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Exemples de sujets de dissertation .Première générale.

Olympe de Gouges

Rappel de la méthode de la dissertation sur oeuvre

https://www.youtube.com/watch?v=47onx6JPLcM&list=PLbQSVsS_XNHYh7xv-
Oj1py9lIc_plqZBL

https://www.youtube.com/watch?v=D0kN5pN0pu4&list=PLbQSVsS_XNHYh7xv-
Oj1py9lIc_plqZBL&index=2

Sujet : -La littérature peut-elle avoir un pouvoir politique ? vous répondrez à cette
question dans un développement organisé en vous appuyant sur la Déclaration des
droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges, sur les textes que vous
avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.

Corrigé
Introduction
« Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée, à présent je connais notre impuissance »,
écrit Jean-Paul Sartre à la fin de son autobiographie, Les Mots (1964), exprimant ainsi, à la
suite d'autres écrivains qui l'ont précédé, un certain désenchantement quant au pouvoir
politique que pourrait détenir la littérature. Pourtant, les menaces de mort, les persécutions
qu'ont subies et subissent de nombreux écrivains à travers le monde, de Rabelais à Salman
Rushdie, en passant par Olympe de Gouges et Voltaire, par exemple, suffisent à témoigner
du fait que la littérature dérange. Que peut alors la littérature lorsqu'elle se mêle de
politique ?
Nombre d'écrivains ont envisagé la littérature comme une arme leur permettant de façonner
les hommes et la société. Toutefois, les défaites de la démocratie et le non-respect des droits
humains ont montré que la littérature pouvait se révéler impuissante. De ce fait, peut-être
faut-il plutôt percevoir la littérature comme un bouclier : un contre-pouvoir.
I. Prendre sa plume comme une épée
1. Affûter l'esprit : éduquer
La philosophie et la littérature se sont longtemps proposé d'éduquer les princes appelés à
gouverner un peuple, notamment grâce aux « miroirs des princes », le genre du « miroir »
(sorte de manuel moral et politique) étant apparu dès le Moyen Âge. C'est de cette tradition
que semble hériter La Fontaine lorsqu'il dédie ses Fables au Dauphin de France :
« L'apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d'enveloppe à des
vérités importantes. » Ainsi les différentes fables qui composent son recueil abordent-elles
des thèmes moraux et politiques qui doivent permettre au jeune Dauphin d'affûter son
esprit afin de gouverner avec justice et justesse.
2 .Pourfendre préjugés et dogmatismes
La littérature sert aussi d'arme lorsqu'elle est utilisée pour pourfendre préjugés et
dogmatismes, comme le firent les écrivains des Lumières et, parmi eux, tout
particulièrement Voltaire. Dans ses contes philosophiques, ses héros enseignent aux
lecteurs une nouvelle façon de percevoir le monde et donc d'y prendre place. Le sage Zadig,
par exemple, héros éponyme du conte de 1748, juge de toutes choses avec raison et
discernement, comme lorsqu'il devient Premier ministre au chapitre VI. Face à ce
personnage mesuré et rationnel, la critique des dogmatismes et fanatismes apparaît
d'autant plus véhémente, comme dans le chapitre XII, intitulé « Le souper », où éclate une
dispute entre croyants de différentes confessions à laquelle Zadig met fin dans un esprit de
tolérance.
La littérature peut ainsi être utilisée comme une arme destinée à lutter contre les
despotismes et dogmatismes. Néanmoins, face à la violence humaine, elle se révèle parfois
impuissante.
II. Aveu d'impuissance de la littérature ?
1.Désenchantement et refus de l'engagement : le divorce entre littérature et politique
En France, l'histoire politique mouvementée du XIXe siècle a suscité à la fois beaucoup
d'espoirs et de désillusions, allant jusqu'au désenchantement. L'amertume de Gérard
de Nerval est par exemple patente après l'échec de la révolution de juillet 1830, à la suite de
laquelle est instituée une monarchie constitutionnelle et non une république. Dans son
poème « En avant, marche ! », la politique est décrite comme « une vieille hideuse », une
« prostituée / De tous les trônes absolus », et la liberté comme une chimère. Théophile
Gautier, quant à lui, déjà perçu comme le chef de file de « l'art pour l'art », décide de fermer
définitivement ses fenêtres à la politique après la révolution de 1848 et le coup d'État de
Louis-Napoléon Bonaparte, comme il l'écrit dans la préface de son recueil Émaux et
Camées (1852) : « Sans prendre garde à l'ouragan / Qui fouettait mes vitres fermées, / Moi,
j'ai fait Émaux et Camées ».
2.Des textes restés lettre morte ?
De fait, il semble que la littérature ait un bien mince pouvoir politique, comme le manifeste
l'histoire de certains textes, à commencer par la Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne d'Olympe de Gouges, qui n'eut qu'un faible écho politique et fut longtemps
oubliée, jusqu'au XXe siècle, où elle fut republiée grâce à la romancière féministe Benoîte
Groult. Il en fut de même de l'ouvrage de François Poullain de La Barre, De l'égalité des deux
sexes (1673), texte pourtant lui aussi majeur et précurseur concernant l'égalité entre
femmes et hommes. De la même façon, les nombreux plaidoyers de Victor Hugo en faveur de
l'abolition de la peine de mort, que l'on pense au Dernier Jour d'un condamné (1829),
à Marion Delorme (1831) ou à Claude Gueux (1834), n'ont pas eu d'effet immédiat.
Et pourtant, ces textes nous sont parvenus, nous les lisons encore et nous en mesurons
toute l'importance. Aussi faut-il penser le pouvoir politique de la littérature à travers le
temps : comme le dit le proverbe latin, « les paroles s'envolent, les écrits restent ».

III.La littérature comme bouclier : un contre-pouvoir


1.Défendre : faire entendre des voix inaudibles ou muselées
Comme l'écrit Italo Calvino dans La Machine littérature (1984), « la littérature est nécessaire
à la politique avant tout lorsqu'elle donne une voix à qui n'en a pas ». La littérature est donc
cet espace où se font entendre des voix autrement inaudibles. L'engagement de Voltaire
dans l'affaire Callas (1761-1765) puis dans celle du chevalier de La Barre (1765-1766)
permet la réhabilitation posthume de ces deux condamnés à la torture et à la mort. Dans le
cas de l'affaire Sirven, Voltaire obtient même la relaxe et la réhabilitation de la famille Sirven
de son vivant. L'intervention de Voltaire permet ainsi à ces familles protestantes injustement
accusées de faire entendre leur vérité. Lorsqu'elle rédige sa Déclaration, Olympe de Gouges
aussi fait entendre une voix souvent muselée, celle des femmes, rappelant qu'à rôle égal lors
de la Révolution française, les femmes n'ont pourtant pas obtenu les mêmes droits que les
hommes.
2.Dénoncer : changer nos représentations
La littérature sert enfin à faire évoluer nos représentations. C'est à ce travail de longue
haleine que se livre notamment Olympe de Gouges dans sa Déclaration en réfléchissant à la
question de la « nature » des femmes : elle affirme que les femmes sont par nature égales en
droits aux hommes et que la ruse habituelle qu'on leur prête ne leur est point naturelle
mais est au contraire la conséquence d'une contrainte sociale. Ce faisant, Olympe
de Gouges libère les femmes des clichés négatifs qui pèsent sur elles, libération symbolique
nécessaire pour que s'accomplisse une libération civile et politique.
Conclusion
Certes, lorsqu'il écrit « Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée, à présent je connais
notre impuissance », Sartre semble une fois pour toutes affirmer l'absence de pouvoir
politique de la littérature. Mais ce serait oublier qu'il ajoute aussitôt après : « N'importe :
je fais, je ferai des livres ; il en faut ; cela sert tout de même. » C'est que le pouvoir politique
de la littérature doit être pensé à travers le temps et non dans l'immédiateté d'une
publication : comme la Déclaration d'Olympe de Gouges, certains textes portent leurs fruits
bien des années, voire des siècles après leur publication. La littérature s'avère alors être un
véritable contre-pouvoir, résistant à l'épreuve du temps, au musellement de la parole et de
la pensée.

A écouter : un sujet de dissertation pas à pas : (plan dialectique)

-Sur le site « L’histoire par l’image, charlotte Denoël, archiviste et docteur en histoire de l’art,
présente la DTFC comme un « véritable manifeste du féminisme ». Dans quelle mesure cette
caractérisation vous paraît-elle correspondre à l’œuvre au programme ?

https://www.youtube.com/watch?v=smdGIpsy9WI

Autre exemple à écouter (plan thématique)

https://www.youtube.com/watch?v=XJTFUnFl4Bk&list=PLbQSVsS_XNHYh7xv-
Oj1py9lIc_plqZBL&index=11

Sujet corrigé :

-« La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter
à la tribune », déclare Olympe de Gouges dans l’article X de la DTFC. Selon vous, la
littérature est-elle une tribune efficace pour dénoncer les inégalités ?

I- Certes, la littérature d’idées est efficace pour défendre l’égalité entre les êtres humains, d’autant plus
lorsque les auteurs exposent directement leurs idées dans des argumentations directes.

a) Il faut alors penser à ces écrits où l’auteur dit explicitement ce qu’il pense comme dans les Essais
(1580) de Montaigne, l’essai d’Olympe de Gouges Réflexions sur les hommes nègres (1788) ou encore tous
les libelles ou affiches qu’elle a publiés tout au long de sa vie pour lutter contre les inégalités sociales,
raciales et politiques. Les auteurs s’impliquant personnellement, le message est d’autant plus
convaincant.

b) De plus, il existe des textes qui ont encore plus de valeur politique ou juridique, si nous pensons à
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) et à son pendant féminin La Déclaration des droits
de la femme et de la citoyenne (1791), ou encore aux articles issus de L’Encyclopédie (1751-1772) écrits par
de grands écrivains et philosophes du siècle des Lumières. Les idées des auteurs sont alors exposées
rigoureusement et de manière organisée afin de mieux convaincre les lecteurs.

[Transition] Si la littérature d’idées, où les idées sont explicitement exposées, est efficace pour plaider
en faveur de l’égalité, il n’en reste pas moins qu’il existe également des argumentations indirectes à
travers lesquelles les pensées des auteurs sont transmises de manière détournée.

II- Cependant, nous pouvons nous interroger sur les compétences réelles de la littérature d’idées pour
agir au nom de l’égalité entre les hommes, surtout lorsque les auteurs font appel à l’argumentation
indirecte ou encore à l’ironie.

a) Les argumentations indirectes, comme par exemple les apologues tels que les fables, les contes
philosophiques ou les utopies, peuvent dérouter le lecteur car ce dernier peut être plus intéressé par
les aventures extraordinaires vécues par le héros ou davantage captivé par les mondes imaginaires et
idéaux décrits que par le réel objectif assigné à ces œuvres : délivrer un message et dénoncer des faits
de société.
b) Puis, les argumentations indirectes qui usent du registre ironique, comme Montesquieu dans « De
l’esclavage des nègres » ou Voltaire dans Candide, peuvent perturber le lecteur qui ne comprend pas
les idées de l’auteur. L’ironie consistant à dire le contraire de ce que l’on pense, les écrivains prennent
un pari risqué et doivent compter sur l’intelligence du lecteur qui sera à même de comprendre le réel
message qu’ils délivrent.

[Transition] La littérature d’idées fourmille d’armes pour lutter en faveur de l’égalité des hommes
mais encore faut-il que le message délivré soit compris d’emblée. Si l’argumentation directe est
rigoureuse, elle peut ne pas captiver l’attention du lecteur. Quant à l’argumentation indirecte, elle
instruit le lecteur sous couvert de divertissement ou par le biais de l’ironie et prend alors le risque que
les idées ne soient pas toutes entendues.

III- Dès lors le meilleur moyen pour les auteurs de combattre pour l’égalité et donc d’instruire le
lecteur tout en le divertissant sans qu’il perde de vue les idées défendues par l’auteur serait de passer
par d’autres genres littéraires, comme le théâtre engagé. Le texte théâtral possède en effet deux
vecteurs de transmission d’informations qui se complètent : la lecture et la représentation du texte
théâtral.

a) Le théâtre peut ainsi, par le biais des répliques échangées entre les personnages, être l’occasion pour
l’auteur de défendre des idées, notamment le droit à l’égalité. Les dramaturges du XVIIIe siècle,
comme Marivaux et Beaumarchais, ou encore Molière au siècle précédent, ont bien compris qu’il
fallait composer des œuvres qui avaient avant tout pour objectif de plaire au public, tout en faisant
passer des idées novatrices. La Colonie, Le Mariage de Figaro ou L’École des femmes sont ainsi autant
d’exemples où l’art dramatique est mis au service des idées défendues par les dramaturges.

b) En outre, Olympe de Gouges s’est ainsi évertuée à composer dès le début de sa carrière des pièces
de théâtre engagées pour défendre non seulement l’égalité entre les hommes comme avec Zamore et
Mirza ou l’heureux naufrage (1785), qui ne sera finalement jouée qu’en 1789 sous le titre L’Esclavage des
Noirs, ou l’heureux naufrage, mais aussi le droit à l’émancipation des filles et à une plus grande liberté,
en montrant que les seuls choix qui s’offrent alors aux jeunes filles sont le mariage arrangé ou le
couvent dans une pièce au titre explicite, Le Couvent ou les Vœux forcés (1790).

Autres exemples de sujet :

- Dans son essai Des femmes rebelles, Michelle Perrot affirme au sujet d’Olympe de Gouges :
« L’écriture fut pour elle surtout instrumentale, un cri protestataire, véhément. Elle avait le talent
du manifeste. » En quoi la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne illustre-t-elle
l’écriture militante d’Olympe de Gouges ?

-Selon Olivier Blanc dans un numéro spécial de la revue L’Histoire intitulé « Citoyenne
Olympe », « il faudrait beaucoup de mauvaise foi pour ne pas reconnaître en Olympe de
Gouges un « grand homme ». En quoi l’engagement d’Olympe de Gouges pourrait-il être
qualifié d’humaniste ?

Exemples de textes

Molière, L’École des femmes, 1662 : acte III, scène 2 :

https://youtu.be/-dR1EhlrEf8
ARNOLPHE, assis.
Agnès, pour m'écouter, laissez là votre ouvrage.
Levez un peu la tête et tournez le visage :
Là, regardez-moi là durant cet entretien,
Et jusqu'au moindre mot imprimez-le-vous bien.
Je vous épouse, Agnès ; et cent fois la journée
Vous devez bénir l'heur de votre destinée,
Contempler la bassesse où vous avez été,
Et dans le même temps admirer ma bonté,
Qui de ce vil état de pauvre villageoise
Vous fait monter au rang d'honorable bourgeoise
Et jouir de la couche et des embrassements
D'un homme qui fuyoit tous ces engagements,
Et dont à vingt partis, fort capables de plaire,
Le coeur a refusé l'honneur qu'il vous veut faire.
Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux.
Le peu que vous étiez sans ce noeud glorieux,
Afin que cet objet d'autant mieux vous instruise
A mériter l'état où je vous aurai mise,
A toujours vous connoître, et faire qu'à jamais
Je puisse me louer de l'acte que je fais.
Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage :
A d'austères devoirs le rang de femme engage,
Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends,
Pour être libertine et prendre du bon temps.
Votre sexe n'est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité :
L'une est moitié suprême et l'autre subalterne ;
L'une en tout est soumise à l'autre qui gouverne ;
Et ce que le soldat, dans son devoir instruit,
Montre d'obéissance au chef qui le conduit,
Le valet à son maître, un enfant à son père,
A son supérieur le moindre petit Frère,
N'approche point encor de la docilité,
Et de l'obéissance, et de l'humilité,
Et du profond respect où la femme doit être
Pour son mari, son chef, son seigneur et son maître.
Lorsqu'il jette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôt est de baisser les yeux,
Et de n'oser jamais le regarder en face
Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.
C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui ;
Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui.
Gardez-vous d'imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines,
Et de vous laisser prendre aux assauts du malin,
C'est-à-dire d'ouïr aucun jeune blondin.
Songez qu'en vous faisant moitié de ma personne,
C'est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne ;
Que cet honneur est tendre et se blesse de peu ;
Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu ;
Et qu'il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes.
Ce que je vous dis -là ne sont pas des chansons ;
Et vous devez du coeur dévorer ces leçons.
Voltaire, Mélanges, pamphlets et œuvres poétiques, « Femmes, soyez soumises à vos
maris », 1759-1768

L’abbé de Châteauneuf me contait un jour que Mme la maréchale de Grancey était fort
impérieuse ; elle avait d’ailleurs de très-grandes qualités. Sa plus grande fierté consistait à
se respecter soi-même, à ne rien faire dont elle pût rougir en secret ; elle ne s’abaissa jamais
à dire un mensonge : elle aimait mieux avouer une vérité dangereuse que d’user d’une
dissimulation utile ; elle disait que la dissimulation marque toujours de la timidité. Mille
actions généreuses signalèrent sa vie ; mais quand on l’en louait, elle se croyait méprisée ;
elle disait : « Vous pensez donc que ces actions m’ont coûté des efforts ? » Ses amants
l’adoraient, ses amis la chérissaient, et son mari la respectait.
Elle passa quarante années dans cette dissipation, et dans ce cercle d’amusements qui
occupent sérieusement les femmes ; n’ayant jamais rien lu que les lettres qu’on lui écrivait,
n’ayant jamais mis dans sa tête que les nouvelles du jour, les ridicules de son prochain, et
les intérêts de son cœur. Enfin, quand elle se vit à cet âge où l’on dit que les belles femmes
qui ont de l’esprit passent d’un trône à l’autre, elle voulut lire. Elle commença par les
tragédies de Racine, et fut étonnée de sentir en les lisant encore plus de plaisir qu’elle n’en
avait éprouvé à la représentation : le bon goût qui se déployait en elle lui faisait discerner
que cet homme ne disait jamais que des choses vraies et intéressantes, qu’elles étaient
toutes à leur place ; qu’il était simple et noble, sans déclamation, sans rien de forcé, sans
courir après l’esprit ; que ses intrigues, ainsi que ses pensées, étaient toutes fondées sur la
nature : elle retrouvait dans cette lecture l’histoire de ses sentiments, et le tableau de sa vie.
On lui fit lire Montaigne : elle fut charmée d’un homme qui faisait conversation avec
elle, et qui doutait de tout. On lui donna ensuite les grands hommes de Plutarque : elle
demanda pourquoi il n’avait pas écrit l’histoire des grandes femmes.
L’abbé de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère. « Qu’avez-vous donc,
madame ? » lui dit-il.
— J’ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c’est, je
crois, quelque recueil de lettres ; j’y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos
maris ; j’ai jeté le livre.
— Comment, madame ! Savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul ?
— Il ne m’importe de qui elles sont ; l’auteur est très-impoli. Jamais Monsieur le
maréchal ne m’a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme
très-difficile à vivre. Était-il marié ?
— Oui, madame.
— Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j’avais été la femme d’un
pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s’il s’était
contenté de dire : Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un
homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? Quand j’épousai M. de
Grancey, nous nous promîmes d’être fidèles : je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la
sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d’obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-ce
pas assez qu’un homme, après m’avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de
neuf mois, qui quelquefois est mortelle ? N’est-ce pas assez que je mette au jour avec de
très-grandes douleurs un enfant qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suffit-il
pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très-désagréables pour une femme
de qualité, et que, pour comble, la suppression d’une de ces douze maladies par an soit
capable de me donner la mort sans qu’on vienne me dire encore : Obéissez ?
« Certainement la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux
des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n’a pas prétendu
que l’union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.

Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! Quoi ! Parce qu’un homme a
le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon
menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très-humblement ? Je sais bien qu’en
général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu’ils peuvent donner un
coup de poing mieux appliqué : j’ai peur que ce ne soit là l’origine de leur supériorité.
« Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent
d’être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des
rois. On me parlait ces jours passés d’une princesse allemande qui se lève à cinq heures du
matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à
toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de
lumières. Son courage égale ses connaissances ; aussi n’a-t-elle pas été élevée dans un
couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent
ignorer ce qu’il faut apprendre. Pour moi, si j’avais un État à gouverner, je me sens capable
d’oser suivre ce modèle. »
L’abbé de Châteauneuf, qui était fort poli, n’eut garde de contredire madame la
maréchale.
« À propos, dit-elle, est-il vrai que Mahomet avait pour nous tant de mépris qu’il
prétendait que nous n’étions pas dignes d’entrer en paradis, et que nous ne serions admises
qu’à l’entrée ?
— En ce cas, dit l’abbé, les hommes se tiendront toujours à la porte ; mais consolez-
vous, il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce qu’on dit ici de la religion mahométane. Nos
moines ignorants et méchants nous ont bien trompés, comme le dit mon frère, qui a été
douze ans ambassadeur à la Porte.
— Quoi ! il n’est pas vrai, monsieur, que Mahomet ait inventé la pluralité des femmes
pour mieux s’attacher les hommes ? Il n’est pas vrai que nous soyons esclaves en Turquie,
et qu’il nous soit défendu de prier Dieu dans une mosquée ?
— Pas un mot de tout cela, madame ; Mahomet, loin d’avoir imaginé la polygamie, l’a
réprimée et restreinte. Le sage Salomon possédait sept cents épouses. Mahomet a réduit ce
nombre à quatre seulement. Mesdames iront en paradis tout comme messieurs, et sans
doute on y fera l’amour, mais d’une autre manière qu’on ne le fait ici : car vous sentez bien
que nous ne connaissons l’amour dans ce monde que très-imparfaitement.
— Hélas ! vous avez raison, dit la maréchale : l’homme est bien peu de chose. Mais,
dites-moi ; votre Mahomet a-t-il ordonné que les femmes fussent soumises à leurs maris ?
— Non, madame, cela ne se trouve point dans l’Alcoran.
— Pourquoi donc sont-elles esclaves en Turquie ?
— Elles ne sont point esclaves, elles ont leurs biens, elles peuvent tester, elles peuvent
demander un divorce dans l’occasion ; elles vont à la mosquée à leurs heures, et à leurs
rendez-vous à d’autres heures : on les voit dans les rues avec leurs voiles sur le nez, comme
vous aviez votre masque il y a quelques années. Il est vrai qu’elles ne paraissent ni à l’Opéra
ni à la comédie ; mais c’est parce qu’il n’y en a point. Doutez-vous que si jamais dans
Constantinople, qui est la patrie d’Orphée, il y avait un Opéra, les dames turques ne
remplissent les premières loges ?
— Femmes, soyez soumises à vos maris ! disait toujours la maréchale entre ses dents.
Ce Paul était bien brutal.
— Il était un peu dur, repartit l’abbé, et il aimait fort à être le maître : il traita du haut
en bas saint Pierre, qui était un assez bonhomme. D’ailleurs, il ne faut pas prendre au pied
de la lettre tout ce qu’il dit. On lui reproche d’avoir eu beaucoup de penchant pour le
jansénisme.
— Je me doutais bien que c’était un hérétique, dit la maréchale ; » et elle se remit à sa
toilette.
Discours sur le bonheur, 1779. Emilie de Châtelet

Le bonheur est un des thèmes principaux du siècle des Lumières, qui ne l’envisage plus
comme réservé à l’au-delà, dans le paradis, mais « hic et nunc », dans la société. L’originalité
de Madame du Châtelet (1706-1749) est d’aborder cette question du point de vue d’une
femme.

Il est certain que l'amour de l'étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes
qu'à celui des femmes. Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux,
qui manquent entièrement aux femmes. Ils ont bien d'autres moyens d'arriver à la
gloire, et il est sûr que l'ambition de rendre ses talents utiles à son pays et de servir
ses concitoyens, soit par son habileté dans l'art de la guerre, ou par ses talents pour le
gouvernement, ou les négociations, est fort au- dessus de [celle] qu'on peut se
proposer pour l'étude ; mais les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de
gloire, et quand, par hasard, il s'en trouve quelqu'une qui est née avec une âme assez
élevée, il ne lui reste que l'étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes
les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état.

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