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Introduction
• Edmond Rostand n’a que 29 ans et une toute petite carrière de dramaturge quand L’auteur, son œuvre,
il crée la pièce Cyrano de Bergerac en 1897. Alors que la pièce risque d’être un le contexte historique
échec et s’est montée dans des conditions compliquées, son succès est colossal. et artistique
• La pièce met en scène le personnage de Cyrano, poète amoureux de sa cousine
Roxane mais défiguré par un nez proéminent. Roxane aime Christian et par
amour pour elle, Cyrano va aider Christian à séduire Roxane en lui prêtant ses
talents de poète. L’œuvre et la
• Nous sommes au début de la pièce, aux scènes 3 et 4 de l’acte I, en pleine situation du passage
exposition. Le spectateur n’a pas encore rencontré le Cyrano qui donne son nom
à la pièce. La scène se situe à l’Hôtel de Bourgogne en 1640. On attend que La
Clorise de Balthazar Baro débute. Le public afflue mais un autre spectacle se
prépare car il se murmure que Cyrano a interdit au comédien Montfleury de
paraître en scène.
• Lecture expressive de la scène. Attention, la lecture est assez technique en raison à Lecture du texte
des alexandrins distribués sur plusieurs répliques.
• Projet de lecture : nous nous demanderons comment la mise en abyme du théâtre
dans le théâtre permet à l’auteur de caractériser Cyrano en le faisant apparaître Annonce du projet de
comme le héros d’un contre-spectacle. lecture
• La scène est structurée en trois mouvements :
o Le début de La Clorise (l. 1 à 6)
o L’irruption d’une voix parasite et tonitruante (l. 7 à 14) Annonce des
o Les spectateurs (de Rostand comme de Baro) découvrent le personnage mouvements du texte
de Cyrano de Bergerac (l. 15 à 29)
On refrappe les trois coups. Le rideau s’ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les côtés, dans des poses insolentes.
Toile de fond représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les
violons jouent doucement.
On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, dans un costume de berger de pastorale, un
chapeau garni de roses penché sur l’oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée.
LE PARTERRE, applaudissant.
Bravo, Montfleury ! Montfleury !
MONTFLEURY,
après avoir salué, jouant le rôle de Phédon.
« Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
Se prescrit à soi-même un exil volontaire,
Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois... »
L’entrée en scène de Montfleury dans La Clorise dans le film Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau (1990)
1Molière d’ailleurs préconisera plus tard un jeu et une diction beaucoup plus naturels, en opposition à Montfleury.
2« Enrubannée » : on notera que pour Cyrano, les rubans symbolisent une forme d’élégance vestimentaire destinée à masquer une moralité
douteuse. Cyrano dira (I, 4) : « Moi c’est moralement que j’ai mes élégances / Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet, / Mais je suis plus
soigné si je suis moins coquet ».
Marion Baudriller, Lycée Pilote Innovant International, 2020-21
II- Deuxième mouvement : l’irruption d’une voix parasite dans La Clorise (l. 7 à 14)
Alors que Montfleury finit son troisième vers, une voix venue du parterre retentit et l’interrompt. Le mot « coquin »,
l’apostrophe ainsi que le tutoiement utilisé, plutôt caractéristiques de la comédie, voire de la farce, accentuent
l’insolence qu’il faut pour interrompre une pièce sérieuse.
Un autre spectacle commence. Le public est venu voir La Clorise, mais il va voir une comédie, une sorte de contre-
spectacle, qui va se jouer hors de la scène.
Nous comprenons qu’il s’agit de Cyrano, même s’il n’est encore désigné que par « une voix », car il fait allusion aux
menaces qu’il a adressées à Montfleury : « ne t’ai-je pas interdit pour un mois ? ». Cela nous est confirmé par la
réplique de Cuigy : « C’est lui ! » et par celle de Le Bret : « Cyrano ! ».
Le public sort de sa torpeur, les questions fusent et se réduisent à des mots-phrases entremêlés : « Hein ? – Quoi ?
– Qu’est-ce ?... » L’agitation est physique, y compris dans les loges où le public est plus sage : « on se lève ». On veut
voir. Ce spectacle-là va peut-être être plus intéressant.
L’attitude des spectateurs de La Clorise est mimétique de la nôtre. Nous sommes au comble de l’impatience : nous
voulons voir Cyrano aussi. Si l’entrée en scène de Montfleury était majestueuse, celle de Cyrano ne manque pas de
panache, d’éclat.
III- Troisième mouvement : les spectateurs (de Rostand comme de Baro) découvrent le personnage de Cyrano
de Bergerac (l. 15 à 29)
Le voici enfin. Son apparition est accompagnée d’une didascalie qui souligne à la fois la terreur qu’il inspire
(« surgissant », « debout sur une chaise »), son attitude de défi (« les bras croisés »), son aspect débraillé (« le feutre
en bataille, la moustache hérissée, le nez terrible »). Pas de rubans chez Cyrano.
La didascalie qui clôt la scène 3 (« Sensation à sa vue ») joue sur les ressources de la mise en abyme théâtrale :
l’apparition de Cyrano produit un effet sur nous, qui l’attendons depuis longtemps, et sur le public de l’Hôtel de
Bourgogne qui met aussi un visage sur cette voix qui perturbe La Clorise. L’entrée en scène de Cyrano aura été
véritablement sensationnelle, tandis que commence à se dessiner un héros éclatant, charismatique, fier, colérique,
bagarreur, beau parleur, poète, et laid…
Scène 4
À présent Montfleury n’essaie plus de jouer son rôle de Phédon. Il appelle les marquis à l’aide. Notons qu’à la
différence du « duc » ou du « comte », le terme de « marquis » est associé à des manières affectées, à une élégance
CYRANO
Que Montfleury s’en aille,
Ou bien je l’essorille et le désentripaille !
UNE VOIX
Mais...
CYRANO
Qu’il sorte !
UNE AUTRE VOIX
Pourtant...
CYRANO
Ce n’est pas encor fait ?
Avec le geste de retrousser ses manches.
Bon ! je vais sur la scène en guise de buffet,
Découper cette mortadelle d’Italie !
Toujours dans le registre de la menace, Cyrano utilise contre Montfleury deux verbes à connotation animalière :
« essorille » et « désentripaille ». Si dans la scène 3, Montfleury « récalcitr[ait] » comme un cheval, ici il tient plutôt
du porc que l’on va cuisiner. « Essoriller » signifie « couper les oreilles », « désentripailler » signifie « retirer les
tripes et les boyaux ». Dans les deux cas, la métaphore est à la fois
dégradante et violente. Et avec ces deux verbes qui évoquent le
couteau du charcutier, Cyrano rappelle implicitement qu’il manie
l’épée comme personne. Toute la salle le sait. La métaphore
charcutière se poursuit quelques vers plus bas : « Bon ! je vais sur
la scène en guise de buffet, / Découper cette mortadelle d’Italie ! »
En plus d’être une fine lame, Cyrano est un orfèvre des mots.
Les voix protestatrices sont toujours aussi inefficaces : Cyrano les
fait taire (« Mais… », « Pourtant… »).
Dans un sursaut de dignité, après avoir été qualifié de porc à
plusieurs reprises, Montfleury tente de se réaffirmer en tant que
grand artiste de théâtre : « En m’insultant, Monsieur, vous insultez
Thalie ! », Thalie étant la muse de la comédie. Le chiasme
« m’ / insultant / insultez / Thalie »
=
=
souligne la très haute estime que Montfleury a de lui-même car il
semble se confondre avec le théâtre, ne faire qu’un avec lui, tout
en se plaçant directement sous la protection d’une des filles de Jean-Marc Nattier, Thalie (1739), Musée des beaux-
Zeus. Le contraste avec l’humiliation qu’il vient de subir est arts de San Francisco
comique !
Marion Baudriller, Lycée Pilote Innovant International, 2020-21
Dans sa dernière réplique, Cyrano fait éclater son talent oratoire, ses qualités de poète et de polémiste. La phrase
est ample, s’étalant sur quatre alexandrins, la syntaxe est élaborée, constituée de quatre propositions (une
principale et trois subordonnées dont une est enchâssée). Cyrano en profite pour insulter encore le comédien (« si
gros et bête comme une urne ») et pour l’humilier de nouveau en lui déniant le droit de se réclamer de Thalie… car
elle lui mettrait son pied aux fesses. L’apparente délicatesse de Cyrano est comique : il feint une politesse exemplaire
comme l’indique la didascalie (« très poli »), ne parle pas de « pied » mais de « cothurne » (la chaussure montante
des comédiens tragiques grecs), et ne parle ni de « fesses » ni de « cul » mais de « quelque part »… Après avoir
laminé le pauvre Montfleury, Cyrano fait le délicat.
Sa supériorité est éclatante. Et aux yeux des deux publics, le héros, c’est lui.
Conclusion
Nous avons voulu montrer comment la mise en abyme du théâtre dans le théâtre permet à l’auteur de caractériser
Cyrano en le faisant apparaître comme le héros d’un contre-spectacle. En effet, pour les spectateurs que nous
sommes, ces deux scènes constituent le moment de l’apparition du héros de la pièce. Cette apparition se fait
progressivement : d’abord par la voix, puis par le corps. Rostand construit la caractérisation de son héros en lui
donnant un public, en lui donnant un éclat et un panache exceptionnels. Le public de l’Hôtel de Bourgogne venu
voir Montfleury dans La Clorise n’en aura vu que trois vers, mais aura assisté en échange à une comédie désopilante
dont Cyrano est le héros incontestable. Tout y est : insultes, menaces de bastonnade, satire sociale, marionnettes,
génie des mots, références littéraires. Ce faisant, Rostand présente son Cyrano : laid, débraillé, poète inouï, fier,
insolent, libre, sûr de sa lame, charismatique, imposant… et amoureux malheureux, car le spectateur ne tardera
pas à découvrir que le réel tort de Montfleury est d’avoir porté les yeux sur la femme que Cyrano aime en secret :
Roxane.