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Lycée français Alexandre YERSIN

Hanoi (Vietnam) Année scolaire 2018-2019

DESCRIPTIF POUR LA CLASSE DE 1ère ES/S -GROUPE A


Manuel : L’Ecume des Lettres (Hachette)
Nom de l’élève : ……………….. Professeur : Martine Aran

Objet d’étude : Poésie et quête du sens du Moyen-âge à nos jours

SEQUENCE N°1 : Le lyrisme amoureux (groupement de textes)

Problématique : Comment le lyrisme amoureux permet-il au poète de chanter la femme pour dire le monde ?

Perspectives : - Le mythe d’Orphée


- La Pléiade
- Le Baroque (notions)
- Dada et les surréalistes (notions)
- Le sonnet ; la versification
- Les registres lyrique, élégiaque, pathétique
- Le carpe diem

Supports des lectures analytiques :

- Texte 1 : Ronsard : « Je vous envoie un bouquet. » (1578)

- Texte 2 : Baudelaire : « Parfum exotique » in « Spleen et idéal » Les Fleurs du Mal (1857)

- Texte 3 : Paul Eluard : « La courbe de tes yeux. » in Capitale de la douleur (1926)

Textes et documents complémentaires :

 Ronsard et le carpe diem :

- « Mignonne, allons voir si la rose. » (Ode à Cassandre) (1550)


- « Comme on voit sur la branche » in Sur la mort de Marie (1578)
- « Quand vous serez bien vieille… » in Sonnets pour Hélène (1587)

 Visages de la Pléiade : Ronsard : Préface de La Franciade (1572) (extrait)


Du Bellay : Divers jeux rustiques (1558) (extrait)
Du Bellay : « Sonnet 1 » in Les Regrets (1558)

 La notion de Spleen et Idéal chez Baudelaire à travers trois poèmes :


« Elévation », « Correspondances » et « L’Albatros »

 Visage du surréalisme : André Breton : « Union libre »

 Paul Eluard et la poésie : « L’évidence poétique » (extrait

 Un contre-blason baroque : « Vous faites voir des os quand vous riez... » Paul Scarron

Histoire des Arts :

 Etude de deux Vanités :


- Philippe de Champaigne : La Vanité ou allégorie de la vie humaine (1642)

- Simon Renard de Saint André : Vanité(1650)


Lycée français Alexandre YERSIN
Hanoi (Vietnam) Année scolaire 2018-2019

DESCRIPTIF POUR LA CLASSE DE 1ère ES/S -GROUPE A


Manuel : L’Ecume des Lettres (Hachette)
Nom de l’élève : ……………….. Professeur : Martine Aran

Objet d’étude : Poésie et quête du sens du Moyen-âge à nos jours

SEQUENCE N°2 : ALCOOLS (1913), œuvre intégrale

Problématique : Alcools, un recueil entre tradition et modernité ?

Perspectives - Analyse du titre


- Biographie de l’auteur
- registres lyrique et élégiaque
- le traitement de l’alexandrin dans les poèmes étudiés
- Contexte historique et culturel
- Mouvements littéraires et culturels (notions): le romantisme, le cubisme en peinture, le
surréalisme

Supports des lectures analytiques :

- Texte 1 : « Zone » v.1 à v.24


- Texte 2 : « Le Pont Mirabeau »
- Texte 3 : « Automne malade »
- Texte 4 : « Nuit rhénane »

Textes et documents complémentaires :

 Blaise Cendrars : « Pâques à New York » (extrait) in Du monde entier (1912)

 Guillaume Apollinaire : « Si je mourrais là-bas.. »(1915) (extrait) in Poèmes à Lou (calligramme)


 Guillaume Apollinaire : « Reconnais-toi, poème du 9 février 1915 » in Poèmes à Lou (calligramme)

Lectures cursives :
 Blaise Cendrars : L’Or (1925)
 Boris Vian : L’Ecume des jours (1947)

Histoire des arts :

 Robert Delaunay : La Tour Rouge (1911)

Activités complémentaires :
 L’Abécédaire d’Apollinaire :
- Réalisation collective d’un abécédaire autour d’Apollinaire et de son époque
J’ai travaillé sur les mots suivants :
-
-
Lycée français Alexandre YERSIN
Hanoi (Vietnam) Année scolaire 2018-2019

DESCRIPTIF POUR LA CLASSE DE 1ère ES/S -GROUPE A


Manuel : L’Ecume des Lettres (Hachette)

Nom de l’élève : ……………….. Professeur : Martine Aran

Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIème siècle à nos jours.

SEQUENCE N° 3 : A travers l’Utopie (groupement de textes)

Problématique : Comment les écrivains donnent-ils à voir une vision du monde à travers la création
d’un lieu utopique ?

Perspectives :
- L’Humanisme (notions)

Supports des lectures analytiques :

- Texte 1 : Thomas More : Utopie, (1516) « la description et l’organisation de l’île »

- Texte 2 : Rabelais : Gargantua, (1534) « L’abbaye de Thélème »

- Texte 3 : Voltaire : Candide (1759) Chap. XVIII (extrait) : « Le pays d’Eldorado »

- Texte 4 : Victor Hugo : Introduction au Paris Guide de l’exposition universelle de 1867,


Chap. 1« L’Avenir », 1867

Textes et documents complémentaires :

 Corpus sur les premières utopies (Extraits en lecture cursive) :

- Hésiode : Les Travaux et les Jours, (VIIIème s. av. JC)


- Homère : L’Odyssée, chant VII, trad Victor Bérard, (VIIIème s. av. JC)

 Montesquieu : Lettres Persanes, (1721) Lettres XI à XIV : « les bons troglodytes »

 Victor Hugo : Des Rayons et des Ombres (1840) « La fonction du poète »

 G Perec : W ou le souvenir d’enfance chapitre XXX, (1975). : l’éducation des enfants à W

Lecture cursive :

- Le Meilleur des Mondes Aldous Huxley (1931)

Histoire des Arts :

- L’Utopie en architecture : La saline royale d’Arc-et-Senans (source BNF)


- Bienvenue à Gattaca - Réalisateur :Andrews Nichols (1997)

Activités complémentaires :
- Recherches sur l’Utopie (site BNF)

Lycée français Alexandre YERSIN


Hanoi (Vietnam) Année scolaire 2018-2019

DESCRIPTIF POUR LA CLASSE DE 1ère ES/S -GROUPE A


Manuel : L’Ecume des Lettres (Hachette)

Nom de l’élève : ……………….. Professeur : Martine Aran

Objet d’étude : Théâtre : texte et représentation

SEQUENCE N° 4 : Bernard-Marie KOLTES : Roberto Zucco Edition de Minuit (œuvre intégrale)

Problématique : Comment, grâce à l’écriture, Bernard-Marie Koltès, à partir d’un fait divers sordide,
transforme-t-il un tueur en série en mythe et révèle-t-il un visage de la société
contemporaine ?

Perspectives :
- Biographie et œuvre de Bernard-Marie Koltès
- Contexte de l’écriture de la pièce et réception de la première mise en scène : la censure en question
- Portée sociologique de la pièce
- Une tragédie moderne
- La tragédie classique au XVIIème siècle

Supports des lectures analytiques :

- Texte 1 : « Le meurtre de la mère » (tableau 2) De « La mère de Zucco, en tenue de nuit… » à


« Zucco se déshabille, enfile son treillis et sort. »

- Texte 2 : « La mélancolie de l’inspecteur » (tableau 4) De « Madame, Madame, des forces


diaboliques… » à «. ... ce garçon, il est fichu. »

- Texte 3 : « L’otage » (tableau 10) De « Tirez donc, imbécile... » à « Ferme les yeux. »

Textes complémentaires :

- Racine : Phèdre, (1677), V,6: le récit de la mort d’Hyppolite par Théramène


- Racine : Andromaque (1667) : la scène d’exposition classique

- Articles de presse autour du fait divers et de la pièce de B.M. Koltès

- L’évolution du tragique : des héros mythiques aux figures ordinaires (manuel p178 à 181)

Lectures cursives :

→ deux œuvres au choix (une dans chaque colonne)


Anouilh : Antigone Beaumarchais : Le Barbier de Séville
Corneille : Le Cid Beckett : En attendant Godot
Ionesco : Rhinocéros Césaire Aimé : Une saison au Congo
Musset : On ne badine pas avec l’amour Hugo : Ruy Blas
Pommerat : Cendrillon Ionesco : Le roi se meurt
Reza Yasmina : Art Jarry : Ubu Roi
Rostand : Cyrano de Bergerac Molière : Dom Juan
Gaudé Laurent : Les enfants fleuve Molière : Tartuffe
Molière : Le Misanthrope
Molière : L’Ecole des femmes
Mouawad Wajdi : Forêts
Racine : Phèdre
Racine : Bérénice
Histoire des arts :

- Analyse d’affiches de différentes mises en scène de Roberto Zucco


→ Comment les choix faits révèlent-ils une certaine lecture de la pièce ?

- Visionnage du film de Cédric Kahn : Roberto Zucco (2001)


→ comparaison film / pièce de théâtre

Activités complémentaires :

Exposés d’élèves :

→ en lien avec les références culturelles présentes dans la pièce


- Le monde antique et les mythes
- La tragédie grecque
- Le drame shakespearien
- Le théâtre baroque : le théâtre dans le théâtre, l’illusion théâtrale
- Les mystères au Moyen-Age
- Le théâtre de l’absurde

→ en lien avec la pièce elle-même :


- Portrait des différents personnages
- Les lieux dans la pièce
- Le bestiaire

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SEQUENCE 1 : Le lyrisme amoureux (Lectures analytiques)

Texte 1 : Ronsard : « Je vous envoie un bouquet… »

Je vous envoie un bouquet que ma main


Vient de trier de ces fleurs épanies1,
Qui ne les eust à ce vespre cueillies,
Chutes à terre elles fussent demain2.

Cela vous soit un exemple certain


Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront3 toutes flétries,
Et comme fleurs, périront tout soudain.

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,


Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
Et tost serons étendus sous la lame4 :

Et des amours desquelles nous parlons,


Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour-ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle.

Pierre de Ronsard : Second livre des amours (1578)


« Je vous envoie un bouquet.. . »

1- Epanies : épanouies

2- Si personne ne les avaient cueillies ce soir, elles seraient tombées à terre demain.

3- Cherront : tomberont

4- Lame : dalle du tombeau

5- Pour cette raison


SEQUENCE 1 : le lyrisme amoureux (lectures analytiques)

Texte n°2 : « Parfum exotique »

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,


Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;1

Une île paresseuse où la nature donne


Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,


Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor 2tout fatigués3 par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers4,


Qui circule dans l'air et m'enfle la narine5,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers6.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Spleen et Idéal », 1857.

1. monotone : à prendre ici au sens d’éternel, de continuel.


2. Encor : licence poétique.
3. fatigués : peut s’entendre aussi au sens maritime et signifier « avoir subi des avaries ».
4. tamariniers : Arbres exotiques.
5. narine : en langue classique, terme noble et poétique pour désigner le nez.
6. mariniers : désigne à l’époque les marins d’eau de mer.
SEQUENCE 1 : Le lyrisme amoureux (Lectures analytiques)

Texte n°3 : « La courbe de tes yeux »

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,


Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu,
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousses de rosée,


Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’aurores


Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Paul ELUARD, Capitale de la douleur (1926).


SEQUENCE 2 : Alcools, (1913) un recueil entre tradition et modernité (Lectures
analytiques)

Texte n°1: “Zone” (v.1 à v.24)

À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine


Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
5 La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
10 D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
15 J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
20 Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes
SEQUENCE 2 : Alcools, (1913) un recueil entre tradition et modernité (Lectures
analytiques)

Texte n°2: “ Sous le pont Mirabeau”

Sous le pont Mirabeau coule la Seine


Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face


Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante


L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines


Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


SEQUENCE 2 : Alcools, (1913) un recueil entre tradition et modernité (Lectures
analytiques)

Texte n°3 : “ Automne malade”

Automne malade et adoré


Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines


Les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs


Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille²
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


SEQUENCE 2 : Alcools, (1913) un recueil entre tradition et modernité (Lectures
analytiques)

Texte n°4: “ Nuit rhénane”

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une ronde


Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent


Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


SEQUENCE 3 : Autour de l’utopie (Lectures analytiques)

Texte 1 : L’île d’Utopie

L’Île d'Utopie a cinq cent mille pas de circuit; vers le milieu, qui est sa plus grande largeur, elle a deux cent
mille pas de diamètre; elle conserve cette étendue dans un assez long espace de terrain; ensuite sa largeur
diminue insensiblement, et les extrémités de l'île se terminent en pointes, de sorte qu'à son entrée elle présente
la forme d'un croissant régulier.

La distance d'un cap à l'autre est d'environ onze milles; la mer s'étend dans ce golfe, que la terre abrite
presque en tout sens, aussi n'est-il sujet à aucune de ces violentes tempêtes qui se font sentir hors du détroit.
Ce bras de mer, toujours paisible, ressemble à un grand lac ou à un étang. On peut regarder ce bassin comme
un havre sûr, que la nature a creusé de sa propre main pour la facilité du commerce de ce peuple. A droite,
l'embouchure du détroit est garnie de bancs de sable; à gauche elle est hérissée d'écueils; vers le milieu s'élève
un rocher très commode, sur lequel on a construit un fort pour défendre le passage. Tous les autres rochers
sont à fleur d'eau. Il est impossible de ne pas se perdre, si on ne suit point, en entrant dans ce port, la route et
tous les détours que les seuls habitants connaissent. C'est ce qui fait qu'un navire étranger ne peut mouiller
dans cette rade que sous la conduite d'un pilote côtier. Il est même nécessaire que de la côte on lui trace, par
des signaux, le chemin qu'il doit tenir pour se garantir du naufrage. Le seul changement de place de ces
signaux suffirait pour faire périr entièrement une flotte ennemie, quelque nombreuse qu'elle fût. De l'autre côté
de l’île on trouve plusieurs ports fort bien abrités, et dans tous les endroits où l'on pourrait tenter une descente,
la nature et l'art se sont si bien accordés pour fortifier la côte qu'une poignée de monde serait en état de
repousser l'attaque d'une armée formidable.

Au reste, suivant l'histoire des Utopiens, et même à en juger par la situation du pays, on apprend
qu'autrefois il ne formait point une île. Utope, qui en fit la conquête, au lieu du nom d'Abraxas1 qu'il portait, lui
donna le sien. Cet Utope passe pour le fondateur de la république.

Ce fut lui qui le premier civilisa ses habitants et leur donna cette forme de gouvernement si supérieur à
tous ceux qui nous sont connus. Ce conquérant législateur, s'étant rendu maître presque sans coup férir de la
contrée, fit aussitôt couper une langue de terre de quinze mille pas qui joignait le pays à la terre ferme.

Pour ne pas donner aux habitants lieu de croire qu'il voulait les humilier par ces travaux serviles, il y
employa, conjointement avec eux, ses propres soldats. L’entreprise fut poussée avec autant de vigueur que de
célérité, si bien que les peuples voisins, qui la traitaient d'abord d'extravagante, furent frappés d'admiration et
même de terreur lorsqu'ils la virent terminée en si peu de temps.

On compte dans toute l'étendue de l'île cinquante-quatre villes, qui ont, autant que le site du terrain sur
lequel elles sont bâties a pu le permettre, la même exposition et la même forme. Elles se servent toutes du
même idiome, des mêmes coutumes, et sont gouvernées par les mêmes lois.

Les plus proches de ces cités sont à vingt-quatre milles de distance, les plus éloignées les unes des autres
ne le sont que d'une journée de chemin à pied. De chacune de ces villes trois citoyens, également respectables
par leur âge et leur longue expérience, se rendent tous les ans à Amaurote2, pour y traiter des affaires qui
concernent l'île en général. Amaurote est la capitale du pays, parce que, se trouvant placée au centre, les
députés des autres villes peuvent s'y rendre avec une égale commodité. Le partage des terres labourables a
été fait avec une proportion si exacte que le territoire de chaque ville est au moins de vingt mille pas de
circonférence.

Thomas More : Utopie (1516)

Notes
1. Abraxa ou Abraxas, vieux mot cabalistique, nom du Dieu suprême selon les Basilidiens, hérétiques du onzième siècle. Ce mot
renfermait, disait-on, de grands mystères et avait autant de vertus qu'il y a de jours dans l'année, parce que les sept lettres qui le
composent forment en grec le nombre de 305. On donnait ce nom à des espèces de talismans en pierres taillées ou chargées de
caractères hiéroglyphiques.
2. Du grec amauros, obscur : la ville sans renommée
SEQUENCE 3 : Autour de l’utopie (Lectures analytiques)

Texte n°2 : L’abbaye de Thélème

Rabelais raconte comment Grandgousier, le père de Gargantua, remercie Frère Jean d’avoir combattu à ses côtés contre
Picrochole, en lui offrant une abbaye originale : Thélème, « abbaye du bon vouloir » selon l’étymologie grecque.

Toute leur vie était employée non par lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levaient
du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait ; nul ne
les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire chose autre quelconque. Ainsi l’avait établi
Gargantua. En leur règle n’était que cette clause :

Fais ce que voudras,

parce que gens libères1, bien nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et
aiguillon, qui toujours les pousse à faits vertueux et retire de vice, lequel ils nommaient honneur. Iceux, quand
par vile sujétion et contrainte se sont déprimées et asservis détournent la noble affection, par laquelle à vertu
franchement tendaient, à déposer et enfreindre ce joug de servitude ; car nous entreprenons toujours choses
défendues et convoitons ce qui nous est dénié.

Par cette liberté entrèrent en louable émulation de faire tout ce qu’à un seul voyaient plaire Si quelqu’un
ou quelqu’une disait : « Buvons », tous buvaient ; si disait : « Jouons », tous jouaient ; si disait : « Allons à l’ébat
aux champs », tous y allaient. Si c’était pour voler2, ou chasser, les dames, montées sur belles hacquenées3 avec
leur palefroi gourrier4, sur le poing, mignonnement engantelé, portaient chacune ou un épervier, ou un laneret,
ou un émérillon5. Les hommes portaient les autres oiseaux.

Tant noblement étaient appris qu’il n’était entre eux celui ni celle qui ne sut lire, écrire, chanter, jouer
d’instruments harmonieux, parler de cinq ou six langages, et en iceux composer tant en carme6, que en oraison
solue7. Jamais ne furent vus chevaliers tant preux, tant galants, tant dextres8 à pied et à cheval, plus vers9, mieux
remuant, mieux maniant tous bâtons10, que là étaient, jamais ne furent vues dames tant propres, tant mignonnes,
moins fâcheuses, plus doctes à la main, à l’aiguille, à tout acte mulièbre11 honnête et libère, que là étaient.

Par cette raison, quand le temps venu était que aucun d’icelle abbaye, ou à la requête de ses parents, ou
autres causes, voulut issir12 hors, avec soi emmenait une des dames, celle laquelle l’aurait pris pour son
dévot13, et étaient ensembles mariés ; et si bien avaient vécu à Thélème en dévotion et amitié, encore mieux la
continuaient-ils en mariage : d’autant se entr’aimaient-ils à la fin de leurs jours comme le premier de leurs
noces.
Rabelais : Gargantua, chap. 57(1534) (orthographe modernisée)

1 Libres, au sens de « de bonne naissance.


2 Chasser avec des oiseaux de volerie.
3 Jument paisible, monture de dame.
4 Accompagnées de leur fier palefroi, cheval de chasse.
5 Faucons utilisés pour la chasse.
6 Vers.
7 prose
8 Adroits
9 vigoureux
10 armes
11 féminin
12 sortir
13 Ami
SEQUENCE 3 : Autour de l’utopie (Lectures analytiques)

Texte n°3 : L’Eldorado

Candide et son valet Cacambo, découvrent le pays d’Eldorado. Après avoir discuté avec un vieillard, ils
rencontrent le roi.

Le bon vieillard fit atteler un carrosse à six moutons, et donna douze de ses domestiques aux deux
voyageurs pour les conduire à la cour. « Excusez-moi, leur dit-il, si mon âge me prive de l'honneur de vous
accompagner. Le roi vous recevra d'une manière dont vous ne serez pas mécontents, et vous pardonnerez
sans doute aux usages du pays, s'il y en a quelques-uns qui vous déplaisent. »

Candide et Cacambo montent en carrosse ; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on
arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut et de cent
de large ; il est impossible d’exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle
devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries.

Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent
aux bains, les vêtirent de robes d'un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes
officières de la couronne les menèrent à l'appartement de Sa Majesté, au milieu de deux files chacune de mille
musiciens, selon l'usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand
officier comment il fallait s'y prendre pour saluer Sa Majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on
mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot, quelle était la
cérémonie. « L'usage, dit le grand officier, est d'embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et
Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable et qui les pria poliment à
souper.

En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu'aux nues, les marchés ornés de
mille colonnes, les fontaines d'eau pure, les fontaines d'eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre, qui
coulaient continuellement dans de grandes places, pavées d'une espèce de pierreries qui répandaient une
odeur semblable à celle du gérofle1 et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ;
on lui dit qu'il n'y en avait point, et qu'on ne plaidait jamais. Il s'informa s'il y avait des prisons, et on lui dit que
non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une
galerie de deux mille pas, toute pleine d'instruments de mathématique et de physique.

Voltaire : Candide, (1759), chap. XVIII

1- Gerofle :forme ancienne de girofle (aromate)


SEQUENCE 3 : Autour de l’utopie (Lectures analytiques)

Texte n°4 : « L’Avenir »

Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera
pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité
douce d’une aînée. Elle s’étonnera de la gloire des projectiles coniques, et elle aura quelque peine à faire la
différence entre un général d’armée et un boucher ; la pourpre de l’un ne lui semblera pas très distincte du rouge
de l’autre. Une bataille entre Italiens et Allemands, entre Anglais et Russes, entre Prussiens et Français, lui
apparaîtra comme nous apparaît une bataille entre Picards et Bourguignons. Elle considérera le gaspillage du
sang humain comme inutile. Elle n’éprouvera que médiocrement l’admiration d’un gros chiffre d’hommes tués. Le
haussement d’épaules que nous avons devant l’inquisition, elle l’aura devant la guerre. […]
[Q]uiconque voudra aura sur un sol vierge un toit, un champ, un bien-être, une richesse, à la seule
condition d’élargir à toute la terre l’idée patrie, et de se considérer comme citoyen et laboureur du monde ; de
sorte que la propriété, ce grand droit humain, cette suprême liberté, cette maîtrise de l’esprit sur la matière, cette
souveraineté de l’homme interdite à la bête, loin d’être supprimée, sera démocratisée et universalisée. Il n’y aura
plus de ligatures ; ni péages aux ponts, ni octrois aux villes, ni douanes aux Etats, ni isthmes aux océans, ni
préjugés aux âmes. Les initiatives en éveil et en quête feront le même bruit d’ailes que les abeilles. La nation
centrale d’où ce mouvement rayonnera sur tous les continents sera parmi les autres sociétés ce qu’est la ferme
modèle parmi les métairies. Elle sera plus que nation, elle sera civilisation ; elle sera mieux que civilisation, elle
sera famille. Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre, unité de méridien, unité de code ; la circulation
fiduciaire à son plus haut degré ; le papier-monnaie à coupon faisant un rentier de quiconque a vingt francs dans
son gousset ; une incalculable plus-value résultant de l’abolition des parasitismes ; plus d’oisiveté l’arme au bras ;
la gigantesque dépense des guérites supprimée ; les quatre milliards que coûtent annuellement les armées
permanentes laissés dans la poche des citoyens ; les quatre millions de jeunes travailleurs qu’annule
honorablement l’uniforme restitués au commerce, à l’agriculture et à l’industrie ; partout le fer disparu sous la
forme glaive et chaîne et reforgé sous la forme charrue ; la paix, déesse à huit mamelles, majestueusement assise
au milieu des hommes ; aucune exploitation, ni des petits par les gros, ni des gros par les petits ; et partout la
dignité de l’utilité de chacun sentie par tous ; l’idée de domesticité purgée de l’idée de servitude ; l’égalité sortant
toute construite de l’instruction gratuite et obligatoire ; l’égout remplacé par le drainage ; le châtiment remplacé
par l’enseignement ; la prison transfigurée en école ; l’ignorance, qui est la suprême indigence, abolie ; l’homme
qui ne sait pas lire aussi rare que l’aveugle-né […].
[…] Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle
s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera
l’Humanité.
L’Humanité, nation définitive, est dès à présent entrevue par les penseurs, ces contemplateurs des
pénombres ; mais ce à quoi assiste le dix-neuvième siècle, c’est à la formation de l’Europe. Vision majestueuse.
Il y a dans l’embryogénie des peuples, comme dans celle des êtres, une heure sublime de transparence. Le
mystère consent à se laisser regarder. Au moment où nous sommes, une gestation auguste est visible dans les
flancs de la civilisation. L’Europe, une, y germe. Un peuple, qui sera la France sublimée, est en train d’éclore.
L’ovaire profond du progrès fécondé porte, sous cette forme dès à présent distincte, l’avenir. Cette nation qui sera
palpite dans l’Europe actuelle comme l’être ailé dans la larve reptile. Au prochain siècle, elle déploiera ses deux
ailes, faites, l’une de liberté, l’autre de volonté.
Le continent fraternel, tel est l’avenir. Qu’on en prenne son parti, cet immense bonheur est inévitable.
Avant d’avoir son peuple, l’Europe a sa ville. De ce peuple qui n’existe pas encore, la capitale existe déjà.
Cela semble un prodige, c’est une loi. Le fœtus des nations se comporte comme le fœtus de l’homme, et la
mystérieuse construction de l’embryon, à la fois végétation et vie, commence toujours par la tête.
VICTOR HUGO, Introduction au Paris-guide de l’exposition universelle de 1867, chap.1
« L’Avenir », 1867.
SEQUENCE 4 : Roberto Zucco Bernard-Marie Koltès
L.A. 1 : MEURTRE DE LA MÈRE.
La mère de Zucco, en tenue de nuit devant la porte fermée.
LA MÈRE. - Roberto, j'ai la main sur le téléphone, je décroche et j'appelle la police...
ZUCCO. - Ouvre-moi.
LA MÈRE - Jamais.
ZUCCO. - Si je donne un coup dans la porte, elle tombe, tu le sais bien, ne fais pas l'idiote.
LA MÈRE. - Eh bien, fais-le donc, malade, cinglé, fais-le et tu réveilleras les voisins. Tu étais plus à l'abri en
prison, car s'ils te voient ils te lyncheront : on n’admet pas ici que quelqu'un tue son père. Même les chiens,
dans ce quartier, te regarderont de travers.
Zucco cogne contre la porte.
LA MÈRE. - Comment t'es-tu échappé ? Quelle espèce de prison est-ce là ?
ZUCCO. - On ne me gardera jamais plus de quelques heures en prison. Jamais. Ouvre donc ; tu ferais perdre
patience à une limace. Ouvre, ou je démolis la baraque.
LA MÈRE. - Qu'es-tu venu faire ici ? D'où te vient ce besoin de revenir ? Moi, je ne veux plus te voir, je ne
veux plus te voir. Tu n'es plus mon fils, c'est fini. Tu ne comptes pas davantage, pour moi, qu'une mouche à
merde.
Zucco défonce la porte.
LA MÈRE. Roberto, n'approche pas de moi.
ZUCCO. - Je suis venu chercher mon treillis.
LA MÈRE. - Ton quoi ?
ZUCCO – Mon treillis : ma chemise kaki et mon pantalon de combat.
LA MÈRE. - Cette saloperie d'habit militaire. Qu'est-ce que tu as besoin de cette saloperie d'habit militaire ? Tu
es fou, Roberto. On aurait dû comprendre cela quand tu étais au berceau et te foutre à la poubelle.
ZUCCO. - Bouge-toi, dépêche-toi, ramène-le-moi de suite.
LA MÈRE. - Je te donne de l'argent. C'est de l'argent que tu veux. Tu t'achèteras tous les habits que tu veux.
ZUCCO - Je ne veux pas d'argent. C'est mon treillis que je veux.
LA MÈRE - Je ne veux pas, je ne veux pas. Je vais appeler les voisins.
ZUCCO - Je veux mon treillis.
LA MÈRE. - Ne crie pas, Roberto, ne crie pas, tu me fais peur ; ne crie pas, tu vas réveiller les voisins. Je ne
peux pas te le donner, c'est impossible : il est sale, il est dégueulasse, tu ne peux pas le porter comme cela.
Laisse-moi le temps de le laver, de le faire sécher, de le repasser.
ZUCCO. - Je le laverai moi-même. J'irai à la laverie automatique.
LA MÈRE. - Tu dérailles, mon pauvre vieux. Tu es complètement dingue.
ZUCCO - C'est l'endroit du monde que je préfère. C'est calme, c'est tranquille, et il y a des femmes.
LA MÈRE. - Je m'en fous. Je ne veux pas te le donner. Ne m'approche pas, Roberto. Je porte encore le deuil
de ton père, est-ce que tu vas me tuer à mon tour ?
ZUCCO - N'aies pas peur de moi, maman. J'ai toujours été doux et gentil avec toi. Pourquoi aurais-tu peur de
moi ? Pourquoi est-ce que tu ne me donnerais pas mon treillis ? J'en ai besoin, maman, j'en ai besoin.
LA MÈRE. - Ne sois pas gentil avec moi, Roberto. Comment veux-tu que j'oublie que tu as tué ton père, que tu
l'as jeté par la fenêtre, comme on jette une cigarette ? Et maintenant, tu es gentil avec moi. Je ne veux pas
oublier que tu as tué ton père, et ta douceur me ferait tout oublier, Roberto.
ZUCCO. - Oublie, maman. Donne-moi mon treillis, ma chemise kaki et mon pantalon de combat ; même sales,
même froissés, donne-les-moi. Et puis je partirai, je te le jure.
LA MÈRE. - Est-ce moi, Roberto, est-ce moi qui t'ai accouché ? Est-ce de moi que tu es sorti ? Si je n'avais
pas accouché de toi ici, si je ne t'avais pas vu sortir, et suivi des yeux jusqu'à ce qu'on te pose dans ton berceau
; si je n'avais pas posé, depuis le berceau, mon regard sur toi sans te lâcher, et surveillé chaque changement
de ton corps au point que je n'ai pas vu les changements se faire et que je te vois là, pareil à celui qui est sorti
de moi dans ce lit, je croirais que ce n'est pas mon fils que j'ai devant moi. Pourtant, je te reconnais,
Roberto. Je reconnais la forme de ton corps, ta taille, la couleur de tes cheveux, la couleur de tes yeux, la
forme de tes mains, ces grandes mains fortes qui n'ont jamais servi qu'à caresser le cou de ta mère, qu'à serrer
celui de ton père, que tu as tué. Pourquoi cet enfant, si sage pendant vingt-quatre ans, est-il devenu fou
brusquement ? Comment as-tu quitté les rails, Roberto ? Qui a posé un tronc d'arbre sur ce chemin si droit
pour te faire tomber dans l'abîme ? Roberto, Roberto, une voiture qui s'est écrasée au fond d'un ravin, on ne la
répare pas, Un train qui a déraillé, on n'essaie pas de le remettre sur ses rails. On l'abandonne, on l'oublie. Je
t'oublie, Roberto, je t'ai oublié.
ZUCCO. - Avant de m'oublier, dis-moi où est mon treillis.
LA MÈRE. – Il est là, dans le panier. Il est sale et tout froissé. (Zucco sort le treillis.) Et maintenant va-t'en, tu
me l'as juré.
ZUCCO. – Oui, je l'ai juré.
Il s'approche, la caresse, l'embrasse, la serre ; elle gémit.
Il la lâche et elle tombe, étranglée. Zucco se déshabille, enfile son treillis et sort.

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