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Charleville (Ardennes), le 24 mai 1870.

À Monsieur Théodore de Banville.


Cher Maître,
Nous sommes aux mois d’amour ; j’ai presque dix-sept ans. L’âge des espérances et des
chimères, comme on dit. — et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la
Muse, — pardon si c’est banal, — à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes
sensations, toutes ces choses des poètes — moi j’appelle cela du printemps.
Que si je vous envoie quelques-uns de ces vers, — et cela en passant par Alph. Lemerre, le
bon éditeur, — c’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le
poète est un Parnassien, — épris de la beauté idéale ; c’est que j’aime en vous, bien
naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique,
un vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin ?
Dans deux ans, dans un an peut-être, je serai à Paris.

Monsieur G. Izambard, 29, rue de l’Abbaye-des-Prés,


Douai (Nord). Très pressé.
Charleville, 25 août 70.
Monsieur,

Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charleville ! — Ma ville natale est
supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n’ai plus
d’illusions. Parce qu’elle est à côté de Mézières — une ville qu’on ne trouve pas parce
qu’elle voit pérégriner dans ses rues deux ou trois cents de pioupious, cette benoîte
population gesticule prudhommesquement spadassine, bien autrement que les assiégés de
Metz et de Strasbourg ! C’est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l’uniforme ! C’est
épatant, comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous
les ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières ; ma
patrie se lève !… Moi, j’aime mieux la voir assise ; ne remuez pas les bottes ! c’est mon
principe.
Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ; j’espérais des bains de soleil, des
promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémienneries, enfin :
j’espérais surtout des journaux, des livres… Rien ! Rien ! Le courrier n’envoie plus rien aux
libraires ; Paris se moque de nous joliment : pas un seul livre nouveau ! c’est la mort ! Me
voilà réduit, en fait de journaux, à l’honorable Courrier des Ardennes, propriétaire, gérant,
directeur, rédacteur en chef et rédacteur unique, A. Pouillard ! Ce journal résume les
aspirations, les vœux et les opinions de la population, ainsi, jugez ! c’est du propre !… On
est exilé dans sa patrie !!!
Lettre à Georges Izambard
27, rue de l’Abbaye-des-Champs, à Douai (Nord)
Charleville, [13] mai 1871.
Cher Monsieur !
Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m’avez-vous dit ; vous faites partie des corps
enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. — Moi aussi, je suis le principe : je me fais
cyniquement entretenir ; je déterre d’anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de
bête, de sale, de mauvais, en action et en paroles, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles.
Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? je veux être poète, et je travaille à me
rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit
d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut
être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de
dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots.
JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients, qui ergotent
sur ce qu’ils ignorent tout à fait !
L'émancipation créatrice
Cahiers de Douai, Arthur Rimbaud 1870

I- Un poète âgé de 16 ans...

Rimbaud naît en 1854 à Charleville…Il écrit ses Cahiers en 1870

Lettre 1 : A Théodore de Banville, 24 mai 1870

Questions :
• Relevez toutes les images de l'adolescence l'enthousiaste du jeune poète
• Montrez que Rimbaud fait preuve d'une distance critique
• Quelles sont ses sources d'inspiration ? .

Définition : parnassien, parnassienne Littéraire. Qui relève du Parnasse (l'ensemble des poètes, la
poésie). 2. Se dit du mouvement de poésie française (xix e siècle) caractérisée, en réaction contre les
épanchements romantiques, par une poésie savante et impersonnelle.

Lettre 2 : A Georges Izambard, 25 août 1870


Contexte : le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à le Prusse
Questions :
• Quels regards porte-t-il sur sa ville, ses habitants ?(patriotisme écoeurant, culture absente...)
• Quelles sont les aspirations du jeune homme ?

Partir ; d'ailleurs il fera plusieurs fugue en 1870, vers Paris et Bruxelles

Lettre 3 : A Georges Izambard, mai 1871


• Relever deux phrases ou deux expressions qui sont pour vous les plus marquantes, les plus
mystérieuses...et essayer des les expliquer

II- Et après les Cahiers de Douai...

Rimbaud en quelques dates...


 1871 : Rencontre avec Verlaine à Paris : avant le coup de foudre amoureux, admiration
réciproque, chacun connaissait l’œuvre de l’autre
 1873 : Verlaine tire sur Rimbaud à Bruxelles ; retour de Rimbaud dans les Ardennes, il écrit
Une saison en enfer
 1875 : Dernière rencontre avec Verlaine à qui il remet son manuscrit des Illuminations. (le
recueil ne sera publié qu’en 1886) Rimbaud n’écrira plus
 1876 : Il s’engage dans l’armée hollandaise, errances à travers l’Europe, à travers le monde
 1880 à 1890 Rimbaud vit au Yeman puis en Ethiopie, il vit de commerces divers, de
trafics…
 1891 : Mort de Rimbaud à Marseilles

Ecoute de quelques passages d’émissions

La compagnie des auteurs, émission 1, La vie errante, 38ième minute et 47ième minute
Arthur Rimbaud en Mille morceaux Emission 1 : Le génie

III- Première lecture du recueil


1. De combien de poèmes se compose ce recueil ?
2. Quelle est la forme poétique la plus répandue ?
3. Quels sont les thèmes récurrents ? Associez des titres aux différents thèmes que vous
repérez.

Correction :
• L'amour et la sensualité
• Poèmes politiques ou révoltés
• Bohème et liberté
• Poèmes aux références littéraires et mythologiques

IV- Les sources d'inspiration : Rimbaud et la tradition poétique

1. Rimbaud reste fidèle au sonnet : 12 des 22 poèmes sont des sonnets

2. Les auteurs qui l'ont inspiré


Ophélie : influence romantique de Hugo dans sa fascination pour la mort et la fascination pour la
nature (deux thèmes de prédilection chez les romantiques)
« La rage de César » : on retrouve la satire de Napoléon III (même satire dans les Châtiments)
Roman ; inspiration de Flaubert
Le bal des pendus s'inspirent de Villon
Tartuffe inspiration de Molière
Le mal s'inspire de Voltaire notamment de Candide
Il imite Baudelaire : le Buffet

Soleil et Chair : idéalisation entre en contraste avec le temps présent

Ne pas oublier la place de l'ironie !!!

V- En quoi peut-on dire que la création poétique est un acte d'émancipation chez
Rimbaud ?

1. L'émancipation personnelle à travers la poésie


a. Quête identitaire et désir de liberté
Exploration de la façon dont Rimbaud utilise la poésie pour explorer son identité et exprimer son
désir de liberté (référence à "Ma Bohème", illustrant son désir d'évasion).
Discussion sur la manière dont ces poèmes reflètent les luttes personnelles de Rimbaud et son désir
d'indépendance.
b. Affranchissement des contraintes sociales et familiales
Analyse des poèmes où Rimbaud exprime son rejet des attentes familiales et sociales (comme dans
"Roman", où il rejette le chemin traditionnel tracé pour lui).
Réflexion sur la manière dont la poésie devient un espace de liberté personnelle pour Rimbaud.
c- Lecture linéaire : Ma bohème
2 - L'émancipation par la rupture avec les conventions poétiques
a. Innovation formelle
• Analyse des structures poétiques non conventionnelles : absence de rime régulière :
Exemples précis de poèmes démontrant cette rupture (comme "Le Dormeur du Val", avec
son utilisation surprenante des rimes).
Il déconstruit l'alexandrin et multiplie les rejets et contre rejets et les enjambements. Ce ne sont
pas des éléments nouveaux mais Rimbaud les utilise à outrance.
Ex : « Ma bohème » est un sonnet libertin (le second quatrain n'est pas grammaticalement
indépendant du premier tercet) nous pouvons observer un contre-rejet avec « des rimes » et des
césures irrégulières comme dans le « Dormeur du Val » « Tranquille. Il a deux trous noirs au côté
droit »
• Vocabulaire inusité en poésie : le vocabulaire familier
Rime insolite et provocatrice : Vénus/anus
La grossièreté du Forgeron
Le langage enfantin dans L'éclatante victoire de Sarrebruck : « Dada » , « Pioupiou »
b. Thèmes révolutionnaires
• Étude des thèmes qui défient les normes sociales et littéraires de l'époque (comme la
critique de la bourgeoisie dans "La musique").
• Critique du pouvoir : satire de Napoléon III
• Les aspirations des romantiques sont remplacées par le quotidien
Pas d'idéalisation
Légèreté de l'amour s'oppose à l'amour passionnel des romantiques

3. La création poétique comme vecteur d'émancipation universelle


a. Le poète comme éclaireur de l'humanité
Discussion sur la vision de Rimbaud du poète en tant que guide spirituel et visionnaire, avec des
références à ses lettres et poèmes.
Analyse de poèmes spécifiques où cette vision est manifeste.
b. Influence sur les générations futures
Examen de l'impact de l'œuvre de Rimbaud sur les mouvements littéraires postérieurs (comme le
surréalisme).
Réflexion sur la manière dont ses idées ont contribué à émanciper la pensée et la création poétique
au-delà de son époque.

Conclusion
Synthèse: Récapitulation de la façon dont "Les Cahiers de Douai" représentent un acte
d'émancipation à travers la forme, le contenu et l'influence de Rimbaud.
Ouverture: Réflexion sur la pertinence continue de l'émancipation poétique de Rimbaud dans le
contexte contemporain.

Lecture linéaire : Ma bohème (Fantaisie)


Thème du poème : errance, liberté, nature, bonheur, poésie, amour

En mai 1870, Rimbaud a quinze ans et a décidé de devenir poète. De cette décision naîtra un
recueil : Les cahiers de Douai (recueil publié après la mort de Rimbaud), dont les thèmes récurrents
sont les amours adolescentes, l'errance, la révolte contre la bourgeoisie de province, contre
hypocrisie religieuse, contre la guerre.
Au cours de cette année 1870 Rimbaud va fuguer, expérimenter une vie de bohème, vie d'errance
et de dénuement. De ses fugues vont naître plusieurs poèmes dont « Ma bohème »
Le sonnet « Ma bohème », dernier poème du recueil, a une place bien particulière. Inspiré par une
forme traditionnelle, qu'il bouleverse parfois, Rimbaud annonce sa révolution poétique.
Emancipation créatrice qu'il évoquera dans sa lettre à Georges Izambard de mai 1871. « Il s'agit
d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes »

Ainsi ce poème est un texte essentiel pour comprendre l'émancipation créatrice de Rimbaud

 En quoi l’errance est une source de création chez Rimbaud ?

2 mouvements :

I – Ode à l’errance (vers 1 à 5)

II – Ode à la création poétique (vers 6 à 14)

Titre : ma bohème vient de « bohémien » c’est-à-dire hors de la société, voyage en liberté (loin de sa fa-
mille et de la société bourgeoise)

Le pronom « ma » désigne l’appartenance, c’est son voyage personnel

« Fantaisie » montre sa liberté dans son écriture, l’amusement

I- Enthousiasme de l’errance

 « Je m’en allais » idée de l’errance, il se déplace sans destination précise

Champs lexical du mouvement : j’allais v3 , ma course v6, je tirais v13

Il y a une césure (coupure du vers) après « je m’en allais », cela montre sa fantaisie d’écriture car normale-
ment c’est 6/6 mais lui a fait du 4/8 ;

« Poings » montre sa révolte, sa détermination et sa colère

« Dans mes poches crevées » évoque le fait qu’il est décontracté, son apparence négligée montre qu’il est
sans peur, sans peur des apparences ; le langage familier marque de la fantaisie dans son écriture.

On retrouve le champ lexical des vêtements usés (paletot v.2 , unique culotte v5, souliers blessés v14) , il
s’affranchit de la bourgeoisie, il se moque de l’apparence

 Antithèse au vers 2 entre « paletot » et « idéal », la fait de ne rien posséder lui est nécessaire ;
ce dénuement s’apparente donc au bonheur
 Au vers 3 on retrouve le vocabulaire du roman de chevalerie avec « Muse » et « féal », vocabu-
laire synonyme de son amour, son enthousiasme et son dévouement pour la poésie. Personnifi-
cation de la déesse de la poésie en « Muse »

Champ lexical de la poésie : muse v3, amour v4, des rimes v7, rimant v12, lyre v13, pied v14

Il y a un complément circonstanciel de lieu « sous le ciel » ce qui compte c’est l’errance et non sa destina-
tion

 Au vers 4 on retrouve l’onomatopée « Oh ! là là ! » c’est l’intensification de son bonheur à lui et sa


liberté d’écriture. Les points d’exclamations montrent son enthousiasme.

 On retrouve une idée déjà évoquée au début du deuxième tercet : cela montre qu’il erre sans ba-
gage, sans contrainte, malgré sa pauvreté il est heureux

II- Enthousiasme de la création

Passons au deuxième mouvement dans lequel le poète insiste encore davantage sur la création poétique :

Au vers 6 « petit- poucet », métaphore du conte, à la différence Rimbaud ne veut pas rentrer chez lui mais
s’en échapper, même s’il est perdu la poésie le guidera car il « égrène des rimes » v6/7

Au vers 7 on retrouve une métaphore qui ajoute à la dimension onirique (le rêve) cela montre qu’il dort de -
hors ( à la belle étoile)

Au vers 8 personnification de l’étoile avec un synesthésie en comparant les étoiles aux femmes ; Personnifi-
cation des étoiles (v.8) => il fait corps avec la nature, évoque son amour, la nature est sa maison/ synesthé-
sie, les étoiles deviennent un son, amenée par la personnification des étoiles en femmes => image poétique
forte, la nature apparaît dans sa bienveillance. Déterminant possessif

« mes » montre son affection pour la nature

Poursuite de la synesthésie (v.9)

Allitération en « s » (v.10) => sensation de douceur

Comparaison (v.10) => le vin de vigueur (vin qui donne de l’énergie) et la rosée, lui procure une sensation
de douceur/ sentiment de bien-être / le vin est un produit de luxe, son luxe est de dormir dehors

Remarquons que dans ce premier tercet tous les sens sont convoqués

Au vers 11 il compare la rosée du matin avec le vin de vigueur qui représente le luxe, donc son luxe à lui
c’est dormir dehors, la rosée matinale (la vitalité, l’énergie, la joie)

Oxymore (v.12) « ombres fantastiques » => montre sa fantaisie, tout ce qui vient de la nature est beau,
cette expression renforce la dimension onirique

Comparaison, instrument de musique / élastiques => montre la fierté de son errance

« De mes souliers blessées » personnification => marche sans arrêt, usés

« Un pied près de mon cœur » => métaphore à double sens : la poésie et le voyage sont près de son cœur/
amour du voyage/ poésie. Deux sens : propre : soigner son cœur ; figuré : construire des vers : ses amours
sont la poésie et l’errance

En conclusion : faites des rapprochements avec d’autres poèmes de l’errance…


linéaire « Ma bohème »

En mai 1870, Rimbaud a quinze ans et a décidé de devenir poète. De cette décision naîtra un
recueil : Les cahiers de Douai (recueil publié après la mort de Rimbaud) , dont les thèmes
recurrents sont les amours adolescentes, l'errance, la révolte contre la bourgeoisie de province,
contre hypocrisie religieuse, contre la guerre
Au cours de cette même année 1870 il va fuguer, expérimenter une vie de bohème, vie d'errance et
de dénuement. De ses fugues vont naître plusieurs poèmes dont « Ma bohème »
Le sonnet Ma bohème, dernier poème du recueil, a une place bien particulière, inspiré par une
forme traditionnelle, qu'il bouleverse parfois, il annonce sa révolution poétique.Emancipation
créatrice qu'il évoquera dans sa lettre à Georges Izambard de mai 1871. « Il s'agit d'arriver à
l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes »
Texte essentiel pour comprendre l'émancipation créatrice de Rimbaud

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