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Dissertation 1 (Belin)

Sujet : Selon cette formule, que l’écrivain Georges Simenon s’amusait à attribuer à Balzac, un
personnage de roman, «c’est n’importe qui dans la rue, mais qui va au bout de lui-même».
Diriez-vous que cette citation s’applique à La Peau de chagrin de Balzac?
Problématique :
Peut-on affirmer que ce qui distingue un personnage romanesque d’un homme quelconque,
c’est l’énergie et l’obstination qu’il déploie à accomplir ses désirs?
Plan détaillé
I. Certes, ce qui distingue souvent le personnage romanesque de l’humanité ordinaire, c’est
l’énergie et l’obstination qu’il met à aller au bout de ses désirs.
a. Montrez en quoi, dans La Peau de chagrin, nombre de personnages sont principalement
définis par leur inébranlable ambition sociale ou financière. (Dans cette sous-partie, vous
pourrez évoquer les personnages de Rastignac, toujours en quête de moyens de subsistance -
la course aux dots de femmes à épouser combinée au «système anglais» qui consiste à faire
des dettes, en particulier chez son tailleur, qu’on remboursera une fois la jeune femme
épousée, ou le recours aux jeux de hasard - ou de Finot, l’éditeur escroc. On peut aussi évoquer
Fœdora qui utilise Raphaël dans le but d’être présentée au duc de Navarreins — élévation
sociale d’importance pour la jeune Russe aux origines obscures.)
b. Expliquez comment d’autres personnages du roman de Balzac sont guidés uniquement par
leurs sentiments et leur conception idéaliste du monde, représentant ainsi une forme de
pureté dans leurs motivations. (Il s’agira principalement d’évoquer ici Pauline, personnage
d’une grande pureté dans ses sentiments et son innocence parfois candide: amoureuse de
Raphaël, elle est prête à tous les sacrifices pour lui, et ne changera jamais ses sentiments à son
égard - prête à se suicider pour le sauver dans la dernière page du roman. On peut aussi
évoquer Euphrasie et Aquilina, certes moins pures et admirables que la solaire Pauline, mais
qui restent toutes deux fidèles à leur vision épicurienne de la vie, bien décidées à profiter de
chaque instant avant la maladie et la vieillesse.
c. Montrez en quoi la manière dont le personnage principal déploie toute son énergie vers un
objectif constitue, ponctuellement, un moteur efficace de l’intrigue romanesque de La Peau de
chagrin. Raphaël est par moments mû par une ambition pour laquelle il déploie toute son
énergie: on pourra tout d’abord évoquer la rédaction de sa Théorie de la volonté: les
résolutions qu’il prend pour mener à bien ce projet constituent un moteur de l’action
romanesque (installation au Quartier latin, rencontre de Pauline, etc.). Dans un second temps,
vous pourrez évoquer sa volonté de conquérir le cœur de Fœdora : là encore, on pourra noter
tous les efforts accomplis par le personnage dans cette ambition.
II. Mais il arrive que les personnages de roman renoncent à leur quête, ou en changent.
a. Montrez comment Balzac utilise le personnage de l’antiquaire pour illustrer l’idée qu’un
obstacle extérieur rencontré sur sa route, ou un événement inattendu peut pousser un
personnage à modifier radicalement son mode de vie, et à déployer son énergie vers un autre

Cécile Caure 1
but. L’antiquaire en effet apparaît dans le roman comme l’illustration du changement radical
de mode de vie. Les élèves dans cette sous-partie pourront comparer les deux portraits de
vieillard dans le roman: celui du sage antiquaire qui prône une vie austère et frugale, dédiée à
la seule activité intellectuelle, et celui du «vieil Adonis» au bras d’une prostituée, rencontré par
Raphaël aux Italiens dans la troisième partie du roman, bien décidé à profiter des plaisirs de
l’amour chaque seconde que la vie voudra bien lui prêter encore. La rencontre de la jeune
femme — ou bien le souhait de Raphaël? — a subitement et radicalement transformé ce
personnage.
b. En vous appuyant cette fois sur le personnage principal de La Peau de chagrin, précisez que
ce qui caractérise aussi souvent le héros de roman, c’est sa capacité à apprendre de ses
expériences, à se complexifier et à infléchir du même coup ses choix de vie. Vous pourrez
évoquer plusieurs épisodes du roman à l’appui de cette nouvelle idée: ainsi, après la blessure
amoureuse infligée par la froide Fœdora, Raphaël réalise que l’amour est un leurre, que la
plupart des gens sont motivés par des réalités plus prosaïques: il devient alors, pour un temps,
un être cynique, ne respectant plus grand-chose (pas même l’illustre nom de sa famille qu’il
brade dans une affaire louche avec Finot). Autre expérience que vous pourrez évoquer: celle
de sa fréquentation des curistes dont la rancœur aboutit à un duel. On verra par la suite Raphaël
rechercher l’isolement le plus extrême: dans la campagne lointaine parmi des paysans, dans la
solitude en repoussant Pauline, dans le sommeil en prenant des drogues léthargiques.
III. En définitive, un personnage de roman, c’est avant tout, pour le romancier, l’occasion
d’inviter son lecteur à une réflexion sur ses propres choix de vie.
a. Expliquez comment, à travers la galerie des personnages de La Peau de chagrin, le romancier
invite le lecteur à une réflexion sur la manière de mener sa vie, soit en économisant son énergie
vitale ou, au contraire, en la dépensant sans compter.
b. Enfin, montrez comment Balzac construit un récit ouvert, laissant au lecteur la liberté de
tirer ses propres leçons à partir de l’observation des vies des personnages, notamment grâce à
l’utilisation du fantastique. En proposant une galerie de personnages riches et variés, Balzac
laisse au lecteur la liberté de réfléchir et de tirer ses propres leçons: — la mention de ce qu’est
devenue Fœdora, à la fin de l’épilogue, pourrait laisser entendre que la froideur de cœur et la
maîtrise des codes de la société (apparences, ambition, argent) permettent d’accéder à une
forme de stabilité heureuse. D’une manière générale, le lecteur apprend de ce roman, comme
de tous ceux de La Comédie humaine, l’âpreté des rapports sociaux, et le poids de l’argent et
de l’ambition dans la société de 1830; — le destin singulier de Pauline, convoquée à l’état de
fantôme dans l’épilogue, plaide plutôt pour le caractère sublime de l’amour lorsqu’il est pur; —
la vie de Raphaël, grâce au dispositif romanesque fantastique, à travers l’objet de la peau, semble
davantage pouvoir être interprétée comme une mise en garde: l’énergie vitale est une chose précieuse
dont chaque dépense doit être réfléchie: ne pas la dilapider, ne pas non plus en être exagérément avare
en renonçant à vivre sa vie, sans doute faut-il chercher la leçon du roman du côté d’un juste milieu.

Cécile Caure 2

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