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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

Gabrielle-Sidonie Colette (1873-1954).


Cf Colette en quelques dates Editions livre de poche p. 16-17 -
Cf https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-colette

-Fille d’un second mariage de Sidonie Landoy (l’inoubliable Sido : 1835-1912). Sidonie Landoy a
épousé en premières noces Jules Robineau-Duclos, riche rentier, propriétaire terrien, mais mari
brutal et alcoolique. De ce premier mariage de Sido sont nés deux enfants Juliette et Achille (tous
deux bien présents dans « Les Sauvages »)
-Sido conclut ensuite un mariage d’amour avec Jules Colette en 1865 (année même du décès de
son premier époux) : capitaine, officier de Napoléon III, sans un sou, aimant, prodigue, qui ruine,
ferme après ferme, l’ex-veuve de Robineau (ruine évoquée à demi-mots dans « Le Capitaine p. 83 :
les fermes vendues une à une pour solder les dettes contractées par son mari). Deux enfants
naissent de cette union Léopold Colette et Sidonie-Gabrielle Colette (notre « Colette »). Colette
évoque cette fratrie dans « Les sauvages » (partie III de « Sido ») et surtout l’union étroite entre
ses deux frères que quelques années seulement séparaient.
-enfance heureuse dans l’Yonne, en Bourgogne, dans la petite commune de Saint-Sauveur en
Puisaye (nostalgie de l’enfance bien évoquée dans « Les Sauvages » : p 114 « j’ai été là-bas, tu
sais ?) au plus près de la nature. Mais aussi une solide instruction, à l’école comme à la maison
avant l’arrivée à Chatillon sur Loing <déracinement.
-épouse en mai 1893 Henry Gautier Villard dit Willy, sans doute un ami de famille, mariage de
raison plus que d’amour, Willy venant de perdre une épouse tendrement aimée qui lui laisse un
enfant à élever. Alliance de deux situations, plus que véritable mariage d’amour, du moins de sa
part à lui. Il a treize ans de plus qu’elle. Installation à Paris.
-Son mari l’appelle Colette, faisant ainsi de son nom de famille, son prénom, qui deviendra ensuite
son nom de plume. Il l’introduit dans les milieux littéraires qu’il fréquente déjà assidûment :
critique musical, journaliste, auteur de romans populaires. Il l’aide à développer son talent
d’écriture.
-immense succès de la série des Claudine (1900-1903), publiées sous le surnom de son mari, alors
que Colette en est largement co-autrice. Succès de l’œuvre elle-même mais aussi de ses
adaptations au théâtre, au music-hall. Colette prend des cours de comédie, de pantomime et
s’émancipe progressivement de son mari (qui ne brille par ailleurs pas précisément par sa fidélité)
-Colette et son mari se séparent en 1906 : lassitude sans doute due à l’exploitation dont elle est
victime (Colette découvre qu’il a vendu l’intégralité des droits de la série des Claudine, à son insu),
mais aussi épuisement de leur vie sentimentale : Willy la trompe avec des femmes de plus en plus
jeunes ( Cf « Toby Chien parle p. 177-178). Colette trouve refuge dans la tendresse de la marquise
de Morny, surnommée Miss ou Missy (véritable fille du Duc de Morny, apparentée donc à

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

Napoléon III). Carrière au music-hall avec elle de 1906 à 1909. Divorce avec son mari prononcé en
1910. Années de scandales et de libération morale : Colette assume très librement sa bisexualité.
-Mais Colette poursuit surtout en parallèle sa carrière d’écrivaine, avec un succès certain, sous le
nom de Colette Willy : La Retraite Sentimentale, Les Vrilles de la Vigne, L’ingénue Libertine, La
Vagabonde. Célébration de la Nature et du moi, au cœur de l’œuvre.
-Les Vrilles de la vigne publiées en 1908 rassemblent une série de 18 textes déjà publiés dans des
revues littéraires différentes (voir notre édition p. 28). Recueil que Colette reprendra, réagencera
modifiera jusqu’en 1934 (ultime édition souvent choisie comme référence, dans la bibliothèque de
La Pléiade par exemple)
-Elle se remarie en 1912 avec Henri de Jouvenel, homme politique et journaliste, dont elle aura
une fille, Colette de Jouvenel, surnommée Bel-Gazou (fille présente dans un texte annexe des
Vrilles de la vigne, « Maquillage »). Années fécondes sur le plan littéraire : Colette écrit deux de ses
romans les plus célèbres : Chéri et Le Blé en herbe (premier roman qu’elle publie sous le seul nom
de Colette). Colette commence une liaison avec son beau-fils ; le jeune Bertrand de Jouvenel, qui
lui inspire ces œuvres centrées sur la relation d’une femme mûre avec un tout jeune homme.
Deuxième mariage qui prendra fin en 1925, l’année où elle rencontre Maurice Goudeket qui
deviendra son troisième époux.
-Idée d’un hommage à sa mère naît en 1926 : l’œuvre finale se constitue finalement en un
triptyque (notre édition p. 29)
-Entre 1930 et 1934, Colette multiplie les activités, elle ouvre un commerce de produits de beauté
à Paris, écrit des dialogues pour le cinéma, donne des conférences – tout cela en continuant sa
première carrière d’écrivain.
La période de la seconde guerre mondiale est éprouvante pour Colette entre ses soucis de santé
(arthrite) et l’arrestation de son mari, d’origine juive. Elle réussit cependant à le faire relâcher,
grâce à ses relations.
La dernière période de sa vie est marquée par un essoufflement progressif de toutes ses activités,
mais les honneurs se multiplient : élue présidente de l’Académie Goncourt, grand officier de la
Légion d’honneur. Des obsèques nationales en son honneur en 1953.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

Gabrielle-Sidonie Colette (1873-1954).

Cf https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-colette

1. « Ce chameau de Willy » : que retenez-vous du premier mari de Colette, de son rôle dans sa
carrière d’écrivaine et de leur séparation ?
2. « Colette féministe avant-gardiste et paradoxale » : expliquez le titre de ce podcast.
3. « Colette et Proust se sont connus et reconnus » : quels points communs entre ces deux
écrivains ?
4. « La relation de Colette avec les animaux » : comment s’est exprimé cet amour de Colette et
d’où lui vient-il ?
5. « La marque Colette » : quelles carrières Colette a-t-elle successivement épousé et avec
quel succès ?
« Ce chameau de Willy » : que retenez-vous du premier mari de Colette, de son rôle dans sa
carrière d’écrivaine et de leur séparation ?
Un mari sensiblement plus âgé qu’elle, qui l’a poussé à écrire et l’a beaucoup corrigé, qui a usurpé
sa gloire d’autrice des Claudine, l’a beaucoup trompé, jusqu’à vendre aux éditeurs les droits de
publication des Claudine.
« Colette féministe avant-gardiste et paradoxale » : expliquez le titre de ce podcast.
Une femme libre, sur tous les plans, mais qui refuse le nom de féministe (mépris pour les
suffragettes). Peu d’intérêt pour la politique. Mais un vrai intérêt pour les femmes fortes (bien
présentes dans son œuvre). Très attentive à l’émancipation des femmes pendant la 1ère GM. Fin de
Chéri : les femmes ont pris le pouvoir.
« Colette et Proust se sont connus et reconnus » : quels points communs entre ces deux
écrivains ?
Colette a lu et aimé Du côté de chez Swann pour son immense effort reconquête de l’enfance.
Proust a salué l’œuvre de Colette. Tous deux ont contribué à faire naître un genre moderne, celui
de l’autofiction. Le souvenir, la nostalgie et ‘enfance sont des thèmes développés par tous deux.
« La relation de Colette avec les animaux » : comment s’est exprimé cet amour de Colette et
d’où lui vient-il ?
Un amour qui lui vient de sa famille et qui s’est exprimé dans son œuvre : Dialogue de bêtes, La
Chatte. Oeuvres qui lui ont permis de prendre ses distances avec la série des Claudine. Mais un
amour de paysanne pour les animaux, sans lâche complaisance pour les animaux malades ou
diminués : pas de sensiblerie.

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« La marque Colette » : quelles carrières Colette a-t-elle successivement épousé et avec quel
succès ?
Journaliste, chroniqueuse, mime, comédienne (avec un talent discutable, s’il faut en croire certains
critiques) mais aussi esthéticienne et créatrice d’une ligne de produits de beauté (carrière
éphémère). Tous les métiers lui ont été bons. Et même publicitaire, associée à la promotion de
grandes marques. Colette a cherché par tous les moyens à gagner son indépendance financière.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

Explication linéaire 1 : p. 49-50. Sido


De « Etés réverbérés par le gravier »….à « enfants endormis ».
Colette (1873-1954) est une grande figure de la littérature du XXème siècle. Elle a mené de multiples
carrières (comédienne, journaliste…) et une vie aussi riche que libre. Elle a écrit une trentaine d’œuvres, dès
1900, mais ne les a signées de son seul nom qu’à partir de 1923, avec Le blé en herbe. Sa mère Sidonie
meurt en 1912, mais c’est en relisant ses nombreuses lettres en 1926 qu’elle décide de lui rendre hommage.
Une première parution de Sido ou Les points Cardinaux a lieu en 1929 avant la version définitive de 1930 ,
en trois volets, Sido, le Capitaine et Les Sauvages, unissant à l’hommage maternel celui au père et aux frères
.Dans les premières pages, l’autrice campe une mère hors du commun fascinant autrefois les siens comme
elle la fascine encore, tout en ressuscitant le passé idéalisé de son enfance, dans la maison natale de Saint
Sauveur, en Puisaye, en Bourgogne. Dans cet extrait de la page 49, à la première personne et à l’imparfait,
elle évoque en un récit itératif les promenades à l’aube que sa mère l’autorisait à faire seule, alors qu’elle
n’avait qu’une dizaine d’années. Comment Colette célèbre-t-elle ici le monde grâce à l’écriture du
souvenir d’enfance ? (Nous suivrons les mouvements du texte correspondant aux paragraphes ; le don de
l’aube, la naissance du jour, les regards mêlés sur l’enfant)

Mouvement 1 : jusqu’à « groseilles barbues ». Le don de l’aube.


• La célébration commence par celle de la saison des « étés » de l’enfance à l’intensité inégalée (fil
directeur du chapitre depuis la p. 46 « il y avait dans ce temps-là de grands hivers et de brûlants
étés ») Le pluriel est le signe du récit itératif, à la temporalité floue et globalisante. Eloge lyrique
passe par le rythme ternaire de la phrase nominale, scandé par la triple anaphore, et par l’allitération
en R, accompagné souvent d’une autre consonne (gravier, traversant, tressé, presque)
• Les étés en question appréhendés par les sensations, jeux de lumière (cf le participe passé
réverbérés) et chaleur. Sensations que l’écriture attribue à celles de l’enfant personnage « étés
traversant le jonc tressé de [ses] grands chapeaux ». La matière du jonc prolonge le blond, associant
dans la même lumière le gravier, le chapeau ou la blondeur implicite de l’enfant elle-même tressée.
La troisième mesure « étés presque sans nuits… » peut aussi bien s’interpréter comme allusion à la
durée courte des nuits estivales que comme transition aux promenades à l’aube, thème central d
l’extrait ainsi amené .
• La célébration se centre alors sur l’aube ou sur la naissance du jour, assez essentielle à Colette pour
qu’elle en ait fait le titre d’une de ses œuvres. Il s’agit ici du goût affirmé de l’enfant qu’elle était
(Car j’aimais tant l’aube… ») mais l’adverbe déjà marque la continuité entre l’enfant et l’adulte
qu’elle est devenue. . L’adverbe d’intensité « tant » entrainant par corrélation une consécutive « que
ma mère me l’accordait en récompense » réunit la célébration de l’aube avec celle de la mère, apte
à donner le monde à son enfant, comme si elle le possédait, en une transmission qui dépasse
largement la simple question de l’éducation. Symboliquement, tout se passe comme si le don de la
vie se rejouait dans le don de l’aube…
• La troisième phrase est plus factuelle, précisant l’heure « trois heures et demie », les accessoires,
« un panier à chaque bras », le but de la promenade, mais sans renoncer au lyrisme d’une prose
poétique : anaphore de la préposition « vers », personnification des « terres maraichères » par le
verbe de la relative « se réfugiaient » ou encore énumération gourmande des fruits « les fraises, les
cassis et les groseilles barbues »
Donc dans ce premier mouvement la célébration, selon un registre lyrique, passe de la saison et
l’aube, tout en la subordonnant à la figure maternelle.
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Mouvement 2 : la naissance du jour
• Ce § décrit poétiquement l’atmosphère magique du moment. « Trois heures et demie » répété, est mis
en valeur à l’attaque de la phrase, et le lexique de l’indistinct domine d’abord : pronom indéfini
« tout », groupe nominal introduit par le déterminant indéfini « un bleu », adjectif « confus ».
L’adjectif substantivé « bleu » complété par l’épithète « originel » évoque le caractère enchanté de
l’aube qui sort de la banalité pour devenir symbole d’une sorte de (re)création du monde.
• Création du monde à laquelle l’enfant participe de tout son corps tout neuf, appréhendé par ses
différentes parties « mes jambes » « mon petit torse » « mes lèvres, mes oreilles et mes narines ».
« Le brouillard » état intermédiaire entre nuit et jour semble l’absorber progressivement comme elle
l’absorbe par tous ses sens, vue, toucher, et sens olfactif privilégié via le superlatif « mes narines
plus sensibles que tout le reste de mon corps ». La description, légère, parvient à mimer le caractère
volatile du brouillard de façon à entourer d’une aura de mystère sa communion avec l’enfant.
• Nettement plus brève, la phrase simple qui suit ajoute un commentaire de la narratrice justifiant la
solitude de l’enfant par un paradoxe « ce pays mal pensant (peu religieux ?) était sans dangers »
Mais plus encore que de dédouaner la mère, il s’agit de poser la solitude de l’enfant comme
absolument nécessaire à l’expérience vécue » « J’allais seule ». Le verbe (qui fait irrésistiblement
penser au jeune Rimbaud de « Sensation » ou de « Ma bohème) fait le lien avec le précédent § « je
m’en allais ».
• Se mêlent alors le bonheur extatique de l’enfant qu’elle était et l’interprétation qu’en offre la
narratrice, dans cette superposition des temporalités qu’autorise l’écriture du souvenir. Il s’agit non
seulement d’une expérience de bonheur en communion avec l’aube mais aussi d’une expérience
identitaire fondamentale. Ce que souligne la formule présentative en anaphore « c’est sur ce
chemin » « c’est à cette heure », les démonstratifs marquant le caractère précieux et essentiel du
lieu et du moment. (même s’ils ont eu lieu plusieurs fois) Le choix du verbe « que je prenais
conscience » donne la mesure du caractère existentiel ou initiatique de cette ’expérience fondatrice
de l’identité de l’enfant, dépassant les mots : « état de grâce indicible ». Et si le bouillard pouvait
encore connoter la nuit ou du moins un état intermédiaire, l’aube triomphe ici à travers la répétition
de premier « le premier souffle accouru » « le premier oiseau ». comme si l’enfant participait à la
genèse du monde. La naissance du jour achève d’ailleurs la phrase à travers la métaphore de
« l’éclosion « du soleil, connotant la perfection d’une matrice originelle.
Donc dans ce deuxième mouvement la célébration lyrique se centre totalement sur la magie de
l’aube dans son lien intrinsèque avec l’enfant (on pense encore à Rimbaud « J’ai embrassé
l’aube d’été »)

Mouvement 3 : regards mêlés sur l’enfant.


• Le 3ème § revient à Sido « Ma mère me laissait partir », et dans le fil de l’anecdote, revient donc en
arrière , au même moment que « je m’en allais » du 1er §. De même « elle regardait courir et
décroître », reprend la circonstancielle du second « quand je descendais le chemin de sable ». Ce §
rassemble donc les précédents, tout en remettant l’accent sur Sido, sujet des verbes « laissait »
« regardait » et dont Colette fait entendre la voix, comme si souvent dans le récit :
• Citations des mots d’amour pour sa fille « Beauté, Joyau tout en or » entrant en résonance avec la
lumière de l’aube dont il n’est plus explicitement question. Les voix de la narratrice et de la mère se
mélangent joliment dans le glissement de « son œuvre » à « chef d’œuvre » avant l’incise « disait-
elle ». Ainsi l’autrice rend hommage à la mère rendant hommage à son enfant.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

• Le passage s’achève alors sur le regard plus critique de la narratrice adulte sur l’enfant qu’elle était.
La distance de l’écriture autobiographique, examinant le passé à partir du présent, se lit dans le doute
de l’adverbe modalisateur « peut-être », les photographies pouvant donner tort au regard subjectif de
Sido.
• Malgré tout, la narratrice concède cette beauté mais en la reliant au fil directeur de l’extrait, à savoir
le don de l’aube à l’enfant. On retrouve alors la phrase ample au rythme poétique scandé par
l’anaphore « à cause de », mettant en valeur la communion entre l’enfant et la nature : « mon âge et
le lever du jour » « les yeux bleus assombris par la verdure ». Le portrait un peu stéréotypé de la
beauté des « cheveux blonds » est renouvelé par la sauvagerie (négation restrictive « qui ne seraient
lissés qu’à mon retour ») . Et grâce à Sido et à son éducation non conventionnelle l’enfant qu’était
Colette semble [supérieure], privilégiée, élue : antithèse entre « l’enfant éveillé » et « les autres
enfants endormis » reprenant « tout dormait » du § central. Tout, sauf la mère et la fille, créatures
d’une autre trempe…. Ainsi ce 3ème mouvement célèbre à nouveau Sido célébrant sa fille. Mais
l’autocélébration est évitée par la distance critique de l’écriture autobiographique et le retour au
motif de l’aube, au cœur du lyrisme de l’extrait.

. Ainsi Colette célèbre le monde dans cet extrait en partant de la lumière des étés de son enfance pour
arriver aux moments enchantés de l’aube. Mais ce lyrisme de la nature, dans un style qu’on peut qualifier de
prose poétique, est inséparable de l’humain. Il s’agit en effet, dans la lignée de l’œuvre, de célébrer Sido qui
semble assez posséder l’aube pour l’offrir à son enfant. Le texte devient alors aussi célébration de l’amour
maternel et de l’enfance qui, bien au-delà d’une simple anecdote, participe à la naissance du jour en une
sorte de passage initiatique, que l’écriture autobiographique permet de recréer.

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Explication linéaire 2 : p. 108-109. Sido « Les sauvages ».

Colette (1873-1954) est une grande figure de la littérature du XXème siècle. Elle a mené de
multiples carrières (comédienne, journaliste…) et une vie aussi riche que libre. Elle a écrit une
trentaine d’œuvres, dès 1900, mais ne les a signées de son seul nom qu’à partir de 1923, avec Le
blé en herbe. Sous le titre de Sido, Colette publie en 1930 un émouvant hommage à sa mère,
disparue en 1912, mais aussi à son père et à ses frères. Le troisième volet de l’œuvre intégrale
porte le titre « Les Sauvages » : il rassemble Achille, son demi-frère, issu d’une première union de
sa mère, et Léopold dit Léo, son ainé (né en 1866). Dans cet extrait de la page 108, la narratrice
évoque, avec humour et émotion, une anecdote de la petite enfance de Léopold, un caprice
d’enfant : scène difficile à situer dans le temps, mais à laquelle elle n’a sans doute pas assisté en
personne < écart d’âge de sept ans avec lui. Comment Colette célèbre-t-elle la figure de sa mère,
au travers d’une scène du quotidien ?

Ligne 99 à 117 : la narratrice détaille son sans humour la scène du caprice de l'enfant
Lignes 118 à 144 : elle raconte le dénouement de cette scène qui illustre la singularité de la
personnalité de sa mère.

Premier mouvement : la scène du caprice


-la narratrice vient de dresser un premier portrait de son frère, aux alentours de six ans, qu’elle a
présenté comme un enfant prodige doué pour la musique, plein de fantaisie et d’imagination.
-Elle passe ici à une séquence dialoguée (forme très présente dans l’œuvre de Colette). La mise en
place est très rapide, grâce à une phrase nominale aux lignes 99 et 100, mais repose comme sur un
contraste : d’une part, la reprise d’une périphrase élogieuse pour désigner son frère (périphrase
sans doute utilisée par sa mère elle-même : « un petit garçon si inoffensif »- déjà présente p. 107
Lignes 79-80. Mais cette périphrase est comme contredite par la négation lexicale qui suit : « sauf
un soir ». Etonnant effet de suspense, grâce à la phrase inachevée. La narratrice, qui se penche
avec tendresse sur le passé familial, joue avec humour sur les attentes du lecteur.
-la narratrice s’efface ensuite pour simplement rapporter au discours direct l’échange entre Sido et
son fils. Echange répété, avec la même demande formulée par l’enfant deux soirs de suite,
exactement dans les mêmes termes : « je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de
noisette ». L’emploi du conditionnel nuance un peu l’énoncé et une demande qui pourrait passer
pour un caprice.
-Désir d’objectivité : la narratrice ne nomme pas son frère ici, ni le lien qui l’unit à elle. Mais
comme une distance humoristique derrière la périphrase : « le doux petit garçon ». Humour
présent aussi au travers du contraste entre ce jugement élogieux sur son frère (sans doute
emprunté à sa mère) et l’effet que les demandes du petit garçon produisent sur cette dernière :
« ma mère impatientée ». C’est donc bien une scène de caprice que rapporte ici la narratrice, en
contraste avec le premier portrait fait de son frère.
- dans un souci de variété, la narratrice passe ensuite au récit : « cinq soirs, dix soirs ramenèrent la
même taquinerie ». Une forme de sommaire : un résumé des scènes de caprices répétées. Mais
elle passe aussi du récit à l’analyse : analyse du comportement de l’enfant (le mot « taquinerie »
étant déjà porteur de sens et déchiffrant l’intention réelle de l’enfant) et surtout de la personnalité
de Sido : « ma mère montra bien qu’elle n’était pas une mère singulière ». La scène du caprice

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répété intéresse donc autant la narratrice par ce qu’elle montre de son frère que ce qu’elle révèle
du lien entre mère et fils.
-La narratrice tente ainsi d’expliciter les motivations obscures de l’enfant et en propose d’ailleurs
plusieurs : « qui espérait peut-être qu’on le fesserait ou qui escomptait seulement une explosion
maternelle». L’emploi de l’adverbe « peut-être » modalise quelque peu l’énoncé. La narratrice
reconstitue le passé et s’efforce de donner sens à un caprice quelque peu étonnant en multipliant
les hypothèses : Lignes 115-115 énumération de GN avec une gradation ascendante qui découvre
sans doute l’objectif ultime (gagner du temps)

Deuxième mouvement : le dénouement


-le dénouement est lui aussi rapporté dans une séquence dialoguée : « un soir, après d’autres
soirs ». Mais la narratrice emploie le lexique du théâtre, déchiffrant ainsi clairement la comédie
jouée par son petit frère : « il prépara sa figure quotidienne d’enfant buté ».
-Un dénouement rapide : la parole de la mère (« Les voici ») se joint ici à l’action : le don des
friandises demandées. Un enchaînement de verbes d’action dans une même phrase montre la
rapidité du geste (« elle se leva, aveignit deux sacs… les posa à terre de chaque côté de son petit
garçon). Le don fait à l’enfant précède même sa demande, ici interrompue : « maman, je
voudrais …». La générosité de la mère s’exprime tant par le geste que par la parole avec la
promesse formulée : « quand il n’y en aura plus, tu en achèteras d’autres ». La comparaison
utilisée souligne la disproportion des sacs de friandises : « deux sacs grands comme des nouveau-
nés ». NB usage ici par la narratrice du mot « maman » comme en écho au mot employé par
l’enfant.
-La narratrice porte un regard plein de tendresse sur le couple mère /enfant et le lien qui les unit,
se mettant ici comme à distance : « son petit garçon ». Elle reconstitue les sentiments paradoxaux
éprouvés par son frère devant la générosité de la mère : « offensé et pâle sous ses cheveux noirs ».
-Mais la narratrice joue aussi sur l’humour en retardant la chute de la scène : elle ménage
savamment ses effets détaillant d’abord la réaction de son frère, sa déconvenue spectaculaire
(« et éclata en sanglots ») puis rapportant en deux temps son aveu : « Mais je ne les aime
pas »/ »je voulais les demander ». La chute fait évidemment sourire le lecteur qui découvre ainsi
l’impudence d’un caprice qui s’avoue comme tel, loin du portrait du petit garçon idéal et quelque
peu irréel jusqu’ici dressé.
-Mais, au-delà de l’enfant et du caprice, c’est encore et surtout sa mère que la narratrice analyse
ici. Elle rend hommage ici, autant qu’à sa générosité, à son infinie curiosité des êtres et des choses.
La narratrice emploie ici le surnom tendre et familier de « Sido » pour désigner sa mère, pour la
première fois dans le texte. Elle s’attache à montrer la curiosité de Sido grâce à tout un réseau de
comparaisons : trois comparaisons mettent en parallèle le regard de Sido sur son fils et celui
qu’elle prête à la nature tout entière (« un œuf fêlé par l’éclosion » « une rose inconnue » « un
messager de l’autre hémisphère »)
-La narratrice dresse ainsi en effet le portrait d’une mère à nulle autre pareille, toujours curieuse
du monde et de sa diversité, accueillant le caprice de son enfant même comme une manifestation
inattendue et fascinante.

En rapportant ainsi une scène d’enfance de son frère (sans doute connue au travers de récits
rapportés), l’écrivaine crée un enchaînement de saynettes pleins d’humour et d’émotion,
contribuant à forger et embellir la légende familiale. Mais elle rend aussi et surtout encore
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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

hommage à sa mère, une femme d’exception, curieuse du monde et des êtres. En ce sens, « Les
Sauvages » constituent bien un volet de Sido, puisque l’écrivaine capte encore l’image de sa mère
au travers de ce qui s’en reflète dans les êtres qu’elle a aimés.

Explication linéaire 3 : p. 153-154. Les Vrilles de la Vigne, « Dernier feu ». Lignes 1 à 38

Colette (1873-1954) est une grande figure de la littérature du XXème siècle. Elle a mené de
multiples carrières (comédienne, journaliste…) et une vie aussi riche que libre. Mariée très jeune,
elle découvre la vie parisienne grâce à son époux qui la guide dans ses premiers pas d’écrivaine,
mais s’attribue la paternité des œuvres ainsi créées. Les Vrilles de la Vigne sont un recueil publié
par Colette en son nom propre (sous le pseudonyme Colette Willy), alors qu’elle prend ses
distances par rapport à son époux et entame une vie nouvelle et libre d’artiste de music-hall.
« Dernier feu » appartient à un cycle de trois textes poétiques dédiées à sa compagne d’alors,
Missy, qui l’aide à se consoler des déceptions engendrées par son époux. Dans ce texte en prose
poétique, la narratrice évoque avec émotion l’arrivée du printemps dans le jardin. Comment la
narratrice célèbre -t-elle avec lyrisme la puissance du printemps ?

Lignes 1 à 17 : la narratrice célèbre la puissance féconde du soleil qu’elle oppose à la lumière du


feu
Lignes 18 à 38 : elle célèbre la beauté mystérieuse de la nature et son pouvoir magique.

Premier mouvement :
-la première phrase justifie le titre de la nouvelle, en même temps qu’elle introduit le lecteur dans
un climat de tendre intimité : la nouvelle prend la forme d’un discours au présent adressé à l’être
aimé, discrètement présent dès la dédicace, mais aussi grâce aux marques de la 1ère et
2èmepersonne.
- l’injonction initiale (« Allume… le dernier feu de l’année ») est prolongée par les marques de la
deuxième personne et les références au corps de l’être aimé : « ton visage » « ton geste ». Un
climat d’intimité s’installe avec l’emploi du « tu » et du « je », unis dans un « nous » : « notre feu
de l’hiver » « notre chambre ». L’espace de la chambre définit l’intimité des deux amantes.
-Tout un éloge du feu dans les premières lignes du texte grâce au champ lexical nourri de la
lumière (« allume » « feu » « flamme » « illumineront » « ardent »), à la belle métaphore de l’«
ardent bouquet » et même à la personnification « notre feu arrogant et bavard ».
- mais cet éloge fait mieux ressortir, par contraste, la suprématie accordée au soleil, annonciateur
du printemps : c’est ce que marque d’abord la négation partielle (« je ne reconnais plus notre
feu ») et la comparaison implicite avec le soleil ici nommé par périphrase : « un astre plus
puissant ».
-dans le deuxième paragraphe, la narratrice prend ensuite à témoin son interlocutrice, sa
compagne, mais aussi le lecteur : « Regarde ! ». La prière répétée, amplifiée par les exclamations,
rappelle celle adressée par Sido à sa fille (« Chut ! Regarde » p. 61) : une même invitation à
admirer la nature environnante, ici plus particulièrement dans l’espace du jardin.
-Elle souligne la puissance régénératrice du soleil qui métamorphose le jardin grâce à un ensemble
de négations : « il n’est pas possible que le soleil favorise autant que le nôtre les autres jardins ».
Les négations syntaxiques soulignent le caractère d’exception du jardin, véritable Eden : « rien
n’est pareil ici ». Le cadre est à la fois familier et subtilement différent et la nature prend vie et
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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

s’anime comme le montre le jeu des personnifications : « cette année… s’occupe déjà de changer
le décor de notre vie retirée ». La narratrice est sensible aux plus infimes changements, comme le
montre le jeu des notations visuelles dans la dernière phrase du paragraphe (aux lignes 13 à 15)
qui s’allonge, dans un jeu de parallélismes, pour mieux mimer le réveil de la nature.

Deuxième mouvement : elle célèbre la beauté mystérieuse de la nature et son pouvoir magique.
-Toute la puissance lyrique de la narratrice se déploie surtout dans la deuxième partie du texte
avec la célébration des fleurs (lilas d’abord, tamaris ensuite, violettes enfin). Exaltation sensible
d’emblée à l’exclamation (marquée par l’interjection « oh »). Une invitation pressante à l’impératif
présent adressée à l’amante, et par-delà au lecteur, à s’émerveiller de l’éveil et du développement
de la nature : « vois comme ils grandissent (…). Regarde bien l’ombre… ».
-La narratrice souligne l’exubérance de la végétation grâce à un jeu d’oppositions entre passé,
présent et futur : « l’an dernier » s’oppose à « Mai revenu », et plus loin à « l’an prochain ».
Comme une forme d’allégorie du printemps marqué par l’emploi de la majuscule au mois de mai.
Le jeu des négations syntaxiques amplifie tous les changements annoncés et les promesses de la
nature : : « tu ne les respireras qu’en te haussant sur la pointe des pieds » « tu ne la reconnaîtras
plus ». Et le recours au futur marque le caractère inéluctable de cette exubérance florale.
-Cette beauté comble tous les sens : la vue, d’abord et surtout, avec l’importance des sensations
visuelles, mais aussi les sensations olfactives et même gustatives, comme le montre le choix des
verbes (« respireras » « abaisser leurs grappes vers ta bouche »).
-Mais l’exaltation lyrique de la narratrice est surtout sensible dans le troisième paragraphe du
texte avec l’éloge des violettes présentées comme un miracle de la nature : « écloses par magie ».
Le passage de l’exclamation à une question rhétorique aux lignes 25 et 26 marque la volonté
d’ouvrir les yeux du destinataire sur ce miracle d’une nature qui échappe à l’homme et se
développe en autonomie. Tout un dialogue fictif s’ensuit entre les deux interlocuteurs, fait de
questions (« ne sont-elles pas ce printemps-ci plus bleues ? ») et de négations : « Non, non, tu te
trompes ». Ce débat sur les nuances de la nature se poursuit plus loin avec l’opposition entre
« plus mauves » et « plus bleues ».
-Mais la narratrice invite surtout à un changement de posture comme le montre l’injonction
pressante : « Cesse cette taquinerie ! ». Il s’agit de changer notre appréhension du monde. La
dernière phrase de l’extrait invite ainsi à communier avec la nature grâce à tous les sens, l’odorat
comme la vue : « Porte plutôt à tes narines le parfum invariant de ces violettes et regarde, en
respirant ». La métaphore du « philtre » montre le pouvoir magique des sensations.
L’accumulation des sens, en une forme de synesthésie, ouvre en effet les portes du passé :
« regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance ». C’est donc
à un retour vers l’enfance que nous convie la narratrice.

Ainsi, dans cette méditation poétique, la narratrice célèbre-t-elle la puissance du printemps et le


renouveau de la nature, l’exubérance et la prolifération des fleurs. Elle reprend ainsi une tradition
ancienne, celle de la reverdie (poésie médiévale célébrant le retour du printemps). Mais elle
montre surtout combien l’attention au monde et à ses métamorphoses est la clé d’un bonheur
primordial qui fait renaître le passé oublié. En ce sens, la méditation poétique de Colette évoque
ici l’entreprise qui guide Proust, son contemporain, dans A la recherche du temps perdu.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers
Colette Les Vrilles de la vigne : Lecture suivie.

-Première édition date de 1908 : recueil qui rassemble des nouvelles déjà publiées pour la plupart. Colette
alors séparée de son premier mari. Le recueil (publié sous le nom de Colette Willy) marque son
émancipation par rapport à la tutelle qu’il lui a imposée.

-Recueil qu’elle reprendra tout au long de sa vie : dès 1923, elle supprime la dernière nouvelle, « Le
Printemps de la Riviera ». En 1832, « Toby chien et la musique » à son tour supprimé. Mais d’autres textes
sont ajoutés (ceux figurant en annexe dans notre édition) et l’ordre profondément remanié : c’est l’édition
de 1934 (souvent considérée comme édition de référence)

-Notre édition, celle de 1908, témoigne déjà d’une composition savante.

Questionnaire préparatoire à la lecture suivie

1. Sur « Les vrilles de la vigne » : montrez comment la narratrice s’identifie au rossignol qu’elle décrit.
2. Sur « Nuit blanche » « Jour gris » et « Le dernier feu » : pourquoi peut-on dire que ces trois
nouvelles forment un ensemble ? (Deux arguments)
3. Qu’est-ce qui réunit les trois nouvelles suivantes : « Toby chien parle » « Dialogues de bête » et
« Toby-chien et la musique » ? Qu’est-ce qui les différencie ?
4. En quoi « Nonoche », nouvelle animalière, diffère-t-elle des textes qui l’entourent ?
5. Qui sont les personnages présents dans les trois nouvelles suivantes : « Belles-de-jour » « De quoi
est-ce qu’on a l’air ? » « La guérison » ? En quoi ces deux personnages s’opposent-ils ?
6. Repérez dans « En marche d’une plage blanche » « Partie de pêche » et « Music-halls » des indices
caractéristiques de l’écriture du reporter.
7. Quel regard l’écrivaine porte-t-elle sur les paysages de la baie de Somme qu’elle découvre ?

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En ce qui concerne les textes placés en annexe :

« Rêverie du nouvel an » et « Chanson de la danseuse » sont deux textes datés de 1909, méditation
poétique pour le premier., véritable poème en prose pour le second
« Maquillages », « Amours » et « Un rêve » datent de 1933 et accentuent le caractère composite du
recueil : billet d’humeur pour « Maquillages » (peut-être aussi moyen pour Colette d’assurer la promotion
de son activité d’esthétique), récit débouchant sur l’introspection dans « Amours », dialogue théâtral dans
« Un rêve » où « Moi » dialogue avec « une chienne » qu’elle peine à reconnaître.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers
1. Une nouvelle inaugurale : « Les Vrilles de la vigne ».
- Ce récit mêle habilement fiction et autobiographie. La première partie de la nouvelle est une fiction
poétique (à la manière des Métamorphoses) qui imagine comment le rossignol est devenu ce qu’il
est : un chanteur nocturne.
- Le lien avec la narratrice s’établit dans la deuxième partie de la nouvelle : la fiction est une parabole
qui met en scène le rossignol comme une image de la narratrice. Comme lui, elle est prisonnière
d’une puissance qui l’a entravée, comme lui, elle a cherché à se délivrer : « les vrilles d’une vigne
amère m’avaient liée …. Mais j’ai rompu tous ces fils tors…. J’ai jeté tout haut une plainte qui m’a
révélé ma voix ».
- La nouvelle annonce donc tous les chants qui vont suivre, la voix de la narratrice, qui se cherche et
s’éprouve : « je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, … ».

2. Premier ensemble de nouvelles dédiées à Missy (Pour M….) : « Nuit blanche » « Jour gris » et « Le
dernier feu ».
- Missy= Mathilde de Morny, la compagne de Colette pendant toutes ses années de music-hall.
- Trois textes unis par la thématique de l’amour saphique Trois discours fictifs adressés à l’être aimée
dont l’identité féminine est bien marquée à la fin de « Nuit blanche » grâce à l’emploi du participe
passé au féminin : « tu me donneras la volupté, penchée sur moi… ». Les amours saphiques et les
plaisirs charnels (avec la célébration du lit, lieu d’insomnie et de plaisir dans « Nuit blanche » et la
chute de « Dernier feu ») au cœur de ces nouvelles, qui justifient en bonne part, le parfum de
scandale entourant la publication du recueil (Cf Pléiade p. 1530, le jugement d’un critique d’époque
sur « le livre si joliment pervers que vient de publier Colette Willy »)
- Mais au thème de l’amour se mêle celui de la nostalgie et l’évocation poignante des joies perdues
de l’enfance : « j’appartiens à un pays que j’ai quitté » (« Jour gris ») ; « je revois des prés, des bois
profonds » (« Le dernier feu »)
- Enonciation marquée, registre élégiaque, prose poétique font l’unité des ces trois nouvelles,
auxquelles l’écrivaine adjoindra en 1834 « Rêverie du nouvel an », méditation poétique de la
narratrice sur son passé et sur les fêtes de son enfance.

3. Deuxième ensemble de nouvelles : (« Nonoche ») « La dame qui chante » « Toby chien parle »
« Dialogue de bêtes » « Toby chien et la musique ».
- Quatre nouvelles qui s’organisent autour du thème de l’artiste et du théâtre ou de la musique (mais
pas « Nonoche »)
- « la dame qui chante » constitue un texte atypique dans un ensemble animalier (où les animaux
prennent la parole). Une nouvelle, récit de pure fiction (loin de l’inspiration autobiographique des
autres), qui évoque, entre humour et émotion, un point de vue masculin, les affres du désir, émotion
fragile, suscités par la puissance suggestive de la voix d’une chanteuse.
- « Nonoche » se distingue aussi par les choix narratifs puisque la narratrice n’y paraît pas. Nouvelle qui
mêle récit au présent de narration, description et discours rapporté. La chatte est ici personnifiée et,
au-delà de la précision de la description animalière, l’anthropomorphisme des comportements ici
décrits est sans doute l’occasion de délivrer un message humain sur la puissance du désir. Le désir
emporte en effet Nonoche, à la recherche de nouvelles amours, loin du petit qu’elle a élevé, mais elle
garde sa dignité (dernières lignes de la nouvelle), consciente du caractère éphémère de la volupté.
Image de Colette elle-même, qui cède à la volupté, mais se préserve ?
- Les trois autres sont des dialogues théâtraux dans lesquels s’exprime toute la verve dramatique de
l’écrivaine qui se met en scène de manière plus ou moins directe.
Elle est la journaliste qui fait l’interview de Toby dans « Toby chien et la musique », amusante satire du
journalisme musical.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers
Dans les deux autres dialogues, elle est la maîtresse des deux animaux qui se disputent ses faveurs :
mais « Toby-Chien parle » et « Dialogue de bêtes » sont surtout des textes pleins d’humour ou
d’émotion qui font l’éloge du théâtre, du spectacle et de la liberté qu’il apporte. Dans « Toby-Chien
parle », le leitmotiv « Je fais ce que je veux » (p. 176- p. 181) évoque cette émancipation nécessaire
d’une relation sentimentale, source d’autant de souffrances que de plaisirs.

4. Troisième ensemble de nouvelles : « Belles-de-jour » « De quoi est-ce qu’on a l’air ? » « La


guérison »
-Ce troisième ensemble (datant de 1908-1909) propose une vision critique de la vie mondaine : il met
en scène « l’amie Valentine », jeune bourgeoise qui mène une vie élégante et la narratrice, qui
s’identifie ici à Colette : l’identité du nom est garantie dans « Belles-de-jour » : p200 « Colette est
toquée, mais elle n’est pas si rosse que vous la faites ». Mais aussi dans « La guérison » avec les
références aux spectacles joués par l’actrice : « Voici juin, et je ne joue plus La Chair, et j’ai fini de jouer
Claudine » (p. 223).
- La narratrice assume ici tranquillement son statut de déclassée, à l’écart de la société et de toute
mondanité : p. 223-224 « c’est sa façon, courtoise, de blâmer mon genre d’existence. Je ne m’en
offusque pas ». Ou bien p. 218 : « Je savoure, silencieuse, mon enviable infériorité ».
-elle porte un regard plein d’humour tendre sur Valentine, esclave de la mode et du qu’en-dira-ton, des
usages aussi : p. 200 « On n’a jamais vu une femme plus blonde, ni plus blanche, ni plus habillée, ni plus
coiffée.
-une forme d’apaisement et de sagesse, d’appropriation de soi, qui apparaît tant dans la leçon finale
sur l’amour de « La guérison » que dans « Le miroir » : étrange dialogue où l’autrice fait dialoguer deux
voix (celle de la narratrice et celle de Claudine) qui se réconcilient dans un étonnant éloge de l’enfance
perdue.

5. Le quatrième ensemble propose une série de chroniques : « En marge d’une plage blanche I et II »
« Partie de pêche » « Music-hall » et « Printemps de la Riviera ». La narratrice s’ouvre au monde
dans sa beauté et sa diversité.
-Ecriture en forme de reportage dans « En marge d’une page blanche » subdivisé en courts instantanés,
qui saisissent des paysages, des scènes de plage, des personnages haut en couleurs. Emploi du présent
de narration. Ton enjoué, plein d’humour (cf p242-243 « Jeanine est noyée »). La narratrice observe et
note, même si elle revient à l’émotion et l’introspection avec l’évocation des « forêts de Picardie qui
clôture l’ensemble : « Un ancien moi se dresse, tressaille d’allégresse… »
-La forme est proche de celle du journal dans « Partie de pêche » : plaisante galerie de personnages
croqués sur le vif, Marthe, Maggie, Le Silencieux et les autres, embarqués dans la fureur d’une partie
de pêche qui se dénoue comiquement. La narratrice fait une large part à l’action, même si elle sait
aussi saisir la beauté trompeuse des paysages de la baie de Somme : p256 « la mer est partie si loin
qu’elle ne reviendra peut-être plus jamais ? »
-Enfin, « Music-Hall » constitue une plongée dans les coulisses d’un univers familier à Colette. Elle y
évoque avec humour les répétitions de « La Chair ». L’inversion des syllabes du nom de l’artiste (Mme
Loquette) prête à sourire : mise à distance plaisante de soi-même.
(https://www.amisdecolette.fr/colette/colette-sur-scene/#pantomimes)

Le mouvement même du recueil montre donc la diversité du talent de l’écrivaine, remplissant ainsi le
programme annoncé dans le conte liminaire. Mais il témoigne surtout d’une tranquille affirmation de soi,
qui, au-delà de la nostalgie d’enfance et des intermittences du cœur, permet à la narratrice de s’accepter
comme elle est, de s’affirmer contre les jugements petits-bourgeois et d’étreindre le monde sur son cœur,
dans sa diversité

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Point de synthèse Sido.
1) Quelle est la place et l’importance du motif des « points cardinaux » ?

Lors de sa première parution, en 1929, l’œuvre avait pour titre Sido ou les Points cardinaux. Si dès 1930,
lorsque Colette ajoute les deux chapitres du Capitaine et des Sauvages, le titre devient plus sobrement Sido
(que seul son père nommait ainsi p.54), les points cardinaux sont un motif assez récurrent pour structurer le
texte. Ils apparaissent une douzaine de fois, comme des jalons guidant le lecteur.
La première occurrence du motif fait du jardin de la maison natale le centre névralgique du village :
« nous entendions, au Sud. Au Nord… A l’Est… » p. 45. Jardin qui donne le ton aux mœurs paisibles et
sociables du lieu, comme lorsque sa mère dialogue avec ses voisins, à l’aveugle, d’un jardin à l’autre, et
reçoit réponse à ses demandes, ou leur envoie des bouquets de violette.(p. 50 à 53). Les points cardinaux
tout au long structurent alors l’espace à partir du jardin, comme lors de la visite d’une « mitoyenne de l’Est »
p. 60, de l’évocation, de « l’Ouest » voisin nommé ainsi par métonymie, p. 61, ou la façon dont l’enfant
évite d’aller chez « la malade de l’Est » p. 68.
L’autrice traite aussi de « l’importance singulière » que Sido accordait « aux points cardinaux, à leurs
dons comme à leurs méfaits »(p.53) : ils sont personnifiés et deviennent comme des créatures, l’Ouest
comme un allié, le Sud capable de caprices ou de miracles, l’Est le traître dont il faut se méfier : « A
contrecoeur elle faisait pacte avec l’Est » p. 69…Mais surtout elle la montre capable d’en percevoir les
signes et de les décrypter pour prédire le temps à venir : « avertie par ses antennes,, ma mère…goûtait le
temps, me jetait un cri : « La bourrasque d’Ouest ! Cours ! .p. 47 ou « Elle captait les avertissements
éoliens …elle centralisait les enseignements d’ouest …il pleut sur Moutiers. Il pleuvra ici dans deux ou trois
minutes seulement » (p.54). Les points cardinaux sont mystérieusement liés à Sido et font d’elle une sorte de
déesse de la nature.
L’écriture va plus loin en plaçant la mère au centre d’une étoile désignant les points cardinaux, une sorte
de Rose des vents imaginaire. L’autrice en appelle ici à l’imagination de l’enfant qu’elle était : « Mon
imagination, mon orgueil d’enfant situaient notre maison au centre d’une rose de jardins, de vents, de
rayons, dont aucun secteur n’échappait tout à fait à l’influence de ma mère » p. 51. Elle s’en sert pour
exprimer une relation privilégiée entre la mère et l’enfant, persuadée d’une sorte de pouvoir magique
maternel commandant aux éléments comme aux êtres. Elle rend cette foi avec un mélange d’émotion et
d’humour : « prodiges familiers » (p.51) perçus par les yeux de l’enfant intimement convaincue des pouvoirs
surnaturels de sa mère « Apport de songe, fuit d’une lévitation magique, jour de sabbat, le piquet…tombait
couché aux pieds de ma mère » (p.52) . Ou encore lors de l’anecdote de la victoria, l’enfant « voit » le vent
du sud faisant pleuvoir les grenouilles. Mais l’adulte, malgré la distance de l’humour et la naïveté évidente
de l’enfant, reste sous le charme et se dit capable « de le voir encore ».
Colette adulte, si tôt initiée par sa mère, comme elle demande au réveil « d’où vient le vent » (p.53) et
s’intéresse aux présages du temps, toutefois décolorés par sa mort. Et c’est sans doute pour leur redonner
couleur qu’elle en fait un fil directeur de son texte, allant jusqu’à le clôturer doublement sur ce motif. Elle
place à nouveau Sido et son enfance « au centre de l’imaginaire étoile à huit branches » (p.72) qui se défit
lors du départ de sa douzième année. Mais l’écriture la rend éternelle en fixant pour toujours l’image de Sido
« le front levé » recueillant « les rumeurs, les souffles et les présages » qui lui arrivent « par les huit chemins
de la rose des vents » (p.73). Le symbole livre donc l’image la plus fidèle de Sido comme il structure le
texte.
2) Comment Colette relie-t-elle célébration de la nature et éloge de la figure maternelle ?

On peut considérer la nature d’une part, le portrait maternel d’autre part, comme les deux thèmes
principaux du texte, tout d’abord clairement reliés par la tonalité lyrique. Colette évoque les jardins de son
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village natal à travers l’exclamation nominale laudative « Oh ! Aimable vie policée de nos jardins » ! Elle
s’adresse aux fleurs du sien par une apostrophe lyrique « O géraniums, ô digitales… ». Elle prolonge la
célébration de son jardin par celle des saisons, introduite par une formule digne d’un conte merveilleux « Il
y avait dans ce temps-là de grands hivers et de brûlants étés ». Et les négations qui suivent les placent au
dessus de tout : « Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate… »
« Aucun hiver n’est plus d’un blanc pur à la base d’un ciel bourré de nues ardoisées » .Lyrisme non pas
éthéré mais s’exprimant très concrètement par les sens : cf le goût des deux sources révérées au retour des
promenades à l’aube. p. 50.
Même lyrisme pour évoquer la figure maternelle, par exemple comme croquée sur le vif lors d’un de
ses retours de Paris « Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant…elle revenait ailes battantes,
inquiète, de tout ce qui , privé d’elle, perdait la chaleur et le goût de vivre ». (p.39) Et l’autrice d’enchaîner
sur l’odeur de son manteau, faisant appel au sens et à la synesthésie comme pour la nature. Ou encore la
dernière image donnée de Sido, convoquant la métaphore de « la Rose des vents », récurrente dans l’œuvre
(cf question 1). Ce lyrisme est d’ailleurs revendiqué dans le présent de l’écriture, livrant le projet esthétique :
« Je la chante, de mon mieux. Je célèbre la clarté originelle… » p. 61
Ce lyrisme commun est alors porté par l’écriture du souvenir commémorant la pureté de l’enfance
comme un paradis perdu. La nature célébrée est celle de la maison natale, du jardin, du village, de la nature
environnante : retour à l’origine auquel la mère participe aussi de façon essentielle. Les dernières lignes
associent Sido et l’enfance pour les dire « heureuses l’une et l’autre, l’une par l’autre », et fixent l’image de
Sido « dans le jardin ». Colette date « la mauvaise fortune » du jour du départ de Saint Sauveur, et du fait
que sa mère « appartint moins à son jardin, à sa dernière enfant » mis sur le même plan. Ainsi la nature et la
figure maternelle sont intrinsèquement reliées à la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Mais la relation que l’on peut établir entre l’éloge de la nature et celui de la mère passe plus
précisément par le regard que la mère porte sur la nature. La nature est en effet pour Sido une préoccupation
constante, un centre d’intérêt puissant, sans doute le principal : « toute présence végétale agissait sur elle
comme un antidote » p. 44. Colette la montre comme une femme soucieuse de bien tenir son ménage mais
se forçant à le faire alors que son jardin est son élément vital : elle oppose ainsi « son glorieux visage de
jardin » à « son soucieux visage de maison ». Son jardin, festival de couleurs, est bien sûr magnifique mais
elle ajoute aux connaissances et à la compétence l’amour du vivant qui l’a toujours émerveillée : cf son
regard sur la poignée de neige p. 48 ou sur ses roses. p. 44 . Ou encore son jardin expérimental, dit « musée
d’essais » où la « foi » et une « curiosité universelle » lui font tenter de nouvelles plantations. Cet amour
de ses fleurs va d’ailleurs si loin qu’elle peut les préférer aux humains et les refuser à un mort ou à un culte,
malgré sa grande générosité et son attention aux êtres : p. 59 et 60. Ainsi l’amour de la nature la place au
dessus des conventions : anecdote du merle p. 62. Cela prend chez elle une forme d’appel à une liberté un
peu sauvage, à une mystique toute personnelle remplaçant le Dieu de la religion par la Nature qu’elle révère
par-dessus tout : « la tête à la rencontre du ciel dont elle bannissait les religions humaines »
Colette alors fait de sa mère l’initiatrice qui l’a éveillée à cet amour du vivant. Celle qui, grâce à sa
« rurale sensibilité, son goût fin de la province » p. 61 lui a appris, à regarder et à s’émerveiller : cf le don de
l’aube p. 49. Plusieurs scènes associent la mère parlant à la fillette avec une sorte d’autorité sacrée : de
futures plantes à respecter, des prodiges météorologiques auxquels elle a assistés, ou encore du temps
qu’elle prédit.. De ses présages, l’adulte se souvient et les imite par tendresse invétérée p. 53 mais aussi
par une sorte de ressemblance que la mère avait devinée p.58 et que l’adulte cultive p. 63.. L’écriture du
souvenir, reliant célébration de la mère et de la nature, fait se rejoindre la mère et la fille dans une sorte de
mimétisme étonnant.

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Point de synthèse sur « Le Capitaine »


1) Quel portrait Colette trace-t-elle de son père ?

Le lecteur du chapitre 1 reconnaît la « manière » de Colette : un art du portrait fragmenté et dynamique,


se composant peu à peu de façon très vivante par petites touches et par correspondances entre les différents
mouvements (5 au lieu de 6). S’esquisse au fil des pages et comme dans le désordre le portrait touchant
de « Jules-Joseph Colette », le mari de Sido, son père. Portrait physique : « sa jambe unique » p. 76 de
mutilé de guerre, son extraordinaire regard gris bleu,p. 92 sa minceur, sa force musculaire… Portrait
psychologique : ses colères mémorables, sa gaieté affichée, notamment par son habitude de chanter sans
cesse, cachant sans doute une tristesse profonde, sa pudeur, et surtout son amour fou pour Sido . Portrait
intellectuel : « Jules Joseph Colette, homme instruit, ne faisait parade d’aucune science ». Colette l’inscrit
dans l’espace géographique, (il vient du midi) comme elle l’a fait pour Sido, mais plutôt pour dire son
décalage de citadin : « la campagne éteignait mon père, qui s’y comporta en exilé » p. 85 Enfin au plan
social, elle fait ressortir sa sociabilité, et son passé guerrier de capitaine, à l’héroïsme discret : « la cuisse
gauche arrachée « en 1859, lors de la guerre d’Italie (second Empire, sous le commandement du Maréchal
Mac Mahon) , « il ne contait pas ses faits d’armes ». Chevalier de la légion d’honneur p. 91
Portrait dynamique comme celui de Sido, où l’on retrouve le récit itératif, notamment celui « parties de
campagne » qu’il organisait le dimanche. Mettant en scène « son humeur joviale », et son désir de faire
plaisir aux siens, avec plus ou moins de succès, les enfants préférant le bocage et les bois à l’étang...Elle fait
également entendre la parole de son père, dans le dialogue avec elle petite p .77, ou quand il tente en vain
de se faire obéir du chien. Mais le plus souvent, elle le fait chanter, citant les paroles p. 81, p. 82, p. 86, p. 96
qu’il entonnait sans cesse de sa belle voix de baryton. Elle use également de l’anecdote, mais de façon moins
fréquente que pour Sido, peut-être parce qu’il la « contemplait » sans cesse, et ne souhaitait rien tant que
vivre dans son ombre, en l’adorant « Pour « Elle » il avait souhaité briller, jusqu’au jour où, l’amour
grandissant, mon père quitta jusqu’à l’envie d’éblouir Sido p.78 . Anecdotes qui demeurent malgré tout : le
poème soumis au « sens critique » de la Petite, p. 77 ; le souvenir d’une « fureur véritable » tranchant avec
ses « fausses colères du Midi » p. 80 , le péage du baiser réclamé à Sido p. 94, d’où ressort la touchante
scène du baiser sur la main p. 94, ou encore son attitude injuste face à Sido en train de s’étrangler p. 97, tant
il craignait de la perdre.
En revanche les très nombreux paradoxes de ce portrait en forment la spécificité. Colette estime avoir le
plus grand mal à fixer son image mais peut décrire avec minutie une de ses photographies : « la figure de
mon père reste indécise, intermittente » vs les quelques lignes qui suivent « Là, il est fixé, à jamais ». p. 78
Elle met en valeur son extraordinaire regard mais constate qu’il a peu à peu perdu la faculté d’observer, et
même de voir sa Sido, à laquelle il est pourtant totalement attentif p. 93. Elle évoque sa jovialité, ses
chansons, sa gaieté, tout en mettant au jour une tristesse secrète et des rêveries amères : « Sauf qu’il nous fit
souvent rire…l’ai-je vu gai ? » p. 81 Elle le montre avant tout mari et amant de Sido, capable d’être
terriblement jaloux, et désirant :le tête à tête que les enfants interdisaient , mais laisse deviner plusieurs fois
un père attentif. P. 84 Enfin il sut aimer Sido de façon exemplaire mais put se montrer tyrannique lorsqu’elle
était malade « A quelle heure, quel jour sers-tu guérie ? » p 95. Tous ces paradoxes donnent l’idée d’une
personnalité secrète, complexe, .restant difficile à analyser pour Colette : ce portrait résulte d’une quête
exigeante de l’écriture autobiographique.

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2) Ce chapitre est-il destiné à « chanter » le Capitaine, en un enjeu identique à celui du
chapitre 1 ?

Certes, ce portrait est un éloge, comme dans le chapitre 1. Il s’agit avant tout de célébrer les nombreuses
qualités paternelles. Le lyrisme est moins appuyé sans doute, mais il émane de ces pages, de la part de
l’autrice, une tendresse profonde et une authentique estime pour ce père auquel elle rend hommage.
Cependant, même dans ce chapitre, Sido reste centrale, solaire. La fascination de la fillette qu’elle était :
« Mon attention, ma ferveur, tournées vers Sido ne s’en détournaient que par caprices ». L’adoration du
Capitaine lui-même. « Il contemplait Sido ». Les récits de Sido, lors des dimanches près de l’étang, sur « les
sangliers des anciens hivers, les loups encore présents » qui font écho à ceux du chapitre 1. La différence
dans la relation aux enfants, résumée par Sido et commentée par l’autrice : « Et puis je vous ai, en outre.
Lui il ne vous a pas . car elle savait tout…Dans la grappe pendue à ses flancs, à ses bras, mon père pesait
comme nous, et ne nous soutenait guère » p.95 . Dans cette image frappante, la mère porte toute la famille,
et le père est mis sur le même plan que les enfants, tous fruits de la mère et sous sa protection. Est-ce à dire
que Colette chante plus Sido que le Capitaine, jusque dans le chapitre qui lui est dédié ? Sans doute pas,
mais elle célèbre l’homme dépendant d’une femme , elle célèbre le couple et la passion qui les lia : cf
dernière phrase, et la magnifique image du baiser fervent sur la petite main. S’il y a lyrisme dans ce chapitre,
c’est celui de l’amour (et la nature en net recul)
En outre, la célébration s’efface aussi devant l’analyse et la recherche de la vérité d’un être qui lui échappa
de son vivant. Colette part du constat qu’elle a très peu connu son père, ou juste « par échappées » « par
fragments ». Elle questionne : « enfant, qu’ai-je su de lui, ? ou même s’accuse : « Mais n’aurais-je pas pu
forcer, quand il était vivant, …sa frivolité de commande ? Ne valions-nous pas, lui et moi, l’effort
réciproque de nous mieux connaître ? » p. 84 . Elle use de l’image d’une sorte d’évanescence pour suggérer
sa difficulté à le fixer « il erre et flotte , troué, barré de nuages », comme si l’écriture devait le sortir des
limbes. Et elle franchit le pas de la connaissance limitée de qui il était à une injustice de la part des siens,
comme s’il avait été sous-estimé « Mal connu, méconnu ». L’écriture devient à la fois effort pour le
connaître et entreprise de réhabilitation. Derrière la frivole gaieté Colette trouve la tristesse, les rêveries
amères, et en cible l’origine : « mon brillant, mon allègre père nourrissait la tristesse profonde des
amputés ». Ce que même Sido n’aurait pas perçu, limite de son omniscience, de son déchiffrement d’autrui.
Enfin, dernier enjeu du texte, l’analyse devient analyse de soi, le portrait croise l’autoportrait (vrai aussi du
chapitre 1). Colette cherchant son père le reconnaît en elle, maintenant qu’elle a vieilli : cf la comparaison de
leur main p. 79. Et elle se reconnaît en lui « je ne parlerai pas de mes colères, qui me viennent de lui ».
Dans une sorte de rééquilibrage cessant de toujours privilégier Sido, elle cherche « l’apport de [son]père, et
ce qui est la part maternelle ». Et se connaissant de mieux en mieux, elle départage en elle les influences
« toute heureuse d’un délitage où je n’ai à rougir de rien ni de personne » p. 78. Ainsi elle les place au même
niveau, et dans le dernier mouvement, crée même une filiation toute particulière entre elle et le Capitaine.
Dans la scène de la voyante, c’est l’esprit du Capitaine et non de Sido qui s’occupe d’elle . La phrase de la
voyante, toute comme la découverte du secret des centaines de pages blanches suggère que Colette en sa
maturité a accompli ce que le Capitaine n’a pu faire. Elle a réalisé la carrière d’écrivain dont il juste rêvé.
Elle a transformé l’impuissance en puissance ; le mirage de carrière en carrière effective, elle a couvert
l’écriture invisible de sa « grosse écriture ronde ». Colette écrivaine serait née une deuxième fois de son
père, vibrante célébration.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

Lecture suivie Les Sauvages.


Même longueur et même organisation en 5 mouvements que Le Capitaine.
1) Du début à « Je voulais les demander » p. 109. De vrais sauvages,…

Le texte commence sur la parole de Sido // ch 1) traitant ses garçons de « sauvages », plus comme un
constat résigné, sans doute admiratif, que comme un reproche. Portrait physique selon le point de vue de
Sido « elle contemplait ses deux garçons… et les trouvait beaux ». Choix d’un cadre temporel que suivra à
peu près le texte tout en mélangeant les temporalités : l’année des 17 ans d’Achille (né en 1863) et des 13
ans de Léopold (né en 1866). : donc vers 1880. (Colette a 7 ans) . Un portrait moral s’ajoute, élogieux :
sobres, vertueux, doux. Mais ressort surtout leur liberté, leur fantaisie, leur désir d’échapper au monde.
Plus poussé chez le cadet, l’aîné « savait qu’il allait commencer ses études de médecine ». L’autrice dit
s’appuyer sur les récits de Sido et de ses souvenirs de petite ’enfance. Elle oriente le récit moins sur Achille
« J’ai dit adieu au mort, à l’aîné sans rivaux » (p ;106) que sur Léo : elle veut comprendre « comment se
forma le sexagénaire à moustache grise » . Elle fait alors revivre le petit garçon de 6 ans, sa passion pour la
musique, et « son aptitude à disparaître » . Elle achète le mouvement sur la savoureuse anecdote des
noisettes, mettant en scène le dialogue entre un petit garçon malicieux, pris à son propre piège, et « la mère
singulière » qu’était Sido.
2) « Lorsqu’elle partait chaque trimestre » à « au seul enfant sauvage qui en fût digne » p. 109 à
p. 117 . Du cadet de 6 ans au vieil homme en visite

Le mouvement commence par une anecdote sur les disparitions de Léo, au plafond dans une épicerie à
Auxerre, en train de manœuvrer les rouages d’une horloge., Puis projection de Sido sur l’avenir de ses
enfants qu’elle considérant comme « des miracles » (p.111). Elle voue Léo à la musique tant il est doué mais
il la fera mentir. Insertion d’une lettre touchante de la mère à la fille où elle considère l’homme de 44 ans
comme son petit garçon, auquel elle conseille de travailler son piano. Colette pousse alors le curseur
temporel jusqu’au présent de l’écriture , vers 1930, pour évoquer son frère de plus de 60 ans qui à [ses]
yeux n’a pas changé. Elle le qualifie du nom recherché de « sylphe » (p. 112) et le dit attaché au « seul lieu
natal ». Ce lien essentiel est longuement développé à travers le récit d’une de ses visites à Colette au Palais
Royal, sous la forme d’un dialogue entre le frère de 63 ans et la sœur de 56 ans. A bâtons rompus Léo
raconte un pèlerinage à Saint-Sauveur où le fait de n’avoir pas retrouvé intacts certains lieux le remplit
d’amertume. Détail sonore du bruit disparu de la grille du château, qui pourrait sembler anodin mais qui
pour Léo est grave : « ils ont huilé la grille » dit-il froidement. p. 117. Saint-Sauveur paraît comme le
paradis de l’enfance qui n’a pas été totalement préservé mais dont Léo se souvient par tous ses sens comme
si lui n’avait pas du tout changé. Colette paraît plus adulte, plus raisonnable, tout en étant très complice de
son frère et dans la religion commune du lieu natal.
3) « Où en es-tu avec Mérimée » à « l’odeur du marécage » p. 122 le duo des sauvages et le jeu des
mignonnes

In medias res l’autrice nous fait replonger dans le temps de l’enfance, et par son art de l’anecdote campe
le duo indissoluble des « sauvages » à la périphérie duquel elle naviguait, en petite sœur tolérée mais
considérée comme quantité un peu négligeable… Anecdote des « mignonnes » liée à la thématique de la
lecture , un peu inattendue chez des sauvages avant tout proche de la nature ! Nature et culture, il est vrai
« au sommet des arbres, dans les fenils ». Humour du jeu « Recensé dans chaque livre nouveau, chaque
« mignonne » voué à l’exécration créditait de deux sous une cagnotte ». Puis elle aborde leur unique
dispute, sous la forme d’une brève lutte physique un jour, allongés sur le faîte du mur, alors qu’ils
regardaient passer une jeune fille rousse dont le cadet se moquait et que l’aîné jugeait « très mignonne ».
Mais le mouvement finit sur la complicité intacte du duo, en pleine entente et en accord avec le lieu.
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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

4) « Leur farouche humeur » à « On le tuera la prochaine fois » p. 123 à p. 128 Le duo des
sauvages et le jeu de la victime

Ce mouvement développe la « sauvagerie » ou la « farouche humeur » du duo , à travers une forme de


cruauté, celle qui les fit prendre en grippe un camarade de collège qui les recherchait : « aussi s’attachait-il
avec passion aux deux sauvages fiers, chaussés de toile, coiffés de jonc, et qui méprisaient ses cravates ».
Colette passe alors, selon son style, du récit itératif à l’anecdote ciblée et dialoguée. , qu’on aurait pu
craindre pire. Elle raconte la joie de ses frères à s’être cachés dans un bois surplombant une route au
passage de leur souffre-douleur qui venait les voir. Rien de terrible, mais le dialogue qui suit, sur le motif ‘
tuer Mathieu » mêlant de joyeux couplets et des paroles assassines, reconstitue le microcosme de la fratrie
des Colette dans sa joie insolente, peu charitable mais si radieuse. Le duo devient trio : « ma petite voix
lui fit écho » vs « je suis seule, maintenant à affirmer », l’opposition apportant la note mélancolique, de la
fuite du temps et de la perte du bonheur.
5) « Ma demi-sœur » à la fin : p. 129 à la fin Le mariage de Juliette

La dernière partie traite du mariage de Juliette, seul portrait échappant à l’éloge. Annoncé déjà p. 111 , à
travers la parole de Sido « Juliette est une autre espèce de sauvage , soupirait ma mère. Mais à celle-là
personne ne comprend rien, même moi ». La sauvagerie de Juliette comme étrangère à la famille,
contrairement à celle des garçons, sans doute venue de la singularité de Sido et de l’appel du pays natal. Ce
passage est à nouveau assez cruel pour Juliette « l’étrangère, l’agréable laide aux yeux tibétains ». Son
portrait de mariée n’est pas plus élogieux , la faiblesse nerveuse rejoignant la laideur physique « ma sœur
tremblante de faiblesse, nerveuse, toute petite, accablée de faille et de tulle blancs, pâle et qui levait sa
singulière figure de mongole… » p. 131. Le mariage lui-même est présenté comme catastrophique à travers
le regard de Sido, n’ayant que mépris pour son futur gendre et pitié pour la vie « gorgée de rêves et de
lecture effrénée, de sa fille solitaire » (on pense à Emma Bovary) .Le récit des préparatifs et du mariage lui-
même sonne tristement mais son enjeu est de rejoindre le thème et les personnages principaux des
« sauvages ». Réaction hostile des deux frères à la seule idée de devoir céder aux conventions sociales :
avalanche de tournures négatives « je n’irai pas à la noce !... Je ne mettrai pas un habit à queue ». Après
l’accélération narrative « il y eut des jours difficiles » la stratégie des sauvages, proposant de prendre en
charge une messe musicale qui eut pour résultat de les mettre en retrait, n’est éventée qu’après coup par
Sido. Puis le long repas et le bal ne sont évoqués que pour mettre en valeur la fuite d’Achille allant jusqu à
casser un carreau pour revenir dormir à la maison. Son image se détache à la fin, riche de poésie, à travers
le regard de Sido : « son aîné endormi, …la bouche fraîche et les yeux clos,et tout empreint de sa sévérité de
sauvage pur ». Anticonformisme confirmé de Sido qui le juge « enfant sage » d’avoir brisé un carreau pour
gagner sa solitude contre la foule. Colette reprend cette image à son compte dans ses derniers mots, « un lit
d’enfant où il dormait demi-nu.. » en la mettant en rapport, comme elle l’a fait pour Léo, avec l’adulte qu’il
est devenu ensuite. « ce sage, je l’ai vu cent fois franchir la fenêtre »…Elle le montre plus misanthrope et
malheureux que sage, peut-être avide de liberté et nostalgique de l’époque où il pouvait s’évader…
1) Comment ce chapitre développe-t-il le titre des « sauvages » ?
2) Comment la célébration de l’enfance mêle-t-elle le bonheur à la mélancolie ?

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers

Colette Sido suivie de Les Vrilles de la vigne. Editions livre de poche.

Synthèse sur la célébration du monde : à partir d’un sujet de dissertation .

Sujet 1 (livre de poche p. 341) Quelle place occupe la nature dans la célébration du monde que
propose Colette dans Sido et Les Vrilles de la Vigne ?
Sujet 2 : la célébration du monde ne repose-t-elle que sur l’éloge de la nature dans « Sido » et
« Les vrilles de la vigne » ?

Analyse du sujet 2 (avec les élèves)


-le sujet invite à un plan critique.
-les termes de la question posée invitent à dépasser le seul éloge de la nature.
-commenter le mot célébration : action de louer, d’honorer quelque chose ou quelqu’un
(définition du CNTRL : //www.cnrtl.fr/definition/célébration)
- la nature : à comprendre au sens large : toutes les manifestations du monde animal, végétal ou
minéral.

Proposition de plan

I) La nature est en effet célébrée dans toutes ses manifestations par l’œuvre de Colette
- au cœur de l’œuvre, une invitation à la contemplation, à une observation du monde naturel qui
nous entoure : leçon de Sido à sa fille (« Chut ! …Regarde… « p. 61), que la narratrice reprend à son
compte pour la formuler à son amante dans « Le Dernier feu ». Non pas seulement voir, mais goûter la
nature : importance ses sensations qui se rejoignent souvent. La vue, bien sûr, mais aussi l’odorat, le
goût. Toutes les sensations sont convoquées et se répondent : Cf EL 3 dans « Le dernier feu ». La nature
certes se contemple (les descriptions lyriques de paysage sont nombreuses) mais surtout elle se vit grâce
au corps ; Colette a connu dès l’enfance un état de grâce de communion avec la nature, et le recherche
toujours adulte. La nature est source d’émotions qui passent du corps à l’âme, ce que rend la prose
poétique.
-la célébration commence par celle du jardin : jardin d’enfance de la maison de Saint Sauveur en
Puisaye. L’écrivaine magnifie l’exubérance de la végétation, des fleurs en particulier, la pureté
inégalable des saisons. Exaltation lyrique sensible ds « Sido » (p.48-49). Comme un Eden perdu dans
lequel voyage l’esprit de la narratrice : dans « Le Dernier feu », le parfum des violettes fait ressurgir,
grâce à une expérience de mémoire involontaire, le passé perdu : Cf EL3 Ainsi la nature permet de faire
le lien entre le passé et le présent, et de poser une identité stable de l’être. Cf portrait de Léo.
- Mais la narratrice évoque aussi plus largement les campagnes de son enfance : éloge de la beauté
magique des promenades à l’aube (Cf Explication linéaire 1). Campagnes et forêts dont la nostalgie
poignante la hantera toute sa vie : dans « Jour gris » : « j’appartiens à un pays que j’ai quitté » p. 149.
Ou bien, dans « En marge d’une page blanche » p. 252 : ivresse sensuelle provoquée par la forêt de
Crécy, qui fait renaître des images d’enfance. Mais l’écrivaine développe aussi progressivement son
goût pour les paysages maritimes, ceux de la baie de Somme en particulier, où elle séjourne à plusieurs
reprises avec Missy : Cf « Partie de pêche » p. 256 par exemple. Toutefois ces paysages ne lui sont pas
donnés comme ceux de l’enfance, elle commence par les rejeter avant de les accepter, comme si son
regard s’élargissait en même temps que sa conquête d’une nouvelle vie. Dans Jour gris elle rejette la
mer et le vent en même temps que Missy avant de les accueillir « Reprends-moi, me voici revenue » p.
151
Réunir 2 et 3 pour amener l’idée 3 d’une nature célébrée quasi religieusement : on peut parler de culte,
remplaçant toute religion humaine, refusée par Sido, et absente de l’œuvre de Colette. Ainsi le
personnage maternel révérant ses fleurs au point de les refuser aux morts et aux fêtes religieuses, et
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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers
happée par une sorte de force supérieure, le front levé vers le ciel, quand elle contemple le merle,
« Culte bocager » transmis à ses enfants « sauvages » Colette dépeint la nature comme animée,
vivante, méritant le respect. Les animaux, si importants, dans son œuvre, participent de ce culte de la
nature, mais avec un traitement particulier et plein d’humour. Ils sont observés avec acuité , mais sont
aussi transformés en acteurs doues de parole dans des saynettes dialoguées savoureuses. .
Anthropomorphisme original de ces « fables » réunissant les animaux et les hommes. ET plus
particulièrement « Elle » (avatar du moi), Kiki la Doucette et Toby le chien. Elle fait ressortir les
intuitions fulgurantes de la chatte et l’affection bornée mais touchante du chien, toujours occupé de sa
maîtresse. L’autrice parle d’eux qui parlent d’elle, ou les fait parler parlant d’elle. Elle rapproche de
mille manière ses animaux de sa personne, célébrant ainsi leur vie commune et la vie qui leur est
commune.

II) Mais la célébration du monde dépasse le simple éloge de la nature :

- L’écrivaine célèbre aussi la nature au travers des êtres qui l’aiment ou lui sont attachés : sa
mère surtout, émerveillée par toutes les manifestations de la nature, reine incontestée de son jardin :
le respect de sa mère pour les plantes et les fleurs, pour toutes les créatures du monde vivant est au
cœur de « Sido » : Cf p. 57-58 : le refus de gratter la terre pour savoir ce qui a été planté. Sido est
comme une déesse qui communique avec la nature, sait l’interpréter (P.47 : « avertie par ses
antennes, ma mère s’avançait sur la terrasse, goûtait le temps, me jetait un cri… »), qui prédit le
temps en se fiant à la configuration des plantes ou aux postures de la chatte (p.56) , sait lire l’heure
dans la nature : p. 68 : « Elle ne consultait pas la montre, mais la hauteur du soleil sur l’horizon, et la
fleur de tabac ou le datura »… ». La célébration de la mère s’inscrit donc logiquement dans celle de
la nature, puisque c’est par sa mère que Colette a appris à l’aimer. Mais elle fait aussi l’éloge de ses
frères surnommés affectueusement « Les Sauvages », sans doute à comprendre au sens premier du
terme : ceux qui sont restés proches de la nature, refusant les conventions sociales. Léo en
particulier, décrit comme un « sylphe » (P.112), une créature surnaturelle comme hantée par la
nostalgie du passé, un enfant qui ne parvient pas à grandir. Mais elle sait aussi célébrer son père
alors que son rapport à la nature est problématique, lui qui s’est toujours comporté en exilé en tant
que citadin, lui qui ne s’intéresse à la flore et à la faune que dans les livres et auquel un chien n’a
jamais obéi. Elle le reconnaît dans sa différence et le réhabilite, ce père mal connu, ce père
méconnu.
- Plus généralement, l’écrivaine aime à croquer des gens qu’elle montre en relation avec l’espace
qu’ils occupent : le monde l’intéresse et la fascine dans toute sa diversité. Ainsi évoque-t-elle
avec humour les jeux des enfants à la plage (p. 241), les pêcheurs au café du port (p. 245) dans « En
marge d’une plage blanche ». L’écriture de la chronique permet de saisir sur le vif des saynètes
plaisantes et pittoresques : les pêcheurs sont présentés comme des indigènes curieux, aux mœurs
exotiques : « ils boivent du café et rient facilement, avec ces clairs yeux vides de pensée qui nous
charment, nous autres terriens ».(A réunir à ce qui suit)
- Au final, c’est la vie sous toutes ses formes qui la fascine : tous les milieux sociaux, tous les cadres
l’intéressent- toutes les expériences aussi. La narratrice pose un regard ironique et tendre sur la
bourgeoisie dans le cycle de nouvelles dédiées à son amie Valentine, esclave de la vie mondaine
(p.218-219), de la mode (p.214-215), prisonnière du qu’en dira-t-on (d’où le titre de la nouvelle « De
quoi est-ce qu’on a l’air ? »).
-
- C’est l’occasion en contrepoint de faire l’éloge de sa liberté propre, celle qui lui permet
d’échapper aux contraintes de la vie sociale, (p.218 « je savoure, silencieuse, mon enviable
infériorité »). Même plaisir à décrire l’envers du décor dans « Music-halls » : les répétitions de la
vedette, le désenchantement et la fatigue des danseuses comparées à « une portée de chats
orphelins ». Liberté de ton, liberté de vie.

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Emmanuelle Sanz – Lycée Félix Faure de Beauvais ; Pascale Delamarre-Lycée du Bois d’Amour de Poitiers
Faire de l’éloge de la liberté le 3ème et dernier argument, en ajoutant la liberté de forme à travers la
grande variété d’écriture des Vrilles de la Vigne. Et déboucher sur la conception du bonheur qui se fait
jour. Choisir sa vie, accéder à l’indépendance et multiplier les expériences, quitte à accepter la souffrance
et la tristesse, comme le Capitaine Colette. Vieillir aussi, mais en n’oubliant rien, en comprenant mieux qui
sont les siens et qui on est, en embrassant tous les âges de la vie.

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