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Revue belge de philologie et

d'histoire

Hamburger (Käte). Die Logik der Dichtung.


Michel Vanhelleputte

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Vanhelleputte Michel. Hamburger (Käte). Die Logik der Dichtung. . In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 36, fasc. 3,
1958. Langues et littératures modernes — Moderne talen en letterkunden. pp. 967-969;

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Comptés rendus 967

Hamburger (Käte). Die Logik der Dichtung. Stuttgart, Ernst Klett


Verlag, 1957 ; un vol. in-8, 264 p. Prix :J17,80 DM.
Nous chercherions en vain le mot français qui pût rendre avec
exactitude la notion allemande de Dichtung. Si ce terme s'applique à un domaine
beaucoup plus vaste que celui de la poésie (dont sont exclus la narration
et le drame en prose), il n'englobe toutefois pas tous les genres littéraires,
mais seulement trois d'entre eux, ceux qui constituent en quelque sorte
le noyau de la littérature : les genres lyrique, épique et dramatique. Le
but de l'étude qui nous occupe est de faire apparaître la structure logique
sur laquelle repose la phénoménologie de cette Dichtung ; sa conclusion
est l'établissement d'une distinction formelle entre les genres épique et
dramatique ou fictionnels d'une part et le genre lyrique ou existentiel
d'autre part.
Madame Hamburger entreprend d'abord de définir la fiction épique
par opposition à la narration historique. A cet effet, elle attire l'attention
sur les indices suivants : le temps verbal généralement utilisé dans la
fiction, le prétérit, y perd sa signification temporelle, sa fonction de situer
les faits racontés dans le passé du narrateur ou du lecteur ; les adverbes
démonstratifs de temps et de lieu (die deiktischen Adverbien : hier,
aujourd'hui, demain, ici, là, etc.) y prennent la valeur de concepts, de symboles
indépendants de la position du conteur dans la durée ou dans l'espace ;
enfin, la technique moderne du monologue intérieur (Erlebte Rede) et
l'emploi de verbes exprimant des mouvements de l'âme (Verben innerer
Vorgänge) dans un sens existentiel sont incompatibles avec les exigences
de l'historiographie scientifique. Ces observations amènent Madame
Hamburger à une conclusion capitale : tandis que l'historien ne cesse
jamais d'être présent dans son récit, qu'il traite ses personnages comme des
objets et les rapporte à son champ d'expérience (Erlebnisfeld) propre, le
romancier (ou le poète épique) disparaît entièrement de sa création, dont
le monde détaché de la sphère du réel, de l'univers soumis à la marche du
temps appartient exclusivement au champ d'expérience des personnages
fictifs. C'est à ces derniers et à eux seuls que se rapportent les événements,
les pensées, les sentiments, les lieux et les moments mentionnés ou décrits
dans le roman ou l'épopée.
Si l'auteur dramatique est, lui aussi, absent de son œuvre, où tout ce
qui se dit et se passe n'existe qu'en fonction des héros de la pièce, il n'en
est pas de même du moi lyrique qui, toujours présent dans sa poésie, ne
cesse jamais d'être un moi réel, même s'il s'efforce de se dissimuler. Ce
moi lyrique est le seul sujet de ce qu'il exprime, et ce qu'il exprime est
son propre champ d'expérience. Il n'y a pas roman, il n'y a pas drame
sans la création de personnages fictifs, il n'y a pas poésie lyrique sans la
présence d'un moi existant dans la réalité.

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968 COMPTÉS RENDUS

Cette nouvelle répartition des genres d'après leur structure logique


force Madame Hamburger à distinguer des cas particuliers : celui de la
ballade et celui du récit à la première personne (Icherzählung). La
ballade est une fiction se présentant sous l'aspect d'une poésie lyrique,
tandis que la Icherzählung, dont les caractéristiques formelles sont celles du
roman, participe du genre existentiel.
Ces thèses font l'objet de démonstrations rigoureuses et il n'est certes
pas aisé de découvrir les points faibles du raisonnement. Toutefois,
l'analyse à laquelle l'auteur soumet le lyrisme nous paraît moins pénétrante,
moins convaincante que son examen des genres fictionnels. La notion
de camouflage du moi, qui y apparaît à deux reprises, (p. 199 : Ichcamou-
flage et p. 219 : Camouflage des Dichter-Ich), pourrait bien mettre en péril
l'édifice si soigneusement élaboré. Si l'on admet en effet que le moi peut
s'exprimer lui-même à la troisième personne, comme c'est peut-être le
cas pour la poésie de Hofmannsthal intitulée « Der Jüngling in der
Landschaft » (citée pages 198-199), on peut très bien attribuer au champ
d'expérience de Goethe les réflexions générales de Wilhelm Meister et à celui
de Musil les méditations d'Ulrich. De fait il est fréquent qu'un romancier
ou qu'un dramaturge confie l'expression de ses pensées, de ses sentiments
les plus personnels à l'un ou l'autre de ses personnages, voire à plusieurs
d'entre eux ; jamais cependant, cette expression ne pourra être aussi vraie,
aussi directe, aussi entière que dans la poésie lyrique, parce que le contexte
épique ou dramatique lui impose des lois qui la maintiennent dans
d'étroites limites. Nous rejoignons ici le point de vue de Madame Hamburger,
dont nous acceptons l'essentiel tout en lui reprochant une certaine rigidité,
une tendance à la schématisation : la transition entre les genres fictionnels
et le genre existentiel nous semble beaucoup plus graduelle, beaucoup
moins abrupte qu'elle n'apparaît dans la Logik der Dichtung.
L'ouvrage abonde en remarques qui témoignent d'une extrême
perspicacité : les limites du drame et sa relation à la scène (p. 114-134) ainsi que
la position du film entre le roman et le théâtre (p. 134-143) sont par
exemple définies avec une précision rare. Mais ceci nous paraît secondaire
comparé à l'importance que l'étude peut acquérir si l'auteur veut l'approfondir
et mettre ses conclusions en rapport avec l'esthétique de la littérature .:
il s'agit ni plus ni moins de donner un fondement logique à nos jugements
de valeur dans le domaine littéraire. Le chapitre de conclusion (Zum
Symbolproblem der Dichtung), trop succinct pour nous faire entrevoir les
résultats probables de pareille entreprise, nous en laisse cependant deviner la
portée. Pouvons-nous émettre l'espoir de voir Madame Hamburger mener
à bien cette tâche ardue?
Un index alphabétique comprenant les noms des principaux objets
traités et des auteurs cités aurait pu faciliter l'accès de l'ouvrage aux
spécialistes de disciplines diverses. Nous regrettons son absence ainsi que les
erreurs suivantes :
COMPTES RENDUS Ö6Ö

1°) à la table des matières :


a) vis-à-vis de Das epische Präteritum, « 21 » au lieu de « 27 » ;
b) en face de Die Beschaffenheit der Erzählfunktion, « 27 » au lieu de
« 72 » ;
2°) page 96, paragraphe 3, ligne 9 : « zusammenhangen » au lieu de «
zusammenzuhängen » ;
3°) page 99, citation de Virginia Woolf, première ligne : « annoyes » au
lieu de « annoyed ».
Ceci dit, nous recommandons vivement la lecture de la « Logik der
Dichtung » non seulement aux interprètes et aux historiens de la
littérature, mais aussi aux linguistes et, d'une manière générale, à tous les
philologues. — M. Vanhelleputte, asp. F.N.R.S.

Kukenheim (Louis) et Roussel (Henri). Guide de la littérature


française du moyen âge. Leiden, Universitaire Pers, 1957 ; un vol. in-8° de
XIII-217 p. (Leidse Romanistische Reeks). Prix : relié fl. 15.50.
Destiné « aux étudiants néerlandais qui préparent la candidature ou
l'examen d'Enseignement supérieur », le manuel de MM. Kukenheim et
Roussel rendra sans aucun doute de très grands services.
Tout modeste qu'en soit le dessein, un pareil volume révèle une
connaissance très étendue des sujets traités ainsi qu'un sens didactique
capable de prévoir à chaque instant le genre de lecteurs auquel il
s'adresse. La matière très vaste est condensée avec art, les exposés sont
clairs, agréables à lire, concis et riches en suggestions.
Dans une introduction générale, le novice apprendra d'abord le sens
du mot moyen âge, ensuite la structure de la société féodale, pour qu'il
s'initie dès le début à un vocabulaire technique qu'il rencontrera
fréquemment dans la littérature épique et courtoise.
Divisé par siècles, le manuel repose sur une classification par « genres
littéraires ». Le découpage chronologique offre sans doute des avantages
pratiques, mais il présente l'inconvénient de rompre un peu la
continuité du développement d'une matière. Quant aux « genres littéraires »,
le moyen âge n'en a eu, semble-t-il, qu'une notion assez confuse, mais il
ne s'agit ici que de catégories commodes, traditionnellement admises telles
que la littérature religieuse, le théâtre, la littérature épique, etc..
Chaque siècle est précédé d'un bref aperçu historique qui fait ressortir
les traits dominants de la situation politique, religieuse, sociale,
économique, linguistique et culturelle de l'époque. Il y a là d'excellentes
remarques : par exemple, après avoir précisé en quelque mot le réalisme
platonicien de la philosophie du xne siècle et la question des universaux,
les auteurs font observer comment « cette conception peut expliquer, en
partie du moins, le succès des symbolisations et des personnifications
qui ne sont autre chose que des idées qui s'extériorisent dans une image,

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