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2021 15:56
Études littéraires
Éditeur(s)
Département des littératures de l'Université Laval
ISSN
0014-214X (imprimé)
1708-9069 (numérique)
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1 Watzlawick, P., J. Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, Paris, Seuil (Points), 1979, p. 31.
2 II faut entendre le mot poésie au sens restrictif qu'il a depuis qu'il est passé dans le domaine français et non au sens large de
littérature avant la lettre, chez Aristote.
nières années enfin, dont le but est moins classer, à ordonner - les « espèces » dont parle
explicatif ou législatif que cognitif \ Aristote et leur « finalité propre » -, à légiférer
Il y a aussi le manifeste qui lance violem- - le « il faut [...] si l'on veut... » -, dans tout le
ment la poésie dans l'arène du changement et champ d'une pratique. La critique est écri-
fait le pari utopique de la ramener à ses sour- ture. L'« Art poétique » également, mais comme
ces par une « fuite en avant » vers l'Origine. Et par excès, la conscience qu'il a des codes lui
il y a la poésie elle-même, toujours neuve donnant souvent une allure autoparodique. La
quand elle est excellente - « divine » alors, critique relève de l'œuvre au sens strict, ne
précise Montaigne - et qui n'a pas nécessairement serait-ce qu'à cause de l'inévitable intrusion
pour se mettre en question à se dire Art poé- du sujet dans le discours qu'elle tient ; aussi
tique, comme le fait le dernier recueil de n'appartient-elle au métadiscours poétique que
Guillevic, sous-titré significativement poème métaphoriquement. L'« Art poétique » au con-
au singulier, bien qu'il contienne cent soixante- traire n'a de sens que par l'objectivité apparente
dix textes. de ce dernier malgré une allégeance occasion-
Le présent numéro d'Études littéraires se nelle à un certain lyrisme. N'emprunte-t-il pas
propose de cerner le phénomène du métadiscours la plupart du temps le ton neutre de la Loi ?
poétique français, en insistant sur l'apport Ton apparemment neutre d'ailleurs puisqu'en
spécifique des traités appelés « Art poétique ». fait, T« Art poétique » décide et impose. Hors
Une double hypothèse le sous-tend : à travers du faire qu'il décrit, point de salut pour le
les siècles, l'« Art poétique » qui a choisi d'as- poète.
sujettir l'analyse du fait poétique et de sa Encore y a-t-il lieu de distinguer entre les
fonction à ce que l'on pourrait nommer une arts poétiques et les époques. Les articles qui
économie et une éthique de l'écriture, a fini portent sur un siècle précis se trouvent contri-
par se constituer en genre ; il a atteint son buer à cette distinction, tout en ouvrant des
point culminant avec Boileau et ses avatars pistes vers une meilleure connaissance du genre.
XVIIIe pour être bientôt remplacé par le manifeste Éric Mechoulan situe les arts de seconde rhé-
(abondant on le sait au tournant des XIXe et torique des XIVe et XVe siècles par rapport au
XXe siècles), les poétiques d'auteur et la critique Quadrivium médiéval. Il montre comment la
comme institution. poésie,« musique du vulgaire », y est dégagée
De la critique, il sera à peine fait mention. de la musique instrumentale, quelle part est
Celle-ci s'intéresse d'abord à l'oeuvre indivi- faite au « former » et au « créer » (re- et récréer),
duelle dont elle est toujours une lecture parmi il signale le lien politique - « français contre
d'autres, alors que l'« Art poétique » cherche à latin, laïc contre clerc, état national contre
3 Sont exemplaires sur ce point les travaux de Jakobson, Kristeva, Cohen, Fonagy (je cite au hasard), qui relèvent de la Poétique
au sens moderne du mot. Je ferais une place particulière à ceux de Benoît de Cornulier dont le projet est moins de comprendre
comment fonctionne le langage poétique, que de savoir décoder une certaine poésie qui existe déjà ; également à la Vieillesse
d'Alexandre de Roubaud, qui ajoute au cognitif une dimension performative. N'est-ce pas logique ? Roubaud est poète...
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ARS POETICA ARS POESIS
pouvoir religieux » - qui marque les débuts de des tribunes accessibles à l'honnête homme.
la littérature. Peut-on mieux indiquer le rôle Et l'on ne devait plus revenir en arrière,
important joué par les textes préfigurant les d'expliquer Annie Becq qui fait le point sur les
arts poétiques des XVIe et XVIIe siècles, égale- poétiques XVIIIe. L'ère du soupçon, amorcée
ment la valeur de la poésie dans toute société ? au siècle précédent et dont le prolongement
Avec « les Masques de Du Bellay », Robert sera sensible jusqu'à nos jours par le biais de
Melançon entre dans le vif de la question. Il textes comme Poètes ou faiseurs d'Étiemble,
distingue un texte programmatique, comme la ne pouvait en effet que déboucher sur une
Deffence, d'écrits qui cherchent à contrôler nouvelle conception du métadiscours poéti-
une pratique devenue, depuis les Grands que. Ce qui impliquait une remise en question
Rhétoriqueurs, excessivement technique. Il des fondements mêmes de l'Art poétique, traité
insiste surtout sur l'effet que doit provoquer la du convenable en poésie, en faveur de l'exa-
poésie, effet dont était bien conscient Du men de ses possibles via la rhétorique d'une
Bellay, au point que son destinateur changeait part, la langue, d'autre part. Avec comme ré-
de statut - de persona, de masque - à chaque sultat la découverte de l'esthétique en tant
œuvre nouvelle. Problème intéressant s'il en que principe de toute poésie et la prescience,
est que celui de la performativité de la poésie chez Marmontel par exemple, d'une Poétique-
et d'autant que cette performativité doit exis- science de la littérature.
ter sans dépendre de quelque réfèrent que ce Au XIXe siècle, selon Michael Nerlich, de-
soit. Problème que l'on croit moderne, et pourtant... vait se constituer une lecture dogmatique de
n'était-il pas déjà implicite dans la notion anti- l'art poétique via le cas Boileau devenu exem-
que de « furor » ? plaire, lecture créée de toutes pièces par une
Don des dieux que cette fureur poétique, critique elle-même normative, celle de La Harpe
qui transforme le poète en une sorte de mé- et de ses consorts. Le contraire est pourtant
dium et forme l'une des deux principales évident, d'insister Michael Nerlich qui s'appuie
thématiques de YArspoetica à travers les siècles sur les écrivains du temps pour montrer le
- depuis Horace en fait, et son Épître aux caractère novateur de l'esthétique de Boileau,
Pisons ; l'autre étant son pendant humain, soit son ouverture également. C'est ainsi que chez
la maîtrise du métier, le travail éclairé par des Stendhal peuvent cohabiter les influences du
règles précises que l'on peut et doit apprendre. classicisme, de Shakespeare et de Cervantes.
D'autant d'ailleurs que celles-ci contribuent Si l'existence d'un « Art poétique » surréa-
au plaisir du lecteur, heureux d'en vérifier liste était impossible - et pour cause, comme
l'application réussie. « Apollon ou Orphée. La nous en convainc facilement Patrick Née -, il
Poétique déchirée », déclare Bernard Beugnot ne faudrait pas en conclure que le temps est
du métadiscours poétique XVIIe dont il révèle venu de proclamer la mort du genre. Celui-ci
les certitudes et les doutes, la diversité aussi ne persiste-t-il pas dans la phase explicative et
des lieux de paroles, grâce à la multiplication « terroriste » du manifeste ? Ne resurgit-il pas
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ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 22 N" 3 HIVER 1989-1990
périodiquement dans les formes atténuées et pédagogique n'en dit-il pas long sur les risques
plus libres que constituent des textes comme d'autoriser et même d'encourager l'expres-
Y Art poétique de Roger Caillois ou ce prudent sion lyrique du moi ?
« En songeant à un art poétique » de Supervielle ? Est-ce par réaction que dans ce numéro,
N'emprunte-t-il pas audacieusement la voie de forcément théorique, il m'est apparu néces-
la traduction poétique ? C'est du moins ce que saire de donner la parole à la jeune poésie
laisse entendre Charlotte Melançon dans « No- québécoise qui n'hésite pas à pratiquer ce que
tes sur une poétique de la traduction »... Ne se la post-modernité nomme théorie-fiction ? Et
fait-il pas poème à l'occasion, ainsi que le ce sera Normand de Bellefeuille, saisissant,
relève Noël Audet qui a analysé plusieurs arts dans une série de « lancers légers », une carac-
poétiques modernes pour découvrir qu'ils peuvent téristique bien connue du langage poétique,
être regroupés sous trois dominantes : l'éthi- soit la répétition. Mais, signe des temps s'il en
que, l'esthétique et la contestataire ? « Étran- est, la répétition perçue comme loi, selon les
ges poèmes », écrira-t-il de ces textes qui se orientations scientifiques de la Poétique actuelle,
disent « Art poétique », mais jouent souvent le ou comme contrainte, à la mode oulipienne,
rôle de manifeste et sont d'abord poésie. non comme règle.
L'« Art poétique » contemporain ne préten- Pour finir, des prolégomènes à un état pré-
drait plus au Beau ni au Vrai. Voilà qui le sent de l'art poétique comme genre que j'ai
démarquerait de l'étalon-/!rtpoétique de Boileau. établis conjointement avec Thérèse Marois,
Sans doute. Il n'y a pas si longtemps toutefois, des comptes rendus également d'ouvrages dont
ce dernier faisait encore figure d'autorité ab- le propos tourne autour de la poésie. Trois
solue . Clément Moisan s ' amuse à nous le démontrer, documents qui devraient rendre de précieux
à partir d'un petit opuscule intitulé l'Art poé- services à tous ceux, profanes comme spécialistes,
tique à l'usage du Petit Séminaire de Québec. qui aiment assez la poésie pour chercher à
Il me semble qu'il nous fait découvrir quelque savoir comment elle s'est - ou a été - définie
chose d'important quand il signale un fait à travers les époques ; quels sont surtout - ou
pour le moins troublant : la dissociation d'une ont été - les paradigmes de cette définition
didactique qui enseigne la poésie aux seuls forcément dynamique. Bonne lecture.
niveaux de la lecture et de l'analyse, réservant
l'écriture à des exercices comme la narration,
la description, la lettre, le portrait. Ce choix Jeanne Demers
Université de Montréal
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