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Pouvoirs du roman
Avec son nouveau livre, « Le Rideau », qui paraît ce mois-ci à Paris aux éditions
Gallimard, Milan Kundera étend sa réflexion sur l’art du roman. Le monde,
suggère-t-il, nous est voilé par un « rideau » d’interprétations toutes faites,
d’images fallacieuses, de représentations édifiantes et mensongères. Et la
fonction du roman, depuis l’aube des temps modernes, est de le déchirer, pour
révéler ces quelques éclats de vérité auxquels seuls les authentiques
romanciers peuvent nous faire accéder.
V
oici qu’un romancier contemporain, l’un des plus
grands, éprouve le besoin d’interrompre un temps
l’écriture de ses romans pour nous livrer une
méditation sur son art. Faut-il s’en étonner ? En une
époque de stérilisation et d’avachissement du discours
universitaire, et de transformation de la critique littéraire en
bavardage promotionnel, on ne voit guère qui pourrait le faire à
sa place... Milan Kundera, donc, nous offre le troisième volet de
son « art du roman » : il y récapitule les principaux thèmes de ses
essais antérieurs (1), pour les approfondir, les compléter, les
développer, les ouvrir à des perspectives nouvelles. Certes, ce
livre ne se présente pas autrement que comme la réflexion d’un
créateur à partir de sa propre pratique, permettant d’en éclairer
l’esthétique, les partis pris singuliers. Mais à le lire, on perçoit
qu’il n’en a pas moins une portée beaucoup plus générale.
Guy Scarpetta
Ecrivain. Auteur notamment de L’Age d’or du roman (Grasset, Paris, 1996), de Pour le plaisir
(Gallimard, Paris, 1998), de Variations sur l’érotisme (Descartes et Cie, Paris, 2004) et de La Guimard
(Gallimard, Paris, 2008).
(1) L’Art du roman, Gallimard, 1986, et Les Testaments trahis, Gallimard, 1993.
(2) Kundera évoque une enquête réalisée par un journal français auprès d’un panel
d’intellectuels éminents, à propos des livres les plus remarquables de l’histoire de
France. Le livre qui arrive en première position est Les Misérables. Au dixième
rang, les Mémoires de guerre du général de Gaulle (!). Gargantua et Pantagruel
au quatorzième rang seulement. Madame Bovary n’obtient que la vingt-
cinquième place, et Bouvard et Pécuchet est relégué au centième rang, le
dernier. N’apparaissent dans ce palmarès ni L’Education sentimentale, ni
Jacques le Fataliste, ni aucun livre d’Apollinaire ou de Beckett. Ce qui, par
rapport à la façon dont les écrivains étrangers perçoivent la littérature française,
ne peut que les laisser passablement étonnés...