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Séquence 2 – Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731

Explication de texte n°2 – La scène des retrouvailles au parloir de Saint-Sulpice

Manon Lescaut est un roman de l’abbé Prévost publié en 1731. Il s’agit du VIIe tome
des Mémoires d’un homme de qualité dont le narrateur est le marquis de Renoncour. Manon
Lescaut appartient en effet au genre du roman-mémoire, càd un roman sous présentant sous la
forme de mémoires fictives. Le roman souffrant au XVIIIe siècle d’un grand discrédit, il
s’agissait par là de lui accorder une légitimité en en faisant un instrument de vérité. Le roman
sera censuré par le Parlement de Paris lors de sa publication et condamné au feu en raison de
son caractère immoral. Le roman s’inscrit en effet dans le courant du libertinage qui prônait
l’affranchissement vis-à-vis de toute norme morale et sociale. Le chevalier Des Grieux
s’affranchit ici des codes inhérents à son rang en s’enfuyant contre l’autorité paternelle, avec
une prostituée et en persistant à mener à ses côtés une vie dissolue entre mensonges et délits.
Dans notre extrait, Des Grieux reçoit la visite inattendue de Manon alors qu’il vient d’achever
un exercice public à l’Ecole de théologie de la Sorbonne. Cette visite va alors rompre ses
résolutions de vivre vertueusement en prenant l’habit ecclésiastique. Après une scène de
dispute où le chevalier laisse exprimer sa fureur envers Manon, l’extrait se clôt sur la
réconciliation entre les deux amants.
Ainsi nous nous demanderons en quoi à travers cet extrait, la scène de réconciliation entre
Des Grieux et Manon est révélatrice d’un personnage ayant fait le choix de la passion sur
la raison.
+ plan

 1er mouvement : L’apparition de Manon (l 1- 8)

Mise en avant d’une visite inattendue : « Il était six heures du soir. On vint m'avertir, un
moment après mon retour, qu'une dame demandait à me voir. » (l 1,2)
> cadre spatial précis : CCT « Il était six heures du soir » > souvenir marquant.
> caractère impromptu de la visite mis en avant par l’ignorance qu’en avait le chevalier « On
vint m’avertir » > le pronom personnel « m’ » renvoie au chevalier qui n’est que le
destinataire du message > fonction de COD. De plus, il ne reçoit qu’une information
partielle : « une dame » > article indéfini + nom générique « dame » = aucune information sur
l’identité de cette femme.
Empressement du chevalier: « J'allai au parloir sur-le-champ. » (l 2) > CC de manière « sur
le champ »
Stupéfaction du jeune chevalier face à ces retrouvailles : « Dieux ! quelle apparition
surprenante ! j'y trouvai Manon. » (l 2,3)
> interjection « Dieux » + ponctuation expressive « ! » + déterminant exclamatif « quelle » +
adj « surprenante »
> révélation de l’identité de la dame inconnue dans une phrase affirmative laconique (= peu
de mots) qui contraste avec l’émotion contenue dans la phrase précédente  effet de
dramatisation.
> association de Manon à une divinité puisque son retour est décrit comme une manifestation
mystique exprimée au moyen d’un vocabulaire religieux > sollicitation des « Dieux » +
« apparition » : Manifestation d'un être surnaturel qui se rend visible, généralement pendant
un court moment.
Portrait laudatif de Manon qui témoigne de l’admiration que le chevalier lui porte :
« C'était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l'avais jamais vue. » (l 3).
> succession hyperbolique de deux comparaisons de supériorité insistant sur l’embellissement
de Manon, également mis en avant par la caractérisation méliorative de sa beauté au moyen
des adjectifs « aimable » et « brillante ».
Jeunesse de Manon : « Elle était dans sa dix-huitième année. » (l 4)
Description d’une beauté surnaturelle, qui rappelle l’aspect divin de Manon : «  Ses
charmes surpassaient tout ce qu'on peut décrire. C'était un air si fin, si doux, si engageant, l'air
de l'Amour même. Toute sa figure me parut un enchantement. » (l 4-6).
> verbe « surpassaient » > préfixe « sur » > beauté extraordinaire
> beauté indicible, qui excède les capacités verbales de l’homme « ses charmes surpassaient
tout ce qu’on peut décrire ».
> rythme ternaire composé de trois adjs mélioratifs et de l’anaphore de l’adverbe d’intensité
« si » visant à tenter de décrire la grâce empreinte sur le visage de Manon.
Portrait hyperbolique de Manon qui trouve son apogée dans l’association de Manon à
l’allégorie de l’Amour : « l'air de l'Amour même ».
Regard admiratif d’un adorateur en extase : « Toute sa figure me parut un
enchantement. ».
> extase au sens religieux du terme : transport mystique, état d’une personne en proie à un
élan religieux.
> verbe de perception + pronom personnel « me » > point de vue subjectif du chevalier.
> le terme « enchantement » participe également à envisager Manon comme une apparition
mystique et merveilleuse qui ne relèverait pas du monde réel.
Apparition fantastique qui subjugue le chevalier : « Je demeurai interdit à sa vue, et ne
pouvant conjecturer quel était le dessein de cette visite, j'attendais, les yeux baissés et avec
tremblement, qu'elle s'expliquât. » (l 7,8)
> tétanie du chevalier : verbes « demeurai », « attendais » + adj « interdit »
> incompréhension : négation « ne pouvant conjecturer »
> manifestations physiques de l’émotion : « les yeux baissés », « avec tremblement » mais
absence de prise de parole.

 2ème mouvement : la visite de Manon entre repentir et reproches (l 8- 17)

Emotion partagée par les deux anciens amants : « Son embarras fut, pendant quelque
temps, égal au mien » (l 8,9)
> comparaison d’égalité au moyen du groupe adjectival « égal au » + CCT « quelque temps »
qui insiste sur la durée de cet état de saisissement réciproque.
Cette stupeur empreinte de gêne sera brisée par Manon tout d’abord au moyen du geste,
puis de la parole : « mais, voyant que mon silence continuait, elle mit la main devant ses
yeux, pour cacher quelques larmes.» (l 9-10).
> conjonction de coordination « mais » qui met en avant le changement d’attitude de Manon
qui passe de l’embarras au chagrin
> pudeur de Manon > GP « pour cacher quelques larmes »
> antithèse « voyant »/ « elle mit la main devant ses yeux » > elle se préserve ainsi de ce qui
lui cause de la peine en l’ôtant de sa vue et en même temps cherche à dissimuler son chagrin.
Prise de parole de Manon qui vient rompre le silence : « Elle me dit, d'un ton timide,
qu'elle confessait que son infidélité méritait ma haine »
> posture timorée de Manon qui se sait coupable et a conscience de la rancœur du chevalier :
« d’un ton timide ».
> reconnaissance de ses fautes > verbe « mériter » + vocabulaire religieux au moyen du verbe
« confesser » qui suggère qu’elle a commis une faute  Manon apparaît ainsi comme étant
sur la voie du repentir.
Or, la conjonction de coordination « mais » vient immédiatement nuancer son mea culpa
puisqu’après avoir reconnu ses torts elle l’accable de reproches : « mais que, s'il était vrai
que j'eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait eu, aussi, bien de la dureté à
laisser passer deux ans sans prendre soin de m'informer de son sort, et qu'il y en avait
beaucoup encore à la voir dans l'état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. » (l
11-14).
> succession de propositions subordonnées complétives introduites par la conjonction de
subordination « que » > énumération des reproches faits au chevalier à savoir l’absence de
tentatives de renouer le contact avec elle durant deux ans ainsi que son silence face à son
désarroi.
> elle reproche à Des Grieux son inaction et ce qu’elle considère comme étant des
manquements à son affection > verbe « laisser » + prépositions x2 « sans » > abandon et
silence ; la multiplicité des reproches s’exprime également au moyen de l’emploi de l’adverbe
« encore ».
> mauvaise foi de Manon > emploi du mot « sort » qui renvoie à « ce qui doit arriver à
quelqu'un du fait du hasard ou d'un concours de circonstances » or, sa situation est due à ses
choix et non au hasard  elle n’assume pas la responsabilité de ses actes.
Mutisme persistant de Des Grieux : « Le désordre de mon âme, en l'écoutant, ne saurait être
exprimé. » (l 14, 15) > négation portant sur le verbe de parole « exprimer ».
Communication difficile entre les personnages : « Elle s'assit. Je demeurai debout, le corps à
demi tourné, n'osant l'envisager directement. Je commençai plusieurs fois une réponse, que je
n'eus pas la force d'achever. » (l 16, 17)
> opposition dans l’attitude des personnages montrant leur conflit : antithèse dans leur posture
« assit »/ « debout »
> double négation « n’osant » + « je n’eus pas la force de l’envisager » exprimant la difficulté
à rétablir le dialogue.

 3e mouvement : une scène entre querelle et réconciliation (l 17-25)

Retour à la parole de Des Grieux : « Enfin, je fis un effort pour m'écrier douloureusement »
(l 17, 18)
> élocution difficile : GN « un effort », adverbe « douloureusement ».
Expression retrouvée qui s’incarne dans la profération d’injures envers Manon :
« Perfide Manon ! Ah ! perfide ! perfide ! » (l 18)
> trois occurrences de l’adjectif « perfide » + interjection « Ah » + ponctuation expressive ( !)
renvoyant à la fureur de Des Grieux.
Cette expression véhémente accroît le désarroi de Manon : « Elle me répéta, en pleurant à
chaudes larmes, qu'elle ne prétendait point justifier sa perfidie. » (l 18, 19)
> gradation dans le chagrin de Manon « quelques larmes » (l 10) « pleurant à chaudes
larmes ».
> reconnaissance de sa culpabilité : « elle ne prétendait point justifier sa perfidie » > négation
totale « ne…point » > négation de toute tentative de dédouanement.
Querelle amoureuse : « Que prétendez-vous donc ? m'écriai-je encore. Je prétends mourir,
répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive. »
(l19,21)
> reprise du verbe « prétendre » > insistance sur les motifs de Manon
> la colère de Des Grieux se lit dans le vouvoiement qu’il emploie à son égard afin d’établir
une mise à distance
> dramatisation de Manon qui introduit l’évocation du tragique par deux références à la mort
« mourir », « il est impossible que je vive ». Elle fait ainsi de l’amour de Des Grieux la
condition de sa survie par le recours à la conjonction de coordination « si ».
> métonymie « si vous ne me rendez votre cœur » > emploi du verbe « rendre » qui renvoie à
qqch qui lui serait dû.
Déclaration d’amour désespérée de Des Grieux : « Demande donc ma vie, infidèle ! repris-
je en versant moi-même des pleurs, que je m'efforçai en vain de retenir. Demande ma vie, qui
est l'unique chose qui me reste à te sacrifier ; car mon cœur n'a jamais cessé d'être à toi. » (l
21-24)
> anaphore + verbe « demande » à l’impératif : « Demande donc ma vie », « Demande ma
vie » > il participe à la dramatisation de leur amour en le présentant comme un amour
caractérisé par le sacrifice et la mort : « Demande donc ma vie », « Demande ma vie ». >
posture d’infériorité vis-à-vis de Manon puisqu’il subit ses exigences et serait prête à se
sacrifier pour elle.
> chagrin de Des Grieux : « en versant moi-même des pleurs » > pronom personnel réfléchi
« moi-même » > il sort ainsi de son impassibilité et laisse éclater son tourment : « que je
m'efforçai en vain de retenir » > négation par la locution adverbiale « en vain » >
impossibilité à contenir sa douleur.
> expression de son amour par la métonymie « mon cœur n’a jamais cessé d’être à toi » en
écho à la métaphore employée précédemment par Manon.
Réconciliation entre les deux amants : «  A peine eus-je achevé ces derniers mots, qu'elle se
leva avec transport pour venir m'embrasser. Elle m'accabla de mille caresses passionnées. »
> champ lexical de l’étreinte « m’embrasser », « mille caresses passionnées »
> hyperbole « mille caresses passionnées » + CC de manière « avec transport » > intensité de
leur amour.

CC : - reprise de la problématique et des arguments principaux développés dans le plan


- ouverture au choix > écho à la scène de rencontre entre Manon et Des Grieux  mise
en avant de la passion qui les unit par-delà les frontières sociales et morales.
> lien entre Nana et Manon Lescaut = présentation d’une jeune
femme courtisée qui s’adonne à des relations immorales afin de s’assurer une ascension
sociale réussie.

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