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Arthur Rimbaud « Ma bohème »

Analyse linéaire

Introduction

"Ma Bohème" d'Arthur Rimbaud est un poème écrit en 1870 et tiré des « Cahiers de Douai » qui
capture l'esprit errant et libre du poète, dépeignant ses vagabondages à travers la nature et
l'expérience poétique. Rimbaud utilise une structure formelle inhabituelle pour un sonnet, avec sept
rimes différentes, mettant en évidence la singularité de son approche artistique. Ce poème explore le
thème du vagabondage joyeux, soulignant la symbiose entre la nature, la poésie et la liberté. L'analyse
linéaire mettra en lumière la manière dont Rimbaud transfigure son expérience personnelle à travers
la poésie, offrant une vision idéalisée de ses errances adolescentes.

Comment Rimbaud exprime-t-il l'expérience de l'errance et sa relation à la poésie dans 'Ma Bohème'
?

Notre analyse se découpera en quatre mouvements, explorant respectivement le vagabondage du


poète (vers 1-4), les conditions matérielles de son errance (vers 5-8), son rapport à la poésie (vers 9-
11), et le pouvoir transfigurateur de cette dernière (vers 12-14). Ces mouvements guideront notre
compréhension de la poésie rimbaldienne, révélant les multiples facettes de cette œuvre où la réalité
quotidienne se mêle à l'élan poétique.

I Le vagabondage du poète (Vers 1-4)

a. Portrait du poète en mouvement (Vers 1-2) : Le poème s'ouvre sur un récit en première personne
avec le pronom "Je", immédiatement suivi de "m'en allais", indiquant un déplacement. Les pronoms
possessifs "mon" et "ma" suggèrent une appropriation personnelle de l'errance, soulignant
l'individualité du narrateur. L'emploi du verbe "j'allais" renforce le mouvement, évoquant une
progression constante. « Les poings » suggèrent une position caractéristique des mains et mettent en
lumière, la révolte qui pousse le jeune poète à la fugue.

b. Interpellation de la Muse (Vers 3) : L'apostrophe "Muse !", avec l'exclamation, révèle l'appel direct
du poète à l'entité inspiratrice. Le choix du terme féodal "féal" souligne un engagement dévoué envers
la Muse, établissant un lien intime et loyal.

c. Atmosphère poétique (Vers 4) : L'utilisation du discours direct "J'étais ton féal..." instaure une
atmosphère poétique, comme si le narrateur racontait son histoire à la Muse. L'imparfait "j'étais"
suggère une habitude, évoquant une relation déjà existante entre le poète et la Muse. Les interjections
"Oh! là! là!" ajoutent une nuance d'enthousiasme, soulignant l'émotion du narrateur et son idée de
rompre avec les règles traditionnelles du sonnet. Le poète utilise un langage familier et marque une
dislocation du vers.

d. Synthèse du mouvement : La première strophe esquisse un portrait du poète en mouvement,


décrivant son engagement envers la Muse. L'utilisation du discours direct et de l'imparfait crée une
atmosphère poétique, tandis que l'interpellation de la Muse établit un lien entre le poète et son
inspiration. L'ensemble crée un élan initial, capturant l'essence de l'errance poétique à venir.

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II Les conditions matérielles de l'errance (Vers 5-8)

a. Poursuite de l'errance (Vers 5-6) : Les compléments circonstanciels de lieu "Sous le ciel" et "au milieu
des ombres" indiquent des lieux vagues, soulignant la nature itinérante du poète. L'utilisation du mot
"auberge" renvoie à l'idée d'un abri temporaire, soulignant l'aspect éphémère de son séjour. La
préposition suivi du complément de lieu "dans ma course" renforce l'idée d'un mouvement continu et
effréné.

b. Évocation du Petit Poucet poétique (Vers 7) : La métaphore filée du "Petit Poucet rêveur" qui associe
les rimes aux cailloux guides évoque le célèbre personnage de conte qui marque son chemin avec des
cailloux. Le verbe "j'égrenais" établit bien un parallèle entre les rimes du poète et les cailloux du Petit
Poucet, soulignant le caractère poétique de son itinéraire.

c. Le Poète-fugueur et ses vêtements (Vers 8) : L'image du narrateur avec "Mes poches crevées / Mon
paletot devenait idéal / unique culotte / large trou" suggère à la fois la détérioration de ses vêtements
et son indifférence à cet état. Cela renvoie à l’adjectif "idéal" du premier vers pour décrire le paletot
apporte une nuance ironique, soulignant le contraste entre la réalité matérielle et l'idéal poétique du
narrateur. La synesthésie « doux frou-frou » renvoie au toucher et au son du tissu. L’utilisation de ce
mot à tiret marque encore liberté du poète par rapport à la prosodie classique.

d. Synthèse du mouvement : La deuxième strophe développe l'image du poète en errance, soulignant


la fugacité de son séjour dans des lieux indéterminés. La référence au Petit Poucet crée une
atmosphère féérique, mettant en valeur le caractère poétique de son cheminement. En décrivant la
détérioration de ses vêtements, le poème évoque une indifférence du narrateur envers les aspects
matériels, privilégiant plutôt l'idéal poétique. L'ensemble contribue à la représentation du poète
comme un fugueur insouciant et détaché.

III Son rapport à la nature et aux sensations (Vers 9-11)

a. Contemplation au bord des routes (Vers 9) : Le narrateur décrit une scène de contemplation,
soulignant une proximité avec la nature par l'image de s'asseoir "au bord des routes". Cela évoque une
attitude de recueillement, symbolisant peut-être la pause dans son errance.

b. Évocation des soirs de septembre (Vers 10) : La mention spécifique des "bons soirs de septembre"
évoque une atmosphère particulière. Le choix du mois de septembre peut être symbolique, associé à
la transition entre l'été et l'automne, une période de réflexion ou de changement.

c. Expérience sensuelle de la rosée (Vers 11) : L'utilisation de l'expression "où je sentais des gouttes /
De rosée à mon front" ajoute une dimension sensorielle à la scène. La rosée est comparée à un "vin de
vigueur", suggérant une énergie rafraîchissante et revigorante. Cette comparaison poétique met en
avant la nature bienfaisante de la contemplation. Elle fait référence chez Rimbaud à un philtre aux
pouvoirs magiques.

d. Synthèse du mouvement : Le troisième mouvement évoque la relation intime du poète avec la


nature quasi maternelle et protectrice, illustrée par ses moments de contemplation au bord des
routes, notamment les "bons soirs de septembre". La scène décrite, où le narrateur ressent la rosée
sur son front, est chargée de significations sensorielles. La comparaison de la rosée à un "vin de
vigueur" accentue l'idée de cette expérience comme une source d'énergie revigorante. Ainsi, cette
strophe souligne le lien du poète avec les éléments naturels, renforçant le thème de la symbiose entre
le poète et son environnement.

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IV Le pouvoir transfigurateur de la poésie (Vers 12-14)

a. La poésie comme créatrice d'harmonie (Vers 12) : Le vers "Comme des lyres, je tirais les élastiques"
utilise la comparaison avec des lyres, des instruments musicaux, pour illustrer la capacité du poète à
créer de la musique, de l'harmonie, au sein même de l'obscurité. La métaphore des élastiques des
souliers évoque la tension créatrice du poète qui tire de la poésie de ses propres expériences difficiles.

b. La douleur et la création poétique (Vers 13) : L’image "De mes souliers blessés" symbolise la
souffrance du poète, peut-être liée à son errance et à son dénuement matériel. Cette souffrance
devient le point de départ de sa créativité, soulignant la capacité de la poésie à transformer les
expériences douloureuses en quelque chose de beau et de significatif.

c. L'Intimité du poète avec sa création (Vers 14) : La phrase "un pied près de mon coeur" établit une
connexion intime entre le poète, son acte créatif, et son être intérieur. Cela suggère que la poésie
émane profondément du cœur du poète, soulignant l'authenticité et la passion qui sous-tendent son
expression artistique.

d. Synthèse du mouvement : La dernière strophe met en lumière le pouvoir transfigurateur de la poésie.


En utilisant des métaphores et des comparaisons, le poète décrit comment il transforme les éléments
difficiles de sa vie en source d'inspiration. L’image des lyres et l'intimité exprimée dans la relation entre
le pied et le cœur soulignent la puissance créatrice de la poésie, capable d'extraire la beauté même
des expériences douloureuses. La fin du poème évoque la capacité de la poésie à transcender les
aspects sombres de la vie et à les transformer en quelque chose de lumineux et d'harmonieux.

Conclusion
"Ma Bohème" d'Arthur Rimbaud nous plonge dans l'univers éclatant de l'errance et de la création
poétique, révélant la symbiose entre la liberté, la nature, et l'expression artistique. À travers une
analyse minutieuse, nous avons saisi comment Rimbaud transcende les conventions formelles,
exprime son lien intime avec la poésie, et confère un pouvoir transfigurateur à ses vers.

Cependant, pour une perspective élargie sur l'évolution poétique de Rimbaud, "Le Bateau Ivre" offre
une exploration métaphysique. En explorant "Le Bateau Ivre", nous plongeons au cœur d'un poème
où les thèmes de la dérive, de la révolte, et de l'expérimentation poétique s'entremêlent. Le bateau
ivre devient une métaphore du poète, embarqué dans un voyage paradoxal et mouvementé, celui de
la création poétique. Cette exploration élargit notre vision de "Ma Bohème" et révèle la diversité des
thèmes et des formes poétiques que Rimbaud explore au sein des "Cahiers de Douai".

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