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Introduction
La littérature peut être conçu comme l’expression de l’esprit humain, une expression qui cherche à
dire le monde et les êtres qui le compose, où qu’ils soient et quelle que soit leur langue. La littérature
africaine issue du post-colonialisme, qui était à ses débuts dominée par les hommes, ne se
préoccupait pas des questions centrales à la condition féminine ou ne la décrit que d’une manière
bien particulière. En effet, les femmes n’ont eu accès à l’écrit qu’au XVIème siècle avec l’avènement
du genre romanesque dans la littérature française. Ce fut d’abord en France avec les grandes figures
féministes, notamment Simone de Beauvoir qui déclare, en parlant des genres comme des
constructions sociales, « On ne naît pas femme : on le devient »1. En Afrique, les romancières n’ont
commencé à écrire et surtout à n’être publiées que récemment. Le premier roman d’une écrivaine
africaine d’expression française date seulement de 1976. C’est Aminata Sow Fall avec son oeuvre
intitulée Le Revenant qui ouvre la porte aux romancières de l’Afrique Sub-Saharienne dont le nombre
augmente considérablement dans les années 1980. Ce retard est principalement dû à une scolarité
défavorable des filles sur le continent africain, liée au poids des traditions. Malgré leur importante
contribution au développement de leurs sociétés, ces femmes subissent un manque d’égalité entre
les sexes. Elles ont donc besoin d’améliorer leurs conditions de vie, et leurs droits. C’est ce qui
entraîne l'idée de révolte. Le roman de Calixthe Beyala sur lequel porte notre étude s'inscrit dans
cette perspective. Dans ce travail, notre objectif est d'analyser l’image de la femme dans c’est le
soleil qui m’a brûlée. Pour se faire, nous ferons d'abord une brève présentation de l'auteur et son
oeuvre.
Calixthe Beyala est originaire d'une famille modeste du Cameroun, où elle passe son enfance. Sa
sœur aînée l'élève et subvient à sa scolarité. À
par Elysé Djely
Soutenue le 20-10-2022
Hugo Bréant
Dans Afrique contemporaine 2012/1 (n° 241), pages 118 à 119 article
1Entre une poignée d’écrivaines médiatiques érigées en porte-drapeau et une majorité d’autres,
publiquement invisibles, la littérature féminine africaine reste aujourd’hui à (re)découvrir.
2Parler des écrivaines africaines, c’est généralement mettre en lumière une exceptionnalité. Les
médias qui dressent le portrait de ces femmes insistent sur la singularité d’une activité qui
s’exercerait dans une Afrique décrite, à tort, comme patriarcale et « traditionnelle », qui ne scolarise
que peu les jeunes filles, n’offre aux femmes qu’un rôle social dominé qui les confine dans l’espace
domestique et les exclut de toute scène publique.
3Dès lors, qu’une poignée de femmes parvienne à prendre la parole et à écrire serait en soi un fait
extraordinaire. Cette vision normative, et largement réductrice, ne doit cependant pas faire oublier
une certaine marginalité effective. À l’invisibilité publique succède alors, pour celles qui veulent faire
de la littérature leur métier, une invisibilité médiatique, tant cette production artistique est peu mise
en avant. Il est peu surprenant de voir l’une de ces écrivaines choisir le pseudonyme de Ken Bugul,
« celle dont personne ne veut » en wolof.
4Invisibles et invisibilisées, ces écrivaines produiraient nécessairement une écriture féministe qui
brise les tabous. Pour Angèle Bassolé Ouédraogo, cette inscription des femmes dans le champ
littéraire est ainsi une conquête réalisée par des « militantes de l’ombre » (Ouédraogo, 2008). Par
essence transgressives, ces écrivaines mettent principalement en scène des personnages féminins
puissants et développent une écriture spécifique, corporelle, « sociale et sensitive » (Brière,
Gallimore, 1997), qui a cette force d’être vindicative et constructive à la fois. Envisagée sous cet
angle, la littérature féminine africaine constitue un véritable contre-discours positif, à même de
revendiquer des changements sociaux majeurs.
5Mais au-delà de ce discours devenu consensuel, peut-on affirmer pour autant que cette littérature
féminine est un miroir de l’Afrique contemporaine et des réalités vécues par les femmes sur le
continent ? Peut-on assurer que ces femmes de lettre récemment médiatisées sont l’étendard de
toutes les écrivaines d’Afrique, et plus largement de toutes les femmes africaines ?
6Il faut en effet se garder, selon les propos d’Aminata Sow Fall elle-même, de tout « discours
généralisateur sur la femme » qui serait « hasardeux » (Sow Fall, 2005). Il est donc important de
rappeler à quel point cette littérature est le fruit de femmes aux trajectoires spécifiques. Parmi les
auteures les plus marquantes, ces femmes ont, d’une manière ou d’une autre, côtoyé de près la
culture française, ou plus largement européenne ou nord-américaine. Certaines ont été sur les bancs
du lycée français avant de partir étudier en Europe, d’autres ont longuement vécu en Europe ou y
sont même nées.
7Plus qu’un révélateur des mutations du continent, ces ouvrages sont avant tout l’écho des parcours
de ces intellectuelles, universitaires, femmes politiques ou fonctionnaires internationales qui font
bien souvent partie de la diaspora. Il est alors tout à fait possible de parler, comme d’autres l’ont fait,
de « consécrations sous conditions » (Ducournau, 2009). Les femmes n’ont d’ailleurs à ce titre plus
grand-chose à envier aux écrivains masculins puisque leur marginalité s’estompe et qu’elles
obtiennent la reconnaissance de grands prix littéraires comme Calixthe Beyala et Marie Ndiaye.
8Leur littérature est en outre publiée en France et destinée à un public français. Peut-être faut-il
alors prendre l’émergence médiatique de cette littérature féminine africaine sur le marché éditorial
français pour ce qu’elle est, c’est-à-dire non comme une photographie mais comme une des
nombreuses mises en récit de l’Afrique, issue d’auteures de la diaspora, ancrées dans une double
culture. Dans ce cas, ce serait admettre que cette littérature peut, à son tour, reproduire certains
stéréotypes. Les attentes des éditeurs et des lecteurs français peuvent ainsi enfermer ces écrivaines à
la fois dans une écriture considérée comme proprement féminine, avec les représentations que cela
comporte autour notamment de thèmes récurrents de la maternité, la polygamie ou l’excision ; mais
aussi dans une image simplifiée des réalités sociales du continent qui présente la femme africaine
comme constamment tiraillée entre les carcans de la tradition et les promesses de la modernité.
9Considérer ces écrivaines sous ce jour, ce n’est pas seulement se réjouir du fait que
les subalternes peuvent parler (Spivak, 1988), mais observer que ces derniers peuvent parfois, plus
ou moins inconsciemment, et par le prisme déformant de leur culture hybride, adopter et véhiculer
les formes d’un discours de la domination coloniale et postcoloniale qui fige l’Afrique dans des
représentations dévalorisantes.
10Sans tomber dans le piège qui opposerait de manière binaire les authentiques Africaines et les
écrivaines occidentalisées, montrer que cette littérature est le produit d’écrivaines au profil
particulier, c’est observer qu’on ne peut pas l’envisager comme une globalité représentative, à
même de révéler tout de l’Afrique et des femmes africaines. Pour faire de cette littérature féminine
un réel analyseur des sociétés africaines, encore faudrait-il se pencher sur les écrivaines d’Afrique
dont les œuvres restent largement à découvrir.
11En effet, si la féminisation de la littérature africaine paraît nouvelle, c’est avant tout parce que de
nombreuses œuvres nées dès le xixe siècle sont tombées dans l’oubli, inconnues des médias français
et surtout écartées des enseignements littéraires africains. Même si Jacques Chevrier écrit en 1984
dans Littérature nègre que « peut-être est-il trop tôt pour parler d’écriture féminine », cette
littérature est ancienne. Qu’il s’agisse des récits de la vie de cour (Mémoires d’une princesse
arabe d’Emily Ruete, née princesse d’Oman et de Zanzibar, Allemagne, 1886), de textes anti-
esclavagistes (Poèmes et Chansons de Nele Mariam, Congo, Belgique, 1935), de souvenirs d’une
jeune diplômée de l’École normale de Rufisque (Je suis une Africaine… j’ai vingt ans. Autobiographie
d’une jeune institutrice togolaise, Togo, 1942), du premier roman publié par une femme africaine
(Ndonga de Marie-Claire Matiz, Cameroun, 1958), les écrivaines africaines anglophones et
francophones ont depuis longtemps investi tous les genres littéraires. Mais leur production, pourtant
fondatrice, a souvent été reléguée au second plan.
12Et aujourd’hui encore, de nombreuses écrivaines affrontent quotidiennement, au même titre que
les hommes d’ailleurs, les difficultés du monde de l’édition africain. Rarement éditées, jamais
vendues dans les trop rares librairies des capitales africaines et donc fatalement coupées d’un
potentiel lectorat africain, beaucoup de femmes, de toutes les générations, écrivent des romans, des
contes pour la jeunesse, des essais, des recueils de poésie ou de nouvelles autour de thématiques
très diverses, et pas nécessairement « féminines ». Et c’est cette « réalité féminine hétérogène »
(Kassi, 2002, p. 44) encore inconnue qui pourrait pourtant offrir un véritable reflet des Afriques
contemporaines, multiformes et en perpétuel mouvement.
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