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«La mission de la littérature doit être d'orner et de récréer l'esprit en élevant l'intelligence et en

épurant les mœurs plus encore que d'imprimer le dégoût du vice en offrant le tableau des
désordres qui peuvent exister dans la société » pouvait-on lire dans le jugement rendu lors du
procès Gustave Flaubert. En effet, la littérature s’est souvent donné comme mission d’être une
cure pour les souffrances humaines.
D’abord, l’écriture littéraire a tenu à jouer sa partition dans la marche en avant de l’humanité
car l’écrivain à conscience d’appartenir à une société dont il ne peut taire les vices qui la
détournent de la voie du progrès. En effet, la littérature est, dans certains cas, une compagnie.
Elle peut ainsi être vue comme un moyen de vaincre la solitude et l’oisiveté car le livre vient
inscrire une présence : il apporte avec lui un monde, des paysages, des personnages, des voix,
des affections et des pensées. Il remplit un vide et fait oublier l’isolement. On peut, dans ce
cadre, citer les romans d’aventures dont la fonction première est de divertir le lecteur en le
mettant en face d’histoires extraordinaires qui peuvent lui permettre de surmonter la maladie
de la solitude par le divertissement, par exemple les aventures d’un homme qui fait le tour du
monde en 80 jours dans le roman de Jules Verne. Le volet ludique de la littérature peut aussi
revêtir une autre fonction thérapeutique quand on sait qu’elle permet à l’écrivain lui-même de
pénétrer dans un univers onirique qui lui donne l’occasion de fuir la vie réelle laide et faite de
déceptions. En effet, l’écriture est un moyen pour lui de se plonger dans cette « vraie vie » dont
parle Marcel Proust, « la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent
pleinement vécue » qui n'est autre que celle qui existe dans la littérature. La poésie, les
romans..., deviennent alors le moyen de pénétrer dans un monde imaginaire où le bonheur n’a
pas de limites. Certains écrivains invitent le lecteur à effectuer ce voyage, pour reprendre ici le
titre du poème de Baudelaire, « L’Invitation au voyage » (Les fleurs du mal), un texte dans
lequel le poète recherche d'un art de vivre dans un idéal qui lui permettra de venir à bout du
spleen : « Mon enfant, ma sœur,/Songe à la douceur/D'aller là-bas/Vivre ensemble!/Aimer à
loisir,/Aimer et mourir ».
Ensuite, cette utilité de la littérature s’est également mesurée par des enseignements qui font la
promotion des responsabilités sociales car elle s’est aussi donné comme mission de mettre à la
portée de ses lecteurs des valeurs morales capables de les maintenir dans le droit chemin. Pour
cela, il était nécessaire de débarrasser la société de ce qui porte atteinte à sa stabilité et à sa
cohésion. C’est la principale mission que se sont donnée les écrivains africains, eux dont
l’objectif premier est de sortir l’Afrique des multiples drames qui la meurtrissent. C’est dans ce
sens que le camerounais Pabe Mongo synthétise ainsi le contexte d’écriture des romanciers
africains contemporains : « ...je dirais que nous sommes les écrivains des sept plaies de
l’Afrique : la faim, la sécheresse, l’endettement, la détérioration des termes de l’échange, la
maladie, la « poubellisation », les dictatures, le néocolonialisme...». Voilà les principaux maux
dont souffre l’Afrique au détour des années 80 et que les écrivains vont tenter de guérir dans
leurs productions. Concrètement, on peut citer un roman comme Trop de soleil tue l’amour
(1999) de Mongo Beti, un ouvrage dans lequel on retrouve la volonté de l’auteur de faire
prendre conscience aux africains de toutes ces déviations qui les plongent dans le chaos. Qui
plus est, l’écriture est aussi un moyen de se libérer de ses angoisses ou d’un mal qui ronge. En
effet, elle a souvent servi d’exutoire aux écrivains qui, en livrant les méandres de leurs états
d’âme, se départissent en même temps de la douleur qui les rongeait. Tel est par exemple la
lecture qu’on peut faire en partie de Les contemplations de Victor Hugo, un recueil qui a permis
à son auteur, entre autres, d’enterrer le deuil de sa fille morte. Il le dit lui-même dans la préface
: « On ne s'étonnera donc pas de voir, nuance à nuance, ces deux volumes [de l’ouvrage]
s'assombrir pour arriver, cependant, à l'azur d'une vie meilleure. »
La littérature a donc eu comme vocation d’être une thérapie qui viendrait à bout des maux qui
gangrènent les hommes et la société dans laquelle ils vivent. Toutefois, on ne saurait nier qu’elle
a également eu d’autres objectifs tels que l’esthétique et l’autobiographie.

Multiples, il est vrai, ont été les autres vocations de l’œuvre littéraire quand on sait que dans
son histoire, les rôles qui ont été assignés à la littérature ont divergé en fonction des mouvements
et des sensibilités.
Il y a d’abord ceux qui ont défendu la pure gratuité de l’œuvre d’art qui ne doit son existence
qu’à son inutilité : « Quant à nos principes, ils sont suffisamment connus : nous croyons à
l’autonomie de l’art ; l’art pour nous n’est pas le moyen, mais le but. Tout artiste qui se propose
autre chose que le beau n’est pas un artiste à nos yeux... » écrivait Théophile Gautier au XIXème
siècle. Comme en écho, Alain Robbe-Grillet s’exclamera ainsi un siècle plus tard : « L’œuvre
doit s’imposer comme nécessaire, mais nécessaire pour rien ; son architecture est sans emploi ;
sa force est une force inutile ». Ce type d’écriture se défend de toute ambition qui ne serait pas
purement littéraire et formelle. Tel est le sens qu’il faut donner à la publication de Les trophées
de Jose Maria de Heredia en 1893, un recueil dont ces propos extraits de la dédicace sont une
illustration de la dimension purement esthétique : « Un à un, vous les avez vus naître, ces
poèmes...avec les règles et les subtils secrets de notre art, l'amour de la poésie pure et du pur
langage français. »
Il faut, en plus de cela, noter que la littérature a été vue somme un simple jeu qui met en avant
les talents de créateurs de ses pratiquants. En effet, l’écriture a été utilisée comme un « exercice
de style » qui repose sur des prouesses techniques qui consistent en l'invention et
l'expérimentation de contraintes littéraires nouvelles. On peut, dans ce cadre, faire allusion aux
écrivains de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentiel) un groupe international de littéraires et
de mathématiciens fondé en 1960 et se définissant comme des « rats qui construisent eux-
mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». On peut précisément citer Exercices de
style (1947) d’un de ses principaux fondateurs, Raymond Queneau ; c’est un brillant exemple
d'une contrainte littéraire : écrire 99 fois la même histoire et chaque version de l'histoire doit
illustrer un genre stylistique bien particulier
Ensuite, l’écriture a donc souvent été un moyen pour les auteurs de se dévoiler et de porter leur
moi à la connaissance du public. En effet, il faut souligner que l’écrivain est, comme tout être
humain, quelqu’un qui a parfois besoin de raconter sa vie et de l’exposer aux yeux du lecteur.
C’est aussi un moyen pour lui de se confesser et de se faire juger. Pour exemples, on peut citer
les Essais (1580) de Michel de Montaigne dont l’auteur s’adresse ainsi au lecteur dès la préface
: « C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé
aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma
gloire », ou encore Les Confessions (1765-1770) de Jean Jacques Rousseau dont le début est
une véritable profession de foi : « Ma naissance fut le premier de mes malheurs » ; « Je naquis
infirme et malade » ; « J'étais né presque mourant » ; « J'apportais le germe d'une incommodité
que les ans ont renforcée ».
En fin de compte, la littérature remplit plusieurs fonctions aussi importantes les unes que les
autres. Elles tiennent compte des aspirations des écrivains et des sensibilités littéraires.

On peut donc parler d’une fonction essentielle de la littérature qui a été de susciter un effet chez
le lecteur afin de le conscientiser et de le soustraire des maux qui l’empêchent de s’épanouir en
lui délivrant un message qu’il ne pensait peut-être pas trouver en lisant tel ou tel ouvrage, dont
l’impact tient à ce même pouvoir de transformation de l’œuvre littéraire. Mais force est
également de reconnaître qu’il ne saurait être question de réduire la fonction de cette dernière
à une simple vocation thérapeutique car son aspect esthétique et autobiographique participent à
sa définition même. Autant donc méditer sur cette réflexion d’Horace dans son Art poétique :
« Il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps.
».

Mamadou Ba
Tel : 77-792-98-15
Mail : ba075663@gmail.com
COREDOR( Coin de Rendez-vous du Donner et du Recevoir)

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