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Revue des Études Grecques

Georges Séféris et la langue poétique dans la Grèce moderne


André Mirambel

Résumé
La langue de Séféris mérite d'être étudiée en raison même du contraste qu'offre sa simplicité avec la profondeur de la pensée
qu'elle exprime. La syntaxe fait apparaître une prédominance de la phrase nominale et de la coordination dans les rapports
interpropositionnels. Le vocabulaire intéresse moins par les créations lexicales que par les relations qu'établit le poète entre les
mots pour renouveler les images et rechercher de nouvelles associations. C'est un retour à la simplicité et au concret, qui a sa
place dans l'histoire moderne de la langue littéraire, spécialement de la langue poétique, en Grèce.

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Mirambel André. Georges Séféris et la langue poétique dans la Grèce moderne. In: Revue des Études Grecques, tome 79,
fascicule 376-378, Juillet-décembre 1966. pp. 660-697;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1966.3888

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1966_num_79_376_3888

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GEORGES SÉFÉRIS
ET LA LANGUE POÉTIQUE
DANS LA GRÈCE MODERNE

figure
Georges
de précurseur
Séféris fait,
et d'initiateur.
dans l'histoire
Dès ladepublication
la poésie de
néohellénique,
son premier
recueil Στροφή (qui signifie « Strophe » ou « Stance », mais aussi
«Tournant»), en 1931, la poésie dite «moderne» (1) pénètre dans
la poésie grecque, avec la double tendance des poètes « hyper-
conscients » et des poètes « voyants », opposés par le tempérament,
mais soucieux également de ramener à l'unité cosmique la variété
des apparences et des faits de l'univers (2). L'originalité de Séféris,
l'importance, la place de ce poète dans la poésie de la Grèce Moderne,
ont été plus d'une fois déjà soulignées et analysées. L'attribution
en 1963 du Prix Nobel (3) a attiré sur lui une particulière attention.
On a montré, on a rappelé comment il avait renouvelé la poésie
néohellénique du point de vue de l'inspiration, de la sensibilité et
des idées. On a moins parlé de l'expression elle-même, de la langue (4).

(1) Au sens où G. Spyridaki prend le mot (cf. La Grèce et la poésie moderne,


1954), p. 13 : « Le terme de poésie moderne convient à l'activité poétique de
notre époque, toutes les fois que celle-ci pose, dans ses créations, le problème
de l'unité du monde, au moyen d'un langage qui tente de recouvrer l'intégrité
de ses pouvoirs. »
(2) Ibid., p. 15-17.
(3) Cf. A. Mirambel, Georges Séféris Prix Nobel 1963 (Belles Lettres, 1964) ;
indications bibliographiques, p. 9-10, notes au bas des pages. Voir aussi
G. Georgiades Arnakis, The Tragedy of Man in the Poetry of George Seferis
(The Texas Quarter, Spring 1964, p. 57).
(4) Avec raison G. Spyridaki écrit (ibid., p. 19) : « Le langage dans lequel
s'incarne cette poésie se ressentira de ces préoccupations [vouloir tout assimiler] : il
serasoitd'unedensité chargée d'absolu, comme s'il voulait résorber toute essence,
soit d'une impalpable ténuité, et tentera de suggérer, par des moyens qui ressor-
tissent parfois au domaine de l'incantation, une certaine sensation d'univers. »
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Telle est la raison pour laquelle il a semblé utile de présenter ici un


certain nombre de remarques sur la langue de cet écrivain et sur son
apport à l'instrument d'expression poétique dans la Grèce
d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas là d'une simple présentation de «forme» ou de
langage extérieur au service d'une idée, mais de beaucoup plus,
de l'idée imposant l'expression, toute l'expression, tout le système
expressif. Il y a, en effet, chez Séféris, d'une part, un singulier
contraste entre la profondeur de l'idée et la simplicité de l'expression ;
mais, d'autre part, puisqu'il est question d'un poète moderne de
la Grèce, il y a à situer la langue dont il se sert dans le développement
général de la langue poétique comme instrument de l'expression
littéraire, en un pays où le problème de l'expression a joué — et
joue encore —· un rôle aussi important.

Nous avons jugé opportun, pour aider à la compréhension du


sujet qui sera ici traité, de reproduire un extrait d'un poème majeur
de Séféris, dans le texte grec suivi de sa traduction (1). Ainsi pourra-
t-on mieux saisir la nature de la relation de la langue à la pensée
chez le poète.

Γιατί πέρασαν τόσα και τόσα μπροστά στα μάτια μας


πού και τα μάτια μας δεν είδαν τίποτε, μα πάρα-πέρα
και πίσω ή μνήμη σαν το άσπρο πανί μια νύχτα σε
μια μάντρα
κι' άπό
πού είδαμε οράματα παράξενα, περισσότερα σένα
να περνούν και να χάνουνται μέσα στο ακίνητο
φύλλωμα μιας πιπεριάς *

γιατί γνωρίσαμε τόσο πολύ τούτη τη μοίρα μας


στριφογυρίζοντας μέσα σέ σπασμένες πέτρες, τρεις ή
εξι χιλιάδες χρόνια
ψάχνοντας σέ οικοδομές γκρεμισμένες πού θα είταν
'ίσως το δικό μας σπίτι
προσπαθώντας να θυμηθούμε χρονολογίες και
ηρωικές πράξεις '
θα μπορέσουμε ;

(1) Μυθιστόρημα [«Légende »), 1935, ρ. 75 de la 4e édition publiée chez


Ikaros à Athènes en 1963, La traduction est de G. Spyridaki, op, cit., p. 31-32,
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γιατί δεθήκαμε και σκορπιστήκαμε


και παλαίψαμε με δυσκολίες άνύπαρχτες όπως λέγαν
χαμένοι, ξαναβρίσκοντας ενα δρόμο γεμάτο τυφλά
συντάγματα
βουλιάζοντας μέσα σε βάλτους και μέσα στη λίμνη
του Μαραθώνα,
θα μπορέσουμε να πεθάνουμε κανονικά ;

« Parce que tant de choses ont passé devant nos yeux


nos yeux n'ont rien vu, mais plus loin
et en arrière, la mémoire comme la toile blanche une nuit
dans un enclos
où nous vîmes des apparitions étranges, plus encore que loi,
passer et se perdre dans le feuillage immobile
d'un poivrier;
parce que nous avons connu si bien ce destin qui est le nôtre,
tournant parmi des pierres brisées, depuis trois ou
six mille ans,
tâtonnant parmi des bâtiments en ruine qui étaient
peut-être notre propre maison,
essayant de nous remémorer les dates et les actions
héroïques ;
pourrons-nous?
parce que nous avons été enchaînés et dispersés
et poussés jusqu'au combat par des difficultés inexistantes, comme on
[disait,
égarés, retrouvant un chemin plein de régiments
aveugles,
nous enfonçant dans des marais et dans le lac
de Marathon,
pourrons-nous mourir selon les normes? ».

. j
.

Rarement, dans les littératures de l'Europe moderne et


contemporaine, le problème de la langue s'est posé avec autant d'acuité
que dans la Grèce des xixe et xxe siècles. En Grèce, la langue de la
poésie, — entendons celle des grands créateurs —, a contribué
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à jeter les bases de la langue littéraire tout au cours du siècle


dernier, et le mouvement, de nos jours, se poursuit. Bien entendu,
cette langue de la poésie a sa mission propre, mais elle a aussi, ·— ■ et
dans de vastes proportions, ■ —- aidé à élaborer la langue de
la prose et à faire de la langue communément parlée également une
langue écrite, la langue écrite. C'est ainsi que, dès les débuts de
la période qu'on peut appeler « nationale » des lettres néohelléniques,
au début du xixe siècle, une grande tradition se constitue avec
Denys Solomos, le fondateur et le chef de file de l'École Ionienne.
Du point de vue de l'expression, Solomos s'appuie sur la langue
démotique parlée rejetant le purisme, et sur la langue de la
littérature orale, celle des chansons populaires (1) ; il ajoutera ses
propres créations. Le principe sera ensuite défendu par les
contemporains ou les successeurs de Solomos, moins grands poètes, mais
non négligeables, ainsi Tertsétis et Typaldos, puis Markoras,
Martzokis et Mavilis, même aussi Valaoritis, poète de plus grande
envergure (2). Tous ces poètes ont le souci d'une « langue nationale »
au moment où se construit la Nation Hellénique. A la fin du xixe
siècle, nous rencontrons une attitude tout à fait comparable à celle
de Solomos chez Costis Palamas, qui domine l'époque, et chez les
poètes athéniens tels que Krystallis, Chatzopoulos, Vlastos et bien
d'autres, dont Golfîs, Tsirimokos, Mélachrinos, Skipis, Varnalis,
Kazantzakis, Sikélianos. Il faudrait ajouter les poètes contemporains,
quelles que soient les tendances ou les écoles dont ils se réclament.
Des poètes de cette génération seul s'écarte Cavafis, dont la langue
est d'une structure originale et toute différente (3). Georges Séféris,
dont l'œuvre couvre aujourd'hui un peu plus d'une trentaine

(1) Cf. D. Hesseling, Histoire de la littérature grecque moderne, p. 64-65 :


« ... il estimait que c'était dans les chansons populaires, dans la poésie des
kleftes, des pêcheurs et des montagnards, que se manifestait l'âme de l'Hellade.
Ce grec, il l'étudia avec passion. Il en fit une langue dans laquelle il exprima
les pensées les plus profondes... Il rassemblait les chansons de toutes les parties
de la Grèce... et évita, grâce à son éducation scientifique, mais plus encore par
son indépendance intellectuelle et la délicatesse de son sentiment, toute
imitation irréfléchie. Solomos était un esprit créateur. »
(2) La seule attitude divergente a été celle d'André Calvos, grand poète,
mais fort différent de Solomos. La langue de Calvos, faite de purisme associé
au vulgarisme, a été créée par lui et pour lui : elle ne convient qu'à lui seul.
(3) Voir Cavafy, Poèmes, Traduction et commentaire de G. Papoutsakis
(Belles Lettres, 1958). Préface, p. 10-13,
664 ANDRÉ MIRAMBEL

d'années, se réclame, en ce qui touche la langue, de la tradition


de la majeure partie des poètes de la Grèce Moderne, tradition
solide et vivante, dont seuls — on vient de le voir -— s'écartent
Galvos et Gavafîs qui constituent deux « cas ». Naturellement, il
n'est question dans les lignes qui suivent que de la langue, de
Yexpression, et non du contenu poétique, de l'inspiration, des
idées ; en ce domaine, il conviendrait, certes, de distinguer des
tendances, des courants, des apports sensiblement différents. Par
l'inspiration et par sa conception de l'univers, Séféris — en qui on
s'accorde à reconnaître l'un des représentants les plus originaux
de la « poésie moderne » telle qu'elle a été définie plus haut — se
trouve être fort différent des grands poètes précités. Mais pour ce
qui est de l'expression et de la langue, il continue délibérément
d'écrire sans s'écarter de la voie tracée par ses prédécesseurs vulga-
ristes.
Quantitativement, l'œuvre de Séféris, comme d'ailleurs celle de
Cavafis, n'est pas très étendue : elle tient en un volume, republié en
4e édition à Athènes, aux éditions Icaros, en 1963. Ce volume
contient 271 pages. C'est cette édition qui a été utilisée ici,
principalement pour l'analyse, le choix des exemples et les citations ; parfois
il a été fait recours aussi aux éditions antérieures et aux publications
éparses. Les traductions qui m'ont servi sont celles de Robert
Lévesque (1), de Georges Spyridaki (2), et de Jacques Lacarrière (3) ;
il m'est arrivé de traduire moi-même aussi quelques fragments (4).
Dans les lignes qui précèdent, on a tenté de situer Georges Séféris
dans l'ensemble du développement de la poésie néohellénique
pour ce qui est de l'attitude du poète devant le problème de la
langue. Il convient maintenant d'analyser les caractères par lesquels,
dans la langue justement, son expression peut se définir.

(1) Séféris, Choix de poèmes traduits et accompagnés du texte grec avec


une préface, Athènes (Icaros), 1945 (Collection de l'Institut Français
d'Athènes).
(2) La Grèce et la poésie moderne, passim, Paris (Belles Lettres), 1954
(Collection de l'Institut d'Études Byzantines et Néohelléniques, fasc. 15).
(3) Georges Séféris, Poèmes (1933-1935), traduits du grec par Jacques
Lacarrière et Êgérie Mavraki. Préface d'Yves Bonnefoy, Paris, 1963 (Mercure
de France).
(4) Sur les traductions françaises de G. Séféris, voir l'opuscule précité,
Georges Séféris Prix Nobel 1963, p. 12.
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRECE MODERNE 665

Tout d'abord, à cet égard, il est possible de dégager de l'ensemble


de l'œuvre de Séféris quatre traits généraux. Ces traits, déjà,
permettent d'estimer l'effort du poète pour élaborer la langue
poétique, à l'intérieur de l'histoire de la langue littéraire en général
dans la Grèce moderne et contemporaine.
Un premier trait est la simplicité des moyens d'expression. Aucun de
ces moyens ne relève d'une syntaxe rare (s'il est question de la
proposition simple ou de la phrase complexe), ni d'un vocabulaire
compliqué par l'effet d'une excessive recherche ou d'une difficulté
sémantique. Il est certain que, dans la tradition d'écriture des
grands poètes de l'Hellade actuelle, Séféris apparaît sans nul doute
comme celui qui recourt à la langue la plus sobre, la plus aisément
et directement accessible.
Second trait : Séféris fait effort pour concentrer son expression dans
des limites aussi mesurées que possible. Aussi le poète évite-t-il, dans
la phrase, les périodes, les amples développements, les effets de
longueur, d'exubérance de style, autant de modes expressifs
auxquels se sont complu tant d'autres poètes. Chez Séféris, l'expression
est concise, volontairement contenue. L'énoncé de la proposition
est réduit à l'essentiel, de manière à éviter toute surabondance,
tout excès. Telle est la raison pour laquelle c'est bien plutôt dans le
«mot» que réside l'art de Séféris : choix des mots, choix du mot,
association des mots, alors que la phrase et les relations interproposi-
tionnelles attestent à chaque instant une recherche quasi
systématique de la simplicité.
Le troisième trait général apparaît comme la conséquence
nécessaire des deux précédents : c'est ce qu'on peut appeler la transmissi-
bilité de la pensée du poète au public. Même lorsque, au début de sa
production, Séféris exprime l'isolement de l'être dans l'univers (1),
avant de retrouver plus tard la terre grecque (2), il a le souci de com-

(1) Cf. G. Spvridaki, op. cit., p. 29 : « L'idée de l'univers intervient cependant


chez Séféris plutôt par le sentiment de sa privation que par celui de sa conquête.
La conscience de notre poète est une conscience insatisfaite, accablée,
nullement triomphante... D'où le sentiment de solitude qui traverse cette poésie...
La Citerne symbolise la solitude de l'être devant le monde qui lui reste
étranger : solitude d'une eau secrète qui s'enrichit. »
(2) Ibidem, p. 45 : « Séféris a dit dans un de ses poèmes : « Partout où je
vais je porte en moi la Grèce comme une blessure. » La notation me paraît
belle et profonde. Elle exprime la netteté cruelle et quasi tragique du paysage
grec » ; et p. 161 : « Sa poésie dense et sombre reflète volontiers l'aspect tragique
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muniquer sa pensée aussi largement que possible; d'où, en dépit des


symboles, le caractère concret et immédiatement saisissable de
son expression. Est évité par lui tout ce qui serait de nature à créer
un obstacle entre le commun du public et lui-même.
Le quatrième trait, enfin, consiste dans l'unité de langue.
Entendons par là qu'il ne se rencontre pas de différence essentielle, pas
d'évolution, entre la langue des premiers poèmes et celle des derniers.
Le poète est parvenu très tôt et tout de suite à une maturation et à
un achèvement d'expression remarquables si l'on songe aux efforts
de tant d'autres, qui ont abouti à une diversité de langue et à des
« manières » d'écriture multiples, et si l'on songe aux difficultés
majeures que la langue grecque moderne offre à ceux qui en font le
mode d'expression de leur pensée. Pour Séféris, c'est à l'intérieur
d'une forme fixée en ses traits essentiels que la pensée a pu se
mouvoir et évoluer (1).
La langue poétique, dans la Grèce moderne, apparaît selon trois
modes :
a) l'expansion et l'exubérance ; Palamas d'abord, puis Sikélianos
en sont les plus illustres exemples ;
b) la limitation et la recherche subtile ; Cavafis représente par
essence cet effort créateur en matière d'expression ;
c) la simplicité et le naturel ; Séféris offre là le modèle le plus net.
Les traits que nous avons relevés comme caractérisant la langue de
ce poète rejoignent cette tendance.
Il s'agit maintenant de procéder à l'analyse de l'expression
séférienne. On étudiera, en premier lieu, la structure de la phrase, et,
en second lieu, le vocabulaire.

de la Grèce. Cette poésie cérébrale comporte, toutefois, une note d'affectivité


très humaine. »
(1) L'évolution de cette pensée a été bien mise en relief par G. Spyridaki
(op. cit., p. 25-38) : tout d'abord il y a le poète de Στροφή (1931), qui tente la
synthèse des deux tendances attestées par la « poésie moderne », d'un côté
l'univers ramené au moi, de l'autre l'abolition du moi comme obstacle à l'unité
du monde ; puis il y a le poète de Στέρνα (1932), qui considère le problème de
l'unité du monde sous l'aspect négatif, soit l'impossiblité de s'unir au monde ;
il y a ensuite le poète de Μυθιστόρημα (1935), où la mythologie prend une valeur
universelle, mais sans écarter l'angoisse ; il y a enfin le poète de Κίχλη (1946),
qui, après Eliot, procède à une révision du symbolisme antérieur. — Ces
attitudes diverses du poète n'ont pas agi sur sa langue.
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 667

. JJ . .

La syntaxe de Séféris atteste principalement les deux caractères


suivants :
1°) en ce qui concerne la « proposition simple », c'est le recours
fréquent à la phrase nominale ;
2e) pour ce qui est des relations interpropositionnelles, c'est
la prédominance de la coordination sur la subordination.
Certes, ces deux traits sont loin de constituer le privilège exclusif
de la langue de Séféris. On les retrouverait chez d'autres poètes de
la Grèce moderne. En outre, ils appartiennent à la langue démotique
commune (1), sans même parler des dialectes (2) : le grec commun
ou « roméique » (3) atteste un usage fréquent de la phrase nominale
à côté de la phrase verbale, ainsi qu'un notable développement de la
coordination au lieu de la subordination, dans les rapports entre
propositions.

I. Phrase nominale.

Dans la langue de Séféris, l'emploi de la phrase nominale est


très fréquent. Il s'agit, quant au principe, de l'énoncé d'un prédicat
au moyen d'éléments nominaux à l'exclusion de tout élément
verbal. En grec, les énoncés qui relèvent de ce type sont variés,
car la langue a la possibilité, pour le substantif, de recourir à l'article
défini ou de ne pas exprimer l'article, en outre, de modifier l'ordre
des termes dans l'énoncé.
Les exemples qui suivent montrent ces diverses ressources,
que le poète a utilisées largement, et qui sont aussi celles de la
langue démotique commune.

(1) Cf. La langue grecque moderne, description el analyse (Klincksieck), 1959,


p. 257-276, et p. 296-334, où j'ai essayé d'analyser ces faits.
(2) Cf. Dialectes néohelléniques cl Syntaxe (Bulletin de la Société de
Linguistique, t. LXIII, fascicule 1, 1963), p. 85-134, notamment p. 111-120 et 125-
126, où a été tentée l'étude de ces faits dans les dialectes néogrecs.
(3) Pour la signification de ce terme et sa justification, cf. L. Roussel,
Grammaire descriptive du roméique littéraire, 1922, p. ix ; roméique désigne le
grec moderne, courant ou littéraire, à l'exclusion des dialectes, et, naturellement,
de la langue savante ou mixte.
668 ANDRÉ MIRAMBEL

1°) Prédicat constitué de deux termes dont le sujet ne comporte


pas d'article. Ainsi (Ή Στέρνα « La Citerne », p. 41) : σκεπή της
βήματα ήχερα « elle porte pour toiture des pas sonores » (trad.
R. Lévesque) (littéralement : « sa toiture pas sonores », c'est-à-dire :
« sa toiture [est] ou [est faite de] pas sonores ». Ou encore (Τετράδιο
Γυμνασμάτων « Cahier d'Exercices », Raven, p. 147) : Χρόνια
σαν τα φτερά « Années comme des ailes » (trad. J. Lacarrière) (la
traduction reproduit exactement le texte grec, c'est-à-dire : [Les]
années [sont] comme des ailes », et, en se référant à la suite du poème :
« Les années écoulées appartiennent à un passé enfui, dont le souvenir
s'est perdu »).
2°) Liberté de construction du prédicat grâce à l'article défini
qui accompagne le sujet et permet, par conséquent, soit l'antépo-
sition de ce sujet, soit sa postposition par rapport à l'attribut. On
rencontre ainsi, selon la construction du premier type ('Ημερολόγιο
Καταστρώματος Α' « Journal de bord I », Ό βασιλιάς της 'Ασίνης
«Le roi d'Asiné », p. 191) : ό ποιητής Ινα κενό « le poète un vide»
(trad. R. Lévesque, J. Lacarrière) (là encore les traducteurs ont
littéralement suivi le texte grec, c'est-à-dire : « le poète [est] un vide).
Ou encore (Στροφή «Strophe », "Αρνηση «Négation», p. 17) : μα
το νερό γλυφό « mais l'eau est saumâtre », littéralement : « mais
l'eau [est] saumâtre ». De même (Τετράδιο Γυμνασμάτων, Επιφάνια
1937 « Epiphanie 1937 », p. 146) : το χιόνι και το νερό παγωμένο
στα πατήματα των αλόγων «la neige et l'eau glacée sont aux traces des
chevaux», littéralement : «la neige et l'eau glacée [sont] aux traces...».
Et ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Γ' « Journal de bord III », "Εγκωμη
« Engomi ») : στον ουρανό τα σύννεφα πολλές καμπύλες « dans le
ciel maintes volutes de nuages » (trad. J. Lacarrière), littéralement
« dans le ciel les nuages nombreuses volutes », c'est-à-dire « dans
le ciel les nuages [sont] de nombreuses volutes ».
Voici maintenant des exemples de la construction du second type.
(Στροφή, Αυτοκίνητο « Automobile », p. 16) : φτιασίδι ό νους,
φτιασίδι το αίμα « l'esprit est un fard, le sang est un fard »,
littéralement : « fard [est] l'esprit, fard [est] le sang ». Ou encore (Τετράδιο
Γυμνασμάτων, Περιγραφή «Description», p. 104) : δικό της τδ χρώμα,
το ρίγος και το δέρμα « la couleur, le frisson, la peau sont à elle »,
littéralement : « siennes [sont] la couleur, le frisson, la peau ». Les
exemples seraient aisément multipliés. On pourrait aussi ajouter
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 669

à ces emplois de la proposition nominale ceux dans lesquels la


proposition nominale est liée à une proposition verbale coordonnée,
comme ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Β' «Journal de bord II»,
Τελευταίος Σταθμός « Dernière élape », p. 218) : ρίζες τα νεΰρα του
κι απλώνουν σαν έρθει ό θέρος « ses nerfs sont des racines qui
s'étendent quand arrive la moisson », littéralement : « racines [sont]
ses nerfs et ils s'étendent quand... », etc.
Sans nous appesantir davantage sur la variété et les possibilités
syntaxiques des propositions nominales dans l'usage qu'en fait
Séféris, nous noterons que le poète y recourt principalement lorsqu'il
veut fixer soit une attitude remarquable d'un personnage qui
mérite d'être retenue, soit un caractère permanent d'un être ou d'un
objet. Ce dernier cas, certes, est plus commun, et plus conforme à
l'usage courant. Le premier, toutefois, appartient plus proprement
à Séféris, et l'on pourrait sans peine en suivre le développement dans
l'expression ou dans le renouvellement des images et des métaphores,
comme des symboles (voir plus bas à propos du style) ; de lui
relèveraient, par exemple, les propositions mentionnées précédemment
ό ποιητής ενα κενό « le poète est un vide », φτιασίδι 6 νους, φτιασίδι
το αίμα « l'esprit est un fard, le sang est un fard ». L'intérêt d'une
étude de la phrase nominale chez Séféris est essentiellement de
montrer comment le poète utilise ce type de proposition à des fins
esthétiques et comment il sait en tirer parti.

II. Relations interpropositionnelles et coordination.

Dans les rapports entre les propositions, Séféris se sert relativement


peu de la subordination.
Les seules subordonnées qu'il utilise sont soit des propositions
relatives introduites par l'adverbe-pronom πού, soit des propositions
complétives introduites par les conjonctions πώς ou va (parfois
για να marquant le but, ou σά να marquant la comparaison).
Ainsi, avec πού, on rencontre (Στροφή, ρ. 13) : στιγμή σταλμένη
άπο ενα χέρι πού είχα τόσο αγαπήσει... « instant envoyé par une
main que j'avais tant aimée... » ; ou encore (Μυθιστόρημα «Légende»,
p. 61) : σπασμένα ξύλα άπο ταξίδια πού δεν τέλειωσαν, σώματα
πού δεν ξέρουν πια πώς ν' αγαπήσουν « des épaves brisées de
voyages inachevés, des corps qui ne savent plus comment aimer»
(trad. R. Lévesque) ; ou, avec une valeur de conjonction complétive
670 ANDRÉ MIRAMBEL

(ibid.) : μας φαίνεται παράξενο πού κάποτε μπορέσαμε να χτίσουμε...


« il nous paraît étrange d'avoir pu bâtir autrefois... ».
Voici, avec πώς, (« Κίχλη » « La Grive », p. 224) : συλλογιέμαι
πώς κάποιος ετοιμάζεται... «je me dis que quelqu'un s'apprête... »
(trad. J. Lacarrière).
On trouve, avec va complétif : ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Α',
p. 166) : Είπες να ξεκουραστούν πρώτα κ' έπειτα να μιλήσουν
« Tu leur dis de se reposer, de ne parler que plus tard » (trad. J.
Lacarrière). Les exemples ne manquent pas, mais l'usage est banal. Seul
est à remarquer l'emploi de va au sens de για να « pour que »,
aussi fréquent que για να chez le poète, ainsi (ibid., p. 173) : και δεν
μπορώ να γυρίσω πίσω να ιδώ τα πρόσωπα σας στ' ακρογιάλι « et
je ne peux me retourner pour voir vos visages sur la rive » (trad.
Lacarrière).
Mais la subordination demeure, chez Séféris, assez limitée et
assez peu variée. C'est la coordination qui est de beaucoup
l'expression la plus fréquente de la relation interpropositionnelle.
On notera les exemples suivantes : (Στροφή, ρ. 35) μα είναι
στιγμές και σβήνουνται και βασιλεύει δίκλωνος ό λογισμός του
πόθου μου « mais il est des moments qui s'effacent et où règne,
de deux fils enlacée, la raison de mon désir » (littéralement : « mais il
y a des moments et ils s'effacent et règne... »). Ici la coordination
permet d'unir en un seul énoncé des propositions que la
subordination devrait dissocier : «... qui s'effacent et où règne... » ; il faudrait
deux mots subordonnants différents ; (Τετράδιο γυμνασμάτων,
p. 91) άν τύχει κι' αστράψει ή βουβή πολεμίστρα « s'il arrive
qu'éclaire la muette meurtrière» (littéralement : «s'il arrive et éclaire») ;
(Μυθιστόρημα, p. 77) άν τύχει και μαυρίσει στή μνήμη τους το
αίμα και ξεχειλίσει « s'il arrive que dans leur mémoire le sang
noircisse et déborde... » (trad. R. Lévesque) (littéralement : « s'il
arrive et noircit dans leur mémoire et déborde... ») ; (« Κίχλη », p. 230)
χώρες του ήλιου και δεν μπορείτε ν' αντικρίσετε τον ήλιο,
χώρες του ανθρώπου και δεν μπορείτε ν' αντικρίσετε τον άνθρωπο
« pays du soleil qui ne pouvez supporter la vue du soleil, pays
de l'homme qui ne pouvez supporter la vue de l'homme » (trad.
Lacarrière) (littéralement : «pays du soleil et vous ne pouvez regarder
en face le soleil, pays de l'homme et vous ne pouvez regarder en face
l'homme »).
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 671

L'utilisation fréquente de la coordination répond chez Séféris au


besoin d'une notation plus directe des impressions, comme si le
monde extérieur qu'il découvre lui imposait successivement ses
propres caractères, dans une vision concrète plutôt que dans une
interprétation élaborée et construite. Nous sommes loin ici de la
dialectique d'un Palamas ou de la période d'un Sikélianos.
Ce qui est à remarquer, en effet, chez Séféris, ce sont les phrases
courtes : ce sont aussi les propositions simplement juxtaposées.
Voici (par exemple) (Ερωτικός Λόγος « Propos d'amour », p. 33)
Τα μυστικά της θάλασσας ξεχνιούνται στ' ακρογιάλια.
Ή σκοτεινάγρα του βυθοΰ ξεχνιέται στον άφρο
«Les secrets de la mer s'oublient sur la rive,
La ténèbre des profondeurs s'oublie parmi l'écume» (trad.Lévesque).
Le poète ne cherche nullement à éviter la même structure propo-
sitionnelle, avec les mêmes constructions (ici ξεχνιούνται, et
ξεχνιέται précédés du sujet et suivis du complément de lieu),
s'il estime que telle est la plus juste expression du moment.
Ainsi (Γυμνοπαιδία, Β' Μυκήνες, p. 83) :
Είδα μέσα στη νύχτα
τη μυτερή κορυφή του βουνού,
είδα τον κάμπο πέρα πλημμυρισμένο
με το φως ενός άφανέρωτου φεγγαριού,
είδα, γυρίζοντας το κεφάλι,
τις μαύρες πέτρες συσπειρωμένες...
« J'ai vu dans la nuit la cime aiguë de la montagne. J'ai vu la
plaine au loin inondée de la lueur d'une lune invisible. J'ai vu,
tournant la tête, les noires pierres entassées... » (trad. Lévesque).
Nombreux sont les poèmes de Séféris qui ne sont composés que
de strophes aux vers brefs. La première pièce de son premier recueil
(Στροφή, ρ. 13) ne comprend que trois strophes de quatre vers
courts, voici la première :
Στιγμή σταλμένη άπο εν α χέρι
πού είχα τόσο αγαπήσει
με πρόφταξες ίσια στή δύση
σα μαΰρο περιστέρι
« Instant lancé par une main que j'avais tant aimée, tu m'as atteint
jusqu'au couchant, comme une colombe noire ».
672 ANDRÉ MIRAMBEL

Sur les quatorze pièces de ce premier recueil, trois seulement


ont des vers longs. Par la suite, le poète reviendra fréquemment
aux vers courts ; ainsi (Γυμνοπαιδία, ρ. 48, dont je ne donne que la
première strophe) :
Στάξε στη λίμνη
μόνο μια στάλα κρασί
και σβήνει ό ήλιος
« Jette dans le lac une seule goutte de vin, le soleil s'obscurcit »
(trad. Lacarrière), ou, plus tard (Ημερολόγιο Καταστρώματος
Β', Ό Στρατής Θαλασσινός στή Νεκρή Θάλασσα, ρ. 210, dernière
strophe de la pièce) :
Στή Νεκρή Θάλασσα
οχτρούς και φίλους
παιδιά, γυναίκα
καΐ συγγενείς,
άει να τους βρεις.
Είναι στα Γόμορα
κάτω στον πάτο
πολύ ευτυχείς
πού δεν προσμένουν
καμιά γραφή
« Dans la Mer Morte, ennemis et amis, enfants et femme et parents,
va les chercher; ils sont à Gomorrhe au fond du fond, très heureux
de n'avoir pas à attendre de missive» (trad. Lévesque).
Mais la phrase - —- simple ou complexe —, la pièce ■ — brève ou
longue —-, le vers — court ou développé — , sont constitués à
l'aide des mots, dont il y a lieu maintenant d'esquisser l'analyse.

— III —

Le vocabulaire de Séféris peut se définir, dans l'ensemble, par les


trois caractères suivants :
1°) D'abord l'utilisation quasi constante du lexique populaire,
des mots les plus courants (substantifs, adjectifs, verbes), qui
appartiennent à la littérature populaire orale (des chansons et des
contes), aussi bien qu'au parler quotidien des gens du peuple. Une
étude statistique du vocabulaire de Séféris révélerait un très large
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 673

emploi de termes qui, dans la langue courante, atteignent des


fréquences élevées. De ce caractère populaire du lexique, je donnerai un
exemple. C'est, dans le premier recueil Στροφή, la pièce intitulée
"Αρνηση «Désaveu» (p. 17), première strophe :
Στο περιγιάλι, το κρυφό
κι άσπρο σαν περιστέρι
διψάσαμε το μεσημέρι'
μα το νερό γλυφό
« Sur le rivage dérobé à la blancheur de colombe, nous avons eu soif,
à midi, mais Veau avait un goût saumâlre ».
Ce début rappelle une chanson populaire bien connue :
κάτω στο γιαλό
κάτω στο περιγιάλι
« tout en bas au bord de la mer, tout en bas sur le rivage ».
De la langue populaire, qu'il a d'instinct, mais aussi
systématiquement, utilisée, le poète a su mettre en valeur toutes les qualités :
l'exactitude dans le pittoresque, — ou plutôt le pittoresque d'où naît
l'exactitude — , la couleur, l'harmonie (1). Les thèmes populaires des
chansons, dont il a repris certains, comme la ξενιτεια ou l'éloigne-
ment du pays, l'héroïsme des chants cleftiques, la mort et Χάρος,
la passion amoureuse, etc. sont sans doute, quant au fond, repensés
par le poète, mais son expression est très proche de l'expression
populaire des chansons. Ainsi, une chanson populaire, pour le
thème de la ξενιτεια, commence par ces mots (2) :
κίνησαν τα καράβια, τα Ζαγοριανα,
να παν μακριά στα ξένα, στη δόλια ξενιτεια
« ils se sont mis en route, les bateaux, les bateaux de Zagora, pour
s'en aller au loin, à l'étranger, vers les lointaines terres perfides. »
On peut aisément comparer, pour le vocabulaire, ce texte à celui
de Séféris dans le recueil Μυθιστόρημα (poème 'Αργοναύτες, ρ. 53) :
Περάσαμε κάβους πολλούς, πολλά νησιά, τη θάλασσα
πού φέρνει στην άλλη θάλασσα...
μα δεν τελείωναν τα ταξίδια ...
Οι σύντροφοι τέλειωσαν με τη σειρά
με χαμηλωμένα μάτια

(1) Cf. Georges Séféris, Prix Nobel 1963, op. cit., p. 71-72.
(2) Cf. D. Pétropoulos, Ελληνικά δημοτικά τραγούδια, t. Β', ρ. 161.
674 ANDRÉ MIRAMBEL

« Nous avons dépassé bien des caps, bien des îles, la mer qui mène à
l'autre mer... Mais les voyages n'avaient pas de fin... Les compagnons
sont morts tour ci tour, les yeux baissés » (trad. Lévesque).
Il n'est aucun mot ici, employé par le poète, qui ne pourrait se
rencontrer dans la chanson populaire.
2°) Le second caractère du vocabulaire de Séféris, sur lequel
nous reviendrons, est la prédominance de V association des mots sur
la composition. Par « association », nous entendrons ici l'expression
des diverses sensations, également les contrastes ou oppositions,
les métaphores ou les images. Ce sont, d'une manière générale, les
ressources que le poète trouve dans le contact des mots, sous des
formes diverses. Le rendement (1) peut être supérieur même à la
composition, car celle-ci aboutit à un enrichissement du vocabulaire
en unités dont le nombre s'accroît, mais reste limité aux éléments
de la composition : καρδιοχτύπι «battement de cœur» ajoute,
certes, à καρδιά « cœur » et à χτύπος « coup » ; mais, une fois créé le
composé, la valeur sémantique reste fixée. Les associations de mots,
au contraire, sont illimitées. Que l'on pense au parti qu'il est
possible au poète, dans cette perspective, de tirer par exemple de
mots comme σκοτάδι « obscurité, ombre », καρδιά « cœur », πέλαγος
ou θάλασσα « mer ». On a, par exemple, pour ce mot (Μυθιστόρημα,
p. 63) : ή θάλασσα .... βαθεια κι ανεξερεύνητη « mer... profonde
et insondable» (trad. Lacarrière), et (ibid., p. 64), ailleurs (Γυμνο-
παιδία, p. 81) : στη θάλασσα τη σκοτεινή « sur la mer obscure »
(id.) ; ou (Τετράδιο Γυμνασμάτων, Σχέδια για ενα καλοκαίρι,
Επιφάνια 1937, ρ. 145) : σαν την ανθρώπινη φωνή της νυχτερινής
θάλασσας στα χαλίκια « comme la voix humaine de la mer nocturne
sur les galets » (trad. Lévesque) ; το χαμογέλιο της θάλασσας
« le sourire de la mer» (id.); et ή θάλασσα, θρυμματισμένο γυαλί
(« Κίχλη », ρ. 232) « la mer vitre émiettée » (trad. Lacarrière) ; στα
σαγόνια της θάλασσας ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Γ', ρ. 243)
«dans les mâchoires de la mer» (id.) ; στή θάλασσα τήν παντοτινή
«vers la mer éternelle» (Τετράδιο, ρ. 141, trad. Lacarrière). Et,
pour πέλαγος (ou πέλαγο), (id.) : το πέλαγο τόσο πικρό για τήν
ψυχή σου ... τώρα γεμάτο χρώματα « la mer, rude jadis à ton âme ...et
maintenant pleine de couleurs » (trad. Lacarrière) ; (Στέρνα, ρ. 42) :

(1) On reviendra plus loin sur cet aspect du vocabulaire de Séféris.


G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 675

όταν βυθίσουν όλα τα πανιά στην άκρη του πελάγου « quand toutes
voiles se sont perdues aux confins de la mer » (trad. Lévesque) ;
(Τετράδιο Γυμνασμάτων, p. 148) : στρώνοντας τ6 πέλαγο ως πέρα στον
ορίζοντα « aplanissant la mer jusqu'à l'horizon » (trad. Lacarrière) ;
(Μυθιστόρημα, p. 52) : το χρυσάφι του πελάγου « Vor de la
mer », etc. Le lexique populaire, soit de la littérature orale,
soit de l'usage courant, présente, pour ces divers aspects de
la mer qu'évoque le poète, des mots composés : άνοιχτοπέλαγο,
άσκοθάλασσα, κοντοθάλασσο, φουσκοθαλασσιά, πελαγοδαρμος, πικρο-
θάλασσα, θαλασσόπατο, θαλασσόβραση, θαλασσοταραχή, θαλασσό-
φρυδο, etc. (1).
3°) Un troisième caractère du vocabulaire chez Séféris est la
transposition de la langue ancienne dans le grec démotique actuel
commun (2). C'est en partant des œuvres de la littérature grecque
ancienne, évoquées à propos de telle vision récente de la Grèce, de
tel paysage, de telle scène, de telle attitude ou de tel acte de
personnages, que l'expression antique impose ou suggère au poète l'actuelle
expression à laquelle il s'arrête. Nous nous bornerons ici à la seule
expression, sans aller au-delà du vocabulaire pour examiner, par
exemple, l'influence du mythe antique sur la poésie séférienne (3).
Souvent le texte antique est transcrit en tête du poème, pour être
utilisé dans le développement même de la pièce, mais dans une langue
transposée. Voici quelques exemples. On lit dans Μυθιστόρημα
(p. 53) :
... τα κουπιά τους
δείχνουν τό μέρος πού κοιμούνται στ' ακρογιάλι.
Κανείς δεν τους θυμάται
« ...leurs avirons désignent V endroit de la grève où ils dorment. Nul
ne se souvient d'eux» (trad. Lévesque).

(1) Cf. P. Vlastos, Συνώνυμα και Συγγενικά, ρ. 312.


(2) Cet aspect du vocabulaire de Séféris a été traité récemment par
P. D. Mastrodimitris, Ή αρχαία παράδοσις εις την ποίησιν τοϋ Σεφέρη
(Κείμενα καί μελέται νεοελληνικής φιλολογίας, 17, Athènes, 1964), pour
l'inspiration, mais aussi pour les influences de forme. Voir également, dans l'édition
des Ποιήματα, le Γλωσσάρι, ρ. 275-280.
(3) C'est ce qu'indique, dans l'étude précitée, P. Mastrodimitris pour le
mythe d'Hélène (op. cit., p. 18-22, Ή «Ελένη » καί ό παράλληλος μΰθος).
676 ANDRÉ MIRAMBEL

Ce passage est inspiré de VOdyssée (chant XI, vers 75-78) :


σήμα τέ μοι χεΰαι πολιής επί θινί θαλάσσης,
ανδρός δυστήνοιο και έσσομένοισι πυθέσθαι '
ταΰτα τέ μοι τελέσαι, πήξαί τ' επί τύμβω έρετμον,
τω και ζώος ερεσσον ...
Voici encore, dans Τετράδιο Γυμνασμάτων (ρ. 132) :
κι δμως υπάρχει ή θάλασσα και ποιος θα την εξαντλήσει ;
«pourtant la mer existe et qui l'épuisera ?» (trad. Lacarrière).
Ce vers rappelle le vers 958 de Y Agamemnon d'Eschyle :
"Εστίν θάλασσα — τίς δέ νιν κατασβέσαι ;
Enfin ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Α', ρ. 176) :
Χαμήλωνε το φως πάνω άπο τη συννεφιασμένη μέρα,
κανείς δέν αποφάσιζε.
Την άλλη αυγή δέ θα μας έ'μενε τίποτε · ολα παραδομένα *
μήτε τα χέρια μας.
Κ' οι γυναίκες μας ξενοδουλεύοντας στα κεφαλόβρυσα
και τα παιδιά μας
στα λατομεία
« La lumière baissait par-dessus le jour plein de nuages, nul ne se
décidait. A Vaube qui allait venir, il ne nous resterait rien; tout
serait livré; nous n'aurions même plus nos bras; nos femmes iraienl
travailler aux sources, et nos enfants dans les carrières ».
Le mot grec κεφαλόβρυσο « source d'eau courante » avee le
contexte est inspiré du passage de l'Iliade (VI, 457), où Hector
évoque devant Andromaque les malheurs qui l'attendent si elle
tombe entre les mains ennemies :
και κεν ΰδωρ φορέοις Μεσσηίδος ή Ύπερείης
Quant au mot λατομεία du poème de Séféris (les λατομεία
où seraient envoyés les enfants), il rappelle le passage de Thucydide
(VII, 87) : τους δ' εν ταΐς λιθοτομίαις οι Συρακόσιοι χαλεπώς τους
πρώτους χρόνους μετεχείρισαν.

Il convient maintenant de s'arrêter à deux caractères du


vocabulaire de Séféris, auxquels il a été fait plus haut allusion, et qui
constituent, dans leur opposition, l'une des principales origina-
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 677

lités, sinon la plus remarquable, de la langue de ce poète. Il s'agit


de la composition, d'une part, et, d'autre part, de Γ 'association des
mots.

La composition, ■—· bien qu'offrant un emploi moindre chez Séféris


que chez d'autres poètes, bien que Séféris lui-même lui préfère la
recherche dans le groupement des mots, — · mérite néanmoins
quelques remarques. Sans doute rencontre-t-on dans les Ποιήματα
un nombre suffisant de mots composés. Mais ces mots appartiennent
au vocabulaire courant du grec démotique. Tels sont, par exemple
(nous citons au hasard) : γλυκοξυπνήσανε « se sont doucement
éveillées » (Ή Στέρνα, p. 44), οι μυροφόρες « les porteuses de myrrhe »
(id.), το καρδιοχτύπι « le battement de cœur» (id., p. 43), ορθάνοιχτα
« grands ouverts » (id., p. 42), φτεροκοπάει « il bat des ailes »
(Μυθιστόρημα, p. 49), χελιδονόψαρα « hirondelles de mer » (Τετράδιο
Γυμνασμάτων, p. 127), το καραβόσκυλο « le chien de bord» (id.),
κορυφογραμμές «les lignes des sommets» [id.), μαντατοφόρους
« messagers, litt. : porteurs de nouvelles » (Ελένη, ρ. 244), etc.
Un dépouillement des poèmes de Séféris fait apparaître un
très petit nombre de composés dus à la création originale du poète.
Par exemple : άστρονομίζεται (Στροφή, p. 21) : ένας
απαυδισμένος άνθρωπος ρίχνει τα χαρτιά, ψάχνει, άστρονομίζεται,
γυρεύει « un homme découragé consulte les cartes, scrute, interroge
les astres, cherche », le verbe étant tiré de αστρονόμος ; δαχτνλο-
δειχτονμενος (Ημερολόγιο Καταστρώματος Β', ρ. 212) : προχωρεί
παραπατώντας, δαχτυλοδειχτούμενος « il s'avance en trébuchant, tandis
qu'on se le montre du doigt », le mot étant formé de δάχτυλο
et de δείχτης « index », avec une terminaison de participe ;
ελικοξλεφαρη (« Κίχλη », p. 224) : μια γυναίκα έλικοβλέφαρη « une
femme à la prunelle prompte » (trad. Lacarrière), littér. « à la
paupière en spirale (en hélice) », formé de ελιξ (ou έλικα) et de
βλέφαρο, selon le type des composés έλικοβόστρυχος, έλικοκέρατος,
etc. ; θαλασσοφίλητη ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Γ', ρ. 243) : στην
Κύπρο τή θαλασσοφίλητη «d Chypre embrassée par les vagues» (trad.
Lacarrière), de θάλασσα et d'un adjectif verbal tiré de φιλώ ;
παφιοπέδιλα (Τετράδιο Γυμνασμάτων, p. 132) : θυμούμαι τα
παφιοπέδιλα στον άλλο χειμώνα κλεισμένα στή ζέστη « je me rappelle
les brodequins de Paphos l'autre hiver enfermés au chaud», de πάφιος
678 ANDRÉ MIRAMBEL

et de πέδιλο « sandale, brodequin » ; πεφταστέρι (id., p. 125) :


σα να βλέπα για πρώτη φορά ενα πεφταστέρί « comme si je
voyais pour la première fois une étoile filante », formé de πέφτω
et de αστέρι « étoile », au lieu des vocables courants πετούμενα
άστρα, litt. « astres volants », ou διάττοντες αστέρες ; αωαίτριχα
(Τετράδιο Γυμνασμάτων, ρ. 108) : αγοράζουν κουφέτα για να
παντρευτούνε, κρατούν « σωσίτριχα », φωτογραφίζουνται « ils achètent
des dragées pour se marier, ils tiennent à la main des « lotions
capillaires », ils se font photographier » (trad. Lacarrière), de la
racine de σώζω et de τρίχα ; χαμηλοτάξανη (id., p. 128) : είδα
και μιά παλιά εικόνα σε κάποια χαμηλοτάβανη αίθουσα « je vis
aussi un vieux tableau... dans une salle au plafond bas » (trad.
Lacarrière), de χαμηλός et de ταβάνι « plafond » ; ψνχαμοιβός
(« Κίχλη », p. 228) : ό πόλεμος ψυχαμοιβος « Ares changeur
d'âmes » (trad. Lacarrière), c'est à dire « la guerre qui donne des
âmes en échange (de la victoire) » ; le terme ψυχαμοιβος est calqué
sur l'épithète χρυσαμοιβός, caractérisant jadis Ares, qu'on trouve
dans Eschyle (Agamemnon, ν. 436 : ό χρυσαμοιβός δ' "Αρης σωμάτων
« Ares qui échange des corps contre de Γ argent »).

Mais c'est principalement sur l'utilisation du vocabulaire simple


et non composé que s'est porté l'elïort de Séféris : recherche de
la précision des mots, choix judicieux des ternies (substantifs,
adjectifs), ressources offertes par les associations lexicales.

Ce sont, tout d'abord, les accumulations (nous avons déjà


mentionné plus haut les répétitions voulues de termes ou de structures
propositionnelles). Ici, notons d'abord des accumulations de verbes,
lorsque le poète veut produire une impression de mouvements
qui se succèdent rapidement ou s'entrecroisent ; ainsi (Στροφή,
p. 36) : ... ή αχόρταγη τους γνώμη κλώθει, πληθαίνει, στρίβει, απλώνει
κρίκους στο κορμί (il s'agit de serpents) « ...leur insatiable pensée file,
multiplie, enroule, étend des anneaux sur le corps ». Un autre procédé
d'accumulation consiste à rapprocher plusieurs termes présentant
une assonance, de manière à obtenir, par l'allitération qui en résulte,
un effet de rythme et d'harmonie, ainsi (Γυμνοπαιδία, ρ. 82) :
όταν 6 κύβος χτύπησε στην πλάκα,
δταν ή λόγχη χτύπησε το θώρακα,
δταν το μάτι γνώρισε τον ξένο...
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 679

« quand le dé a frappé la dalle, quand la lance a heurté (frappé)


la cuirasse, quand l'œil a reconnu l'étranger... » (trad. Lévesque)
et, dans la même pièce, quelques lignes plus loin :
όταν κοιτάζεις γύρω σου και βρίσκεις
κύκλο τα πόδια θερισμένα,
κύκλο τα χέρια πεθαμένα,
κύκλο τα μάτια σκοτεινά ...
« quand tu regardes ci l'entour et trouves autour de toi les pieds fauchés,
(autour de toi) les mains mortes, (autour de loi) les yeux ténébreux... »
[id.).
Le poète a recherché l'expressivité en adaptant à un même
nombre de syllabes dans chacun de ses vers des mots de structure
extérieure identique, et avec une égale répartition des accents :
δ-ταν ό κύ-βος χτύ-πη-σε
ο-ταν ή λόγ-χη χτύ-πη-σε
ο-ταν το μά-τι γνώ-ρι-σε
et, plus bas :
κύ-κλο τα πό-δια θε-ρισ-μέ-να
κύ-κλο τα χέ-ρια πε-θα-μέ-να
II y a également les répétitions, soit de mots, soit de groupes de
mots. Déjà, on pourrait mentionner, dans les vers qui viennent d'être
examinés à un autre point de vue, les effets produits par la
réitération de χτύπησε, de κύκλο. Les exemples sont nombreux. Voici,
pour les mots simples (Τετράδιο Γυμνασμάτων, ρ. 154) :
μέσα στις θαλασσινές σπηλιές
υπάρχει μια δίψα, υπάρχει μια αγάπη,
υπάρχει μια έ'κσταση...
« dans les grottes marines il y a une soif, il y a un amour, il y a une
extase... » (trad. Lacarrière) ;
ou encore ('Ημερολόγιο Καταστρώματος A', p. 173) :
ή αγάπη σας γίνεται μίσος,
ή γαλήνη σας γίνεται ταραχή
«votre amour devient haine, votre sérénité devient tourment» (id.) ;
(Γυμνοπαιδΐα, ρ. 84) : ... μάτια
προσηλωμένα προσηλωμένα σ' εν α σημάδι
«...regards fixés, fixés sur un point» (trad. Lévesque) ;
680 ANDRÉ MIRAMBEL

(Τετράδιο Γυμνασμάτων, p. 104) :


το χέρι πού κράτησε το δοιάκι
το χέρι πού κράτησε την πένα,
το χέρι πού απλώθηκε στον άνεμο
« la main qui a tenu la barre, la main qui a tenu la voile, la main qui
s'est tendue au vent » (id.) ;
(Φωτιές του "Αγι Γιάννη ν. Feux de la Saint-Jean», p. 119) :
... δέν μπορεί Vs αλλάξει
δεν μπορεί να γίνει τίποτε
« ...il ne peut changer, il ne peut rien arriver » ;
plus loin :
... βλέπεις
βλέπεις τον άνθρωπο ...
τον άνθρωπο ...
μέσα στη μοναξιά και στη σιωπή, τον άνθρωπο
της μοναξιάς και της σιωπής
« ...tu vois, tu vois Vhomme..., l'homme, dans la solitude et le silence,
l'homme de la solitude et du silence »
et, dans la strophe suivante :
την ώρα πού τέλειωσε ή μέρα
την ώρα πού κόπηκε ο καιρός...
... πρέπει να τον ευρείς
πρέπει να τον ζητήσεις
« à l'heure où s'est terminé le jour, à l'heure où le temps s'est
interrompu..., il faut que tu le trouves, il faut que tu le cherches » ;
(Ημερολόγιο Καταστρώματος Α') :
έτρεμε τόσο...
έτρεμε τόσο...
πέρα μακριά...

πέρα μακριά...
« il tremblait tellement... il tremblait tellement... là-bas au loin... là-bas
au loin... ».
Enfin ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Γ', ρ. 239), où chaque
strophe du poème commence par λάδι :
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 681

λάδι στα μέλη

λάδι στην κόμη

λάδι στον ήλιο

λάδι στους ώμους


« huile sur les membres... huile sur la chevelure... huile au soleil...
huile sur les épaules... ».
Gela, pour les mots υπάρχει, γίνεται, προσηλωμένος, το χέρι,
δεν μπορεί, βλέπεις, τον άνθρωπο, μοναξιά, σιωπή, τήν ώρα, πρέπει,
έτρεμε, λάδι. Par ailleurs, Séféris n'hésite pas à répéter, soit
consécutivement, soit en refrain, certains groupes de mots.
Ainsi, dans le poème Μυκήνες (Γυμνοπαιδία, ρ. 83) :
Δός μου τα χέρια σου, δός μου τα χέρια, δός μου τα χέρια σου
« Donne-moi tes mains, donne-moi les mains, donne-moi tes mains »
groupe trois fois exprimé à la suite, et repris en refrain à la fin de la
première strophe, avec le pronom μου au lieu de σου : τα χέρια μου.
Un peu plus loin, dans le même poème, on lit :
βουλιάζει οποίος σηκώνει τις μεγάλες πέτρες,
τούτες τις πέτρες τΙς έσήκωσα δσο βάσταξα
τούτες τις πέτρες τις αγάπησα δσο βάσταξα
τούτες τις πέτρες, τη μοίρα μου *
πληγωμένος άπο το δικό μου χώμα
τυραννισμένος άπο το δικό μου πουκάμισο
καταδικασμένος άπο τους δικούς μου θεούς
τούτες τις πέτρες
« il s'effondre, celui qui soulève les grosses pierres; ces pierres je les
ai soulevées aussi longtemps que j'en ai eu la force, ces pierres je les ai
aimées aussi longtemps que j'en ai eu la force, ces pierres, mon destin.
Blessé par le sol qui est le mien, supplicié par la chemise qui est la
mienne, condamné par les dieux qui sont les miens, ces pierres »
τούτες τις πέτρες, au début de trois vers consécutifs, est repris à la
fin de la strophe ; οσο βάσταξα termine deux vers se suivant.

Mais, dans la langue de Séféris, il y a surtout à considérer le


renouvellement et la création des images. C'est là essentiellement

REG, LXXIX, 1966/2, n° 376-378. 6


682 ANDRÉ MIRAMBEL

que se manifestent l'originalité et la richesse du poète. Il y a lieu


d'envisager trois études : d'abord le jaillissement des images, qui
viennent tout naturellement à la pensée du poète, et constituent
sa manière quasi instinctive de s'exprimer. Puis les caractères mêmes
des images, et les types selon lesquels elles peuvent être réparties.
Enfin, la fonction, peut-on dire, de l'image dans l'inspiration de
Séféris par ce qu'elle révèle de l'univers du poète.
L'abondance des images, des comparaisons procède d'un souci,
plus encore d'un besoin de présenter les choses non pas pour elles-
mêmes, mais dans la mesure où elles évoquent d'autres objets.
Ce sont tout d'abord des qualifications d'un objet, soit courantes,
ainsi ή σγουρή θάλασσα « la mer qui frise » ('Ημερολόγιο Γ', ρ. 187),
soit métaphoriques, comme το βυσσινί του χαμόγελο « son sourire,
écarlate (cramoisi) » (Τετράδιο, ρ. 121), ενα πορφυρό κυπαρίσσι
« un cyprès pourpre » {id.), το σιωπηλό χάδι της ομίχλης « Ια
caresse silencieuse du brouillard » (Ημερολόγιο Γ', ρ. 254).
L'image atteint un degré supérieur d'évocation dans, par exemple :
στην κόχη του καιρού « dans ce coin du temps » (Γυμνοπαιδία,
p. 82), το σπήλαιο του θανάτου « la caverne de la mort » (Στέρνα,
p. 43), το δέρμα της σιωπής « la peau du silence» (id.), 6 χίμαρρος
του ήλιου « le torrent du soleil» (Ημερολόγιο A', p. 190), ένας
ΰπνος βαρύς άπο χρυσά ψιχαλίσματα « un sommeil lourd de
gouttelettes d'or» (Μυθιστόρημα, p. 145), στα κρόσια του ονείρου « sur les
franges du rêve » (id.), το άρωμα της απουσίας « le parfum de
l'absence» («Κίχλη», p. 226), με τήν άπεραντωσύνη του πελάγου
« avec l'infinité du large » (Ημερολόγιο A', p. 191), της πίκρας
το προζύμι « le levain de Vamertume » .('Ημερολόγιο Γ', ρ. 266),
μέσ1 άπδ τήν πάχνη του θανάτου « à travers le givre de la mort » (id.),
μέσα στη διάρκεια της απελπισίας « dans la durée du désespoir »
(Ημερολόγιο A', p. 191), τραβιοΰνταν τα νερά πίνοντας απαλά
τήν πίκρα τους « les eaux se retiraient, buvant délicatement leur
amertume» (Τετράδιο, ρ. 134), τα πανιά του καραβιού σου
φουσκωμένα άπ' τή θύμηση « les voiles de ton bateau gonflées du souvenir »
(id., p. 97), τόσες ψυχές δοσμένες στις μυλόπετρες σαν το στάρι
« tant d'âmes données aux meules comme le blé» (Ημερολόγιο Γ',
p. 243), ή μνήμη σαν το άσπρο πανί μια νύχτα σε μια μάντρα
«/α mémoire comme la toile blanche une nuit dans un enclos » (trad.
Lévesque) (Μυθιστόρημα, ρ. 75), etc.. — II s'agit là de la notation soit
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 683

de caractères permanents, soit de traits passagers dus à telle


circonstance.
Parfois l'image se traduit par une personnification des choses, qui
exécutent les actes des êtres vivants : κόβοντας τον καιρό «
découpant le temps» («Κίχλη», ρ. 225), μοιράζοντας τον πόθο στα δυο
σαν το ροδάκινο « partageant en deux le désir comme la pêche » (id.),
χαράζοντας τη μοίρα μας μέσα στο φως « gravant noire destin en
pleine lumière» (Μυθιστόρημα, p. 65), ο ήλιος ράβει με βελονιές
μαλαματένιες πανιά και ξύλα « le soleil coud des voiles et des mâts
avec des aiguilles d'or » (« Κίχλη », p. 231), ή θάλασσα μ' ακολουθούσε
ανεβαίνοντας κι αύτη σαν τον υδράργυρο θερμομέτρου « la mer me
suivait en montant elle aussi comme le mercure d'un thermomètre »
(Τετράδιο, p. 107), μέσα στο μεγάλο φλούδι τοΰ ύπνου πού μας
τυλίγει άχαράχτο « dans la grande enveloppe du sommeil qui s'enroule
autour de nous sans laisser de trace » ('Ημερολόγιο A', p. 185),
οι δρόμοι πού τύλιγαν βουνά και γεννούσαν άστρα « les chemins qui
enveloppaient des montagnes et engendraient des étoiles » (id., p. 187),
ενα πεϋκο ... χαρίζει στο κουρασμένο κορμί έναν ίσκιο μετρημένο
σαν τη ζωή μας « un pin ... offre au corps fatigué une ombre mesurée
comme notre vie» (Τετράδιο, ρ. 131), σαν ψυχές πού κατάργησαν
το θάνατο, τη στιγμή πού ξαναρχίζουν να γίνουνται δέρμα και
χείλια « comme des âmes qui ont supprimé la mort au moment où
elles recommencent à devenir peau et lèvres » (id.), συρτάρια παράθυρα
πόρτες ανοίγουν το στόμα τους σαν άγρια θηρία « tiroirs, fenêtres,
portes, ouvrent leur bouche comme des bêtes sauvages» (Στροφή, ρ. 21),
σα μια στάλα μελάνι σέ μαντίλι ή πλήξη απλώνει « Γ ennui s'étend
comme une goutte d'encre sur un mouchoir» (id., p. 22), πώς αγωνίζεται
ή ζωή για να περάσει « comment lutte la vie pour passer... » (Τετράδιο,
p. 89), ασπιδοφόρος ό ήλιος ανέβαινε πολεμώντας « le soleil montait
armé de son bouclier en luttant» ('Ημερολόγιο A', p. 191), στέγνωσε
ή αγάπη μέσα σέ τρύπιες ψυχές « l'amour s'est desséché dans des
âmes trouées » (Τετράδιο, ρ. 82), ψηλώνει ή στιγμή σα μετέωρο
λεπίδι «l'instant s'élève comme une lame dans l'air» (id., p. 92),
αυτός ό αγέρας πού γυμνώνει τα κόκκαλα άπ' τή σάρκα « ce vent qui
dépouille les os de leur chair» (Ή Στέρνα, ρ. 56), et, dans la même
pièce, quelques vers plus loin :
και πάλι αυτός ό αγέρας ακονίζει
πάνω στα νεΰρα μας ένα ξυράφι
« et de nouveau ce vent aiguise sur nos nerfs la lame d'un rasoir »
684 ANDRÉ MIRAMBEL

{id. p. 55) :
... το χώμα κι ό χυμός των δέντρων
θα όρμοΰν άπο τη μνήμη σου για να χτυπήσουν
πάνω στο τζάμι αύτο πού το χτυπά ή βροχή
άπο τον εξω κόσμο
« ...la terre et la sève des arbres surgiront de ta mémoire, pour venir
frapper cette vitre que frappe la pluie venant du monde extérieur. »
Les exemples pourraient être multipliés. Ceux qui viennent d'être
mentionnés suffisent à montrer, d'une part, la tendance du poète à
attribuer aux choses une volonté, une pensée (ce sont les portes qui
s'ouvrent comme des bouches de fauves, c'est le souvenir qui
frappe une vitre, c'est le vent qui aiguise une lame ou qui dépouille
les os de leur chair), d'autre part, la tendance à traiter les faits de
pensée comme des objets (le souvenir qui gonfle les voiles, la mémoire
toile blanche), etc.

La nature de l'image chez Séféris mérite examen. Les formes en


sont variées. Aux images qu'on peut qualifier de « simples » (du
type πόρτες ανοίγουν το στόμα τους σαν άγρια θηρία, où les portes
qui s'ouvrent font penser à des bouches d'animaux sauvages)
s'opposent les images qu'on appellera « complexes » ou « redoublées »
et les images « inversées ». Ainsi :
(Τετράδιο, p. 133-134) : κι δμως λυπούμαι ακόμη γιατί
δεν Ιγινα κι' εγώ (δπως θα το ήθελα)
σαν το χορτάρι πού άκουσα να φυτρώνει
μια νύχτα κοντά σ' Ινα πεΰκο
« et pourtant je continue de regretter de ne pas être devenu à mon tour
(je l'eusse tant voulu) comme cette herbe que j'entendis pousser une
nuit près d'un pin » (trad. Lacarrière).
Ici la complexité de l'image consiste en un premier rapprochement
de l'être humain (dans le cas présent le poète, εγώ) et de l'herbe
(το χορτάρι), puis en un second, celui de la germination (φυτρώνει)
perçue non par la vue mais par l'ouïe (άκουσα να φυτρώνει).
Il y a là comme une « inversion » de l'image, ce qui relève de la
vision se trouvant transposé dans le domaine de l'audition.
Pareillement, mais avec une transposition dans le domaine de la vision de ce
qui relève de l'audition, on a ('Ημερολόγιο Καταστρώματος Γ',
p. 235) :
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 685

παράξενο, δεν πρόσεχα: πώς έβλεπα μόνο τη φωνή τους


« étrange, je ne remarquais pas que je voyais leur voix seulement »
(trad. Lacarrière).
Voici encore d'autres groupements d'images (Μυθιστόρημα, ρ. 73) :
βλέπω τα δέντρα πού ανασαίνουν
τη μαύρη γαλήνη των πεθαμένων
« je vois les arbres respirer le calme sombre des morts » (trad. Lévesque) ;
et (Τετράδιο Γυμνασμάτων, ρ. 145) :
σαν την ανθρώπινη φωνή της νυχτερινής θάλασσας
στα χαλίκια
«comme la voix humaine de la mer, la nuit, sur les galets» (id.).
Le premier extrait montre associées une image visuelle (βλέπω τα
δέντρα), une impression de mouvement (ανασαίνουν), une image
de couleur (μαύρη γαλήνη) ; le second, une image auditive (φωνή
της θάλασσας) renforcée par ανθρώπινη (ανθρώπινη φωνή), une
impression visuelle (νυχτερινής) et une impression tactile (στα
χαλίκια).
Séféris excelle dans l'expression des sensations physiques, et
dans l'utilisation de tous les registres de sensibilité. Ses images se
répartissent selon ces registres divers.

a) Sensations de Vodoral (Μυθιστόρημα, ρ. 60) :


... τή μυρωδιά
του άλατιοϋ της άλλης τρικυμίας
« ... Codeur du sel de l'autre tempête» (trad. Lévesque) ;
(id., p. 53) :
αράξαμε σ' ακρογιαλιές γεμάτες αρώματα νυχτερινά
«nous avons mouillé sur les rives chargées d'arômes nocturnes» (id.);
(id., p. 54) :
και περνούμε τις νύχτες σε υπόγεια πού μυρίζουν κατράμι
« et nous passons les nuits dans des caves qui sentent le goudron » (id.).

b) Sensations du toucher ('Ημερολόγιο Γ', ρ. 192) :


'γγίζοντας κάποτε με τα δάχτυλα μας
την άφή του πάνω στις πέτρες
« effleurant parfois de nos doigts son contact sur les pierres »
686 ANDRÉ MIRAMBEL

c) Sensations de Vouïe (Μυθιστόρημα, ρ. 53) :


κελαϊδίσματα πουλιών
« des gazouillis d'oiseaux » ;
(id., p. 61) :
ήχος στεκάμενος κούφιος
« un son qui se tient creux » ;
(id., p. 64) :
τα κουπιά τα υγρά
χτυπούσαν με ρυθμό τύμπανου
Ινα ημερωμένο κύμα
« les rames humides battaient d'une cadence de tambour une vague
soumise» (trad. Lévesque).
On pourrait également noter les impressions de silence auxquelles
le poète est sensible : στο πλήθος της σιωπής « dans la multitude
du silence » (Στροφή, p. 134) ; είναι ή σιγή τάσι άργυρο « le silence
est une sébile d'argent » (id., p. 36) ; όταν πέφτει σιγή κάτω άπό τα
πέλματα των ανθρώπων « lorsque tombe du silence sous les pas des
hommes » (Μυθιστόρημα, ρ. 73) ; μια στέρνα πού διδάσκει τή σιγή
μέσα στην πολιτεία τή φλογισμένη « une citerne enseigne le silence
dans la brûlante cité» (trad. Lévesque) (Ή Στέρνα, ρ. 45), etc. Il y
aurait aussi à remarquer les associations établies par le poète entre
le silence et l'ombre ou le sommeil ou l'oubli ou l'ennui, alors que le
bruit est associé volontiers à la lumière et à la joie (Μυθιστόρημα,
p. 66) :
ό ΰπνος σε μετακινούσε...
ενωμένη με τή σιωπή σου,
βλέποντας τον ίσκιο σου να μεγαλώνει
« le sommeil te déplaçait... unie à ton silence, regardant Ion ombre
croître... » (trad. Lévesque) ;
(Τετράδιο, ρ. 145) :
βηματίζει τυφλός πάνω στο χιόνι της σιωπής
« il s'avance aveugle sur la neige du silence » (id.) ;
('Ημερολόγιο Β', p. 127) :
σιωπές αγαπημένες της σελήνης
« silences aimés de la lune ».
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 687

d) Sensations de la vue, de la lumière el des couleurs (Μυθιστόρημα,


p. 52-53) :
το χρυσάφι του πελάγου
μέσα στό ήλιόγερμα
« l'or de la mer au couchant » (trad. Lévesque) ;
(id. p. 63) :
λίγα καμένα πεύκα, μαΰρα και κίτρινα
« quelques pins brûlés, noirs et jaunes ») ;
(id., p. 64) :
το πέλαγο τόσο πικρό για την ψυχή σου κάποτε
σήκωνε τα πολύχρωμα κι αστραφτερά καράβια
λύγιζε, τα κλυδώνιζε κι Ολο μαβί μ' άσπρα φτερά
« la mer si acre jadis d ton âme portait des bateaux bariolés et
scintillants, elle ondulait, les ballottant toute bleue avec ses plumes
blanches » (trad. Lévesque) ;
(« Κίχλη », p. 225) :
ή νύχτα πού άνοιξε γαλάζιο ρόδι
«la nuit qui s'est ouverte, grenade bleue» (trad. Lacarrière) ;
('Ημερολόγιο A', p. 188) :
τους άσπιλους κύκνους
πού ταξιδεύουν σαν άσπρα κουρέλια
μέσα στο νου σου
« les cygnes immaculés qui voyagent comme des lambeaux d'étoffe
blancs dans ton esprit » ;
('Ημερολόγιο A', p. 171) :
πρώτα γυάλιζαν οι πέτρες
τα φύλλα και τα λουλούδια
έπειτα ό ήλιος
ένας μεγάλος ήλιος
« tout d'abord resplendissaient les pierres, les feuilles et les fleurs, puis
le soleil, un grand soleil ».
On notera, pour les couleurs, la prédominance du rouge (Τετράδιο,
p. 136) :
προτιμώ μια στάλα αίμα
άπο εν α ποτήρι μελάνι
«je préfère une goutte de sang à un verre d'encre » ;
688 ANDRÉ MIRAMBEL

(Στέρνα, ρ. 33) :
λάμπουν ξάφνου πορφυρά της μνήμης τα κοράλια
« ils brillent soudain d'un rouge de pourpre, les coraux de la
mémoire » ;
(Μυθιστόρημα, ρ. 65) :
τρία κόκκινα περιστέρια μέσα στο φως
« trois pigeons tout rouges en plein dans la lumière » ;
[id., p. 68) :
πόσοι αιμάτινοι κύκλοι...
« que de cercles de sang... ».
Séféris associe fréquemment des sensations de nature différente,
ainsi luminosité et son (« Κίχλη », p. 132) :
θ' αδειάσουν τα μάτια σου
άπ'
το φώς της μέρας
πώς σταματούν ξαφνικά
κι' δλα μαζί τα τζιτζίκια
« tes yeux vont se vider de la lumière du jour ainsi que se taisent tout
d'un coup ensemble les cigales » (trad. Lacarrière) ;
lumière et mouvement (Μυθιστόρημα, ρ. 76) :
θα ίδοϋμε τις αμυγδαλιές ν' ανθίζουν
τα μάρμαρα να λάμπουν στον ήλιο
τη θάλασσα να κυματίζει
« nous verrons les amandiers fleurir, les marbres resplendir au soleil,
la mer onduler » ;
(id., p. 72) :
κι αν ό αγέρας φυσά δε μας δροσίζει
κι ό 'ίσκιος μένει στενός κάτω άπ' τα κυπαρίσσια
« et si le vent souffle, il ne nous rafraîchit pas, et l'ombre reste étroite
sous les cyprès » ;
(« Κίχλη », p. 223) :
(ή) σουσουράδα πού γράφει νούμερα στο φώς μέ τήν ουρά της
« (la) bergeronnette qui trace des chiffres dans la lumière avec sa
queue » ;
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 689

('Ημερολόγιο Γ', ρ. 235) :


βλέπω εδώ το φως του ήλιου το χρυσό δίχτυ
δπου τα πράγματα σπαρταρούν σαν τα ψάρια
πού ένας μεγάλος άγγελος τραβά
μαζί με τα δίχτυα των ψαράδων
«je la vois ici la lumière du soleil, le filet d'or où les choses frétillent
tels des poissons qu'un grand ange tire dans les filets des pêcheurs »
(trad. Lacarrière) ;
lumière et toucher (Μυθιστόρημα, ρ. 64) :
άσπρα πανιά και φως και τα κουπιά τα υγρά
« des voiles blanches, et de la lumière, et les rames humides » ;
{id., p. 70) :
μια μέρα πού
αντηχούσαν σάλπιγγες κ' έλαμπαν Οπλα
και τ' άλογα ιδρωμένα σκύβανε ν' αγγίξουν
την πράσινη επιφάνεια του νεροΰ
« un jour que résonnaient les trompettes et que reluisaient les armes
et que les chevaux en sueur se penchaient pour frôler la surface verte
de l'eau ».

Le rôle de la sensation est si important chez Séféris, que les états


sentimentaux et psychiques, ainsi que les notions abstraites, sont
souvent traduits en impressions physiques et concrètes, ce qui rend
plus saisissant le rapprochement entre l'être humain et les choses.
Par exemple (Ημερολόγιο A', p. 159) :
τις μικρές άσπρες φωνές του ερωτά
« les petits cris blancs de l'amour » (trad. Lacarrière) ;
('Ημερολόγιο Β', ρ. 195) :
μέ πόθους πού έπαιζαν σαν τα μεγάλα ψάρια
σε πέλαγα πού φύραναν ξαφνικά
« avec des désirs qui jouaient comme les grands poissons dans des
mers qui soudain se retirent » ;
(id., p. 217) :
το κρατίδιο
της Κομμαγηνής πού 'σβήσε σαν το μικρό λυχνάρι
« le petit état de Commagène, qui s'est éteint comme la faible veilleuse » ;
REG, LXXIX, 1966/2, n° 376-378. 6—1
690 ANDRÉ MIRAMBEL

(id.) :
ψυχές μαραγκιασμένες άπό δημόσιες αμαρτίες
« des âmes flétries par des péchés publics ».

Par ailleurs, Séféris recherche dans les images les contrastes.


Ainsi (Ή Στέρνα, ρ. 41) :
ανάβουν λάμπουν...
και σβήνουνται...
« ils s'allument, brillent, ...et s'éteignent... » ;
(Γυμνοπαιδία, ρ. 81) :
κοιτάζοντας τ' αναδυόμενα νησιά
κοιτάζοντας τα κόκκινα νησιά να βυθίζουν
« en regardant les îles qui émergent de la mer, en regardant les îles
rouges qui s'engloutissent » ;
(Μυθιστόρημα, ρ. 62) :
τό αίμα σου πάγωνε κάποτε σαν το φεγγάρι
μέσα στην ανεξάντλητη νύχτα το αίμα σου
άπλωνε τις άσπρες του φτερούγες πάνω
στους μαύρους βράχους τα σχήματα των δέντρων και τα σπίτια
με λίγο φώς άπο τα παιδικά μας χρόνια.
«ton sang se glaçait parfois, comme la lune dans la nuit inépuisable,
ton sang déployait ses ailes blanches sur les rochers noirs, les contours
des arbres et les maisons, avec un lambeau de lumière de nos années
d'enfance » (trad. Lévesque) ;
(Τετράδιο, ρ. 126) :
ενα μαΰρο φουστάνι
αχτένιστα μαλλιά και κόκκινα μάτια
« une jupe noire, des cheveux au vent et des yeux rouges ».
Ce sont principalement les contrastes de lumière et d'ombre et
les contrastes de couleurs qui sont notés. Voici, pour les premiers,
(« Κίχλη », p. 230) :
τον ήλιο τον κοιτάς, έπειτα
χάνεσαι μέσ' στο σκοτάδι
« lu regardes le soleil, puis tu te perds dans l'ombre » ;
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 691

et, quelques vers après :


6 δωρικός χιτώνας... είναι ενα μάρμαρο στο φώς,
μα το κεφάλι του είναι στο σκοτάδι
« la tunique dorienne... est un marbre à la lumière, mais sa tête est
dans l'ombre » ;
(Στέρνα, ρ. 43) :
το νερό πού λάμπει στο χορτάρι
μονάχο και μιλεί στις μαύρες ρίζες
« Veau qui brille dans l'herbe solitaire et parle aux noires racines » ;
(id., p. 35) :
χαράζει ή αυγή τον ουρανό
και φοβήθηκες τους ίσκιους του βουνού
« l'aube trace sa ligne au ciel, et l'on redoute les ombres de la
montagne » ;
(Στροφή, ρ. 45) :
φλόγες του πέρα κόσμου
... Ι'σκιοι θλιμμένοι
«flammes de l'au-delà, ...tristes ombres»',
{id., p. 52) :
δέχουνται τή νύχτα και τον ήλιο
« ils accueillent la nuit et le soleil » ;
(id., p. 56) :
... κοιτάζοντας... το φώς και το σκοτάδι
στή βουνοσειρα
« ...en regardant... la lumière et l'ombre sur la chaîne de montagnes »
(le poète écrit même, Τετράδιο, ρ. 122, μέσα στο σκοτεινό φώς
« au milieu de l'obscure lumière », ce qui rappelle « l'obscure clarté
qui tombe des étoiles »).
('Ημερολόγιο A', p. 189, Ό Βασιλιάς της 'Ασίνης «Le Roi
d'Asiné))) :
αρχίζοντας άπό το μέρος του ίσκιου εκεί δπου
ή θάλασσα πράσινη και χωρίς αναλαμπή...
... άπο το μέρος του ήλιου ένας μακρύς γιαλός
ολάνοιχτος και το φώς τρίβοντας διαμαντικά
στα μεγάλα τείχη
692 ANDRÉ MIRAMBEL

« commençant du côté de l'ombre, là où la mer verte, sans éclat...


...du côté du soleil un grand rivage déployé et la lumière limant ses
pierreries sur les hautes murailles » (trad. Lacarrière) ;
(Στροφή, ρ. 23) :
(το) σκοτάδι βούιζε μέσα στο σπίτι
κι άπο το φως του αποσπερίτη
« (V)ombre bruissait dans la maison sous la lumière de l'étoile du soir ».
Les contrastes de l'ombre et de la lumière, le rôle de la lumière,
dans la poésie séférienne, ne procèdent d'ailleurs pas seulement d'une
vision, mais d'une interprétation qui commande l'inspiration du
poète. Le symbolisme des images en témoigne. On le retrouve à
chaque instant dans l'expression (1).
Voici maintenant des contrastes de couleur :
(Τετράδιο, ρ. 126) :
μαύρος κόκορας... άσπρα κοπάδια
« coq noir... troupeaux blancs » ;
(id., p. 132) :
μαυρισμένα άπο την πάχνη της αύγης
« calcinées par le givre de l'aurore » ;
(id., p. 145) :
μελανιασμένες λαγκαδιές, ο χιονισμένος κάμπος
« des vallons noirs, la plaine enneigée » ;
('Ημερολόγιο A', p. 171) :
κι έβλεπες ρόδινα μέλη
μέσα στις μαύρες δάφνες
« on voyait des membres roses au milieu des noirs lauriers » ;

(1) Cf. G. Spyridaki, op. cit., p. 146-148 à propos de Séféris, et p. 149-167 à


propos de la lumière et de la poésie grecque ; notamment, p. 146 : « La pensée
critique de Séféris... nous ramène à cette lumière qui explique peut-être, en
dernière analyse, la substance spirituelle de la Grèce », et p. 160-161 : « Chez
G. Séféris se produit sous l'action de la lumière grecque un travail de
maturation... Sa poésie dense et sombre reflète volontiers l'aspect tragique de la Grèce...
Peu à peu une humanisation de plus en plus poussée pénètre ces couches de
ténèbres et finit par les convertir à la lumière. »
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 693

(id., p. 175) :
ή θάλασσα γκρίζα με λίμνες φωτεινές
« la mer grise avec des lacs aux couleurs vives ».
D'une manière générale, les éléments naturels occupent une
large place dans la poésie séférienne : l'air, le vent, le feu, l'eau,
et particulièrement la mer, qui pourrait à elle seule donner lieu à
une étude ; on ne peut ici que citer quelques exemples :
le vent : ζερβά μας ό νοτιάς φυσάει και μας τρελαίνει
« sur notre gauche le vent du sud souffle à nous rendre fous » (trad.
Lacarrière) (Μυθιστόρημα, ρ. 56) ;
τδ κορμί πεθαίνει, τ6 νερό θολώνει, ή ψυχή
διστάζει
κι δ αγέρας ξεχνάει δλο ξεχνάει
« le corps meurt, l'eau se trouble, l'âme hésite, et le vent oublie, oublie
sans cesse» (id.) (Τετράδιο, ρ. 124) ;
le feu :
μα ή φλόγα δεν αλλάζει
« mais la flamme ne change pas » (id.) :
... προσμένοντας
την ώρα της φωτιάς
« ...attendant l'heure du feu » (id., p. 110) ;
ρίχνουν αλάτι μέσα στις φλόγες για να πλαταγίζουν
« ils jettent du sel dans les flammes pour qu'elles crissent » (trad.
Lacarrière) (id., p. 120) ;
... τί θυμάται
ή μαύρη στεκάμενη φλόγα πάνω στον γκρίζο ουρανό ;
«que se rappelle la flamme noire et droite sur le ciel gris?» (trad.
Lacariière) (id., p. 148) ;
φορώντας χρώματα ανοιχτά
σαν ανθισμένη αμυγδαλιά
μέσα σε φλόγες κίτρινες
«parée de couleurs vives comme un amandier plein de fleurs parmi
des flammes jaunes» (trad. Lacarrière) (('Ημερολόγιο A', p. 178) ;
κι'
ή φωτιά στο πλάι του βουνού σηκώνοντας παλάμες
άπδ σούρφανο και φύλλα του φθινοπώρου
694 ANDRÉ MIRAMBEL

« et le feu au flanc de la montagne, levant ses doigts de soufre et de


feuilles d'automne» (id., p. 185) ;

l'eau et surtout la mer :


το άπόβραδο κατεβαίνουμε στο ποτάμι
γιατί μας δείχνει το δρόμο προς τη θάλασσα
« à l'approche du soir nous descendons vers le fleuve parce qu'il nous
montre le chemin de la mer » (Μυθιστόρημα, ρ. 54) ;
το περιβόλι με τα συντριβάνια του στη βροχή...
το περιβόλι με τα συντριβάνια πού είταν στο χέρι σου
ρυθμός της άλλης ζωής...
«le jardin aux jets d'eau sous la pluie..., le jardin aux jets d'eau qui,
sous ta main, devenaient rythme de l'autre vie... » (trad. Lacarrière)
{id., p. 55) ;
μέσα στή διάφανη πηγή κοίταξα τή μορφή σου
κλεισμένα βλέφαρα και τά ματόκλαδα χάραξαν τό νερό
« dans la source transparente je regardai ton visage, paupières closes
griffant l'eau de leurs cils » (id., p. 66) ;
ρόδο της νύχτας πέρασες, τρικύμισμα πορφύρας
τρικύμισμα της θάλασσας...
« tu passas, rose de la nuit, ondulation de pourpre, ondulation de la
mer... » (Στροφή, ρ. 37) ;
το κύμα ώς έμεινε στην άμμο αφρός
«/α vague, demeurée sur le sable écume» (trad. Lévesque) (Ή
Στέρνα, ρ. 43) ;
ή θάλασσα φουσκώνει αργά,
κ' ή μέρα πάει να γλυκάνει τ' άρμενα καμαρώνουν

« la mer se gonfle doucement, les agrès se rengorgent et le jour tend à


s'attendrir» (trad. Lévesque) (id.) ;
ή θάλασσα πού μας πίκρανε είναι βαθεια κι' ανεξερεύνητη
και ξεδιπλώνει μια απέραντη γαλήνη
« la mer qui nous navra est vaste et insondée, elle déroule un calme
infini » (trad. Lévesque) (Μυθιστόρημα) ;
πάψε πια να γυρεύεις τή θάλασσα και των κυμάτων τΙς προβιές
« cesse de chercher la mer et les toisons des flots... » (id.) ;
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 695

να ξεφύγεις τη θάλασσα πού σέ λίκνισε


« échapper à la mer qui t'a bercé » (id., p. 69) ;
κλείνω τα μάτια γυρεύοντας το μυστικό συναπάντημα τών νερών
κάτω άπ* τον πάγο, το χαμογέλιο της θάλασσας, τα κλειστά πηγάδια...
«je ferme les yeux, cherchant la rencontre secrète des eaux sous la glace,
le sourire de la mer, les puits scellés... » (Τετράδιο, ρ. 145) (trad.
Lévesque) ;
στη θάλασσα την παντοτινή
« dans la mer éternelle » (id., p. 141) ;
τ' ανθισμένο πέλαγο
« le large tout en fleur » (id.) ;
μέσα στις θαλασσινές σπηλιές
« au fond des grottes marines » (id., p. 154) ;
... δεν ακούει παρά τη χαμηλή φωνή
της γης και του πελάγου εκεί πού σμίγουν
της μοίρας τή φωνή
« ...(il) n'entend que la voix basse de la terre et de la mer là où elles se
mêlent à la voix du destin » (Τετράδιο, p. 111).

Le rôle des éléments de la nature dans la poésie séférienne est


moins de donner lieu au réalisme descriptif qu'à l'association
entre l'univers et la pensée humaine, soit pleinement consciente, soit
à l'état de rêve. Ces éléments composent le paysage grec ; si l'on
pense à la place qu'occupe dans l'œuvre de Séféris la Grèce comme
thème majeur, succédant aux conceptions métaphysiques des
premiers poèmes, on mesurera l'importance de la nature comme
éveil et activité de la conscience. Mais, à côté, il y a le sommeil et le
rêve qu'on ne saurait omettre ; ils forment contraste avec le réel,
ou bien ils le prolongent et le complètent, comme dans ces quelques
extraits :
ξύπνησα μέ τό μαρμάρινο τούτο κεφάλι στα χέρια
... έπεφτε στο όνειρο καθώς έβγαινα άπο το όνειρο "
έτσι ενώθηκε ή ζωή μας...
« et je me suis réveillé, entre les mains cette tête de marbre. ..elle tombait
dans le rêve comme je sortais du rêve; ainsi se sont jointes nos vies...)}
(Μυθιστόρημα, p. 51) (trad, Lacarrière) ;
696 ANDRÉ MIRAMBEL

μέ βασάνιζαν οι ρίζες των δέντρων όταν μέσα


στη ζεστασιά τοΰ χειμώνα έρχόντανε να τυλιχτούν
γύρω στο κορμί μου
δεν έβλεπα άλλα όνειρα σαν ε'ίμουν παιδί
έτσι γνώρισα το κορμί μου
« Les racines des arbres me faisaient mal lorsqu'elles venaient, dans
la chaleur de V hiver, s'enrouler autour de mon corps. Je ne faisais
pas d'autres rêves lorsque j'étais enfant. C'est ainsi que j'ai connu
mon corps (Τετράδιο, p. 125) (trad. Lacarrière) ;
... 'Ανάμεσα στον ύπνο και στό θάνατο στεκάμενη ζωή.
Είχαν μια κίνηση τα χέρια σου πάντα πρδς τον ΰπνο τοΰ πελάγου
χαϊδεύοντας τ' όνειρο πού ανέβαινε ήσυχα τη μαλαματένια αράχνη
φέρνοντας μέσα στδν ήλιο το πλήθος τών αστερισμών
τα κλεισμένα βλέφαρα τα κλεισμένα φτερά...
«... Entre le sommeil et la mort la vie est immobile. Tes mains ont
toujours fait un mouvement vers le sommeil de la mer, caressant le
rêve qui montait doucement, l'araignée d'or amenant au soleil la
multitude des constellations, les paupières closes, les ailes repliées... »
(Τετράδιο, ρ. 149).

L'analyse qui vient d'être présentée de la langue et des modes


d'expression de Séféris fait apparaître la richesse de son apport à la
poésie néohellénique. Le poète a su comprendre et utiliser largement
les données immédiates de la langue démotique commune, sans avoir
besoin de recourir à l'élément dialectal, comme d'autres écrivains
l'ont fait. Toutefois, si les mots sont ceux de l'usage courant le plus
simple, le plus familier, par contre l'association des mots, telle que la
recherche le poète, évite systématiquement tout ce qui est lieu
commun, cliché, expression banale : c'est là où interviennent le jeu
des images, le renouvellement et la recherche des rapprochements
lexicaux. Le poète a montré, après d'autres, qu'une langue simple
est capable de traduire des idées profondes. A cet égard, il relève
d'une tradition : le point de départ s'en trouve chez les créateurs, —
précurseurs ou théoriciens —· de la langue littéraire dans la Grèce du
XIXe siècle. De plus, en renouvelant les images, Séféris a marqué un
G. SÉFÉRIS ET LA LANGUE POÉTIQUE DANS LA GRÈCE MODERNE 697

retour au concret, tandis qu'il réagissait contre le « style formulaire »


qui s'installe dans tout usage linguistique. La difficulté d'une
langue comme le grec démotique, quand il atteint l'expression
littéraire, réside là : utiliser la langue consacrée par le nombre des
sujets parlants, mais introduire constamment l'élément personnel.
Le sentiment aigu de la langue, l'originalité de la pensée et de la
vision, ont pu opérer cette synthèse, à laquelle doivent beaucoup,
dans la Grèce d'aujourd'hui, la langue des poètes et celle des
prosateurs.
André Mirambel.

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