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Le portrait d’Irène : étude linéaire

Problématique : Comment La Bruyère amène-t-il le lecteur à une réflexion sur la nature humaine, à
travers le portrait d’Irène ?
 
Interprétation Citations Procédés
Étape 1 : Présentation des personnages, du cadre et du sujet (Irène ...maux)
Irène se
– Dimension ironique : le
transporte
personnage est très anxieux,
tourmenté.
  – Nom propre « Irène » issu du
grec eirênê qui signifie « la
 
 se paix ». Il s’agit d’une antiphrase.
transporte..voit…
– Dynamisme+rapidité (pressée
le consulte  
d’en finir)
Irène se – Recours au présent de narration
– On campe le décor :la Grèce
transporte .. en et verbes d’action.
antique fictive ; présente
Épidaure .. voit
brièvement les deux
Esculape dans son 
personnages fantaisistes : une
temple, et le
femme et un dieu ;et précise le
consulte ... – Noms propres grecs
sujet : une consultation
« Épidaure » et « Esculape » +
médicale
  terme « temple »
 -Le sujet du fragment est la
consulte.. maux  
maladie et la manière d’en
guérir
  – Termes renvoyant à la maladie
– Volonté d’exagérer et de
sur tous ses – Hyperboles
souligner le caractère
maux (l. 1 et 2).
hypocondriaque de certains
contemporains
 à grands frais

La Bruyère, auteur classique, multiplie les références à l’Antiquité  et se place ainsi


dans la tradition des Anciens.

– Épidaure : Sanctuaire dédié à Asclépios (Grèce).

– Esculape (en latin) ou Asclépios (en grec) : fils d’Apollon, il est le dieu gréco-
romain de la médecine. Son principal lieu de culte est situé à Épidaure.

 
 
Étape 2 : Une consultation médicale burlesque (l. D’abord …. diète)
Interprétation Citations Procédés
– L’Homme se complaît dans
la plainte sur son sort de
manière exagérée

Les erreurs de raisonnement


d’Irène sont plaisamment
soulignées par Esculape qui
l’invite ironiquement à la
mesure D’abord elle se plaint – redondance : « lasse et
[qu’elle est lasse et recrue de fatigue »
recrue de fatigue] ; et le
dieu prononce [que
champ lexical des maux :
– Simplicité des réponses.du cela lui arrive par la
termes négatifs et péjoratifs
dieu qui sont des évidences longueur du chemin
comme « sans appétit », « ni
Rapidité et enchaînement qu’elle vient de faire] ;
ni », « maux », « lasse »
(jeu de questions / réponses elle dit [qu’elle est le
« insomnies » ils sont
et prescriptions) soir sans appétit] ;
multiples et variés Adverbe
l’oracle lui ordonne de
« peu », tournure restrictive
- dimension burlesque :Les dîner peu ; elle ajoute « n’…que », expression
plaintes ne portent que sur [qu’elle est sujette à des « f[aire] diète »
des maux courants, de la vie insomnies] ; et il lui
quotidienne. Ce ne sont pas prescrit de n’être au lit
– répétition : 11 questions /
des maladies chroniques.Les que pendant la nuit. Elle
réponses sous forme de
réponses d’Esculape font lui demande [pourquoi
propositions juxtaposées
appel à la logique et au bon elle devient pesante, et
sens (= truismes). Elles sont quel remède] ; l’oracle

brèves et ne répondent pas répond [qu’elle doit se
du tout aux espérances lever avant midi, et
– Discours indirect (cf.
d’Irène (celle-ci espère un quelquefois se servir de
verbes de parole). Phrases
miracle). ses jambes pour
répétitives : les termes
marcher]. Elle lui
« elle » / « l’oracle » entrent
déclare [que le vin lui
systématiquement en
est nuisible] ; l’oracle
opposition).
À travers Irène, La Bruyère lui dit de boire de
fait la peinture du mode de l’eau ; [qu’elle a des
 
vie des courtisans, avec son indigestions], et il
intempérance (excès), ses ajoute qu’elle fasse
 
nuits sans sommeil, ses fêtes diète]
et sa paresse. Le portrait
tourne alors à la satire de la
cour et des dames « à
vapeurs », gourmandes,
paresseuses. C’est là le
contraire de l’idéal classique
de la juste mesure :l’honnête
homme).

 Absence de maux véritables. Irène est hypocondriaque (d’où les nombreuses


doléances du personnage), ce qui entraîne l’exaspération de l’oracle. La conduite
des hommes est paradoxale : ils veulent vivre longtemps, mais négligent leur santé.
Pour le lecteur de l’époque, derrière Irène se profile Mme de Montespan,
l’autoritaire maîtresse de Louis XIV, qui vivait « à grands frais », se disait toujours
« recrue de fatigue », et avait une crainte maladive de la mort.

Le long voyage d’Irène pour consulter un médecin rappelait aux contemporains les
fréquentes cures thermales de Mme de Montespan pour guérir « tous ses maux ».
Un médecin lui aurait répondu comme Esculape. Enfin, le prénom « Irène »,
ancienne impératrice de Byzance et conspiratrice ambitieuse, pouvait également
faire penser à la favorite officielle du roi.

Le fragment 35 prend la forme d’un dialogue plein de vivacité, qui joue du


décalage burlesque entre le ton familier d’une banale consultation médicale et la
noblesse du sujet puisque Irène, dans un temple de la Grèce antique, converse avec
un dieu.

 
 
Étape 3 : De l’humour au sérieux («  ma vue s’affaiblit … et votre aïeule)
Interprétation Citations Analyse
– Dimension encore plus « Ma vue Recours au discours direct.
vivante et dynamique de s’affaiblit, dit
l’échange entre les deux Irène ; – Prenez – échange de stichomythies théâtrales :
personnages véritable des lunettes, dit répliques brèves
vivacité théâtrale. C’est Esculape ; – Je
une  saynète (courte pièce m’affaiblis moi- –/
comique avec peu de même, continue-t-
personnages) elle, et je ne suis ni – hyperbole moqueuse (lapalissade) +
si forte ni si saine comparaison « comme… »
que j’ai été ; –
C’est, dit le dieu,
que vous vieillissez
– mais quel moyen Terme connoté « langueur » (XVIIème
-Les malaises évoqués sont de guérir de cette siècle) + anachronisme des « lunettes » 
plus sérieux et existentiels : langueur ?
la vieillesse et la mort.

– Ces éléments renvoient à


une scène du XVIIème
siècle, et non à l’antiquité.
Le plus court,
– Condamnation de l’amour- Irène, c’est de
propre : l’obsession de la mourir, comme ont
santé constitue aux yeux des fait votre mère et
moralistes une préoccupation votre aïeule
égoïste et pécheresse. +
rappel de la finitude  
humaine :  l’homme ne peut
échapper à sa condition de
mortel, comme ses ancêtres.

Sentence finale du Dieu

 Irène est une femme d’âge mûr. Elle n’a pas de maladies aiguës, mais uniquement des
maux chroniques, dus à la sénescence, à la dégénérescence naturelle.

Après avoir opposé les faux remèdes dont rêve Irène aux vrais remèdes naturels, La
Bruyère critique, en passant au style direct, les sottes illusions des hommes qui croient
qu’on peut guérir les maux incurables, qu’il existe un remède contre la fatalité du temps.

 
Étape 4 : Une satire de la faiblesse humaine ( « Fils d ‘Apollon… long voyage)
Interprétation Citations Procédés
– Elle rappelle le – Fils d’Apollon, – Périphrase désignant Esculape.
statut de s’écrie Irène, quel
l’interlocuteur conseil me donnez- – Accumulation de questions rhétoriques.
d’Irène : elle vous ? Est-ce là toute
s’adresse au dieu de lacette science que les – Question rhétorique sous forme d’interro-
médecine lui-même. hommes publient, et négatives
qui vous fait révérer
– Ces questions de toute la terre ? que -lexique du savoir et de la connaissance :
soulignent m’apprenez-vous de conseil, science, publient, toute la terre,
l’agacement, la colère rare et de rare, mystérieux
d’Irène. Elle fait mystérieux ?
preuve d’irrespect  
(ton méprisant) et met  
en doute la La tournure « Que m’» sert dans la langue
« science » du dieu. ET ne savais-je pas littéraire à exprimer le regret, le reproche
Elle espérait une tous ces remèdes que (pronom interrogatif « que » + adverbe de
guérison merveilleuse vous m’enseignez ? négation « ne »). Question rhétorique
comme les miracles
religieux   ? Pointe, chute.

Pour finir, Irène – Que n’en usiez-vous


prétend être son égale donc, répond le dieu,
(elle est sans venir me
présomptueuse). chercher de si loin, et
abréger vos jours par
un long voyage ? »

La morale/ Tout  
homme doit être son
propre médecin et  
pour cela pratiquer
une hygiène  
naturelle.La médecine
n’est pas une science
mystérieuse capable
de faire des miracles.
Il n’existe pas d’élixir
de jouvence, de
potion rajeunissante.
Les seuls vrais
remèdes sont donnés
par la nature (natura
medicatrix) et chaque
homme peut les
utiliser sans avoir
recours à des cures au
terme de longs
voyages qui ne sont
que
« divertissement » au
sens pascalien du
terme.

Concrètement, à travers le dieu, le moraliste donne des conseils élémentaires de vie : la


médecine ne peut tout soigner ; mais, pour garder la santé, il faut être tempérant, ne pas
hésiter devant l’effort et se fier à son bon sens – Irène avait trouvé elle-même les
«remèdes».

D’un point de vue plus existentiel, La Bruyère indique les erreurs à éviter : il faut se
résoudre à ne pas rester toujours jeune, ne pas aller contre la condition humaine – au
fond, ne pas commettre la faute de Prométhée qui voulait égaler les dieux Immortels.

Implicitement, et plus positivement, dans la dernière phrase, c’est une leçon de lucidité
mais aussi d’épicurisme que délivre le dieu : plutôt que de se plaindre et courir après la
fontaine de jouvence, l’homme doit profiter du temps qui lui est concédé, sans le perdre
dans d’inutiles « longs voyages ».

 
 
Conclusion : Critiquant à la fois les illusions des malades et les erreurs des médecins, La Bruyère
reprend certains thèmes de Sénèque que traiteront après lui Fénelon, Rousseau et Voltaire. Le
moraliste oppose les drogues, la vaine science des hommes qui ne donnent que des résultats
illusoires, à l’hygiène naturelle qui est une vertu du sage. Soutenu par sa foi chrétienne, il prêche la
résignation devant l’inévitable.
 

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