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Romantisme

Hugo Friedrich, Structures de la poésie moderne


Max Milner

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Milner Max. Hugo Friedrich, Structures de la poésie moderne. In: Romantisme, 1977, n°16. Autour de l'âge d'or. pp. 125-126;

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rimbaldien ; l'assujettir à une perspective dernier chapitre tente d'en vérifier la


unique, patronnée par Claudel et Teilhard présence dans toute la poésie européenne
de Chardin bizarrement réconciliés ; vouloir moderne. Il s'agit d'abord de la « dictature
à tout prix que Rimbaud ait ajouté à sa de l'imaginaire », qui consiste à donner à
parole d'essor et de révolte le paraphe l'imagination le statut d'une puissance
suspect (malgré le respect dû à Claudel et supérieure à la réalité. Pressentie par Diderot
Isabelle) et de toute façon dérisoire d'une et Rousseau, elle s'affirme chez Baudelaire
réconciliation in articule mortis, c'est une et Rimbaud et finit par s'égaler, chez
erreur grave, car c'est en somme insulter Mallarmé et ses successeurs, à une liberté
à notre tragique moderne. créatrice capable, comme l'écrit Gottfried
Benn, d'opérer « la dissolution de la vie
J.-C. FlZAINE. et de la nature et sa recomposition selon
les lois humaines ». Mais l'humanité qui
est à l'œuvre dans cette recomposition n'est
• Hugo Friedrich, Structures de la poésie pas celle de l'individu contingent dont la
moderne. Traduit de l'allemand par « sensibilité » alimentait la poésie
Michel-François Démet, Coll. « romantique, et cela, dénommé par Friedrich
Méditation », Denoël-Gonthier, 1976. dépersonnalisation, déshumanisation ou
abstraction, constitue le deuxième concept
Il ne faudrait pas prendre le terme de fondateur de la poésie moderne. A une
« structures » qui figure dans ce titre en un « sensibilité de l'imagination », distincte
sens trop technique et trop précis (il est chez Baudelaire de la « sensibilité du cœur »,
d'ailleurs au singulier, Die Struktur, dans correspond chez Rimbaud la séparation du
l'édition allemande, qui parut pour la moi écrivant et du moi empirique, le « je
première fois en 1956, à une époque où est un autre », et chez Mallarmé un « regard
l'emprise de la linguistique sur la critique absolu », très éloigné de l'idéalisme
littéraire n'était pas aussi rigoureuse platonicien dans la mesure où il est subjectif,
qu'aujourd'hui). Ce que Hugo Friedrich entend par mais d'une subjectivité qui n'a rien à voir
là ce sont simplement les traits distinctifs avec le « Stéphane que tu as connu » dont
de la poésie moderne en Europe, après le Mallarmé annonce le trépas à Cazalis. La
grand tournant du milieu du siècle dernier. « transcendance vide » serait un troisième
Que ces traits distinctifs ne forment pas concept-clé de cette analyse. Présente (ou
une collection disparate constituée au absente) à l'horizon de la Préface de
hasard, mais présentent une unité qui permet Cromwell dans la mesure où à un réel désintégré
de parler de la poésie moderne, c'est là correspond un Grand Tout inaccessible, elle
ce qui donne, malgré tout, au terme de prend chez Baudelaire la forme d'un
« structures » une certaine pertinence, et mysticisme dépouillé de tout objet défini, elle
c'est là aussi la thèse de ce livre, dont on devient chez Rimbaud le dernier terme
ne sait s'il faut admirer davantage la vaste d'un enchaînement conceptueFqu'i/ле
culture sur laquelle il s'appuie ou la saison en enfer résume sous la forme « mystère
simplicité et la clarté avec lesquelles l'auteur se religieux ou surnaturel, mort, naissance,
met à la portée du lecteur le plus novice. avenir, passé, cosmogonie, néant », et devient
L'unité de la poésie européenne moderne, chez Mallarmé « la puissance des sommets »,
c'est d'abord, pour Friedrich, celle d'une « une puissance impérieuse qui domine et
origine commune, qu'il situe en France, envahit l'esprit comme une épreuve
chez Diderot et Rousseau d'abord, puis dévastatrice ». Le culte de la dissonance, du
chez Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé, fragment, de Г « incongruence », la
beaucoup plus qu'en Angleterre ou en technique de surimpression ou de montage
Allemagne, et cela non pas en raison de (« Einblendungstechnik »), la
sa propre spécialisation « romanistique », désintégration des rapports spatio-temporels, la
mais en vertu, dit-il « d'une nécessité dissolution des liens logiques, la recherche
objective véritable ». La mutation à laquelle il consciente de la polysémie et de l'ambiguïté,
nous fait assister commence en effet au la pratique d'un langage qui exprime
cœur du romantisme français, un (notamment dans l'usage de la métaphore) des
romantisme qu'il conçoit (et comment ne pas lui tensions plutôt que des identités, tels sont
en savoir gré dans cette revue ?) non comme quelques-uns des principaux traits qui,
la mode littéraire qui s'est éteinte vers le plus ou moins nettement esquissés dans les
milieu du siècle, mais comme « le destin œuvres fondatrices de la seconde moitié
spirituel des générations suivantes, et même du xixe siècle, vont s'épanouir dans la
de celles qui croyaient en avoir fini avec poésie de notre temps.
lui. » Les caractères essentiels de cette « Nous avons presque toujours dû utiliser
mutation tiennent en quelques concepts- des concepts négatifs pour décrire la poésie
clés, qui commandent les perspectives de moderne », reconnaît Hugo Friedrich à la
tout le livre. Nous les voyons peu à peu fin de son essai. N'est-ce pas là un signe
émerger de l'œuvre des initiateurs, et un qui permet d'apercevoir la relativité et les
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limites de son entreprise ? Parfaitement à secousses événementielles et malgré la


son aise et presque toujours pénétrant « coupure » de l'année terrible. Hugo encore :
lorsqu'il s'agit de montrer comment la poésie Annie Ubersfeld prolonge et éclaire une
moderne est sortie des voies traditionnelles, intuition de P. Albouy sur l'identification du
comment elle a rompu avec une certaine poète au vieillard Lear, contre Shakespeare.
« normalité », définie comme « une situation Mais l'ouvrage se situe, comme le mythe
spirituelle et intellectuelle qui nous permet « à la charnière du réel et de l'imaginaire ».
de comprendre, par exemple, un texte de Les dix-neuviémistes y trouveront pâture
Gœthe ou même de Hoffmannstahl » (d'où en dehors de leur territoire, et dans leur
la haute qualité de ses chapitres sur champ plus spécifique une mise au point
Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé) Hugo sur le mythe de Salomé (G. Laurens) et
Friedrich, qui se présente lui-même comme deux contributions à une textologie
« plus à l'aise auprès de Gœthe que de matérielle à propos de l'italique dans La Fille
T. S. Eliot », a tendance à voir dans la aux yeux d'or (M. Laugaa) et du jeu
poésie moderne la perpétuation d'attitudes aléatoire des majuscules dans un poème de
de rupture qui l'empêchent, me semble-t-il, Vigny (A. Jarry).
d'être sensible aux caractéristiques C. Duchet.
positives de poétiques aussi différentes que celles
d'André Breton, de Paul Éluard, de René
Char ou de Francis Ponge. A confronter • Gérard Delfau et Anne Roche, Histoire
les poètes, pris individuellement, aux « Littérature. Histoire et interprétation du
structures » qui sont censées commander leur fait Uttéraire, Éd. du Seuil, 1977.
œuvre et à voir le déchet qui résulte de
cette confrontation, on se prend à douter Livre important pour son moment, son
de la pertinence d'une grille de lecture qui objet et son contenu, même si son titre
définit essentiellement le « moderne » par « déborde » un peu. Il nous concerne à
rapport à l'ancien et qui tend à considérer plusieurs égards et particulièrement pour
l'ensemble de nos contemporains comme ses deux premières parties, l'une consacrée
tributaires d'une philosophie de 1' « à la « Naissance de la critique (1830- 1860) »,
absurde » dont il apparaît, avec le recul du l'autre placée sous le signe de « Clio
temps, qu'elle fut un instrument de théo- positiviste », qui conduit jusqu'à Lanson et à
risation bien imparfait et bien provisoire. la réaction de Péguy et de Proust. Qu'on ne
Malgré ces limites (peut-être à cause d'elles), s'imagine pourtant pas qu'il s'agit d'une
ce livre constitue une excellente histoire de la critique, de ses critères ou
introduction à la poésie moderne. des évolutions du goût. L'ouvrage déplace
l'analyse d'une part vers les conditions
Max Milner. matérielles et intellectuelles d'apparition de la
« profession de critique », et d'autre part vers
• Recherches en Sciences des textes : les pratiques effectives de lecture, sans
Hommage à Pierre Albouy, Presses négliger les implications politiques du débat
Universitaires de Grenoble, 1977. critique, en ce qui concerne les notions
de littérature, de culture et d'histoire. Un
Le volume publié par l'Université de chapitre est consacré à Taine (au sous-
Paris VII en hommage à Pierre Albouy titre suggestif : « la fin de l'indistinction
montre, s'il en était besoin, la fécondité des disciplines »), dont la place stratégique
généreuse de son œuvre et de sa pensée. est précisément dégagée, aussi bien par
Autour de quatre thèmes : Histoire, mythes, rapport à Sainte-Beuve, le dernier des «
fantasmes et signifiants, les contributions critiques », que par rapport à Lanson, le
s'ordonnent sans disparate puisque unifiées fondateur de « l'histoire littéraire » dans un
par leur référence commune. Et celle-ci sens, en 1900, très moderne. Pour ce
n'est pas gratuite : Pierre Albouy avait dernier, avec lequel décidément nous n'en
appris, à fréquenter Hugo, que le mythe avons pas fini, les auteurs se livrent, presque
habite l'Histoire et que les fantasmes ont à contre courant, à une réévaluation
leur alphabet. Aussi bien l'ouverture est- attentive de son apport. Située historiquement, la
elle sur « l'idéo-logique hugolienne » démarche de Lanson, parallèle à celles de
(G. Rosa), autrement dit logique de l'idée Plekhanov, de Laforgue, de Labriola, de
tout autant qu'idéologie, comme réponse Durkheim, marque une rupture
à une Histoire qui pose la question de son fondamentale, que le néo-lansonisme a depuis
risque et de son écriture. G. Delfau rappelle, masquée. Les cent pages consacrées au tournant
pour des décennies cruciales (1850-1880), du siècle (1880-1914) rompent avec
le texte et l'enjeu de cette Histoire. Son étude beaucoup d'idées toutes faites ou trop vite
me paraît décisive pour toute réflexion sur refaites, et nous plongent au cœur d'un
la périodisation du siècle,* au moins en ce débat délibérément actuel.
qui concerne la continuité 'et la contiguïté
entre réalisme et naturalisme, à travers les C. Duchet.

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