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Extrait de l’Acte 1 scène 1,

Rappel parcours : « spectacle et comédie »


Spectacle : > latin spectare : regarder
« Les acteurs vont au théâtre, le public va au spectacle ».

D’où l’enjeu de l’étude : Quel spectacle nous est-il donné de voir ? Qu’est-ce qu’on regarde ?

Préliminaires à l’étude :
La scène d'exposition : sert à présenter ce dont il va s'agir. Personnage, situation spatio-temporelle, action

Préparation à l’étude du passage :


• Ici la scène est originale car focalisée sur un personnage et cela ne nous apprend pas grand-chose sur l'histoire
proprement dite. Il n’y a pas d'histoire : c'est l'histoire d'un homme qui vit sa maladie.
• Originale aussi car c'est un monologue : rare pour une scène d’exposition au théâtre. On lui préfère
généralement un dialogue, moins artificiel, plus réaliste.
• Autre originalité : c'est un monologue avec alternance de discours : Discours avec soi-même (monologue au
sens strict) et discours vers un destinataire absent : Monsieur Fleurant, son apothicaire. Argan s'adresse à lui
dans un dialogue fictif, pour s'indigner devant les sommes réclamées. C'est une scène de théâtre dans le théâtre.
Une mise en abyme.
Ici, on a un personnage, Argan, assis dans un fauteuil devant son bureau : le personnage est pris entre ses deux
obsessions : l'argent et la maladie.
Donc la scène d'exposition a une fonction de caractérisation psychologique. Cette scène donne le ton: après la
légèreté la fantaisie des prologues, on a une tonalité réaliste et comique grâce au ridicule du personnage.
Rappel : la pièce a pour but de divertir le roi, de l'amuser. Donc le jeu se doit de montrer les travers d'Argan.
Introduction

Le Malade Imaginaire : comédie-ballet parue à 1673, dernière comédie de Molière. Molière est célèbre
pour avoir mis en scène des comédies dites de caractère. L'acte 1 scène 1 = une scène d'exposition. Ici
enjeux réduits : Argan, perso principal, fait le point sur les remèdes et les soins qu'il a reçus dans le
mois en un long monologue. Il s’acquitte des factures du médecin et de l'apothicaire en contestant les
sommes dues. Le passage à étudier commence à la fin de ce travail. Argan appelle alors ses
domestiques.

On distingue quatre étapes marquées par des attitudes différentes.


L 1 à 6 : Le bourgeois, personnage traditionnel de comédie
L 6 à 10 : Un malade surprenant
L 11 à 16 : Un personnage impatient et colérique
L 16 à la fin, on assiste à la panique du personnage qui se retrouve seul.

Quel spectacle nous est-il donné de voir ?

1er mouvement (ligne 1 à 6) : Le bourgeois, personnage traditionnel de la comédie


Ce premier mouvement nous montre le personnage principal Argan.
"Plus, une potion
- Argan est un bourgeois, comme le montre l'activité liée à l'argent : lecture
cordiale et préservative,
d’une facture : les guillemets, les noms de plantes médicinales, Mention d’
composée avec douze
«ordonnance » de « potion ».
grains de bézoard, sirop
de limon et grenades, et
Commence par l’adverbe « Plus », qui fait référence à la longue liste
autres, suivant
antérieure. Donc facture longue.
l'ordonnance, cinq
livres."

Ah! Monsieur Fleurant, L’exclamation (l.3) traduit l'indignation dans un passage en mise en abyme :
tout doux, s'il vous de colère, Argan interpelle l’apothicaire comme s’il était devant lui.
plaît; si vous en usez Le nom propre « Argan » rappelle le nom commun « argent » par les
comme cela, on ne sonorités. Argan veille à son argent au point qu’il semble rester maître de sa
voudra plus être maladie puisqu’il menace son apothicaire : « on ne voudra plus être
malade; malade» (l.4). Ici, il se trahit : Il n'est pas malade mais il VEUT l'être ! Il veut
bien l’être tant que la dépense reste raisonnable.

contentez-vous de La pièce met bien en scène un comique de caractère : on a affaire à un


quatre francs. bourgeois près de ses sous. Il semble économe et même peut-être un peu
avare puisqu’il conteste les sommes dues en usant d’un impératif :
«Contentez-vous de 4 francs »

Vingt et quarante sols.


Long décompte de sommes dans une énumération (l. 4 à 6)
Trois et deux font cinq,
Pour rappel : l'argent n'est pas le fait du noble mais du bourgeois.
et cinq font dix et dix
On retrouve des calculs très appliqués : cela montre le sérieux qu’Argan leur
font vingt. Soixante et
accorde puisqu'on a le détail des opérations au centime près : « 6 deniers ».
trois livres quatre sols
six deniers
2ème mouvement (ligne 6 à 10) : Un malade surprenant

Le médecin et l'apothicaire ne raisonnent pas en fonction de la


maladie du malade mais en fonction de l'exigence de ce dernier. C’est
le malade qui semble commander. Cependant, (et surtout) le
raisonnement tenu surprend. Le personnage surprend par le
raisonnement qu'il tient : après avoir calculé l'argent dépensé, il
Si bien donc que, de ce extrait une conséquence soulignée par deux termes redondants, (l.6),
mois, j'ai pris une, deux, «si bien…que », conjonction de subordination, et « donc », conjonction
trois, quatre, cinq, six, de coordination. Il n'y a pas de proposition principale. Si on devait en
sept et huit médecines ; créer une ce serait : « J'ai dépensé telle somme donc j'ai eu 8
et un, deux, trois, médecines et 12 lavements ».
quatre, cinq, six, sept, ➔ Cela révèle un personnage habitué depuis longtemps à avoir
huit, neuf, dix, onze et recours à ces médecines, puisqu’il sait à quoi correspond telle somme.
douze lavements ; et,
l'autre mois, il y avait Il en est ridicule. Il compare deux situations à 2 mois d'intervalle et la
douze médecines et déduction qu’il en fait est risible. La comparaison s'établit aux lignes 7
vingt lavements. et 8 où il compare 8 médecines de ce mois-ci avec les 12 du mois
précédent et les 12 lavements de ce mois-ci avec les 20 du mois
précédent. L’application avec laquelle il compte le nombre de
médecines et de lavements révèle presque un plaisir. Il compte ses
lavements comme il compte son argent. Il savoure ! D’où la longue
énumération : « une, deux, trois… » Là encore, mêlée au ridicule du
personnage, on trouve la critique des médecins et de la médecine,
cette fois-ci dans la nature des traitements. Les traitements reposent
sur des lavements : 20 lavements par mois est un nombre
considérable. Cela va contribuer à la destruction du malade !

La déduction qu'il en fait (l. 9) le ridiculise. Il semble croire qu’on ne


peut être en bonne santé que si on prend beaucoup de médecines. Il
Je ne m'étonne pas si je n’envisage pas la possibilité d’aller mieux. On observe qu’il parle en
ne me porte pas si bien employant deux négations totales dans la même phrase « je ne
ce mois-ci que l'autre. m’étonne pas… je ne me porte pas si bien », comme s’il ne lui était pas
Je le dirai à monsieur possible de parler de lui positivement.
Purgon,

Enfin il fait preuve d'autorité comme on l’a vu avec l'impératif (l.4). On


afin qu'il mette ordre à le retrouve (l.10), l'expression du but dans la proposition subordonnée
cela conjonctive circonstancielle montre qu'il a aussi de l'emprise sur le
médecin : « afin qu’il mette ordre à cela ».

3em mouvement (ligne 11 à 16) : Un personnage impatient et colérique


Allons, qu'on m'ôte tout À partir de la ligne 11, le rythme d'élocution s'accélère. Le caractère
ceci. Il n'y a personne : autoritaire d'Argan se confirme et s’intensifie au point qu'on découvre
un personnage despote. On le voit tout d'abord avec l'injonction ligne
11 « Allons, qu’on m’ôte tout ceci ». Cette injonction s’accompagne
d'un pronom indéfini, « on », qui désigne les domestiques. Cela révèle
que le maître s'adresse à ses domestiques sans même les nommer =>
il les rend insignifiants.
j'ai beau dire: on me
laisse toujours seul ; il Les phrases deviennent brèves constituées de propositions
n'y a pas moyen de les indépendantes juxtaposées. Elles révèlent qu'il a l'habitude de se faire
arrêter ici. (Il sonne une obéir instantanément. En effet, entre « qu’on m’ôte ceci » et « il n'y a
sonnette pour faire personne » (l.11), on s'attendrait à un temps d'attente. Or, il ne semble
venir ses gens.) Ils pas il y en avoir. Même remarque lorsqu’il secoue la sonnette : sitôt le
n'entendent point, et geste accompli, il peste parce que cela est sans effet. En fait, il attend
ma sonnette ne fait pas qu’on lui obéisse à l’instant.
assez de bruit.

Sa colère monte au point qu'il en devient ridicule en doublant le bruit


Drelin, drelin, drelin : de la cloche. Les onomatopées répétées 4 fois dans ce petit passage
point d'affaire. Drelin, révèlent un personnage proche de l'hystérie. On comprend peut-être
drelin, drelin : ils sont alors mieux l'adverbe « toujours » ligne 11 dans la proposition « on me
sourds. Toinette ! laisse toujours seul » et le constat immédiat qu'il fait : « Il n'y a
Drelin, drelin, drelin : personne. » Le maître semble agressif, violent, envers son personnel.
tout comme si je ne Cette violence peut expliquer sa solitude : les pronoms « On » ligne 10
sonnais point. et 11, et « ils » ligne 12, 14 s’opposent au pronom « je » qui domine.

Chienne, coquine ! Les termes péjoratifs qu'il emploie, « chienne, coquine », « carogne », après
avoir nommé sa domestique montrent un maître irrespectueux.

Drelin, drelin, drelin : La proposition indépendante ligne 15 « j'enrage ! » montre le despote


j'enrage! (Il ne sonne hystérique. On a affaire à un personnage tourné sur lui-même, qui
plus, mais il crie.) voudrait que tous tournent autour de lui et pour lui. Le spectateur en
Drelin, drelin, drelin : rit car Argan est ridicule. En effet, l'accessoire « cloche » disparaît et
carogne, à tous les est remplacé par le personnage. C'est le personnage lui-même qui
diables ! devient une cloche. La didascalie (l. 15-16) comprend une proposition
indépendante négative : « Il ne sonne plus », qui met en relief l'action
de l'indépendante coordonnée : « il crie ». La conjonction de
coordination « mais » ne marque pas ici une franche opposition mais
une restriction : avant il sonnait et criait ; maintenant, il ne fait plus
que crier !
4em mouvement : Panique du personnage qui se retrouve seul
Est-il possible qu'on
laisse comme cela un Les mots qu'il emploie changent de tonalité. Ils font appel au pathétique :
pauvre malade tout «un pauvre malade » (adjectif avant le nom = qui inspire la pitié),
seul? Drelin, drelin, «pitoyable» (radical = pitié), « ils me laisseront mourir » : Phrase simple,
drelin : voilà qui est brève, qui révèle le fond : il souffre de la peur de mourir. Sa peur est telle
pitoyable ! Drelin, qu'il en appelle même à Dieu (l.18).
drelin, drelin : ah ! mon
Dieu ! Ils me laisseront Ces termes révèlent la véritable source de la panique qui anime le malade
ici mourir. Drelin, drelin, imaginaire : il a peur de mourir et de mourir dans la solitude, idée amplifiée
drelin. par l’adverbe d’intensité « tout seul » (l17)

Conclusion
Quel spectacle ? Spectacle double : celui d’un homme et celui d’une société. Dans son obsession de la médecine,
le personnage garde un fond de bon sens puisqu’il entend en avoir pour son argent. Le lien entre la médecine et
l'argent est manifeste dès le début de la pièce : Argan est, comme le dira Toinette dans l'acte 1 scène 2, une
«bonne vache à lait » qui fait la fortune des médecins. Derrière la découverte du personnage, nous avons ici la
satire de la médecine et des médecins, charlatans, escrocs, qui sont capables de rendre malades les gens.
Cependant, la plus forte satire porte sur le personnage lui-même qui est ridiculisé dans son obsession de la
maladie et de la mort. Il est tourné sur lui seul, ne parle que de son cas et s'oppose à tous les autres. En cela, il
est ridicule.

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