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BAC GÉNÉRAL 2023

Correction épreuve de français

COMMENTAIRE

Diderot, Salon de 1767


Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle

Lorsqu’on évoque le XVIIIème siècle, on pense en premier lieu au rationalisme qui le


caractérise et aux combats politiques et sociaux que les penseurs de ce temps ont menés.
Pourtant, le XVIIIème siècle est également celui de l’émotion et de la sensibilité, et les
philosophes des Lumières s’intéressent à ce qui peut toucher l’homme, l’émouvoir. Ainsi,
Denis Diderot, connu pour être initiateur du projet de l’Encyclopédie, se fait aussi critique
d’art. Lors du Salon de 1767, il livre son sentiment à propos du tableau d’Hubert Robert,
Grande Galerie antique. Le commentaire artistique laisse bientôt place à une rêverie
provoquée par l’observation de l’œuvre.
Il convient alors de se demander de quelle manière la contemplation de l’œuvre d’art
permet à Diderot de se livrer à une réflexion philosophique où s’exprime sa sensibilité. Ainsi,
nous verrons que la contemplation rendue dans l’extrait est une contemplation intérieure,
puis nous étudierons comment elle permet une réflexion sur le caractère éphémère de
l’activité humaine.

I. Une contemplation intérieure

1) La contemplation d’une œuvre d’art


● Lien fait dès la première phrase entre l’observation et la réflexion (« idées » /
« ruines » ligne 1) ;
● Sens de la vue : « je jette les yeux » (l.3-4), « je vois » (l.7) ;
● Évocation des œuvres d’art « les ruines » (l.1), « une ruine » (l.12), « le bronze » (l.9)
● Dimension descriptive de l’extrait : énumération ligne 6.

2) Une contemplation qui mène à l’émotion : texte lyrique


● Omniprésence de la première personne du singulier sous différentes formes
grammaticales : « moi » (l.1), « Je » (l.3, 7, 8, etc.), « me » (l.4, 22), « mon » (l.5, 20) ;
● Exclamatives (lignes 3, 6, 8, 9,11) dont certaines ressemblent à un cri de désespoir
spontané (« et je ne veux pas mourir ! » ligne 8) + épanorthose « moi, moi seul »
(l.10) ;
● Vocabulaire de la sensibilité « mon cœur » (l.15), « mon âme » (l.19), « m’affliger,
verser des larmes » (l.23).

3) L’art est ainsi présenté comme lieu de mise à l’écart, propre à une
contemplation de soi.
● Exploration de son intériorité : « j’envie » (l.8), « je frémis » (l.12), « je m’y promets »
(l.12), « plus près de moi » (l.13), « je m’alarme et me rassure » (l.16), « je puis me
parler tout haut » (l.22-23) ;
● Un lieu vers lequel aller (« je marche », l.3) et mis en valeur : anaphore des
présentatifs (« c’est là », l.13-16) ;
● Un lieu solitaire : énumération de groupes prépositionnels négatifs introduits
par « sans » (l.14-15), en opposition avec le « tumulte » des villes et des foules
(énumération voire accumulation l.17-18) ;
● Gradation croissante : à la ligne 13, retour vers soi presque physique ;
● Retour vers soi qui permet aussi de créer un lien profond et vrai avec l’autre :
paradoxe entre l’expression « je regrette mon amie » et l’expression « nous
jouirons de nous » (l.14).

II. Une réflexion philosophique sur le caractère éphémère de l’activité humaine

1) Les ruines comme symbole du temps qui passe et détruit toute construction
humaine.
● Gradation décroissante (l.1-2) qui fait le lien entre temps et anéantissement ;
● Parallélisme de construction à la ligne 2 avec deux négations restrictives et des verbes
synonymes ;
● Rien n’est épargné par le temps : même le « marbre des tombeaux » (l.7-8), pourtant
symbole d’éternité (marbre = matériau dur, qui ne s’érode pas ; tombeaux = mort,
éternité), « tomb(e) en poussière ». C’est une référence à la mythologie biblique +
aux vanités ;
● Le passage du temps est montré dans son processus grâce à l’accumulation de verbes
montrant l’effet du temps sur le monde et la nature : « s’affaisse », « se creuse »,
« chancelle », « s’ébranlent » aux lignes 6 et 7

2) La place de l’homme dans l’éternité


● Image à la ligne 3 : « je marche entre deux éternités », on est à la limite de l’allégorie
de la condition humaine ;
● Interrogation fondamentale exprimée dans la seule phrase interrogative du texte,
ligne 7 : « Qu’est-ce que mon existence éphémère … ? » ;
● Une réflexion qui se construit de l’observation (premier paragraphe) à l’hypothèse
(systèmes hypothétiques ligne 12 et ligne 19) pour interroger sa propre place dans
l’éternité.

3) La sensibilité comme voie vers la liberté et le bonheur.


● Progression dans l’extrait, d’une émotion qui apparaît comme réaction spontanée à la
vue de l’œuvre jusqu’à une sensibilité sans contrainte, expression d’une liberté :
« qu’il est vieux ce monde ! » (l.2-3) à « verser des larmes sans contrainte » (l.23) ;
● Des « tombeaux » (l.8) à « la douceur de son repos » (l.20) ;
● L’affliction et la solitude sont l’expression d’une âme apaisée, libérée du tumulte.

Diderot livre ici un texte qui semble s’éloigner de la critique d’art et de la réflexion rationnelle
mais qui, pour autant, propose une réflexion philosophique dans laquelle la sensibilité joue
un rôle premier. Cette page profonde et touchante semble préromantique et nous fait penser
à une Rêverie du promeneur solitaire de Rousseau.
DISSERTATION

Sujet A - Abbé Prévost, Manon Lescaut


Parcours : personnages en marge, plaisirs du romanesque

Le plaisir de lire Manon Lescaut ne tient-il qu’au récit d’une passion amoureuse ?

On prête à Antoine François Prévost une vie pleine de rebondissements qui peut
sembler bien éloignée de son statut ecclésiastique. La passion amoureuse aurait souvent
guidé ses choix, associée à un désir fort de liberté. Ainsi L’histoire du chevalier des Grieux et
de Manon Lescaut publiée en 1731, serait partiellement inspirée de l’existence tumultueuse
de son auteur qui s’est plus d’une fois écarté des valeurs portées par son éducation, sa
fonction et son origine sociale. Il est certain que le récit que le jeune Des Grieux fait au
marquis de Renoncour donne la primauté aux aventures engendrées par l’amour fou que le
jeune homme de bonne famille a éprouvé pour la belle Manon. Mais le plaisir du lecteur ne
tient-il qu’au récit d’une passion amoureuse ? N’y a-t-il pas d’autres ressorts romanesques
ainsi qu’une dimension réflexive qui séduisent tout autant le public ?
Nous verrons tout d’abord que l’histoire d’une passion amoureuse entre deux amants
que tout opposait charme le lecteur, puis que ce roman mobilise tous les plaisirs engendrés
par le roman d’aventures. Enfin, guidé par les propos de l’auteur dans l’Avis liminaire, nous
comprendrons qu’« outre le plaisir d'une lecture agréable, on y trouvera peu d'événements
qui ne puissent servir à l'instruction des mœurs ». Nous verrons que cette dimension
réflexive participe également au plaisir de la lecture.

I. Le récit plaisant d’une passion amoureuse

1) L’amour au premier regard


Deux jeunes gens, très beaux, se rencontrent de manière parfaitement fortuite.
Des Grieux est immédiatement séduit : « elle me parut si charmante (…) que je me trouvais
enflammé jusqu’au transport ». Topos amoureux du coup de foudre.
Exemple :
- Manon : « Je te jure, mon cher chevalier, que tu es l’idole de mon cœur, et qu’il n’y a
que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je t’aime »
// Flaubert, L’Education sentimentale, coup de foudre de Frédéric pour Mme Arnoux : « Ce
fut comme une apparition »

2) L’idylle
Un roman aux grandes envolées lyriques qui dit l’amour, ses joies et ses peines. Les
personnages exultent de joie, pleurent, se déclarent un amour éternel, se déchirent
également. Émotivité exacerbée.
Exemples :
- un amour sensuel irrésistible dès la première nuit partagée (« nous fraudâmes les
droits de l’église ») ;
- le trouble de Des Grieux face aux démonstrations amoureuses de Manon lors des
retrouvailles au parloir : « À peine eus-je achevé ces derniers mots, qu’elle se leva avec
transport pour venir m’embrasser. Elle m’accabla de mille caresses passionnées. Elle
m’appela par tous les noms que l’amour invente pour exprimer ses plus vives
tendresses. »

3) La « force des passions »


Trahisons, tromperies, disputes et retrouvailles font aussi partie des plaisirs d’une grande
histoire d’amour. Ressorts mélodramatiques qui font vibrer le lecteur.
Exemple :
- les retrouvailles au parloir : « Le désordre de mon âme en l’écoutant ne saurait être
exprimé. »
// Dans Le Confident d’Hélène Grémillon, passion interdite entre Annie et Paul. La trahison
que représente cette passion adultère pour l’épouse de Paul, confidente et amie d’Annie.

II. Le plaisir de lecture : les ressorts romanesques du roman d’aventures et du


roman en général

1) Des aventures rocambolesques – des rebondissements


Le roman est sans cesse rythmé par des aventures qui tiennent le lecteur en haleine.
Exemple :
- le meurtre de Lescaut, le travestissement de Manon pour s’évader de Saint Lazare,
Des Grieux sans culotte dans les rues de Paris.
// L’enlèvement de Pauline dans le roman éponyme de Dumas.
// L’évasion d’Edmond Dantès dans le Comte de Monte-Cristo de Dumas

2) Des aventures libertines qui séduisent et amusent le lecteur


Exemple :
- « Manon était passionnée pour le plaisir ; je l’étais pour elle : il nous naissait à tous
moments de nouvelles occasions de dépense ; et, loin de regretter les sommes qu’elle
employait quelquefois avec profusion, je fus le premier à lui procurer tout ce que je
croyais propre à lui plaire. »
Ce roman, bien que l’Abbé Prévost s’en défende présente aussi les charmes de la vie
libertine : profiter des plaisirs de la vie, être en quête du divertissement en bafouant la
morale, satisfaire de manière immédiate ses désirs sans se soucier du salut de son âme.
Exemple :
- « C’était du plaisir et des passe-temps qu’il lui fallait.[…] rien n’était plus facile que de
la satisfaire, en lui faisant naître tous les jours des amusements de son goût. »

3) Un roman ancré dans le réel, ce qui permet le plaisir de l’identification


Les amants se déplacent dans des lieux familiers (Chaillot, Paris, Amiens, Le Havre, etc.),
l’auteur mentionne des lieux célèbres (le séminaire de St Sulpice, la Sorbonne, L’hôpital,
l’Opéra, etc.) L’Abbé Prévost joue d’ailleurs avec cet effet de miroir et de reconnaissance
possible en ne citant que les initiales de certains personnages pour préserver leur anonymat
(M. de B, M. de G… M… , M. de T).
// La Délicatesse de David Foenkinos entre Paris et la Normandie, roman qui joue avec de
nombreuses références de notre quotidien.
4) L’émotion suscitée par les moments lyriques, dramatiques tragiques – le
mélange des registres distrait le lecteur
Dramatisation par le suspens et les actions tendues comme l’évasion de Des Grieux et
Manon.
Comique des stratagèmes montés par les amants pour piéger les amants trop pressants.
Tragique de la mort de Manon dans le désert, Des Grieux qui l’enterre de ses mains
// La mort de la courtisane dans les bras de son amant dans La Dame aux camélias
d’Alexandre Dumas.

III. Au-delà des aventures amoureuses, une dimension réflexive passionnante

1) La question complexe de la moralité ou de l’immoralité du roman


● La volonté moraliste affichée par l’auteur
« [Le public] verra, dans la conduite de M. Des Grieux, un exemple terrible de la force des
passions. J'ai à peindre un jeune aveugle, qui refuse d'être heureux, pour se précipiter
volontairement dans les dernières infortunes ; qui, avec toutes les qualités dont se forme le
plus brillant mérite, préfère, par choix, une vie obscure et vagabonde, à tous les avantages de
la fortune et de la nature ; qui prévoit ses malheurs, sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui
en est accablé, sans profiter des remèdes qu'on lui offre sans cesse et qui peuvent à tous
moments les finir ; enfin un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste
perpétuel de bons sentiments et d'actions mauvaises. »

● Cf citation de Montesquieu : « le héros est un fripon et l'héroïne une catin »


Ce roman met en scène des actions libertines. Manon est mue par la recherche de plaisirs
immédiats, des désirs de luxe et de sensualité. Des Grieux bafoue toutes ses valeurs par
amour, il trahit son père et son meilleur ami Tiberge, modèle absolu de fidélité et de droiture
morale. L’immoralité qu’entraine la « force terrible des passions » semble sans limites (Des
Grieux est emprisonné et devient meurtrier).

● L’auteur prévient les critiques et les attaques en expliquant que son œuvre montre
que la passion, en faisant perdre vertu et raison, conduit à une fin tragique.
Pour gagner en crédibilité dans ce projet d’édifier le lecteur, il donne à voir le rachat des
amants en Louisiane qui adoptent une vie simple et pure, et montre le repentir de Manon
qui semble enfin sincère : « Je ne cesse point de me reprocher mes inconstances, et de
m’attendrir, en admirant de quoi l’amour vous a rendu capable, pour une malheureuse qui
n’était pas digne ».
Il fait de Tiberge un parangon de vertu, un contrepoint et un modèle : « J’avais autant de
penchant que vous vers la volupté, mais le ciel m’avait donné, en même temps, du goût pour
la vertu. (...) J’ai conçu pour le monde un mépris auquel il n’y a rien d’égal ». Tiberge reste
fidèle à sa vocation religieuse, à son ami et le met en garde contre les dangers du libertinage
dans de longs sermons qui ennuient Des Grieux : « il m’exhorta à profiter de cette erreur de
jeunesse pour ouvrir les yeux sur la vanité des plaisir. », Tiberge « Le poison du plaisir vous a
fait écarter du chemin », « La plus terrible punition de dieu serait de vous en laisser jouir
tranquillement ».

En dépit des protestations de l’auteur, la portée morale du roman demeure


ambiguë, comme l’ont bien senti d’ailleurs les autorités qui interdisent le roman et le
condamnent à l’autodafé : «  le vice et le débordement y sont peints avec des traits qui n’en
donnent pas assez d ‘horreur ».
// La première rencontre entre Jean Valjean et l’évêque qui confronte deux système des
valeurs et augure le rachat du galérien (Les Misérables de Victor Hugo)

2) Un roman de mœurs, tableau d’une époque


● Une société traversée par des valeurs et des aspirations contradictoires.
L’histoire du roman commence en 1715 ; Louis XIV, à la morale rigoriste, vient de décéder,
laissant le trône à un Louis XV trop jeune. C’est alors Philippe d’Orléans qui devient Régent
jusqu'en 1723. Une frange de la population, qu’on appelait les Libertins, ose désormais
émettre des idées anticonformistes. S’entrechoquent dans la société l’idéal janséniste, les
pensées libertines et les prémices des idéaux des Lumières.

● Une société corrompue par l’argent et la dépravation.


Exemples :
- cercle de jeu où Des Grieux et Lescaut s’encanaillent, trichent, s’enrichissent, se
ruinent ;
- gardes corrompus par l’argent, valets roublards qui volent leurs maîtres sans remords,
père qui fait enlever son fils par des hommes de main, courtisanerie entretenue par
des vieux libidineux, frère prêt à prostituer sa sœur et son beau frère, Manon qui
offre une jeune courtisane à son amant pour se faire pardonner ses propres
infidélités !

● Une réflexion sur le statut des femmes au XVIIIème siècle : quelles perspectives
quand on n’est pas bien née. Fille de joie, elle est déportée au Mississipi et destinée à
être mariée de force à Synnelet, le neveu du gouverneur.
// Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre 81, le parcours de Mme Merteuil et le choix du
libertinage comme une résistance à la volonté de la société et des hommes qui entrave les
femmes.
// film Jeanne du Barry de Maïwenn.

3) Une réflexion sur le bonheur et ce qui fait le sel de l’existence


La liberté d’assumer sa vie : Des Grieux trouve dans l’amour la force de tenir tête à son père
et de renoncer à une vocation qui l’entrave.

Certes Manon et Des Grieux se conduisent de manière immorale mais ils sont en quête du
bonheur et l’amour du jeune homme est sincère et absolu. Des Grieux pourrait dire comme
le fera Perdican un siècle plus tard dans On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset :
« On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et
quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit :
j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. »

Conclusion :
Plaisirs multiples de la lecture
PLACERE : récit d’une grande histoire d’amour qui convoque tous les plaisirs du romanesque.
DOCERE : faire réfléchir et instruire moralement le lecteur
Beaucoup d’autres plaisirs qui s’enrichissent au fil des lectures et du temps. Complexité des
interprétations, ambigüité des jugements, croisement des regards : c’est ce qui fait une
grande œuvre littéraire, un classique.

Sujet B - Balzac, La Peau de chagrin


Parcours : les romans de l’énergie : création et destruction

Peut-on lire La Peau de chagrin comme le tableau d’un monde exténué ?

Publié en 1831 peu après la Révolution de Juillet, au cours de laquelle Charles X


abandonne son trône au profit de Louis-Philippe, La Peau de chagrin est un des premiers
grands romans signés par Balzac. C’est aussi celui par lequel il acquiert une notoriété
publique. Cette œuvre s’inscrit dans le Parcours des romans de l’énergie, où les thèmes de la
création et de la destruction prédominent.
Raphaël, fils du marquis de Valentin, se retrouve orphelin et ruiné à l’âge de
vingt-deux ans. Il vit à Paris dans l’hôtel Saint-Quentin, où, pendant deux années d’une vie
studieuse et misérable, il rédige une œuvre philosophique avec l’espoir de connaître la gloire
et le succès. À travers ses expériences malheureuses, on découvre une ville où coexistent des
mondes parallèles : d’un côté les puissants et les argentés, de l’autre les miséreux. Animé par
le désir d’atteindre le sommet de la hiérarchie sociale, Raphaël se heurte à plusieurs cercles
de pouvoir. Ainsi, à la faveur de ses échecs, nous sommes portés à nous interroger sur la
possibilité de lire La Peau de chagrin comme le tableau d’un monde exténué.
Pour répondre à ce questionnement, nous montrerons que La Peau de chagrin est
d’abord le tableau d’un monde urbain, élitiste, parfois arriviste, en plein délitement, mais qui
donne aux plus ambitieux, notamment les jeunes gens, des promesses de réussite sociale
incomparable, à condition d’être en mesure de pénétrer dans les cercles fermés du pouvoir.

I. La Peau de chagrin, le tableau d’un monde urbain, élitiste, en plein délitement

1) Les cercles mondains et privés de la capitale


a) Le jeu et les spectacles
b) Les cercles mondains
2) Le délitement moral de la haute société parisienne
a) Les orgies
b) Un monde cynique dominé par les apparences

II. La Peau de chagrin, le tableau d’un monde plein de promesses


1) Paris, la seule ville où peuvent se réaliser les rêves de gloire et d’amour
a) Le protagoniste en quête d’une notoriété littéraire
b) Les aventures amoureuses de Raphaël
2) Paris, le lieu des rencontres fatales
a) L’antiquaire
b) Pauline

III. La Peau de chagrin, le tableau d’un monde fermé, plutôt que celui d’un monde exténué

1) Les premiers échecs de Raphaël


a) Le refus éditorial essuyé par Raphaël
b) Le mépris infligé par Fœdora
2) La peau, outil merveilleux de l’ascension sociale fulgurante du protagoniste
a) Un contrat diabolique monnayant la vie de Raphaël contre la réalisation de ses
désirs d’ascension sociale
b) Un roman didactique et critique ?

Si l’on peut parler de monde exténué à la lecture de La Peau de chagrin, c’est bien
seulement parce que Raphaël, après avoir accepté le contrat que lui propose le mystérieux
antiquaire, se vide de son énergie vitale à mesure que la peau l’aide à accomplir ses désirs. Il
semble plus approprié de parler d’un monde fermé et exclusif où s’exercent les différents
organes du pouvoir. Raphaël, soucieux d’y pénétrer, représente ceux animés d’ambitions
immodérées de réussite sociale qui hypothèquent en jours de vie ce qu’ils espèrent gagner
en jours de gloire. En fait, Raphaël n’est-il pas le miroir autobiographique de Balzac jeune, qui
dans sa découverte ambitieuse du microcosme parisien se heurte à de multiples cercles de
pouvoir ? Paris est ainsi présentée comme le lieu des accomplissements individuels, pour
peu qu’on y fasse des rencontres exceptionnelles et qu’on s’arme de patience. Mais, c’est
s’engager dans une voie où l’on risque d’y laisser sa santé et sa tranquillité mentale.
C’est, en somme, toute l’histoire de la Comédie humaine, qui présente ici ou là des
personnages arrivistes prêts à jouer leur vie sur le tapis d’une société impitoyable où
s’agitent agneaux et loups.

Sujet C : Colette, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne


Parcours : la célébration du monde

Peut-on considérer Sido et Les Vrilles de la vigne comme des œuvres de l’émerveillement ?

I. S’émerveiller de la beauté du monde et fusionner avec la nature

1) La célébration de la nature
« Sous la plume de Colette, tout vit et tout vibre » Albéric Cahuet, L’illustration, 1930.

Paysages aimés
Les jardins de la maison familiale.
La campagne de son enfance.
La maison bretonne de Colette et Missy nommée Rozven, « la rose des vents ».
// Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire, 1782 où l’autobiographe raconte
ses promenades et ses collectes de végétaux sans jamais se lasser du « spectacle du
monde ».
// Camus dans Noces, 1939 : célébration lyrique d’une nature magique entre terre et mer,
baignée de lumière. Sentiment d’être pleinement homme dans cet environnement.

Éblouissement de la nature 
La mère de Colette lui a transmis un regard émerveillé sur la nature.
Exemples :
- sa mère admire la beauté du merle plutôt que de le chasser pour qu’il ne mange pas
ses cerises ;
- l’observation des signes annonciateurs de l’hiver.

2) Une approche sensuelle du monde


Perceptions sensorielles retranscrites avec volupté.
La nature suscite le désir : « On désire le bond roux d’un écureuil ou le lumineux petit derrière
des lapins. »
// L’éducation des jeunes filles de George Sand dans Histoire de ma vie en 1855 : bonheur de
vivre à Nohant et de contempler une nature en liberté  : « Les oiseaux sont les seuls êtres de
la création sur lesquels j’aie jamais exercé une puissance fascinatrice ».

3) Une écriture poétique qui chante le monde


Exemple :
- description de la forêt de Crécy, « A la première haleine de la forêt, mon cœur se
gonfle. Un ancien moi-même se dresse, tressaille d’une triste allégresse, pointe les
oreilles, avec des narines ouvertes pour boire le parfum » : synesthésie « boire le
parfum », oxymore, verbe des perceptions, rime intérieure.

II. L’émerveillement nostalgique d’une enfance marquée par la figure maternelle

1) Le chant d’amour qui célèbre la figure maternelle


Exemple :
- Un portrait épidictique qui célèbre un amour filial inconditionnel : « Elle revenait chez
nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d’étoffes en coupons, mais
surtout de programmes de spectacles et d’essence à la violette, et elle commençait de
nous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu’elle ne dédaignait
rien. En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le
nouveau magasin, entendu le ténor et la conférence sur la Musique birmane. Elle
rapportait un manteau modeste, des bas d’usage, des gants très chers. […] D’un
geste, d’un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait des
bolducs roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers
noirs goudronnés qui sentaient le calfatage. » extrait de Sido, 1929.
// Albert Cohen, Le Livre de ma mère, 1954 : célébration de l’amour maternel et
réminiscences des souvenirs d’enfance enchantés par cette figure.
// Romain Gary, La promesse de l’aube, 1960 : hommage vibrant à sa mère dont les
ambitions et l’amour l’ont porté toute sa vie.

2) La nostalgie de l’enfance, période où l’on s’émerveille de tout


Exemple :
- amour de Colette pour les violettes : « Ô violettes de mon enfance », « vos petits
visages innombrables », souvenirs de cour d’école où la narratrice les échangeait
contre de petits objets. La couleur et le parfum des violettes la replongent dans une
enfance bienheureuse : « ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton
enfance »). (Les Vrilles de la vigne)
// La réminiscence de la madeleine de Proust dans Du côté de chez Swann, fulgurance
sensorielle de la vue, du goût et de l’odorat.

III. Un regard cependant réaliste et lucide sur le monde

1) Le petit monde de la narratrice saisi avec une grande acuité. Un regard plein
d’humanité sur les êtres vivants.
La famille : frères, sœur (Léo, Juliette, Achille « les sauvages »), parents, rares voisins dans
Sido élargi au beau monde parisien dans Les Vrilles de la vigne.
Regard tantôt sévère, tantôt tendre.
La compagnie des animaux : « les bêtes » qui font partie de la famille.
Ex : le cheval Moffino qui tire la voiture familiale, les oiseaux du jardin, la chatte dont son
décrits les amours avec le matou Nonoche, les chiens …
Parfois ces animaux en disent beaucoup sur les hommes comme Kiki la doucette qui
participe au portrait de sa maîtresse.
Les amours : son mari Willy, les amitiés féminines et l’évocation discrète de sa relation
homosexuelle avec Missy.

2) Un regard sur son époque


Évocation de Paris sous Napoléon III
Richesse de la vie culturelle et artistique.
Dans la section « Music-Halls » : mime, directeur de théâtre, danseuse, diverses figures du
monde du spectacle font leur apparition.

Mondanité et mondaines
Exemples :
- Dans « Printemps de la Riviera » : description d’un bal donné à Nice, du casino de
Monte Carlo. Évocation de la vie mondaine sur la côte d’Azur.
- Colette évoque aussi « les dames qui vivent de leurs charmes », les « femmes de
joie ».
3) Une certaine gravité et la conscience d’un bonheur fragile :
Le capitaine, son père, un homme insaisissable
« Il était poète et citadin » : dans la section du Capitaine, elle évoque les goûts de son père
pour la politique, pour les « parties de campagne ».

Ex : lorsque le lecteur découvre que le père de l’auteure est revenu de la guerre amputé :
« […] mon brillant, mon allègre père nourrissait la tristesse profonde des amputés. Nous
n’avions presque pas conscience qu’il lui manquât, coupée en haut de la cuisse, une jambe.
Qu’eussions-nous dit à le voir soudain marcher comme tout le monde ? » Colette, Sido, 1929.

La conscience du temps qui passe


Dans Les Vrilles de la vigne, Colette évoque la dernière danse où elle affrontera la mort. Dans
Rêverie de nouvel an, elle s’interroge : « Une année de plus… à quoi bon les compter ? »
L’héritage maternel est toujours présent, que ce soit dans la manière de se maquiller
(« Maquillages ») ou bien dans la réminiscence de la paix d’un jardin.

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