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JE VÉRIFIERAI…..

L’émancipation par la poésie

Échapper au carcan de la famille et des idéologies ouvre la voie à la liberté. Mais que faire d’elle? Certes s’en servir
pour créer et inventer, mais aussi pour vivre autrement et mieux. Rimbaud aspire à voir et à penser le monde diff
éremment de ce qu’il est. La poésie est pour lui une quête de la vraie vie et un moyen d’action pour transformer le
réel.

I. La poésie : un art de vivre

Art de vivre et non d’abord art d’écrire: avant de s’incruster dans les mots et les rythmes, la poésie se vit. Grâce à
elle, le poète privilégie les sensations, savoure l’instant présent, retrouve l’innocence primitive du désir.

1 Privilégier les sensations

• « Sensation », « À la musique », « Roman », « Au Cabaret-Vert », « La Maline » naissent d’expériences vécues, dans


lesquelles les sensations jouent un rôle majeur. Celles-ci établissent une communication directe, immédiate avec le
monde et surtout la Nature. Elles sont en-deçà de toute pensée, de toute parole: elles nous font retrouver
l’existence à l’état pur et brut à la fois. Ainsi le poète évoque-t-il fréquemment ses fugues dans la Nature (« J’irai
dans les sentiers », « Sensation », v. 1; « Je m’en allais », « J’allais sous le ciel, Muse! », « Ma Bohême », v. 1 et 3).
Les sensations naissent de la complicité avec la Nature sublimée: sous le ciel étoilé, « assis au bord des routes »
(« Ma Bohême », v. 9) ou « sous les tilleuls verts de la promenade » (« Roman », v. 4), les rêves et l’imagination se
déploient faisant naître une multitude de sensations.

• Les sensations ainsi aiguisées, les couleurs, notations visuelles, prédominent. « Au Cabaret-Vert » constitue par
exemple un tableau où le blanc, le rose et le vert se mêlent au jaune de la bière et du soleil. Le poète accueille
également en lui les parfums: ainsi dans « Roman », « Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!/ L’air est
parfois si doux, qu’on ferme la paupière » (v. 5-6).

2 Savoir jouir de l’instant présent

• Ce primat des sensations donne à l’instant une saveur particulière. Ainsi de fouler l’herbe fraîche et de sentir le
vent sur son visage rend Rimbaud «heureux comme avec une femme» («Sensation», v. 8). Dans «La Maline», le voici
à son «aise», étalé dans une «immense chaise» devant un «met» (mets) belge qu’il dévore «heureux et coi» (v. 2-5).
• Ce que ses poèmes traduisent alors, c’est le bonheur, physiquement éprouvé, que l’on peut tirer du moment
présent, avec par exemple «du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse d’ail» sous un soleil d’arrière-saison («Au
Cabaret-Vert», v. 12-14).

3 Retrouver l’innocence du désir

• Souvent Rimbaud se laisse envahir et guider par sa sensualité. «Ô splendeur de la chair», s’écrie-t-il, lyrique, dans
«Soleil et chair» (v. 82). Place de la gare, à Charleville, son regard suit «sous le corsage et les frêles atours,/ Le dos
divin après la courbe des épaules» des jeunes filles («À la musique», v. 31-32). «Première soirée» évoque une
complicité sensuelle : «Elle était fort déshabillée» (v. 1). Même si la conclusion en est décevante, «Les Reparties de
Nina» évoquent la possibilité d’une étreinte.

• À chaque fois, le désir est présenté comme innocent. Ce qui le menace, ce n’est pas un interdit religieux ou moral,
mais la surveillance de parents stupides («Roman», v. 20).

II. La poésie : une manière de penser le monde

Si elle est une manière d’être au monde, la poésie de Rimbaud est aussi une façon de le penser: en revenant à ce
que ce monde fut à ses lointaines et prometteuses origines, en se projetant dans le même mouvement vers le futur
et en redécouvrant la grande loi de l’existence.
1 Revenir aux origines du monde

• «Soleil et chair» évoquent les temps primitifs quand tout n’était que nouveauté, beauté et amour, quand
l’«Homme» était «fort» et «doux», quand «le Soleil, le foyer de tendresse et de vie», versait «l’amour brûlant à la
terre ravie »(v.1-2).

• Le poème est un vibrant acte de foi en Vénus («Aphrodité», v. 47), cette «Divine mère», à laquelle Rimbaud
proclame son attachement: «Chair, Marbre, Fleur, Venus, c’est en toi que je crois!» (v. 49). Le christianisme («l’autre
Dieu», v. 48) n’avait pas encore transformé l’Homme en pécheur et en coupable d’être né. Rimbaud éprouve la
nostalgie de cet âge d’or: «Je regrette les temps de l’antique jeunesse» (v. 11), dit-il.

2 Se projeter dans l’avenir

• Cette nostalgie n’est toutefois qu’une étape. «Si les temps revenaient, les temps qui sont venus!» (v. 65), s’écrie-t-
il. En un saisissant raccourci, ces origines retrouvées dessinent un futur possible, heureux. Aux temps passés des
verbes succèdent les présents et les futurs. L’Homme sera enfin libéré de toutes les superstitions: «plus de dieux!
plus de dieux! l’Homme est Roi» (v. 36). Aux sensations s’ajouteront l’«Idéal», la «Pensée», tout un Savoir qui
balaiera les doutes. Le monde retrouvera son unité originelle.

• Même si elle comporte une large part d’utopie, la poésie de Rimbaud est un appel à l’action, à un monde
meilleur.

3 Redécouvrir la grande loi de l’existence

• «L’Amour, voilà la grande Foi» (v. 37). Cette conviction ne s’exprime pas seulement dans «Soleil et chair», elle
parcourt, sous diverses formes, l’ensemble du recueil. «Nous avions quelque chose au coeur comme l’amour»,
explique le «Forgeron» au roi («Le Forgeron», v. 66).

• C’est à la Nature aimante, « vivante », qu’il confie les soldats morts durant la guerre de 1870 (« Le Mal ») et le
«Dormeur du val » (v. 11). Cette Nature personnifiée, déifiée, se substitue chez Rimbaud à la religion et à l’amour
éprouvé pour une femme: «Mais l’amour infini me montera dans l’âme,/ Et j’irai loin, bien loin, comme un
bohémien,/ Par la Nature, — heureux comme avec une femme.»

• La redécouverte de cette loi fera que: «Le Monde vibrera comme une immense lyre / Dans le frémissement d’un
immense baiser » «Soleil et chair» (v. 79-80) Or la «lyre» était dans l’antiquité l’instrument qui accompagnait la poé-
sie chantée. Poésie et utopie ont partie liée.

III. La poésie : un moyen d’action

Face à cette vraie vie entrevue, espérée, le réel ne peut que décevoir. Aussi Rimbaud appelle-t-il à le transformer: en
dénonçant les injustices, en en désignant les auteurs et en faisant du langage une arme.

1 Dénoncer les injustices

• Considérant ce que les hommes devraient ou pourraient être, Rimbaud s’en prend à ce qu’ils sont ou ce qu’ils font.
Le spectacle qu’offrent de tout jeunes «effarés» mourant de faim devant une boulangerie indigne le poète d’autant
plus que des adultes sont repus et indifférents. La Nature qui fit les hommes «saintement» («Le Mal», v. 8) rend
insupportables les massacres de la guerre.

• Rimbaud renoue ainsi avec la tradition de la poésie engagée qui, par les prises de conscience qu’elle peut susciter,
devient un acte politique.

2 Une mise en accusation des puissants

Sa dénonciation ne se limite pas à formuler de grands et généreux principes. Rimbaud met nommément en cause
tous les pouvoirs établis.

• Un même fil conducteur relie ainsi des poèmes en apparence aussi différents que «Le Forgeron», «À la musique» et
«Les Effarés». Ce fil, c’est la faim, que ne connaissent pas les bourgeois à la grosse «bedaine», et qui transforme le
peuple en «Crapule»: «On ne veut pas de nous dans les boulangeries./ J’ai trois petits. Je suis crapule.» (v. 117-118),
explique le «Forgeron» au roi. Les classes dominantes, détentrices du pouvoir politique et économique, sont ainsi
clairement accusées.

• L’Empereur (Napoléon III), de son côté, est un usurpateur liberticide et un fauteur de guerre («Rages de Césars»).
Au sommet enfin de toutes les hiérarchies, Dieu n’est pas davantage épargné, parce qu’il est indifférent à la mort des
hommes et qu’il se réjouit des souffrances humaines («Le Mal»).

3 L’arme du langage

• Rimbaud aurait pu plonger dans l’action politique et le militantisme révolutionnaire. Il en éprouva d’ailleurs la
tentation durant l’été 1870, quand il composait plusieurs poèmes des Cahiers de Douai.

• Il opte en définitive pour le pouvoir des mots et du langage. Ceux-ci jouent sur plusieurs registres à la fois: ceux,
notamment, de l’émotion et de la réflexion. Ils résonnent plus longtemps dans l’esprit du lecteur, dont ils peuvent
façonner la sensibilité. Preuve en est que les Cahiers de Douai sont encore lus de nos jours. En faisant de la poésie
une manière de vivre, une façon d’entrer en contact immédiat avec le monde et de le penser, Rimbaud l’oriente dans
une direction radicalement nouvelle. Elle quitte les catégories littéraires traditionnelles pour devenir un choix de vie.
C’est la plus grande émancipation du poète.

Rimbaud, Arthur; Faerber, Johan. Cahiers de Douai (Bac de français 2024, 1re générale & techno) : suivi du parcours «
Émancipations créatrices » (La poésie) (French Edition) (p. 155). Hatier. Kindle Edition.

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