne mouillée.
52 LES THÈMES EN -o- [131.1

Ainsi vol « bœuf ». gén.-acc. vold, loc. volé, instr. volôm, nom. plur.
voly, dat. volâm, etc., et car' « empereur », gén.-acc. carjâ, loc.
caré, instr. carëm (= -r'ôm), nom. plur. cari, dat. carjâm, etc.,
mais gén.-acc. plur. volôv en face de caréj. On a d'ailleurs aussi
dans le type mouillé un génitif pluriel -ev, sous l'accent -ëv
= -ôv, type kraj «bord, contrée », gén. plur. kraëv : cette
désinence, limitée dans la bonne langue aux substantifs en
.-/, est d'emploi plus étendu en russe populaire et très large
dans les dialectes, et ainsi la différence du type dur et du type
mouillé disparaît même au génitif pluriel.
Au singulier, la flexion n'a pas subi de changement, et les
emprunts au type en -u- se réduisent à quelques formes de
génitif en -u et de locatif en -u, seulement comme variantes
de gén. -a et loc. -e dans des cas limités (§ 161). Mais au
pluriel la flexion a été complètement transformée. Le nomi-
natif et l'accusatif ont été confondus en un nominatif-accu-
satif -y (dur), -i (mouillé), puis l'extension au pluriel de la
distinction des sous-genres animé et inanimé a différencié
nom.-acc. -y, -i des inanimés et nom. -y, -i, gén.-acc. -ov, -ej
des animés. Au génitif, la forme sans désinence ne s'est
conservée qu'avec quelques mots, comme sapogî « bottes »,
gén. sapôg, et elle a été normalement remplacée par des
formes plus pleines : dans le type dur -ov pris aux thèmes en
-u- ; dans le type mouillé -ej pris aux thèmes en -i-, et égale-
ment aux thèmes en -iyo- très importants du fait des neutres
en -'e (§ 147), et -ev, c'est-à-dire -'ov après consonne mouillée.
Au locatif, au datif et à l'instrumental, -ax (~'ax)y -am
(~'am) et -ami (-'ami) ont été substitués aux désinences
antérieures -ëx (type mouillé -ix, puis -ex du type en -i- et
-ëx), -om (~em), -y (-i). Cette extension des désinences du type
féminin en -a ne se laisse pas dater avec précision, parce
qu'elle n'a pas eu lieu à là même époque dans tous les parlers :
plus précoce en russe septentrional et occidental, elle ne
remonte guère qu'au x v n e siècle en russe moscovite, et les
[138] RUSSE 53
i
désinences anciennes se sont longtemps conservées,'particu-
lièrement celle de l'instrumental pluriel -y (-i), qu'on penserait
être la plus vulnérable. En réalité, ce cas a offert une grande
résistance aux réfections, en russe et ailleurs, sans doute
parce qu'il est le plus souvent employé avec préposition, ou
que, sans préposition, il a un caractère semi-adverbial. Les
causes de l'extension sont sûrement, pour les animés du
sous-genre personnel, la catégorie importante des masculins
en -a, dont le pluriel à flexion féminine s'est fondu avec celui
des masculins (§ 208); pour les inanimés, l'influence des neu-
tres qui, sur la base de leur nominatif-accusatif pluriel en -a,
semblent avoir les premiers développé des formes de pluriel
en -a- des cas obliques.
Le russe a fait un autre emprunt à la flexion des neutres,
mais à date récente, vers le x v m e siècle : une désinence -d,
toujours accentuée, de nominatif-accusatif pluriel inanimé et
de nominatif animé, du type gôrod « ville », plur. gorodâ,
màster « maître », plur. masterâ, type très productif à l'époque
moderne. Le point de départ de l'innovation, propre au russe
et étrangère à l'ukrainien, est dans quelques anciens duels
comme rog « corne », plur. rogâ, rukâv « manche », plur. rukavâ,
comme ukr. rukâva; mais son développement, lié à l'origine
à un mouvement d'accent entre l'initiale et la finale, calque
le mouvement d'accent des neutres du type zérkalo « miroir »,
plur. zerkalâ.
Ces faits indiquent une grande confusion des genres au
pluriel : au nominatif-accusatif, la désinence -y (-i) est égale-
ment masculine et féminine, la désinence -a est devenue
également masculine et neutre, et au locatif, au datif et à
l'instrumental il n'y a plus qu'un jeu unique de désinences
pour les trois genres. Le génitif pluriel en ~ej des masculins
du type mouillé est également le génitif pluriel des neutres
du type mouillé môre «mer», pôle «champ», et celui des
féminins du type en -i-, avec une certaine pénétration dans
54 LES THÈMES EN -o- [131.1

le type mouillé en -a, si bien qu'il n'y a plus que le type dur
qui présente la désinence -ov comme marque nette du genre
masculin, s'opposant à la désinence zéro des neutres et
des féminins : dans le type mouillé masc. caréj, neutre
moréj, fém. kostéj (kost' « os ») et aussi svecéj à côté de svec
(,sveëâ «bougie»), dans le type dur volôv, mais neutre mest
(mésto « lieu »), fém. knig (kniga «livre»). E t cette dernière
distinction s'abolit dans les dialectes, où -ov (-eu) s'étend
largement aux neutres et aux féminins : gén. plur. mestôv,
knigov.
Le russe présente un certain nombre de pluriels en -ja,
anciens collectifs, type kôlos «épi», plur. kolôs'ja (§ 211).
Il a éliminé à peu près complètement les autres types de flexion
des masculins ; pour put', gén. putl, voir § 172; pour le type
grazdanin, plur. grâzdane, § 207. Pour les alternances, s'il
pratique l'alternance consonantique nouvelle de sourde et
de sonore (§ 85), comme la plupart des langues slaves, il a
perdu les alternances consonantiques anciennes (§ 111) :
jazyk « langue », loc. sing. jazyké, nom. plur. jazyki (nom.-acc.,
par unification en -ky, puis -ki, de nom. -ci et acc. -ky) ; de Bog
« Dieu», un vocatif Bôze est slavon. Il a développé l'alternance
nouvelle des voyelles « mobiles » (§ 119) : plalôk « mouchoir »,
gén. platkâ, orël « aigle », gén. orlâ; et il l'a même à l'occasion
étendue indûment : rov « fossé », lëd « glace », kâmen « pierre »,
et zâjac « lièvre » (se confondant avec zâeç), gén. rva, l'da,
kâmnja, zâjca, pour de plus anciens rova (dial. rôva, ukr. riv,
gén. rôvu), leda, kamenja, zajaca.

139. Ukrainien.— La flexion de l'ukrainien est sensible-


ment différente de celle du russe, bien que les deux langues
continuent également le vieux russe : on peut y voir l'ampleur
que prennent des divergences dialectales qui ne sont pas très
anciennes, quand les dialectes, séparés, deviennent langues.
Le vocatif est conservé, et l'alternance du type k : c: kozâk
[140] POLONAIS 55

«cosaque», voc. kozâce. L'alternance du type k: c reste,


régulière au locatif singulier, mais la langue tend à l'éviter :
béreh « rive », loc. bérezi et berehû. A l'alternance des voyelles
«mobiles » s'ajoutent les alternances o: i et e: i (§§ 47-48) :
dvir «cour» gén. dvôru, mid «miel»et med, gén. mêdu. L'opposi-
tion des désinences de la flexion dure et de la flexion mouillée
reste nette, du fait que les consonnes sont prononcées dures
devant e et i durci en y (§21) : instr. sing. -om et -em, dat.
sing. -ovi et -evi ; et voc. -e et -(j)u, nom.-acc. plur. -y, confon-
dant nom. -z et acc. -y, et -z de v. r. -ë (§ 51), accusatif devenu
nominatif-accusatif. Ainsi brat « frère », dat. brâtovi, instr.
brâtom, voc. brâte, nom. plur. brdty, et ltin' « cheval », dat.
konévi, instr. konêm, voc. kônju, nom. (et nom.-acc.) plur.
kôni. Mais au locatif singulier -i, de -ë, du type dur a été
généralisé dans le type mouillé comme en russe (brâti et kôni) ;
au génitif pluriel v. r. -ov et -ev se sont confondus en -iv,-'iv
(brativ et vrozâïv, de vrozâj «moisson»); et au locatif, au
datif et à l'instrumental pluriels on a les mêmes désinences
nouvelles qu'en russe, -ax, -am, -ami, et -'ax, - am, -ami
(bratàx et kônjax, etc.).
L'extension des désinences de l'ancien type en -u- est
beaucoup plus importante qu'en russe : le datif singulier est
en -ovi (-i de -ë, remaniement de v. r. -ovi), avec un locatif-
datif -ovi dans le sous-genre animé ; le génitif singulier est
en -u dans une grande partie des inanimés ; le locatif singulier
en -u tend à supplanter -i après gutturale, pour éviter l'alter-
nance consonanti.que ; le génitif pluriel en -iv est commun à
la flexion dure et à la flexion mouillée. De l'ancien type en
-i-, la désinence -ej (dial. - y j ) de génitif pluriel n'apparaît
que dans quelques mots, comme -'mi à l'instrumental pluriel.

140. Polonais. — La flexion s'est compliquée èn polonais,


et un bon nombre de cas présentent plusieurs désinences :
on en "trouve quatre au nominatif pluriel, -owie, -i, -y, -ie,
56 LES THÈMES EN -o- [131.1

et même une cinquième, -a, dont l'origine est dans des


emprunts au latin. Ce n'est pas que l'opposition des types
dur et mouillé se soit bien conservée : elle a en bonne partie
disparu comme en russe, et l'on a après consonne dure, durcie
ou mouillée de mêmes formes des désinences, instr. sing. -em
(de -umï, § 161) et -iem, dat. -owi et -iowi, nom. plur. -owie
et -iowie, gén. -ôw et -iôw, dat. -om et -iom, et les désinences
nouvelles loc. plur. -ach et -iach, instr .-ami et -iami. Ainsi
syn « fils », mqz « homme », uczen « élève », dat. sing. synowi,
mçzowi, uczniowi, instr. synem, mçzem, uczniem, nom. plur.
synowie, mçzowie, uczniowie, gén. synôœ, mçzôw, uczriiôw,
dat. synom, mçzom, uczniom, instr. synami, mçzami, uczniami.
L'opposition phonétique de formes dures et de formes
mouillées s'est perdue, mais l'opposition de désinences diffé-
rentes du type dur et du type mouillé s'est conservée, sous
un aspect évolué. Au vocatif singulier, on a -ie dans les thèmes
en consonne dure (panie de pan « monsieur ») et ~(i)u dans les
thèmes en consonne mouillée ou durcie (uczniu, mqzu), mais
avec une large extension de -u après gutturale et après c,
dz: kozaku «cosaque», kupcu «marchand», pour kozacze,
kupcze. Au nominatif et à l'accusatif pluriels, l'ancienne
distinction de nom. -i, acc. -y du type dur et de nom. -i,
acc. -ê du type mouillé a été complètement transformée sous
l'action de la distinction nouvelle des sous-genres personnel
et non personnel. Dans le type dur, nom. -i, qui prend la
forme -y dans les mots en -c et dans les mots terminés par
gutturale ou r à alternances -k:-cy, -r:-rzy, est la désinence
des noms désignant des personnes, mais concurrencée par
-owie, l'accusatif étant le génitif-accusatif -ôw ; acc. -y, qui
prend la forme -i après k, g, est devenu nominatif-accusatif
des noms désignant des animaux ou des inanimés. Dans le
type mouillé, acc. -ie, de -ë, se confondant avec nom. -ie,
de -e de l'ancien type athématique (§ 206), est devenu nomi-
natif-accusatif du sous-genre non personnel et, à Côté de
[140] POLONAIS 57
I
-(i)owie, nominatif du sous-genre personnel à génitif-accusatif
en -(ijôw.
Les emprunts au type en -u- sont abondants : nom. plur.
-owie dans le sous-genre personnel, concurrençant -i dans
le type dur et -ie dans le type mouillé ; dat. sing. -owi,
désinence ordinaire des animés et des inanimés, avec conser-
vation restreinte de -u, surtout dans les animés ; gén. sing. -u,
désinence très développée dans les inanimés, surtout pour les
noms abstraits et collectifs, mais sans frontières précises
avec la désinence -a ; loc. sing. -u dans le type mouillé et
après gutturale, avec une répartition de -ie et de -u qui
rejoint celle du vocatif singulier. Il y a aussi des emprunts
au type en -i-: largement gén. plur. -i (également désinence
du type en -iyo-), à côté de -ôw, après consonne mouillée ou
durcie, et dans quelques mots instr. plur. -mi pour l'usuel -ami.
E t il y a conservation de désinences anciennes : du génitif
pluriel à désinence zéro pour -ôw, -i ordinaires, de façon
restreinte dans la langue commune, mais plus large en
kachoube et surtout en slovince ; du locatif pluriel en -(i)ech
(de -èxu ou de -exù du type en -i-), pour -ach, dans deux ou
trois mots seulement, et en kachoube de -ech et de sa forme
mouillée -ich ; de l'instrumental pluriel en -y, pour -ami, dans
des locutions ; et conservation de particularités de flexion
pour certains mots, ainsi gén. sing. wolu de wôt «bœuf», loc.
sing. synu de syn « fils ». On ajoutera, dans les dialectes, des
vestiges notables du duel (§ 214). Un système flexionnel
aussi complexe ne va pas sans nombreux flottements. A la
fois conservateur et novateur, et sans recherche spéciale de
la symétrie dans les innovations, généralisant dans toutes
les flexions loc. plur. -ach, instr. -ami, mais dat. plur. -om, ce
système résulte du jeu de tendances qui se contredisent,
tendances à l'unification, et tendances à la différenciation
des marques des sous-genres.
Pour les alternances, l'état n'est pas plus simple. L'alter-
58 LES THÈMES EN -o- [131.1

nanee de la voyelle «mobile» e, du type swiadek «témoin»,


gén. swiadka, s'accompagne, dans le cas où la consonne
précédant e est mouillée (ancien ï), d'une alternance de
consonne mouillée et dure, ou de consonne palatalisée et non
palatalisée : kupiec « marchand », gén. kupca, kwiecien « avril »,
gén. kwietnia (§ 45) ; avec une alternance de z et de r (§ 16),
orzel « aigle », gén. orla, et des cas plus spéciaux comme v. pol.
ociec «père», gén. occa> ojca, pol. mod. ojciec, gén. ojca. E t l'on
a toute une série d'alternances vocaliques (§ 119). : 'o; 'e,
ainsi aniol « ange », plur. anieli, alternance en voie de dispa-
rition, mais qui, avec le 'e mobile qui ne passait pas à 'o (§ 58),'
a développé secondairement une variante koziol « bouc »
pour koziel, gén. kozla; 'a: 'e, ainsi sqsiad «voisin», voc. et
loc. sqsiedzie, nom. plur. sqsiedzi; u: o, type rôg «corne»,
gén. rogu; g : g, type mqz «homme », gén. mgia. Les alternances
k: c, g: z (Bôg «Dieu», voc. Boze), c: c, dz: z (ksiqdz
«prêtre», voc. ksi%ze), ne subsistent que de façon limitée, la
laiigue préférant dans ce cas le vocatif en -u. Mais les alter-
nances k: c, g: dz sont très vivantes ^devant -i caractéristique
du nominatif pluriel du sous-genre personnel, non seulement
avec les substantifs, mais aussi avec les adjectifs : robotnik
« ouvrier », nom. plur. roboinicy, uiysoki « haut », nom. plur.
personnel wysocy. E t le polonais présente en outre, au locatif
singulier en -ie et au nominatif pluriel en -i, ses alternances
s: s, z: z, t: c, d: dz, r: rz, czart « diable », plur. czarci, dwôr
« manoir », loc. dworze ; et il a développé au nominatif pluriel
personnel une alternance nouvelle ch : s (§ 13), mnich « moine »,
plur. mnisi, et même, avec les adjectifs et les pronoms, des
alternances sz: s, z: z (§ 113).

141. Sorabe. — Le duel est conservé (§ 214) ; le vocatif


l'est en haut sorabe, mais seulement dans les masculins en -o-,
et dans des vestiges en bas sorabe. L'opposition de la flexion
dure et de la flexion mouillée se maintient dans les désinences
[141] " SORABE 59
j
différentes de locatif singulier, -je dur, -u mouillé, et de
nominatif-accusatif pluriel, -y dur (et nom. plur. personnel -i),
-e mouillé : b. sor. dub « chêne », loc. dubje, nom.-acc. plur.
duby, et kôn « cheval », loc. kônju, nom.-acc. plur. kônjë,. Mais
aux autres cas on a.dat. sing. kônjoju comme synkoju (synk
« fiston »), instr. kènjom comme dubom (de *-umï), gén. plur.
kônjow comme dubow, gén. duel kônjowu comme dubowu,
loc.-dat.-instr. duel kônjoma comme duboma, et au vocatif
h. sor. wôtco « père » comme ducho « esprit ». Toutefois, le
haut sorabe garde dialectalement un datif singulier -ewi du typé
mouillé en regard du sorabe ancien -owi du type dur, et au
nominatif-accusatif duel il a créé une opposition de dubaj dur
et de konjej mouillé, qui est analogique de nom.-acc. plur,
konje.
La flexion du sorabe est évoluée. Au datif singulier, il
présente -u, qui domine dans les inanimés du type dur, et
-oju dans les animés et dans le type mouillé : cette désinence
nouvelle -oju superpose -u à -oj plus ancien, qui est une réduc-
tion de -owi pris au type en -u-. Au vocatif, -o résulte du
passage de - e du type dur à -'o (§ 48) et -o après consonne
durcie, et d'une substitution de -'o, -o à -'u du type mouillé,
-u après consonne durcie. Au nominatif-accusatif duel, le
haut-sorabe -aj du type dur, -ej du type mouillé, dubaj,
konjej, pour b. sor. duba, kônja, a pris sa finale -/ à la flexion
des adjectifs (§ 268), et l'a étendue au locatif-datif-instru-
mental -omaj pour b. sor. -oma. Au génitif singulier, on a
-a dans les animés et les thèmes mouillés, -a et -u dans: les
inanimés du type dur : b. sor. grod « château », gén. grodu
et groda. Au locatif singulier, -u du type en -u- est devenu
désinence du type mouillé, et a été aussi étendu aux thèmes
durs en -k et -ch, mais non en -g, h. sor. -h (§ 11). Au pluriel,
l'accusatif en -y du type dur (-i après k et g), -e du type mouillé,
est devenu nominatif-accusatif, mais dans le sous-genre
personnel le nominatif -i s'est conservé avec quelques mots
60 LES THÈMES EN -o- [131.1

en.bas sorabe (sused « voisin »,plur. susezi), et plus largement


en haut sorabe (noms en -nik, plur. -nicy). Le génitif en -ow
du type en -u- a été généralisé dans toutes les flexions, non
seulement des masculins durs et mouillés, mais aussi des neutres
et des féminins, sauf la conservation de.génitifs sans désinence
après les noms de nombres et les adverbes indiquant le nombre,,
ainsi pjenjezy « argent », gén. wjele pjenjez « beaucoup d'ar-
gent ». Au locatif, au datif et à l'instrumental pluriels, on a
-ach, -am, -ami dans toutes les flexions, mais avec des vestiges
de désinences antérieures : loc. -och du type en -u-, ou -ech
du type en -i- (§ 163), ainsi h. sor. konjoch, et b. sor. dial.
kônjoch pour kônjach; dat. -om dans des noms de familles en
nom. plur. -cy, dat. -com; instr. -y dans des locutions adver-
biales, et -ymi par superposition de -mi à -y dans des noms
en -c et -z, comme pjenjezymi à côté de pjenjezami.
Pour les alternances consonantiques, elles se sont conservées
d'une part au vocatif, type k: c: h. sor. wôcec, wôtc « père »,
voc. wôtco, knëz «.seigneur, prêtre», voc. knëzo; d'autre part
au locatif singulier en -je et au nominatif pluriel personnel
en -i, types k: c et t: c : b. sor. bok « côté », loc. boce, gôd
« circonstance », loc. gôze ; mais le locatif singulier des noms
en -k et en -ch. est normalement en -u. Le jeu des voyelles
«mobiles», e, o (§ 58), et dans certains cas a, subsiste : b.
sor. nugel «angle» (§ 83), gén. nugla, kôzot «bouc», gén.
kôzla, hogen « feu » (§ 77), gén. hognja; et blazan (btazn), gén.
blazna, nom du « fou » dans les langues septentrionales, pol.
blazen, gén. blazna, qui continue l'abstrait v. si. blaznu «erreur,
scandale», comme s:-cr. lûd « fou », adj., continue v. si. blçdû
« égarement » (§ 273). Mais l'alternance se perd en sorabe, par
extension soit de la forme du nominatif, gén. blazna et blazana,
b. sor. wôset « chardon », gén. wôsela pour h. sor. œôsta (pol.
oset, gén. ostu et dial. osetu), soit, et fréquemment, de la forme
des autres cas (§ 119), h. sor; wôcec et wôtc.
[142] TCHÈQUE ET SLOVAQUE 61
i
14S. Tchèque et slovaque. — La distinction de la flexion
dure et de la flexion molle est très forte en tchèque, en rai-
son des traitements spéciaux des voyelles après consonne
mouillée : dans le type dur, gén. sing. -a, loc.-dat. -u, voc.
-e, acc. et nom.-acc. plur. -y, instr. plur. -y (tchèque parlé
-ama) ; dans le type mouillé, gén. sing. -e (v. tch. -ë, forme
mouillée de -a, § 78), loc.-dat. et voc. -i (v. tch. -w, § 55),
acc. et nom.-acc. plur. -e (v. tch. -ë), instr. plur. -i (tch.
parlé -ema) ; mais par contre loc.-dat. sing. -ovi, nom.-plur.
-ové,, gén. -û(v), dat. -um, dans la flexion mouillée comme
dans la flexion dure, et de même instr. sing. -em (de *-umï)
dans les deux types. Ainsi chlap « garçon », gén.-acc. chlapa,
loc.-dat. chlapovi et chlapu, instr. chlapem, voc. chlape,
nom. plur. chlapové (et chlapi)', acc. chlapy, gén. chlapu,
dat. chlapùm, instr. chlapy (parlé chlapama), et orâc « labou-
reur », gén.-acc. orâce, loc.-dat. orâcovi et orâci, instr. orâcem,
voc. orâci, nom. plur. çrâcové (et orâci), acc. orâce, gén. orâcû,
dat. ordëâm, instr. orâci (parlé vorâcema, § 77). Pour loc.
plur. -ech (et -t'c/z) du type dur, -ich du type mouillé, chla-
pech (chlapich) et orâcich, voir ci-dessous. La division des
thèmes en consonne dure et des thèmes en consonne mouil-
lée ne répond plus à une réalité phonétique, qu'avec de
rares consonnes, comme n et n (§ 22), mais elle reste atta-
chée solidement par tradition à des consonnes bien diffé-
renciées, -k du type dur, -c, -c du type mouillé, etc. Dans
le cas de -Z, -s, -z, cette distinction fait défaut, et, avec les
thèmes en -/, la répartition des deux types de flexion pré-
sente une complexité assez inextricable, et de nombreux
flottements : april « avril », gén. aprila .et aprile.
Par ailleurs, la flexion n'est guère plus simple en tchèque
qu'en polonais. Elle est dominée par l'opposition des animés
et des inanimés, et une certaine distinction s'esquisse aussi
entre les noms de personnes et les noms d'animaux. Le
tchèque ignore au pluriel le génitif-accusatif personnel du
5
62 LES THÈMES EN -o- [131.1

polonais et du sorabe, comme le génitif-accusatif animé du


russe, mais il n'en est pas de même du slovaque, ni du
tchèque dialectal de Moravie, qui ont un génitif-accusatif
pluriel des noms de personnes, et des noms d'animaux
quand ils désignent des animaux déterminés. Ceci s'accom-
pagne de larges emprunts à la flexion en -u-, comme en
polonais : gén. sing. -u, plus fréquent que -a dans les inani-
més du type dur, mais non dans le type mouillé où -e est
la désinence commune des animés et des inanimés ; loc.-
dat. -ovi dans les animés, surtout noms de personnes, et la
langue distinguera volontiers, de osel « âne », le datif oslu
au sens courant et oslovi quand le terme est appliqué à un
homme ; loc. -u dans les inanimés, à côté de -ë, et -u à côté de
-ovi dans les animés ; nom. plur. -ové, à côté de -i, dans les
animés, surtout noms de personnes ; gén. plur. -â, de -ûv
(slovaque -ov), désinence générale du cas dans la flexion des
masculins, avec de rares vestiges du génitif sans désinence.
Au nominatif et à l'accusatif pluriels, les inanimés ont un
nominatif-accusatif qui est l'ancien accusatif : en -y dans le
type dur, en -e dans le type mouillé ; les animés ont un nomi-
natif en -i, moins souvent en -ové, et un accusatif : en -y dans
le type dur, en -e dans le type mouillé. La distinction de -i
et de -y n'est plus en grande partie qu'orthographique, mais
elle existe réellement après t,d, n (§ 21), et après les gutturales
et r qui prennent devant i des formes alternantes : vojâk
«soldat», nom. plur. vojâci, loir « scélérat », nom. plur.
lotri. Le tchèque parlé étend le nominatif animé en -i à l'accu-
satif : nom.-acc. vojâci, et de même nom.-acc. vorâci dans le
type mouillé. Le tchèque littéraire connaît dans quelques
mots et dans les noms en -ané une autre désinence de nominatif
pluriel animé, -é, que le tchèque parlé remplace par -i: cette
désinence -ë, en slovaque -ie, -ia (§ 211), résulte d'une confu-
sion de -e du type athématique (§ 179) et de ~ïje du type en
-i- (§ 172), et elle' a pris sa longueur à -ïje, v. tch. -ie, et l'a
[142] TCHÈQUE ET SLOVAQUE 63

transmise à -ové, slovaque -ovie, -ovia-. Au locatif 5 pluriel,


-ech est la désinence ordinaire du tchèque dans le type dur,
à côté de -îch qui est la désinence régulière du type mouillé :
chlapech et chlap ich, et seulement oraclch; dans le type dur,
-ich apparaît surtout dans les thèmes en -k, -h, -ch, loc. -cich,
-zlch, -sîch avec l'alternance des gutturales. Les désinences
anciennes, longues (§ 221), v. tch. -iech du type dur, -ich du
type mouillé, se confondaient en -Ich (§ 51), et la différence
a été restaurée par emprunt au type en -i- de -ech qui figure
couramment après les consonnes caractéristiques du type
dur, la distinction des deux types n'étant plus qu'une ques-
tion de consonnes. Le tchèque connaît une autre désinence
-âch prise à la flexion des féminins en -a, comme en polonais,
en sorabe et en russe : vojâkâch pour vojdcich; limitée en
tchèque littéraire à des noms à suffixe -ek, et en tchèque parlé
correct aux thèmes en gutturale, avec élimination de l'alter-
nance consonantiqae, elle s'étend en tchèque vulgaire. En
slovaque, et aussi en tchèque dialectal, la désinence est -och
(§ 163), dans les deux types dur et mouillé. A l'instrumental
pluriel, où le tchèque littéraire -y dur, -i mouillé, est archaï-
sant, il y a eu extension, dès le vieux tchèque, d'une part de
-mi des thèmes en -i-, d'autre part de -ami des féminins en -a :
le slovaque a ordinairement -mi, et le tchèque parlé a -ama
dans le type dur, -ema (de v. tch. -ëmi) dans le type mouillé,
formes de l'ancien duel (§ 214).
Pour les alternances vocaliques, à l'alternance de l'e
« mobile », lev « lion », gén. Iva, et svec « cordonnier », gén.
sevce (§ 119), s'ajoutent des alternances de quantité (§ 224),
des. types mrdz «gelée», gén. jnrazu, dûm «maison», gén."
domu, vïlr «vent», gén. vëtru; l'alternance Jan «Jean»,
voc. Jene (v. tch. Jëne) est en tchèque littéraire (tchèque
parlé Jane) le vestige d'une alternance perdue (§ 78). Une
alternance consonantique est solide dans la flexion des subs-
tantifs, celle.de k: c, h: z, ch: s, et en outre r: r, t: t', etc.,
64 LES THÈMES EN -o- [131.1

au nominatif pluriel en -i des animés, devenu nominatif-


accusatif en tchèque parlé, ainsi cernoch « nègre », nom. plur.
cernosi (§ 13) ; dans la flexion des adjectifs, ce n'est plus
qu'un archaïsme du tchèque littéraire (§271). Cette alternance
se maintient aussi au locatif singulier en -ë des inanimés,
mais la désinence est ordinairement -u après gutturale, et
les locatifs pluriels en -cich disparaissent également, remplacés
par -kdch. Les alternances de la série k: c ne subsistent que
dans quelques rares vocatifs, comme Bùh « Dieu », voc. Boèe,
là désinence étant normalement -u dans ce cas.

143. Slovène. — Le duel est conservé, le vocatif est perdu.


L'opposition est nette, en fonction de la consonne finale du
thème, des désinences de l'ancien type dur, instr, sing. -om,
gén. plur. -ov, dat. plur. -om, dat.-instr. duel -oma, et de l'an-
cien type mouillé, -em, -ev, -em, -ema. Du moins dans la
langue littéraire : dans les dialectes, instr. sing. et dat. plur.
-em a disparu devant -om, sauf dans les neutres en -je où
-jem se maintient ; et -om lui-même est ordinairement rem-
placé par -am, innovation qui, partie du datif pluriel neutre,
s'est dès la fin du xvi e siècle étendue au datif pluriel masculin
et à l'instrumental singulier. D'autre part, à l'accusatif
pluriel, -e du type mouillé, de v. si. -g, a été généralisé dans
le type dur, comme en serbo-croate, pour restaurer la distinc-
tion avec nom. plur. -i, et les accusatifs en -i qui subsistent
sont des vestiges du type en -u- et du type masculin en -i-.
Au locatif pluriel, -ih du type mouillé a été de même généralisé,
avec conservation dialectale de -eh du type dur, et aussi une
désinence nouvelle -ah.
Les emprunts au type en -u- sont importants : gén. plur.
-ov, -ev ; loc. sing. -u, donnant un locatif-datif singulier;
extension notable du génitif singulier en -u, et du nominatif
pluriel en -ovi, pour v. si. -ove, avec tendance alors à bâtir
toute la flexion de pluriel sur un élargissement -ov-: môst
[144] SERBO-CROATE 65
• • |

« pont », nom. plur. mostôvi, acc. mostôve, loc. mostôvih, etc.


Mais on a aussi, pris au type en -i-, un bon nombre de mas-
culins en -je, et des formes d'instrumental pluriel en -mi, à
côté de la désinence ordinaire -i. La conservation de l'instru-
mental pluriel en -i est remarquable, même s'il est concurrencé
par -mi, et aussi dialectalement par -ami.
L'alternance de l'e mobile, 9, en syllabe longue â (§ 58),
est régulière, mais avec des formes comme zrebèljc « petit
clou » pour zrebljèc, d'après gén. zrebeljcà. Pour l'alternance
des gutturales, elle se maintient exceptionnellement : otràk
« enfant », nom. plur. otrôci, loc. otrôcih ; mais généralement
elle a disparu : ràk « écrevisse », nom. plur. râki, loc.
râkih.

144. Serbo-croate. — On a l'opposition régulière de voc. -e,


instr. -om, plur. -ov-, après les consonnes de l'ancien type dur,
et voc. -u, instr. -erri, plur. -ev-, après les consonnes de l'ancien
type mouillé : sîn «fils», voc. sine, instr. sînom, plur. sïnovi,
et mûz « mari », voc. mûzu, instr. mûzem, plur. mûzevi. Il y a
flottement après r qui confond v. si. r et rj ( § 22), et préférence
pour les désinences en -o- après une syllabe contenant un -e :
zêc « lièvre », zêcom, zëcovi, Mais l'accusatif pluriel en -e, de -ç,
a été généralisé comme en slovène : zâkone de zâkort « loi »,
lju.de de Ijûdi « hommes ». Comme en slovène aussi, la distinc-
tion de l'animé et de l'inanimé n'a pas été étendue au-delà
de l'accusatif singulier : si on la retrouve dans l'accentuation
du locatif singulier (§ 219), loc.-dat. vûku de vûk « loup », mais
dat. grâdu, loc. grâdu de grâd « ville », c'est parce que les
locutions traditionnelles du type u grâdu « dans la ville »,
r. na domû « à domicile », étaient nombreuses avec des noms
de choses et ont pu dans ce cas garder leur mouvement
d'accent. Un génitif-accusatif pluriel animé n'apparaît qu'en
vieux cakavien, et à l'époque actuelle, de façon très limitée,
en cakavien d'Istrie.
66 LES THÈMES EN -o- [131.1

A la flexion en -u- sont pris le locatif singulier en -u, devenu


la seule désinence de locatif singulier et locatif-datif, et le
nominatif pluriel en -ovi, de v. s.-cr. -ove, qui a donné avec
le génitif en -ov(â) un élargissement -ov-, -ev- de pluriel.
Étendu à tous les cas, cet élargissement -ov- est devenu le
pluriel normal des noms à thème monosyllabique et de quel-
ques thèmes dissyllabiques : gôlûb « pigeon », nom. plur.
gôlubovi, acc. gôlubove, gén. golubôvâ, loc.-dat.-instr.
golubdvima. La flexion en -i- avait fourni au serbo-croate
un type spécial de pluriel à désinences caractéristiques, acc.
plur. -i, gén. -F, instr. -mi, dont il reste des vestiges (§ 172).
Le serbo-croate stokavien, qui est la langue commune,
présente des innovations qui lui sont propres. Au génitif
pluriel, de façon curieuse, il avait maintenu dans certains cas
le jer faible de la désinence v. si. -u (§ 60), et en avait fait une
voyelle longue, notée -u en vieux serbe, d'où -â, sur le modèle
de -F contracté de v. si. -ii dans le type en -i-. Puis il a géné-
ralisé cette désinence nouvelle -â, en la superposant à l'ancien
génitif sans désinence, qui lui-même avait généralisé l'allon-
gement de la finale du thème (§ 224) : v. si. siaricï « vieillard »,
s.-cr. stârac, gén. plur. v. si. starïcï, cak. st&râc, s.-cr. stok.
stàràcâ. La désinence -â et l'allongement de la syllabe précé-
dente sont ainsi devenus les caractéristiques du génitif pluriel,
dans tous les types de flexion, sauf dans la flexion du type en
-i- qui a -F, et sauf des vestiges du génitif duel -û, -ijû (§ 214).
Au datif et à l'instrumental pluriels, les désinences dis-
tinctes ont été remplacées, dans tous les types, par la carac-
téristique -ma du datif-instrumental duel, et dat. -om, instr.
-i, par une désinence nouvelle -ima. Gomme d'autre part, au
locatif, la désinence -ijeh, -ih, et -ah, -eh des autres types,
perdait phonétiquement sa caractéristique -h (§10), les formes
nouvelles -ije, -i, etc., ont adopté elles aussi la finale -ma, à
date récente ( x v m e siècle), et le serbo-croate ne présente plus
qu'une désinence de locatif-datif-instrumental pluriel -ima,
[144] SERBO-CROATE 67

-ama dans les féminins en -a, -ijema ou -ima dans le! type
pronominal, perdant ainsi au pluriel comme au singulier
la distinction du locatif et du datif.
Ces innovations ont complètement transformé la flexion
du pluriel en serbo-croate : nom. zâkoni «lois», acc. zâkone,
gén. zâkônâ, loc.-dat.-instr. zâkonima. Mais elles sont parti-
culières au dialecte stokavien : le kajkavien a des désinences
semblables à celles du slovène, gén. plur. -ov, etc. ; le ôakavien
conserve le génitif pluriel à désinence zéro, à côté de -ïh pris
au type pronominal, et aussi de -ov, le locatif en -ïh, le datif
en -om, l'instrumental en -i, et aussi l'accusatif pluriel en -i
et le locatif singulier en -i distinct du datif en -u, et il a éli-
miné les nominatifs pluriels en -ove et ne connaît pas l'élar-
gissement de pluriel en -ov-. On voit que, si les différences de
flexion sont grandes entre les langues slaves, elles peuvent
l'être tout autant entre des dialectes d'une même langue.
Pour les alternances, celle de l'a « mobile » est régulière
aussi au génitif pluriel, qui a été recouvert secondairement
par la désinence -â: kàsac « faucheur », gén. kàsca, etc., et gén.
plur. kosâcâ, cak. kôsâc. On a l'alternance nouvelle de l et
o'(§ 15), ainsi pëpeo « cendre », gén. pepela, etc., et, par combi-
naison avec celle de l'a mobile, tùzilac « plaignant », gén.
tùzioca, etc., mais gén. plur. tùzilâcâ. Les alternances des
gutturales, des séries k: c (vocatif) et k: c (nominatif pluriel),
sont rigoureuses en serbo-croate stokavien dans les subs-
tantifs, mais ont disparu dans la flexion des adjectifs. Le
serbo-croate avait étendu à l'instrumental pluriel l'alternance
du type k : c du nominatif et du locatif pluriels : jèzik « langue »,
instr. plur. jezici en serbo-croate ancien, pour v. si. jçzyky;
aussi apparaît-elle dans la langue moderne devant la désinence
nouvelle -ima : jèzicima. Par contre, la désinence -e d'accu-
satif pluriel de l'ancien type mouillé a été étendue au type dur,
sans provoquer l'alternance de la gutturale : jèzike, avec
maintien du -k- de v. si. jçzyky. On a ainsi le jeu régulier
68 LES THÈMES EN -o- [131.1

vàjnïk « soldat », voc. vôjriïëe, nom. plur. vojnici, acc. vojnike,


gén. vojnikâ, loc.-dat.-instr. vojnicima, et ôkrûzi «districts»,
acc. ôkrûge, orasi «noix», acc. orahe, etc. Mais à l'ouest, en
cakavien et en kajkavien, les alternances du type k : c, que
le slovène fait disparaître, se sont très mal conservées.

145. Bulgare. — La flexion a presque complètement


disparu (§ 128) : il n'en subsiste que le vocatif, pour les mas-
culins et les féminins ; et, seulement pour les masculins sin-
guliers désignant des personnes, un cas oblique en -a servant
d'accusatif et de cas construit avec préposition, qui est
l'ancien génitif-accusatif, et qui est en voie de disparition. Il
reste surtout l'opposition du singulier et du pluriel, et il s'est
développé une autre opposition, au singulier et au pluriel,
entre formes avec ou sans article postposé (§ 245), comme en
roumain et en albanais.
: La distinction de l'ancien type dur et de l'ancien type
mouillé subsiste au vocatif, avec une répartition en partie
nouvelle de -e et de -u ; la forme -u, étant toujours inaccentuée,
s'est confondue avec -o des féminins ( § 47) et est écrite ordi-
nairement -o. La distinction a à peu près disparu au nominatif
pluriel en -ove, où -eve ne se rencontre, et avec une variante
-jove, que dans les mots à thème terminé par j. Elle s'accuse
surtout, mais de façon limitée, dans la forme à article postposé
du singulier, où des consonnes mouillées n, /', r', t', durcies
à la finale, ont gardé leur mouillure devant l'article, et où
à -al du type dur répond -jal du type mouillé : grad et gradât
« la ville », krai et krâljat « le roi ».
Le pluriel est en -Ï, mais ordinairement en -ove dans les
thèmes monosyllabiques ; quelques mots présentent un plu-
riel en -é qui continue v. si. -Ije du type en -i-. D'autres
caractéristiques de pluriel se sont, développées, en -ista, en
-ovci; pour les «pluriels seconds» en -a, voir § 214. L'alter-
nance des deux voyelles «mobiles», â et e, joue selon des règles
[146] LES MASCULINS EN -iyo- 69
|
en partie nouvelles. Les alternances des gutturales, i celle du
type k': c devant -e du vocatif, celle du type k: c devant -i
du pluriel, sont régulières, ce qui maintient au pluriel une
différence entre les masculins et les féminins, également en -i,
mais sans alternance des gutturales : uëenik « élève », plur.
ucenici, mais rekâ « rivière », plur. reki.

146. Les masculins en -iyo-. — Le vieux slave présente


une série de substantifs masculins en -ii représentant des
thèmes en -iyo-, de la flexion courante : gén. -ija, etc. Mais -ii
se contractait en -ï, ou passait à -ij en russe (§ 62), tandis que
-ija passait à -ïja, puis -ja, et une flexion -ï, r. -ij, gén. -ja,
devenait anomale.
On trouve en vieux slave nom. sing. -ii, -i, et -ei, c'est-à-dire
-ej, forme analogique à e «mobile » refaite sur gén. -ïja, que
le bulgare conserve. Le russe offre généralement une flexion
nom. -ej, gén. -'ja ou secondairement -eja, avec la forme -ej
de nominatif qu'il a" de bonne heure substituée à -ij. Dans les
autres langues, le nom. -I est assez bien conservé en vieux
tchèque, et paraît s'être maintenu quelque peu en vieux serbe,
mais la désinence disparaît, par normalisation sur gén. -ja,
par passage au type en -yo- ou au type en -i-, ou par élargisse-
ment en -ie, -ïk ou substitution d'autres suffixes. Les traite-
ments sont divers, et il faut suivre l'histoire de chaque mot.
Slavon ulii « ruche » : bulg. ulej « arbre creux, servant de
ruche ou de conduite d'eau », r. ulej, gén. ûl'ja et ulej a ; —
v. tch. ûli, tch. ûl (gén. ùle), pol. ul, slov. ûlj ; s.-cr. ûljevi,
plur., ancien ulj, plur. v. s. ul(i)je avec passage au type
masculin en -i-.
V. si. inii «givre » : bulg. inej, masc., et inja, fém., doublet
qui restitue la flexion nom. inej, cas oblique inja avec préposi-
tion ; r. inej, gén. ineja. Le mot est devenu neutre dans slov.
înje, mais dial. in, s.-cr. Inje, mais ancien inj, tch. jini de
v. tch. jinie, peut-être parce que, comme beaucoup de mots
70 LES THÈMES EN -o- [131.1

désignant une matière, du type v. si. pëny « écume », il avait


un pluriel usuel, et qui était passé au type en -i- à nominatif
pluriel -ïje.
V. si. gvozdii « clou » : bulg. gvôzdej, et aussi gvozd. Avec
ce mot le passage au type en -i- s'accuse dès le vieux slave :
nom. plur. gvozdije pour gvozdii ; d'où r. gvozd', pol. gwôzdz,
s.-cr. ancien gvozd.
V. si. zrëbii «sort» : bulg. zrébij (pour -6e/, mot semi-savant) ;
r. zérebej, gén. zéreb'ja, mais dial. zéreb ; v. pol. zrzeb', s.-cr.
zdrïjeb ; et v. tch. hrëbi « sort » et « clou » — les sorts se tiraient
avec des chevilles de bois — et hrëb de flexion dure, hrëbik avec
élargissement, tch. mod. hreb et hrebik. Pour tch. hf-, voir
§ 32.
V. si. crëvii « soulier » : v. tch. trëvi, mod. (s)lrevîc; v. pol.
trzewic, mod. trzewik, mais polabe sriw (— eriv, de *crevï) ;
r. cerevîk ; bulg. crévik, mais plur. crévi et crève, de *crëvïje
du type en -i-; s.-cr. crëvlja, fém., refait sur plur. crëv(ï)je.
Le mot est sûrement un dérivé de v. si. ërëvo « ventre » (§ 191) ;
le vieux russe a un adjectif cerevii « de cuir » et un pluriel
neutre cerevïja « cuirs » et « chaussures ».
Y. si. rëpii « chardon » : r. repéj « bouton de bardane », gén.
repéja; v. tch. rëpi, mod. repik ; pol. rzep, gén. rzepia, et
rzepik.
Slavon slavii « rossignol » : bulg. slâvéj, r. solovéj, gén.
•>v'jâ; s.-cr. ancien slavic, mais gén. slavja; tch. slavik, pol.
siowik.
V. si. vrabii, vrabei « moineau » : bulg. vrâbej, mais usuelle-
ment vrâbec; r. vorobéj, gén. -b'jâ; s.-cr. vrâbac, tch. vrabec ;
mais pol. wrôbel, ancien wrôbl, polabe wôrble (plur.), h. sor.
vrobl, dont le groupe *-blj- appelle une explication. La conser-
vation sporadique en polonais des groupes du type v. si.
plj (§ 28) apparaît sous la forme de flottements tels que
grable (cf. lit. gréblys) et grabie « râteau », selon que le l a
été senti ou non comme faisant partie du suffixe. Ici, c'est
[146] LES MASCULINS EN -igo- 71
j

secondairement que l a été introduit dans bj-, de -bïj-, des


cas obliques, gén. *vrobja, etc. Il n'y a pas lieu de comparer
directement pol. wrôb(e)l à lit. zvirblis, mais il y a eu, et
parallèlement dans slov. vrâbelj à côté de vrâbec, modification
de la finale et substitution de suffixe.
Slavon nelii « neveu » : v. s. neti (si ce n'est pas un slavo-
nisme), gén. netja, s.-cr. mod. nëljâk (nëcâk); v. pol. niec.
On mettra à part, comme mot trop court pour que le suffixe
ne fasse pas corps avec le radical, v. si. zmii « dragon », bulg.
zmej, r. zmej, gén. zméja, et ukr. zmyj, s.-cr. zmâj, gén. zmâja,
mais slov. zmîj, et tch. zmek, gén. zemka, qui a pris la finale
de ses synonymes smok, drak. D'autres mots du type, dont
on n'a pas la forme vieux-slave ou slavonne, sont supposés
par les formes des langues slaves, ainsi :
*cirïjï « abcès, furoncle» : r. cirej, gén. cir'ja; slov. cîr, cirâj, •
cirjdk, s.-cr. cîr; pol. czyrak, ancien czyrek, gén. czyrka.
*pyrïjï « chiendent »" : r. pyréj; gén. pyr'jâ, bulg. plrej,
pir, slov. pîrje, pirika, s.-cr. plrèvina, tch. pyr, pol. perz de
pyrz. Le mot est un dérivé du nom de l'« épeautre », slavon
pyro, slov. pîr, pira, s.-cr. pir, lit. pûraï « blé d'automne »,
gr. irûpôç « blé », avec lequel il se confond quelque peu dans
les langues slaves.
*rebrïjï «échelle, ridelle» : v. tch. rebri, tch. mod, febrik,
mais dial. zebf. Dérivé de tch. rebro (zebro) «côte».
*surïjï «frère de la femme» : bulg. sûrej, et sùrak, sûrek;
v. pol. szurzy ; v. s. surja et s.-cr. sûra, sùrâk, sùrjâk, mais
aussi plur. sûrevi, et avec des traces en vieux serbe d'une
flexion de thème en - i - ; r. surin, plur. sur'jâ, formes anciennes
en russe, mais sur'jâ, dont sûrin est le singulatif, fait groupe
avec zjal'jâ, pluriel de zjal' « gendre, mari de la sœur », ancien
thème en -i- (§ 169).
*rodïjï «parent» : v. s. rodi (faiblement attesté), s.-cr.
72 LES THÈMES EN -o- [131.1

mod. rôd, qui ne se distingue plus de rôd « parenté », et


rddjâk, rôdâk ; v. r. rodinû et rodicï ; v. tch. rodic, pol. rodzic.
Mais le remaniement des finales rend les restitutions conjec-
turales : il faut admettre pour v. tch. rodic une substitution
à -Te, élargissement de -F, du suffixe à voyelle brève -ic, de
*-ityo-, des diminutifs et des patronymiques. Si les masculins
en *-ïjï tendent à passer au type en -ï, nom. plur. -ïje, v. si.
gvozdii à gvozdï, on trouve le passage inverse de v. si. cruvï
«ver» au moyen-bulgare crûvii, bulg. cérvej (§ 169). D'autre
part, il y avait deux suffixes masculins en v. si. -ii, l'un de
flexion masculine, l'autre thème en -iyâ- de flexion fémi-
nine ( § 155), et ils devaient se mêler plus ou moins. On en est
averti par le flottement de genre dans le slavon mravii
« fourmi », qui a donné des formes masculines, bulg. mrâvej,
r. muravéj altéré de *morov- d'après muravâ « gazon », s.-cr.
mrâv, etc., et des formes féminines, bulg. mrâva, sor. mrovja,
pol. mrôwka, etc.
Le type était largement représenté, et il a accueilli les mots
étrangers comme v. si. Vasilii « Basile », r. Vasilej, gén.
Vasil'ja, v. tch. Juri « Georges », gén. Jufie (mod. Jiri, gén.
Jiri et Jiriho, § 273) ; ou v. si. skorïpii, masc., de gr. orcopirios,
mais qui est traité plus ordinairement comme féminin en -ii.
Les substantifs en *-iyo- du slave doivent être en principe
des adjectifs substantivés : ainsi netii « neveu », dérivé de
*nepôt-, *nept- (§ 35) ; en regard de v. si. zrnii « dragon », il
y a le féminin zmija « serpent » (§ 31).
Pour les adjectifs, très nombreux et dont le type est resté
productif, la flexion v. si. bozii « divin », bozi, bozei, gén.
bozija, bozïja, s'est maintenue, en passant généralement à.
la flexion déterminée (§ 272), avec un nominatif singulier
en -ej en russe, -yj, -ij en ukrainien, -ï dans les autres
langues ( § 62) : r. sam-tretéj « lui troisième », gén. pol-tret'jâ
« deux et demi ». Dans les langues qui ont perdu la mouillure,
l'opposition de nom. masc. -I et de gén. -ja, nom.-acc. neutre
[147], ÉVOLUTION DES NEUTRES 73
i
-je, etc., se transformait en opposition de thème du type dur
et de thème du type mouillé : tretï, neutre tretje. Il y a ' e u
normalisation en slov. trçtji d'après trétje, s.-cr. trêcï comme
trêcë, mais à l'inverse en cak. trëtï, trëtô, bulg. iréti, tréio ;
de v. si. velii « grand », on a s.-cr. dial. vêljt, vêljë, mais cak.
vëlî, vëlô.

Pour le traitement d'un thème en -uyo- dans stryi « oncle


paternel », voir § 62.
En baltique, le lituanien présente des formes en -ijas,
comme medijas « chasseur » ; mais elles sont refaites, et les
thèmes en -iyo- doivent être cherchés dans le type en -y s, avec
une flexion qui ne diffère de celle des thèmes en -yo- du type
en -is (§ 136) qu'au vocatif singulier en -y et par le fait qu'elle
est oxytonée et par conséquent d'accent mobile (§ 216) :
zuklys « pêcheur », gén. zûklio. L'allongement est lié à l'accent,
et il se retrouve sous l'accent dans la forme déterminée des
adjectifs en -is : didis^a grand», déterm. didysis. Mais il doit
avoir son origine dans le type en -iyo-, et dans une contraction,
ou plutôt dans une diphtongaison donnant une intonation
montante en lituanien (§ 105).

147. Évolution de la flexion des neutres. — La flexion


des neutres ne diffère en vieux slave de celles des masculins
qu'au nominatif-accusatif singulier, pluriel et duel. Une autre
différence s'établit dans la plupart des langues slaves au
génitif pluriel, du fait que les neutres gardent la désinence
zéro comme les féminins en -a et n'adoptent pas la désinence
nouvelle -ov des thèmes en -u-, qui par son origine était
essentiellement masculine. On a ainsi dans le type dur :
r. méslo, gén. plur. mesl, comme fém. ryba « poisson », gén.
plur. ryb, et s'opposant à masc. rab, gén. plur. rabôv ; et ukr.
misto («ville»), mist, pol. miasto, miast, tch. mësto, mëst et
slovaque mesto, miest (§ 224), slov. mësto, mëst. Il en résulte
74 LES THÈMES EN -o- [131.1

un développement de l'alternance des voyelles « mobiles »


au génitif pluriel, ainsi r. oknô «fenêtre», gén. plur. ôkon,
pis'mô «lettre», gén. plur. pisern, comme dans les féminins
en -a.
Mais la distinction des genres n'existe plus guère au pluriel
en russe, et -ov s'introduit dans les dialectes au génitif pluriel
des neutres, comme des féminins : r. dial. meslôv. Dans la
langue commune, on a exceptionnellement ôblako « nuage »,
gén. plur. oblakôv, mais ce mot est un ancien masculin, ukr.
ôblak, et son pluriel oblakâ est un pluriel en -â de masculin
( voir ci-dessous). Le polonais a connu aussi à date ancienne
l'extension de -ow au génitif pluriel neutre, et on la trouve
dans la langue vulgaire actuelle, ainsi kopyto « sabot » (et dial.
kopyt, masc.), gén. plur. kopytôw pour kopyt. En sorabe, -ow
est devenu la désinence de génitif pluriel de tous les types
de flexion : mësto, gén. plur. mëslow. En serbo-croate, où il
n'y a pas de désinence -ov de génitif pluriel masculin, la carac-
téristique du génitif pluriel neutre est -â, la même que celle
des masculins et des féminins en -a: mjësto, mjêslâ, cak.
mësto, mêst. •
Les faits sont plus complexes dans la flexion mouillée, où
il y avait deux types différents, en -yo- et en -iyo-, qui se
sont contaminés : le génitif pluriel du type en -yo- était v. si.
(-j)ï, morjï de morje «mer», et celui du type en -iyo- était
v. si. -ii, znamenii de znamenije « signe », d'où -F et r. -ij, -ej.
En russe, les neutres en -e ne se distinguent plus du type
dur, et sous l'accent on écrit licô « visage », pour v. si. lice :
le génitif pluriel est donc lie. Avec les neutres en -'e (slavon -ie),
thèmes en -'/-, et le jeu de Ye mobile, le génitif pluriel est
-ej, ruz'ë « fusil », rûzej, ordinairement écrit -ij avec graphie
slavonne hors de l'accent : kop'ë « lance », cténie « lecture »,
gén. plur. kôpij, clénij. La désinence -ej a été étendue, sous
l'accent, à moréj de more, poléj de pôle « champ »•; et d'autre
part la substitution dialectale de -ev {-'ov) à -ej a été acceptée
[147] ÉVOLUTION DES NEUTRES 75
1
pour certains mots, comme plât'ev de pldt'e « vêtement ». En
ukrainien, où la distinction est réelle des deux types neutres -o
et -e, le génitif pluriel du type mouillé est ordinairement sans
désinence : misce « lieu », mise' ; dans le type en -iyo-, il y
a eu extension de la désinence zéro, ou de la désinence -iv,
de -eu, des masculins en -/ (§ 139) : pytânnja «question»
(§ 148), gén. plur. pytân' et pytânniv. En polonais, on a le
type courant pôle, gén. plur. pol, mais deux types dans les
anciens thèmes en -iyo- : kazanie « sermon », gén. plur. kazan,
zaklçcie « conjuration », gén. plur. zaklçc, avec les substantifs
verbaux, et podziemie « souterrain », gén. plur. podziemi, avec
les dérivés de noms. En sorabe, le génitif pluriel est en -ow
comme dans le type dur : môrjo, gén. plur. môrjow ; au nomi-
natif singulier, -e du type en -yo- est passé à -'o, mais le type
en -iyo- a maintenu -e : dawanje « fait de donner », et h. sor.
dace, b. sor. daée « don », de *datïje, avec une particularité
de flexion, instr. sing. -im en bas sorabe (§ 148). En tchèque,
la forme en -i de génitif pluriel a été généralisée dans tous
les neutres du type mouillé : more, gén. plur. mori, comme
znamenî (v. tch. et slovaque -nie), gén. plur. znameni; le
génitif pluriel sans désinence du type en -yo- ne subsiste que
dans les noms en -istë, gén. plur. -ist' à côté de -isti, et dans
l'isolé vejce «œuf», de vajce (§ 77, § 79), gén. plur. vajee,
en slovaque dans tous les noms en -ce comme en -isle. Le
slovène a la désinence zéro : polje (pôlje), gén. plur. pôlj ;
mais -ij dans des noms en -je comme kopjê (kôpje), gén. plur.
kôpij, qui sont du type à voyelle mobile de pismoA écriture,
lettre », gén. plur. pisem, et où -ij peut présenter un timbre
spécial de la voyelle mobile d (§ 58) devant / plutôt qu'être
remanié d'une désinence en'-i. En serbo-croate, on a -â comme
dans le type dur : p'ôlje, gén. plur. pôljâ, et râskrïzje « carre-
four », gén. plur. râskrïzjâ; très rarement avec insertion d'un
a mobile : kàplje, gén. plur. kopâljâ et kôpljâ, de s.-cr. ancien
kopje, gén. plur. kopaj.
76 LES THÈMES EN -o- [131.1

Les désinences du locatif, du datif et de l'instrumental


pluriels sont comme dans les masculins, et c'est sûrement
du neutre, en raison de son nominatif-accusatif pluriel en -a,
que sont parties les innovations du russe et d'autres langues :
en russe loc. -ax, dat. -am, instr. -ami, dans le type dur et
dans le type mouillé.
Le russe, avec sa confusion des genres au pluriel, présente
d'une part des nominatifs pluriels masculins en -â (§ 138),
de l'autre des nominatifs pluriels de neutres en -y, -i, du type
des masculins et des féminins : derevcô « arbuste », plur.
derevcy pQur derevcâ; surtout dans des augmentatifs en -isce
comme domîsce « grande maison », plur. domisci, et dans des
noms en -ko comme jâbloko « pomme », plur. jdbloki. Mais
ôblako « nuage », plur. oblakâ, est traité au pluriel comme
masculin. Dans koléno « genou », pleëô « épaule », plur. koléni,
pléci, il s'agit d'une survivance du duel (§ 214).

148. Les neutres en - i y o — L'importance du type est


grande, en raison de la productivité du suffixe -ïje. On a vu
l'histoire de son génitif pluriel en v. si. -ii, mais l'évolution
du type présente d'autres particularités.
Dans les langues septentrionales, des groupes comme -ïje
ont donné des diphtongues longues (§ 62) : on a ainsi v. tch.
znamenie, gén. -nie, dat. -niû, etc., tch. mod. znameni à ces trois
cas, en regard de v. tch. more, gén. morë, dat. moru, etc., tch. mod.
more, gén. more, dat. mori, etc. Le slovaque a znamenie, gén.
-nia, en face de more, gén. mora; au nominatif-accusatif
pluriel, la longue de znamenia a été généralisée dans tous les
neutres avec adaptation en -â aux thèmes durs : moria ou
mord, et delà de delo « œuvre ». Le vieux polonais avait de
même des longues, qui ont donné des voyelles fermées, nom.-
acc. -é, gén. -'â, dat. -'û, etc., et ces voyelles fermées se sont
maintenues longtemps et sont conservées dialectalement :
5
[148] LES NEUTRES EN -igo- 77

kachoube zycé, zyci « vie », gén. zyco, distinct de pôle, gén.


pola, mais pol. mod. zycie, zycia, comme pôle, pola.
Un traitement analogue se retrouve, dans le domaine
méridional, en cakavien : zeli et zéljl «chou», gén. zelâ et
zéljâ, dat. zelû, instr. zelln, en face de s.-cr. zêlje, zêlja, zêlju,
zêljem. Il est clair que -ïje a donné en cakavien une diphtongue
longue d'intonation montante nouvelle ( § 1 0 5 ) , qui s'est
confondue avec ë long en passant à f (§ 51), mais qu'il n'en
a pas été de même pour -ïja, -ïju, .où l'accent, qui portait
sur le jer, a donné un accent de recul sur la syllabe précédente
(§ 102), et il faut restituer une flexion zeli, gén. zélja, avec
des normalisations comme dans le cas de trëiï, fém. trëtjâ
(§ 146). Le flottement des deux suffixes v. si. -ïstvo et -ïstvije,
tch. -stvo et -stvi, a donné en cakavien -stvô avec la longue de
-stvï: bogàstvô «richesse» et bogàstvï, instr. bogàstvïn. Du
collectif kameni, le pluriel secondaire kamenâ est devenu le
pluriel de kàmën « pierre », et il y a eu extension du nomi-
natif-accusatif pluriel 'en -à, comme en slovaque, mais seule-
ment dans les types analogues au type kamenâ: ïme, plur.
imenâ, nëbo, plur. nebesâ.
A l'instrumental singulier, en regard de -omï et -umï du type
dur, -(j)emï et -(j)ïml du type en -yo- (§ 161), la désinence du
type en -iyo- était -ïjemï et *-ïjïmï. En vieux slave, la désinence
-iimï, d'où -imï, à côté de -ïjemï, doit s'expliquer par une
assimilation de timbre (§ 81). Mais dans les langues du groupe
septentrional on avait *-ïjïmï, qui se contractait en -ïm:
v. tch. znamenim, et de même tch. mod. et slovaque ; v. pol.
-im, mais remplacé de bonne heure par -iem de la langue mo-
derne. En sorabê, le bas sorabe conserve -im : dawanje, daée,
instr. sing. dawanim, dasim, mais h. sor. -njom, dacom.
A l'instrumental pluriel, la désinence était v. si. -ii: zna-
menii; mais on trouve une forme nouvelle znameniimi, -nimi,
par addition à -ii de la finale casuelle -mi des autres types
de flexion ; et plus tard, en moyen bulgare et en slavon russe,
78 LES THÈMES EN -o- [131.1

une forme znamenmi. Cette dernière forme a été celle du vieux


polonais : pokolenmi de pokolenie « génération », en liaison
avec l'innovation gén. plur. kazaii de kazanie; mais elle a
disparu devant pokoleniami, r. pokolén'jami.
En regard de r. -'e, instr. sing. -'em, l'ukrainien présente
-ja, instr. -jam, avec gémination de la consonne précédente
( § 24) : zylljà « vie », instr. zyttjâm. Cette désinence -ja est
prise aux types en -çt- et en -mç, teljâ « veau », instr. ieljâm
(§ 207).
CHAPITRE III

LES THÈMES EN -A-

149. Flexion générale. — Le type comprend en slave la ma-


jorité des substantifs féminins, avec une catégorie importante
de masculins (§208), et la totalité des adjectifs féminins. Voici
les flexions comparées d'un substantif du type dur en litua-
nien, en vieux slave et en russe, lit. galvà «tête », v. si. glava,
r. golovà:
lituanien vieux slave russe.
Sing. N. galvà y - glava golovà
A. gâlvq glavç gôlovu
G. galvôs glavy golovy
L. galvojè glavë golové
D. gdlvai glavë golové
I. gâlvq glavojg golovôj
Y. galvà glavo
Plur. N. gâlvos glavy golovy
' A. gâlvas glavy golovy
G. galvy. glavù golôv
L. galvosè glavaxu golovâx
D. galvôms glavamu golovâm
I. galvomis (-ôms) glavami golovàmi
Duel N.-A. gâlvi glavë
G.-L. glavu
D. galvôm
glavama
I. galvôm
80 LES THÈMES EN -o- [131.1

La désinence -ë du locatif-datif singulier et celle du nomi-


natif-accusatif duel entraînent l'alternance des, gutturales
précédentes (§ 18) : v. si. mçka «tourment», mgcë, sluga
« serviteur », sludzë, adj. suxa « sèche », susë; duska « planche »,
dustë, drçzga « bois », drçzdë.

150. Les désinences. — Le type en -â- représente un type


suffixal qui a servi à caractériser le féminin en face des thèmes
en -o-, et qui fournit d'autre part le nominatif-accusatif
pluriel des neutres en -o-; mais le hittite, qui ignore le genre
féminin (§ 123), ne l'atteste pas, et on n'en reconstitue pas
la forme primitive. On voit seulement que le type en -â-
a ses parallèles dans d'autres types à voyelle longue, -û- en
regard.des thèmes en -«-.(§ 159), et -ï- qui a été sûrement
en regard des thèmes en -i- (§ 154). Gomme il y a de même
des nominatifs-accusatifs pluriels neutres en -&, en -û et en -ï,
et en skr. -i dans la flexion athématique (§ 135), on est
amené à imaginer à l'origine un type suffixal en *-h et une
ancienne flexion athématique de thèmes en *-h-, *-ah-, *-uh-,
*-ih-, dont le hittite fournit en effet un exemple : (i)skaruh
«vase à vin », dat. (i)skaruhi.
Singulier. — Nominatif : si. -a d'intonation rude (§ 99),
lit. -a de -o (gerà «bonne», déterm. gerô-ji), v. pr. -â, -o, de
i.-e. *-â, gr. -5, -rj, skr. -â, etc.
Accusatif : si. -ç, lit. -q, lette -u, v. pr. -an, de i.-e. *-àm,
*-ân, gr. -5v, -r|v, skr. -âm, etc. La caractéristique *-m, *-n
du genre animé (§ 135) a été ajoutée au thème, mais l'into-
nation du grec -écv, -r)V diffère de l'intonation douce qu'indique
le balto-slave (§ 99). Il est vrai que le mouvement d'accent
qui suppose cette intonation douce pourrait être d'autre
origine (§ 216); sous l'accent, une forme lit. « celle-là »,
s'opposant à instr. tq d'intonation rude, peut être à l'imitation
du masculin acc. tq, instr. tûo. ':
Génitif : si. -y, en regard de lit. -os, sous l'accent -ôs d'into-
[150] LES DÉSINENCES 81
}
nation douce, lette et v. pr. -as, qui représente i.-e. *-âs,
gr. -as, -fis sous l'accent, got. -os, etc., et l'intonation douce
du lituanien et du grec indique une contraction du thème
en -â- et de la désinence *-es de génitif. Mais si. -y ne peut
pas répondre au baltique *-âs, qui aurait donné *-a, et il faut
admettre, d'après la forme v. si. ~(j)ç de la flexion mouillée
(§ 151), que la substitution au nominatif pluriel *-âs de *-âns,
-y de l'accusatif pluriel a été étendue à *-âs du génitif singulier,
avec l'analogie des thèmes féminins en -i- à génitif singulier
et nominatif-accusatif pluriel en -i (§ 86).
Locatif : si. -é, forme mouillée ~(j)i, représentant *-âi
d'intonation rude, d'après le mouvement d'accent du serbo-
croate (§ 99), mais ce mouvement d'accent peut être-analo-
gique de celui des locatifs des thèmes en -u- et en -i-. En bal-
tique, le lituanien a -ai-, de *-âi ou *-ai, devant la postposition
-p fi), v. lit. mergai-p « chez la jeune fille »; et -oj- dans -oje,
avec addition de la caractéristique générale -e (§ 178), puis
des réductions de -oje à -oj, -o, lette -â. Mais -oje peut être
analogique de loc. plur. -ose, et il ne garantit pas sûrement
un baltique *-âi. Dans les autres langues, v. lat. -ai (Romai
« à Rome », puis Bomae) ne renseigne pas davantage sur la
quantité de la diphtongue ; en grec, les vestiges du locatif
en -ai, -a, ne se distinguent plus du datif, et le problème des
adverbes en -ai est obscur ; en indo-iranien, on a des formes
élargies, av. -ây-â, skr. -ây-âm, 'mais à côté du datif av. -ai.
Il n'est donc pas sûr que la désinence indo-européenne ait
été *-âi plutôt que *-ai. Dans l'hypothèse d'un thème en
*-ah-, elle aurait dû être *ai-, de *-ahi, avec la caractéristique
*-i du locatif, mais' pouvant passer ensuite à *-âi par géné-
ralisation du thème nouveau -â-. La même incertitude sur
la quantité de la diphtongue se retrouve avec la désinence
de duel'*-ai des féminins en -â-, du même coup des neutres
(§ 135).
Datif : si. -ë, avec forme mouillée ~(j)i, d'intonation douce ;
82 LES THÈMES EN -â- [154]:

lit. -ai, sur l'accent lal « à celle-là » lette -ài restauré, pour
-i, d'après la flexion pronominale ; v. pr. -ai. De i.-e. *-ài,
gr. -ai, -rii, sous l'accent -a:, -rj, skr. -ai, etc. L'intonation
douce indique une contraction du thème et de la caractéris-
tique *-ei du datif.
Instrumental : si. -ojç, désinence prise à la flexion prono-
minale (§ 228), et substituée à -Q qui est conservé dans la
flexion déterminée de l'adjectif (novç-jç, § 265), et dans la
désinence -ïjç des thèmes féminins en -i- (§ 165), peut-être
aussi en vieux slave dans la flexion des thèmes en -iyâ-
( § 153). En baltique, on a lit. -q, sous l'accent -q, gerq-jq « par
la bonne », distinct de l'accusatif par son intonation rude ;
lette -u, et v. pr. -an qui n'est plus discernable de l'accusatif.
La désinence indo-européenne était *-â: véd. -â et skr. -yâ
dans le type en -yâ-, gr. -â, -ri dans des adverbes (-ri sous
l'accent, ainsi Kpucprj « en cachette », mais par confusion avec
le datif en -rj) ; le sanskrit et l'iranien lui ont substitué -ayâ
de la flexion pronominale, comme le slave -ojç à -ç. La dési-
nence *-ân du balto-slave doit être réduite de *-âmi (§ 89),
avec superposition à *-â ou addition au thème en -â- de la
caractéristique -mi de l'instrumental singulier, comme en
italique de -d de l'ablatif singulier du type en -o- (v. lat. -âd,
ablatif-instrumental).
Vocatif : si. -o ; lit. -a, qui se distingue de nom. -a en ce
qu'il peut tomber : môtyna « mère », voc. môtyn, et qui tombe
en lette : siëva « femme », voc. siev ; gr. -a, s'opposant, dans
quelques cas seulement, à nom. -5c, -ri; ombrien -a, en regard
de nom. -u de *-â. La distinction, nette en slave, de nom.
*-â et de voc. *-a, est brouillée en grec, et perdue en latin ;
l'indo-iranien a, sauf une trace douteuse en sanskrit, éliminé
le vocatif féminin en *-a, qui se confondait avec le vocatif
masculin en -a de *-e, et il lui a substitué le vocatif en -e,
de *-ei, des thèmes en -i-. Le développement du vocatif est
nouveau dans le type en -â-, qui formait des abstraits et des
[150] LES DÉSINENCES 83
i
collectifs. On observe que l'abrègement de la voyelle au
vocatif a son parallèle dans la flexion athématique, gr. nriTrçp
« mère », voc. urj-rsp (mais si. mati, § 178), et qu'il se retrouve
en sanskrit dans les thèmes féminins en -yâ- à nominatif -ï,
voc. -i (mais non en slave, § 154), et dans les thèmes féminins
en *-u-, voc. -u (mais non en slave, § 200).

Pluriel. — Nominatif : si. -y, en regard de lit. -os, sous


l'accent iôs « celles-là », lette -as, v. pr. -as, -os ; de i.-e. *-âs,
osco-ombrien -as, skr. -âh, got. -os, produit de contraction
du thème en -â- et de la caractéristique *-es de nominatif
pluriel. La désinence du slave est celle de l'accusatif pluriel,
comme on le voit par la forme du type mouillé, v. si. ~(j)ç.
Accusatif : si. -y, en regard de lit. -as d'intonation rude,
sous l'accent -às, gerâs-ias « les bonnes », lette -as, v. pr. -ans.
La forme slave dérive de *-âns.(§ 88), mais le letto-lituanien
suppose *-âns et *-âs : *-âns, ainsi dans la flexion de l'adjectif
déterminé v. lit. -ans-es, lit. -âs-ias, -âs-es, de -qs, et non -os- ;
*-âs, ainsi v. lit. rankos-na « dans les mains », lette -as.
Dans les autres langues, en trouve skr. -âh, av. -â, got. -os,
de *-âs, mais gr. -avç, -cas, -as, de *-âns, et l'italique a lat.
-âs, mais osque -ass, ombrien -af, de *-âns. On voit donc un
grand flottement entre *-âns et *-âs. La forme primitive
était *-âns, avec addition au thème en -â- de la caractéristique
*-ns de l'accusatif pluriel, mais le groupe s'altérait en indo-
européen de même que *-ons dans le type en -o- (§ 132), et
il a été restauré par l'analogie. Le balto-slave a connu le
flottement de *-âs et de *-âns, et c'est ce flottement qui
permet de comprendre en slave l'extension de *-âns, -y, au
nominatif pluriel et au génitif singulier en *-âs ; la différence
des intonations, rude à l'accusatif pluriel, douce aux autres
cas en lituanien (§ 216), apparaît abolie en slave, où la dési-
nence d'accusatif pluriel n'attire pas l'accent (§ 220). La
- confusion du nominatif et de l'accusatif pluriels est devenue
84 LES THÈMES EN -â- [154]:

complète en slave dans les thèmes en -â-, cdmme en lette :


nom.-acc. -as, et à la différence du lituanien : nom. -os, acc.
-as, sous l'accent tôs, acc. tâs, tàs, mais aussi dial. tôs. Elle a
été généralisée par le slave dans tous les types de flexion des
féminins, en -i- (§165) et athématiques (§ 179). Au contraire,
dans les masculins, l'emprunt balto-slave à la flexion prono-
minale de la désinence *-ai de nominatif pluriel rendait solide
la distinction du nominatif et de l'accusatif.
Génitif : si. -û, en face de lit. -il, sous l'accent d'intona-
tion douce, lette -u. Ce sont les désinences communes à tous
les types de flexion en slave d'une part, en baltique de l'autre,
et le problème de la divergence entre si. -û, de *-on, et lit.
-q, de *-5n, est général (§ 132). Il est d'autant plus accusé,
ici qu'un génitif pluriel v. si. glavu a l'aspect d'une forme
dérivée en -o-, du genre de triglavu « à trois têtes », r. triglâvyj,
bâtie sur le radical et indépendante du thème en -â-. Ailleurs,
on trouve go t. -5, qui confirme l'intonation douce du lituanien
et la contraction en i.-e. *-ôn, *-5m du thème en -â- et d'une
désinence *-§n, *-Ôm ; et surtout des désinences refaites qui
restaurent le thème, lat. -ârum et gr. -àcov, skr. -ânâm et v. h.
a. -ôno.
Locatif : si. -axu, répondant à v. lit. et dial. -osu, lit. -ose,
lette -âs, skr. -âsu, avec la caractéristique *-su du locatif
ajoutée au thème en -â-. La forme -xu du slave est analogique
(§10, § 132), pour *-su.
Datif : si. -amu, lit. -orn(u)s, vieux-lette -âms, et v. pr.
-amans avecla finale -ans de l'accusatif pluriel. C'est la carac-
téristique générale du datif pluriel, si. -mû, etc., jointe au
thème.
Instrumental : si. -ami, lit. -omis, vieux-lette -âms, égale-
ment avec la caractéristique générale du cas, si. -mi, etc.
Duel. -— Nominatif-accusatif : si. -ë. dans le type mouillé
~(j)i; lit. -i, traité comme finale d'intonation rude, et abrégé
[151] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 85
|
de -ie d'après les formes des adjectifs, geri, déterm. gerie-ji.
L'intonation rude n'est pas assurée en slave par le mouvement
d'accent du slovène dans le type gôra « montagne » ( = r. gorâ),
plur. gorê ( = r. gàry), duel gôri de *gorï, non plus que par
l'accentuation d'anciens duels comme bulg. racé « mains »
(§ 220). On ne peut pas faire davantage état, dans le sens
opposé, du féminin r. ôbe «les deux», s. -cr. ôbje (§ 303), avec
un masculin r. ôba, s.-cr. ôba, contraire à la loi de Saussure.
En lituanien, -i d'intonation rude pourrait être pris au type
en -i- et au type athématique, où la désinence représente i.-e.
*-F (§ 165). On restitue une désinence balto-slave *-âi, mais
la diphtongue longue n'est pas garantie, et c'est une diph-
tongue brève qu'on trouve dans les seules autres langues qui
attestent la désinence, le sanskrit et l'iranien : -e, de *-ai.
Il est d'ailleurs plausible qu'une désinence *-ai soit devenue
secondairement *-âi souS l'action du thème en -â-. Le pro-
blème est le même pour le nominatif-accusatif duel des
neutres en -o- (§ 135).
Génitif-locatif : si. -u, voir § 133.
Datif-instrumental : si. -ama, lit. -om, avec la caractéristique
générale du cas, si. -ma, lit. -m, et la distinction en lituanien,
peut-être plus théorique que réelle dans cette flexion, d'un
datif -om et d'un instrumental -ôm d'après le pluriel, dat.
-ôms, instr. -ôms.

151. Flexion du type mouillé. — En baltique, le groupe


jâ passait régulièrement à ë après consonne (§ 78). Il y a eu
ainsi constitution d'un type en -ë-, lit. -ê, gén. -e's, lette -e, gén.
-es, v. pr. -e, -i, gén. -is, parallèle au type en -â-, et qui en
représente la forme mouillée. IL répond au type en -(j)â- du
slave, ainsi dans les emprunts : r. nedélja « dimanche », lit.
nedëlê (et -lia), v. pr. nadele (lette nedëja). Ce type est vivant
et productif, mais la flexion sur thème -jâ- se maintenait
après voyelle, type lit. gijà « fil », gén. gijôs, du radical
86 LES THÈMES EN -â- [154]:

balto-slave *gï-, s.-cr. zlca, et elle a été restaurée après


consonne en raison de son parallélisme avec la flexion mascu-
line lit. -is (et -ias, §136), gén. -io: lit. galià pour gale
« puissance », de galëli « pouvoir » près, galià.
Les faits ont été les mêmes en slave, où ja passait à ë après
consonne, et le vieux slave glagolitique, qui n'a qu'un signe
pour ë et pour ja, conserve l'opposition du type dur en -a-
et du type mouillé en -ë-. Mais il la conserve sous une forme
déjà très remaniée. En baltique, ë est une voyelle mouillée
qui n'altère pas la consonne précédente, et c'est un principe
général dans le jeu des alternances consonantiques que
l'alternance n'apparaît pas devant e ( § 154) ; il n'y a alternance
de la consonne qu'au génitif pluriel, où l'élément / de l'ancien
thème -jâ- se maintenait dans la désinence *-jôn: lit. sventè
« fête », gén. plur. svenci%. En slave, l'alternance de la consonne
a été généralisée à toutes les formes, et c'est elle qui est
devenue caractéristique du type mouillé : lit. zëmè « terre »,
mais v. si. zemljë, avec un seul reste de la forme non palata-
lisée dans le locatif-datif zemi à côté de zemlji (§ 28). La
voyelle ë ne représente plus qu'une variante de prononciation
de a après consonne mouillée, et qui disparaît dans le cas
des durcissements de consonne (§ 22). Le vieux slave et les
langues slaves généralisent a dans le type mouillé, et v. si.
zemljë passe à zem(l)ja, r. zemlja, etc., sauf en tchèque.
On comparera la flexion d'un mot lituanien, zëmè (lette
zeme, v. pr. semmë, same), et d'un mot slave en vieux slave
sous deux formes, dusë et dusa « âme », en vieux tchèque,
dusë, et en russe moderne, dusâ:
Lit. v. si. v. tch. russe
Sing. N. zëmè dusë, dusa dusë dusâ
A, zëmç dusç dusu dusu
G. zèmès dusç dusë dusi
L. zèmèje dusi dusi dusé
[151] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 87

Lit. v. si. v. tch. russe


D. zëmei dusi dusi dusé
I. zemç dusejç dusu dusôj(u)
V. zëmè duse , duse
N. zëmès dus g dusë dusi
A. zemès dus g dusë dusi
G. zëmiy. dusï dus dus
L. zëmëse dusëxù, dusaxu dusiech dusàx
D. zêmêms dusëmû, dusamiï dusiem dusdm
I. zëmêmis dusëmi, dusami dusëmi dusâmi
N. -A. zemi dusi dusi
G.--L. dusu dusu
D. -I. zëmëm dusëma, dusama

En vieux slave, l'alternance de -a- du type dur et de -é-


du type mouillé, au nominatif singulier, au locatif, au datif
et à l'instrumental" pluriels et au datif-instrumental duel,
ne se conserve que partiellement, et comme fait devenu plus
orthographique que phonétique. La glagolite écrit régu-
lièrement -é- après voyelle, type vyë «cou», mais vyja dans
la cyrillique ; après. chuintante ou c, une graphie dusë est
rare, et la glagolite a dusa comme la cyrillique. Les alternances
sont régulières entre voc. -o, instr. sing. -ojç, loc.-dat. sing.
et nom.-acc. duel -é, gén. plur. -û du type dur, et -e, -ejç, -i,
-ï du type mouillé. A l'accusatif singulier,~(j)ç est analogique
de -ç du type dur (§ 79), en regard de *-ën du baltique, lit. -g,
lette -i (de -ie), v. pr. -in. Au génitif singulier et au nominatif-
accusatif pluriel, en face de -y du type dur, il y a désaccord
entre les langues méridionales, qui présentent une désinence
-g, et les langues du groupe russe et du groupe septentrional,
qui attestent -ë: v. si. dusç, en serbo-croate nom.-acc. plur.
dûse (gén. sing. dûsë de -o}g, § 152),.en slovène dûse et sous
l'accent nom.-acc. plur. gorê « montagnes » avec -g.non nasal,
88 LES THÈMES EN -â- [154]:

mais issu de -g (§ 66) ; — et v. r. dusë, ukr. dusi (gén.), dûsi


(nom.-acc. plur.), pol. dusze (nom.-acc. plur.), polabe -e (plur.
witzé « brebis », pol. oœce), sorabe duse. Cette divergence
est celle du traitement d'une finale *-yâns d'accusatif plu-
riel (§ 88), et elle est la même à l'accusatif pluriel des masculins
en -yo- (§ 136).

Les noms en -ca et -dza, à semi-occlusives mouillées issues


de la seconde palatalisation des gutturales (§ 18), ont été
entièrement assimilées au type mouillé, comme les masculins
en -cl et -dzi : ainsi v. si. polïdza « profit », gén. sing. polïdzç,
loc.-dat. polïdzi; mais secondairement, comme le montre
la forme fixée lïdzë « (il est) permis » (§ 19).

152. Évolution de la flexion. — Bien moins exposée que


celle des masculins en -o- à des contaminations avec d'autres
types flexionnels, la flexion des thèmes en -â- s'est généra-
lement bien conservée, sauf à la désinence lourde d'instru-
mental singulier en -ojç, qui devait se contracter dans toutes
les langues en dehors du russe ( § J81). -En vieux slave, faute
de données sur la quantité des voyelles, les derniers vestiges
dé la désinence antérieure -Q (§ 150) ne sont plus discernables
de la forme nouvelle en -Q long contractée de -ojç.
En russe, la substitution est récente de -oj à -oju, que la
langue littéraire s'est efforcée de conserver, et elle se retrouve
dans la flexion pronominale (§ 234), où elle prend l'aspect
d'une confusion des cas obliques du féminin singulier. Il n'y
a plus d'opposition réelle entre flexion dure et flexion mouillée,
mais une même flexion sur thème dur ou mouillé : gén. sing.
et nom.-acc. plur. -y, -i, avec prononciation -y après consonne
dure (dus$, dûsy, écrit dusi, dûsi), et -i après une consonne
mouillée (pûli de pulja « balle », sobâki de sobdka «chien»,
§ 23) ; instr. sing. -oj, -ej (pûlej), avec prononciation -a/'
après consonne dure, -ïj après consonne mouillée, et sous
[152] ÉVOLUTION DE LA FLEXION 89
(
l'accent même prononciation -ôj, -ëj (zemlëj=zeml'ôj). Le
système vieux-russe gén. sing. et nom.-acc. plur. -y, loc.-dat.
sing. -ë, dans le type dur, et gén. sing. et nom.-acc. plur. -ë,
loc.-dat. sing. -i, dans le type mouillé, a été unifié en gén.
sing. et nom.-acc. plur. -y, -i, loc.-dat. sing. -ë, -e, non sans
variantes dialectales, et un bon nombre de parlers présentent
un génitif-locatif-datif singulier en -ë, -e, d'autres en -y, -i.
Le génitif pluriel a régulièrement la désinence zéro, sauf
quelques rares formes en -ej, comme masc. djâdja « oncle »,
gén. plur. djâdej, avec la désinence des thèmes en -i-, ou celle
du type en -iyâ- (§ 153). Dans les dialectes, la désinence -ov
des masculins s'est étendue aux féminins comme, aux
neutres (§147) : knlga «livre », gén. plur. knig, dial. knigov ;
et il y a aussi extension de la désinence -ej : dusâ, gén. plur.
dus, dial. duséj. Une autre influence, plus curieuse, d'un type
flexionnel voisin apparaît avec les mots à finale -nja précédée
de consonne, dont le génitif pluriel est en -en du type dur,
s'il est inaccentué : pêsnja «chant», gén. plur. pésen; le fait
est ancien, du xvi e siècle pour le moins, et à l'imitation des
génitifs pluriels en consonne dure de la flexion des thèmes
consonantiques, sâzen' «toise», gén. plur. sâzen (§ 183). La
distinction du sous-genre animé et du sous-genre inanimé
a été introduite au pluriel (§126) : sobâka « chien », nom. plur.
sobâki, gén.-acc. sobâk. L'alternance des gutturales est perdue:
loc.-dat. sing. sobâke. Celle des voyelles « mobiles » joue au
génitif pluriel : skâzka « conte », tjur'mâ « prison », gén. plur.
skâzok, tjûrem.
En ukrainien, l'opposition du type dur, instr. -oju, voc. -o,
et de l'ancien type mouillé, instr. -eju, voc. -e, reste nette.
Le locatif-datif en -i, de v. r. -ë, a été étendu au type mouillé,
mais au génitif singulier et au nominatif-accusatif pluriel
la distinction est conservée entre -y du type dur et -ï, de v. r.
-ë, du type mouillé' :- duëâ, gén. et loc.-dat. dtisi, instr. dusêju,
nom.-acc. plur. dusl, en regard de holovâ, gén. holovy, loc.-
90 LES THÈMES EN -â- [154]:

dat. holovi, instr. holovôju, nom.-acc. plur. hôlovy. On observe


au génitif pluriel une certaine extension de -iv, comme de -ov
en russe dialectal : ordinairement dusâ, gén. plur. dus, mais
xâta «maison», gén. plur. xativ. L'alternance des gutturales
est maintenue au locatif-datif singulier : knijzkq « livre »,
knyzci, en face de r. knizka, knizke.
En polonais, l'instrumental singulier est en -q, indiquant
une ancienne longue de contraction, et s'opposant à l'accu-
satif singulier en -g. Au locatif, au datif et à l'instrumental
pluriels, il y a eu unification entre la flexion des féminins et
celle des masculins et des neutres, sous les formes loc. -ach,
instr. -ami, mais dat. -om. Le type mouillé se caractérise par
loc.-dat. sing. -i, nom.-acc. plur. -e, en face de loc.-dat. sing. -e,
nom.-acc. plur. -y du type dur. Il présente d'autre part au
génitif pluriel, dans un bon nombre de mots, une désinence -i,
tandis que le type dur a toujours la désinence zéro ; cette
désinence -i est semblable à celle des féminins en -i-, mais elle
est prise plus directement à la flexion des féminins en -iyâ-
et résulte d'une confusion entre les deux types en -yâ- et
-iyâ- (§ 153). Aux autres cas, la flexion dure et la flexion
mouillée ne se distinguent pas : voc. -o et -io, etc. ; le génitif
singulier en -y du type dur a été généralisé, en prenant la
forme -i après consonne mouillée. Ainsi glowa « tête », thème
glow-: acc. glowe, gén. glowy, loc.-dat. ylowie, instr. glowq,
voc. gtowo, nom.-acc. plur. glowy, gén. glôw, loc. glowach,
dat. glowom, instr. glowami; et glçbia «profondeur», thème
glçb'- : acc. glçbiç, gén. glçbi et loc.-dat. glçbi, instr. glçbiq, voc.
glçbio, nom.-acc. plur. glçbi, gén. glçbi, loc. glçbiach, dat.
glçbiom, instr. glqbiami.
Pour le type spéciaLnom, sing. bogini « déesse », voir § 156.
On trouve, comme en russe, et également depuis le x v i e s.
au moins, des génitifs pluriels en -en à finale dure de subs-
tantifs en -nia : kuchnia « cuisine », gén. plur, kuchni et kuchen.
Pour la flexion de pluriel des masculins en -a, voir § 208.
[152] ÉVOLUTION DE LA FLEXION 91

L'alternance des gutturales se maintient au locatif-datif


singulier : ksiqzka «livre», ksiqzce, liga « ligue », lidze, mucha
«mouche», musze; et le polonais ajoute ses alternances
propres : woda « eau », wodzie, gra « jeu », grze, etc. Au génitif
pluriel, on a l'alternance de l'e «mobile» : Iza «larme», lez;
et les alternances polonaises o: ô, ç: q: noga «pied», nôg,
rqka «main», rqk. Au locatif-datif singulier, il subsiste des
restes de l'alternance 'a: 'e (§ 51) : wiara «foi», uiierze.
En sorabe, l'instrumental singulier est en - u ; le vocatif est
perdu, en haut sorabe comme en bas sorabe. Le génitif pluriel
en -ow a été généralisé dans les féminins comme dans les
neutres ; et de même le génitif duel nouveau b. sor. -owu, et
le locatif-datif-instrumental b. sor. -oma, h. sor. -omaj (§ 141),
qui s'est écarté du pluriel, loc. -ach, dat. -am, instr. -ami. La
flexion mouillée oppose ses désinences gén. sing. et nom.-
acc. plur. -e, loc.-dat. sing. et nom.-acc.-duel -i, à celles ^de
la flexion dure, gén. sing. et nom.-acc. plur. -y, loc.-datif
sing. et nom.-acc. duel -je. Les alternances consonantiques
subsistent au locatif-datif singulier et au nominatif-accusatif
duel du type dur : ruka, ruce, pëta « talon », b. sor. pëse.
En tchèque, l'instrumental singulier est en -ou, v. tch. -û,
en regard de l'accusatif en -u ; le slovaque -ou, analogue au
vieux serbo-croate -ovï (voir ci-dessous), est pris à la flexion
pronominale (§ 235). Pour la flexion des masculins en -a,
voir § 208. On a l'alternance des gutturales et l'alternance
r : r au locatif-datif singulier : synagoga «synagogue», syna-
goze, moucha «mouche», mouse, vira «foi», vire ; celle de l'e
« mobile » au génitif pluriel, et des alternances de quantité,
et de là de timbre, a: â, ë: i, o: â, u: ou, dans le cours de la
flexion d'une partie des mots ( § 224) : vira, instr. sing. vërou,
gén. plur. vër, etc. Mais le trait le plus notable du tchèque est
l'écart qu'il a développé entre le type dur et le type mouillé :
au singulier hlava « tête », voc. hlavo, gén. hlavy, loc.-dat.
92 LES THÈMES EN -â- [154]:

hlavë, instr. hlavou, et duse « âme », voc. et gén. duse, acc. et


loc.-dat. dusi, instr. dusi ; au pluriel nom.-acc. hlavy, gén.
hlav., loc.. hlavâch, dàt. hlavâm, instr. hlavâmi, et nom.-acc.
duse, gén. dusi, loc. dusich, dat. dusim, instr. dusemi. C'est
la conservation de l'état vieux-tchèque (§151), mais aggravée
par le passage de -'u (acc.),- 'à (instr.), à -i, -i (§ 55). Au génitif
pluriel, la désinence courte se maintient en partie, ainsi
ulice «rue», gén. plur. ulic; mais plus ordinairement elle
est remplacée par -i du type en -i- et de l'ancien type en -iyâ.
Il en résulte que le type mouillé en tchèque n'a plus de rapport
avec le type dur en -a, et il est tout proche au contraire du
type flexionnel en -i-, nom.-acc. kost « os », gén.-Ioc.-dat.
kosli, instr. kosti. Il en subit l'influence, et nom. et voc.
zemë « terre », acc. zemi, passe à nom.-acc. zem, voc. zemi
(langue parlée zem) d'après nom.-acc. kost, voc. kosti (langue
parlée kost'). On aboutit à trois types parallèles de flexion
mouillée des féminins, nom. zemë, acc. zemi, gén. zemë, nom.-
acc. zem, gén. zemë, et nom.-acc. kost (langue parlée kost', § 21),
gén. kosti, et à un grand flottement entre les trois types. Le
slovaque, qui conserve acc. -u et instr. -ou dans la flexion,
mouillée, a maintenu le contact avec la flexion dure et res-
tauré -a- dans nom. dusa, loc. plur. dusiach, dat. dusiam,
instr. dusami, mais il n'en connaît pas moins le flottement
avec la flexion en -i- et le type mixte nom.-acc. zem, gén. zeme.
En serbo-croate, l'instrumental est en -om dans la langue
commune ; dialectalement, ainsi en cakavien, on a -û, secon-
dairement -un (de -û-m), en regard de -u à l'accusatif. La
désinence -dm, analogique de -om des thèmes en -o-, succède
à v. s.-cr; -ovï, représentant -5v, qui ne peut pas répondre
directement à v. si. -ojç, et qui est sûrement pris à la flexion
contracte de certains pronoms et des adjectifs (§ 236). Comme
dans tous les types de flexion, il n'y a plus qu'une forme de
locatif-datif-instrumental pluriel, qui est en -ama, mais le caka-
vien et d'autres dialectes continuent de distinguer loc. -ah,
[152] ÉVOLUTION DE LA FLEXION J 93

dat. -am (-ân) et instr. -ami. Le génitif pluriel est en -â,


mais non en cakavien et en kajkavien, où il garde sa forme
sans désinence. L'opposition des flexions dure et molle est
supprimée : dans les deux types, le vocatif est en -o, sauf
avec les mots en -ica à vocatif -ice; le locatif-datif est en -i;
le nominatif-accusatif pluriel est en -e, et le génitif singulier
en -ë est emprunté à la flexion pronominale avec une contrac-
tion qui confond v. si. -ojç et -(j)ejq.
L'alternance de la voyelle « mobile » a se maintient au
génitif pluriel, avec allongement (§ 224) et superposition
de la désinence généralisée -â : ôvca « brebis », gén. plur.
ovâcâ pour cak. ovâc. Mais elle est évitée dans de nombreux
cas par emprunt de la désinence -F du type en -t-, peut-être
aussi du type en -iyâ- (§ 153) : bânka « banque », gén.
plur. bànâkâ et usuellement bânkï. L'alternance des guttu-
rales au locatif-datif singulier, perdue en cakavien, est main-
tenue dans la langue commune, mais de façon incomplète :
on la supprime en particulier dans le cas de groupes de
consonnes gênants, comme dans pâtka «canard», loc.-dat.
pâtki; dans les mots étrangers, et dans des hypocoristiques
en -ka comme séka «sœurette» (de sèstra «sœur»), loc.-dat.
séki. Ceci est notable dans une langue qui conserve si bien
et a développé les alternances du type k: c (§ 111). Mais
l'amuissement de h (§ 10) détruisait l'alternance h: s, et
mùha «mouche», loc.-dat. mùsi, n'est plus que dialectal ;
ou, si le bon usage restaure l'alternance, c'est en corrigeant
la prononciation populaire mù(v)a, loc.-dat. mù(v)i. Pour
les hypocoristiques en -ka, il doit s'agir d'une imitation du
langage enfantin, qui reste longtemps rebelle aux alternances.
On observe le même fait en roumain, langue dont le système
d'alternances prête à comparaison avec celui des langues
slaves (§ 110), avec'les noms de parenté en -câ, qui ne pré-
sentent plus régulièrement l'alternance du, type maica,
«mère», gén.-dat. maicei.
'94 LES THÈMES EN -â- [153]
\

En slovène, l'instrumental singulier est en -o, sous l'accent


-â produit de contraction et différent d'acc. -o, sous l'accent
-g. Les flexions dure et molle sont unifiées comme en serbo-
croate : le locatif-datif singulier est en -i, le nominatif-
accusatif pluriel en -e, sous l'accent -ê, et le génitif singulier
en -e, sous l'accent -ç, donc contracté de v. si. -ojç, -(j)ejç,
comme en serbo-croate. L'alternance des gutturales est
perdue : rôka « main », loc.-dat. rôki. Au génitif pluriel, on
trouve l'alternance de l'e mobile, â sous l'accent. Le génitif
pluriel sans désinence est concurrencé par une désinence -â,
dialectalement -i : séstra « sœur », gén. plur. sesiâr et usuelle-
ment sestrâ; gôra «montagne», gén. plur. gôr et gorâ. La
désinence -â ressemble à s.-cr. -â, mais le développement
paraît en avoir été différent, et on en chercherait le point de
départ dans le type à voyelle mobile â et dans une métathèse
de sestâr en sestrâ, avec unification sur le thème seslr- de
toute la flexion du pluriel, nom.-acc. sestrç, gén. sestrâ, loc.
sestràh, dat. sestràm, instr. sestrâmi.
E n bulgare, la distinction des types dur et mouillé a à peu
près disparu. Le vocatif en -o a été généralisé, sauf dans les
mots en -ica qui gardent leur vocatif en -ice, comme en serbo-
croate, et du. coup les mots en -ka flottent entre voc. -ko et
-ke. Le pluriel en -i a été généralisé également, avec conser-
vation de rares formes en -e: ovcâ « brebis », plur. ovcé, mais
aussi ôvci, comme dus i «âmes», etc.

153. Le type en -iyâ- Il y avait en vieux slave deux


types en -iyâ-, l'un à nominatif singulier -ija, -ïja, voc. -ije,
-ïje, l'autre à nominatif et vocatif en -ii, le reste de la flexion
•étant identique. Le type en -ii appelle une étude spéciale,
mais son histoire dans les langues slaves se mêle à celle du
type en -ïja et ordinairement se confond avec elle. Le type
en -ïja était courant au féminin des adjectifs en -ii (§ 146),
et il était en outre représenté par quelques substantifs : zmïja
[153] LE TYPE &N -iyâ- 95
i
« serpent » qui est un adjectif substantivé (§ 31) ; brat(r)ïja
«frères», collectif de brat(r)u (§ 211); svinïja «porc», v.
tch. svinie, qui, bien qu'usuel au pluriel, a l'aspect d'un collectif
tiré de l'adjectif svinu «de porc», lat. suïnus, et substitué
à l'ancien nom du porc, lat. sus, etc. (§ 202). A ces substantifs
se joignaient des mots d'emprunt, comme Ilija « Élie », v. r.
Ilïja, mod. Il'jâ; mais la finale de ces mots, qui a donné un
suffixe productif, s'est ordinairement fixée sous la forme -ija
d'après le grec savant -ioc, et plus tard le roman -la, fr. -ie,
m. h. a. -Te.
La flexion en -iyâ- différait peut-être de la flexion en -yâ-
à l'instrumental singulier, où le vieux-slave bral(rjijç pourrait
indiquer la conservation de l'ancienne désinence -jg comme
dans -ijç du type en -i- (§ 150), mais est à côté de la forme
normale brat(r)ijejç et s'explique aussi bien par une réduction
de cette forme longue. La forme où une différence s'est
accusée est le génitif pluriel : zemlja, gén. plur. zemljï, mais
svinïja, gén. plur. svinii, avec -n donnant - i j , -ej en russe, et
ailleurs -ï. En russe, on a svin'jâ, gén. plur. svinéj, avec l'alter-
nance de l'e mobile. En slovène, les féminins en -ja ont un
génitif pluriel en -ij, comme les neutres en -je, sans distinction
des types anciens, en -ja et -ïja•: zârja « rougeur (de l'aurore) »,
de v. si. zarja, gén. plur. zârij. En serbo-croate, la finale -â
abolit également toute distinction des deux types : svinja
gén. plur. svinjâ; mais lââa «bateau» (v. si. ladii) présente
un génitif pluriel lâdï, lââï, à côté de l'usuel lâdâ, et ce doit
être le vestige de la désinence ancienne -ï, et peut-être un
point de départ de l'extension de -ï dans la flexion des fémi-
nins en -a. Dans le domaine septentrional, où des groupes
comme ïja donnaient des diphtongues longues, l'histoire du
type en -iyâ- offre plus d'intérêt.
Le polonais ancien opposait une flexion ziemia « terre »,
acc. ziemiç, gén. plur. ziem, et une flexion à finales fermées issues
de longues, braciâ «frères» , acc. braciq, dont le génitif pluriel
96 LES THÈMES EN -â- [154]:

était en -i (mod. brada, gén.-acc. plur. braci, § 211). Mais


les deux types se mêlaient, avec une forte extension de la
flexion en -iâ : d'où celle du génitif pluriel en -i dans la langue
moderne. L'accusatif singulier en -iq n'a disparu qu'à date
récente, par généralisation de -iq; il subsiste isolément dans
la flexion de parti « madame », acc. paniq.
Le vieux tchèque opposait de même une flexion zemë, acc.
zemiu, gén. plur. zem, et une flexion bratrie, acc. bratrû, d'où
nom.-acc. bratri en tchèque moderne, avec un génitif pluriel
en -i. Dans la langue moderne, le type en -ie, puis -î se confon-
dant avec -i de v. si. -ii, s'est considérablement restreint, au
point de n'être plus représenté en tchèque parlé que par
l'unique parti (parti), et l'on a rôle « champ » pour v. tch. roli
et rolie, svinë «truie », de la flexion de zemë; mais le génitif
pluriel en -i, zemi pour v. tch. zem, est devenu la désinence
la plus courante de tout le type mouillé.

154. Le type en ~(j)i, -ïji. —- On trouve en vieux slave


dans des cas spéciaux, au lieu de ~(j)a, un nominatif singulier
en ~(j)i, le reste de la flexion étant identique à celle du
type mouillé ordinaire, à la réserve du vocatif : ainsi rabynji
«servante», mais acc. rabynjç, gén. rabynjç, etc. On a de même,
au lieu de -ïja, un nominatif (et vocatif) singulier en - ï j i : sçdii
« juge », mais acc. sçdijç, sçdïjç, gén. sçdijç, etc.
En baltique, le letto-lituanien présente un type -i dans les
mêmes conditions : lit. pati « épouse », mais acc. pâciq, gén.
paciôs, etc. ; lette pati, gén. pasas, etc. Le -i représente *-f d'in-
tonation rude : lit. saldi « douce », déterm. saldy-ji.
Le germanique atteste comme le balto-slave, dans la flexion
des thèmes en -yâ-, à côté du nominatif en got. -ja des fémi-
nins à radical monosyllabique et bref, un nominatif en got. -i
qui est régulier en gotique avec tous les substantifs féminins
dont le radical est long ou polysyllabique : bandi « lien »,
mais acc. bandja, gén. bandjôs, etc.
[154] LE TYPE EN -(j)i, -ïji 97

Ce nominatif singulier en *-F est le vestige d'un ancien,


thème en -F- dont la flexion est largement conservée en indo-
iranien, mais non complète, et avec des formes empruntées
au thème en -yâ-: skr. devi «déesse», acc. devim, mais gén.
devyâh, etc. ; nom. plur. devydh de i.-e. *-(i)yes, ace. devîh,
loc. devtsu, etc., et nom.-acc. duel devi en védique. Le type
représente une formation courante de féminins, en regard
des thèmes en -o- (devâh « dieu »), des adjectifs en -u- (gurûh
«lourd », fém. gurvi), des adjectifs de la flexion athématique,
participes, comparatifs, etc. (bhâran «portant», fém.
bhârantï). Le grec répond par un type en -10C : TTÔTVIOC
« maîtresse », skr. pâtriï, çépouaoc de *-ovrya, avec flexion de
thème en -yâ, mais avec oc bref au nominatif et à l'accusatif
singulier. On doit voir dans gr. -ia, acc. -ictv, une variante
de skr. -F, -îm, avec a représentant la voyelle réduite (§ 98).
Mais il paraît arbitraire de considérer le thème en -F- comme
une forme réduite du thème en -yâ-. L'explication doit être
morphologique, et l'on ne peut pas séparer ces féminins en -ï-
des autres thèmes en -F-, ordinairement féminins, du type de
skr. naplth «petite-fille» (et naplt), acc. naptim et naptiyam,
lat. neplis, acc. neplim (de *-?m).
Le genre féminin est nouveau en indo-européen, et récent
dans la flexion athématique (§ 123) : il y a eu développement
de suffixes divers pour le caractériser, en -â-, en -F-, en -û-,
les deux derniers en regard des thèmes en -i- et en -u-. On
observe une large extension de -F- dans la flexion athématique,
et l'on doit admettre sa contamination secondaire par le
suffixe -â- en une flexion mixte -F- j-yâ-, qui se normalise
ensuite en flexion en -yâ en ne gardant de -ï- en balto-slave
et en germanique que des vestiges appelés à disparaître.
C'est de façon analogue qu'au nominatif-accusatif pluriel
neutre la caractéristique -â généralisée a pris la place de -F
et d'autres désinences (§ 135).
Au vocatif, le slave atteste une désinence *-F identique à
9.8: LES THÈMES EN -â- [154]:

celle du nominatif, et qui répond à gr. -ia (TTOTVIOC). Pour le


type en ~(j)i, le vieux slave n'offre pas d'exemple, et dans
pol. bogini il y a eu passage secondaire au type en -ïji (§ 156) ;
mais le vocatif en -i est garanti indirectement par mali,
dûsti (§197). Dans le type en -ïji, on a v. si. sgdii, v. tch. sudi,
et cette forme de nominatif-vocatif a pu être étendue au
type en -ïja: voc. bral(r)ïja « frères » fréquemment en vieux
slave et en slavon, pour la forme correcte brat(r)ïje. Eh
sanskrit, la désinence est en -i bref : nom. devî, voc. dévi;
le rapport est le même que celui de nom. i.-e. *-â, voc. *-a ( § 150),
et cet abrègement au vocatif doit être secondaire et ana-
logique.
Au nominatif, si. -ïji s'explique par le transfert de -i sur
le thème -ïj- des autres cas : sçdïji de *sçdi, d'après acc.
sçdïjç, etc. Une réfection analogue apparaît en vieux slave
dans le type cruk(u)vi pour crûky « église », par extension de
la finale -i de nonainatif au thème cfùk(ù)v- (§ 201). Cette
seconde réfection est récente, et celle de sçdi en sçdïji pourrait
l'être aussi ; mais on ne peut pas faire état des graphies
fréquentes comme v. si. sçdi, qu'on doit, en l'absence de données
sur la quantité en vieux slave, considérer comme notant
une contraction de sçdii; et les autres langues, v. tch. sudi,
kachoube -i (-i fermé), attestent la contraction. On a -i
conservé dans le pronom v. si. si « celle-ci », acc. sïjç, mais
avec une flexion remaniée et anomale (§ 232).
Dans le type en ~(j)i, le slave a étendu au nominatif en
-i la consonne palatalisée des formes du type en -yâ- des
autres cas : rabynji de *-ni d'après acc. -njg, etc. ; part. prés,
fém. nesçsti «portant», comme acc. nesgstg, etc., en regard
de lit. nesantl, acc. nêsanciq, etc., et de même que le nomi-
natif masculin pluriel est nesgste en face de lit. nesant- dans
la forme déterminée nêsùntiejie (§ 278).
On remarquera qu'en lituanien une alternance nesantl,
gén. nesanciôs, etc. est normale. La palatalisation dans les
[155] EXTENSION DU TYPE 99

groupes de consonne plus j- se confond avec la mquillure


simple dans la plupart des cas : -si est -si comme -sios est
-sos ; et avec les dentales elle ne donne pas de chuintante devant
i, ni devant e, è, ie, mais seulement devant les voyelles
postpalatales : cf. § 151, et voc. svetè de svëcias, § 136. Le
nominatif-accusatif duel féminin lit. nesanti est donc du type
mouillé ordinaire de zemi, sans qu'il y ait lieu d'y retrouver
la vieille désinence védique -ï. Le slave a connu un état
semblable à celui du lituanien moderne (§ 63), mais il a géné-
ralisé dans la flexion les formes pàlatalisées.

155. Extension du type. — En baltique, le lituanien pré-


sente -i dans quelques substantifs, termes de la vie de famille :
marti «fiancée, jeune femme», acc. mârciq, etc.; — pati,
acc. pâciq, etc., féminin de pàts « époux »; la forme est rema-
niée, d'après le masculin, d'un plus ancien -patni conservé
dans v. lit. viespatni «maîtresse de maison » (masc. viëspats,
§ 170), et qui répond a skr. pâtnï «maîtresse, épouse», gr.
TTOTVIOC ; — dial. viesni, féminin du masculin lette vièsis
«hôte (qu'on reçoit) », et évidemment analogique de -palni
« hôtesse (qui reçoit) » ; la forme courante est viesnià, norma-
lisée sur acc. viësniq, etc. Il n'y a pas de productivité en bal-
tique, non plus qu'en slave où le suffixe -ynji ne saurait
s'expliquer par *-û-nï et par une superposition de *-riï à *-u-,
du suffixe indo-européen *-m qui n'est d'ailleurs que la forme
féminine en -F d'un thème en -en-: skr. râjâ «roi», gén.
râjnak, fém. râjiïï, et balto-slave *ëlriï «biche». Le lette
alraïlne « veuve » n'est pas un féminin en *-nî de alraïlis (et
atraïtnis) « veuf », mais il présente le suffixe -frus, -tne, déve-
loppé par le lette.
On a d'autre part en lituanien, comme en sanskrit, -i a.u
féminin des adjectifs en -u-: saldùs n doux », fém. saldi (de
*sald-wî, § 275) ; des participes actifs, participe présent
nesqs «portant», fém. nesanti, participe passé nèses, fém.
100 LES THÈMES EN -â- [154]:

nësusi, participe futur darysiqs « qui fera » de daryti « faire »,


fém. darysianli; et en outre des pronoms jls «lui», fém. ji
(acc. jq, etc.), avec tout le type des adjectifs déterminés,
gerô-ji « la bonne », et kuris (kurs) « qui », fém. kuri, v. lit.
kokis « quel », fém. kokl-g (mod. kôks, fém. kokià), sïs « celui-
ci », fém. si (acc. siq, etc.).
La tendance est à éliminer la désinence -i, en lui substi-
tuant -ia, plus anciennement -é, par normalisation sur les
cas obliques : ainsi v. lit. neptè « petite-fille », pour skr. napti
(naplth), av. naptï-, mot qui d'ailleurs rejoignait les noms
de parenté en -er-, lit. môfé « épouse » (§ 198). Le lette conserve
pati (gén. pasas, etc.), mais à côté de pale et de pasa, et iLn'a
plus que màrsa et viesna; il garde -usi au participe passé,
mais à côté de -use, et au participe présent -uoti à côté de
-uote et -uosa. Il garde le pronom si, mais pour le relatif i.-e.
*yo- il atteste comme le slave un féminin *yâ : kura, et v.
lette -aja dans la flexion de l'adjectif déterminé. En vieux
prussien, le type en *-F devait être passé au type en -ë, d'après
nom. aulausë «étant morte » au participe passé, acc. mârtin,
waispattin dans les substantifs. ,
Le baltique n'indique pas de différence entre un type en
*-t/*-yâ et un type en *-ïj*-iyâ~: si la différence a existé, elle
devait disparaître, -yâ- et -iyâ- se confondant en -ë-, sous
l'accent lit. -ë- (§105*). On ne peut pas faire état de lit. aldijà
« barque » en face de v. si. aldii : l'accent, sûrement nouveau
(§ 102), fait supposer qué la finale est prise à celle de r. lod'jâ.
En slave, il faut distinguer les types en ~(j)i et en -ïji.
Le type en ~(j)i, dans les substantifs, n'apparaît plus que
lié au suffixe -ynji, plus un mot isolé, le nom de nombre
tysçsti, tysçsti «mille». Dans la flexion des adjectifs, ~(j)i
est la forme régulière du nominatif féminin singulier des par-
ticipes actifs présent et passé, nesçsti « portant », nesûsi
« ayant porté », et du comparatif, novëisi « plus nouvelle ».
On retrouve la désinence -i dans le pronom si « celle-ci ».
[155] EXTENSION DU TYPE 101

Dans les substantifs, le type en ~(j)i n'a plus que la produc-


tivité du suffixe -ynji, qui forme des abstraits, v. si. grudynji
« arrogance » de grudû « fier », et des féminins, Samarjanynji
« Samaritaine », de Samarjaninû, plur. ,-rjane. E t ce suffixe
n'est sûrement pas slave d'origine : c'est une adaptation
du suffixe germanique *-uni, -ini, got. Saurini « Syrienne »,
gén. -njôs. De même tysçsti, tysçsti « mille » est un emprunt
au germanique, got. pusundi, gén. -djôs, avec assimilation
au type des participes présents en fém. -gsti, -cjli. Mais on
a des témoignages sur l'existence et l'importance à date
plus ancienne du type en *-f de substantifs féminins en slave,
et sans la palatalisation nouvelle de la consonne précédente :
dans des noms de parenté, par la substitution de -i à *-ë dans
mati «mère», dûsti «fille» (§ 197) ; comme type normal de
formation de féminins, par le développement du suffixe -ica.
Ce suffixe est la forme féminine du suffixe masculin -zci,
neutre -ïce, et il représente l'addition de *-kâ à *-? du nomi-
natif singulier, comme -yku du type kamyku « pierre » l'addi-
tion de -kix à nom. sing. -y (§ 185), comme \-yka dans
vladyka « maître » celle de -ka à -y du participe présent
nom. sing. vlady « qui est maître ». La formation est secondaire
et propre au slave : le baltique, qui connaît aussi une grande
extension du. suffixe masculin lit. -ikas, présente comme
forme féminine lit. -ikë; en sanskrit, le diminutif d'un thème
féminin en -â- comme ajâ « chèvre » est ajakâ, fait sur le
masculin ajâh, ou ajikâ du type des dérivés de thèmes en -i-.
Sans doute si. -ica peut représenter aussi *-jïca (§ 63), dérivé
de thème en -yâ-; mais on ne comprendrait pas pourquoi
*-jïca aurait été généralisé, et pourquoi -ica des thèmes en -i-
ne se serait pas maintenu en regard des thèmes en -â-, parallè-
lement à -ici, -ïce en regard des thèmes en -o-, si la langue
n'avait pas gardé le souvenir d'une relation du type masc.
*vïlku «loup », r. volk (gén. vôlka), fém. *vïlkï, r. volcica, celle
de skr. vfkah, fém. vrkî. De mati « mère »,> gén. matere, on a
clairement le dérivé matica « chose mère, source, etc. ».
102 LES THÈMES EN -â- [154]:

Sur -i dans le vieux-slave récent crûkvi pour crûky, voir § 201.


Pour le type en -ïji, il reste productif en vieux slave, où il
sert à l'adaptation de noms étrangers en -i, mots grecs en -f|,
-f|S, mots turcs en -ci : ainsi fém. parask'evg'ii, de -rrapacrKsufi
«vendredi», masc. Levïg'ii, de Asuî (prononcé Aeuyî) « Lévi ».
Il apparaît en outre dans quelques substantifs, féminins
ou masculins, dont il convient de dresser la liste en indi-
quant les formes prises dans les autres langues slaves, pour
suivre l'élimination du type. Sont féminins :
Slavon alnii, lani(ja) «biche» (§ 70), en regard de lit.
élnê (§ 69), v. pr. aine; —• v. tch. lani, et aussi lanie (de *-ïja),
tch. mod. et slovaque lan; pol. ancien lani, mod. lania et
dial. lan; — v. r. lanïja (r. mod. lan « daim » est savant).
Ce mot est le féminin de v. si. jelenï, thème en -en- de la flexion
athématique (§ 183), lit. élnis, et l'on restitue un féminin
balto-slave *ëlriï auquel répond, en celtique, le gallois elain(t)
de *elanï (§ 97).
V. si. aldii, ladii « barque », lit. aldijà, eldijà ;—: v. tch. lodi,
et aussi lodie, tch. mod. et slovaque lod'; sorabe lôdz, pol.
lôdz et ancien lodzia, polabe lùdia ; — r. lod'jâ ; bulg. lâdija
de dial. lâdja, par extension du suffixe -ija; slov. Iddja; s.-cr.
lâda, mais cak. lâdva supposant un plus ancien *ladi (§ 205).
Pour l'accentuation du mot, voir § 102. Il peut s'agir d'un
emprunt au germanique, danois olde « grande auge creusée
dans un tronc d'arbre », féminin du type en -yâ- à flexion
got. -i, acc. -ja, d'où v. isl. -e.
V. si. krabii «corbeille», et lit. karbija, v. pr. *carbio; —
r. korob'jâ « couffin », pol. krobia, et v. tch. krablce, diminutif
supposant *krabi. Le mot est un emprunt à lat. corbis par
un intermédiaire germanique, cf. v. h. a. churpa de *korb-ja-, '
répondant au type gotique e n - i . Le slave conserve une forme
ancienne de l'emprunt, qui a été fait à diverses époques : v.
h. a. chorp, et r. kôrob, etc.
V. si. mlûnii «éclair»; — polabe mauna de *molna,
[155] EXTENSION DU TYPE 103

kachoube mco/noo ; — r. môlnija, forme savante pour dial.


molon'jâ, d'où molodnjâ; la forme molon'jâ est ancienne en
russe, du x v e siècle au moins, et elle doit s'expliquer par une
conservation assez tardive du nominatif v. r. molnij, avec
introduction aux autres cas, acc. molon'ju, etc., de l'alternance
de l'o mobile du type de v. r. cerky «église», instr. cerkov'ju;
— bulg. mâlnija, mais dial. mânja; s.-cr. mûnja, sans doute
avec mouvement d'accent secondaire d'après plur. mûnje, car
l'accent attendu est celui de lââa. On compare le mot à v. pr.-
mealde « éclair », de *meldë, mais le rapprochement ne saurait
satisfaire. En fait, *mulnïji est isolé en slave, et il ressemble
trop à got. lauhmuni « éclair », qui peut expliquer sa flexion
en même temps que sa forme, pour qu'on ne pense pas à un
emprunt au germanique. Le mot gotique est un dérivé féminin
en -i, gén. -jos, d'une forme à suffixe -men-, -mn-t de la racine
i.-e. *leuk- «briller» sous son degré vocalique *luk- ; le -u-
est une voyelle intercalaire, et une finale *-mn-ï apparaît
ailleurs en gotique sous les f o r m e s - ( u ) b n i et -(u)fni. Il s'agirait
donc d'une simple métathèse de germ. *luhmnï en si. *mûlnï,
avec chute devant consonne (§ 39) de h, d'ailleurs débile en
gotique.
Pour le slavon mravii « fourmi », de flexion masculine en
-ii ou de flexion féminine, et pour v. si. skorïpii « scorpion »,
masculin et féminin, avec une forme plus populaire *skrapii,
skrapija en slavon (§ 71), voir § 146. Il y a eu pour ces mots
en -ii flottement de genre et de flexion, mais si. ^rriarvï doit
être un ancien féminin en *-I, qu'on retrouve, avec les défor-
mations fréquentes dans les noms de petits animaux, dans
skr. vamrî, et cf. lat. formî-ca, en regard du masculin skr.
vamràh, av. maoiris (de *mauri~).
Avec les mots féminins, la forme -ïji apparaît comme une
variante de ~(j)i après certains groupes de consonnes : il
semble qu'on ait fléchi *-ï, acc. *-jân, après consonne simple
ou précédée de nasale (iysçsii, acc. iysQstQ), et, pour des
104 LES THÈMES EN -â- [154]:

raisons de commodité, *-?, acc. *-ijân, après consonne précédée


de l ou r. Ce principe a sûrement joué, mais il ne se retrouve
pas dans les masculins.
V. si. sçdii « juge », en regard de sçdili « juger », sçdu
« jugement » ; — v. tch. sudi ; et tch. mod. sudî, mais livresque,
et avec confusion des deux types en - ï j i , v. tch. -i, de flexion
masculine et de flexion féminine, et du type en -ïja, v. tch.
-ie; — pol. sçdzia, mais gén. sedziego (§ 273), et cette flexion
d'adjectif, qui est ancienne (xv e siècle), a son point de départ
dans un nominatif *sedzi; — r. sud'jâ, et sudijâ slavon;
bulg. sâdijâ, sudijâ, est u n russime ou serbisme ; s.-cr. sàdija,
forme slavonne pour dial. sûda; slov. sçdja.
V. si. vëtii « orateur », sur le thème vët- de vëstati « parler ».
Seulement vieux-slave : r. vilija est pris au slavon, avec défor-
mation en slavon d'après viti, izviti slovesa « dérouler des
discours ».
V. si. balii « médecin » ; le vieux-slovène bali peut être un
slavonisme, comme l'est r. bâlija.
Ce dernier mot est le dérivé d'une forme nominale bal-,
donc avec suffixe -lii, du verbe bàjati, prés, baje-, « raconter
des histoires », d'où r. pop. bâjat' « parler », et « prononcer des
formules magiques », s.-cr. bàjali «faire des incantations »,
sur la racine i.-e. *bhâ- de gr. «prinî, etc. Il s'agit d/une forma-
tion populaire : l'emploi de formes féminines pour désigner
des hommes présente généralement un caractère familier.
Le slave, qui a des masculins en -a (§ 208), a tiré aussi parti
du suffixe *-f en lui conférant une valeur expressive, et en
l'isolant du type en *-ï de féminins dont il gardait des ves-
tiges. Le vieux-slave vëtii traduit le grec pr|Tcop et est devenu
mot noble, mais il signifiait « beau parleur » ; et si sçdii a
perdu cette nuance familière, on observera qu'il est en concur-
rence avec un dérivé en -ïca du type expressif de v. si. jadïca
«gros mangeur» : v. r. sudïca, tch. soudce.
La forme en -ïji a été généralisée dans les masculins. Elle
[155] EXTENSION DU TYPE 105
i

a dû être prise aux deux suffixes importants du type, -lïji,


qui apparaissait fréquemment après consonne, et -cïji. Le
suffixe -lïji de v. si. balii est bien attesté en vieux tchèque :
prëdli, pradli (§ 78) « fileur, fileuse », pradli «blanchisseur,
blanchisseuse », svadli « couturier, couturière » ; les mots sont
masculins ou féminins, selon qu'ils désignent des hommes ou
des femmes. On a -l'ja fém. en russe : dial. svâl'ja, masc.
sval' ; -Ija fém. en serbo-croate : svâlja.
On ne peut pas penser, malgré les nombreux emprunts en
-lija du bulgare et du serbo-croate, que le suffixe -lïji ait
un rapport avec le turc -li, qui est uniquement dénominatif.
Mais pour le suffixe -cïji, c'est le turc -ci, qui fournit des
noms indiquant des fonctions. Il apparaît dans des emprunts
au turc, comme v. si. samûcii, grec byzantin a a ^ r i s , « digni-
taire, préfet », du turc san, v. si. sanu. « dignité », v. s.-cr.
lepïcii, iepïcija « dignitaire, magistrat », du turc ancien tapci
« serviteur » en regard de iapmaq « servir » ; et il se joint
librement à des mots slaves, ainsi v. si. krûmûcii « pilote »,
de kruma « gouvernail ». Il a été productif dans toutes les
langues slaves : tch. lovci « veneur », pol. lowczy, r. lôvcij.
Mais des mots de cette sorte avaient l'aspect d'adjectifs
dérivés de noms d'agents en -ïcï, r. lovcij de lovée « chasseur » :
ils ont pris de bonne heure une flexion d'adjectifs, comme
généralement les substantifs en -i du tchèque, en -i, -y du
polonais : gén. tch. lovciho, pol. lowczego comme sçdziego,
hrabiegoàe hrabia « comte » (§ 195). Pour r. kaznacéj « caissier »,
gén. -céja, emprunt au turc, il a été traité comme un mot de
la flexion masculine en -ïji (§ 146). En bulgare et en serbo-
croate, le suffixe est resté très vivant, mais sous la forme
nouvelle -dzija qui est celle du turc osmanli -ci (= -dzi).
On doit penser que le suffixe turc, si bien accueilli par le
slave, et assez tôt en slave commun, n'a pas été adapté
seulement en -ëïji de flexion féminine, mais a pris aussi une
forme plus simple -cï du type mouillé courant des masculins':
106 LES THÈMES EN -â- [154]:

le mot v. si. sokacii « boucher, cuisinier^», emprunt au turc


et à côté de sokalùku « cuisine » (turc -lik), a eu une variante
sokacï, slov. sokdc, roumain ancien sokac, hongrois szakâcs.
Ce pourrait être une des origines du suffixe slave -cï de r. kovâc
« forgeron », gén. kovacâ, très peu représenté en vieux slave,
mais qui s'est développé dans les langues slaves, qui est
oxyton, qui n'a pas de correspondant en baltique, et qui ne
paraît pas ancien.

156. Élimination du type. — Il ne reste qu'à résumer l'his-


toire du type dans les langues slaves.
En vieux slave, le nominatif féminin en -ii ést bien distinct
du nominatif en -ija du type zmija « serpent ». Mais dès la
fin du vieux slave on observe des traces d'un passage de -ii
à -ijai de ~(j)i à ~(j)a, et de la fusion du type en *-ï dans le
type courant des féminins : parask'evg'ii « vendredi » et déjà
parask'evg'ija, boljïsi-ja « la plus grande » et déjà boljïsa-ja.
Le vieux tchèque conserve la distinction de nom. -i de -ïji
et de nom. -ie de -ïja, mais ave.c des flottements entre les
deux désinences. On n'est donc pas sûr que v. tch. roll « labour,
champ » (§ 70), et aussi rolie, ait appartenu au type en -ïji:
le slavon n'indique que ralïja, qui serait un féminin substan-
tivé d'adjectif en -ïjï, ce qui s'accorde bien au sens. Des
traces du nominatif en -ïji, d'où -ï et r. -ij, qui s'est sûrement
maintenu assez longtemps dans certains mots, se retrouvent
dans d'autres langues.
Pour le suffixe v. si. -ynji, il a été normalisé en -ynja dans
la plupart des langues slaves : v. si. bogynji «déesse», r.,
bulg.'et slov. boginja, s.-cr. bôginja. Le vieux tchèque conserve
-yni, qui passe ensuite à -ynë (tch. mod. bohynë, avec -në
notant -ne) et -yn (§ 152). Le polonais moderne a encore
-yni (bogini), avec vocatif -yni, mais dialectalement -ynia,
forme qui remonte au moins au x v i e siècle, et le polabe a
*-ynja dans tyenantgeinia «dame», de kûnegynji. Cé mot.
[156] ÉLIMINATION DU TYPE

abrégé en v. tch. knieni, pol. ksieni «abbesse», est passé au


sorabe sous sa forme tchèque : knéni « dame ». Le russe a
gardé knjagini jusqu'au x v i e siècle (mod. knjagînja), et ses
parlers septentrionaux connaissent encore sudâryni
« madame », bâryni « maîtresse », pour sudârynja, bârynja de
la langue commune.
Le polonais atteste que le type en -yni était passé au type
à voyelle longue continuant -ïji : nom. -yni (-i fermé) en
kachoube, acc. -yniq en polonais ancien (mod. -ym'g, § 153).
Comme le vieux tchèque, dont les graphies ne sont pas très
claires, a sûrement connu un flottement semblable entre les
types en -i et en -i, on peut expliquer v. tch. (h)pani «dame»,
tch, mod. pani (tch. parlé pani), h. sor. pani (pris au tchèque),
pol. pani {-i fermé en kachoube), acc. panig., comme féminin
créé sur le modèle de v. tch. knieni, pol, ksieni en regard du
masculin v. tch. (h)pan, pol. pan, vieux-croate span, mot
abrégé dont on ne restitue pas la forme originelle.

/
CHAPITRE IV

LES THÈMES EN -U-

157. Flexion. — La flexion du type en -u-, bien conservée


en lituanien, apparaît dès. le vieux slave mêlée à celle du type
en -o-, mais encore parfaitement reconnaissable. Voici celle
de synu « fils », lit. sûnùs, en ne retenant en slave que les
formes propres au type :
lit. ,v. si. lit. v. si.
Sing. Plur.
N. sûnùs synu sûnùs synove
A. sûnq. synû sunus syny
G. sunaûs synu sûnfy synovu
L. sûnujè synu sunuosè synuxû, -oxu
D. sûnui synovi sunùms synomu
I. sunumi synumï, -omi sûnumis, -ums synumi
V. sunaù synu
lit. v. si.
Duel N.-A. sunu syny
G.-L. synovu
D. sunum
synûma
I. sunum

En fait, en vieux, slave, on trouve ordinairement gén.-acc.


syna, loc. synë, dat. synu, voc. syne, par passage au type
[158] LES DÉSINENCES 109
j
en -o-. Il n'y a plus de flexion complète du type en -u-, mais
une flexion assez étendue et assez stable reste régulière pour
quelques substantifs. Toutes les désinences du type sont
attestées en vieux slave, du moins au sens large du mot,
vieux slave méridional, vieux morave et vieux russe, sauf
celle du datif pluriel ; plusieurs ont été adoptées ou sont en
voie de l'être par le type en -o-.

158. Les désinences. — Singulier.. — Nominatif : si. -u,


letto-lituanien et v. pr. -us, gr. -us, got. -us, etc. Le lituanien
-us, pour *-us, av. -us, est analogique .(§ 82).
Accusatif : si. -û, v. pr. -un, lit. -q, lette -u, gr. -uv, skr.
-um, etc.
Génitif : si. -u, lit. -aus d'intonation douce, lette -us, de
i.-e. *-ous, got. -aus, lat. -us (osque -ous), skr. -oh.
Locatif : si. -u, d'intonation rude d'après les mouvements
d'accent (§ 99), dont la cause pourrait d'ailleurs être différente
(•§ 219). En letto-lituanien, les formes de locatif sont remaniées
par généralisation d'une désinence -e (§ 178), et lit. -uje,
lette -û (dial. -ui), est analogue à lit. -yje, lette -ï dans le
type en -i-, lit. -oje, lette -â, dans le type en -â-. La forme
ancienne était sûrement *-uo, conservée avec élargissement
dans lit. dial. -uoje, lette -HO. On restitue donc une désinence
balto-slave *-5u, plutôt que *-ou; elle répond à skr. -au,
av. -au, de *-ôu ou *-ëu, mais le vieux perse -auw indiquerait
une diphtongue à voyelle brève, et les autres langues, comme
got. -au, datif, ne renseignent pas, n'ayant plus le locatif
comme cas distinct. Cette désinence est parallèle à *-éi,
plutôt que *-ei, du type en -i-. La caractéristique générale
du locatif en indo-européen était -i, avec degré fort de l'élé-
ment prédésinentiel : skr. pitâr- « père », dat. pilré, loc. pitdri,
dans le type athématique. Après sonante, le -i a connu en
indo-européen des traitements spéciaux, qui ne sont plus
clairs. Il tombait en védique : mûrdhân- « tête », loc. murdhdn ;
8
110 LES THÈMES EN -â- [154]:

mais il a été généralement restauré dans les thèmes eh -n-


et en -r- : mûrdhâni. Dans les thèmes en -u- et en -i-, l'amuis-
sement de -i s'accompagne d'un allongement de la syllabe
précédente : loc. *-5u, *-ëi ; et comme les diphtongues longues
pouvaient perdre en indo-européen leur élément final, on
trouve en védique -â et -au dans le type en -i-, avec disparition
complète de la forme répondant à i.-e. *-ëi, ce qui prouve que
*-êi et *-ôu, se réduisant à *-ë et *-ô, s'étaient confondus en
-â en védique. Ces faits rappellent le traitement du nominatif
singulier des thèmes en -er- et en -en-, -on-, *-ër, *-5n et
*-ë, *-5.
Datif : si. -ovi, sans correspondant dans les langues bal-
tiques, où lit. -ui est la désinence des thèmes en -o-, mais
en regard de skr. et av. -ave. Il doit rester en baltique un
vestige remanié de la désinence ancienne dans les noms ver-
baux en -avâ et -uvë du lette dialectal (§ 205), et le flottement
de -av- et -uv- indique comment la désinence s'est perdue :
-av- a été remplacé par -uv-, et de même au nominatif pluriel,
par généralisation de -u- du thème, comme de -i- dans le
nominatif pluriel si. -ïje des thèmes en -i- (§ 165), et la
substitution a été aisée de -ui à *-uvie ou *-uvi. La caracté-
ristique du datif était i.-e. *-ei, qui donnait *-ew-ei ou *-ow-ei
en s'ajoutant au thème en -u- sous sa forme pleine, c'est-à-
dire accentuée (§ 94) : skr. sunâve de sûnuh « fils ». Le slave
ne permet plus de distinguer eiïtre *-ew- et *-ow- : la répartition
de -ov- et de -ev- est brouillée (§ 48), et -ov- a été généralisé
dans la flexion, avec opposition nouvelle du type dur en -u-
de synu, dat. -ovi, nom. plur. -ove, etc., et d'un type mouillé
en *-yu- (§ 159), dat. -evi, nom. plur. -eve, etc.
Instrumental : si. -umï, mais complètement confondu avec
-omï du type en -o-, et il ne s'agit plus dès l'époque du vieux
slave que d'une division dialectale des langues slaves, les
unes ayant généralisé -omï, les autres -umï (§ 161). En bal-
tique, le lituanien a -umi, mais aussi -u, ainsi vaïsius « fruit »,
[158] LES DÉSINENCES 111
. .. !
instr. vaîsiumi et vaisiù, et le lette a -u. La désinence -u
peut être empruntée en letto-lituanien à -u, de *-uo, du type
en -o-, mais la désinence lit. -umi, si. -umï, n'est pas primitive,
non plus que lit. -imi, si. -ïmï, dans le type en -i- (§ 131) :
elle remplace i.-e. *-û, av. -û, lat. -û, désinence qui se prêtait
à des remaniements, skr. -va et -unâ, mais que le balto-slave
devait avoir conservée.
Vocatif : si. -u, lit. -au d'intonation douce, et got. -au
(sunau), skr. -o, av. -ô, mais aussi got. -u (sunu), gr. -u. La
forme à vocalisme plein du balto-slave est parallèle à celle
du type en -i-, lit. -ie, si. -i, de *-ei. On peut admettre deux
formes indo-européennes différentes, l'une en *-ou ou *-eu
de la flexion en *-us, gén. *-ous ou *-eus, l'autre en *-u de la
flexion en *-us, gén. *-uès (§ 159). Pour *-ou, *-eu, le balto-
slave ne présente plus qu'une opposition entre le type dur
lit. -au, si. -u, et le type mouillé lit. -iau, si. -(j)u.\
Pluriel. — Nominatif : si. -ove, cf. skr. -avah, gr. s(F)e$,
got. -jus, de i.-e. *-eu-es ou *-ou-es, avec la désinence *-es
ajoutée à la forme pleine (accentuée, skr. sûnâvah) du thème
en -u-, le slave -ov- pouvant représenter *-ew- aussi bien que
*-ow~. En baltique, lit. -us, lette -us, est remanié, comme lat.
-us, avec même relation entre acc. -us et nom. -us que dans
les thèmes en -i-, lit. acc. -is, nom. -ys, et en -â-, lit. acc. -as,
nom. -os ; le point de départ de l'innovation est sûrement
dans une substitution de *-uves à *-aves, comme au datif
singulier.
Accusatif : si. -y, lit. -ùs, de *-uns (§ 88), cf. got. -uns, gr.
dial. -uvs (lat. -ûs, skr. -un, av. -us). La désinence se confond
en slave avec celle des thèmes en -o-, et l'intonation rude
du lituanien, -ùs sous l'accent et avec avancée de l'accent
(§ 215), n'est pas primitive et est celle des thèmes en -o-.
Génitif : si. -ovu, avec la caractéristique générale du
génitif pluriel, si. -u de *-on, ajoutée à -ov-, comme gr. -Z(F)CÙV
112 LES THÈMES EN -â- [154]:

avec la caractéristique ordinaire *-ôn, et got. -iwë (suniwë)


avec la caractéristique -ë du gotique. La forme letto-litua-
nienne, lit. -â, lette -u, est réduite à la désinence *-uon, de
*-5h, des autres types flexionnels, mais par fusion de l'élément
thématique -u- dans la désinence, comme le montre le paral-
lélisme de lit. -iq dans le type en -i-. On peut supposer *-uôn,
*-uuon, d'après av. -vqm; mais plutôt *-uuôn, d'après nom.-
acc. plur. -uvas (et -avas) du lette dialectal dans les vestiges
du type en -û- (§ 202). Le latin -uum se prête aux deux
explications.
Locatif : si. -uxu, qui n'est attesté qu'en vieux russe, avant
le passage de u à o (§ 58) ; ailleurs, en vieux slave et dans
la plupart des langues slaves à date ancienne (§ 163), la
désinence est remplacée par -oxû, analogique, comme dat.
plur. -omû pour *-ûmu, de nom. plur. -ove, gén. -ovu. La dési-
nence si. -uxu répond exactement à skr. -usu, av. -«M, et
cf. gr. -UCTI, loc.-dat.-instr. En letto-lituanien, lit. -uose et
lette -ûs sont remaniés : lit. -uose est identique à la désinence
du type en -o-, mais lette -ûs indique une influence du locatif
singulier, -ù de lit. dial. -uo-je.
Datif : si. -omû, et *-umu a complètement disparu. Le cas
est celui de loc. plur. -oxu, mais ici -omû, désinence du type
en -o-, s'est entièrement imposé, pour lit. -um(u)s, et cf. got.
-um (dat.-instr.) d'une part, de l'autre skr. -ubhyah, lat. -ubus
(dat.-instr.).
Instrumental : si. -ûmi, lit. -umis, cf. skr. -ubhik.

Duel. — Nominatif-accusatif : si. -y ; et lit. -u, de *-û d'into-


nation rude, mais qui ne se distingue plus de -u, représentant
*-uo, du type en -o-; cf. skr. -û, av. -u. La désinence -sa du grec
homérique, -si des inscriptions attiques, est propre au grec,
et nouvelle : c'est parallèle à nom. plur. -s(F)es,
comme -s du typé athématique est parallèle à nom. plur. -ES
(§180)..
[159] HISTOIRE DU TYPE EN -u- 113
j

Génitif-locatif : si. -ovu, avec la caractéristique -u du cas


ajoutée à l'élément thématique -ov-. La désinence est liée à
gén. plur. -ovu et nom. plur. -ove: en sorabe, où le génitif
pluriel -ow est généralisé dans tous les types de flexion, le
bas sorabe généralise de même le génitif duel -owu; au
contraire, en vieux polonais, où le nominatif pluriel wolowie
« bœufs » commence d'être concurrencé par nom.-acc. woly,
le génitif duel wolowu est presque complètement remplacé
par wolu. Le lituanien a perdu la désinence, comme généra-
lement au génitif-locatif duel. L'indo-iranien présente une
forme un peu différente de celle du slave, véd. -(u)voh, qui
répond au génitif pluriel av. -vqm en regard de si. -ovu.
Datif-instrumental : si. -uma, avec la caractéristique -ma
du cas ; et lit. -am, avec la distinction secondaire de dat. -ùm
comme dat. plur. -ùms et instr. -um comme instr. plur. -ums
de -umis. Cf. skr. -ubhyâm, av. -ubya.

159. Histoire du type en -u-. — L'indo-européen présen-


tait des thèmes en -u- masculins,, féminins et neutres, et -u-
pouvait figurer après voyelle. Le hittite a un type en -us et
un type en -aus; un type en *-ëu- n'est attesté qu'en grec,
(îacriÀsûs « roi », mais il y joue un rôle important. Plus
isolément, on trouve des thèmes en *-âu-, gr. vaus « navire »,
et en *-ôu-/*-ou-, skr. gâuh « bœuf, vache », dat. gàve, gr. |3oC?s,
gén. $o(F)ôs. Ce mot en *-ou- est conservé en balto-slave,
lette gùovs « vache », avec la trace de son alternance vocalique
dans si. govçdo, et il faut lui joindre si. zeravï « grue » (§ 175).
L'indo-européen avait en outre un type en -û-, plus spécia-
lement féminin, mais comprenant aussi des masculins. Mal
conservé en baltique, il Constitue en slave un type féminin
de flexion athématique (§ 202), tout à fait à part du type
masculin en -u-.
Pour le type en -u-, il est uniquement masculin en slave,
et ses désinences sont devenues caractéristiques d'une flexion
114 LES THÈMES EN -â- [154]:

de masculins. Le vieux prussien présente encore des neutres :


alu « hydromel », pecku « bétail », panno, panu- « feu », meddo
« miel ». Le letto-lituanien, qui a perdu le neutre dans les
substantifs, en fait des masculins : lit. alùs « bière », medùs,
v. lit. pekus ; mais le lituanien conserve le neutre en -u des
adjectifs en emploi absolu, dans les tours comme taï grazù
« cela (est) beau », et sûrement le lette dans une partie de
ses adverbes en -u. En slave, les adjectifs en -u- ont disparu,
mais des vestiges de formes neutres doivent subsister dans
des adverbes en -u (§ 275). Les substantifs neutres en -u- sont
devenus masculins, medu, v. r. olu, à la différence des neutres
en -o- dont la désinence de nominatif-accusatif singulier a
subi une réfection qui a sauvé le genre (§ 125), mais abluko
« pomme », à la faveur de l'élargissement -ko, en garde le
souvenir (§174).
Pour les féminins en -u- de l'indo-européen, ils avaient été
éliminés dans les adjectifs (§ 123) : le féminin des adjectifs
en -u- était en balto-slave, au témoignage du lituanien,
différent du masculin-neutre et de type sufïixal en -ïj-yâ-,
lit. grazi, gén. graziôs, de grazùs « beau » (§ 155). Les substan-
tifs féminins en -u- sont perdus en baltique et en slave, mais
il faut chercher s'ils n'auraient pas laissé des traces.

Il y avait en indo-européen deux flexions des thèmes en


-u-, l'une en nom. *-us, gén. *-ous : skr. sûnûh, gén. sùnôh ;
l'autre en nom, *-us, gén. *-wes, *-wos : véd. paçàh « troupeau »
(masc.), gén. paçvâh, av. pasû-, acc. plur. pasvô, et au neutre
gr. hom. yôvu « genou », gén. youvôç de *yovFôs. Les deux
flexions n'ont pas manqué de se mêler, l'une du type spécial
en -u-, l'autre du type consonantique général, et en latin,
de senaius «sénat», le génitif senatus, de *-ous, a connu les
variantes senatuos (v. lat.) et senatuis. En germanique, des
noms en -us précédés de consonne géminée gardent la trace
du type en gén. *-wes, *-wos, got. kinnus (fém.) « mâchoire »
[159] HISTOIRE DU TYPE EN -u- 115

représentant une réfection de *kinus, gr. yêwç, sur *kinw-,


d'où kinn-, des cas obliques. La flexion anomale de got.
manna « homme », gén. mans, dat. manni, en regard de skr.
mânuh, suppose également un thème *manw-, d'où marin-.
Ceci paraît fournir l'explication du slave mçzï « homme,
mari », en admettant un traitement slave du groupe *nw en
*ng (§ 40) : une forme athématique *manw-, donnant *mang-,
passait régulièrement en slave au type en -i- (§ 175), d'où
acc. *manzï, qui avec chuintante s'absorbait dans le type en
-yo- (,§ 170). Le nominatif singulier doit être conservé dans
le slavon malûzena « mari et femme » (pol. malzonek « mari »,
etc.), composé par juxtaposition parallèle à bratusestra « frère
et sœur », avec le premier terme malu- altéré de *manu-. Les
alternances de- quantité dans la flexion athématique, qui
étaient restées vivantes en balto-slave (§ 175), justifient le
nominatif *mânu- d'un thème *manw- ; le baltique paraît
le garder de son côté sous la forme remaniée zmân- (§ 182).
Des alternances vocaliques de la syllabe radicale étaient
appelées par le type athématique, et elles sont connues dans
les neutres en -u-: en face de gr. yôvu, gén. *yov/r6ç, Sôpu
« bois, lance », gén. *Sop/os, Soupos, on a skr. jânu, en compo-
sition jnu-, gr. yvû-TTETos, skr. dâru, gén. drôh, en composition.
dru-, et si. drûva qui en est le pluriel. Cf., avec un thème en
-n-, les formes *nômn-, *nomn- et *nmn- du mot « nom »
(§186):
Un exemple plus simple de flexion ancienne du type à géni-
tif en *-wes est fourni en slave parle dérivé medvïnu «de miel»,
r. medvjânyj, de medu : il suppose un thème *medw- des cas
obliques, comme dans véd. mâdhu, gén. mâdhvah, antérieur
à la flexion de l'époque historique, si. medu, gén. medu, lit.
medùs, gén. medaûs, qui entraîne d'autres dérivés sur thème
mëd- ou medov-, slavon serbe medovïnï, pol. miodny, r. medôvyj.
De même, en baltique, v. pr. pecku, v. lit. pekus, indique par
la conservation de -k- en regard de skr. paçu-, av. pasu-,
116 LES THÈMES EN -â- [154]:

une flexion sur thème *pekw-, d'où *pekw- et pek- (§ 12),


avec généralisation de la forme pek- des cas obliques.
Il convient alors de se demander si le slave et le baltique
n'ont pas gardé d'autres vestiges du type athématique à
génitif en *-wes qui devait donner lit. -vi-, si. -vï par passage
au type en -i-. Le slave présente dans certains mots une
finale -vï où constater un suffixe *-vis n'est pas l'expliquer :
dans des masculins, Helervï « coq de bruyère », *panarvï « ver
blanc », et *siïrvï « charogne » qui pourrait être un ancien
neutre (§ 171); dans des féminins, v. si. vëtvï «branche»,
vruvï « corde », et ce serait la trace des féminins en -u- disparus
en slave. Le mot *vïrvï, lit. virvë, doit continuer *viru-, thème
en -u- sur la racine verbale balto-slave *ver- dont les sens
sont divers, mais cf. lette virkne «corde»; pour vëlvï, voir
§ 160. Les mots en -DIS du baltique, comme lit. kâlvis «for-
geron » en regard de kâlvé « forge » et de kâlti « forger »,
appelleraient un même examen. Le plus curieux est ûosvis
« beau-père », fém. ûosvè : il est isolé, mais il a l'aspect d'un
mot ancien. Conserverait-il le vieux mot indo-européen gr. CÔKÛÇ
« rapide », skr. âçûh, lat. ôcior (comparatif), sur la base de son
féminin *ôsvï, et antérieurement à l'altération de *-vï en
lit. -i dans les féminins d'adjectifs en -u- ? Ce serait une épi-
thëte élogieuse, « la diligente », appliquée à la mère du mari,
ou bien ironique à l'adresse de la mère de la femme, comme
le serbo-croate pûnica (§ 203) qui paraît avoir été à l'origine
une moquerie des gendres agacés par leur belle-famille.

L'élément thématique -u- pouvait être précédé de -i- : skr.


manyûh « colère ». Un type en -yu- est en effet largement
représenté en lituanien, dans des mots d'emprunt comme
karâlius «roi» de r. korôl', et dans des noms d'action ou
d'agent comme vaïsius «fruit», de velsli «se propager» (en
parlant des plantes), factitif vaisyli «propager, faire fructifier».
Le type a disparu en lette, où tout le type en -u- est en déca-
[160] LES SUBSTANTIFS DU TYPE EN -u- 117
!.
dence. En slave, il s'est complètement fondu avec le type en
-yo- et n'est plus reconnaissable, mais il a laissé des traces
attestant que son élimination est récente : il a donné au type
en -yo- son vocatif en ~(j)u, et les désinences mouillées dat.
sing.-(j)evi, nom. p l u r . - ( j ) eue, gén. p l u r . - ( j ) evu, qui s'étendent
parallèlement aux désinences dures -ovi, -ove, -ovu dans la
flexion des masculins en -o-. Il est vraisemblable qu'on a un
thème ancien en -yu- dans v. si. dùzdï « pluie », à pluriel
duzdeve et à dérivé dùzdevïnu, de *dus-dyu- « mauvais temps »,
avec la forme *dyu- du nom du «jour» à côté de *din-,
si. dinï (§ 182).

160. Les substantifs du type en -u-. — Le type des mas-


culins en -u- est bien conservé en lituanien jusqu'à l'époque
moderne, seulement dans une dizaine de substantifs en -us
après thème dur, mais dans un nombre considérable de
substantifs en -ius. Toutefois, comme il a perdu quelques-unes
de ses désinences ôaractéristiques, avec dat. sing. -ui pour
si. -ovi, gén. plur. -il pour si. -ovu, il accuse des signes de
faiblesse. Dans une bonne partie des dialectes lituaniens, le
pluriel a complètement disparu par passage au type en -o-:
sûnùs, nom. plur. sûnaï pour sunûs, etc. ; et les désinences
du singulier sont également menacées. Pour la flexion des
nombreux adjectifs en -u-, elle ne garde que quelques dési-
nences du type dans les formes indéterminées, presque rien
dans les formes déterminées (§ 275). En lette, la flexion en
-u- ne subsiste au singulier que dans peu de mots, avec flexion
de pluriel en -o- ; dialectalement, le type est entièrement
éliminé. Quant au vieux prussien, il était en train de faire
passer ses noms en -u- au type en -o-: acc. sunun « fils»,
mais plus souvent soùnan, et nom. soûns, gén. soûnas.
En vieux slave, on reconnaît encore des masculins en -u-,
mais la flexion n'en est plus que mêlée (§ 157) : de synù « fils »,
un accusatif synu est encore assez fréquent, mais un génitif
118 LES THÈMES EN -u- [,163]

synu est devenu très rare, et la forme courante est le génitif-


accusatif syna. Le cas de synu, mot du sous-genre personnel
qui développait un génitif-accusatif nécessairement en
-a (§ 126), est un peu spécial, comme celui de gospodï «sei-
gneur» dans le type masculin en -i- (§ 170). D'autres mots
conservent mieux leurs désinences propres, et on peut ainsi
les distinguer encore en vieux slave des substantifs du type
en -o-. Ils sont peu nombreux :
synu, lit. sûnùs. Ce mot balto-slave n'a son correspondant
exact qu'en indo-iranien, skr. sûnûh. Le germanique a got.
sunus, mais avec su- h voyelle brève, et le grec uîûs,, uiôç,
montre que -nu- est un suffixe. C'est une formation ancienne
de l'indo-européen, qui garde en sanskrit Un lien avec la racine
verbale sû-, suv-, au sens d'« enfanter », dont la brève devant
voyelle (§ 98) a pu être généralisée en germanique.
domu « maison », gén. domu régulièrement, et la flexion
est confirmée par le datif domovi « à la maison » (avec mou-
vement) fixé en valeur d'adverbe (§ 321). La latin a domus,
fém., gén. domus, mais aussi thème en -o- (féminin), gén.
domî, comme gr. Sonos, masc., skr. dâmah. Il paraît
difficile de séparer du mot slave le mot baltique, lit. nâmas,
usuellement plur. namal, et de ne pas admettre une altération
de l'initiale en baltique, avec n- pour d- comme inversement
d- pour n- dans lit. debesis «nuage»'(§ 190). Ce nom de la
« demeure de famille », du « home », plus stable que les noms
concrets de la « maison », v. pr. buttan et lit. butas, v. si.
xramû, etc., a l'aspect d'un dérivé nominal de la racine
verbale de gr. Séiico «je bâtis », succédant à un vieux thème
consonantique *dem-, gr. hom. Sco de *6cop. Il ,n'est pas sur-
prenant que le balto-slave ait connu, de même que le latin,
deux dérivés parallèles en -o- et en -u-. L'adverbe si. doma «à la
maison » (sans mouvement) n'a pas de rapport avec la flexion
en -u- et pourrait être un vestige de la flexion en -à- (§322).
[160] LES SUBSTANTIFS DU TYPE EN -u- 119
S
volu «bœuf», gén. volu, flexion confirmée par le dérivé
v. si. volui « de bœuf», dé type ancien (§ 28). Le mot a rem-
placé en slave le terme indo-européen et balto-slave qui se
conserve dans gov-çdo (§ 159). On doit penser à la substitution
au nom de l'animal d'un nom de l'attelage, comme dans lat.
iûmentum «bête d'attelage», cheval, etc., et dans lit. jâulis
« bœuf », de la racine du lette jûtis, plur., « jointures », et de
skr. jaumi « j'attelle ». La forme du mot est identique à celle
de got. walus « bâton », et ce nom du « rouleau », du « rondin »,
si. valiti « rouler », désigne le « palonnier » dans v. pr. walis
et dans r. valëk. C'est une pièce de l'attelage, qui a pu désigner
l'attelage lui-même.
V. si. vruxu « sommet », gén. vrûxu, mais aussi vruxa. La
flexion en -u- est confirmée par lit. virsùs, et en slave par des
dérivés, dont l'adjectif vrûxûnjii (§ 83).
polu «moitié », gén. polu régulièrement. Le mot est propre
au slave. Il a sûrement signifié le « milieu », et v. si. polu dîne
« midi » est le « milieu du jour », lat. merïdiës, v. h. a. miltitag.
Le sens de « milieu », dans lequel polu succédait à v. si. mezda
devenu «limite», r. mezâ, et a été remplacé par v. si. srëda
« le cœur », doit dériver de celui de « plein ». Polu serait ainsi
un adjectif neutre en -u- substantivé, de la racine de lit.
pilti «emplir», pilnas «plein», si. *pïlnu, répondant exacte-
ment à gr. TTOÀÙÇ « abondant », et avec un vocalisme radical
différent de celui de lit. (par-)pilu « en quantité », skr. puruh,
mais sans doute plus ancien et non refait sur la racine verbale.
medû «miel», gén. medu, mais aussi meda: ancien neutre,
gr. piéôu, etc.
On ajoutera v. r. olu, gén. olu, ancien neutre et thème en -u-,
d'après v. pr. alu et le dérivé r. olovîna. Mais il ne sert de rien
d'allonger la liste. Les désinences du type en -a- ont été éten-
dues au type en -o-, et elles ne prouvent plus rien, non plus
que les dérivés en -ov-. Le lette ledus « glace », mais lit. lëdas,
120 LES THÈMES EN -u- [,163]

et le lituanien lufgus « marché », qui peut être un emprunt


au slave, ne sauraient garantir que v. si. ledu, trugû aient
été des thèmes en -u-. Si l'existence d'un suffixe *-nu- est
sûre, ce n'est pas à cause de la flexion de quelques mots a
finale -nu, comme cinu « ordre », gén. cinu et cina, mais parce
qu'on a un élargissement -nukû dans des mots vieux-slaves,
oslanùku « reste », oprësnuci « azymes » ; et il faut écarter
des mots plus tardivement attestés, où, comme dans r.
cesnôk « ail », en regard de s.-cr. cèsan, on n'a plus affaire qu'à
la substitution courante de *-ukû à -ici, r. gorodôk «petite
ville» pour v. si. gradïcï, comme de -ka à -ïca (§ 111). De
même un suffixe *-tu- est établi par sa forme élargie -tuku
dans une série de mots, nacçlùku «commencement», etc.;
le supin, si. -tu, lit. -tq, est une forme fixée de ce suffixe. On
doit le retrouver dans lista « feuille », en face de lit. laïskas,
à cause de son collectif lislvïje. Le mot est parallèle à vëtvï
« branche », collectif vëtvïje, qui doit représenter *œai-tu-,
de la racine *wei- de viti «tordre, tresser», vëja «branche»
(§ 42), et il n'en diffère que parce que *vaitu-, féminin, a été
adapté en -vï (§ 159). Comme vëtvï «branche» a signifié
« ce qui se tresse », branche d'osier, etc., listu « feuille » a pu
signifier « ce qui s'amincit », feuille de pâte, de bois, etc.,
de la racine de lit. lîjsli, lette liëst « maigrir ». Pour un suffixe
*-yu-, on le retrouve en slave dans ses contaminations avec
la flexion en -yo-.
Il est donc sûr que le type en -u-, en train de disparaître
dès le vieux slave, avait tenu une place importante dans la
langue. Il a dû servir à l'adaptation de nombreux mots
d'emprunt (§ 162, § 209). Il a donné des dérivés en *-ujï,
en -ovïnu, etc. ; des dérivés anciens se sont isolés de lui, et ils
ont leur productivité propre : adjectifs possessifs en -ovu
(§ 295), verbes en -ovati. Les désinences les plus caracté-
ristiques et les plus pleines, dat. sing. -ovi, etc., se maintien-
nent en slave, tandis que le baltique les efface ; le type en -u-
[161] EXTENSION DES DÉSINENCES AU SINGULIER 121
i
se perd dans le type en -o-, mais ses désinences subsistent et
s'étendent dans la flexion des masculins, à des époques
différentes et avec un succès varié selon les langues.

161. Extension des désinences au singulier. — Au vocatif,


l'adoption de ~(j)u par la flexion mouillée en -yo- est générale,
sûrement pour une cause particulière (§ 136). Dans le type
dur, l'extension de -u a été tardive et limitée : on la trouve
en polonais, en tchèque et slovaque, en ukrainien, seulement
dans le cas où le thème est terminé par une gutturale, et pour
en éviter l'alternance : pol. duchu « esprit », et czloœieku
« homme » substitué à czlowiecze. Le haut sorabe, seul à
maintenir le vocatif en sorabe (§ 141), atteste un même état :
ducho, mais avec confusion secondaire en ~(j)o de ~(j)u du
type mouillé et de -jo du type dur, issu de -'e (§ 48), v. si. -e.
En serbo-croate, la distinction de -e et ~(j)u est régulière
dans la langue commune, et ce n'est que dialectalement que
-u est généralisé. Pour le vocatif synu, il s'est maintenu jus-
qu'au polonais et jusqu'au tchèque et au slovaque modernes,
mais une variante pol. synie apparaît de très bonne heure ;
le vieux slave méridional a déjà syne plus fréquent que
synu.
A l'instrumental, les deux formes -omï du type en -o- et
-umï du type en -u- se sont confondues complètement, et
-omï a été généralisé dans le domaine méridional, -umï en
russe et dans le groupe septentrional : v. si. synomï comme
rabomï, et s.-cr. et slov. sînom (secondairement slov. -am,
§ 143) ; — v. r. -umï, passant bientôt à -om, et ukr. -om de
-umï à la différence de gén. plur. -iv de -ovu (§ 106) ; pol. -em;
v. sor. -em, secondairement sor. -om d'après -jom, de -'em
issu de -ïmï du type mouillé ; tch. -em, secondairement slo-
vaque -om. La forme mouillée de -umï se confondait avec la
désinence -ïmï du type en -i-, qui, après avoir connu une
petite extension en vieux slave, a disparu devant -(j)emï du
122 LES THÈMES EN -u- [,163]

type en -yo- dans le groupe méridional (§ 172) ; ailleurs, le


groupe russe, v. r. -ïmï, puis -em (-om), ukr. -em, atteste la
généralisation de -ïmï dans le type en -yo-. Comme la désinence
d'instrumental en -mï, dans la flexion en -o-, a été substituée
à *-o du balto-slave, on peut penser que -omï et -umï repré-
sentent deux formes différentes de l'innovation en slave
commun (§ 131).
Au génitif, l'extension de -u à la place de -a est très limitée
en vieux slave. La désinence -u a complètement disparu
en serbo-croate, tandis qu'en slovène elle a été généralisée
dans les masculins monosyllabiques anciens paroxytons à
longue d'intonation douce, avec déplacement de l'accent
sur la finale (§ 93) : type grâd « ville », gén. gradû, mais grâda
avec accent normalisé. En russe, la désinence -u s'est large-
ment étendue, à date ancienne, dans les noms désignant des
inanimés, et il en est encore ainsi en russe dialectal et en
ukrainien. Mais dans le russe littéraire moderne -u n'apparaît
que dans des locutions adverbialisées, comme bez srôku
« sans terme », et avec des noms désignant une matière ou
une masse, comme (câska) cdju ' « (une tasse) de t h é » ; il
donne un génitif de valeur partitive qui s'oppose au génitif
en -a, câja, en emploi libre. La désinence -u est admise par
quelques polysyllabes et peut porter l'accent, ainsi tabàk
« tabac », gén. tabakâ et (net) tabaku « (il n'y a pas) de tabac » ;
mais le type primitif, et qui reste dominant, est celui des mono-
syllabes à flexion de paroxytons, celui de mëd « miel », gén.
mëda «du miel » et mëdu «de miel», et le génitif en -u est
le plus souvent inaccentué. En sorabe (seulement dans la
flexion dure), en polonais et surtout en tchèque, -u l'emporte
sur -a dans le sous-genre inanimé, mais plus particulièrement
avec les noms de matière, les collectifs et les abstraits, et
avec des nuances d'emploi délicates et des flottements nom-
breux. Dans l'ensemble, le type personnèl ou animé v. si.
synù, gén. synu, ne s'est pas conservé, parce que synu a été
[161,] EXTENSION DES DÉSINENCES AU SINGULIER 123
. 1
évincé par le génitif-accusatif syna ; mais le type inanimé
medu, gén. rnédu, a connu un grand développement.
Au locatif, l'extension de -u à la place de -é est aussi limitée
en vieux slave qu'au génitif. Elle l'est restée en moyen
bulgare, et les rares vestiges du locatif en bulgare moderne,
comme dial. na ùme « dans l'esprit », n'attestent que -ë. Mais
la désinence-avait l'appui d'un mouvement d'accent (§ 99) :
medu, loc. * medu, s.-cr. mêd, gén. mëda, loc. mèdu, r. mëd,
loc. v medu. En serbo-croate, -u a été complètement généralisé,
et la distinction du locatif et du datif remplacée par celle
d'un locatif-datif non prépositionnel, ancien datif, et d'un
locatif-datif prépositionnel, ancien locatif, avec une diffé-
rence d'accent, mais seulement dans une partie des cas (§219) :
dâru « au don », et u dâru « dans le don ». Cet état n'est d'ail-
leurs pas très ancien en serbo-croate, de la fin du xv e siècle
à peu près : il paraît résulter d'une extension progressive de
-u après préposition sur le modèle de la préposition po qui
se construisait avec le datif. Et il n'est pas commun à tous les
dialectes : le cakavien continue de distinguer dat. dâru et
loc. dâri. Le slovène a généralisé -u comme le serbo-croate,
avec conservation partielle du mouvement d'accent : môst
« pont », gén. mostâ, mostû, loc. na môstu, répondant à s.-cr.
môst, môsta, na mosiu ; dans les dialectes, on trouve soit -e,
-ie, de -ë du type dur, soit -i du type mouillé ancien.
En russe, l'extension de -u a été assez importante, mais en
principe en fonction du mouvement d'accent entre le thème
et la forme du locatif, -u étant toujours accentué. Il en reste
un groupe de locutions à demi fixées, seulement avec les pré-
positions v et na, du type les « forêt », gén. lésa, loc. v lesù,
mais en emploi libre o lèse, etc. ; ces locutions sont plus nom-
breuses dans les dialectes que dans la langue littéraire. Il y
avait aussi tendance en russe ancien à employer -u après
gutturale, poûr éviter l'alternance consonantique : cette
tendance reste accusée en ukrainien, ainsi; v strâsi et v straxû
124 LES THEMES EN -u- [162]

« dans la peur ». En polonais, la désinence -u, bien conservée


dans quelques formes anciennes comme synu, domu, a été
substituée dans le type mouillé à -i presque complètement
disparu dès le vieux polonais, avec opposition de mqz
« homme », loc. mçzu, à zqb « dent », loc. zebie du type dur.
Elle a été également étendue de bonne heure aux thèmes ter-
minés par gutturale, jçzyk « langue », loc. jqzyku-pour v. pol.
jçzyce. Il en a été de même en sorabe. Et à peu près de même
en tchèque, où la désinence -i du type mouillé, klic « clé »,
loc.-dat. klici, dérive de v. tch. -'u, mais en plus avec exten-
sion dans le type dur de -u à côté de -ë, et d'un datif-locatif
inanimé -u (animé -ovi) qui concurrence le locatif : hrad
« château », dat. hradu, loc. hradë, mais aussi loc.-dat. hradu,
avec gutturale loc.-dat. jazyku et loc. jazyce.
Avec l'extension de -u au locatif, de -u au génitif et de -ovi
au datif, le système de flexion des masculins s'est grandement
compliqué en tchèque et en polonais.

162. Le datil en -ovi. — C'est surtout la désinence -ovi,


avec sa forme mouillée -(j)evi, qui"a joué un rôle important
au singulier : elle apparaît comme caractéristique du sous-
genre personnel, au même titre que le génitif-accusatif en -a.'
Elle présente une grande extension en vieux slave, avec les
noms de personnes, surtout avec les noms propres étrangers.
Si elle se rencontre avec quelques noms inanimés, comme
mirovi « au. monde », et même avec des neutres, comme
morjevi « à la mer », c'est qu'ils sont personnifiés et traités
comme être agissants, et exactement dans les conditions où
l'on peut avoir le génitif-accusatif. Dans la flexion des anciens
thèmes en -u, de ceux qui gardent le mieux les désinences
du type, le datif est toujours en -u s'ils sont inanimés : domu,
et un datif domovi est personnifié et signifie « aux gens de la
maison». Cette valeur de la désinence -ovi est nouvelle :
domovi s'est conservé au sens non personnel, mais seulement
[162] LE DATIF EN -oui 125

comme-adverbe figé (§ 160). Bien que fréquente, la forme


en -ovi l'est pourtant beaucoup moins en vieux, slave que la
forme en -u avecies noms du sous-genre personnel. On ne
trouve pas de règle nette de répartition des deux formes,
mais des oppositions comme Luc, V, 10 bëste obïsiïnika
Simonovi, i rece kiî Simonu «(les deux) étaient associés de
Simon, et il dit à Simon », quoique n'étant pas systématiques,
font voir que la forme en -ovi était sentie comme forme pleine
du datif d'attribution sans préposition et sans déterminant.
Le datif en -ovi du vieux slave et du moyen bulgare s'est
conservé dans quelques parlers macédoniens avec des noms
de parenté. En serbo-croate, il a complètement disparu, et
le slovène l'a également éliminé, sauf certains dialectes qui
gardent -ovi ou secondairement -ovu; ce sont des langues
qui font grand emploi des formes en -ov- au pluriel, et ont dé-
veloppé une opposition du singulier sans -ou- et du pluriel en
-ov- (§163). Le'russe a lui aussi perdu le datif en -ovi, mais on
le trouve jusqu'au xiv e siècle dans des noms de personnes,
et il s'est maintenu à l'époque actuelle dans une partie des
parlers blanc-russes, et surtout en ukrainien. L'ukrai-
nien (§ 139), où -ovi représente -ov-ë, forme remaniée, a
généralisé la désinence -ovi, et -evi dans le type anciennement
mouillé, au datif des masculins animés et inanimés; il l'a
même étendue aux neutres : mlsto «ville», dat. mistu et aussi
mlslovi, et au locatif des masculins animés : bral «.frère», dat.
brâtovi, loc. brdti, et loc.-dat. brâtovi.
En polonais, -owi est devenu la désinence ordinaire de. datif
pour les inanimés comme pour les animés, avec substitution
de -iowi à la forme ancienne -ewi dans le type mouillé. Le
datif en -u ne s'est conservé qu'avec un certain nombre de
substantifs à génitif en -a, et qui sont pour la plupart des
animés : ceci s'explique par la grande extension du génitif
en -u dans les inanimés et par le souci de différencier gén. -u
et dat. -owi, mais c'est tout à fait contraire à la répartition
126 LES THÈMES EN -u- [,163]

primitive des deux désinences de datif. En sorabe, on a ordi-


nairement -oj(u), pour v. sor. -owi (§ 141), dans les animés
du type dur, et -(j)oj(u), pour dial. -(j)ewi, dans tout le type
mouillé, en regard de -u dans les inanimés du type dur. En
tchèque, le datif en -ovi reste propre aux animés, et surtout
aux noms de personnes (§ 142), dans le type mouillé, pour
v. tch. -evi, comme dans le type dur, et il s'oppose à -u régulier
dans les inanimés; ce datif en -ovi est devenu locatif-datif,
et l'on a un système de flexion qui dégage deux types, chlap
«garçon», loc.-dat. chlapovi (animé personnel), et hrad «châ-
teau », dat. hradu, loc. hradë et hradu (inanimé), mais qui est
plus compliqué.
Si divers dans le détail que soient les développements des
langues slaves, ils se ramènent à l'état vieux-slave : extension
de la désinence -ovi, -(j)evi, comme caractéristique du sous-
genre personnel. Or il n'est pas vraisemblable que cette
extension soit partie du seul masculin synu « fils » : il y avait
sûrement beaucoup d'autres masculins en -u- et -yu- du
sous-genre personnel, qui échappent parce qu'ils se sont
perdus dans les thèmes en -o- et en -yo-. On doit supposer
tout un type de noms de personnes, surtout noms d'em-
prunt (§ 209), peut-être aussi hypocoristiques, que le baltique
conserve, lit. Kristus «Christ», lette Mikus «Nicolas», et
tous les mots lituaniens en -ius (§ 159), et que l'on retrouve
abondamment en gotique, Xrislus, aggilus « ange », etc.
C'est de ce type que relèvent les adjectifs possessifs en -ovu,
comme Xrïsiovu « du Christ », dérivés de thèmes en -u-, qui
sont dès lé début usuels en slave avec des noms propres étran-
gers (§295). x •

163. Extension des désinences au pluriel. — Au locatif,


l'extension de la désinence -oxu, substituée à -ûxu (§ 158), est
faible en vieux slave, mais on la retrouve en moyen bulgare,
en vieux serbe, en vieux polonais ; le sorabe ancien a de même
[163] EXTENSION DES DÉSINENCES AU PLURIEL 127
!

-och (§ 141), mais -och ne se distingue plus en sorabe de -(j)och


issu de -ech, et -och du slovaque et du tchèque dialectal doit
être également secondaire de tch. -ech. Car l'extension de la
forme mouillée -exu. a été plus importante que celle de -oxu
du type dur, mais elle se rattache plutôt à l'histoire du type
en -i- (§ 165).
A l'instrumental, l'extension de -umi pour -y, et de même
au datif-instrumental duel de -uma pour -oma, ne se sépare
pas non plus de celle de -ïmi, -ïma de la flexion en -i-. La dési-
nence, qui était réduite à -mi, a pu s'ajouter indifféremment
à un thème dur, v. si. (rarement) grëxumi pour grëxy « par
les péchés », ou à un thème mouillé, slavon mozïmi pour
mçzi « par les hommes », c'est-à-dire grëxmi, mçzmi. En vieux
serbo-croate, on trouve aussi bien jezicmi pour jezici « par
les langues », avec ' une alternance consonantique nouvelle
(§ 144).
Les désinences qui ont joué un grand rôle sont celles du
nominatif, -ove, -(jjeve pour -i, et du génitif, -ovu, -(j)evû
pour -û. Elles commencent de s'étendre en vieux slave, mais
uniquement dans les substantifs à radical monosyllabique,
à la différence du datif singulier en -ovi qui apparaît fréquem-
ment avec des polysyllabes. Le point de départ est .évidem-
ment dans le génitif pluriel : on voit dans toutes les langues
slaves des remaniements du génitif pluriel des masculins,
parce que sa désinence -û, qui devenait désinence zéro,
constituait une caractéristique insuffisante du cas et qui ne le
différenciait pas du nominatif-accusatif singulier. On peut
supposer que la substitution de -ovu à -u a eu lieu d'abord
dans les mots dont le génitif pluriel ne se distinguait pas du
nominatif-accusatif singulier par la place de l'accent, puis
par l'intonation liée au recul de l'accent. C'était le cas avec
les oxytons du type *grëxu « péché », à recul sur intonation
douce (§102), cak. grih, gén. grîhà, gén. plur. grih-Ih, et avec
les anciens oxytons du type * daru. « don » à recul sur intonation
128 LES THÈMES EN -u- [,163]

rude.(§ 103), cak. dâr. Et en effet des génitifs pluriels grëxovu,


darovu, sont fréquents en vieux slave, entraînant aux autres
cas la flexion en -u-, nom. plur. darove, loc. daroxu, instr,
darumi. Mais le développement de gén. plur. -ovu, bien que
restreint encore, n'est plus limité en vieux slave par des règles
d'accent : on trouve également des formes comme gradovu,
du paroxyton gradu « ville », cak. grâd à intonation différente
de celle de gén. plur. grâd-ïh ; et d'ailleurs l'accentuation du
type paroxyton cak. grâd, gén. grâda, et celle de l'ancien type
oxyton cak. dâr, gén. dâra, s'étaient confondues.
En moyen bulgare, l'élément -ov- est senti comme élargisse-
ment de pluriel, auquel s'ajoutent les désinences, et ainsi,
d'après nom. synove, gén. synovu, on a acc. synovy pour v. si.
syny, loc. synovoxù, pour v. si. synoxu, dat. synovomu pour v.
si. synomu, instr. synovy pour v. si. synumi, avec grande exten-
sion de ce type en -ov- dans les mots à radical monosyllabique.
En bulgaro-macédonien moderne, le pluriel en -ove est le
pluriel ordinaire des masculins monosyllabiques.
Le vieux serbe a suivi la même évolution que le moyen
bulgare, et le serbo-croate moderne oppose un singulier
yrâd, gén. grâda, etc., et un pluriel à élargissement en -ov-,
grâdovi, &cc. gràdove, gén. gradôvâ, loc.-dat.-instr. gràdovima,
gradovima ; pour l'accentuation, voir § 219. L'élargissement
-ov-, -ev-, est régulier avec les thèmes masculins monosylla-
biques, et il s'est étendu à une partie des thèmes à voyelle
mobile, type àvan « bélier », plur. ovnovi, et aussi à des thèmes
dissyllabiques, type kàmën « pierre », plur. kàmenovi. Les
thèmès monosyllabiques sans élargissement, peu nombreux,
sont en principe, comme en bulgare, les vestiges des autres
types de flexion des masculins, surtout du type des masculins
en -i- qui a eu une petite extension (§172), et ils en conservent
des particularités de flexion : kônj «cheval», plur. kànji,
loc.-dat.-instr. k'ônjma, de konjmi, à côté dè kànjima. Mais cet
état du serbo-croate moderne n'est celui que d'une partie des
[163] EXTENSWN DES DÉSINENCES AU PLURIEL 129
i
dialectes : dans les parlers occidentaux, la tendance a été au
contraire à restreindre les formes en -ou-, jusqu'à les faire
complètement disparaître ; d'où des flottements dans la
langue commune, où des formes comme plur. grâdi se main-
tiennent en tant que régionales, ou archaïques et poétiques.
Le dialecte cakavien, du moins sous son aspect le plus typique,
ignore les formes en -ov-; le cakavien ancien avait très peu
développé le nominatif pluriel en -ove, mais il avait connu
une extension du génitif pluriel en -ou.
Le slovène a généralisé -ou, -eu, comme désinence de génitif
pluriel, en ne gardant que quelques vestiges du génitif sans
désinence. D'autre part, comme le serbo-croate, il a étendu
l'élargissement -ou- à toute la flexion du pluriel, et aussi du
duel, mais seulement avec les thèmes monosyllabiques portant
l'accent long descendant : dûh «esprit», plur. duhôvi, acc.
duhôve, etc., duel duhôva.
En russe, -ov est la désinence normale de génitif pluriel
des masculins du type dur, en regard de -ej dans le type
mouillé, et les dialectes étendent -ov aux neutres et aux
féminins. Il y a eu en russe ancien un certain développement
du nominatif pluriel en -ove, passé ensuite à -ovja; il n'en
subsiste que deux formes, et remaniées d'après le type en
-'/V (§ 211) : syh «fils», kum «compère», plur. synov'jâ,
kumov'jâ. L'ukrainien a généralisé la désinence -iv de génitif
pluriel non seulement dans le type dur, mais aussi dans le
type mouillé. '
En polonais, -ôw est la désinence ordinaire de génitif pluriel
des masculins du type dur, et -owie la désinence de nominatif
pluriel d'une partie des noms du sous-genre personnel, surtout
des noms de parenté, de famille, de dignités. Ainsi -owie est
devenu, avec -i, la caractéristique du sous-genre personnel au
pluriel, par opposition à -y du sous-genre non personnel.
Ceci est nouveau : -owie s'était étendu en vieux polonais
égalemènt à des inanimés, mais ensuite, avec le développe-
130 LES THÈMES EN -u- [,163]

ment au pluriel du sous-genre animé, puis personnel, l'accu-


satif pluriel -y a donné le nominatif-accusatif pluriel inanimé,
se distinguant de nom. -i et -owie des noms de personnes à
génitif-accusatif -ôw.
En tchèque, -uv, devenu -û (= -û), est la désinence normale
de génitif pluriel des masculins des deux types dur et mouillé,
et le nominatif pluriel -ové, slovaque -ovie, -ovia (§ 142), s'em-
ploie, de même que -owie en polonais, comme caractéristique
du sous-genre animé et surtout des noms de personnes, à
côté de -i et non sans flottement entre les deux désinences,
comme en polonais également.
En sorabe, -ow a été généralisé au génitif pluriel, et -owu
au génitif duel, dans toutes les flexions, des masculins, des
neutres et des féminins.

On voit combien grande a été généralement l'extension


des désinences du type en -u- dans la flexion en -o-, mais aussi
combien diverse elle a été selon les langues. Il en est résulté
des différences importantes entre Jes langues slaves dans la
flexion des masculins, et il n'en est pas résulté partout, tant
s'en faut, plus de clarté dans la flexion. Le type en -u- appor-
tait bien quelques désinences plus pleines, mais il apportait
aussi de la confusion dans le type en -o- avec lequel il se
contaminait : confusion liée, dès le vieux slave et son datif
singulier en -ovi, à la complication des sous-genres, et qui
dure et s'est accrue en polonais et en tchèque. Le serbo-croate
s'en est sorti par de fortes normalisations, le russe en se
débarrassant presque complètement des désinences du type
en -u- et en n'en retenant que la désinence vraiment utile,
celle du génitif pluriel en -ov.
CHAPITRE Y

LES THÈMES EN -I-

164. Flexion. — Le type comprend, outre des traces du


neutre (§ 166), des masculins et des féminins, mais avec deux
flexions un peu différentes, à l'instrumental singulier l'oppo-
sition d'une désinence masculine en -ml et d'une désinence
féminine en -jç, au pluriel la substitution d'un nominatif-
accusatif féminin au nominatif et à l'accusatif conservés dis-
tincts dans les masculins. Et avec une vitalité très inégale
selon le genre : le type des masculins est encore bien repré-
senté en vieux slave, mais il n'est plus productif, et il va
bientôt disparaître plus ou moins complètement, comme en
baltique, absorbé par le type courant des masculins, en
-yo- ou en -o- selon les langues slaves et l'importance qu'elles
attribuent aux faits de mouillure ; le type des féminins se
maintient généralement très stable, même si dans les langues
modernes sa productivité n'est plus guère liée qu'à celle du
suffixe -osïï.
Le type en -i- ne possède plus que des substantifs, et en
outre un numératif, trïje u trois », qui a les trois genres (§ 304).
Il a disparu dans la flexion des adjectifs, en ne laissant que
quelques traces (§ 276) ; dans la flexion des pronoms, on peut
le reconnaître dans des formes sï (§ 232), cî-io (§ 237), mais
non dans i'anaptaorique *i- qui s'est confondu avec le relatif
(§ 243).
Comme pour les. thèmes en -u- (§ 159), l'indo-européen
132 LES THÈMES EN -u- [,163]

connaissait deux flexions des thèmes en -i-, l'une en gén. *-yes,


*-yos, véd. dvih «mouton», gén. âvydh, gr. (hom.) ôiç, gén.
oiôç, et l'autre en gén. *-eis, skr. mâtih « pensée », gén.
màteh; ces deux flexions n'étaient distinctes qu'à une partie
des cas. C'est la seconde, ordinaire en sanskrit et régulière
en avestique et en germanique, que présente le balto-slave :
lit. avis, gén. aviës. L'indo-européen avait aussi des thèmes
longs en -ï-, comme en -û- : on doit en retrouver la trace
dans le type féminin en *-f: -yâ- (§ 154).
Voici la flexion comparée d'un féminin en lituanien, naktis
« nuit », en vieux slave, nostï, et en russe, noc', et celle d'un
masculin en vieux slave, pçtï « chemin »' :
lit. v. si. v. si. russe
Sing.
N. naktis nostï pçtï nocVf
A. nàktj. nostï pçtï noc
G. naktiës nosti pçti nôëi
L. naktyjè nosti PQti nôëi (v noci)
D. nàkciai nosti pçti nôci
I. naktimi nostijç pçlïmï, -emï nôc'ju
V. naktië nosti pçti
Plur.
N. nàktys nosti pçti je nôci
A. naktis nosti pçti nôci
G. nakëiîi nostii pçtii nocéj
L. naktysè nostïxu, -exu. pçtïxû, -exu nocâx
D. naktims nostïmu, -emu pçtïmû, -emu nocâm
I. naktimis, -ims nostïmi pçtïmi nocdmi
Duel N.-A. nakti nosti pçti
G.-L. nostiju pçtiju
D. naktim ) )
... „ nostima ? pçtïma
I. naktim )
[165] LES DÉSINENCES. 133

165. Les désinences. — Singulier. — Nominatif : sl.l-ï, lit.


et v. pr. -is, lette -s, hitt. -is, lat. -is, etc. Le lituanien a -is,
comme -us (§ 158), en regard de av. -is.
Accusatif : si. -ï, v. pr. -ïn, lit. -{, lette -i, hitt. -in, skr.
-im, etc.
Génitif : si. -i ; lit. -ies, sous l'accent -iës d'intonation douce ;
lette -is de -ies, mais usuellement -s de -es, par extension de
la désinence des thèmes consonantiques (§ 174) ; le vieux-
prussien -is, -ies, qui n'est attesté que dans des masculins,
est la désinence du type en -yo- répondant à la désinence
nouvelle v. pr. -as du type en -o-. Les formes des autres
langues indo-européennes sont : skr. -eh, av. -ois, d'un indo-
iranien *-ais ; osque -eis (lat. -is de *-es du type athématique) ;
got. -ais, mais v. h. a. -i. La désinence du germanique est
propre aux: féminins, et celle du gotique ne prouve rien pour
le vocalisme : elle est analogique du datif féminin -ai, lui-
même pris à la flexion en" -â-; les formes du germanique
occidental répondent "-à gén. *-eis confondu phonétiquement
avec loc.-dat. *-ëi. On restitue donc une désinence i.-e. *-eis,
en regard de *-ous du type en -u-.
Locatif : si. -i, d'intonation rude d'après le mouvement
d'accent (§ 99, § 218); lit. -yje, lette -ï, de *-ïje, est une
désinence remaniée par addition au thème en -i- de la carac-
téristique nouvelle -e de locatif. D'après le parallélisme de
la flexion en -u-, on doit supposer en balto-slave une désinence
*-ëi : elle passait en baltique à *-ie, qui paraît conservé dans
le lituanien dialectal -ieje et le lette dialectal -te. Hors du
balto-slave, v on retrouve *-et dans lat. -ï, v. lat. mânï «au
matin », locatif de mâne, ombrien -e; en germanique, v. h. a. -i,
et en grec -El, attique -T|i, -13, doivent représenter la fusion
d'un datif *-ei et d'un locatif -*êi. La désinence *-ëi qu'on
restitue en indo-européen pose le même -problème que *-ou
dans le type en -u- (§ 158).
Datif : si. -i, d'intonation douce. Le lituanien oppose "iai
134 LES THÈMES EN -u- [,163]

dans la flexion des féminins à -iui dans celle des masculins :


vagis « voleur », dat. vâgiui, et il en est de même dans le type
athématique (§ 178) ; ces deux désinences sont prises, l'une
à la flexion des thèmes mouillés féminins en -â-, l'autre à
celle des thèmes masculins en -yo-. Mais on a -ei en bas
lituanien (nâktei), -i en lette dialectal, qui doivent garder la
désinence letto-lituanienne ancienne *-ie, balto-slave *-ei; le
vieux-prussien -ei est ambigu. On a de même lat. -F, loc.-dat.,
de v. lat. et osque -ei, et v. h. a. -i, loc.-dat. ; le gotique -ai
est pris à la flexion des féminins en -â-. La désinence de datif
*-ei des thèmes en -i- ne se différencie pas en italique et en
balto-slave de celle de la flexion athématique ; le grec a un
locatif-datif -si des thèmes en -i-, son locatif-datif -i des
athématiques étant l'ancien locatif. En indo-iranien, les
thèmes en -i- présentent un datif skr. -aye, av. -dyôi, parallèle
au datif skr. -ave, si. -ovi, des thèmes en -u-. Les formes
attendues de la désinence, par addition de la caractéristique
générale *-ei de datif au thème en -i-, sont *-eyei avec le
degré fort prédésinentiel, et *-yei avec le degré réduit : le
sanskrit a -ye dans la flexion à génitif en *-yes, et -aye dans
celle à génitif en *-eis, sous l'accent (agnih « feu », gén. agnéh,
dat. agnâye) et hors de l'accent. Mais la désinence *-ei de la
majorité des langues indo-européennes peut s'expliquer par
une forme unique *-yei dans les deux types de flexion, et par
sa confusion avec *-ei de la flexion athématique.
Instrumental : si. -ïjç, v. si. -ijç, pour les féminins, c'est-à-
dire -ï-jç avec addition au thème en -i- de la désinence -jç
de la flexion féminine en -yâ-; -ïmï pour les masculins, avec
addition de la caractéristique -mï de l'instrumental singulier
masculin et neutre. On a les mêmes désinences, et la même
distinction d'après le genre, dans le type athématique (§ 178) ;
le vieux slave remplace couramment -ïmï par -emï d'après
-(j)emï du type masculin et neutre en -yo-. En baltique, le
lituanien a -imi, masc. et fém., mais v. lit. et dial. -i, d'into-
[165] LES DÉSINENCES ' 135
!
nation rude, accent nakti, lette -i, bien qu'en partie substitué
à -imi (lette manim, etc., § 131, § 249), restitue sûrement
une désinence balto-slave -ï, ce qui s'accorde bien avec le
fait que le slave a pu la remanier de deux façons différentes
en fonction du genre,. On retrouve la désinence *-ï en indo-
iranien : av. -ï, véd. -F, usuellement remplacé par -yâ, et skr.
-inâ; et en italique sous une forme *-îd remaniée en ablatif-
instrumental : v. lat. et osque -id, lat. -F. On la retrouve
également-dans une forme fixée de-thème pronominal en -i-:
lat. quï K en quoi, comment», quïcum «avec qui», ancien
instrumental de quis, quid; et en slave même : v. r. ci « est-ce
que, si», pol. czy, etc., qui indique que l'instrumental v. si.
cimï de cï-to «quoi» (§ 237) représente ci-mï, cf. lit., tûo et
luomi de tàs, et fait supposer la même origine à simï, de si
1
« celui-ci » (§ 232).
Vocatif : si. -i, lit. -ie, sous l'accent -ië d'intonation douce,
de i.-e. *-ei, skr. -e, £iv. -ë; mais le grec a -t, et cf. *-ou et *-u
dans le type en -u-, § 158.
Entre la flexion en -u- et la flexion en -i-, une opposition
indo-européenne des vocalismes o et e, sans être absolument
sûre, apparaît très probable entre gén. *-ous, loc. *-5u,
voc. *-ou d'une part, et gén. '*-eis, loc. *-ëi, voc. *-ei de l'autre.
Ce peut être une donnée utile dans le problème de l'origine
de l'alternance e : o, aussi ancienne et plus énigmatique que
l'alternance du degré fort et du degré réduit (§ 117) ; mais
donnée bien insuffisante, même admis le rôle des mouillures
en indo-européen (§ 16), pour orienter vers l'hypothèse d'une
action sur la voyelle de la consonne suivante, et pour autoriser
quelque comparaison entre le cas de gr. çépsiv et çopôç c t
celui de pol. mieéc «jeter» et miot «jet» (§ 48).

Pluriel. — Nominatif : si. -ïje, v. si. -ije, dans la flexion


des masculins, remplacé dans celle des féminins par acc. -i
en fonction de nominatif-accusatif ; en regard de skr. -ayah,
136 LES THÈMES EN -u- [,163]

gr. -ses, -sis, lat. -ës contracté de *-eyes, got. -eis ( = - ï s )


contracté de germ. *-iyiz. La désinence est i.-e. *-ey-es, avec
addition de la caractéristique *-es de nominatif pluriel à la
forme pleine du thème, cf. *-ew-es dans le type en -u-, et dans
les athématiques ?-en-es, gr. -rroinévss, lit. àkmen(e)s, *-er-es,
gr. Trorrépss, lit. dùkter(e)s, etc. La désinence slave, remaniée,
répond à *-iyes (§ 48), gr. dial. -IEÇ, par généralisation du
thème -i-. En baltique, la désinence est plus remaniée encore :
lit. -ys, lette et v. pr. -ÏS; sous l'accent lit. trys «trois», lette
irîs, cas exceptionnel puisque le nominatif pluriel n'est jamais
oxyton dans ce type à accent mobile (§ 215). La finale est
la même que celle du nominatif singulier masculin lit. -ys de
*-ijas (§ 146), et on doit avoir affaire au traitement d'un
groupe -ije- en diphtongue (§ 105), mais avec une altération
analogique comme dans lit. -ûs du type en -u- (§ 158). La
forme *-ijes de la désinence apparaît: donc balto-slave, à la
différence de *-uwes dans le type en -u- que suppose le letto-
lituanien, mais non le slave qui garde *-ewes, -ove.
Accusatif : si. -i, lit. -is, sous l'accent -is, lette -is, de -ins
du vieux prussien (§ 88) : cf.-got.-ms, gr. dial. -îvs, lat. -Is.
L'intonation rude du lituanien indiquerait *-ïns, mais elle
n'est" pas confirmée par le slave, et il doit s'agir, comme pour
-ûs des thèmes en -u-, d'une généralisation de l'accent de
l'accusatif pluriel, -ûs des thèmes en .-o- et -às des thèmes en
-â-. D'ailleurs le traitement d'une finale *-ins, avec superpo-
sition au thème en -i- de la caractéristique *-ns de l'accusatif
pluriel, n'est pas clair en indo-européen, et la désinence a
été sûrement refaite : le sanskrit présente -In (masc.) et -ïh
(fém.), l'avestique -Is.
Génitif : si. *-ïjï, v. si. -ii, représentant *-iy-on, avec addi-
tion au thème de la caractéristique *-on de génitif pluriel
générale en slave ; lit. -iq, c'est-à-dire -'q avec mouillure de
la consonne finale du thème et palatalisation en c', dz dans
le cas de i, d (§ 24), et lette -ju, de *-y-ën ou *-iy-ôn. Du thème
[165] LES DÉSINENCES 137
S
exceptionnellement court tr- «trois», on a lit. trijîl, lette
triju (v. si. trii), mais la forme, refaite sur le nominatif, lit.
irys, ne prouve pas pliis que s.-cr. triju (à désinence de duel,
§ 304), refait sur tri. Les autres langues présentent des
formes av. -yqm (et Qrayqm de Brâyô «trois»), lat. -ium,
v. h. a. -eo, -io, et gr. -ecov, mais T p i œ v et dial. -icov. La forme
attendue est i.-e. *-ySn, dont *-iySn n'est qu'une variante ;
une forme gr. *-eyôn est analogique de nom. plur. *-eyes.
En slave, nom. plur. -ïje a été accordé avec gén. plur. *-ïjï,
comme inversement, dans la flexion en -u-, gén. plur. -ovû avec
nom. plur. -ove. Les désinences balto-slaves devaient être
-(i)yôn, -(u)wôn.
Locatif : si. -ïxu, remplacé ordinairement par v. si. -exu.
d'après le type en -yo- ; lit. -yse, lette -îs, dont le -ï- est pris
au locatif -singulier, lit. -yje, lette -ï, mais on trouve aussi
lit. -ise, et dial. -isu qui est la forme ancienne. Cf. skr. -isu,
av. -isu, gr. dial. -un.
Datif : si. -ïmû, usuellement v. si. -emu d'après le type en
-yo-; lit. -im(u)s, v. pr. -imans. Instrumental : si. -ïmi, lit.
-imis. Cf. got. -im (dat.-instr.), et lat. -ibus (dat.-instr.),
skr. -ibhyah (dat.), -ibhih (instr.), av. -ibyô (dat.).
Duel. •— Nominatif-accusatif : si. -i, lit. -i, d'intonation
rude, de i.-e. *-?, skr. -F, av. -i.
Génitif-locatif : si. -ïju, v. si. -iju, parallèle à gén. plur,
*-ïjï, v. si, -ii, avec addition à la forme -ïj- du thème de la
caractéristique générale -u du cas ; en regard de skr. -yoh,
parallèle à gén. plur. *-yôn, av. -yqm.
Datif-instrumental si. -ïma, lit. -im, sous l'accent -im,
dat., -im, instr., parallèle au datif pluriel, si. -ïmu, lit. -ims.
et à l'instrumental pluriel, si. -ïmi, lit. -imis, -ims. Cf. skr.
-ibhyâm, av. -ibyâ. Pour les formes anomales si. ocima.
usima, des duels oci «yeux », Usi « oreilles », anciens neutres,
voir § 193.
138 LES THÈMES EN -u- [,163]

166. Le neutre. — La flexion des neutres en -i- s'est


perdue dans les substantifs en slave et en baltique, mais elle
a laissé des traces dans les adjectifs et les pronoms.
Nominatif-accusatif singulier : si. -ï, de *-z, skr. -i, gr. -i, etc.,
dans les adverbes de la série de koll « combien », anciens
adjectifs en -i- à flexion partiellement conservée (§ 276), et
dans tout le type des adverbes en -ï (§ 320). Le vieux prussien
connaît encore le neutre en -z dans la flexion des adjectifs :
arwis a vrai », neutre et adverbe arwi.
Nominatif-accusatif pluriel : si. -i dans si « ces choses-ci »
et tri « trois » ; de *-ï (comme fém. sing. *-z, si. si « celle-ci »),
véd. -z, av. ôrz « trois », lat. trï-ginlâ « trente », en face de lat.
-ia plus récent, tria, got. prija, gr. -ioe'(§ 135).
Nominatif-accusatif duel : si. -i dans le slavon si « ces deux
choses», peu attesté, et dans les anomaux oci, usi, devenus
féminins ; de *-f dans véd. akst « yeux », av. asi, usi « oreilles »,
qui d'ailleurs doivent être d'anciens athématiques (§ 193).
La désinence *-F est surtout connue par la flexion athématique,
qui l'a prise au type en -i- (§ 180).

Puisque les neutres en -i- ont disparu en slave et en bal-


tique, il convient de rechercher comment ils ont été éliminés.
Pour les adjectifs, voir § 276. Dans les substantifs, le suffixe
si. -ïce représente à l'origine l'élargissement en *-ko- d'un
thème neutre en -i-; il n'est plus lié aux thèmes en -i-, mais
un mot comme v. si. srudïce « cœur » doit continuer une forme
balto-slave *sirdi-, lit. sirdis, substituée à la forme athéma-
tique *sird- (§174).
Un neutre en -i- d'époque indo-européenne est bien attesté :
lat. mare « mer », germ. *mari, v. h. a. meri, got. mari-saiws ;
il a la forme si. morje, neutre, lit. mârê, fém., et usuellement
plur. màrês, mârios, v. pr. mary sans doute de mare, fém.
Le baltique remanie en féminins, singuliers ou pluriels, les
pluriels neutres en *-â (§ 125) : il faut donc restituer une
[166] LE NEUTRE 139
' ' i
flexion balto-slave *mari, plur. *marjâ, du type nouveau de
lat. maria avec généralisation de *-â au nominatif-accusatif
pluriel de tous les substantifs neutres, c'est-à-dire balt. *marê,
et si. more, morja. C'est sur ce pluriel que le slave a fait son
singulier morje. Le pluriel du mot, qui désignait la « mer » et
les « eaux de la mer », n'est plus d'emploi courant en slave,
mais le lituanien atteste qu'il l'a été en balto-slave, comme
celui des noms indiquant une matière.
L'autre mot baltique qui désigne la « mer » est lit. jurés,
jûrios, fém. plur., lette jùr'a, fém. sing. ; v. pr. iurin, acc. sing.,
sans doute de *jûrë, fém. Il peut aussi continuer, avec rema-
niement du radical, le neutre en -i- attesté par skr. vâri « eau »
et cf. av. vairi «mer», v. angl. wser. En sanskrit, vâri pré-
sente le vocalisme long de l'athématique vdr ; en baltique, la
racine a le degré réduit *ur-, conservé dans v. pr. wurs «étang »,
et élargi en jur- d'après la forme à vocalisme plein *êur- de
lit. jdura « marécage » ( § 55). Il s'agit d'une racine d'intonation
rude qui a été productive en balto-slave avec les deux for-
mes *wër- et *ëur- de son degré fort (§ 117), et qui a donné
lit. virli, si. vïrêli « sourdre », au sens de la forme à préverbe
lit. isvirii, s.-cr. izàvreti, d'où «bouillonner» et «bouillir».
En slave, un autre neutre en ~(j)e pourrait continuer un
neutre en -i-. Le mot *pletje « omoplate, épaule », v. si. pleste,
r. pleëô, n'est pas séparable de lit. pelis, masculin en -i-
(gén. petiës), v. pr. pettis et peîte (fém. en -ë) : le flottement de
l'initiale a dû répondre à celui des deux racines i.-e. pet- de
gr. TTSTâvvûpi «j'étends» et *plet- de lit. is-plësti «étendre»,
prés, is-pleciu. Pour les dérivés russes comme beloplëkij
« à épaules blanches », ils n'attestent que le jeu de l'alternance
k : c en russe.
On a ainsi la trace en slave et en baltique d'une désinence
*-jâ, substituée à *-f, de nominatif-accusatif pluriel neutre
des thèmes en -i-. Sur la désinence plus ancienne *-ï de pluriel
et de duel neutre, comme sur la désinence -ï de nominatif-
140 LES THÈMES EN -u- [,163]

accusatif singulier, c'est un masculin ou un féminin en -is


qui devait être refait : lit. peiis, masc., et lit. sirdis, fém.,
si. kostï « os », lit. akis, ausis et duels si. oci, usi, qui relèvent
de la flexion athématique comme de celle des thèmes en -i-
(§.175).

- 167. Les féminins. — Le type est productif en vieux slave.


Outre des mots isolés, dont plusieurs sont d'anciens athéma-
tiques, il fournit des abstraits postverbaux de même que les
féminins en -â- et les masculins en -o-, ainsi zapovëdï « ordre »,
r. zâpoved', de zapovëdëti « ordonner » ; et des abstraits tirés
d'adjectifs, ainsi ivrudï « solidité, firmament », r. tverd', de
tvrùdu « solide », r. tvërdyj, et les noms de nombres comme
pçtï «cinq» en regard de pqtu «cinquième» (§ 305). Il est
attaché à plusieurs suffixes : -tï : vlastï « pouvoir », de vladç
«je règne»; -(j)adï: celjadï «gens de la maison»; -lï, -ëlï:
gybëlï « perte », de gybnçli « périr » ; -nî, -znï, -snl : ziznï « vie »,
de ziti « vivre » ; et -ostï, le plus vivant. Il reçoit des féminins
étrangers en -i-, comme varï de gr. (3apiç « tour », olokav(u)tosï
de ôÀoKcarroocris, et plus généralement des substantifs étran-
gers en -i-, comme kadï « cuve » du neutre grec KOCSI(OV). Il
sert à l'adaptation des féminins indéclinables terminés par
consonne : Jelisavetï, gén. -veii,- de 'EXic-agé-r. Cette produc-
tivité se continue au début dans les langues slaves, et le
type en -i- attire et absorbe en partie les féminins athéma-
tiques en -er- (§ 197) et en *-u- (§ 200). •
Elle se restreint dans la suite, mais sans cesser coinplète-
ment, et le type reste important.
Le russe n'y accepte plus les noms propres étrangers, et
il transpose « Elisabeth » en Elisavéla, mais il garde les
emprunts comme ères' «hérésie» (gr. aïpscnç), kad', tetrâd'
« quaternion, cahier » (gr. TSTpàSiov). Il a développé la caté-
gorie des postverbaux : svjaz' «lien» de svjazdt' «lier»; celle
des dérivés d'adjectifs : glus « profondeur (des bois) » de gluxôj
[167] LES FÉMININS ' 141

« sourd, (bois) épais » ; des dérivés de locutions : ôzim' « blé


d'hiver », de o zimé «vers l'hiver» ; le suffixe -(j)adï: plôscad'
« place » de plôskij « plat », en transformant en lôsad' « cheval »
un emprunt au turc (§ 195). Toutefois, à l'époque moderne,
la productivité du type n'est plus que celle du suffixe -ost',
sauf des cas spéciaux comme celui de cel' « but, cible », fém.,
pris à l'allemand Ziel par l'intermédiaire du polonais cel,
masc.
Il en est de même dans les autres langues slaves. Le serbo-
croate a connu un développement important du type féminin
en -i- et de ses postverbaux, surtout dans le domaine occi-
dental : d'un verbe nâdati se « espérer », il tirait librement
des postverbaux des trois types, masc. nad « espoir », gén.
nada, fém. nada et nad, gén. nadi. Il ne subsiste plus que
ndda, et dial. nâd, masculin : le type en -i- s'est sensiblement
réduit. C'est exceptionnellement, et surtout avec des finales
-s et -z, qu'il peut encore s'étendre à date récente, comme dans
kurâz « courage », fém., pris à l'allemand die Courage. Mais
le serbo-croate possède deux suffixes productifs du type, en
-ôsl, et aussi en -âd, suffixe de collectif affecté à un emploi
morphologique régulier (§211).
En tchèque et en slovaque, le type en -i- affirme sa vitalité
sous une forme évoluée : celle, du développement d'une
flexion mixte zem, gén. zemë (§ 152).
Comme il n'y avait pas de thèmes en *-yi-, c'est en principe
une caractéristique du type en -i- (§ 170) de ne pas appa-
raître après un ancien groupe palatalisé, non plus qu'après /'.
Mais il y a déjà une exception en slave commun, dans le
cas spécial des mots comme v. si. nostï, lit. naktis (§ 26), et
le principe étymologique n'a plus de raison d'être dans les
langues slaves. Toutefois, la productivité limitée du type fait
qu'il a été peu dérangé : une forme comme s.-cr. zêd «soif»,
gén. iêdi, est secondaire de zêda, v. si. zçzda; tch. zbroj
«armure», gén. zbroje, est pour v. tch. zbrojë, pol. zbroja, et
10
142 LES THÈMES EN -u- [,163]

de la flexion nouvelle de zem, gén. zemë, et s.-cr. dial. ôbicâj


«coutume», gén. -ji, est pour le masculin, gén. -ja.

Dans les langues baltiques, le type féminin en -i- reste


important, du moins en lituanien, mais plus menacé qu'en
slave : il flotte assez largement avec le type féminin en -ë-,
et dialectalement, ainsi dans une partie des parlers du lette,
il est passé plus ou moins complètement à la flexion en -ë-.
On a lit. kandis et kandè « mite », lit. angis et lette ùodze
«vipère», et ainsi fréquemment. Il ne s'agit pas seulement
de la concurrence de deux procédés de dérivation, lit. kandis
et -ë de kându « je mords, je ronge » comme si. kapï et kaplja
« goutte » de kapati « goutter » ; mais de la proximité générale
des deux flexions mouillées de féminins, en lituanien acc. -j et
-ç, gén. -ies et -és, etc., qui provoque des contaminations, et
le triomphe de la flexion la plus vivante, en baltique la flexion
en -ë-. L'opposition des deux flexions est beaucoup plus nette
en slave : au singulier, r. kost', kôsti, kôst'ju, et zemljâ, zémlju,
zemli, zemlé, zemlëj; sauf en tchèque, où elles se contaminent
fortement, et d'autre part, sur la base du pluriel, une altéra-
tion qui s'esquisse en polonais aboutit en haut sorabe au
passage presque complet de la flexion en -i- à celle en -yâ-.

168. Évolution de la flexion. — Le russe et l'ukrainien


présentent -ej au génitif pluriel (§ 62), et l'extension générale
de loc. -(j)ax, dat. -(j)am, instr. -(j)ami. Il en résulte que la ,
distinction dû type en -i- et du type mouillé en -â-, forte au
singulier, n'est plus assurée au pluriel que par le génitif :
r. nôci, gén. nocêj, et dûsi, gén. dus. L'extension de -ej au
type en -â- se rencontre dans les dialectes russes, mais est
très limitée en russe littéraire : vozzâ «rêne», gén. plur. vozzéj,
et nozdrjâ « narine », gén. plur. nozdréj, qui est d'ailleurs un
ancien féminin en -i-, plur. nozdri en vieux slave, et qui a été
incorporé à l'ancien type duel de ôëi, gén. océj. L'instrumental
[168] ÉVOLUTION DE LA FLEXION 143

pluriel en -mi s'est conservé dans quelques mots : r. • dver


« porte », instr. plur. dver'mi (et dverjâmi) ; davantage dans
les dialectes russes : noëmi, et usmi de l'ancien duel usima
(§ 214). Le vocatif se maintient en ukrainien, mais sous la
forme -e, au lieu de -i, du type" mouillé en -â- : nie, voc. nôce„
comme dusâ, voc. dusë. Les alternances sont celles des voyelles
mobiles, et rares : r. roz « seigle », gén. rzi, etc., mais instr.
rôz'ju, et exceptionnellement, avec e mobile, vôsem «huit»,
gén. vos'mi, etc., instr. vosem'jû. En ukrainien, on a en outre
les alternances o: i et e: i (§ 106),et celle de consonne simple
et de consonne longue à l'instrumental singulier (§ 24) : nie,
gén. nôcy, instr. niccju; pic «four», gén. pécy.
En polonais, le vocatif est en -i, l'instrumental singulier
en -iq, ancienne diphtongue longue issue de -ïjç (§ 62). Le
génitif pluriel est en -i, avec extension dans le type mouillé
en -â. Les autres cas du pluriel présentent les formes géné-
ralisées dans toutes les flexions, loc. -iach, dat. -iom, instr.
-iami, avec conservation de l'instrumental pluriel -mi dans
quelques mots, comme kosc «os», koéemi, et aussi koéciami.
Au nominatif-accusatif pluriel, la désinence -i est largement
concurrencée par -ie du type mouillé en -â- : baên « fable »,
plur. basni et bdénie. On trouve l'alternance de e mobile :
wesz « pou », gén. wszy, wies « village », gén. wsi (et instr.
wsiq) ; et les alternances de o et é (§ 47), g et q (§ 66) : soi
« sel », gén. soli, glqb « profondeur » (avec durcissement de
la labiale, § 22), gén. glçbi.
En sorabe, le vocatif est perdu ; l'instrumental singulier
est en -'u (kôseu) ; le génitif ^pluriel en -oui, avec conservation
limitée de -i (kôscow et aussi kôsci) ; le locatif, le datif et
l'instrumental pluriels en -'ach, -am, -'ami; le génitif duel
en - owu, le locatif-datif-instrumental duel en -oma, h. sor.
-omaj. La flexion est proche en bas sorabe de celle des fémi-
nins du type mouillé en -a-; gén. plur. kôscow comme dusow.
En haut sorabe il y a eu passage général à ce type, sauf au
144 LES THÈMES EN -u- [,163]

nominatif-accusatif singulier : kôsc, gén. sing. et nom.-acc.


plur. kôsce pour b. sor. kôsci, etc. L'alternance de T e mobile
joue sans régularité, comme à l'ordinaire en sorabe (§ 119);
pësen et pësn « chant », gén. pësni.
En tchèque, où le vocatif -i n'est plus que littéraire,
l'instrumental singulier est en -i- (§ 55), pour v: tch. -'û,
(§ 62), en slovaque -'ou (§ 152). Le génitif pluriel est en -/,
avec extension dans le type mouillé en -â-, Les désinences
anciennes loc. plur. -ech, dat. -em, instr. -mi subsistent dans
la langue écrite, mais sont remplacées dans la langue parlée
par -ich, -im, -ima, et en slovaque par -iach, -iam, -'ami,
comme dans les féminins mouillés en -â-.' Le fait important
du tchèque et du slovaque est la contamination des flexions
féminines en -i- et en -yâ- et le développement d'une flexion
mixte du type zem, gén. zemë (§ 152). On a l'alternance de
l'e mobile : ves, gén. vsi.
En slovène, l'instrumental singulier est en -/o, sous l'accent
-jy- comme -Q du type en -â-, qui est produit de contraction ;
le génitif pluriel est en -i, sous l'accent -i, produit de con-
traction ; le locatif pluriel est -eh ou -ih, le datif pluriel -em
ou -im, l'instrumental pluriel -mi. Dans l'alternance de la "
voyelle mobile, le timbre est e, sous l'accent â (§ 58) : pêsem
« chant », gén. pêsmi, ravân « plaine », gén. ravnî.
En serbo-croate, le vocatif en -i est conservé ; l'instrumen-
tal singulier est en -/«, et aussi en -i, désinence nouvelle de
locatif-datif-instrumental singulier, outre d'autres remanie-
ments dans les dialectes (-jôm, etc.). Le génitif pluriel est en
-ï, avec une extension aux féminins en -â- dans le cas de
thèmes à groupe de consonnes, tùzba « plainte », gén. plur.
tùzbï; le locatif-datif-instrumental pluriel est en -ima, avec
quelques vestiges d'une désinence -ma qui continue l'ancien
instrumental en -mi: stvâr «chose», stvârma, mais usuelle-
ment stuârima. On a l'alternance de l'a mobile, et celle de
/ et-ô (§ 15) : mîsao «pensée »', gén. mîsli; et des alternances
[169] LES MASCULINS 145
j

consonantiques à l'instrumental singulier en -ju, particuliè-


rement avec les dentales et les labiales, et par suite du
développement assez récent de groupes tj, pj en c, plj : srnï-t
« mort », smrcu de dial. smrlju, zôb « avoine », zôblju de dial.
zôbju.
En bulgare, la flexion, avec perte du vocatif, est réduite à
l'opposition du singulier et du pluriel : nost, plur. nôsti, avec
des formes à article postposé nostlâ, plur. nôstite. Cette flexion
ne diffère de celle des masculins comme mésec « mois », plur.
méseci, avec l'article mésecât, mésecite, que par la forme de
l'article au singulier. Il en résulte une grande confusion entre
le type féminin de nost et le type masculin, qui étend à des
masculins l'article -ta et le genre féminin : pépelât et pepeltâ
« la cendre », prahât et prahtâ «la poussière, etc.; et qui,
inversement, aboutit dans certains dialectes bulgaro-macé-
doniens à une absorption plus ou moins complète du type
nost dans les masculins : macéd. krv «sang» fém. ou masc.,
'déterm. krvia et dial. kârfot (§ Ï24).

169. Les masculins. — Le type subsiste en lituanien, mais


de façon très limitée : ainsi vagis « voleur », gén. vagiès, gentis
« parent », etc. Il flotte avec la flexion des masculins en -yo-,
et il a presque complètement disparu en lette. Des masculins
en -is sont devenus féminins : lit. ugnis « feu », mais le lette
uguns, de *ugns, est resté dialectalement masculin. Beaucoup
d'autres se sont fondus dans les masculins en -yo-, et on ne les
reconnaît plus. Le nom baltique du « cygne » est v. pr. gulbis,
lit. gulbis, masc. (gén. -bio) et fém. et usuellement gulbë,
lette gulbis, masc. (gén. -bja), et on doit le considérer comme
balto-slave, sans en pouvoir restituer exactement la forme :
le slave a h. sor. kolp',masc. (gén. -p/a), kachoube kelp «cygne»,
r. kôlpik « héron spatule » et dial. kolp', fém., qui doit être
le mot antérieur en slave à l'emprunt *âlbandï (§ 69). Il s'agit
sûrement d'un ancien thème en -i-, acceptant les deux genres
146 LES THÈMES EN -u- [,163]

comme nom d'animal, et qui, comme masculin, a passé à la


flexion en -yo-, et comme féminin a tendu à passer en baltique
à la flexion en -ë- (§ 167).
En slave, les masculins en -i- sont encore bien représentés
à l'époque du vieux slave, et ils constituent un type net, qui
attire les masculins de flexion'athématique (§ 177), mais qui
se maintient encore à part des types dominants de masculins
en -yo- et en -o- avec lesquels il va bientôt se contaminer et
fusionner. Voici les exemples sûrs de ces masculins en vieux
slave, y compris le slavon d'origine vieux-slave, avec leur
évolution ultérieure dans les langues slaves, qui renseigne
sur le mode de disparition du type. Il importe, on le verra
(§ 170), de disposer les mots d'après la consonne finale du
thème, dentale, labiale, etc. :
pçtï « chemin », gén. pçti: r. put', gén. puti, dernier vestige
du type en russe littéraire, mais aussi gén. putjâ, blanc-russe
pue', gén. pucjâ; ukr. put' est féminin; pol. dial. pqc, gén.
pacia, et sor. pué ; tch. pout, fém., mais dialectalement mas-
culin (gén. poutu) ; slov. pçt, masc., gén. pçta, et fém., gén.
potî; s.-cr. pût, gén. pûta; bulg. pat, déterm. pâtjat. Ce mot,
représenté en baltique par v. pr. pintis, est un ancien
athématique (§ 175).
gostï «hôte» : r. gost', gén. gôstja; pol. gosé, gén. goscia,
et sor. gôse; tch. host, gén. hosta, mais dial. hosV, gén. hosië,
slovaque host', gén. host'a, et le vieux tchèque conserve le
génitif hosti; slov. gôst, gén. gôsta, s.-cr. gôst, gén. gôsta;
bulg. gost, déterm. gôstjat. Le mot slave, répondant à got.
gasts, masc! en -i-, lat. hostis, doit être un emprunt au ger-
manique (§ 12), de même que gospodï (§ 170), et substitué à un
mot balto-slave comme lette vïesis, v. pr. wais-, l'hôte étant
rétranger qu'on héberge (lit. vâisinli) dans la communauté
familiale qu'est la *vis-, si. vïsï « village ».
zetï « gendre » et « mari de la sœur » : r. zjat', gén. zjdtja,
pol. ziçc, gén. ziçcia; v. tch. zët, gén. zëti, tch. mod. zet', gén.
[169] LES MASCULINS 147

zelê, et dial. zet, gén. zeta; slov. zèt, gén. z'çta, s.-crJzët, gén.
zêta ; bulg. zet, déterm. zétjat, gén. zeië en moyen bulgare.
Cf. skr. jnatih « parent », avec un autre vocalisme radical. Les
formes baltiques sont lit. zéntas et lette znuôts, mais une
forme plus ancienne de masculin en -i- pourrait être attes-
tée par le lette dialectal znuôtis, passé à la flexion en -yo-. Le
mot est un dérivé de la racine verbale i.-e. *genh- « connaître »
et « naître » (§ 98), qui apparaît en balto-slave, seulement au
sens de « connaître », sous les formes *zën-, *zïn-, lit. zén-,
zin-, et *znô-, si. zna-. Il a été refait sur cette racine, et c'est
pourquoi il y a divergence même entre lituanien et Jette, la
forme znuo- du lette conservant le traitement régulier uo de
*ô qui a été éliminé dans le verbe zinât (§ 49).
tïstï «père de la femme» : r. test', gén. téstja; pol. tesc,
gén. teêeia, pour pol. ancien et dial. ciesc, gén. ccia; v. tch.
test, gén. cti, puis ctë, testé et testa; slov. iâst, gén. tâsta, s.-cr.
tâst, gén. tâsta; bulg. iâst, déterm. tâstât, mais gén. teste en
moyen bulgare. Le mot est parallèle au féminin svïsti « sœur
de la femme », qui a l'aspect d'une déformation hypoco-
ristique du nom de la « sœur », ancien *swesr- (§ 37) : ce peut
être une déformation analogue d'un nom de parenté, par
exemple le nom de l'oncle par alliance sur la base du nom
de la «tante», teta, r. tëtka (§ 203).
tatï «voleur» : r. lat', gén. tâtia; slov. tôt, gén. tâta, s.-cr.
tât, gén. tàta. ,
gospodï, voir § 170.
Ijudïje « peuple, gens » : pol. ludzie, r. Ijûdi, etc. Cf. lette
l'àudis, masc. plur. C'est sûrement un emprunt à un thème
masculin en -i- du germanique (§ 55). Un singulier r. Ijud
«peuple», pol. tud, tch. lid, est postérieur au vieux slave :
il remplace Ijudïje passé au sens d'« hommes » et à la fonction
de pluriel supplétif de clovëku, et doit être le postverbal d'un
verbe *ljuditi « peupler » plus ancien que pol. (za)tudnic.
De même lit. liâudis, fém. sing., est une création nouvelle
148 LES THÈMES EN -u- [,163]

avec changement de l'intonation, qui est douce en lette et


en slave (S.-cr. Ijûdi).
medvëdï «ours» : r. medvéd', gén. -dja, pol. niedzwiedé,
gén. -dzia, et sor. mjedzviedz ; tch. medvëd, nedvëd, gén. -da,
slov. médved, gén. medvéda, s.-cr. mèdvjed, gén. -da, moyen-
bulg. medvëdu, gén. -da. Le mot, proprement « mange-miel »,
est composé de la forme medv- de medu «miel» (§ 159), et
d'une forme dérivée de la racine verbale jad- « manger »,
après consonne -ëd- (§ 75).
V. si. usidï « fugitif », gén. -di, de u-iti « s'enfuir », part,
passé usïdu.
golçbï «pigeon» : r. gôlub', gén. -bja, et dial. gôlub, ukr.
hôlub, gén. -ba, en raison du durcissement de -b' (§ 22) ; pol.
golqb, gén. golçbia, et sor. golub' ; tch. holub, slov. golçb, s.-cr.
gôlub, gén. -ba, bulg. galâb (pour gô-), déterm. -bât. Le mot
ressemble fort à lat. colombus, -ba, et il peut être un emprunt,
comme nom de l'oiseau domestique. Il est en effet ignoré du
baltique, le vieux-prussien golimban « bleu » étant pris à pol.
golçbi «de pigeon» et anciennement « couleur de pigeon»,
,r. golubôj, et les termes des langues baltiques étant autres,
v. pr. poalis, etc.
*cïrvï «ver», v. si. cruvï : r. cerv', gén. cérvja, pol. czerw,
gén. -wia, et sor, cér'w' ; tch. cerv, slov. crv, s.-cr. crv, gén.
-va; le bulgare cérvej, moyen-bulgare cruvii, est passé au
type masculin en -ii (§ 146) par réfection sur le pluriel
v. si. cruvije. Cf. lit. kirmis, masc. et fém., skr. kfmih, masc.
Le mot slave est sûrement déformé de *cïrmï conservé dans
l'adjectif v. si. crûmïnu « rouge »,• par incorporation à un
groupe de masculins en -vï qui devait être assez représenté,
et dont l'un, *panarvï, ponravï « ver blanc », est de sens tout
voisin (§ 171).
zvërï «bête fauve» : r. zver', gén. zvérja, pol. zwierz, gén.
-rza; v. tch. zvër, masc. et fém., gén. zvëri et zvërë, tch. mod.
zvër, féminin de sens collectif, gén. zvëre, du type à flexion
[169] LES MASCULINS 149
i
mixte zem, gén. zemë; slov. zvêr, fém. ; s.-cr. zvïjer, fém. (et
collectif, § 211), mais avec un pluriel masculin usuel zvjërovi;
bulg. zvjar,. déterm. zvjârât, complètement passé au type
dur, d'où le -ja- (§51) par jeu d'alternance sur plur. zverové,
comme dans le type grjah « péché », plur. grehové, mais
moyen-b.ulg. dzvërï, gén, dzvërë, Cf. lit. zvèris, masc. et fém.,
v. pr. swïrins (acc. plur.). Le mot est un ancien athéima-
tique (§ 174) : il a conservé dialectalement en lituanien
des traces de la flexion athématique, gén. plur. zvèr% pour
zvèriy,, et c'est sûrement pourquoi il est passé en lette au type
dur des masculins, zvêrs, gén. zvêra.
bolï « malade » : r. dial. bol', gén. bôlja, à côté de r. bol'.,
fém. au sens de « douleur ».
çglï «charbon» : r. ûgol', gén. ûglja, pol. wçgiel, gén. wçgla;
tch. uhel, gén. uhle (et uhlu), slovaque uhol', gén. uhl'a;
slov. §gel, gén. ggla, mais dial. ogelj, comme s.-cr. ùgalj, gén.
ùglja. Cf. v. pr. anglis, lit. dial. anglis, masc. (gén. ânglio),
mais lit. anglis, fém. (acc. anglj d'intonation douce), d'où
lette iiogle avec passage aux féminins en -ë-.
Slavon mozolï « meurtrissure », gén. -Ii : r. mozôl' « cal », fém.
et aussi masc. (gén. mozôlja) ; pol. modzel, ancien mozol, masc.,
(gén. -lu).
V. si. grutanï «gosier» : r. gortân', fém. ; pol. krtan, fém.,
mais ancien masculin (gén. -nia) ; tch. hrtan, chrtdn, masc.
(gén. -nu). Ce mot, qui présente des variantes nombreuses,
bas-sor. g jars de *gurtï, slov. grtânec et dial. grcânjek, s.-cr.
grkljan et grtljan, est de formation obscure : on restitue un
thème *gurl- d'après le russe et le sorabe, mais en désaccord
avec le polonais qui suppose *grul- (§ 74), ce qui fait penser à
une contamination ancienne de racines, celle de *glûlati « ava-
ler », r. glolât', et celle de *gurdlo « gorge », r. gôrlo.
Slavon bëgunï « fuyard », gén. -ni : r. begûn «coureur»,
pol. biegun; tch. bëhoun, mais aussi v. tch. bëhûn. Le suffixe
150 LES THÈMES EN -u- [,163]

slave -uni et -unu est sûrement emprunté" au roman -on-,


avec deux adaptations différentes.
ognï «feu» et v. si. ognjï, gén. ogn(j)i (et ognja, voir § 170) :
r. ogôn', gén. ognjâ, pol. ogien, gén. ognia, s.-cr. àganj, gén.
àgnja, etc. Cf. lit. ugnls (§ 39), skr. agnlh, et lat. ignis avec
une déformation de l'initiale qui, comme en letto-lituanien,
doit être en relation avec le groupe gn et sa gutturale . nasa-
lisée.
stënï « ombre » et v. si. stënjï, gén. slëni en slavon : v. r.
stënï, masc. (gén. stënja) et fém., r. steri et ten, fém. ; pol.
cien, masc. et fém., avec trace d'un plus ancien écien dans
le verbe v. pol. zascienic «ombrager», mod. zacienic; v. tch.
stien, masc., gén. -në et -nu, et fém., gén. -ni, tch. mod. sUn,
masc., gén. -nu, et dial. Un, slovaque stien ; slov. ténja, féminin
qui peut être secondaire d'un ancien pluriel masculin *(s)tenje.
La forme ancienne est stënï, masc., qui s'altère en tënï (§31),
et le mot est bien distinct en vieux slave de l'autre nom de
l'« ombre », sënï, fém., avec lequel il s'est naturellement plus
ou moins contaminé dans la suite. Le mot sënï a dû signifier
le « reflet » et est en rapport avec le verbe sïjati « luire », cf.
skr. châyâ « reflet, ombre », got. skeinan « luire », gr. OKIOC
«ombre» : le traitement si. s- de i.-e. *sk'- doit avoir été le
traitement à l'initiale, par simplification d'un groupe chuin-
tant (skr. ch-), en regard de -sk- (skr. -cch-) à l'intérieur du
mot (§ 12). Le mot stënï, qui semble avoir désigné plutôt
l'« ombre d'un corps», pourrait être, comme stëna « paroi »,
un dérivé de la racine balto-slave *stip-, *stib-, de lit. stipti
« se raidir », staipyti « étendre », sliebas « pilier », si. stïblo
« tige », r. slëbeV.
On ajoutera v. si. ozemï « banni » d'après acc. plur. ozemi
posulavû IÇopÎCTas Supr. 467i, d'où ozemïstvo « bannissement ».
Le mot peut s'expliquer par *ot-zemljq « (chassé) du pays »
(§ 34), mais plutôt par une locution o zemlji, o zemi (§ 28)
indiquant la nature de la peine comme o xlëbë « (condamné)
[170] ÉLIMINATION DU TYPE 151

au pain (sec) », si bien que l'existence du substantif en dehors


de la locution fixée n'est que probable.

170. Élimination du type. — En s'en tenant à ces mots,


déjà assez nombreux, dont la flexion est bien attestée par
les textes vieux-slaves ou d'origine vieux-slave, on voit que
le type a été important et productif : il formait des noms
d'agents dérivés de racines verbales, medvëdï, usidï, il accueil-
lait d'anciens athématiques et des mots d'emprunt. L'adap-
tation des athématiques se poursuit à l'époque du vieux
slave ; pour celle des mots d'emprunt, elle a cessé, et les mas-
culins latins ou grecs en -ius, -ios, ou terminés par consonne,
sont traités de façons diverses : en vieux slave gén. Antona
et Antonija d'« Antoine, 'AVTCOVIOS », gén. Avela et Avelja
d'« Abel, "AgsÀ », mais non plus comme masculins en -i- ( § 209).
Pour les noms de personnes, le développement du génitif-
accusatif exigeait un accusatif en -a, donc le rattachement à
une flexion masculine à génitif en -a : la langue n'a pas déve-
loppé de génitif-accusatif en -i, si ce n'est de façon limitée et
secondairement, tati, zçti en vieux slave tardif, Husi en vieux
tchèque (§ 171). L'action, du génitif-accusatif et du sous-
genre personnel se voit clairement dans la flexion d'un nom
de personne qui devient nom propre, gospodï « seigneur »,
usuellement Gospodï « lé Seigneur » :
V. si. gospodï, gén. gospodi, mais ordinairement gospoda ou
gospodja (écrit gospodë, § 78), génitif et accusatif; datif gospo-
di, rare, ordinairement gospodu, gospodju ou gospodevi, autre
marque du sous-genre personnel (§ 162). Les formes nouvelles
du type dur indiquent un durcissement de la consonne finale
de gospodï, fait dialectal en vieux slave (•§ 21). L'instrumental
en -emï et le locatif en -i restent du type mouillé ; le vocatif
gospodi se maintient, et tout le pluriel, nom. gospodije, etc.,
garde sa flexion en -i-, parce qu'il n'est pas nom propre, et
que son singulier est le singulatif gospodinu (§ 212). Évincé
152 LES THÈMES EN -u- [,163]

par: gospodinu, r. gospodin, etc., ou par d'autres mots, pol.


pan, etc., gospodï ne subsiste que comme terme religieux,
en serbo-croate, en î>ulgare-et en russe ; si le slovène a gospôd,
gén. -da, c'est par perte du singulatif (§ 212). Le vieux tchèque
ne connaît .plus que le vocatif Hospodi ; le serbo-croate fléchit
Gospôd, gén.-acc. Gôspoda, et voc. Gôspode. Le russe, avec
le souvenir d'une prononciation d'Église Hospod- (§ 11),
présente les formes du type dur qu'avait adoptées le slavon :
Gospôd', gén.-acc. Gôspoda, dat. -du, et il les a étendues à
loc. -de, instr. -dom, en gardant le vocatif purement slavon
Gôspodi ; mais l'ukrainien Hospôd' oppose à gén.-acc. Hô-
spoda un datif Hospodévi du type mouillé. Pour le mouve-
ment d'accent, voir § 218.
Le mot gospodï, dont l'histoire est compliquée comme
généralement celle des mots q-ui désignent le «maître», le
« seigneur », est parallèle à lit. viespatis (mod. viëspats), thème
en -i-, qui est lui-même en regard de skr. viçpatih « chef
(pâtih) de la communauté familiale (vie-) ». Il s'agit d'un
vieux composé indo-européen, plus ou moins remanié, et lit.
vies-, v. pr. wais- dans waispatiin, fém. (acc. sing.), paraît
être le nom de l'« hôte », lette viesis. Le slave, qui a sûrement
pris gostï au gotique (§ 169), a dû lui emprunter aussi un com-
posé *gast-fadi- répondant au composé baltique.

La distinction des deux types masculins mouillés en -yo-


et en -i- était liée au système des alternances consonantiques :
le type en -yo-, de vozdï «guide» en regard de voditi « conduire »,
de vûpljï « clameur » en regard de vupiti « clamer », était
celui des thèmes terminés par groupe palatalisé (§ 24) ; le
type en -t-, de medvëdï « ours », fém. sunëdï « nourriture »,.
en regard de siïn-ëdati «manger », était celui du thème terminé
par consonne simple. Cette distinction n'est plus qu'étymo-
logique, mais elle reste nette, dans le cas des thèmes terminés
par dentale ou labiale, et un génitif Gospodja f-dë) est dû à
[170] ÉLIMINATION DU TYPE 153

une cause spéciale. Au contraire, avec les chuintantes, formes


mouillées des gutturales, la distinction n'existe plus, et il est
impossible de reconnaître si strazï « gardien », vracl « médecin »,
sont d'anciens thèmes en -yo- ou en -i-. Il sont fléchis en vieux
slave comme thèmes en -yo-, flexion qui pour mçzï au moins
doit être secondaire (§ 159), et les quelques désinences du
type en -i- qu'ils peuvent présenter, ainsi nom. plur. strazije,
instr. plur. strazïmi, n'attestent plus que l'extension nouvelle
de ces désinences dans le type en -yo- (§ 172), et indiquent
une raison de cette extension. Il y avait un cas où des thèmes
en -i- pouvaient offrir un thème en -st- et non en -t- : c'est
dans le type féminin de nostï « nuit » ( § 167), et c'est sans doute
pourquoi malomostï « infirme », composé de malu « petit »
et mostï « puissance », est traité comme féminin en vieux
slave, bien que de sens masculin.
Avec l, r, n, la distinction de V, r', n mouillés et de Ij, rj,
nj chuintants existait encore en vieux slave (§ 25), mais bien
moins stable que celle des séries t', p et st', plj. De zvërï
« bête fauve », on trouve déjà en vieux slave le génitif zvërë,
pour zvëri, qui est génitif-accusatif et sera la forme du moyen
bulgare. Le nom du « feu », ognï, présente la forme ognjï
comme s.-cr. àganj, slov. ôgenj, et le passage à la flexion en
-yo- : gén. ogn(j)i, mais ordinairement ognja. On pensèrait
à une prononciation chuintante du groupe mouillé gn (§ 39),
si l'on n'avait pas aussi v. si. stënjï « ombre » pour stënï, gén.
stëni. C'est sûrement du nominatif pluriel, stënï je, zvërïje,
passant à stënje, zvërje, qu'ont été tirés les thèmes nouveaux
stënj-, zvërj-, comme plus tard dans le serbo-croate dialectal
tjûdi pour Ijûdi « hommes », de tjudïje, tjudje.
Les consonnes mouillées se durcissaient dans une partie
des dialectes vieux-slaves (§ 21), et pçtï «chemin» ( = pçt')
passait à pçtu (= pçt). Dans ce domaine dialectal, qui est
également celui du serbo-croate et du slovène, les masculins
en -i- devenaient thèmes durs et devaient être attirés, non
154 LES THÈMES EN -u- [,163]

par le type mouillé en -yo-, mais par le type dur en -o-. On


trouve un exemple isolé du fait, dat. pçtu pour pçti, en vieux
slave occidental, outre gén.-acc. Gospoda, dat. Gospodu, qui
l'a emporté sur Gospodja, -dju, et s'est imposé en slavon.
Le vieux slave fait connaître le début de l'élimination des
masculins en -i-. Cette élimination a été progressive, et le
vieux russe et le vieux tchèque conservent encore en partie
la flexion ancienne. Elle a été plus ou moins rapide selon la
nature de la consonne finale du thème, et elle a donné des
résultats différents selon les langues : avec passage normal
au type en -yo- dans les langues qui conservent les mouillures)
russe, polonais et sorabe, et du type en -o- dans les langues
qui les ont perdues.de bonne heure, serbo-croate et slovène,
et avec des flottements entre les deux types dans les langues
qui les ont perdues de façon moins complète et plus tardi-
vement, tchéco-slovaque et bulgare.

171. Vestiges des mots du type. — Pour l'extension-


ancienne du type des masculins en -i-, les données du vieux
slave, déjà abondantes, peuvent être complétées par celles
du slavon et des autres langues slaves. On est guidé par
l'aspect des mots : des masculins dé flexion mouillée comme
r. medvéd', à thème terminé par consonne simple et ne remon-
tant pas à "un. groupe palatalisé, sont en principe d'anciens
masculins en -i-. Voici une liste complémentaire présentant
des identifications assez sûres, ou soulignant les problèmes
qui se posent.
Slavon mogçtï « un puissant » : c'est évidemment le participe
présent mogy, mogost-, de mosti « pouvoir », employé comme
substantif et passé du type athématique au type en -i- avec
conservation du thème primitif mogçt- (§ 279).
Vieux-russe et vieux-serbe kumetï « notable paysan, chef
d'un district », d'où des sens divers, « paysan » (pol., slov.),
«vieillard» (tch.) : pol. kmiec, gén. -cia, gén. plur. kmiëci, et
[171] VESTIGES DES MOTS DU TYPE 155
)'

aussi kmiot, du type athématique, en vieux polonais (§206);


tch. kmet, gén. kmeti en vieux tchèque, puis kmetë et kmeta ;
s.-cr. kmèt, gén. -ta. L'emprunt baltique v. pr. kumetis, lit.
kùmetis, garantit la forme ancienne du mot. C'est le latin
cornes, gén. comitis, avec un vocalisme roman cornet- (§ 47), et
le roumain cumei n'est pas un emprunt au slave, mais le
mot roman d'origine devenu romano-slave.
Slavon zelçdï «gland», gén. -dja, r. zôlud', gén. -dja; pol.
zolqdz, fém. mais ancien masculin, gén. zolçdzia; s.-cr. dial.
zèlûd, gén. -da. Le baltique présente une autre formation, lit.
gilê, etc., mais qui peut être abrégée, la finale -andis étant
un suffixe dans d'autres mots : cf. lit. iilés « plancher de la
barque », fém. plur., et lette tilandi, masc. plur. En effet, la
finale du slave, qui peut être d'un ancien athématique (§ 175),
concorde avec celle de lat. gldns, gén. glandis, fém., et le
grec pâÀocvos fait supposer que la forme indo-européenne
du mot était complexe et comportait au moins un -n-. La
racine gil- du baltique a dû être abstraite d'un mot plus long
pour permettre la formation de dérivés comme lette zïluôt
« porter des glands » et « faire la glandée ».
*labçdï « cygne », pol. labçdz, gén. -dzia, s.-cr. lâbûd, gén.
-da, etc., sans doute adaptation d'un mot germanique, avec
le suffixe -andi- (§ 69).
Slavon rysï «lynx», gén. rysi: r. rys', fém. mais dialecta-
lement masc., gén. -s/a; pol. rys, gén. -sia; tch. rys, slov. rîs,
s.-cr. rîs, gén. -sa, bulg.' ris, détêrm. risât. Cf. lit. lûsis, masc.
(gén. -sio) et fém. (gén.. -sies), lette lûsis, masc.; le vieux-
prussien luysis paraît refait sur le mot slave, avec la diph-
tongue ui qui rend si. y (§ 53). On retrouve le mot en germani-
que, v. h. a. luhs, et en grec, AùyÇ, gén. ÀuyKÔs, mais sous
des formes un peu différentes. La forme balto-slave doit
avoir été Hûksis; il serait hardi d'expliquer l'initiale r- du
slave par l'iranien et par un commerce ancien de peaux de
lynx avec les Sarmates.
156 LES THÈMES EN -u- [,163]

Slavon et v. r. navï «le mort», v. tch. nav «séjour des


morts», avec des traces d'une flexion de masculin en -i-.
Cf. v. pr. nowis « corps (mort ?) ». Dérivé de la racine de v.
si. u-nyti « être abattu », r. nyt' « faire mal », factitif v. tch.
u-naviti « tuer », lit. nôviti « tuer, tourmenter », lette nâve
a la mort ».
*teterv ï «coq de bruyère», slavon letrëvï : russe ancien
teterevï, gén. teterevi (jusqu'à la fin du xv e siècle) et -vja, r.
mod. lélerev, gén. -va; l'adjectif teterevinu, r. mod. teterevinyj,
est du type gostinu « d'hôte, de marchand, gostï », mod.
gostinyj, des dérivés de thèmes masculins en -i-; —• pol.
cietrzew, gén. -wia; s.-cr. tëtrijeb, gén. -ba, avec le -b de jàrëb
« perdrix », etc. Cf. v. pr. tatarœis, et lette teteris, gén. -rja,
avec réduction à -rj- du groupe -rvj-.
*panarvï, ponravï, v. r. ponorovû «sorte de gros ver» :
pol. pandrôw «chrysalide, asticot», gén. -owia, avec des
variantes, collectif neutre pandrowie, plur. pandry, qui
s'expliquent par un pluriel pandrowie; tch. ponrava « ver
blanc», et pondrav, etc. ; s.-cr. pùndrâv «ver des animaux»,
pàndrâv «charançon». Ce mot, à déformations nombreuses,
est un dérivé de *pa-nerti, ponrëti « s'enfoncer ».
Les masculins Hetervï et *panarvï attestent l'existence d'un
petit groupe de masculins en -vï, auquel est venu se joindre
*cïrvï « ver » pour *cïrmï, qui peuvent continuer des thèmes
en -u- (§ 159). Le cas du mot suivant est plus compliqué :
Slavon russe stïrvï « charogne », r. stérvo et fém. slérva,,
mais pol. écierw, masc., gén. -wa, à côté de scierwo, s.-cr.
strv, masc. Le flottement de genre s'expliquerait bien par
une flexion *stïrvï, masc., plur. *stïrva, neutre, c'est-à-dire
par un ancien neutre *sliru-, qui pourrait être un dérivé en
-u- de la racine *ster- de v. si. -strëti « étendre », prés.
-stïre-, désignant une chose allongée sur le sol. Et cf. *ceroo
« ventre », § 191.
' Pour zeravï « grue », voir § 175.
[171] VESTIGES DES MOTS DU TYPE 157

Slavon dëverï « frère du mari » : r. déver , pol. dial. dzièwierz,


tch. dever; slov. dev^r, gén. -rja, et dçver, gén. -ra; s.-cr.
djëvêr, bulg. déver, déterm. -rai Cf. lit. dieveris, avec des traces
de flexion athématique : c'est un ancien athématique en
-er- (§ 198).
V. si. veprï <c verrat », sans flexion attestée à date ancienne :
r. vepr', avec un adjectif veprinyj, qui doit indiquer un
thème en -i-; pol. wieprz ; s.-cr. vëpar. Cf. le lette vepris.
Le vieux serbe a synovï « fils du frère », gén. -vi, mot qui
a disparu devant son élargissement en -ici, s.-cr. sinovac,
r. ancien synôvéc, etc. En slovène, sinçvec signifie «petit-fils»
et « neveu » : le sens premier est « fils d'un des fils », neveu par
rapport à celui qui n'est pas son père. Le mot synu a eu sûre-
ment un adjectif *synovu, qui a été remplacé par v. si.
synovïnjï, r. synôvnij, du type des adjectifs possessifs en-m/7
des noms de. parenté (§295), et s.-cr. sînov est nouveau, comme
pol. synôw, pour l'ancien sinovnji passé à sinovljï. C'est de
cet adjectif qu'a été- tiré synovï, thème en -i-, d'après le
groupe de zçtï, etc.
Il y a présomption que v. r. upirï « revenant » est un thème
masculin en -i- d'une formation parallèle à celle de v. si. usidï
« fugitif », sur la racine *per- de v. si. perçtù « ils s'envolent »,
et qui désignait le mort qui s'échappe de sa tombe. Le mot
est déformé dans les langues modernes : r. upyr , mais dial.
upîr', pol. upiôr, et s.-cr. và(m)pïr, avec substitution à u- de
va- slavon (§ 60), qui a donné au xvnr e siècle le nom européen
du « vampire ». Plus déformé encore est le nom de la « chauve-
souris », r. nélopyr, etc. : on doit aussi supposer ici un ancien
*notopirï «qui vole de nuit» (§ 36). On ajoutera encore :
*alsï «élan» (§ 69) : r. los', gén. lôsja, avec un génitif pluriel
losii et un duel losi, du type en -i-, en vieux russe, et un
adjectif dérivé losinyj ; pol. los, gén. losia; tch. los, gén. losa.
R. lôsôs' « saumon », gén. -sja, pol. losos, gén. -sia; tch.
losos, gén. -sa.
ii
158 LES THÈMES EN -u- [,163]

Pol. sledz « hareng », gén. -dzia; le mot est féminin en russe,


sel'd', selëdka, mais le diminutif seledéc en russe dialectal, en
ukrainien et en blanc-russe, montre qu'il était antérieurement
masculin. C'est un emprunt ancien au Scandinave sild, adapté
en *sïlïdï.
*rçpï : pol. rzqp «croupion», gén. -pia, et sor. r'ap' « échine » ;
s.-cr. rêp « queue ».

Mais cette identification d'anciens masculins en -i- par


interprétation des formes modernes n'est pas absolument
sûre. Le slavon jarçbï « perdrix », peu attesté, et éliminé dans
une partie des langues slaves par un autre mot, r. kuropâtka,
etc. (§ 203), est confirmé par le polonais ancien et dialectal
jarzqb, gén. jarzçbia, en regard de tch. jefâb («grue», par
confusion avec zerâv), slov. jerçb, s.-cr. jàrëb, gén. -ba. En
baltique, le lette a irbe, fém., qui doit s'expliquer, comme
lit. gulbè « cygne », par un ancien masculin en -i- (§ 169), et
par un suffixe -bis. Le mot slave et le mot baltique ont sûre-
ment une origine commune, et il faut alors partir de la racine
i.-e. *iër-, *iôr-, de si. jar- «saison chaude», tch. jaro «prin-
temps », r. jarovôe « blé de printemps », etc., et v. si. jarû
«violent», r. jâryj, etc., avec le degré réduit *Ir- qu'on a
supposé dans lat. Ira « colère » : ce nom de la « perdrix » doit
avoir été celui du perdreau de la couvée de printemps, avec
l'addition directe du suffixe -bis en lette, et en slave sa super-
position au suffixe *-en- des noms d'êtres jeunes (§ 183).
Le serbo-croate gàlëb « mouette », bien qu'isolé, peut être
ancien — si toutefois il ne s'agit pas d'un emprunt —, et il
accepterait une explication semblable en partant de la racine
slave *gal- de v. si. glagolu « parole », glasu « voix », forme
longue *gâl-, qui a pu servir à désigner divers oiseaux criards,
r. gâlka « choucas », etc. Mais pour pol. jastrzqb « autour »,
gén. jastrzçbia, et sor. jatrëb', la flexion mouillée est secondaire
et imite celle de jarçbï et de golçbï « pigeon » (§ 22) : le vieux
[1.72] VESTIGES DE LA FLEXION 159
| .
polonais a gén. jastrzqba, et le vieux russe atteste jastrjabu,
mod. jdstreb, avec un. adjectif possessif jastrjablï qui n'est
pas du type en -inû des dérivés de thèmes en -i- (r. golubînyj).
Il est donc impossible de reconnaître dans ce mot le suffixe
balto-slave --bis, sL.-ç-bï, et de dégager un thème (j)astr- qui
rappellerait lat. accipiter « épervier ». On peut supposer un
composé slave obscurci, comme dans le cas de v. pol. jabrzqd,
v. tch. jabradek « sarment », qui est en regard du kachoube
brzôd « fruit » (de *brëdu) et de la famille de lit. brésli « former
son fruit, mûrir », et qui pourrait avoir désigné la pousse
inutile, le «gourmand» qui mange le fruit, *jad-bredû. Pour
ces composés à premier terme verbal, dont l'identification
est devenue très hypothétique, cf. jçcïmy, § 185.
Il faut aussi tenir compte des flottements de genre, qui
sont fréquents. Le russe a gus' «oie», gén. gusja, mais le mot
est féminin en vieux russe, et dans les autres langues, ukr. hus',
pol. gçs, v. tch. hus, comme en baltique, lit. zqsis, et le mot
germanique auquel si. gçsï doit son initiale g- (§ 12), v. h. a.
gans, thème en -i-, est également féminin. Cet ancien athé-
matique (§ 174) était, comme les noms d'animaux, masculin
ou féminin selon qu'il désignait le mâle ou la femelle : gr. ôx^v
et f) xr|v. Le vieux-tchèque hus devient masculin comme nom
d'homme : Hus, gén.-acc. Husi (§ 170). Mais un genre s'était
fixé pour indiquer l'espèce animale, en balto-slave le féminin,
et le masculin du russe, qui ne désigne pas le « jars », gusâk,
est secondaire. Secondaire aussi le masculin chot' « époux » du
tchèque, gén. v. tch, choti, cholë: v. si. xotï est féminin au
sens d'« amant » comme à celui d'« amante ». Le mot talï
« otage » du slavon et du vieux russe est masculin, mais fémi-
nin comme collectif : c'est sûrement un abstrait féminin tiré
d etoliti «apaiser» comme tvarï «création» de tvoriti i créer ».

172. Vestiges de la flexion. — Le type des masculins


en -i- était important à l'époque du vieux slave ; il n'était
160 LES THÈMES EN -u- [,163]

plus productif en général, mais il semble qu'il ait pu encore


accueillir quelques formations nouvelles. Le moyen bulgare
atteste olrovï « poison » à flexion de masculin en -i-, au moins
partiellement : c'est une des nombreuses formes de postver-
baux du verbe otruti «empoisonner», prés, otrove-,^ en serbo-
croate àtrov, masc., gén. -va, ôtrôv, fém., gén. ôtrovi, et ôtrova
(§ 167), une forme plus ancienne étant r. otrâva. A côté de
v. si. gladu « faim », r. gôlod, etc., on trouve, remontant au
vieux slave, le masculin gladï de flexion en -i- : on le suit en
moyen bulgare et jusqu'au bulgare dialectal ot glâdja « de
faim », on en a la trace en moyen serbo-croate dans instr. sing.
glademï, et il semble réapparaître à date récente dans la
flexion féminine s.-cr. glâd, gén. glâdi. Il est vraisemblable
que le point de départ de cette flexion est l'adverbe en
-ï v. si. gladï «de faim» (§ 320), tiré du substantif gladû.
Mais le type avait commencé de se contaminer avec les
autres types de masculins. Par fusion avec eux, il était
appelé à s'éliminer, mais il n'a pas disparu tout d'un coup,
ni tout entier. Plusieurs de ses désinences ont été productives
et se sont étendues dans le type mouillé en -yo-, comme les
désinences du type en -u- dans le type en -o-. Il en est résulté
un type nouveau de masculins, à flexion mixte et flottante,
type instable, mais qui a joué un rôle important dans l'évolu-
tion de la flexion des masculins, et qui a laissé des traces
nombreuses ; pour l'accentuation, voir § 221. Les désinences
qui s'étendent sont :
nom. plur. -ïje, puis -je : v. si. vozdije pour vozdi « guides »,
mais inversement pçti pour pgtije « chemins » ;
gén. plur. *-ïjï, -ii, -ei, puis -F ou -ej : v. si. vracei pour
vracï «des médecins»;
instr. plur. -ïmi, parallèle à -ûmi du type en -u- dont il est
la forme mouillée, et les deux désinences se confondent en
-mi: v. si. zûlodëimi pour zûlodëi « par les malfaiteurs »;.
[172] VESTIGES DE LA FLEXION 161
•. I
instr. sing. -ïmï, parallèle à -umï : v. si. nozïmï pour riozemï
«par le couteau»; mais ici c'est -emï du type en -yo- qui se
substitue à-ïmï en vieux slave et en slave méridional (§ 161).
Ce flottement des désinences des types en -yo- et en -i-,
bien qu'ancien dans les thèmes en chuintante dont le nomi-
natif-accusatif singulier pouvait appartenir aux deux types,
est très rare dans les textes vieux-slaves. Il se multiplie en
slavon et dans les langues slaves, et de mçzï « homme » on a
nom. plur. mçzije, gén. mçzii, instr. mozïmi, pour v. si. mçzi,
mçzï, mçzi, et à coté de ces formes.
En russe, la flexion masculine en -i- s'est maintenue-assez
longtemps, et elle reste reconnaissable dans put' « chemin »,
gén.-loc.-dat. puti (mais aussi gén. dial. putjd, dat. puljû), instr.
putëm, nom.-acc. plur. puti, gén. putéj. Au singulier, on trouve
encore dialectalement ogôn «feu», gén. ogni, et den «jour»,
gén. dni, pour ognjâ, drija de la langue commune. La conser-
vation de ces formes a été surtout tenace avec des mots de
l'ancien type athématique passés à la flexion en -i-, ainsi
kâmen' « pierre », gén. kameni jusqu'au début du xvin e siècle
(mod. kâmnja). Un vocatif Gospodi de Gospôd' « Seigneur »
est slavon. Au pluriel, une flexion nom. gosti « hôtes », gén.-acc.
gostej, instr. gostmi, était encore courante au xvi e siècle, et
avec des mots comme knjaz' « prince », ko ri' « cheval », qui
n'appartenaient pas originellement au type, mais lui ont été
de bonne heure incorporés, et elle subsiste dans Ijudi
« hommes », gén.-acc. tjudéj, instr. Ijud'mi (mais putjâmi de
put'). Le génitif pluriel -e/ a été généralisé dans la flexion
du type mouillé, parallèlement & -ov dans le type dur : noz
« couteau », nozéj. Mais le nominatif pluriel v. r. -ïje avait
disparu, remplacé par nom.-acc. - i : Ijudi, puti. Les formes en
-ja des mots comme muz « mari », plur. muzjâ, sont donc
d'autre origine : ils continuent des collectifs en -ïja et -ïje
(§ 211).
En ukrainien, le génitif pluriel en -ej, et dial, -yj, n'apparaît
162 LES THÈMES EN -u- [,163]

que dans quelques mots, hostéj, kônej, etc., et la désinence du


type mouillé est normalement -iv. comme dans le type dur.
Les mots de cette sorte gardent un instrumental pluriel en
-my : hisl'my, kin'my (et kônjamy).
En polonais, le nominatif-accusatif pluriel en -ie confond
le nominatif en -ïje du type en -i-, en -e du type athématique)
et l'accusatif en -ë du type en -yo-. Il a été généralisé dans
la flexion mouillée, ainsi que le génitif pluriel en -i, en la
mesure où ils ne sont pas concurrencés par le nominatif pluriel
personnel en -owie et le génitif pluriel en -ôw : golqb « pigeon »,
nom.-acc. plur. golqbie, gén. golebi. On observe une conser-
vation restreinte de -mi pour -iami usuel : ludzmi, goécmi, et
par extension bracmi de brada « frères ».
Le sorabe a un nominatif-accusatif pluriel en -je dans les
mêmes conditions que pol. -ie. L'instrumental pluriel en -ymi
pour -ami qu'il présente dans quelques mots en -c et -z,
comme pjenjezymi de plur. pjenjezy « argent », doit s'expliquer
par une réfection de -mi (pol. pieniçdzmi) sur le nominatif-
accusatif pluriel en -y.
En tchèque, où la flexion masculine en -i- s'est maintenue
longtemps comme en russe, quelques pluriels animés en -é,
comme hosté, lidé, conservent sous une forme remaniée la
désinence de nominatif pluriel -ïje, qui donnait une diph-
tongue -ie, v. tch. hostie, Vudie. Ils disparaissent en tchèque
parlé : lidi. Le tchèque littéraire garde une flexion nom. plur.
lidé, acc. lidi, gén. lidi, loc. lidech, dat. lidem, instr. lidmi.
Mais cette flexion est archaïsante, et hosté, acc. hosti et hosly,
gén. hosti, dat. hostem, représentent en fait nom.-acc. hosti
de la langue parlée, gén. hostû, dat. hostûm (prononcé -um
bref). Le slovaque a nom. plur. Vudia de -ie (§142, § 211).
En slovène, le nominatif pluriel -je des mots comme Ijudjç
a été étendu à un grand nombre de substantifs, ainsi fànt
« garçon », plur. fânlje, dans un emprunt à ital. faute, du
lombard fanihjo. Une flexion de pluriel Ijudjê, acc. Ijadî,
[172] VESTIGES DE LA FLEXION 163
|
gén. Ijudi, loc. tjudêh, dat. Ijudêm, instr. Ijudmi, légèrement
remaniée, avec loc. -éh de -ëxu du type en -o- pour -éh, s'est
maintenue avec quelques substantifs, soit anciens thèmes en
-i-, crv « ver », tât « voleur », soit nouveau-venus dans le type.
mçz «mari», zgb «dent», lâs «cheveu» de v. si. vlasu.
De pçt « chemin », féminin et masculin (§ 169), l'instrumental
singulier est pçtem.
En serbo-croate, quelques masculins présentent une forme
de génitif pluriel en -f, ou en -iju; forme secondaire de duel
(§ 214) : Ijûdi, crv, gén. plur. Ijudï, crvï, gôst, gén. plur. gôsti
et gostiju ; et aussi prst « doigt », ancien thème dur (v. si.
prusiû, r. perst), gén. plur. prsiï et prstiju. Le génitif pluriel
en -F connaît une petite extension à des substantifs complé-
ments de noms de nombre, ainsi pêt sâtî « cinq heures », de
sât, sâhat, emprunt au turc, d'après quelques masculins,
comme pût « chemin, fois », qui se construisent usuellement
avec nom de nombre. Un locatif-datif-instrumental pluriel en
-ma, continuant l'instrumental -mi, se conserve régionale-
ment dans Ijûdma, zùbma, kônjma. De pût, outre le génitif
pluriel pûtï au sens de « fois » et après nom de nombre, on a
l'instrumental pûtem et le pluriel putevi à côté de putom,
pûtovi. On trouve aussi dialectalement des accusatifs pluriels
Ijûdi, gôsti pour tjûde, gôste de la langue commune, et une
flexion Ijûdi, acc. Ijûde, qui dérive de nom. tjudje, acc. Ijudi,
et garde le souvenir altéré de la désinence de nominatif pluriel
-ije que le serbo-croate a complètement éliminée comme le
russe. Ce sont là des débris épars d'un type flexionnel de
masculins, continuant avec une flexion mêlée le type en -i-,
qui a eu son importance en serbo-croate comme dans les
autres langues slaves, et qui, les formes de génitif pluriel en
-iju le prouvent, s'est contaminé avec les vestiges du duel.
C'est la résistance de ce type à l'extension du pluriel en -ove,
-ovi (§ 163) qui explique les pluriels courts du serbo-croate,
gôsti, zûbi, vtâsi, etc.
164 LES THEMES EN -u- [162]

En bulgare, quelques pluriels en -e comme mâzé « maris »


continuent la désinence -ïje, mais confondue avec la désinence
-e du type athématique qui a eu aussi son extension (.§ 206) :
moyen bulg. strazije et straze de strazï « gardien ». Pour Ijude
«gens», le macédonien lûg'e atteste qu'il représente bien
Ijudje, v. si. Ijudije. De la flexion de pat, déterm. pâtjat, il est
resté l'adverbe pâtem « en chemin, en passant ».
CHAPITRE VI

LA FLEXION ATHÉMATIQUE

173. Caractéristique du type. — C'était à l'origine la flexion


générale des noms en indo-européen, le type unique de flexion
nominale (§129), à part la flexion de quelques pronoms dont
les désinences particulières ont servi à constituer le type,
devenu très important en slave, de la flexion pronominale
(§ 225). Mais les désinences de la flexion nominale s'ajoutaient
à des thèmes variés. L'indo-européen ne présente plus une
flexion nominale unique, mais plusieurs flexions « théma-
tiques », avec leurs désinences propres, en regard de la flexion
« athématique » qui est celle où les désinences n'ont pas
fusionné avec les thèmes. Les flexions productives sont les
flexions thématiques : leur élément thématique,-o-, -i-, etc.,
offre un support commode aux désinences à initiale consonan-
tique, nom. sing. -s, loc. plur. -su, désinences en -bh-j-m-,
tandis que dans le type athématique ces désinences créent
des groupes de consonnes qui s'altèrent ou donnent des alter-
nances compliquées. En dehors du hittite, qui ne connaît pas
les désinences en -su et en -bh-J-m- et où le type athématique
apparaît vivant et garde son unité, les langues indo-europé-
ennes qui conservent le mieux le type le montrent fragmenté,
en fonction de la consonne finale du thème, en quantité de
groupes grands ou petits, chacun avec quelques particularités
de flexion.
L'élimination progressive du type athématique dans la
166 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

flexion nominale est semblable à celle du type des présents


athématiques en -mi dans la flexion verbale, comme à celle
de divers types de dérivation. La raison en est la même,
l'incommodité des désinences ou des suffixes à initiale
consonantique. Le passage d'un type vivant à un type qui
n'est plus que traditionnel, par fractionnement dû à des
causes phonétiques, s'observe en slave dans l'histoire de
l'autre grand type verbal, celui des présents en -e-. Il n'y a
plus un type de déclinaison nominale athématique, il y a
plusieurs types parallèles. Pour éviter les groupes de consonnes
qui dans toutes les langues s'altèrent plus ou moins, et à
l'extrême en slave (§ 30), le recours était possible à la flexion
thématique la plus voisine, celle des thèmes en -i-, et le latin
remplace le datif pluriel en -bh-j-m-, skr. -bhyah (padbhyâh
« aux pieds ») par -ibus (pedibus), le balto-slave par lit. -ims,
si. -ïmu. C'était créer une contamination entre la flexion
athématique et la flexion en -i-.
Le baltique et le slave gardent des restes importants de
la flexion athématique, et le balto-slave en gardait sûrement
beaucoup plus. Mais ce ne sont que des restes, morcelés en
plusieurs catégories distinctes, et qui tendent à passer à
d'autres flexions, le plus directement à celle des thèmes en
-i-. La productivité qu'on observe encore est celle de certaines
catégories représentant des types de dérivation, ou celle de
certaines désinences.

174. Restes du type en slave et en baltique. — Le bal-


tique et le slave conservent, avec dés flexions qui ne sont
plus pures, mais où se reconnaissent des désinences propres
au type athématique : des substantifs en -men- masculins
(§ 185) et neutres (§ 186), des masculins en -en- (§ 183) et
isolément en -n- (§ 182) ; en slave des masculins en -i- (§ 189)
et des pluriels masculins en -jan- (§ 187), -tel-, -ar- (§ 188) ;
des neutres en -es- (§ 190) et en -et- (§ 194) ; des féminins
[174] JRESTES DU T YPE EN SLAVE ET EN BALTIQUE 167
S '•'
en *-û- (slave, § 200) et en -er- (§ 197) ; deux noms de nombre,
« quatre » ( § 304) et « dix » ( § 306) ; et quelques formes du
type dans la flexion du participe présent actif en -nt- (§ 278),
du participe passé actif en *-us- (§ 282) et du comparatif
en *-is- (§ 286), outre une forme unique dans la flexion en -ï-
(§154). ..
Tandis qu'en slave la flexion athématique disparaît après
le vieux slave, généralement de bonne heure, plus tardivement
en tchèque, et qu'il n'en subsiste que des vestiges dans les
langues modernes, elle s'est maintenue quelque peu en litua-
nien jusqu'à l'époque actuelle, et les données du baltique,
bien que tardives, complètent celles du slave.
Le vieux prussien garde seyr « cœur » de *sër, i.-e. *kër(d),
gén. *krd-, hitt. ker, kart-, gr. KÎjp, lat. cor, gén, cordis ; il a
refait sur cette forme de nominatif-accusatif neutre une
flexion masculine acc. sïran, gén. sïras, acc. plur. sirans. Le
letto-lituanien a lit. sirdis, fém.., acc. sird{, et dial. serdis;
acc. sérdi, lette sirds, de *sër d'intonation rude et *sird-
d'intonation douce (§ 101), avec des traces de flexion athé-
matique, gén. sing. sirdès, gén. plur. sirdty, serdy, en lituanien
ancien et dialectal. Le slave présente la forme élargie *sïrdïce.
Pour v. pr. smunents « homme », voir § 196.
Avec d'autres mots encore, le letto-lituanien conserve,
dans la flexion en -i.-, des formes du type athématique, en
vieux lituanien et dans les dialectes gén. sing. -es, -s, pour
-ies, nom. plur. -es, -s, pour -ys, gén. plur. pour -ify, qui
attestent l'origine athématique de ces mots :
si. zvërï «bête fauve» : lit. zvêris, nom. plur. zveres, gén.
zvéri£, cf. gr. ôfjp, gén. Qripôs (§ 12) ;
si. dëverï « beau-frère » : lit. dieveris, nom. plur. dievers,
cf. gr. 85iip, gén. Sôœpôs (§ 171) ;
si. dvïrï, fém., usuellement plur. dvïri «porte» : lit. dùrys,
plur. fém.,, et dial. dùres, gén. dùrity et dùrfy', lette dùrvis,
et dial. duris, gén. duru ; v. pr. dauris. Le mot est un ancien
168 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

athématique à vocalisme alternant : skr. dvârah, fém. plur.,


acc. durdh, avec d- pour dh- ; v. h. a. turi, de *dhur-, fém. en
-i- avec trace de flexion athématique ; Iât. foris, de *dhwor-,
usuellement plur. forës, avec passage au type en -i-. Le dérivé
thématique était *dhworo-,,v. perse d(u)vara- «porte», lat.
forum, forus, si. dvoru « cour ». On reconnaît en balto-slave
une flexion *dvar- : dur- avec altération de l'alternance
(§ 117), création sur dur- d'un degré fort nouveau daur- en
vieux prussien, et sur *dvar- d'un degré réduit *dvir- en
slave. Le lette dùrvis doit représenter une contamination de
*dvar- et dur- en *dvur-, c'est-à-dire *duur-, d'où *duur-,
durv- ;
v. si. nostï «nuit» : v. pr. naktin (acc. sing.), lit. naktis, gén.
plur..dial. naklty, lette nakts, gén. plur. dial. naktu. Cf. lat. nox,
gén. noctis, véd. nàk, duel ndklâ, got. nahts et v. h. a. naht
de flexion athématique (gén. got. nahts), gr. vûf, gén. VUKTÔÇ.
II s'agit d'un très ancien dérivé en -i- d'une racine que le
hittite présente dans nekuz « le soir » et le verbe nekuzi « là
nuit vient » ; v
lit. zqsis « oie », gén. plur. dial. zqsy,, lette ziioss, gén. plur.
zùosu, cf. gr. x^v, gén. X'nvôs- Le slave *gçsï a la flexion
secondaire en -i- du mot germanique, v. h. a. gans (§12) ;
v. pr. dantis «dent», lit. dantls, masc. et fém., gén. plur.
dant%et nom. plur. dantes en lituanien ancien. Le mot était
un athématique à vocalisme alternant : skr. dân, acc. ddntam,
gén. datâh ; d'où la différence de vocalisme entre gr. ôSoov,
gén. ÔSÔVTOÇ, et lat. dëns, gén. dentis, et à l'intérieur du
germanique entre v. h. a. zand (masc. en -i-) et got. tunpus
(masc. en -u-). Cette différence se retrouve en balto-slave
entre le baltique dant- et le slave *dçsna «gencive» : s.-cr.
dêsna, usuellement plur. dêsni; tch. dâsnë et dâsen, dial. dâsno,
slovaque d'asno; pol. dziqslo, mais ancien et dial. dziqsno et
dziqsna, le flottement entre les deux flexions féminines dans
ces langues et le "passage au neutre s'explïquant par le duel
£ 174] RE S TES DU T YPE EN SLA VE ET EN BAL TIQ UE 169
S
*dçsnë (§ 214); r. desnâ pour ?djasnâ, plur. dësny avec une
alternance e : ë secondaire (§ 121), mais ukr. jâsny. Ce dérivé
en -na, de forme -sna avec thème terminé par dentale (cf. § 31),
conserve l'ancien nom slave de la « dent », *dçt- remplacé par
zçbu, et la trace d'une flexion balto-slave dant-: *dinl- ;
lit. obelis « pommier », fém. gén; sing. obéis à côté de obeliès,
nom. plur. ôbeles, gén. obeli-lette âbele avec passage au type
en -ë-, mais dial. âbels. Ce mot doit attester l'existence d'un
type athématique en -el- en balto-slave, qu'on trouve par
ailleurs dans le type -tel- du slave (§ 188). Le vieux-prussien
woble «pomme», en regard de wobalne «pommier», si.
*âbalni-, slavon ablanï, r. jâblon avec finale altérée, pourrait
attester une alternance vocalique. Le nom de la « pomme » est
en slave abluko, r. jâbloko, élargissement en -ko d'un neutre
*âblu- (§ 159), et c'est également un thème en -u-, sinon un
neutre, que suppose le germanique, v. h. a. apful, masc., plur.
epfili, où la consonne géminée s'expliquerait bien par une
flexion *aplu-, cas obliques *aplw-, d'où *appl-; le lituanien
ôbuolas, avec le suffixe -uolas de qzuolas «chêne», etc., est
une forme remaniée.
Lit. debesis «nuage», gén. plur. debesy,, continue un thème
consonantique en -es- (§ 19Q), et zuvls «poisson», gén. plur.
zuv%, un thème consonantique en -û- (§ 200). Le lette gùovs
«vache», gén. plur. dial. guovu, représente un vieux thème
indo-européen en *-ôu- (§ 159), et le dérivé slave govçdo
« bœuf, gros bétail », r. govjâdo, permet de poser en balto-
slave une flexion à alternance vocalique *gôv- : *gav-, celle
de skr. gâuh, loc. gâvi.
Il y a d'autres cas, assez nombreux en lituanien, de génitifs
pluriels en -u et de désinences -es du type athématique dans
la flexion de thèmes en -i-. Mais ils ne sont plus probants : ils
ne représentent plus en letto-lituanien qu'une contamination
des deux flexions et qu'un flottement de désinences, comme
en latin le flottement de -e et -ï à l'ablatif singulier, de -um
170 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

et -ium au génitif pluriel, et la-confusion après syllabe longue


des types de dëns ,(gén. dentis), athématique ancien, et de
mens «pensée, esprit» (gén. mentis), pour *mentis, dérivé en
-ti-. Lit. pàts «époux», subst., et «lui-même», pronom (§ 256),
est pour patis et présente une flexion de pur thème en -i-,
gén. patiës, gén. plur. paëi%, comme skr. pâtih, gr. TTÔCTIÇ
lat. potis (« capable de »). Par conséquent le composé viëspats
«maître» (§ 170) est pour l'ancien viespatls, cf. skr. viçpàtih
(§ 175), et des formes gén. sing. viespatès, gén. plur. viespal%,
n'autorisent pas à supposer une flexion athématique par
comparaison avec lat. compos « maître de », gén. compotis,
qui est un postverbal de v. lat. compotiô, forme à préverbe
de polio « rendre maître ».
' Il y a en lituanien extension dialectale de gén. sing. -es
dans le type en -ï-, et en lette le génitif -s, de -es, a été complè-
tement substitué dans ce type, à -is, de -ies (§ 165), Dans
des génitifs pluriels comme lit. krûl% de krûtis «poitrine,
sein», et priezastq. de priezaslls «cause », abstrait en -tis sur
la racine de -zadëti « parler », prés, -zadù, on reconnaîtra une
• tendance à éliminer la forme -cify et son alternance consonan-
tiquei De même dans lit. dial. de ulis « pou », usuellement
utê, lette utu de uls et ute, mot auquel répond si. vusï, r. vos,
gén. vsi, avec une finale -sï d'hypocoristique (§ 10), et qui
doit être une création de la langue familière. Et lit. dial. aus^
de ausis « oreille », lette dial. àusu de àuss, ne saurait être
ancien dans une flexion en -i- refaite sur le nominatif-accu-
satif duel (§ 193). Il y faut voir, en lette, la perte de l'alter-
nance s : s de dus-, gén. plur. àusu, et en lituanien, où les
consonnes sont mouillées devant voyelle prépalatale et dures
devant voyelle postpalatale (§ 16), et où l'on a aus'- dans
ausis comme dans ausiil, une répartition nouvelle de consonne
mouillée devant les désinences en -i- et de consonne dure
devant la désinence Dans le système des alternances de
prononciation dure et molle du lituanien, la distinction de
[175] ANCIENS ATHÊMATIQUES 171
i
et de -y, peut facilement se brouiller. De façon semblable,
dans les langues slaves qui conservent les mouillures, on
observe une certaine extension de la finale dure du génitif
pluriel à désinence ancienne -û (§ 206).

175. Anciens athématiques. — C'est l'histoire des mots et


la comparaison à l'intérieur du balto-slave et entre le balto-
slave et les autres langues indo-européennes qui renseignent
sur l'origine athématique d'une partie des thèmes en -i-:
de si. mogçtï (§ 171) ; de si. mysï «souris», cf. gr. IJIOS, gén.
uuôç, skr. muh, lat. mus, gén. mûris ; de lit. ântis « cane » en
regard de si. *çty (§ 203), cf. lat. anas, gén. anitis (§ 97),
v. isl. çnd de flexion en partie athématique et en partie en -i-
(v. h. a. anut, fém. en -i-).
SI. vïsï « village » est l'ancien athématique skr. viç-. Un
vocalisme plein est conservé dans l'adverbe gr. (f)oka-8s
« vers la maison », et c'est cette forme pleine que le baltique
présente au premier terme du composé lit. viëspats, v. pr.
waispat-, mais sans doute par remaniement de *vis- et ratta-
chement secondaire au dérivé lette viesis «hôte» (§ 170).
SI. solï « sel », de *sali-, et lette sàls, de *sâli-, lit. dial.
sôlymas « saumure », répondent à gr. &Aç, gén. ôcÀés, avec
l'alternance quantative de lat. sâl, gén. salis.
Lit. nôsis « nez », fém., lette nâsis « narines, naseaux », fém.
plur., v. pr. nozy, fém. en -ë-, et lat. nârês, fém. plur.,
répondent de même à un athématique à alternance quanti-
tative, véd. ndsâ, duel, gén. nasôh, instr. sing. nasâ. L'alter-
nance s'accuse en balto-slave dans l'opposition entre le thème
*nâs- du baltique et le thème *nas- du slave nosu, masculin
en -o-, et en vieux prussien entre nozy et le dérivé ponasse
« lèvre supérieure », littéralement « ce qui est sous (po-) le
nez ». Le germanique atteste *nas-, avec des adaptations
diverses, et avec des traces de *nâs~. Il faut sûrement partir
du duel, et alors les formes du baltique sont refaites sur le
172 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

nominatif-accusatif duel, à désinence *-ï en balto-slave


(§ 180), la forme de masculin du type dur du slave l'est sur
les cas obliques du duel, gén.-loc. nasôh en védique, *nosu
en slave.
V. lit. nepuotis « petits-fils », et nepolis avec un flottement
de finale qui rappelle celui des adjectifs en -uotas et -otas,
répond à lat. nepôs, gén. nepôtis, skr. nâpât, et, avec alter-
nance vocalique, av. napâ, acc. napâtam, gén. naptô, loc.
plur. nafsu. Cette alternance vocalique a été sûrement connue
du balto-slave, et sa conservation explique le traitement
nouveau du groupe pt dans le dérivé si. *netïjï « neveu »
(§ 35). Elle a dû être connue aussi du germanique : s'il n'a
pas refait la flexion du mot sur un thème nepôt- mais sur
le nominatif singulier, v. h. a. nëvo, avec le passage courant
au type en -n-, c'est sans doute que la flexion était *nepô(t)s :
*nept~. Pour le féminin v. lit. nepté, lat. neptis (si. nestera,
§198), il continue une autre flexion, skr. naptih (§ 154).
SI. zelçdï « gland », qui se retrouve presque exactement dans
lat. glâns, gén. glandis, plus lointainement dans gr. (3âÀavos
et lit. gllé, doit être un vieux mot à finale athématique, et
qui pouvait comporter une alternance vocalique dans la
syllabe radicale (§ 171).
SI. zeravï (v. r.) « grue », masc., s.-cr. zërâv, pol. zôraw,
gén. -wia, etc., avec diverses altérations dans les langues
slaves (r. mod. zurâvl'), a comme correspondant baltique
lit. gérvé, etc., fém. On doit restituer une flexion balto-slave
à nominatif en *-ôus, comme dans le lette gùovs « vache »
(§159, § 174), et à génitif en *-ues. La finale du latin grûs
peut représenter *-5us : on retrouverait ainsi sur thème. *gerh-,
gr. yépoc-vos, lit. gér-v-é, lette dzet--ve d'intonation rude (§ 98),
une formation très ancienne de l'indo-européen à vocalisme
alternant, *gr(h)-âus, *gérh-w~.
SI. pçtï «chemin» est en regard de v. pr. piniis, qui offre
un autre vocalisme radical. Une flexion athématique n'est
[175] ANCIENS A THÊMA TIQ UES 173

pas indiquée sûrement par lat. pôns, gén. pontis, niais elle
l'est par skr. pânthâk, acc. pânthâm (véd.), gén. pathâh, instr.
plur. pathîbhih, av. pantâ, acc. pantqm, gén. paQô, instr.
plur. paddbis. L'aspect anomal de cette flexion en indo-
iranien tient seulement à ce que la racine était *ponth-, *pnth-,
avec un groupe *tk de la dentale et de l'aspirée h (§ 98) : ce
qui renseigne sur une des origines au moins des sourdes
aspirées (§8) et sur la raison pour laquelle elles donnent des
sourdes simples en balto-slave (§ 97). On doit supposer acc.
*pontehip,, gén. *pnthes, d'après acc. * mater m, gén. *mâtres,
gr. !ir|TÉpa, jjLTjTpôç, et c'est sur acc. *-ehrn, donnant -dm en
indo-iranien qu'a été refait nom. -as. En balto-slave, tout
se ramenait à une flexion à vocalisme alternant *pant-: pinl-.
SI. kostï « os », fém., malgré son initiale k- inexpliquée, et
que n'explique pas le parallélisme de koza « chèvre » en regard
de skr. ajâ, ne peut pas être séparé du nom indo-européen de
l'« os » : skr. àsthi, neutre, gén. asihnâh, av. as-(ca), gén. astô,
plur. asti; lat. os (s gén.ossis, qui peut garder la trace d'une
prononciation *osst de *ost (§ 30), d'où oss étendu aux cas
obliques ; et cf. hitt. hastai, neutre. Sans confronter hitt. hast-
et skr. asth-, il paraît clair pour le slave qu'il faut poser un
athématique neutre *ost à pluriel *ostï (§ 179), et que le
singulier kostï est secondaire de kosti, ancien pluriel neutre
devenu féminin. Le baltique a un autre mot, v. pr. caulan, etc.,
et ne renseigne pas ; c'est dommage, car kostï s'est écarté en
slave de la racine *as- de oslru « aigu » qu'il rencontrait pour
rejoindre la racine *kas- « racler » de kosnçti « toucher », cesati
«peigner», et on entrevoit le jeu d'une étymologie populaire.
Pour les duels oci « yeux », usi « oreilles », voir § 193.
Ainsi les traces reconnaissables d'athématiques passés à
la flexion en -i- sont nombreuses en baltique et en slave.
La flexion athématique, qui n'apparaît plus que limitée à
certains thèmes et attachée à certains suffixes, était encore
aussi représentée en balto-slave qu'elle l'est vers la même
12
174 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

époque en latin, dans des noms-racines comme dans des


thèmes sufïixaux. Le type des noms verbaux du slave comme
masc. usidï «fugitif» (§ 169), fém. rëcï «parole», doit sûre-
ment sa voyelle longue en alternance avec la brève du verbe
(§ 116) à son origine athématique, la longue du nominatif
étant généralisée comme dans lat. uôx, gén. uôcis, en regard
de uocô «j'appelle », skr. vak, gén. vâcâh, en regard de vivakti
« il parle », pour av. vâxs, gén. vaëô, gr. hom. (F)OTTÔS. Le
composé si. medvëdï «ours» répond à l'athématique skr.
madhuv-âd- «qui mange le miel», si ce n'est que le balto-
slave a généralisé la forme *ëd- de la racine i.-e. *ed- « manger ».
Les alternances vocaliques étaient caractéristiques de la
flexion athématique. Elles se sont maintenues longtemps én
balto-slave, et l'on en retrouve des vestiges encore importants :
*sër : sird-, qui paraît s'être conservé assez tard en baltique ;
*dvar- : dur-, avec des remaniements du degré fort en daur-
et du degré faible en *dvir- qui montrent que l'alternance
restait vivante ; dard-: *dint-, et *pant~: pint-; *gôv~: *gav-,
et *gerôv~: gerv-; *nepôt-.: *nept~; *sâl~: *sal-, et *nâs-:
*nas~. L'alternance *vais- : *vis- "est moins probante, mais
l'on a d'autres exemples encore, comme *sâul- : *sûl-, voir
ci-dessous ; *ketûr- (dè *ketwôr-) : ketur- (§ 304).

Une influence de la flexion en -i- sur la flexion athématique


est ancienne à certaines désinences, et une contamination
des deux flexions, comme en latin, était particulièrement
aisée en balto-slave, où à l'accusatif singulier et pluriel i.-e.
et *-im se confondaient en -in, i.-e. -ris et *-ins en -ins.
Ceci n'est pas général, et si en latin acc. -em et -im sont assez
proches pour flotter entre eux, il n'en est pas de même en
grec, où irôS-a de la flexion athématique n'a pas de ressem-
blance avec TTÔÀ-IV de la flexion en -i-. Aussi le grec maintient-
il le type athématique sans contamination avec le type en -i-,
et c'est le type athématique qu'il garde jusqu'à l'époque
[175] ANCIENS ATHÉMATIQUES 175

actuelle, acc. TÔV Trccxépa, nom. plur. oi îrcrrépss, et dont il


étend largement la désinence nom. plur. -es, et -Ssç d'un de
ses anciens thèmes consonantiques.
En slave, le passage des athématiques au type en -i- se
poursuit à l'époque du vieux slave, et plus tard. Mais les
athématiques ont pu être incorporés à d'autres flexions, ainsi
nosu ; pour brat(r)u « frère », sestra « sœur » et le traitement
des noms de parenté en -er-, voir § 198. Leur élimination s'est
opérée par des voies diverses. Ils ont cédé1 la place à des
dérivés dans mësçcï « mois, lune », *sulnïce «soleil», comme
dans *sïrdïce « cœur ».
Du nom de la « lune » ou du « mois », le thème est mens-
dans lat. mënsis, gén. plur. ancien mënsum, et dans gr. pr|V,
gén. privés, d'après le lesbien gén. nfjvvos. Mais un groupe
i.-e. *ëns devait se réduire : il donne *-ën ou *-ë au nominatif
masculin singulier des thèmes en -en-, et il devait donner aussi
*-ës d'après le parallélisme de *-ôns, *-âs à l'accusatif pluriel
des féminins en -û- (§ 150). Ce n'était pas seulement un trai-
tement de finale, car c'est mâs- que l'on trouve en indo-iranien:
skr. mâh, gén. mâsah. En baltique, le lituanien présente la
flexion mënuo, gén. mënesies, à côté de mënesis, gén. -sio,
lette mënes(i)s, et le nominatif anomal -uo est sûrement
antérieur à -esis normalisé, et paraît confirmé par v. pr.
*menins (altéré en menig). Les finales en -uo du lituanien,
-ins probable en vieux prussien, sont des remaniements d'une
finale *-en de thème en -en, et il est clair que le letto-lituanien
*mënes- résulte d'un passage secondaire de *mëns- au type
en -es- (§ 191). On restitue ainsi pour le baltique une flexion
*mën, cas obliques *mëns-, avec élargissement de *mën en
*mën-ën par une sorte de réduplication de la finale -en, et
indépendamment du germanique qui atteste le thème *mën-,
mais généralisé, et avec un passage à la déclinaison « faible »
en -n-, got. mena « lune », v. h. a. mâno, assez ordinaire chez
d'anciens athématiques. Dans le slave mësçcï, la forme -ci de
176 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

l'élargissement garantit une forme de base *mësin- (§ 19),


de *mësn-. Il est probable que la finale -qcï, de *-inka-, a
été la forme des élargissements en i.-e. *-ko- des thèmes en
-en-, en regard de -yku du type en -men- (§ 183). Le slave
*mêsn- est trop près du baltique *mëns~ pour ne pas dériver
d'une même forme balto-slave, qui devait être *mës- comme
en indo-iranien. Ce sont deux réfections parallèles d'une
flexion anomale *mën: *mës-, d'après laquelle le baltique
restaurait *mëns- comme le latin et le grec, mais où là forme
*mën provoquait un passage au type en -en-, et le slave a
pu en tirer *mës-en-, tandis que le baltique fixait curieuse-
ment en *mën-ën : *mêns-, *mënes-, une flexion qui a dû être
1
un moment flottante (§ 192).
Le nom du « soleil », véd. s(û)var, gén. sttrah, got. sauil et
dérivé sunnô, dont la flexion était compliquée, a donné deux
dérivés différents en baltique et en slave, lit. sàulê, lette
saùle, v. pr. saule, et v. si. slunïce, r. sôlnce, sûrement de
*sùl-nï-ce, où l'on retrouve le souvenir d'une flexion à alter-
nance vocalique *sâul~: *sûl-. La forme baltique *sâul- doit
être conservée en slave dans le comparatif v. si. suljii, sulëi
(§ 290).
Le nom indo-européen du «pied», que le baltique et le
slave remplacent, par d'autres mots, lit. kôja, et v. pr. nage,
si. noga, qui est proprement le nom de l'« ongle » et du « sabot
d'animal », n'est également conservé en balto-slave que dans
des dérivés, lit. pédà « pied, mesure », pesetas « à pied »,
v. si. pësï (avec le suffixe -sï mutilant le thème, § 10), etc.
Il présentait les deux formes *ped- et *pod-, peut-être par
opposition de *ped- au simple et de *-pod- dans les composés,
avec degré long *pêd-, *pôd- au nominatif : lat. pës, gén.
pedis, gr. tto5- ; le balto-slave avait généralisé la forme *pëd-,
tandis que le germanique, got. fôtus, a généralisé la forme
*pôd~.
Lat. nix «neigé », gén. niuis, gr. viqxx (acc.), qui est à côté
[175] ANCIENS ATHÉMATIQUES 177

du verbe lat. riïuit, ninguit « il neige », lit. sniëga, sninga,


a été remplacé par un postverbal, v. pr. snaygis, lit. sniëgas,
lette sniegs, si. snëgû, et de même got. snaiws. Pour lat. iûs
« jus, bouillon », neutre, gén. iûris, skr. yûh, on a lit. jûsé
« soupe (de poisson) », v. pr. iuse, qui doit continuer l'athé-
matique et en conserve le vocalisme, mais si. juxa, r. uxâ
(§ 76), qui est un dérivé de la racine. Lit. nàgas « ongle » et
nagà «sabot», si. noga «pied», sont en regard de gr. ovvÇ,
gén. ôvuxos, et lat. unguis, etc. : on voit mal la forme indo-
européenne de cet athématique, mais le thème nag- du balto-
slave a son correspondant dans v. h. a. nagal, et le féminin
en -â- apparaît comme un dérivé à valeur de collectif.
Il n'est pas sûr que lit. muse, musià (lette musa) et musis
«mouche» (dont le -s- est anomal, § 10), en dépit de son
génitif pluriel mus-îj,, provienne d'un athématique que n'at-
testent pas gr. nuïa, ni indirectement lat. musca. Le slave a
muxa, formation nouvelle, mais le diminutif musica « mou-
cheron », avec une alternance vocalique tout à fait insolite
dans la dérivation (§ 117), suppose une forme qui doit avoir
été *musa « comme en baltique — r. môxa (cf. § 10) étant
secondaire de môska substitué à v. r. msica (§19) — et qui en
tout cas n'était pas un thème en -i- dont le diminutif serait
en -ïca. De même la divergence entre si. gora « montagne,
forêt», v. pr. garianu arbre », et lit. girià, giré, ne restitue
pas un athématique, non plus que celle entre skr. girlh et av.
gairis. On ne peut voir dans ces mots que des dérivés
divers de racines.
La différence entre si. dïnï « jour », qui conserve sa flexion
athématique (§ 182), et lit. dienà, etc. en baltiqué, est sem-
blable à celle de « jour » et « journée » en français, et l'on peut
expliquer de même la substitution de si. zima « hiver », et
lit. ziemà, etc., au vieil athématique conservé dans av. zyâ,
gén. zimo, lat. hiems, gén. hiemis. Pour si. zemlja « terre »,
et lit. zëmè, etc., qui remplace un athématique dans la flexion
178 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

duquel les alternances vocaliques s'accompagnaient d'alter-


nances consonantiques compliquées, véd. ksâh, gén. jmâh
(§ 94), ce peut être lé dérivé balto-slave, à côté de l'adjectif
lit. zëmas « bas », lette zems, d'un adverbe *zem- « à terre »
répondant au locatif véd. ksdmi. Cet adverbe n'est plus
reconnaissable, lette zem « sous » (préposition), lit. dial. zèma,
v. pr. semmai « en bas », etc., se rattachant à l'adjectif ou
au substantif. On a d'autres dérivés sur la forme réduite
zm- de la racine : lit. zmuô «homme» (§ 182), si. zmïja
« serpent » (§ 31) et *zmïjï « dragon » (§ 146).
Quant au nom de la « femme », si. zena, v. pr. genno, genna-,
c'est un thème ancien en -â- sur degré vocalique *gweti-, en
regard de *gwn- dans skr. gnd, gr. yuvf|. C'est la racine dont
a été tiré ce thème en -â- qui présentait des alternances
vocaliques, cf. got. qinô « femme », de *gwenâ (avec passage
secondaire aux féminins en -n-), mais qëns «épouse», fém.
en -i-, de *gwën-.

Lés dérivés en -â- comme si. juxa qui ne continuent pas


des athématiques, mais leur ont été" substitués, ont l'aspect
du type régulier et productif des postverbaux, et il a sûrement
existé des verbes à côté des noms-racines, même si ces Verbes
ne sont plus attestés ou si pol. juszyc « ensanglanter » n'est
plus que le dénominatif de jucha passé au sens de « sang
(des animaux) ». Mais si. voda « eau » ne saurait s'expliquer
comme un postverbal, et le mot pose la question du traite-
ment morphologique des substantifs indo-européens en -r : -n-.

176. Traces du type en -r : -n-. — L'indo-européen pos-


sédait un type inanimé (neutre) à nominatif-accusatif en -r
avec flexion sur thème en -n- aux autres cas : skr. ûdhar
« mamelle », gén. Adhnah, gr. o50ocp, gén. o ù ô a - T o s . Le hittite
est venu confirmer la grande importance de ce type, avec ses
suffixes productifs en -tar, gén. -(t)nas, -sar, gén. -snas, -war,
[176] TRACES DU TYPE EN -r: -n- 179
! '
dat. -uni (secondairement gén. -was). L'origine de cette flexion
, anomale très ancienne est inconnue, et parler de suffixe
alternant n'est pas l'expliquer (§ 181). Le nominatif-accusatif
est en *-r, gr. -ap, lat. -ur, -or, mais le grec présente quelques
formes en -cop. La flexion se conserve mal, et le latin n'en
garde que quelques restes en les remaniant : fémur « cuisse »,
gén. feminis, puis femoris, iecur « foie », gén. iecoris et iecinoris
pour *iecinis, iter « chemin », gén. itineris pour *itinis.
' Le nom de l'« eau », hitt. watar, gén. w,etenas, wetnas, skr.
udnâh (gén.), gr. ûScop, gén. OSOCTOS, est en germanique v. h. a.
wazzar, neutre en -o-, mais got. watô, gén. watins, neutre en
-en-, dat. plur. watnam ; en italique ombr. utur, ablatif une,
mais lat. unda, fém., où l'on peut voir une forme à infixe
nasal prise à un verbe, skr. unâtti « il sourd, il arrose », plur.
undâti, mais qui pourrait bien être refait, avec métathèse,
sur un pluriel neutre *udnâ. En balto-slave, on a y. pr.
wundan, neutre, d'où unds, masc. (§ 125); lit. vanduô, acc.
vdndeni, masc., et dial. unduo, lette ûdens (de und-), masc.
et fém. ; si. voda. La flexion du mot était complexe en balto-
slave, pour avoir donné des aboutissants dialectaux si variés.
On ne peut pas la restituer exactement, mais lit. vanduô
exclut l'hypothèse de l'infixé nasal, qui veut le degré réduit
de la racine. Si l'on pouvait admettre pour ce mot l'existence
en balto-slave d'une désinence *-ôr comme en grec' et un
nominatif-accusatif i.-e. *wodô(r) à thème *udn- des cas
obliques, le slave voda représenterait ce nominatif-accusatif,
et, comme dans le cas de sestra et du nominatif -ô(r), lit.
sesuô (§ 198), il répondrait à lit. *vaduô passé à vanduô d'après
und-, le thème baltique und- étant une métathèse de *udn~.
Des dérivés slaves comme povonï « inondation » à côté de
povodïnï (r. dial. pôvoden) et povodï, r. dial. izvon , zâvon' à
côté de izvod', zàvod!, le verbe navodïniti «inonder», r. navod-
niï, conserveraient sous la forme -vo(d)n- et sa réfection en
-vodïn- la trace d'un thème^ *vadn- pour *udn- d'après *vadô.
180 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Un dérivé indo-européen ancien sur le thème *udr- du nomi-


natif-accusatif est gr. ûSpoç, OSpcc « serpent d'eau, hydre »,
skr. udrâh, qui a servi à désigner la « loutre », lat. lutra avec
déformation du mot. Il est représenté en baltique par lit.
udra, v. pr. udro, si. vydra (r. vydra), avec l'allongement de
la voyelle radicale qu'on observe dans le féminin lit. vârna
«corneille» en face du masculin varnas « corbeau» (§ 116).
Le mot suppose un^masculin *udra- à voyelle brève, et lit.
dial. ùdras, lette ûdrs, ûdris, est secondaire du féminin.
On a la trace d'autres mots en - r : -n-. A gr. (r)éap «prin-
temps », gén. Êccpoç, skr. vasan- dans vasanldh (cf. héman
«en hiver»-et hemantâh «hiver»), mais av. vanri «au prin-
temps », lat. uër, gén. uëris, qui restituent, une flexion *wësr :
wesn-, répondent lit. vâsara, lette vasara, mais si. vesna. Ces
féminins en -â- doivent être construits parallèlement sur deux
formes adverbiales, débris de la flexion primitive. Pour
si. jesenï « automne », v. pr. assanis, voir § 181.
A gr.flirocp« foie », gén. rj-rrcrros, av. yâkard, skr. ydkr-l, gén.
yakndh, lat. iecur, gén. iecinoris, répondent lit. jeknos, jàknos,
fém. plur., lette aknas, v. pr. *iagno, d'un pluriel neutre *jeknâ
(§ 125), mais si. jçiro, usuellement jçtra, tch. jdira, etc.,
pluriel neutre qui peut devenir féminin singulier (s.-cr. dial.
jêtra). On rétablit pour le balto-slave une flexion *jekr~:
*jekn-, avec contamination des deux thèmes en slave et
création, par addition de -r-, d'une forme complexe qu'on
ne peut plus préciser, mais dont l'aboutissement est jçtr-
(§39).
Le thème du grec oxcop « excrément », gén. O-KCCTÔS, se
retrouve sûrement dans l'adjectif v. si. skarëdu « répugnant »,
slavon russe skarjadu, r. mod. skâred «sordide» au sens de
« ladre ». Sans doute faut-il voir dans ce mot un composé
skar-ëdu « mangeur d'ordures » parallèle, mais comme adjectif
en -o-, à medv-ëdï «ours», substantif en -i-, ce composé
conservant un nominatif-accusatif skar- de *skôr- qui
[176] TRACES DU TYPE EN -r: -n- 181
1

confirme le degré long du grec. Il y avait aussi une forme


*skor- de la racine : v. isl. skarn « fumier », skr. ava-skarah
« excréments ». Comme le balto-slave avait fait passer *kwo- à
ko- (voir koputï, § 189), il possédait une alternance ka- :
kve- et pouvait développer secondairement sur *skar- une
racine *skver-, v. si. skvruna « souillure », skvara « puanteur »,
qui se contaminait avec la racine *(s)kver-, toute différente,
de v. si. ra-skvrëti « faire fondre », pol. skwàrzyc « faire
frire », etc.
De skr. udhar «mamelle», gén. âdhnah, lat. ûber, gén.
ûberis, etc., le lituanien garde le dérivé udrûoti « avoir du lait » ;
pour le slave, voir vymç « pis », § 186.
Le lette asins « sang », ordinairement plur. asinis, fém., et
aussi asini, masc., dont la forme ancienne est le dialectal
asnis, avec un flottement de genre qui indique un thème en -i-
continuânt un neutre, conserve un vieux mot, hitt. eshar,
gén. esnas, eshanas, ^skr. âsr-k, gén. asnâh, gr. dial. fjap,
v. lat. aser.
De hitt. pahur « feu » et pahwar, cas obliques pahun-, gr.
TtOp, gén. Tivpôç, v. h. a. fuir, fiur, mais got. fôn, gén. funins,
il est difficile de séparer v. pr. panno, panu-, mot baltique
emprunté sous la forme panu par le finnois. Il n'en subsiste
en slave que des dérivés, tch. pyri « braise », pyriti se « rougir »,
s.-cr. pûriti « griller ». Une racine dissyllabique contenant
l'aspirée h ( § 98) devait donner des formes compliquées. On
ne restitue pas la flexion du mot en balto-slave, à moins
d'imaginer un nominatif-accusatif *pau de *pahu(r) passant
en baltique à panu avec le -n- des cas obliques, tandis que
la forme *pahur- se maintenait dans des dérivés avec un degré
réduit *puhr-, *pûr-, si. pyr- et pur- d'intonation rude.
Le rapprochement de skr. dâdhi « lait caillé », gén. dadhnâh,
et de v. pr. dadan « lait » (cf. wundan « eau ») ne joue qu'entre
deux langues, mais la flexion du sanskrit garantit qu'il s'agit
d'un vieux mot de l'indo-européen.
182 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Flexion générale.
177. — On a vu que la flexion athématique n'était plus une,
mais était morcelée en plusieurs types ; et il faut distinguer
ces types selon les genres, car le genre appelle des différences
à certaines désinences, en slave et également en lituanien,
non seulement entre masculin-féminin et neutre, mais aussi
entre masculin et féminin. D'autre part, la flexion athéma-
tique se présente en vieux slave contaminée avec la flexion
en -i-, et ses formes propres ne sont pas toutes attestées dans
la flexion d'un même mot, ou ne sont pas les plus courantes.
On prendra comme paradigmes, pour les avoir complets ou
à peu près en vieux slave, deux représentants du type en
-men-, l'un masculin, si. kamy « pierre », lit. akmuô, l'autre
neutre, si. imq «nom», r. imja, en remplaçant au pluriel et
au duel les formes de kamy rares dans les textes (§ 211) par
celles de dïnï «jour», du type en -n-.
lituanien vieux slave vieux slave russe
Sing.
N. akmuô kamy ime imja
A. âkmeni kamenï ime imja
G. akmenfè )s kamene imene imeni
L. akmenyjè kamene imene imeni
D. âkmeniui hameni imeni imeni
I. akmenimi kamenïmï, -emï imenïmï, -emï imenem
Plui
N. âkmen( e )s dîne imena imenâ
A. âkmenis dïni imena imend
G. akmeny. dïnu imenû imèn
L. akmenysè dïnïxu, -exû imenïxû, -exû imenâx
D. akmenims dïnïmu, -emu imenïmû, -emû imenâm
I. akmenimis dïny, dïnïmi imeny imenâmi
[178] LES DÉSINENCES 183

lituanien vieux slave vieux slave


Duel
N.-A. âkmeniu dïni imene, -ni
G.-L. dïnu imenu
D.-I. akmenim (dat.) dïnïma imenïma
akmenim (instr.)

178. Les désinences. — Singulier. Au nominatif singulier


masculin et féminin et au nominatif-accusatif neutre, les
formes sont différentes selon les types, mais ont comme carac-
téristique générale de présenter un aspect anomal. Elles
gardent en partie cet aspect jusqu'aux langues modernes :
pol. imie, gén. imienia, ciele « veau », gén. cielecia; lit. duklë
« fille », acc. dùkteri, r. doc (nom.-acc.), gén. dôceri, s.-cr. kcl,
acc. kcêr; slov. krî «sang» (nom.-acc.), gén. krvî. Mais des
normalisations s'opèrent : dans les masculins, le vieux slave
n'oppose plus nom. kamy et acc. kamenï, mais il a nom.-acc.
kamenï d'après le type" en -i-, à côté de nom.-acc. kamy, et
le russe n'a plus que kâmen, nom.-acc. ; le nominatif en -ç
du type jelen- « cerf » est en train de disparaître devant
nom.-acc. jelenï, et pour l'ancien nominatif athématique de
nom.-acc. dïnï, il est complètement perdu. Au contraire, les
féminins maintiennent, du moins en vieux slave, la distinc-
tion du nominatif et de l'accusatif singulier, solidement
appuyée par le grand type en -â- de glava, acc. glavg.
Accusatif masc. et fém. : si. -ï (§ 88), v. pr. -in (smunentin
« homme »), lit. -[, lette -i, de i.-e. *-m, *-n, hitt. -an, lat. -em,
gr. -ex, se confondant en balto-slave avec -in du type en -i.
Génitif : si. -e, v. pr. -es, lit. -s, de v. lit. et dial. -es (akmenès,
mod. akmens), lette -s; de i.-e. *-es, lat. -is (v. lat. -es),-à côté
de *-ds, lat. dial. -us, hitt. -as, gr. -o;. Cette désinence ténd
dès le vieux slave à être remplacée par -i du type en -i- :
gén. kamene et kameni ; mais -e s'est partiellement conservé
dans quelques langues slaves (§ 206).
184 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Locatif : si. -e. Les désinences du letto-lituanien, lit. -yje, lette


-ï, avec des variantes dialectales, sont celles du type en -i-
(§ 165). La désinence lit. -yje présente la caractéristique géné-
rale -e du locatif singulier, qui a été adaptée aux différents
thèmes, -ûje dans le type en -u-, -oje, -êje dans les types
féminins en -â- et en -ë-, et simplement -e dans le type en -o -
où elle a été substituée à un plus ancien -ie (§ 131). Ce -e,
qui a été étendu aussi au locatif pluriel en -se pour -su (§ 132),
porte l'accent dans les types à accent mobile du lituanien,
et il attire l'accent dans les paroxytons d'intonation douce,
comme l'instrumental singulier en -u de *-ô d'intonation rude
(§ 216). C'est là une particularité curieuse, et cette finale -e,
sur laquelle le lituanien est seul à renseigner en baltique, pose
un problème difficile. Sa forme originelle même n'est pas
claire, -e en finale pouvant représenter -q aussi bien que -e
(§ 66). On a supposé ùn ancien -q d'après la forme -i des
dialectes où -q en finale passe à -i : ceci ferait reconnaître
une postposition -n, qui serait la préposition en « dans »
(lit. j, §'73). Mais les correspondances dialectales risquent
d'être trompeuses avec une désinence aussi remaniée que celle
du locatif singulier : la comparaison des langues slaves, dès
le moyen slave, ne restituerait pas v. si. -e, qui a partout
disparu (§ 206), remplacé par -i, -ë, -'u ou -u. Le vieux litua-
nien, où les voyelles nasales se conservaient partiellement à
la finale, et surtout devant enclitique, devrait apporter des
preuves nombreuses et indiscutables de ce locatif en *-q, alors
que les formes à -jis postposé sont en faveur d'une finale -e
(§ 245). Une autre hypothèse est possible, qui s'accorde avec
les faits slaves : le locatif sans préposition a duré jusqu'au
vieux slave, et le slave présente une désinence de locatif -e
qui est nouvelle, et qui ne saurait s'expliquer par une post-
position.
La désinence indo-européenne était *-i, skr. -i, et gr. -i
qui sert de locatif-datif, lat. -e qui sert de locatif-ablatif-
{178] LES DÉSINENCES 185
. . ' 1
instrumental. C'est elle qu'on retrouve dans les formes théma-
tiques, *-oi du type en -o- (§ 130), *-âi du type en -â- (§ 150) ;
pour *-ëi et *-5u des types en -i- et en -u-, voir § 158. La
désinence slave -e, et de même la désinence lituanienne -yje
à finale -e, ont donc été substituées à -i, que le vieux lituanien
doit conserver dans la flexion des pronoms personnels
(mani-p, § 249). Comme pour le nominatif-accusatif duel -s
du grec (§ 180), on doit penser que si. -e est tiré secondaire-
ment d'un autre cas, d'après un parallélisme morphologique :
dans la flexion des thèmes en -i- et en -u-, le génitif était en
*-eis, *-ous, et le locatif en *-ëi, *-5u, et c'est sur ce modèle
que, dans la flexion athématique, a été créé sur le génitif *-es
le locatif -e pour *-i. L'innovation doit être balto-slave, et
le letto-lituanien, qui connaît une extension du génitif sin-
gulier -es du type athématique, a dû étendre également -e,
puis le généraliser avec adaptation aux thèmes, et en trans-
portant sur -e le mouvement d'accent des locatifs en *-ëi,
*-ôu. En slave, la désinence -e, restée limitée au type athéma-
tique, disparaît devant les désinences des autres types, bien
conservées et productrices ; dès le vieux slave, elle tend
fortement à être supplantée par -i du type en -i- : loc. kamene
et kameni.
Datif : si. -i d'intonation douce (s.-cr. kcî « fille », dat.
kcëri), v. lit. et dial. -i (âkmeni, âkmen), de i.-e. *-ei, v. lat.
et osque -ei (lat. -I), skr. -e. Cette désinence ne se distingue
pas en balto-slave de celle des thèmes en -i-. Elle a'été comme
elle remaniée en letto-lituanien, par emprunt à la flexion
mouillée en -o- dans les masculins, lit. âkmeniui, letteakmenim
et akmenam, et à la flexion mouillée en -â- dans les féminins,
lit. dùktëriai.
Instrumental : si. -ïmï, -emï, pour les masculins et les
neutres, -ïjç pour les féminins (v. si. dusti, instr. dusterijç,
r. doc , dôcer'ju), lit. -imi pour les masculins et les féminins
(duktë, instr. dukterimi), et lette-i, comme dans les thèmes
186 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

en -i-. On ne retrouve pas la désinence indo-européenne de


l'instrumental singulier du type athématique, qui dans les
types thématiques prend la forme d'un allongement de la
voyelle du thème (§ 131) ; l'indo-iranien, qui a généralisé -â
des types en -o- et en -â-, ne renseigne pas.
Vocatif : n'étant usuel qu'avec des noms d'êtres animés,
il est très peu attesté en vieux slave, et les vocatifs des autres
langues slaves sont ceux des types qui se sont substitués au
type athématique : tch. jelene, s.-cr. jèlene, etc. Il a la forme
du nominatif : v. si. dusti, mati « mère », neplody « femme
stérile », et de même en lituanien : duktë, sesuô « sœur ». Il
était sans désinence en indo-européen : gr. ur|Tr)p, voc. Mrj-rep,
et il était appelé à se confondre avec le nominatif, comme il
l'a fait également en latin.

179. Pluriel. — Nominatif masculin et féminin :. si. -e


(seulement masc.), v. lit. et dial. -es (âkmenes), lit. -s (âkmens),
de i.-e. *-es, hitt. -es, gr. -ES, skr. -ah. Pour les féminins, le
slave présente, comme généralement (§ 150), une forme de
nominatif-accusatif : ici -i, v. si. dusteri, qui est celle de l'accu-
satif ; mais non le lituanien : nom. dùkter(e)s, acc. dùkleris.
La désinence masc. -e se maintient si bien en vieux slave
qu'elle a eu sa productivité ( § 206). Elle est cependant
concurrencée, dans la flexion des thèmes en -n-, par -ïje du
type en -i- : v. si. dîne et usuellement dïnije ; d'où, avec
le flottement entre les types masculins en -i- et en -yo- (§ 170),
dïni, T. dni. On trouve de même en lituanien âkmenys et
akmeniaï, en vieux lette akmenis et en lette moderne akmeni.
Accusatif masculin et féminin : si. -i, v. pr. -ins, lit. -is
et v. lette -is (§ 88) de i.-e. *-ns, skr. -ah, gr. -as, lat. -ës.
La désinence balto-slave -ins se confondait avec celle du type
en -i-. , _ •.
Nominatif-accusatif neutre : si. -a, mais avec conservation
en vieux slave d'une désinence -i dans la flexion du participe
[179] PLURIEL 187
- !

présent actif (§ 279), dans celle du comparatif (§ 286) et dans


cetyri « quatre » (§ 304). Cette désinence est celle des types en
-i-, i.-e. *-F, type disparu au neutre en baltique et en slave,
mais en laissant quelques traces de *-ï, et d'un remaniement
de *-ï en -yâ (§ 166). En slave, et sûrement en balto-slave,
la désinence propre du type athématique (§ 135), qui s'amuis-
sait phonétiquement, a été supléée par *-ï, comme partielle-
ment en avestique (plur. asti « os », si. kosti, § 175) ; puis la
désinence *-â du type en -o-, qui, avec la disparition des
neutres en -i- et en -u-, devenait la caractéristique du pluriel
neutre, a été généralisée comme en d'autres langues.
Génitif : si. -û, de *-on, en regard de lit. -%, lette dial. -u,
de *-on (lette akmenu, et lit. akmeniy,, d'après les types en -i-
et -yo-) ; voir § 132. Le génitif pluriel athématique est carac-
térisé par sa désinence de type dur s'opposant aux autres
désinences de type mouillé, et cette caractéristique, entraînant
dans certaines langues slaves une alternance vocalique (pol.
przyjaciel « ami », gén. plur. -ciôl), l'a fait s'étendre en letto-
lituanien ( § 174) et quelque peu en slave (§ 206). Elle se main-
tient bien dans les neutres slaves en regard de nom.-acc. -a
de type dur ; mais il y a une tendance plus naturelle à la
supprimer dans les masculins et les féminins par passage aux
types mouillés en -i-, -yo- : lit. -iq, v. si. dïnu et usuellement
dïnii, dusteru et dusterii.
Locatif : si. -ïxu et -exu, lit. -yse, du type en -i-. La dési-
nence athématique était *-su, skr. patsû de pât « pied », gén.
padàh, gr. hom. TToacn de nous, gén. iroSés.
Datif : si. -ïmu et -emu, lit. -ims, du type en -i- : cf. lat.
-ibus, dat.-instr., pour skr. -bhyah (padbhyâh), et got. -im
(baurgim «aux villes») pour -um (broprum « aux frères»
de *-rm~).
Instrumental : y. si. -y, du type en -o-, dans les neutres,
confirmé par v. tch. -y, v. pol. -y (imiony, mais aussi imienmi) ;
-y, et v. tch. -y, v. pol. -y dans przyjacioly, et -ïmi, du type
188 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

en -i-, dans les masculins ; -ïmi dans les féminins (dusterïmi) ;


lit. -imis dans les masculins et les féminins (dukterimis),
pour une forme athématique parallèle à skr. -bhih (padbhih).
Ce flottement des désinences d'instrumental pluriel en
slave, avec répartition nouvelle selon le genre, neutre -y
d'après nom.-acc. plur. -a, fém. -ïmi, d'après nom.-acc. plur.
-i, et masculin hésitant entre l'influence de gén. plur. -û du
type dur et de acc. plur. -i, est la preuve que ces désinences,
et celles du locatif et du datif, sont récentes. Les désinences
athématiques anciennes sont en effet conservées par plusieurs
langues slaves dans le type des pluriels en -(j)ane (§ 187J :
en vieux tchèque loc. Dol'as «chez les Doljane » (mod.
Dolanech), v Polas «chez les Poljane», etc., et c'est le seul cas
de maintien en slave de la forme *-su de locatif pluriel,
partout ailleurs remplacée par -xu (§ 10) ; — en vieux russe
loc. Poljaxu, instr. Poljami, etc., et cet instrumental était
encore si courant dans les noms de peuples que le slavon russe
remplace le vieux-slave Kritjany « par les Crétois », etc., par
Kritjami, etc. ; — en vieux serbe et vieux croate loc. Dëcaxï
« à Decani » à côté de Dëcanexï, dat. Dubrovïëamï « aux
Ragusains », instr. Buzami « par les Buzane », etc., et même,
du nom commun grâdanin « citadin », loc. gradaxï, dat.
graâamï, et de mozdâni « cervelle » (§ 183), cak. môzjani (§ 17),
instr. mozjami jusqu'en cakavien du x v n e siècle. Cette flexion
se maintient même en slovène moderne dans des noms de
lieux : Goricâne, loc. Goricanih et Goricah, dat. Goricanom et
Goricam, instr. Goriëami, d'où acc. Goricane et Gorice, gén.
Gorican et Goric. Il se développe ainsi un thème court Gorica-
à côté de Goriëan-, et ce thème court a ses dérivés : slov.
Bléjka «habitante de Bled», adj. blejski, du thème Bleja- de
Blejane; — s.-cr. ancien gracka pour gràdânka « citadine », adj.
gracski et dial. mod. gràjskï pour grâdanskï ; — v. r. Poloëïsku
de Polocane « habitants de Polotïsku, Polock » ; — v. tch. hrazskij
de Hrazëne « habitants du Hrad de Prague », mëscka « bour-
[180] DUEL 189
i
geoise », pour tch." mod. mësïanka, féminin de mëscënin.
Les désinences en -(j)a- du type en -(j)ane continuent
régulièrement, au datif et à l'instrumental, des désinences
athématiques en *-jën-m-, -jçm-, avec dénasalisation en -jëm-
(§ 65), c'est-à-dire -jam-, et seul le locatif en -(j)axu du serbo-
croate et du slovène est analogique. La trace de ces désinences
athématiques se retrouve ailleurs : les féminins en -û- les ont
remplacées au locatif, au datif et à l'instrumental pluriel par
des désinences nouvelles -uvaxû, -uvamû, -uvami, mais le
vieux russe garde pelumi, instrumental du pluriel v. si. plëvy
« balle du blé », r. polôva, sing. (§ 200). Les désinences
athématiques créaient des alternances compliquées, dont le
slave se débarrasse (§114).
En germanique, le datif athématique en -m- (datif-instru-
mental) s'est maintenu régulièrement dans la flexion des
thèmes en -n-, avec réduction de *-nm- à -m : got. alta « père »,
plur. attans, dat. attam dans les masculins, qinô « femme »,
plur. qinôns, dat. qinôm dans les féminins. Il en résultait un
contact avec les thèmes en -o-, dat. plur. -am, et en -â-, dat.
plur. -dm, et le fait doit contribuer à expliquer la grande
extension de la déclinaison « faible » en -n- en germanique :
qinô est un ancien féminin en -â-, si. zena (§ 175). En slave,
il est possible que le flottement entre le petit type des neutres
en -mo et le type important en -men-, ainsi ramo et ramç
« épaule » (§• 186), résulte d'une rencontre de la flexion en -n-
et de la flexion en -o- dans les anciennes désinences athéma-
tiques : *-men-m- passant à *-mëm- et entraînant loc. *-mëxu,
des thèmes *ârmen- et *ârm- se rejoignaient, et loc. plur.
ramëxu relevait à la fois de la flexion de ramç et de celle de
ramo.

180. Duel. — Nominatif-accusatif : v. si. -i dans les mascu-


lins et les féminins (dûsteri), -i et plus souvent -ë dans les
neutres (v. tch.-i et -ë, v. pol. -i), la forme -ë étant secondaire
13
190 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

du nominatif-accusatif pluriel en -a ; lit. -i dans les féminins


(•dùkteri), mais c'est la désinence générale des féminins, en
râ-, en -ë- et en'-i-, et -iu, du type'en -yo-, dans les masculins.
La désinence balto-slave est donc *-ï : c'est celle du type en
-i- (§ 166). Dans les autres langues, le sanskrit présente -à
(véd.), -au pour les masculins et les féminins, avec la désinence
du duel des thèmes masculins en -o-, et pour les neutres -i,
qui est en regard de son pluriel neutre en -i ; on a -ï dans av.
vîsaiti «vingt», d'un athématique -sat-, skr. -çal- (§ 308),
-ï dans lat. uïgintï, mais -i bref dans gr. EÏKOCTI, dial. FÎKcxrti.
Pour skr. aksï « yeux », av. asi, usi « oreilles », si. oci, usi, à
flexion anomale en slave, dat.-instr. ocima, usima, voir § 193.
En grec, la désinence est -s pour les trois genres ; cette dési-
nence est nouvelle, comme -5. du type en -â-, et pourrait être
analogique de -co du type en -o-. Comme le nominatif-accu-
satif duel -ô avait l'aspect de la forme sans -s de l'ancien
nominatif pluriel *-ôs, le grec a pu tirer -e du nominatif pluriel
-es des masculins et des féminins. C'est ainsi qu'en lituanien le
duel s'oppose au pluriel par l'absence de -s (§ 132), dans les
thèmes en -i- nom.-acc. duel -i à nom. plur. -ys, acc. -is, dat.
duel -im, instr: -im, à dat. plur. -ims, instr. -ims. Ces diver-
gences entre les langues indo-européennes montrent que la
forme primitive du nominatif-accusatif duel athématique est
perdue, comme celle de l'instrumental singulier athématique,
qui se caractérise également, dans les types thématiques, par
un allongement de la voyelle du thème (§ 131). A cet allonge-
ment devait répondre dans le type athématique une dési-
nence débile, qui a été refaite diversement, surtout par
emprunt de -ï au type en -i-.
Génitif-locatif : si. -u, désinence générale du génitif-locatif
duel ; et en sanskrit gén.-loc. -oh, en avestique loc. -ô d'après
-vô dans le type en -u-. En vieux slave, -u de type dur est
concurrencé par -ïju du type en -i- dans la flexion des mascu-
lins et des féminins : dînu et dïniju, dusteriju.
[181] LES TYPES EN -n- 191

Datif-instrumental : si. -ima, et lit. -im (dat.), -im (instr.),


désinences du type en -i-, en regard du typé athématique de
skr. -bhyâm (padbhyâm), av. -bya.
• /

Les types en -n-.


181. Les thèmes consonantiques en -n- étaient très repré-
sentés et variés en indo-européen, et chaque langue les a
simplifiés en en dégageant des types productifs, et en gardant
des vestiges des formes plus anciennes. En grec, à côté d'un
isolé KÙCOV « chien », gén. KUVÔÇ, O Ù le -n- ne se sépare pas de
la racine, on a un. type en -cov, gén. -ovos ou -covos, et un
type plus rare en -T]v, gén. -svoç ou -TIVOS ; un type masculin
en.-pcov, gén. -(JIOVOS, un type plus rare en -[xqv, gén. -nevos, et
un type neutre en -ya, gén. -pa-Toç. En latin, un type en -ô,
gén. -inis ou -ônis ; des restes d'un type en -en : lien « rate »,
gén. liënis, pecten «peigne, carde», gén. pectinis ; des restes
d'un type masculin en" -mô, gén. -mônis : sermô «discours»,
et un type neutre en -men, gén. -minis. En slave, on trouve
un type masculin en *-ën, -g, gén. -eue, un type masculin
en *-mô(n), -my, gén. -mene, et un type neutre en -me, gén.
-mene ; le baltique les confond en un type masculin unique
lit. -uo, -muo, gén. -en(e)s, -men(e)s, sauf le vieux prussien
qui garde un vestige du type neutre en -men- (semen
«semence»).
La flexion comportait des alternances vocaliques : skr. râjâ
« roi », acc. rdjânam (pour -anam), gén. râjnah, nâma « nom »,
gén. nâmnah, représentant nom. *-5(n) ou *-ë(n), acc. *-oritri
ou *-enip,, neutre *-çt, gén. *-nes ou *-nos. Mais déjà le sans-
krit les limite : gén. -manah précédé de consonne ; et elles
ont ordinairement disparu ailleurs, en laissant quelques
vestiges : gr. (/)aprjv « agneau », gén. (Z')apvôs, lat. carô « chair »
(fém.), gén. carnis, got. namô « nom », gén. namins, mais plur.
namna. La flexion balto-slave les connaissait encore, et le
192 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

vieux-prussien kêrmens « corps », acc. kërmenen et kërmnen,


emmens «nom»,' acc. emnen (ancien neutre), en garde le
souvenir avec un transfert indu du degré réduit à l'accusatif
qui prouve que l'alternance se brouillait. En slave et en letto-
lituanien, -en- a été généralisé, et une graphie v. si. kamni
n'est qu'une faute de copiste pour kameni, une flexion r.
kâmen', gén., kâmnja, est récente pour kâmenja avec jeu
secondaire de l'e mobile (§ 119), mais on retrouve des traces
du degré réduit dans des remaniements de la flexion athéma-
tique en -en-.
Le type en -men- ne donnait que des masculins et des
neutres, en balto-slave comme dans les autres langues indo-
européennes. Pour le type en -en-, à côté des masculins, on
trouve aussi des féminins en grec : f) SÎKCÔV « l'image », et en
latin : uirgô « vierge », gén. uirginis, et tous les types d'abs-
traits en -io- et en -do. Le germanique a un type productif
de féminins, got. -ô, gén. -5ns, mais dont l'opposition au type
masculin en got. -a, gén. -ins, est nettement secondaire et
parallèle à celle des types en -o-, got. -s, gén. -is, et en -â-,
got. -a, gén. -ôs (cf. § 179). Si un type féminin a existé en
balto-slave, il n'est plus reconnaissable et a dû se perdre dans
les féminins en -ni-. C'est sans doute le cas de si. jesenï
« automne », v. pr. assanis, dont le correspondant germanique,
got. asans « moisson », présente une forme réduite du thème
dans le dérivé asneis « journalier » ; mais ici il pourrait s'agir
de la continuation, non d'un thème en -en-, mais d'un
thème neutre plus ancien en -r : -n-, comme dans le cas de
si. ves na « printemps » (§ 176).
Il n'y avait pas en principe de neutres en -en- : des neutres
comme lat. inguen « enflure, aine », gén. inguinis, qu'on
rapproche de gr. àSr|v « glande », gén. àSévos (masc. ou fém.),
sont exceptionnels, et v. lat. sanguen, à côté de sanguïs,
masc., gén. sanguinis, doit, comme cruor (§ 202), avoir subi
l'influence du vieux mot oser, thème neutre en -r : -n- (§ 176).
[182] MOTS ISOLÉS' 193
' . ' !
Les formes neutres présentant un élément thématique -n-
relèvent de types spéciaux de l'indo-européen, et si l'on peut
les supposer dans v. pr. agins « œil », ausins « oreille » (§ 193),
c'est dans des mots à flexion anomale. Il semble que le type
neutre répondant au type masculin en -en- ait été en indo-
européen le type en - r : -n-, ce qui indiquerait que la forme
*-r au nominatif-accusatif singulier représente un traitement
phonétique très ancien de ,*-«, qui aurait été ailleurs restauré
par le jeu de l'analogie : au type en de skr. -ma, gr. -|ioc,
le hittite répond par un type en -mar, -war. On observera que
si le système de l'indo-européen a comporté des sonantes
voyelles, l'articulation de ces sons était moins aisée que ne
le donneraient à penser les signes conventionnels par lesquels
on note le jeu du degré réduit qu'elles représentent théorique-
ment plutôt que leur existence réelle (§ 72) : à l'époque
moderne, le serbo-croate use librement de r, la plus courante
des sonantes voyelles, à l'intérieur du mot, mais non en finale,
où un aoriste 2 e -3 e pers. tr, appuyé sur l r e pers. trh, inf. tï-ti
« frotter », n'est qu'une curiosité. Pour le passage de n h r
en syllabe finale après consonne, il est bien connu : esp.
sangre, fr. ordre, etc.

182. Mots isolés. — Le slave en présente un : dïnï « jour »,


gén. dîne, auquel répond en baltique un dérivé féminin
(§ 175), lit. dienà, lette dlena, v. pr. deinan (acc.). La forme
dïnï de nominatif-accusatif est refaite sur les cas obliques :
le nominatif devait être de la forme *dyën, et l'on voit pour-
quoi il s'est perdu. Il s'agit d'un élargissement en -n- d'une
racine *di-, qu'on retrouve dans skr. -dîna-, dinam « jour »,
lat. nûn-dinum « espace de neuf jours », à côté d'un élargis-
sement en -u-, skr. dyaûh « jour, ciel », gén. divdh, cf. peut-être
si. duzdï « pluie » (§ 29). L'histoire des formes diverses du mot,
de skr. adyâ « aujourd'hui », de lat. diës « jour », diû « pendant
le jour » (et « longtemps »), n'est pas très claire. Mais le thème
194 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

consonantique en -n- du slave est nécessairement ancien.


En baltique, on a lit. suô « chien », de *swuo (gén. sunès,
suris), et dial. sunis, et aussi svïnis sur la base d'un „degré
réduit nouveau de *swô(n), cf. si. dvïrï (§ 117, § 174) ; lette
suns-, gén. suna, v. pr. sunis. Cf. gr. KUC£>V, gén. KUVÔÇ, véd.
ç(û)vâ, gén. çûnah, et lat. canis avec degré réduit nouveau -a-
pour -u- de irl. con (de *kunos). Le slave a remplacé ce vieux
mot par pïsu, d'origine inconnue — si ce n'est pas un emprunt
déformé à un iranien spa —, le russe par sobâka qui vient de
la forme iranienne de skr. çvâ, av. spâ, scythe 01x6x0:, persan
sabah. Mais il le conserve sûrement dans le féminin r. sûka
«chienne», pol. suka, sula, qui doit être tiré du nominatif
*swô et confirmerait le traitement *ou, u, de *wô (§ 54).
Est à part aussi en baltique lit. zmuô « homme », v. pr.
smoy, formation parallèle, sur le thème réduit zm- de lit.
zèmè «terre» (§ 175), à lat. homô, got. guma, mais à flexion
tout à fait anomale : le pluriel est lit. zmônês, avec un singulier
usuel zmogùs à finale obscure, dont le thème zmo- se retrouve
dans zmonà « femme ». En vieux prussien, le mot courant est
smunents, qui n'est pas plus clair (§ 196), et qui est en regard
du féminin smuni « personne » et « dignité, honneur ». Dans
tin thème fixé et où 0 n'alterne pas avec a, lit. zmon- suppose
*zmân- (§ 49), et v. pr. smun- doit répondre aussi à *zmân- :
ces formes n'ont donc pas de rapport avec le nominatif *zmô.
On peut supposer que le baltique a confondu deux noms de
r« homme », got. guma et manna, si. mçzï, et que *zmo répond
à guma, tandis que *zmân- serait pour *mân-, de l'ancien
nominatif si. *manu- de mçzï (§ 159).

183. Type en -en-. — Le nominatif singulier est en -uo en


lituanien, remplacé en lette par -ens et dial. -ins d'après les
autres cas, en vieux prussien par -ins ; c'est aussi celui du
type en -men- (§184). Confondu avec le type en -men-, le
type en -en- est conservé par le lituanien dans peu de mots,
[183] V TYPE EN -en- 195

mais suffisants pour témoigner de son ancienne productivité.


Ainsi, dans des dérivés de verbes, v. lit. geluo « aiguillon » de
gélii « piquer », paklaiduo « qui s'égare » de pa-klysli, -klaidyti
«s'égarer»; dans des dérivés d'adjectifs, ruduô « automne »
en regard de rùdas « rouge foncé », gén. iz mazens « dès l'en-
fance » de mâzas « petit ». Il a attiré des mots d'autre origine,
mè'nuo « lune » (§ 175), vanduô « eau » (§ 176). Mais sa flexion
athématique s'altère, et il est en train de se fondre dans les
types normaux, de masculins. En lette, si on le retrouve dans
rudens «automne», udens «eau », zibens «éclair» (de zibi
« briller »), c'est limité à la conservation d'un génitif singulier
en -ens, à côté de -ena, et autrement le passage est complet
au type en -yo-. En vieux prussien, on le reconnaît de même
dans sasins « lièvre » et *menihs « mois », dont on n'a pas
la flexion.
Le slave atteste une désinence de nominatif singulier -g,
de *-ën (ou *-ëns, § 88), mais qui disparaît devant nom.-acc.
-enï, et dont les restes"sont très réduits. On ne le trouve plus
attesté directement que par : korç « racine », avec un seul
exemple altéré en vieux slave, mais d'assez nombreux exemples -
en slavon, la forme usuelle étant korenï ; en slavon russe sïrsa
« guêpe, frelon », de *sïrsç, et stroza « cœur de l'arbre », trans-
cription de v. si. *struzç pour *sirïzç, avec un seul exemple
de chaque forme, et ailleurs sïrsenï (v. si. srusenï), sirïzenï.
Ces trois formes slavonnes sont d'origine vieux-siave, et
attestent que le nominatif en -g existait encore en bulgaro-
macédonien du Xe siècle, devenu nominatif-accusatif comme
l'accusatif -enï, de même que le nominatif en -my qui, lui,
s'est-mieux conservé dans les langues slaves.
D'autre part, à v. si. korç, korenï, répond en vieux serbo-
croate korënï, s.-cr. mod. korijen, dont le -ë- ne peut s'expliquer
que par une dénasalisation de *-gn- en -en- (§ 65). La forme
korç du nominatif, et nominatif-accusatif, a été étendue aux
autres cas, gén. *korçne, d'où korëne, pour korene, etc., de
196 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

même qu'en russe ancien et dialectal, dans le type neutre


en -mg, r. -mja, on a gén. imjani pour imeni, etc., d'après
nom.-acc. Imja; et ensuite elle a été refaite en nom.-acc.
korënï. Le serbo-croate atteste également jelënï « cerf »,
*jasënî «frêne», *lipënï «ombre» (poisson), et d'autres
formes encore, comme mozdan- « cervelle » pour le slavon
mozden-, relèvent de la même explication.
En face de l'élargissement en *-ko- des masculins en -men-,
kamyku de kamy «pierre», on doit chercher la forme corres-
pondante dans les thèmes en -en-. Pol. grzebyk, de grzebien
« peigne », est analogique du type kamyk, mais la forme
ancienne se conserve vraisemblablement dans mësçcï (§ 175) :
elle suppose *-inka-, de *-ri-ko-, et doit garder la trace du
degré réduit dans la flexion primitive des thèmes en -en- à
alternances vocaliques *-ën, -en-, -n-. Mais le cas de za/gcï
«lièvre » paraît différent. Le mot slave est nouveau : le nom
balto-slave du «lièvre» est conservé par v. pr. sasins, qui
répond à v. h. a. haso, thème en -n-. Le mot germanique est
en regard de l'adjectif v. angl. hasu « gris » : l'animal est
désigné par sa couleur, comme dans r. rusâk, serjâk. De la
même racine, un adjectif i.-e. *kas-no-, v. h. a. hasan
«brillant», lat. cânus «blanc, chenu», a donné en slave un
des noms du « pin », sosna, proprement « sapin (jedla) roux »,
ail. Rottanne. Pour si. zajçcï, le thème *zâjïn- qu'il suppose
paraît être d'origine verbale du fait de son préverbe. Ce peut
être la substantivation, assez récente, d'un participe *zajg
de zaiti : antérieurement à v. si. idy (*jïdy), le participe
présent de iti « aller » avait une forme semblable à celle de
v. lit. ent-, et qui pouvait être en slave *int-, nom. *in(ts),
pour. skr. yant-, etc., par normalisation sur le thème *ei- : *i-
du présent. Le lièvre est de mauvais augure quand il croise
votre route, et c'est un des sens de zaiti : pol. zajéc w drogç.

Le type en -en- était encore largement représenté à l'époque


[183] TYPE ÈN -en- 197
i
du vieux slave, et l'on voit comme en lituanien qu'il avait
été productif. Mais, se contaminant avec le type masculin
en -i-, il suit la même évolution (§ 169), et il s'absorbe dans
les types masculins normaux, en -yo- ou en -o- selon les
langues. Toutefois, il se maintient assez bien en tchèque,
et jusqu'au tchèque moderne, du moins au tchèque littéraire
et archaïsant. En dehors des données directes du vieux slave
et du tchèque, on a divers moyens, formes en -en- du serbo-
croate, traces de génitif pluriels du type dur, opposition de
la flexion mouillée du russe, du polonais et du sorabe et de
la flexion dure des -langues méridionales, pour identifier les
mots qui appartenaient au type. Voici la liste des mots les
plus sûrs :
V. si. korç, korenï « racine », gén. korene ; tch. koren, gén.
korene (-ne et -na en tchèque parlé), gén. plur. koren en vieux
tchèque et locution do koren, mod. dokorân « grand ouvert » ;
mais slovaque koren, gén. -na ; v. s.-cr. korenï, mod. kôrijen,
gén. -na ; slov. korçn, gén. -na, bulg. koren, déterm. -nât ;
r. kôren, gén. kôrnja récent pour kôrenja et un plus ancien
koreni ; pol. korzen, gén. -nia, mais on trouve en kachoube
une flexion dure korôn, gén. kofona, qui repose sûrement sur
un ancien génitif pluriel pol. *korzon ; polabe Igaurîn, de
*kuren avec une altération, sor. korj en. Le mot est en regard
de si. *kurjï, r. dial. kor' « racine », gén. krja, pol. kierz
« buisson », gén. krza, et de lit. kêras «vieille souche», kerëti
«pousser des racines», kirna, v. pr. kirno «buisson», avec
degré réduit kir- de ker-, comme si. *kûr- de kor- '(§ 73).
V. si. jelenï « cerf », gén. jelene ; tch. jelen, gén. -na et v.
tch. -ne, slovaque jelen gén. -na ; v. s.-cr. jelënï, mod. jèlen
et dial. jèljen ; pol. jelen, gén. plur. jelon en vieux polonais.
On a en baltique lit. élnis, gén,-nio, lette alnis (« élan »), mais
le vieux lituanien paraît conserver une variante elenis. Le
féminin est *êlnï, si. *âlnïji (§ 155), lit. élné, âlné (§ 69).
Un thème *eln- est attesté dans d'autres langues : gr. 8Àa<poç
198 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

de *e/#-, eÀÀoç « faon » de *elnos ; l'intonation rude de lit.


élnis, masc., doit donc être prise à celle du féminin, avec
allongement dans le dérivé (§ 116).
Slavon srusenï « guêpe », et nom. sïrsa, de *sïrsq, en slavon
russe ; r. sérsen « frelon », pol. szerszen et dial. sierszen, de
v. pol. sirszen. Le mot a son correspondant exact en baltique,
lit. sirsuo « guêpe », lette sirsenis, sitsins « frelon ». Il apparaît
en slave en regard de la racine *sïrx- du slavon srûxûku
« rugueux, hérissé », r. sersâvyj, lit. dial. sersas « frisson, chair
de poule ». Mais le frelon et la guêpe sont lisses, et le faux
bourdon, qui est velu, porte un autre nom, si. *trçtu, pol. trqd,
r. trùten d'après sérsen. Il doit s'agir de la forme prise en
balto-slave par un mot plus ancien, v. h. a. hornuz, néerl.
horzel, et lat. crâbrô (de *krâsr- ?).
V. si. stepenï « marche, degré », nom. plur. stepene. La forme
step-, sûrement la plus ancienne, ne se maintient que comme
slavonisme, dans r. stépen', fém., s.-cr. stëpen, gén. -na ;
ailleurs on a pol. stopierï, gén. stopnia pour slopienia, etc.,
d'après stopa « pas, plante du pied », et r. stupén', fém., d'après
stupit' « marcher ». Les formes step-, stop-, *stamp- sont
propres au slave : elles doivent résulter d'un jeu secondaire
d'alternances (§ 117) sur la racine *stip-, au sens de « fouler »,
de lit. siipli «se raidir», lat. stîpô «je presse», gr. o-nçpos
« compact » et crrsigco « fouler » ; cette racine verbale a pris
des formes diverses et s'est contaminée avec d'autres.
Slavon sçzenï « brasse », gén. plur. sçzenu ; s.-cr. sèzanj,
gén. . sëznja, mais vieux s.-cr. sezan- (gén. plur. sezanii),
qui doit représenter *sçzën-, d'où sezan- comme dans le cas
de mozdan- ; r. sazén', fém., gén. sazéni, gén. plur. sâzen et
sâzen, mais dial. sâzen', masc., gén. sâznja, gén. plur. sazôn ;
pol. sqzen, gén. sqznia pour sqzenia, gén. plur. sqzon envieux
polonais, sïzôn en slovince. C'est un dérivé de la racine se g- de
v. si. prisQsti «toucher», do-sçsti «atteindre», forme à infixe
nasal en regard de lit. sègti « attacher, boucler », et indiquant
[183] TYPE ÈN -en- 199
i
à l'origine ce que l'on peut atteindre des deux bras. Le mot
apparaît généralement déformé, mais l'initiale *sçg- est
confirmée par s.-cr. sëzanj, slov. sÇzenj (gén. sçznja). Le post-
verbal avait la forme *sçgu, d'où pol. sqg « corde de bois »
(mais tch. sâh de *sçg~), et de là pol. sqzen pour *siq~. Le
bulgare sâzén, plur. sâzni, à variantes stâzen et râzteg qui
indiquent une contamination avec la racine *teng- « tendre »,
remonte au moyen-bulgare o-sçzati « toucher » pour o-sçzati
et à une même confusion, devenue peu claire, des deux formes
se g- et *sçg- de la racine. Pour le russe, y compris l'ukrainien
où la forme sazenï est ancienne, on peut penser à un flottement
de sgy- de r. dosjagnût' « toucher » et de sag- de v. si. posagnçti
«se marier» (en parlant d'une femme), pol. posag « dot »,
mais surtout au fait que le nom de la « brasse », de la « sagène »,
s'emploie couramment après nom de nombre, c'est-à-dire,
souvent après -t', et que dans v. r. désjat' sjâzen « dix sagènes »
le groupe t'sj était prononcé c', et que c, mouillé comme en
ukrainien ou durci comme en russe (§ 22), pouvait s'analyser
-t' s-. Le polabe présente une forme originale en -men- :
sângs(e)man «corde de bois», de (§ 186).
Slavon grebenï «peigne (de tisserand) », tch. hreben, gén.
hrebene (-nu en tchèque parlé) ; pol. grzebien, gén. -nia, mais
aussi en kachoube greb'ôn, gén. greb'ona, qui suppose un
génitif pluriel *grzebion du type dur. Dérivé de grebg «je
racle», comme lat. pecten de peclô «je peigne»..
V. si. remenï « courroie », gén. -ne, thème en -en- qui s'est
incorporé aux thèmes en -men-, voir § 185.
V. si. prustenï « bague », tch. prsten, gén. prstene en vieux
tchèque. Dérivé de *pïrstu « doigt ».
V. si. prçslenï «anneau de fuseau, fusaïole » (le mot a été
retrouvé en vieux bulgare sur une fusaïole), r. prjâslen',
tch. preslen. Le serbo-croate prësljen n'atteste pas -en-, mais
il s'agit d'une altération de finale qu'on trouve aussi dans
bulg. présien. Parallèle à prustenï, le mot est dérivé de *prçslo
200 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

« fuseau », slov. dial. prçslo, et r. prjâslica « quenouille », etc.,


de prçdç « je file ».
Slavon strizenï « moelle, cœur "(d'un arbre) », et nom. stroza,
de *strùzç pour *strïzç, en slavon russe ; v. r. strezenï et
slerzenï, r. mod. stérzen' (gén. -znja) « cœur de l'arbre », et
slrézen « cœur, lit d'une rivière » d'après strêmja « courant » ;
ukr. stryzen ; pol. rdzen «moelle », ancien zdrzen, drdzen ; slov.
strz^n, mais s.-cr. sfz, fém., qui, rapproché de srcika, dérivé
de srce « cœur », et pour sa variante strz, pourrait avoir été
tiré d'un ancien thème *strzan- (comme sezan-, mozdan-)
traité comme adjectif de matière en -(j)an-. Les formes des
langues slaves sont en partie altérées, mais la forme primitive
est garantie par v. pr. strigeno « cervelle », dérivé féminin.
La racine pourrait être *strig- de lette strigt, lit. strigli, prés.
stringù « s'enfoncer, s'embourber », avec l'infixé nasal pol.
u-strzçgnqc, r. za-strjdnut' pour -strjag- (§ 39), d'où zastrjât' :
le mot a désigné la partie molle, la moelle de l'arbre. Il est
inséparable du mot suivant :
Slavon mozdeni « cervelle », acc. plur., distinct de l'adjectif
mozdanu. « de moelle » ; s.-cr. môzdâni, masc. plur., slov.
mozgâni (§ 17). Il s'agit d'un dérivé en -en- de mozgu « moelle »,
bien attesté en baltique par y. pr. masgeno « cervelle », de
*mazgend, fém., et avec altération lit. smâgens « cervelle »,
masc. plur., et smâgenés, fém. plur., lette smadzenes ; cf. skr.
majjdn- « moelle des os » en regard de av. mazga- « moelle,
cervelle ». Le pluriel du slave et du baltique est normal avec
les noms désignant une matière, du type v. si. pëny « éeume ».
Le serbo-croate môzdâni, passant au type des noms en
v. si. -(j)ane, s.-cr. -arii, d'où l'instrumental pluriel mozjami
en cakavien ancien (§ 179), doit s'expliquer comme korënï
par la généralisation de -ën-, -an- après groupe chuintant,
pour -en- ; il y a confusion avec l'adjectif dérivé de mozgû,
v. si. mozdanû, s.-cr. mozdan et mozden (§ 65), mais on a
affaire à un substantif et non à un adjectif. On trouve d'autre
£183] TYPE EN -en- 201
I
part, avec un sens tout différent, v. tch". mozden « cheville »,
pol. mozdzen, mais il ne paraît pas possible de séparer les deux
mots, et cf. s.-cr. mozdànlk : la cheville qu'on enfonce dans
un trou a pu être comparée à la moelle de l'os.
SI. asen- « frêne », s,-cr. jâsën, mais dial. jasjen, jasin, de
*jasënï ; pol. jesion, jasion, et jasien, v. pol. jesien, avec un
flottement entre la flexion dure et molle qui suppose une
flexion jasien, gén. plur. *jasion (pour le flottement de ja-
et je-, voir § 75) ; v. tch. jasen, jësen, tch. mod. jasan, mais
slovaque jasen. Le mot baltique est lit. uosis, v. pr. woasis,
mais l'élargissement -n- apparaît en italo-celtique : lat. ornus,
de *os(e)n~. Il faut sans doute partir d'un mot-racine à voca-
lisme alternant *ôs-:*os-, que le baltique conserve avec
passage au type en -i-, et que le slave a élargi en *5s-en-,
avec le suffixe -n- qui apparaît dans d'autres noms d'arbres,
comme *âbalni- «pommier» de *âbel- «pomme» (§ 174).
Tch. lupen « feuille, pétale » et « bardane », gén. lupene en
vieux tchèque ; pol. lopien « bardane », sor. lopjëno « feuille »,
slov. lépen «feuille», s.-cr. lèpen « nénufar », etc. Les formes
et les sens sont variés dans les langues slaves, mais on voit
qu'il s'agit d'une feuille de plante on de plantes à grandes
feuilles. Le mot est donc apparenté à lit. lapas « feuille »,
lette lapa, gr. Àémo «je pèle», et cf. lat. lappa «bardane».
Le vocalisme du tchèque est pris à une autre racine, tch.
loupiti, loupati « peler », r. lupit'.
Pol. lipien « ombre » (poisson), tch. lipen, lipefi ; s.-cr. llpen
et dial. lipljen, sûrement de *lipën-, cf. le nom de lieu Lipje-
novic. -
Pour des mots plus isolés dans les langues slaves et attestés
tardivement, rien ne garantit plus qu'ils continuent des
thèmes en -en- : des finales r. -en, pol. -ien, etc., ont constitué
des suffixes qui ont eu leur productivité, et qui peuvent n'être
que des variantes secondaires d'autres suffixes. C'est le cas,
par exemple, pour les mots suivants :
202 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

R. pécen' « foie », fém., mais ancien masculin, ayec diminutif


péëenec. L'accord apparaît remarquable avec lit. këpens, nom.
plur., et këpenos, fém., mais le sens de « foie » ne se rencontre
qu'en russe et en lituanien, et il dérive de celui de « viande
rôtie », de r. peë', lit. kèpti « rôtir » ; c'est ce sens qu'a pol.
pieczen, fém., qui flotte avec pieczenia, et qui doit n'être
qu'une forme nouvelle prise par le substantif verbal pieczenie.
On fera de même toutes réserves pour des mots comme :
R. pletén' « clayonnage », gén. pletnjâ, mais anciennement
pletenja, et pol. dial. plecien, de plesti « tresser ».
R. bréden' «traîne» (fdet), gén. brédnja, de bresii «se
traîner » et « pêcher à la traîne ».
Pol. wlosien « crin », gén. -nia, et r. vôlosen', masc. et fém.,
qui désigne la «couronne du paturon du cheval», ainsi
nommée à cause de ses crins, cf. s.-cr. klcica : de *vals-
« cheveu, poil », r. vôlos, pol. wlos.
Les noms de mois slaves de la petite série de pol. grudzien
« décembre », gén. grudnia, russe ancien grûden', gén. -dnja,
sont des adjectifs substantivés en -ïnu, v. r. grudenu
« novembre », v. tch. hruden, gén. -dna, qui ont pris secondai-
rement la mouillure des noms de mois gréco-latins, r. nojâbr :
*grudinû est le moment de la boue gelée en mottes, gruda (voir
s.-cr. grùmën, § 185), avant les grandes chutes de neige, qui
rend le chemin cahoteux et dur pour les traîneaux (v. r.
grudenu pull). Pour r. kistén' « boule de fer au bout d'une
courroie », gén. kistenjâ, pol. kiécien, c'est un emprunt au
turc, comme le nom méridional de cette arme, s.-cr. sàlma,
et déjà v. si. sûvalûmu, c'est-à-dire svalm-, déformé par l'éty-
mologie populaire d'après sûvaliti « abattre ». Est également
pris au turc r. misén « cible », fém., ancien masculin à génitif
miseni, qui prouve que le petit type de koren, gén. koreni,
est resté longtemps vivace en russe (§ 172).

Mais des formes anciennes présentant un doublet -en- :-ën-


[183] TYPE EN -en- "203
• " !
attestent la grande productivité qu'avait connue le suffixe -en-
dans la formation de dérivés de substantifs et d'adjectifs :
v. si.mladenïcï et mladënïcï « jeune enfant ». s. cr. mlâdjenac
avec -en-, mais slov. mladçnec, tch. mlàdenec avec -en- ;
v. si. pruvënïcï « premier-né », s.-cr. prvijenac et pfvenac ;
v. si. pûtenïcï et putënïcï « petit d'oiseau », en regard du slavon
puta « oiseau », v. si. putica, lette putns ; slavon bralenïcï et
braîënïcï « frère », s.-cr. brâtijenci (plur.), sestrenica et seslrënica
«sœur», de bratu et sestra. Des mots comme mladenïcï sont
faits sur des dérivés comme *malden- de *maldu, cf. lit. is
mazens de mâzas : ces dérivés sont conservés dans des noms
de personnes, s.-cr. Mlâden et Mladën (Mladjen, Mladin),
M lien et ! Milën de mil- «cher», etc., à côté du type en -e,
gén. -eta (§ 195), et, avec les déformations habituelles dans
les hypocoristiques (§ 10), Mâles et Malës de mal- «petit».
On ne séparera pas de ces hypocoristiques les diminutifs
d'adjectifs comme s.-cr. mâlesan-et màljesan. Ce rôle joué en
slave, et en balto-slave, par le suffixe -en- comme élargisse-
ment de substantifs et d'adjectifs se compare, pour les adjec-
tifs, à celui qu'il a joué en germanique, où il a donné la flexion
« faible » et déterminée ( § 264), got. blinds « aveugle », déterm.
blinda, gén. blindins, avec le parallèle de gr. -cov, lat. -ô.
En grec, -cov fournit non seulement des élargissements
d'adjectifs, arpàgcov « louche » de crrpagés, mais aussi des
hypocoristiques, "ASIJICOV de "ASPR|Tos.
Comme le serbo-croate présente lèmjes à côté de lèmes
« soc », on doit penser que le slave lemesï est, comme les noms
propres du type s.-cr. Mâles, Maljes, une déformation d'un
mot en -en- dérivé de la forme lem- de la racine de si. lomiti
« briser », lit. limli. Il apparaît par grebenï, stepenï, et remenï
(§185), que, dans les dérivés en -en- de racines verbales, le
vocalisme radical était normalement e.
La productivité ancienne de -en- se continue en slave par
celle du type en -ënû, r. -jan- (§ 65) des adjectifs indiquant
204 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

la matière : r.volosjanôj « de cheveux, de crins », de vôlos.


La relation du type v. si. kamenï « pierre », r. kâmen', adjectif
kamenu, v. r. kamjanu, ukr. kam'janyj, s'est obscurcie et a
appelé des remaniements (r. kdmennyj), mais elle a dû rester
longtemps assez claire pour que l'on puisse supposer qu'elle
a joué en sens inverse, et que r. vôlosen' a été tiré de volosjanôj,
pol. wlosien de wlosiany.

184. Type en -men-. — En baltique, le vieux prussien


présente encore une forme neutre en-men- dans le Vocabulaire
du xiv e siècle, semen « semence », mais le neutre si. imç
« nom » est devenu masculin dans les textes du xvi e siècle :
emmens, acc. emnen ; les masculins en -en- ont un nominatif
singulier en -ins, sasins « lièvre », *menins « mois », et de
même les anciens neutres agins « œil », ausins « oreille ». Le
lituanien n'a plus que des masculins à nominatif -uo, -muo,
gén. -en(e)s, -men(e)s ; en lette, on n'a plus que dès masculins
en -ens, -mens, mais dialectalement -ins, -mins. De ces faits
tardifs et brouillés se dégage l'existence de deux désinences
de nominatif ou nominatif-accusatif : d'une part lit. -uo, -muo,
continuant la désinence masculine i.-e. *-5(n), avec une
autre forme dans v. pr. smoy « homme » ; d'autre part v. pr.
et lette dial. -ins, -mins. La désinence -ens du vieux prussien
et du lette est refaite sur les cas obliques : v. pr. kërmens
« corps », acc. kërmenen. De -ins, deux origines sont possibles :
un développement sur l'ancien degré réduit -n-, transporté
à l'accusatif dans v. pr. kërmnen, emnen, avec l'alternance
de -n- devant voyelle et -in- devant consonne ; et une exten-
sion de la finale neutre de i.-e. balto-slave *-min, avec
passage au masculin en baltique. Un autre traitement de
*-(m)in neutre est v. pr. -an, par substitution de la finale
des neutres en -o-, dans wundan « eau », d'où masc. unds,
dadan «lait».(§ 176) Le mot v. pr. kïsman (acc.) «temps»
doit être un neutre en -men- parallèle à v. si. vrëmç, et
[184] TYPE EN -men- 205
i
formé sur le thème *kës- de si. casu «moment» (§ 186).
Toutes les désinences de nominatif singulier masculin et
de nominatif-accusatif neutre sont remaniées en baltique et
en slave. Le masculin lit. -uo, sous l'accent -uô d'intonation
douce, ne répond exactement ni à i.-e. *-5 ni à i.-e. *-dn ;
si. -my, qui ne répond sûrement pas à *-mô, peut représenter
*-môns aussi bien que *-môn (§ 88). Pour le neutre, v. pr.
-men, -mens a pris la place de *-min. En slave, où *-mç,
*-min, se serait réduit à *-mï, -mç d'intonation rude (§ 222)
suppose une forme nouvelle *-mën, qui a dû prendre sa finale
au type neutre en -g, gén. -çte, plutôt qu'au type masculin
en -ç, car l'emprunt le plus direct au masculin aurait été en
*-my, cf. -y masculin et neutre au nominatif singulier du
participe présent actif (§ 279).
Quant au type lit. -muo, qui confond les deux types masculin
et neutre, il est encore abondamment représenté en lituanien.
Ainsi piemuô «berger», gr. -rroi|ir|v (§ 50) ; asmuô «le tran-
chant », de la racine as-, lit. astrùs « tranchant », si. ostru ;
augmuô « excroissance », de âugti « croître », cf. v. lat. augmen ;
juosmuô « ceinture », de jûosti « ceindre », cf. gr. Çcoiia ; lygmuô
« niveau », de lygti « devenir égal » ; mètmens (plur.) « chaîne
d'un tissu», et lette mesmens (§ 31), de mèsti «jeter», prés.
melù, cf. lette meti (plur.) de même sens ; piûmuô « moisson »,
de piâuti «couper, moissonner»; pùtmens (plur.) «tumeur»,
de pùsti «s'enfler», prêt, putaû; sermens (plur.) «repas d'en-
terrement », de sérti «donner à manger»; zelmuô «rejeton»,
de zélti « verdir, pousser » ; etc. Ces mots indiquent assez la
productivité qu'a connue le type.
Le baltique présente en outre un suffixe lit. -mena, -mené,
qui est tiré de thèmes en -men-. On peut penser que c'est,
en partie, l'ancien pluriel neutre en si. -mena, qui, se trouvant
isolé avec la perte du neutre, s'est transformé en suffixe
féminin singulier (§ 125). Quelques mots en -meno du vieux
prussien s'expliquent bien tde cette façon : schumeno « fil de
14
206 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

cordonnier, ligneul», de lit. siuti «coudre», cf. skr. syuman-


« couture, lien » ; plasmeno « plante des pieds », en regard de
lit. dial. plâsnas, si. plesna, cf. dans les parties du corps
si. ramç « épaule », plur. ramena ; vimino « orme », de lit.
vyti «tresser», cf. lat. uïmen qui s'applique à divers bois
pliants.
Mais la productivité a cessé, et le type flexionnel est en
train de disparaître. Dès le vieux lituanien, on le voit passant
. au type masculin en -i- ou -yo-, gén. akmenies ou âkménio pour
akmen (è)s ; il peut même passer au type dur : dial. âkmenas,
gén. -no. En lette, les noms en -(m)en- ne sont plus repré-
sentés que par une demi-douzaine de mots, akmens, asmens,
udens, rudens, etc., et encore leur flexion ne se distingue-t-elle
plus dé celle du type en -yo- que par le nominatif en-ens et
par le génitif en -ens à côté de -ena.

185. Masculins en -men-. — Le type est encore net en


vieux slave, non sans contaminations avec le type en -i- ;
il disparaît généralement dans la suite. Il se caractérise par
son nominatif (nom.-acc.) en -my à côté de -menï, qui se
maintient en vieux slave, en serbo-croate ancien et dialectal,
en kachoube et en polabe ; par sa flexion à génitif singulier
en -e, qui dure jusqu'au tchèque littéraire moderne ; par son
génitif pluriel de type dur, qui a laissé une trace jusqu'à
l'époque actuelle, tch. kamen ; et par ses dérivés en -yku,
v. si. kamyku « pierre », et en -ënu de *-ç-nu, v". si. kamènû
« de pierre ». Mais les dérivés en -ënu sont aussi bien ceux du
type neutre en -men-: ramënu de ramç ; et les dérivés en -yku,
construits sur la forme -y du nominatif singulier en -my,
ont pu être étendus secondairement aux masculins en -en-
à' nominatif ancien en -g : pol. grzebyk. Les mots suivants
représentent le type :
V. si. kamy, kamenï «pierre», gén. kamene ; r. kâmen ,
gén. kameni, puis kamenja, mod. kâmnja, et ukr. kâmin ,
[185] MASCULINS EN -men- . 207
i
gén. kâmenju ; pol. kamien, gén. -nia, et gén. plur. kamion
en vieux polonais ; kachoube kamy, kam (acc. kamien), polabe
komôy de kamy ; tch. kdmen, gén. kamene, mais -na en tchèque
parlé et dans les dialectes, gén. plur. kamen conservé pour
-nu après nom de nombre au sens de « poids de vingt livres » ;
slovaque kamen, gén. -na ; slov. kdmen, gén. kâmena et
kdmna ; s.-cr. kâmën, gén. kâmena, mais ancien et dial. kàmi,
kâm ; bulg. kdmen (kâmâk), plur. kâmâni, gén. sing. kamene
et kamenë en moyen bulgare. Cf. lit.- akmuô, skr. dçman-,
gr. ccKjicov ' (« enclume ») : c'est un vieux mot indo-européen
qui n'est plus analysable, et qui pouvait ne pas appartenir
primitivement au type en -men-, ou qui présentait des formes
du type neutre très ancien en hitt. -mar (§ 181), d'après les
dérivés skr. açmarâ- m de pierre», v. isl. hamarr «pierre,
marteau », v. h. a. hamar. La métathèse inexpliquée de lit.
ak- en si. *kâ- (§ 39), et de *ak- en *ka- en germanique,
pourrait résulter en slave du traitement d'un groupe complexe
*akmn- dans l'ancienne forme à degré réduit des cas obliques ;
l'allongement vocalique en *kâ- dans un tel groupe, qui devait
donner une consonne géminée, est concevable (§ 42).
V. si. plamy, plamenï « flamme » ; v. r. polomja, avec passage
au type neutre, r. mod. pôlomja, pôlymja, et plâmen (slavo-
nisme), usuellement plâmja ; pol. plomien, kachoube piomy,
plom ; tch. plamen, gén. -ne (-nu en tchèque parlé), et slovaque
plamen, gén. -na ; s.-cr. plâmén, gén. plàmena, mais vieux
s.-cr. plami, et dial. plâm. Le mot est construit sur la racine
de v. si. polëti « flamber ».
Pol. promien « rayon, touffe de cheveux, filet d'eau, etc. » ;
tch. pramen « source » et « tresse », gén. -ne (-nu en tchèque
parlé) ; s. cr. pràmën « touffe, tresse, traînée de nuage », et
ancien prami, dial. prâm. Le mot, avec ses sens divers, a
l'aspect d'un dérivé de la forme *par- que présente en slave
la racine *per- dans v. si. pro-prati «fendre, éventrer», r. porôt' :
l'idée commune est de quelque chose qui se fragmente.
208 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

R. kremén « silex », pol. krzemien, kachoube kremy, krem ;


tch. kfemen, gén. -ne (-na en tchèque parlé) ; s.-cr. krëmën,
mais slavon serbe kremy, s.-cr. ancien et dial. krem. La forme
baltique est lette krems, krams. Il peut y avoir eu en slave
substitution de suffixe d'après kamy, kamenï « pierre ». On ne
restitue pas la racine ; on soupçonne, sans pouvoir le préciser,
un lien avec le verbe kresali « battre le briquet », qui signifie
aussi « tailler, dégrossir la pierre » (pol. okrzesac) et « tailler,
les arbres, le bois », et qui en ce sens est parallèle à tesati
« tailler le bois, charpenter ».
V. r. strumenï « courant », r. mod. strémja d'après stremit'sja
« se précipiter » et se confondant avec sïrémja « étrier » ;
pol. strumien « ruisseau, torrent », dial. strum ; v. tch. strumen,
gén. strumene. Le mot répond à lit. dial. straumuo « torrent »,
et cf. le nom de la rivière thrace Srpùncov : c'est un dérivé
de la racine *sru- de lit. sravëti « couler », si. struja, struga
« flot, courant ».
Slavon jçcïmy, jçëïmenï « orge » ; pol. jçezmien, kachoube
jqcmy ; tch. jecmen, gén. -ne (-nu et -na en tchèque parlé) ;
s.-cr. jëcmên, mais usuellement jècam, gén. jècma, qui suppose
*jecmi, et qui paraît garder la trace d'un mouvement d'accent
*jçcïmy, acc. * jçëïmenï, du type lit. akmuô, acc. âkmenj
(§ 217) ; bulg. ecmén et ec(e)mik. La formation du mot, avec
-men- qui semble ajouté à un thème en -i-, est insolite ;
les adjectifs v. si. jçcïnû « d'orge», et jçcïnënu, qui est proba-
blement une contamination de *jçcîmënû et jecïnu, atteste
seulement l'embarras du slave à en tirer un dérivé, et la
tendance à en dégager un thème jçcï~. On peut penser que ce
mot de l'« orge », qui est propre au slave, est un ancien
composé. Le premier terme serait /g-, du type de v. si. nejçvëru
« incrédule » de jeti vërç « croire », littéralement « prendre
foi » ; le second terme *-cïmen- serait le mot balto-slave qui
se conserve dans lit. kiminaï « variété de mousse », kieminà
«une herbe des prés», tch. dial. cmâni, collectif neutre, «mau-
[185] MASCULINS EN -men- • 209'

vaise herbe » et « ramilles ». L'orge serait la céréale qui « prend


de la mauvaise herbe », par exemple qui prend de la mauvaise
paille, car on est forcé, après battage, de nettoyer l'orge de
ses débris de barbes. Le baltique a un autre nom : v. pr-
moasis de *maizis, lit. miëziai, qui pourrait être une altération
par métathèse d'un dérivé *zaim- de *zeimâ « hiver », lit.
ziemà, et une formation plus ancienne que v. pr. seamis « blé
d'hiver », de *zeimis ; cf. r. ôzim', s.-cr. ozimac, désignant
particulièrement le seigle en russe et l'orge en serbo-croate.
SI. *kumen-, seulement dans tch. kmen « tige, tronc », gén.
kmene en vieux tchèque et dans la langue moderne, slovaque
kmen, gén. -na, bas-sor. kmjen. L'aspect du mot est d'un
dérivé en -men- de la forme kû- conservée dans v. si. kuznï
« ruse, machination », r. kôzni (slavonisme), de la racine ver-
bale de kovati « forger », dont le sens premier était « battre » ;
tandis que *kyjï, r. kij, dérivé en -yo-, désigne différentes
formes de « battoir », et de là le « bâton », *kumen- aurait pu
désigner la « batture », la tige qui reste quand on. a battu
le grain.
S.-cr. grùmën « motte », gén. grûmena, et grûm, grum en
moyen serbo-croate et dialectalement, dim. grumicak de
*grumyku, bulg. dial. grûmik. Le mot est de la racine verbale
de lit. grusti « perler l'orge », prêt, grudau, qui indique la
mouture grossière qui donne de gros grains, du gruau (v. h. a.
grioz, ail. Griess «gruau, gravier»), et cette racine a donné
en slave un dérivé *grâud-men- à côté du postverbal *grâudât
s.-cr. grûda « motte », r. grûda « tas ».
V. si .'remenï «courroie, lacet de soulier », gén. -ne; pol.
rzemien et kachoube remy, rem, s.-cr. rëmën, etc., avec un
dérivé v. r. remykïi, pol. rzemyk, etc. Il y a eu évidemment
des noms en -en- tirés de racines terminées par m, et il est
normal qu'ils se soient ensuite confondus avec les noms en
-men-. Le nominatif en -my du kachoube, que le serbo-croate
ne confirme pas, et le dérivé en -ykû, s.-cr. rèmik, doivent
210 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

être analogiques du type kamy, kamyku, et l'on peut voir


dans remenï un dérivé en -en- de la racine verbale *rem-,

i
perdue en slave, mais bien représentée en baltique, lit. remti
« appuyer », rimti « ne pas bouger, être tranquille », v. h. a.
rama « support, cadre », skr. râmâyali « il retient » : c'est ce
qui fixe, une attache.
V. r. strïmenï « étrier », puis stremja avec passage au neutre, |
r. mod. strémja ; pol. strzemiç, pour v. pol. et dial. strzemien, fi
et dial. strzem ; v. tch. slrmen, gén. plur. slrmen, tch. mod. I
trmen et slremen, gén. -ne dans la langue littéraire ; s.-cr. I
strmën et strëmën. Le mot fait visiblement couple avec remenï,
d'où la substitution de strem- à strïm-. Il s'agit de l'étrier r
constitué d'une corde, d'une courroie, cf. v. pr. lingo « étrier » j
et nolingo « rênes », lit. lïngè v- corde pour se balancer, lingûoti ».
Un rattachement à slrïmu « escarpé, à pic » ne pourrait relever
que de l'étymologie populaire. Le nom slave de l'« étrier »,
sans correspondant en baltique, doit être emprunté, comme
celui de la « selle » (§ 38) : en roman, v. fr. estrieu l'est à un
germanique *streup-, ét une forme parallèle *strip-, ail.
Strippe «corde, sous-pied », peut avoir donné *sirï(p)men-
en prenant la finale de remen-. C'est ainsi que le russe dialectal,
par croisement de zito «céréale» et de jaëmén, a créé zitmén
« orge ». De même sans doute :
Pol. dial. kosmien « garrot du cheval », qui est évidemment
le même mot, nommant le garrot par les poils du bas de la j
crinière, que pol. kosmyk « touffe », blanc-russe kosmijëce, i
collectif, de kosmû « cheveu », r. kosmâ « touffe » : donc élar- t
gissement en -en-, -yk-, mais formé d'après pol. promien, '
promyk « mèche de cheveux » et le type en -men-.
Le russe présente un type de dérivés d'adjectifs, avec des
formes anciennes : v. r. uzmenï « détroit », de çzukû « étroit »,
r. ûzkij ; v. r. golomjcl, r. gôlômen', fém., et golômjâ, « espace
nu, bois nu, mer ouverte, lame nue », de gôlyj « nu », qui f
remonte à un slave commun *gal-men-, et où le flottement de
211
[186] NEUTRES EN -men-,

genre indique un ancien masculin ; suxmén' « terre ' sèche,


temps sec », de suxôj « sec », attesté comme féminin depuis
lè xiv e siècle, et dial. susmén , pol. dial. suszmien qui désigne
un « brin de paille » ; gluxmén', masc., «temps mort», littéra-
lement «sourd», de gluxôj, et blanc-russe hlusmén, masc.,
« un sourd », dépréciatif ; le contraire est r. sluxménnyj « qui
a bonne oreille » (et sluxmjânyj « obéissant »), qui suppose
*sluxmen', de même que nizmennyj « bas », de nizkij, suppose
*nizmen . Le type, sinon toutes ses formes, doit remonter au
slave commun, et il ne se distingue du type général en -men-
que par un développement particulier en russe en regard
d'adjectifs. Lit. lygmuô « niveau » est aussi bien un dérivé
de l'adjectif lijg'us « égal » que du verbe lï/gti.
L'emprunt v. r. limenï «port», masc., du grec Ài|ir|v,
Àinévaç, a été incorporé au type ; r. mod. limân, avec son
sens spécial d'« estuaire, liman », est pris au turc. Il y a eu
une petite productivité du type masculin en -men-, et on a
relevé quelques formations nettement secondaires. En serbo-
croate, une flexion masculine kàm, gén. kâmena, parallèle à
la flexion neutre ïme, gén. Imena, s'est établie dialectalement,
et elle a attiré des mots comme grm (et grmën) « buisson »,
gén. grmena pour grma, de v. si. grumû.

, 186. Neutres en -men-. — Le type se conserve ordinaire-


ment dans les langues slaves, en éliminant sa flexion athéma-
tique, mais en gardant son nominatif-accusatif singulier
anomal, et en présentant dans une partie des langues une
opposition entre le singulier de flexion mouillée et le pluriel
de flexion dure (§ 207). Les mots du type restent donc aisé-
ment reconnaissables.
V. si. img «nom», gén. imene ; r. îmja, gén. îmeni, et
ukr. im'jâ, gén. imeny ; pol. imig, gén. imienia, et polabe
geimang (instr. ramingam de ramang « épaule ») ; bas-sor.
me (§ 63), et mjénjo, mjëno ; tch. ancien jmë, gén. jmene,
212 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

tch. mod. jmeno, gén. jmena; slovaque -jmd dans najmà «nom-
mément » (sema « semence », gén. semena, remplacé par semeho,
gén. -na) ; slov. im|, gén. imçna, s.-cr. Ime, gén. ïmena, bulg.
ime, plur. imenâ. En baltique, le vieux prussien a emmens,
emnes, avec passage au masculin, acc. emnen, emnan ; le mot
a disparu en letto-lituanien : lit. vardas, lette vàrds, cf. v. pr.
wïrds « mot ». La flexion du vieux prussien atteste la conser-
vation d'une alternance emen-, emn-, en balto-slave *inmen-,
*inmn- (§41). Les formes des autres langues sont : hitt. laman,
gén. lamnas ; skr. nâma, gén. nâmnah, et lat. nômen, gén.
nôminis, mais irl. ainm n-, de *i}men- ; got. namô, plur. namna ;
gr. ôvoua et; dial. ôvunoc, cf. àvcovunos. Elles supposent un
très vieux mot indo-européen, inanalysable, dont la flexion
pourrait être *nSmn, cas obliques *nmn-, cf. hitt. lekan
«terre», gén. taknas et véd. jmâh (§ 94). Le mot est entré
dans le type neutre à suffixe -men-, et s'est normalisé sur
thème *nS- ou
V. si. sémg « semence », v. pr. semen, v. lit. et dial. sëmenes
(plur.), lat. sëmen, v. h. a. sâmo, de v. si. sëti (sëjati) « semer »,
lit. sëti, lat. se- (prêt, sëuï), v. h. a. sâen.
V. si. brëmç « fardeau » de *bër-men-, s.-cr. brème, r. pop.
berémja, cf. skr. bhârïman- «fait de porter » (§ 97) ; le mot
conserve le sens ancien « porter » de la racine si. ber-, i.-e.
*bher-, de v. si. bïrati, berç, passé au sens de « choisir, cueillir »
d'après les formes à préverbe, et r. brat' « prendre ».
V. si. vrëmç « temps », de *ver-men-, v. r. veremja (r. vrëmja,
slavonisme). On voit, par le blanc-russe vëreme et le serbo-
croate vrijëme, que la racine était d'intonation douce, et cette
racine paraît avoir été *ver- plutôt que *vert- ( § 39) : ce serait
celle de v. si. vu-vrëti « glisser dans », za-vrëti « fermer » (en
glissant le verrou, verëja), lit. veriù « j'enfde », avec le sens de
« file » dans r. verenica, lit. votà, pavarë. Le mot vrëmç indique
la durée du temps, par opposition à ëasu « moment », qui a
dû avoir aussi son dérivé en -men-, v. pr. kïsman (§184).
[186] NEUTRES EN -men- 213
i

V. si. plemç « raee, descendance», sûrement de la racine


*pled- de plodu «fruit» (§ 117).
Slavon slëme « poutre », particulièrement « poutre faîtière »,
pol. szlemiç de êlemiç, tch. slémë, etc., de *sël-men-, lit. selmuô
« faîte de la maison, grande poutre », acc. sêlmeni. Le russe
ancien solomja « détroit » est un autre mot : c'est un emprunt
du russe septentrional au finnois salmi, acc. salmen. Mais il
est douteux que cet emprunt remonte à une époque antérieure
au passage de *-al- à r. -olo-, et les parlers septentrionaux
modernes ont sâlma. Sa forme doit plutôt résulter d'une
contamination avec *solomja « poutre », disparu en russe, mais
dont le slavon russe paraît garder la trace dans des graphies
altérées s/am/'a (hyperslavonisme, § 70), slomja. Le mot balto-
slave, à s- initial, n'a rien à voir avec gr. céÀpioc « pont de
navire, banc de rameur », mais il s'accorde entièrement avec
lat. columen, culmen «faîte, poutre faîtière» : c'est un dérivé
de la racine de lat. -cellô, lit. kétti « élever », d'intonation rude
en lituanien (kâlnas « montagne », lat. collis), et il en conserve
la forme *sel~, à côté de kel- d'après les formes à préverbe
usuelles, lit. uzkélti, iskélti (§ 12).
Slavon tëmq « sommet de la tête », à radical d'intonation
rude, s.-cr. tjëme, tch. témë. Ce mot, isolé en slave, est sans
doute une création du slave même, et on peut le rattacher à
une racine verbale en admettant que tëmen- représente *iïn-
men-, avec dénasalisation de *tïn-, *tç- devant nasale (§ 65).
Cette racine serait alors celle de lit. lînti « rebattre la faux »,
si. *tçti, Hïne- « couper, abattre », pol. ciqc, tnç : il s'agirait
d'une des nombreuses désignations imagées du « crâne »,
r. cérep « tesson », etc., ici d'une « bille de bois », cf. tch. ston
« souche » de s-Uti, se-tnu « trancher », nâlon « billot » de
v. tch. na-tieti.
SI. *vymç «pis», r. vymja, etc., est une réfection du neutre
en *-r: *-n- (§ 176) conservé par skr. Adhar «mamelle»,,
gén. udhnah, v. h. a. ûtar, etc. : soit par extension du suffixe
214 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

-men- à un thème *ûd- extrait de ce mot, soit par remanie-


ment morphologique sur la base des cas obliques en *ûdn-,
des formes *ûdn- et *sëmn-, de si. sémg « semence », ayant dû
à un moment présenter en slave le même aspect *ûnn-,
*sênn- (§39).
Slavon ramg « épaule », ukr. rdm'ja, gén. râmeny, blanc-
russe rame, pol. ramiç, tch. rdmë, mais la forme vieux-slave
est ramo. On trouve ailleurs des flottements ou une flexion
mixte : slov. rame, gén. ramena, mais usuellement fém. râma,
qui est sûrement tiré d'un duel rame ; s.-cr.srame, mais dial.
râmo, gén. ramena ; bulg. rdmo, mais plur. ramenâ et ramené
(ancien duel). Le russe râmo, gén. râma et râmeni, plur.
ramenâ, combine des formes livresques et dialectales, le mot
usuel étant plecô. L'ancienneté de ramen- paraît garantie par
le dérivé slavon ramënû « puissant », c'est-à-dire « à fortes
épaules», y. r. ram/anu (§.65), slov. râmeno «énormément».
En baltique, on a v. pr. irmo « bras », fém. sing., qui peut être
un ancien pluriel neutre (§ 125) ou un ancien duel, et lit. irm-
dans irmliga, irmèdê « arthrite », de ligà « maladie » et -êdê
« qui mange » ; l'intonation est rude dans lit. irm-, comme dans
si. ram- (§ 69). Ailleurs, on a lat. armus « bras », got. arms, et
skr. îrmâh. La racine verbale est celle de gr. âpocpioKco, âpcjaç
« ayant ajusté », ccpôpov « articulation », lat. artus, articulus.
Elle ne se conserve en balto-slave, et avec intonation rude
en lituanien, qu'avec son sens initial « ajuster » fortement
modifié par dépréverbation : si. oriti « abattre, détruire »,
d'après raz-orili, lit. irli « tomber en morceaux », d'après is-
irti. Sur cette racine, le balto-slave pouvait créer des noms
divers de l'articulation du bras, ou remanier un nom plus
ancien. Le baltique *ïrma- diffère du slave, *ârma- et
*ârmen~. On ignore d'ailleurs le traitement d'un groupe *fr-
devant consonne en slave, comme on sait mal celui d'un
groupe *ër- (§ 69) : il est possible que ces groupes, quand ils
ont commencé de faire difficulté, aient été remplacés par des
[186] NEUTRES EN -men- 215
i
formes alternantes plus commodes. Quant au flottement slave
des suffixes -mo et -men-, on le retrouve dans pismo et pismen-,
pasmo et .pasmen-, et il pourrait avoir une cause morpholo-
gique (§ 179).
Y. si. pismq « lettre, caractère d'écriture », et v. pol. et
kachoube pismiç, mais v. r. pismo, r. mod. pis'mô « lettre,
missive », pol. pismo, de pïsati, pisç, « écrire ». Le russe
conserve le pluriel pis'mena « caractères d'écriture », et c'est
de là, avec -sm- prononcé -s'm - devant -e-, qu'il a tiré la
mouillure secondaire de pis'mô (cf. § 45).
V. si. cismç « nombre, chiffre », à côté de ëislo « nombre »,
de ëisti, cïtç, «compter» (§ 39).
Slavon *prësmç de bes prësmene « sans cesse », formation
très secondaire, à côté de bes prëstani, sur prë-slali «cesser».
SI. *znamç, v. r. znamja « signe (de reconnaissance) »,
r. mod. zndmja « étendard », pol. znamie « signe », ancien
d'après v. si. znamenali « signifier, marquer d'un signe »,
znamenije « signe » ; le" masculin znamen, zlamen du moyen
serbo-croate est refait sur le verbe. La formation est parallèle
à gr. yvœjjia « connaissance », lat. co-gnômen, mais en est indé-
pendante.
Il y avait sûrement en slave d'autres neutres en -men-. Le
polabe, isolé à l'extrémité du domaine slave, présente deux
formes qui lui sont propres, mais d'ancienneté douteuse :
sângseman « corde de bois », plur. sangsamêna, de *sqzmen-,
pour sçzenï (§ 183); et pôsmang « écheveau », de *pasmç,
plur. pôsmena, pour pasmo des autres langues, r. pasmo, etc.
Mais le slovince a une flexion nom.-acc. pasmo, pasmien- aux
cas obliques, et il doit s'agir d'une influence du masculin
pol. promien : on dit également pasmo wlosôw et promien
wlosôw « touffe de cheveux ».
On a pol. dymiç «aine», dérivé dymienica «inflammation
de l'aine, bubon », et h. sor. dymjo, un vieux-tchèque dymë
étant douteux. Ailleurs on trouve s.-cr. ancien dimje « aine »,
216 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

fém. plur., slov. dimlje, et v. tch. dïjm « bubon », mod. d$mëj.


C'est un dérivé du thème verbal de na-dymati sç «s'enfler»,
qui a désigné la tumeur ou la hernie inguinale, cf. ukr. nadymy
« hernie » ; s.-cr. dimje doit s'être modelé sur ledje « reins »,
de v. si. Içdvijç, et pol. dymiç a pu se modeler sur wymiç
« pis ».
On doit supposer *timen- « boue », à côté de v. si. tina,
r. tina « vase », d'après v. si. timëno, qui doit être un adjectif
*iimënû substantivé, et timënije ; et on a le mot dans h. sor.
tymjo, gén. tymjenja, bien que l'initiale ty- pour ci- soit
irrégulière et demande une explication. L'adjectif rumënû
« rouge », r. rumjanyj, restitue un substantif *rumen-, de rudu
« rouge », r. rudôj, cf. lit. raumuô « chair des muscles », de
raûdas ; mais on ne reconnaît pas s'il s'agit d'un masculin
ou d'un neutre en -men-. Il est déjà plus incertain de tirer du
serbo-croate dialectal stâmen « stable » et du slavon serbe
ustameniti « constituer » un substantif *stâmen- répondant à
lit. stuomuô, stomuô ( § 49) « stature », de stôli « se tenir debout »,
si. stati ; le bulgare slàmen kâmen doit n'être qu'une altéra-
tion de s.-cr. stânac kàmën « pierre dressée ».
Des formes comme v. si. pismç, cismç, et surtout bes
prësmene, montrent que le type est resté longtemps productif.
Bien caractérisé par sa finale de nominatif-accusatif singulier,
et se maintenant comme type flexionnel distinct, il a pu
attirer des masculins en -men-, ainsi r. strémja, pol. strzemiç
« étrier ».

187. Type masculin en -(j)ane. — C'est uniquement un


type de pluriel. Le singulier et le duel sont fournis par un
singulatif (§ 212) en -(j)aninû : ainsi, de v. si. gradu «ville »,
r. gôrod, sing. grazdaninu «habitant d'une ville», r. gorozdnin
(et grazdaniri «citoyen», slavonisme, § 26, § 70), duel gra-
zdaninu, plur. grazdane, r. gorozâne. Voici la flexion en vieux
slave, en vieux russe et en russe moderne :
[187] TYPE MASCULIN EN -(j)ane 217

vieux slave vieux russe russe mod.


N. grazdane gorozane gorozane
A. grazdany gorozany )
gorozdn
G. grazdanu gorozanu \
L. grazdanexu gorozanexu gorozdnax
D. grazdanemu gorozanomu gorozdnam
I. grazdany gorozany gorozdnami
La flexion du vieux polonais et celle du vieux tchèque sont
les mêmes qu'en vieux russe : v. pol. -anie, -any, -an, -aniech
(et -anoch, § 163), -anom, -any; v. tch. -ëne (§ 78, mod. -ané),
-any, -an, -ënech et -ëniech (mod. -anech), -anom, -any. On voit
que dans ce thème consonantique isolé d'un singulier, et à ca-
ractéristique -û du type dur au génitif pluriel, la tendance est
à faire passer la flexion, non au type mouillé en -i-j-yo-, mais
au type dur en -o-. Le vieux slave ne présente pas seulement
la forme nouvelle -y d'instrumental pluriel, mais aussi -y
à l'accusatif, au lieu de -i du type athématique ; les autres
langues ont en outre dat. plur. -omu, pour v. si. -emu. Dans
les langues modernes, le passage au type dur est complet,
sauf une conservation partielle de la forme -e de nominatif :
r. -ane dans la langue littéraire, dans les dialectes -anja ou
-ana, et ukr. -any ; pol. -anie, tch. -ané dans le sous-genre
animé, -any dans le sous-genre inanimé des noms de lieux.
Cette flexion isolée d'un singulier offrait une autre particu-
larité : elle a conservé longtemps les formes athématiques de
locatif, datif et instrumental pluriels, loc. -as en vieux tchèque,
loc. -axu, dat. -amû, instr. -ami, pour v. si. -anexu, -anemu,
-any, en vieux russe, en serbo-croate ancien, et jusqu'en
slovène moderne, dans les toponymes, mais aussi en emploi
plus libre (§ 179). Si l'on ne rencontre pas ces formes en vieux
slave bulgaro-macédonien, c'est que les textes vieux-slaves
ne donnent pas de toponymes slaves.
Les noms en -(j)ane sont en effet les noms d'habitants de
218 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

localités ou de régions, noms de tribus et noms de lieux :


v. r. Poljane « habitants de la plaine, polje », Polocane « gens
de la région de la rivière Polota », etc. La flexion athématique
est attachée à un suffixe et à sa productivité. La forme en
est -(j)an-, et -en- dans un cas, celui, évidemment très ancien,
du nom des « Slaves » : Slovène, sing. Slovëninu. Cas isolé, d'où
la réfection en v. r. Slovjane, pol. Slowianie, avec des formes
en Slav-, r. Slavjâne, qui sont savantes et d'après le grec
2xÀocgr|voî et le latin S(c)lavi, transcriptions anciennes du
slave Slov- (§ 47), et aussi d'après une étymologie flatteuse
par slava « gloire ».
L'origine du suffixe n'est pas très claire. Got. -ja, gén.
-jins, dans le type baurgja « citadin » de baurgs « ville », répond
mal dans sa forme et ses emplois à si. -(j)an-. Un rapproche-
ment avec le grec -icov, dans des patronymiques comme
Oùpccvîcov, gén. -îcovos, « fils d'Uranus », forme substantivée
de oûpccvioç, est lointain, mais instructif. Il faut d'abord
fixer l'état balto-slave. Le suffixe baltique qui répond à
si. -(j)ane est lit. -ênas, lette -ëns, du type lit. Tilzënas « habi-
tant de Tilsit, Tilzè », kalnënas « habitant de la montagne,
kâlnasD, lette Nîtaur§ni «habitants de Nltaure », qui s'emploie
surtout au pluriel et fournit de nombreux noms de lieux en
lit. -ënai, lette -§ni. C'est en même temps un suffixe de patro-
nymiques : lette bràlçns «fils du frère, èrà/is ». Si le letto-
lituanien ne présente pas de trace d'une flexion athématique,
c'est que, comme les langues slaves modernes, il a fait passer
le type à la flexion dure en -o-. Il faut donc, pour le balto-
slave, partir de noms en *-ën, formant des patronymiques
et des mots indiquant l'origine. Le grec offre dialectalement
des hypocoristiques en -r|v, à côté de -cov de la langue courante:
AUOTIV pour AÛCKOV, de AûcravSpos ; il a quelques noms anciens
de peuples en -T^V, et le nom commun des Grecs, "EÀXT|V£S,
pose un problème aussi obscur que celui des Slaves, Slovène.
La généralisation de la forme longue *-ën- n'apparaît pas
[188] TYPES EN -tele, -are ' . 219
. . • - !
dans les autres types en -en-, -men-, mais le grec -cov-, -riv-
et le latin -on- montrent qu'elle était naturelle, surtout dans
des noms de personnes qui sont des appellatifs et où le nomi-
natif et le vocatif singulier ont une grande importance.
D'autres causes ont pu intervenir, en slave la suffixation de
-inû au nominatif singulier *-ên, avec -ëninu comme kamyku
de kamy, et l'existence de formes comme *-ëmu, de *-ç-mû,
au datif, à l'instrumental et au locatif pluriels.
En slave, le suffixe *-ën a été généralement ajouté à -/-,
c'est-à-dire à l'adjectif possessif en *-yo-, comme dans gr.
Oûpavicov de oûpâvtps « d'Uranus, OOpavôs » : d'où -jan-,
et c'est sous cette forme qu'il a été productif et s'est tiré
directement de noms de lieux. Ainsi les noms en -(j)ane sont
des substantifs en *-ën dérivés d'adjectifs, comme dans le
type s.-cr. Mladen et Mladën, v. si. mladenïcï et mladënïcï.
Pour Slovène, qui garde seul la forme balto-slave en -en,
toute hypothèse est arbitraire sur l'origine de ce nom de la
plus grande tribu slave. Un rattachement à slovo et à la
racine de sluti « être renommé » n'est pas absurde, mais à
condition d'y voir un nom de famille comme dans *Xurvat-
« Croate » (§ 3), et un hypocoristique en *-ën d'un composé
à premier terme analogue à gr. KÀuro-(|xnSr|ç), [germ. Hlud-
(rich), celtique Cluio-(rix).

Les autres types masculins.


188. Types en -tele, -are. — Ce sont les pluriels de deux
suffixes, -teljï et -arjï. Leurs flexions sont différentes à l'origine,
mais elles se sont influencées mutuellement. Le suffixe -teljï est
un suffixe de noms d'agents tirés de verbes : dateljï « donneur»,
de dati « donner » ; -arjï est un suffixe dénominatif indiquant la
fonction, la profession : vratarjï « portier», de vrata « (grand')
porte ». Mais les deux suffixes se sont concurrencés : slavon
russe mukarï « tourmenteur, tyran », de mçka « tourment »,
220 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

comme v. si. mçciteljï, de mçciti « tourmenter », r. pisar'


«scribe» et pisâtel' «écrivain», de pisât' «écrire» (où d'ailleurs
pisar' doit être un emprunt à pol. pisarz, substitué à piséc).
Voici en vieux slave la flexion de pluriel de mylarjï « publi-
cain », et celle de v. si. prijateljï « ami », v. tch. prietel, le seul
nom en -teljï qui garde sa flexion ancienne en vieux tchèque :
v. si. v. si. v. tch.
N. mytare, -rji prijatelje prietele
A. mylarjç prijatelje pfâtely, prietele
G. mylarjï prijatelû, -Ijï prâtel
L. mytarjixu prijatelfj)exu, -Ijixu prietelech
D. mytarjemu, -rïmu prijateljemu, -lïmû prâtelom
I. mytarji, -ry prijately, -Iji pfâtely, -li
La distinction de Ij et l est nette en vieux slave, mais dans
deux manuscrits seulement ; celle de rj et r est rarement
indiquée (§ 25), et l'on peut lire aussi bien nom. -arje.

Le suffixe -arjï est pris au latin -ârius, dont l'extension a


été grande (gr. -âpioç, etc.), et à l'imitation du germanique :
v. si. mylarjï et got. môtareis, de si. myto, got. môta « taxe,
droit de douane » ( § 54) ; slavon bukarï « lettré » et got.
bôkareis, de si. buky «lettre», got. bôka (§ 204). La flexion
est donc celle du type en -yo-, mais elle a pris en vieux slave
au type athématique de -tel- son nominatif pluriel en -are
(usuel), et aussi son instrumental pluriel en -ary (rare). Le
russe ancien connaît également un nominatif pluriel -are,
mais généralement les mots en -arjï se fléchissent dans les
langues slaves comme des masculins du type en -yo-, et pol.
-arze, nom. plur., n'est plus une désinence athématique (§ 140).
Il ne s'agit donc essentiellement, en vieux slave et ailleurs,
que d'une extension de la désinence -e de nominatif pluriel
(§ 206). ' .
Pour le pluriel du type -teljï, on a bien affaire aux restes
[188] T YPES EN -tele, -are 221

d'une flexion athématique. Si les désinences du vieux tusse,


nom. plur. -tele et -leli, etc., sont peu significatives, on a en
vieux polonais gén. pryjaciot et tout un jeu de formes bâties
sur le thème dur du génitif pluriel, acc. przyjacioly (et -ciele),
dat. przyjaciolom (et -cielom), instr. przyjacioly (et -cielmi), et
le polonais moderne conserve le génitif-accusatif przyjaciôl
avec un instrumental przyjaciôlmi. Le vieux tchèque souligne
le mélange de formes mouillées et de formes dures, typique
de la flexion athématique, par son alternance prie- : prâ- (§ 78),
qui est ici secondaire, puisque la syllabe initiale n'est pas
au contact direct des désinences, et qui imite celle du verbe
prieti, prêt, prâl (§ 81). Le tchèque moderne la garde sous
l'aspect d'une opposition entre le singulier prltel et le pluriel
pràtelé, gén. prâtel.
L'accusatif pluriel athématique en -i a disparu, comme
dans le type grazdane, acc. -ny, remplacé soit par v. si. -/g, soit
par -y. Le vieux slave montre comment le thème prijatelj-
du singulier tend à sè généraliser au pluriel : nom. plur.
-telje pour -tele, etc. Au singulier, il n'y a pas trace de flexion
athématique. Ceci n'oblige pas à supposer une formation de
singulier différente de celle du pluriel (mais voir ci-dessous) :
l'influence du type en -arjï, .et la nécessité de créer à des noms
d'agents du sous-genre personnel un génitif-accusatif en -ja
(cf. § 170), ont pu précipiter le passage à la flexion en -yo- de
la flexion athématique et de la flexion en -i- qui devait lui
succéder.
Mais l'existence en slave d'une flexion athématique en -l-
pose un problème. Il avait existé des thèmes consonantiques
en -Z-, ainsi lit. obelis •(§ 174), si. solï (§ 175), mais isolés. La
question est celle de l'origine du suffixe -leljï, et elle est
obscure. Il est sans correspondant en baltique et ailleurs :
le suffixe hitt. -zil, -zel, doit représenter *-til (§ 16), et il
forme des abstraits neutres et non pas des noms d'agents.
En baltique, des suffixes déverbatifs lit. -lis, -lys de noms
2 2 2 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

d'agents ou d'instruments, ^élis qui est rare et peu clair^


surtout -élis qui, tiré de verbes intransitifs, marque l'état
comme les participes parfaits de verbes en -ëti du slave,
n'indiquent que la grande productivité des formations en -l-
en balto-slave. C'est le germanique qui présente la forme la
plus proche de celle du slave, avec son suffixe v. h. a. -il, ainsi
biril « porteur » et « corbeille », de bëran « porter », qui comme
suffixe de noms d'agents est concurrencé par le suffixe d'em-
prunt -âri, -ari : tregil et tragari « porteur », de Iragan « porter »,
mod. Trdger. Mais ce suffixe *-el, -il, est de flexion en -o-,
et une forme élargie *-tel n'apparaît que dans v. sax. friulhil
« bien-aimé », v. isl. fridill, qui a donné si. prijaleljï (§ 81).
Les suffixes du slave et du germanique ne sont que vaguement
parallèles.
Au contraire, une comparaison s'impose de si. -tel- et du
grand suffixe de noms d'agents en *-ter- de l'indo-européen :
skr. dâtâ «donneur», loc. dâtâri, gr. 5oTf|p, Sorrrip, lat. dator,
et si. dateljï. On est amené à penser que le slave -tel- représente
une forme de ce suffixe. Une hypothèse est que l'indo-euro-
péen aurait connu deux variantes *-ter- et *-tel-, la variante
*-tel- n'étant plus attestée que par le slave du fait que
l'indo-iranien -r- confond *-l- et *-r-. Cette supposition est
mal étayée par la coexistence de deux suffixes, thématiques
-taras et -talas en hittite, où le suffixe plus court -alas apparaît
productif. Elle l'est mieux par le flottement des noms d'instru-
ments en i.-e. *-tlo- et *-tro-, *-dhlo- et*-dhro-, dont les formes
balto-slaves étaient *-tla- et *-dla-, lit. ârklas « araire » (§ 38),
si. *ârdla-, rafdjlo (§ 69), en regard de *-tro- dans gr. apOTpov,
lat. arâtrum. Il est toutefois plus naturel de voir dans *-ter-
un élargissement du suffixe *-er-, bien conservé, et en balto-
slave, dans les noms de parenté, par addition au suffixe *-f-
(§ 189), et avec des dérivés thématiques *-ero-, *-tero-. On
peut concevoir une altération en slave de *-ter-, *-tr-, en
*-lel-, *-tl-, avec maintien partiel de la flexion athématique,
[188] - TYPES EN -iele, -are 223
r
par contamination avec l'autre suffixe de nom d'agent *-el-
qui est celui du germanique et qu'on doit supposer en balto-
slave, suffixe susceptible dè s'élargir en *-tel- comme il l'a
fait dans v. sax. friulhil. Ce serait un résultat de la grande
extension des formations en -l- en balto-slave, favorisé en
outre par la présence du suffixe *-tla- des noms d'instruments
en face de *-ter-, *-tr-, puis *-tel-, *-tl- des noms d'agents.
Et, comme le suffixe *-el- devait, avoir en balto-slave une
flexion en -i- ou en -yo-, la contamination expliquerait la
flexion mixte du type en -teljï du slave, avec conservation
seulement au pluriel de formes athématiques de l'ancien
*-ter-.
Le suffixe -teljï accuse un très grand développement en
vieux slave et en slavon, et de même dans les autres langues
à date ancienne, vieux tchèque, vieux polonais, etc. Mais
cela tient en partie au besoin qu'ont eu les langues écrites
de se forger des noms d'agents à l'imitation du grec et du
latin, et le développement était sûrement moindre dans
l'usage réel. Dans les langues modernes, là où le suffixe subsiste
largement, il a un aspect livresque : en russe comme slavo-
nisme, en tchèque comme héritage de la tradition du vieux
tchèque. Il s'est considérablement restreint en polonais ; en
serbo-croate, il n'est plus représenté que par quelques mots,
et qui sont à peu près tous des mots semi-savants comme
ùcitelj « maître d'école ». On a observé. que le seul mot en
-teljï qui soit slave commun est prijateljï, et il n'est pas slave
d'origine : c'est que c'est le seul mot qui se soit transmis par
voie vraiment populaire, et c'est pourquoi il est le seul à
conserver en polonais et en tchèque des particularités ancien-,
nés de flexion. Le suffixe -teljï a été de bonne heure en déca-
dence en slave : le vieux suffixe indo-européen *-ter- cède la
place à des suffixes nouveaux en -ïnikû, en -arjï pris au
germano-latin, en -acï pris sans doute au turc (§ 155). Il
n'est pas étonnant que les langues baltiques l'aient complè-
224 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

tement perdu, au profit de v. pr. -(i)nikis, lit. -(i)ninkas,


lette -(ijnieks, dont l'origine peut être balto-slave, mais qui
est au moins en grande partie un emprunt au slave.

189. Type en -t-. — En vieux slave, une flexion athé-


matique est reconnaissable pour quelques masculins à nomi-
natif singulier en -tï, lakûtï « coude, coudée », nogutï « ongle »,
pecatï «sceau» : nom. plur. pecate, acc. pazneguti «sabots»,
gén. lakûtu, nogutu (et nogutii du type en -i-), instr. lakty,
noguty (et nogutïmi). Le seul mot pour lequel on ait une
flexion complète est le nom de nombre desçtï « dix » (§ 306).
Cette flexion est confirmée par le vieux tchèque, qui l'atteste
plus largement que le vieux slave : loket, gén. lokte, dat.-loc.
nokti ; duel lokti ou -ty, gén. loktu (instr. loktoma) ; nom.-acc.
plur. lokti ou -ty (lokte est un faux archaïsme), gén. loket,
instr. lokty ; — par le vieux polonais : lokiec,- gén. plur. lokiet,
d'où dat. loklom pour lokciom, gén. duel loktu ; — par le vieux
russe : lokotï, gén. sing. lokte, puis lokti, gén. plur. lakot (avec
la- slavon), puis lokot'. Par contamination, dès le vieux slave,
avec la flexion en -i-, le type se perd dans les flexions de mas-
culins en -yo- et en -o-, comme généralement le type athé-
matique masculin.
Le nominatif-accusatif singulier étant en -tï, et tous les
mots étant du sous-genre inanimé, l'attraction des féminins
en -tï a pu de bonne heure provoquer des changements de
genre.
Le type comprend deux mots isolés à suffixe ou finale -t-,
et tout un groupe de dérivés à suffixe -ut-, sa productivité
n'étant plus que celle de ce suffixe. Les mots isolés sont
desçtï, et :
V. si. pecatï, masculin, instr. sing. pecatïmu, -temu, puis
féminin en slavon; r. pecâl', fém.; pol. pieczçc, fém., avec
déformation de la finale ; v. tch. pecet, masc. et fém. (gén.
peceti), mod. pecet', fém. ; slov. pecât, masc. et dial. fém. ;
[189] ' TYPE EN -t- 225
i
s.-cr. pècat, masc., et aussi féminin en vieux serbo-croate,
sans doute sous l'influence du slavon ; bulg. pecât, masc.,
et féminin en moyen bulgare. Ce mot ne s'explique pas
par le slave : on ne voit pas comment la racine pek- de
v. si. pesti « cuire, rôtir » pourrait indiquer une marque par
brûlure (s.-cr. zîg, de zeg- « brûler »), ni quel serait le suffixe.
Il s'agit évidemment d'un emprunt, comme l'allemand
Peischaft, du moyen-allemand petschat, est pris au slave et
sûrement au tchèque, et doit restituer en tchèque la forme
alternante *pecat- de pecet-, du type v. tch. -ëne, acc. -any
(§ 187), que le tchèque a perdue par passage au féminin. Le
dérivé vieux-slave pecatïlëti « sceller », remplacé plus tard
par peëaliti, -tati, r. peëâtat', fait supposer une forme *pecat-li,
qui est turque. C'est donc vraisemblablement un emprunt
ancien au turc, qui, se terminant par -t-, a été plus ou moins
incorporé au type slave en -t-.
Un mot en -utï laisse reconnaître que le suffixe -ut- a été
dans certains cas substitué à -t- plus ancien :
SI. *palutï et *paltï: slavon russe polotï, r. pôlot' «demi-
bête » et « flèche de lard », féminin dans la langue moderne,
mais antérieurement masculin, gén. polti, puis poltja, gén.
plur. polot' supposant *polotu; ukr. pôlot', masc., gén. pîltja;
pol. polec « flanc, flèche de lard », gén. polcia, verbe rozpol-
towac « fendre en deux » ; tch. poil, gén. poilu, verbe rozpoltiti ;
— mais slavon méridional platï « flanc », masculin à flexion
en -ï- et féminin, slov. plat « moitié, côté », masc. et fém.
Comme une confusion avec v. si. platu « pièce d'étoffe », r.
polotnô « toile », est exclue par la différence de sens et de
flexion, il apparaît que de polu «moitié » a été tiré d'abord
un dérivé *pal-t-, du type ancien de desçlï, puis qu'il y a eu
réfection sur *palu-, thème en -u-, avec passage au type en
-ulï. C'est ainsi que l'adverbe v. si. pladïne «à midi», locatif
fixé d'un ^composé *pal-dïn-, est remplacé par polu dîne,
avec le locatif de polu.
26 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Dans un autre mot, l'ancienneté du suffixe -ut- peut être


également suspectée :
Y. si. lakutï « coude » et « coudée » ou « aune » ; tch. loket,
gén. lokte en vieux tchèque, puis lokta, loktu, mais slovaque
loket', laket', gén. -M'a; pol. lokiec, gén. lokcia, mais dial.
lokiet, gén. lokta, sur la base du génitif pluriel v. pol. lokiet;
h. sor. lohc et b. sor. loks ; r. lôkot', gén. lôktja; slov. lâket,
gén. lâkta, s.-cr. lâkat, gén. lâkta; bulg- làkâl, déterm. lâkâtjat.
En regard, on a en baltique, d'une part lit. uolektis, fém.,
lette uôlekts, v. pr. wo(a)ltis, avec un génitif pluriel uolekt%
en lituanien ancien et moderne; d'autre part v. pr. alkunis
« coude », lit. alkùné et lette elkuôns « coude » et « courbure », et
aussi lette èlks « coude ». Dans les autres langues, on a gr.
wÀévri, got. aleina, lat. ulna, skr. aratnlh, etc., représentant
*ôl- et *ol- avec des élargissements, ou des adaptations d'un
vieux mot à flexion complexe et à alternance vocalique. Le
balto-slave *olk~: *alk- offre un élargissement en -k- qui lui
est propre — car on ne peut guère faire état de gr. CCÀCCÇ, mot
de glossaire —, et qui est inattendu : y aurait-il eu contamina-
tion du nom du « coude », au sens de « couder », et de la racine
verbale *lenk- « courber » de lit. lenkti, v. si. su-lekg ? Les
formes du balto-slave ont l'aspect de dérivés de ce thème
*5lk- : *alk- ; pour lit. alkànê, cf. virsûnè « sommet », lette
virsuons (virsaûne), qui est bâti sur l'adverbe lette virsû,
virsùo « en haut », ancien locatif (§ 158) de lit. virsùs «le
haut», si. *vïrxu. Lit. uolektis, dont le génitif pluriel en -kt%
ne garantit pas qu'il ait appartenu à la flexion athématique
(§ 174), a l'allure d'un abstrait féminin en -tis, et si. *alkut-
(§ 69) d'un dérivé en -ut-. Mais il ne s'agit què d'aspects pris
par des mots refaits, et l'on ne restitue pas le nom balto-
slave du « coude ». Il est possible que la forme en ait été *ôlk-t-,
à suffixe -t- de flexion athématique, et que le slave *alk-ut-
en soit un remaniement sur l'autre thème *alku- qu'indique
le -baltique. L'intonation douce initiale *alk- du slave n'est
[189] TYPE EN -t- j 227

même pas sûre, puisque les intonations ne «e distinguent que


sous l'accent (§ 100), et que l'accent devait porter sur le
suffixe, d'après lit. -Mis. Quant aux intonations des langues
modernes, s.-cr. lâkat, mais cak. làkat, slov. lâket èt lakât, il
est bien difficile de les interpréter.
C'est le suffixe -ut- qui a été productif en slave, comme
-utis l'est en lituanien, et que présentent la plupart des mots
du type :
V. si. nogutï « ongle », gén. plur. nogutu, tch. nehet, gén.
sing. nehte en vieux tchèque, r. nôgot', gén. nôgtja, etc. ; —
et v. si. paznogùtï, paznegutï « sabot (d'animal) », v. tch.
paznohet, paznehet, gén. sing. -Me, pol. paznogiec (« ongle »),
gén. plur. paznogiet en vieux polonais, r. dial. pâznogt'
«dernière phalange du doigt», et ukr. pdgnisl'. En baltique,
on a v. pr. nagutis « ongle », lit. nâgas « onglé, griffe », dim.
nagùtis, lette nags « ongle, sabot », à côté de lit. nagà
« sabot », v. pr. nage a pied », si. noga, qui continuent l'ancien
nom athématique de l'« ongle », gr. ôvuÇ (§ 175). La forme
nèhei du tchèque, et de v. sj. paznegut- dans le Psautier (qui
pourrait être un moravisme), est évidemment une altération
secondaire, rendue possible par la perte de tout lien entre
le nom de l'« ongle » et celui du « pied », noga. Elle a son corres-
pondant, à date récente, dans le bulgare oriental nékât pour
bulg. nôkât, où elle paraît ! résulter d'une assimilation voca-
lique dans le pluriel nekté pour nokté conservé dans cette
région à coté de nékti, bulg. nôkti. Pour le composé pazno-
gùtï, il ést devenu obscur, ainsi que son rapport avec pol.
pazur « griffe », tch. pazour ; on pense à podu « sous » et à pa-
préfixe en regard de po (§ 116), mais sans justifier le -z-. Le
polonais, au sens d'« ongle », a remplacé nogiec par paznogiec,
paznokiec. ,
SI. *degûtï «goudron» : tch. dehei, gén. dehie en vieux
tchèque, mod. dehlu; r. dëgot', gén. dëgtja, pol. dziegiec, gén.
dziegciu ; cf. lit. degùlas, lette de guis. Ce mot, qui désigne un
228 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

produit de combustion du bouleau, est le seul reste en slave


de la forme de g- de lit. dègti, degù « brûler », passée en slave
à zeg-, v. si. zegç, pour une raison qui n'est plus claire, mais
qui se rattache à un traitement de groupe de consonnes dans
les formes à préverbe razdegç, vuzegç (§ 33). A lit. is-dègti,
uz-dègti ont pu répondre à un certain moment en slave des
formes en *-zd'- palatalisé dont la langue tirait un simple
*g'eg- aussi bien que *d'eg-.
V. tch. kropet «goutte», gén. kropte, puis krapet d'après
krâpati « goutter », itératif de kropiti, et gén. krapte main-
tenu dans la locution do krapte « jusqu'à la dernière goutte ».
Tch. drobei « petit morceau, un peu », gén. drobte en vieux
tchèque, mod. drobtu, et slov. drobèt, gén. drobtà, s.-cr. ancien
drobtina, de drobiti « réduire en morceaux », r. drobit' ; et
tch. drochet par contamination avec trochet en regard' de
trocha « un peu ».
V. si. trûxuti « menue monnaie » est isolé, mais cf. tch.
trochet. Il paraît présenter, comme slov. tfhel « pourri », le
degré réduit de la racine de v. si. trçsiti « dépenser », slavon
troxa «miette», pol. trocha «un peu» (§ 310), etc., avec
infixe nasal *trçx- dans slov. trohnéti « pourrir » en parlant
du bois, c'est-à-dire «s'effriter», s.-cr. tru(h)nuti, slov.
trôhel et r. truxljâvyj « pourri, réduit en poussière ».
Slavon krûxutï «grain, petit morceau», r. krôxot' «parcelle »,
slov. krhèt, gén. krhtà, s.-cr. ancien krhat, gén. krhta, bulg.
krât; pol. krzta « brin, grain » doit être tiré du dérivé *krchcina
passé à des formes variées, krsztyna, krztyna, etc. De la racine
de kruxa « parcelle », r. krochâ, v. si. sû-krusiti «mettre en
pièces ».
V. si. golotï «glace», masc., à lire golûti d'après v. tch.
holet (gén. holti), et le verbe slavon poglutiti sg « se glacer »
(Hamartole) altéré de *pogolutiti se. Le mot devient féminin
en slavon, et le russe a gôlot', fém. D'autres formes, comme
tch. holot, mais dial. holet, sont prises au russe ou au slavon
[189] TYPE EN -l- - 229
!
(Psautier). C'est, au sens de r. gololédica, un dérivé de l'adjec-
tif golu « nu » indiquant la couche de glace mince, le verglas,
sur le sol nu et non sur la neige.
Slavon *kopûtï dans kopûtïnu « fuligineux » ; r. kôpoï
«fumée, suie fine», fém. ; pol. kopec «suie », gén. kopcia, sor.
kopc, tch. kopet, gén. koptu. De la racine de lit. kvëpti, kvepëti
« souffler, exhaler une vapeur », au degré réduit lette kûpêt
« fumer »,. si. kypëti « bouillonner », et répondant' à lette
kvêpi, masc. plur., «vapeur, fumée suie ». Le slave présente
la forme *kwap- passée à *kap-, comme *swa- passe à *sa-
( § 37), tandis que le lituanien la restaure dans kvâpas « vapeur »,
en même temps qu'il développe, en regard du degré réduit
ancien de kûpëti « déborder en bouillant », un degré réduit
nouveau (§ 117) pa-kvipti « se mettre à exhaler (une odeur) ».
SI. Hapuli qui paraît attesté en vieux slave (lapotï) dans
une annotation du Psautier ; r. lâpot' « chaussure de tille »,
gén. lâptja, proprement «pièce (d'étoffe), lambeau», sens de
s.-cr. làpat, gén. làpta. En face de lit. lôpas «pièce (à repriser) »
et lôpyti « rapiécer », r. dial. lâp i f .
V. r. vëxulï, r. véxot' « bouchon de foin, de paille», à côté
de véxâ « jalon » (rnarqùé par une poignée de paille) ; pol.
wiechec, gén. wiechcia, et wiecha, tch. vëchet et vlch, etc. Il
n'y a aucune raison de rattacher le mot à la racine de viti
« tordre » : d'après le germanique, il s'agirait d'une racine
*wis-, *œois-, désignant la « touffe », suédois vese.
Slavon çkutï « crochet », forme en -utï sur le radical de
gr. ô y K o s , lat. uncus, lit. anka « boucle ». '
Ce type si bien représenté comportait naturellement d'autres
mots encore, mais des formes attestées tardivement peuvent
être secondaires :
R. kôgot' « griffe, serre », gén. kôgtja, seulement dans le
groupe russe et avec des variantes. On rapproche h. sor.
kocht « épine », mais on attendrait -c; et v. sax. hacud « bro-
230 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

chet », en face de v. angl. haca « croc ». Il s'agit bien plutôt


d'un mot déformé d'après nôgot' « ongle », et r. dial. kokotôk
« croc de pêcheur » et « phalange » fait penser à une désigna-
tion du « croc », de la « griffe », par emploi figuré du nom
du « coq », v. si. kokolû, pol. ancien kokol.
Pol. klykiec «phalange, cheville», gén. klykcia, de klyk
« tronc, tige » et « jointure du doigt », et pol. kikiec « moignon »,
« pouce » en vieux polonais, à côté de kikut, ukr. kykit' « doigt
rabougri, pouce » et « chicot de bois », de *kyka « souche »,
doivent être aussi faits d'après le polonais nokiec « ongle ».
Pol. (s)plachec, gén. -chcia, masc., et -chci, fém., «morceau,
haillon », pourrait avoir été tiré secondairement de plachta
«pièce de toile» (§ 36), avec une productivité nouvelle et
expressive du suffixe -ec. Pol. pypec « pépie » est emprunté
à l'allemand Pips, ancien pfifiz, du bas-latin pippïta (lat.
pituïta), et pol. dial. krçpec «homme trapu», de krepy «tra-
pu », a une finale -ec qui doit être l'ukrainien -ec', de -ici, pour
pol. -iec. Gomme r. -ot', masc., flotte avec -of, fém., forme
nouvelle du suffixe -ota, des mots,comme pérxol' « pellicule »,
fém., de *pïrxnçli «flotter (en poussière)», v. si. praxu.
« poussière », ailleurs slov. prhût, s.-cr. prhut, masc. et fém.,
ou comme r. dial. mérkot' « crépuscule », fém., de mérknut'
« s'obscurcir », sont d'origine douteuse.

Au suffixe si.-ûiï répond le sùffixe baltique -utis, rare-


ment -utas, qui n'est bien représenté] qu'en lituanien, où il
fournit des dérivés de verbes et de noms et des diminutifs :
sukùtis « toupie » de sùkli «tordre, faire tourner», meskùtis
« jeune ours » de meskà, etc. ; et riesutas, riesutys « noisette »,
de riesas « noix », si. orëxu, avec des traces peut-être anciennes
d'une flexion athématique, plur. riesutes, gén. riesut% en
lituanien oriental. On retrouve *-ut-, avec passage à la flexion
en -o-, en germanique ancien, v. isl. -upr, à côté de formations
parallèles, v. isl. -apr, v. h. a. -id, et l'on a pu comparer,
[190] TYPE EN -es- 231
j
sûrement à tort d'ailleurs, v. sax. hacucl « brochet » et r.
kôgot' « griffe ». Le suffixe *-ut- s'analyse comme élargisse-
ment en -t- de thème en -u-. En balto-slave, c'est un suffixe
tout fait, qui n'a plus de rapport avec les thèmes en -u- ; mais
le rapport ancien se laisse entrevoir en slave dans le cas de
*palut- substitué à *palt- et de *alkui- substitué sans doute à
*ôlkt- sur la base de thèmes *palu-, *alku~.
Le suffixe -t- avait joué un grand rôle en indo-européen et
avait servi abondamment à l'élargissement de thèmes : gr.
-TT)S, gén. -TTJTOÇ et lat. -tâs, gén. -tâtis, lat. -tus, gén. -tûtis, ete.
Le balto-slave le maintenait dans quelques formes anciennes,
*nakt- « nuit » (§174), *desimt- « dix », etc. ; il a continué de
le développer sous la forme -ut-, et le slave lui garde sa flexion
athématique jusqu'au vieux slave, plus tard encore en
tchèque.

Les autres types neutres.


190. Type en -es-, — De ce type, qui disparaît dans la
plupart des langues slaves, et qui a complètement disparu
en baltique (§ 192), la flexion est bien conservée en vieux
slave. Paradigmes nebo « ciel », tëlo « corps » :
singulier pluriel duel
N.-A. nebo nebesa tëlesë, -si
G. ) , . nebesu }
T > nebese, -si , . „ telesu
L. S nebesexu
D. nebesi nebesemu
tëlesïma
I. nebesïmï, -semiï nebesy
Cette flexion athématique de neutre sur thème -es- pré-
sentait la particularité que le nominatif-accusatif singulier
était en *-os, ce qui s'expliquait sûrement dans le système
de l'indo-européen, mais constitue ensuite une anomalie :
gr. yévos « naissance, race », gén. yéveos, ysvous, de *-esos,
232 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

lat. genus (v. lat. -os), gén. generis, de *-eses. L'anomalie


n'apparaît pas dans le type animé parallèle en-ës, cas obliques
-es-, de gr. âÀr|ôf|s «vrai », masc. et fém., gén. àÀr)0éos, -0oOç,
et neutre dÀr|6és. Ellle n'apparaît pas en hittite : nepes « ciel »
en regard de gr. vécpoç, comme gén. nepesas, gr. vécpsoç. Elle
devait tendre à s'éliminer : lat. corpus « corps », gén. corporis
d'après nom.-acc. *-os. Mais tandis que le baltique, perdant
le neutre, a refait lit. debesis sur les cas obliques, le slave a
maintenu solidement le nominatif-accusatif en -o, de *-os,
qui rejoignait son type neutre en -o, de *-od, pris à la flexion
pronominale, et ses normalisations se sont opérées dans une
autre voie, en dehors de quelques développements spéciaux
comme tch. nebe, bulg. nebé. Au locatif, au datif et à l'instru-
mental pluriels, et au datif-instrumental duel, les désinences
du type en -i- du slave, comme dat.-instr.-abl. -ibus du latin,
sont substituées à d'anciennes désinences athématiques, en
sanskrit loc. -ahsu, instr. -obhih de *-as-bhih, etc., en grec
yévsCTci, yévscri, hom. opsucpi de ôpoç « montagne ».
Le type neutre en -es- était resté productif en balto-slave,
comme dans les langues indo-européennes à date ancienne.
Cette productivité présente à l'époque du vieux slave l'aspect-
d'une extension dans le type des neutres en -o-, c'est-à-dire
d'une contamination du type en -es- avec le type normal des
neutres, qui prélude à son élimination. L'élimination a été
générale dans lés langues slaves, sauf en polabe et en slovène,
et les données de ces deux langues, ailleurs quelques données
isolées, s'ajoutent à celles du vieux slave.
Deux mots seulement sont sûrement'de vieux thèmes indo-
européens en -es- :
Y. si. nebo « ciel » est le seul mot à garder partout des
traces de la flexion ancienne (§ 192) : r. nébo, plur. nebesâ;
pol. niebo, plur. niebiosa et nieba ; polabe neby (de nebo),
gén. sing. nibesgo (de *nebesja) ; sor. njebo et nebjo, plur.
njebjesa ; tch. nebe, plur. nebesa ; slov. nebô, plur. nebÇsa ;
[191] EXTENSION DU TYPE 233
j
s.-cr. nëbo, plur. nebèsa ; bulg. nebé, plur. nebesd. En regard
de lit. debesis « nuage », fém. et masc., lette dëbess «ciel»,
fém., et debesis «nuage», masc., et de gr. vé<pos «nuage»,
skr. ndbhah, hitt. nepes « ciel ». Il est visible que ce nom du
« ciel » était en balto-slave celui de la « nuée », et l'on a pour
« ciel » un autre mot dans v. pr. dangus, lit. dangùs, en face
de dengti « couvrir », cf. si. dçga « arc-en-ciel », r. dugâ « arc ».
Le sens de « ciel », influencé par la langue religieuse, est tiré
de locutions comme si. su nebesu; proprement «des nues».
Et peut-être la substitution mal expliquée de d- à n- en letto-
lituanien aurait-elle son origine dans une dissimilation après
des prépositions comme lit. nub « de », ani « sur », | « dans »
(avec mouvement) : on a des exemples en lituanien et en lette
d'une dissimilation en nd, Id de consonnes longues nn, II.
Le mot devait être en regard d'une racine verbale : cf. gr.
CTuvvscpco « se couvrir de nuages » avec un parfait csvvvévocpoc,
et lat. nimbus à côté de nebula, qui paraît tiré d'une forme
verbale à infixe nasal.
V. si. slovo. « parole, mot », gén. sing. slov es e (et s lova).
Cf. av. sravah- « mot, réputation », skr. çrâvah « gloire »,
gr. KÀé(/ : )os, en regard de v. si. sluti, slovç «être réputé»,
v. r. sluti, tch. slouti « se nommer », lette sluvêt « être renom-
mé », gr. KÀéopoci «être appelé, célébré».
Ces deux mots présentent le vocalisme radical -e- qui était
caractéristique du type en -es- (slovo de *slew-, § 48) : gr. [3a0ûç
« profond » et |3év0os « profondeur ». Il n'en est plus tenu
compte dans les formations plus récentes : gr. (3â0os.

191. Extension du type. '— Dans tous les mots suivants,


l'ancienneté de la flexion en -es- doit être discutée :
Y. si. oko « œil », uxo « Oreille », gén. ocese, usese, voir
§ 193.
Slov. o/l «timon», gén. ojçsa, s.-cr. ô/e, tch. oj, ancien
et dial. oje. La flexion en -es- n'est attestée que par le slovène,
234 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

mais il s'agit d'un mot ancien : lit. lena, gr. OÏOCK-, oîrjiov
« (timon de)' gouvernail »,; skr. ïsâ, hitt. hisas. On restitue un
thème à degré réduit i.-e. *ihs- d'après le sanskrit, en regard
de his- du hittite, et un thème à degré fort *oihs- pour le
grec. Le slave ojes- s'explique comme oces- en regard de skr.
aks-, comme lit. mënes- de *mëns- ( § 175), par passage secon-
daire au type en -es-. Le thème i.-e. *oihs- devenait ainsi
*oih-es-, et c'est sur ce thème nouveau *oih-, avec maintien
de l'intonation rude, balto-slave *âi-, que le lituanien a bâti
son dérivé iena, analogue au dérivé postérieur çjnica du
slovène.
V. si. celo «front», gén. cela, mais le mot est peu attesté
en vieux slave, et seulement au singulier ; polabe ziilî (de
celo), passé au sens de « joue », duel zùlisay (de *celesi),
mais slov. célo, gén. cela. La forme polabe, bien qu'isolée, doit
être prise en considération, car l'adjectif est celesXnu. « prin-
cipal », en slavon, et un dérivé celesïn-, ou plutôt celesn-
(cf. ci-dessous lozesnà) est attesté ailleurs avec garantie d'an-r
cienneté : r. dial. celesnlk « bouche du poêle, pecnôe celo »,
h. sor. celesno, v. tch. celesen, slov. ëelçshjak (celêsnik, cel'êsnik)
« rampe et banquette du poêle », et pol. czelusnik par substi-
tution à czolo de czelusc «bouche du poêle» (v. si. celjuslï
« mâchoire »). Il semble bien que celo soit un dérivé en -es-
de la racine *kel-, *sel-, de lit. kélti « élever », si. *selme
«poutre faîtière» (§ 186).
SI. pero « plume », dont le vieux slave ne présente que le
dérivé perinalu « garni de plumes », ce qui n'atteste pas du
tout un thème en -es- ; mais slov. perd, gén. perÇsa, polabe
perise, plur. (de *peresa) et perissây (de *peresi, ancien duel),
pourraient conserver la flexion primitive. Il n'est pas impos-
sible que le mot, dont la ressemblance avec gr. uTspôv « plume,
aile » paraît fortuite, et dont le rapport avec; lit. spafnas
« aile » est mal déterminable dans l'état de confusion des
racines *per- et *sper- en balto-slave, soit un dérivé assez.
[191] EXTENSION DU TYPE 235
j
ancien en -es- de la racine de v. si. pere- « il vole », r. parti'
« voler, planer ».
Y. si. isto a rein, rognon, testicule », plur. islësa, duel istesë,
et aussi istë en slavon ; un vieux-russe ijestesë n'est qu'une
faute de copiste. Le mot a disparu dans les langues slaves,
remplacé de bonne heure par bubrëgû, emprunt au turc, dans
les langues méridionales et en slavon, d'où r. bubrég, ailleurs
par d'autres termes. Il n'a laissé que son dérivé obistije
«région autour des rognons, reins» dans-slov. obîsl, fém., et
ce dérivé n'indique pas un thème en -es-. Le baltique a lit.
inkstas, lette îkstis (plur.), v. pr. inxcze, par contamination
avec un autre mot, lit. jscios « intestin » (fém. plur.), lette
ieksas, qui doit être un dérivé en *-iyo- de la préposition *in-
« dans ». Le vieil islandais eista «testicule» présente une
initiale *ai- différente de celle du slave, mais peut conserver
la flexion ancienne, celle d'un neutre en -o- et non en -es-.
V. si. dëlo « acte », gén. dëlese, mais ordinairement dëla, et
v. slov. *delese, gén. (écrit" telese). C'est un dérivé en -lo de
la racine de- de dëjati « agir », et ici il est net que les formes
en -es-, qui né se sont pas maintenues dans les langues slaves,
sont secondaires et dues à l'imitation de slovo, gén. slovese,
en raison de l'union des deux mots dans des locutions comme
v. si. dëlesy i slovesy « en actes et en paroles ».
V. si. tëlo « corps » et « image, statue », gén. telese, ordinai-
rement tëla. Ici, la flexion en -es- est attestée dans plusieurs
langues slaves : slov. telô, gén. ielçsa, etc., et par son dérivé
v. si-, tëlesïnu « corporel », r. ielésnyj. Mais le mot, à première
syllabe d'intonation douce (s.-cr. tïjelo), n'a pas l'aspect d'un
substantif ancien en -es-. S'il est d'origine slave, il ressemble
plutôt à un dérivé en -lo, comme dëlo, mais le rapport avec
la racine të- de r. zatéjat' « susciter » n'est pas évident, non
plus que l'ancienneté de cette racine verbale qui n'apparaît
que dans le groupe russe.
V. si. drëvo « arbre, bois », gén. drëvese, ordinairement drëva.
236 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

Ici aussi, la flexion en -es- se retrouve dans d'autres langues


slaves. Le lituanien a dervà « bois résineux », féminin singu-
lier qui pourrait provenir d'un pluriel neutre. C'est un dérivé
*derw-, connu aussi en germanique et en celtique, de la racine
du vieux mot anomal *dru-, si. drûva (plur.) «bois » (§ 159),
et rien ne fait supposer une flexion en -es- primitive.
Y. si. crëvo «ventre», gén. creva, adj. crëvïnu, mais aussi
gén, crëvese en slayon, et slov. crèvô, gén. ërèvqsa. .Le mot ne
paraît pas séparable de craur « soulier » (§ 146), e'est-à-dire
qu'il a dû désigner une « peau », la peau du ventre des animaux
ou le ventre comparé à un sac de peau. Ce serait donc un
dérivé de la racine *(s)ker- (§ 31) de kora « écorce » et skora ~
« peau » (r. skord et usuellement skûra, de pol. skôra) : soit
avec le suffixe -vo, soit plutôt continuant un ancien neutre
en -u-, comme *stïrvo, *stïrvï «charogne» (§ 171).
V. si. cudo « miracle », gén. cudese et cuda. Sûrement de
la racine de cuti «sentir», gr. Ko(f)éco «je remarque», mais
sans parallèle baltique, et la formation n'est pas claire. On
peut supposer un abstrait en -es- sur un élargissement cud-,
qui serait le thème d'un présent en -de-, i.-e. *-dhe-, à côté
du présent en -je-, cuje-, de eu-. Un rapprochement avec
gr. KUSOS « gloire » n'est qu'un trompe-l'œil.
V. si. divo « merveille », plur. divesa, et ukr. dyvo, dyvesd,
mais à côté d'un masculin divu, et il s'agit visiblement d'un
postverbal de diviti sç « admirer » qui a subi l'influence de
cudo. Entre diviti s g, divu, et le nom du « dieu » en balto-slave,
lit. diëvas, que le slave a remplacé par bogu emprunté à
l'iranien (§ 3), un lien est probable, mais ne peut plus être
précisé.
V. si. Ijuto « chose cruelle », gén. Ijutese. Ce ne doit être
qu'une flexion secondaire de l'adjectif neutre adverbialisé
Ijuto, Ijutë (§ 318) «cruel, malheur à», de même que v. si.
gorje « le pis, malheur à », comparatif fixé, a donné le subs-
tantif r. gôre « malheur », gén. gôrja.
[191] EXTENSION DU TYPE 237
I
Y. si. kolo « roue » gén. kolejse, avec distinction au pluriel
de kolesa « roues » et de kola « char », plurale tantum ; d'ailleurs
à côté du dérivé kolesnica « char », qui doit garder le suffixe -n-
remplacé ordinairement par -in-, et être ancien. La flexion
en -es- est bien attestée dans les langues slaves : slov. kolô,
gén. kolçsa, s.-cr. k'ôlo, plur. kolèsa, et v. r. et dial. kôlo,
r. mod. kolesô d'après plur. kolesà, de même h. sor. kolo et
koleso, et bulg. kolelô (§ 192). Mais le pluriel kola « char » est
attesté tout autant : polabe tgéla, slov. kola, s.-cr. kola, bulg.
kolâ ; et v. tch. kola, mais aussi kolesa, forme qui, empruntée
par l'allemand comme d'autres termes de civilisation de la
Bohême du xiv e siècle, a donné Kalesche, d'où fr. « calèche ».
Le vieux prussien a kelan « roue », confirmé par le lette duceles
«voiture à deux roues», fém. plur. (§ 303), et répondant à
v. isl. huel, neutre. Il y avait en balto-slave, commè en germa-
nique, un autre nom de la « roue », lit. ratas (plur. ratai « char »),
lette rats, v. h. a. rad, lat. rota. Le vocalisme radical de si. kolo
est remanié : le slave, "qui a celo « front » de la racine *kel-
« élever », a réservé à l'idée de « roue », de « cercle », la forme
kol- que lui fournissait le verbe dérivé o-koliti « encercler »,
avec son postverbal okolû « circuit ». Pour la flexion primitive,
c'est la forme isolée kola « char » qui la garantit le mieux, et
la flexion en -es- doit résulter du souci de distinguer kolesa
« roues » de kola.
V. si. igo « joug », plur. izesa en slavon ; slov. igô, gén. iz^sa,
et, avec perte de l'alternance consonantique (§ 111), igçsa et
son dérivé igçsarica « chaîne reliant le joug et le timon »,
De *jïgo, lat. iugum (§ 63), lit. jùngas d'après le verbe jùngti
« atteler ». Il est inutile de supposer une contamination en
slave de deux mots différents, gr. juyôv et jsuyos, lat. iugum
et iûgera, plur. : le pluriel izesa doit être simplement analo-
gique d'autres pluriels, comme ojesa de oje « timon ».
Slavon tçgo « courroie du joug », gén. tqzese, sur la racine
de tçgnçti « tendre ». Ce mot n'est conservé en slave que dans
16
238 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

un exemple (instr. sing. tçzesemï), comme, de la racine *ten-,


le mot lânas- en védique, qui lui a un correspondant dans
lat. tenus «lacet tendu», gén. tenoris. • •
V. si, runo « toison », plur. runesa en slavon, mais non
confirmé par slov. rùno, gén. runa. Ce doit être un dérivé de
la racine de ruvati « arracher ».
V. si. lice « visage », gén. licese, mais pour l'usuel lica. La
flexion en -es-, inconnue dans les autres langues slaves, est net-
tement analogique de celle d'autres mots comme celo « front »,
gén. *celese. Le mot, qui présente un thème *llk- à *-ï- ancien
( § 19), doit être un emprunt au germanique, got. leik « corps »,
neutre, adj. -leiks « de l'aspect de ». L'accent r. lied, cak. lïce,
est celui de r. vinô « vin », cak. vînô. On peut y reconnaître
un procédé d'adaptation en oxytons à voyelle radicale longue
de monosyllabes germaniques à voyelle longue, got. wein, v. h.
a. wïn, le type oxyton cak. kril'ô « aile » étant beaucoup plus
représenté que le type paroxyton cak. mêso «viande». Avec
un hiasculin, on a de même r. korôl' «roi», gén. koroljâ, cak.
krdlj, gén. krâljâ, de germ. Karl (§,3) ; l'accent différent de
s.-cr. Vlâh (§ 70) indiquerait que lè mot a été pris au pluriel,
v. h. a. Walha « Welches ».
Le polabe et le slovène fournissent d'autres mots encore
à flexion en -es- : polabe sweni «jante», de *zveno (§ 202),
plur. swenêssa de *zvenesa ; slov. bédro « cuisse », plur. bédra
et aussi bedrésa, uljê « abcès », plur. uljÇsa. Mais slov. uljê
est le polonais ul « fistule » : c'est proprement le nom de
la «ruche», de si. ulii (§ 146), désignant un tronc creusé
de trous. Le type en plur. -esa du polabe, gén. sing.
et plur. -esa du slovène, se maintenant dans ces langues,
s'est étendu. Le polabe en apporte un bel exemple dans la
flexion de ramang ( = ramç) « épaule, bras », duel ramenay
(— rameni), et plur. ramenêssa, avec superposition de -esa
au pluriel ramena. En vieux slave et en slavon, une autre
[198] LIMITATION DU TYPE 239
I
preuve de l'extension secondaire du pluriel en -esa est qu'il
apparaît en regard de singuliers masculins :
Y. si. sluxu « ouïe », postverbal de slysati « entendre »,
slusati « écouter », plur. slusesa en slavon : il n'y a pas lieu
de poser un singulier *sluxo, mais slusesa est analogique de
usesa, pluriel de uxo « oreille ».
Y. si. udu « membre », pluriel udesa en slavon, sûrement
d'après des pluriels comme tëlesa «corps». Un neutre udo"
n'apparaît pas ancien : le polonais udo «cuisse» succède à
masc. ud. En serbo-croate, si ûd a connu un pluriel uda à
côté de ûdi, mod. ùdovi, le neutre singulier ûdo « bande de
viande qu'on fume », en regard de ùdili « découper la
viande », laisse supposer une contamination de si. udu, qui
doit être de la racine balto-slave *aud- de lit. dusti « tisser »,
arm. y-aud « lien, membre », et du factitif *çditi « fumer la
viande», pol. wçdzic, tch. uditi, de vç(d)nçti «se faner».
V. si. granu « verset„», plur. granesa en slavon, avec une
autre forme masculine granesï qui résulterait d'un croisement
exceptionnel du masculin granu et du pluriel granesa. L'his-
toire du mot est assez confuse, ce qui indique que de bonne
heure il n'était plus que livresque. Mais au singulier la forme
slavonne ancienne est granu, et un neutre grano ne peut être
que tardif. Le slovène grdno « vers », gén. granesa, est artificiel,
les termes réels étant vêrz et stîh. Mais on ne peut pas séparer
v. si. granu du neutre sor. grono, hrono « parole, sentence »,
qui est en regard du verbe b. sor. gronis «parler», polabe
kgôrnei, de *garniti (§ 70). Il doit s'agir d'un dérivé de la
racine de skr. grnâti « il chante, il loue », av. gar- « (chant de)
louange», qui est représentée en balto-slave par lit. gïrli
«louer» et v. si. zruti «sacrifier», ce qui s'explique par
un emploi religieux de cette racine. Ce doit être un mot
ancien qui n'est plus conservé qu'en vieux slave et dans
une partie du slave septentrional, mais il a été soumis
à l'influence de slovo « parole », et son pluriel granesa doit
240 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

s'être modelé sur slovesa. Il ne saurait garantir en slave la


conservation d'un suffixe -nés-, élargissement de -es-, qui
apparaît en indo-iranien et dans lat. uolnus « blessure », gén.
uolneris ; pas plus que le slavon runes-, et encore moins le
polabe *zvenes-. On a un mot différent dans le slavon granï
« chapitre », proprement « arête, limite », r. gran', granîca.
Le pluriel v. si. divesa « merveilles » est en regard d'un
singulier divu ou divo, et l'on doit partir de sing. divu, avec
divesa d'après cudesa, et aussi divo d'après cudo.

Ainsi l'on n'identifie en slave, comme représentants sûre-


ment anciens du type en -es-, que deux mots, nebo et slovo :
tous les autres, assez nombreux, sont d'ancienneté plus ou
moins discutable, très probable pour quelques-uns, ou sont
franchement des nouveau-venus dans le type. C'est ce qu'on
peut attendre d'un type resté longtemps productif, mais
qu'on n'atteint qu'à date tardive, au moment de sa décadence,
quand la productivité n'est plus celle d'une formation
suffixale, mais, comme pour les thèmes en -u- et en -i-, de
désinences caractéristiques. Ce qui est sur, c'est que le type
a été un moment très représenté en slave. On en retrouve
d'autres vestiges.
Pol. ancien plo, mod. ploso (dial.) d'après plur. plosa,
désignant l'« endroit profond d'une rivière », et r. plëso « endroit
large d'une rivière », tch. pleso ; le mot se rencontre ailleurs
dans des toponymes. Il suppose *pïlo, gén. *pïlese, forme en
-es-, au sens de « plein (d'une rivière) », de la racine *pil- de
lit. pilti « emplir », que le slave ne conserve autrement que
dans l'adjectif *pïlnu «plein» et ses dérivés (outre polû,
§ 160).
Y. si. lozesna « matrice », pluriel neutre, en regard de loze
« couche, lit », qui désigne aussi la « matrice » ou le « délivre »
en vieux tchèque, en slovène et en bulgare, et cf. pol. tozysko
« délivre, placenta ». Cette formation en -n-y comme dans
[192] ÉLIMINATION DU TYPE 241

kolesnica «char», et non en -ïn-, est ancienne. On peut


admettre ici, de la racine verbale de lezati « être couché »,
loziti «coucher, placer», r. lozit'sja «se coucher», deux dérivés
différents, loze à suffixe *-yo-, et un dérivé en -es- répondant
à gr. Àéxos, ces deux formations ayant confondu leurs voca-
lismes en slave.

192. Élimination du type. — En baltique, on n'en retrouve


les vestiges identifiables que dans lit., debesis « nuage », avec
passage au type féminin en -i- ou masculin en -yo-, mais avec
conservation de la flexion athématique dans gén. plur. debesq,
et nom. plur. debeses en vieux lituanien, et de même lette
debess «ciel», fém., gén. plur. debesu ; et dans lit. mënesis
«lune, mois» (et mënuo), lette mëness, mënesis, qui est un
masculin *mëns- passé au type en -es- (§ 175). Mais le type
se continue en letto-lituanien sous la forme d'un suffixe -esis,
ainsi lit. kaïbesis « parole » de kalbëti « parler ». Ici, il n'est
plus possible de reconnaître ce qui est productivité nouvelle
du suffixe et ce qui serait conservation de mots anciens en
-es-, mais lette puvesi «choses pourries, pus », masc. plur.,
lit. puvësiai, avec -ësis secondaire de -esis, en regard de lit.
pûti, puvù « pourrir », répond bien à gr. TTÙOÇ « pus », lat. pus,
gén. pûris. Le nominatif anomal lit. mënuo pourrait indiquer
qu'en raison du parallélisme des deux flexions en -es- et en
-en-, acc. mënesi comme âkmeni de akmuô « pierre », les langues
baltiques ont connu un certain flottement entre les deux
flexions, de l'ordre de celui qu'on observe en serbo-croate et
en bulgare entre les flexions neutres en -es- et en -çt- (voir
ci-dessous).
Dans les langues slaves, le type en -es- se conserve en
polabe et en slovène, avec, comme il est normal, passage de
la flexion athématique à la flexion en -yo- au singulier en
polabe, et à la flexion dure en -o- en slovène :
Polabe neby (= nebo), gén. nibesgo (= *nebesja), loc.
242 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

nebisgây (= * nebesju), instr.' nebisgoâm (— * nebesjem) ; et


plur. witsêssa (= ocesa), waussêsa (= usesa), sliwêssa (= slo-
vesa), swenêssa (== *zvenesa), perise et duel perissây (= *peresa,
*peresï), duel zûlisay (= *celesi), et le pluriel très secondaire
ramenêssa (— *ramenesa pour ramena).
Slov. okô, gén. ocêsa, et de même gén. usésa, slovésa, télçsa,
drevçsa, kolçsa, cûdesa (usuellement cuda), crevêsa, izesa
(ig%sa), ojësa, perçsa, uljçsa, outré granesa qui est livresque;
et nebô, gén. nebâ, plur. nebçsa, bédro, plur. bedrçsa
(usuellement bédra). Comme le neutre slovô est passé au
sens de « congé, adieu », le slovène, qui garde le verbe
v. si. sluti sous la forme slovéti « être renommé », a refait sur
le thème sloves- un masculin s loves « renommée ».
Dans les autres langues, la flexion en -es- disparaît complè-
tement au singulier, selon une tendance qui s'accuse dès le
vieux slave, où la flexion courante est du type tëlo, gén. tëla,
etc., plur. lëlesa, etc., et il ne se conserve qu'un très petit
nombre de pluriels en -esa, avec normalisation de la flexion
selon le type dur. Ce ne sont que quelques pluriels spéciaux
à élargissement -es-, et sur lesquels, dans certains cas, a été
créé un singulier -eso. Le slave, en dehors du polabe, n'a pas
tiré du type en -es- une caractéristique de pluriel, comme
l'ont fait des langues à flexion réduite, le germanique occi-
dental, v. h. a. lamb « agneau », plur. lémbir, ail. Lamm,
Làmmer, et une partie du roman, roumain limp «temps»,
plur. timpurï, v. ital. fuoco « feu », plur. fuocora. En bulgare,
après la ruine de la déclinaison, c'est la formation productive
en -eta qui assumera ce rôle (§ 195).
En russe, il ne subsiste du type que deux slavonismes :
nébo, gén. néba, etc., plur. nebesâ, gén. nebés, loc. nebesâx, etc.,
et cûdo, plur. eudesd. Le é de nébo, en face de nèbo « palais
(de la bouche) », et celui de gém plur. nebés, indiquent la
prononciation d'Église (§ 48). L'ukrainien a en plus dyvo,
plur. dyvesâ. Mais la langue populaire connaissait des formes
[192] ÉLIMINATION DU TYPE 243

en -es-, et elle présente tëlesâ au sens de «chairs», et aussi


slovesâ. Pour kôlo, plur. kolesâ, il a été remplacé par kolesô,
plur. kolësa (§ 222), et cf. plëso.
En polonais, on ne trouve plus dès le vieux polonais que
niebo, plur. niebiosa à côté de nieba, avec un singulier dia-
lectal niebioso. Le mot est semi-savant, comme le montre la
forme niebie du vieux polonais, prise au tchèque.
Le sorabe a njebo, et nebjo comme, tch. nebe, plur. njebjesa,
et koleso à côté d e kolo.
En tchèque, on n'a plus, comme en polonais, que nebe,
plur. nebesa. La forme nebe, par unification sur le thème ne-
tas-, est déjà celle du vieux tchèque, entraînant une flexion de
neutre du type mouillé : gén. sing. nebë, dat. neb'u, mod. nebe,
nebi ; mais le slovaque a nebo, gén. neba. De kolo «roue»,
des formes en -es- s'étaient conservées, amenant le passage
de kola «char» à kolesa et la création d'un singulier koleso.
En tehèque moderne, koleso est un russisme pour kolo, et
tëleso, sloveso «verbe» sont des formes savantes tirées des
adjectifs iëlesny, slovesny, pour tëlo, slovo «mot ».
Le serbo-croate a nëbo, cudo, plur. nebèsa, cudèsa et cuda,
qui sont semi-slavons comme en russe ; et en outre, régiona-
lement, tïjelo, plur. tjelèsa (usuellement iïjela), k'ôlo, plur.
&o/èsa. On trouve des singuliers ëudeso, tëleso, koleso en serbo-
croate, ancien et dans des parlers modernes. Plus répandu
est Mo, plur. usësa à l'ouest, à l'est uvo, plUr. uvèla, dans
l'aire de disparition de h (§ 10). La substitution à -ësa de la
forme productive -ëta se retrouve, et au singulier, dans la
flexion anomale du nom de l'« arbre », drvo, gén. drveta, etc.,
plur. drvëta, etc. : drvo est pour dial. drïjevo, v. si. drëvo,
d'après le plurale tantum drva «bois», v. si. druva, et la
forme *drves- pour v. si. drëves-, antérieure à drvet-, est
conservée en bulgare. , .
Le bulgare a nebë, plur. nebesd, avec le singulier nouveau
nebë substitué à nebo depuis le x v n e siècle ; cudo, plur. cudesd,
244 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

et, plus populaire, dârvô, plur. dârvesâ et dârvéta. D'autre


part, la forme curieuse kolelô « roue » usuelle pour kôlô, avec
un pluriel kolelâ et kolelêta, doit s'expliquer comme une
réfection, avec le suffixe -lo des synonymes târkalô et tocilo,
sur un thème kole- tiré de koles-, et vraisemblablement
comme un remaniement d'une flexion *kole, plur. *kolesa,
puis *kolela, comme nebé, nebesâ.

193. Flexion de oko, uxo. — Le slave présente un parallé-


lisme rigoureux dans la flexion anomale des noms de l'« œil »
et de l'« oreille » : en vieux slave sing. oko, uxo, gén. ocese,
usese, plur. ocesa, usesa, et duel oci, usi, gén.-loc. ociju, usiju,
dat.-instr. ocima, usima. Les duels oci, usi, anciens neutres,
sont traités comme féminins, les neutres en -i- ayant disparu
(§ 166), et l'accord, dans des groupes comme oci moi «mes
(deux) yeux », indiquant aussi bien un féminin qu'un neutre,
et excluant seulement le masculin (moja). Mais ils diffèrent
des féminins en -i- en ce que leur datif-instrumental est en
-ima, et non en -ima comme dans le type général nostï, nom.-
acc. duel nosti, dat.-instr. nostïma (§ 164). Dès le vieux slave,
ces duels sont couramment employés à la place des pluriels,
et ils deviennent les pluriels de oko, uxo dans toutes les langues
slaves, y compris celles, sorabe et slovène, qui ont gardé le
duel (§ 214). '
En baltique, il y a également parallélisme dans les deux
mots, mais avec d'autres formes : lit. akis, ausls, fém., lette
acs, àuss, et v. pr. ackis (nom. plur.), âusins (acc. plur.).
Ces formes sont tirées des duels, lit. aki, ausi, mais la norma-
lisation de la flexion, complète en letto-lituanien (pour gén.
plur. lit. austy, voir § 174), ne l'était pas en vieux prussien,
qui opposait aux pluriels aki-, ausi-, des singuliers en nom.
agins, ausins. La finale -ins est celle des thèmes en -n- (§ 184),
et la forme agins offre un -g- qui ne s'explique que par
*akn- (§ 39). Le baltique et le slave, ont donc en commun des
[193] FLEXION DE oko, uxa 245
!
duels *akï, *ausï, mais ils divergent au singulier, *akn-,
*ausn- en baltique d'après le vieux prussien, et *akes-, *auses-
en slave. L'état dans les langues indo-européennes est plus
compliqué encore.
Pour le nom de l'« œil », on a véd. âksi, gén. aksnâh, neutre,
duel aksi, et av. asi. Il semble qu'on ne puisse pas séparer de ces
formes celles du hittite, sakwa « yeux », et sakwis « source »,
gén. sakuniyas. La source est souvent appelée « œil » : hébreu
'ain, s.-cr. ôko, lit. akïs « trou d'eau », etc., et une métathèse
de s est concevable dans sakun- pour *akusn~. Mais ces formes
en -s- et -sn- sont des élargissements d'un mot plus court
*oku-, okw- : lat. oculus ; et ce mot était un athématique
*8kw- : gr. WIF « vue, visage », gén. ÇOTTÔS. Son duel était
*okmï, conservé dans le grec homérique œcrcre, de *okwy- avec
superposition de la caractéristique nouvelle -s du duel athé-
matique en grec (§ 180), et dans le balto-siave lit, akl, si. oci.
Le thème en -s- que le védique étend au duel et que le sanskrit
généralise (an-aksàh «aveugle ») se retrouve dans le verbe
skr. iksate « il regarde », et paraît être celui d'un verbe à
présent en *-se-, hitt. -sa-. C'est sur ce thème élargi qu'a été
bâti le neutre singulier en -n- du védique, et la formation
doit être très ancienne d'après le hittite. Ceci, avec le duel
sur thème plus court, donnait une flexion anomale, et que
déjà le védique remanie.
Là où *okw- se maintenait au duel, un thème de singulier
*okw-sn- devait se simplifier en *okw-n-. C'est le cas en
baltique, v. pr. *àkn~. C'est le cas sans doute aussi en ger-
manique, où got. augô, neutre, gén. au gins, de *augn-, peut
s'expliquer par *agun-, de gén. *okwnés, etc., donnant-
*augn- d'après *ausn- «oreille», got. auso. Mais le slave
oces- représente *okws- passé au type en -es- (§ 191), avec
*aks- (§ 10) devenant *akes- par le jeu ancien de l'alternance
*s : s. Il ne serait pas impossible que le slave ait connu aussi
*okwn-, et que le mot okuno «fenêtre», r. oknô, etc., dont
246 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

la forme est garantie par l'emprunt finnois akkuna, conserve


de quelque manière le souvenir de ce thème, avec une forme
*akun- qui répondrait bien à *okwn- (§ 73). On ne peut que
restituer très approximativement pour le balto-slave une
flexion flottante *okws-, *aks-, d'où *akes-, et *okwn-, *akn-,
sans doute d'un plus ancien *okmsn-, avec duel *okwï, *akï.
Pour le nom de l'« oreille », les correspondances sont av.
usi, duel, avec u- initial et non *au~; lat. auris, sûrement
refait sur un duel, comme lit. ausis sur ausi; gr. o5ç, gén.
hom. ovfcrros, non sans variantes ; got. ausô, gén. ausins.
Elles ne permettent pas de retrouver la forme et la flexion
primitives, qui étaient sûrement différentes de celles du nom
de l'« œil » : c'est plus tard que les deux flexions se sont
modelées l'une sur l'autre, en balto-slave et en germanique.
On doit penser à un ancien athématique, avec un duel *ausï
(*ou-, u-) parallèle à *okmî. Le slave a bâti uxo, usese, sur
oko, ocese. L'élargissement en -n- du grec (oùocros de *ousn-)
et du germanique se retrouve dans le vieux-prussien ausins,
nom. sing., qui indique que, comme pour le nom de l'œil et
sans doute à son imitation, le baltique a opposé un singulier
*ausn- au duel balto-slave *ausï. Ceci peut expliquer la
forme ausis du lituanien, sans le s régulier après u et que
présente le slave uxo, si le passage de s à *s n'a pas eu lieu en
balto-slave non seulement devant occlusive (§ 10), mais
aussi devant n, les exemples contraires comme si. sûxnçti
« sécher », secondaire du thème sux-, ne prouvant évidem-
ment rien.
Le duel neutre *okwï, véd. aksï, isolé de son singulier, ne
relevait plus d'une flexion régulière, et il a servi de modèle
à *ausï. Les cas obliques ont été construits sur la base du
nominatif-accusatif : le védique a gén.-loc. aksyôh, dat.-instr.-
abl. akstbhyâm, et l'avestique asibya, usibya. Le slave a de
même dat.-instr. ocima, usima, à part du type en -i-, tandis
que les génitifs-locatifs, v. si, ociju, ocïju e t usiju, usïju, ne
[194] ' TYPE EN -çt- < 247
l
se distinguent pas de nostiju, nostïju. La forme oci sert de
premier terme-de composé dans ocivistï (§ 320).

194. Type en -gf-. —- La flexion est en vieux slave (atroce


«petit enfant», de otroku «enfant») :
singulier .pluriel duel
N.-A. otroëç otrocqta ( olrocetë,-li)
G. otrocçle otrocçtu
( olrocqtu )
L. otrocçte, -ti otrocçtexu
D. olrocçti otrocçtemù
otroëçtïma
I. olrocqlemï olrocety
On n'a pas la flexion complète en vieux slave. Mais au
nominatif-accusatif duel la désinence *-çlë est attestée par
v. tch. -ëtë, la désinence *-gfi par v. pol. -(i)çci, polabe -angtai,
-antei, b. sor. -jesi, le slovène -eli pouvant avoir les deux
origines ; au génitif-locatif duel, *-gfu par v. r. -(j)alu, v.
tch. -alu. Le datif-instrumental duel -etïma est confirmé par
v. tch. - aima et slov. ancien -etma, l'instrumental pluriel
-qly par v. tch. et tch. littéraire -aly (tch. parlé -'atama, § 142),
v. pol. -içiy, etc.
Le type en -g£-, qui est un type sufïixal désignant des êtres
jeunes, est de productivité illimitée : r. Kitâec « Chinois ».
Kitajcâta (plur.) « petits Chinois ». S'il n'apparaît pas très
abondant dans les textes vieux-slaves, c'est qu'il appartenait
surtout à la langue familière. C'est d'autre part que le suffixe
-gt- de diminutif est concurrencé par d'autres suffixes, v. si.
-istï, -ïcï, -enïcï (-ënïcï, § 183), pol. -afc.'le vieux slave présente
agnïcï « agneau » bien plus souvent que agne, kozïlistï
« chevreau » à côté de kozïlç. Le suffixe peut prendre aussi
une certaine valeur de singulatif (§ 212) : v. si. ovïcç est
«un mouton», en face de ovïca «brebis, mouton», qui s'em-
ploie surtout au pluriel. Du pluriel collectif défi « enfants »
(§ 211), le singulier est en vieux slave dëtisiï, ou encore
248 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

otrocç; une forme dëte devient ensuite fréquente en slavon,


et est courante dans les langues slaves. Cette concurrence de
plusieurs suffixes, des oppositions assez fuyantes de singulatif
et de collectif, relèvent du vocabulaire, mais peuvent prendre
un aspect morphologique fixe. C'est ainsi que dans plusieurs
langues la flexion des noms en -çt- devient flexion supplétive,
avec le singulier ou le pluriel fournis par des types suffixaux
différents. En vieux slave, le type en -g apparaît plutôt au
singulier, et le pluriel est rare : on trouve sing. kozïlç, mais
plur. kozïlisti. Ceci est sans rigueur, mais marque une tendance
qui aboutira en macédonien moderne et en serbo-croate.

195. Traitement dans les langues slaves. — Le tchèque, et


jusqu'au tchèque parlé moderne, (mais voir § 207), conserve
remarquablement la flexion athématique au singulier, suppo-
sant à une flexion du type dur au pluriel, et avec alternance
vocalique (§ 66) : v. tch. îelë «veau», gén. telëte, dat.-loc.
telëti, instr. telëtem, et tch. mod. tele (hâdë « serpenteau »)?
telete (hadële), etc., plur. telata (hâd'ata), gén. lelat (hâd'at),
dat. telatâm (v. tch. -tôm), etc. Le slovaque oppose "une
flexion de type mouillé au singulier et de type dur au pluriel :
jahna «agneau», gén. jahnaVa, etc., et plur. jahnatâ (§ 148)f
gén. jahniat (§ 224), etc. Mais le vieux tchèque avait aussi
développé le suffixe -enec parallèlement au suffixe -ë : il a mlâ-
denec, et mlâdenek avec extension de l'alternance k: c, plur.
mlâdenci, à côté de mlâdë « un jeune, un petit », plur.
mldd'ata, et mlddenci tend à devenir le pluriel de mlâdë comme
demlâdenec. De même, de kurë «poulet», mod. kure, le pluriel
est kurala et kurenci. Le fait se retrouve en slovaque : jahna,
plur. jahnatâ et jahnence.
La flexion en -ë, gén. -ëte, connaît par ailleurs une extension
en tchèque : elle s'est transmise à des neutres du type mouillé
en -e, gén. -e, et de vejce « œuf » (§ 77), vole « jabot » (pol. wole,
gén. wola), et des mots à suffixe -istë comme ohnislë « foyer »,
[195] TRAITEMENT DANS LES LANGUES SLAVES 249
i

la flexion est gén. vejce, vole, ohnistë en tchèque littéraire,


mais vejceie, volete, ohnistete en tchèque parlé. Le mot doupë
«trou, antre», féminin répondant au slavon duplja, s.-cr.
dûplja, est passé de bonne heure au genre neutre et à une
flexion gén. doupëte. Le masculin v. tch. hrabie « comte »,
gén. hrabie, à flexion de féminin en -ïja (§ 153) comme em-
prunt au vieux-haut-allemand grâvio, — et pol. hrabia (gén.
hrabiego, § 155) est pris au tchèque —, devient hrabë, avec un
génitif-accusatif hrabëie comme nom de personne, et rejoint
v. tch. kniezë «fils de prince», puis « prince » (mod. knize),
de knëz « prince ».
En polonais, comme en slovaque, il y a passage au singu-
lier à la flexion mouillée en -yo-, et au pluriel une flexion du
type dur en -o-: cielç, gén. cielecia, etc., plur. cielçia, loc.
cielçtach (v. pol. -iéciech, -içtoch), etc., gén. cielqt. Mais dans
la langue moderne le type cielç a ordinairement disparu,
remplacé par un type cielak. Le suffixe -ak, -'ak n'indique
pas des êtres jeunes, et cielak est proprement « grand veau »,
dzieciak est « garçonnet » en face de dziecie « enfant », mais
la distinction se perd. En polabe, on ne trouve attestées que
des formes de nominatif-accusatif : sing. jognang ( — *jagnç),
tgaurang (—*kurç), plur. goyenjungîa (—*jagnçta), duel
tjàrrangtai ( = *kurçti).
En sorabe, on a le type b. sor. zwërje « bête », gén. zwërjesa,
plur. zwërjeta, avec un duel zwërjesi.
Le russe a connu jusqu'à date récente une flexion de sin-
gulier teljâ, gén.-loc.-dat. teljâli, avec passage du type athé-
matique au type en -i-, comme dans imja, gén.-loc.-dat.
imeni, en regard du pluriel de type dur teljdta. Cette flexion
est conservée en ukrainien : teljâ, gén. ieljâty, loc.-dat. teljâli
(cf. loc.-dat. -ovi, § 139), avec instr. teljâm comme im'jâm
(§ 207), plur. teljâla; et en blanc-russe : celjd, gén. celjâci.
Mais il y avait en russe ancien, comme en vieux tchèque,
250 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

deux types de noms d'êtres jeunes, l'un en -jat-, surtout pour


les noms d'animaux domestiques, l'autre en -enk-, surtout
pour les noms d'animaux sauvages : volcenok «louveteau»,
plur. volcenki, de volk. Le suffixe -enok est la forme prise en
russe par le vieux-slave et vieux-russe -enïcï, cf. v. tch. -ënec
et -enek, et le russe moderne oppose, au sens d'« enfant »,
mladënec slavon et rebënok d'origine populaire. Dès le x v i e s.,
le suffixe -ënok l'emporte au singulier sur -ja: il avait l'avan-
tage sur le suffixe neutre de fournir un génitif-accusatif
-ënka, avec l'extension nouvelle (§ 126) du génitif-accusatif
aux noms d'animaux. Le suffixe -jala se maintient au pluriel,
et c'est ainsi que le russe présente une flexion supplétive qui
oppose un pluriel et son singulatif : sing. ielënok, gén.-acc.
telënka, etc., et plur. leljâla, gén.-acc. leljâl, avec les désinences
nouvelles du type dur, loc. teljâtax, etc. Le russe littéraire
garde, en regard du pluriel isolé dêti, un singulier ditjâ, gén.-
loc.-dat. ditjâti, avec passage ancien de ë à i en dehors de
l'accent, comme en d'autres cas, ainsi sidët' « être assis » de
v. si. sëdëti; mais le mot populaire est rebënok, et si ditjâ
s'est maintenu dans les dialectes, c'est avec une flexion norma-
lisée sur le nominatif comme celle du type imja (§ 207), soit
en.masculin, gén. ditjâ, dat. diljû, soit en féminin, gén. diti,
dat. dité. L'instrumental diijâtej(u) n'est que la transposi-
tion savante du populaire ditëj(u).
Le russe a étendu la flexion en -ënok, plur. -jdta, à quelques
mots en -ënok qui ne désignent pas des êtres jeunes : ainsi
opënok « armillaire » (champignon), plur. opjâta pour opënki
(pour les champignons, on observe qu'ils peuvent être traités
comme des animés, ainsi en polonais grzyb, gén.-acc. grzyba) ;
plur. den'zônki « argent », et vulg. den'zâta. Le flottement qui
subsistait entre -ënki et -jata a provoqué des formes mixtes
comme cerienjâta de certënok « diablotin ».
Le vieux russe a emprunté au turc le mot (a)lasa « cheval
(hongre) » : il en a fait en ukrainien losâ « poulain », gén.
[195] TRAITEMENT DANS LES LANGUES SLAVES 251
' i
losâty. Le grand-russe a le féminin lôsad' «cheval», où il
faut voir le suffixe -jad', ~ed' des dérivés comme ëérned' « chose
noire, canard noir ». Dans les plus anciens exemples, du début
du xix e siècle, losadï paraît avoir un sens de collectif et
désigner des chevaux de paysan : il a dû être rattaché par
étymologie populaire à r. dial. lôsij « mauvais », dont la dis-
parition a permis à lôsad' de perdre sa valeur dépréciative.

Dans le domaine méridional, toute, trace de flexion athé-


matique disparaît par normalisation sur le type dur en -o-,
sauf la conservation du nominatif-accusatif singulier anomal.
Le slovène a la flexion téle, gén. telçta, etc., avec quelques
particularités pour les noms de personnes, un accusatif
deklÇta à côté de deklè, de deklè « fille », un pluriel ocçti et
ocçlje, de ôce « père », gén. oë$ta. La flexion est étendue aux
noms propres en -e : Jôze « Joseph », gén. Jôzeta.
En serbo-croate, la flexion est du type tèle, gén. ièleta; du
nom de personne dijètê « enfant », un accusatif djèteta se
rencontre dialectalement. Le pluriel en -eta n'est plus d'emploi
constant que dans certaines régions : ainsi cak. telë, plur.
telëta, gén. telêt Dans la langue commune, il ne peut appa-
raître qu'avec les noms de choses, qui sont nouveaux dans le
type. Avec les noms de personnes et d'animaux, il est obli-
gatoirement remplacé par une autre forme : soit celle des
suffixes anciens -ac, -ie, v. si. -ïcï, -islî, ainsi tèle, plur. tëoci,
gén. tëldcâ, pile « poulet », plur. pilici ; en règle générale par
un collectif en -âd, féminin singulier : tëlâd, pïlâd, gén. tëlâdi,
pïlâdi. De dijëte, le pluriel est fourni par le collectif féminin
singulier djèca, de dëtïca, diminutif de l'ancien collectif
dëtï (§ 211).
Il y a èn serbo-croate une grande extension du type en -e :
aux nombreux noms en -e, généralement noms de choses,
qui sont pris aux langues étrangères, surtout au turc, comme
dùgme «bouton», gén. dùgmeta; et à des neutres en -e du
252 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

type en -yo-, comme jdje « œuf », gén. jâjeta (mais plur. jâja),
ogledâlce « petit miroir », gén. -ca et -cela. De psëto « chien »
le génitif est psëta et psëteta : ce mot, qui s'est en partie subs-
titué à pàs, mais avec maintien du pluriel psï, était le nom du
«petit chien», slov. psè, gén. psÇta; pour drvo, gén. drveta,
voir § 192. Antérieurement, les hypocoristiques en -e, conti-
nuant le type masculin en *-ën ( § 183), comme Mile et Milen,
Milëni, de Mllorad ou Mïloslav, étaient entrés dans cette
flexion : vieux-serbe André, gén. Andrela, instr. Andretem,
-tom, de Àndrëj «André ». Ils la gardent en slovène, tandis que
le serbo-croate en a tiré d'une part Mile (Mllo, Mila, § 208),
gén. Mila, avec l'accent long des hypocoristiques (§ 42), de
l'autre Mïleta, acc. Mllelu, etc. Le type en *-çta adapté de
*-ën est ancien dans les langues slaves : ainsi v. r. Vasjala
de Vasilij « Basile », v. pol. (dès le x n e siècle) Borzçta de
Borzyslaw. Il est à côté d'autres formations d'hypocoristes,
en -ota, -juta, et l'origine de ces formations très flottantes
n'est pas claire, mais celle de *-çta l'est.
Le bulgare a le type telé, plur. teléta (deté, plur. deçà), qu'il
a étendu, et plus largement que le serbo-croate, à d'autres
noms en -e : à des neutres en -ne, ainsi imâne « trésor », plur.
imâneia; à des «pluriels seconds» (§ 214) de noms en -e,
ainsi moré « mer », dvè moréla « deux mers », et de là à plur.
moréta pour un plus ancien morjd; aux mots d'emprunt en
-e : kafé « café », du turc kahve, plur. kaféta. De là une carac-
téristique -ta de pluriel qui s'est étendue à des mots étrangers
divers, non seulement en -e, comme gisé « guichet », plur.
giséta, mais en -i, -u, -ju: taksi «taxi», bizû « bijou », par-
desjû « pardessus », plur. taksita, bizûta, pardesjûta. Dans un
dialecte macédonien qui conserve l'élément nasal de g, le
parler de Suho (§ 66), on a parallèlement des pluriels en
-nia: pismô «lettre», emprunt du bulgaro-macédonien au
russe pour le populaire kniga, plur. pismônta. Mais le macé-
donien, parallèlement au serbo-croate et d'autre façon que
[L'96] ORIGINE DU TYPE 253
• i
lui, a généralement remplacé le pluriel en v. si. -çta par d'au-
tres formations : pile «oiseau», plur. pilista, avec le suffixe
v. si. -istï qui se contamine avec le neutre -iste, et pilina,
pilinja, avec la finale du type bulg. ime, plur. imenâ, macéd.
imin(j)a, en regard de bulg. pileta.

196. Origine du type. On voit que l'histoire du type,


devenu typé flexionnel, est essentiellement celle d'un suffixe,
et c'est l'origine du suffixe qu'il faut rechercher.. Sa flexion
athématique est une donnée capitale. Une autre donnée est
son intonation rude, qu'indique la comparaison entre les
langues slaves : dans fe/g, gén. telçte, la quantité de l'élément g
n'est plus reconnaissable, ni en finale, ni dans les formes tri-
syllabiques (§ 107), mais le groupe russe présente un accent
fixe sur -ja-, qui apparaît comme la simplification d'une
accentuation cons'ervée par le bulgare, âgne, plur. âgneta,
avec initiale d'intonation rude, et télé, plur. teléia, avec
initiale d'intonation douce (§ 222). Le slave -gt- représente
donc *-ënt- ou *-ïnt-, et l'on a vu que la finale d'intonation
rude du nominatif-accusatif singulier du type v. si. urémg,
s.-cr. vrijème, gén. vrëmena, a du être empruntée au type
en -gt- (§ 184).
Le baltique n'offre qu'une forme qui ressemble au slave
-gt-: v. pr. smunents « homme », masc., de flexion athématique
d'après acc.- tin, acc. plur. -tins, bâti sur le thème smun- de
smûni « personne », et avec un dérivé smunenisk- « humain ».
On ne sait comment interpréter une forme aussi isolée : la
coexistence des deux thèmes -ent- et adj. -en- fait penser à
un emprunt de suffixe au slave, pol. -ig et -igf-, emprunt qui
aurait été assez large pour avoir connu une productivité
indépendante en vieux prussien, et qui par hasard ne se trou-
verait attesté que dans une forme, dont on sait seulement
qu'elle est nouvelle pour smôy (§ 182).
On ne peut pas songer à un élargissement en -t- du type
17
254 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

en -en- : le petit type en -ëns du lette vèrsens « bouvillon », en


regard de vèrsis « bœuf », n'est qu'une extension du type des
patronymiques de brâlëns, si. -en-, -jan- (§ 187),' et en slave
le suffixe -en-, de même origine, de *maldën- est bien distinct
du suffixe -çt-, Ou, s'il se contamine avec lui, c'est de façon
nettement secondaire. La comparaison n'est pas possible
avec l'élargissement -t- dans la flexion des thèmes neutres
grecs en -men-, ôvopia, gén. ÔVÔJACCTOS, dont l'explication
relève du .grec. Ce qu'on trouve dans les langues indo-euro-
péennes, ce sont des thèmes variés en -ni- : suffixe hittite
-anz(a) formant des collectifs, suffixes -mant-, -vant- du
sanskrit, -(F)zvr- du grec. Le germanique conserve quelques
athématiques en -ni-, got. gibands « donneur », frijônds
«ami», v. h. a. friunt: ce sont des participes présents subs-
tantivés, comme si. mogçtï «potentat» (§ 171), v. pr. dïlanls
« travailleur ». Une formation athématiqué en -ni- propre au
slave, formation de diminutifs que rien ne dénonce comme
ancienne, ne peut être qu'un participe présent fixé en un
emploi spécial.
En regard de lacteô « être allaité », le latin a le substantif
laclëns « enfant à la mamelle » : le slave *maldçt- « un jeune »
est de même en regard de *maldëti « être tendre, jeune ». Le
type en -çt- s'est séparé des verbes d'état en -ëli, qui ne sont
restés productifs qu'en développant une flexion de présent
*maldëje-, part. *maldëjç, r. molodét', prés, molodéju; mais la
flexion ancienne était celle du type bolëti « être malade », prés.
boli-, part. prés. bolç. L'accentuation est exactement la même
dans les participes présents en *-çt-, v. si. -est-, et les suffixes
en -çf- : r. videt' «voir», prés, vîdi-, part, vidja, s.-cr. vïdjeti,
vîdï-, vîdëci, avec intonation rude radicale, et ordinairement,
avec intonation douce, r. bolét', boli-, boljâ, s.-cr. bàljeti,
bàlï-, bàlêci.
Une formé verbale séparée du verbe prenait d'autres
valeurs : -qt- est devenu dénominatif, et, substantivé, il a
[197] TYPE EN -er- 255

gardé la flexion athématique que le participe présent perdait.


La forme se retrouve dans le suffixe diminutif d'adjectif lit.
-intelis : grazintelis de grazùs « beau », en regard de grazëti
.« devenir beau ». Le baltique a comme le slave développé une
flexion de présent en *-Sje-, lit. yrazëja-, part, grazëjqs, mais
en gardant un type de présent en -i-: mylëti « aimer », prés.
mijli-, part, mylïs, mylint-. La différence avec le slave est que
le présent lituanien offre une brève, et le participe présent est
ainsi en -int- d'intonation douce et d'accent mobile.

Les types féminins.

197. Type en -er-. —r Voici la flexion de v. si. dusti «fille»


et de r. doc, comparée à celle de lit. duktë (v. si. si, r. c, de
*kl', § 26) :
lituanien vieux slave russe
Sing. N. duktë dusti
dusterï dot
A. dùkteri
G. dukter(ë)s dustere, -ri
L. dukteryjè dusteri dôceri
D. dùkteriai dusteri
I. dukterimi dusterijç dôcer'ju
V. duktë dusti
Plur. N. dùkter(e)s dôceri
A. dùkteris
| doceréj
G. dukterû dûsteru, -rii j
L. dusterexù doëerjâx
D. dukterims dûsteremu doëerjdm
I. dukierimis dùsterïmi doëer'mi,-rjdmi
Duel N.-A. dùkteri dusteri
G.-L. dusteriju
D.-I. dukterim (dat.) dusterïma
dukterim (instr.)
256 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

La flexion des féminins athématiques se caractérise en


slave par le maintien de la distinction du nominatif et de
l'accusatif singuliers (§ 178), régulier en vieux slave, et assez
tenace dans la suite malgré l'action des féminins en -i-;
par la confusion, au contraire, du nominatif et de l'accusatif
pluriels, le nom.-acc. -i étant la forme de l'accusatif,- comme
dans le type féminin en -i-, pour nom. -<?, acc. -i des mas-
culins (§ 179) ; et par une désinence féminine d'instrumental
singulier en -ïjg, également comme dans le type en -i-, pour
-ïmï des masculins et des neutres. De façon analogue, le
lituanien distingue dans la flexion athématique dat. sing.
-iai (-ei) des féminins et -iui des masculins, et en outre
nom.-acc. duel -i des féminins et -iu des masculins.
Le reste de la flexion est du type athématique général,
avec tendance au passage à la flexion en -i-. Le locatif singu-
lier, très peu attesté en vieux slave, ne présente dans le type
en -er- que la désinence nouvelle -i, et de même en vieux
tchèque, etc. (§ 206). Mais le génitif en -e reste courant, et
on trouve même, en vieux slave et en moyen bulgare, un
génitif-accusatif en -e : acc. dustere, matere « mère », à côté
de -erï. C'est une extension au féminin des génitifs-accusatifs
des noms de parenté, otïcï «père», synu « fds », gén.-acc.
otïca-, syna.
Au nominatif singulier, la désinence indo-européenne était
*-ë(r), présentant la même chute dialectale de la sonante
finale, ou bien sa restauration dialectale, que dans le cas de
*~ô(n) (§ 184), ce qui est sûrement la trace de traitements
phonétiques très anciens de finales *-èrs, *-8ns (§ 132) : gr.
TTccrrip «père », lat. pater de *-ër, mais skr. pila, av. ptà, pila.
Le balto-slave atteste une finale *-ë : v. pr. molhe, mûli « mère »
(de *-ë), lit. môtè («épouse»), lette mâle. Cette finale, en
baltique, rejoignait celle des thèmes en -ë-, et l'intonation
douce de lit. duktë ne peut être que secondaire et prise au
type zolë (§ 105). En slave, il y a eu substitution (§ 86)
[198] LIMITATION DU TYPE 257
i
à *-ë de la finale *-f du type en -F: -yâ-, type qui a été produc-
tif (§ 155) : le type en *-ë-, que le slave a sûrement connu
comme le baltique (§ 151), devenant type en *-jë-, *-jâ- avec
altération de la consonne finale du thème, et *pitë «nourriture »
passant à *pitja, v. si. pista (§ 78), les rares féminins en *-é
du type en -er- se trouvaient isolés et devaient chercher
ailleurs une normalisation.
Le vocatif singulier présentait en indo-européen le thème
nu en *-er : gr. ncrrsp, skr. pitah, -ar. En lituanien, le vocatif
est celui des thèmes en -ê, et en slave celui des thèmes en -i,
identique au nominatif : v. si. maii, v. tch. et tch. mod. mâti,
ukr. mâty, s.-cr. mâti (rare), et moyen s.-cr. kci, puis kcêri
par passage au type en -i-.
La flexion comportait des alternances vocaliques en indo-
européen : gr. TTorrrip, acc. Trccrépcc, gén. ucxTpôs. Le lituanien
et le slave ont généralisé la forme -er- aux cas obliques, mais
la forme réduite -r- est attestée par les remaniements du type
et les dérivés.
L'indo-européen présentait un type parallèle en *-o(r),
-or- : gr. carcrrcop « sans père », voc. OTÔCTOP, acc. caràTopa. Le
baltique le conserve dans lit. sesuô « sœur », lat. soror, gén.
sorôris, et le slave sestra en garde sûrement la trace (§ 198).
La flexion est en lituanien gén. sesers, etc., du type en *-ë(r)
de duktë, et l'on a dialectalement nom. sesë. L'intonation
douce de nom. -uô est celle du type en -en- de akmuô, secon-
daire elle aussi (§ 88), et le vocatif est identique au nominatif.

198. Limitation du type. — Les thèmes consonantiques en


-r- étaient variés en indo-européen : le slave en garde un,
isolément, dans le nom de nombre v. si. cetyre «quatre» (§ 304) ;
le grand type des noms d'agents en *-ter- doit se continuer
en slave par le type en -tel- (§188). Il s'agit ici d'un petit
type de noms de parenté en -er-, -or-, masculins et féminins.
Il n'en subsiste en slave que deux féminins, v. si. mati
LÀ FLEXION ATHÉMATIQUE [198]

« mère », gr. nrrn]p, lat. mater, skr. mata, et pramati « aïeule »,


r. pramâter, calque religieux de gr. irpoiir|Tcop ; diïsti « fille »,
gr. 0uy<xrr]p, skr. duhitâ (§ 98), dérivé padusterica« belle-fille,
fille d'un premier mariage », r. pâdcerica, r. pop. pddcerka
(§ 19), blanc-russe pâdcer'. Quant au tchèque moderne nef
« nièce », gén. netere, c'est une forme artificielle du x i x e siècle,
par confusion avec si. neiii «neveu» (§ 146) et pour nestera,
mais qui est entrée dans l'usage courant.
La liste est plus longue en baltique : v. pr. mothe, lette
mâle, et lit. môtè « épouse », gén. môteres en vieux lituanien ;
dérivé lit. pâmotè «marâtre», lette pamâte, mais v. pr. pomatre
sur la forme à degré réduit *mâtr- en regard de lit. môter- ; —
v. pr. duckti, lit. duktë, disparu en lette ; dérivé v. pr. poducre
«belle-fille », lit! pôdukré, sur thème *duklr- ; — et en outre
v. lit. /enté « femme du frère du mari », gén. jenlers ; lette ietere
avec passage au type en *-ë et avec intonation douce ie-
(§ 96), mais par assimilation aux nombreux mots à préfixe
. ie- de *en- (§ 73), et pour l'intonation rude de l'hypocoris-
tique iëlafa ; en face de gr. dial. evorrp-, gr. hom. sivorrépeç
(plur.), et véd. gâta, lat. ianitrïcës (plur.), qui restituent un
indo-européen *yenhter-, *yrihter~, à vocalisme radical alter-
nant ; — lit. sesuô « sœur », de i.-e. *sweso(r) (§ 37) ; — et le
masculin v. pr. broie, brâti « frère », dérivé brairïkai « frères »
sur le thème *brâtr-, supplanté en letto-lituanien par l'hypo-
coristique lit. brôlis, lette brâlis, avec le dérivé lit. broterëlis
sur le thème *brâter-.
Le slave a transformé le masculin *brâtë du baltique en
un masculin du type normal en -o- : v. si. bratru. et bratu ;
tch. et sor. bratr ; pol. brat, mais aussi v. pol.. bratr qui se
maintient dans le dérivé bralèrski «fraternel»; slov. bràt,
mais v. slov. bratr- ; r. et bulg. brat, s.-cr: bràt. La simplifica-
tion de bratr- en brat- présente l'aspect d'une dissimulation
(§ 15), mais il doit s'agir aussi d'un doublet ancien : on peut
supposer qu'un nominatif *brâtë, à finale tout à fait insolite

• • • _.
[198] LIMITATION DU TYPE 259
I

dans les masculins, a été normalisé en bratû, tandis qu'un


génitif *bratre cédait la place à un génitif-accusatif braira,
comme gén. synu à gén.-acc. syna (§ 160), gén. gospodi à
gén.-acc. yospodja, -da (§ 170). L'élimination du nominatif
singulier en *-ë, conservé en vieux prussien, et de la flexion
athématique ne doit pas être très ancienne.
Le masculin gr. Saqp « frère du mari », skr. devâ, lat. lêuir
de laeuir, est passé en letto-lituanien et en slave au type en -i- :
lit. dieveris, lette dieveris, si. dëverï (§ 171). Mais le lituanien
conserve des traces de la .flexion primitive : gén. dieveriês
et dievers, nom. plur. dievers. L'intonation rude du balto-
slave répond à un thème *dâiw-, tandis que le sanskrit répond
à *daiw- : on peut supposer i.-e. *daiwhë(r), *daiwher-,
*daiwhr-, avec h s'amuissant devant voyelle (§ 98).
Pour le nom indo-européen du « père », gr. ircrrrip, etc.,
le baltique, lit. levas, lette tèvs, v. pr. tâws «père» et thewis
« oncle paternel », peut en conserver le nominatif singulier,
qui devait avoir en balto-slave la forme *plë (§ 47). Sur cette
forme de nominatif-vocatif, il aurait refait une flexion au
moyen d'un élargissement -vas ; et comme -vas n'est qu'une
variante du suffixe -us (lit. lengvas et lengvùs de *lengus
«léger», § 275), on penserait à *të-(v)us analogique de lit.
sûnùs « fils », qui, avec un autre nom de parenté, a transmis
en lituanien son vocatif -aû à brolaù de brôlis « frère ». Le
slave, où *pt donnait sf (§ 35), conserve le dérivé paslorukû
« fils d'un premier lit », s.-cr. pâslorak, tch. paslorek, et bulg.
pdst(o)rok « beau-père » et « beau-fds » (-ok pour -âk) : il
indiquerait une forme -stor- des cas obliques dans un composé
du type de gr. ônrcrrcop, si le slave ne connaissait pas un
certain flottement de -er- et -or- (§ 80), et cf. slov. paslorek èt
pdslerek.
Dans les féminins, le nom de la « sœur » a été normalisé
en seslra, qui s'explique par une réfection sur nom. sing. *sesa
de *sesô, lit. sesuô, et sur un thème *sesr- des pas obliques,
260 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

parallèle à la réfection en bratu et bratru du nom du « frère ».


Le vieux-prussien swestro, à côté de schostro, attesterait la
même normalisation, si schostro, qui n'est que pol. siostra,
ne rendait pas swestro suspect d'être également un emprunt
au slave, contaminé avec ail. Schwester. Le baltique *jënter-
est représenté en slave par jçtry «belle-sœur, femme du frère
du mari », sur thème *jëntr- et avec passage au type productif
en -y de *zuly « sœur du mari », svekry « belle-mère » (§ 203).
Mais on doit, à l'inverse, admettre une extension du type des
noms de parenté en -er- à nestera « nièce » (§ 35), pour i.-e.
*neplï-, skr. naptth, lat. neptis (§ 154) : extension nécessai-
rement ancienne, et qui peut avoir été balto-slave, car
v. lit. neplé « petite-fille » ( § 155) peut être, comme jentê,
gén. jenters et jentés, im nom du type en -er- flottant avec le
type en -ë-. On a le parallèle en indo-iranien avec le nom
masculin du «neveu», skr. nâptar- de nâpât (§ 175), acc.
nâptâram pour nâpâtam.

199. Évolution du type. — Il se maintient en baltique,


mais mal : la flexion s'altère, e t les mots disparaissent. Le
lituanien moderne garde duktë, gén. dukters, et sesuô, gén.
sesers, mais avec des formes dialectales variées, gén. dukteriës
et duktës, ou avec dûkrà substitué à duktë; «mère» est
môtyna, et môtè, passé au sens d'« épouse », ne subsiste plus
que régionalement et en prenant un génitif môles ou un nomi-
natif môteris. En lette, la perte du typé est complète : mate,
gén. mâles, avec d'autres mots pour « sœur », mâsa, et pour
« fille », meîta. En vieux prussien, la seule forme dont on ait
la flexion est du type en -ë- : niûti, acc. mutin.
Dans les langues slaves, le tchèque a mâli, acc. mâter, gén.
malere, et le vieux tchèque dci, acc. dcer, gén. dcere ; le génitif
pluriel est v. tch. mater, dcer, du type dur, d'où une flexion
dure de pluriel nom.-acc. matery, dcery, et de là le moderne
dcera au singulier. Pour «mère», le mot usuel est malka, et
[199] ÉVOLUTION DU TYPE 261
!
mâti, qui n'a plus de pluriel, prend en tchèque parlé la flexion
gén. mâti du type de pani, tch. parlé parti (§ 156), tandis que
net' «nièce», comme mot artificiel, garde la forme livresque
gén. netere.
Le polonais n'a plus que matka et côra, côrka, mais le vieux-
polonais mac, acc. macierz, gén. macierze (puis -rzy), gén. plur.
macior, se maintient dans le kachoube mac, cas obliques
macer-. Des mots pol. macierz « pépinière » et maciora « mère
d'animaux, truie, reine des abeilles » sont tirés de la flexion
ancienne, la forme dure maciora, comme côra, du génitif
pluriel donnant nom.-acc. plur. maciory dès le x v e siècle. Le
polabe avait gardé le nominatif mati sous la forme motây.
Le sorabe a b. sor. mas (h. sor. mac), acc. mas et maser,
gén. masi, forme plus ancienne maserje, etc., voc. mas et dial.
masi (h. sor. maci) ; sur gén. maserje a été fait dialectalement
un nominatif maserja. Mais mas disparaît en bas sorabe devant
mama, et pour « fille » le sorabe a (d)zowka, qui est r. dévka
« jeune fille, servante ».'
En russe, les formes nom. mâti, doci, acc. mater', dôëer ,
conservées dans certains parlers, ont été remplacées vers le
x v n e siècle par nom.-acc. mat', doc (§ 89), avec des variantes
dialectales; dôcerja, etc. L'ukrainien, qui n'a plus usuellement
que dockâ, maintient mâty, acc. mâtir, avec un génitif pluriel
materiv (cf. § 152) qui doit indiquer la persistance d'une
forme dure * mater à côté de r. mater éj.
Le slovène mâti, hcî, acc. mâter, hëçr, conserve le génitif
mâtere, hcçre, avec une flexion composite, instr. mdterjo du
type en -i-, mais plur. mâtere du type en -â-, et non sans flotte-
ments : dialectalement nom.-acc. hëçr, gén. hcerî, etc. Le
serbo-croate, mais également avec des flottements dialectaux,
a mâti, acc. mâtër, gén. mâtere, d'où instr. mâterom du type en
-â-, avec une flexion suppléée en partie par l'usuel mâjka;
et kci, acc. kcêr, gén. kcëri (ancien kcere), etc., avec flexion
du type en -i-. La distinction est secondaire et tient à ce que
262 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

le pluriel kcêri, d'emploi courant, a dominé la flexion de kci,


tandis que le pluriel de mâti était plus rare et a pratiquement
disparu en serbo-croate moderne.
Le bulgare dâsterjâ, à côté de mâjka, avec un jer secondaire
comme dans r. dôcer- (§ 60), est refait sur le génitif dustere
du moyen bulgare, qui était génitif-accusatif comme en
vieux slave : le moyen bulgare, qui faisait passer acc. -jç à
-g et g à e (§ 66), acc. zem(l)jç et gén. zem(l)jç à zemg, zeme,
a vu dans dustere le génitif-accusatif d'un thème en -ja
comme zemjâ « terre ». Le macédonien k'érka est le serbo-
croate (k)cérka (§ 26), diminutif usuel de kci pour dial.
(k)cérca.
Un type en -er- limité à deux mots ne pouvait pas durer
dans les langues slaves, mais son isolement même a permis
la conservation de formes anciennes, en t a n t qu'anomales.

200. Type en -û-. — Voici la flexion de v. si. cruky « église »


et de r. cérkov' :
vieux slave russe
Sing. N. cruky
cérkov'
A. crukûvi
G. crûkuve )
L. crûkuve, -vi > cérkvi
D. crukûvi ).
I. crukuvijç cérkov'ju
V. cruky

cérkvi
A. r ^
G. crùkûvu cerkvéj
L. crûkïïvaxù cerkvàx, -vjâx
D. c rukûvamû cerkvâm, -vjâm
I. crukuvami cerkvâmi, -vjâmi
[197] TYPE EN -er- 263

Le duel, non attesté dans les manuscrits vieux-slaves, se


restitue d'après le vieux tchèque, le vieux polonais, le sorabe
et le slovène en : nom.-acc. crùkuvi, gén.-loc. crùkuvu, dat.-
instr. crûkuvama. Le vocatif singulier, dont les exemples'
anciens sont rares, était identique au nominatif : neplody
« femme stérile », svekry « belle-mère ».

La flexion dans les langues indo-européennes était : nom.


sing. *-ûs, gr. îxôOs « poisson », lat. sûs « porc », skr. bhâh
«terre», vadhûh «femme » ; — acc. *-ûm, *-ûn: gr. îx^uv,
ombrien sim de *sûm (lat. suem), skr. vadhum; — gén. *-uwes,
*-uwos, de *-uhes, *-uhos, si les thèmes en -û- sont d'anciens
thèmes consonantiques en *-uh- (§ 150) : gr. ix^ùos, lat.
suis, skr. bhuvâh; —voc. *-û: gr. îx^û ; — nom. plur. *-uwes
(*-uhes): gr. îx^ûss, skr. bhûvah; —- acc. plur. *-ûs, de *-uns
(*-uhns): gr. ix^S, skr. vadhûh; ou *-uwns (*-uhns) : gr.
lat. sues (nom.-acc.), skr. bhûvah; — cas obliques
devant consonne *-û- (*-uh~): dat.-abl. skr. vadhubhyah,
bhûbhyâh, lat. sûbus. Mais la flexion des thèmes en -û- à
génitif *-uwes s'est mêlée à celle des thèmes en -u- à génitif
*-wes (§ 159), et l'on trouve en sanskrit gén. sing. -uvah et
-vah (-vâh), en latin dat.-abl. plur. sûbus (et suibus) à côté
de sûbus, en grec dat. pltir. jxOûcn à u bref.
En slave, l'accusatif singulier -uvï a été refait sur le thème
-ûv- des autres cas, de même que lat. suem sur gén .suis, et
le grec dialectal ïx^Oa sur gén. îx§ûos. Mais la désinence
plus ancienne -y, de *-un ( § 88), est conservée dans la locution
vieux-slave Ijuby, prëljuby dëiali « faire l'amour, l'adultère».
Cette forme a pu être ensuite interprétée comme un accusatif
pluriel, d'où le génitif pluriel négatif prëljubu, mais elle
continue d'être sentie comme un accusatif singulier dans la
traduction d'Hamartole : 279 22 Ijuby tvorçsiju Ijuby zluju
TTopvajovTa "rropvaocv ttiv x a ^ £ T r ù ù T à T r l v - Elle doit suffire à
indiquer que le slave a conservé longtemps une distinction
264 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

entre le type sufflxal à accusatif Ijuby et le type radical kry


« sang » à accusatif hruvï, comme en sanskrit entre acc.
vadhûm et bhûvam, bhrûvam de bhrûh « sourcil » : d'où le
développement précoce en slave de nom.-acc. brùvï, v. si.
kruvî. Pour l'instrumental singulier, dont la désinence indo-
européenne ne se restitue pas (§ 178), il présente la désinence
-ïjç du type féminin en -i-.
Au pluriel, l'accusatif -uvi est devenu nominatif-accusatif
comme généralement dans les féminins (§ 179) ; la désinence
nom.-acc. -ve du vieux tchèque est secondaire et ne saurait
conserver un nominatif en *-uve (§ 201). La flexion des cas
obliques est du type dur, mais si le génitif en -ûvu présente
la forme attendue, correspondant à celle de lit. dial. zuv% «des
poissons», gr. ixôûcov, etc., les désinences en -a- de locatif,
datif et instrumental pluriels et de datif-instrumental duel
constituent une innovation du slave. Elles sont attestées
dans toutes les langues slaves, soit directement, soit par la
normalisation de la flexion sur thème -va- qu'elles ont pro-
voquée, et il n'y a pas lieu de douter que la flexion composite
de pluriel du vieux slave, et parallèlement du duel, n'ait été
celle de la fin du slave commun. Elle n'en est pas moins
nouvelle, et les désinences en -a- ont pris la place.de désinences
athématiques, comme dans le type en -n- les désinences loc.
-nïxu,ete. (§ 179). On a la preuve que ces désinences n'étaient
plus sur thème *-û-, comme skr. -ûsu (loc.), lat. subus, mais
sur thème comme gr. -ucn, lat. subus. Les diminutifs
des substantifs en -y sont régulièrement en -uka : *çtùka,
v. si. kotûka, de *çty « cane », *koty « chatte » et « ancre », etc. ;
et c'est là l'origine du suffixe féminin -ûka dont la fortune a
été si grande dans les langues slaves (§ 19). De v. si. cruky,
l'adjectif dérivé crukûvïnû « d'église », r. cerkôvnyj, etc.,
remplace une forme en -û-nu que conserve le slavon morave
cirkunaë (§ 74) : le mot présentait donc un thème *cïrku-,
cirku-, à côté du thème *cïrkûv-, cirkuv-. On restitue ainsi
[200] TYPE EN -u-- . 265

une flexion de pluriel *cïrkuvi, gén. *cïrkûvu, mais loc.


*cîrkûxu, etc. avec réfection en loc. cïrkuvaxù, etc. sur la base
du génitif du type féminin dur. Cette réfection est relative-
ment ancienne, et antérieure à l'extension massive des formes
du type en -i- dans le type athématique. On attendrait loc.
*-ùvïxu, etc., d'après nom.-acc. -uvi, mais les désinences
du type en -i- qui apparaissent dans une partie des langues
slaves sont plus récentes que les désinences en -uva-: si le
vieux tchèque a loc. -vech, c'est à côté de -vâch, et en regard
du génitif nouveau -vi. La restitution de désinences loc. *-uxû,
etc. n'est pas hypothétique : une désinence d'instrumental
pluriel en -umi s'est conservée dans la flexion d'un mot à
part du type général. -
Il s'agit de v. si. plëvy « balle du blé, menue paille », fém.
plur., pol. plewa, sing., s.-cr. pljëvà, etc. Le vieux russe a
polovy, mais avec un instrumental pelumi en vieux russe
septentrional (Novgorod) ; le russe moderne a polôva, sing.,
et pelëva, peléva, et aussi dial. pély, plur., pelâ, sing. (Nov-
gorod), par remaniement dans les parlers septentrionaux de
l'ancienne flexion anomale polovy, cas obliques pelû-. Les
formes baltiques sont lit. pèlûs, fém. plur., lette pelus et
pelavas, et aussi lette pèlvas, v. pr. pelwo : c'est ce qu'on peut
attendre d'un thème en -û- en baltique, dans l'état d'évolu-
tion du type (§ 202). Mais les autres langues, véd. palâva-,
lat. palea « paille », n'indiquent pas un thème en -û-.
Le slave *pëlvy est en regard du verbe *pëlti « sarcler » et
«enlever la balle du grain», prés. *pêlve-, v. si. plëti, plëve-,
s.-cr. pljëti, plijèvë- (§100), r. polôt' (prés. pôle-). Il diffère du
type *cïrky, plur. *cïrkûvi, et de l'autre plurale tantum qu'est
*zïrnuvi « meules du moulin à bras », lette dzirnus. Mais la
répartition des formes en *-uw- et en *-w- en regard de *-û-
ne présente aucune régularité dans les langues indo-euro-
péennes. Elle relève pour une bonne part de commodités
phonétiques, comme celle des formes en *-iy- et en *-y- (si.
266 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

-ji et -ïji, § 155), et à ce point de vue le cas de si. *pëlv- n'est


pas le même que celui de *zïrnûv- à groupe -m-. Ailleurs, de
*su- « porc », on a les dérivés lette suvëns « porcelet », mais
si. svinû «de porc», got. swein, et, de lit. zuvis «poisson»,
ëvieti « pêcher », zvëjas « pêcheur » (§ 202). Il faut donc ad-
mettre que, de la racine *pêl-, lé balto-slave a eu un dérivé
*pelu-, et *pelû- en tant que féminin, à pluriel usuel *pëlv-,
*pelu-, et que sur gén. plur. *pêlvu du type dur le slave a fait
un nominatif-accusatif *pëlvy à l'écart du type ordinaire en
-ûvi, en gardant pelu- des cas obliques dans v. r. pelumi. En
baltique, v. pr. pelwo, sinon le lette pèlvas dont l'intonation
douce surprend, confirme le thème *pelv-, e t la conservation
en balto-slave, dans un mot isolé, du type skr. vadhû-, vadhv-,
à côté du type en -û-, -uv- que le slave a généralisé.

201. Évolution du type. — Le type a disparu complète-


ment dans une grande partie des langues slaves, soit en se
fondant dans le type féminin en -i- sur la base de son accu-
satif singulier -uvï, soit en se transformant en un type fémi-
nin en -va sur la base des cas obliques du pluriel en v. si. -uva-,
et l'on a aussi pol. dial. -wia, sor. dial. -wja, par croisement
de ces deux actions. Mais il est resté reconnaissab'le, sous des
formes rajeunies, en polabe, en tchèque et en slovène. On
peut prendre comme exemple l'évolution du nom de l'« église ».
V. si. crûky, gén. crukùve; r. cérkov', gén. cérkvi, mais dial.
cérkva, et ukr. cérkva (-va populaire, -ov' en partie slavon) ;
pol. cerkiew, gén. cerkwi « église russe » (« église » est kosciôl,
de tch. kostel, lat. castellum), et aussi cerkwa et cerkwia;
polabe tzardgây (= *cïrky), acc. zartjiiw (= *cïrkûvï) ; b. sor.
cerkej (h. sor. cyrkej), de -kew', et aussi cerkwej et dial. cerkwja,
gén. cerkwje ; tch. cirkev, gén. cirkve, mais slovaque cirkev,
gén. cirkvi ; slov. cÇrkev, gén. cçrkve ; s.-cr. crkva, bulg. cârkva.
En vieux slave, on observe an singulier l'action habituelle
de la flexion en -i- sur la flexion athématique : le génitif en
[201] ÉVOLUTION DU TYPE ' 267

-ûve reste plus usuel que -uvi, mais le locatif en -ûve n'est
plus fréquent que dans la locution vu. crukuve « dans l'église ».
Au nominatif singulier, on voit apparaître à la fin du vieux
slave des formes comme crukvi pour cruky : il s'agit d'une
réfection sur le thème crûkuv'- devenu crûkv'-, avec -y reporté
sur thème mouillé sous la forme -i, comme -g du nominatif
singulier du participe présent a été reporté sur thème dur
dans grçdç pour grçdy (§ 66). Ces formes se retrouvent en
slavon russe et serbe, mais elles ' ne représentent qu'une
innovation éphémère du vieux bulgare, sans rapport avec la
désinence de nominatif singulier du type féminin en ~(j)î, qui
passait à -ja (§ 156) : le moyen bulgare a nom. crûkovï, et
-wia du polonais et du sorabe dialectaux est récent et
s'explique autrement.
Le vieux slave présente d'autre part des génitif-accusatifs
en -ûve, comme dans le type féminin dûsti, gén.-aqp. dûstere
(.§ 197) : ils se sont sûrement développés par analogie dans les
noms de parenté, comme svekry « belle-mère », acc. svekruvï,
puis gén.-acc. svekruve, mais il est curieux qu'ils se soient
étendus en vieux slave tardif à des inanimés, comme gén.-acc.
crukuve, smokûve de smoky « figuier ». Il y a un lien avec la
substitution de nom. smokvi à smoky, et un même souci de
généraliser au singulier un thème smokv'-. Cette tentative
d'éliminer la forme alternante acc. smokûvï, smokovï, n'a pas
eu de succès, et, si elle a triomphé plus tard, c'est sous la
forme nom. smokva, acc. smokvç.
Les substantifs à radical monosyllabique sont à part. Le
nom du «sang», kry, conserve en vieux slave son génitif
singulier kruve à côté de kruvi, avec des traces d'un génitif
pluriel kruvu ; mais son nominatif singulier kry, qui se main-
tient en vieux polonais, en kachoube, en polabe et en slovène,
a disparu et est remplacé par un nominatif-accusatif krûvl,
avec passage à la flexion en -i-, gén. plur. kruvii, etc., comme
ordinairement dans les langues slaves : r. krov', gén. krôvi, etc.
268 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Il en était de même de bruvï «sourcil», d'après instr., plur.


bruvïmi, et un nominatif singulier *bry n'apparaît plus nulle
part.

En russe, les noms en -y donnent des noms en -ov', et plus


souvent des noms en -va, ainsi smôkva. Le nominatif singulier
en -y s'est conservé exceptionnellement dans le dialectal
svekry, passé à svekrôv' dans la langue commune. La norma-
lisation sur le type féminin en -i- a été progressive : les formes
anciennes sont nom.-acc. cïrkuvï, cerkov', et gén. plur. cerkvej,
mais dat. plur. cerkvam, etc., jusqu'au x v i e siècle ; on voit
alors apparaître cerkvem, d'où r. mod. cerkvjâm, les formes
cerkvâm, etc., ne subsistant que comme slavonismes.
Le polonais a gardé jusqu'au x v i e siècle des nominatifs
kry, swiekry, jqtry « belle-sœur », qui deviennent nominatif-
accusatif, et l'on a signalé nom. cyrki au x m e siècle. Le
génitif singulier était en -wie, de v. si. -uve, le nominatif-
accusatif pluriel en -wi, le génitif pluriel en -ew, le nominatif-
accusatif duel en -wi. Mais les nopainatifs-accusatifs singuliers
en -ew' apparaissent dès le début, puis le génitif en -wi, et
le passage à la flexion en -i-, La flexion moderne est du type
chorqgiew «étendard» (krew, etc.), gén. chorqywi, nom.-acc.
plur. chorqgwie avec l'extension de -ie, v. r. -ë, du type
féminin en -ja (§ 168), gén. chorqywi, et loc. chorqywiach, e te.,
avec -wiach pour -wach par extension du thème mouillé en
-w'- : d'où les formes dialectales de singulier en -wia. L'ancien
swiekry est devenu svbiekra par réfection sur swiekier « beaU-
père ».
Le kachoube conserve le nominatif singulier kry, et le
slovince cerki et marchi, pour pol. cerkiew, marchew « carotte ».
En polabe, c'est tout un type en nom. *-y, acc. *-ev, qui subsis-
t a i t ; kfajrôy (= kry), tzardgây ( = *cïrky), tyelôy «chatte »
( — *koty), plur. tyêtwôy, tgenây (= *kony, pol. konew « pot »),
etc., avec une large extension. Il est probable qu'au pluriel
[201] , ÉVOLUTION DU TYPE : 269

le polabe avait généralisé le thème en -(u)va-, nom.-acc. -woy


représentant -wy.
Le sorabe a la flexion b. sor. cerkej e t cerkwej (-ej de -eu/),
acc. cerkej et cerkwju, gén. cerkwje, loc.-dat. cerkwi, instr.
cerkwju, plur. cerkwje, gén. cerkwjow, loc. -wjach, etc., duel
cerkwi.
Le tchèque conserve tout un type de féminins en -ev à génitif
en -ve : cirkev, gén. sing. et nom.-acc. plur. cirkve, etc. ; le
tchèque parlé ne diffère du tchèque littéraire qu'en ce qu'il
élimine beaucoup de mots archaïques. Mais cette flexion ne
représente plus en fait qu'une variété du type féminin mixte
nom.-acc. zem, gén. sing. et nom.-acc. plur. zemë (§ 152).
Les désinences primitives étaient gén. sing. -ve, nom.-acc.
plur. -vi, mais le génitif singulier et le nominatif-accusatif
pluriel ont normalement même désinence chez les féminins :
v. si. -y et -g (§ 150), tch. zemë, kosti, etc. ; le vieux tchèque
offre à ces cas un flottement de -ve et de -vi, et en outre -vy
et -vë d'après les cas obliques du pluriel en -(û)va- ancien
et *-vja-, -vie- nouveau. Le tchèque, conservant solidement
le génitif singulier -ve, n'a eu qu'à faire passer ses noms fémi-
nins en -ev, -v- au type«postel «lit», gén. sing. et nom.-acc.
plur. poslele, avec -e de -e après certaines consonnes (§ 22) :
consonnes autres que v, mais dans le type zem, gén. zemë,
il n'y a pas de thème en -v- gardant un génitif en -vë. Aux
cas obliques du pluriel, gén. -ev a disparu devant -vi, et le
flottement de loc. -âch, -ech (type en -i-), -iech (type secon-
daire en -ja-), a abouti à tch. mod. -ich. Le nominatif-accusatif
duel était v. tch. -vi. La flexion des noms en -ev comporte
des variantes dialectales en tchèque ; en slovaque, ils sont
passés au type en -i- : cirkev, gén. cirkvi. En tchèque et en
slovaque, on observe un flottement des féminins en -ev et
en -va.
Le slovène conserve krî, devenu nom.-acc. (gén. krvî, etc.),
et un type de féminins en nom.-acc. -ev, gén. -ve, ainsi cÇrkev,
18
270 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

gén. cçrkve, accru de tout le type des abstraits én -tev pour


v. si. -tva (§ 205), et dont la flexion est composite : au singulier
du type en -i- dans instr. cçrkvijo, au pluriel et au duel du
type en -a, plur. cçrkve et cerkvê, etc., dat.-instr. duel cerkvâma.
Il y a des flottements au singulier entre -ev et -va, et une
partie des anciens féminins en -y ont donné des féminins
en -va.
En serbo-croate, tous les féminins en -y sont passés au
type en -va, avec grande extension secondaire de -va comme
suffixe. Les seules exceptions sont krv, gén. kî-vi, et Ijùbav
« amour », gén. Ijûbavi, mot d'origine plus slavonne que popu-
laire. Un nominatif Ijùbi s'est maintenu, au sens de « bien-
aimée », jusqu'à époque récente, en donnant un indéclinable.
Le vieux-serbe crïki, crïkvi, peut n'être qu'un slavonisme
pour s.-cr. crkva, mais le vieux croate conservait kri comme
le slovène, d'où une forme (artificielle) d'instrumental singu-
lier kriju au début du x v i e siècle, et aussi baci « tonneau »,
nominatif du thème bacv- (§ 204). En serbo-croate, où le
génitif singulier des féminins en -a est en -ê (§ 152), comme
en -e en slovène, un génitif v. si. crukuve s'incorporait
directement en crkvë dans une flexion de féminin en -va
et faisait triompher ce type de flexion au singulier comme
au pluriel.
Le bulgare n'a plus de même que des féminins en -va,
sauf krâv.

202. Extension du type. — Le type est assez peu repré-


senté en indo-iranien. Il l'est davantage en grec, avec conser-
vation en grec homérique de la productivité d'un suffixe
d'abstraits -TUS ; comme les cas obliques sont en gén. -uoç,
de *-uwos, il y a tendance à abréger nom. -Os et acc. -ûv en
-us, -uv. Cette confusion des thèmes en -û- et en -u- est réalisée
en latin : socrus « belle-mère », gén. socrûs ; il ne subsiste des
thèmes en -û- que des vestiges : sus « porc », gén. suis, et
[202] EXTENSION DU TYPE 271
i
grûs «grue», gén. gruis, qui est d'ailleurs d'autre origine
(§175).
En baltique, le type en -û- a disparu en ne laissant que des
traces. La plus nette est un type en -uvis, avec substitution
à -û- de -uv- des cas obliques, comme de -ûvï, r. -ov\ etc.
à -y dans une partie des langues slaves ; mais il n'est repré-
senté que par lit. zuvis «poisson», bruvis «sourcil», liezùvis
« langue », et sans doute v. pr. girnoywis « moulin à bras »,
de *>-nuwis. Le lette présente d'autre part quelques pluralia
tanlum féminins en -us, avec variantes -avas et -uvas : dzirnus,
pelus «balle du blé», ragus «variété de traîneau », etc., et
dzifnavas et dzirnuvas, etc. Il n'est pas douteux qu'il ne
s'agisse d'un type en -û- : -uv- contaminé avec le type en -u-
(§ 158), et nom.-acc. plur. -uvas, -avas doit indiquer pour le
lette la même extension au pluriel d'un thème féminin *-uvâ~
que dans si. -uva-, mais les faits n'apparaissent que très
remaniés.
En slave, au contraire, le type en -y est clair en vieux
slave et reste reconnaissable sous les formes qu'il a prises
dans les langues slaves, et il est abondamment représenté et
a été largement productif. Il comprend des substantifs divers,
que l'on distinguera en plusieurs catégories autant qu'il est
possible de le faire :
1. La trace d'un masculin. Le type en -û-, essentiellement
féminin en slave, et normalement féminin en indo-européen
comme les types en -â- et en -ï- (§154), comprenait aussi des
masculins, de même que ces deux types parallèles : non seule-
ment avec les mots qui peuvent désigner des êtres des deux
sexes, gr. Ô, RI VSKÔS « le mort, la morte », mais également hors
de ce cas. On a ainsi : av. hizû- « langue », masc., v. pr. insuwis,
lit. liezùvis, masc., et si. jçzykû avec élargissement en -kil de
masculin, d'un balto-slave *inzû-. Les formes du mot sont
variées dans les langues indo-européennes : av. hizvâ-, fém.,
272 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

skr. jihvâ, lat. lingua (ancien dingual), got. tuggô, etc.


L'initiale a été remaniée, en lituanien sous l'influence de
lieziù « je lèche », si. lizç, et en latin de lingô ; en germanique,
elle est la même, *dn.-, que celle de got. tunpus « dent ». Sur
un radical qui serait *rig- pour le balto-slave, on restitue un
thème masculin en -û-, avec variante féminine en -wâ-.
2. Quelques mots sont des noms radicaux en -û-, -uv- :
SI. kry «sang», gén. kruve ; baltique kruv- dans l'adjectif
lit. krùvinas « sanglant », si. kruvïnu ; av. xru-, acc. xrûm,
fém., « chair saignante ». On trouve dans les langues baltiques
une autre forme : v. pr. krawia, crauyo, fém., et lit. kraùjas,
masc., où le désaccord des genres peut indiquer un ancien
neutre ( § 125) ; et de même, en sanskrit, kravyam « chair crue »,
mais l'adjectif est krûrâh comme av. xrura-. Le latin a cruor
« sang (répandu) », masc., gén. cruôris, par élargissement de
*crû- du celtique, irl. crû ; le grec a le pluriel neutre Kpé(/r)a
« viande ». La divergence entre le slave et le baltique, comme
entre l'avestique et le sanskrit, s'explique par le fait que
*kru- possédait un dérivé en *krew-, d'où a été tiré *krewya~.
Quelque raison particulière a amené en baltique l'élimination,
qui n'est pas ancienne, de la forme *kru- du balto-slave :
en vieux prussien, kruwis signifie « chute », de krut « tomber ».
Il y avait d'ailleurs en balto-slave deux noms du «sang», et
le lette conserve l'autre nom, asinis, fém. plur., ancien thème
en - r ; -n- (§ 176) : *kru- a dû désigner la « chose saignante »
(lat. crudus), et on a pu proposer d'y voir un dérivé en -û-
de la racine *(s)ker- « séparer » (§31), hitt. kœerzi « il tranche ».
Le latin cruor pourrait avoir été remanié par emprunt de
sa finale au nom plus ancien du « sang », aser, avec change-
ment de genre comme dans sanguen, neutre, et satiguïs, masc. ;
pour la productivité du type en -r en latin, cf. ebur « ivoire »,
de l'égyptien (copte) ebu.
SI. bruv- «sourcil», r. brovgén. brôvi, pol. brew, gén.
[202] EXTENSION DU TYPE -j 273

brwi, etc. : cf. lit. bruvis, ancien et dialectal, skr. brûh, fém.,
acc. bhrûvam, gr. cxppûç, -Os, fém., gén. ôçpûos, v. angl. bru,
mod. brow. Le mot est passé en slave à la flexion en -i- plus
complètement que krûv-, et la flexion ancienne n'est nulle
part conservée, ce qui n'est pas étonnant dans un substantif
dont les formes usuelles sont le duel et le pluriel bruvi. Un
singulier comme s.-cr. ôbrva est refait sur le duel (§ 214),
pour v. s.-cr. obrïvï. Un adjectif r.. belobrysyj « aux sourcils
blancs » ne saurait conserver un thème *bry de nominatif
singulier : ce doit être un croisement de belobrôvyj et de rùsyj
«blond» (belorùsyj, svetlorûsyj), qui attesterait l'existence en
russe de la variante *rysu des langues voisines, sor. rysy, pol.
rysawy. Comme *rysu « roux » et « tacheté » est de quelque
façon en rapport avec le nom du «lynx», r. rys', un adjectif
*bëlorysyj a pu désigner l'homme que ses sourcils blancs
font ressembler au lynx à poils blancs ail. Silberluchs.
On trouve une variante à initiale o- dans plusieurs langues
slave§ : slovaque obrva et obrv, slov. obrv et obrva, s.-cr. ôbrva.
Cette initiale ne peut pas s'expliquer par comparaison avec
les langues à prothèse vocalique, gr. ôtppùs, persan abru,
(e)bru, mais av. brvai- à lire bruvat- : le slave ignore les voyelles
prothétiques (§ 109). On doit penser soit à un déverbatif
d'une forme à préverbe o(b)~, soit à un composé *ok-brû-,
cf. ail. Augenbraue, d'un type sans voyelle de liaison qui est
resté productif en baltique, lit. juodbruvas «aux sourcils
noirs», et qui a laissé des traces en slave, laskrudï (§ 12),
pladïne (§ 114), etc. Ce composé aurait servi à distinguer le
nom du « sourcil » de celui de la « passerelle », slov. et s.-cr.
brv, mot slave commun qui, malgré les formes diverses qu'il
a prises dans les langues slaves, *brïv- (§ 61) et *bïrv-, r. brevnô
«poutre» et v. r. bervïno, etc., paraît se ramener à bruv- et
être bruv- « sourcil » en emploi métaphorique. De même en
germanique et en celtique : v. isl. bru « pont », et gaulois
-brïva en face de v. h. a. brama « sourcil » ; et cf. lat. superci-
lium au sens de « linteau de porte ».
274 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Le slave a éliminé deux autres noms radicaux en -û- :


Lit. zuvls «poisson», fém., avec conservation dialectale de
la flexion athématique, nom. plur. zùves, gén. zuv% ; le lette
zivs, de zuvs, est masculin, et le vieux prussien a un dérivé
suckïs ; cf. gr. îx^ûs, -Os, gén. -Oos, masc. La racine est
productive en baltique : lit. dial. zûti « pêcher », prêt, zùvo-,
prés, zûsta- par remaniement de *zuve- ; lit. zvëjas « pêcheur »
et zvejôti « pêcher », dial. zvieli, prés, zvejù ; zvynë « soupe de
poisson ». En slave, elle a disparu, sûrement en raison de son
homonymie avec celle de zuvati, zove-, « appeler », que le bal-
tique a inversement perdue pour la même cause. Mais elle
a dû laisser une trace dans *zuveno, r. zvenô « chaînon,
tronçon », pol. dzwono « tronçon de jante » de dial. zwiono,
dont le sens premier doit avoir été « tranche de poisson », et
qui est du même type que pïseno « grain (battu) », r. psenô
« mil », en regard de pïchati « battre ».
Lat. sus « porc », etc. : le baltique en garde le dérivé lette
suvëns, sivëns «porcelet», et le slave l'adjectif v. si..svinû
« de porc », d'où svinija « porc », r.-svin'jâ, etc. ; cf. en germa-
nique got. swein, etc., mais avec conservation de v. h. a. su,
fém., mod. Sau.

203. Extension du type (suite). — 3. Noms de femmes.


Un nom de parenté est ancien :
.V. si. svekry « belle-mère, mère du mari », en face de svekûru
«beau-père » (§ 12) : r. svekrôv' et dial. svekry/, masc. svëkor,
gén. svëkra ; pol. ancien swiekry et mod. swiekra refait sur
masc. swiekier; v. tch. svekrev, slov. svÇkrva, s.-cr. svëkrva avec
l'accent de masc. svëkar, bulg. svekârva. Cf. skr. çvaçrûh,
masc. çvâçurah, lat. socrus, masc. socer, et v. h. a. swigar,
de *swekrû- avec passage aux thèmes en -u- bref comme en
latin, en regard de masc. swëhur, de *swëkuro~. Le baltique
ne conserve que le masculin, dans lit. sësuras.
Deux autres noms ont été incorporés au type :
[203] EXTENSION DU TYPE (suite) 275
I
SI. *zuly « sœur du mari » : r. dial. zôlva, tch. zelvd, slov.
zâ(l)va, zûva, s.-cr. zâova, bulg. zâlva, et pol. ancien zelw, zlew,
représentant une flexion zlew, gén. zelwi. Le mot n'est
attesté que depuis le x v e siècle, et il a disparu en bal-
tique. Les correspondances sont gr. yôcÀcoç, yaÀôcos, qui
a l'aspect d'un thème féminin en *-dwo-, et lat. glôs, gén.
glôris, sans doute d'après sorôris de soror ; elles pourraient
indiquer un thème ancien en *-ôu- (§ 159), passé en slave au
type en -u-. De ce mot, dont l'aspect indo-européen ne se
restitue pas exactement, la forme slave *zûly, *zuluv-, sup-
posée par les langues slaves, pourrait être substituée à *zluv-,
et, dans un nom de parenté sujet à des déformations plai-
santes, un rattachement secondaire à zulu « mauvais » n'est
pas exclu. C'est ainsi que le serbo-croate pùnica, « mère de
la femme », slov. pôlnica, a l'allure d'un substitut humoris-
tique de v. si. tïsta, s.-cr. tâsta, r. tësca, etc., féminin de tïstï
(§ 169), comme contre-partie de s.-cr. tàsta «vide », mais non
par flatterie et plutôt p'our se moquer des femmes qui regret-
tent leur famille où elles avaient tout en abondance, pûno :
car dans les usages populaires l'attitude des hommes à
l'égard des femmes de leur belle-famille n'est pas des plus
respectueuses.
Slavon jqtry « belle-sœur », r. dial. jâtrov', v. pol. jqtry,
puis jqtrew, slov. jçtrva, s.-cr. jêtrva et jètrva, bulg. etârva :
le slave a fait passer au type en -y un nom de parenté en -er-,
v. lit. jentè (§ 198).
C'est la preuve d'une productivité slave du type en -û-
dans la formation des noms de femmes. Elle est confirmée par :
V. si. neplody « femme stérile », en regard de neplodïnû
« sans fruit ».
V. si. mçzaky « virago », de mçzaku. Type ancien remplacé
par slov. mozâkinja, v. tch. muzicë et muzena, c'est-à-dire
muz-zena, juxtaposé.
Slavon pastoruky, faiblement attesté, féminin de paslûrûku.
276 LA FLEXION ATHÊMÀTIQUE [203]

« fils d'un premier lit », à côté de pastorka, pastorkinja du


serbo-croate et du slovène.
Slavon serbe sïrozdakva . « parente », en regard de s.-cr.
roâaka, roâàkinja, slov. rojâkinja. E t l'on ne séparera pas de
ces mots le nom d'animal :
Y. si. tretijaky « (génisse) de trois ans », de tretijaku « de
trois ans » (§ 317), en regard de s.-cr. trecàkinja.
Ce type disparaît, remplacé en partie par le type féminin
en -ynji (§ 155), qui n'a pas de rapport avec lui. Mais sa pro-
ductivité est encore attestée par :
V. pol. wnukiew' « petite-fille », de wnuk « petit-fils » : forme
isolée, pour vunuka, r. vnuka, ou pol. mod. wnuczka, ou slov.
vriukinja, avec les suffixes courants de formation du féminin.
Et, comme les diminutifs en -ûka sont à l'origine ceux de
thèmes féminins en -û- (§ 200), on reconnaît une influence
du type dans :
V. si. teliïka « tante », r. tëtka, pol. ciotka, etc., bien que le
mot simple soit r. tëta, pol. ciota, etc., lit. tetà.
4. Noms d'animaux. On a la correspondance :
Slavon zely, zeluv- « tortue » : r. zëlv', gén. zëlvi, et slavon
russe zelva, d'où r. zelvdk « tumeur »; pol. zolw (masc.,
gén. -wia), h. sor. zolwja, tch. zelva, slov. zçlva et s.-cr. zëlva,
bulg. zëlva, avec diminutif *zelûka, bulg. zélka, s.-cr. dial.
zelka ; •— et gr. x^ûs, gén. xsAuoç. La tortue n'est fréquente
que dans le sud-est de l'Europe, Macédoine, Thrace, Russie
du sud, et la tortue d'eau, la plus septentrionale, dépasse de
peu le versant nord des Carpathes. Le mot slave appartenait
donc à une aire limitée, s'il n'est pas un emprunt ancien à
une langue méridionale, comme le latin tardif gùlaia.
D'autres noms d'animaux en -y sont propres au slave :
*çty « cane », dim. *çtuka : v. r. utovï et"jxtka, r. mod. ûtka ;
s.-cr. Mva (vieilli). Le mot présente une extension de -y à
l'ancien athématique balto-slave *âni-, lit. ântis (§ 175). Le
[203] S EXTENSION DU TYPE (suite) 277
j
russe dialectal vûti, plur., ne peut être que le pluriel du dimi-
nutif utja « caneton », ukr. utjâ, qui s'est conservé longtemps
en russe (mod. utënok), et passait à la flexion de ditjd, gén.
diljâ ou dill (§ 195). Le lituanien antuka «bécasse», antukas
« traquet » (oiseau), pourrait être, d'après l'intonation, une
adaptation du slave *çtuka, et en tout cas ne suppose pas
un thème baltique en -u-, puisque le suffixe lit. -uka, -ukas,
s'ajoute à tous les thèmes, ainsi jautùkas, diminutif de jâutis
« bœuf ».
*koty «chatte», dim. kotuka : polabe tyetôy ( = *koty), et
v. r. kotuka, ukr. kilka (r. kôska), pol. kotka, etc. C'est en
même temps le nom de l'« ancre » : r. ancien kôtva, pol. kotew
et kotwia, v. tch. kotev et kotva, slov. kçtva, bulg. kôtva, et
dim. kotuka en vieux slave. Le masculin est kotu « chat »,
r. kot, etc. Ici, il s'agit d'un emprunt au germano-roman :
lat. cattuSi catta, v. h. a. kazza ; le sens d'« ancre » se retrouve
en germanique, bas-allemand katt « petite ancre ». Le baltique
a fait du mot un féminin des types ordinaires, v. pr. catto,
lit. katë. En slave, il y a extension du type féminin en -y,
mais, on va le voir, ce type sert particulièrement à l'adapta-
tion de mots d'emprunt au germanique. Ceci fait soupçonner
que la substitution de finale dans si. *çty en face de lit. ântis
pourrait être due à une influence germanique, comme la
substitution de ggsï. « oie » à la forme balto-slave lit. zqsis
(§ 12). Le nom de la «cane»,'v. h. a. anut, qui n'est pas
attesté en gotique, a pu en tant que féminin recevoir dans
une partie du germanique une finale caractéristique des fémi-
nins : cf. ail. mod. Ente, de la déclinaison « faible » en -n-,
et got. swaihro «belle-mère», thème en -on-, pour v. h. a.
swigar.
*pïstry «truite», s.-cr. pàstrva, bulg. pâstarva, slov. postrv
et postrva (po- pour pe-). Dérivé slave de l'adjectif pïstru
« moucheté », à côté d'autres formations, pol. postrqg, r. pes-
trûska, etc.
278 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

. Tch. kuroptev « perdrix » et v. tch. kuroptva, kroptva (dial.


krofta), pol. kuropatwa et kropatwa, r. kuropâtka et kuropâtva,
avec de nombreuses variantes dialectales. Ce mot du slave
oriental et septentrional est nouveau, en regard de jarçbï,
lette irbe, qui est balto-slave (§ 171). Il est clair qu'il s'agit
d'un nom en -y, mais déformé par l'étymologie populaire,
qui a voulu retrouver dans son initiale kuru « coq », et dans
sa finale puta « oiseau » (le plus nettement dans r. dial.
kuroptâxa). Il n'est pas exclu qu'il faille supposer une forme
de base *kropaty, qui serait le dérivé d'un adjectif *kropatu
« tacheté, à gouttes », de la racine krop-, cf. pol. kropkowaty,
dial. kropiasïy, tch. kropenaty, r. krâpcatyj.
5. Dérivés d'adjectifs. À ce *kropaty hypothétique, à
*pïstry plus sûr, on ajoutera :
*suxy « raisin sec », de suxu, dans le slavon suxvami, instr.
plur., qui remonte sûrement au vieux slave, et s.-cr. ancien
suhva, dial. sûvica.
*ostry, de ostru «pointu», dans v. tch. et tch. mod. ostrev
« montant d'une échelle », slov. oslrv et ostrva « séchoir pour
le foin » (constitué par un pieu traversé de barreaux), s.-cr.
ôstrva « séchoir » et « râtelier ».
E t neplody « femme stérile » est le dérivé d'un adjectif
*neplodu du type de composés possessifs de nebogu « mal-
heureux », bezbogû « sans dieu », plus ancien que le type
neplodïnu. On peut expliquer de même, par le type de
bez(d)rçku «sans mains» :
*narçky « gantelet » ou « bracelet », slov. nârokva, s.-cr.
narukva, nàrukvica.
Slavon nastegny « cnémide, cuissard », instr. plur. naste-
gnùvami, de slegno « cuisse ». Mais il faut mettre à part :
Y. si. Ijuby « amour », de Ijubu « aimé, cher », et prëljuby
«adultère», s.-cr. Ijûbav èt ancien Ijûbi, Ijubi (l'accent Ijubi
est secondaire, s'il n'est pas faux), slov. Ijubâv, r. Ijubôv',
[204] EXTENSION DU TYPÉ (suite) , 279

gén. Ijubvl. L'extension du mot est limitée, et paraît être


celle d'un mot vieux-slave maintenu par la tradition slavonne :
il présente en serbo-croate le traitement slavon et non popu-
laire de la finale.
V. si. cëly « guérison », de cëlu « bien portant », concurrencé
en vieux slave par cëlïba, et inconnu des autres langues slaves.
Ces deux abstraits sont isolés et doivent représenter un
type vieux-slave disparu de bonne, heure. Il répondrait au
type grec, d'ailleurs exceptionnel, de fôùç « direction » en
regard de iôùç « droit », mais on peut douter qu'il soit d'origine
slave : cëlu doit être un emprunt ancien au germanique,
got. hails (§ 10), et Ijubu, got. liufs, est suspect également
de l'être. Bien que des féminins m. h. a. liebe, v. angl. hâl
« santé », ne soient pas attestés en gotique, ces abstraits
peuvent avoir été pris à des féminins germaniques en *-ô,
de i.-e. *-â. Toutefois, on trouve des abstraits en -y d'aspect
entièrement slave : -
v. r. doroguvï «cherté», de dorogu;
*polaky, dans la locution potakuvi dëjati «faire preuve de
complaisance », en slavon de provenance vieux-slave. Le mot
est en regard du verbe r. poiakât' « être complaisant », tch.
polakaii « dire oui, approuver », pol. potakiwac et przytakiwac,
slov. dial. polakaii « cacher les fautes (d'un enfant) » : c'est
« dire tako, oui » (r. tâkâl') en faveur (por) de quelqu'un.

204. Extension du type (suite). — 6. Noms d'objets, de


plantes, etc. Un mot est ancien :
V. si. zrunuvi, plur., «meules du moulin à bras », avec un
diminutif slavon zrunuka servant de singulatif, « une meule »,
et un autre singulatif, v. si. zrunovu, masc. Les formes des
langues slaves sont variées et en partie altérées : r. zërnov,
masc., et dial. zërny, plur. ; pol. zarna, plur., et dial. zarnki;
slov. zrmlja de plur. *zrnvje (§172) pour dial. zrnvi; etc.
280 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Le baltique a le féminin pluriel lit. gIrnos, lette dzifnas et


dzirnus, dzirnavas, dzirnuvas, en regard de v. pr. girnoywis,
sans doute de *-nuwis. Le germanique, got. -qairnus, v.
h. a. quirn, fém., et curn, présente un thème en -u- avec
deux vocalismes radicaux différents ; le sanskrit, véd. grâvan-,
masc., est plus aberrant, avec finale *-wn- pour *-nw-,
*-nû- du germanique et du balto-slave. On restitue un
balto-slave *gïrnû-, qu'on peut admettre aussi pour le ger-
manique où les thèmes en -û- et en -u- se sont confondus.
Le slave *zïrnovu est un dérivé thématique analogue à
dvoru « cour » à côté de dvïrï « porte » (§ 174). On peut suppo-
ser que le flottement des vocalismes radicaux en germanique
résulte d'une confusion entre le vocalisnie du mot simple
*gwrhnu- et celui d'un dérivé thématique *gwerhn(u)wo-
w
(*g reh- en sanskrit, cf. § 117) plus ancien que si. *zïrnovû.
Pour v. si. plëvy «balle du blé», voir § 200. A gr. IÀUÇ
«limon», fém., le slave répond par un masculin ilu, r. il,
gén. lia, etc., qui doit avoir été un thème en -u- d'après ses
dérivés, r. ilovdtyj, etc. L'ancienneté du mot suivant est
douteuse :
V. si. loky « mare «, slov. Igkev et Igkva, s.-cr. l'ôkva, bulg.
lôkva: cf. lat. lacus, masc., gén. -us, v. angl. lagu «mer»,
masc., etc., mais le slave s'explique mieux par un emprunt
à v. h. a. lahha, fém., mod. Lâche «mare».
D'autres mots en -y, très nombreux, sont propres au slave,
et tous ceux dont l'origine est reconnaissable représentent
des emprunts :
V. si. cruky, cir(û)ky « église » (§ 74), du germanique, v. h. a.
chirrihha.
V. si. xorçyy « étendard », pol. chorqgiew, etc. (r. xorugv',
slavonisme), emprunt au turc, cf. le mongol orongo, de *hor~.
SI. buky «hêtre» et « lettre » : v. si. buky «lettre», plur.
bukûvi, r. bukva, et slov. bûkev, bûkva «hêtre», s.-cr. bfokva.
!
[204] EXTENSION DU TYPE (suite) 281
!
Emprunt au germanique, got. bôka « lettre », plur. bôkôs
« livre », v. h. a. buohha « hêtre ». Le double sens de « hêtre »
et de « lettre » remonte aux débuts de l'écriture et à l'époque
où l'on gravait des signes sur des écorces d'arbre ou des tiges
de bois : des calendriers sur bois, reste de cet usage, se sont^
conservés longtemps chez les peuples finnois de Russie. En
slave, le sens de « lettre » est ancien : le nom du « livre », got.
bôkôs, est déjà remplacé en vieux slave par un autre emprunt,
kûnjigy, pris à une langue turque,- et bukarjï « écrivain,
scribe», de got. bôkareis (.§ 3), l'est usuellement par kunji-
zïniku, et kûnjigucii (§ 155) sans alternance de la gutturale
(§ 111). Pour le nom du « hêtre », lat. fâgus, g.r..<priyés («variété
de chêne »), ancien féminin en -o- (§123) dont le germanique
a fait un féminin en -â-, il désigne un arbre de l'Europe
centrale et occidentale, qui se rencontre surtout à moyenne
altitude, et qui ne dépasse pas la région de la Vistule et celle
des Carpathes, où il est assez notable pour avoir fourni sa
dénomination à la Buiovine : que les Slaves l'aient connu
par les Germains doit indiquer que leur habitat primitif
était un peu plus à l'est. Le féminin buky, tch. ancien bukev,
a été remplacé dans les langues septentrionales et en russe
par un masculin buk (v. tch. et tch. mod., etc.), qui doit être
Un emprunt au germanique occidental, où un féminin *bôkô
à voyelle radicale longue perd phonétiquement sa finale
(v. sax. bôk, v. h. à. buoh «livre» devenu neutre), s'il ne la
restaure pas (v. h. a. buohha «hêtre »). Il y a ainsi en slave
deux emprunts superposés, l'un ancien, buky, qui remonte
au gotique, l'autre plus récent, *buku, à l'allemand. Le
polonais distingue bukiew « faîne » et buk « Jhêtre » ; en russe,
bùkva « lettre » est slavon, et buk « hêtre » vient de l'ouest,
comme l'arbre.
V. si. smoky « figuier », « figue », r. et bulg. smôkva, slov.
smgkva et smgkev, s.-cr. smôkva, en regard de got. smakka-,
thème en -o-, et smakka, masc., thème en -n-. Ce sont
282 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

vraisemblablement deux emprunts parallèles à une langue


méridionale de la zone où pousse le figuier, zone avec
laquelle les Slaves ont été en rapport avant les Gots (§ 3).
Le mot slave septentrional, tch. ancien pihva, etc., est pris
au latin par l'allemand (§ 205).
SI. *tyky « courge », r. lykva, tch. tykev, slov. tlkva et
tîkev, etc. Le mot n'est pas sans rappeler gr.CTÎKUS,CTIKOOC,
dial. KÛKUOV, lat. cucurnis « concombre » : sans doute em-
prunts divers à des langues méditerranéennes, eh dehors des
correspondances phonétiques régulières.
SI. *brosky « chou », pol. broskiew, slov. brôskev, brôskva,
s.-cr. brôskva, du roman, lat. brassica, ital. brasca.
SI. *bers(ï)ky «pêche», v. tch. brëskev, pol. brzoskiew,
slov. brëskev et brêskva, s.-cr. brëskva, de lat. persica, v. h. a.
pfersich avec la forme savante du mot et non celle du roman
vulgaire, pessica, ital. pesca. Ce mot s'est contaminé avec le
précédent, d'où pol. brzoskiew « chou » et tch. broskev « pêche »,
et ceci peut expliquer son initiale b-; les variantes s.-cr.
braskva, pràskva et prâska, bulg. prâskva, montrent combien
les formes ont été flottantes.
SI. *murxy, *mûrky « carotte » : kachoube marchi, pol.
marchew, sor. march(w)ej, et tch. mrkev, slov. mrkev et
mrkva, s.-cr. mrkva, r. morkôv et dial. môrkva. En regard de
v. h. a. morha, et l'emprunt est sûrement ancien, mais sans
qu'on ait besoin de le faire remonter à une forme *murhô du
germanique commun : le o germanique, issu de u, était un
o fermé dont l'équivalent slave le plus proche était û,
comme pour le o fermé du roman (§ 47). Pour le flotte-
ment de x et k en slave, il peut être dû à l'influence du
mot suivant :
*redïky « radis, raifort », tch. redkev, sor. r'etkej, pol.
rzodkiew (gén. -kwi, ancien rzodekwie), slov. rédkev et rédkoa,
slavon russe redkovï (r. réd'ka et dial. rëdka). Emprunt à lat.
râdïce-, fém., par l'intermédiaire du germanique, v. h. a.
[203] EXTENSION DU TYPE (suite) 283
I

ratih, relich, masc., avec l'inflexion allemande de a en e qui


remonte au milieu du v m e siècle, et en slave avec extension
secondaire de la finale -y des noms de légumes de la même
série. Le serbo-croate rôtkva, ràdakva, qui restitue une flexion
*rodky, gén. *rodïkve, présenterait l'initiale antérieure à
l'inflexion, s'il n'avait pas été plutôt refait sur la forme
romane radi-, ital. radice.

Y. si. brady « hache », slov. et bulg. brâdva, s.-cr. brâdva,


du germanique *bardo, v. h. a. barta.
V. si. *pçgy d'après pçgûv- « gland (d'étoffe) » en rédaction
slavonne, pol. ancien et dial. pqgwica « bouton », r. pûgovica,
et, avec déformation, slov. pgglica « agrafe » : ce nom ancien
du « bouton », constitué par une boule d'étoffe, est le nom de
la « bourse », got. pugg, v. h. a. pfune, bas-latin punga, roum.
pungâ, gr. byzantin T r o û y y i , mod. Trouyyî.
*pany « poêlon », slavon panuv-, tch. pânev et pânva, pol.
panew et panwa, et slov. pônev et pônva : du bas-latin panna
de lat. patina, v. h. a. pfanna. La différence des vocalismes
dans les langues slaves peut répondre à des emprunts
d'époques différentes, et de formes différentes, puisqu'on a
aussi *pana dans s.-cr. dial. pànica «plat en terre», bulg.
panica, et v. si. panica au sens de « citerne », cf. les sens divers
de fr. « bassin ». Le slavon opanica, r. opanica, dial. opânka
« jatte (de bois) », paraît supposer une forme verbale *opaniti
« mouler en forme de poêlon » ; une variante opanuv- de
panuv- dans des manuscrits tardifs ne représente qu'une
contamination des deux .mots.
*kony «pot», polabe tgenây (= *kony), tch. konev, pol.
konew, du bas-latin canna (v. fr. chane), v. h. a. kanna.
*lagy, pol. tagiew «baril», tch. tdhev « bouteille, carafe »,
slov. lâgev, lâgva «bouteille», r. dial. lagôvka «récipient pour
le lait » : adapté de v. h. a. lâgela « petit baril », de lat. lagëna
«cruche».
284 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

*laiy, slavon laluv-, « marmite », dim. latûka, slov. lâlva


«vase à lait plat», bulg. lâtvica, et tch1. lâika «pot», v. pol.
latka, r. lâlka « poêlon ». Ce peut être, comme désignant un
récipient plat, un emprunt au roman : le latin lâtus, rem-
placé par largus au sens de « large », s'était conservé au sens
de « plat », roum. lat. .
Slavon dïli, dïluv-, dïlïv- « jarre », moyen bulg. et bulg. mod.
délva. Le mot est vieux-slave, mais n'est attesté qu'en slavon,
et l'exemple unique de nominatif dïli, en slavon russe, est du
xiv e siècle. Il n'en pose pas moins la question de l'existence,
à côté du type dur normal en -y, -uv-, d'un type mouillé en -i,
-ïv-, c'est-à-dire de l'extension en slave du type en -y à des
thèmes terminés par consonne mouillée, en raison du grand
développement de la formation. Dans le cas de dïli, qu'il est
évidemment impossible de rattacher à lat. dôlium « jarre », mot
ancien qui n'a pas subsisté, on pourrait penser à un dérivé
slave du thème dïlj- du comparatif dïljii (§ 289) de *dïlgu
« long », désignant un vase de forme allongée : ce serait un
dérivé d'adjectif (n° 5). Des exemples plus sûrs attestent
que le type en -y après consonne mouillée a réellement existé
(et voir v. r. oksevï, § 205) :
*buci « cuve, tonneau » : s.-cr. ancien baci en cakavien "du
x v i e siècle, gén. plur. bacav, mod. bàcva, slov. bâcva et bâcev,
slavon russe bucïvï et dim. bucïka, r. bôcka, pol. beczka, tch.
becva et becka. Emprunt au bas-latin battis, bultia, ital. botte
(fr. « bouteille »), sur la base d'une forme romane *buc- de
*butty-, ital. boccia «bocal».
Slavon nûstïvi «huche», plur., bulg. nôstvi et dial. nâstvi,
s . n â c v e , r. nôcvy « auge » (pour mettre les pains, les grains
à vanner, etc.), et slov. neckç, dial. necvè, pol. niecki, tch.
necky. Le mot est slave commun, mais une forme *nutji, dim.
*nutjïka, ne saurait être ancienne, et il doit * s'agir d'un
emprunt. Le radical *nutji- n'est pas sans rappeler quelque
peu celui du bas-latin hutica, fr. « huche », d'origine sans
[204] EXTENSION DU TYPE (suite) 285

doute germanique, mais on voit mal comment rapprocher


les deux mots, aussi isolés l'un que l'autre.
*gçzi « lien (d'osier) », v. tch. huzev et hùzva, mod. houzev,
pol. gqzew et gqzwa, ukr. huzva, s.-cr. gûzva, à côté de *gçza
et *gçzï, v. tch. hûzë, r. guz « corde, courroie », slov. gôL
Le mot s'est contaminé en slave avec Qze « corde », mais
son initiale *gçz indiqué qu'il en est différent (§ 77) : on
pourrait penser à un emprunt au mot roman d'origine
obscure qui désignait un cordonnet, une boucle, ital. gancio,
fr. a ganse ».

Cette liste ne comprend que des mots dont l'ancienneté


en slave est sûre ou probable, et elle est incomplète. Elle
suffit à faire voir que le slave, maintenant un type féminin
en -u-, a incorporé dans ce type une masse de mots d'emprunts
et a pu continuer à créer d'après lui des mots slaves nouveaux.
L'origine de ces emprunts est germanique, et remonte à la
domination gotique : c'est la raison pour laquelle le baltique,
resté à l'écart de cette domination et des nombreux emprunts
qu'elle apportait (§3), n'a pas développé le type en -û-.
L'adaptation de ces emprunts est plus morphologique que '
phonétique : on le voit par le traitement de buky, de germ.
*bôkô- (§ 54), où le 5 germanique est rendu par u en syllabe
initiale, mais est assimilé à la finale au type en -û-, parce
qu'il en était beaucoup plus près que du type en -â-. Les
langues germaniques ont réduit de bonne heure leur finale
*-ô, de i.-e. -â, et un nominatif *bôkô n'apparaît plus en
gotique que sous la forme bôka, en vieux haut allemand sous
la forme buoh, ou buohha par restauration. Mais le début des
emprunts du slave au germanique est antérieur à l'époque
historique ; d'autre part, le o se maintenait plus longtemps
dans la flexion, gén. bôkôs, etc., en gotique, et il y avait un
autre type également productif de féminins en got. -ô, celui
-des féminins en *-ôn-, dont le slave a pu imiter la désinence
19
286 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

comme plus caractéristique. De toute façon, la transposition


en slave ~y des emprunts au germanique ne se justifiait qu'à
époque ancienne. De bonne heure, ce n'est plus qu'un prin-
cipe d'adaptation de mots d'emprunt, qui se continue avec
des mots allemands ou romans en -a bref, et qui s'étend à des
mots comme *redïky de v. h. a. retich, ital. radice, ou, par
substitution de suffixe, à *lagy de v. h. a. lâgela.
Le slave recevait des mots en *-5 ou *-u d'autres sources :
ainsi xgrogy, du turc. Une partie des nombreux noms de lieux
et de rivières en -va de Russie doivent être d'anciens noms
d'emprunt en -y : c'est sûr pour Moskvâ, forme fixée depuis
le x i v e siècle, mais antérieurement Moskovï, gén. Moskve, et
ce nom doit avoir été pris aux allogènes de la région de Muro-
m a . I l y a un type vieux-russe de noms propres étrangers en
-y qui sont des masculins, comme Tury, éponyme varègue de
la ville de Turov, ou Gudy. On n'en connaît pas la flexion,
et l'on voit seulement que les adjectifs possessifs sont Turovû,
Gudovu, comme le dérivé v. si. zrûnovu de zranuvi. Plus tard,
au x m e siècle, le nom de Batou, chef des Mongols, est adapté
en Batyj, gén. Batyja.

205. Extension dans les langues slaves. — Le type morpho-


logique en -y, devenu type suffixal en pol. -ew, s.-cr. -va, etc.,
et polabe *-y, a continué d'être productif dans les langues
slaves et de servir à l'adaptation de mots d'emprunt, et aussi
à la création de dérivés slaves. Il n'est pas possible de distin-
guer nettement les formations anciennes et les formations
nouvelles, et certains mots peuvent remonter à l'époque des
emprunts du vieux slave, par exemple :
Polabe roatgây (= *raky) « coffre », v. tch. et tch. mod.
rakev « cercueil », mais v. si., v. r. et s.-cr. ancien raka (r. râka
« châsse », slavonisme), de lat. arca « coffre » et « sarcophage »,
got. arka,N. h. a. archa (§ 70). Dans les noms de"plantes, on
trouve :
[205] EXTENSION DANS LES LANGUES SLAVES 287
I ' •*•
S.-cr. bïtva et blïiva « bette », slov. blîtva, ukr. blijtva, de
lat. bêta contaminé avec blitum dans les langues romanes.
S.-cr. mëtva «menthe», èt sor. mjet(w)ej, pour v. si. mçla,
slov. mffa, tch. mâta; et pol. miçtew et miçlkiew à côté de
miçta, mielka, où la forme en -kiew au moins est tout à fait
secondaire.
V. tch. et tch. mod. vikev « vesce », mais pol. wika, wyka,
r. vika, etc., où l'on pourrait voir deux emprunts d'âge diffé-
rent, l'un à v. h. a. wiccha, l'autre à l'allemand moderne
Wicke.
Mais pol. brukiew, brukwa « chou-rave », d'où r. brjûkva,
dial. brûkva, est pris au bas-allemand wrûke et est sûrement
à l'imitation de broskiew « chou » ; et le tchèque ancien pihva
« figue », pol. pigwa « coing », d'où r. pigva, de v. h. a. fïga, a
l'aspect d'u i assez vieil emprunt, mais a été substitué à
smoky du slave commun.
Pour le nom de la _« poire », en regard de v. r. et r. mod.
gràsa, pol. grusza, v. tch. hrusë et mod. hruska, etc., et v.
s.-cr. krusika, mod. kruska, on trouve s.-cr. dial. krusva, h.
sor. krusej (de -ew'), krusva, polabe graussoy (== *grusi) et
greiswa ( = *grusva), Si le mot est d'origine slave, et si les
formes du baltique, v. pr. crausy, etc., représentent des em-
prunts anciens au slave, il pourrait s'agir d'un dérivé en -sa,
du type des dérivés familiers en -x-, -s- (§ 10), de gruda
« motte », désignant la poire sauvage qui est dure et pierreuse,
avec altération en /crus- d'après krusiti «briser», comme en
lit. kriâusè d'après kriausyti « piler ».
Dans les noms d'objets, v. tch. studev «cuveau», mod.
stoudev, sioudev, stoudva, pol. stqgiew, stqgwia, déformé de
v. pol. stqdew sans doute d'après lagiew « baril », est un em^
prunt régional à v. h. a. standa. On a un autre mot dans le
polabe stangây (= *stçgy), qui siguifie « courroie » et répond
à tch. stouha, pol. wstçga « ruban », slavon vûslçgu et vustQga
« courroie de soulier », de la racine *ieg- « tirer ». On noteira
288 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

encore : tch. dratev, dralva « ligneul », pol. dratew, dratwa,


r. draina, s.-cr. drëtva, de m. h. a. drâl; — tch. mouîev et pol.
mqtew « moussoir », v. r. vu mulvi, loc., et r. mutôvka, formés
sur si. mçtili «brouiller»; — pol. zagiew «amadou», tch. zâhev
(adapté du polonais), de si. zagati «brûler», tch. zâhati, etc. ;
— pol. korzkiew, kôrzkiew, korszkiew «cuiller, puisoir», variante
de korczak et dérivé de si. korïcï, r. koréc «puisoir»; — et pol.
warzqchew « cuiller à pot », secondaire de warzçcha, ancien
warzecha, tch. varecka, en regard de si. variti «faire bouillir»;
— slov. lâtva, lêtva, lêtev «latte», s.-cr. lëtva, polabe lôtwa, mais
pol. iata, r. lâta, lâl(v)ina et polâti « soupente » (sans rapport
avec poldta « chambre », v. r. polata), dé bas-lat. et v. hv a.
latta ; -— et tch. krokev, krokva « chevron », pol. krokiew, krokwa,
r. krôkva, qui doit être un dérivé de si. krokû « pas », pol.
kroczyé « marcher à grands pas », par comparaison des che-
vrons avec des jambes écartées, cf. ail. Sparren « chevron » et
sperren « écarquiller » ; —- v. r. oksevï « hache », mais v. pol.
oksza, de v. h. a. ackus, sûrement d'après le plus ancien *bardy
«hache », slavon russe bradovï; —-v. tch. plûtev, mod. ploutev
« nageoire », pol. pletwa, plytwa, sur la racine de si. pluti
« voguer, nager » ; — tch. pldstev « gâteau de miel », en regard
de plâst « rayon de miel » ; — r. lyzva « sorte de barque » à
côté de lyza « raquette, ski », pol. lyzwa « patin » et « bateau
long et plat », d'une racine peu claire en slave, mais cf. lit. sliu-
zai « patins » et sliaûzti «glisser».
Il est inutile d'allonger la liste. En serbo-croate, les for-
mations en -va sont nombreuses, certaines récentes, comme
mêstva «guêtre», du turc mesi, qui imite bjëcva « bas, guêtre »,
d'origine obscure. Comme le nominatif singulier en -y, d'où -i,
s'est maintenu longtemps en serbo-croate, le flottement de -i et
de -va s'est étendu à diverses formes en -i, ainsi cak. lâdva « bar-
que » (§ 155), particulièrement à des pluralia tantum: ôstve
« harpon » de osti, r. os? « aiguillon » ; nozdrve, d'où sing. nôzdrva
« narine » à côté de nôzdra, du pluriel ou duel nozdri (pluriel
[205] EXTENSION DANS LES LANGUES SLAVES j 289

en vieux slave), r. nôzdri, d'où sing. nozdrjâ, et le slovène a de


même nozdrv, ngzdrva et ngzdra. Il est possible que s.-cr.
plôdva « placenta, matrice » remplace de façon semblable un
pluriel plôdi de plôd « fruit », au sens de « fruit des entrailles ».
En polabe, le nominatif singulier en *-y s'était remarque-
blement conservé, avec une large extension aux emprunts
à l'allemand et au bas-allemand, ainsi gûrlgey (= *gurkyj
de Gurke « concombre » ; et des féminins pluriels en *-y
apparaissent refaits en *-vy, par contamination des deux
types de féminins en -a, plur. -y, et en -y, plur. *-vy de -vi :
plauchwoj ( = *blùxvy) de placha, blacha « puce » (= *bluxa),
maukwag ( = *muxvy) de muchô « mouche ».

Le flottement du type pol. -ew et -wa devait s'étendre. Du


nom de ville lat. et ital. Padua « Padoue », le polonais a fait
Padwa et Padew ; du russe Moskvâ « Moscou », forme fixée
depuis le x i v e siècle », Moskwa et Moskiew. La catégorie des
abstraits verbaux en -iva a été atteinte aussi : pol. klqtew
pour l'usuel klqiwa « jurement », v. si. klçtva, etc. ; tch. prâstev
pour prâstva « veillée de fileuses », de prisii « filer ». Mais c'est
surtout en slovène que le fait s'observe : tout le type des
dérivés en -tva est passé dans la langue commune à la flexion
en -ev, gén. -ve, et au type molîtev « prière », gén. molîtve, à
côté de dial. molîtva. Le vieux cakavien connaît aussi nom.-
acc. moiitav, pour s.-cr. molitva, -tvu, mais dans ce mot seu-
lement.
Ces formes sont nouvelles, et le suffixe slave commun -tva
n'a pas de rapport avec le suffixe -TUS du grec homérique,
-tû-t- du latin : c'est la forme féminine du dérivé thématique
en i.-e. *-two- du suffixe *-iu- d'abstrait verbal, du type de
skr. kârt(u)vas « qui doit être fait », neutre kârtvan « tâche »,
en regard de kârtum « faire ». En baltique, le suffixe a la forme
lit. -tva, -tvé, mais ordinairement lit. -tuvê et lette -lava. Ce
sont sûrement des remaniements d'un balto-slave *-twâ, mais
290 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [183]

il en faut chercher la cause ailleurs que dans une influence


du type en -û- du lette dzirnus et dzirnavas, dzirnuvas, qui a
eu peu d'importance en baltique. Le lette conserve dialec-
talement un type intéressant ëstavâ ou ëstuvë « pour manger »,
« (bon à manger) », qui peut être, avec des finales nouvelles
de locatif adverbial, l'ancien datif à désinence -av- et secon-
dairement -uv-, répondant à si. -ovi (§ 158), du substantif
verbal en -tu- fixé comme supin, lit. -tq, si. -tu, et comme
infinitif, v. pr. -tun et -twei. C'est entre le-suffixe *-ivâ et ce
vestige de forme verbale en -tav-, -tuv-, qu'il doit y avoir eu
contamination.

Élimination du type athématique.

206. Extension des désinences. — Des types athématiques


comme ceux en -çt- et en -û- ont pu connaître un développe-
ment important, mais comme types suffixaux ou d'adap-
tation de mots étrangers. Pour la flexion athématique, elle
s'est fondue dans les autres flexions sans exercer sur elles
une action notable et comparable à celle des masculins en -u-
et en -i-. Il y a eu tout de même une petite extension de ses
désinences de nominatif masculin pluriel et de génitif pluriel.
Le génitif singulier en -e, sans être productif, a été résistant,
et il s'est maintenu dans quelques types et dans quelques
langues en s'identifiant à des désinences -e d'autre provenance.
Pour le locatif singulier en -e, il commençait à disparaître dès
le vieux slave, et les vestiges qu'il a laissés sont insignifiants :
une locution vedne « de jour » en tchèque, des locatifs comme
o Spàsovu dnê « à l'Ascension » (le jour du Sauveur) en serbo-
croate dans des noms semi-slavons de fêtes religieuses, la
finale pol. -nascie des nombres de 11 à 19 ( § 307).
On a vu (§188) que la flexion athématique avait été étendue
en vieux slave au pluriel des noms en -arjï, mais qu'il ne
s'agit en fait que de l'extension du nominatif pluriel en -e.
[206] EXTENSION DANS LES DÉSINENCES 291

Cette désinence, caractéristique de quelques types dd mas-


culins, et qui représentait la forme courte des désinences en
-ove et -ïje des thèmes masculins en -u- et en -i-, a connu
un certain succès. Sur le modèle du type grazdaninû, plur.
grazdane, elle a fourni le nominatif pluriel des mots à singu-
latif en -inu, et elle s'est développée en même temps que ce
sufïixè de singulatif : v. si. boljare, sing. boljarinu «magnat,
boïar », dans un emprunt au turco-mongol bajar, r. bojârin,
que l'étymologie populaire a rattaché à boljii « plus grand » ;
en slavon russe Arave, sing. Aravinu « Arabe », gigante,
sing. gigantinu « géant », etc. Ces pluriels masculins en -e sont
fréquents en moyen bulgare comme en vieux russe. Mais le
bulgare a confondu phonétiquement -ïje, -'e des thèmes en -z-
et -e des athématiques (§21, § 172), et les quelques pluriels
en -ë du bulgare moderne, caré « empereurs », kralé « rois »,
koné « chevaux », etc., résultent d'une contamination des deux
types. Quant à la désinence -ie du polonais, elle confond -e, -ïje
et -ë (acc.) du type eû -yo-, et la désinence -é du tchèque est
aussi peu identifiable. En serbo-croate, le nominatif pluriel
en -e a disparu : -ane, et de même -ove, se maintiennent
jusqu'au xvi e siècle, mais concurrencés depuis le x i v e siècle
par -ani, -ovi, qui l'emportent. De vlastèlin « noble », mot
régional, le pluriel vlastele s'est conservé longtemps, puis s'est
transformé en un collectif vlastèla, fém. sing., d'après gospàda
«seigneurs, messieurs» (§ 211).
Le bulgaro-macédonien présente une extension curieuse de
la désinence -e de nominatif masculin pluriel dans la flexion
du participe parfait en -/-, bulg. oriental reklé « (ils ont) dit »,
macéd. -le. La forme, devenue pluriel des trois genres, "est
attestée depuis les x i i e - x m e siècles, et est analogique des
pluriels masculins en -ste, -(v)se des participes actifs. La dis-
tinction de -le et de -li n'apparaissait plus d'ailleurs que sous
l'accent (§48), et la langue commune bulgare l'a perdue : rekli,
tandis que le macédonien restaurait -le hors de l'accent (§ 94).
292 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Le génitif pluriel présentait aussi sa particularité dans le


type athématique : sa désinence -u qui s'amuissait en faisait
un génitif sans désinence, mais de type dur dans une flexion
de pluriel du type mouillé. Cette double caractéristique a eu
sa productivité. Le russe, dont les, génitifs masculins pluriels
sont en -ov ou -ej, a gardé le génitif pluriel court kresl'jân
dans le type kresl'jânin « paysan », plur. krest'jâne, et il l'a
étendu à d'autres masculins, car, dans son système, c'est
moins une conservation de formes anciennes qu'une extension
nouvelle : Turcânin « Turc » (mod. Turok), plur. Turki, gén.
Turok pour Turkov qui était antérieurement la forme usuelle ;
et gusâry « hussards », gén. gusâr, etc.
Pour la forme de type dur, elle s'est maintenue en russe
dialectal : den' « jour », sâZéri « sagène », lôkot' « coude »,
nôgot' « ongle », làpot' « chaussure de tille », gén. plur. dën,
sâzen et sazôn (§ 183), lôkot, nôgot, lâpot (§ 189). De même
en polonais ancien, et jusqu'au polonais moderne dans
przyjaciel « ami », nom. plur. przyjaciele, gén. przyjaciôl
(§ 188) ; d'où quelque extension de ce thème dur : instr.
plur. przyjaciôlmi en polonais moderne, et gén. plur. kmiot,
de kmiec «paysan», en vieux polonais (§ 171). Allant plus
loin, le vieux tchèque a créé une opposition de nom. plur.
prielele et gén. prâtel (§188).
C'est l'extension de la finale dure du génitif pluriel athéma-
tique qui rend compte de la particularité du russe et du
polonais de donner aux féminins en -nja après consonne des
génitifs pluriels en -en dur : r. visnja « cerise », gén. plur. visen,
pol. suknia « robe », gén. plur. sukien (et sukni) pour un plus
ancien sukien. Cette innovation, qui remonte aux xv e -
xvi e siècles, s'explique par le parallélisme qui existait alors
entre nom. plur. lôkti, gén. lôkot, et vis ni, gén. visen, en russe,
entre nom. plur. lokeie, gén. lokiet, et suknie, gén. sukien, en
polonais.
[207] DISPARITION DU TYPE 293

207. Disparition du type. — Cette action du type athéma-


tique a été extrêmement limitée : le type était en décadence
dès le vieux slave, et il n'en reste dans les langues slaves
modernes que des formes anomales qui n'ont pas été corrigées,
mais dont certaines, incorporées à des flexions normalisées,
continuent de caractériser des types spéciaux.
En russe, les masculins en -en- et en -t- et les féminins en
-y sont complètement normalisés. Il reste, pour les féminins,
les nominatifs-accusatifs singuliers mat'., doc, en face d'une
flexion régulière des autres cas, gén. màteri, dôceri, etc. ;
et pour les masculins, dans le type kresl'jânin, le génitif pluriel
krest'jân, et le nominatif pluriel krest'jdne de la langue litté-
raire, mais qui est pour krest'jânja ou krest'jdna des dialectes
russes, xrystyjâny de l'ukrainien. Ce sont les types athéma-
tiques neutres qui sé conservent le mieux, opposant une
flexion molle de singulier à nominatif-accusatif anomal à une
flexion dure de pluriel, imja, gén. imeni, plur. imend ; et non
sans remaniements plus graves, telënok, plur. teljâia, et dial.
Ime, gén. imja, ou imjanô, gén. imjanâ, témja « sommet de
la tête », gén. témja, dat. témju, ou gén. iémi, dat. léme, avec
passage au type féminin. En ukrainien, de im'jâ, gén. imeny,
plur. imend, teljâ, gén. teljdty, plur. teljâta, l'instrumental
singulier est im'jâm, teljâm, pour r. imenem. L'innovation se
retrouve ailleurs : tch. dial. râmëm pour ramenem, de râmë
«épaule»; et déjà le vieux slave pouvait bâtir sur plamy
«flamme », masc., un instrumental plamymï pour plamenemï,
à la faveur du doublet nom.-acc. plamy et plamenï (§ 185).
Le polonais garde le type masculin mieszczanin « bourgeois »,
nom. plur. mieszczanie, gén. mieszczan, et les types neutres
imie, gén. imienia, plur. imiona, ciele, gén. cielçcia, plur.
cielçta, avec de bonne heure une tendance à remplacer imiç
par imiono. Le domaine méridional n'a plus que des formes
spéciales de nominatif-accusatif singulier neutre en regard
d'une flexion par ailleurs régulière : bulg. imé, plur. imend,
294 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

telé, plur. teléta ; s.-cr. ïme, gén. ïmena, etc., plur. imèna, etc.,
tèle, gén. tèleta, etc. ; slov. tmg, gén. imèna, etc., téle, gén.
teinta, etc., avec conservation du type telô, gén. lelesa (§ 192),
et en outre avec un type féminin cérkev, gén. cÇrkve (§ 201).
Seul le tchèque, non le slovaque, paraît attester une conser-
vation du type athématique, avec sa désinence caractéris-
tique -e de génitif singulier : masc. kâmen, gén. kamene, loket,
gén. lokte, gén. plur. loket, neutre ramé, gén. ramene, kure,
gén. kurete, fém. cirkev, gén. cirkve. Mais le tchèque littéraire
est archaïsant, et les formes réelles du tchèque parlé sont
gén. kamena, gén. loktu, gén. plur. loktù, et nom. rameno, gén.
ramena, comme jméno qui s'est imposé dans la langue écrite.
Pour les génitifs en -e qui subsistent, il faut les interpré-
ter dans le système actuel : la flexion cirkev, gén. cirkve,
est celle du type féminin mixte posiel, gén. postele (§ 201), et
la flexion kure, gén. kurete (dial. kufaie, kuratë, slovaque
kurat'a) a de même gardé sa désinence -e parce qu'elle a été
identifiée à -e, de v. tch. -ë, du type en -yo- de more « mer »,
gén. more.
Il n'y a plus de type athématique dans les langues slaves :
divers vestiges seulement, et surtout des formes anomales de
nominatif-accusatif singulier, comme dans les formes fixées
des participes actifs présent (§ 281) et passé (§ 284) et du
comparatif (§ 291). Mais une langue comme le tchèque atteste
que la disparition du type n'est pas très ancienne. Le slave
n'est qu'un peu plus évolué que le lituanien, qui, avec même
extension limitée de certaines désinences, gén. sing. et nom.
plur. ~(e)s, gén. plur. garde le type flexionnel, mais de
façon si restreinte et si précaire qu'il a pratiquement disparu
dans une partie des dialectes, comme en lette.
CHAPITRE YII

FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS

208. Masculins en -a et en -o. — Le slave a réparti dans


l'ensemble les flexions selon les genres, ne gardant plus de
trace des anciens féminins en -o- du grec et du latin (§ 124),
distinguant les masculins (et anciens neutres) en -u- et les c
féminins en -u- (§ 159), créant des différences entre la flexion
des masculins et des féminins en -i- (§ 164) et éliminant ensuite
les masculins, disposant en fonction du genre les restes des
types athématiques (§177). Mais il conservait des masculins
en -â-, et il les a maintenus jusqu'à l'époque actuelle. Les
langues slaves ont en outre développé des masculins en -o
et en -e. Comme le type flexionnel et le genre se trouvent en
contradiction dans ce cas, il en est résulté des complications.
Le vieux slave présente des masculins en -a comme sluga•
« serviteur », particulièrement des composés comme vojevoda
« chef d'armée, voïvode », des dérivés en -ïca comme jadïca
« (gros) mangeur », et des emprunts comme Ijuda « Judas,
Jude ». Il a de même des masculins en *-f, -ii (§ 155), ainsi
sçdii « juge», et ce type aussi a été enrichi par des emprunts,
au grec -qs, Manasii « Manassès », au turc -ci, kùnjigucii
« scribe ». La flexion est régulièrement féminine, sauf une
tendance à développer dans les emprunts un instrumental
singulier masculin : Isaija « Isaïe », instr. Isaijemï. Pour la
syntaxe d'accord, ces masculins en -a sont traités normalement
comme féminins au pluriel : sluga moi « mon serviteur », et
296 FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [208]

slugy mojç « mes serviteurs ». Le fait ne peut être que récent :


il est en liaison avec l'opposition que le slave a créée au pluriel
entre les masculins qui distinguent le nominatif et l'accusatif
et les féminins qui les confondent, si bien que slugy, nom.-acc.,
a été senti comme féminin.
De masculins en -o, un exemple Marko « Marc » est isolé
en vieux slave, et le -o n'est pas de lecture très sûre. Mais
le slavon forme des masculins en -ije pour calquer le grec
-îoç, acc. -xov : Makarije « Macaire, Mocrâpios ». Ces formes
slavonnes s'étendent en moyen bulgare ; elles pénètrent en
russe ancien : Makarie pour r. Makârej, écrit -ri/, et r. pop.
Makâr ; et elles sont courantes en serbo-croate : Makarije.
Le serbo-croate traite comme le vieux slave ses masculins
en -a, slûga, sùdija de v. si. -ii (§ 156) : ils sont régulièrement
masculins au singulier et féminins au pluriel. Le type est pro-
ductif, et il s'accroît d'emprunts comme pàsa «pacha », et de
nombreux hypocoristiques comme prôla de prolopop « proto-
pope » (accent long, § 42). Mais les hypocoristiques présentent
une variante -o : prôto ; et il en résulte deux flexions parallèles,
l'une féminine, prôla, acc. prôtu, gén. prôlë, l'autre masculine,
prôto, gén.-acc. prôta, avec même vocatif prôto. Les deux
flexions se répartissent selon les dialectes, en emmêlant plus
ou moins leurs formes; le pluriel, plus rare, est féminin :
prôte. Les hypocoristiques, dont l'origine est sûrement très
ancienne (§ 42), devaient être primitivement en -a. Les formes
en -o, qu'on retrouve dans la plupart des langues slaves,
peuvent résulter pour une part, surtout dans les suffixes
-ko, -lo, d'un emploi expressif du neutre ; pour une autre
d'une extension du vocatif, autre tour expressif. Dans les
noms de parenté, une imitation est possible de la langue des
enfants, qui confondent nom. tâta «papa » et voc. tâto. Il y
a d'autres hypocoristiques en -e : Pâvle, de Pàvao «Paul»,
gén. Pâvla, Mlloje de Milàs(l)av. Ici, à l'action du vocatif
a dû se joindre celle du type ancien Rade, gén. Radeta (§ 195),
[208] MASCULINS EN -a ET EN -o 297

dont le serbo-croate a fait Rade, gén. Râda, à côté de Râdeta,


gén. Ràdetë. Ces explications sont naturellement approxima-
tives : les formations expressives n'ont pas d'histoire sûre.
En bulgare, les masculins en -a ont le vocatif et le pluriel
des féminins : slugâ, voc. slûgo, plur. slugl. De vladika
« évêque », un pluriel vladici, du type masculin d'après son
alternance consonantique (§ 145), est dû à une cause spéciale,
sûrement l'influence de pairik « patriarche », plur. patrici.
Il y a des masculins en -o, surtout hypocoristiques : clco
« oncle paternel », comme s.-cr. clla où l'on reconnaît une
déformation du vocatif strîce de strie (§ 62), cas oblique Uca,
plur. ëlcovci ; avec une forme mouillée en -jo, type Miljo.
L'article postposé s'assimile, comme à l'ordinaire, à la finale
du mot, et n'indique pas le genre : slugâta, cicoto.
En slovène, on a des masculins en -a et en -o, et la conser-
vation du type en -e, gén. -eta : sluga, dêcko « garçon », gén.
dêcka, oie « père », gén. ocçta, plur. ocçti et ocçlje. Le type en -a
flotte entre la flexion féminine et la flexion masculine : sluga,
acc. slûgo, gén. sluge, et gén.-acc. slûga (adj. poss. slugov,
§ 296). Ainsi, de ôëa, variante populaire du slovène littéraire
ôce, la flexion de singulier est mixte avec prédominance du type
masculin : acc. ôca et ôco, gén. ôêa, loc. ôëu et ôci, dat. ôcu,
instr. ôcem et ôco.
Le russe conserve à ses masculins en -a la flexion féminine,
le genre ne se distinguant plus au pluriel qu'au génitif (§ 138),
qui est devenu génitif-accusatif dans le sous-genre animé :
slugâ, acc. slugû etc., gén.-acc. plur. slug. Le type fournit
une masse d'hypocoristiques : Sâsa de Aleksândr. Il y a des
noms en -lo et en -la, mais qui se confondent en une même
flexion féminine, le suffixe n'étant pas accentué : i ancienne-
ment Danilo «Daniel», gén.-acc. Danïla, etc., actuellement
Danllo et Danlla, acc. Danilu, gén. Danily, etc. Le russe
distinguait de même.des noms propres en -ko et en -ka ; dans
la langue moderne, les noms en -ko, qui sont essentiellement
298 FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [208]

ukrainiens, et qui en ukrainien sont fléchis comme des mas-


culins (bât'ko « père », gén.-acc. bâl'ka, dat. bât'kovi), ont une
flexion de féminins en -ka : K or olénko, acc. Korolénku, etc.,
mais plus ordinairement ils sont invariables (§ 210).
En polonais, les masculins en -a ont une flexion féminine
au singulier, et une flexion de masculins au pluriel : starosta
« staroste », acc. starostç, etc., et plur. starostowie, gén.-acc.
starostôw. Quelques mots gardent au génitif-accusatif pluriel
une forme sans désinence, souvenir de leur ancienne flexion
de féminins : sluga, plur. slugi et sludzy, gén.-acc. slug. Le
polonais a des masculins en -o à flexion masculine : wujcio
« petit oncle », gén.-acc. wujcia, nom. plur. wujciowie ; et des
masculins en -ko qui, comme en russe, flottent avec les mas-
culins en -ka avec tendance à passer au singulier à la flexion
féminine : lalko et latka «papa», gén. latka et tatki, ordinai-
rement tatko, acc. tatkç, gén. tatki, etc., mais plur. tatkowie.
Le neutre ksiqzç « prince » est passé au genre masculin, avec
un génitif-accusatif ksiçcia de ksiçzçcia, mais il garde un pluriel
1
ksiqzeta. „
En sorabe, les masculins en -a ont une flexion de féminins,
et tendent à prendre un accord de féminins : ten groba «ce
comte » et ta groba. Les masculins en -o ont en bas sorabe une
flexion masculine : Ruso « le Russe », gén.-acc. Rusa, etc. ;
mais le haut sorabe ne connaît que le type en -a, nom. Rusa,
et c'est aussi l'état d'une partie du bas sorabe.
En tchèque, les masculins en -a, -e (v. tch. -ë) après c ou
chuintante, présentent au singulier une flexion mixte : stuha,
acc. sluhu, gén. sluhy, mais dat.-loc. sluhovi ; soudce i juge»,
dat.-loc. soudcovi, instr. soudcem ; tch. ancien panose «petit
seigneur, page », mod. panos du type zem, dat.-loc. panosovi,
instr. -sim et -sem. Au pluriel, la flexion est masculine :
sluhové, gén. sluhu, etc., soudcové, panosové (et -si). Le tchèque
a des masculins en -i, continuant les deux types v. si. -ii à
flexion féminine (§ 154) et à flexion masculine (§146) ; il les
[208] MASCULINS EN. -a Et EN ~o ^ 299

a fait passer à la flexion des adjectifs mouillés en -t : sudi


« juge », gén.-acc. sudiho, dat. sudimu, pour un ancien sudi.
Le neutre knize « prince » est devenu masculin, avec géni-
tif-accusatif knizele ; on â de même hrabë « comte », gén.-acc.
hrabëte, mais la iorme primitive était v. tch. hrabie (§ 195),
et elle se conserve dans markrabi « margrave », gén. -biho.

Le type ancien en slave est celui des masculins en -a, et


*-?. Il n'est pas impossible que les masculins en -a continuent
pour une part des masculins en i.-e. *-ô(n), ce suffixe four-
nissant des hypocoristiques et des surnoms, gr. 'Ayâôcov de
'Ayoc0oKÀ%, et TTrrôoov de -rrîôr|Kos « singe », lat. Uarrd de udrus
« cagneux », avec une gémination expressive à laquelle peut
répondre l'allongement dans les hypocoristiques du serbo-
croate (•§ 42). En effet, une finale *-5 donnait -a en slave,
et -y du type en -my est remanié (§ 184). Mais alors il y aurait
eu fusion complète^ sur la base du nominatif et du vocatif,
avec les masculins en -â-, et l'on ne saurait établir entre les
types d'hypocoristiques Mila et Milan du serbo-croate le
même rapport qu'entre Mile et Milen, Milën (§ 183) : le type
en -an, qui est surtout développé en serbo-croate, est sûre-
ment emprunté au roman -ânu-, comme l'est à -âne- le type
en -un de s.-cr. Mïlun.
Les masculins en -d- sont conservés en baltique comme en
slave : lit. gyrà « fanfaron », de girlies « se vanter », lette puïka
« garçon », laïza « lécheur, gourmand », de làizît « lécher », si. :
lïzaii. E t avec la variante baltique -ë- de -â- : lit. disèrè
«menuisier» (de l'allemand), lette bende «bourreau». La
flexion est féminine, mais soumise à l'action de celle des
masculins, et l'on a au datif singulier, comme -ovi en tchèque,
lette puikam pour dial. pulkai, bendcm.
En dehors du balto-slave, le type masculin en -â- est déve-
loppé en latin : scrïba, composé agricola. Même s'il appartient
en bonne partie à la langue familière, sobriquets latins comme
300 FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [208]

nâsïca, hypocoristiques et dérivés en -ïca du slave, il ne


saurait se réduire à un emploi expressif du féminin pour dési-
gner des hommes. Il remonte à l'indo-européen, et le grec le
conserve très vivant, avec seulement quelques remaniements
dus à l'influence de la flexion masculine, comme dans les
langues slaves et baltiques : nom. sing. vsavîâs «jeune
homme », gén. vsaviou, avec -s et -ou, dial. -5o, d'après les
masculins. Des formes homériques comme hrrrÔTcx « cavalier »
pourraient être des vocatifs employés comme nominatifs, et
répondre aux formes secondaires en -o des langues slaves.
Les thèmes en -â- de l'indo-européen sont antérieurs à la
distinction du masculin et du féminin (§ 123), et ils ont
fourni des masculins et des féminins, de même que les thèmes
en -û- (balto-slave *inzû, si. jçzykû, § 202), et que les thèmes
en -z-, contaminés avec les thèmes en -yâ- (§ 154), et aussi
hors de ce cas : skr. raïhih « conducteur de char ».

209. Traitement des mots étrangers.— Les mots étran-


gersi nécessitant une adaptation de leurs finales souvent
insolites, jouent dans les langues un rôle qui n'est pas négli-
geable, et qui peut être important. Ainsi, pour l'aspect
phonétique de la fin du mot, le slave avait éliminé la plupart
de ses groupes de consonnes, et les langues slaves ne présentent
plus normalement, dans des mots slaves, que des groupes de
consonnes -si, -zd, -si, -zd. Les emprunts apportaient d'autres
groupes, qui étaient dissociés par l'intercalation facultative
d'une voyelle réduite : v. si. p(u.)sal(u)mû a psaume, vyocXués »,
d'où psalûm(u), psalom(u). Le russe, dans un mot slavon,
continue cet usage ancien : psalôm, gén. psalmâ ', mais non
toutes les langues slaves : pol. psalm. Les emprunts plus
récents sont obligés d'accepter les groupes de .consonnes en
finale : r. elemént. E t ce n'est pas la langue savante qui les
accepte, mais la langue parlée : en serbô-croate, on a elèmenat
dans un mot savant, mais muzlkanl « musicien », de l'allemand,
[209] TRAITEMENT DES MOTS ÉTRANGERS 301

(h)âps «arrêts, prison», du turc, dans des mots populaires,


et les traitements phonétiques considérés comme réguliers,
le jeu de l'a « mobile » avec les groupes de consonnes en finale,
le passage de -l à -o (§ 15), retardent beaucoup sur l'état
d'une langue où l'on ne peut plus dire que lift « ascenseur »,
général ou denèrâl « général ». L'adaptation au type slave a
eu lieu longtemps. Le polonais prend le suffixe allemand -ung
sous la forme -unk, puis -unek, & n l'assimilant et en en faisant
un suffixe slave : gatunek « espèce », ail.. Gattung, et pocalunek
« baiser », de pocalowac « embrasser ». De ail. Schanze « retran-
chement », fém., il fait szaniec, masc., comme r. sânec, s.-cr.
sânac, mais aussi szanc au sens de « chance », à côté de szansa
du polonais moderne qui est refait sur le français. Les groupes
de consonnes finales de l'allemand sont acceptés, et ils sont
acceptés également dans les mots slaves : sorabe kônc pour
pol. koniec (§ 119).
Du point de vue des flexions, les emprunts ne peuvent pas
apporter de types nouveaux, si ce n'est de façon artificielle
et peu recommandable : fr. « sanatorium », plur. « sanatoria »
(qu'on pense à ce que serait «aquaria» de «aquarium»), ail.
Thema, plur. Themata. Mais, en s'adaptant aux types exis-
tants, ils peuvent rendre de la vitalité à des types en voie de
disparition. C'est ainsi que la grande majorité des féminins
en -y sont constitués par des emprunts (§ 204), et que les
féminins et masculins en *-ï ont été considérablement accrus
par des mots étrangers et par les substantifs à suffixes -ynji,
d'origine sûrement germanique, et -cii, d'origine turque
(§ 155). L'extension du datif singulier én -ovi dans les noms
propres et les noms de personnes (§ 162) est celle d'un type
de noms d'emprunt en *-us, que le slave a dû prendre au
gotique où lat. -us et gr. -os s'adaptaient également en -us,
et qu'il a pu transmettre ensuite au baltique. Le détail des
adaptations varie selon les langues et les époques, et selon que

20
302 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

les emprunts sont populaires ou savants. On relèvera surtout


ici quelques faits du vieux slave.
Au temps des emprunts anciens au germanique, les neutres
en -o-, dont la finale -a est encore attestée en runique, donnaient
en slave des neutres en *-a, d'où -o : vino « vin », de got. wein
pris à lat. uïnum, sûrement aussi lice « figure », de got. l'eik
« corps », et vëno « prix de la fiancée ». Le mot vëno, avec le
verbe v. si. vëniti « vendre », ne peut pas être rattaché direc-
tement à la racine i.-e. *wes- de skr. vasnâm « prix » : elle
suppose un emprunt au latin uënum par un intermédiaire
germanique disparu, comme kupiti « acheter », par got. kaupôn
« trafiquer », est lat. caupônor, de caupô « débitant, auber-
giste », autre mot latin qui n'est pas passé dans les langues
romanes, mais que les armées romaines ont dû largement
répandre, et que le germanique conserve. L'accentuation de r.
licô, vinô, paraît indiquer que ces deux mots ont été emprun-
tés à un moment où le -a s'était amui en gotique (§ 191),
mais d'autres emprunts devaient être plus anciens, comme
r. vëno, si. *bïrdo (§ 73) « éminence, colline » et « peigne de
tisserand », got. -baurd, v. h. a. bort « bordure » (d'où fr. bord),
r. bërdo, s.-cr. brdo, et sûrement ëçdo « enfant », v. h. a. kind
(§ 19), r. ëâdo (slavonisme), s.-cr. ëëdo, et faits à des formes
encore dissyllabiques et accentuées sur l'initiale.
A l'époque du vieux slave, les neutres grecs en -ov sont
normalement rendus par des masculins : skan(û)dalu «scan-
dale, OKCCVSOCÀOV », idolu « idole, eïScoÀov », etc. ; en dehors
de evan(ï)g'elije «évangile» adapté en composé slave en
-ije, des neutres comme mvro « chrême, piûpov », r. miro, sont
exceptionnels et savants. Ceci doit s'expliquer par le fait
que ces emprunts venaient plus directement du roman,
scandalu-, etc., dont l'influence sur le vieux slave est moins
visible, mais a été plus profonde que celle du grec ; il faut y
voir aussi la preuve d'une limitation en slave de la producti-
vité du neutre à ses formations sufïixales (§ 125). D'autres
[210] INDÉCLINABLES . 303

neutres sont adaptés en féminin en -a : stvx'ija « élément »,


r. slixlja, d'après le pluriel usuel, gr. Tà crroixsïcc.
Les masculins en -ios donnent des formes en - a , gén. -ija,
évidemment savantes, comme les formes postérieures en -ije
(§ 208), à côté de formes du type dur en -û ou du type mouillé .
en -(j)ï : marlii «mars, nàp-nos » et usuellement marlù,
r. mari, r. Makârij « Macaire » et pop. Makâr, v. si. Patrik'ii
« Patrice, nctTpÎKios » et Palrik'ï. Le flottement est sûrement
en relation avec la perte récente de la productivité du type
masculin en -i- (§ 170). Les masculins en -Z sont transposés
en -lu ou -Ijï, et la forme -Ijï doit de même continuer -Il du
type en -i- : v. si. kraljï « roi », s.-cr. krâlj, de v. h. a. Karl
(§ 71), acc. Karlan. Un masculin en -r comme gr. Kccïaocp
«César» donne v. si. K'esaru et K'esar(j)ï ; pour l'emprunt
plus ancien césarjï «empereur», voir § 295. Les masculins
grecs en -as et -ias ont enrichi le type masculin en -a, et
ceux en -r\ç et -v les masculins en -ii à flexion féminine. Les
féminins en -is prennent place dans le type toujours produc-
tif des féminins en -ï (§ 167), et de même les indéclinables
féminins terminés par consonne : Iezavelï « Jézabel, 'IsjccgsÀ »,
gén. -Ii ; et les féminins en -r) donnent des féminins en -ii.
Parmi les traitements variés des autres langues, on rappel-
lera en serbo-croate l'incorporation au type neutre en -e,
gén. -eia, des nombreux mots en -e venus du turc, et en
bulgare l'extension plus libre encore des pluriels en -éta, et
aussi -la, dans les emprunts (§ 195). E t on notera en polonais
le passage des noms propres en -i, -y, -e à la flexion des
adjectifs : Gœthe, gén. Gœtheyo, dat. Gœlhemu.

210. Indéclinables. — Il n ' y a pas en principe de noms


indéclinables en slave, en dehors de formes entièrement
adverbialisées, d'un t o u t petit groupe d'adjectifs vieux-slaves
en -i.(§ 277), et plus tard, dans quelques langues seulement,
des noms de nombres (§ 301). Les noms des lettres de
304 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

l'alphabet vieux-slave, azu « moi » pour a, iêe « qui » pour


l'un des deux i (§ 63), etc., ont reçu rapidement une flexion :
gén. aza, instr. izemï.
E n vieux slave, les indéclinables du grec et du latin sont
normalement fléchis, et si l'on trouve quelques substantifs
invariables, comme pasxa «la Pâque », c'est rarement et de
façon artificielle : usuellement acc. pasxç, etc. (loc.-dat. pastë,
pascë, § 18). Il en est de même dans les langues slaves modernes,
si ce n'est que le russe littéraire, tout aussi artificiellement,
mais régulièrement, laisse sans flexion ses nombreux emprunts
récents en -e,.-o, -i, -u, -d, et aussi ses noms propres en -ovô,
-âgo, -yx, et ceux en -ko d'origine ukrainienne, dont la flexion
populaire est féminine en -ka (§ 208). Le russe a ainsi bjurô
« bureau » indéclinable, en regard d'adaptations diverses dans
les autres langues, pol. biuro, gén. biura, bulg. bjurô, plur.
bjurâ, s.-cr. birô, gén. biroa. Les traitements naturels sont
autres en russe : burzûj « bourgeois », plur. burzûi. E n polo-
nais, les noms savants en -um sont indéclinables au singulier,
mais fléchis au pluriel- : muzeum « musée », plur. muzea, gén.
muzeôw.

211. Collectifs. — Avec un certain nombre de substantifs,


le pluriel est usuellement remplacé' par un collectif. E n vieux
slave, des masculins comme kamenï « pierre », korenï « racine »,
lislu « feuille », ont des collectifs neutres kamenije, korenije,
listvije (§ 160), d'emploi courant, et qui se substituent au
pluriel, mais sans le faire disparaître. De brat(r)u «frère»,
duel brat(r)a, un pluriel brat(r)i est assez rare, et l'on trouve
à sa place le collectif brat(r)ija, à flexion régulière de fémi-
nin singulier (voc. -ije et -ija, § 154). Le vieux slave a égale-
ment des collectifs féminins en -ï : ëeljadï « gens de la maison »,
et cçdï «gens» en face de cedo «enfant», les deux formes
sûrement empruntées au germanique (§ 19) ; à skçdûlu.
« bardeau, échandole », du roman scandula, il donne un collectif
[211] ' COLLECTIFS 305
j
skçdulï. Mais il a transformé le collectif dëtï « enfants » en
pluriel anomal dëti du singulier dëtistï, dëlç en slavon et dans
les. autres langues slaves (§ 194), et l'on a de même r. diljd
(v. r. dëtja), plur. déli, pol. dzieciç, plur. dzieci, tch. dite,
plur. dëti. La forme dëtï se maintenait en slave méridional :
elle est attestée en vieux serbo-croate, et elle se retrouve
encore, limitée au vocatif et au génitif dîjeti après nom de
nombre, en serbo-croate dialectal moderne. Elle est surtout
représentée par son diminutif v. s.-cr. dëtïca, slov. dëca,
s.-cr. djëca, féminin singulier qui sert régulièrement de pluriel
à dijète, et de même en bulgaro-macédonien : bulg. detë, deçà.
Un autre collectif féminin singulier, gospoda en regard de
gospodï «seigneur» (§ 170), est sûrement très ancien, bien
qu'il ne soit pas attesté en vieux slave. Il apparaît en vieux
russe et en vieux serbo-croate, et il se continue en russe dans
le pluriel gospodâ de gospodin « monsieur », en serbo-croate
dans le féminin singulier gospoda qui fait office de pluriel de
gospodin ; le slovène" a également le collectif gospoda « sei-
gneurs », plus indépendant de gospôd, plur. gospôdje. Mais
l'histoire de la forme n'est pas claire : en vieux tchèque,
hospoda « seigneur » est un masculin en -a, féminin au sens
de « dame », et il y a le mot gospoda qui signifie « auberge »
en vieux slave, en tchèque et en polonais. .
Parmi les langues slaves modernes, c'est le serbo-croate
qui a le mieux maintenu la catégorie du collectif — connue
des langues romanes, v. fr. doi « doigt», plur. doiz, coll. la doie,
ital. dito, diti, le dita — et qui l'a développée. Il conserve à
ses collectifs en -a une flexion régulière de féminin singulier,
bien qu'ils servent de pluriels et ne soient plus des collectifs :
brâca de bràt, djëca de dijète, gospoda de gospodin, auxquels
est venu se joindre vlastèla de vlastèlin « noble », par substi-
tution à nom. plur. vlastele du serbo-croate ancien (§ 260).
Les collectifs neutres en v. si. -ije sont pour beaucoup de mots
les substituts usuels du pluriel : kàmënje, lisce, cvïjece de
306 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

cvïjet «fleur», etc., mais comme collectifs, et en laissant au


pluriel, kâmenovi (§ 163), etc., son emploi plus limité. Le
neutre gàvedo «tête de bétail » présente dialectalement un
collectif fém. sing. gdvëd, en regard du pluriel goveda de la
langue commune. La forme n'est attestée qu'à époque récente,
mais elle se retrouve dans slov. govçd. Le mot zvïjer «bête
fauve », ancien masculin en -i- (§ 169), ne se maintient qu'en
partie comme masculin, plur. zvjërovi, et tend à être traité
comme collectif féminin, avec un singulatif zvjërka. E t tout
un type nouveau a été développé de collectifs féminins en -âd
en regard des neutres en -e, gén. -eta, désignant des êtres
jeunes (§ 195). Dans la catégorie très productive de tèle
« veau », le pluriel conservé à l'ouest, cak. telëta, et à l'est à
la frontière du bulgare, a complètement disparu dans les parlers
centraux et la langue commune, remplacé par tëlad, gén.
tèlâdi, avec une flexion des cas obliques qui flotte entre le
singulier et le pluriel (loc.-dat.-instr. telâdma). L'innovation
paraît assez récente, et consiste en l'extension d'un suffixe -âd
qu'on retrouve dans quelques dérivés d'adjectifs comme zïvâd
« volaille » à côté de zivina, de zlv « vivant », bujâd « fougère » de
bûjan «luxuriant», à date ancienne iïséadï «vanité» en slavon
' croate, de v. si. tûstï « vide, vain ». C'est un suffixe de la lan-
gue populaire dont on suit mal l'histoire depuis v. si. celjadï,
s.-cr. cëljâd « gens de la maison », et dont les parallèles dans les
autres langues, comme r. rûxljad' «nippes, fourrures », ancienne-
ment « biens meubles », en regard de rûxnut' « jeter, tomber »
(et, lôsad' « cheval », § 195), sont insuffisamment clairs.
Dans les autres langues slaves, des formes de collectifs
subsistent, soit en continuant à fournir le substitut usuel du
pluriel, comme dans tch. kâmen, coll. karrieni, soit comme mots
à part et d'emploi libre. Mais la catégorie du collectif appa-
raît dans l'ensemble en décadence. Le bulgare conserve u n
bon nombre de collectifs comme liste « feuilles », mais, depuis
le moyen bulgare; il tend à les transformer en pluriels :
[211] COLLECTIFS 307

l'istâ. Le slovène a perdu, sauf dialectalement, le collectif


brâlja de bràt, et il donne au mot un pluriel normal, bràli ou
brâtje. E n tchèque, le collectif v. tch. bratrie devient un pluriel
bralri, et qui se normalise en brairi, gén.-acc. bratru. Le slo-
vaque a braiia, et il a étendu cette finale -ia de collectif, qui
est également celle des collectifs et pluriels neutres en -ia
(§ 148), au nominatif pluriel en -ie, tch. -é, de l'ancien type
en -i- (§ 142, § 172), avec son extension à -ovie, tch. -ové, de
l'ancien type en -u- (§ 163).
Le polonais maintient bracia, mais avec une flexion de
pluriel, gén.-acc. braci, instr. bracmi, etc. Il fléchit de même
ksiçza, pluriel, de ksiqdz « prêtre », antérieurement « prince »,
qui témoigne d'un développement des collectifs en -ïja en
polonais. Ce développement est attesté par des formes
anciennes : éwiçcia dès le x i v e siècle pour swiçci « saints »,
biskupia (xv e siècle) de biskup « évêque », pour biskupi, et
dial. swacia pour sipaiowie, de swat « marieur ». Mais le
polonais moderne a perdu le collectif kamienie, et son collectif
pierze «plumage» est à part de piôro «plume», plur. piôra.
Le russe garde brât'ja et gospodà, mais comme pluriels,
gén.-acc. brât'ev, gospôd. Il avait développé les collectifs en
-ïja et en -a, et il présente t o u t un petit groupe de pluriels
en - ja, qui n'ont rien à faire avec l'ancien nominatif pluriel
en -ïje des thèmes en -i- (,§ 172) : knjaz'jâ et svat'jâ, comme en
polonais, muz'jâ «maris», zjat'jâ «gendres», etc. E n vieux
russe, ces formes avaient, comme brat'ja, une flexion de
féminin singulier : instr. krijazïeju, remplacé par knjazïmi,
knjaz'mi (mod. knjaz'jdmi). Des collectifs en -a, la producti-
vité ancienne a laissé des traces dans les pluriels en -ana ou
-anja des noms en -anin dans les dialectes russes, pour -ane
du russe littéraire et du vieux russe (§ 207) ; et dans le pluriel
anomal xozjâeva, gén. xozjâev, de xozjâin « maître de maison » :
cet emprunt au turc xozja, forme dialectale du persan xodza
« maître », a reçu une finale de pluriel -eva pour -eue, comme
308 - FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [212]
y v
celle
V
du russe ancien Zidova Juifs » pour Zidove, mod.
Zidy. P a r ailleurs, le russe a transformé en pluriels en -ja
les anciens collectifs neutres en - e : list, plur. lîst'ja, perô,
plur. pér'ja, etc. Comme il a aussi largement développé des
pluriels en -a de masculins qui ont d'autres origines (§ 138),
l'état actuel est devenu assez confus.

212. Singulatiîs. — Au collectif s'oppose le singulatif, et le


développement d'une catégorie appelle celui de la catégorie
inverse. Les singulatifs sont nombreux dans les langues
slaves : v. si. kamykû « une pierre » en regard de kamy, kamenï
« pierre » ( § 185) ; cvëlïcï « une fleur » de cvëtû « fleur », mot qui,
postverbal de cvïtç « je fleuris », signifie proprement « florai-
son » ; r. gorôsina « un pois » de yorôx « du pois, des pois »,
solômina et solôminka « brin de paille, fétu », pol. stomka,
s.-cr. slâmka, de r. solôma « paille », pol. sloma, s.-cr. slâma.
Mais ces formations n'intéressent que le vocabulaire. Un
type de singulatif s'est fixé comme forme grammaticale :
le type en -inu.
E n vieux slave, le singulatif en -inû est régulier en regard
des noms] d'habitants à plur. -(j)ane, auxquels il fournit
leur singulier et leur duel : grazdane, sing. grazdaninu, gén.
grazdanina, etc., duel grazdanina. Le suffixe est en plein
développement : il donne à Ijùdije « peuple », plurale tantum,
un singulier Ijudinu « homme du peuple, laïc », au pluriel
gospodije « seigneurs » un singulier gospodinu qui se diffé-
rencie de Gospodï « le Seigneur » (§ 170) ; il se superpose au
suffixe -teljï dans zitelinu « habitant » pour ziteljï, et il s'accom-
pagne de l'extension du nominatif pluriel athématique ' en
-e (§ 206).
Le suffixe était fréquent avec les noms de peuples : Ruminu
« Romain », plur. Rum- (instr. Rumy). Un des noms du
« géant », spolinu, plur. spol- (acc. spoly), dont le russe a fait
ispolin (§ 109), plur. ispoliny, doit être celui des Spalaei,
[212] . SINGULATIFS 309
:
!
gr. 2/rrâÀoi, peuple ancien de la région du Don qui a combattu
les Gots et dont le souvenir a dû se conserver dans des
légendes des Gots et des Slaves relatives à ces luttes. C'est
ainsi que le nom des « Avares », v. r. Obri, a donné tch. obr
«géant». Le polonais a altéré v. si. spolinû en st(w)olim
(ancien et dialectal), comme tch. obr, slovaque obrin, v. r.
Obrinù, en v. pol. obrzym, mod. olbrzym; la finale -im, de -in,
imite celles des mots religieux, Serafim (et -fin) « Séraphin »,
et sans doute particulièrement celle du nom des « Philistins »
des récits bibliques, v. tch. Filisti(i)m, lat. Philistiim (pol.
Filistyn). Pour un autre nom du « géant », v. si. studu et
slavon studovinu comme Zidovinu « Juif », voir § 263.
Le développement du suffixe se continue en moyen bulgare,
et le bulgare le présente non seulement dans les noms d'habi-
tants comme grdzdanin, Bâlgarin « Bulgare », plur. Bâlgari,
mais aussi dans des noms d'emprunt désignant des métiers,
kasâpin « boucher », du turc, et même, dans la langue parlée,
agéntin pour agént « agent ». Il en est de même en serbo-croate,
avec une extension moindre aux noms de métiers. Au contraire,
dans d'autres langues, le singulatif en -in se limite et va
jusqu'à disparaître ; sa décadence, sans être liée à celle du
collectif, présente une analogie avec elle.
Le slovène a éliminé -in : type grajàn, et gospQd. Le tchèque
moderne a fait de même : type mëst'an « bourgeois », plur.
mësi'ané, pour un plus ancien mëstënin; Hospodin n'a que le
sens de «Seigneur (Dieu)», dès le vieux tchèque, et se
maintient comme terme religieux. E n polonais, le type en
-anin, plur. -anie, est stable, et même productif : wegetarianin
« végétarien » ; mais non dans tous les dialectes, et le kachoube
substitue le singulier miesëçn, gén. miescana, à pol. mieszcza-
nin, gén. -nina. E t -in est rare hors de ce type : Tatarzyn et
Tatar « Tatare». Le vieux, polonais Gospodzyn a disparu
depuis longtemps : mod. Pan Bôg.
E n russe, les singulatifs en -in ont eu un grand développe-
310 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

ment : v. r. Polovcinu « Polovtse », plur. Polovci. Le russe


ancien présente un type intéressant en plur. -ici, sing. -ilinu
( § 63) : Pskovici « gens de Pskov », sing. Pskovitinu, et ainsi
régulièrement. Mais -in se restreint dans la suite, et n'appa-
raît plus, en dehors du type en -anin, plur. -ane, que dans
quelques mots : bojârin « boïar » et sa réduction en bârin
« maître », plur. bojâre, bâry, Tatârin et Bolgârin, plur.
Tatdry, Bolgâry, gospodîn « maître, monsieur » et l'emprunt
xozjàin « maître de maison », plur. gospodâ et xozjâeva (§211).
La forme Zidovln « Juif », plur. Zidova en fusse ancien, cède
y y
la place à Zid, plur. Zidy (§ 219), et le type Moskvitin, plur.
Moskvici, a complètement disparu devant Moskvic populaire
et Moskvitjdnin savant. On notera à ce propos que si le type
en -anin appartient bien à la langue réelle et existe en ukrai-
nien comme en russe, une partie de ses formes sont littéraires
et archaïsantes : c'est le cas pour les noms d'habitants de
villes, et cf. en français Mussiponlin «habitant de Pont-à-
Mousson ». E n serbo-croate aussi, -anin est concurrencé par
des suffixes plus populaires, ainsi, de Bêc «Vienne», Bèclija
« Viennois », avec le suffixe turc -li, à côté dé Bécanin.
L'incorporation dans la flexion d'un singulatif en -iniï est .
une particularité notable du slave. Le baltique ne connaît
rien de tel, mais il n'a pas non plus de formations de collectifs
comparables à celles du slave : ce sont là des développements
nouveaux. L'élément -inu. est un suffixe qui a été pourvu
secondairement d'une fonction grammaticale. Il n'a naturelle-
ment rien de commun, bien que suffixe de singulatif, avec
le numératif ino- « un » (§ 257). Le parallélisme est accidentel
entre la flexion de jedinu, cas obliques jedïn- ( § 63), et la flexion
exceptionnelle du vieux polonais Gospodzyn, gén. Gospodna:
le mot doit être pris au tchèque, et son altération, sans doute
d'après l'adjectif tch. hospodni, v. si. yospodïnjï, indique que
l'élargissement en -in n'était plus bien compris. E n serbo-
[215] ACCENTUATION DULITUANIEN '' 3 1 1

croate kajkavien, l'altération pareille de s.-cr. gospàdin,


gén. -ina, en gçn. gospodna, d'où gosponna, gospona, et de
là nom. gosport, pourrait être aussi la conséquence de la
décadence du suffixe -in dans un dialecte contigu au slovène.
Le suffixe -inu répond sûrement à lit. -ynas qu'on trouve
dans quelques dérivés comme avynas « oncle maternel », de
*aœia-, v. pr. awis, si. *ujï, kaimynas « voisin », de kiëmas,
kâimas « village » ; et à lat. -ïnus (uïclnus de ulcus), gr. -îvoç.
Ce n'est qu'une forme substantivée de l'adjectif d'apparte-
nance que le slave présente en particulier dans ses adjectifs
possessifs dérivés de' thèmes en -i-, comme v. si. zvërinu de
zvërï «bête fauve» (§ 294). Il a dû se former à l'origine
comme dérivé de collectifs en -ï : v. r. Rusï «la Russie, les
Russes », et Rusinu « Russe ». Mais il a eu un large développe-
ment, comme on l'observe à l'époque du vieux slave ; le type
en -(j)aninu du slave commun, avec sa superposition de
suffixes,, présente déjà l'aspect d'une formation secondaire
comme v. si. zitelinû.

213. Le duel. — Le duel est lié en slave au singulier, comme


on le voit dans les cas où le singulier et le pluriel différent :
type grazdaninu, duel grazdanina, et pluriel grazdane ; type
roditeljï « parent », duel roditeljà de thème en -yo-, et plur.
roditelje semi-athématique. Le fait n'est pas primitif, et les
vieux duels oci, usi sont indépendants des singuliers oko, uxo.
Il n ' y a de duel qu'en fonction d'un singulier, et il n'existe
pas de dualia tanlum. Les mots qui ne s'emploient pas au
singulier sont des pluriels, usta «bouche», vraia «(grand')
porte », y compris zrûnuvi « moulin à bras », bien que le mou-
lin. soit composé de deux meules, et à plus forte raison dvïri
«porte», qui a en regard un singulier plus rare dvïrl, mais
qui n'indique pas une porté à deux battants. Le nom des
« narines », nozdri, est aussi u n pluriel en vieux slave, mais
avec des formes de duel en slavon; le singulier «narine»
312 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

dans les langues slaves, r. nozdrjâ, s.-cr. nôzdrva (§ 205), est


nettement secondaire du pluriel ou du duel. On voit même,
de ustïna « lèvre », le duel ustïnë concurrencé par une forme
de pluriel ustïny dans des emplois comme ustïny tvojç « tes
lèvres » où il n'y a pas de doute qu'il s'agisse de deux lèvres,
parce que ce mot à singulier plus rare a été assimilé à un
plurale tantum. A l'inverse, des duels comme oci, usi, rçcë
« mains », nodzë « pieds », se substituent couramment au
pluriel : oci ixu « leurs yeux ». Avec des mots qui désignent
des paires, il est assez naturel qu'on dise « leurs deux
yeux », comme on dit « leur cœur », srudïce ixû, sans chiffrer
les yeux plus que les cœurs. C'est tout de même, affaiblir
la valeur de duel de ces formes et les préparer à devenir
des pluriels, comme elles l'ont fait dans l'évolution des
langues slaves.

La flexion du duel présente des particularités étranges.


D'une part elle est réduite à trois formes en slave, un nomi-
natif-accusatif, un génitif-locatif et u n datif-instrumental,
et de même en sanskrit avec un datif-instrumental-ablatif.
L'avestique distingue le génitif et le locatif, mais les rares
vestiges de la désinence lit. -au(s) ne permettent pas d'affir-
mer qu'il en ait été de même en balto-slave (§ 133). Pour le
grec, il n'a qu'un nominatif-accusatif et un génitif-datif.
D'autre part cette flexion offre un aspect composite. Dans
les thèmes en -o- et en -â- et dans les athématiques, le génitif-
locatif en *~ou(s), si. -u, est le même pour toutes les flexions :
v. si. rab-u de rabû, glav-u de glava, dïn-u de dïn-; il n'a
aucun rapport avec les nominatifs-accusatifs en *-o, si. -a, etc.,
ni plus généralement avec les thèmes. Il en est de même pour
le génitif pluriel slave en -u, mais le fait amène à poser la
question de l'origine de la désinence de génitif pluriel (§132).
Ici, la question qui se pose est: celle de l'origine de la flexion
du duel, et de l'origine même du duel, mal reconnaissable
[213] LE DUEL 313
|
en hittite, et très inégalement attesté par les langues indo-
européennes.
Au génitif-locatif, *-ou(s) a l'aspect d'une désinence de
singulier de thème en -u-. On doit supposer que cette désinence
est celle de la flexion du numératif *d(u)wô(u) «deux»,
couramment associé au duel. Une finale *-5u pouvait s'abré-
ger en *-ô en indo-européen (§ 158), mais elle est bien attestée
pour ce nombre : skr. dvdu, v. irl. dau, v. isl. tvau; et on la
retrouve dans skr. ubhâu «tous les' deux», et dans *oktô(u)
« h u i t » , skr. astdu, got. ahtau. Ces numératifs représentent
donc à l'origine des thèmes en *-5u- (§ 159), à génitif *-ous et
locatif *-ou, du type de *gw5us « b œ u f » , skr. gduh, gén. gôh
(loc. gâvi) ; et c'est secondairement que *d(u)wô(u) a pris
le génitif-locatif de la flexion pronominale (§229), skr. dvâyoh,
si. duvoju.
Le datif-instrumental duel n'est attesté que par l'indo-
iranien et le balto-slave, avec des désinences skr. -bhyâm, si.
-ma et lit. -m(a), qui paraissent résulter de développements
parallèles pour créer une caractéristique différente de celles
du datif et de l'instrumental pluriels. Il est curieux que dans
deux vieux duels isolés, les noms des «yeux» et des «oreilles»,
la désinence soit ajoutée non au thème, consonantique ou
en -i-, mais au nominatif-accusatif duel : skr. akstbhyâm,
si. ocima, usima (§ 193). E t cf. skr. -âbhyâm dans la flexion
pronominale, § 229.
Pour le nominatif-accusatif duel, où -au du sanskrit doit
être analogique de dvdu et substitué à véd. -â, les désinences
sont *-ô avec les thèmes masculins en -o-, *-u avec les thèmes
en -u-, *-ï avec les thèmes en -i-, sans forme qu'on puisse
restituer pour le type athématique ; elles se caractérisent donc
par un allongement de la voyelle thématique. Font exception
les féminins e n - â - et les neutres en -o-, qui présentent une
même désinence *-âi en indo-iranien et en balto-slave, peut-
être prise à la flexion pronominale, où une désinence -oi
314 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

apparaît au nominatif masculin pluriel, et u n - t h è m e . - o i -


aux cas obliques du pluriel et du duel (§ 229) : ici, la forme
longue -â est la caractéristique du nominatif féminin singu-
lier et du'nominatif-accusatif pluriel neutre. Le nominatif-
accusatif duel aurait-il été un ancien collectif, comme les
féminins en -â-, en -û- et en -F- (§ 123)? Mais on trouve le même
allongement de la voyelle thématique à l'instrumental
singulier (§ 131). Le nominatif-accusatif duel tirerait-il son
origine d'un emploi spécial du comitatif, lointainement
analogue au tour my s tobôj « nous avec toi, toi et moi » du
russe, *d(u)wô(u) wlkw5 «deux loups» aurait-il signifié
« deux avec un loup », et le duel « elliptique » du type skr.
Mitrd «-les deux Mitra, Mitra et Varuna » aurait-il antérieu-
rement voulu dire « l'autre avec Mitra » ?
De toute façon, il semble bien que la flexion du duel
nominal soit hétéroclite et se soit constituée secondairement
avec un jeu réduit de formes casuelles, parallèlement et de
façon inégale dans les dialectes de l'indo-européen. Pour les
cas obliques, l'accord est satisfaisant entre l'indo-iranien et
le balto-slave, mais le grec est aberrant, même avec les dési-
nences -oiuv, -aiuv de l'arcadien (§ 133). Le duel est ancien,
avec des formes spéciales comme *wë « nous deux » dans les
pronoms personnels (§251), avec un jeu de désinences ver-
bales, d'ailleurs assez obscur ; mais la constitution d'un
système flexionnel du duel ne l'est pas. Le système du
sanskrit et celui du vieux slave sont clairs : c'est qu'ils ont.
été créés de fraîche date.

214. Élimination du duel. — E n baltique, le duel ne se


conserve qu'en lituanien, et avec perte du génitif-locatif.
Tout le duel a disparu dans une partie des parlers du lituanien,
en lette et en vieux prussien. Mais le lette en garde/ des
vestiges importants, en dehors de formes adverbiales fixées :
dialectalement des formes en -u et surtout en -z après divi
x
[214] ÉLIMINATION DU DUEL 315

« deux », et de là après les nombres de « trois » à « neuf », ainsi


abi kâji « les deux pieds » (lit. kôja « pied », duel kôji) pour
le pluriel kâjas , pleci asi « cinq cordes de bois » (lit. asis,
duel asi) pour le pluriel asis ; et dans la langue commune les
désinences de datif-instrumental pluriel en -m (§ 132), ainsi
kâjâm pour v. lette -âms, qui répond à lit. kôjom, dat.-instr.
duel, en face de dat. plur. kôjoms, instr. kôjom(i)s. Des
parlers lituaniens présentent de même -om en valeur de
pluriel. Des faits t o u t semblables, se retrouvent dans les
langues slaves qui ont perdu le duel.
E n vieux slave, le duel est d'emploi rigoureux. Dans la
plupart des langues slaves, il a disparu, à des dates diverses
et qu'il est impossible de préciser, car la disparition a été
progressive. La cause n'en est pas dans un changement de
mentalité des Slaves au contact des civilisations occidentales :
le duel n'est pas un cadre de pensée, c'est une catégorie mor-
phologique. Que des langues distinguent « nous deux » et
« nous », « mes deux fils » et « mes fils », est naturel : nous le
faisons nous-mêmes, sans aucune rigueur, mais assez couram-
ment, et puisque « deux » n'est pas « plusieurs », il y a quelque
raison de préciser qu'on a affaire à deux et non à plusieurs. La
.question est de l'expression morphologique régulière de cette
distinction spontanée. Le slave en possédait une, tradition-
nelle, et qui était claire. Mais, déjà assez variée avec la mul-
tiplicité des types flexionnels et leurs duels en -a, -ë, -u et -i,
elle se compliquait avec l'opposition des flexions dure et
molle : dans les féminins en -â-, le vieux russe opposait plur.
zeny, dusë, et duel zenë, dusi. Le duel ne pouvait subsister
qu'en se remaniant et se simplifiant, et si le slovène le conserve,
c'est en réduisant ses formes de nominatif-accusatif à deux :
-a pour les masculins et -i pour les autres types. Une simpli-
fication plus radicale était de le laisser se perdre, puisqu'il
n'était que traditionnel'et ne servait à rien de précis. Le
système des trois genres était solide et trouvait son utilisation
316 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

dans la langue (§ 124) ; il n'en a pas été de même de celui


des trois nombres.
Le duel a disparu non par simple élimination, mais par
absorption dans le pluriel, et avec conservation en valeur de
pluriel de vestiges du duel plus ou moins importants selon
les langues. D'autre part, la construction du duel avec le
nombre « d e u x » a pu se maintenir par tradition, en cessant
d'être comprise. Pour la flexion de v. si. duva « deux » et
oba « les deux », voir § 303.
Le duel se conserve à l'époque actuelle en slovène, en
sorabe et dans quelques parlers kachoubes : le slovince et
les parlers voisins. Ce sont des dialectes, ou c'est, comme en
slovène, un groupe de dialectes qui n'a été unifié que récem-
ment en une langue commune, et où le duel a été accepté
comme norme, mais est d'emploi très variable selon les par-
lers. Sur de plus vastes domaines, où s'opèrent des mélanges
de population, les conditions se sont révélées contraires à une
préservation du duel.
E n slovène, les désinences sont masc. -a, neutre -i, dat.-
instr. -oma, -ema; fém. -i, dat.-instr. -ama, dans le type en
-a, et -i, dat.-instr. -ma, -ema ou -ima dans le type kôst. Le ,
génitif-locatif a disparu, comme en lituanien, sauf dans
l'anaphorique, njîju, ju (§ 246), et dans les pronoms per-
sonnels, nâju, vâju (§ 252). Il est remplacé par les formes
de génitif et de locatif pluriel, même dans la flexion de rôka
« main », plur. rok£, gén. rôk, loc. rokàh, et dans celle de ocî
« yeux » à côté de oëçsa, qui est entièrement de pluriel : gén.
oci, loc. océh, et dat. ocêm, instr. ocmi. De uhô « oreille », le,
duel usi a été éliminé par le pluriel usçsa.
E n bas sorabe, la flexion est : masc. -a (h. sor. -aj), type
mouillé -ja (h. sor. -jej sur nom. plur. -je) ; neutre -je, type
mouillé -i, qui tend à s'étendre dans le type dur ; gén. -owu
sur gén. plur. -ow (h. sor. -ow, ancien -owu), qui est génitif-
accusatif avec les masculins du sous-genre personnel ; loc.-
[214] ÉLIMINATION DU DUEL 317

dat.-instr. -oma (h. sor. -omaj), et -joma dans le type mouillé ;


— fém. -je, type mouillé -i ; gén. -owu comme gén. plur. -ow
(§152); loc.-dat.-instr. -oma (h. sor. -omaj) depuis le vieux
sorabe, et sans aucune trace conservée de *-ama; — dans le
type kôéc: kôsci, gén. kôscowu, loc.-dat.-instr. kôscoma (-omaj).
Le datif-instrumental duel est devenu un locatif-datif-instru-
mental, et le génitif -owu du bas sorabe est perdu en h a u t
sorabe et remplacé par le génitif pluriel -ow. Pour les formes
en -/' du h a u t sorabe, elles sont prises au nominatif-accusatif
à la flexion déterminée de l'adjectif (§ 268), et de là elles ont
été étendues, comme caractéristiques du duel, à loc.-dat.-instr. -
-omaj. On voit que le sorabe a remanié assez fortement la
flexion des cas obliques, accentuant l'écart entre le pluriel,
loc. -ach, dat. -am, instr. -ami, et le duel, loc.-dat.-instr.
-oma. Les mots ruka et noga continuent de distinguer plur.
ruki, nagi, et duel ruce, note. A woko, h. sor. wucho et b. sor.
hucho (§ 77), le duel sert de pluriel : b. sor. wôcy, gén. wôcowu,
loc.-dat.-instr. wôcyma-(c, pour c, § 14), h. sor. woci, wocow,
wocimaj ; et de même b. sor. husy, h. sor. wusi, etc.
E n slovince, on a les correspondants des désinences du
vieux polonais : masc. -a, dat.-instr. -oma, -(i)ema; neutre
~(i)e, dat.-instr. -oma; fém. ~(i)e dans le type dur, -i dans
le type mouillé, dat.-instr. -çma de *-âma, et -i dans le type
en -i-, dat.-instr. -ma, secondairement -çma. Du génitif-
locatif en -u, en plus de oczu, uszu et rçku du polonais moderne,
il ne subsiste que nogu.

Le russe a perdu le duel de bonne heure, vers les x i n e et


x i v e siècles, et il en garde très peu de traces dans la flexion
des substantifs : des pluriels ôci, usi, pléci de plecô « épaule »,
koléni de koléno « genou », avec une flexion régulière de plu-
riels, gén. océj, loc. ocâx, etc. Les dialectes offrent quelques
autres formes : mudé «testicules», et mûdi, sing. mûdo, de
si. *mçdo, s.-cr. mûdo, etc. ; skulé « pommettes », dans la
21
318 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

langue commune sing. skulâ, plur. skûly ; brylé « lèvres »


(«lippe du chien»), et bryli, sing. brylâ, bryl' ; etc.,, avec des
vestiges plus ou moins altérés de la flexion de duel, instr.
rukâma, et usmi pour l'ancien usima, d'où rukml. Des pluriels
masculins comme bokd « flancs », rogâ « cornes », usâ (usuelle-
ment usy) et ukr. vûsa « moustaches », sont d'anciens duels,
mais perdus dans la masse des pluriels nouveaux en -â,
d'autre origine (§ 1.38), du type gôrod, plur. gorodâ. Un plu-
riel rukavâ de rukâv « manche » continue toutefois à se dis-
tinguer de ce type récent par son jeu d'accent qui n'est pas
de l'initiale à la finale. Le vestige le plus important du duel en
russe est la construction avec le nombre « deux » : dva brdta
« deux frères » ; mais cet ancien duel est compris comme un
génitif singulier, et le tour a été étendu, d'une part aux neutres
et aux féminins, dva oknâ « deux fenêtres », due sestry « deux
sœurs» (de sestrâ, gén. sestry, plur. sëstry), d'autre part aux
nombres « trois » et « quatre » : tri brâta, tri sestry. Aux cas
obliques, on a les formes du pluriel : gén.-acc. dvux bràt'ev.
E n polonais, le duel s'est maintenu jusqu'au x v e siècle. II
subsiste encore, on l'a vu, dans une petite partie du kachoube,
et il a laissé des traces dans les dialectes, en particulier u n
datif pluriel en -éma à côté de -ôm, -om de la langue littéraire.
Dans la langue commune, il ne reste du duel que le pluriel
plecy « épaules, dos », qui n'est plus en rapport avec le singu-
lier ptece, neutre, du polonais ancien, mais avec ptec, masc.,
et dont la flexion est entièrement de pluriel ; -— le pluriel
rece « mains », loc. reku et ordinairement rekach, instr. rekoma
et rçkàmi, e t seulement gén. rqk, dat. rçkom, dont le locatif
w rçku, maintenu dans des tours fixés, est Si peu compris qu'il
est employé aussi comme locatif singulier masculin-neutre
à côté de rçce; — et les pluriels oczy, uszy, qui eux également
ont perdu presque complètement leur flexion de d u e l s :
gén. oczu, et aussi oczôw ou ôcz, instr. oczy ma e t plus
souvent oczami, loc. oczach, dat. oczom. Avec le nombre
[214], v ÉLIMINATION DU DUEL 319

«deux», le polonais emploie le pluriel : dwaj panowie « deux


messieurs ». . '
Le polabe, qui avait perdu le duel, en gardait plus de traces
que le polonais : wibbê stornê « les deux côtés », répondant à
v. pol. obie stronie, r. ancien obë storonë; ramenay « épaules »,
de *-m, et d'autres formes en -ay (-isay de *-esi, § 192).
En tchèque, le duel encore vivant en vieux tchèque a
laissé peu de vestiges dans la langue littéraire : oci, usi, avec
une flexion mixte, instr. ocima, mais dat. ocim, loc. oëich, le
génitif oci qui continue v. tch. ociû se confondant avec la
forme normale du génitif pluriel ; — de ruka, plur. ruce, gén.-
loc. rukou et gén. ruk, loc. rukâch, instr. rukama; de noha,
seulement gén.-loc. nohou, et gén. noh, loc. nohâch, instr.
nohama;— de prsa «poitrine», gén.-loc. prsou, et prsouch en
tchèque vulgaire. De ret « lèvre », u n instrumental rtoma n'est
plus qu'un archaïsme pour rty. On a le pluriel avec le nombre
« deux ». Mais une trace plus importante du duel se conserve
en tchèque parlé et dans une grande partie des dialectes
tchèques. L'instrumental pluriel est régulièrement en -ma
dans tous les types flexionnels, et de même dans la flexion
des pronoms et des adjectifs : hradama, zenama, etc., pour
hrady, zenami, etc. du tchèque littéraire, de hrad « château »,
zena « femme ». Cette substitution de la forme du duel à
celle du pluriel est attestée dès le x v e siècle, c'est-à-dire
remonte à l'époque où le duel commençait à se perdre dans
le pluriel. Au génitif-locatif duel, la désinence v. tch. -û, mod.
-ou, ne répond pas à v. si. -u, mais à -oju de la flexion prono-
minale, avec contraction (§ 81) : soit qu'il y ait eu réellement
extension aux substantifs de la désinence *-oju, soit, plus
simplement, généralisation de l'allongement qui caractérise
le génitif pluriel en -i et en v. tch. -ov, mod. -à.
Le serbo-croate, qui a perdu le duel avant le x v i e siècle,
a conservé quelques génitifs pluriels en -û, avec une petite
extension de la désinence : non seulement rùku, nôgïi, mais
320 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

aussi slùgû, de sluga « serviteur » ; non seulement ôcijû, ùsijû,


et prsijû de prsi « poitrine » (v. si. prusi est un pluriel, non un
duel, § 213), mais aussi nôktiju, gàstijû des masculins nôkat
« ongle », gôst « hôte », kdstijû du féminin kôst « os », etc. Ces
formes présentent des variantes à désinence de pluriel, rûkâ,
ôcï, mais plus régionales et moins usuelles. E n emploi de
locatifs, (u) rùku, (nà) nogû, (po) ôciju se sont maintenus
longtemps, mais ont disparu de la langue commune. Dans
la flexion pronominale, sviju à côté de svîh, de sàv « t o u t »,
est analogique de triju, de tri «trois», etc. (§ 310) La dési-
nence -û est longue comme en tchèque, et l'abrègement de la
syllabe radicale (§ 107) dans rùkû, slùgû, en regard de nom.-
acc. plur. rûke, slûge, indiquerait une extension ancienne à
la flexion des substantifs de -oju de la flexion pronominale,
s'il n'était pas plutôt pris au datif-instrumental trisyllabique,
rùkama, slùgama: ce qui permet de supposer u n transfert
de longueur et non de désinence, v. si. toju rçku donnant
*lu ruku, puis *tu ruku avec -û comme -I et comme -â (§ 144).
Mais l'action la plus forte du duel est dans la généralisation
des formes en -ma de datif-instrumental, qui ont été substi-
tuées aux désinences du datif et de l'instrumental pluriel,
puis du locatif : zâkon «loi», zèna, kôst, loc.-dat.-instr. plur.
zâkonima, zènama, kôstima. La substitution est complète dans
la langue commune, mais les désinences de pluriel sont
maintenues dans les parlers occidentaux, qui à l'inverse
éliminent les formes de duel : en cakavien loc. zenàh, etc., et
également rukah, dat. rukân, instr. rukàmi, gén.-loc. ocih, etc.
Avec le nombre « deux », la désinence -a de l'ancien nominatif-
accusatif duel masculin ne s'est pas maintenue seulement
dans le substantif, où elle se confond avec celle du génitif
singulier, mais aussi dans ses déterminants, et elle a été éten-
due aux neutres et à la construction avec les nombres « trois »
et « quatre » : dvâ nova zâkona « deux lois nouvelles », tâ tri
sèla «ces trois villages » (le pluriel sëla a un autre accent).
[214] ÉLIMINATION DU DUEL 321
i •
Mais c'est le pluriel qu'on trouve aux cas obliques (d'emploi
assez rare, § 303) et avec les féminins : dvïje riôge « deux
pieds », le génitif singulier étant nogë.
L'action du duel a été très forte en serbo-croate sur le
pluriel. Un mot comme pièce « omoplate » avait un pluriel
pleca et un duel pleci : les deux formes sont restées, en créant
u n doublet, plèéa « épaules », pluriel neutre, et plëci, pluriel ,
féminin. On a de même prsa neutre et pfsi fém. « poitrine », etc.
La contamination du duel et du pluriel a provoqué des chan-
gements de genre, comme, en d'autres langues : ainsi pol.
dziqsna et dziqsno, dziqslo «gencive» (§ 174). E t elle s'est
étendue, en dehors de toute idée de duel, aux mots à pluriel
particulièrement usuel : on trouve par exemple au x v i e siècle
kosi à-côté de kose « cheveux »,. et, de suza «larme», instr.
plur. suzama pour suzami, comme en russe dialectal slezmi
du type de usmi, ancien duel usima. C'est ce qui explique des
génitifs pluriels comme kdstijû, gôstijû, etc. dans la langue
actuelle.
E n bulgare, le duel a donné les pluriels oci, usi, racé, nozé,
et rogâ, krakd, de rog « corne », krak « jambe », kolené, krilé,
ramené, de koljdno « genou », krilô « aile », râmo « épaule ».
E t il a créé une catégorie spéciale de « pluriel second » après
nom de nombre, sans distinction des nombres de « deux » à
« quatre » et des nombres plus élevés, avec les masculins et
avec quelques neutres : : dva stôla « deux chaises », où dva
appelle une forme différente de celle du pluriel stolôve, déset
léva «dix lévas », de lev, plur. lévove; au neutre dve moréla
« deux mers », mais maintenant remplacé par dve morjâ avec
le pluriel.
CHAPITRE VIII

L'ACCENTUATION

215. Accentuation du lituanien. — Comme généralement


pour .lés faits d'accentuation qui sont très remaniés dans les
langues slaves, il faut avoir recours au lituanien pour restituer
l'état balto-slave que le slave continue. Le lituanien est
évolué de son côté et il présente des divergences dialectales.,
Mais, dans l'ensemble, le système d'accentuation des subs-
tantifs qu'il conserve reste assez clair pour se prêter à une
interprétation historique par comparaison avec l'accent des
langues indo-européennes anciennes^ le védique et le grec.
Les innovations du balto-slave sont considérables : extension
de la mobilité de l'accent (§ 91), développement d'une mobilité
nouvelle du fait de la loi de Saussure (§ 99).

Athématiques. — La mobilité de l'accent n'apparaissait à


l'origine que dans la flexion athématique, sauf au vocatif qui
est à part (§ 217). Elle n'intéressait que le jeu des désinences,
et se ramenait à une opposition de désinences accentuées et
inaccentuées : gr. irarrip «père», acc. -irorrépa de *-ériy., gén.
TTon-pôç. Mais le thème, qui portait l'accent quand la désinence
était atone, se trouvait participer au mouvement d'accent,
et avec les thèmes monosyllabiques il y avait jeu de l'accent
entre l'initiale du mot et la désinence accentuée : gr. 6f|p
« bête fauve », acc. ôfjpoc, gén. ôripôs, avec élimination très
ancienne des différences dè vocalisme radical que suppose
[215] ACCENTUATION DU LITUANIEN '' 323

l'accent (pour 9rip, si. zverï, voir § 12). E n grec, le déplacement


d'accent entre l'initiale et la finale est restreint aux radicaux
monosyllabiques : <ppr|V « viscère, cœur », acc. cppéva, gén.
«ppsvôç, avec l'alternance vocalique attendue dans Je datif
pluriel ancien (ppaoi, mais - n w n v « pâtre », acc. -iroiiaéva,
gén. Troipévos, à accent fixe, cn<[icov «enclume», acc. ch<|iova,
gén. ÔKHOVOS, et de même véd. âçman- « pierre ». Au contraire,
en lituanien, l'accent mobile a été étendu aux mots à thème
dissyllabique, et des oxytons aux paroxytons, avec un même
jeu entre la finale et l'initiale du mot : piemuô, acc. piemeni
d'intonation rude (§ 50), gén. piemenès en lituanien ancien,
et akmuô, acc. âkmeni d'intonation douce, gén. akmenès,
akmens. Comme les athématiques monosyllabiques, qui ont
fourni la base de l'innovation, ont été remaniés en baltique
ainsi qu'en slave (§ 174), on ne peut plus comparer aux mono-
syllabes initiaux que des dissyllabes du lituanien, par exemple
lit. sesuô « sœur » à véyd- pdt « pied », gr. iroûç, mais la
comparaison atteste la conservation d'une même mobilité
de l'accent :
Sing. lit. skr. gr. Plur. lit. skr. gr.
N. sesuô pât TTOÙÇ sëserf e )s pâdah TTÔSSÇ
A. sëseri pâdam TRÔSA sëseris padâh mais TTÔSas
G. seser(è)s padâh TTOSOÇ sesery, paddm TTOSCOV
L. seseryjè padi ) seserysè patsu )
D. sëseriai padé > TTOSÎ seserims padbhyâh > irocrî
I. seserimi padd ) seserimis padbhih '
Duel lit. skr. gr.
N.-A. sëseri pdd.au TT6ÔE
D. seserim I • ,,. ,
, . _ padohiiâm TTOOOIV
1. seserim \
Il y a là, malgré les changements opérés dans beaucoup de
désinences, un accord remarquable entre le lituanien et les
324 L'ACCENTUA TION [215]

deux autres langues qui renseignent sur l'accentuation indo-


européenne. La seule divergence notable est au datif singulier,
qui est oxyton en védique, et qui présente en lituanien le
recul d'accent de l'accusatif. Les désinences de datif du type
athématique sont remaniées en lituanien (§ 178), et il faut
chercher ailleurs l'explication de cette accentuation initiale,
dans le type en -â- où elle est particulièrement nette.
Mais l'extension de la mobilité de l'accent est nouvelle en
lituanien, et la répartition des types d'accent l'est aussi.
Le lituanien a développé un type oxyton à accent mobile,
qui comprend les anciens oxytons comme piemuô, gr. iroipiriv,
et les anciens paroxytons d'intonation douce comme akmuô,
gr. âK|icov, sesuô, skr. svâsar-, Mais il a gardé, avec accent fixe,
les anciens paroxytons d'intonation rude : môlè « épouse »,
gén. môteres en vieux lituanien, gr. uiyrrip, et l'anomal mëriuo,
gén. mënesis (§ 175), skr. mâh, gén. mâsah. Le'passage des
paroxytons d'intonation douce aux oxytons s'explique par
le déplacement d'accent au nominatif singulier en vertu de
la loi de Saussure : *sésô est passé-à *seso à cause de la finale
*-ô d'intonation rude, l'intonation -uô étant secondaire (§ 88).
Le lituanien s'est ainsi créé trois types d'accent des athéma-
tiques : 1° type paroxyton immobile d'intonation r u d e ;
2° type oxyton mobile avec recul sur intonation douce, akmuô,
acc. àkmeni ; 3° type oxyton mobile avec recul sur intonation
rude, piemuô, acc. piemeni. Les mouvements d'accent sont
les mêmes dans les deux types mobiles.

Thèmes en -i- et -u-. — Les thèmes en. -i- et en -u- présen-


taient un accent fixe en indo-européen : skr. agnih «feu»,
sûnûh « fils », acc. agnïm, sunûm, nom. plur. agnâyah, sûndvah,
etc. E n lituanien, ceux qui étaient oxytons ont reçu la mobi-
lité d'accent des athématiques : ugnis, sûnùs, acc. ùgn\, sûnq,
gén. ugniës, sunaûs, etc. L'extension aux thèmes en -i- n'est
pas surprenante, puisqu'ils ont accueilli un bon nombre
[215] ACCENTUATION DU LITUANIEN ; 325

d'anciens athématiques, comme zvêris, acc. ziierf. (§ 175).


D'autre part, les types à gén. sing. en *-yes, *-wes, qui exis-
taient à côté des types à gén. *-eis, *-ous et ont laissé dés
traces en balto-slave (§ 159, § 164), s'assimilaient plus ou
moins au type a t h é m a t i q u e ; véd. paçûh, « bétail » et pdçu,
gén. paçvdh, gr. hom. 66pu « (bois de) lance », gén. *Sopfôs,
Soupôs, gr. *ôFis, oiç « mouton », gén. *àfiôs, oîôç, mais
skr. dvih, gén. dvyah. Ici, on reconnaît en lituanien quatre
types d'accentuation :
1° Type paroxyton d'intonation rude, immobile : ântis
« cane », gén. ânties, etc.
2° Type paroxyton d'intonation douce, à mobilité très
limitée : smertis «mort», gén. smerties-, etc., mais instr. sing.
smerciù (et smertimi), acc. plur. smerciùs (et smertis), nom.-
acc. duel smerciù.
3° Type oxyton à recul sur intonation rude, avec la mobi-
lité du type athématique : sirdis «cœur», acc. sirdi, gén.,
sirdiës, etc., et acc. .plur. sirdis,, nom.-acc. duel sirdi.
4° Type oxyton à recul sur intonation douce, avec un
mouvement d'accent un peu différent de celui du type précé-
dent : naktis « nuit », acc. nâkti, acc. plur. naktis, nom.-acc.
duel nakti.
Le type smertis n'est représenté que par quelques masculins
contaminés avec le type en -yo-, gén. smerties et smercio, et
ses désinences oxytonées sont prises à ce type. Dans les deux
types oxytons, on voit se superposer à la mobilité empruntée
au type athématique une autre mobilité qui résulte de la loi
de Saussure : la désinence *-î du nominatif-accusatif duel,
d'intonation rude, qui ne portait pas l'accent et continue de
ne pas le porter dans le type sirdi, l'a attiré dans le type nakti
à intonation radicale douce ; de même la désinence -is d'accu-
satif pluriel, que le lituanien a traitée comme désinence
d'intonation rude (§ 165).
326 L'ACCENTUA TION [215]

Dans les thèmes en -u-, l'accentuation des deux types


oxytons est identique à celle des oxytons en -i- : sunùs,
acc. siinq, gén. sûnaûs, etc., acc. plur. sûnus, nom.-acc. duel
sûnu ; et dangùs « ciel », acc. dangq., gén. dangaùs, etc., acc.
plur. dangùs, nom.-acc. duel dangù, la désinence acc. plur. -us
étant également traitée comme désinence d'intonation rude
(§158).

216. Thèmes en -â- et en -o-. — Les thèmes en -â- ne


connaissaient pas plus en indo-européen la mobilité d'accent
que ceux en -i- et en -u-, et le cas de gr. picc « une », gén. nias,
comme masc. aïs, gén. évôs, ne représente qu'une curiosité.
En lituanien, ils ont reçu eux aussi la mobilité des athéma-
tiques, et l'on y reconnaît les caractéristiques de cet accent
mobile : il est lié à l'oxytonaison, et le jeu morphologique de
l'accent, d'origine très lointainement phonétique dans les
athématiques, se croise avec 'le jeu phonétique de la loi de
Saussure, d'où quatre combinaisons comme dans les thèmes
en -t-, mais plus nettes. Il v a u t la peine de poser en son entier
le système complexe de l'accentuation lituanienne des fémi-
nins en -à-, système que Kurschat avait exposé avec précision
en le dégageant des flottements dialectaux, mais de façon
un peu incomplète, et dont de Saussure a apporté une brillante
interprétation : types vârna « corneille », rankà « main »,
galvà « tête », mergà « jeune fille ».

I II III IV
Sing.
N. . vârna rankà galvà mergà
A. vdrnq ranka gdlvq mergq
G. vârnos rahkos galvôs mergôs
L. vârnoje rankoje galvojè mergojè
D. vârnai rankai gâlvai mergai
I. vârnq rankg. gâlvq mergq.
[216] THÈMES EN -â- ET | 327

I II III IV
Plur.
N.. vârnos rankos gâlvos mergos
A. vârnas rankàs gâlvas mergàs
G. vàrnvi • rankïj. galvîj. mergîl
L. vârnose rankose galvosè mergosè
D. vârnoms rankoms galvôms mergôms
I. vârnomis rankomis galvomis mergomis (-ôms)

Duel
N.-A. vârni ranki gâlvi mergi
D. i galvôm mergôm
vârnom rankom s
I- i ( galvôm mergôm

Du type paroxyton immobile de vârna, à intonation rude,


le type de rankà, à intonation douce, ne diffère que du fait
de la loi de Saussure, par transfert de l'accent sur la finale
dans le cas des désinences intonées rudes, nom. et instr.
sing., acc. plur., nom.-acc. duel. Du type oxyton mobile de
galvâ, avec recul sur intonation rude, le type mergà, avec
recul sur intonation douce, ne diffère que pour la même raison,
à l'instrumental singulier, à l'accusatif pluriel et au nominatif-
accusatif duel. Mais on observera que dans le type rankà le
jeu de la loi de Saussure est incomplet au pluriel : on n'a pas
le déplacement d'accent attendu dans loc. rankose, dat.
rankoms, instr. rankomis, ni dans dat.-instr. rankom. Il y a
eu remaniement, de l'accentuation des cas obliques du pluriel,
avec renforcement de l'opposition d'accent entre les deux
typés paroxytons, gén. sing. vârnos, rankos, gén. plur. vâmij.,
rankq, et les deux types oxytons, gén. sing. galvôs, mergôs,
g é n . p l u r . galvy,, mergîl.
Dans le type mobile, il y a recul de l'accent au singulier
non seulement à l'accusatif, mais aussi au datif et à l'instru-
mental. C'est une innovation contraire à l'accentuation du
328 L'ACCENTUA TION [215]

type athématique telle que l'atteste le védique. Au datif, le


recul apparaît également en slave (§ 220), et c'est donc u n
fait balto-slave. Il résulte du développement d'une opposition
entre le locatif oxyton et le datif paroxyton, et le slave, qui
garde les désinences anciennes de locatif, en indique la cause :
dans les types en -i- et en -u-, ses désinences -i et -u attirent
l'accent. Le mçuvement d'accent entre le locatif lit. galvojè,
s.-cr. *glâvï, et le datif lit. gâlvai, s.-cr. glâvi, est donc analo-
gique de celui du locatif s.-cr. *kostî et du datif s.-cr. kosti :
l'accent d'avancée du locatif dans le type paroxyton s'est
transformé en accent de recul du datif dans le type oxyton.
Le jeu d'accent est celui de la loi de Saussure, et c'est la
meilleure preuve que le balto-slave opposait dans les thèmes
en -i- une désinence *-ëi de locatif d'intonation rude (et *-ôu
dans les thèmes en -u-) à une désinence *-ei de datif d'intona-
tion douce (*-ewei dans les thèmes en -u-). A l'instrumental
singulier, où le slave présente une autre forme, r. golovôj(u),
le recul d'accent de lit. gâlvq est également analogique, et
l'accentuation est entièrement réglée par la loi de Saussure.
L'accentuation des féminins en -yâ-, lit. -é-, est la même
que celle des féminins en -â-, sauf au nominatif singulier où
-é apparaît d'intonation douce (§ 105) : type I kârvè « vache » ;
type II sventè «jour de fête», instr. sveniçi, acc. plur. sventès,
nom.-acc. duel sventi ; type I I I giesmè « chanson », acc.
giesmç, etc. ; type IV zolë « herbe », acc. zôlç, instr. zol$, etc.

, Thèmes en -o-. — Dans les thèmes en -o- et en -yo-, lit. -jas


et -is, l'accentuation est assez différente. Au singulier, il n ' y
a plus que deux types d'accent, également paroxytons, l'un
immobile, l'autre avec la mobilité de la loi de Saussure :
d'une part agiras « homme », kélmas « tronc d'arbre », d'into-
nation rude ; de l'autre pônas «seigneur», diëvas «dieu»,
d'intonation douce, loc. ponè, dievè, instr. ponù, dievù. La
désinence instr. -u, de *-ô, était d'intonation rude ; la dési-
[216] THÈMES EN -â- ET EN -o- 329
(

nence loc. -e, qui est remaniée, est traitée de la même façon
(§ 178). Au pluriel et au duel, on retrouve les quatre types
d'accent, deux paroxytons et deux oxytons, avec ou sans le
jeu de la loi de Saussure :
I II III IV
N. vyrai pônai kelmai dieval
A. vyrus ponùs kélmus di'evùs
G. ponq kelmîj. diev%
L. vîjTuose pônuose kelmuosè dievuosè
D. vyrams pônams kelmâms dievâms
I. vyrais portais kelmals dievaïs
N.-A. vtfru ponù kélmu dievù
D. j {i kelmdm dievâm
vyram pônam
I- < ( kelmam dievam
Les désinences d'intonation rude, ou traitées comme telles,
sont l'accusatif pluriel et le nominatif-accusatif duel, comme
dans les autres types flexionnels. L'accentuation du type
oxyton ne diverge autrement de celle des athématiques que
par son nominatif pluriel accentué en -al, qui est pris à la
flexion pronominale (§ 132). L'opposition d'un singulier
paroxyton et d'un pluriel oxyton, dans un type qui est d'accent
fixe en sanskrit et en grec, est naturellement nouvelle : elle
résulte de l'élimination des oxytons au singulier. La désinence
nom. sing. -as tendait fortement à se réduire à -s (§ 86), et
elle ne porte jamais l'accent, sauf dans l'adjectif déterminé
où au contraire -às-is est normal, sûrement pour une autre
cause (§ 299). Dans un type qui, le pluriel et le duel l'attestent,
a reçu comme tous les autres types la mobilité d'accent des
athématiques, un nominatif *deivâs, skr. devâh, et un accu-
satif *deïvan, pour skr. devâm, unissaient leur accent en
dièv(a)s, dièvq, et l'imposaient à tout le singulier. Les mascu-
lins en -ys, de *-ijas (§ 146), qui gardent un nominatif singulier
330 L'ACCENTUA TION [215]

oxyton, se confondent aux autres cas avec les masculins en


-is et ont comme eux un singulier paroxyton : zaltys « serpent »,
gaidys « coq », acc. zâlfi, galdi, gén. zdlcio, galdzio, mais nom.
plur. zalciaï, gaidzial.
Polysyllabes. — On retrouve dans les polysyllabes les mou-
vements d'accent des dissyllabes : soit selon la loi de Saussure
ainsi lydekà «brochet», gén. lydëkos ; — soit par extension
de la mobilité morphologique, et alors le déplacement
d'accent, comme dans les athématiques, a lieu entre la finale
et l'initiale : fém. asakà « arête », acc. âsakq, gén. asakôs,
nom. plur., âsakos, uodegà « queue », acc. ûodegq ; masc.
riesutas «noisette» (§ 189), plur. riesutai.

217. Accentuation du slave. — Pour l'accentuation des


différents types flexionnels, l'état des langues slaves est
sensiblement plus évolué que celui du lituanien, et les deux
langues qui fournissent les données les plus claires et les plus
complètes, le russe et le serbo-croate, divergent assez entre -
elles dans le détail. On reconnaît cependant un système t o u t
semblable à celui du lituanien, avec même jeu de la loi de
Saussure et même extension aux oxytons de l'accent mobile
des athématiques.
Vocatif. — Le vocatif est à part. En sanskrit et en grec,
il attire l'accent sur la première syllabe : skr. pltah de pila
« père », dévi de devi « déesse », gr. Trcrrsp de Trcrrf|p, âSsÀcpe de
àSeÀtpoç « frère ». Il en est de même en slave : ukr. kiri
« cheval », gén. konjd, voc. kônju, sestrd « sœur », voc. séstro ;
bulg. zenâ « femme », voc. zéno ; s.-cr. kônj, gén. kônja, voc.
kônju, strie « oncle paternel », gén. strica, voc. strîce, côvjek
« homme », voc. côvjece, zèna, voc. zëno, odiva « fille mariée »,
voc. ôdïvo. Le recul d'accent apparaît aussi en serbo-croate
au vocatif pluriel : nom. plur. kànji, voc. kônji, jùnâk
« gaillard », voc. junâce, nom. plur. junâci, voc. jûndci. On
[2.17] ACCENTUATION DU SLAVE 331
' i
le trouve même au singulier, exceptionnellement, avec des
neutres désignant des personnes : dijète « enfant ». voc. dïjete,
dialectalement krilo « aile, protecteur », voc. krîlo.
En lituanien, au contraire, le vocatif présente ordinaire-
ment l'accent sur la désinence dans les types à accent mobile :
sûnaû dans les thèmes en -u-, pour skr. su no, sirdië dans les
thèmes en -i-, mergà dans les thèmes en -â-, et ponè dans les
thèmes en -o-. Est-ce parce que, dans les athématiques, il
est confondu avec le nominatif, généralement oxyton ?
Est-ce aussi parce que, dans les thèmes en -yo- et en -yâ-, il
avait connu une forme *-I (§ 136, ,§ 154) d'intonation rude
et qui attirait l'accent, si bien qu'un vocatif svetè de svëcias
« hôte », substitué à *sveti, aurait transmis son accent à ponè
du type en -o- ?

Athématiques. — Des athématiques eux-mêmes, il ne


subsiste que des vestiges. L'opposition de r. dial. mâti, ukr.
mâty, s.-cr. mâti, et r. dial. doëi (s.-cr. kci) resterait celle d'un
ancien paroxyton d'intonation rude et d'un ancien oxyton,
si doëi ne présentait pas un jer secondaire (§ 60), et l'accen-
tuation est uniformisée en russe dans le reste de la flexion,
gén. mâteri et dôceri, gén. plur. materéj et doceréj. Les deux
accents s.-cr. jècam et jëcmên «orge» (§ 185) paraissent
conserver le souvenir d'un mouvement d'accent nom. *jçcïmy,
acc. *jçcïmenï. C'est le nombre « dix » (§ 306) qui garde le
mieux l'accentuation du type : nom.-acc. r. dësjat', s.-cr. dësët,
en regard de nom. desimtis du lituanien ancien et dialectal et
avec l'accent de acc. dësimti ; gén. r. desjati, lit. desimtiës ;
nom.-acc. duel ou pluriel r. dvâdcat', s.-cr. dvâdeset, de *désçti
ou *désçte avec recul de l'accent sur dva- ou sans recul en
serbo-croate, cf. lit. dësimti, duel, dësimtys, nom. plur. et
dësimtis., acc. plur. ; gén. plur. r. pjat'desjât, s.-cr. pedèsêt,
de *desetu avec recul et accent de métatonie sur intonation
douce, cak. -desét, pol. -dziesiqt (§ 102), cf. lit. desimlfi. -
332 L'ACCENTUA TION [215]

218. Thèmes en -i-. — Pour les thèmes en -i-, on a deux


types d'accent :
1° immobile : r. nit' « fil », gén. nlii, gén. plur. nitej, etc.,
s.-cr. nît, gén. nîti, gén. plur. nïtï ; et slov. nit, gén. nlti avec
accent de métatonie sur intonation rude (§ 103) ; ,
2° mobile à partir du génitif pluriel : r. kost' « os », gén.
kôsti, nom.-acc. plur. kôsli, gén. kostéj, loc. kostjàx, dat.
kostjâm, instr. kost'ml ; s.-cr. kôst, gén. et nom.-acc. plur.
kôsti, gén. plur. kôstï et kostiju, loc.-dat.-instr. kôstima, et
stvâr « chose », gén. et nom.-acc. plur. stvâri, gén. plur.
stvârî, loc.-dat.-instr. stvârima et stvdrma ; slov. kôst, gén.
et nom.-acc. plur. kostî de *kôsti (§ 93), gén. plur. kosti.
On reconnaît les trois principaux types d'accent du
lituanien, réduits à deux en slave : le type lit. dnlis, immobile
comme paroxyton d'intonation rude, et les deux types
mobiles oxytons lit. sirdis, acc. sird[, d'intonation rude, et
naktis, acc. nâkti, d'intonation douce, qui se sont confondus
parce que le recul sur intonation rude a donné en slave
un accent de métatonie identique à l'intonation douce sur
longue (§ 103). Ainsi au nominatif-accusatif s.-cr. zvïjer
« bête fauve », slov. zvêr, pour lit. zvèris, acc. zvêrj., s.-cr.
mâst « graisse », slov. mâst, en face de s.-cr. màzati « graisser »,
slov. mâzati, r. mâzat', et de même s.-cr. dial. dïjet « enfants »,
voc. et gén. dljeti (§ 211), de la racine balto-slave *dê-
d'intonation rude, s.-cr. djeva «jeune fille », lette dêt «téter»,
dêls « fils ».
Au singulier, dans le type mobile, en regard du mouvement
d'accent du lituanien, nom. naktis, acc. nâkti, gén. nakliës,
dat. nâkciai, instr. naktimi, le slave présente un accent unifié
r. noc , gén.-dat. nôci, instr. nôc'ju, s.-cr. nôc, nôci, nôcu. Le
locatif singulier est à part et oxytoné dans le type mobile,
normalement en serbo-croate : kôst, stvâr, gén.-dat. kôsti,
stvâri, loc. kôsti, stvâri, cak. kosti, stvârî ; — avec extension au
[218] THÈMES EN -i- 333
!
datif en slovène : kôst, gén. kostï, loc.-dat. kôsli de *kostï ;
—• à l'état de vestige en russe, dans des locutions comme
v stepî «dans la steppe », na Rusi «en pays russe», avec
préposition v ou na, et également vo vséj Rusî « dans toute
la Russie ». Le slave ne garantit pas que la désinence ait
été d'intonation rude et que le mouvement d'accent soit dû
à la loi de Saussure, car il pourrait s'agir d'une oxytonaison
d'après le type athématique à accent mobile. Le lituanien,
qui a loc. smertyje, dans son type paroxyton d'intonation
douce comme ântyje dans le type d'intonation rude, et acc.
sirdi, nâkti, loc. sirdyjè, naktijè, dans ses deux types mobiles
d'intonation rude et douce, ferait même pencher pour la
seconde alternative. Mais sa désinence de loèatif est remaniée
et ne prouve rien, et son type smertis est d'importance très
secondaire. La désinence balto-slave devait bien être *-êi
(§ 165), et attirer l'accent ; et cf. § 216.
Au pluriel, la différence que présente le lituanien entre nom.
nâktys et acc. nakïis n'apparaît pas en slave et n'est pas N
balto-slave : nom.-acc. r. nôci, s.-cr. n'àci. L'instrumental
pluriel en -mi, dans le type mobilé, est régulièrement accentué
en russe, comme le génitif en -ej. Le fait est moins constant
en ukrainien, en la mesure où -my, remplacé ordinairement
par -jamy (§ 168), s'est conservé : dver'my et dvér'my, de
dvéry « porte ». En serbo-croate, les vestiges du locatif-datif-
instrumental -ma, usuellement -ima, qui continuent l'instru-
mental -mi, confirment l'oxytonaison ancienne : fi jec « parole »,
plur. rïjeci, loc.-dat.-instr. rijècma, et rijècima dans la langue
commune. Le kachoube a de même yqs « oie », instr. plur.
gqsmî, et gqsamî, dans une flexion très remaniée d'après les
féminins en -â-.
Au duel, r. oci « yeux », ûsi « oreilles », s.-cr. oci, usi et slov.
ocî de *ôci, ont été, comme pluriels, incorporés au type
r. kosl', plur. kôsli, et ne présentent pas le mouvement d'accent
réclamé par la loi de Saussure, lit. akls, ausis, nom.-acc. duel
22
334 V ACCENTUAT ION [218]

aki, ausi. L'accent bulg. oci, usi, d'où sing. okô, uhô pour
r. oko, uxo, etc., ne peut pas être ancien : il résulte d'une
normalisation sur l'accent des cas obliques, r. dial. ocima et
ukr. ocyma à l'instrumental, s.-cr. ocima, loc.-dat.-instr.,
r. océj (gén.) et dial. ocjû, s.-cr. ocï et ocijû. De même la brève
de s,-cr. usi, pour cak. ûsi (gén.-loc. ûsih, § 214), est prise aux
cas obliques avec abrègement dans des trisyllabes (§ 107),
loc.-dat.-instr, ùsima, gén. ùsijû. E n slovène, l'accent du
nominatif-accusatif duel kosti du type kost, identique à celui
du nominatif-accusatif pluriel, est remanié.
Dans les polysyllabes, l'accent mobile est très étendu en
lituanien : atmintis «souvenir», acc. âtminti avec intonation
douce de l'initiale, gyvastis « vie », acc. gyvasti avec intonation
radicale rude. E n russe, l'accent est le plus souvent fixe, mais
on trouve aussi un type nôvost' « nouvelle », plur. nôvosti,
gén. novostéj, loc. novostjâx, etc. Cette mobilité de l'accent est
confirmée par le serbo-croate, bien qu'elle y apparaisse dans
des conditions différentes, au locatif singulier et limitée au
pluriel au génitif : bôlëst « maladie », gén. bôlesti, loc. bolèsti,
gén. plur. bolèstï, mais loc.-dat.-instr. bôlestima ; et aussi,
avec un mot plus long, zàpovijest « commandement », loc.
zapovijèsti, gén. plur. zapovijèstî.
Les masculins en -i-, avec les anciens athématiques qu'ils
ont incorporés, bien que passant au type en -yo- ou en -o-
• (•§ 169), ont gardé en partie la mobilité d'accent de leur
flexion originelle, différente de celle des masculins ordinaires :
r. gost' «hôte, invité», gén. gôstja, nom. plur. gôsli, gén.-acc.
gostéj, loc. gostjâx, etc., et s.-cr. gôst, gén. gôsia, nom. plur.
gôsti, acc. gôsle, gén. gàstl et gàstijû (§ 214), loc.-dat.-instr.
goslima ; r. gôlub' « pigeon », gén. gôlubja, plur. gôlubi, gén.-
acc. golubéj, loc. golubjâx, etc., et s.-cr. gôlùi, gén. gUûba,
plur. gôlûbi, gén. golûbâ, loc.-dat.-instr. golûbima (usuellement
plur. g'ôlubovi, gén. golubôvâ, avec les désinences tirées du
type en -u-).
[218] THÈMES EN -i- 335
!
Le masculin pçlï «chemin» est oxyton : r. put', gén.-loc.-
dat. puti, instr. putëm, et nom.-acc. plur. puti, etc. ; de même,
avec passage au type en -o-, s.-cr. pût, gén. pûta, cak. pût,
gén. pïïtâ, et slov. pçt, gén. pqia (et fém., § 169, gén. pçti
et potî), du type de kçl « coin », gén. kgta, qui répond au type
oxyton de r. kul, gén. kuiâ. Le tchèque poul « voyage », comme
koul, indique également un oxyton, avec longue de métatonie
(§ 102). Il faut admettre que cet ancien athématique, dont la
flexion a pu rester longtemps anomale, a gardé son génitif
singulier oxyton, avec l'appui du locatif et de locutions usuelles
comme r. s puti, naputl. Mais son cas n'est pas isolé : en regard
de lit. ugnis « feu », acc. ùgni, c'est aussi un oxyton qu'on
trouve dans r. ogôn, gén. ognjâ, s.-cr. àganj, gén. dgnja, slov.
ôgenj, gén. ôgnja. Les nombres de « cinq » à « neuf », anciens
féminins, présentent le même accent que le masculin poiï :
r. pjat', gén.-loc.-dat. pjati, instr. pjat'jû. Ils font groupe avec
l'ancien masculin athématique r. désjat', gén.-loc.-dat. desjatî,
qui a conservé plus complètement son accent du type balto-
slave (§ 217). Ce sont là quelques vestiges d'un état où dans
les thèmes en -i- l'accent était mobile au singulier comme il
l'est resté au pluriel. Par contre, le petit type russe à oxyto-
naison du singulier et mouvement d'accent au pluriel, gvozd'
«clou», gén. gvozdjâ, etc., et nom.-acc. plur. gvôzdi, gén.
gvozdéj, etc., ne représente qu'un croisement secondaire du
type de gosl' et du type oxyton des masculins ordinaires,
qui tend à s'étendre : l'accent cerv' « ver », gén. cervjâ, est
d'un mot qui n'est populaire qu'au pluriel cérvi, et il est
contredit par s.-cr. crv, gén. cfva, mais gén. plur. c m comme
r. cervêj. L'accent gén. ugljâ, de ûgoV « charbon », est nouveau
pour ûglja, et en effet le mot était du type immobile à into-
nation rude, lit. dial. dnglis, s.-cr. ugalj, gén. uglja.
L'accentuation anomale du mot religieux r. Gospôd'
« Seigneur », ukr. Hospôd' avec dat. Hospodévi, en regard
de gén. Gôspoda, etc., pris au slavon, est curieuse et pourrait
336 L'ACCENTUA TION [215]

conserver une oxvtonaison de polysyllabe. Elle n ' a p p a r a î t


pas dans le groupe méridional : bulg. Gôspod, s.-cr. Gospôd,
gén. Gôspoda.

219. Thèmes en -u-. — Parmi les anciens mots reconnais-


sables de la flexion en -u- (§ 160), on retrouve les deux types
mobiles du lituanien, medùs «miel», acc. mëdii, dans r. mëd,
gén. mëda, s.-cr. mëd, gén. mëda, slov. med, gén. medû, et sûnàs,
acc. sûmi, dans r. syn, gén. sj/na, s.-cr. sîn, gén. sîna, slov. sîn,
gén. sinû : ils sont confondus en slave où le recul sur intona-
tion rude donne une intonation douce de métatonie. Ces mots
sont devenus paroxytons au singulier, et de même r. pol
«moitié», gén. pôla, dom «maison», gén. dôma, s.-cr. pô et
p'ôla (formes fixées), dôm, gén. dôma. Au contraire, volu
« bœuf » a donné un oxyton : r. vol, gén. vola, s.-cr. vô, gén.
vola, slov. vol, gén. vola. Pour v. si. vruxù « sommet », lit.
virsùs, acc. virsq, on a un paroxyton dans r. verx, gén. vérxa,
slov. vrh, gén. vrhâ, mais le serbo-croate présente l'oxyto-
naison : vrh pour cak. vrh, gén. vrha, cak. vrhâ.
Dans la flexion, qui n'apparaît plus que mêlée à celle des
masculins en -o-, le génitif en -u du russe, de l'ukrainien et
du slovène indique que l'accentuation avait été normalisée
sur le nominatif-accusatif au singulier, sauf au locatif :
r. (bôëka) mëdu « (un tonneau) de miel », ukr. kraj « région »,
gén. krâju, comme dat. krâevi. Mais volu offre une autre
normalisation, peut-être d'après l'oxyton konji «cheval»,
r. kon', gén. konjâ, et garde la trace de l'oxytonaison ancienne
du génitif. C'est plus douteux pour s.-cr. vrh, qui a pu prendre,
son oxytonaison au locatif et aux locutions très usuelles dans
lesquelles il figure, r. ancien verxû, mod. vverxu, na verxû.
Au locatif, la désinence -u attire l'accent, comme la dési-
nence -i des thèmes en -i-, et sûrement aussi du fait de la
loi de Saussure et comme représentant *-du : r. et ukr. v
medû « dans le miel », na krajû « au bord ». Cette avancée de
[219] THÈMES EN -u- 337
j.
l'accent est limitée en russe à des locutions avec v et na, y
compris vvecerû « au soir » avec le polysyllabe vécer, gén.
vécera. Elle est courante en serbo-croate, où la désinence -u
a été généralisée au locatif des masculins, avec les substantifs
qui ne désignent pas des êtres animés : types grâd « ville »,
gén. grâda, dat. grâdu, loc. grâdu; brôd «gué», dat. brôdu,
loc. brôdu; ôblâk « nuage», dat. ôblâku, loc. oblâku; gôvôr
«discours», dat. gôvoru, loc. govôru; ôbicâj «coutume», dat.
ôbicâju, loc. obicâju ; râzgovôr «entretien», dat. râzgovoru,
loc. râzgovoru. On a même, secondairement, dans l'ancien
type à intonation rude initiale et à accent immobile, pràg
« seuil », dat. prâgu, loc. pràgu. Le slovène a également brôd,
(dat. brôdu), loc. brôdu; brêg « colline », dat. bregû, loc. brégu,
dans le type à longue d'intonation douce, s.-cr. brijeg, r. béreg ;
e t aussi, dans le type à longue d'intonation rude, bràl « frère »
(s.-cr. brât), dat. brâtu, loc. brâtu, où l'accent d'avancée, devenu
accent de recul en slovène (§ 93), prend la forme d'un accent
de métatonie ; et kônj, dat. kônju, loc. kônju, avec exten-
sion de cet accent de recul à un ancien oxyton. E n slovène
comme en serbo-croate, il ne s'agit plus d'une distinction entre
le datif et le locatif, qui se sont confondus au singulier, mais
d'une différence entre l'accent du locatif-datif sans préposi-
tion et avec préposition : le slovène a k brâtu « vers le frère »
comme pri brâtu « auprès du frère », bien que la construction
de k avec le datif et celle de pri avec le locatif restent claires
dans la flexion pronominale et au pluriel des substantifs.
Le slovène a étendu le mouvement d'accent aux neutres
anciens paroxytons, en même temps que la désinence -u :
mesô « chair » (r. mjâso), loc. v mçsu pour un ancien v mesê.
Cette extension aux neutres n'est que dialectale en serbo-
croate : zlâio « or », loc. zlâlu, mais zlâlu dans la langue
commune. Le kachoube présente l'avancée d'accent dans les
masculins : wôz « voiture », loc. wozu ; et dans les neutres :
ôko « œil », loc. oku.
338 L'ACCENTUA TION [215]

Au pluriel, le serbo-croate et le bulgare permettent, malgré


bien des flottements, de reconnaître trois types d'accentuation :
1° Type s.-cr. prâg, gén. pràga, plur. pràgovi, gén. prâgôvâ,
loc.-dat.-instr. prâgovima ; bulg. prag, plur.. prâgove.
2° Type s.-cr. pop « pope », gén. popa, plur. pôpovi, gén.
pôpôvâ, loc.-dat.-instr. pàpovima ; bulg. pop, plur. popôve.
3° Type s.-cr. grâd, gén. grâda, plur. gràdovi, acc. gràdove
(cak. grâdi, nom.-acc.), gén. gradôvâ, loc.-dat.-instr. gradô-
vima ; bulg. grad, plur. gradové ; slov. grâd, gén. gradû, plur.
gradôvi, acc. gradî, gén. gradçv.
Le premier type représente un type paroxyton immobile,
à initiale d'intonation rude ; rien n'indique qu'il soit ancien,
et il doit résulter de l'addition secondaire des désinences en
-ov- au type immobile des masculins en -o- de r. porôg, plur.
porôgi, cak. prâg, plur. pràgi (§ 221). Le deuxième type est
de même celui des oxytons en -o-, r. pop, gén. popâ, plur. popt/,
cak. pop, plur. popî. Le seul type ancien est le troisième, qui
répond aux deux types oxytons mobiles du lituanien, à recul
sur intonation douce, et sur intonation rude dans le cas de
s.-cr. sln, plur. sïnovi, bulg. sinové, slov. sinôvi. Le serbo-
croate, avec généralisation de l'élargissement -ov-, indique une
opposition entre l'accent paroxyton du nominatif et de l'accu-
satif et l'accent oxyton des autres cas du pluriel. Les désinences
sont remaniées, mais loc.-dat.-instr. sinàvima continue des
formes oxytonées dat. plur. *sin'àm, puis *sinovôm, instr.
*sinrm, puis *sinovmï et *sinovl ; d'où gén. plur. *sinôvâ,
sinôvâ, de *sinôv. Pour le bulgare, il est visible que son accent
gradové, nouveau pour *grâdove qu'attestent le serbo-croate
et le slovène, résulte d'une généralisation de l'accentuation
oxytonée des cas obliques. On explique de même l'oxytonaison
du nominatif pluriel des anciens thèmes en -u- en russe :
sgn, gén. syna, plur. synij (langue commune synov'jâ, § 163)
et ukr. syny ; pol, plur. poli/, verx, plur. verxl, mais dom, plur.
[219] THÈMES EN -u- 339
!
domy ( m o d . domâ). O n a poly d ' a p r è s g é n . polôv, etc., m a i s
l'accent ancien *pôly de pluriel ou de duel est supposé par
la locution nâ poly « par moitié ».
Le kachoube a l'oxytonaison aux cas obliques du pluriel
des masculins sous l'influence du type en -u-, et aussi des dési-
nences féminines qu'il a empruntées au pluriel : woz « voiture »,
g é n . p l u r . wozçw, d a t . wozçm, loc. wozâch, instr. wozamî.

Ceci est un tableau simplifié de l'accentuation des pluriels


en -ov-, et dans le détail les complications né manquent pas.
Ainsi le serbo-croate, en regard de grâd, gén. grâda, plur.
grâdovi, présente ordinairement, dans le type à voyelle brève
de brôd, gén. broda, l'accent brodovi du t y p e des oxytons. Cet
accent apparaît également avec les anciens thèmes en -u- :
dôm, gén. dôma, plur. domovi. Mais il n'est pas général dans
les dialectes, ni dans la langue moyenne : rôg « corne », gén.
rôga, e t p l u r . r'ogovi, g é n . rogôvâ, loc.-dat.-instr. rogovima.
Le bulgare offre en ce cas —- mais dans d'autres aussi —- des
flottements d ' a c c e n t : p l u r . domovê e t domôve, brôdove, brodové
et brodôve. Le russe n'atteste que l'extension de la désinence
-ov, mais il montre que cette désinence était accentuée dans
tous les types, sauf le type paroxyton d'intonation rude de
porôg. Le serbo-croate a donc eu des génitifs pluriels *grâdôv
et *brodôv comme *popôv : il a tendu à confondre les types
brodovi (dial.), g é n . *brodôv, brodôvâ, e t popovi, gén. *popôv,
popôvâ ; tandis que le type grâdovi, acc. grâdi (cak.), gén.
*grâdôv, avec son alternance dè quantité (§107), restait bien
distinct, à quelques flottements près, du type oxyton à
voyelle radicale longue de sudovi «jugements ».
Le type oxyton de bulg. popôve, s.-cr. popovi, s'est déve-
loppé sur la base de l'accusatif pluriel cak. popl, qui était
commun aux deux flexions en -o- et en -u-. Cette accentuation
de l'accusatif pluriel n'est pas ancienne dans les thèmes en
-u-, mais elle était représentée au moins par volu devenu
340 L'ACCENTUA TION [215]

oxyton : bulg. volôve, s.-cr. vàlovi, acc. voll (cak.), slov. vôli.
Pour l'emprunt v. si. Zidove « J u i f s » (§ 78), il a l'accent
bulg. Z idove, s.-cr. Z ïdovi. Sur le pluriel a été refait un singulier
bulg. Zid, s.-cr. TAd (usuellement lAdov), slov. Zid, paroxyton,
mais le russe a remplacé Z idove (-va) par TLidy comme synove
par syny, avec un singulier oxyton Z id, gén. Zidâ, pour
l'ancien Zidovîn (§ 212).

220. Thèmes en -â-. —- Ce sont les thèmes e n - a - qui four-


nissent les données les meilleures sur les mouvements d'accent
en slave, et on y retrouve l'état du lituanien, mais fortement
modifié. On distingue :
1° Un type paroxyton immobile : r. méra «mesure », s.-cr.
mjëra, slov. méra, qui répond au type à intonation rude du
lituanien, vdrna, r. vorôna, s.-cr. vrâna, slov. vrâna.
2° Un type paroxyton immobile d'autre origine : r. kljdtva
« serment », s.-cr. klêtva, cak. kljétva (v. cak. klja-, avec le
traitement ja de g, § 66), slov. klqtva (klçtev, § 205). C'est un
type nouveau et propre au slave, à accent de métatonie sur
intonation douce, r. storôza « garde », s.-cr. strâza, cak. strâza,
slov. strâza et strâza (§ 102) ; différent du premier type par
l'intonation, il se confond avec lui pour l'accent.
3° Plusieurs types oxytons. Le russe n'en présente pas
moins de quatre :
a) immobile : certd « trait », acc. certû, plur. cerly, etc. ;
b) à recul d'accent dans tout le pluriel : travâ « herbe »,
acc. travû, etc., et plur. trâvy, loc. trâvax, etc. ;
c) à recul d'accent limité au nominatif-accusatif pluriel :
slezâ « larme », acc. slezû, etc., nom.-acc. plur. sl'èzy (et gén.
slëz), mais loc. slezâx, etc. ;
d) à recul d'accent à l'accusatif singulier et au nominatif-
accusatif pluriel : nogâ «pied», acc. nôgu, gén. nogi, etc.,
nom.-acc. plur. nôgi (gén. nog), mais loc. nogâx, etc.
[220] THÈMES EN -â- 341

On retrouve trois de ces types en serbo-croate, sur brève


et sur longue, mais pas toujours avec les mêmes mots :
a) zèna « femme », acc. zènu, plur. zène, etc. (mais r. zenû,
plur. zëny, type b), sauf voc. sing. zcno, voc. plur. zëne (§ 217) ;
• c) sùza, acc. sùzu, etc., nom.-acc. plur. sùze (gén. sûzâ),
loc.-dat.-instr. sùzama, et vila «fée», acc. vilu, etc., nom.-
acc. plur. vîle (gén. vilâ), loc.-dat.-instr. vilama ;
d) ndga, acc. n'ôgu, nom.-acc. plur. noge (gén. nôgâ et
riogu), loc.-dat.-instr. nbgama.
Le type b, le plus productif en russe, est inconnu du serbo-
croate : il représente une innovation du russe, qui tend à
opposer fortement, dans les féminins en -à- comme dans les
masculins en -o- et les neutres, l'accent du singulier et celui
du pluriel. Pour les trois autres types oxytons, ils se ramènent
à un seul ; le type initial d dont la conservation n'est plus
que partielle et dont la mobilité d'accent a été réduite ou
supprimée, avec des "divergences entre le russe et le serbo-
croate, et des flottements à l'intérieur de ces deux langues.
C'est ce type oxyton qu'il faut poser en slave pour le comparer
avec les types lituaniens à accent mobile :

russe serbo-croate cakavien slovène


Sing. N. rukâ rûka rukâ rôka
A. ruku rûku rûku rokg
G. ruki rùkë rûké rôke
L. ruké rûci ruki rôki
D. ruké rûci ruki rôki
I. rukôjfu) rùkôm rûkûn rokg (rôko)
Plur. N.-A. rûki rûke rûki rokç
G. ruk rukâ. rûk rçk
L. rukâx rukàh rôkah
D. rukâm rùkama • rukân rôkam
I. rukâmi [ rukâmi rokâmi
342 L'ACCENTUA TION [215]

L'accent du kachoube, qui tend vers l'accent fixe du


polonais (§ 93), est évolué. L'oxytonaison, perdue dans nom.
sing. rçika, etc., est conservée dans instr. sing. rqkç, loc. plur.
rqkâch, dat. rqkçm, instr. rqkami.
Il apparaît que l'accentuation du slave rçka ne répond
pas à celle de lit. rankà, mais à celle des deux types oxytons
mobiles galvà et mergà, qui se confondaient en slave où
l'accent de recul sur intonation rude a donné une intonation
douce : r. gôlovu, cak. glâvu à l'accusatif singulier, r. gôlovy,
cak. glâve au nominatif pluriel, pour lit. gâlvq, gâlvos, et
comme lit. mergq, mcrgos. Le slave a réuni en un seul type
les trois types à accent mobile du lituanien.
Au singulier, le recul d'accent de l'accusatif ést bien
conservé dans un certain nombre de mots usuels, mais il a
été éliminé dans la grande majorité des cas. Celui du datif
n'est maintenu que par le serbo-croate, seulement avec les
mots qui présentent le recul à l'accusatif ; il a disparu ailleurs,
sauf un vestige dans la locution r. k stôrone, de storonâ « côté »,
acc. slôronu. Au pluriel, où le slave ne présente pas la distinc-
tion lituanienne entre le nominatif paroxyton et l'accusatif
oxyton et la différence d'intonation qu'elle suppose (§ 150),
le recul d'accent du nominatif-accusatif reste fréquent, et
le russe l'a développé dans son type b à pluriel entièrement
paroxyton. Au contraire, en bulgare, tout mouvement
d'accent entre le singulier et le pluriel des féminins est aboli.
Pour le génitif pluriel, il était accentué sur la désinence -û,
d'où l'accent rùkâ du serbo-croate et l'accent de métatonie
du cakavien et du slovène. Au locatif et au datif, l'élément
thématique -a- d'intonation rude devait porter l'accent,
d'après cak. -âh et tch. -âch, -âm. A l'instrumental, il est
probable que l'accent était -ami, kachoube rqkami, comme
lit. -omis : l'accent -âmi du russe et du cakavien (et de s.-cr.
-ama) résulterait d'une normalisation, avec métatonie dans
slov. -âmi.
[221] THÈMES MASCULINS EN -o- 343
I
Sur le nominatif-accusatif duel, et sur l'intonation de la
désinence, on,n'a pas de données bien sûres (§ 150). Le slovène
paraît indiquer une oxytonaison, comme en lituanien, mais
ailleurs bulg. racé et nozé peuvent avoir emprunté leur accent
aux cas obliques,-de même que oci et usi (§ 218), et on ne
peut pas faire état des quelques autres formes isolées, comme
r. dial. brylé « lèvres » qui est à côté de bryly. Au génitif, s.-cr.
rùkû présente un accent sûrement plus ancien que celui de
nôgû qui doit être pris à nom.-acc. plur. noyé, et il est confir-
mé par le kachoube rqkû, nogû. Au locatif-datif-instrumental,
s.-cr. rùkama, nogama sont confondus avec le pluriel, et
l'accent -âma du slovène est parallèle à celui de instr. plur.
-âmi. ,

Avec les polysyllabes, le russe a développé dans son type


b un recul d'accent nouveau, sur la base du génitif pluriel :
kolbasd «saucisse», plur. kolbâsy comme gén. plur. kolbâs,
pour kolbasij. Il conserve dans son type d quelques mots
devenus trisyllabiques par polnoglasie (§ 70) : borodd « barbe »,
acc. bôrodu, nom.-acc. plur. bôrody, cak. brada, brâdu, brade;
et isolément un mot plus long, skovorodâ « la poêle », acc.
skôvorodu, nom.-acc. plur. skôvorody. E n serbo-croatè, ce
mouvement d'accent est largement représenté dans le type
planina «montagne» (cak. planinà), acc. plâninu, nom.-acc.
plur. plànine, et le recul apparaît aussi au datif singulier,
plànini en regard de loc. planïni. On a même dialectalement
le type veliclna « grandeur », acc. vëlicinu.

231. Thèmes masculins en -o-. — Ici, comme en lituanien,


l'accentuation est toute différente. E n serbo-croate et en
slovène, il y a des paroxytons d'intonation rude ou douce,
cak; pràg, gén. prâga, brôd, gén. broda, grâd, gén. grdda, et
des oxytons à radical bref ou long, pop, gén. popà, grih
« péché », gén. grïhâ. L'accent est également fixe dans les
344 L'ACCENTUA TION [215]

deux types, sauf le recul du vocatif, et sauf l'avancée au locatif


en -u pris à la flexion en -u-, Seule l'accentuation du génitif
pluriel est moins simple, du fait de l'amuissement de -u
entraînant des accents de métatonie (§ 224) et de l'extension
secondaire de la désinence -â en serbo-croate (§ 144.)
Il n ' y a pas en principe d'opposition d'accent entre le
singulier et le pluriel. Si l'on trouve en serbo-croate un type
lànac « pot », plur. lônci, c'est parce que l'accent du pluriel
a été normalisé sur celui du génitif pluriel *lonïcï où il reculait
jusque sur l'initiale, cak. lônâc, s.-cr. Vonâcâ. Le cakavien
offre une innovation différente, mais parallèle : lonàc, plur.
lôncï et lônca, avec passage du pluriel au type neutre de
stakâlcë «petit verre, flacon», plur. stakâlca (§ 222), gén.
stakâlâc, sur la base de gén. plur. lônâc. Ce que montre cet
accent du génitif pluriel qui se transmet à tout le pluriel,
c'est que l'accent du nominatif-accusatif singulier, cak.
lonàc, s.-cr. lànac, est analogique de celui des cas obliques,
gén. cak. lôncà, s.-cr. lônca, etc., et de même dans le type r.
konéc « fin », gén. koncâ.
Pour le type s.-cr. brôd, gén. broda, plur. brôdovi, plus iso-
lément sâd « plantation », gén. sâda, plur. sâdovi avec voyelle
radicale longue, il est secondaire (§ 219). Avec les pluriels qui
ne prennent pas en serbo-croate l'élargissement -ov-, u n mou-
vement d'accent comme gôsli, gén. gôstï et gôstiju, loc.-dat.-
instr. gostima, est caractéristique de la flexion en -i-(§ 218).
Comme ces pluriels courts sont en principe ceux de substantifs
qui ont subi l'influence du type masculin en -i- (§ 172),
l'accent mobile a pris une petite extension : zûbi « dents »,
loc.-dat.-instr. zubima, brci « moustaches », loc.-dat.-instr.
brcima et brcima. Avec les mots à radical dissyllabique et
accent sur l'initiale du type de gôlûb « pigeon », on trouve une
avancée de l'accent au génitif pluriel : cak. vëcër « soir »,
gén. vëëera, gén. plur. vecér, s.-cr. ââvô « diable » (r. d'jâvol),
gén. dàvola, gén. plur. davôlâ, et golubôvâ avec l'élargissement
[221] THÈMES MASCULINS EN -o- 345
. i
-ov-. C'est parce qu'une grande partie des mots de ce type
d'accent, comme kàmën, djëvër, et gôlûb lui-même, sont
d'anciens athématiques ou thèmes en -i-, et c'est l'accentua-
tion de dësët, gén. plur. sedam-dèsët.

Les faits sont plus compliqués en russe. A côté de deux


types immobiles, paroxyton xram « temple », gén. xrdma,
plur. xrdmy, gén. xrâmov, etc., et oxyton slol «table», gén.
stolâ, plur. stoly, gén. stolôv, etc., il présente un type productif
à mouvement d'accent, paroxyton au singulier et oxyton au
pluriel : sad « jardin »,* gén. sdda, etc., et plur. sadfi, gén.
sadôv, etc. Pour le locatif singulier en -û à avancée de l'accentj
voir § 219. Le type paroxyton immobile xram, rare avec des
radicaux monosyllabiques, est le type d'intonation rude de
porôg, s.-cr. prâg, rak « écrevisse », s.-cr. ràk. La forme popu-
laire du mot religieux xram est xorômy « grande maison »,
devenu féminin pluriel, ce qui veut dire seulement qu'elle
conserve un génitif -pluriel xorôm. Au singulier, on a ukr.
xàrôm « vestibule », tch. chrâm « temple », et cak. hrâm
«maison», gén. hràma, avec un allongement secondaire devant
sonante (§ 106) au nominatif-accusatif, que le serbo-croate
a généralisé en hrâm, gén. hràma, au sens religieux et non
populaire de « temple ».
Le type paroxyton mobile est le type à intonation douce.
L'oxytonaison du pluriel n'a aucun rapport avec celle du
lituanien, elle n'a pas de correspondant dans les autres
langues slaves, et le développement en apparaît récent : au
x v n e siècle, d'un mot comme rjad « rang », gén. rjâda, plur.
rjady, l'accent du nominatif-accusatif pluriel flottait encore
entre rjddy et rjady. Mais le point de départ de l'oxytonaison
est nécessairement ancien, puisqu'elle est réglée, en principe
du moins, par l'intonation. Il faut le chercher dans le génitif
pluriel en -ou, qui s'est étendu de très bonne heure, et dans
une opposition entre les types porôgov, s.-cr. prâgôvâ, et
346 L'ACCENTUA TION [215]

gorodôv, s.-cr. gradôvâ. La généralisation au pluriel de l'oxy-


tonaison du génitif en. -ov a été favorisée par les autres types
flexionnels, et en particulier par le type neutre (r. mod.
gorodâ, § 138) et son mouvement d'accent entre le singulier
et le pluriel, r. slôvo, plur. slovâ (§ 222).
Dans les polysyllabes, oxytons et non oxytons, l'accent
est fixe, sauf pour les pluriels en -a qui, à la façon des neutres,
opposent un accent initial au singulier et un accent final au
pluriel : gôrod, plur. gorodâ, kôlokol « cloche », plur. kolokolâ.
Le russe offre un quatrième type d'accent des masculins,
celui de zub «dent», gén. zûba, etc., nom.-acc. plur. zûby,
mais gén. zubôv, loc. zubâx, etc. C'est celui des anciens mascu-
lins en -i- et des quelques substantifs de la flexion dure qui
ont subi leur influence. E n effet, le type comprend surtout
des mots de la flexion mouillée qui sont d'anciens thèmes en
-i- ou des athématiques, comme gus' « oie », gén. gusja, gén.
plur. guséj, lébed' « cygne », gén. lébedja, gén. plur. lebedéj.
Avec kâmen « pierre », du fait de son passage de gén. kâmenja
à kâmnja (§ 185), l'accent s'est compliqué : gén. plur. kamnéj
et kâmnej, loc. kamjâx et kâmnjax, etc. Pour le petit type
paroxyton de gvozd', gén. gvozdjâ, mais nom.-acc. plur.
gvôzdi, et kon « cheval », konjâ, kôni, dont la contamina-
tion est ancienne avec les thèmes en -i- (§ 172), voir § 218.

Ainsi, dans les thèmes masculins en -o-, les mouvements d'ac-


cent qui apparaissent dans les langues slaves ne remontent pas
à un état slave commun et sont secondaires, dus à la fusion
avec les thèmes en -u- et en -i- ou à une imitation de l'accen-
tuation des neutres. L'extension au pluriel de la mobilité
d'accent des athématiques ne résulte en lituanien que d'une
confusion des deux types oxyton et paroxyton, restés bien
distincts en slave. L'accent était fixe en balto-slave, comme
en sanskrit et en grec. Pour le jeu de la loi de Saussure, il ne
s'exerçait qu'à l'instrumental singulier, où il s'est maintenu
[222] THÈMES NEUTRES. ' 347

en lituanien, mais a disparu en slave avec le remaniement de


la désinence ; et au nominatif-accusatif duel, où le slave ne
garde d'une accentuation restée régulière en lituanien que
des vestiges qu'il faut chercher, non dans les accents rema-
niés du slovène et du slovince, mais dans des formes isolées
comme r. rogâ, pluriel de rog «corne», gén. rôga (§ 214).
La désinence -ëxu de locatif pluriel est longue en serbo-
croate, comme étant d'intonation douce : dial. -ije(h), cak.
-ïh. Elle est longue aussi en tchèque', -ich, v. tch. -iech, mais
secondairement, puisque la flexion pronominale présente
-ëch bref : elle est analogique en tchèque de -âch du type en
-â-, et de -ych, -ich de la flexion contracte de l'adjectif. Au
datif pluriel, v. tch. -ôm, mod. -ùm, pol. dial. -ôm, mais -om
en polonais commun, présente de même une longue analo-
gique, prise au génitif pluriel v. tch. -ôv, mod. -ù, pol. -ôw ;
de là, au féminin, -âm en vieux polonais, -çm en kachoube.

222. Thèmes neutres. •— Ici la comparaison avec le litua-


nien fait défaut. Il y a en slave des oppositions d'accent
caractéristiques entre singulier et pluriel, mais dans des
conditions sensiblement différentes selon les langues.
Avec les thèmes en -o-, on a en russe u n type paroxyton
à accent fixe, rare avec des dissyllabes : gôrlo « gorge », plur.
gôrla; un type oxyton à accent fixe, bozestvô «divinité»,
plur. bozeslvâ, sans dissyllabes anciens ; et deux types à
accent mobile qui comprennent presque tous les dissyllabes
et un certain nombre de polysyllabes : paroxyton slôvo « mot »,
plur. slovâ, zérkalo « miroir », plur. zerkalâ, et oxyton selô
« village », plur. sëla. Dans ce dernier type oxyton, l'accent
de recul représente un accent m o n t a n t de métatonie (§ 102) :
r. voloknô «fibre» (s.-cr, vlâkno), plur. volôkna; cet accent
a été étendu à d'autres mots, comme resetô «crible», plur.
resëla, et dans le type zérkalo à plur. ozëra pour ozerâ, de
ôzero « lac ».
348 L'ACCENTUA TION [215]

Le bulgare, avec une accentuation remaniée et des flotte-


ments dialectaux, présente l'avancée d'accent au pluriel :
mjàsto «lieu», plur. mestâ, ézero, plur. ezerd; mais non le
recul : rebrô « côte », plur. rebrd.
E n serbo-croate, l'accent est fixe dans la majorité des
paroxytons : slovo, plur. slôva, tîjelo «corps», plur. lïjela.
Il est mobile dans certains seulement : brdo « mont », plur.
brda, mêso « chair », plur. mésa (« fesses ») ; exceptionnelle-
ment avec des polysyllabes : jëzero, plur. jezèra, jëstïvo, plur.
jestiva « aliments ». Pour les oxytons, ils ont toujours l'accent
fixe dans le type à voyelle longue : krilo « aile », plur. krila ;
et ordinairement dans le type à voyelle brève, cèlo « front »,
plur. cela, sauf quelques mots qui présentent l'accent de recul :
sèlo, plur. sêla.
E n cakavien, l'avancée d'accent n'apparaît pas, semble-t-il,
dans les dissyllabes : jâje « œuf », plur. jâja, offre une métato-
nie qui suppose au pluriel un accent de recul sur un singulier
*jâjë, s.-cr. jâje. Mais l'avancée d'accent avait existé, et
jëlîto «boyau, boudin», plur. jelita, est du type de s.-cr.
jëstïvo, plur. jestiva de *jestïvà, avec la complication secon-
daire d'un recul de métatonie, comme dans r. ôzero, plur. ozëra.
Au contraire, le recul de l'accent est régulier au pluriel dans
les dissyllabes à voyelle brève : celô, plur. cela; et de même
dans les dissyllabes et trisyllabes à voyelle longue, toujours
avec l'accent de métatonie sur longue d'intonation douce, le
même qu'au génitif pluriel : krïlô, plur. krila comme gén.
kril, propêlô «crucifix», plur. propéla.
E n slovène, on a l'avancée d'accent dans le type poljç
« champ » = r. pôle, plur. pôlja= r. poljâ, et le recul dans le
type sèlo= cak. seTô, plur. sçla— cak. sëla. Mais l'accent de
plur. pôlja est l'accent de métatonie de gén. plur• pôlj, et
celui de plur. sçla est également celui de gén. plur. sfl. Dans le
type léto «année, été», d'intonation rude, s.-cr. Ijëto, le pluriel
lêta présente aussi l'accent de métatonie du génitif pluriel têt.
[222] THÈMES NEUTRES 349

Avec les: anciens types athématiques, l'accord est plus


complet-entre les langues slaves. On trouve partout la même
avancée de l'accent sur la finale du pluriel dans les deux
types r. imja « nom », gén. imeni, plur. imenâ, bulg. ime,
plur. imenâ, s.-cr. ïme, gén. zmena, plur. imènà (cak. imenâ
avec longue secondaire, § 148), slov. séme «semence», gén.
sémena, plur. semÇna (usuellement sêmena avec la métatonie
sur intonation rude de léto, plur. lêta) ; — et r. nébo, gén.
néba, plur. nebesâ, bulg. eûdo, plur. ëudesâ, s.-cr. nêbo,, gén.
nëba, plur. nebèsa (cak. nebesâ). Pour r. kolesô, plur. kolësa
comme ozëra, et pour bulg. nebé, plur. nebesâ, voir § 192.
Le slovène a effacé la différence, qui n'était plus marquée
que par des nuances d'intonation, entre le singulier à accent
initial qui avançait d'une syllabe et le pluriel oxytoné dont
l'accent reculait d'une syllabe (§ 93) : okô= r. ôko, gén. oeçsa
de *ôëese, et plur. ocçsa de *oëesâ. Le kachoube, qui perd
l'accentuation finale, a vâmiq « épaule », plur. ramiôna comme
gén. ramiôn.
Dans le premier type, la désinence v. si. -g de nominatifs
accusatif était sûrement d'intonation rude (§ 88, § 184), et
elle devait attirer l'accent d'une initiale d'intonation douce.
On a en effet s.-cr. vrijème «temps», gén. vrëmena (plur.
vremèna), et slov. vréme de *vremé, gén. vretnçna de *vrémena,
avec dérangement de l'intonation qui est celle du pluriel,
et au pluriel celle du génitif vremçn. Maisoce ;mouvement
d'accent n'est qu'une survivance, qui disparaît ailleurs : s.-cr.
dial. vrïjeme, cak. vrîme, qui ne conservent plus que l'oppo-
sition de quantité entre la forme dissyllabique et les formés
trisyllabiquès (§ 107), et r. vrémja, blanc-russe véreme, bulg:
vréme. Le slovène atteste aussi pléme « race », gén. plemçna,
de *plemé, *plémena, mais ici le serbo-croate a plême, comme
r. plémja. Pour ukr. im'jâ « hom », gén. imeny, en face, de
r. imja, etc., et de même slov. tmf, il S'agit sûrement d'une
accentuation" secondaire, comme le montre le blanc-russe
23
350 L'ACCENTUA TION [215]

jmjâ à côté de une : un i- initial inaccentué est prononcé /-


après voyelle, ukr. idé «il vient » et ne jdé «il ne vient pas »,
et le pluriel imenà, jmenâ, a transmis au singulier un flotte-
ment imja, jmjd.
Dans le type de v. si. otroce, gén. -cgfe, le -e- était sûrement
d'intonation rude (§ 196) et attirait l'accent d'une syllabe
initiale d'intonation douce. On a donc régulièrement, avec
accent fixe : bulg. lelé « veau », plur. teléta ; cak. telë, gén.
telëta, plur. telëta, s.-cr. lèle, gén. lèlela (coll. tëldd, § 211), et
cak. dïtë « enfant », gén. ditèta, s.-cr. dijète, gén. djèleta (coll.
djèca) ; slov. téle, gén. telçta; — mais avec intonation rude
initiale : bulg. dgne « agneau », jdre « chevreau », plur. dgneta,
jdreta; s.-cr. jâgnje, jâre, gén. jâgnjeia, jâreta; slov. jdgnje,
gén. jâgnjeia. Le russe, qui dans la flexion des neutres en -o-
étend le mouvement d'accent de slôvo, plur. slovâ, à des subs-
tantifs à intonation rude primitive, lélo «été», mésto «place»,
plur. letâ, mestâ, a généralisé l'accent du type à intonation
douce : (jagnënok), plur. jagnjâta comme teljâla, et au singu-
lier ukr. jahnjâ, gén. jahnjâty. Le kachoube, perdant en partie
l'accentuation finale (§ 93), a confondu les deux types jâgniq
et célq de *celç, avec même accent dans la flexion, au singulier
gén. célqca, célaca, etc., au pluriel celçta, etc., mais gén. célqt
à côté de celg-t.
Tandis que le russe et le kachoube uniformisaient l'accen-
tuation, le serbo-croate l'a compliquée en développant un
type nouveau à accent initial sur longue, limité à quelques
mots : prâse «goret», gén. prâseta, zdrljebe « poulain », gén.
zdrebeta, et cak. zdrîbe, gén. zdrïbeta. On trouve de même slov.
prasè, prasç, gén. prasçta, zrébë, zrebç, gén. zrébçla; mais le
bulgare a prasé, z(d)rebé> plur. praséta, z(d)rebéta. C'est une
variété secondaire du type d'intonation douce sur longue
(lit. parsas «goret») de s.-cr. jûne «bouvillon», gén. jùneta,
avec substitution à l'accent ancien d'un accent nouveau de
dérivation. S.-cr. prâse est en regard de prâsac « porc »,
[222] THÈMES NEUTRES. ' 351

zdrïjebe de zdrijèbac « étalon », et ces dérivés oxytons en -ac


se tirent de paroxytons, brâvac « verrat » de brâv « petit
bétail», le singulatif (§ 212) dial. zvijèrac «une bête fauve»
de zvïjer. Le slovène a brdvec et brâv, et sur brâv a fait *brâve,
bravé.

Ces mouvements d'accent dans les neutres entre singulier


et pluriel pourraient conserver quelque chose de l'indépen-
dance ancienne du pluriel neutre en '*-â, qui était un collectif
avec son accent propre, ainsi gr. pfjpoc en regard de sing.
ixnpôs «cuisse» (§ 99). Mais les très rares exemples qu'on
peut alléguer de cette indépendance primitive doivent peut-
être s'expliquer autrement, et le fait sûr est que l'accent est
fixe entre le singulier et le pluriel en grec et en sanskrit. Les
jeux d'accent du slave représentent donc des innovations.
Pour l'avancée d'accent, on retrouve aisément, à travers
les divergences des langues slaves, une différence primitive
entre le type d'intonation rude v. si. grulo, s.-cr. grlo, slov:
grlo, lit. gurklys, acc. gùrkli, à accent fixe, et le type d'into-
nation douce v. si. mçso, s. -cr. mêso, slov. mesô, lette miesa,
à pluriel oxytoné. Ainsi l'avancée d'accent au nominatif-
accusatif pluriel des dissyllabes en -o- est due à la loi de
Saussure. Aux autres cas, c'est le mouvement d'accent pris
au type athématique : on a eu, de sing. *plémen-, gén. plur.
*plemenu, etc., comme en lituanien, dans les masculins, gén.
plur. akmen%, etc. Le nominatif-accusatif pluriel devait être
*plémeni comme en lituanien nom. àkmens, acc. âkmenis,
et il a été remplacé par plemenâ avec l'extension de la dési-
nence -a du type en -o- (§ 179). Car l'accent plemenâ ne s'ex-
plique pas par la loi de Saussure, qui ne joue qu'entre une
syllabe et la syllabe immédiatement suivante (§ 99), et il est
analogique. C'est ainsi, par cette interaction des athéma-
tiques et des thèmes en -o-, q.ue l'oxytonaison a été généralisée
dans tout le pluriel, avec extension à des polysyllabes en -o-,
352 L'ACCENTUA TION [215]

et aussi aux athématiques à initiale d'intonation rude comme


*semg, s.-cr. sjëme, slov. séme, plur. *sëmenâ, qui restaient
d'accent fixe d'après lit. mënuo, gén. plur. mënesi%
Pour l'accent de recul, les conditions sont différentes. Il
n'est pas général dans les langues slaves, et il donne un accent
non sur l'initiale, mais sur la pénultième, qui est l'accent de
métatonie du génitif pluriel. II ne saurait être ancien, puisqu'au
nominatif-accusatif pluriel il est contraire à la loi de Saussure.
Il faut donc supposer, comme pour le type féminin kolbasâ,
plur. kolbâsy, du russe, et tout son type travà, plur. trâvy,
une généralisation au pluriel de l'accent du génitif. La dési-
nence courte du génitif pluriel devenait une caractéristique
du neutre, par opposition au masculin qui développait des
désinences plus pleines, -ov, r. -ej, ordinairement accentuées ;
et l'extension de son accent de recul aux autres cas du pluriel
rapprochait les neutres des féminins, où le mouvement d'ac-
cent entre singulier et pluriel est fréquent.

La comparaison avec le baltique, où les neutres ont donné


des masculins ou des féminins (§ 125), est extrêmement
réduite. On a dans v. pr. merisâ « viande », avec une longue
qui indique que la finale était accentuée (§ 107), le corres-
pondant de r. mjasâ, s.-cr. mésa, pluriels de r. mjâso, s.-cr.
mêso, avec le mouvement d'accent de la loi de Saussure. Pour
la flexion, lit. mèsà, acc. mësq, du type oxyton de mergà, est
un emprunt au slave qui ne prouve rien. Au contraire, lit.
slâyos « traîneau », pluriel féminin qui continue un pluriel
neutre, a l'accent du type paroxyton de rankà, plur. rankos,
et c'est variai « porte », pluriel masculin, qui répond à l'oxyton
r. voroiâ (secondairement vorôla), s.-cr. vrâla. Ceci montre
que les cas obliques de l'ancien neutre pluriel, v. pr. warto,
étaient paroxytons, et permet de restituer pour le lituanien
une accentuation *vartà, gén. varl%, etc. Il apparaît ainsi que
dans les paroxytons en -o- le baltique ne connaissait l'avancée
[223]' RECUL DE L'ACCENT SUR PRÉPOSITION 353

d'accent qu'au nominatif-accusatif pluriel : l'extensionaux cas


obliques de l'oxytonaison des athématiques serait une innova-
tion du slave. Pour le recul d'accent, ce n'est sûrement qu'un
développement parallèle et tardif de quelques langues slaves.
On voit par le cas des neutres' qu'il serait imprudent de
faire remonter au balto-slave tous les mouvements d'accent
du slave, même les plus frappants. D'autres mouvements
d'accent qui coïncident en lituanien et en slave peuvent n'être
que les résultats de tendances communes initiales à développer
la mobilité d'une p a r t des athématiques, de l'autre de la loi
de Saussure. La similitude des systèmes d'accentuation du
lituanien et des langues slaves, même en partie nouvelle,
n'en suppose pas moins une identité de base ; et les divergences,
qui sont nombreuses aussi, laissent reconnaître que cet état
originel balto-slave présentait ses traits spéciaux et de fortes
innovations, mais était bien moins éloigné de l'état assez
simple de l'indo-européen que ne le sont les accentuations
compliquées des lahgues modernes.

223. Recul de l'accent sur préposition. — Le lituanien


connaît le recul d'accent sur le préverbe et le préfixe nominal
(§92), mais non sur la préposition. Le mot lituanien et lette
est très différent du mot russe à accent d'intensité unique,
moins du mot tchèque ou serbo-croate où la quantité, autre
forme de l'intensité, existe à part de l'accent. Il connaît, à
côté du sommet d'intensité dominante, des sommets d'inten-
sité moindre, et un m o t comme lit. kùnigas « prêtre » sera
noté par un phonéticien 'kùnlgàs, avec des intonations plus
ou moins sensibles en dehors de l'accent, et qui le sont nette-
ment en lette. Dans le groupe de la préposition et du nom,
la préposition porte en lituanien un accent secondaire, mais
l'accent principal est sur le nom : prié rankos « par la main ».
E n lette, où l'accent (initial) est régulier sur le préverbe, la
préposition est toujours inaccentuée.
354 L'ACCENTUA TION [215]

En slave, dans les types à accent mobile, le recul de l'accent


de la finale sur l'initiale du mot a été étendu à l'initiale du
mot phonétique qu'est le groupe de la préposition et du nom.
Le fait n'apparaît en russe que dans des locutions très usuelles
et semi-adverbiales, mais très nombreuses, surtout dans la
langue populaire : fém. nâ goru «sur la montagne », de gorâ,
acc. goru ; nà golovu « sur la tête » et nâgolovu « à plate couture »,
de golovd, acc. golovu; •—• zd noc' « durant la nuit », de noc ,
gén. nôci, loc. v noëi, gén. plur. noëéj ; béz vesti « sans nouvelle,
sans laisser de trace », de vest', gén. plur. vestéj ; prl smerti
«près de la mort», de smerl', gén. plur. smerléj; — masc.
pôd nos, pôd nosom « sous le nez », de nos, gén. nôsa, loc. na
nosû, plur. nosy ; ôt rodu, ôtrodu «depuis la naissance», de
rod, gén. rôda, loc. na rodu « à la naissance » ; riâvecer,
pôdvecer « au soir », de vécer, loc. vveceru; — neutres nâ
slovo «sur parole», de slôvo, plur. slovâ; pô nebu, nâ nebe
« au ciel », de nébo, plur. nebesâ ; pô uxu « sur l'oreille », pô
usi « par-dessus les oreilles », de uxo, plur. usi, gén. usé}. Il
est visible que le russe a restreint un mouvement d'accent
qui avait été de grande extension.
On retrouve ce mouvement d'accent en bulgare, dans des
formes adverbiales : nâdvecer, privecer « vers le soir », nâ dni
« à certains jours, t a n t ô t », nâdvor « dehors » ; et en kachoube
septentrional : dô wieczora, nâ dwor. Le slovène, avec ses
mouvements d'accent compliqués (§ 93), en a tiré une into-
nation descendante initiale après préposition : fém.' glâva=
cak. glâvâ, acc. glav§= s.-cr. glâvu, et na glâvo = s.-cr. nâ
glâvu ; — nôc, gén. nocî = s.-cr. nôci, et do nôci = s.-cr. dô
noci ; jesçn « automne » = s.-cr. jësên, et na jçsen — s.-cr.
nâ jesën; — masc. vecçr, et na vÇcer; — neutre uhô = cak.
ûho, et v ûho « à l'oreille », cf. s.-cr. nâuhç.
Mais c'est surtout en serbo-croate que ce recul de l'accent est
développé. Il y est régulier en principe avec les féminins des
types glâva, acc. glâvu]|plur. glâve, et masc. slûga «serviteur »
[223] RECUL DE L'ACCENT SUR PRÉPOSITION 355

(acc. slugu), plur. slûge, noga, acc. nôgu, planina, acc. plâninu:
glâvu, zà slûge, nâ noge, nïz planinu « en descendant de la
montagne » ; — avec les féminins des types mâsl « graisse »,
loc. mâsti, kôst, gén. kôsti, pâmët « mémoire, raison », loc.
paméti, râdôst « joie », gén. ràdosti : nà mâst, ôd kosti, bëz
pamêti, ôd radosti ; —- avec les masculins des types grâd, loc.
grâdu, Bôg, gén. Bôga, mjësêc, loc. .mjesécu, kàmën, loc.
kamènu : îz_ grâda, prëd Boga, nâ mjesêc, ôd kamena ; — avec
les neutres des types mëso, plur. mësa, brdo, pluriel brda: bëz
mësa, uz brdo « en amont ». On observe une extension à des
neutres du type à accent fixe, comme Ijëto, plur. Ijëta : nâ
Ijeto. Le recul a lieu également sur l'initiale des prépositions
qui sont ou deviennent dissyllabiques : mïmo grâd « en longeant
la ville », ïspod leda « de sous la glace », prëko Ijeta « dans le
cours de l'été », krôza zemlju « à travers la terre », avec la
forme kroza de kroz pour la commodité de la prononciation
devant z- (§ 59). On peut même le trouver avec des préposi-
tions trissyllabiques : ôkolo grâda « autour de la ville »,
ïzmeâu pûka « d'entre le peuple ».
E t le serbo-croate présente un autre recul d'accent Sur la
préposition, celui qui a déplacé tout accent descendant en
le transformant en accent m o n t a n t sur la syllabe précédente
(§ 93) : crkva « église » et Iz crkvë « de l'église », kuca « maison »
et ôd kucê « de la maison », brât « frère », et isprëd brata « de
devant le frère ». Ce recul est également usuel et, en principe,
ne se confond pas avec l'autre : c'est qu'il représente une
nécessité phonétique, et iz crkvë n'est que la façon de pro-
noncer iz crkvë dans une langue qui n'a plus d'accent descen-
d a n t à l'intérieur des mots. C'est un fait notable que la
coexistence de ces deux types de recul de l'accent sur là
préposition, l'un morphologique et l'autre phonétique, qui
jouent de façon régulière ét avec très peu de flottements dans
les régions de bon accent. Il n'en est pas partout de même, on
s'en doute, mais la norme reste claire.
356 L'ACCENTUAT ION [224]

224. La quantité. — Le slave, comme le baltique, a éliminé


dans la flexion des noms les alternances vocaliques de l'indo-
européen, dont les vestiges sont encore reconnaissables en
balto-slave (§ 175). Ce qu'il en conserve, v. si. nebo, gén.
nebese, kamy, gén. kamene, et imç, gén. imene, comme lit.
akmuô, acc. âkmeni, etc., n'intéresse que les désinences qui
ne sont plus analysables. Mais le slave, à la différence du
lituanien, a largement développé des oppositions nouvelles
de quantité. Elles résultent d'allongements et d'abrègements
et de faits de métatonie, qui sont tous récents, de la fin
d u slave commun pour les plus anciens, et qui représen-
tent surtout des innovations parallèles des langues slaves.
Tchèque. —• Le tchèque, dans la flexion des masculins, offre
avec un nombre limité de mots un allongement au nominatif
singulier : prâh « seuil », gén. prahu, dvûr « cour », gén. dvora,
chléb « pain », gén. chleba, vttr « vent », gén. uëtru, etc. La
quantité est tellement remaniée en tchèque que l'origine du
fait n'est pas claire. La comparaison avec le serbo-croate
indiquerait u n allongement en syllabe fermée (§ 106) : Buh,
gén. Boha, comme s.-cr. Bôg, gén. Bôga. Mais il n'apparaît en
serbo-croate qu'avec des paroxytons à voyelle brève ancienne,
tandis qu'on le trouve en tchèque aussi bien avec d'anciens
oxytons et avec d'anciennes voyelles longues. On voit què
des oxytons comme r. kut «coin», gén. kutâ, cak. kût, kûtà,
korôl' « roi », gén. koroljâ, cak. krâlj, krdljâ, ont donné au
nominatif singulier un accent de métatonie sur longue d'into-
nation douce {§ 102), kout, krâl, que le tchèque a généralisé
dans toute la flexion : gén. koula (koutu), krâle. Il serait
possible que la longue du type Bâh ait son point de départ
dans une extension de cette longue de métatonie aux oxytons
à voyelle brève comme dvûr, kun (gén. konë), r. dvor, kon',
gén. dvorâ, konjâ, cak. dvôr, kônj, gén. dvorâ, konjà.
Au génitif pluriel, les allongements attendus, et conservés
[224] LA QUANTITÉ • 357

dans les féminins, ont disparu dans les masculins avec la


généralisation de la.désinence -ôv, mod. -û, et le vieux tchèque
n'en garde que des traces. La plus nette est cas «temps»,
gén. plur. cas, où la longue du génitif pluriel, comme la brève
des autres cas, est exactement contraire à ce qu'on attendrait
dans un ancien paroxyton d'intonation rude, cak. cas, gén.
plur. cas. Pour la désinence -ôv, sa longue ne peut s'expliquer,
Comme peut-être celle du type nom., sing. dvùr, que par une
extension secondaire de la longue de métatonie (§ 104),
devenue caractéristique du génitif pluriel.
,. De peniz «pièce de monnaie», v. tch. peniez, plur. penize
« argent », dont l'initiale a été refaite sur l'allemand phenning
pour pënçdzï du vieux slave (§ 65), les cas obliques du pluriel
ont un -ë- bref : gén. penëz, dat. penëzùm, etc. Ce sont les
formes en -i- qui font difficulté, car un mot à accent initial,
s.-cr. pjënëz, ne gardait pas phonétiquement sa longue post-
tonique, qui s'abrégeait en tchèque comme toutes les longues
inaccentuées. On attend -ë- comme dans vilëz «vainqueur»,
s,-cr. vïtëz « chevalier », mais on trouve aussi -i- dans mësic
« mois », s.-cr. mjësëc, zajic « lièvre », r. zâjac. Il y a conser-
vation régulière de -ë- dans gén. plur. penëz, etc., et pour les
formes en -i- on doit supposer le jeu de l'alternance snih
« neige », gén. snëhu, au nominatif-accusatif singulier, avec
généralisation partielle du thème de peniz, complète avec
mësic, zajic, comme dans le cas de kout, krâl.
lin abrègement de trisyllabe dans des pluriels en -ov-
comme dëdovë peut expliquer la brève du singulier dëd
(§ 107), Mais on voit combien hypothétique est l'histoire des
faits de quantité en tchèque.
Les alternances de quantité sont plus claires dans les
féminins en -â-. Un certain nombre de dissyllabes à voyelle
longue présentent une brève d'une p a r t à l'instrumental sin-
gulier, d'autre p a r t aux cas obliques du plûriel : ainsi jâma
« fossé », mais instr. jamou, nom.-acc. plur. jâmy, mais gén.
358 L'ACCENTUA TION [215]

jam, loc. jamâch, dat. jamâm, instr. jamami; sila «force»,


instr. silou, gén. plur. sil, etc. ; vira « foi » (v. tch. viera),
vërou, vër, etc. ; strouha « canal », struhou, struh, etc. De même
avec des féminins du type mouillé comme koule « boule »,
instr. kuli dé -Vu, gén. plur. kuli, loc. kulich, etc. ; kûze « peau »,
kozi, etc. Avec d'autres mots, l'abrègement n'a lieu qu'au
génitif pluriel : bida « misère », bëd, chvile « moment », chvil.
Le tchèque parlé ne le maintient guère qu'au génitif pluriel,
et seulement dans le type dur. Il s'agit, pour l'instrumental
singulier et pluriel, d'un abrègement de trisyllabe ; pour le
génitif pluriel, d'un accent de métatonie sur longue d'into-
nation rude {§ 103), donnant une brève qui a été étendue aux
autres cas obliques.
Le vieux tchèque offrait inversement un allongement au
génitif pluriel de thèmes à voyelle brève : strana « côté »,
gén. plur. slrân. C'était l'accent de métatonie sur longue
ancienne d'intonation douce, et il a été transporté sur brève
ancienne : voda, gén. plur. vôd. Cet allongement se conserve
dialectalement en tchèque. En slovaque, il a été généralisé
comme caractéristique du génitif pluriel des féminins : ryba
« poisson », stopa « trace de pas », mreza « grille », gén. plur.
rijb, stôp, mriez ; avec f et l voyelles : s ma « chevrette », slza
«larme», gén. plur. srn, slz (§ 74) ; dans les polysyllabes :
ulica « rue », kosel'a « chemise », gén. plur. ulic, kosieV ; et
sur les diverses voyelles mobiles du slovaque (§ 60) : hudba
« musique », jamka « fossette », sestra « sœur », gén. plur.
hudieb, jamôk, seslâr.
La distinction des deux types krâva «vache», gén. plur.
krav, ancien paroxyton d'intonation rude, r. korôva, cak.
krâva, gén. plur. krâv, et strana, gén. plur. slrân, ancien
oxyton d'intonation douce, r. storonâ, acc. stôronu, cak. strânà,
gén. plur. slrân, est déjà brouillée en vieux tchèque. Dans
les dialectes modernes, les flottements de quantité sont
nombreux.
[224] LA QUANTITÉ • 359

Avec les neutres, les alternances anciennes de quantité


sont complètement effacées en tchèque parlé. Le tchèque litté-
raire conserve quelques abrègements au génitif pluriel, très
rares, comme déjà en vieux tchèque : ainsi dilo « oeuvre »,
gén. plur. dël, dans un ancien paroxyton d'intonation rude,
cak. dëlo, gén. plur. dël. Le mot léto « été » présente l'abrège-
ment à tous les * cas obliques du pluriel : gén. let, et loc.
leteeh, etc. ; la langue courante a leto, avec la brève dans toute
la flexion, mais en face de dial. lito. Ceci indique que le tchèque
avait connu l'opposition d'accent entre le singulier et le
pluriel, sous la forme d'un accent de métatonie au pluriel,
comme dans le slovène léto, plur. lêta ( § 1 0 3 ) . E n effet, il
distingue dilo « œuvre ,» et dëlo « canon », qui est tiré du pluriel
au sens d'« ouvrages (militaires), machines de siège». Le
polonais distingue de même dzielo « œuvre » et dzialo « canon »,
mais par un autre moyen, et ce n'est pas en polonais une
question d'intonation : l'abstrait dzielo a été refait sur le
thème dzie- de verbe dziac, dziejac « œuvrer », prés, dziejç
(mod. dziac « tisser », dziac sic « avoir lieu »). Le vieux tchèque
connaissait aussi, comme dans les féminins, l'allongement au
génitif pluriel avec des neutres d'intonation douce : vrata'
« grand' porte », gén. vrdt, kolo « roue », gén. plur. kôl, kuol.
Cet allongement subsiste dialectalement en tchèque, et il a
été généralisé en slovaque : mesto « lieu », srdce «cœur»,
uciliste « école », sedlo « selle », gén. plur. miesl, srdc, ucillst',
sedâl, et jahna «agneau», plur. jahnatd, gén. jahniai (§ 195).
Dans les thèmes en -i-, u n allongement au nominatif-
accusatif singulier, du type masculin de dvur, gén. dvora, est
rare : sûl « sel », gén. soli. Le vieux tchèque atteste dans
quelques mots un abrègement aux cas obliques du pluriel :
sdni « traîneau », gén. sanl, pied « empan », gén. plur. pëdi.
Ces mots sont d'intonation douce dans les autres langues :
s.-cr. pêd, gén. pêdi, slov. pêd, gén. pedî, et plur. sanî. Le
tchèque doit conserver la trace de la mobilité de l'accent dans
360 L'ACCENTUA TION [215]

les thèmes en -i-, avec une métatonie sur longue d'intonation


douce au singulier, et au nominatif-accusatif pluriel qui
étaient paroxytons, mais sans métatonie aux cas obliques, du
pluriel qui étaient oxytons, cf. s.-cr. pédî, pédima. Le tchèque
moderne a généralisé la forme longue pid\ slovaque piad',
mais le tchèque littéraire garde une alternance de quantité
sânë (à côté de sanë), gén. sani, avec passage au type féminin
en -ë de koule, gén. plur. kuli.
Dans les anciens athématiques, on trouve des. alternances
de quantité par abrègement dans les formes trissyllabiques :
masc. kâmen, gén. kamene ; neutre brimé « fardeau », gén.
bremene, mais en tchèque parlé bremeno, gén. -na (§ 207) ;
fém. mâti, gén. matere, mais en tchèque parlé gén. mâti
(§ 199), et lâhev «bouteille», instr. sing. lahvi, et gén. plur.
lahvi, etc. aux cas obliques du pluriel, mais le mot a disparu
en tchèque parlé.

Polonais. — Le polonais, où les différences de quantité se


continuent par des différences de timbre, atteste dans l'en-
semble un état semblable à celui du tchèque. Dans les mas-
culins, il a les types dwôr « manoir », gén. dworu, zqb « dent »,
gén. zeba, golqb « pigeon », gén. golçbia, de façon plus étendue
et plus régulière qu'en tchèque, mais seulement devant
sonore ; un génitif pluriel en -ôw ; un type kqt, gén. kqta,
d'anciens oxytons à longue de métatonie généralisée ; un type
pieniqdz avec conservation de la brève ancienne dans quelques
formes du pluriel : gén. sing. pieniqdza, etc., mais gén. plur.
pieniçdzy, instr. pieniçdzmi, et miesiqc, gén. sing. miesiqca,
etc., mais gén. plur. rniesieaj. Dans les féminins en -i- : soi,
gén. soli, glqb « profondeur », gén. glçbi, galqz « branche »,
gén. galçzi, et u n doublet piqdz et piçdz répond à l'alternance
du vieux tchèque pied, gén. plur. pëdi. Dans les féminins en
-a: glowa « tête », gén. plur. glôw, osoba « personne », gén.
plur. osôb, ksiega « livre », gén. plur. ksiqg. Dans les neutres :
[224] LA QUANTITÉ • 361

kolo, gén. plur. kôi, miçso « viande », gén. plur. miqs, et le


type cielç « veau », plur. cielçta, gén. cielqt.

Serbo-croale. — E n serbo-croate, l'allongement est régulier,


devant sourde comme devant sonore, au nominatif singulier
du type masculin brôd (et cak. brôd), gén. broda, rôk «terme»,
gén. rôka, et du type féminin kôst, gén. kôsli. On le trouve
aussi dans une partie des polysyllabes masculins à accent
initial : cèkôt « cep », gén. côkota, mais surtout avec des thèmes
terminés par sonante : gôvôr « parole », gén. gôvora ; et dans
tous les féminins à suffixe -ôst : blâgost « bonté », gén. blâgosti.
Il apparaît également à l'instrumental singulier des féminins
en -i- : kôscu de kôstju, v. si. kostïjç, où la chute du jer a trans-
formé comme au nominatif-accusatif la syllabe précédente
en syllabe fermée.
Un autre allongement a lieu en serbo-croate devant
sonante (§ 106), mais jplus récent puisqu'il donne un autre
accent long en cakavien : tânac « danse », gén. lânca, cak.
tânca, lÔnac « pot », gén. lônça, cak. lonàc, lôncâ, màgarac
« âne », gén. màgârca, cak. magàrac, magârca. Dans les fémi-
nins en -a et les neutres, la brève primitive ne réapparaît
qu'au génitif pluriel : dôjka «mamelle», gén. plur. dôjâkâ,
sûnce «soleil» (cak. sânce), gén. plur. sunâcà.
Les abrègements dans les formes trisyllabiques sont fré-
quents : type grdd, plur. grâdovi, lâkal « coude », plur. lâklovi,
d'où par extension vllëz « chevalier », gén. vïtëza, mais plur.
vïtezovi; type grdna « branche », loc.-dat.-instr. plur. grànama,
et rûka «main», sluga «serviteur», gén. plur. rùkû, slùgâ
(§ 214), comme loc.-dat.-instr. rùkama, slùgama; types
1
dijèle « enfant », gén. djèleta, cak. dïlë, dilëta, et prose « goret »,
gén. pràseta ( § 222) ; isolément vrijème « temps », gén. v re-
mena, cak. vrîme, vrîmena.
Au génitif pluriel, l'accent de métatonie sur intonation
rude créait une opposition typique de quantité dans plusieurs
362 L'A CCEN T UA TJON [224]

catégories : cak. càs «moment», gén. plur. cas, s.-cr. câsâ,


susëd «voisin», gén. plur. susêd, s.-cr. sûsjêdâ, kràva «vache »,
gén. plur. krâv, s.-cr. krâvâ, besëda « discours », gén. plur.
besêd, dëlo « oeuvre », gén. plur. dêl, s.-cr. djêlâ, korïto « auge »,
gén. plur. korît, ielë « veau », gén. telëta, gén. plur. telêt. Pour
les mots à longue d'intonation douce, paroxytons ou oxytons,
ils gardaient leur longue avec une intonation nouvelle de
métatonie : cak. vlâs «cheveu», gén. plur. vlâs(îh), brést
«orme», gén. brëstà, gén. plur. brést(ïh), brada «barbe»,
gén. plur. brâd, krïlô « aile », gén. plur. kril. Cette longue du
génitif pluriel, prenant dans une partie des cas l'aspect d'un
allongement, a été généralisée en serbo-croate : avec voyelle
brève ancienne cak. kozà « chèvre », gén. plur. kôz (s.-cr.
kôzâ d'après loc.-dat.-instr. kozama), selô « village », plur.
sëla, gén. sêl, s.-cr. sêlâ; avec a mobile olâc « père », gén. ocâ,
gén. plur. olâc et olâc (s.-cr. olâcâ), guska «oie», gén. plur.
gïisâk, s.-cr. gusâkâ, sedlô « selle », plur. sëdla, gén. sëdâl,
s.-cr. sëdâlâ (et sedâlâ) ; avec l'élargissement -ou-, s.-cr. prâg,
grâd, plur. prâgovi, grâdovi, gén. prâgôvâ, gradôvâ (§219) ; etc.
Le détail de l'accentuation du génitif pluriel est compliqué
et non sans flottements, mais simple pour la quantité : en
cakavien, la finale en est toujours longue ; en serbo-croate,
les désinences de génitif pluriel sont -ï, rarement -û (§ 214),
le plus souvent -â d'extension nouvelle (§ 144), et toutes les
formes en -â présentent deux longues finales, celle de la dési-
nence et celle de la syllabe antérieure : ainsi upràvitelj « direc-
teur » (russisme), gén. plur. upràvitëljâ.
E n slovène, où la longueur n'apparaît que sous l'accent,
et où la syllabe accentuée est le plus souvent longue, les alter-
nances de quantité sont commandées par les mouvements
d'accent, qui sont complexes. .

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