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Textyles
Revue des lettres belges de langue française
17-18 | 2000
La peinture (d) écrite
Mot-Image : une pratique double
https://journals.openedition.org/textyles/1315 1/6
2020/12/8 Lire et/ou voir Seuphor
Texte intégral
De la plume qui sert à bien des choses.
Alberto Sartoris
https://journals.openedition.org/textyles/1315 2/6
2020/12/8 Lire et/ou voir Seuphor
musicale qui, de la même façon, ordonne les sons ne cesse d’être une de ses
préoccupations majeures.
7 Nous sommes dans cette trajectoire encore loin d’une quelconque relation de la
poésie avec les arts visuels. Le jeune poète ne s’oriente pas dans cette voie. S’il joint au
premier et unique numéro des Documents internationaux de l’Esprit nouveau en 1927
un « Tract à lancer par avion » sous la forme d’une composition typographique, c’est
plus par un effet de mode qui remonte aux années 10 que dans un processus de
recherche personnelle.
8 Il en va tout autrement du « tableau-poème » Textuel, au titre caractéristique, dû, en
1928, à la collaboration de Seuphor et de Mondrian, à qui il est lié depuis 19228. Le
texte de Seuphor est fait de mots lisibles (elle, Louise, Delaunay, belle), de fragments de
mots (Mich, vagab, nuisi) et de lettres ou de syllabes isolées ou les complétant
(vagabette, nuisiriant), dans l’esprit de certains de ses poèmes. Mondrian a peint ces
lettres en caractères d’imprimerie de polices et de corps différents à l’intérieur d’un
même mot ou d’une même syllabe. Le poème s’inscrit dans un espace, il est un « poème
à voir » issu de la connivence des deux artistes à l’instar de celle qui avait uni Cendrars
et Sonia Delaunay pour la Prose du Transsibérien.
9 La réflexion du poète associe désormais plus étroitement la littérature et l’art. Dans
Cercle et carré, revue qu’il crée en 1930 avec J. Torrès-Garcia, les références au
domaine plastique et particulièrement à l’architecture sont prépondérantes. La
structure, écrit Seuphor, est « le vrai intime de tout ce qui est ». Si nous sommes
capables « d’approfondir en nous l’instinctif, l’intuitif, l’émotif, le pathétique », c’est-à-
dire de plonger dans les profondeurs de l’inconscient, c’est pour « asservir à l’esprit
discipliné ces dons précieux de l’être, les canalisant vers un ordre supérieur, vers une
construction constructive, supernaturelle, de la vie ». On tend ainsi à une architecture
rationnelle qui réduit tous les désordres :
[...] n’a-t-il pas passé par toutes les phases de l’analyse, du calcul mental abstrait,
du sens critique propre à l’auteur lui-même, qui, à son tour, n’est que le résultat de
son éducation rythmique, de son évolution graduelle jusqu’à l’instant de la
production du poème.
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2020/12/8 Lire et/ou voir Seuphor
Michel Seuphor en 1962, à l’occasion de son exposition à la Galerie St Laurent de
Bruxelles.
12 La liberté est essentielle, mais elle est « gênante », « encombrante ». Son ultime
développement est l’ordre : « Toute œuvre d’art achevée est la conclusion d’un combat
singulier entre le désir et la contrainte, son unité même est un compromis de liberté et
de nécessité ». Et encore : « Dans tous les domaines de l’existence la liberté existe à côté
de la règle. Elles se conjuguent par la mesure. Divine mesure qui est la vérité de toute
chose et le jeu de la vie ». Le poète récupère de cette façon la spontanéité du cri et la
rapproche paradoxalement de l’abstraction graphique. Mais on voit bien qu’il s’agit
pour lui de deux démarches parallèles, qui ont chacune leur propre finalité. Le poète et
le graphiste coexistent en lui, ils ne collaborent pas.
13 Vient cependant un moment où ces deux itinéraires se rapprochent. En 1954 Seuphor
expose à Paris des « dessins à lacunes à traits horizontaux ». Entendons des dessins où
le regard est sollicité non par la ligne tracée mais par les vides que laissent des lignes
horizontales formant le fond. Daniel Briolet9 rapproche ces espaces des blancs que, de
Rimbaud aux surréalistes et à nos contemporains, les poètes ménagent dans
l’organisation typographique de la page. Remarquant que de plus un petit texte
accompagne la toile ou qu’un titre suggère un rapport entre mots et formes, il en
conclut que le dessin à lacunes devient « un mode très original de composition d’un
«tableau-poème» ». Je tendrais plutôt à suggérer que le titre, qui fait assurément partie
de l’œuvre, ou le texte joint, qui en est inséparable, introduisent une perspective, une
mise en abyme, dans une relation plus complexe que celle qui s’établit entre le texte et
l’image.
14 Plus tard le poète-peintre réalisera à partir de ces dessins à lacunes des
« Enseignes », papiers Canson ou cartons où figurent des inscriptions comme
« Orphée, seul maître, seul sauveur » ou « Écoute le silence », formule intermédiaire
entre les poèmes-affiches de Pierre Albert-Birot et les papillons surréalistes. Il insérera
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aussi dans des dessins à lacunes des inscriptions qui prolongent celles des
« Enseignes », par exemple :
LA SOUVE
RAINETE D
E L’ESPRIT
SOURD DE
L’HOMME QU
I DIT NON
EN RIANT
15 Il aura surtout recours dans ce cas à des citations, aussi bien de Spinoza que
d’Horace, le français laissant souvent la place au latin, au grec, à l’hébreu, au chinois ; il
privilégie de cette façon le graphisme par rapport au sens. Sans doute le moraliste veut-
il ouvrir notre regard à la sagesse universelle. Mais le « donner à voir » ne prend-il pas
le pas sur le « donner à lire » dès lors que le texte n’est plus immédiatement
perceptible, ce qui est sans doute le cas même pour le latin et à plus forte raison lorsque
les caractères ne sont pas ceux de notre alphabet ? Comme dans les logogrammes de
Dotremont, la lisibilité est un élément constitutif de l’œuvre, mais elle n’est pas
absolument nécessaire à sa réception.
16 Cette alliance d’un fond et d’une forme, pour reprendre des termes anciens, ne peut
cependant être considérée comme l’aboutissement d’une évolution. Michel Seuphor ne
cessera d’affirmer qu’il n’y a aucune commune mesure entre l’écriture et le graphisme.
Le peintre veut que son œuvre soit vue, l’écrivain souhaite qu’elle soit lue. Pour
l’une il suffit d’ouvrir les yeux, pour l’autre il est bon d’ouvrir aussi l’intelligence
[...]
L’artiste et l’écrivain, c’est faire et être. L’un réalise, l’autre signifie10.
17 Et, paradoxalement, lui qui s’est toujours déclaré « pro-dada » tout en affirmant que
l’art impliquait la recherche d’un ordre, c’est au plasticien qu’il reconnaît la liberté de
l’invention. Le foisonnement du verbe se réalise dans une discipline, le schéma linéaire,
géométrique est le produit de la liberté. Complémentarité sans doute à nos yeux, mais
toujours « double identité » pour Michel Seuphor, également assumée : « J’aime à un
titre égal mes deux activités, mes deux natures. Je ne pourrai jamais me séparer de
l’une pour favoriser l’autre »11.
Notes
1B (Daniel), « Présentation », dans Seuphor (Michel), Lecture élémentaire. Mortemart,
Rougerie, 1989, p. 7.
2 Voir notamment L’Art abstrait, ses origines, ses premiers maîtres. Paris, Maeght, 1949.
3 Paris, Les Écrivains réunis, 1926.
4 Lecture élémentaire, pp. 97 et 28
5 La Vocation des mots. Poèmes. Lausanne, Hanc, 1966.
6 « Poème à crier et à danser », chant 3, dans Sic, n°27, mars 1918. On retrouvera le mot « cri »
dans le titre d’un essai majeur de Seuphor, Le Style et le cri, publié au Seuil en 1965.
7 Mortemart, Rougerie, 1977.
8 Mondrian a signé les décors de la pièce de Seuphor : L’Éphémère est éternel (1926).
9B (Daniel), « Tableaux-poèmes et picto-poésie chez Michel Seuphor », dans Mélusine,
n°XII (Lisible-visible), 1991, pp. 71-83.
10 Entretiens sur Michel Seuphor. Textes réunis par Yves Cosson et Daniel Briolet. Paris,
Méridiens-Klincksieck, coll. Connaissance du 20e siècle, 1996.
11 Une remarquable monographie permet d’en prendre la mesure : Seuphor. Anvers, Fonds
Mercator, 1976 (NdlR).
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Référence électronique
Michel Décaudin, « Lire et/ou voir Seuphor », Textyles [En ligne], 17-18 | 2000, mis en ligne le 18
juin 2012, consulté le 08 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/textyles/1315 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/textyles.1315
Auteur
Michel Décaudin
Sorbonne nouvelle
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Tous droits réservés
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