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346 | 2022
La poésie en transit : France – Brésil
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rsh/656
DOI : 10.4000/rsh.656
ISSN : 2540-3362
Éditeur
Presses universitaires du Septentrion
Édition imprimée
Date de publication : 30 mai 2022
Pagination : 105-134
ISSN : 0035-2195
Référence électronique
Inés Oseki-Depré, « Mallarmé en transit ou les subdivisons prismatiques de l’Idée », Revue des sciences
humaines [En ligne], 346 | 2022, mis en ligne le 30 mai 2023, consulté le 30 mai 2023. URL : http://
journals.openedition.org/rsh/656 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsh.656
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International
- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
Mallarmé en transit
ou les subdivisons prismatiques de l’Idée
Inês Oseki-Dépré
Préambule
Du Coup de dés de Stéphane Mallarmé, dernier poème du poète avant sa
mort, publié initialement dans le numéro 17 de la revue Cosmopolis en
1897 à Paris, les lectures sont très nombreuses1. Nous n’en proposons ici
qu’un bref découpage sui-generis. En fait, nous souhaitons, d’une façon
plutôt synchronique, présenter trois moments créatifs hypertextuels qui
ont suivi l’apparition du poème aux xxe et xxie siècles au Brésil en nous
posant la question d’un Mallarmé en fin de compte politique : un premier
moment s’initiant en 1965 ; un second, dans la fin du vingtième siècle et un
troisième, aujourd’hui.
Sa réception brésilienne, on le sait, se doit en premier lieu aux poètes
concrets, Décio Pignatari, Haroldo de Campos et Augusto de Campos,
auteurs, dès 1965, de l’ouvrage d’introduction du mouvement, Théorie de
la Poésie Concrète2, composé d’un recueil d’articles et de poèmes et dans
lequel il est beaucoup question du poète français. On leur doit également
le volume Mallarmé, de 19753, avec essais, traductions du poète français et
particulièrement du Coup de dés devenu Un Lance de Dados. Nous essaierons
de montrer à quel point la lecture de ce poème a pu engendrer une théori-
sation très productive concernant la poésie et les arts en général de la part
1.– Voir la riche bibliographie de la thèse de Doctorat de Thierry Roger (L’Archive du Coup
de dés, dir. Bertrand Marchal, Paris IV, 2008, 964 pages) citant une douzaine d’ouvrages
consacrés à Mallarmé, en plus d’une quarantaine d’articles sans compter des centaines
de références au poème.
2.– Augusto de Campos, Décio Pignatari, Haroldo de Campos, Teoria da Poesia Concreta
(textos críticos e manifestos – 1950-1960), São Paulo, Ed. Invenção, 1965.
3.– Augusto de Campos, Décio Pignatari, Haroldo de Campos, Mallarmé, São Paulo, Ed.
Universidade de São Paulo, 1975.
des trois poètes mais aussi dans quelle mesure elle a marqué leur œuvre de
façon inéluctable4.
Nous présenterons ensuite les effets de cette répercussion sur l’œuvre
du poète graphiste et chanteur Arnaldo Antunes (né en 1960) dont nous
n’examinerons qu’une partie infime de l’œuvre très étendue. En effet,
la filiation de ce poète aux poètes concrets n’a jamais été dissimulée bien
qu’Arnaldo Antunes ne soit pas auteur d’essais ou de textes théoriques
ou métalinguistiques.
Nous évoquerons pour conclure un poète brésilien très contemporain
qui peu ou prou poursuit le même type de recherches formelles que le
poète français mais cette fois-ci dans une finalité opposée : il ne s’agit pas
d’un poète méta-critique mais d’un poète pourrait-on dire « politique »,
André Vallias.
4.– À notre avis plus que Pound, Joyce ou Cummings, comme ils le citent souvent.
5.– Albert Thibaudet, La Poésie de Stéphane Mallarmé [1912], Gallimard, 1926.
6.– Paul Valéry, Œuvres (éd. Jean Hytier), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
t. I, 1957 ; Cahiers (éd. Judith Robinson-Valéry), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », t. II, 1974.
7.– Nous en avons déjà évoqué une partie dans notre travail « Mallarmé hoje : controvér-
sias ? contra o verso ? » [« Mallarmé, vers et controverses ? »], dans Bénédicte Gorrillot,
Marcelo Jacques de Moraes, Masé Lemos et Paula Glenadel (éd.), Poesia e Interfaces :
operações, composições, plasticidades, Rio de Janeiro, 7 Letras, 2017, p. 68-87.
8.– Voir à ce sujet le recueil poétique de Philippe Beck, Aux recensions, Paris, Flammarion,
2002, sur lequel nous nous sommes penchée dans l’article « Mallarmé hoje : contro-
vérsias ? contra o verso ? », Poesia e Interfaces, op. cit., p. 79. Philippe Beck tourne en
dérision les critiques mallarméennes souvent négatives.
9.– La « mauvaise » réception du poème est due à sa nouveauté formelle (avec les problèmes
d’exécution qu’ont rencontrés ses éditeurs en 1897) et au contexte général la première
guerre mondiale de 1914. Mais surtout à sa nouveauté tout court à laquelle ses contem-
porains n’étaient pas préparés.
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Poètemoins (2011) et Outro (Autre) dans le n° 3 de la revue Celebrity Café dédié au poète
(2019), toutes les deux organisées et traduites par Jacques Donguy, aux Presses du Réel
(Dijon).
17.– Augusto de Campos, TCP, p. 32 (Nous traduisons, ainsi que les autres citations à venir
de l’ouvrage).
18.– Augusto de Campos et al., Mallarmé, op. cit., p. 177 (Nous traduisons, ainsi que les
autres citations à venir de l’ouvrage).
19.– Ibid., p. 27.
20.– Ibid., p. 178.
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21.– Robert Greer Cohn, Mallarmé’s Un Coup de Dés, Yale French Studies, Yale University,
New-Haven, 1949.
22.– Augusto de Campos, TPC, p. 180.
23.– Voir Marjorie Perloff, « Da vanguarda ao digital » [« De l’avant-garde au digital »],
tr. br. Adriano Scandolara, O Gênio não original, Belo Horizonte, Ed. UFMG, 2013,
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Or, si ce poème met l’accent sur les tonalités et les mélodies, mais aussi sur
la dispersion des mots sur la page – à l’instar du Coup de dés mais en moindre
échelle –, certains des poèmes concrets du poète sont quasi-iconiques, la
forme renvoyant à la signification, presque cratyliens ou isomorphes selon la
définition de la poésie concrète26.
Pour le prouver, Perloff cite le poème de Gertrude Stein, « a rose is a
rose », en couverture de l’œuvre Porta-retratos (1989) qui est construite en
cercle et qui renvoie à la forme de la rose, sans que cela rapproche, selon
nous, ce poème des calligrammes d’Apollinaire :
p. 121-129 (nous traduisons ainsi que les autres citations de cet article).
24.– Ibid., p. 122.
25.– Ibid., p. 121.
26.– « À un stade plus avancé d’évolution formelle, à un stade plus rationnel de créa-
tion, l’isomorphisme tend à se résoudre en un pur mouvement structural », Décio
Pignatari, TPC, p. 87.
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27.– Ce titre a été étendu à l’anthologie organisée par Jacques Donguy aux Presses du Réel,
2011.
28.– Stéphane Mallarmé, « Préface », Un coup de dés, Œuvres complètes, op. cit., p. 456.
29.– Augusto de Campos, Anthologie, op. cit., p. 28.
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Augusto de Campos,
« intraduction readymallarmade : des contemporains » (2009)
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S’il est vrai que le propos du poète américain se justifie par le fait que la
poésie concrète n’a jamais connu de vrai succès aux USA, il n’est pas moins
vrai que les moyens annoncés par Décio Pignatari ont surtout été employés
par Augusto de Campos qui a construit tout un pan de son travail sur le web.
Curieusement, malgré sa lecture de Mallarmé dans Teoria da Poesia
Concreta, qu’il considère comme le précurseur d’une conception du poème à
multiples facettes, ce n’est pas dans le volume dédié à Mallarmé que Pignatari
a réalisé ses poèmes graphiques ou visuels. Nous trouvons ses hypertextes
verbivocovisuels les plus éloquents du Coup de dés dans son anthologie Poesia
Pois é Poesia (1977) qui regroupe des textes allant de 1950 à 1975. Il s’agit
notamment de « Stèle pour vivre n° 4 – Mallarmé vietcong34 », un poème
de quatorze pages sur pages doubles. Les sept pages doubles (reproduites
ci-après) présentent le texte à gauche et une image à droite :
Suddenly it made sense: like de Kooning’s famous statement: “History doesn’t influence
me. I influence it”. it’s taken the web to make us see just how prescient concrete poetics was
predicting its own lively reception half a century later. I immediately understood that what
had been missing from concrete poetry has been in limbo: it’s been a displaced genre in
search of a new medium. And now it’s found one » (Marjorie Perloff, Unoriginal Genius:
Poetry by other Means in the new Century, Chicago Press, 2010, p. 50).
34.– Décio Pignatari, « Stèle pour vivre », Vértebra [Vertèbre] [1950-1955], Poesia Pois é
Poesia, São Paulo, Livraria Duas Cidades, 1977, p. 174-189.
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Si les textes renvoient aux poèmes de Mallarmé, par allusion, les images
sont plutôt satyriques voire irrévérencieuses. Ainsi pour « le vierge indice »,
en première page, on nous montre une main avec l’index pointé à droite ; en
deuxième page, « ancestralement à n’ouvrir pas », dans une construction
syntaxique toute mallarméenne, fait face à une clé plate pointée à droite, dans
la même direction que l’index précédent. La troisième page est carrément
humoristique montrant à gauche le vers « sa petite raison virile » et à droite
ce qui ressemblerait à un canon pointé à droite, voire à un sexe masculin
dressé sur ses deux boules – cette possible référence sexuelle, absente du
très sérieux original mallarméen, en avouant le détournement ludique. La
quatrième image est précédée de « penché de l’un ou l’autre bord », avec
un sens énigmatique et est suivie de ce qui pourrait être une pipe avec son
culot vers le bas, et le manche toujours dressé à droite, ou de ce qui pourrait
ressembler encore à un bonnet de nuit. La cinquième page double montre à
gauche « l’effleure une toque de minuit », « illustrée » par un bonnet de
nuit avec sa pointe finissant sur un pompon toujours vers la droite, ce qui
clarifie la reprise humoristique de l’hypotexte mallarméen (Pignatari surim-
posant l’image biographique « pépère » de l’auteur à l’extrême nouveauté
de sa création) ; la page suivante « en foudre » fait écho au canon-sexe
précédent. Enfin, la septième page présente différemment deux vers en
italiques en haut de la page de gauche : « le vieillard vers cette conjonction
suprême » et « le vieil art vers sept, conjonction suprême » dont le sept entre
en résonnance avec le septuor du sonnet en « x »35 ou, plus bas en majuscules
35.– « Elle, défunte nue en le miroir, encor / Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe /
De scintillations sitôt le septuor » (Stéphane Mallarmé, « Plusieurs sonnets », Œuvres
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rraraterra t
erraraterra
terraraterra42
Ainsi le mot « terra » (terre) qui était répété plusieurs fois, tout en
s’articulant et en se désarticulant, rencontre, à la septième ligne, un élément
nouveau « ara » qui isolément signifie « laboure » en portugais. Cet
élément nouveau, qui est une sorte « d’erreur » par rapport à l’attente du
lecteur, va constituer un nouvel élément et déclencher l’apparition d’un
autre élément, proche, « rara » (rare) pour atteindre le climax, « terrara-
terra », « terra à terra » (terre à terre, avec isolement du mot « erra », erre,
se trompe). En quelque sorte le poème s’auto-déchiffre.
Cette vocation à l’analyse fait partie d’un des versants de l’activité de
ce poète, traducteur et excellent critique et va se déployer dans le volume
Mallarmé, écrit dix ans plus tard avec Pignatari et Augusto de Campos. Dans
cet ouvrage, il s’agit surtout de la traduction de poèmes de Mallarmé qui
incluent Un coup de dés43. Haroldo de Campos fait précéder sa traduction
d’un appareil critique de plusieurs pages (des gloses) contenant des éclaircis-
sements sur la signification des termes mais aussi de nombreuses remarques
en provenance d’éminents lecteurs, qui justifient telle ou telle option
traductive44. Il s’agit en quelque sorte à la fois d’une traduction poétique (au
sens plein du terme, compte tenu de l’aspect phono-prosodique) et d’une
traduction érudite.
L’auteur consacre un dernier chapitre sur le poème, « Lance de olhos sur
Um Lance de Dados » (« Coup d’œil sur Un coup de dés »)45, dans lequel
il affirme son intention d’inciter à des lectures et à des retraductions de ce
texte, qu’il considère, après Paul Valéry dans Variété II, comme le « spectacle
idéographique d’une crise ou aventure intellectuelle46 » et dont il fait une
brève lecture herméneutique mettant en relation le poème avec d’autres
thèmes ou auteurs.
Plus tard, en 1997, Haroldo de Campos publie un recueil d’essais, Um
arco iris do branco47 (Un arc-en-ciel du blanc), dans lequel il rend un long
hommage à Mallarmé. Dans l’un d’eux, « Poésie et modernité : de la mort
42.– Décio Pignatari, « Terra », Poesia Pois é Poesia, op. cit., p. 126.
43.– Haroldo de Campos, Mallarmé, op. cit., p. 119-177.
44.– Les critiques cités sont Maurice Blanchot, Jean Hyppolite, Julia Kristeva, Octavio Paz,
Jacques Derrida mais surtout Robert Greer Cohn et Davies Gardner : voir Haroldo de
Campos, Mallarmé, op. cit., p. 144-146.
45.– Haroldo de Campos, « Lance de olhos sobre Um Lance de Dados », ibid., p. 187.
46.– Ibid., p. 186.
47.– Haroldo de Campos, Um arco iris do branco, Rio de Janeiro, Imago, 1997.
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48.– Cet article fait partie, avec d’autres, de la récente publication de Haroldo de Campos,
De la Raison anthropophage, tr. fr. Inês Oseki-Dépré, Caen, Éditions Nous, 2018, p. 95
et sq.
49.– Haroldo de Campos, Um arco iris do branco, op. cit., p. 108.
50.– Ibid., p. 111.
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re
re
desnasce
desmorre desnasce
desmorre desnasce desmorre
nascemorrenasce
morrenasce
morre
se57
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les a guettés
moribondassis
sitibonds
décubite- abattus prédestinataires d’une
aigre (maigre)
re (dif )(forme) forme
-—faim -— a-
graire : les voici
grégaire
communauté de métayers
du néant :
hont-
euse a-
(gonie) sante
vexée
-—corodhontée de
intime-abrasif-re-
mords-—
la patrie
(comment être fier de ?)
apatride
plaint ses dé-
possédés parias -—
patrie parricide :
que peut-être à la fin la
seule épée flamboyante
de l’ange torse de l’his-
toire em-
brasant à contrevent et
rougeoyant les
agrossiciares agrégés de cette
funèbre congrégation où la
mort-maréchale commande une
trouble milice de janissaires-ja-
gunços :
seulement l’ange gauche
de l’histoire brossée à
contrepoil avec sa
multitournante épée pour-
ra (ainsi soit-il) un jour
convoquer de la foule nébuleuse des jours à
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venir le jour
à la fin survenant du
juste
règlement de
comptes59.
Poème post-utopique, s’il en faut, riche en paronomases, mots-valise,
allitérations, sur un problème social brésilien très grave, empruntant à la fois
des procédés mallarméens et les jeux sur les mots et les sonorités d’un Joyce,
idéogrammatique comme Cummings, son intérêt réside aussi dans l’enga-
gement politique de l’auteur sans que cela affecte sa fonction poétique. Peu
importe, dans sa ferveur pour Un coup de dés, qu’Haroldo de Campos en ait
eu une perception contestée par certains critiques du poème ; l’essentiel est
la façon dont il a pu servir de matrice pour une poétique à venir.
59.– Haroldo de Campos, « L’ange gauche de l’histoire », Crisantempo, São Paulo, Ed.
Perspectiva, 1998 ; en français dans Une Anthologie, op. cit., p. 201-204.
60.– Arnaldo Antunes est né le 2 septembre 1960, à São Paulo. Poète, chanteur, graphiste,
producteur et auteur compositeur, on peut l’identifier, par certains côtés, comme
très proche du mouvement concrétiste, pour la concision et pour l’importance de la
matérialité du texte, voire du graphisme de ses poèmes. Parallèlement il appartient
d’abord à un groupe de rock, « Les Titans », dont les spectacles s’apparentent souvent
à des performances et où les chansons sont des poèmes de l’auteur mis en musique.
61.– Arnaldo Antunes, 40 Escritos (éd. João Bandeira), São Paulo, Ed. Iluminuras, 2014,
p. 46.
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não se se
gura
a água
a água
só se
ca65
Dans ce poème apparemment très simple et bref, le poète travaille sur la
disposition des mots pour construire d’abord la séquence : l’eau de l’eau ne
se sé-pare pas tout en jouant sur la séparation du verbe en deux parties dont
l’homophonie (se=se, pronom indéfini ou pronom réflexif de la troisième
personne) créant un effet de surprise mimétique (se séparer). La « strophe »
suivante reprend les deux pronoms (se et se) avec un changement séman-
tique : le sujet de la strophe précédente était « l’eau », ici postposé, suivant
un verbe transitif direct (on n’attrape pas l’eau, elle ne s’attrape pas, l’eau)
avec paronomase entre « -gura » (du verbe « segurar ») et « água ». La
troisième « strophe », là où on s’attend à un parallélisme, une nouvelle
surprise attend le lecteur : l’eau seulement sè-che, intransitif, alors qu’on
pourrait penser à un autre verbe transitif, réflexif.
65.– « L’eau de l’eau ne se sépare pas / ne se retient pas l’eau / l’eau ne peut que sécher »
(Arnaldo Antunes, « A Água », dans Agora aqui ninguém precisa de si, São Paulo,
Companhia das Letras, p. 11) (Nous traduisons).
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66.– Arnaldo Antunes, « Atomo Divisivel », Dois ou mais corpos no mesmo espaço, São
Paulo, Ed. Perspectiva, p. 24-25 (Nous traduisons).
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67.– Arnaldo Antunes, Palavras em movimento, São Paulo, Centro Cultural Correios, 2015.
68.– Voir Haroldo de Campos, De la raison anthropophage, op. cit., p. 115 et 116.
69.– Walter Benjamin, « Expert-comptable assermenté », Sens unique, tr. fr. Jean Lacoste,
Paris, Les Lettres Nouvelles, 1978, p. 176-177.
70.– Walter Benjamin, « Inspecteur général du livre assermenté », dans Sens unique, Paris,
Payot & Rivages, 2013, p. 93.
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71.– André Vallias, né en 1963, est poète, designer, graphiste et producteur dans les
médias interactifs. Il a été le curateur d’importantes expositions de poésie digitale,
parmi lesquelles poesie – digitale Dichtkunst (Annaberg-Buchholz, 1992) et POIESIS
– <poema> entre pixel e programa</> (Rio de Janeiro, 2007). Il a publié Heine, hein?
– poeta dos contrários (Perspectiva, 2011), Totem (Cultura e Barbárie, 2014) et Oratório
(Azougue, 2015). Il est éditeur de la revue online Erratica, voir URL : www.erratica.
com.br (consulté le 24/05/2021).
72.– Voir URL : www.andrevallias.com (consulté le 24/05/2021) (Nous traduisons).
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D’après lui, c’est l’affirmation de Pignatari, « les poètes sont les designers
du langage73 » qui l’a amené à s’intéresser à la poésie et à vouloir combiner
la multitude d’éléments qui constituent le langage. Pendant son séjour en
Allemagne, il est entré en contact avec Willem Flusser et, loin de sa biblio-
thèque, il s’est intéressé à d’autres formes d’expression poétique (vidéo,
CD roms) et cette technologie l’a aidé à étendre le domaine de la poésie,
à dépasser l’écrit et la sérigraphie, suivant de ce fait l’exemple des poètes
concrets. Sur la situation brésilienne actuelle, il nous a fourni deux poèmes
« graphiques » de la même veine politique que Pignatari – « Brésil pays du
futur » et « Les institutions fonctionnent bien » – pour la revue Attaques,
en 201974.
Le premier est composé de plusieurs inscriptions ayant « BRÉSIL »
comme thème du slogan répété plusieurs fois dans les couleurs du drapeau
brésilien (vert/jaune), avec la prédication qui suit et qui rime (-ure). Dans
notre traduction française, nous avons essayé de garder et la rime et la signi-
fication des prédicats, avec un « joke » appuyé sur l’avant-dernière ligne. La
prédication apparaît en blanc (couleur des étoiles du drapeau brésilien). Le
fond est bleu comme dans le drapeau, indexant le firmament :
73.– Décio Pignatari et Luis Ângelo Pinto, « Nova linguagem, nova poesia », TPC, p. 160.
Voir aussi « Teoria da Guerrilha Artística », CONTRACOMUNICACÃO, S.P., Ed.
Perspectiva, p. 165.
74.– André Vallias, dans « II. Brésil : Nous sommes la terre » (Inês Oseki-Dépré éd.),
Attaques, n° 2, mai 2019, p. 66.
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75.– Haroldo de Campos, Um Arco-iris do branco, op. cit., p. 265 (Nous traduisons).
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76.– Ibid.
77.– Ibid., p. 269.
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