Vous êtes sur la page 1sur 27

Mors de Victor Hugo

Les Contemplations, IV, 16.


• Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule,
L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient ; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Et les femmes criaient : -- Rends-nous ce petit être.
Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître ? --
Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas ;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre ;
Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit ;
Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.

Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.
• « Mors » est l’avant dernier poème du livre IV
des Contemplations. Il est écrit en 1854 c’est-
à-dire 11 ans après la mort de Léopoldine/
Dans ce texte, la faucheuse, symbole de la
mort, détruit tout sur son passage, créant une
forme d’Apocalypse (dernier livre de l’Ancien
Testament) anéantissant de jeunes enfants.
Une vision du poète sur la condition
humaine et la mort
• a- Une vision fondée sur une allégorie
• Le titre « Mors », écrit en latin, installe la mort au centre du
texte. Ici, Victor Hugo reprend l’allégorie du squelette à la
faux pour désigner la mort. La faucheuse est sans cesse
présente dans le poème et ce grâce à la aux termes la
désignant. En effet, nous pouvons relever pronom personnel
de 1ère personne : « elle » (v 1, 2, 7, 21), la périphrase :
« noir squelette » (v 3), le GN : « la faulx sombre » (v 16) et
la polyptote vers 1 et 2 : « la faucheuse », « fauchant ».
Enfin, l’orthographe ancienne du substantif « faulx » montre
que la mort traverse le temps et règne en maître.
• b- Une vision empreinte de merveilleux
• Nous pouvons noter la cohabitation de deux
types de merveilleux. En effet, il y a un
merveilleux profane avec l’image de la
faucheuse qui figure dans les légendes
populaires et un merveilleux chrétien grâce à
l’ « ange souriant » que l’on retrouve dans
la Bible. Enfin, la scène que Victor Hugo nous
propose rappelle l’Apocalypse.
• c- Une vision universelle
• Victor Hugo abandonne le « Moi » du vers 1 : « Je vis »
pour parler de lui de manière impersonnelle : l’
« homme » et s’adresse de la sorte à tous. De plus, les
pluriels qui généralisent : « les femmes », « les peuples »,
« les enfants » tendent à montrer que le sort décrit nous
attend à tous. Enfin, l’expression de la totalité : « tout
tremble », « tout était » ainsi que le titre latin, « Mors »,
écrit dans la langue de référence pour toute la culture
occidentale mettent en exergue le fait que la mort se
saisira, sans exception, de tous les Hommes.
Une évocation de la mort et de son
mystère
• a- L’horreur de la faucheuse
• L’horreur de la faucheuse est perceptible dès le vers 3 à travers l’oxymore « noir
squelette ». L’image proposée de la mort est effrayée dans la mesure où elle est
personnifiée au v 2 « elle allait à grands pas ». Nous pouvons noter une
allitération en f qui semble évoquer le sifflement de la faulx : »faucheuse » et
« champ », « moissonnant », « fauchent », « triomphateurs », « triomphaux »,
« échafaud ». L’atmosphère du poème met en exergue la peur que suscite la
faucheuse. Nous pouvons remarquer que l’obscurité et le froid règnent sur le
poème : « vent froid », v 15 « nuit » v 18, « ombre » v 17. La mort réduit à
néant toutes les vanités humaines. Elle provoque la chute de ceux qui ont
conquis le mode comme le met en évidence la polyptote « triomphateurs »
« triomphaux ». De plus elle provoque l’anéantissement des grandes cités :
« Babylone », est transformée en désert. Enfin, la cruauté de la faulx atteint son
paroxysme lorsqu’elle enlève les enfants à des mères éplorées qui expriment
leur désarroi avec la question rhétorique : « pourquoi l’avoir fait naître ? »
• b- Une fin ambiguë
• Les deux derniers vers s’opposent au reste du poème. En effet, un
ange apparaît derrière la faucheuse. Il s’agit d’une chute pour le
moins surprenante en témoigne l’antiphrase entre le v 18et le v 19
puisque les mots contraires « nuit » et « flammes » sont placés à
la rime. L’adjectif qualificatif utilisé pour désigner l’ange
« souriant » marque un contraste avec l’horreur de la faucheuse.
Toutefois l’arrivée de cette figure était déjà annoncée au v 3 avec
la référence au crépuscule et donc à la lumière, dans le chiasme
« le trône en échafaud et l’échafaud en trône » qui inverse la mort
en gloire et dans la métamorphose des enfants en oiseaux qui
sous-entend la survie de l’âme. La « gerbe d’âmes » évoque la
fécondité et la réunification de l’au-delà.
• Derrière le pessimisme de ce texte, que la chute
ne permet tout de même pas à dissiper, il est
important de souligner que Victor Hugo est bien
au bout de son long combat personnel suite à la
mort de Léopoldine. Contrairement à « Demain
dès l’aube » et à sa forte tonalité lyrique, dans
« Mors », le « Moi » s’efface pour laisser place
à une préoccupation plus large, et Hugo
redevient le mage de l’humanité.
I. Continuité et rupture
• A) Rupture
• Elle est evidente dans l'opposition de l'ombre et de la lumière.
• La faucheuse
• noir squelette
• laissent passer le crépuscule
• dans l'ombre
• les lueurs de la faux
• noirs grabats
• faux sombre
• tout était deuil
• Epouvante
• nuit
• De ≪ crépuscule ≫ (v. 3) a la ≪ nuit ≫ (v.
18), des ≪ lueurs de la faux ≫ (v. 5) a la ≪
faux sombre ≫ (v. 16), la description de la
faucheuse est marquée par un assombrissement
grandissant qui finit par tout envahir (cf. vers
18 : ≪ Tout était sous ses pieds ≫...)
• Au contraire, dans la description de l'ange, ≪
douces flammes ≫ s'oppose a ≪ nuit ≫, et ≪
souriant ≫ à ≪ deuil ≫.
• B) Continuité
• Elle est tout aussi évidente dans la
prolongation de la métaphore initiale.
• ≪ Faucheuse ≫ est le premier terme d'une
série qui s'achève au dernier vers par ≪ gerbe
≫.
• Faucheuse → champ → moissonnent →
fauchent → faux → gerbes
• Il y a donc a la fois rupture et continuité entre les deux parties du
poème.
• Rupture Faucheuse Ange

• noir squelette... douces flammes


• Etc souriant
• Nu i t d é s e s p o i r Lumi è re e spé rance

• Continuité moissonnent, fauchent, → → → → → gerbes


• etc.
II. La métamorphose
• On peut analyser le thème de la
métamorphose à deux niveaux :
• A) L’oeuvre de la mort est une métamorphose
• • Cf. la longue phrase centrale, séries de
transformations gracieuses ou terribles, ou
tous les éléments sont organises autour d'un
unique verbe : ≪ changer ≫.
• Elle changeait
• Babylone en désert
• Le trône en échafaud
• L’échafaud en trône
• Les roses en fumier
• Les enfants en oiseaux
• L’or en cendres
• Les yeux des mères en ruisseaux (de larmes)
• En est considéré comme le translatif de la
métamorphose
• Le poème repose sur une antithèse, la figure
préférée de Hugo. Mais l'antithèse, ici comme
souvent, n'est pas affrontement statique de
contraires ; elle est mouvement dialectique,
qui permet à la pensée de progresser, d'aller,
dans le cas présent, du désespoir à
l'apaisement.
Figures du style
• LES FIGURES PAR ANALOGIE
• La comparaison : consiste dans le rapprochement explicite d’un terme
avec un autre terme, avec lequel elle possède au moins un élément
commun de sens. La comparaison repose sur un rapport d’analogie explicité
par une conjonction ou locution conjonctive (comme, ainsi que, de même
que,..), un système de comparaison quantitative (plus que, moins que,
autant que...), un adjectif de sens comparatif (tel que, semblable à,
analogue à, identique à, …), un verbe de sens comparatif (sembler,
paraître, avoir l’air de…).
• Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
• Un troupeau frissonnant……. Mors, Hugo
La métaphore
• Elle établit une assimilation entre deux termes :
comparé et comparant sont rassemblés dans un
même énoncé sans terme de comparaison.
Exemple :
Elle était dans son champ », Mors, Hugo
Métaphore du champ
• Si la métaphore est développée par plusieurs
termes (ou sur plusieurs lignes ou vers) : on
parle de métaphore filée.
L’allégorie
• Ce procédé peut se rattacher à la métaphore, mais
elle est plus développée. Elle représente de façon
imagée (par des éléments descriptifs ou narratifs),
les divers aspects d’une idée qu’elle rend moins
abstraite. Il s’agit d’un discours présenté sous un
sens propre mais qui est là pour faire comprendre
un autre sens qui ne s’exprime pas directement on
la rencontre dans Les Fables, les proverbes, etc.
• Dans le poème « MORS », la faucheuse est
une allégorie de la mort
L’allégorie peut aussi être une forme de
personnification : une réalité abstraite y est
présentée comme un être humain, dans ce cas,
le mot abstrait est en général écrit en majuscule.
Exemple : Tu marches sur des morts, Beauté…
(Baudelaire).
LES FIGURES PAR OPPOSITION :
• L’antithèse : C’est le rapprochement de deux
termes, deux expressions ou deux
propositions contrastées. Elle crée un effet de
surprise ou un effet comique.
Exemple : « Les roses en fumier, …
L'or en cendre,… », Mors, Hugo.
• L E CHIASME est une antithèse dont la
deuxième proposition est en ordre inversé
par rapport à la première.
« Le trône en l'échafaud et l'échafaud
en trône, », Mors, Hugo
• L’oxymore : C’est l’association dans une même
expression de deux termes contradictoires.
L’oxymore, propre à la poésie, crée une
nouvelle réalité.
Poème-support :
• « Derrière elle, le front baigné de douces
flammes, », Mors, Hugo
• Le zeugma : C’est une alliance de mots où
on associe des réalités abstraites et
concrètes dans une même structure
syntaxique.
• « Un ange souriant portait la gerbe
d'âmes. », Mors, Hugo
• L’hyperbole : C’est l’exagération dans les
termes qu’on emploie. Elle amplifie les
termes d’un énoncé afin de mettre en valeur un
objet ou une idée. Elle crée ainsi, une
emphase : courante dans la langue familière,
elle constitue un support de la parodie.
« Et les yeux des mères en ruisseaux. », Mors,
Hugo
• Le parallélisme : C’est le fait d’utiliser
une syntaxe semblable pour deux énoncés.
Il rythme la phrase en mettant en évidence
une antithèse.
• « Les roses en fumier, les enfants en
oiseaux, », Mors, Hugo
• La dérivation : c’est l’emploi des mots de la même
famille. « Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux »,
Mors, V. Hugo.
• L’assonance :C’est la répétition d’un même son
vocalique dans des mots qui se suivent .Ces mots sont mis en
valeur par la répétition insistante du son.
• « Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
• Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
• Noir squelette laissant passer le crépuscule », Mors, V. Hugo

Vous aimerez peut-être aussi