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Art’In héritage de l’approche 265

e
Revue d’arts naturaliste du 19 , la dis-
plastiques et d’arts position artificielle des
du spectacle. objets dans les vitrines – une vitrine pour
Dossier Les rites et chaque tribu – ne rendant pas compte de
les arts, numéro 1, l’interférence entre les ethnies, et par
Presses conséquent entre leur art. L’ethnologue
Universitaires de Marie-Claude Dupré attire l’attention sur le
Valenciennes, 2004 danger de décontextualisation qui mène à
une perception fausse ou incomplète des
objets exposés. Il y a tout de même des cas
où les tentatives de contextualisation se
La publication française Art’in. Re- heurtent à l’impossibilité : en spécialiste,
vue d’arts plastiques et d’arts du spectacle Dominique Baffier se pose la question
se propose de dépasser la vision ethno- comment mettre en évidence les rites et les
centrique et de rendre compte des activités rituels dans les grottes ornées du
artistiques d’autres pays. Son premier Paléolithique. Jean-Pierre de Rycke analyse
numéro revêt la forme d’un dossier : les le contexte historique, philosophique et
actes du colloque international Les rites et esthétique d’une époque beaucoup plus
les arts, qui a eu lieu en décembre 2001 aux proche de nous, les années 20, quand
Musée de Beaux-Arts de Valenciennes, l’influence de l’art africain a été extrê-
dans le cadre d’une exposition sur l’art mement importante pour les avant-gardes
africain. Les textes recouvrent une aire européennes. Enfin Nicolas Devigne se
multidisciplinaire, car leurs auteurs ont des penche sur la photographie ethnographique
formations et donc des perspectives très des années 40, qui témoigne d’une volonté
diverses : enseignants-chercheurs, plasti- esthétisante évidente, oscillant entre un outil
ciens, metteurs en scène, sociologues, médiatique du discours colonial et un
ethnologues, conservateurs de musées. espace du méditatif.
Néanmoins, tous gravitent autour d’un point Les deux dernières parties du dossier
central : une nouvelle vision de l’art regroupent des articles focalisés sur le
africain, loin des préjugés qui taxent ce concret des manifestations artistiques. Pra-
dernier d’art « primitif ». tiques rituelles – spectaculaires et Rites,
Le dossier est structuré en trois mémoire et création plastique contem-
sections. La première, Les enjeux des col- poraine sont consacrées aux différentes
lections, héritages des objets et des signes formes d’expression telles les mascarades,
rituels, regroupe quelques articles qui les rituels d’identification avec des animaux
remettent en question certains aspects liés à sacrés, les danses rituelles, la dimension
l’institution du musée, cet espace qui garde magico-fétichiste du théâtre africain, la
des objets destinés à être vus par le public. représentation africaine de Faust, le rituel
Boris Wastiau démystifie ce qu’il appelle dans le théâtre d’Aimé Césaire ou les dispo-
« la muséologie esthétisante ». En effet, la sitifs originaux du théâtre africain (la boîte
manière dont on a constitué et aménagé le théâtrale du Sénégal). Pour clore le débat –
patrimoine des musées européens dédiés à encore faut-il voir si un tel débat peut être
l’Afrique a façonné une image fausse des clos –, Amos Fergombe analyse dans une
réalités du monde africain. Les européens optique comparative quelques définitions du
auraient appliqué une taxonomie stricte, rite, vu comme une œuvre porteuse d’effi-
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cacité sociale dont voyageur qui transforme le monde et se
l’essence consiste en transforme lui-même et son action se
trois dimensions : l’in- transpose en initiation.
terdit, le regard du participant et la Dans l’Avant-propos Bauzá signale
mémoire. l’existence d’un espace situé en marge de la
Ana Coiug réalité, où la notion d’imaginaire devient
évidente. Et dans ce domaine la poésie nous
parle de thèmes auxquels la raison n’a pas
apporté de réponses (la vie, la création,
l’amour, la mort). Dans ce contexte, la
Hugo Francisco poésie alterne le monde de la réalité et celui
Bauzá de l’imaginaire se situant dans un espace
Voix et visions intermédiare qui souligne son rôle de
Poésie et médiation.
représentation Le premier chapitre, Introduction à
dans le monde la poésie, esquisse une possible définition
antique de la poésie en tant que « forme spéciale de
Préface de Joël langage principalement basée sur l’emploi
Thomas, traduit d’images » (p. 39), langage ayant un certain
par Anne rythme. Il souligne aussi le caractère oral de
Durand, Paris, la poésie (les poèmes homériques), sa nature
L’Harmattan, sonore qui l’apparente à la musique par
1997 l’élément commun que les deux partagent :
le son.
Le volume, dédié à Pierre Grimal et Les trois chapitres qui suivent
préfacé par Joël Thomas, propose une traitent les mythes (les Muses, Orphée, les
relecture de la poésie antique. Bauzá plaide poèmes homériques). Le centre d’intérêt est
pour l’analyse interdisciplinaire du phéno- représenté par le poète et sa création. Le
mène culturel. La socio-culture gréco- poète est un intermédiaire inspiré par la
romaine était bien familière avec la notion divinité et c’est la Muse qui parle à travers
d’« imaginaire », les Grecs avaient la capa- lui, conférant ainsi un caractère sacré à la
cité de ne pas opposer mythe et rationalité. poésie et l’immortalité à son créateur qui
Pour l’homme antique, la création passe par prétend se soustraire à la mort (Pindare,
la représentation. Pour contempler le cos- Horace, Virgile, Lucrèce, Properce, Ovide).
mos, l’ordre divin, l’homme a besoin d’une La poésie devient aussi incantamentum,
instance intermédiaire et cette dernière sera chant magique qui par le souvenir soustrait
la représentation que l’homme se fait de à l’oubli, une autre forme de mort. Pour
l’absolu. La production artistique de preuve, le mythe orphique a beaucoup
l’Antiquité est donc à la fois fruit de la d’échos dans la postérité (opéra, choré-
création humaine et dépassement de cette graphie, ballet, art pictural, film).
création, production habitée par le sens et À côté d’une remarquable synthèse
qui relève de l’imitation de la perfection de qui réunit, à part les chapitres énumérés sur
la Nature divinisée. Le sens devient dans les mythes, une analyse pertinente de la
l’univers antique le mot maître qui poésie de Pindare, de la tragédie d’Euripide
transforme toute image, toute attitude, tout et du mythe dionysiaque et de leurs
objet en symbole ; le héros devient influences sur les manifestations littéraires
ultérieures, Bauzá pose aussi le problème de 267
la relation de la poésie avec le spectacle et
avec le regard et l’ouïe, en réalisant une
original jugement de l’histoire de la culture
suivant la prépondérance de certains
moyens de communication : l’audiosphère
(la communication dans le cadre d’une
société illettrée se fonde sur l’ouïe – les
rhapsodes, Homère), l’imagosphère (de
l’Antiquité au Moyen Âge, époque où
l’image joue un rôle remarquable au sein
d’une population en grande partie anal-
phabète), le lectosphère (l’invention de
l’imprimerie et la modernisation de la Jean-Pierre Bertrand, Pascal Durand
technique typographique qui favorisent la Les poètes de la modernité
diffusion massive de l’écriture) et la De Baudelaire à Apollinaire
télésphère (la télévision et les réseaux Paris, Seuil, coll. « Points », 2006
électroniques exercent aujourd’hui leur
domination dans le domaine des commu- Les auteurs réalisent une analyse très
nications). pertinente de la modernité poétique en
Mais l’ouvrage de Bauzá traite parcourant toutes ses étapes et regardant de
principalement le passage de l’oralité à près les représentants les plus connus ainsi
l’écriture. Par l’invention de l’écriture, une que les écrivains souvent oubliés par les
société illettrée passe de l’auditif au visuel anthologies de littérature. Dans le Pré-
et s’oriente vers l’abstraction, vers la ambule ils exposent le but de leur étude. La
logique et le raisonnement scientifique. Les modernité en poésie est assez difficilement
changements provoqués sont évidents : à definir. Elle recouvre une période qui va
l’écriture satisfait « la possibilité pour deux de Baudelaire à Apollinaire et met en œuvre
âmes sœurs de communiquer à travers la et à l’épreuve des solutions poétiques con-
lecture par-delà le temps et l’espace » (p. trastées. « La modernité peut se comprendre
120). Mais son analyse entraîne aussi une [...] comme une expérience de la singu-
interrogation : la culture de l’écrit marque-t- larité : celle d’un poète aux prises avec la
elle une avancée décisive par rapport à langue, avec ses ressources et ses résis-
l’oralité ? L’auteur a bien repéré tences, tantôt cédant l’initiative aux mots,
l’importance d’une telle problématique qui tantôt travaillant au dérèglement du sens »
repose sur la dichotomie voix/écriture. (p. 9), affirment Jean-Pierre Bertrand et
Pascal Durand. Ils entreprennent d’inter-
Adina-Irina Romo an roger ce concept à l’intersection de la
stylistique et de la sociologie, « sur le fond
d’une histoire des formes poétiques, dans
laquelle les institutions de la vie littéraire
ont leur place » (quatrième couverture).
Le premier volet, « Les Antiques et
les Modernes » traite la poésie des années
1852-1870. Le Parnasse qui autorisait des
sensibilités diverses contribue à la promo-
268
tion de l’autonomie de la Laforgue se dessine une modernité poétique
littérature par son refus critique, qui propose une autre vision du
de l’engagement social monde, où la poésie fait basculer le culte de
et politique. Il impose la métaphore objet, la beauté pour exprimer la laideur et le mal.
purement décorative, mais entraîne la poésie Tristan Corbière s’impose non seulement
dans une impasse langagière qu’elle va comme anti-poète, mais aussi comme celui
dépasser avec le symbolisme. Théophile grâce auquel la poésie va renaître de ses
Gautier et Leconte de Lisle peuvent être cendres romantiques et parnassiennes. Avec
considérés les premiers poètes qui se Charles Cros, poésie et science ne
rattachent à une modernité poétique en voie s’opposent plus, mais participent ensemble
de developpement. Dans leurs œuvres à la connaissance et à l’invention du monde,
s’entrecroisent les courants du siècle, son imaginaire s’imprégnant d’un pessi-
proposant un dépassement du romantisme, misme profond. Jules Laforgue, lui, a créé
par l’art pour l’art ou par le retour aux une œuvre qui présente tous les éléments
modèles antiques. C’est Baudelaire qui a d’une « légendaire mortalité » (p. 211),
fait le meilleur usage de l’héritage d’une saveur prophétique qui anticipe sa
romantique en tirant profit des figures du mort prématurée.
sens. Les Fleurs du mal constituent un trait Verlaine et Rimbaud sont présentés
d’union entre le romantisme et le ensemble parce que « tout les oppose et, en
symbolisme autant qu’une synthèse de ces même temps, les rassemble » (p. 229).
deux tendances esthétiques. Un autre repré- Verlaine incarne le prototype du « poète
sentant parnassien, Théodore de Banville, maudit », celui qui résiste aux règles socia-
apporte aux voix graves et sérieuses du les et littéraires, mais qui finira par renouer
courant, une autre dimension qui, pour dire avec la foi chrétienne, le vers régulier et les
au fond le même tragique de la condition sentiments. Rimbaud est le poète de toutes
artistique, emprunte le masque du clown. les ruptures et par là un des plus grands
Les auteurs analysent ensuite le rôle poètes modernes car ses écrits « se fondent
d’Isidore Ducasse/le comte de Lautéamont dans une expérience limite du langage et de
dans la révolution du langage poétique qui la vie » (p. 240). Mallarmé est le symboliste
s’opère à la fin du XIXe siècle ; il aurait qui représente l’apogée de la modernité
préfiguré le surréalisme mais aussi l’avant- poétique et il fut un pur explorateur du
garde dans la poésie française. Il « raye d’un langage poétique.
trait rageur toutes les écritures du siècle au L’écriture d’Alfred Jarry marque la
profit d’une énergie critique érodant les fin du symbolisme, en pointant simulta-
fondements de la littérature » (p. 180). nément son apothéose et la crise qu’il a
Le deuxième volet de l’ouvrage engendrée. Il se situe au carrefour de l’her-
s’occupe de « la génération symboliste » métique et du détail trivial en créant un
(1871-1898). La pression des contraintes texte carnavalesque qui propose un modèle
qui se sont exercées sur la poésie pendant de paysage poétique avant l’apparition des
cette période a contribué « à un surcroît de avant-gardes.
lucidité formelle : la poésie, mise en Les auteurs placent à la fin de
question par ses propres libertés, a été l’ouvrage un Epilogue où le mouvement
portée à interroger les conditions de son moderniste est illustré essentiellement par
expression, la spécificité de son langage, ses Apollinaire. Le thème de la ville, l’indus-
raisons de faire pièce au prosaïsme du trialisation, l’absence des signes de ponc-
monde. » (p. 197). Avec Corbière, Cros et tuation, les caligrammes, les poèmes
conversation sont les notions-clés qui défi- sénescence et âge de la 269
nissent sa poésie. Apollinaire est aussi connaissance.
l’inventeur du mot « surréalisme », cette Dans la même
esthétique qui va dépasser le modernisme ligne d’analyse linguistique et thématique,
par André Breton et ses amis. André Crepin s’attache à montrer les
qualités révolutionnaires du poème vieil-
Adina-Irina Romo an anglais Guthlac I où le personnage Guthlac
incarne une moralité laxiste qui ne sanc-
tionne pas l’emportement de la jeunesse, en
se démarquant ainsi des dogmes de
Jeunesse et l’époque. L’observation de ce poème
vieillesse : images amème l’auteur à établir une analogie entre
médiévales de l’ordre monacal (réparti en juniores et
l’âge en seniores) et celui laïc des poèmes héroïques
littérature anglo-saxons (geoguth et duguth).
anglaise Un nombre important de produc-
Textes présentés et tions médiévales accordent une place cen-
réunis par Leo trale au topos de la merveille. C’est ce que
Carrhuters et Thiery Lesieur observe dans son analyse de
Adrian Papahagi, Sire Gauvain et le Chevalier Vert. Le mer-
Paris veilleux se trouve au cœur des productions
L’Harmattan vernaculaires mais aussi littéraires comme
2005 l’attestent les écrits de Marie de France au
12-ème siècle. Sur un autre plan, c’est
Les thèmes fondamentaux de l’âge précisément le merveilleux qui devient dans
et de l’écoulement du temps dans la les écrits théologiques l’expression du
littérature anglaise médiévale se présentent mystère de l’incarnation et une marque
sous un jour nouveau dans ce recueil d’identité de la doctrine chrétienne. Un
d’articles, publié suite au colloque organisé aspect important relevé par cette analyse
en 2003 par le Centre d’Etudes Médiévales renvoie aux efforts des premiers auteurs
de la Sorbonne. Malgré la grande diversité chrétiens de rétablir le rapport entre
des contributions, nous sommes à même l’Ancien et Le Nouveau Testament à travers
d’identifier un fil thématique conducteur qui les ainsi nommées « œuvres géminées »,
se trame autour de l’âge humain sous ses une tradition qui se voit abandonnée et
différents aspects historiques, génération- reprise aux VII et VIII-ème siècles par des
nels et spirituels. Ainsi nous retrouvons moines irlandais. En restant dans la même
dans la présentation de Marguerite-Marie logique du merveilleux, Fanny Moghaddassi
Dubois une approche de la dimension explore le thème du voyage dans les récits
psychologique de l’âge à travers un examen médiévaux. L’auteur met au premier plan le
du vocabulaire utilisé dans les textes de la couple espace/temps dans l’économie des
période anglo-saxonne. A titre d’exemple, le textes, tout en analysant le rapport entre réel
sémantisme des items comme eald (employé et imaginaire dans la construction de
pour le constat de l’âge), gamol (tristesse) et l’espace de voyage. L’au-delà devient un
frod (connaissance) est étroitement lié à la sujet privilégié d’investigation avec un effet
perception – à la fois pessimiste et valo- de pérennisation de l’âge (l’image de saint
risante de la vieillesse – en tant que représenté par un vieux, la jeunesse
270
éternelle des âmes). En s’intéressant aux écrits médié-
Une approche vaux mystiques, et plus particulièrement à
intéressante du thème de ‘Myrror of the Blessed Lyf of Jesu Christ’,
l’âge dans le contexte particulier des Juifs une traduction d’un texte en latin appar-
perçus par les chrétiens nous est offerte par tenant à Nicolas Love, Monique Caravel,
Danièle Frisson à travers une analyse des entend privilégier la dimension temporelle
productions du théâtre élisabéthain. Le dans cette analyse de la vie christique. Le
thème récurrent est celui du jeune juif Christ qui précède le monde par son essence
(jeune juive) qui se convertit au christia- divine n’est pas soumis à la détérioration
nisme et passa ainsi dans le camp des « bons charnelle. En est à la fois dans le mer-
» par opposition aux vieux juifs obstinés à veilleux et dans l’unicité par le biais de ce
ignorer le message de Dieu. Une discrimi- personnage qui incarne la tension entre
nation importante s’ensuit entre l’antisé- humain et divin et transcende en même
mitisme et l’antijudaïsme, ce dernier étant temps la division des âges. Une autre
l’expression d’une opposition doctrinale aux contribution à la problématique de l’âge au
tenants du mosaïsme. Moyen Âge est celle d’André Lascombes
Dans un tout autre registre, Gloria qui choisit de se concentrer sur les conflits
Cigman attache un vif intérêt à un person- générationnels révélés dans le drame anglais
nage protéique des Contes de Canterbury, à de Moyen Âge tardif. Au cœur de ces
savoir Alison, la bourgeoise de Bath. conflits se situe la sexualité traitée sous un
L’exploration du thème de l’âge va de pair jour comique.
dans ce portrait de femme active est sen- Pour clore le survol des présen-
suelle avec un réflexion intrinsèque sur les tations réunies dans ce volume, nous men-
mœurs d’une société hostile à la sexualité et tionnons l’œuvre du médiéviste et cinéaste
à la libération des femmes. Fidèle à sa Kevin Harty qui s’attache à l’observation du
nature, l’expansive Alison est toujours à la mythe de la jeunesse et la vigueur dans les
recherche d’un mari, malgré son âge mûr. portraits des héros légendaires. S’il cite la
Dans la continuité de Canterbury mise à l’écran de Robin et Marian (1976)
Tales, l’histoire de Beryn se présente par le producteur Robin Lester, c’est dans
comme un bildungsroman auquel l’auteur l’esprit d’un contraste avec ce qui a été fait
Hélène Dauby réserve un traitement à part avant dans c domaine et d’une réhabilitation
dans cette thématique globale de l’âge. du réalisme dans la construction du per-
Beryn a un parcours que nous pourrions sonnage.
qualifier d’initiatique en passant par une A travers les différentes perspec-
série des preuves qui mèneront graduelle- tives qui ont été adoptées dans ce volume,
ment à son affirmation individuelle et à sa les thèmes de l’âge et de la mutabilité
reconnaissance sociale. gagnent à être à chaque fois ré-contex-
Si dans la plupart des textes, la tualisés tout en gardant la spécificité de
vieillesse se présente comme un état réel ou l’époque qui les produit.
potentiel, nous la retrouvons comme person-
nage allégorique dans la poésie lyrique de Aida Maxim
Charles d’Orléans. C’est Carole Bauguion
qui se penche dessus en soulignant dans le
monologue du roi exilé, le rôle des
sentiments dans l’attribution des traits au
personnage incarnant la vieillesse.
Valérie Catelain Selon l’exégète, l’en- 271
Julien Green et gagement sur la voie
la voie initiatique est essentiel
initiatique pour le héros greenien qui, tout comme son
Étude des créateur, est hanté par l’idée de l’infini, de
nouvelles et des l’Ailleurs. Voyageur sur la Terre, il est à la
romans quête des valeurs élevées que ce monde ne
Bruxelles, lui offre pas. Il se voit condamné à la soli-
Le Cri tude, en proie à l’ennui et à l’angoisse qui le
Académie torturent. Nombreux sont ceux qui
Royale de éprouvent un certain malaise dans ce monde
Langue et de qu’ils perçoivent hostile, incapables d’éta-
Littérature blir un contact, dépourvus d’optimisme.
Françaises, 2005 L’expérience à laquelle ils sont confrontés
est donc plutôt existentielle et la seule
échappatoire qui leur reste est de s’appro-
Julien Green, écrivain américain cher le plus possible du saint qu’ils aime-
d’expression française, est l’auteur dont raient être. La voie d’initiation est parsemée
l’œuvre recouvre tout le XXe siècle. Il est d’une succession de seuils, de portes qui
aussi l’un des romanciers les plus originaux fatiguent, irritent et tourmentent les prota-
de son temps par la place qu’il accorde au gonistes, mais qui contribuent à la fois au
conflit chair-esprit. Son œuvre est le récit dépouillement du moi. Le parcours de ce
d’une voie initiatique sur laquelle s’enga- voyage permet aux personnages de saisir le
gent ses personnages et d’une expérience rôle libérateur de la mort qui s’ouvre vers la
existentielle particulière, c’est le drame de connaissance suprême. La démarche ini-
l’inaccomplissement sous ses nombreuses tiatique suppose une succession d’épreuves
formes. Parmi les romans qui composent que les personnages doivent traverser et
son œuvre on peut mentionner L’Autre grâce auxquelles ils accèdent à la connais-
Sommeil, Minuit, Léviathan, L’Autre. sance du monde et à la découverte de soi.
Valérie Catelain, spécialiste consacrée Selon Valérie Catelain, «l’attribution des
de l’œuvre greenienne, a publié en 2005 épreuves est un signe d’élection» (p. 13).
l’ouvrage Julien Green et le chemin initi- Le voyage initiatique qu’entreprennent les
atique où elle entreprend une ample étude héros greeniens ressemble à une spirale
des nouvelles et des romans de l’écrivain. ascensionnelle qui s’élève vers l’infini, vers
L’ouvrage comporte cinq parties : « L’ob- cet Ailleurs obsessionnel des protagonistes
stacle de la porte et le franchissement du et de l’écrivain à la fois. Il répond dans une
seuil », « Centre intérieur et cœur du certaine mesure à un besoin intérieur, celui
monde », « L’éveil initiatique : rêve et de descendre aux entrailles de la Terre, de
vision intérieure », « La résurgence de soi, pour y retrouver le moi qu’ils recher-
l’ailleurs » et « Mort et renaissance » qui chaient. D’esclave qu’il était jadis, l’être
retracent les étapes de l’initiation avec humain devient libre. L’initiation se trans-
toutes les épreuves qu’elle suppose et que le forme en thérapie et pédagogie pour le
personnage greenien se voit contraint personnage greenien, car elle lui permet de
d’assumer afin d’aboutir à la source de se confronter avec lui-même.
lumière, d’avoir la révélation « d’un autre L’ouvrage de Valérie Catelain
ordre de vérité ». complète d’une manière remarquable l’exé-
272
gèse greenienne en qui lui sont sous-jacents.
offrant une analyse nu- Le parcours est pluridisciplinaire,
ancée des grands thèmes et il vise à surprendre les idéologies qui
de l’écrivain : l’errance, la solitude, le rêve, constituent le fondement de l’imaginaire
le vertige, l’ailleurs. En même temps, les occidental en ce qui concerne les diverses
lecteurs y découvrent une nouvelle orien- idoles et la perspective sur ces dernières.
tation de l’écriture grenienne envisagée Dans L’Idole comme fantasme
comme une voie initiatique. Mais nous fusionnel et son destin politique Marie-José
regrettons qu’une étude aussi ample et riche Mondzain puise aux sources philosophiques
(387 p.) ne soit pas accompagnée d’une pour parler de l’idole en tant que conso-
bibliographie critique plus élaborée. lation, moyen d’entreprendre ce qu’elle
Georges Thinès souligne dans l’Avant- appelle le « réenchentement du monde »
Dire la profondeur de cet ouvrage qui « (p.13). Pour l’auteur consommation et
éclaire sous un jour original l'œuvre consolation vont de pair avec la séparation
essentielle d'un écrivain capable de situer d’entre mot et chose, la parole n’étant plus
sur un même parcours de sens la passion transformatrice, comme Platon l’affirmait.
allant jusqu'au crime, le désespoir de la vie Marie-José Mondzain voit l’idole comme
terne et l'espérance d'un salut possible» (p. synonyme d’une violence, qui à son tour est
6). issue d’un mal du temps.
Pour François Bœspflug la ques-
Eva Palyi tion se pose s’il faut interdire l’usage du
terme « idole » même, utilisé fréquemment
dans le langage courant, et pouvant désigner
de nombreux réalités et notions des plus
Ralph Dekoninck, diverses. Ce que l’auteur de cet article
Myriam Watthee- propose est l’idée que probablement le mot
Delmotte (études idole lui-même est devenu « une idole
réunies par) notionnelle », transformation sémantique
L’Idole dans présente dès la version grecque de l’Ancien
l’imaginaire Testament et la scolastique médiévale.
occidental, Pour Jean Leclercq, dans son étude
Paris sur l’œuvre philosophique de Jean-Luc
L’Harmattan Marion, l’iconolâtrie est liée à la distance,
2005 idole et icône constituant une « polarité
notionnelle ». Si l’idole est le résultat direct
du regard, l’icône apparaît sans autre
recours à des stimuli, en rappelant l’invi-
Le volume réunit les actes du sible. Mais l’idole est caractérisée par son
colloque international organisé en avril manque d’illusoire, tandis que l’icône incite
2003 à l’Université catholique de Louvain, à une « herméneutique sans fin », et la
ayant en exergue une strophe de la fable, Le pensée ne fait que devenir de plus en plus
statuaire et la statue de Jupiter, de La fragmentée. Jean Leclercq commente, par la
Fontaine. La strophe décrivant un bloc de suite, le discours de la méthode du phéno-
marbre qui peut devenir soit Dieu, soit table, ménologue chrétien, pour conclure, avec le
soit cuvette reprend la problématique de recul nécessaire, sur le rapport entre la
l’idolâtrie, avec tous les différents aspects théologie et la philosophie.
Nigel Saint organise son argu- L’article de 273
mentation à partir de la notion d’opacité des Jacques Boulogne traite
images dans les réflexions de Louis Marin. des fondements méta-
L’auteur veut situer Marin dans le contexte physiques et des modalités rhétoriques de la
de la théorie du visuel, notamment à travers traduction du lisible en visible chez
les opinions esthétiques que ce dernier Callistrate, envisageant l’ekphrasis comme
exprime sur la question de l’idole dans « Le une « statue textuelle ou texte statufié » (p.
Statuaire et la Statue » de La Fontaine. 116) qui est un chef-d’œuvre en elle-même
Dans L’idolâtrie comme prosti- et non la représentation d’une œuvre.
tution dans la Bible, André Wenin étudie L’époque patristique est présente
deux formes d’idolâtrie, telles qu’elles sont dans l’étude de Jean-Marc Vercruysse, qui
présentes dans les diverses versions de la signale le « diable derrière l’idole » dans les
Bible: les autres dieux et les représentations écrits des Pères de l’Église. Initiant une
du Dieu d’Israël. Le spécialiste relève deux discussion sur l’idole dans la littérature
rapports au divin, dont seul le premier est française des XIVe et XVe siècles, Tania
idolâtre : le croyant qui manie et instru- Van Hemelryck pose la question s’il s’agit
mentalise la divinité, et celui qui se limite à d’un discours critique ou bien d’un discours
respecter le divin sans attendre de lui de de critiques, parlant du confinement de
sauver l’être humain de l’insécurité qui est l’idole dans l’altérité à cause de l’arbitraire
sa condition. du signe linguistique. Jérôme Cottin analyse
L’article de Sonia Sarah Lipsyc l’idole dans le protestantisme, tandis que
entreprend l’exploration des sources talmu- l’article de François Lecercle traite de
diques pour parler de l’idolâtrie face à l’ l’obscenité de l’ idole chez G. D. Ottonelli
« interdit de la représentation » du Penta- et Pietro da Cortona. L’étude de Bruna
teuque. Mettant en miroir cet interdit dans le Filippi porte sur le spectacle des idoles dans
Décalogue et dans le Talmud, l’auteur le théâtre de conversion jésuite du XVIIe
dévoile les limites de la restriction. siècle.
Jean-François Clément essaie de Le volume comprend de nom-
définir les conceptions de l’idole dans breuses autres analyses littéraires comme
l’Islam naissant à travers la dichotomie celle de Paulette Choné sur l’ironie de
panidolon versus panthéon, idole versus l’idole chez Barrès, celle de Laurent
Dieu, perspective comprenant une dimen- Mattiussi qui voit Mallarmé comme un
sion spatiale et une temporelle, aussi bien opposant des idoles, l’étude de Joël Rocloux
que des renvois historiques. sur l’image dangereuse chez les moder-
Pour Renée Koch Piettre, qui nistes, la perspective de Marielle Wyns sur
examine un fragment de Diogène d’Œnoan- la construction de l’idole chez Cocteau,
da, l’analyse des idoles dans la perspective l’article d’Arlette Bouloumié sur la magie et
épicurienne renvoie aux eidôla ou simula- le maléfice de l’image dans l’œuvre de
cra, pellicules qui se détachent du corps, Michel Tournier.
donc images qui entrent en contact direct Les études interdisciplinaires envi-
avec l’âme. Après un survol des cultes sagent des approches des plus diverses,
traditionnels, l’auteur retrace l’évolution de toutes complétant le thème du colloque avec
l’épicurisme en tant que mouvement reli- des perspectives nécessaires. Si Jean-Fran-
gieux, pour conclure avec l’examen des çois Stoffel s’interroge sur les rapports entre
idoles divines du point de vue de la réforme la cosmologie et l’idolâtrie, l’approche
épicurienne. d’Agnès Guiderdoni-Bruslé est discursive,
274
l’auteur allant en même Anne-Rosine
temps « de l’idole sen- Delbart
sible à l’idole herméneu- Les exilés du
tique » pour parler des figures du discours et langage
de l’idolâtrie verbale (p. 217). Une pers- Un siècle
pective historique et symbolique est celle de d’écrivains
Cristophe Loir, qui retrace le parcours de la français venus
Place Royale de Bruxelles en tant qu’idole d’ailleurs
déchu à la fin de l’Ancien Régime. Dans (1919-2000)
une autre approche historique, Laurence Presses
Van Ypersele examine le passage de l’ido- Universitaires
lâtrie meurtrière au culte des morts dans la de Limoges
Belgique d’entre 1914 et 1924. 2005
Jean-Jacques Wunenburger décrit
« l’impossible mystification de l’idole
politique » (p. 271), soulignant le caractère Aux différents discours contempo-
dangereux de l’imagerie politique et suggé- rains à propos de ce qu’on appelle littéra-
rant une troisième voie entre l’iconoclasme ture(s) francophones(s), Anne-Rosine Del-
et l’idolâtrie : une culture politique « qui bart ajoute son point de vue, issu d’une
valorise une culture des images » (p. 278). recherche menée pour sa thèse de doctorat.
Le volume est complexe parce que Son analyse se penche vers un grand
la problématique de l’idolâtrie elle-même nombre d’auteurs du XXe siècle qui ont
n’est point simple, et l’interdisciplinarité choisi d’écrire en français, alors qu’ils
des approches ne fait que surprendre la auraient pu opter pour une autre langue,
multitude de réalités (sociales, morales, étant donné qu’ils sont tous, comme elle le
philosophiques et autres) que l’existence dit, venus d’ailleurs, d’autres pays et d’au-
d’idoles comporte. tres espaces culturels. Chez eux s’applique
le translinguisme littéraire, puisqu’ils ont
Maria M el-Boatc abandonné, provisoirement ou définitive-
ment, leur langue pour en choisir une autre,
le français.
L’ouvrage est structuré en trois
parties. La première constitue une incursion
dans l’histoire de la langue française du
point de vue de son emploi international et
de son prestige culturel. Dès le Moyen Âge
jusqu’au XVIIIe siècle, le français est de
plus en plus utilisé par les écrivains d’autres
langues. La situation change au XIXe, en
plein essor des langues nationales, mais se
rétablit grâce à des facteurs non négli-
geables : Paris attire les artistes de partout,
le colonialisme répand la langue française
jusque dans des terres lointaines. Bien des
auteurs écrivent dans cette langue – et parmi
eux de nombreux Roumains –, mais chaque
fois est décelable chez eux une influence – tiques dont l’examen 275
acceptée ou rejetée – de la langue mater- constitue la troisième
nelle. Dans la deuxième partie de son étude, partie de l’étude de
Anne-Rosine Delbart s’interroge à propos Delbart. Chez eux se manifestent systé-
des motivations qui ont déterminé les matiquement trois thèmes - le voyage, les
auteurs en question à écrire en français. Elle personnages voyageurs ou étrangers et le
aboutit à un certain nombre de catégories désir de fuite – accompagnés de trois
définies à travers des critères sociologiques. motifs : le moi, la mère et le langage. Très
Il y a des auteurs français d’origine étran- souvent, leurs écrits sont à la première
gère qui n’ont pas quitté le sol natal, les personne, le discours est fragmenté, la
sédentaires, et d’autres qui ont accompli un polyphonie et les procédés musicaux de
voyage sur une terre de langue française, les l’écriture sont très présents, tout comme le
nomades. Dans la première catégorie entrent plurilinguisme, tant interne (alternance des
des auteurs nés d’immigrés dans un pays de registres stylistiques) qu’externe (noms
langue française, qui écrivent uniquement propres ou communs étrangers ou des
en français ou qui pratiquent une écriture phrases entières dans une autre langue).
mixte, avec des mots étrangers dans un texte À côté des formes connues de
français et d’autres qui écrivent en deux discours – direct, indirect, indirect libre,
langues, avec deux programmes littéraires direct libre, absorbé – Delbart propose une
différents. Les auteurs nés sur une terre où catégorie nouvelle, le discours immigré ou
le français est l’une des langues nationales importé, DIM. Les écrivains qui le
appartiennent aux minorités francophones pratiquent illustreraient le français polyno-
(les Canadiens de langue française), aux mique, qui accepte et légitime des variantes
élites socio-culturelles (les Flamands de la de langue autrefois dénigrées, et une seule
Belgique du XIXe et de la première partie littérature française bigarrée et riche dans sa
du XXe), aux populations des colonies diversité.
françaises. Un cas particulier est représenté Ana Coiug
par les écrivains nés sur une terre où le
français n’a jamais été une langue verna-
culaire : ce cas de figure est illustré surtout Estudios de
par les Roumains, de Macedonski à Tzara et Lengua y Lite-
à Ion Vinea. Les nomades, pour lesquels ratura Francesas
l’expression en français est le fruit d’un numéro 16
séjour dans une terre de cette langue, sont Pedro Pardo
des enfants de couples mixtes (Eugène Jiménez (ed.)
Ionesco), des enfants immigrés avec leurs La lecture
parents, des exilés politiques, des immigrés dialogique
pour des raisons pratiques telles le travail, Universidad de
les études, la recherche ou bien un mariage Cádiz, Servicio de
ou une rencontre amoureuse. Ils peuvent publicaciones,
être déterminés à quitter leur pays pour des 2005
motivations psychologiques, culturelles et
identitaires (Cioran, Vintil Horia). Dans le L’Introduction appartenant à Pedro
cas des auteurs qui s’intègrent dans l’une Pardo Jiménez présente la thématique de ce
des catégories énumérées apparaissent numéro de la revue, respectivement l’in-
certaines constantes thématiques et stylis- teraction entre le texte et le lecteur et les
276
questions que la récep- construit à partir de nos attentes et les
tion et la lecture du texte genres littéraires offrent un appui à la re-
littéraire suscitent en tant connaissance du lecteur, permettant qu’entre
que processus communicatifs. Il explique l’œuvre et lui s’instaure un dialogue.
ensuite le titre : selon lui, la lecture est L’article de Vincent Jouve, « Le
dialogique parce qu’elle « est dédoublement lecteur et ses simulacres », constitue une
et recherche de l’autre, de cet autre synthèse des tentatives de théorisation du
qu’est l’auteur, mais aussi de cet autre lecteur. Il apparaît que, dans la plupart des
qu’est le lecteur lui-même » (p. 10). Le études, le lecteur est soit réduit à l’une des
caractère dialogique de la lecture est visible dimensions qui le constituent, soit enviagé
dans les trois sections de l’étude, consacrées comme un ensemble si complexe que sa
à la question du genre, à la relation lecteur- description devient un objectif utopique.
texte, et au rôle de la lecture chez l’écrivain. Après avoir examiné les problèmes posés
La première section comprend quatre par les deux façons d’aborder le lecteur,
articles. Celui signé par Elena Cuasante Jouve propose de placer au centre de l’ana-
Fernández, « Du pacte autobiographique au lyse « le lecteur spécifique » (p. 60), « c’est-
mode de lecture : entre fiction et non- à-dire tout lecteur en tant qu’il est obligé
fiction », propose une révision de la notion d’adapter son rapport au texte à un genre
de pacte autobiographique élaborée par particulier » (pp. 10-11).
Philippe Lejeune. Le pacte autobiogra- La deuxième section s’ouvre sur
phique est un instrument qui fait la dis- l’étude de Carmen Camero Pérez, « La sub-
tinction entre autobiographie et roman ou, version dans la conformité : une lecture du
plus généralement, entre le récit de fiction et fantastique griparien ». L’auteur analyse les
le récit de non fiction. Il reste pertinent techniques sur lesquelles se construit la
parce qu’il aide le lecteur à établir un mode singularité du fantastique dans l’œuvre de
de lecture factuel ou fictionnel. Pierre Gripari et s’intéresse à trois aspects
René Godenne explique dans « De la essentiels : la substitution de la peur par
lecture de la nouvelle française » « pourquoi l’ironie et l’humour, l’affirmation d’un
la nouvelle est aujourd’hui plus un sujet fantastique de langage et le recours à
d’études qu’un objet réel de lecture » (p. l’intertextualité. Ce type de discours de-
11). Traitée comme genre mineur, la nou- mande un lecteur actif, compétent et capable
velle est presque absente de la critique de mener à bien le nouveau pacte de lecture
journalistique, des manuels d’histoire de la que le fantastique griparien lui propose.
littérature, elle ne suscite plus l’intérêt des L’article qui appartient à l’auteur de
théoriciens du genre, ni des lecteurs (pas l’Introduction, « To read or not to read :
même des auteurs de nouvelles). La cause sous la piste de Michel Tournier » sonde
de ce manque d’intérêt est le fait qu’elle « les possibles qui dérivent de la lecture
exige une modalité de lecture spécifique réelle lorsque celle-ci est confrontée à un
capable de s’adapter à sa nature et à sa dysfonctionnement textuel déterminé » (p.
diversité (un recueil de nouvelles exige une 12). Le lecteur doit choisir entre la lecture et
multitude de lectures, pas une seule lecture). la non lecture, ce qui montre que la
Le genre, ainsi que le montre Anna réception du texte littéraire comporte des
Joubert dans « L’horizon de nos attentes et actes préalables à l’interprétation et qu’il y
la médiation générique », joue un rôle des distinctions entre les notions de « lec-
fondamental dans l’interaction texte-lecteur. ture » et « interprétation », très souvent em-
La réception du discours littéraire se ployées comme des synonymes.
« La figure du narrataire dans 277
Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline »,
de Geneviève Salvan, explore le rôle du
narrataire dans le roman à partir des emplois
du pronom personnel vous. La fonction Euresis
énonciative remplie par ce pronom sert à Cahiers Roumains
exciter l’émotion du lecteur. La subversion d’Études Littéraires
de l’écriture littéraire contamine la figure du et Culturelles
lecteur qui ne doit pas s’identifier ou se numéro 2
distancier du narrataire construit par le Le Destin d’Émile
texte, mais doit accompagner l’élaboration Cioran
du discours littéraire. été 2005
Claire Stolz analyse dans « Churchill
d’Angleterre d’Albert Cohen : un contrat de Le deuxième numéro des cahiers
lecture problématique » la question du Euresis est consacré au destin du philosophe
contrat de lecture de la littérature engagée. roumain Émile Cioran, dix ans après sa
La définition de ce contrat, situé entre la mort. La première partie du volume, inti-
lecture idéologique et la lecture littéraire, est tulée Au-delà des taches et des masques,
influencée par les circonstances de publica- englobe des contributions des plus diverses.
tion et de réédition de l’œuvre, par la rhéto- Dans l’article 21, Rue de l’Odéon
rique et la scénographie construites par Fernando Savater retrace sa correspondance
l’auteur. Le texte construit un contrat de et son amitié avec Cioran, racontant le
lecture instable, toujours tendu entre les mémorable dernier repas ensemble qui a eu
deux pôles, mais parlant pour un lecteur lieu dans l’appartement de la Rue de
contemporain. l’Odéon. Abordant le thème des Erreurs de
La troisième section comporte seule- jeunesse, Constantin Zaharia traite des
ment l’étude de Francisca Romeral Rosel et amitiés de Cioran avec certains légionnaires
Juan Manuel López Muñoz, « La part des roumains et des idées antisémites intro-
lectures dans la construction de la person- duites par Cioran dans sa Transfiguration de
nalité d’Annie Ernaux », qui représente une la Roumanie. L’étude d’Ion Dur porte sur la
réflexion sur la pratique de lecture chez question du tragique chez le jeune Cioran
cette auteure pour qui la lecture, la vie et vue en relation avec la foi religieuse et la
l’écriture composent une relation dont tristesse d’Émile Cioran. Pour l’auteur de
l’objectif est de mettre en circulation son cet article, ce sont les premiers signes d’une
discours. révolte métaphysique qui va pousser Cioran
dans une campagne contre l’existentiel.
Adina-Irina Romo an Ion Vartic focalise son article sur
le statut d’Austro-Hongrois (même margi-
nal) que Cioran s’octroie en tant que citoyen
de Sibiu. La justification de l’auteur en est
l’enfance de Cioran, imprégnée par le culte
de l’Empire des Habsbourgs. Selon Ion
Vartic, Cioran a forgé son propre mythe
« habsburgien » en même temps qu’il a dé-
veloppé une véritable obsession pour l’auto-
rité, transformée graduellement en nostalgie
pour le pouvoir dictatorial.
278
Dans l’étude de sans pays, sans histoire et sans volonté.
Mihaela-Gen iana Si Irina Mavrodin voit Cioran en
St ni or les Noyaux ro- tant que saint et artiste à la fois dans une
manesques à double facette sont envisagés dichotomie gérée par le rapport entre la
du point de vue de l’intrusion de la vie de transcendance et l’immanence, L cr mioara
Cioran (réelle ou imaginée) dans sa Petrescu pense au « mal du temps » chez cet
littérature. Au moyen du fragmentaire, artiste qui ne s’imagine pas la mort du
Cioran reprend « l’anecdote de sa propre Christ, mais son insomnie.
vie » (p. 51) pour en faire une méditation La section Cioran inédit comprend
sur la question de la vie et de la mort. les Considérations sur le problème de la
Marta Petreu aborde un problème connaissance chez Kant, tandis que la
sensible dans l’œuvre roumaine de Cioran, troisième partie, Cioran et les autres :
notamment la question juive, telle qu’elle philosophes et écrivains inclue des rap-
transparaît dans Schimbarea la fa a prochements entre Cioran et Kant,
României (La Transfiguration de la Rou- Nietzsche, Deleuze, Stéphane Lupasco,
manie), ouvrage traitant du roumanisme et Gary et Gombrowicz.
qui, en raison du côté douloureux que le Traitant de l’inconvenable chez
problème revêt pour Cioran, a représenté un Cioran, les études de la quatrième partie
point cointroversé de son oeuvre. Marta portent sur des questions des plus épineuses
Petreu pense même qu’Émile Cioran a dû comme la négation du système, la dif-
regretter le fait d’avoir écrit ce livre. Après fraction identitaire, les amertumes de Cio-
avoir invoqué l’atmosphère nationaliste ran, les visages de la décadence, la sexualité
dans laquelle la Transfiguration a été con- et la prostitution dans l’œuvre de Cioran,
çue dans l’entre-deux-guerres, l’auteur pour finir avec un voyage dans la mémoire
souligne que plus tard Cioran a précisé avoir du philosophe. Le volume clôt sur une série
radicalement changé d’avis, ce qui ne donne de comptes-rendus d’œuvres critiques
à personne le droit de rappeler son épisode consacrées à Émile Cioran et à son œuvre.
dans l’extrême-droite.
Liliana Nicorescu évoque Les Maria M el-Boatc
masques de Cioran aux prises avec sa
double identité, juive et roumaine, tandis
que Kuno Peter Murvai se penche sur les
« liaisons dangereuses » d’Émile Cioran Feminist Review,
pendant les années ’30 et sur le contexte numéroo 79
dans lequel la « Jeune Génération » s’est Latin America:
intégrée sur la scène intellectuelle roumaine. history, war and
L’article de Simona Dr gan traite également independence
des rapports d’Émile Cioran avec la « Jeune Edited by
Génération », mais cette fois selon la Catherine Davies
perspective de Mircea Vulc nescu, « l’idéo- Palgrave
logue des générations » (p. 90). Pour Macmillan
Aurélien Demars, Cioran est L’homme sans London, 2005
destinées, syntagme paraphrasant L’homme
sans qualités de Musil. Cette étude s’or- This issue of the Feminist Review
ganise sur trois dimensions, visant les trois focussees on various ideas regarding wo-
manques du destin de Cioran : un destin men’s evolution throughout history, the
transformations of sexual differences, in previous periods, on 279
warfare and its legacy and perceptions of the basis of the example
the women’s bodies. All these apparently of Santa Anna’s two
different topics are united by a common wives. If Santa Anna is supposed to have
territory, that of Latin America, and a represented the ‘archetypal macho caudillo’
common main period, that of the 19th having concluded only marriages of con-
century. venience, Inés García, his first wife,
The first article in the volume deals appears to have enjoyed a certain type of
with colonial dependence and sexual diffe- freedom administering the hacienda alone
rence as presented in the writings of Simón and becoming a celebrated public figure.
Bolívar, thus opening the cycle of articles Furthermore, Maria Tosta, the general’s
dedicated to the Spanish-American Wars of second wife, never accompanied him during
Independence of the years 1810-1825. The his exile and chose to live away from her
anti-colonial discourse of Bolívar – from his husband for quite lengthy periods.
Cartagena Manifesto, from the Jamaica Another series of articles is
Letter and from the Address to the Ladies of dedicated to medical issues and to women’s
Socorro – is examined with a view to corporality within maternity. In Nature,
revealing the mechanisms acting in the Nurture and Nation, Charlotte Liddell
construction of the notion of feminine, often presents Nísia Floresta’s involvement in the
understood as similar to weak, cowardly and breast-feeding debate both in Brazil and in
subject to error. France, with a precision that Floresta seems
Claire Brewster centers her article, to have excluded black slave women from
Women and the Spanish-American Wars of her vision of motherhood as a patriotic
Independence on the presence of women in action. Dealing with feminine hysteria in
the midst of armed confrontations, women 19th century Mexico, Frida Gorbach’s article
acting not only as helpers, but also as active looks at the way medical discourse tried to
fighters in the Túpac Amaru Rebellion palliate the ruptures in its coherence by
between 1780 and 1781, and in the referring to the feminine each time proper
independence struggles of 1810-1825. arguments fail. Laura Cházaro examines, in
Brewster mentions the effective existence of her turn, the interventions with forceps in
women’s battalions led by female captains late 19th century medicine, asserting that the
such as Manuela Medina of Texcoco or use of these instruments is connected to a
Evangelista Tamayo. shift in mentalities regarding gender, race
When analyzing the matter of the and national identities.
Colombian Wars of Independence, Matthew The last three articles, completed
Brown represents the changes in the by a final dialogue section, focus on the
conception of honour and masculinity due patriarchal attitudes and values as they are
to the presence of foreign women by the intertwined in the creation of the Latin-
side of the male adventurers taking part in American states. The article on Ambiguities
these battles. As for the next study, written and Ambivalences in Making the Nation:
by Will Fowler and having the title All the Women and Politics in 20th-century Mexico
President’s Women: the Wives of General examines the role of women in the creation
Antonio López de Santa Anna in 19th of the state of Mexico, whereas the
Century Mexico, it is conceived as an following study analyses a particular case,
objective test of a recent assertion that at that of the Chilean poet Gabriela Mistral,
that time women were more influential than and the last article of this section treats the
280
matter of Embodying speaks both of a local reality and of a sort of
Memory: Women and self-projection before the Other. The reader
the Legacy of the Mili- or/ and the spectator of the texts which
tary Government in Chile with details about make the object of study for these articles
the prohibition of abortion as ‘a form of are supposed to be both local and global,
human rights violation’ (150). After a belonging both to old or new Christian
dialogue with the Chilean novelist Diamela societies. The detailed case-studies are
Eltit, the issue ends with several book organised, by their theme, in three sections,
reviews of specialized works. entitled Approches du roman et du théâtre
missionnaires en Afrique, Sensibiliser
Maria M el-Boatc l’Europe and Ecriture littéraire et mission.
The first article, that signed by Charles
Djungu-Simba K. (University of Anvers),
has as an object the text of George Six (a
Pierre Halen (ed.) vicar from Leopoldville, in the Belgian
Recherches en Congo), Pardon des offenses (The For-
littérature et giving of Trespasses). Although the play
spiritualité, was written in lingala (one of Congo’s four
vol. 11, national languages), the author of the article
Approches du could gain access only to its French version,
roman et du which appeared in 1954. Departing from the
théâtre image of an African Christian mission, as
missionnaires, followed in the play, Charles Djungu-Simba
Peter Lang SA, K. analyses the social and religious context
Berne, 2006 in Congo, the symbolic couple Christian
believes and practices and Christianity as
civilisation versus traditional rituals of
The articles composing the volume magic, also seen as a confrontation between
(proceedings of the seminars organised at Good and Evil. The ideal society the vicar
the University of Metz, now “Paul Verlaine suggests is a typical missionary image of the
University”, on September 17 and 18, “Christian kingdom”, underlining the educa-
2002), have as a common background the tional spirit of the play. Another researcher,
interest for the connection between litera- Antoine Muikilu Ndaye (from The National
ture and spirituality, the idea of conversion Institute of Arts of Kinshasa), is interested
and its literary representations, as the editor in The Dramatic Works of Father F.
postulates. The group of research the Bontinck in the Context of Missionary
authors are part of, entitled “Littérature et Theatre of “Pères de Scheut” in Congo.
spiritualité” (“Literature and Spirituality”) The author works on the local review,
and part of The Centre of Research Missions de Scheut, the official paper of the
“Ecritures” (“Writings”) also had as a Congregation, but also on other two
starting point the idea of change, with its periodicals from the Belgian Congo. On the
reference to Otherness and in connection to basis of these publications, the researcher
post-colonial studies (focused on the reviews and analyses the local dramatic
cultural history of Central Africa). A activity, part of the evangelizing work of the
“forgotten or neglected continent”, this missionaries of Pères de Scheut in the first
literary history recovering missionary texts half of the 20th century. In the second
section of the volume, the one dedicated to toria Centre), deals with 281
European reactions towards missionary the figure of Alfons
literary accounts, Brigitte Brasseur-Legrand Walschap, a Flemish
writes about the history of martyrs from missionary, interested in music inspired by
Uganda and its diffusion in Belgium. The the African rhythms, but also in the literary
authors follows, in a complex analysis, the work (his writings being also composed in
historical accounts, the reaction of the Flemish). The author of the article analyses
Catholic Church (which beatifies the some important themes Walshap followed,
martyrs), observing the way the “golden such as religious conversion, culture and
legend” is to be found in literary or visual faith, mixed races etc., enriching his
representations. Johan Lagae’s study focu- research by adding a literary fragment
ses on a typical missionary figure, the belonging to the missionary.
Master-Builder Father of the Congregations
of “Pères Blancs”, also in Congo, during Andrada F tu-Tutoveanu
the period of 1935-1960. The author speaks
of a structure of positions in a mission, of
the place (considered by Lagae as
“priviledged”) of the Master-Builder Father Hugo Francisco
(who also has religious activities, but is not Bauzá (dir.)
priest), and the representations of this figure El imaginario en
in different missionary textbooks or perio- el mito clásico
dicals, sometimes part of a literary and VI Jornada del
visual strategy of attracting new members Centro de Estudios
for the mission. Jacques Marx follows the del Imaginario,
literary activity of Father André Dupeyrat, a Academia
missionary and a writer, from the French Nacional de
mission in Papua. The author places the Ciencias de
missionary’s work in connection with the Buenos Aires
local reality, the adventure novel stereo- 2006
types, the Christian prose at the beginning
of the 20th century and the reactions his The volume is the result of the 6th
writings (supported by some literary figures reunion of the Centre of Studies of the
such as Paul Claudel) has aroused in France Imaginary from Buenos Aires (CEDELI), a
at the time. Pierre Halen (“Paul Verlaine titular member of the Groupe de Recherches
University”, Metz), also the editor of the Européennes Coordonnées. Centres de Re-
present collection, introduces the problem cherches sur l’Imaginaire, France, (CRI).
of the missionary and the anti-slavery The session gathered Argentinean resear-
perspective, producing a case-study on Sang chers interested in the field of the ima-
noir. Scènes de la vie esclavagiste dans ginary, which had presented the results of
l’Afrique équatoriale (1893), the novel of their studies on August 25 and 26, 2005. As
Abbot Lucien Vigneron. He analyses the the editor feels it is necessary to explain the
multiple cross-cultural issues raised by the use of the key-concept of “imaginary” the
writing, such as the relation Africans and studies deal with, he sketches a short
Europeans or the representations of the historical presentation, inclining for Gilbert
Black in the context of slavery. Another Durand’s theory and definition. Focused on
case-study, that of Honoré Vinck (Æqua- the analysis of certain Greek and Latin
282
myths and the way in Rider, a profile which is inherited by the
which their symbolical Greek and Roman great tradition and
and semantic charge has through them, by the Renaissance. An
developed, the contributors to the volume interesting analysis is that operated by the
had chosen a common – interdisciplinary – archaeologist over the representations disco-
perspective. The collection of studies also vered in the Romanian province of Do-
comprises a study of the French researcher brogea (at Histria mainly), and placed under
Joël Thomas, professor at the University of the typical figure of “The Thracian Rider”,
Perpignan, had presented at an International whose attributes are inherited by the
Colloquium on the Mythical Thinking Byzantine St. George. Another researcher,
(Figures, Methods and Practices), Lyon and Leandro Pinkler, builds his study on the
Brussels, 2005. Thomas’s study, Gilbert Orpheus and the Greek Mystique around the
Durand and Mythoanalysis, also opens the specificity of orphism in relation to other
volume, speaking of the role Durand has expressions of the Greek religion (Diony-
played in the hermeneutical tradition on sian cults, the Mysteries from Eleusis,
myths. By adopting a systemic view, Pitagorism), trying to establish its origin, its
Durand spoke of a complementary approach avatars and legacy to the Greek philosophy.
(neither exclusion, nor fusion) between the Departing from the same philosophical
mythical memory and the development of nucleus (Plato mainly), the study of
myths through different avatars, a unitas Francisco García Bazán is interested in The
multiplex. Departing from this approach, Myth of the Androgynous and the Human
Thomas studies two pairs of examples, a Nature (The Classical Nucleus and Helle-
synchronic one (the complex relation nistic Irradiances). The researcher follows
between Apollo and Dionysus in classical the principle of the union of complementary
Greek culture) and another built diachro- opposites in a historical view (over the
nically (the modern conversion of classical traditional and esoteric context), from Indo-
myths in films like Troy and Alexander or Iranian, Sumerian and Arcadian or Egyptian
of mythical structures in some sports such representations of androgynous divinities to
as car racing or rugby). The second article, the Greek pantheon and the platonic
entitled The Equestrian Myth and the dialogues. A second stage refers to some
Transmission of the Heroic Imaginary and Gnostic authors and other early Christian
signed by Francisco Marshall, brings as a writings (such as The Gospel of St.
reference the study of archaeological proofs Thomas), the androgyny being either a
in a historical approach of the image of the nucleus of Creation or a purpose in order to
Knight or Rider. It is also interested in its gain access to Paradise. In his study, The
genesis or appearance in the Mediterranean Image of the Father in the Classical Myth,
area, its persistence in the mythical memory Raúl Ballbé is interested in the conflictual
and the processes of its transmission as a dimension of the Father and Son relation-
visual code to the Christian iconology (the ship (seen as a complex of power) in the
St. George’s icon). The origins of this Greek mythology. The Greek cosmology,
mainly visual representation, as Marshall Ballbé observes, is based on this authority
rightly suggests, are related to the Iron age and the undermining of it (chaos/ cosmos,
and the Eurasian domestication of the horse, the Titans and Zeus etc.). Next, he discusses
event which led to an entire reconfiguration the representations of this conflict in Greek
of the aristocratic profile, which from now and then Latin classical literature (Sopho-
on involved the image of the Hero as a cles, Euripides and respectively, Plautus and
Terentius). Another text, that of Bernardo mythical figures of 283
Nante places in relationship the Classical Hephaestus and Dae-
myth of the Golden Fleece and the dalus, connected by their
Alchemic tradition. The first appears with a “technical abilities”, by the idea of the Fall,
new significance: a symbol of the goal of also by their relation to Goddess Athena, by
the Alchemic operations. Other interpre- their ambiguity etc., speaking of the two
tations of the symbol see it as a symbolical figures as Greek mythical variants of
sieve or a filter for gold, as a symbolical resolving the conflict between tradition and
voyage (as the oldest interpretation corre- progress. Finally, Silvia’s Chorroarín’s
lated to Jason’s quest) and eventually, a study discusses Hegel’s reflections on the
complementary image, that of a book. “The fight of the Olympians with the Titans
Golden Fleece – Nante observes – alludes to inside his system, involving the trans-
a visionary key; written in Golden letters, it gressions from symbolical to classical art,
is the immobile motor of the adventure, of the concept of “beautiful ethics” (Schöne
the voyage to the Orient, of the gold from Sittlichkeit) and eventually the dissolution
the Orient”. The Mythical Representation of of classical art and the modern ethics, a time
Evil. A Philosophical Revision from Paul of the alienated individual, who cannot
Ricoeur’s Perspective, Cristina Micieli’s revive the concept of polis and its
study, approaches, by following Ricoeur’s implications.
steps, several myths connected to the
appearance of Evil in different mythologies. Andrada F tu-Tutoveanu
The idea of Evil is followed from the
Babylonian epopee and the problem of the
originary violence (the Creation drama),
ambivalent in its act of destruction of chaos Iris
/creation of cosmos, then in the idea of Les cahiers du
frailness and lability of the human nature Gerf
(the Adam’s myth of the Fall), in the tragic numéro 24
myth (the hero and his destiny, the “Evil Le fantastique
god”) and finally in the idea of the contemporain
ambivalence Good/ Evil in the duality Soul/ Grenoble
Body (Soma/ Sema, logos/ bios) in the myth éds. Ellug
of the unearthly soul (“alma desterrada”). hiver 2002-2003
In his Corialanus, Character of Contem-
porary Theatre, Jorge Dubatti speaks of a
recent Argentinean play, Eduardo Pavlov-
sky’s Volumnia (2002), which re-writes
Shakespeare’s classical Coriolanus in a
game of influences and translations which Le numéro 24 des Cahiers du Gerf
Dubatti follows: an English Renaissance réunit les Actes de la journée d’études du
play, based on a translation from Plutarch, Groupe d’études et de recherche sur le
re-interpreted through a Spanish translation fantastique du 14 décembre 2001. Dans la
and reconverted to a play which speaks Préface, William Schnabel annonce l’inten-
about Argentine and its social and political tion du Gerf d’élargir son champ de
problems. Another researcher, Graciela C. recherce. Par conséquent, les études sur le
Sarti, writes a comparative study on the fantastique seront complétées et enrichies
284
par des recherches sur dernes empruntent le physique humain,
des genres apparentés. placé sur le signe de la perfection. À part
Selon Schnabel, l’inves- l’humanisation physique, Daniela Solovio-
tigation de ces genres ouvre des perspec- va-Horville remarque le développement
tives inédites sur les multiples façons d’une nouvelle dimension psychologique
d’exprimer l’imaginaire ainsi que sur les chez le vampire qui confère de l’épaisseur à
mécanismes qui régissent le fonctionnement ce type de personnage. Cette évolution se
de la société. Conformément à cette nou- réalise grâce à l’acte civilisé et civilisateur
velle tendance, les signataires des vingt- de l’écriture qui donne de la cohérence à
neuf articles inclus dans ce numéro prennent l’existece erratique du vampire. À travers
en discussion des questions soulevées par le l’écriture, les pulsions bestiales sont
fantastique contemporain mais aussi par ses orientées vers la création artistique et les
avatars, la science-fiction et la fantasy. activités intellectuelles.
L’article d’Anne Besson « Les nouveaux L’article de Francis Berthelot « Les
immortels : le succès des séries télévisées fictions transgressives depuis 1990 » pro-
fantastiques destinées au publique ado- pose une incursion théorique dans l’univers
lescent » ouvre le numéro avec une étude des créations littéraires situées à la lisière de
sur l’impact social du fantastique présent la littérature générale et des littératures de
dans les feuilletons télévisés. La spécialiste l’imaginaire qu’il aborde sous la désig-
des paralittératures française et américaine nation de fictions transgressives. Dans son
cherche les secrets du succès des séries exposé, Berthelot isole deux grandes caté-
fantastiques difusées par la télévision auprès gories de transgressions qui opèrent sépa-
des adolescents dans la cohabitations des rément ou simultanément à l’intérieur de ce
deux genres différents : le fantastique et le type de textes : la transgression de l’ordre
récit adolescent. Selon elle, les créateurs de du monde et la transgression des lois du
ce type de feuilletons misent sur la sym- récit correspondant à deux approches diffé-
biose entre ces deux genres. Les codes du rentes : l’approche thématique et l’approche
fantastique sont mis en accord avec les structurale. L’analyse des techniques de la
préoccupations de la jeunesse américaine, transgression montre que les fictions trans-
tandis que les codes du récit adolescent sont gressives reposent sur une double violation
confrontés au fantastique par le truchement de l’ordre en place. D’abord, elles jouent sur
de la mise à distance ironique. le rapport réel/imaginaire en insérant dans le
Dans « Anne Rice : Le vampire entre récit des éléments qui perturbent notre
modernisme et tradition », Daniela Solovio- monde. Ensuite, elles brouillent le rapport
va-Horville, spécialiste de la culture slave réalité/fiction par l’intermédiaire de la dé-
confronte la figure du vampire dans les construction du récit.
production littéraires du XIXe siècle aux William Schnabel boucle le volume
vampires modernes d’Anne Rice. Cette avec « Le fantastique rattrape le réel », un
approche de facture comparatiste se propose article fascinant sur le glissement de la
d’établir la proportion des éléments nova- fiction dans la réalité au cœur de la société
teurs et traditionnels dans la fiction de occidentale d’aujourd’hui. Son étude qui
l’écrivaine américaine. L’examen de l’évo- s’appuie sur l’analyse d’un grand nombre de
lution des apparences physiques du vampire textes montre que la littérature fantastique
révèle la disparition du côté bestial et contemporaine est une représentation de la
effrayant. À l’opposé des monstres dépeints réalité empirique. D’après Schnabel, les
par Stoker ou Polidori, les vampires mo- créations littéraires fantastiques de nos jours
fonctionnent comme un miroir de la société 285
actuelle. Grâce à son pouvoir mimétique la
littérature fantastique relie les mondes
intérieurs et extérieurs afin de nous offrir Iris
une image claire de nous-mêmes, de nos Les cahiers du Gerf
aspirations et de nos peurs. Le foisonnement numéro 27
de textes récents écrits autour des thèmes Amazonie, sein de
comme la perturbation climatique, la pollu- la terre
tion de la planète, l’intelligence artificielle Centre de recherche
ou le clonage represente, en effet, le symp- sur l’imaginaire
tôme d’une crise profonde traversée par Grenoble 3
l’humanité au début de la nouvelle 2004
millénaire.
À part la diversité de genres abordés, Ce numéro commun des revues Iris
ce numéro des Cahiers du Gerf se remarque et Taira rassemble l’essentiel des travaux
par le large éventail des formes d’expres- franco brésiliens autour du programme
sion investiguées. À la littérature s’ajoutent CAPES / COFECUB 98N, intitulé « Ama-
la cinématographie, la peinture, la sculpture zonie, nouvelle approche de ses mythes »,
et la bande dessinée. La grande richesse des basés sur une collaboration avec les Ama-
perspectives sur les nouvelles tendances du zoniens eux-mêmes, afin que les résultats
fantastique livrées par ces articles, ainsi que soient vraisemblables et pertinents.
la présence d’un nombre impressionnant de Les articles sont regroupés selon
chercheurs appartenant à plusieurs nationa- des approches littéraires, sociologiques,
lités font de ce numéro une excellente géographiques et ethnographiques, sans
source d’information pour tout lecteur qui avoir en vue une analyse exhaustive du sujet
s’intéresse à l’étude de l’imaginaire. La autour duquel la revue a été conçue, c’est-à-
grande richesse des perspectives sur livrées dire le mythe de la forêt, le mythe ama-
par ces articles, la diversité des domaines de zonien par excellence. L’étude qui lui est
recherche abordés (anthropologie, imago- consacré s’ouvre par sa présence dans le
logie, études littéraires, archéologie, his- récit littéraire (7 articles réunis dans le
toire, philosophie), ainsi que la présence des chapitre Le Mythe de la forêt dans sa
auteurs centres universitaires recommandent transcription littéraire), en faisant référence
le premier numéro de la collection Hekateia à l’écrivain portugais José Maria Ferreira de
comme un excellent instrument de travail Castro, dont l’œuvre Forêt Vierge témoigne
pour tout chercheur des sciences humaines. de l’existence d’un lien incontestable entre
le livre et l’espace évoqué. Il s’agit de la
Vlad Georgian Mezei représentation d’une réalité propre aux
régions amazoniennes : la selve et l’homme
qui en est le prisonnier, en touchant ainsi la
réalité sociale amazonienne telle qu’elle
nous est révélée par le regard de l’écrivain
porté sur le seringal (des territoires de la
forêt amazonienne voués à l’extraction
du latex).
L’imaginaire amazonien a été une
source et objet d’étude pour beaucoup
d’écrivains, en allant de Michel de Mon-
286
taigne jusqu’à l’Ama-
zonie de Jules Vernes de Iris
son roman La Jangada, Les cahiers du
où il entrevoit la fin des peuples nomades, Gerf
en mettant l’accent sur l’acceptation des numéro 28
mœurs corrompues des Blancs qui accroît la Jules Verne entre
perte de la culture de la population indigène. science et mythe
Après ce parcours littéraire, nous Centre de
découvrons les mythes amazoniens (8 recherche sur
articles réunis dans le chapitre Mythogra- l’imaginaire
phie générale de l’Amazonie) en com- Grenoble 3
mençant directement par l’explication de la 2005
provenance du syntagme « mythe ama-
zonien », construction imaginaire euro- Ce volume de la revue Iris représente
péenne, puis passant par celui du Courou- un hommage porté à l’œuvre fictionnelle de
pira ( le dieu qui protège les forêts ), par les Jules Verne, qui impressionne par son
mythes du bonheur perdu, le mythe de la envergure et par son impact culturel à
Ville en crise (il s’agit de la ville de travers le monde. Ce qui est remarquable
Manaos, qui entre 1920-1967 a connu une chez lui, c’est l’imagination débordante de
période de profonde dépression due à la l’auteur et sa faculté étonnante à inventer
chute des prix du caoutchouc naturel), le des personnages campés dans des décors
mythe du sauvage et celui d’El Dorado. exotiques, ainsi que sa profondeur my-
Les chapitres qui clôturent cette thique, qui relève du talent de l’écrivain à
incursion dans le monde amazonien (Mythe associer la science et l’aventure. Dix-huit
et communication et Mythe et politique qui articles, écrits en français et en anglais, con-
réunissent chacun 3 articles) nous intro- tribuent à remettre à l’attention des lecteurs
duisent dans la façon dont l’art (le théâtre) ce romancier bien connu et à la fois souvent
et les médias (la télévision avec ses « tele- ignoré par les universitaires et le grand
novelas » et la télévision française) re- public et s’interrogent sur les raisons qui
prennent et recréent le mythe de l’Ama- placent Verne au rang des plus grands écri-
zonie, tandis que l’espace politique insiste vains du monde. L’étude s’organise sur trois
sur l’absence d’une continuité culturelle. sections : « Bilans critiques », « La ren-
Les derniers articles sont des contre des mondes chez Jules Verne » et
analyses qui portent sur divers sujets : une « Le roman vernien. Poétique et para-
approche des certains écrivains tels le textes ».
portugais Vergilio Ferreira et le brasilien Une introduction consistante, écrite
Jorge Amado, une analyse du roman Chi- par William Schnabel, retrace le parcours
quinho de Baltasar Lopes et Maria Chap- existentiel et littéraire de Jules Verne, qui
delaine de Louis Hémon, tout comme des est considéré comme le père de la science-
analyses sur la poésie, le rire dans le fiction, bien que ce genre n’existât pas à
folklore verbal ou la fondation d’une tribu l’époque pour qualifier son œuvre. Après sa
berbérophone du sud-est marocain. mort, c’est son fils Michel qui publia ses
manuscrits inachevés et continua même
Anamaria Sab u quelques autres à partir des notes laissées
par son père.
Simone Vierne parcourt quelques développement des com- 287
lectures de Jules Verne, hier et aujourd’hui, munications et des
et rappelle les thèmes importants qui attirent sciences donnent une
l’attention même à présent, tels la descente nouvelle impulsion aux récits de voyages et
aux enfers, la quête identitaire, le voyage l’écrivain exploite justement la passion des
initiatique, la découverte de mondes incon- gens pour les histoires fantastiques et les
nus. Elle définit son œuvre comme un grand aventures inouïes. Une approche anthropo-
poème homérique, dont les images ont le logique des romans de Jules Vernes nous est
poids de permettre le rêve au-delà du simple proposée par Thierry Santurenne. L’intui-
intérêt pour les voyages et révèlent une forte tion extraordinaire de l’écrivain lui a permis
parenté avec les images mythiques, qui d’observer et d’exploiter les particularités
touchent aux grands archétypes de l’imagi- ethnologiques, mythiques et religieuses de
naire humain : l’imaginaire de la terre et la son temps et d’analyser le réel dans toutes
découverte du lieu secret. Jean-Michel Mar- ses dimensions.
got propose une histoire des études ver- Le roman Voyage au centre de la
niennes sur le plan mondial, cent ans après Terre, l’une des composantes principales
la mort du romancier, et fait une présen- d’une œuvre à la fois géographique et
tation succincte des manifestations litté- historique, est disséqué par Lionel Dupuy et
raires, centres de recherche et de documen- témoigne de la dialectique du temps et de
tation, exégèses, publications de textes l’espace, où l’imaginaire de l’auteur et celui
inédits, sites Internet, pour démontrer le du lecteur s’évadent sans limite. De son
grand intérêt suscité sur le globe par la côté, Frédérique Calcagno-Tristant propose
création de Verne. Un intéressant rapport une approche sémio-cognitive des illustra-
des œuvres de Jules Verne aux idées des tions de dévoration dans le roman Vingt
stoïciens (Cicéron, Sénèque, Plutarque, mille lieues sous les mers, le plus célèbre
Diogène Laërce, Epictète) est présenté par des Voyages extraordinaires. Les gravures
Alexandre Tarrieu, qui considère que d’Alphonse de Neuville représentent le
l’écrivain se trouve souvent dans la logique support pour l’éducation de l’enfant, le jeu
des idées de ces philosophes. instructif qui contribue à sa formation et
Lucian Boia analyse la signification l’intention de dévoration est choisie pour
des points cardinaux dans la série des faire peur et pour inciter. Une étude détail-
Voyages extraordinaires de Jules Verne, à lée et pertinente du terme de fantaisie, qui
travers la promenade (proposée par l’écri- regroupe deux acceptions : plaisanterie et
vain) dans tous les coins du globe. Cepen- rêverie, est réalisée avec finesse par Vincent
dant, le Nord est privilégié et le monde Tavan. La fantaisie se trouve en relation
anglo-saxon domine les aventures, mais les étroite avec la science et par cette alliance
autres territoires ont leur place bien établie l’auteur a réussi à constituer un nouveau
aussi. L’auteur tente de concilier l’Occident, genre littéraire, le roman scientifique.
noyau de la civilisation technologique, et le Quelle meilleure conclusion que
reste du monde. Par l’intermédiaire de Da- cette idée d’Albert Einstein selon laquelle
nièle Henky, nous assistons à une démon- l’imagination est plus importante que la
stration de l’originalité de Jules Verne par science et la connaissance, car elle n’a pas
rapport à ses prédécesseurs en ce qui de limites et permet la rêverie au plus haut
concerne le roman d’aventures et le succès degré.
qu’il a remporté avec ce genre. Au XIXe
siècle, les progrès des connaissances et le Camelia-Meda Mijea
288
La vie de saint Eusice), ainsi que les thèmes
majeurs traités, tels les rituels pratiqués, les
miracles accomplis par les saints, le rôle des
Iris animaux et des divinités, la décapitation en
Les cahiers du tant que persécution suprême, le rejet de la
Gerf terre, la femme aux trois seins sont évoqués
numéro 29 pour mettre en lumière le riche témoignage
Celtitudes que nous avons de cette époque-là. Les vies
médiévales des saints carolingiens, dont la plus pré-
Centre de gnante est celle de Saint Guénolé, nous
recherche sur indiquent l’existence ancienne à l’abbaye
l’imaginaire Landévennec d’un système de christiani-
Grenoble 3 sation des quatre grandes fêtes du calendrier
2005 celtique.
Véronique Guibert de la Vaissière
dédie une belle étude à Guilhem (Guil-
Le numéro 29 de la revue Iris ren- laume) d’Orange, dont la légende est le fruit
ferme les débats scientifiques des partici- de l’adaptation de récits existant dans la
pants à une journée d’étude consacrée à tradition orale et de la transposition de
l’héritage celte dans le Moyen Âge euro- croyances et de thèmes très archaïques. À
péen, qui s’est déroulée le 24 mars 2003, à l’époque pré-chrétienne, l’itinéraire person-
l’initiative de l’Association des amis de nel de Guilhem représente un parcours
Études celtiques, au Lycée Henri IV de initiatique marqué de combats contre les
Paris. L’objectif de la rencontre a été d’ana- géants et le diable, un itinéraire symbolique
lyser les traces d’héritages plus anciens, en ponctué de passages obligatoires, d’indices
particulier celtes, qui ont marqué les cul- qui démontrent une mythologie antérieure
tures médiévales, donc d’étudier le métis- au christianisme, une Imago mundi expri-
sage de l’imaginaire médiéval et de la mée dans un développement temporel. Si les
vieille culture celte de l’Europe et de repor- mythes sont la « langue des dieux », un
ter au premier plan les racines celtes et métalangage par lequel les dieux commu-
scandinaves de l’Europe, qui sont au moins niquent aux hommes, il faut les remettre en
aussi importantes que les celles gréco- question, afin de comprendre les symboles
latines. et les traditions populaires.
L’éditorial de Philippe Walter L’intervention de Jean Batany
rétablit l’importance du Moyen Âge dans le porte sur le mythe du « mari aux deux
contexte historique, en partant de la redé- femmes » dans les deux Bretagne et
finition du terme « moyen » et en continuant l’Irlande, par une étude comparatiste, en
par l’établissement des frontières de cette intégrant la culture celtique dans un
époque et par l’évocation de la création ensemble indo-européen et en mettant sur le
artistique imprégnée des vieux mythes des même plan les textes occidentaux et orien-
peuples celtes. taux. Les textes qui constituent le point de
Bernard Robreau s’occupe de l’hé- départ pour cette analyse sont extraits l’un
ritage celte dans l’hagiographie médiévale. de la littérature occidentale, l’autre de celle
Quelques textes essentiels du domaine orientale : le roman Ille et Galeron écrit en
(Passion de saint Vincent d’Agen, Chro- français par Gautier d’Arras vers 1170,
nique de Fontenelle, La vie de saint Méen, respectivement Katha-Sarit-Sagara réécrit
en sanscrit par Somadeva au XIe ou XIIe les fondements religieux 289
siècle, qui raconte l’histoire du roi Udayana. et culturels d’une Europe
Jean-Jacques Vincensini étudie le toujours en quête de sa
roman de Mélusine écrit par Jean d’Arras en mémoire.
1393, dont le charme tient à la présence
énigmatique d’une femme de l’autre monde Camelia-Meda Mijea
qui se pare des semblances d’une divinité du
paganisme celtique. Mélusine, ancêtre des
Lusignan, et ses deux sœurs, forment une Chantal Lapeyre-
admirable triade qui rappelle le trio irlandais Desmaison
des Macha dont parla jadis Georges Dumé- Mémoires de
zil. Dans la communication de François l’origine – un
Delpech sont analysés les textes ibériques essai sur Pascal
qui font allusion à la légende du roi Arthur. Quignard
La légende arthurienne, bien connue en Paris
Espagne et au Portugal, a donné lieu à Galilée
maintes réélaborations. L’auteur poursuit 2006
une curieuse tradition (attestée dans le Don
Quichotte de Cervantès) où Arthur se serait
métamorphosé en corbeau, croyance qui
s’explique si l’on étudie les mythes celtes Il est écrit sur le quatrième de
relatifs aux corvidés. couverture du deuxième livre des Petits
Une section consacrée au conte traités de Pascal Quignard : « Les Petits
met en lumière des aspects intéressants. traités ne sont ni des essais ni des fictions.
Claude Fintz propose un débat sur le champ Cela n’entrait dans aucun genre. C’étaient
corporel et communiel du conte. Son de courts arguments déchirés, des contra-
hypothèse est que l’acte de conter est un dictions laissées ouvertes, des mains néga-
prétexte à la constitution d’une corporéité tives, de apories, des fragments de contes,
imaginaire communautaire et que c’est une des vestiges. Je ne retenais que ce qui du
performance collective. Pour Véronique temps était rejeté par l’Histoire tandis
Costa, le Sopha de Crébillon représente la qu’elle prétendait écrire sa grande narration
mise en place d’un réseau de corps (corps mensongère. » Ces écrits furent longtemps
du conteur qui gesticule, corps de refusés par de nombreux éditeurs.
l’auditoire, écriture du corps), donc une En résumé, une écriture souvent
poétique du rapport, une passerelle ryth- éparse, car fragmentaire et difficilement
mique entre les êtres. Claude Guméry- abordable, car naissant d’un refus des
Émery et Noémie Auzas développent des genres. A l’autre bout de la plume, un
études sur le texte Solibo Magnifique de écrivain marginal depuis bien des années,
Patrick Chamoiseau, qui est en fait un puisant le plus souvent dans un autre temps,
roman sur le conte, dans lequel on déplore dont l’Histoire ne veut toujours pas. Le
la disparition inexorable du conte antillais. lecteur s’aventurant au-delà des Traités se
Nous ne saurons conclure sans rend vite compte qu’il y a de quoi être
reprendre l’idée commune des études qui déconcerté. Comment saisir ce « présent
composent ce recueil et qui sont d’accord passé, passé présent » au cœur des livres ?
que l’étude de la celtitude médiévale Ancienne « thésarde » sur Pascal Quignard,
pourrait élucider beaucoup de questions sur lectrice passionnée de son œuvre, Chantal
290
Lapeyre-Desmaison temple et se fige. Ensuite, la page est un
prend pour but de miroir où Narcisse-écrivain ne se reflète
dénicher le liant de ses pourtant jamais ; en échange elle permet la
écrits. Paru en 2006 chez Galilée, Mémoires réflexion moirée d’un visage anonyme :
de l’origine – un essai sur Pascal Quignard celui du lecteur. Enfin, la figure d’Orphée
postule la mémoire comme principe d’arti- qui ne se lasse jamais de scruter le passé.
culation d’une œuvre foisonnante. Deux Après maints articles consacrés à ce
aspects sont mis en évidence dès le début : grand inclassable, cet essai vient combler
la mémoire n’est pas seulement un élément une certaine timidité face à une œuvre
passif, permettant la conservation, mais polymorphe. Tout est là qui permet de saisir
aussi – et surtout – un élément actif car l’essence – une essence possible – des écrits
vecteur de conscience de cette conservation. de Pascal Quignard. Et qui invite à une
Partiellement et volontairement – me « lecture opiniâtre » (p. 10). Un conseil
semble-t-il – tributaire au style de l’écrivain, pourtant : Mémoires de l’origine serait
l’essai connaît lui aussi de fréquents retours mieux compris après avoir pris connais-
en arrière, des reprises du même fragment sance du livre d’interviews réalisées par
afin d’étayer plusieurs argumentations. Chantal Lapeyre-Desmaison en 2000 :
L’écriture quignardienne se soumet Pascal Quignard le solitaire, paru chez Les
aux rigueurs de la rhétorique par un souci de Flohic en 2001 (réédition Galilée 2006).
la langue, et par une « conscience inquiète
du langage » (p. 13). Se nourrissant Bogdan Veche
fréquemment des idiomes généralement
considérés « morts » (le latin et le grec
ancien), Pascal Quignard prend le parti La Licorne
d’une remémoration créatrice. Le mot volume dirigé par
ancien vient compléter le « moderne » dans Joaquín Manzi,
une tentative de fusion de tous les temps. Cortázar, de tous
L’essai sur Quignard montre comment, les côtés
habitée par le jadis, son œuvre témoigne de Poitiers
sa préférence pour les « vies minuscules » Maison des
en tant que vecteurs de mémoire. Une Sciences de
troisième partie dresse le tableau d’une l’Homme et de la
poétique de la mémoire justifiant le Société
penchant de l’écrivain pour le fragmentaire 2002
et la pratique de la citation comme voix
seconde de l’autre qu’il a lu. Mais quel est Ce volume de La Licorne est consa-
le portrait de cet écrivain-lecteur qui cré à l’une des plus troublantes consciences
s’esquisse après avoir pris connaissance de de nos temps, l’écrivain sud-américain Julio
tous ces aspects ? Une quatrième et dernière Cortázar. Ce recueil débute par un Avant-
partie l’ébauche, mais il n’y aura jamais de Propos de Joaquín Manzi, qui nous indique
signature sur la toile : on est en pleine le dessein et les perspectives de la
attente du « livre à venir ». démarche, ainsi que la justification du choix
Et Chantal Lapeyre-Desmaison de du titre, « Cortázar, de tous les côtés ».
conclure par trois images empruntées à la Celui-ci renvoie à la multiplicité des aspects
mythologie. Le bouclier que Persée tend à de œuvre de l’écrivain, dans la tentation
Méduse est l’œuvre où la langue se con- d’élargir l’espace créatif cortázarien au-delà
des deux facettes qui en ont longtemps été sabilité d’écrivain. Cela 291
considérées comme les deux dimensions s’est reflété aussi bien
uniques (le récit et le roman). Le recueil dans les textes fantas-
tente de regrouper, dans quatre sections — tiques que dans ceux au contenu politique et
Avant e(s)t après, Lire e(s)t réécrire, Texte social et surtout dans sa relation avec le
e(s)t image, Penser e(s)t s’engager — lecteur. Par ses écrits, il a amené les intel-
l’étendue de l’espace créatif de Cortázar et lectuels à réfléchir et à participer activement
en même temps l’approche critique des à la vie culturelle et politique de l’Amérique
contributeurs à ce volume. Très intéressante latine, afin d’en améliorer la situation.
est l’option des titres de ces sections, qui Cortázar a été le témoin des événements
jouent sur l’homophonie de la conjonction marquants de l’histoire de son continent.
et et du verbe est. On peut remarquer dans Fidèle à ses convictions politiques et à sa
les exposés de ce numéro l’évolution et la création littéraire à la fois, il a été un vrai
continuité dans le temps de l’œuvre de ambassadeur de la cause latino-américaine
l’écrivain, ainsi que le parallélisme entre les et le modèle parfait de l’intellectuel révolu-
différents registres de celle-ci : avant / après tionnaire.
(écriture de jeunesse / écriture de maturité), Les traductions constituent un côté
lire / réécrire, texte / image, penser / s’enga- secondaire, mais extrêmement important de
ger. Au total, vingt-trois articles composent l’activité de Cortázar. Sylvie Protin étudie à
le volume, présentés en français et en fond cet aspect chez l’écrivain, tout en
espagnol. rappelant que « […] la qualité essentielle
Tout comme Manzi le fait remar- d’une traduction littéraire n’est autre que de
quer dans l’Avant-Propos, les « autres pouvoir passer pour un texte original ».
côtés » de l’œuvre cortázarienne ont été Selon ce critère de qualité, elle constate que
étudiés par des générations différentes de les traductions de Cortázar sont de bonnes
critiques (ceux qui ont connu l’écrivain, traductions et que le traducteur peut être
comme Sául Yurkievich et Sergio Ramírez, considéré comme un vrai créateur du texte.
ceux qui ont contribué à la diffusion de son Car la traduction littéraire obéit aux mêmes
œuvre par les livres publiés, comme règles de composition et aux mêmes préfé-
Lourdes Dávila et Daniel Mesa Gancedo, et rences que l’écriture. La conclusion de
finalement ceux qui, très jeunes, étudient Protin est que les traductions ne devraient
son œuvre dans la tentation d’y apporter de plus être vues comme des productions de
nouvelles approches critiques). second ordre, moins nobles que l’écriture.
Aimé et controversé, Julio Cortázar À la fin, J. Manzi revient avec un
a été un révolté de la littérature de son très intéressant abécédaire épistolaire, qui
époque. C’est le sujet de l’article de Nour- éclaire les aspects essentiels de l’univers de
Eddine Rochdi, qui passe en revue les traits cet écrivain et permet une familiarisation du
caractéristiques de la personnalité de celui- lecteur avec le contexte duquel ils ont été
ci. L’écrivain a toujours refusé d’écrire une extraits et introduits dans l’œuvre. Retient
littérature engagée et politisée. Pour lui, la l’attention le dossier réservé à « Amitié »,
littérature ne devait pas être soumise à une qui nous dévoile son caractère ludique et
idéologie quelconque, ni être considérée son importance extrême pour l’écrivain. La
uniquement comme le reflet de la réalité vraie amitié est une aventure spirituelle
socio-politique. Néanmoins, Cortázar a été pleine de dangers et de risques, un long
un homme de lettres profondément engagé, itinéraire, un des plus puissants motifs de
qui avait intégralement assumé sa respon- quête existentielle.
292
Presque tous les articles ment le fait que Cassirer ne résout pas les
contiennent au final un problèmes de l’Imaginaire qu’il aborde.
résumé concis qui re- L’auteur pense que l’imagination symbo-
trace brièvement le parcours de l’exégète et lique ne doit pas rester en rapport de dépen-
des listes de bibliographie généreuses. Ce dance avec la logique de l’identité.
travail minutieux est une vraie invitation à Commentant la pensée archétypo-
la relecture de l’œuvre, pour y redécouvrir logique de Gilbert Durand, l’épistémologie
la complexité de l’auteur. Portant atteinte à jungienne, la phénoménologie poétique de
tous les aspects de l’œuvre de Cortázar Gaston Bachelard et l’herméneutique de
(roman, récit, essai, traduction) et à travers Paul Ricœur, l’auteur analyse les aspects
des citations en langue originale, le volume essentiels des diverses théories anthropo-
témoigne du rayonnement de l’écrivain logiques dans une logique qui va de la
argentin au-delà de l’espace de son pays tradition à la culture et aux philosophies de
natal et de son continent. l’histoire. Le phénomène religieux y est
également présent, grâce au parcours des
Camelia-Meda Mijea idées de Mircea Eliade et Henry Corbin.
Dans l’opinion de Constantin Mi-
hai, l’approche qui caractérise l’anthropo-
logie de l’Imaginaire est bipolaire, compre-
Constantin Mihai nant une partie statique – l’archétypologie –
La logique et une partie mobile – celle qui inclue le
d’Hermès. trajet anthropologique. Dans l’étude portant
Études sur sur la grammaire de l’Imaginaire et foca-
l’Imaginaire lisée sur le cas de l’anthropologue Gilbert
Craiova Durand, le spécialiste souligne que les prin-
Editura Sitech cipes de l’Imaginaire, tels qu’ils s’agencent
2006 dans la structure symbolique, sont intrin-
sèques à la grammaire de l’Imaginaire et à
son fonctionnement. L’étude intitulée
L’Imagination symbolique porte sur ce type
Magistralement préfacé par Claude- d’imagination en tant que « noyau gérmi-
Gilbert Dubois, le volume de Constantin natif » sur lequel est fondé le fonctionne-
Mihai est centré autour de l’idée que la ment de l’Imaginaire.
structure de l’Imaginaire (avec majuscule) La deuxième partie de l’ouvrage,
est déterminée par la logique d’Hermès, L’Imaginaire philosophique et religieux,
donc, sur des lignes de pluralité et altérité. commence par une analyse de l’imaginaire
Le premier chapitre est consacré à de la mort chez Emil Cioran, suivie par une
la dimension anthropologique de l’imagi- étude sur la philosophie de la fête chez le
naire. L’auteur définit la notion d’imago philosophe Vasile B ncil . Le périple con-
comme tiers inclus dans la relation du tinue avec un parcours du Sacré et de ses
mythos et du logos, selon lui, la signification représentations dans l’œuvre de Mircea
de l’imaginaire étant donnée par l’imagerie. Eliade. C’est l’imaginaire chrétien de Blaise
Reprenant la conception du philosophe néo- Pascal qui fait l’objet de l’étude suivante,
kantien Ernst Cassirer sur l’imagination dernier article de cette partie du volume.
symbolique, Constantin Mihai décèle un La troisième partie est centrée sur
problème important de cette théorie, notam- L’Imaginaire littéraire. Partant d’une étude
sur le rapport entre l’Imaginaire et la réalité double visée – de popu- 293
poétique, cette partie comprend à son tour lariser les recherches
une analyse de la relation entre l’Imaginaire roumaines à l’étranger et
et la poétique dans la poésie de Mihai Emi- de présenter les résultats des recherches
nescu, et une démarche analytique focalisée entreprises à l’étranger sur la culture
sur l’ontologie de l’Imaginaire poétique. roumaine – Philologica Jassynensia a été
En guise de conclusion, souligne la créée grâce aux efforts conjugués de
dimension plurielle que nécessite une l’Association Culturelle « A. Philippide » et
approche sur l’Imaginaire. Selon Constantin de l’Institut de Philologie Roumaine « A.
Mihai, la fonction de l’image est à reva- Philippide » de la filiale de l’Académie
loriser par l’intermédiaire de l’introduction Roumaine à Ia i. Ce premier numéro réalise
d’un terme nouveau, celui d’imago. Vu avec succès l’ambition d’unir l’Est et
l’implication de la culture et des cultures l’Ouest, puisque les études qui y sont
dans la définition de l’Imaginaire, on doit réunies sont l’œuvre de spécialistes rou-
prendre en considération le fait que l’épisté- mains, polonais, italiens, croates, ukrai-
mologie de l’Imaginaire se situe également niens, espagnols, français et autrichiens.
sur une position de contradictions. Dans la première section du re-
Pour l’auteur l’Imaginaire est cueil, intitulée Philologia Perennis, après
fonctionnel seulement si les éléments de sa une présentation réussie de l’adverbe latin
syntaxe peuvent se mettre en rapport avec par Adrian Chircu, l’étude du Polonais
les registres symboliques, cette grammaire Tomasz Cychnerski porte sur les alternances
gérant les relations entre les formes signi- vocaliques régulières dans la flexion verbale
fiantes et contribuant ainsi à l’organisation du roumain. L’article de Teresa Ferro traite
de l’Imaginaire en tant que système. De de la concordance de la langue roumaine
l’avis de Constantin Mihai, sa démarche a avec les dialectes italiens, tandis que Goran
pour but d’analyser certains aspects de Filipi étudie les recherches de Carlo
l’anthropologie de l’Imaginaire et de dé- Tagliavini sur l’istro-roumain. Le volume
montrer en même temps la coprésence des continue avec un autre article centré sur la
sciences de l’Imaginaire. langue roumaine, cette fois sur la grammaire
roumaine en comparaison avec la gram-
Maria M el-Boatc maire ukrainienne écrite en latin.
L’étude contrastive Al patrulea pi-
cior al mesei par Alberto Madrona Fernán-
dez met en question les erreurs les plus
Philologica fréquentes commises par les étudiants rou-
Jassyensia, mains qui apprennent l’espagnol. Cette
Asocia ia Cultural contribution fondée sur des exemples ponc-
„A. Philippide” tuels est suivie par l’étude de Maria Mano-
an I, nr. 1-2 liu-Manea, de l’Université de Californie,
Editura Alfa qui, sous le titre The Return of the Goddess
Ia i traite de la question du genre et de la culture
2005 au long de l’histoire des langues romanes,
avec des renvois fréquents au latin et au
roumain, mais aussi au français, à l’es-
Une revue qui débute avec la vo- pagnol, au portugais et à l’italien.
lonté de constituer un espace de rencontres à Ioana Vintil -R dulescu envisage
294
la question de la norme logique prouvant à l’aide de nombreuses
dans la tradition philolo- statistiques et études de cas la mauvaise
gique roumaine sous opinion des Roumaines sur leurs propres
tous les aspects – lexicaux, d’orthographe, capacités d’adaptation et adéquation au
et morphologiques – dans le but d’établir si marché italien du travail. Roberto Merlo
la norme littéraire à adopter doit être unique traite également du rapprochement entre les
ou plurielle. Traitant de L’intervention du cultures roumaine et italienne, cependant sa
roumain dans la correspondance française perspective est différente, puisque l’auteur
d’Alexandru Odobescu, Michel Wattremez retrace brièvement l’histoire des traductions
situe Odobescu et son travail d’obscurcisse- de poésie roumaine en italien au XIXe
ment à l’opposé des interventions explicites siècle, période qu’il appelle « un secolo
du français chez Vasile Alecsandri. frammentario » (p. 197).
La deuxième partie du recueil réu- Selon Michael Metzeltin et Fran-
nit sous le titre Interculturalia des interven- cesco Gardani, The Intelligibility of Power
tions qui ne relèvent plus uniquement de la est le syntagme qui représente le mieux leur
philologie roumaine ou romane, mais d’une démarche anthropologique et sémantique
interdisciplinarité qui ne fait que compléter portant sur l’analyse du discours. Autre
la visée multi-culturelle de la publication. approche théorique, l’étude O posibil
Du Paradis aux Amériques de Corin Braga, tipologie a autenticit ii de Diana Vrabie
où le Nouveau Monde acquiert des qualités suggère une revalorisation du concept d’au-
de promesse accomplie et de concrétisation thenticité, terme esthétique qui reste sujet
d’une utopie millénaire, Mihaela Bucin aux interprétations les plus diverses.
replonge le lecteur dans l’espace « roumai- La dernière section du volume,
nophone » avec un article sur le répertoire Prelegerile Asocia iei Culturale „A. Phi-
narratif contemporain des Roumains de lippide” comprend l’étude de Constantin
l’Hongrie. Ciopraga sur le journal inédit de Mihail
L’approche de Florica Ciodaru- Sadoveanu – où le critique puise des don-
Courriol, qui est préoccupée par la réception nées précieuses sur le processus de création
de Marcel Proust en Roumanie, est centrée chez Sadoveanu –, contribution suivie par
sur l’exemple de Camil Petrescu, l’auteur celle de Marina Mure anu-Ionescu sur l’im-
démontrant les similitudes entre les deux portance de l’enseignement pour la présence
substances romanesques. Pour Jean-Louis de la culture française en Roumanie.
Courriol, Emil Cioran est le « saint patron
des traducteurs du roumain au français et Maria M el-Boatc
vice versa » (p. 175), et le critique prouve
qu’à l’exemple de Cioran, qui a magistrale-
ment traduit son œuvre en français, les
auteurs roumains ont le devoir de faire tra-
duire leurs œuvres de sorte que les traduc-
tions soient à la hauteur de l’original et que
la culture roumaine soit mieux connue au-
delà de ses frontières géographiques.
Dans l’article Socio-Cultural Requi-
rements in Italian Working Life Filippo
Laurenti examine le cas des Roumaines qui
travaillent en Italie, sa démarche imago-
du père, la maison pater- 295
Marc Pirlet nelle, l’image de la mère
Le photographe de treize ans aînée du
Bruxelles père, morte très tôt. C’est cet événement
Labor douloureux qui marque la fin de la première
coll. « Grand partie de l’ouvrage, volet qui constitue un
Espace Nord » tableau que l’auteur fait de sa famille dont
2006 le souvenir lui vient plutôt de l’imagination
que de la réalité.
La deuxième partie du texte souligne
la relation que l’enfant âgé de huit ans et
orphelin de mère entretient avec un père qui
semble indifférent à cause d’une commu-
nication défectueuse : « [...] nous avons
Le photographe est le premier roman ainsi vécu [...] indifférents à ce qui nous
de Marc Pirlet, Belge francophone né en arrivait, évoluant chacun dans un monde
1961 et vivant actuellement à Liège, après parallèle à celui de l’autre et sans réelle
avoir entrepris de nombreux voyages dans communication entre les deux » (pp. 47-48).
le monde entier. L’auteur place en exergue à Après la perte de sa femme, le père devient
son texte une citation d’Albert Cohen, qui impassible, son visage acquiert des traits
exprime le sentiment de solitude qu’éprouve impénétrables et il ne vit plus que pour aller
chaque être humain : « Chaque homme est au travail, entretenir son fils et boire : « [...]
seul et tous se fichent de tous et nos tout, dans sa manière d’être au monde,
douleurs sont une île déserte ». C’est un dénonçait les blessures qui lui avaient été
roman qui parle de la difficile relation père- successivement infligées » (p. 59). L’en-
fils dans l’absence de la mère, une relation fance et l’adolescence du narrateur sont
qui suppose un amour silencieux. marquées par la solitude et l’isolement dans
Le début du roman présente la vie et lesquels il vit avec son père.
l’activité du peintre américain Jackson Pol- La troisième partie complète l’image
lock considéré un futur génie artistique du père. Après être entré à l’université, le
après la Seconde Guerre mondiale. Un jour- jeune homme a quitté la maison où il avait
naliste et ses collaborateurs assistent à la vécu avec son père. Cet événement marque
création d’un nouveau tableau, événement une nouvelle rupture entre eux. Seulement
qui se produit d’une manière absolument la maladie du père les rapproche. C’est le
surprenante, qui bascule les techniques moment où le lecteur se rend compte
traditionnelles pour trouver « une autre qu’entre le narrateur et l’auteur il n’y a pas
vision du réel » (p. 12). une relation d’identité. Le père s’avère plus
Après ce « préambule » écrit à la sensible qu’il ne paraissait. Une nouvelle
troisième personne, commence le véritable relation se développe entre les deux et la
roman divisé en trois parties. Écrit à la plus heureuse période de la vie de Christian
première personne, le roman a la forme commence grâce aussi à la découverte d’une
d’une autobiographie d’autant plus qu’il passion que son père a soigneusement
esquisse l’histoire d’une famille : le drame cachée pendant des années. « Cet homme
de la grand-mère amoureuse d’un soldat seul et absent avait une passion secrète : la
allemand (le grand-père absent) pendant la photographie. Ses photographies consti-
Seconde Guerre mondiale, la personnalité tuaient une sorte de journal intime, « le
296
journal d’un homme
dont la contemplation du Secolul 21
monde extérieur aurait Volumul 10-12
été la seule activité digne d’être notée » (p. New York
68). Par la photographie il représentait la O Metropol
réalité dans sa forme la plus simple : Contemporan
instantanés de la vie ordinaire, fragments de Bucure ti
la réalité banale, saisis durant ses flâneries à 2005
travers les rues de sa ville, l’œil aux aguets,
à longueur de dimanches, qui lui font
découvrir qui était son père. Non pas cet
homme effacé, détaché, taciturne et mélan-
colique, mais un être secrètement attentif, The reader is introduced in the text
sensible à la poésie du quotidien, cherchant through the woman offering the apple, a
à retenir un monde qui s’éloignait, à y gesture that brings forward the temptation,
retrouver sa place après la mort de sa the glow, but also the fragility of the crystal,
femme. Un être qu’il n’a pas su deviner, in a symbol universally renown as standing
comprendre, connaître, mais qu’il a chéri, for the fruit of the Tree of Life and Death.
sans le lui dire. L’amour filial n’est pas Thus is shaped the city of New York, as a
absent même si la relation témoigne d’une place of reunion and coexistence of oppo-
certaine froideur : « Oui, j’ai aimé mon ites, in a concentration of the universal, of
père, c’est une chose dont je suis sûr même the history that was lived or imagined on a
s’il y a mille façons d’aimer » (p. 82). Après literary level, of the world itself misse en
la mort de la mère, le père devient « un abyme in a conglomerate of constructions
étranger » (p. 72), tout comme le peintre and significations, called at times ‘the centre
Jackson Pollock, tout comme le narrateur of the world’ or ‘the city without frontiers’.
lui-même : « Je cherche une autre vision du The various windows opened by
réel » (p. 71) devient leur slogan. Le frag- different authors on the city show a con-
ment situé au début de l’ouvrage représente truction open to the world, not ready to
le pretexte et la motivation de l’écriture de reveal its secrets, which seems to wish its
Pirlet. history forgotten or at least to want it
Un autre fragment marque la fin du rapidly engulfed so that it won’t affect the
roman. En visite à Buenos Aires, le narra- becoming of the whole. Even the terrorist
teur rencontre un vieillard qui chantait et attack of 11th September is a mere discre-
dansait le tango dans la rue. C’était une ancy that affected more the impact zone
possibilité d’échapper à la solitude et de than the city, maybe as to what regards the
plaindre la mort de son épouse. Une passion collective compassion, a mistake soon
peut remplir une grande perte. Le père a remedied and followed by the return to the
choisi la photographie, le fils, lui, l’écriture. initial rhythm.
Maybe the most acute maniestation
Adina-Irina Romo an of the ‘apple’ was World Trade Center, the
symbol of the financial power of America’s
and for that matter the world’s true capital,
just one of the coordinates that mark the life
of its old and new inhabitants that draw
invisible maps on the inhabited area
bringing with them the experience of the a place of alienation of 297
deserted places: Asia, Africa, Korea, Europe the individual, as a laby-
etc. They are the ones marked by exile inth out of which there is
which appears as a liberation from a burden no escape for the refugee from his country
carried ever since their country of origin and or from the midst of society, a place of
the mingling in a bazaar of nations that once freedom and of the right to discover, to fail
arrived in the Promised Land assume a and to start again, a permanent opportunity.
different face that with some retains the Another vertical growth is
feeling of de-centering and lack of be- manifested through the mega sky-scraper
onging. forwarded by Le Corbusier. According to
New visions call to the realm of his proposal, the city should grow not only
art, such us Saviana St nescu’s opinion. She through the multitude of concrete and steel
is present in the book through some of her crystals but through giving nature back to
plays and her conception about the dramatic people. The modern city would crowd on
art. Together with Oana Botez-Ban, in the the vertical the human settlements. Huma-
Fourth World Project, she experiments with nity and the surrounding environment could
feminine figures pushed to exile by an thus become a whole, or not. As it is
aggressive reality, marked by dislocation, depicted, the city of the future shelters
change of identity and the experience of forests of sky-scrapers and, here and there,
new cultures. It is a state lived by other green havens, but certainly a great variety of
expatriates, too, on the other hand, with people that add to its value of capital of the
some, coming to New York appears as a world.
recuperation of identity in a place where Adina Popa
they discover their qualities, a place of
artistic manifestation of modern art whether
it be perceivable through architecture, poe- Société
ry, prose, painting, music etc. For Rodica Internationale
Mih il , the city projects itself as an artistic d’Études
center whose fate identifies itself with that Yourcenariennes
of the whole world. An apocalyptic vision Marguerite
no less supported by the fact that the city Yourcenar,
has lodged along centuries important cha- Citoyenne du
acters belonging to the cultural history and monde
who have influenced the artistic deve- Textes réunis
opment on a large scale. par Maria Vod
Whitman, Eliot, Pound, Crane, C pu an,
cummings, Lowell, Plath, Stevens, Olson, Maurice
Ginsberg, Le Roi Jones, Kerouak, Coolidge, Delcroix et
Koch, Paul Auster, Marian Popescu and Rémy Poignault,
many others project a vertical cultural Clermont-
growth. New York is not only built from the Ferrand, 2006
experienced reality but also from its
projection in the realm of literature as a Les Actes du Colloque Interna-
place of origination of artistic creation, tional de Cluj, Arcalia, Sibiu, qui a eu lieu
home to various literary and musical trends. dans la période 8-12 mai 2003, sont con-
It is constructed through the texts present as sacrés à l’œuvre de Marguerite Yourcenar.
298
Les dix-neuf contri- cea Al. Birt s’appuyant lui aussi sur la
butions réunies sous le duplicité fille / père et sur l’effet joué par ce
titre Marguerite Your- rituel dans la création littéraire de l’écrivain.
cenar. Citoyenne du monde se proposent de D’ailleurs, dans le même contexte s’inscrit
mettre en lumière la spécificité d’une la démarche d’Andor Horvath, qui traite de
écriture qui se veut « universelle », l’ana- l’archéologie du moi et du travail de la
lyse présentant, en outre, une perspective mémoire dans les romans yourcenariens ;
comparatiste des textes étudiés. ainsi que l’article créé par Rémy Poignault,
La communication qui ouvre le « Ariane d’île en île- un exil ? ».
volume est signée par Kajsa Andersson et se Loin d’être un éloge de la création
remarque par une grille de lecture assez peu théâtrale de Marguerite Yourcenar, l’article
valorisée : l’influence de la culture scandi- d’André Blanc prend un côté critique, tout
nave dans la création de L’Œuvre au Noir. en présentant l’échec de ce type d’écriture
L’intérêt pour les différentes cultures et adoptée par l’auteur. Selon son opinion, les
littératures est aussi commenté par Sorin pièces de théâtre signalées n’ont pas d’em-
Barbul qui, dans le deuxième article publié preinte personnelle ce qui est regrettable,
dans ce volume traite d’un thème plutôt surtout en comparaison avec la qualité des
inédit : l’errance et l’enracinement dans la textes yourcenariens en général.
poésie de jeunesse de l’auteur. Ce que nous L’histoire et l’anthropologie entrent
remarquons dès le début c’est l’obsession de en discussion dans la contribution de Monia
la figure paternelle et la fascination du Brahim-Zemni. C’est ainsi que le critique
voyage qui surgissent dès tréfonds de l’âme affirme qu’à travers les romans de Margue-
pour exprimer le fait que l’enracinement et rite Yourcenar, l’écrivain s’identifie peu à
le déracinement ne sont pas antagoniques peu aux personnages fascinés par le passé
dans la poésie de Marguerite Yourcenar, de certaines civilisations. La perspective
mais complémentaires. Il faut préciser, à la centrale devient dans ce contexte une
fois, que la culture encyclopédique de apologie de l’anamnèse.
Marguerite Yourcenar fait aussi le sujet du Tout en reprenant la dichotomie
texte réalisé par Marthe Peyroux. Il paraît enracinement / dépaysement, commentée
que les voyages de l’écrivain dans tout le par Sorin Barbul, Horia C pu an présente la
monde ont aidé à la création d’une écriture problémantique de la création d’une identité
sensible et intelligente. Oscillant entre personnelle dans un univers qui est en
initiation et aventure, les héros cherchent contradiction avec soi-même. Les deux
leur identité par l’intermédiaire du voyage infinis dont parlait Horia C pu an se
aussi bien que par la mort, affirmation retrouvent à la fois dans la communication
analysée et développée par Livia Titieni. signée par Maria Rosa Chiapparo. Le
Dumitra Baron s’intéresse, ensuite, rapport tradition / modernisme, ainsi que
au rapport homo viator / homo scriptor, où l’influence wébérienne et la critique de
son discours de type philosophique inclue, l’esprit bourgeois, voilà donc quelques
de nouveau, l’idée de voyage et de quête de exemples commentés par l’auteur, pour
l’identité. Le même rapport est repris par évidencier la foi de Marguerite Yourcenar
Liana Maria Mocan, le commentaire étant dans l’humanisme. Dionysis Kapsaskis
cette fois-ci centré sur l’image de Thésée. développe à son tour l’idée d’un auteur
Le quatrième texte propose une vision antimoderniste, plutôt conservateur dans ses
psychopathologique suite à la relation qui pensées, bien que très inventif au niveau
s’impose entre l’exil et l’universalité, Mir- littéraire. La beauté du monde qui nous est
transmise dans Mémoires d’Hadrien et qui consacré à l’activité litté- 299
surgit dans la plupart des romans yource- raire et culturelle con-
nariens représente le sujet de la commu- temporaine qui se dirige
nication de Maria Otilia Oprea. autour de la création romanesque de Mar-
Le travail de traduction des romans guerite Yourcenar. Ce volume s’inscrit dans
yourcenariens témoigne d’une profonde la continuité du travail que déploie la SIEY
difficulté, la rigueur de l’expression étant et qui s’est concrétisé en une série de
sans doute un piège pour les amateurs. Les publications dont le numéro en question,
mécanismes subtils utilisés pour passer paru en décembre 2006. L’objet de cette
d’une langue à l’autre sont analysés par société est de rassembler les passionnés de
Magda Ciopraga lorsqu’il s’agit du roumain l’œuvre yourcenarienne et d’aider par la
et par Osamu Hayashi, si l’on parle du suite son rayonnement dans tout le monde.
japonais. Toujours liée à la culture japo- C’est pourquoi, avant de présenter les
naise, la construction narrative des person- analyses littéraires proprement dites, les
nages féminins dans Le dernier Amour du éditeurs ont choisi de donner quelques
prince Genghi, article réalisé par Jung Hwa informations sur les publications de 2006,
Hong, tourne autour du « kabuki », la danse contribuant de cette manière à l’approfon-
et la musique étant aussi très importants. dissement de la thématique et de la métho-
Pour conclure, il faut souligner le dologie abordées par les critiques littéraires.
fait que ce volume réactualise la beauté et la Outre les nouvelles sur les livres dernière-
complexité des textes yourcenariens, les ment parus, il y a aussi une rubrique qui
valeurs et les idées d’un écrivain qui a s’occupe des colloques et des manifestations
toujours réussi de capter l’attention du scientifiques concernant Marguerite Your-
lecteur par la richesse et la diversité des cenar, ce qui montre que l’œuvre yource-
thèmes choisis. La pluralité des perspectives narienne reste un sujet passionnant, qui
représentées dans ce volume nous avisent à connaît un regain d’actualité dans la
indiquer les Actes du Colloque International réflexion critique. Les cinq contributions
de Cluj, Arcalia, Sibiu à tous ceux qui sont présentées représentent l’aboutissement des
fascinés par l’œuvre de Marguerite Your- recherches menés par les auteurs à travers le
cenar. temps et soulignent la qualité et la
Roxana Guliciuc profondeur des textes.
L’article qui ouvre le bulletin 27 de
la Société Internationale d’Études Yource-
Société nariennes est centré sur la figure de la
Internationale femme dans Feux et analyse le rapport
d’Études dévouement / transgression qui s’opère chez
Yourcenariennes les protagonistes. L’auteur, Vicente Torres,
Bulletin no 27 considère que les femmes de ce texte sont
contenant un dossier vouées à l’échec et que le bonheur leur est
d’André Tourneux, insupportable. Cette « inaptitude » au bon-
Université de heur apporte le malheur et la crise identi-
Clermont-Ferrand taire. Une comparaison avec la Grèce ant-
II, décembre 2006 ique s’impose et elle met en lumière l’idée
d’une perception intériorisée du mythe dans
Le bulletin 27 de la Société Inter- Feux.
nationale d’Études Yourcenariennes est Marc-Jean Filaire vise, dans le deu-
300
xième article du volume, « Constantin Cavafy » réalisé par André
la narration débordée par Tourneux. Ample et complexe (couvrant
la poésie dans les Mé- plus de 100 pages), l’étude nous offre une
moires d’Hadrien. Il oppose Lucius, repré- perspective chronologique de l’œuvre, à
sentant de l’écriture narrative à Antinoüs, et partir de la genèse et jusqu’à sa réception.
remarque le fait que les passages poétiques En guise de conclusion, nous voudrions
sont introduits lorsqu’il s’agit de la souligner encore une fois les mérites de cet
présentation de Lucius ou d’autres person- ouvrage plein de vitalité, où les démarches
nages secondaires. analytiques diversifiées ont aidé à l’incon-
« Marguerite Yourcenar – critique testable valeur de tous les textes présentés.
d’art ? », voilà le titre de la troisème contri-
bution signée par Natalia Falkiewicz. Des Roxana Guliciuc
analyses ponctuelles d’extraits concernant
ce sujet soutiennent la thèse. En s’appuyant
sur de divers fragments, l’auteur tente de Textyles
faire émerger dans son étude un étalage de numéro 26-27
virtuosité, des vraies théories sur l’art créées Musique et
par Marguerite Yourcenar, ainsi que des littérature
références précises sur une interprétation Dossier dirigé par
pluridisciplinaire de la littérature. Laurence
L’exil et la tradition font le thème Brogniez & Pierre
de la communication d’Anne Berthelot. Piret
Selon le terme inventé par l’auteur, il s’agit Bruxelles
plutôt d’une « étrangéification » que d’un Le Cri
déracinement. N’étant « jamais plus absente 2005
que du lieu où elle est », Yourcenar semble
choisir l’exil surtout pour des raisons
esthétiques, que pratiques. Simplité et beau- Le numéro 26-27 de la revue
té narrative qui s’entremêlent pour former Textyles se propose de présenter la place de
un tout cohérent. la musique dans la littérature contempo-
« Lazare travesti », écrit par raine. Dès l’Introduction, les initiateurs du
Maurice Delcroix, est le dernier article du dossier relèvent la présence d’au moins
bulletin 27 de la Société Internationale quatre romans parus en 2004 en France qui
d’Études Yourcenariennes. Comme le titre peuvent être considérés comme « textes
le suggère d’ailleurs, le texte parle de la hantés par la musique » (p. 7).
figure symbolique de Lazare et de la La question des rapports entre
manière dont elle est rendue dans les pages musique et littérature est traitée de plusieurs
de Marguerite Yourcenar. Un projet d’ave- points de vue, et le sous-titre Suggestion,
nir extrêmement intéressant qui propose un bouleversement, interprétation (les trois
Lazare oscillant entre l’initiation homophile termes étant également les titres des trois
et l’innocence. parties majeures de l’ouvrage) concentre
Après un choix bibliographique de exactement l’enjeu de cette perspective
2006, réalisé avec beaucoup de rigueur par multiple.
Françoise Bonali Fiquet et des comptes Traitant de la genèse des Docu-
rendus écrits par Rémy Poignault, le volume ments secrets de Franz Hellens, l’article de
nous fascine avec la création d’un dossier Frans De Haes retrace le parcours biogra-
phique de l’écrivain belge tel qu’il trans- saisissant et valorisant la 301
paraît dans son expérience littéraire volon- poésie symboliste de son
tairement ambiguë, en marge du rêve musi- temps. Sylvie Douche
cal et de la science. étudie les aspects formel, lexical et syn-
Marie-Caroline Lefin analyse le taxique de la manière dont André Souris
projet « musico-littéraire » de Gaston Com- met en musique un poème du cycle D’Aimer
père qui, dans son dernier « roman », La de Max Elskamp. Son approche est com-
musique énigmatique, réunit la prose avec la plétée par celle de Catherine Miller, qui
musique en rassemblant les notes prises examine, à son tour, les techniques utilisées
pendant la composition musicale. De l’écri- par Paul Ladmirault pour mettre en musique
ture littéraire à l’aventure musicale, l’auteur une partie du recueil Dominical, du même
décèle une perspective inouïe sur l’œuvre de Max Elskamp.
Compère, ses procédés instaurant la mu- Sous le titre Bouleversement, deux
sique comme modèle de structure littéraire. études portant sur l’œuvre de Paul Nougé et
Dans son étude Contre la musique sa pensée musicale font face à un article
– tout contre Maeterlinck et la quête du consacré aux écrits d’André Souris, ce
hors-sens, Arnaud Rykner voit le symbo- chapitre finissant avec une étude par Roland
lisme comme maeterlinckien comme inex- Beyen et Michel Otten sur le rapport entre
pression, le paradoxe et la folie du symbole la Balade du Grand Macabre de Ghelde-
ne pouvant être compris qu’à travers les rode et l’opéra Le Grand Macabre de
mécanismes musicaux. György Ligeti.
Jacques Detemmerman analyse Les La partie intitulée Interprétation
sortilèges viennois de Bruges-la-Morte à débute avec un article de Serge Goriely sur
travers Le Mirage, œuvre dramatique mal Kalisky, l’histoire et la musique, pour con-
accueillie qu’un compositeur autrichien, tinuer avec une étude par Myriam Watthee-
Erich Wolfgang Korngold, a adaptée pour Delmotte et Brigitte Van Wymeersch sur la
en faire un livret d’opéra. Mais, selon création d’Henry Bauchau et l’opéra de
Detemmerman, cet opéra était condamné à Pierre Bartholomée. Deux autres analyses
court terme dès sa création, entre autres en miroir mettent en rapport La Passion
puisqu’il représentait le romantisme finis- Savinsen de François Emmanuel avec les
sant. motifs musicaux et l’ « instrument [musical]
Anna Soncini Fratta analyse le cas qui rompt » et, respectivement, la poésie de
d’une autre œuvre tombée injustement dans Norge et les compositions musicales qui la
l’oubli, le drame lyrique Cachaprès, dont le mettent en chansons.
livret est inspiré du roman Un mâle, de Comme les auteurs le suggèrent, ce
Camille Lemonnier. Au moyen de l’analyse volume ne prétend nullement avoir clôturé
textuelle et en s’appuyant sur des éléments la problématique du rapport musique-
d’histoire littéraire, l’auteur trouve les littérature, mais avoir énoncé « un premier
arguments prouvant la collaboration de balisage de la question », qui peut susciter
Lemonnier à la création du livret, concluant d’autres investigations.
que si ce n’est le livret, c’est l’opéra en
entier qui est conforme aux intentions de Maria M el-Boatc
l’écrivain.
Pour Jean-David Jumeau-Lafond le
célèbre inconnu qui est Gabriel Fabre a
composé « une musique pour les mots »,
302
raire, et la recherche des « construction[s]
du passé », impliquant la sélection des
Textyles composantes d’un substrat objectif ainsi que
Numéro 28 leur sémiotisation.
La Belgique avant La restructuration du passé, à laquelle
la Belgique s’engage la majorité des articles, se cris-
Textes rassemblés tallise autour des « pères » et des « mythes »
par Laurence fondateurs. Nous retenons d’abord la remise
Brogniez en question par M. De Ryke du double rôle
Bruxelles que joue Ruusbroeck L’Admirable dans
Le Cri l’histoire littéraire belge, d’une part en tant
2005 qu’auteur médiéval de langue flamande,
dans la lignée de la mystique amoureuse de
Saint Bernard, et de l’autre en tant que
Les articles rassemblés par Laurence référence spirituelle et littéraire, proposée
Brogniez dans le volume 28 de la revue par Maeterlinck – non sans une série de dis-
« Textyles » se proposent de retrancher une torsions – aux lecteurs francophones. Une
question controversée de l’identité culturelle autre figure marquante, susceptible d’incar-
et artistique des lettres belges, en choisissant ner l’« esprit » belge, est Marnix de Sainte-
un angle d’approche différent : « Existe-t-il Aldegonde, représentant de l’anticlérica-
une littérature belge avant la Belgique », lisme et de la « libre pensée », homme
plus précisément, « avant la création de politique et écrivain francophone. M. Beyen
l’Etat belge en 1830 » ? Comme le précisent étudie l’évolution de sa « nationalisation a
Jean-Marie Klinkenberg et François Proven- posteriori » dans le contexte idéologique de
zano dans l’étude introductive de ce recueil, La Jeune Belgique et du Groupe de Lundi,
deux traditions historiographiques hétéro- lesquels prétendent participer à une culture
gènes, comportant autant d’éléments métho- internationale tout en se construisant une
dologiques qu’idéologiques, traitent la pro- identité culturelle nationale distincte. Cette
blématique des origines : l’une évoque un « dimension belge » bivalente se retrouve
« atavisme culturel belge » immémorial, que aussi dans le cas du prince de Ligne,
la construction politique du XIXe siècle ne intellectuel cosmopolite et éclectique. La
fait que consacrer, l’autre considère que la recherche de M. Couvreur suggère une mise
littérature belge devient un ensemble cohé- en relation de l’appartenance de ce dernier à
rent, distinct, seulement après 1830, grâce la Belgique et de sa perméabilité à des
au développement dans un espace social, univers culturels et linguistiques différents.
politique, institutionnel, culturel et linguist- La participation à un dialogue interculturel,
ique singulier. plus précisément l’exemple d’une filiation
Les études signées par Benoît Beyer livresque, se retrouve dans l’étude que M.
De Ryke, Marc Quaghebeur, Marnix Beyen, Duboile consacre à André Ruyters en tant
Manuel Couvreur, Lieven D’Hulst, Pierre que lecteur de Gide (Les Nourritures ter-
Schoentjes, Christophe Duboile et Nicole restres), notamment du programme esthé-
Leclercq s’appuient généralement sur deux tique du « manuel d’évasion » et du concept
types d’approches : la recherche des « traits de « ferveur ».
récurrents », des structures stylistiques, thé- Le débat identitaire belge, reposant
matiques, sociologiques, particulièrement sur des « mythes fondateurs », a comme
pertinentes pour définir la Belgique litté- point majeur de référence le XVIe siècle.
Marc Quaghebeur expose les fondements tapuscrits de théâtre 303
e
historiques et les enjeux littéraires de l’in- belge au XX siècle.
terpénétration de l’élément flamand et espa- En fin, François
gnol. Se rapportant à des figures tutélaire Provenzano reprend quelques problèmes
contrapunctiques, telles que Charles Quint, théoriques et méthodologiques des études
le dernier prince naturel né au pays, sous le littéraires francophones, particulièrement
règne duquel les anciens Pays-Bas con- des études littéraires belges. La tendance de
naissent leur plus grande splendeur, et Phi- se démarquer des modèles, des concepts,
lippe II d’Espagne, contemporain de la des façons d’aborder le littéraire spéci-
révolte et de la partition des Pays-Bas, la fi- fiquement françaises ainsi que la relative
gure du Belge rejoint le mythe du inscription dans des théories importées
« Gueux », le « révolté intrépide et intrai- anglo-saxonnes (les études culturelles, la
table », noble et généreux, hostile aux mo- théorie postcoloniale, l’analyse du discours)
yens de répression et « soucieux de la liber- aident les exégètes de la littérature belges à
té des siens ». Le critique considère égale- en cerner la spécificité esthétique. Bien
ment les occurrences littéraires du mythe qu’héritiers du modèle français fondé sur la
dans Le Gueux de mer (1827) et Le Gueux triade « langue-littérature-nation », leurs
des bois (1828) d’Henri Moke, dans contributions sont centrées sur le fait litté-
Hembyse (1835) de Jules de Saint-Genois, raire en tant que manifestation esthétique
L’Ecuelle et la besace (1839) d’Ernest autonome.
Busschmann, El Maestro del campo (1839) Les études sur « La Belgique avant
de Felix Bogaerts et surtout dans le chef- la Belgique » participent, grâce à leurs
d’œuvre de De Coster, La Légende d’Ulen- diversité et complémentarité, à la délimi-
spiegel (1867). tation d’un corpus belge (francophone et
Pour ce qu’il y a des « traits récur- flamand) inédit, oublié ou peu approfondi
rents » définitoires pour la littérature belge, par l’historiographie littéraire. Tout en rela-
M. Schoentjes retient le traitement ironique tivisant l’affirmation de l’existence d’une
des topoï tragiques, tels la Grande Guerre. spécificité culturelle liée à telle zone
La « raillerie universelle » dont s’empare territoriale, les commentateurs démontrent
Max Deauville dans l’évocation du carnage que « l’aire culturelle » n’a pas uniquement
singularise l’imaginaire belge de la guerre. des « enjeux politico-idéologiques ».
Le paysage littéraire belge est com-
plété par des études sur la situation de la Aurora Bagiag
poésie et du théâtre en Belgique. Lieven
D’Hulst reconsidère les recueils de poèmes Textyles
parus pendant la période hollandaise (1815- Numéro 29
1830), tombés injustement sous l’incidence Henri Michaux
de deux perspectives historiographiques ré- Je vous écris d’un
ductrices, l’une esthétique, l’autre idéolo- pays lointain
gique : illisibilité, simple imitation d’ex- Dossier dirigé par
emples étrangers, ou bien manque d’exis- Véronique Jago-
tence propre, en dehors des repères culturels Antoine & Jacques
européens. Parallèlement, dans « La Chro- Carion
nique des Archives et Musée de la Litté- Bruxelles, Le Cri
rature », Nicole Leclercq procède à un bref 2006
inventaire et à une périodisation du fonds de
304
Consacrée à l’œuvre par un éclatement individuel et discursif.
d’Henri Michaux, la 29e Puisant toujours dans les lettres écrites par
livraison de la revue Michaux à Hellens et à Closson, David
belge Textyles réunit dans un dossier Vrydaghs constate une « participation cri-
consistant plusieurs études sur des aspects tique à la littérature » dans un double sens
longtemps occultés par la critique officielle de l’adjectif : une fois arrivé à Paris,
du poète. Cette occultation a été due moins Michaux travaille plus comme critique que
à une méfiance ou à un projet conscient de comme « littérateur », terme pour lequel il
la part des interprètes qu’à Michaux lui- montre, d’ailleurs, une véritable aversion.
même, qui avait préféré d’effacer ses Mais il s’engage dans une relation critique,
véritables commencements littéraires au rationnelle, avec la littérature même, du
profit d’une image de soi (une « posture » moins dans son aspect institutionnalisé,
en termes sociologiques, mais qui constitue conçue selon la seule finalité esthétique.
une notion parfaitement applicable au Michaux n’est pas un écrivain, il n’est
sphère du littéraire aussi) comme un bâtis- même pas un poète, il est « essayiste »,
seur sur une « colonne absente », d’après selon son autoportrait évoqué par Catherine
ses propres mots puisés dans Ecuador Daems, dans un article mettant en parallèle
(1929), tenu pour son véritable début les parcours littéraires d’Henri Michaux et
littéraire. Plusieurs articles sont centrés sur d’Odilon-Jean Périer. La critique des années
cette problématique du commencement (ou 1920 a comparé un temps la poésie des deux
sur ce commencement problématique) chez poètes, préférant même celle d’Odilon-Jean
Michaux, commencement qui, jusqu’à la Périer à celle de Michaux, jugée « insi-
parution récente des Œuvres complètes tuable » et trop déviante.
(grâce au travail de Raymond Bellour) et de Le décentrement où paraît habiter
la correspondance plus ancienne avec Franz Michaux provoque, ainsi, le vertige. Un
Hellens ou Herman Closson, a constitué une décentrement culturel aussi, car Michaux
des zones blanches, aveugles, de la critique évite de se trouver une place, dès que Paris
sur le poète belge. se prête à le consacrer en lui dédiant un lieu
Or la période en question (compre- éditorial dans une des plus importantes
nant surtout les années 1922-1927) repré- institutions littéraires de la France – la
sente en effet une période critique ou collection Pléiade chez Gallimard. Selon
cruciale, dans le sens étymologique des Jean-François Bourgeault, chercheur québé-
termes, dans la trajectoire poétique ulté- cois, cette identité pulvérisée se lirait dans
rieure de Michaux. Jacques Carion parle, une clé de la thématique identitaire minori-
dans ce sens, d’un anti-Ponge dans l’entre- taire, spécifiquement belge : en faisant le
prise d’effacement systématique de toute vide en soi, Michaux opère en même temps
marque d’existence d’un avant-texte et, un travail de dépossession de sa biographie
avec celui-ci, d’un sujet constructeur de ses personnelle. Mais le combat contre la fixité
récits. La correspondance de cette période identitaire ne constitue qu’une face de la
garde cependant les traces des lectures monade. L’autre côté est représenté par le
impressionnantes faites par Michaux, traces combat contre la fixité scripturaire, contre la
qui se propageront dans les écrits de début graphie trop écartée de ce qui est, selon
d’une manière secrète, difficilement saisis- Michaux, la vie réelle, l’incessant mouve-
sable. Le questionnement identitaire posé ment de la vie intérieure et de celle exté-
par un titre comme Qui je fus devient rieure. Les quatre livres composés de
particulièrement douloureux, rendu malaisé signes, analysés par Nina Parish, montrent
cette quête d’une nouvelle langue, im- d’un recueil, titre repris 305
médiatement accessible, où l’écriture et le par le sous-titre du dos-
corps ne feront plus qu’un. L’article du sier (Je vous écris d’un
chercheur londonien est prolongé par celui pays lointain), le lecteur acquiert, dans la
d’Anne-Christine Royère qui analyse l’es- poétique de Michaux, une importance sym-
pace scriptuaire chez Michaux comme un bolique : il est autant celui qui répond que
espace plastique, engendré par le rythme celui qui parle, censé lire le texte et, de cette
institué dans les poèmes par le travail de la manière, le (ré)écrire.
répétition. L’acte artistique de Michaux, Variées du point de vue des pers-
qu’il soit poétique ou pictural, concourt vers pectives critiques utilisées (socio-historique,
l’idéal d’une parole performative, pleine- textualiste, sémiotique, celle de l’acte de
ment gestuelle, dans une sorte d’utopie lecture dans le sillage d’Iser), les études
d’une langue avant la langue, une « arché- composant le dossier de ce numéro des
langue » d’avant la constitution des codes, Textyles s’imposeront comme un outil indis-
des normes et des structures linguistiques. pensable pour tout chercheur voulant appro-
Dans une approche très attentive au texte, fondir une œuvre sur laquelle on a déjà
Jean-Pierre Bertrand et Laurent Demoulin beaucoup écrit. Mais pas tout, ce qui
choisissent un exemple concret, le poème démontrent brillamment ces études venant
« Mon sang » de Michaux, pour montrer de la part d’une jeune recherche ne cessant
comment dans la poésie, grâce au mouve- de lire, de relire et, dans le sens de l’article
ment et à l’indétermination du sens, s’ouvre de Sylviane Goraj, de réécrire, d’une
un espace pluriel, dynamique et violent, manière critique, Michaux.
semblable aux violents mécanismes de la Dans la rubrique Varia de la revue
vie intérieure. on peut trouver deux articles intéressants sur
Une dernière question s’impose, et le théâtre belge, signés par Nancy Delhalle
à celle-ci vient répondre, en effet, la der- et Serge Goriely, et une étude sur la re-
nière étude du dossier. Sans une intention cherche collective dans le domaine du patri-
préalable d’unité à tout prix – Jacques moine littéraire belge francophone, signé
Carion stipulant, dans la présentation du par des spécialistes qui n’ont plus besoin
dossier, le vœu de la « diversité » des voix – d’aucune présentation – Paul Aron, Benoît
l’article de Sylviane Goraj clôt le cycle Denis et Jean-Marie Klinkenberg.
d’études sur Michaux comme une réponse à Une très agréable découverte a été
la question posée en filigrane par les articles la rencontre, dans la rubrique de présenta-
de Nina Parish et d’Anne-Christine Royère. tion des revues, d’un compte rendu consacré
Les deux derniers articles ont décelé, dans à plusieurs numéros de Caietele Echinox, de
la pratique du rythme et de l’inscription des même que la mention des Actes du Col-
signes non-figuratifs, un désir d’une parole loque organisé en 2003, à l’Université Al. I.
autre, d’une écriture nouvelle, parlant en Cuza de Iasi, sur l’œuvre de Marguerite
gestes et non plus en mots. Mais dans quel Yourcenar.
but Michaux aurait-il recours à cet alliage Andreea Hopârtean
du scriptural et du pictural ? Cette question
pose le problème du lecteur. Du besoin de
se rapporter à autrui, certes, mais aussi de se
faire durer dans l’histoire, comme Maritain,
ami de Michaux, le disait. Perdu dans l’ano-
nymat de ce « vous » quasi-invisible du titre
306
Troubetzkoy une typologie tripartite : les
histoires de dédoublement mettent en œuvre
Wladimir le phantasme du corps morcelé (Nathaniel
Troubetzkoy Hawthorne, Edgar Alan Poe, Nicolas
L’Ombre et la Gogol) ainsi que le thème de l’ombre qui
différence. désigne l’âme (Homère, Virgile) et celui du
Le double en reflet dans l’eau et au miroir qui représente
Europe l’altérité.
Paris, Presses Le parcours herméneutique de cette
Universitaires de étude est jalonné par des modèles littéraires,
France tels que L’Etrange Histoire de Peter
1996 Schlemihl (1814) de Chamisso, Les Elixirs
du Diable (1815-1816) de Hoffmann, Le
Double (1846) de Dotoïevski, Le Horla
Ayant comme point de départ un (1886-1887) de Maupassant et La Méprise
cours professé à L’Université de Lille dans (1932) de Vladimir Nabokov, autant de
les années 1980, l’essai de Wladimir Trou- chefs-d’œuvre tributaires les uns aux autres
betzkoy se présente comme une approche à et qui mettent en scène les mutation de ce
la fois synchronique et diachronique de concept. L’analyse textuelle et intertextuelle
l’idée du double dans la culture européenne. de Troubetzkoy reflète une sorte de relation
Celui-ci est envisagé successivement sur le spéculaire qui réunit ces textes appartenant
plan philosophique (le double en tant que à des époques et à des aires culturelles
re-présentation, reproduction apparente de différentes. Le pattern en est une dialectique
l’idée chez Platon, en tant que « fictif », entre le double en tant que thème et réseau
catégorie complémentaire au sensible et à de motifs structurant le récit et le double en
l’intelligible chez Aristote, en tant qu’ex- tant que principe intrinsèque de la litté-
pression de l’individualisme cartésien et de rature, miroir du monde et création à
l’incertitude quant au contrôle du moi par l’intérieur de la Création.
lui-même chez Locke), sur le plan mythique A l’instar du personnage de Hoff-
(d’une part Pygmalion et Narcisse qui mann, le moine Médard, qui est le sujet
représentent la confusion du réel et de d’une duplication proliférante, voire d’une
l’imaginaire, de l’autre Prométhée et Faust désintégration complète de la personnalité,
qui évoquent la rivalité entre l’« artisan le récit apparaît comme un « feuilleté de
humain » et l’« artisan divin »), sur le plan textes », objets des narrateurs différents,
psychanalytique (reprenant la définition articulés par une « stéréophonie théma-
freudienne du moi qui n’est plus une tique ». Tout comme le personnage entouré
monade, bien au contraire) et notamment par des doubles bénéfiques ou maléfiques
sur le plan littéraire, dans le théâtre ainsi tend vers le « double terminal », le retour à
que dans le roman à partir du XVIIIe siècle. l’Un, l’œuvre littéraire révèle ses sens seule-
Extrêmement complexe, la thématique du ment par le biais d’une superposition her-
double semble se revendiquer d’un fonds méneutique de ses couches textuelles.
anthropologique fondamental : l’auteur af- Parallèlement, dans le récit de Chamisso,
firme avec Claude Lévi-Strauss que « l’es- l’ombre perdue de Peter Schlemihl, qui
prit humain est structuré par la dualité » (p. bouleverse par son absence le statut exis-
5). tentiel de son possesseur, devient le code du
L’expérience du double connaît chez récit. N’ayant pas de valeur en soi et
fonctionnant comme un paramètre à sens de l’intertexte, mais elles 307
ouvert, celle-ci représente l’élément qui fait font encore ressortir une
basculer le texte authentique vers un vérité fondamentale : « je
métatexte, l’ombre du premier, chargé de deviens, car je le suis toujours, et surtout
symboles plurivalents. quand j’écrit, le double de moi-même » (p.
Principe structurant du récit, le 172).
double devient dans la lecture critique de Aurora Bagiag
Troubetzkoy un avatar de la création litté-
raire. Ainsi Le Double de Dostoïevski appa-
raît comme « un double usé » des textes François Vannucci
dont l’auteur s’inspire ouvertement (Mé- Marcel Proust à la
moires d’un fou, Le Nez, Les Ames mortes recherche des
de Gogol, La Nuit de Saint-Sylvestre, Le sciences
Chat Murr de Hoffmann). Se présentant au Paris
lecteur en tant que « doublures littéraires » Éditions du Rocher
les personnages sont littéralement des coll. « Trans-
« êtres de papier », à la fois créateurs et disciplinarité »
créatures, impliqués dans des activités 2005
esthétiques, scripturales. Quant aux méta-
morphoses du double dans le contexte de la
modernité, Troubetzkoy saisit les enjeux du
dédoublement dans le Horla. Sa double
version, l’une « explicitement dédoublée en Paru en octobre 2005 dans la
récit encadré et récit encadrant », l’autre collection dirigée par Basarab Nicolescu, le
« implicitement dédoublée sous la forme livre de François Vannucci ouvre sur un
d’un journal-miroir, à la fois journal de pastiche d’un fragment de Marcel Proust,
bord, journal d’un fou et journal d’une pastiche qui introduit la notion de « neu-
histoire » débouche sur la disjonction entre trino », représentant la science, dans
le « je écrivant » et le « je écrit ». En fin, La l’œuvre littéraire. Grâce à cette innovation,
Méprise de Nabokov marquerait « la chute l’auteur annonce que l’ouvrage comprendra
de l’empire du double » à cause d’un narra- une analyse des rapports entre la littérature
teur trompeur, farceur, en plein processus de (notamment, l’ouvre de Marcel Proust) et la
dissociation, qui ne contrôle plus une science.
duplicité révélatrice de sa vraie nature, qui Une question s’impose dès le début
espère devenir un créateur alors qu’il n’est et elle vise le statut de la culture scien-
qu’un « destructeur ». tifique, telle que Proust l’utilise dans de
L’essai de Wladimir Troubetzkoy nombreuses références parsemant À la
est remarquable non seulement par l’analyse recherche du temps perdu. Vannucci sou-
exhaustive de l’idée du double, exploitée à ligne un fait très peu commun dans la litté-
tous les niveaux du texte littéraire, mais rature : la présence dans le roman proustien
aussi par la cohérence d’un parcours théo- des métaphores scientifiques. Des notions
rique qui fait du double l’un des topoï de la plus ou moins objectives de physique,
culture européenne. Les œuvres se cris- chimie, botanique, voire météorologie con-
tallisent certes autour de l’« Autre », du per- stituent le pendant solide de phrases floues à
sonnage, du monde, du texte, de l’écriture, dessein. L’auteur mentionne d’autres écri-
de l’écrivain et du lecteur, du métatexte et vains qui se sont essayés à ce genre de mé-
308
taphore, comme George les jeunes filles en fleur, l’auteur finit le
Eliot, Thomas Mann, parcours des sciences avec une Farandole
Italo Calvino ou John des ologies, le terme « ologie » représentant
Updike. À la différence de ces-derniers, pour François Vannucci la zoologie, la
Proust s’avère être « moins naïf ». Vannucci géologie, l’archéologie et la météorologie.
a relevé un total de 295 extraits scientifiques Soulignant que la manière dont
sur environ 3400 pages. Proust utilise les concepts scientifiques té-
Les mathématiques figurent en pre- moigne plutôt de l’entendement que d’une
mier dans l’analyse de François Vannucci, compréhension complète, l’auteur décèle la
et cela en raison de leur statut de « vecteur part de l’intelligence et celle de l’imagi-
indispensable pour la résolution des pro- nation dans l’attitude de Proust envers les
blèmes qui se posent en sciences » (p.19), la sciences. Selon Vannucci, Marcel Proust a
science n’étant possible que grâce aux utilisé les notions scientifiques en tant
techniques mathématiques. L’arithmétique, qu’artiste, donc, dans la mesure où il restait
la géométrie, l’algèbre, les statistiques sont libre à faire usage de son intuition. Par
évoquées tour à tour pour mieux déceler les conséquent, ce n’est que le but de la dé-
étapes des comportements humains et essa- marche qui doit être envisagé par le lecteur.
yer d’en offrir une possible explication. Pour mieux préciser les résultats de
Quand il s’agit de la mécanique, son analyse, Vannucci reprend le concept de
l’auteur s’adresse à l’« élève » Proust en « mythe scientifique » et affirme que l’art et
professeur outré par l’usage redondant des la science sont deux moyens différents, mais
termes de la mécanique statique, avec, non moins efficaces pour autant, qui
néanmoins, la précision que les règles sont peuvent mener à la découverte de la vérité.
bien appliquées. À l’avis de Vannucci, nous Professeur et chercher en physique lui-
devons nous demander si chez Proust la même, François Vannucci constate que « les
physique n’est pas un simple prétexte et si scientifiques communiquent mal » (p. 144),
Marcel Proust a vraiment compris le c’est la raison pour laquelle il apprécie le
vocabulaire qu’il utilise si abondamment. fait que Marcel Proust répand la culture
Tout en soulignant la dimension imaginative scientifique au sein du public. Pour con-
de la culture scientifique de Proust, l’auteur clure, le physicien mentionne les deux di-
affirme que les diverses connaissances mensions de La recherche du temps perdu,
scientifiques dont Proust fait preuve re- le côté de chez Swann et celui de Guer-
lèvent, toutefois, de sa culture. mantes, qui forment un monde d’illusions
Abordant le thème de l’électricité, rattaché au concret à travers la part
ensuite celui de l’observation astronomique, scientifique – quoique minime – du roman.
de l’optique, des ondes et rayonnements,
Vannucci démontre la présence de toutes les Maria M el-Boatc
branches de la physique dans le roman
proustien. À cela, il ajoute le « chimisme »
de Proust, le tout pour prouver que la
culture scientifique de Marcel Proust ne
consiste pas seulement dans l’utilisation du
langage spécialisé, mais également dans une
manifestation de la mémoire volontaire.
Après avoir examiné l’apport de la
botanique, dans le chapitre Il n’y a pas que
Michel Viegnes est étroitement lié à celui 309
(coordinateur) numérique, tout comme
Imaginaires des Michel Viegnes le sou-
points cardinaux ligne dans l’Introduction du recueil : « pour
Aux quatre angles de nombreuses cultures, quatre soit le
du monde chiffre cosmique par excellence : quatre
Paris éléments, quatre saisons, quatre humeurs
Imago dans le corps et les tempéraments qui leur
2005 sont liés ; l’histoire sacrée du monde se
découpe en quatre âges. » (p. 8).
Cette représentation de l’espace du
Dans n’importe qu’elle culture, soit monde, dont le fondement est l’existence
orientale ou occidentale, les points cardi- des quatre directions fondamentales, se
naux jouent – et ont joué – un rôle très im- trouve à l’origine de la distinction qui, dans
portant. C’est ce que le recueil Imaginaires l’imaginaire géographique européen, sépare
des points cardinaux. Aux quatre angles du l’Europe, c’est-à-dire l’Occident, de ce
monde, publié sous la direction de Michel qu’on considère un Autre, dans ce cas,
Viegnes, veut démontrer. Ce livre, qui l’Orient. Cette conception est signalée déjà
réunit les actes du Colloque international par Eschyle. De cette dissociation naît la
organisé par Le Centre de Recherche sur dévalorisation de l’Orient dans la culture
l’Imaginaire de l’Université Stendhal (Gre- occidentale. Mais il faut toujours retenir le
noble III), se fait l’écho d’une approche fait que, d’une certaine manière et tout
pluridisciplinaire, allant de la géographie à comme Europe l’a fait, chaque région
la littérature, en passant aussi par l’histoire géographique se considère le « centre du
de l’art et des religions, la philologie et les monde », et oriente ses idéologies selon ce
mythes. principe de l’égocentrisme.
En prenant comme point de départ En tenant compte aussi de l’exis-
la structuration de l’espace selon les repères tence des axes nord-sud, est-ouest, les au-
cosmiques, les auteurs de ces articles nous teurs exploitent au maximum toutes les con-
ont donné la possibilité de refaire le trajet de notations et significations qui en découlent
l’imaginaire et de la symbolique des cul- et qui sont conçues du point de vue du
tures analysées, commençant par l’Antiquité symbolisme du trajet solaire, qui oppose, de
et finissant par l’époque contemporaine. nouveau deux mondes : l’un qui vise l’idée
Ce symbolisme tourne autour des de naissance et d’origine (le lever du soleil),
investissements imaginaires des quatre c’est-à-dire l’Orient, et l’autre qui vise
points cardinaux, auxquels s’ajoutent encore l’idée de la mort (le coucher du soleil),
les plus importantes planètes de notre c’est-à-dire l’Occident.
système : la Terre, le Soleil, tout comme
certaines étoiles (l’étoile « polaire », la Anamaria Sab u
Croix du Sud) dont les significations com-
plexes ont influencé depuis toujours la
pensée religieuse et culturelle de l’huma-
nité.
Le symbolisme quaternaire, qui
dans l’imaginaire chinois et celui iranien a
encore un point, le cinquième – le centre,
310
lecteur virtuel qui est « manipulé, choqué,
suggestionné » (p. 49). Très souvent les fan-
tastiqueurs truquent l’acte narratif, con-
Michel Viegnes vertissent les tropes en événements fiction-
(textes choisis & nels (la synecdoque, l’hypallage, la répé-
présentés par) tition) et brouillent ainsi les contours de la
Le fantastique réalité par des glissements vers des faits
Paris inexplicables et étranges (Buzzati, Mérimée,
Flammarion Poutchkine, Maupassant, Cortázar, Potocki).
coll. « Corpus. Le deuxième chapitre traite toutes les
Lettres » significations de la peur, en la situant à
2006 travers ses divers degrés d’intensité allant
de l’anxiété (surtout de type intellectuel et
philosophique : Poe, Hoffmann) à l’horreur
Le livre dirigé par Michel Viegnes et à l’épouvante (qui peuvent être associées
est une anthologie sur le genre littéraire à des symptômes physiques : Mirbeau,
fantastique, sa poétique, ses rapports avec le Ewers). L’objet premier de la peur qui gou-
rêve, la peur, l’éros, l’autre, accompagnée verne parfois toute une existence est la
d’analyses, de définitions et illustrée par des mort, « saut irréversible dans l’inconnu » (p.
extraits d’œuvres appartenant à divers 75). Le chapitre suivant souligne l’intétêt
auteurs. que la littérature fantastique a toujours prêté
Dans une Introduction théorique, l’au- au rêve et à « ses dérivés – cauchemar,
teur cerne les caractéristiques du fantastique mirage, état second provoqué par l’absorp-
envisageant cette notion dans son ensemble tion de drogues, délire » (p. 99). Les récits à
(littérature, arts plastiques, cinéma). Il travers lesquels l’auteur illustre ses théories
postule que « l’œuvre fantastique est celle ont soit une fin rassurante où triomphe le
qui nous incite à reconsidérer notre concept réel (Lorrain, Gogol) soit une fin où règne la
de la réalité, ses limites admises et ses confusion rêve/réalité (Villiers de L’Isle-
règles internes » (p. 45) et que le fantastique Adam, Gautier).
se définit comme « une révolte contre le Dans « Objets et images » sont
désenchantement du monde, un effort pour analysées la présence et la signification de
introduire un supplément indéfini de sens divers objets : le talisman (Balzac), le miroir
dans l’expérience humaine » (p. 45). (Régnier), le masque (Schwob), le livre
Viegnes analyse ensuite une tren- (Borges) et les images : les statues, les
taine de fragments de romans, nouvelles, portraits (Wilde), les simulacres de toutes
récits et autres écritures s’inscrivant dans le sortes, dans les récits fantastiques. Qu’ils
genre, en illustrant les plus importants soient maudits ou bénéfiques, ils deviennent
thèmes de la littérature fantastique en six des supports de projection investis des
chapitres. C’est un ouvrage de littérature « espoirs les plus fous » (p. 123) ou des
comparée qui traite ce genre dès ses « pires cauchemars » (p. 123) de l’homme.
premières manifestations jusqu’à nos jours à L’auteur s’intéresse ensuite à la rela-
travers l’imaginaire européen et mondial. tion qui s’établit entre fantastique et éro-
« Le fantastique en littérature con- tisme, l’amour étant présenté dans sa dimen-
siste tout d’abord en une certaine technique sion affective pure (Kawabata, Rodenbach)
sur le plan rhétorique » (p. 49), affirme ou très charnelle et perverse (Lewis). Cer-
l’auteur. Une relation s’établit avec le tains motifs tels que le vampirisme ou le
satanisme véhiculent aussi un sens érotique, vers la préoccupation 311
comme en témoignent les extraits de Le héraclitienne pour
Fanu et de Huysmans. l’énonciation des lois qui
Le sixième et dernier chapitre illustre gouvernent le monde. Ceci disant, Wunen-
la relation identité-altérité. L’Autre a pris de burger souligne l’idée d’Héraclite que
nombreux visages dans la littérature fantas- l’unité du monde est issue d’un « principe
tique : démon (Cazotte), monstre (Love- d’oscillation », d’opposition entre réalités.
craft), spectre (James), double (Stevenson), Cependant, les éléments si différents restent
créature artificielle (Meyrink, Wells), visi- en harmonie, ce qui « définit en fin de
teur d’une autre planète (Moore). La peur de compte, paradoxalement, pour les humains
l’Autre lui a confié le plus souvent la carac- la confiance en une justice et une harmonie
téristique d’agent du mal, quoique derrière universelles » (p. 11).
l’autre se cache souvent le même. L’essayiste suit également l’évolu-
Viegnes place à la fin de son étude tion de cette vision du monde avec l’appari-
un Vade-mecum où il explique très soigneu- tion du subjectivisme dans la philosophie
sement les principaux termes associés au occidentale, un subjectivisme qui semblait
fantastique, et une Bibliographie théorique exclure les alternances. Néanmoins, selon
commentée. Wunenburger, les « intuitions présocra-
tiques » ont continué à hanter les esprits
Adina-Irina Romo an jusqu’à présent, quand, les conceptions
circulant entre l’Orient et l’Occident, nous
nous retrouvons devant une nouvelle « sa-
gesse de l’histoire ».
Jean-Jacques La deuxième partie de l’ouvrage,
Wunenburger ayant le même titre que la collection, Varia-
“Le Combat est tions, est organisée de manière tripartite,
le père de toutes chaque chapitre visant une des dimensions
choses” des relations conflictuelles.
(Héraclite) Dans les pages consacrées à la
Nantes « frénésie de l’affrontement », l’attention de
Éditions Pleins l’auteur est portée, pour commencer, vers
Feux, coll. l’aspect violent, voire meurtrier, des conflits
“Variations” humains. Le rôle de la justice, aussi bien
2005 que celui des paroles et idées, dans le
renforcement ou la résolution des tensions
L’essai de Jean-Jacques Wunen- est analysé d’un point de vue social et
burger reprend en guise de titre une citation historique. Qui plus est, l’examen du désir
du philosophe grec Héraclite. Et c’est à humain inné de cultiver et pratiquer l’oppo-
partir de cette phrase, et notamment du sition comprend un parcours des entités du
terme « polemos » (« combat »), que l’argu- Moi que sont le corps, l’âme et l’esprit, avec
mentation de la première partie, intitulée La des renvois aux Confessions de saint
Citation, s’organise. Augustin et à la pensée freudienne.
Après un bref parcours visant à Vu la force des agressions, l’auteur
présenter Héraclite et sa pensée dans le pense que la fin de ces guerres n’arrivera
contexte de la philosophie, ancienne et qu’une fois clôturée dans l’homme la faille
contemporaine, l’auteur oriente son discours de la violence. Le philosophe se pose égale-
312
ment la question si le Roger Zuber,
désir d’instaurer la paix Emmanuel Bury,
n’est illusoire. Denis Lopez,
Le chapitre portant sur le « mirage Liliane Picciola
pacifiste » énonce une modulation des affir- Littérature
mations antérieures : ni même l’opinion française du
d’Héraclite ne peut justifier certains dé- XVIIe siècle
sordres du Moi. Même si les conflits sont Paris
nuisibles à cause du fait qu’ils produisent PUF
des déséquilibres, l’absence de tensions 1992
n’en produit pas moins de disharmonies. Le
spectre que cache la si convoitée paix est
celui d’une diminution de l’être humain. Roger Zuber, professeur à la
Le dernier chapitre, intitulé « La Sorbonne, Emmanuel Bury, maître de
tension créatrice », envisage une perspective conférences à l’Université de Reims, Denis
plus modérée, qui puisse résumer les deux Lopez, maître de conférences à l’Université
avis antinomiques présentés antérieurement. de Bordeaux III et Liliane Picciola, profes-
Wunenburger affirme qu’Héraclite ne fait seur à l’Universite de Paris X, se sont pro-
que nous présenter « une intelligence plus posé de réaliser un panorama de la litté-
subtile » (p. 37) censée inviter au ressai- rature française du XVIIe siècle. En étudiant
sissement de la tension, non plus en tant que les principales œuvres de ce siècle ils ont
chose désirable ou à combattre, mais en mis en évidence les caractéristiques spéci-
« force de vie juste » (p.37). fiques des genres de l’époque. La typologie
Il est vrai que la réalité comprend choisie est, bien sûr, celle des grands genres
maints changements et bipolarités (qui littéraires, c’est-à-dire le théâtre, le roman et
émergent ou disparaissent à tour de rôle), la prose, auxquelles s’ajoute la prose d’art.
mais pendant et entre ces transformations il En commençant par l’étude consa-
existe un juste milieu, un équilibre, sou- crée au théâtre, Liliane Picciola nous offre
ligné, d’ailleurs par Aristote. C’est la ten- une image d’ensemble de ce genre, en men-
sion créatrice qui gère l’inclusion de l’être tionnant la situation des salles et des scènes
dans l’univers et c’est probablement dans la et en nous indiquant les principales troupes
vie sociale que la tension productive est le de théâtre du siècle et leurs protecteurs.
plus visible. Les hommes et les groupes Après cet aperçu, Liliane Picciola revient
humains ne se définissent qu’à travers la aux figures classiques du théâtre français :
confrontation, sans que la justice ou l’injus- Corneille, Molière et Racine en saisissant
tice puissent triompher définitivement, étant les traits particuliers de leurs écrits.
en perpétuelle alternance. Celle qui expose la situation du
Le sens du message héraclitien est, roman français est toujours Liliane Picciola,
donc, que les paradis pacifistes sont pure- dont l’analyse porte surtout sur les influ-
ment utopiques, et la vie n’est jamais sujette ences étrangères, qui ont eu une importance
aux lois de l’immobilité. Pour conclure, le pas du tout négligeable dans la consoli-
philosophe français définit le fait de dation du genre. Quand même, Liliane
contrarier comme « ressort de la vie et de la Picciola observe qu’en opposition avec ces
seule harmonie accessible » (p. 45). influences, il y a un genre romanesque
français dont l’originalité se concrétise dans
Maria M el-Boatc le roman pastoral (L’Astrée), le roman hé-
roïque (Grand Cyrus, Clélie), le roman La dernière étude 313
réaliste et burlesque (Le Berger extrava- est celle d’Emmanuel
gant, Francion, Le Roman comique), le Bury, dont l’objet est la
roman d’analyse (La Princesse de Clèves, prose d’art, où la réflexion critique apparaît
Lettres portugaises), le roman philoso- comme une recherche de moyens pour
phique et didactique (Les Autres mondes, revigorer l’art de la parole. Descartes,
Les Aventures de Télémaque). Pascal, Bossuet, La Rochefoucauld, La
Denis Lopez consacre son étude à Bruyère, Voiture, Mme de Sévigné, Le
la poésie et à son essor extraordinaire. Dans cardinal de Retz, Fénelon, Boileau, Fonte-
ce siècle, l’activité poétique est la marque nelle, Bayle, Saint-Evremond, Malebranche,
de la vitalité, accompagnant par suite l’idée Perrault : voici ceux qui se sont donné la
de prospérité retrouvée. Maintenant, pour le peine de transformer l’art de la parole d’une
poète la poésie représente plus que jamais la façon unique et personnelle, sans pourtant
possibilité de se hisser à une place de choix oublier d’exprimer le moi profond.
dans la société. En passant par Malherbe, D’une manière pas du tout exhaust-
Régnier, Agrippa d’Aubigné, Théophile de ive, cette étude veut être une image aussi
Viau, François l’Hermite, Godeau, Saint- complète que possible de la littérature fran-
Amant, Scarron, Voiture, Boileau et La çaise du XVIIe siècle, en prouvant que la fin
Fontaine, Denis Lopez classifie les formes de ce siècle apporte la certitude de l’exis-
variées de la poésie française du XVIIe tence d’une littérature vraiment indépen-
siècle : l’ode, la satire, la méditation, la dante.
poésie chrétienne de célébration, la poésie Anamaria Sab u
épique, la poésie burlesque.

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