Partie
1 des troubadours
aux slameurs
Chapitre
23 •
Chapitre
35 •
Chapitre
45 •
Chapitre
4 Écritures contemporaines,
de Michel Deguy aux slameurs
❯ MANUEL, PAGES 110-127
55 •
L ’homme
Partie
2 en questions,
du XVIe au XXIe siècle
Chapitre
• 70
Chapitre
• 80
Chapitre
• 90
Chapitre
◗ Document d’ouverture contre la misère, l’évolution a été lente et trente ans ont
Katharina Fritsch (née en 1956), passé. C’est ici le député qui prend la parole, l’homme
Toschgesellschaft [La tablée] (1988), politique engagé que les élèves peuvent connaître par ses
sculpture, AG, Frankfurt am Main. prises de position contre la peine de mort dans Le Dernier
jour d’un condamné ou Claude Gueux, ou encore contre
1. Connais-toi toi même (question 1) le travail des enfants dans le poème « Melancholia »,
La sculpture de Katharina Fritsch évoque l’image que textes souvent étudiés au collège.
l’homme moderne se fait de lui-même. Ce questionne-
ment hante les œuvres littéraires et artistiques à partir de 2. Unité et diversité (questions 1 et 2)
la révolution industrielle. Dès les années 1890, les travaux C’est la voix de Hugo orateur qui sert de cadre au dis-
de Freud ont mis en évidence la distinction à établir entre cours et que nous trouvons aux lignes 3 à 6, puis 26 et
conscience et inconscient, et l’origine des névroses et 27, et enfin 31 et 32. À l’intérieur de ce cadre, il met en
autres défaillances du psychisme. La psychanalyse aide scène la parole d’un homme qui aurait pu annoncer, il y
ainsi à comprendre la nature des forces qui pèsent sur l’être a quatre siècles, aux peuples qui se battaient sans cesse
humain : on ne peut plus, dès lors, se contenter d’incriminer à l’intérieur même de la France, entre villes ou entre
le hasard ou des dieux qui n’existent plus. La sculpture offre provinces, que ces guerres intestines cesseraient et que le
donc une représentation de l’introspection, premier modèle pays connaîtrait l’unité. Mais cet orateur lui-même rap-
de l’étude du Moi, tentative de rechercher un moi pur, porte d’autres paroles (l. 8-9), contemporaines de l’état
séparé de l’extérieur qui l’abîme. C’est ainsi une réécriture de division et le constatant. Ensuite cet orateur, dans une
du précepte socratique : « connais-toi toi-même », éclairé prosopopée, donne la parole à un « concile souverain »
par la démarche psychanalytique du monde contemporain. – métaphore désignant l’Assemblée nationale – qui
En même temps, on a une représentation des résultats de s’adresse au peuple (l. 18-19) en légiférant sur la paix. On
cette introspection : tous les hommes sont, à un certain observe donc un emboîtement complexe de discours
niveau, identiques ; l’individu a disparu des conceptions du directs, Victor Hugo incarnant tour à tour ces différents
monde. Enfin, le titre de l’œuvre suggère que l’homme est tribuns du passé porteurs d’un message de paix qui se
avant tout un être matériel, avant tout soumis à ses fonctions prolonge dans le présent.
biologiques, comme, ici, la quête de la nourriture. Dans une visée de persuasion, l’orateur procède par
2. Une intériorité abyssale (question 2) accumulations qui amplifient la portée du discours, dont
Les progrès scientifiques et techniques se sont accom- il faut rappeler qu’il est effectivement prononcé en public,
pagnés d’une désaffection pour la métaphysique ; malgré et renforcent l’expression des idées. C’est tout d’abord
l’accroissement des connaissances, ou à cause de lui, les une énumération (l. 5-6) des différentes provinces fran-
limites du monde physique semblent sans cesse repoussées çaises qui se sont souvent affrontées au cours des siècles
dans un infini toujours plus vaste. Il en est de même pour passés. Hugo évoque ainsi l’époque de la diversité
l’intériorité de l’homme, forme demeurée ouverte avec la provinciale, préparant l’antithèse avec l’entité unifiée
découverte de l’inconscient. Et dans la mesure où « chaque qu’est à présent la France. Aux lignes 12 et 13, c’est une
homme porte la forme entière de l’humaine condition », énumération des armes utilisées qui montre à la fois la
(Montaigne, voir chapitre 5, manuel, p. 142-161), la pers- diversité des moyens utilisés et leur inutilité, puisque
pective s’élargit en une exploration infinie des énigmes de cette panoplie destructrice sera remplacée par une simple
notre état. La disparition de la surface colorée de la table urne en bois, « l’urne du scrutin » (l. 14). L’accumulation,
peut symboliser celle des assises certaines de la connais- là encore, prépare l’antithèse et met alors en valeur le
sance, des bases mêmes de la conscience de soi. contraste entre la lourdeur des moyens de faire la guerre
et la simplicité de la paix.
Texte 1
3. Un orateur visionnaire (questions 3 et 4)
Hugo, Discours d’ouverture
Hugo construit une opposition radicale entre la vision
du congrès de la Paix à Paris ❯ p. 210
d’un passé lointain où les hommes étaient divisés, enra-
1. Situation du texte cinés dans des régions belliqueuses, et celle d’une unité
Hugo a eu un parcours politique complexe. Du fonda- à venir. C’est ce qu’indique, aux lignes 23-24, l’anti-
teur du Conservateur littéraire à l’engagement républicain thèse entre les attributs du sujet qui sont les noms des
91 •
provinces d’antan : « Vous ne serez plus la Bourgogne, c’est surtout le bouleversement intellectuel qu’a provoqué
la Normandie… » et le dernier attribut « vous serez la guerre dont il rend compte ici.
la France ». La même antithèse joue entre le pluriel
2. La civilisation en danger (question 1)
« des peuplades ennemies » et le singulier, où le déter-
La particularité de la première phrase apparaît net-
minant indéfini a également sa valeur numérale « un
tement : l’emploi réitéré (quatre occurrences) de nous
peuple ».
pour désigner les civilisations signale une prosopopée.
Le texte fonctionne sur le mode d’une extrapolation Ce sont elles qui prennent la parole. Elles annoncent une
implicite : le procédé vise en fait à montrer, en prenant prise de conscience : après la Première Guerre Mondiale,
l’unité nationale comme exemple du possible, que la elles ont fait l’expérience de leur vulnérabilité. Cette
réunion pacifique de peuples qui se sont combattus est annonce initiale dramatise la situation et souligne le
aussi envisageable sur un plan plus large, à l’intérieur danger encouru, celui d’un retour à une forme de chaos,
de l’Europe, parce qu’elle correspond à ce que Hugo de barbarie.
nomme « les desseins de Dieu » (l. 32) et qui est en fait
le sens de l’Histoire. Si l’orateur fait référence au passé, 3. Fragilité des civilisations (questions 2, 3 et 6)
c’est pour proposer une vision optimiste de l’avenir, Une civilisation, d’après les éléments contenus dans le
tourné vers l’espoir d’un avènement des « États-unis premier paragraphe, se définit par un ensemble de savoirs,
d’Europe », pour des peuples qui se sont tant combat- de croyances, de productions de l’esprit humain qui se
tus, il y a peu, au cours des guerres de la Révolution sont accumulées au fil des siècles ; elles ont jeté leur
puis de l’Empire. L’avenir lui donnera raison, mais il éclat comme un brasier ; comme l’indique la métaphore
faudra attendre encore plusieurs guerres très meurtrières, de la ligne 7 : « la terre apparente est faite de cendres »,
et plus d’un siècle de déchirements. Ainsi, il fait naître il en reste des éléments résiduels, qui forment un socle
cette espérance que l’homme puisse dépasser les conflits commun. Les cultures antiques, objet d’études séculaires,
liés aux nationalismes, même si cela paraît utopique. Le sont assimilées à « d’immenses navires » (l. 9) qui ont fini
raisonnement induit chez les auditeurs est le suivant : par couler, malgré l’impression de puissance qu’ils déga-
puisque les hommes ont déjà accompli dans d’autres geaient. Dans le deuxième paragraphe, l’emploi réitéré
circonstances, pour constituer des états, ce qui paraissait du substantif « nom », qui apparaît aux lignes 12, 14 et
inimaginable (« Oh ! le songeur ! », l. 27), ils peuvent 15, indique que ce qui nous semble solide, permanent,
aussi, à plus grande échelle, dans l’avenir, surmonter voire éternel, peut un jour n’être plus qu’un nom, c’est-
leurs divergences pour atteindre la paix universelle. à-dire la trace d’un objet disparu. Ainsi, des nations
puissantes (« France, Angleterre, Russie ») pourrait un
Le discours du Dalaï-lama apporte certaines nuances à jour ne subsister que le souvenir, comme celui des cités
la thèse optimiste de Hugo : il ne nie pas l’importance de enfouies depuis longtemps dans les sables : « Élam,
la paix, mais précise qu’à elle seule, celle-ci ne suffit pas Ninive, Babylone ».
à assurer le bonheur de l’homme. En effet, la paix qui ne
Le tableau de F. Flameng, qui montre Verdun en
s’accompagne pas de liberté (« les souffrances d’un pri-
juillet 1916, place au premier plan les destructions de la
sonnier politique », l. 3), de respect des droits de l’homme
ville, les murs effondrés, ce qui représente la violence de la
(« un déboisement incontrôlé », l. 5) ou de démocratie
guerre mais aussi les ruines d’une civilisation. La cathé-
reste un vain mot. La situation du Tibet, envahi par la
drale qui apparaît à l’arrière-plan est un signe ambigu :
Chine et pacifié, certes, mais réduit au silence, est évi-
symbolise-t-elle la permanence des valeurs religieuses et
demment celle que le prix Nobel de la paix évoque ici :
spirituelles de la civilisation européenne malgré la guerre,
c’est pour cela qu’il oppose une paix apparente et illusoire
ou peut-elle être vue comme une survivance impuissante
à la seule qui compte vraiment (« la paix de l’esprit »,
du passé, un vague souvenir qui se perd dans le lointain
l. 8), qui ne peut être atteinte par le seul « développement
de valeurs que la guerre a anéanties ?
matériel » (l. 12). C’est bien le chef spirituel d’une nation
qui s’exprime alors, et réclame une synthèse entre les 4. Le paradoxe des valeurs (questions 4 et 5)
satisfactions matérielles de l’homme et ses idéaux de vie. Le paradoxe est exprimé de manière précise à la ligne 30 :
« Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de
Texte 2 vertus ». En effet, Valéry se fonde sur l’expérience de la
Première Guerre mondiale vue du côté français. Le peuple
Valéry, La Crise de l’esprit ❯ p. 212
allemand, qui représente l’aboutissement d’une certaine
1. Situation du texte civilisation dont l’auteur semble faire l’éloge, et qui est
L’essai dont est tiré ce texte fait partie d’un ensemble associé à des valeurs éminentes comme « le travail »,
plus vaste, Variété, publié en 1924. Lui succéderont diffé- « l’instruction » et « la discipline », a engendré des com-
rents ouvrages, de Variété II à Variété V en 1944, qui sont portements destructeurs et a été responsable de la mort
des recueils d’essais et de commentaires sur des sujets d’un grand nombre d’hommes. Le paradoxe est là : ce sont
divers, littéraires et philosophiques. En 1922, Valéry a déjà ces vertus qui ont rendu possibles ces manifestations des
donné une conférence en Suisse sur la crise de l’esprit et, pires horreurs. Le choc créé par ce paradoxe est souligné
en avril 1924, il a vu défiler les fascistes à Rome. Mais aussi par l’hyperbole des lignes 26-27 : « les grandes vertus
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des peuples allemands ont engendré plus de maux que dans des conditions aussi terribles que celles des camps.
l’oisiveté n’a créé de vices ». Dans cette formule, Valéry Les valeurs humaines reconnues sont inopérantes : ainsi,
retourne en quelque sorte la sentence : « l’oisiveté est mère l’amitié et même la simple considération de ceux qui n’ont
de tous les vices » pour l’invalider. aucune chance de survie est inutile (« ne valent même pas
Les deux piliers de la civilisation : « Savoir et Devoir » la peine qu’on leur adresse la parole », l. 30-31). La force
sont par conséquent affaiblis, objet de crainte ou de doute, d’adaptation (« la lutte pour la vie », l. 25) sans aucune
qui se traduit dans l’interrogation : « vous êtes donc considération morale, devient la règle absolue, comme
suspects ? ». Les valeurs jusqu’alors les plus solides en l’indique l’expression : « la loi inique est ouvertement en
apparence semblent remises en cause. En effet, l’His- vigueur » (l. 26). L’oxymore « loi inique » indique bien
toire récente l’a confirmé, le développement de l’esprit qu’il s’agit d’un univers à part où la règle existe mais ne
humain, de l’organisation rationnelle et des techniques, saurait être juste, où la férocité et le crime sont la loi.
qui peut être la preuve de progrès de la civilisation, a failli 3. En contrepoint : la civilisation (question 2)
entraîner l’anéantissement des civilisations, voire de Les marques d’un pays civilisé, où l’homme échappe
l’humanité. au classement immédiat entre élus et damnés, sont totale-
ACTIVITÉS Lecture comparée Le texte de Théodore ment opposées à ce qui caractérise le Lager. L’évolution
Monod reprend l’opposition traditionnelle entre la violence des civilisations lui a fait quitter l’état initial de barbarie :
qui relève de la nature, celle des animaux, qui tuent pour dans le tissu social peu à peu créé, « l’homme n’est pas
se nourrir, et ne tuent que des espèces différentes, et celle seul » (l. 9). La société joue un rôle modérateur, tempé-
qui est l’œuvre de l’homme, violence inutile parce que rant les forces brutales et les énergies (« qu’un individu
consacrée à la seule destruction, entre êtres de la même grandisse indéfiniment en puissance », l. 11) et inverse-
espèce. Monod souligne ironiquement que l’un des acquis ment, venant à l’aide des malheureux (« qu’il s’enfonce
majeurs de l’esprit humain – l’éducation – est dévoyé et inexorablement […] jusqu’à la ruine totale », l. 12) et
mis au service de cette violence anti-naturelle, dans le incluant des « ressources » (l. 13) dans lesquelles puiser
cadre des écoles de guerre. en cas de difficulté. Une société développe à la fois une
loi, c’est-à-dire une contrainte extérieure, et une morale
(qui est une loi intériorisée), qui modèrent la loi du plus
Texte 3
fort. Le paragraphe esquisse ainsi l’antithèse complète du
Primo Levi, Si c’est un homme ❯ p. 214 fonctionnement à l’intérieur du camp.
1. Situation du texte 4. La disparition (question 4)
Primo Levi, docteur en chimie italien entré dans la À plusieurs reprises, Primo Levi fait référence à la
Résistance italienne, a été déporté à Auschwitz en 1944. transformation de l’homme, quand il est dans un camp
Profondément traumatisé, survivant à des épreuves ter- de concentration, en une bête sauvage : c’est le sens de
rifiantes avant d’être libéré par l’Armée rouge, il choisit l’adverbe « férocement » (l. 21) et l’adjectif « féroce »
d’évoquer son expérience dans Si c’est un homme. (l. 22). Le mot « désintégration » est aussi significatif,
Ce livre est un récit autobiographique, mais aussi une surtout dans l’expression : « en voie de […] » : le latin
analyse sans complaisance du fonctionnement des camps. integer signifie « intact, sans blessure ». L’homme au
L’auteur veut témoigner contre l’oubli et la banalisation, camp est à l’inverse vu comme atteint dans son corps,
et montrer de manière très précise et lucide la déshuma- considéré comme déjà mort. Cette forme de déshuma-
nisation dont les déportés étaient victimes et acteurs. nisation est confirmée par des expressions minimisant
L’univers du camp est disséqué jusque dans ses règles les les restes de présence : « poignée de cendres » (l. 37)
plus inhumaines. et « numéro matricule » (l. 38). Ils ne sont plus que des
2. Un monde binaire (questions 1 et 3) hommes en sursis, déjà privés de leur statut d’humains et
L’auteur précise lui-même qu’il s’agit ici d’une méta- réduits, non pas même à un nom comme les civilisations
phore. Les mots sont empruntés au lexique religieux, en mortes qu’évoque Valéry (voir manuel, p. 212) mais à un
particulier chrétien, selon lequel certains hommes sont simple numéro. Enfin, ce simple souvenir est lui-même
choisis (« élus », l. 3) par Dieu pour être sauvés de la condamné à disparaître, comme le montre la dernière
mort et promis à la vie éternelle, et d’autres destinés à phrase de l’extrait (l. 40).
la damnation, c’est-à-dire condamnés aux flammes de VERS L’ORAL DU BAC Le tragique peut se définir
l’Enfer. Ces notions s’appliquent à la vie dans le camp de aujourd’hui comme l’inscription de l’inévitable dans le
concentration, puisque la vie y est d’une dureté telle que quotidien, et sa forme moderne est l’absurde, c’est-à-dire
le destin des hommes y est scellé brutalement, certains la situation de l’homme dans un univers que le sens a
étant condamnés d’avance, d’autres qui « ont su s’adap- quitté, et où la vie, inéluctablement conclue par la mort,
ter » y devenant très forts ; ils sont ainsi assimilés à des n’est en lien avec aucune transcendance. Ainsi le Lager
élus : ils pourront survivre. réunit des êtres dont le destin est d’avance scellé, et qui
Aussi celui qui résiste au Lager est un homme revenu vivent, sans espoir ni but, avant de mourir d’une mort
aux instincts les plus primaires, qui réussit à s’imposer sans signification.
93 •
Cette tonalité tragique est destinée à faire impression bassesse par-dessus cinquante années et nous disent au
sur le lecteur, en le plaçant dans la situation d’un spec- contraire qu’il y a une justice morte et une justice vivante.
tateur contemplant des victimes impuissantes – c’est le Et que la justice meurt dès l’instant où elle devient un
principe du témoignage construit par Primo Levi. confort, où elle cesse d’être une brûlure, et un effort sur
ACTIVITÉS Recherches documentaires On signalera soi-même. » (repris dans Actuelles II)
l’existence de camps de concentration, d’extermination, On pourra proposer les captations disponibles sur
et d’autres plus « spécialisés » destinés à des détenus par- Internet sur les sites http://www.dailymotion.com ou
ticuliers (politiques…). On pensera à Nuit et brouillard, http://culturebox.france3.fr
de Resnais (1955), à Shoah de Lanzmann (1985) et, dans Dans cette scène située à l’acte II, Kaliayev, le person-
un registre fort différent, à La vie est belle de Benigni nage qui a renoncé à l’attentat contre le grand duc Serge,
(1998). n’intervient pas ; ce sont les réactions que son refus a
provoquées qui nourrissent le dialogue.
Texte 4 2. Systèmes et valeurs (questions 1, 2 et 3)
Camus, Les Justes ❯ p. 216 Deux thèses s’opposent nettement dans ce dialogue, à
1. Situation du texte travers d’un côté le personnage de Stepan qui considère
Dans la « prière d’insérer », Camus précise son projet : que la révolution est un but ultime qui justifie tous les
« En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, actes, même les plus violents et destructeurs (l. 2, 37-38,
appartenant au Parti socialiste-révolutionnaire, organisait 40 ; de l’autre, Dora et Annenkov, qui affirment qu’il
un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du existe des limites, que tout ne peut être fait au nom d’un
tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l’ont idéal, en particulier lorsqu’il s’agit de tuer, et des enfants
précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires de surcroît (l.4-5 ; 30).
que puissent paraître, en effet, certaines des situations de Stepan accuse certains membres du groupe de révolu-
cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut tionnaires d’être velléitaires et faibles dans leurs actions.
pas dire, on le verra d’ailleurs, que Les Justes soient une En particulier, il leur reproche de ne pas prendre en
pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement compte suffisamment la misère et la faim des enfants
existé et se sont conduits comme je le dis. J’ai seulement russes, qui selon lui pèse davantage que la mort de deux
tâché de rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai. » enfants privilégiés comme le sont ceux du grand-duc.
Camus a procédé dans son œuvre par cycles succes- Dora préfère la vie humaine à l’idéologie, parce qu’un
sifs, constitués d’un roman, d’un essai et d’une pièce acte terroriste ne résoudra en rien les problèmes
de théâtre. Après le cycle de l’Absurde vient celui de la sociaux de la Russie de 1905 : « la mort des enfants du
Révolte, qui se compose de La Peste, de L’Homme révolté grand-duc n’empêchera aucun enfant de mourir de faim »
et de la pièce Les Justes. Ici se trouve posée la question (l. 30) ; la destruction ne suffit pas. Si elle évoque à la
du meurtre politique, commise par un terroriste qui, ligne 31 « un ordre » et « des limites », c’est pour réaf-
pour défendre une cause, est prêt à tuer indistinctement. firmer la valeur de la vie humaine, et dénoncer un idéal
La mort est chez Camus l’objet d’une interrogation, en révolutionnaire capable de justifier un meurtre ; à cette
particulier la mort des enfants, mort absurde et incompré- thèse s’oppose l’idée optimiste de Stepan (l. 27), que la
hensible par excellence (voir manuel, p. 218) révolution mène à « guérir tous maux ».
La pièce est aussi un écho des Mains sales (1948), de
Sartre, qui met en scène un jeune militant, engagé chez un 3. La fin et les moyens (question 4)
politicien qu’il doit tuer, parce que le parti le juge traître Face aux membres du groupe qui semblent douter,
à la cause. Sartre traite lui aussi des paradoxes de l’enga- Stepan, par l’expression « vous vous reconnaîtriez tous
gement politique. Comment demeurer fidèle à ses idéaux les droits », proclame que la foi révolutionnaire néglige
tout en respectant la nature humaine ; doit-on « se salir les les obstacles de la morale commune. L’optimisme de
mains » pour un idéal ? cette foi justifie toute action, qui ne peut qu’aboutir à
une fin heureuse : « une Russie libérée du despotisme ».
Les Justes fut créée en 1949 dans une mise en scène de
Sa position n’est pas sans rappeler celle que préconise
Paul Oettly, principal collaborateur de Camus au théâtre,
Machiavel (Le Prince, 1513), et que résume le proverbe
avec Serge Reggiani, Maria Casarès (voir manuel,
« la fin justifie les moyens ». La violence de son ton
page 217) et Michel Bouquet. Elle fut assez bien reçue,
(indiquée par la didascalie) souligne celle des propos,
mais Camus jugeait : « chaleureusement accueilli par les
mais laisse aussi entendre que les motifs politiques et
uns […] froidement exécuté par les autres. Match nul par
idéologiques ne sont pas toujours purs et peuvent se com-
conséquent ». Attaqué par Jean Daniel, il répondit ainsi :
biner à des déterminismes psychologiques beaucoup plus
« Le raisonnement “moderne”, comme on dit, consiste
individuels.
à trancher : “Puisque vous ne voulez pas être des bour-
reaux, vous êtes des enfants de chœur” et inversement. 4. De la théorie au théâtre (question 5)
Ce raisonnement ne figure rien d’autre qu’une bassesse. On trouve dans la position extrême de Stepan des
Kaliayev, Dora Brilliant et leurs camarades réfutent cette échos du Catéchisme révolutionnaire de Netchaïev.
• 94
La révolution violente devient l’unique but du révo- se traduit par les efforts constamment répétés de l’ouvrier
lutionnaire, ce qui exclut toute autre pensée et « toute ou « prolétaire » (l. 40), efforts essentiellement physiques.
sensibilité » (l. 14-15). Cette posture s’exprime dans la Le texte prend alors une dimension politique autant que
détermination de Stepan, qui refuse d’être attendri par la symbolique : les dieux sont comparés au patronat qui, sur
mort des enfants et oppose à l’humanisme et à la com- terre, épuise la force des hommes.
passion de Dora une attitude passionnée, déterminée Mais c’est aussi tout homme qui est concerné, dans la
et dénuée de « tout sentiment tendre et amollissant ». mesure où chacun aime la vie, fuit la mort et y est malgré
(l.6-7) tout condamné. La phrase « c’est le prix qu’il faut payer
La structure dialogique de l’œuvre théâtrale permet pour les passions de cette terre » (l. 19) est au présent,
d’exposer, et simultanément de mettre en question, la expression d’une vérité gnomique. Dans les trois occur-
thèse du primat de la révolution. rences du mot « passion », la première renvoie à la fois au
sens de « souffrance » et à celui, plus général, de « senti-
ments exclusifs et violents ».
TEXTE 5
Camus, Le Mythe de Sisyphe ❯ p. 219 Ainsi, l’expression « Sisyphe est le héros absurde »
(l. 16) résume la pensée de Camus : l’homme est héroïque
1. Situation du texte dans la mesure où il lutte pour jouir de la vie, mais l’issue
Le cycle de l’Absurde est le premier où différents de ses efforts étant nécessairement rendue vaine par la
genres sont représentés, avant celui de la Révolte. À côté mort, toutes ses actions et même son triomphe momen-
du roman L’Étranger et de la pièce de théâtre Caligula, tané perdent leur sens.
Le Mythe de Sisyphe a le statut d’un essai.
4. La grandeur tragique de la condition humaine
Les parutions de L’Étranger et du Mythe de Sisyphe en (question 4)
1942 ne sont distantes que de quelques mois, les deux Ce qui fait le tragique de notre condition, c’est l’issue
textes se nourrissent vraisemblablement l’un de l’autre. fatale de la vie. Or, face à ce destin, la lucidité est évidem-
Le sujet en est l’homme, qui tire sa grandeur du goût qu’il ment douloureuse (« tourment », l. 42). Mais elle confère
a pour les sensations premières dans un contact heureux à l’homme sa grandeur dans la mesure où elle lui permet
avec le monde, mais surtout de la conscience, qui met la de connaître sa misère. L’inspiration de Camus rejoint la
société à distance et permet de porter un regard critique vision de Pascal chez qui le même renversement carac-
sur sa condition. téristique établit la faiblesse de la condition humaine,
2. Les plaisirs et les jours (question 1) pour fonder la grandeur de l’homme sur la conscience
Sisyphe refuse de regagner les Enfers après avoir qu’il en a (voir manuel, p. 174-175).
obtenu la permission des dieux de retourner sur la terre. 5. Le tableau d’André Masson (question 5)
Il retrouve à nouveau la vie et les sensations heureuses André Masson est un peintre surréaliste qui a connu et
qui l’accompagnent. Son bonheur réside dans les joies fréquenté Breton, Aragon et Eluard, et illustré des œuvres
simples et naturelles, à échelle humaine ; il prend une de Sade et de Georges Bataille. Il ne croit pas que la pein-
dimension sensuelle et hédoniste (« revu le visage de ce ture puisse rester abstraite et se passer totalement de la
monde », « goûté l’eau et le soleil », l. 9-10, « ses joies », figuration. L’acte de peindre est pour lui un jaillissement
l. 14) : il est en quelque sorte sous le charme de ses retrou- de formes qui s’imposent. On voit, dans son illustration
vailles avec les éléments (l.11-12). On pourra évoquer des de l’œuvre de Camus, Sisyphe aux prises avec la matière
scènes de L’Étranger dans lesquelles Meursault semble même du rocher. Le personnage, figuré par la ligne tour-
ne vivre vraiment qu’à travers un contact physique avec le mentée d’un contour, s’oppose aux masses grises du bloc
monde (cf. les épisodes de la baignade avec Marie, ou les de pierre ; par leur tension, les lignes rendent compte de
derniers moments heureux sur la plage, avant le meurtre, l’effort, et par leur concavité, elles représentent l’insertion
partie I). du rocher dans le corps de Sisyphe. Ainsi Masson semble
3. Images du travail (questions 2 et 3) suggérer que cette masse informe fait désormais partie
Dans les lignes 21 à 28, Camus décrit le labeur tita- de l’homme et figure en quelque sorte le destin dont il ne
nesque que constitue le châtiment imposé à Sisyphe. peut se départir.
Tout signale la rudesse de la tâche : « l’effort d’un corps EXPRESSION ÉCRITE Réflexion
tendu » (l. 21), « le visage crispé » (l. 23) et le « long « Les mythes sont faits pour que l’imagination les
effort » (l. 26). C’est aussi l’idée de répétition qui est anime » : cette citation suggère la permanence des
soulignée par l’expression : « cent fois recommencée » grandes questions humaines transmises par la fiction
(l. 22). Ce travail est donc une torture, puisque tous simple que sont les mythes. Chaque époque les préserve,
les efforts ne conduisent qu’à voir « la pierre dévaler en mais les présente aussi avec un cadre et des personnages
quelques instants », le complément de temps marquant qui varient parfois des originaux. Les transformations et
la vanité de l’action. Ce tableau n’est pas sans évoquer réécritures que leur fait subir l’imagination leur appor-
le contexte historique dans lequel s’inscrit l’œuvre : le tent un éclairage renouvelé qui témoigne d’un contexte
travail mécanique instauré par la révolution industrielle particulier.
95 •
TICE Les destinées de Prométhée, Tantale ou Atlas sens moderne (ouvrage esthétique), signifiant ainsi que
offrent des symboles aisément compréhensibles de la l’homme a besoin aussi de la vie de l’esprit.
destinée humaine : le progrès et ses dangers, les désirs
3. Un humanisme inhumain (questions 3 et 4)
inassouvis, les rêves et les remords.
Aveuglés par l’attente du progrès matériel, d’un bien-
être immédiat lié aux techniques, les contemporains ne
texte 6 voient pas qu’une libération authentique fait sa place à
Camus, L’Été ❯ p. 221 l’art, à l’intelligence et à l’esprit. Pis, ils considèrent ces
activités comme « un obstacle et un signe de servitude »
1. Situation du texte
(l. 15). En effet, les révolutions du XXe siècle, quelle que
Lorsqu’en 1954 paraît L’Été, éclate la guerre d’indé-
soit l’idéologie dont elles se sont réclamées, ont eu une
pendance algérienne, qui va profondément bouleverser
forte tendance à brimer les intellectuels, et à étouffer les
Camus. Sa terre natale est restée pour lui un lieu sym-
productions artistiques qui ne se mettaient pas au service
bolique et réel auquel l’unit un lien charnel très fort. En
du régime. Ainsi, symboliquement, non contents alors de
1952, il a fait un voyage en Algérie où il puise l’inspiration
différer de Prométhée, les hommes modernes en devien-
pour « Retour à Tipasa », qui trouvera place dans L’Été.
nent les ennemis, prêts à renouveler son supplice (« ils
Cette œuvre se présente comme un essai, genre souple
le cloueraient au rocher », l. 20-21) s’il revenait en leur
où l’écriture se calque sur les inflexions de la pensée, et
apportant la liberté. La conclusion de l’apologue porte
donne à voir une réflexion en phase d’élaboration. De
condamnation contre les persécutions et les violences
1952 en effet date la rupture avec Jean-Paul Sartre, qui
qu’exercent les régimes dictatoriaux qui prétendent
avait critiqué le précédent essai de Camus, L’Homme
assurer le bonheur matériel de l’homme.
révolté (1951). Ce passage, qui reprend le grand mythe
grec de Prométhée, s’inscrit aussi dans le prolongement On reconnaît là une idée qui traverse l’œuvre et la pensée
de l’essai de 1942, Le Mythe de Sisyphe (voir manuel, de Camus, et qui a été à l’origine de sa rupture avec Sartre.
p. 219) : à l’écoute de la révolte humaine, l’écrivain, Si celui-ci intitule sa conférence de 1945 L’existentialisme
comme le Titan, ne peut qu’offrir sa protestation. est un humanisme (voir manuel, p. 222), Camus récuse
une formule qui ne rend pas compte des camps staliniens
2. Un homme mal libéré (questions 1 et 2) ni de l’oppression totalitaire. Ainsi, dans Les Justes, (voir
Les figures de Prométhée et de l’homme moderne manuel, p. 216), il met en scène des hommes comme Stepan
s’opposent et se complètent. Comme celui qu’a connu qui, pour la révolution, sont prêts à tuer et abandonne
Prométhée, l’homme d’aujourd’hui figure une humanité tout humanisme au nom d’une idéologie. En un sens, ils
écrasée : « privé de feu et de nourriture » (l. 5), il « souffre mettent en avant le corps plutôt que l’esprit en privilégiant
par masses prodigieuses » (l. 8). Cependant la conces- une forme de libération matérielle des hommes, qui échap-
sion initiale (« On pourrait dire sans doute […] », l. 1) peraient ainsi à la misère, alors que précisément leur action
reconnaît dans l’histoire du XXe siècle un début de révolte, s’oppose à l’humanité. Dans Le Mythe de Sisyphe (voir
« une convulsion historique qui n’a pas son égale » (l. 4), manuel, p. 219) l’homme, à l’image de Sisyphe, se trouve
allusion transparente à la Révolution soviétique qui elle confronté à la matière et à une tâche absurde. Cependant,
aussi a pris naissance dans « les déserts de la Scythie » (l. c’est par la conscience qu’il a de son destin absurde, et en
3). En cela, il est proche de Prométhée, « ce révolté dressé somme par l’exercice de l’esprit, qu’il dépasse sa condition
contre les dieux » (l. 2) et « ce persécuté » (l. 5). misérable et atteint à une certaine grandeur. Les deux textes
Et pourtant, Camus note une différence importante avec précédents illustrent donc assez clairement ce reproche
le mythe : ce contemporain n’a pas acquis le bonheur ni formulé par Camus à l’encontre de l’homme moderne, prêt
la liberté, et demeure englué dans un destin misérable : à anéantir l’homme au nom de l’homme lui-même.
« il n’est encore question pour cet homme que de souffrir
TICE Les grandes figures de la révolte convoquées ont,
un peu plus » (l. 10), dans l’attente d’un mieux encore à
à des degrés divers, incarné le nécessaire conflit entre
venir.
l’action violente nécessitée par une situation, et la vision
En effet, Prométhée représente celui qui est intervenu en de l’homme qui l’inspire et la motive. On éclairera à
faveur de l’homme, certes pour lui donner « le feu » c’est- partir de ces recherches les réponses diverses apportées
à-dire les moyens matériels de pourvoir à son existence par les héros de l’histoire et on les mettra en rapport avec
en dominant la nature, mais essentiellement pour le faire les images qu’en ont données les récits et les mythes.
accéder à « la liberté ». La dénonciation de Camus porte
sur le fait que l’homme moderne s’en tient aux choses Texte 7
matérielles : il « n’a besoin et ne se soucie que de tech-
Sartre, L’existentialisme est un humanisme ❯ p. 222
niques » (l. 14). Alors que Prométhée voulait libérer « les
corps et les âmes » (l. 17), l’homme contemporain ne voit 1. Situation du texte
qu’une priorité : « libérer le corps » (l. 18) ; son désir ne Dans l’œuvre de Sartre, le cheminement intellectuel
vise que les techniques et l’amélioration des conditions passe à la fois par la création romanesque et l’élaboration
d’existence. Camus associe au sens classique du mot d’une pensée qui trouve sa forme dans le genre de l’essai.
« arts » (l. 13), qui désigne les pratiques des métiers, son L’écrivain et philosophe a déjà publié La Nausée en 1938,
• 96
Les Mouches et L’Être et le Néant en 1943 et Huis clos et politique.
en 1945 : il s’est donc déjà illustré de façon magistrale L’autre exemple (l. 17 à 20) envisage « un fait plus indi-
aussi bien dans les écrits de fiction que dans les œuvres viduel » (l. 17), celui du mariage, qui signifie l’adhésion
de réflexion, non sans éveiller oppositions et polémiques. aux conceptions sociales occidentales, marquées par la
Il prononce en 1945 la conférence L’existentialisme est monogamie et le primat de la procréation. On a donc ici
un humanisme, qui sera publiée en 1946 : en réponse aux affaire à un raisonnement a fortiori, dans la mesure où la
critiques et objections des communistes, des humanistes proposition, si elle est vraie dans ce cas extrême d’indi-
et des chrétiens, il y expose sa conception de l’homme et vidualisme qu’est le mariage, l’est à plus forte raison
définit l’existentialisme. pour tous les actes qui ont déjà, en eux, une dimension
2. Choisir (question 1) collective.
Selon le philosophe, l’homme est « responsable » : ce 4. Responsabilité de l’individu (question 4)
mot-clé de l’existentialisme signifie que chaque action Que Sartre prête à l’ouvrier la pensée suivante : « je
humaine engage l’ensemble de l’humanité. Les premières veux être résigné pour tous » (l. 16), ne signifie nulle-
phrases explicitent cette proposition en analysant l’acte ment que l’ouvrier – pas plus que l’homme en général
de choisir, qui définit, en quelque sorte, tous les instants – soit conscient, sur le moment, de la signification de son
de l’existence. Agir, c’est faire un choix, et ce choix, choix. Le sens est simplement que l’ouvrier qui accepte
qui concerne l’individu, a des répercussions – au niveau sa condition sans révolte trouve ainsi normal que les
symbolique – sur tous les hommes : en effet, ce choix autres ne se révoltent pas, et que par conséquent il les
correspond à une certaine conception de l’homme, qui engage, même s’il ne s’en rend pas compte, sur la voie
est ainsi affirmée même si l’on n’en a pas conscience. On de l’acceptation résignée du statut de dominé. Ainsi il ne
remarquera la récurrence du verbe « choisir » qui est au faut pas lire l’expression « je veux » au sens propre, mais
cœur de l’argumentation, et l’abondance des connecteurs la comprendre comme l’indication d’un mécanisme qui
logiques (« mais », « en effet », « si » et « ainsi » dans engage la responsabilité de l’individu : son choix, avec
les dix premières lignes) signalant une forte articulation ses conséquences, est l’effet non d’une détermination
caractéristique de l’essai. extérieure, mais de sa volonté.
3. Individu et humanité (questions 2 et 3) On retrouve la même idée aux lignes 19-20, dans
Il n’est pas clair d’emblée pour chacun que les choix l’exemple relevant des choix faits dans la vie privée,
faits par un homme soient lourds de conséquences pour puisque Sartre affirme dans une formule qui peut sur-
tous. Sartre développe l’idée en l’étayant d’exemples, prendre qu’en me mariant, « j’engage non seulement
et la répète sous des formes différentes, ce qui confère moi-même, mais l’humanité tout entière sur la voie de la
à son propos une allure didactique prononcée et au rai- monogamie ». Ainsi le raisonnement général est appliqué
sonnement celle d’une démonstration. Le destinataire parallèlement aux deux exemples, qui illustrent le reten-
est impliqué par l’emploi constant du pronom pluriel tissement universel des actes individuels.
« nous », les abstractions sont représentées par des EXPRESSION ÉCRITE Écriture d’invention Sans
pronoms neutres (« ceci ou cela », l. 5) ou soulignées par prétendre développer chez les élèves une pensée philo-
des tournures clivées (« ce que nous choisissons, c’est sophique, on les initiera à dégager des cas concrets de la
[…] », l. 7). L’idée centrale sur laquelle repose le dis- vie quotidienne un sens, une portée signifiante ; on les
cours est que l’attitude humaine choisie est posée comme aidera ainsi à effectuer une lecture du réel et à accéder à
bonne (l. 7-8), non seulement pour l’individu, mais pour son interprétation.
l’ensemble des hommes – c’est dire en somme qu’elle
est fondamentalement morale. Le second membre du ◗ Analyse d’image
syllogisme, est que l’attitude choisie à un moment donné
fait l’individu, le crée en quelque sorte – et c’est là le sens Photographie de presse ❯ p. 223
même de la doctrine existentialiste (l. 8-9). La conclu- 1. Composition et cadrage (questions 1 et 2)
sion est alors qu’un choix individuel élit une image de Le cliché montre un enfant suivi de deux autres plus
l’homme qui se trouve avoir une valeur universelle, grands, et précédé d’un adulte ; il est armé d’un fusil-
comme l’indique la formule « cette image est valable mitrailleur et coiffé d’un béret de couleur kaki, accréditant
pour tous et pour notre époque toute entière » (l. 10), son identité militaire. Cette image, en plan américain, se
idée reprise encore aux lignes 17 et 19 (« l’humanité tout compose de trois parties délimitées par les trois lignes
entière »). verticales des corps en marche, à gauche et à droite avec,
Les exemples viennent illustrer les notions : celui de en position centrale, le jeune garçon armé.
l’engagement dans une ligne syndicale (l. 12 à 17) répond Le triangle dessiné par son corps et ses membres, dont
en même temps à la critique que les communistes adres- la pointe est signifiée par sa tête, marque la position
saient à Sartre, accusant l’existentialisme de conduire à affirmée et stable de sa démarche. La diagonale de son
la résignation ; Sartre renvoie le reproche sur le christia- fusil, ainsi que son regard, entraînent le lecteur vers
nisme. L’exemple a donc une portée à la fois polémique le hors-champ et contribuent aussi au dynamisme du
97 •
cliché. En opposition avec cet aspect décidé, plusieurs la ligne 5. En se lançant dans l’action humanitaire, ils
éléments soulignent le statut enfantin du combattant : le sont prêts à suivre « l’émotion qui retrouve ses droits »
cadrage resserré, les hautes herbes du premier plan qui (l. 5), ainsi que leur sensibilité (l. 22) : ainsi, utilisant
le dépassent, la taille du garçon habillé d’un tee-shirt une terminologie et une formule qui fait écho aux
bleu, la plongée, provoquent l’étonnement et le malaise Maximes de La Rochefoucauld, l’auteur affirme qu’ils
du spectateur. écoutent davantage leur « cœur » que leur « raison ».
Dans une antithèse qui laisse imaginer qu’il n’est pas
2. La visée du cliché (questions 3 et 4)
dupe, Finkielkraut oppose « l’homme humanitaire [qui]
Le choix du personnage vise à créer une réaction à
cède à la pitié » (l. 30) à celui qui était sous « l’emprise
une situation d’opposition, à la limite du paradoxe : la
du philosophe », c’est-à-dire convaincu que l’individu
présence d’un enfant dans une œuvre artistique connote n’est rien, et que seule la société mérite d’être défen-
le plus souvent la jeunesse, l’innocence et la naïveté, les due. Attentif au contraire à la douleur du prochain,
jeux, en somme, la paix. Ici, l’image dénonce la guerre l’homme de l’âge humanitaire est décrit comme
qui ôte toute innocence à l’enfance, la responsabilité d’un un « sauveteur sans frontière » (l. 19) qui agit dans
monde adulte qui entraîne les enfants dans un combat l’urgence pour soulager la « détresse » de tout homme.
dont ils ignorent tout et les engage à jouer avec de vraies L’humanitaire est donc valorisé par opposition à la
armes comme ils le feraient avec un déguisement de cruauté induite par l’idéologie, mais l’éloge comporte
Zorro ou de Rambo, mettant en jeu leur « vraie » vie dont une part de nuance ironique.
ils ne savent pas qu’elle est unique.
3. Des idéologies dévastatrices (questions 2 et 3)
TICE On pourra souligner la considérable multiplication Marx et Hegel renvoient à l’idéologie marxiste, qui a
des reportages de guerre depuis la Première Guerre conduit à la doctrine politique communiste, dont Trotski
mondiale, favorisée et poursuivie grâce aux progrès a été un acteur marquant. Selon l’auteur, ces idées ont
techniques, à la miniaturisation et à la généralisation du engendré des régimes criminels. Nombreux sont les
format 24 × 36. termes qui appartiennent au lexique de la violence des-
On insistera sur le rôle de Life, revue de l’agence tructrice : « victimes » (l. 4), « violence » (l. 8), « féroces »
Magnum fondée en 1936 et disparue en 1972, du fait (l. 11), ou l’expression imagée : « vies écrasées par l’His-
du développement de la télévision (voir le site : http:// toire » (l. 16). « L’écrasement » (l. 17) des hommes pour
etudesphotographiques.revues.org/index396.html). des raisons idéologiques aboutit à la métaphore ironique :
Parmi les grands photographes de la Seconde Guerre « omelette humaine » (l. 26) ; fondée sur l’expression cou-
mondiale, on citera Robert Capa ou Henri Cartier- rante, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, elle
Bresson. On pourra donner à lire un extrait du chapitre désigne le consentement aux idéologies meurtrières, et
« Photos-chocs » (Mythologies [1957], p. 105 sq., Seuil) suggère l’idée de destruction massive et de déshumani-
dans lequel Roland Barthes montre déjà les limites des sation des victimes dont le corps est broyé et les droits
représentations du monde offertes par la presse. sont niés dans un même élan idéologique. C’est en effet
au nom de l’idéologie issue de l’œuvre de Marx que des
Texte 8 politiques liberticides et criminelles, que ce soit le goulag
de l’ère soviétique ou les procès politiques sous le régime
Finkielkraut, L’Humanité perdue ❯ p. 224
de Mao, ont été conduites, provoquant des millions de
1. Situation du texte morts. L’expression : « destin culinaire » (l. 26) file la
Le livre d’Alain Finkielkraut ne propose pas une métaphore d’une humanité devenue proie de grands ogres
histoire du XXe siècle, mais une réflexion et un ques- nés de ces idéologies ; une réaction salutaire a eu lieu.
tionnement : avons-nous su tirer les leçons de ce siècle
4. Le scandale moderne du Mal (question 4)
terrible ? La génération humanitaire, qui est au centre de
La thèse adverse est formulée explicitement aux
ce passage, est définie en opposition aux idéologies des-
lignes 8-12. Certains hommes, aveuglés par l’idéologie,
tructrices et est donc valorisée, mais l’auteur montre par
ont pu penser que « l’avènement de l’égalité » ou « la
la suite les limites d’une pensée qui ne prend en compte
moralisation définitive et universelle » pouvaient justi-
que la souffrance des victimes. On trouve sur Internet
fier les actes les plus atroces. On ne peut plus, d’après
des éléments utiles avec l’enregistrement de l’émission
Finkielkraut, justifier le « Mal » par « les intérêts supé-
« Apostrophes » de Bernard Pivot, en 1996, lors de la
rieurs de l’humanité » (l. 9). Il considère que les idéaux
parution du livre : l’auteur explique précisément quelle
politiques, même les plus séduisants en apparence, ne
analyse il propose dans son ouvrage.
doivent pas amener l’homme à fermer les yeux sur les
2. L’éloge de l’humanitaire (question 1) crimes commis en leur nom. Ainsi, la violence faite à
Finkielkraut valorise ceux qui privilégient le secours l’homme est injustifiable ; l’idée s’appuie sur un argu-
aux victimes face à l’idéologie, qui veulent aider avant ment d’autorité tiré de l’œuvre de Lévinas (l. 13-14),
tout les hommes quels qu’ils soient, « dans quelque selon qui la tentative de justifier la souffrance d’autrui
camp que les ait situés l’Histoire et quel que soit le signe est, à l’opposé de toute morale, à l’origine du Mal
idéologique de leur oppresseur », comme il l’indique à absolu.
• 98
5. Réagir contre l’inhumain (question 5) chimères » (l. 6). L’exemple du tremblement de terre (l. 9)
Pour parvenir à l’indépendance de l’Inde, Gandhi a illustre cette démesure inévitable entre les prétentions de
proposé une désobéissance non-violente, s’interdisant, l’écrivain et l’efficacité de son discours.
comme il l’écrit dans Tous les hommes sont frères, de tuer
3. La solitude féconde (questions 2 et 3)
son prochain (l. 4), même si on est menacé. Pour lui, toute
L’écrivain se veut un être voué à la solitude : en effet,
« atteinte à la personne est un crime contre l’humanité »
d’une part, l’image traditionnelle du créateur le peint à
(l. 5-6). Seul le respect de l’absolue justice peut construire
l’écart des hommes sinon du monde, d’autre part, on peut
un monde sans violence (l. 7).
lire dans cet enfant « fragile, inquiet, réceptif excessive-
On réfléchira aux deux attitudes : l’intervention huma- ment » (l. 11-12) un autoportrait où Le Clézio esquisse
nitaire ou la non-violence, sachant que les contextes ou une biographie ambiguë, choisissant comme comparai-
les motifs peuvent être bien différents. Dans le cas de son un être féminin venu sous la plume d’un écrivain
Gandhi, celui qui est non-violent est impliqué dans le également ambivalent (l. 12).
conflit et il choisit de ne pas répondre à la violence qui
La solitude aimée et voulue se ressent dès lors de cette
lui est faite, à lui personnellement. Dans le cas de l’aide
humanitaire, celui qui intervient est extérieur au conflit, il dualité foncière : par une généralisation qui s’ancre
fait aussi le choix de pas intervenir militairement – encore dans la valeur topique de l’image, et par une personni-
que les deux puissent être associés – mais il apporte un fication tout aussi topique, elle devient la compagne et
soutien à celui qui est victime de la violence. Il soulage la maîtresse, le substitut de l’amour impossible. D’où
sa faim ou soigne ses blessures. Les deux attitudes ne les antithèses multipliées, qui infusent de souffrance ce
sont pas contradictoires, mais l’intervention humanitaire « bonheur contradictoire » (l. 15) : « douleur et délec-
requiert dans certains cas de faire cesser les combats, tation » (l. 16) opposent le plaisir et la douleur (« un
donc d’intervenir aussi militairement pour faire taire les mal sourd et omniprésent », l. 17) ; l’oxymore « triomphe
armes et laisser une chance de survie aux hommes. dérisoire » rend compte de l’insatisfaction essentielle qui
détermine l’écrivain à écrire, et peut-être d’un sentiment
humaniste de vanité. La métaphore de la ligne 18 illustre
Texte 9 cette antithèse : la « plante […] nécessaire » représente
Le Clézio, Discours lors de la remise l’élément favorable, source de fécondité ; mais son
du prix Nobel ❯ p. 226 caractère vénéneux évoque une corrosion intérieure, une
1. Situation du texte douleur permanente (qui reprend une autre métaphore,
Le Clézio a, dès son premier roman, Le Procès verbal « une petite musique obsédante », l. 17) et qui ne peut
(1963), obtenu succès et reconnaissance de la critique. être que létale.
Avec des personnages qui vivent pour certains au plus 4. Naissance du texte (questions 4 et 5)
près de leurs sensations, à travers le thème de la ville fas- Le Clézio propose un portrait de l’écrivain en train
cinante et effrayante, mais avec aussi un goût manifeste d’écrire, il fait entrer le lecteur dans le processus d’une
pour l’ailleurs, il a su donner vie à un univers particulier. création essentiellement solitaire. Après avoir évoqué la
Passionné par la mythologie maya, il crée chez Gallimard chambre et l’écran de l’ordinateur, il élabore une méta-
une collection de textes sur les mythes du monde entier, et phore filée, où l’écriture est associée à l’espace naturel
son intérêt pour les cultures éloignées de la nôtre l’amène de la forêt. Chaque piste suivie par l’écrivain, chaque mot
aussi à considérer les œuvres francophones comme une ou idée débusquée au hasard lui apparaît neuve, encore
part légitime de la littérature française. inconnue et méconnaissable, c’est dans ce sens qu’il
2. Impuissance des mots (question 1) faut entendre l’emploi de l’indéfini « quelque chose ».
L’écrivain tend vers l’action ; l’image qu’il a de lui- Ce gibier qui s’échappe a jailli devant ses yeux et ne
même est celle d’un homme engagé, qui ne peut se lui appartient pas vraiment, il est l’objet d’une quête.
contenter d’être un simple témoin ; ses moyens d’agir L’expression désigne en définitive l’œuvre littéraire, en
sont les mots et les rêves qu’ils suscitent chez ses lec- ce qu’elle naît le plus souvent d’un hasard heureux, d’une
teurs (l. 2). L’évidence de ce mécanisme n’en assure rencontre verbale (« c’était au hasard », l. 25), et non
cependant pas l’efficacité : la réception de l’œuvre, toute d’une idée préconçue. Le texte acquiert ainsi progressive-
favorable qu’elle soit, ne la transforme pas en outil de ment le statut d’un art poétique, et la citation masquée de
changement. En un mot, l’écrivain sait, dès l’abord, la Bérénice (« malgré lui, malgré elle », l. 25) réaffirme la
vanité de ses efforts (« une voix lui souffle que cela ne dimension intertextuelle qui nourrit toute création.
se pourra pas », l. 4-5) et finit par douter même de leur Ainsi est rompue l’initiale solitude, puisque l’écrivain
légitimité (« Est-ce vraiment à l’écrivain de chercher est associé à ceux qui l’ont précédé. Loin de s’enfermer
des issues ? », l. 7). Ainsi Le Clézio résume-t-il l’oppo- dans « une attitude négative » (l. 26), il réaffirme la
sition entre l’engagement et l’esthétique, renouvelant permanence du pouvoir des mots, malgré (ou en raison
la question parnassienne d’un art fermé sur lui-même. de) leur statut « complexe, difficile » (l. 29). En effet, si
De fait, l’écriture s’inscrit davantage dans l’imaginaire « les arts de l’audiovisuel » (l. 28) représentent une voie
et reste en dehors du réel : « les rêves ne sont que des immédiate pour l’expression d’une vision du monde, la
99 •
littérature impose un effort de décryptage, demande un propagande américaine (voir question 4) et en parodiant
travail, suppose un lecteur toujours actif. C’est à ce prix l’héroïsme.
qu’elle donne à lire des représentations de l’homme, aussi
2. Une destruction négative ou positive (question 2)
instables et fluctuantes que l’est l’homme lui-même (voir
Comme mentionné dans la question 1, il s’agit, d’une
manuel, p. 144).
part, d’une représentation négative de la destruction et,
En définitive, la conception que Le Clézio livre de la d’autre part, d’une héroïsation de celle-ci.
littérature, même s’il n’écrit jamais le mot homme, est
Dans l’image du film, les deux hommes sont menacés
profondément humaniste. Légitimement, elle se réclame
par l’explosion, ils paraissent petits et impuissants. Le
des grands ancêtres, Byron et Victor Hugo (l. 30), avec
côté arbitraire est suggéré par l’obus tombé juste à côté
lequel l’extrait entretient des rapports lisibles. Outre le
d’eux : quelques centimètres de plus et les deux hommes
recours à la métaphore de la forêt (« c’est cela sa forêt »,
auraient été déchiquetés.
l. 23, et « L’arbre, commencement de la forêt… », texte
écho, l. 1), qu’on trouve dans la Préface de La Légende L’affiche de propagande évite, justement, la figure
des Siècles, les deux extraits posent l’écrivain comme humaine. L’action se passe dans un monde inanimé et
solitaire mais également uni à l’humanité (« solitairement presque abstrait, peuplé de machines et de bâtiments
[…] solidairement », l. 5-6). Certes, Hugo énonce avec industriels. La légende suggère que la destruction de la
plus de confiance sa foi dans la mission de l’écrivain, puissante industrie allemande, qui nourrit l’armée du
mais il ne prétend pas ici changer directement le monde ; Reich, est une réussite pour l’armée britannique. On sous-
l’œuvre littéraire, miroir offert au lecteur, est pour celui- entend que par la destruction de cette centrale allemande,
ci l’occasion de réfléchir. les soldats anglais protègent leur peuple. Le dessin laisse
imaginer le danger que représenterait cet ensemble indus-
ACTIVITÉS Préparer un débat Le débat propose, sur un triel tentaculaire qui s’étale à perte de vue.
autre mode, une réflexion sur l’efficacité, les vertus et les
modalités d’action comparées de l’image et du texte. Il 3. Plonger le spectateur dans l’action (question 3)
prépare ainsi à un ensemble de sujets de dissertation qui L’affiche Back Them Up ! est constituée essentiel-
posent ce problème. lement de lignes oblique qui suggèrent le dynamisme
La technique du débat est exposée pages 234-235, celle et l’action. Les cheminées d’usine, en bas à gauche, et
de la dissertation pages 240-241. l’avion britannique, en haut à droite, sont les obliques les
plus prononcées.
Les premières forment des « obliques descendantes ».
◗ Histoire des arts En effet, ces lignes « descendent », car le regard occiden-
Représenter la guerre ❯ p. 230-231 tal se déplace de gauche à droite (comme pour la lecture).
1. La guerre comme sujet (question 1) Ce type de lignes suggère la défaite, l’effondrement,
Les œuvres se réfèrent à la guerre de trois manières selon les codes des images en Occident. En revanche,
différentes. l’avion va vers le haut, suivant une « oblique ascendante
» (ici, on peut parler de diagonale, car la ligne coïncide
Le film de Milestone est une narration qui fait renaître a
avec la diagonale du quadrangle). Traditionnellement, les
posteriori les événements de la Grande Guerre. Il se fonde
obliques ascendantes suggèrent la victoire, la réussite, un
sur le récit d’un témoin, l’écrivain allemand Remarque
avenir meilleur.
qui a participé aux combats. Comme le sous-entendent
les corps crispés et vulnérables dans cette image, le film Le point de vue choisi par Gardner est une « plongée »
(comme le livre de Remarque) prend une position très vertigineuse, cela veut dire que le spectateur se trouve
critique face à la Grande Guerre. Il dénonce la dévalori- au-dessus de la scène, qu’il domine. Notons que le
sation de la vie humaine que le conflit entraîne. point de vue contraire s’appelle « contre-plongée » et
induit un spectateur en contrebas, dominé. La plongée
L’affiche de Gardner est une affiche de propagande
et les obliques déstabilisent l’espace et suggèrent que le
produite pendant la guerre. Son but est de promulguer
spectateur se trouve également dans un avion, immergé
l’idée que la guerre est nécessaire et d’en persuader la
dans l’action. Ainsi, le public s’identifie au pilote, se sent
majeure partie de la population. Pour atteindre ses buts,
impliqué dans les combats. Ce procédé d’entraînement,
la propagande peut dévoyer la réalité, montrant sous un
d’empathie émotionnelle, est souvent utilisé dans les
jour héroïque des actes de destruction. Pendant les deux
images de propagande.
guerres mondiales en Europe, tous les pays belligérants
utilisent des images de propagande pour maintenir le 4. Un mémorial anti-héros (question 4)
moral de la population civile et l’inciter à souscrire à des On peut diviser le mémorial de Kienholz en trois
emprunts de guerre. parties. La dalle noire marque clairement le centre par sa
L’installation de Kienholz est une œuvre faite en saillie et par sa couleur noire.
pleine guerre du Vietnam. Comme le film À l’Ouest rien À gauche, l’artiste détourne des éléments de la
de nouveau, Kienholz critique âprement la guerre, sans propagande américaine. On y voit une affiche utilisée
raconter les événements, en détournant des éléments de la pour la mobilisation de la Première Guerre mondiale,
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représentant Uncle Sam (symbole de l’État américain), 4. Cette nouvelle met en cause l’usage du pathos pour
pointant le spectateur de manière agressive avec la vendre, même au prix d’un mensonge, une réalité qu’on
légende I Want You [« Je te veux »]. Devant, Kienholz va jusqu’à fabriquer pour la photographier. Le danger de
a parodié la chanteuse Kate Smith devenue célèbre en tels procédés est l’intensification du pathétique au risque
chantant de manière émouvante l’hymne américain, de le banaliser. On peut penser que Daeninckx met aussi en
incitant les citoyens à adhérer à la guerre, sans réflé- cause le lecteur qui recherche et achète ce type d’émotions.
chir aux causes et aux conséquences du conflit. À côté, 5. La connaissance du contexte permet de tisser des liens
Kienholz a fait une réplique du monument d’Iwo Jima entre les événements de la fiction et ceux du monde, dans
situé à Rosslyn en Virginie, qui s’inspire d’une photo la mesure où ces derniers servent de source d’inspiration ;
du reporter Joe Rosenthal montrant les marines plan- à travers l’œuvre imaginaire, il est alors possible de
tant le drapeau sur l’île japonaise d’Iwo Jima pendant dégager la portée du référent, c’est-à-dire le sens ou du
la Seconde Guerre mondiale. Cette image est devenue moins l’un des sens du texte.
l’icône de la puissance militaire américaine. 3 1. Le nom « principes » accompagné de l’adjectif
Kienholz a couvert tous les éléments de poussière antéposé « grands » désigne les idées morales
grisâtre, atténuant les couleurs de l’affiche, diminuant fondamentales selon lesquelles s’organise l’action
ainsi l’exaltation. Il a mis par ailleurs Kate Smith dans humaine : recherche du Bien, fuite du Mal. Mais
une poubelle et a fait monter les marines sur une chaise l’expression a toujours une connotation critique : les
de café. Tous ces éléments indiquent qu’il s’agit d’une principes du Bien, que la pratique ne met jamais en
parodie de la propagande et traduisent l’attitude critique œuvre, restent toujours de « belles idées » sans aucune
de l’artiste face au nationalisme conquérant qui domine concrétisation bénéfique à l’homme.
son pays. 2 et 3. Par « combattants de la Révolution », Finkielkraut
Au milieu, on trouve une dalle de granit noir avec une désigne toutes les forces qui se sont elles-mêmes ainsi
croix blanche qui rappelle une tombe. Kienholz a inscrit à désignées. Il y a eu d’abord les révolutionnaires russes
la craie les noms de tous les pays, y compris des empires qui ont lutté contre le tsarisme et ses partisans, puis
très civilisés et puissants, qui ont disparu à cause des tous les mouvements de libération et d’indépendance
guerres. Il a laissé exprès des parties vierges, suggérant au cours du XXe siècle, de la Chine à Cuba, de l’Algérie
que l’on peut encore en « enterrer » d’autres. au Vietnam. Mais Finkielkraut vise aussi les auteurs
de violence moins politiques, qui s’abritent derrière la
Enfin, à droite, l’artiste a collé une photo grandeur
notion de Révolution pour excuser leurs exactions. Ainsi,
nature d’un diner, un wagon-restaurant rapide typique
les « moujiks », anciens paysans du régime tsariste,
des villes américaines. Les deux personnages tournent le
devinrent les premières victimes de la machine soviétique
dos à la scène et au monde dont ils semblent totalement
qui se proposait initialement de les libérer.
désintéressés. Kienholz suggère que la consommation les
Pendant la guerre d’indépendance qui opposa le Biafra au
pousse à être passifs et repus, laissant passer des choses
Nigéria, de 1968 à 1970, d’innombrables enfants Biafrais
inadmissibles. La propagande leur fait « avaler » les
moururent de faim.
informations comme ils mangent de hamburgers.
Ce dernier exemple est doublement intéressant puisqu’il
renvoie à la création de Médecins sans frontières, à l’insti-
◗ Analyse littéraire gation de Bernard Kouchner et de Max Récamier : jeunes
La notion de contexte ❯ p. 232-233 médecins, ceux-ci avaient d’abord répondu à l’appel de la
Croix-Rouge pour servir dans les hôpitaux de fortune des
Le contexte d’un mot
insurgés biafrais. Refusant de quitter le lieu des combats,
1 a. « Image » : photographie, instantané de vie.
comme la Croix Rouge le voulait devant l’impossibilité
b. « Vivre » : profiter de l’instant présent. de remplir la mission, ils témoignèrent des atrocités qu’ils
avaient vues et décidèrent de créer, en 1971, M.S.F. ;
Le contexte d’une œuvre désormais, cette organisation humanitaire revendiquerait
2 1. TICE Didier Daeninckx insère dans des fictions un le droit à l’ingérence et à la communication, contraire-
état du monde contemporain : il y combat particulièrement ment aux idées d’Henri Dunant, le fondateur de la Croix
pour la vérité et contre l’injustice, l’illégalité, la raison Rouge (1863).
d’état, s’intéresse aux marginaux et plus généralement 3. TICE On envisagera l’importance du mouvement des
aux victimes de l’Histoire et de la société. « nouveaux philosophes » caractérisé par la prise de
2. En 1998, on faisait état de divers foyers de guerres conscience de l’inhumanité concrète du marxisme, et le
ethniques et civiles : combats au Kosovo ; état d’urgence développement d’un nouvel humanisme qui prétend agir
au Sri Lanka ; intervention du Sénégal et de la Guinée en pour l’homme en ignorant délibérément les idéologies.
Guinée Bissau ; sans parler du Tadjikistan, du Congo, du 4. Est mise en cause ici l’attitude qui consiste à ne s’engager
Chili et de l’Angola… qu’en fonction de l’idéologie de ceux que l’on se propose de
3. Le slogan de Paris Match était : « Le poids des mots, le sauver, et à considérer que seuls les révolutionnaires victimes
choc des photos ». des forces contre-révolutionnaires méritent l’intérêt.
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Au contraire, Finkielkraut préconise d’en revenir à 4 1. TICE On pourra se rapporter au site personnel du
« l’universalisme naïf » qui présida à la création de la caricaturiste.
Croix Rouge : il s’agit de préserver toutes les vies 2. La chute du mur de Berlin fut accueillie dans le
humaines, quelle que soit leur idéologie. monde avec une euphorie qu’il est difficile aux élèves
Le titre de l’ouvrage signifie clairement que la prédomi- d’aujourd’hui d’imaginer. Le dessin de Plantu s’en fait
nance des idéologies révolutionnaires a fait perdre de vue l’écho et donne à l’événement historique une dimension
le fondement moral de toute action humaine, qui est de affective, de fête populaire, de liesse générale, qui le
faire concrètement du bien à l’homme. « L’humanité », dépasse ; le dessin tient parfaitement compte, à travers
avec son double sens, fait référence aussi bien à l’en- l’exagération de la caricature, du contexte historique.
semble des hommes (d’où l’universalisme) qu’au Ainsi le violoncelliste à gauche rappelle le geste de
sentiment d’humanité envers les hommes, d’où l’expres- Rostropovitch, les colonnes de la porte de Brandebourg
sion du texte étudié dans le manuel, p. 224 : « L’homme dansent, le char qui la couronne s’anime et le soleil brille
humanitaire cède à la pitié ». (l. 30) sur le drapeau allemand.
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L e texte théâtral
Partie
3 et ses représentations
du XVIIe siècle à nos jours
Chapitre
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Chapitre
• 120
Chapitre
129 •
Chapitre
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L e roman
Partie
4 et ses personnages
de l’illusion au soupçon
Chapitre
13 La naissance du personnage,
des bergers de L’Astrée aux libertins de Laclos
❯ MANUEL, PAGES 358-381
151 •
Chapitre