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Analyse linéaire n°6 : Manon Lescaut, abbé Prévost, 1re partie

Introduction :

Nous avons principalement retenu du XVIIIe siècle qu’il est celui de la philosophie, du
rationalisme, le siècle des Lumières. Mais quand il publie l’Histoire du chevalier Des grieux et de
Manon Lescaut en 1731, l’abbé Prévost va à l’encontre de cette tendance, et donne toute son importance
aux sentiments, à leur expression, et ce tout au long de son roman. Il raconte en effet l’histoire d’un
jeune chevalier renonçant à sa famille et au chemin qui était tracé pour lui afin de vivre son histoire
tragique avec Manon, une jeune femme aux mœurs légères, qui n’hésitera pas à se prostituer par crainte
de la pauvreté. L’extrait que nous étudions est situé au début de l’œuvre, avant que Des Grieux ne prenne
en charge le récit de son histoire ; le marquis de Renoncour, premier narrateur du roman, raconte le
moment où il a rencontré Manon, enchaînée parmi les prostituées condamnées à être déportées en
Louisiane, et Des Grieux, qui la suit. [LECTURE] Nous pouvons nous demander comme cet incipit
cherche à susciter la curiosité et la compassion du lecteur. Nous répondrons à cette question au gré des
trois paragraphes de cet extrait, le premier nous introduisant à un nouveau personnage féminin, que le
lecteur averti sait être Manon, le deuxième nous donne les premières informations à son sujet et le
dernier raconte la rencontre du marquis de Renoncour avec le chevalier Des Grieux, figure de l’amant
éploré.

Mouvement 1 : Découverte de Manon, au milieu des autres prisonnières

l. 1 : verbe de demande + infinitif à le narrateur est dans la même posture que le lecteur, en attente
d’explications
discours direct d’un premier personnage à pluralité des voix
à + 3 mots indiquant que la scène est bruyante (« désordre », « exclamations » et « criant »).
l.6 : Explication claire et cohérente. Attitude de badauds friands de nouveautés, avides de se rincer l’œil
face à ce spectacle dégradant, trivial. Univers de la comédie. Marque du discours par l’adverbe
modalisateur « apparemment »
Le second personnage relance : « barbare », qui faisait « horreur et compassion » : rythme ternaire,
hyperbole => Changement de registre par l’irruption de la référence à la tragédie. Ce qui se profile est
véritablement l’œuvre d’un destin tragique. Passage au discours direct -> Plus de force au propos, plus
de valeur.
l.7 Opposition entre le discours des personnages phrases exclamatives et phrases déclaratives.
l. : hyperboles « si peu conformes à sa condition » / « l’enlaidissaient si peu » / « si naturel » à fortes
réactions, caractère impressionnant de Manon.
Verbes à l’infinitif « dérober », « se tourner » et « se cacher » à incarnation de la pudeur, cf. dernier
mot du paragraphe.

Mouvement : Premiers renseignements à propos de la jeune femme

l.16-18 : « Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande [...] sur le sort de cette
belle fille. » = longueur de phrase qui introduit l'action du narrateur.
l.16 : "cette malheureuse bande" adjectif connoté péjorativement -> suscite la pitié
l. 17-18 : « je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle fille. Il ne put m'en donner que
de fort générales » = déterminant indéfini et adverbe intensif à caractère apporximatif de toute
renseignement obtenu
Il n'est pas en contact direct avec Manon Lescaut mais avec son chef. Donc il ne pas se faire sa propre
opinion sur elle, mais selon les dires de son chef. Importance des verbes de perception.
« cette belle fille » = à nouveau un terme subjectif qui montre que le narrateur n'est pas neutre et que
Manon l’a marqué
« Nous l'avons tirée de l'hôpital » à Manon Lescaut subit les ordres des autres et doit obéir, au 18ème,
un hôpital est à la fois une hospice et une prison pour les pauvres criminels. Renseignement mystérieux
car nous n’apprenons pas quelque chose de précis. Elle était déjà emprisonnée, donc nous savions qu’elle
était passée par une prison. Mais nous ne savons toujours pas les circonstances de cette arrestation.
l.19 : « Il n'y a pas d'apparence qu'elle y eût été renfermé pour ses bonnes actions » à tournure
impersonnel + « apparence » è la conclusion la plus logique, d’après celui qui la formule
Ligne 20 : « je l’ai interrogée plusieurs fois sur la route ; elle s’obstine à ne rien me répondre » à
personnage timide, farouche ? honte de sa condition è renforce l’idée de la ligne 15 « L'effort qu’elle
faisait pour se cacher était si naturel qu’il paraissait venir d’un sentiment de modestie »
Ligne 21-22 : « Mais, quoique [...] qu’elle vaut mieux que ses compagnes » à Effet de l’apparence de
la femme, de son attitude, qui la différencie des autres. Première impression du narrateur partagée par
le lieutenant général de police. Alors qu’une impression pourrait simplement être considérée comme
une marque de subjectivité, le fait qu’elle soit partagée par plusieurs pourrait indiquer une certaine
valeur objective.
Ligne 24 : « voilà un jeune homme [...] ce soit son frère ou son amant » à adverbe présentatif è
introduction nouveau personnage pour informer narrateur sur jeune femme.
« sans cesser de pleurer » à attaché émotionnellement à elle + importance des sentiments et de leur
expression dans cette œuvre.

Mouvement : Rencontre d'un nouveau personnage ( Des Grieux )

On assiste au portrait mélioratif de Des Grieux qui n’est pas nommé dans l’extrait : tout comme nous
l’avons vu pour Manon Lescaut il y a un contraste entre l’aspect moral du personnage et la réalité de sa
condition actuelle.
Verbes de mouvement « je me tournai » / « je m’approchai » à mouvement du narrateur vers Des
Grieux, il s’approche de lui comme il s’était approché de Manon è curiosité
l 26/27 : métaphore « enseveli dans une rêverie profonde » (absence de la personne) renforcée par le fait
qu’il se trouve dans une « chambre »
à rappelle un état de fatigue, d’inactivité
l 27/28 : négation + hyperbole = « n’ai jamais vu de plus vive image de la douleur »
à amplifie le fait que ce « jeune personnage » porte une grande douleur. Le registre pathétique
fait naître la compassion du lecteur envers Des Grieux.
hyperbole = « mis fort simplement » à indice trompeur sur sa qualité
métonymie = « qui a de la naissance et de l’éducation »
-provient d’une famille noble ou bien riche
L’hyperbole nous montre le fait que le jeune est habillé comme quelqu'un de lambda mais quelque chose
émane de lui reconnaissant qu’il fait partie d’une grande famille par la métonymie
Cette partie de ce mouvement fait la description du personnage avec l’utilisation de l’imparfait
l 29 : rupture de l’utilisation de l’imparfait au passé simple = « je m’approchai de lui »
-passage de la description à l’action
l 29/30 : énumération = « dans ses yeux, dans sa figure et dans tous ses mouvements »
-montre un certain intérêt du narrateur à ce jeune homme / mouvement du plus précis au plus
global, de même que le narrateur avait remarqué la douleur avant de remarquer la tenue. Présage de
l’intérêt pour les souffrances des amants avant de s’intéresser à leur histoire ?
l 31 à 33 : discours direct avec un langage soutenu = « que je ne vous trouble point » / « satisfaire la » /
« qui ne me paraît point »
-montre une marque de respect
Dans cet extrait, l’auteur parvient à captiver le lecteur grâce à ces héros atypiques. En outre,
l’auteur nous met face aux héros qui sont alors dans une circonstance si terrible, si pénible, qu’il nous
dévoile presque leur déchéance finale.
Ce discours direct met fin au paragraphe

Conclusion :

En somme, cet incipit suscite la curiosité du lecteur parce que le marquis de Renoncour exprime
sa propre curiosité vis-à-vis des personnages qu’il rencontre, mystérieux parce qu’on ne sait encore
presque rien d’eux. Le fait que Manon ne semble pas à sa place parmi les jeunes femmes qui l’entourent
est aussi une source de curiosité, de même que de compassion. Ce sentiment est donc engendré car la
situation ne semble que la conséquence d’une terrible injustice, faisant tant souffrir la jeune femme que
son amant, et invitant le lecteur à poursuivre le livre pour découvrir ce qui leur est arrivé. La
représentation d’un couple de jeunes amants ne parvenant à vivre leur amour dans la quiétude et
l’insouciance est topique des histoires d’amour, et Manon, présentée dès l’incipit comme ayant une
destinée tragique, suivra celle de nombre d’héroïnes.

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