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ETUDE LINEAIRE 1 

: La Bruyère, Les Caractères, livre 5 , remarque 9

Les Caractères est une œuvre publiée en 1688. L'auteur est Jean de la Bruyère (né en 1645, mort
en1696), dont c'est l'unique œuvre, à laquelle il a consacré toute sa vie. Jean de la Bruyère s'installe
à l'Hôtel de Condé en 1685, et est ainsi proche de Versailles qu'il décrit. C'est un moraliste, c'est-à-
dire qu'il dépeint les vices de ses contemporains en traçant des portraits satiriques vifs et critiques .
Le XVIIe siècle est celui du Classicisme : de la mesure, de l'ordre, construite à travers la figure de
l'honnête homme (mesuré, poli, savant et non pédant, social et indépendant, qui s'adapte) qui
s’oppose aux hommes caricaturaux .Louis XIV est le roi du divertissement et du luxe, du faste et de
l'étiquette. Les courtisans cherchent à être vus par lui. Et pour cela, ils sont dans tous les excès.
Enjeux du texte :Le passage se situe dans le livre 5, dont le titre est "De la société et de la
conversation". Il traite donc des relations humaines. A travers le portrait d'Arrias, anti-modèle de
l'Honnête homme, La Bruyère semble dissimuler une critique de la société de son temps, et
notamment des courtisans zélés.

1er Mouvement: Arrias : contre-modèle de l'Honnête Homme


a) Arrias : un pédant : « Arrias ( …) qqch »
L « Arrias » est le premier mot prononcé, ce qui montre l'égocentrisme du personnage
« a tout lu, tout vu »: parallélisme de construction + hyperbole : le personnage est excessif,
démesuré . C’est un prétendu « homme universel »: se confond avec Dieu, démesuré
L « il veut le persuader ainsi » , « se donne pour tel », « aime mieux mentir »: champ lexical de
l’illusion, du paraître qui est la marque de l'homme caméléon qui change en fonction de son
entourage. Arrias joue un rôle, il feint, à tout moment. Ses paroles sont fausses. Il cherche l'attention
et apparaît comme le stéréotype du personnage théâtral dans une société qui privilégie le paraître.
L « il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose» : il valorise le
vice « mentir » au détriment de la vertu « se taire ». L’utilisation du présent de vérité générale
donne une portée universelle à ce portrait. Arrias est un pédant, un personnage vaniteux et sans
consistance. Il n’est qu’une illusion.
b) Portrait mis en action lors d’une conversation mondaine : « On parle (…) en éclater »
L« L'on », « un », « une »: pronoms indéfinis montrant l’insignifiance de l’auditoire face à
égocentrisme d’Arrias
L « On parle à la table d’un grand d’une cour du Nord »: présent de vérité générale, qui est la
marque d'une situation générale typique reprise des satires d'Horace et Boileau : les repas ridicules
connus au XVIIe siècle . Le sujet est vague et éloigné des préoccupations françaises de l'époque, ce
qui montre son peu d’intérêt.
L « il prend la parole, et l'ôte », « il en rit le premier »: la grossièreté et manque de respect
sont contraires aux règles de bienséance du XVIIe siècle. Le manque de politesse et de savoir vivre
d'Arrias sont ainsi mises à jour.
L « il prend la parole, et l'ôte ... »: allitération « l » + « p » qui insiste sur le flot de mots,
ainsi que le ton péremptoire d'Arrias qui monopolise autoritairement la parole et qui transforme la
conversation en monologue. Les six propositions juxtaposées contribuent à illustrer un
comportement feint et plein de vacuité.
L « à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savant»: d’autres convives auraient pu s’exprimer sur le
sujet mais Arrias ne leur en laisse pas la l’occasion. Il préfère parler pour ne rien dire. Il se
disqualifie lui même par son comportement.
L « il s'oriente », « il en était », « il discourt », « il récite », « il les trouve », « il en rit »:
prédominance du pronom « il » qui désigne Arrias, se mettant en avant au détriment des autres.
Les verbes d’action animent un portrait satirique dans lequel le personnage auto-centré, se
discrédite lui même.
L « discourt », « récite », « historiettes » : champ lexical du théâtre; il se met en scène mais en
même temps il se ridiculise par la teneur légère, sans fondement, de ses dires.(historiettes :
diminutif familier qui désigne l'idée de récits de voyage et d'anecdotes donc de mensonges et de
manque d'étiquette)
L « il s’oriente dans cette région lointaine comme si il en était originaire » : ironie perceptible
du moraliste
L « il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes » :
énumération des pseudo-connaissances d’Arrias qui ne sont par ailleurs que des clichés. L’usage des
déterminants démonstratifs et possessifs, montre qu’il s'approprie le récit comme s'il racontait
voyage personnel et précis, montrant l'étendue de son mensonge et de sa recherche d'attention.

L « Il les trouves plaisantes », « il en rit le premier », : en plus du vœud'être l'acteur principal, il


est son propre public. Il développe un amour pour lui-même et une attention qu'il se donne lui-
même. Il est seul à prendre plaisir et intérêt à ses propos.
L « jusqu’à en éclater » : éclat de rire final mais on peut y voir aussi une métaphore de l’être
empli d’orgueil qui finit par éclater tel un ballon de baudruche.
Résumé: présentation d'Arrias comme un metteur en scène (auto-centré), acteur principal
(monopolisation de parole), ou encore spectateur (amour pour lui-même, rire) d'une pièce de théâtre
(ses mensonges). Mais le vrai metteur en scène reste La Bruyère qui souligne défauts du caractère
d'Arrias, anti-modèle de l'Honnête Homme qui va à l'encontre des idéaux classiques.
II. Deuxième mouvement: intervention d'une opposition, la
morale
a) Le retournement de situation ( Quelqu’un se hasarde ....aucune circonstance)
L « Quelqu'un se hasarde de le contredire »: pronom indéfini et donc désintérêt de l'autre
personne , une parmi tant d’autres. Cette personne prend un risque en le contrecarrant. On peut voir
l’ironie de La Bruyère dans l’utilisation de ce verbe. En effet, on peut imaginer que l’auditoire le
connaissant, se garde d’intervenir, car cela aurait pour effet de redoubler sa verve et non de la
stopper.
L « et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies »: champ lexical de la
vérité, qui s'oppose ainsi à l'illusion, et donc à Arrias.
L « Arrias (…) prend feu »: la réaction d’Arrias est montrée à travers une métaphore de la colère.
Arrias pris en faute, ne fait pas preuve ni de remise en question ni d’humilité. Pour ne pas perdre
contenance, au contraire il s’emporte . Il n’est ni calme ni raisonné comme le serait un Honnête
Homme.
L « l'interrupteur »: périphrase négative pour désigner l'autre personne. Il s'agit du point de vue
d'Arrias qui méprise l'intervenant car il le contredit (et marque ainsi sa prétention). Cela montre que
la conversation n’est pour Arrias qu’une occasion de briller en société.
L « je n’avance », « je ne raconte », « que je ne sache »: le discours direct, la répétition de
première personne « je » et la négation restrictive « ne » marquent un changement de narration pour
donner plus de force au portrait. Arrias réplique et gagne en importance car désormais narrateur à la
première personne. La négation appuie sur la mauvaise foi d'Arrias.
L « je ne sache d’original », « je l'ai appris », « interroge », « circonstances »: on est dans
le champ lexical de l'enquête, de la rigueur scientifique, qui donne l'illusion d'un discours de vérité,
ce qui dépeint l'énormité du mensonge.
L « Sethon », « ambassadeur de France », « revenu à Paris depuis qqs jours »: il utilise un
argument d’autorité et had hominem pour donner de la crédibilité à son récit et répondre à son
détracteur. La mention d'un lieu précis donne aussi de la contenance à cette présentation.
L « [i]que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune
circonstance.[/i ]» : enchaînement de trois propositions relatives, qui donne un effet cumulatif, une
impression que les paroles d'Arrias sont plus importantes que celles de l'intervenant. Et que dans
son interrogatoire Arrias est à la fois proche et supérieur à Sethon, ambassadeur de France. Il veut
dans le même temps réduire au silence l’importun, et se faire valoir grâce à proximité affichée avec
celui qui lui sert d’alibi, Séthon.
b) La chute finale (il reprenait ….. ambassade)
L « Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait
commencé »: avec le comparatif et le terme « narration », La Bruyère place ironiquement le
domaine d’Arrias dans la fiction et non dans la vérité. : Arrias est un manipulateur qui croit presque
à ses propres mensonges.
L Le coup de théâtre :« lorsque l’un des conviés lui dit »: conjonction de subordination,
marque d'un changement de situation. Le passage de l'imparfait au passé simple, là encore marque
d'un retournement de situation, action soudaine et rapide.
L La chute comique : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui même »: On a ici la reprise du
nom donné par Arrias, et donc la révélation de l'identité de l'intervenant qui était caché derrière la
périphrase donnée auparavant « interrupteur » pour Arrias, qui est en vrai Séthon lui-même.
L « Et qui arrive de son ambassade » : On a là encore la reprise des mots d’Arrias, ce qui
est ironique et comique et met à jour son mensonge, devant tout l’auditoire. C’est la honte assurée.

Conclusion : C'est la fin du portrait du fat, ridiculisé jusqu'au bout. Son mensonge est désormais à
découvert. Dans une chute très brève témoignant du talent de La Bruyère qui en quelques lignes,
réussit à mettre en scène le pédant et sa punition, tout en nous faisant rire. Ce portrait caricatural
dépeint à travers cette anecdote fait écho au projet, qui relève de l’esthétique Classique « châtier les
mœurs par le rire ». texte écho : la comédie Moliéresque ( T. DIAFOIRUS vs )

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