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Code établissement : 0932031C

Lycée Général et Technologique Charles de Gaulle,


102 rue Lavoisier, 93110 Rosny-sous-Bois
01 48 94 30 62

E.A.F 2022 – Epreuves orales –


Récapitulatif des lectures et activités
Ce descriptif comporte 16 lectures linéaires
Nous avons étudié quatre œuvres intégrales et quatre lectures cursives

~ Classe 1E ~
1ère Générale

Œuvre choisie par l’élève : ……………………………………………………………………………….

Mme DOURVER C. RUSE


Enseignante Proviseure

1|27
Table des matières

❖ Points de Grammaire étudiés :

- L’interrogation
- La négation
- Les subordonnées conjonctives circonstancielles

❖ Liste des lectures cursives proposées par objet d’étude


(une au choix parmi quatre pour chaque OE) :

1. La poésie – Alchimie poétique : la boue et l’or


- Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire, 1947
- Coups de Pilon, David Diop, 1956
- A la ligne, Joseph Ponthus, 2020
- Les Ronces, Cécile Coulon, 2021

2. La littérature d’idées – Ecrire et combattre pour l’égalité


- La Vagabonde, Colette, 1910
- L’œil le plus bleu, Toni Morrisson, 1970
- King Kong théorie, Virginie Despentes, 2006
- Beauté Fatale, Mona Chollet, 2012

3. Le roman – Individu, Morale et Société


- Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos, 1782
- Nana, Emile Zola, 1880
- Beloved, Toni Morrison, 1987
- Le Pays des autres, Leïla Slimani, 2021

4. Le théâtre – Crise personnelle, Crise familiale


- Antigone, Sophocle, 441 av. J.-C.
- Phèdre, Racine, 1674
- Une maison de poupée, Ibsen, 1879
- Incendies, Wajdi Mouawad, 2003

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Objet d’étude n°1 : La poésie du XIXème au XXIème siècle……………………………………….. p .5

Parcours : Alchimie poétique, la boue et l’or


Œuvre Intégrale : Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire, 1857

I. Lectures linéaires OI :
Problématique : Comment, dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire se fait-il alchimiste ?

LL1 : « Le soleil », Section « Tableaux parisiens »


LL2 : « Une charogne », Section « Spleen et Idéal », strophes 1 à 4 et 10 à 12
LL3 : « Rêve parisien », Section « Tableau parisien », strophes 1 à 3 et 10 à 15

II. Lectures linéaires Parcours associé : Le poète visionnaire

LL4 : « Aube », Les Illuminations, Arthur Rimbaud, 1895


LL5 : « J’ai tant rêvé de toi », section « A la mystérieuse », Corps et Biens,
Robert Desnos, 1930

Objet d’étude n° 2 : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle……………….………………p. 11

Parcours : Ecrire et combattre pour l’égalité


Œuvre intégrale : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges,
1791

I. Lectures linéaires OI
Problématique : Comment Olympe de Gouges porte-t-elle son combat pour
l’égalité ?

LL6 : « Préambule » et Article 1


LL7 : « Postambule », Extrait 1 – Femme réveille-toi ! - : De « Femme,
réveille-toi » à « Il suffit de le vouloir »
LL8 : « Postambule », Extrait 2 – La condition féminine - : De « Sous l’ancien
régime » à « l’administration publique »

II. Lecture linéaire Parcours associé : le combat contre l’esclavage

LL9 : Extrait de l’« Epitre Dédicatoire », Réflexions sur l’esclavage des nègres,
Condorcet, 1781

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Objet d’étude n° 3 : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle…………….……………p. 16

Parcours : Le personnage de roman : individu, morale et société


Œuvre intégrale : La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette, 1678

I. Lectures linéaires OI
Problématique : En quoi La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette reflète-t-il
les tensions de la société de son temps ?

LL 10 : L’arrivée d’une Princesse : De « Il parut une beauté à la cour » à


« d’aimer son mari et d’en être aimé »
LL 11 : La rencontre : De « Elle passa tout jour » à «s’ils ne s’en doutaient
point »
LL 12 : L’aveu : De « Eh bien monsieur » à « incapable de l’être »

II. Lecture linéaire Parcours associé : La mort des personnages

LL 13 : La mort de Gavroche, Les Misérables, Tome V, Livre 1, Chapitre XV,


Victor Hugo, 1862 - De : « Il se dressa tout droit » à « cette petite grande
âme venait de s’envoler »

Objet d’étude n° 4 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle …………………………………..…………p. 22

Parcours : Crise personnelle, crise familiale


Œuvre intégrale : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, 1990

I. Lectures linéaires OI

Problématique : Comment, dans Juste la fin du monde, la crise personnelle de Louis révèle-t-
elle une crise familiale ?

LL 14 : Le prologue
LL 15 : Le repas, Partie 1, scène 9 (en entier)
LL 16 : La colère d’Antoine, Partie 2, Scène 3
De : « Tu dis qu’on ne t’aime pas » à « coupable de n’y pas croire en silence »

4|27
Objet d’études n°1 : La poésie du XIXème au XXIème siècle

Parcours : Alchimie poétique, la boue et l’or


Œuvre Intégrale : Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire, 1857

I. Lectures linéaires OI :
Problématique : Comment, dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire se fait-il alchimiste ?

LL1 : « Le soleil », Section « Tableaux parisiens »


LL2 : « Une charogne », Section « Spleen et Idéal », strophes 1 à 4 et 10 à 12
LL3 : « Rêve parisien », Section « Tableau parisien », strophes 1 à 3 et 10 à 15

II. Lectures linéaires Parcours associé : Le poète visionnaire

LL4 : « Aube », Les Illuminations, Arthur Rimbaud, 1895


LL5 : « J’ai tant rêvé de toi », section « A la mystérieuse », Corps et Biens,
Robert Desnos, 1930

III. Lectures cursives (au choix) :

- Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire, 1947


- Coups de Pilon, David Diop, 1956
- A la ligne, Joseph Ponthus, 2020
- Les Ronces, Cécile Coulon, 2021

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LL1 : « Le Soleil », « Tableaux parisiens », Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1857

« Le soleil » est le deuxième poème de la section « Tableaux


parisiens » des Fleurs du Mal de Baudelaire. Dans ce texte,
originellement le deuxième de la section « Spleen et Idéal », le
soleil, tour à tour cruel et bienfaiteur, éclaire la ville et le poète.

Impression soleil levant, Claude Monet, 1972-1973


LXXXVII
Le soleil

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures1


Les persiennes2, abri des secrètes luxures3,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
5 Je vais m'exercer seul à ma fantasque4 escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses5,


10 Eveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
15 Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu6'un poète, il descend dans les villes,


Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
20 Dans tous les hôpitaux7 et dans tous les palais.

1 Masures : logements pauvres et délabrés, taudis.


2 Persiennes : volets dont les lamelles de bois laissent passer le jour.
3 Luxures : Recherche immodérée des plaisirs de la chair.
4 Fantasque : Qui manifeste une humeur inégale, qui est imprévisible. Qui suit sa fantaisie.
5 Chlorose : Maladie qui provoque une anémie. Les personnes qui en sont atteintes ont le teint verdâtre, sans couleurs.
6 Ainsi que : comme
7 Hôpitaux : au XIXe siècle, les hôpitaux accueillaient les malades et les indigents (les très pauvres).
LL2 : « Une charogne », Les Fleurs du Mal, 1857
Strophes 1 à 4 et 10 à 12

Situé dans « Spleen et Idéal », « Une charogne » est l’un des textes les plus célèbres de
Baudelaire. A rebours de la poésie amoureuse traditionnelle, la promenade du couple
prend un tour inattendu lorsque les amants tombent sur une charogne en putréfaction.
Carcasse de bœuf, Chaïm Soutine, 1925 ->

<- Bœuf écorché, Rembrandt, 1665

XXIX

Une charogne8

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

5 Les jambes en l'air, comme une femme lubrique9,


Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique10
Son ventre plein d'exhalaisons11.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,


10 Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe


Comme une fleur s'épanouir.
15 La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

(…)

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
20 Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,


Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

25 Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine


Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

8 Charogne : cadavre d’un animal en décomposition


9 Lubrique : qui manifeste un penchant excessif pour les plaisirs sexuels
10 Cynique : Qui avoue avec insolence, et en la considérant comme naturelle, une conduite contraire aux conventions sociales, aux règles morales.
11 Exhalaisons : vapeurs, odeurs répandues par certains corps.

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LL3 : « Rêve parisien », Poème CII, Section « Tableaux parisiens », Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire, 1857
Strophes 1 à 3 et 10 à 15

La publication des Fleurs du mal en 1857 vaudra à Charles Baudelaire un procès


pour outrage aux bonnes mœurs. Le poème qui nous intéresse ici n’est pas, loin
s’en faut, le plus sulfureux de l’œuvre. Avant-dernier poème de la section
« Tableaux parisiens » des Fleurs du mal, « Rêve parisien », dédicacé au peintre
et illustrateur Constantin Guys, nous propose un voyage onirique dans un Paris où se mêlent spleen et
idéal.

Monet, Vue générale de Rouen, 1892

CII
« Rêve parisien » 1
À Constantin Guys 2.
I
De ce terrible paysage, Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
Tel que jamais mortel n'en vit, De soleil, même au bas du ciel,
Ce matin encore l'image, Pour illuminer ces prodiges,
Vague et lointaine, me ravit. Qui brillaient d'un feu personnel !

5 Le sommeil est plein de miracles ! 25 Et sur ces mouvantes merveilles


Par un caprice singulier, Planait (terrible nouveauté !
J'avais banni de ces spectacles Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !)
Le végétal irrégulier, Un silence d'éternité.

Et, peintre fier de mon génie, II


10 Je savourais dans mon tableau En rouvrant mes yeux pleins de flamme
L'enivrante monotonie 30 J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Du métal, du marbre et de l'eau. Et senti, rentrant dans mon âme,
(…) La pointe des soucis maudits ;

Architecte de mes féeries, La pendule aux accents funèbres


Je faisais, à ma volonté, Sonnait brutalement midi,
15 Sous un tunnel de pierreries 35 Et le ciel versait des ténèbres
Passer un océan dompté ; Sur le triste monde engourdi.

Et tout, même la couleur noire,


Semblait fourbi 3, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
20 Dans le rayon cristallisé.

1 Avant dernier poème de la section « Tableaux parisiens » des Fleurs du mal (1857), il précède « Le crépuscule du matin ».
2 Constantin Guys : artiste peintre français (1805-1892) auquel Baudelaire a consacré une étude en 1863, Le Peintre de la vie
moderne.
3 Fourbi : astiqué, nettoyé en frottant vigoureusement.

8|27
LL4 : « Aube », Les Illuminations, Arthur Rimbaud, 1895

Composé entre 1872 et 1875, le recueil des Illuminations d’Arthur Rimbaud fut publié de
manière posthume en 1895. « Aube » s’inscrit dans le désir de Rimbaud de voir en la
poésie un moyen pour le poète visionnaire de partager cette autre réalité qu’est le rêve.

Van Gogh, Champ labouré au soleil levant, 1888

« Aube »

J'ai embrassé l'aube d'été.


Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la
route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les
ailes se levèrent sans bruit.
5 La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son
nom.
Je ris au wasserfall12 blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la
déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au
10 coq.
A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais
de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un
peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
15 Au réveil il était midi.

12
Wasserfall : allemand : cascade, chute d’eau
9|27
LL 5 : « J’ai tant rêvé de toi », section « A la mystérieuse », Corps et Biens, Robert Desnos, 1930

Célèbre figure du surréalisme, Robert Desnos publie Corps et Biens en 1930. La section « A la
mystérieuse », dont est extrait « J’ai tant rêvé de toi » est consacrée à la femme aimée. Peut-être
s’agit-il de la chanteuse Yvonne de Knops avec qui le poète vit une histoire passionnée mais non
réciproque. Mêlant deux motifs privilégiés par le surréalisme, l’amour et le rêve, Robert Desnos
parvient ici à rendre présente l’absente…

« J’ai tant rêvé de toi »

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.


Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m'est chère?
5 J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
A se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
10 Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps


Sans doute que je m'éveille.
15 Je dors debout, le corps exposé
A toutes les apparences de la vie
Et de l'amour et toi, la seule
qui compte aujourd'hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front
20 Et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,


Couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être,
25 Et pourtant, qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l'ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

10 | 2 7
Objet d’étude n° 2 : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

Parcours : Ecrire et combattre pour l’égalité


Œuvre intégrale : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791

I. Lectures linéaires OI
Problématique : Comment Olympe de Gouges porte-t-elle son combat pour l’égalité ?

LL6 : « Préambule » et Article 1


LL7 : « Postambule », Extrait 1 – Femme réveille-toi ! –
De « Femme, réveille-toi » à « Il suffit de le vouloir »
LL8 : « Postambule », Extrait 2 – La condition féminine –
De « Sous l’ancien régime » à « l’administration publique »

II. Lecture linéaire Parcours associé : le combat contre l’esclavage

LL9 : Extrait de l’« Epitre Dédicatoire », Réflexions sur l’esclavage des nègres,
Condorcet, 1781

III. Lectures cursives (une au choix) :

- La Vagabonde, Colette, 1910


- L’œil le plus bleu, Toni Morrisson, 1970
- King Kong théorie, Virginie Despentes, 2006
- Beauté Fatale, Mona Chollet, 2012

11 | 2 7
LL6 : Préambule
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791

Révolutionnaire et patriote convaincue, femme des Lumières, Olympe de Gouges écrit sa


Déclaration des droits de la femme et de la Citoyenne en 1791, soit deux ans après la Révolution
française. En réécrivant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’autrice signe un
texte polémique et engagé au service de l’égalité hommes-femmes.
Portrait d’Olympe de Gouges attribué à Alexandre Kucharski, 1788

DECLARATION DES DROITS DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE


A décréter13 par l’assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature14.

PREAMBULE.

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en
Assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont
les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, [elles] ont résolu
5 d’exposer dans une déclaration solennelle15, les droits naturels, inaliénables16 et sacrés de la femme,
afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social17, leur rappelle
sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir
des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en
10 soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes
simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution18, des bonnes mœurs, et
au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances


maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême 19, les Droits
suivants de la Femme et de la Citoyenne.
15
ARTICLE PREMIER.

La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent
être fondées que sur l’utilité commune.

13 Adopter officiellement par décret.


14 Durée d’exercice d’une assemblée législative.
15 Officielle.
16 Fondamentaux, dont l’être humain ne peut être privé.
17 De la société.
18 Ensemble des lois qui déterminent le mode de gouvernement d’un Etat et définissent les droits des citoyen.ne.s.
19 Avec la protection du Créateur. Dans le contexte révolutionnaire, la religion catholique a été remplacée par un culte déiste (ne se

réclamant d’aucune religion).


12 | 2 7
LL7 : Postambule (Extrait 1) – De « Femme, Réveille-toi ! » à « qu’à le vouloir »
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791

Femme des Lumières, révolutionnaire convaincue, Olympe de gouges publie sa


Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791. Elle y met en jeu
plusieurs stratégies argumentatives pour obtenir l’égalité des droits hommes-
femmes. Cet extrait est l’un des plus célèbres de son œuvre.
Illustration de la couverture de Olympe de Gouges, Catel et Boquet, 2012

POSTAMBULE

Femme, réveille-toi ! Le tocsin20 de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais
tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de
superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de
l’usurpation21. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser
5 ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand
cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ?
Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que
sur la faiblesse des hommes. Votre empire22 est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des
injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine fondée sur les sages décrets23 de la
10 nature ! Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise24 ? Le bon mot du Législateur des
noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps
accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison25, ne vous répètent : « Femmes,
qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » — « Tout », auriez-vous à répondre. S’ils s’obstinaient,
dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence26 en contradiction avec leurs principes ; opposez
15 courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les
étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces
orgueilleux, non serviles27 adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les
trésors de l’Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre
pouvoir de les affranchir28 ; vous n’avez qu’à le vouloir.

20
Cloche que l’on sonne de manière prolongée pour avertir d’un danger.
21
Fait de s’attribuer un bien de façon illégitime, sans y avoir droit.
22
Votre pouvoir, influence.
23
Lois.
24
Action.
25
Qui n’est plus d’actualité.
26
Cette provocation.
27
Soumis.
28
De vous en libérer.
13 | 2 7
LL8 : Postambule – Extrait 2 – La condition féminine
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges, 1791

A la suite des droits revendiqués pour obtenir l’égalité hommes-femmes dans


sa Déclaration des Droits de la Femme et de Citoyenne, Olympe de Gouges
change de stratégie argumentative pour dépeindre la condition féminine de
son temps.
Le Verrou, Fragonard, 1777

POSTAMBULE

[…] Sous l’Ancien Régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir
l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n’avait besoin que d’être belle
ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n’en
profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu commune, qui la portait au mépris
des richesses ; alors elle n’était plus considérée que comme une mauvaise tête. La plus indécente se
5 faisait respecter avec de l’or. Le commerce des femmes était une espèce d’industrie reçue dans
la première classe29, qui, désormais, n’aura plus de crédit30. S’il en avait encore, la Révolution serait
perdue, et sous de nouveaux rapports, nous serions toujours corrompus. Cependant la raison peut-elle
se dissimuler que tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme achète, comme
l’esclave sur les côtes d’Afrique ? La différence est grande ; on le sait. L’esclave commande au maitre ;
10 mais si le maitre lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a perdu tous ses charmes,
que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes mêmes de la bienfaisance lui sont fermées.
Elle est pauvre et vieille, dit-on ; pourquoi n’a-t-elle pas su faire fortune ? D’autres exemples encore plus
touchants s’offrent à la raison. Une jeune personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle
aime, abandonnera ses parents pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et plus elle
15 aura vieilli avec lui, plus son inconstance31 sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l’abandonnera de
même. S’il est riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque
engagement le lie à ses devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S’il est marié, tout
autre engagement perd ses droits. Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper32 le vice jusque dans
la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes, et de l’administration
20 publique33.

29
La noblesse de cour.
30
D’influence.
31
Son désir de changement, son infidélité.
32
Arracher.
33
Du partage des postes dans l’administration publique.
14 | 2 7
LL9 : Extrait de l’« Epitre Dédicatoire », Réflexions sur l’esclavage des nègres, Condorcet, 1781

Il est d’usage de placer son œuvre sous la protection d’un grand. Or ici, Condorcet,
philosophe des Lumières, choisit d’ouvrir ses Réflexions sur l’esclavage des nègres par cette
épître dédicatoire34.

Mes amis,

Quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme
mes frères. La nature vous a formés pour avoir le même esprit, la même raison, les mêmes vertus
que les Blancs. Je ne parle ici que de ceux d’Europe, car pour les Blancs des Colonies, je ne vous

5 fais pas l’injure de les comparer avec vous, je sais combien de fois votre fidélité, votre probité35,
votre courage ont fait rougir vos maîtres. Si on allait chercher un homme dans les îles de
l’Amérique, ce ne serait point parmi les gens de chair blanche qu’on le trouverait. (…)

Tous ceux qui se sont enrichis dans les îles aux dépens de vos travaux et de vos souffrances,
ont, à leur retour, le droit de vous insulter dans des libelles36 calomnieux ; mais il n’est point permis
de leur répondre.
10
Telle est l’idée que vos maîtres ont de la bonté de leurs droits ; telle est la conscience qu’ils
ont de leur humanité à votre égard. Mais cette injustice n’a été pour moi qu’une raison de plus
pour prendre, dans un pays libre, la défense de la liberté des hommes.

Je sais que vous ne connaîtrez jamais cet ouvrage, et que la douceur d’être béni par vous
15
me sera toujours refusée. Mais j’aurai satisfait mon cœur déchiré par le spectacle de vos maux,
soulevé par l’insolence absurde des sophismes37 de vos tyrans. Je n’emploierai point l’éloquence,
mais la raison, je parlerai, non des intérêts du commerce, mais des lois de la justice.

Vos tyrans me reprocheront de ne dire que des choses communes, et de n’avoir que des
idées chimériques ; en effet, rien n’est plus commun que les maximes38 de l’humanité et de la
20 justice ; rien n’est plus chimérique que de proposer aux hommes d’y conformer leur conduite.

34
Lettre placée en début d’ouvrage pour le dédier à une personnalité célèbre.
35
Honnêteté
36
Courts écrits diffamatoires (pamphlets).
37
Argumentations qui ne sont logiques qu’en apparence, raisonnements faux.
38
Préceptes moraux, règles de conduite.
15 | 2 7
Objet d’étude n° 3 : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Parcours : Le personnage de roman : individu, morale et société


Œuvre intégrale : La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette, 1678

I. Lectures linéaires OI
Problématique : En quoi La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette reflète-t-il les tensions
de la société de son temps ?

LL 10 : L’arrivée d’une Princesse : De « Il parut une beauté à la cour » à « d’aimer son


mari et d’en être aimé »
LL 11 : La rencontre : De « Elle passa tout jour » à « s’ils ne s’en doutaient point »
LL 12 : L’aveu : De « Eh bien monsieur » à « incapable de l’être »

II. Lecture linéaire Parcours associé : La mort des personnages

LL 13 : La mort de Gavroche, Les Misérables, Tome V, Livre 1, Chapitre XV, Victor Hugo, 1862
De : « Il se dressa tout droit » à « cette petite grande âme venait de s’envoler »

III. Lectures cursives (une au choix) :


- Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos, 1782
- Nana, Emile Zola, 1880
- Beloved, Toni Morrison, 1987
- Le Pays des autres, Leïla Slimani, 2021

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LL10 : L’arrivée d’une princesse, La Princesse de Clèves, Première partie, Mme de Lafayette, 1678
De « Il parut alors une beauté à la cour » à « d’aimer son mari et d’en être aimée »

Après avoir décrit une cour caractérisée par sa « magnificence » et ses galanteries,
Mme de Lafayette dresse un portrait non moins impressionnant de l’héroïne éponyme
de son grand roman La Princesse de Clèves.

La Princesse Sibylle de Clèves, Lucas Cranach l’ancien, 1526

Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit
croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on
était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de
Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait
5 laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu39 et le
mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années
sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa
fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi
à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable40. La plupart des mères s'imaginent qu'il
10 suffit de ne parler jamais de galanterie41 devant les jeunes personnes pour les en éloigner.
Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures
de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce
qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs
tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements42 ; et
15 elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et
combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la
naissance. Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que
par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut
faire le bonheur d'une femme, qui est d'aimer son mari et d'en être aimée.

39
Disposition à se tourner vers le bien, conformément à un idéal moral.
40
Digne d’être aimée.
41
Ici, les intrigues amoureuses.
42
Les liaisons.
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LL11 : La rencontre, La Princesse de Clèves, Première partie, Mme de Lafayette, 1678
De : « Elle passa tout le jour des fiançailles à se parer » jusqu’à « s’ils ne s’en doutaient point ».

Située en début de roman, la rencontre entre la princesse de Clèves et le duc de Nemours


est peut-être la scène la plus connue de La Princesse de Clèves. Elle reste d’ailleurs un
modèle de scène de rencontre amoureuse pour toute la littérature qui suivra.

Le Bal des noces du Duc de Joyeuse, Ecole de Fontainebleau, 1581-2

« Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin
royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal
commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la
salle, comme de quelqu'un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser
5 et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre43, le roi lui cria
de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord 44 ne pouvoir être
que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince
était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais
vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était
10 dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir
un grand étonnement.

M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la
révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils
commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se
souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier 45 de les voir
15
danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir
de parler à personne et leur demandèrent s'ils n'avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et
s'ils ne s'en doutaient point.

43
Prendre : Prendre comme cavalier
44
D’abord : Aussitôt 3 Singulier : atypique

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LL12 : L’aveu, La Princesse de Clèves, Troisième partie, Mme de Lafayette, 1678
De : « Eh bien, monsieur, lui répondit-elle » jusqu’à « incapable de l’être ».

Alors qu’elle tente de résister à sa passion dévorante en fuyant la Cour, la princesse de Clèves est
pressée par son époux de s’expliquer. Déchirante à plus d’un titre, cette scène d’aveu a suscité de
vifs débats lors de la parution du roman éponyme.
L’aveu, (Illustration de La Princesse de Clèves), Alphonse-Charles MASSON, 1878

— Eh bien, monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu
que l'on n'a jamais fait à son mari, mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en
donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la Cour et que je veux éviter les
périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle
5 marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser paraître, si vous me laissiez la liberté
de me retirer de la Cour, ou si j'avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire.
Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver
digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent,
du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il
10 faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l'on en a jamais eu, conduisez-moi,
ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.
M. de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains,
hors de lui-même, et il n'avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de
parler, qu'il jeta les yeux sur elle, qu'il la vit à ses genoux, le visage couvert de larmes et d'une
15 beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et l'embrassant en la relevant :
- Ayez pitié de moi vous-même, madame, lui dit-il, j'en suis digne ; et pardonnez si, dans
les premiers moments d'une affliction46 aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas
comme je dois à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et
d'admiration que tout ce qu'il y a jamais eu de femme au monde ; mais aussi je me trouve le
20 plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez donné de la passion47 dès le premier
moment que je vous ai vue ; vos rigueurs48 et votre possession49 n'ont pu l'éteindre : elle dure
encore ; je n'ai pu vous donner50 de l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir pour un
autre. Et qui est-il, madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand
vous plaît-il ? Qu'a-t-il fait pour vous plaire ? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre
25 cœur ? Je m'étais consolé en quelque sorte de ne l'avoir pas touché par la pensée qu'il était
incapable de l'être.

46
Affliction : Immense tristesse, chagrin, détresse.
47
Vous m’avez donné de la passion : J’ai éprouvé de l’amour pour vous.
48
Vos rigueurs : Votre indifférence
49
Votre possession : Le fait de vous avoir épousée
50
Vous donner : Faire naître chez vous
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LL13 : La mort de Gavroche, Victor Hugo, Les Misérables, Tome V, Livre 1, Chapitre XV, 1862
De : « Il se dressa tout droit » à « cette petite grande âme venait de s’envoler »

Lors de la révolte de juin 1832, les républicains qui affrontent les gardes nationaux et les
soldats du roi manquent de munitions. Le petit Gavroche, 12 ans, fils des Thénardier, a
décidé de quitter l’abri de la barricade pour aller récupérer les cartouches non brûlées sur
les morts. Les gardes nationaux lui tirent dessus, et ses camarades insurgés, retranchés
derrière la barricade, suivent la scène avec inquiétude.
La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix, 1830

Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les gardes
nationaux qui tiraient, et il chanta :

On est laid à Nanterre,


C’est la faute à Voltaire ;
5 Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau51.

Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées,
et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne52. Là une quatrième balle le manqua
encore. Gavroche chanta :

10 Je ne suis pas notaire,


C’est la faute à Voltaire ;
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.

Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :

15 Joie est mon caractère,


C’est la faute à Voltaire ;
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.

Cela continua ainsi quelque temps.


20 Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de
s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par
un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient
en l’ajustant53. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait,
disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et

51
La chanson que chante Gavroche n’a pas été inventée par Victor Hugo, c’est une chanson qui date du XVIIIe siècle
tournant en dérision un arrêt qui interdisait de lire et de citer Voltaire et Rousseau, philosophes des Lumières dont les
écrits étaient considérés comme subversifs et dangereux pour le pouvoir et l’Eglise.
52
Giberne : boîte portée à la ceinture ou en bandoulière, dans laquelle les soldats mettent leurs cartouches
53
En l’ajustant : en le visant avec leur fusil
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25 cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants
d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce
n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les
balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-

cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde54 du spectre s’approchait, le gamin lui donnait
30 une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu
follet55. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait
de l’Antée56 dans ce pygmée57 ; pour le gamin toucher le pavé, c’est comme pour le géant toucher
la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant58, un long filet
35 de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et
se mit à chanter.

Je suis tombé par terre,


C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
40 C’est la faute à…

Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre
le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.

54
Camarde : l’adjectif signifie « qui a le nez plat, écrasé ». La camarde désigne également la mort.
55
Feu follet : lueur, petite flamme fugitive que l’on voit parfois apparaître sur les marais ou dans les cimetières
56
Antée : Géant mythologique qui retrouvait sa force en touchant la terre, sa mère.
57
Pygmée : Individu de très petite taille (en référence au peuple légendaire d’Afrique ou d’Asie que l’on disait
composé d’hommes très petits de taille).
58
Sur son séant : en position assise.
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Objet d’étude n° 4 : Le théâtre du XVIIe au XXIe siècle

Parcours : Crise personnelle, crise familiale


Œuvre intégrale : Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, 1990

I. Lectures linéaires OI

Problématique : Comment, dans Juste la fin du monde, la crise personnelle de Louis révèle-t-elle une
crise familiale ?

LL 14 : Le prologue
LL 15 : Le repas, Partie 1, scène 9 (en entier)
LL 16 : La colère d’Antoine, Partie 2, Scène 3
De : « Tu dis qu’on ne t’aime pas » à « coupable de n’y pas croire en silence »

II. Lectures cursives (une au choix) :

Antigone, Sophocle (441 av. J.-C.)


- Phèdre, Racine (1674)
- Une maison de poupée, Ibsen (1879)
- Incendies, Wajdi Mouawad (2003)

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LL14 : Prologue, Juste la fin du Monde, Jean-Luc Lagarce, 1990

S’ancrant dans plusieurs traditions théâtrales, le prologue de Juste la fin du monde de


Jean-Luc Lagarce n’en reste pas moins très original…

Extrait de l’adaptation cinématographique de Xavier Dolan (2016 )

LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après


– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚
l’année d’après‚
5 de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
comme on ose bouger parfois‚
à peine‚
10 devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre
un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚
l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
15 prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l’année d’après‚
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚
pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
20 – ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d’une manière posée
– et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours
été un homme posé ?‚
pour annoncer‚
25 dire‚
seulement dire‚
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
30 – peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le
plus loin que j’ose me souvenir –
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore
que je ne connais pas (trop tard et tant pis)‚
35 me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-
même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître.

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LL15 : Le repas, Partie 1, scène 9 (en entier), Juste la fin du Monde, Jean-Luc Lagarce, 1990

Située à la fin de la première partie de Juste la fin du monde, cette scène s’ancre dans le
topos du déjeuner dominical, tout en s’en écartant.

Extrait de l’adaptation cinématographique de Xavier Dolan (2016)

LA MERE. - C'est l'après-midi, toujours été ainsi :


le repas dure plus longtemps,
on n'a rien à faire, on étend ses jambes.
CATHERINE. - Vous voulez encore du café ?
5 SUZANNE. - Tu vas le vouvoyer toute la vie, ils vont se vouvoyer toujours ?
ANTOINE. - Suzanne, ils font comme ils veulent !
SUZANNE. - Mais merde, toi, à la fin !
Je ne te cause pas, je ne te parle pas, ce n'est pas à toi que
je parle !
10 Il a fini de s'occuper de moi, comme ça, tout le temps,
tu ne vas pas t'occuper de moi tout le temps,
je ne te demande rien,
qu'est-ce que j'ai dit ?
ANTOINE. - Comment est-ce que tu me parles ?
15 Tu me parles comme ça,
jamais je ne t'ai entendue.
Elle veut avoir l'air,
c'est parce que Louis est là, c'est parce que tu es là,
tu es là et elle veut avoir l'air.
20 SUZANNE. - Qu'est-ce que ça a à voir avec Louis ?
Qu'est-ce que tu racontes ?
Ce n'est pas parce que Louis est là,
qu'est-ce que tu dis ?
Merde, merde et merde encore !
25 Compris ? Entendu ? Saisi ?
Et bras d'honneur si nécessaire ! Voilà, bras d'honneur !
LA MERE. - Suzanne !
Ne la laisse pas partir,
qu'est-ce que c'est que ces histoires ?
30 Tu devrais la rattraper !

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ANTOINE. - Elle reviendra.
LOUIS. - Oui, je veux bien, un peu de café, je veux bien.
ANTOINE . - « Oui, je veux bien, un peu de café, je veux
bien. »
35 CATHERINE. - Antoine !
ANTOINE. - Quoi ?
LOUIS. - Tu te payais ma tête, tu essayais.
ANTOINE. - Tous les mêmes, vous êtes tous les mêmes ! Suzanne !
CATHERINE. - Antoine ! Où est-ce que tu vas ?
40 LA MERE. - Ils reviendront.
Ils reviennent toujours.

Je suis contente, je ne l'ai pas dit, je suis contente que nous


soyons tous là, tous réunis.
Où est-ce que tu vas ?
45 Louis !

Catherine reste seule.

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LL16 : La colère d’Antoine - Partie 2, scène 3 - Juste la fin du Monde, Jean-Luc Lagarce, 1990
De « Tu dis qu’on ne t’aime pas » à « coupable de n’y pas croire en silence »

Le crime fratricide est au fondement de nombreux mythes. C’est bien lui qui est au cœur de cette
scène dans laquelle Antoine prend un nouveau visage.

Abel tue Caïn, Rubens (1608)

ANTOINE. - Tu dis qu'on ne t'aime pas,


je t'entends dire ça, toujours je t'ai entendu,
je ne garde pas l'idée, à aucun moment de ma vie, que
tu n'aies pas dit ça,
5 à un moment ou un autre,
aussi loin que je puisse remonter en arrière, je ne garde
pas la trace que tu n'aies fini par dire
- c'est ta manière de conclure si tu es attaqué -
je ne garde pas la trace que tu n'aies fini par dire qu'on ne t'aime pas,
10 qu'on ne t'aimait pas,
que personne, jamais, ne t'aima,
et que c'est de cela que tu souffres.
Tu es enfant, je te l'entends dire
et je pense, je ne sais pas pourquoi, sans que je puisse
15 l'expliquer,
sans que je comprenne vraiment,
je pense,
et pourtant je n'en ai pas la preuve
- ce que je veux dire et tu ne pourrais le nier si tu voulais
20 te souvenir avec moi,
ce que je veux te dire,
tu ne manquais de rien et tu ne subissais rien de ce qu'on appelle le malheur.
Même l'injustice de la laideur ou de la disgrâce et les humiliations qu'elles
apportent,
25 tu ne les as pas connues et tu en fus protégé -
je pense,
je pensais,
que peut-être, sans que je comprenne donc
(comme une chose qui me dépassait),

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30 que peut-être, tu n'avais pas tort,
et que en effet, les autres, les parents, moi, le reste
du monde,
nous n’étions pas bons avec toi
et nous te faisions du mal.
35 Tu me persuadais,
j'étais convaincu que tu manquais d'amour.
Je te croyais et je te plaignais,
et cette peur que j'éprouvais
- c'est bien, là encore, de la peur qu'il est question -
40 cette peur que j'avais que personne ne t'aime jamais,
cette peur me rendait malheureux à mon tour,
comme toujours les plus jeunes frères se croient obligés de l'être par imitation et inquiétude,
malheureux à mon tour,
mais coupable encore,
45 coupable aussi de ne pas être assez malheureux,
de ne l'être qu'en me forçant,
coupable de n'y pas croire en silence.

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