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Projet de thèse

Le Romanesque des femmes auteures du XIXème siècle

Être une femme auteure au XIXème siècle ne prédisposait pas à la postérité. Pourtant
nombre d’entre elles ont tenté l’aventure, se sont revendiquées et imposées en tant
qu’écrivaines de renom bien que le monde de l’édition leur imposât beaucoup de restrictions
par rapport à leurs homologues masculins. L’opinion des lecteurs a incité les éditeurs à écarter
les œuvres romanesques des femmes de leurs catalogues.
Parmi ces victimes, quelques-unes ont bravé les barrières et sont parvenues jusqu’à nous telles
que George Sand ou Marceline Desbordes-Valmore, d’autres, au contraire, ont été reléguées à
l’oubli à l’instar de George de Peyrebrune, Louise Colet ou dont la production littéraire n’est
publiée que partiellement comme celle de Rachilde.
Ces romancières prolifiques, qui ont en commun l’engagement envers la condition féminine et
les contraintes liées à la diffusion de leurs œuvres, sont très actives dans le panorama
artistique et littéraire du XIXe siècle. Des traces de leurs travaux peuvent se retrouver dans les
correspondances, les manuscrits, les mémoires et d'autres documents, édités et inédits.
Les œuvres de ces femmes sont le témoignage de leur engagement avec la cause féminine,
engagement qui s’alimente du privilège éditorial exclusivement masculin sur la scène
littéraire.
Certaines femmes auteures, en plus de leur activité de journalistes, ont été publiées chez de
grands éditeurs : Charpentier, Ollendorff, Dentu, tel est le cas de George de Peyrebrune dont
Octave Mirbeau reconnait le talent : « Ce roman (Victoire la Rouge) d’un talent si âpre et si
ému à la fois auquel la critique […] n’a pas fait l’honneur d’une attention sérieuse […] Je
voudrais avoir en moi assez de puissance pour venger, à moi seul, l’auteur de ce livre. »1
Après son premier roman Marco, publié dans la Revue des Deux Mondes, George de
Peyrebrune s’envole vers d’autres succès et continue d’écrire dans le télégraphe, le figaro ou
dans la fronde de Marguerite Durand et a été membre du jury Fémnia. Son roman Gatienne a
été adapté au théâtre et sa nouvelle Lou Floutaire trasposée en Opéra sous le titre de Janie.
Malgré cette très riche activité intellectuelle, l’œuvre de l’auteure n’a pas résisté à l’épreuve
du temps et le seul roman publié de nos jours dans une édition poche est Victoire la Rouge.
Sa correspondance atteste de la réalité imposée aux romancières, dans une lettre datée du 24
juin 1886, Rachilde partage avec Peyrebrune son avis sur la situation des femmes auteures :
1
Octave Mirbeau, Les grimaces et quelques autres chronique, Bnf, Gallica, Paris, 1927., p.934.

1
« quand une femme de lettre n’est pas une catin, il faut au moins qu’elle puisse avoir l’air de
l’être. »2
La grande majorité des romans de George de Peyrebrune renvoie à l’injustice faite aux
femmes, des obstacles qui sont souvent sources de souffrance.
Quant à Louise Colet, toute recherche de son nom mène indéniablement vers Gustave
Flaubert, à croire qu’elle ne peut exister dans le monde littéraire sans lui, elle a écrit dans Lui,
Roman Contemporain :

Vous qui écrivez, me disait un soir la marquise Stéphanie de Rostan, un de ces rares et nets esprits du
dix-huitième siècle qui semble avoir sauté à pieds joints sur les années écoulées jusqu'à notre époque
indécise où les intelligences cherchent leur route, les consciences leur morale, et les écrivains leur
style ; vous qui écrivez, gardez-vous du pathos en amour et ne dissertez pas de ce sentiment naturel et
simple, de cet attrait puissant et bien caractérisé qui attire et confond les êtres, avec le langage de la
métaphysique et du mysticisme. Si les héroïnes des romans modernes sont si ennuyeuses et à mon avis
si immorales, c'est qu'à propos d'amour elles parlent religion et maternité, et obscurcissent par des idées
tout à fait à part cette belle flamme de la jeunesse qui ne réchauffe plus aucun cœur et ne colore plus
aucun récit.3 

Les femmes qui écrivent sont réduites à ces champs desquels elles ne sont pas, selon le public,
capable de s’éloigner sous prétexte que leur perception du monde passe forcément par le cœur
plutôt que par sa raison. Pourtant, Louise Colet a écrit des poèmes, des pièces de théâtre et des
récits de voyage et a fréquenté les écrivains les plus connus de son époque. Cela n’a pas été
suffisant pour propulser son nom jusqu’au XXIème siècle, elle n’a pu s’imposer autrement
que comme un bas-bleu. Les discours misogynes proférés par Gustave Flaubert ou Barbey
d’Aurevilly à l’encontre de l’auteure l’ont condamnée à ne pas entrer dans leur monde : « On
traite les femmes comme nous traitons le public, avec beaucoup de déférence extérieure et un
souverain mépris en dedans. »4
Le discours flaubertien est toujours critique envers Louise Colet, l’auteur de Madame Bovary,
bien que parfois séducteur, lui reproche de trop s’attacher à ses engagements et tenter de la
dissuader de poursuivre sur cette voie.
Non seulement l’écrivaine se heurte à monde professionnel sectaire mais aussi dès la
naissance de son intérêt pour la littérature sa famille songe à la marier pour l’éloigner de ses
idées artistiques. Cela l’amène à revendiquer la grandeur du sexe féminin et à promouvoir

2
SANCHEZ Nelly, Georges de Peyrebrune, Correspondance de la Société des gens de lettres au jury du prix Vie
heureuse, Paris, Classiques Garnier, 2016, p.53.
3
Louise Colet, Lui, Roman Contemporain, Bourdiliat, Bnf, Gallica, Paris, 1860, p. 16.
4
Lettre du 15 avril 1852. Gustave Flaubert, Correspondance, éd. Jean Bruneau, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de La Pléiade », vol. 2, 1980, p. 71.

2
l’écriture féminine et ses romans deviennent des règlements de comptes personnels. Et, à
l’instar de George de Peyrebrune, ses œuvres lui ont valu des prix distingués tel que le prix de
l’Académie Française.
Le troisième cas est celui de Rachilde, qui à l’âge de quinze ans, « ose » envoyer à Victor
Hugo une nouvelle qu’elle a écrite, Premier amour. Ensuite, avec Monsieur Vénus, roman
matérialiste elle a tenté de prouver que son sexe n’était pas un obstacle à l’écriture ni à la
publication. Néanmoins elle a choisi de faire éditer ce roman hors de France afin d’éviter la
censure, ce qui indique la forte influence des hommes et de leurs restrictions sur la publication
des créations féminines.
De son vrai nom Marguerite Eymery, elle prétend être possédée par un esprit qui lui dicte ses
textes et qui lui souffle même son nom d’auteure. Ce qui suscite une certaine curiosité pour
connaître la raison d’un tel discours : est-ce pour être reconnue qu’elle déclare qu’une entité
masculine lui inspire sa production ?
Elle a joué un rôle important dans le mouvement symboliste et est considérée comme une
pionnière de la littérature féministe. L’analyse de ses stratégies éditoriales, les réceptions
critiques de ses romans et leur impact sur la littérature de l'époque, permettent de mieux
comprendre la place de Rachilde dans le paysage littéraire de son temps et son influence sur
les générations suivantes.
Pour cette étude il est nécessaire de faire une recherche approfondie des archives, des
correspondances et des comptes rendus de l'époque pour reconstituer les pratiques éditoriales
et les contrats d'édition relatifs à la publication des œuvres des femmes auteures du XIXème
siècle. L’examen des stratégies de publication, les contraintes économiques et les obstacles
sociaux et culturels auxquels les femmes auteures ont dû faire face sera indispensable pour
mener à bien ces recherches.
De même qu’un regard sur la manière dont les femmes auteures ont réussi à s'organiser et à se
soutenir mutuellement pour surmonter les obstacles liés à leur sexe, une étude comparative et
une analyse textuelles de leurs romans pour identifier les thèmes récurrents, les styles
d’écriture et les innovations littéraires pourrait approfondir cette réflexion et permettrait de
nous éclairer sur la manière dont elles ont dû trouver des moyens de contourner les barrières
qui se dressaient devant elles et de mettre l’accent sur leur influence et leur place dans
l'histoire littéraire.
Les objectifs sont : L’examen des choix éditoriaux de ces trois romancières concernant la
publication de leurs romans, l’analyse de leurs relations avec les maisons d’éditions avec
lesquelles elles ont collaboré et des changements d’approche au fil du temps.

3
Il est aussi intéressant de se pencher sur la dimension féministe de leurs œuvres et les
représentations des genres et de la sexualité dans leurs écrits ainsi que leur engagement pour
l’émancipation des femmes.
L’étude comparative permettrait de mieux comprendre les points de départ et les points
d'arrivée, les difficultés initiales et celles rencontrées le long du parcours. De la même
manière mettre en évidence la marginalisation qu’elles ont subi peut aider à valoriser le travail
de ces femmes.
Bien que l’opinion générale des hommes de lettres à l’égard de leurs consœurs était plus
modérée, l’opinion de fond était toujours la même. La plupart d’entre eux continuait à ne pas
reconnaître en elles des créatrices. Or, la production romanesque féminine est un témoignage
de la capacité des auteures à mettre en place des stratégies de publication pour une
reconnaissance méritée de leur production sur la scène nationale et internationale d’abord en
tant que femme, ensuite en tant que créatrices.

4
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6
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