Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La modernité de l’écriture poétique est d’abord sensible par la forme du texte, découpé en trois
monostiches, suivis d’un tercet, d’un huitain et d’un neuvain. Cette disposition ne correspond à
aucune forme poétique conventionnelle. Cela indique la démarche de l’auteur qui s’affranchit des
règles classiques.
L’originalité est aussi présente de par l’absence de ponctuation, qu’Apollinaire juge « inutile ». Le
texte devient alors libéré de césures et c’est au lecteur de délimiter les unités de sens, qui
deviennent alors poreuses et malléables.
Le poème débute de manière contradictoire, l’antithèse « fin / ancien » (v1) instaure dès le premier
vers cette relation contradictoire entre passé et modernité qui s’opposent. On notera que le recueil
s’ouvre sur une idée de fin : on entrevoit la démarche moderne qui prend place.
Cette idée de lassitude est évoquée clairement au v3, avec l’expression familière figée « tu en as
assez » qui renvoie l’agacement à son niveau le plus banal. Le ton s’éloigne alors de l’expression
lyrique classique des sentiments.
L’omniprésence de l’ancien est rendue par l’isotopie de ce thème : « monde ancien » (v1), « antiquité
grecque et romaine » (v3), « anciennes » (v4), « antique » (v7), qui par sa récurrence devient
étouffant. On comprend alors l’agacement du poète face à cet antique qui enveloppe tout son
environnement.
Malgré cette aversion apparente pour les choses passées, une fait exception, la religion. Le
parallélisme « la religion seule est restée toute neuve la religion est restée simple comme les hangars
de port aviation » (v5-6) avec la comparaison à un élément moderne, des hangars, permet d’insister
sur le caractère intemporel d’une religion qui ne vieillit pas.
Cette modernité est même renforcée par une litote « tu n’es pas antique » (v7) et un superlatif « le
plus moderne » (v8) qui mettent en exergue la supériorité du christianisme par rapport aux autres
héritages anciens qui sont pour lui les restes d’une époque révolue.
Pourtant cette religion parait rejetée par une forme de pression sociale, matérialisée par l’hypallage
« toi que les fenêtres observent la honte te retient » (v9) qui associe les fenêtres aux regards de ses
contemporains et à leur jugement, qui semble alors critique quant au christianisme. La
personnification allégorique du sentiment de honte lui confère une force physique réellement
puissante et capable d’agir sur le réel.
La vie moderne est ensuite décrite. Elle est vive et rapide, en effet l’énumération « les prospectus les
catalogues les affiches » accumule des termes au pluriel, sous forme d’asyndète, ce qui accélère le
rythme et souligne l’abondance. Ces papiers sont colorés et l’on imagine qu’ils foisonnent dans un
tourbillon étourdissant d’images et d’informations.
Le lecteur est presque agressé à l’annonce des différents modes de consommation de la littérature
quotidienne. La parataxe, qui supprime les liens entre les propositions, donne l’impression que la
liste ne finit jamais, on a « la poésie », la « prose », « les jounaux »(v12), « les livraisons », « les
aventures policières » (v13), les « portraits des grands hommes » et « mille titres divers »(v14). La
modernité est l’ère du foisonnement littéraire, une période de prospérité artistique.
Le poète livre ensuite un témoignage personnel, qui reste assez vague, sur le mode de l’anecdote.
L’usage du passé composé y participe « j’ai vu », « j’ai oublié »(v15), de même que la modalisation de
l’indéfini avec le déterminant « une », et la proposition subordonnée « dont j’ai oublié le nom »(v15).
Le ton est informel, presque familier, l’auteur s’éloigne de la conception traditionnelle de la poésie,
qui se veut l’héritage d’Orphée.
Le quotidien devient un thème poétique avec la métaphore in praesentia « du soleil elle était le
clairon » (v16). Ce procédé habituel en poésie permet de hausser le banal au niveau du sublime, de
se détourner des sujets habituels pour explorer de nouvelles conceptions.
Des éléments de descriptions très factuels sont donnés par l’auteur : les périphrases « les
directeurs », « les ouvriers », « les belles sténo-dactylographes » (v17), des compléments
circonstanciels de temps et de fréquence : « du lundi matin au samedi soir quatre fois par
jour » (v18). Ces éléments ordinaires, communs, sortent une fois de plus du cadre habituel de la
poésie.
La rue est agitée, les sens sont en alerte : « la sirène y gémit » (v19), « une cloche rageuse y aboie »
(v20), la modernité est rugissante et fougueuse, et cette scène traduit un élan vital et créateur
semblable à la démarche d’Apollinaire.
Le poète associe la « grâce » à « cette rue industrielle » (v23), ce qui pourrait sembler oxymorique,
mais est tout à fait assumé ici. La nouveauté, et les transformations esthétiques qui l’accompagnent
sont synonymes d’une bouffée d’air pour Apollinaire, qui expérimente des méthodes nouvelles.
Ainsi, le poème liminaire du recueil Alcools en donne le ton. Bouleversant les traditions poétiques
tant dans sa forme que dans les sujets traités, Apollinaire expérimente de nouvelles manières de
concevoir et de créer la poésie.
Eminent critique d’art, Apollinaire définira dans une de ses lettres le surréalisme, courant artistique
de déconstruction du réel et d’embrassement des rêveries de l’inconscient et des intuitions. Ce
mouvement s’inscrit dans la continuité de sa démarche et comptera quelques uns des plus célèbres
artistes du XXe siècle, Dali, Miro, Ernst…
Commentaire Plan