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Plein de petites choses à dire sur « J'aime l'araignée et j'aime

l'ortie »...

Eléments pour l'intro :

On a ici deux créatures (l'araignée, l'ortie) non encore évoquées par Hugo, qui d'habitude parle
plutôt de fleurs et de petits oiseaux. Mais on retrouve en fait réunis dans cette araignée et cette ortie
deux thèmes : la nature (thème poétique traditionnel et très présent chez Hugo qui se décrit comme
un promeneur déchiffrant le livre de la nature, parlant à tous les éléments) et la défense des petits, des
misérables (thème politique particulièrement fort en ce livre III : « Les luttes et les rêves »).

1ère strophe :

• Ce que je ressens : un début surprenant.

o « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie » = Une affirmation étonnante, inouïe (jamais


entendue) + pourquoi associer ces deux-là ?

• Ce que je comprends : Hugo veut argumenter, débattre, contre nous.

o « Parce qu’on les hait » = Une justification (avec « parce que ») qui est polémique (=
contre l’avis des autres, l’opinion publique, du « on »)

o « Et que rien n’exauce et que tout châtie » = on voit qu’il insiste (répétition
anaphorique du « et » ; hyperboles : rien, tout ; gradation : ne pas exaucer -> châtier,
punir).

o « Leur morne souhait » = reconnaissance d’une volonté (peu puissante, « morne ») à


l’animal et à la plante (et ce n'est pas ce que les gens pensent ,en général). C'est une
personnification qui peut nous apitoyer en nous faisant nous sentir proches de ces
créatures presque humaines.

• Ensemble désagréable : on se sent accusés, et en plus les sons sont désagréables (la rime en
« tie », le i étant une voyelle fermée ; les hiatus : « l’araignée et », « les hait » ; les consonnes
difficiles à articuler : « gn », « x »)

2e strophe :

• Ce que je ressens : l'évocation du Mal continue à être désagréable, et devient plus globale.

o « Noirs êtres rampants » -> « rampant » n’est approprié ni à l’une ni à l’autre. « noir »
ne s’applique qu’à l’araignée. Donc généralisation à tous les animaux et plantes plutôt
proches de la terre (« rampants ») et qui sont « noirs » (soit parce que dans l’ombre ou

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pour le symbole du Mal). Image qui peut faire peur, évoque tout ce qui grouille.
L’allitération en « r » vient rouler de manière désagréable avec « z » et « t ».
L’assonance en « an » est désagréable aussi.

• Ce que je comprends : il continue son argumentaire.

o Garde la même structure pendant encore trois strophes : anaphore en « parce qu’ » :
il continue sa phrase, qui est longue, il insiste.

o Il continue à nous montrer la vie pathétique de ces êtres pour nous apitoyer : la
personnification continue avec des adjectifs qui normalement valent pour des
humains (maudites, chétives, tristes).

• Ce qu'il est difficile de comprendre : on ne sait pas vraiment qui est responsable.

o « Parce qu’elles sont maudites, chétives » -> maudites par qui ? par leur créateur qui
les a fait « chétives » ? Par les promeneurs qui les rencontrent ? On sent un reproche.
Encore assonance en « i », avec des occlusives dures, dentales (« d », « t »). On
remarque au passage le « elles » : araignée et ortie sont féminins -> prend cause pour
les oubliées.

o « Parce qu’elles sont les tristes captives » = « tristes » donne une émotion à la plante
et à l’animal. S’il y a captivité, alors il y a un geôlier : on se sent accusé. Encore
assonance en « i », avec des occlusives dures, dentales (« d », « t »). La rime en « ive »
est désagréable aussi.

o « De leur guet-apens » : surprise → ce n’est pas de nous qu’elles sont captives


(contrairement à ce qu'on pouvait croire avec le suspens au vers 7 : il faut bien marquer
la pause à la fin du vers quand on lit), mais elles sont prises à leurs propres pièges.
Hugo reconnaît donc qu’elles sont mauvaises, qu’elles tendent des pièges. Et qu’ayant
commencé à faire le mal, elles sont « captives » de cette condition, elles doivent
continuer à faire le mal (sorte d'engrenage social mais pourquoi est-ce si difficile de se
réinsérer ? Ici reste flou) Toujours des occlusives : « gu », « p » -> désagréable.

3e strophe :

• Ce que je ressens : toujours plus d'intensité.

o « Ô sort ! fatals nœuds ! » : tout à coup, des exclamations -> plus d’intensité. Le « Ô »
rappelle des textes tragiques, ou la grande poésie. Il s’adresse directement au destin
(« sort », « fatals » -> fatalité ; « nœuds » : idée des trois Parques qui tissent les fils de
la vie). Volonté de nous apitoyer, et en même temps il transforme ces misérables en
héroïnes de tragédie, il nous fait sentir leur grandeur.

• Ce que je comprends : il est en train de généraliser.

o « L’araignée un gueux » : on s’en doutait : il ne parle pas seulement de l’araignée ou de


l’ortie. Il parle des pauvres, de ceux qui ont un mauvais destin, naissent dans le
mauvais milieu, et plutôt des « mauvais pauvres », ceux qui font peur ou qui attaquent.

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• Ce qu'il est difficile de comprendre : il y a des rapprochements étranges liés probablement à
la généralisation.

o « Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre » : pour l’araignée on voit bien (son œuvre
c’est sa toile, comme toile de peintre) ; pour l’ortie -> ? (le venin ? la forme de la
plante ?). Est-ce pour établir un parallèle avec les artistes maudits ?

o « Parce que l’ortie est une couleuvre » : formulation paradoxale, étrange. Peut-être
pour le symbole (couleuvre -> méchanceté, venin, sournoiserie…)

4e strophe :

• Ce que je ressens : toujours plus de profondeur.

o « Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes » : il continue à grandir l’araignée et l’ortie, à
leur donner de la magie, avec des termes abstraits et généraux. Qu’est-ce que « avoir
l’ombre » ? Un caractère ombreux, ombrageux (= être timide, secret, fuyant la foule) ?
Avoir une noirceur dans l’âme ? « Abîme » est fort aussi, ouvre sur l’infini. Souligné par
l’allitération en « b » : occlusive puissante.

• Ce que je commprends : il continue le tableau sinistre et pathétique de leur vie.

o « Parce qu’elles sont toutes deux victimes » : volonté de nous apitoyer (on peut dire
qu’il s’agit de registre « pathétique »). On remarque la rime pointue en « i », mais qui
est ici adoucie par le « m ». On se demande, avec le suspens à la rime : de qui sont-
elles victimes ?

• Ce qu'il est difficile de comprendre : qui est responsable ?

o « De la sombre nuit » : Comment est-ce que ça peut être la faute de la nuit ? Nuit
représente ici les forces du mal. Hugo joue un double-jeu : tantôt il nous accuse de
haïr, de fuir ; tantôt il nous déresponsabilise et met la faute sur un principe supérieur
(la nuit, le destin…)

o « Parce qu’on les fuit » : on retrouve une sorte d’accusation, mais peut-être qu'ici Hugo
s’inclut dedans car le « on » n'est pas opposé à un « je ». Qui est ce « on » ?
L’humanité qui élimine une partie de la nature ? Ou plutôt ceux qui, intégrés
socialement, repoussent les marginaux, les pauvres… ? Il y a peut-être un lien de cause
à effet avec le vers précédent : ils sont porteurs d’ombre, cette ombre que l’on voit en
eux nous fait fuir (mais ils n’y peuvent rien, c’est une ombre qui les dépasse, c’est
l’ombre de l’abîme)

5e strophe :

• Ce que je ressens : c'est plus doux sur deux vers, puis cela redevient plus intense.

o « au pauvre animal » : la rime en « mal », qui met l'accent sur le « m », adoucit. Il y a


comme un décrochement, les deux premiers vers sont plus posés.

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o Ensuite reviennent les anaphores (« plaignez ») et les points d'exclamation.

• Ce que je comprends : il ne s'adresse plus aux dieux, au « sort », mais à nous.

o « Passants, faites grâce à la plante obscure » : changement de stratégie : il s’adresse


directement à nous, plus précisément aux « passants ». Tout le monde est « passant »,
il n’y a besoin d’aucune qualité pour passer. On peut « passer » en ville ou à la
campagne. On « passe » à côté de l’araignée, de l’ortie, ou du gueux, du SDF de nos
jours. Vocabulaire judiciaire : « faire grâce ». Transforme le « passant » en juge
(souvent on écrase ou on arrache sans penser qu’en faisant cela, on rend un jugement ;
idem pour notre attitude face aux nécessiteux).

o « Plaignez la laideur, plaignez la piqûre, » : il généralise avec des concepts abstraits.


Facile de plaindre la laideur (ce n’est pas sa faute). Plus difficile de plaindre celle qui
nous pique. Dans l'imaginaire collectif, ce qui est laid est dangereux, d'où l'association
des deux mots.

o « Oh ! plaignez le mal ! » : pas le même « oh » qu'au vers 10. Ici c’est une interjection
pour attirer l’attention, et non un « ô » tragique pour s'adresser à un dieu (il s'adresse
à nous, lecteurs, tout simplement). Ce qu’il nous demande est difficile, là aussi
(plaindre celle qui nous fait mal, et même le principe du Mal en général).

6e strophe :

• Ce que je comprends : Hugo nous révèle des vérités.

◦ « Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie » : grande généralisation (il n'est aucune chose au
monde qui ne soit pas mélancolique → tout être sur terre est mélancolique). Grande
personnification à l'échelle de la planète. Révélation d'une vérité au présent de vérité
générale. En même temps, « sa mélancolie » est attendrissant : chaque forme d'être a sa
forme de mélancolie. Rapproche tous les êtres.

◦ « Tout veut un baiser » : idem pour la généralisation, mais dans une formule encore plus
percutante, car plus concrète (image du « baiser », qui symbolise l'amour, peut-être
l'amour des parents à l'enfant ?). Assez inapplicable, quand on y pense, à l'araignée et à
l'ortie, qui justement sont dangereuses à toucher à cause du venin. Nous fait sentir la
barrière des corps, liées à la fatalité (elles sont faites ainsi), tandis que les âmes aimeraient
du réconfort.

◦ « Dans leur fauve horreur, » : « fauve » est un mot intéressant, parce que valorisé chez
Hugo. Mot qui renvoie symboliquement à la majesté sauvage. Voir le « vers fauve » dans
I, 28. Et « Baraques de la foire » (III, 19).

◦ « pour peu qu'on oublie / De les écraser » : « écraser » renvoyé à la ligne, vers le bas.
L'enjambement entre les deux vers met le mot « oublie » en valeur : tout ce qu'on nous
demande, c'est d'oublier d'écraser. Mais cela signifie qu'on écrase comme par devoir
l'araignée et l'ortie, et qu'il faudrait « oublier » cette tâche que l'on se donne. Peut-être

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que derrière « écraser », il faut comprendre « punir » (il faut parfois oublier de punir,
d'étouffer, de mettre à mort le pauvre, celui dont on a peur).

7e strophe :

• Ce que je ressens : la parole se fait plus petite, plus intime, plus douce :

◦ « Pour peu qu'on leur jette un œil moins suberbe » : répétition de « pour peu »,
insistance. Mais on va vers quelque chose de plus petit (« écraser » était plus fort, ici on
nous en demande moins) : il s'agit, à partir du vers 23, d'une gradation descendante, avec
la répétition de « peu ».

◦ Cette question du regard est intéressante parce qu'elle montre que la poésie n'a pas
l'ambition de faire changer nos actes (le poème n'empêchera pas le meurtre, la vengeance,
la punition) mais seulement notre regard (notre vision du monde, et des pauvres en
particulier). Et un regard différent suffit (« pour peu que ») à ce que la vérité , l'amour soit
révélée, la misère entendue, condition nécessaire à la paix sociale.

◦ Pendant six vers, on va descendre, se faire de plus en plus petit pour se mettre à hauteur
des « noirs êtres rampants ». D'où une phrase avec beaucoup de virgules, d'interruptions
(« tout bas, loin du jour ») → on descend, on s'éloigne du soleil... jusqu'au « murmure ».

◦ La descente était aussi un adoucissement, avec à la fin une allitération en « m ».

• Ce que je comprends : Hugo, dans une chute qui se veut surprenante, donne finalement la
parole aux misérables.

◦ La descente se fait en même temps qu'une généralisation. « Ecraser » était valable pour
l'araignée et l'ortie, ici le regard ne les concerne pas vraiment : Hugo nous parle bien des
gueux, que l'on regarde mal, avec dédain.

◦ La parole de l'araignée et de l'ortie est surprenante : d'habitude les animaux, les arbres,
les fleurs, parlent facilement, dialoguent, et sont distinctement compréhensibles. Ici seul
le tout dernier mot est prononcé par l'araignée et l'ortie, à un moment où on ne s'y
attendait plus, après une longue phrase dont on se demandait sur quoi elle allait
déboucher (il manquait le verbe principal : « murmurent »).

◦ Et ce mot prononcé est surprenant aussi, puisqu'il s'agit du mot « amour », qui vaut à lui
seul vérité : il est le principe de la vie, caché au fond des choses.

◦ Le fait que les deux êtres, très différents (une « bête » et une « herbe » comme il est
rappelé à l'avant-dernier vers) prononcent la même chose en même temps et forment un
sujet d'énonciation pluriel est comme une preuve de cette union du vivant.

Eléments pour la conclusion :

Victor Hugo a développé le concept d' « anankè sociale », c'est-à-dire de fatalité, de destin, lié au milieu
social dans lequel on naît. On voit ici en peu de mots (grâce à la forme dense de la poésie) un exemple

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de cette fatalité : l'araignée et l'ortie, nées dans l'ombre, font mal, et sont punies en retour, ce qui
amène un cercle vicieux du mal. On ne pardonne pas à qui nous a fait mal (penser à Jean Valjean dans
Les Misérables mis au bagne pour avoir volé un morceau de pain et qui ne peut se réinsérer sans
changer de nom). Le fait de parler des animaux et des plantes plutôt que des hommes permet :

• de déresponsabiliser en partie le lecteur (ce n'est pas lui qui a crée la nature) ;

• … le lecteur est ainsi prêt à prendre sa part de responsabilité (il suffirait de laisser vivre
l'araignée)...

• et cela permet d'intégrer les « gueux » (araignées ou orties) dans le cercle des vivants, parmi
les êtres d'amour (car pour Hugo ce qu'il y a au fond de l'âme c'est l'amour).

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