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15/09/2022 © Encyclopædia Universalis France

MIMÉSIS, Erich Auerbach Fiche de lecture


Sommaire
Article
I. La cicatrice d'Ulysse
II. Le bas couleur de bruyère
Bibliographie

Article écrit par :


François TRÉMOLIÈRES
maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

Vaste enquête consacrée, comme son sous-titre l'indique, à « la représentation de la


réalité dans la littérature occidentale », Mimésis
– « imitation » en grec, concept clé
de la Poétique d'Aristote – fut écrit dans des conditions difficiles, pendant la Seconde
Guerre mondiale, à Istanbul, où Erich Auerbarch (1892-1957), d'origine juive, chassé
d'Allemagne par le nazisme, enseignait la philologie romane. Publié en allemand à
Berne en 1946, puis en 1953 en anglais aux États-Unis (où son auteur s'exile en
1948), l'ouvrage se présente comme une suite de monographies – de l' à Odyssée La
Promenade au phare –, appuyées sur des commentaires de textes cités presque
toujours dans la langue originale (latin, français et ancien français, italien, espagnol,
anglais, allemand) – et ordonnées chronologiquement.

I - La cicatrice d'Ulysse
Le « réalisme » est spontanément associé à un courant littéraire, apparu en France
autour de 1850, et qui correspond à une sorte d'âge d'or du roman. Or Auerbach
montre qu'un tel souci est présent dès l'origine de la littérature occidentale, et même
dans sa double origine : Homère et la Bible – selon deux « types fondamentaux »,
deux approches stylistiques très différentes, qu'il détaille à partir de deux exemples.
Le récit du retour d'Ulysse à Ithaque, dans l' Odyssée
, ne laisse rien dans l'ombre,
tant l'enchaînement des actions est sans mystère, sans arrière-plan ; dans la , Genèse
le sacrifice d'Abraham suggère au contraire, par l'emploi d'un « style abrupt »,
elliptique, « l'inexprimé », « la complexité », il « appelle l'interprétation ». Le premier
tend à la « légende », tout en étant plus descriptif et concret ; le second, plus
énigmatique, tend à « l'histoire », à l'expression d'une « vérité » liée à l'intervention
d'un Dieu invisible.

Dans sa simplicité, le style homérique juxtapose moments héroïques et scènes


domestiques, parce que le déroulement du récit appelle naturellement leur

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alternance. La manière dont le style biblique ignore l'opposition du sublime et du


trivial a un motif plus profond : humain et divin sont indissociables, Dieu agit au cœur
du quotidien – jusqu'à, selon le Nouveau Testament, se faire homme. C'est pourquoi,
au Moyen Âge, les Mystères, la littérature contemplative, la poésie franciscaine,
seront étrangers à la séparation instaurée par l'Antiquité latine (et maintenue
strictement au contraire par les esthétiques qui s'en réclameront, dont, au
XVIIe siècle, celle du classicisme français) entre grand style (réservé aux genres
nobles) et style humble (réservé aux petits genres, à la conversation) « Dans le :
monde chrétien, les deux styles sont d'emblée confondus, notamment dans
l'Incarnation et la Passion du Christ, où sublimitas humilitas
et , portées toutes deux à
leur comble, se réalisent toutes deux et s'unissent l'une à l'autre. »

II - Le bas couleur de bruyère


Reprenant des travaux plus anciens sur Dante, Auerbach montre que La Divine
Comédie , au XIVe siècle, par le choix de la langue « vulgaire » (l'italien au lieu du
latin), mais surtout par la mise en œuvre de la notion de figure
(le rapport d'un
événement présent à un autre événement, passé ou futur), opte pour un « réalisme
sérieux », plus proche en cela du réalisme moderne que de la stylistique classique
rejetée par le XIXe siècle. La véritable nouveauté de Stendhal, Balzac, Flaubert, Zola,
fut, à la différence des Médiévaux, de s'être fixé pour objet la réalité qui leur était
contemporaine, et d'avoir voulu la traiter avec sérieux – au lieu que les Classiques
cantonnaient leur « réalisme » à la comédie.

Ainsi le roman moderne dit quelque chose de son époque. Dans l'entre-deux-guerres,
les œuvres de Joyce, Proust, Virginia Woolf surtout, par leur attention à « l'instant
quelconque » (une réalité « au-dessous des idéologies contestées et précaires »),
même avec une tonalité de « fin du monde », ont « fait ressortir combien, en deçà
des conflits qui déchirent l'humanité, les différences entre les formes de vie et les
manières de penser des hommes se sont estompées ». Contrepoint à la tentation
meurtrière du repli sur « l'idée de communauté », elles n'en participent pas moins
d'un « processus d'égalisation » qui pourrait, à terme, mettre fin à la richesse et la
diversité européennes – trésor dont Mimésis
représenterait à la fois l'offrande, et le
tombeau.

— François TRÉMOLIÈRES

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Bibliographie
E. AUERBACH, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature
occidentale
, trad. C. Heim, Gallimard, Paris, 1968, rééd. coll. Tel, 1977.

Pistes
D. Alighieri, La Comédie Aristote, Poétique

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