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__Les Cahiers de Douai__, Arthur Rimbaud

Introduction :

Rimbaud est un poète mythique. Sa célébrité dans le monde des lettres


est considérable. Il est une figure du génie littéraire parce qu’en cinq ans,
en pleine adolescence, il crée des formes poétiques résolument
nouvelles et qui forcent l’admiration. Sa légende se renforce quand il
disparaît, quitte l’Europe et cesse d’écrire, alors qu’il n’a pas beaucoup
plus de vingt ans. Il y a donc quelque chose de mystérieux et de
fascinant chez ce jeune homme insaisissable, véritable figure de la
liberté.
Mais pour aborder les vingt-deux poèmes qui composent ce que la
critique appelle les Cahiers de Douai , il ne faut pas se laisser
impressionner par cette image rebattue du génie. Certes, ces textes
nous permettent de comprendre à quel point Rimbaud était précoce,
mais ils nous informent aussi sur ce qu’il doit à des formes poétiques
plus anciennes et à des poètes contemporains. De fait, les Cahiers de
Douai n’est pas le recueil le plus audacieux de Rimbaud sur le plan
formel. Par ailleurs, en lisant ces quelques pages on découvre que ses
préoccupations sont bien celles d’un adolescent : la révolte, la sensualité,
le désir d’émancipation. Son écriture est celle de quelqu’un qui veut tout
bousculer et qui rêve d’être toujours ailleurs. Dans cette leçon, nous
verrons comment il restitue une crise intime à laquelle la vocation
poétique vient répondre.

1 Un adolescent troublé dans un pays en crise

C’est à la fin du règne de Napoléon III que Rimbaud atteint l’adolescence.


Instable, agité, surveillé en permanence par une mère autoritaire, il souffre
probablement de la séparation de ses parents ainsi que de l’absence de son
père, un capitaine d’infanterie dans l’armée française. C’est donc un être
déchiré entre plusieurs aspirations comme l’est la France de la deuxième
moitié du XIXe siècle : après le Premier Empire, la restauration de la

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monarchie et la brève Deuxième République, le Second Empire est
chancelant et laissera bientôt la place à la Troisième République. La poésie
de Rimbaud rend compte de cette double instabilité : la sienne et celle de
son époque.

a. Dans le flot des influences

Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières, dans les Ardennes.


C’est une petite ville où il ne se passe pas grand-chose, et très rapidement,
le futur poète va rêver de Paris, de ses fastes et de sa vie culturelle intense.
Il veut être là où les choses se passent. Son frère et ses deux sœurs sont
plus sages et ne cherchent pas l’aventure comme lui. Enfant, la meilleure
façon de s’échapper reste encore la lecture. Il dévore les livres et s’imagine
voyager comme les héros des histoires qu’il découvre.
Il devient un élève brillant, particulièrement doué pour les lettres
classiques. En 1869, alors qu’il n’a que quatorze ans, ses poèmes en vers
latin sont publiés dans Le Moniteur de l’enseignement secondaire , une revue
qui publie les textes d’élèves qui produisent un travail remarquable.

Seul de la fratrie à se passionner pour la littérature, très encadré par une


mère sévère, Rimbaud se sent un peu seul. Mais en janvier 1870, il va
rencontrer un professeur de lettres, Georges Izambard, avec lequel il va
enfin pouvoir se confier sur ses ambitions littéraires. Ils s’écrivent beaucoup.
Impressionné par le talent de Rimbaud, Izambard entreprend de lui faire
découvrir des auteurs contemporains. Se sentant pousser des ailes,
Rimbaud ose écrire et envoyer trois poèmes (« Sensation », « Ophélie »,
« Soleil et chair ») à Théodore de Banville en mai 1870. C’est une démarche

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très assurée, car Banville est alors un poète parnassien réputé. Il répondra
au garçon de quinze ans (qui lui dit en avoir dix-sept), mais sans le publier.

Définition

Les Parnassiens :
Le groupe des parnassiens est un groupe de poètes qui publient une
centaine de poèmes dans la revue Le Parnasse contemporain entre 1866
et 1876. Parmi eux, on trouve Théodore de Banville, Charles Baudelaire,
François Coppée, Charles Cros, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle-Adam,
Stéphane Mallarmé, Sully Prudhomme, Paul Verlaine, etc. Rimbaud leur
écrit : « Anch’io [moi aussi], messieurs du journal, je serai Parnassien ! » . Leur
esthétique se caractérise par la recherche du mot juste et rare, la
création de poèmes sophistiqués et savants, le refus du réel, la
valorisation de l’inutile, le culte de la forme complexe. Émaux et Camées
de Théophile Gautier est un recueil exemplaire des expériences du
Parnasse : « Oui, l’œuvre sort plus belle/ d’une forme au travail/ Rebelle/
Vers, marbre, onyx, émail. » Théophile Gautier, « L’Art » , 1852.

Après un XVIIIe siècle discret sur le plan poétique, le XIXe siècle remet la
poésie au goût du jour. Le romantisme notamment, va placer l’expression
des sentiments, des passions, du « moi », et l’exaltation de la nature au
cœur de ses préoccupations. Méditations poétiques d’Alphonse
de Lamartine est exemplaire de ce nouveau courant où la nostalgie et
l’amour sont aussi présents que le rêve ou la peur de la mort. Mais le chef
de file de cette école est à coup sûr Victor Hugo, auteur des Odes et
ballades ou des Contemplations, et que Rimbaud lit assidûment. II pioche
chez cet illustre prédécesseur le goût des contrastes, l’art de la parodie
drolatique, mais encore le courage de la dénonciation et de l’engagement
politique.
Mais Rimbaud n’est pas seulement influencé par le romantisme. Le
réalisme, que le peintre Gustave Courbet rend populaire, est beaucoup
moins idéaliste et ose une représentation plus crue du réel. Romantisme et
réalisme sont concomitants et se partagent un même goût du scandale,
qui ne peut que plaire à un adolescent rebelle. C’est chez Baudelaire, qu’il
admire profondément, et dans ses Fleurs du mal , que Rimbaud trouvera la
plus parfaite fusion, à ses yeux, du Parnasse, du romantisme et du
réalisme. Dans ce recueil scandaleux, censuré en 1857, Rimbaud voit un
modèle qu’il se met au défi de dépasser.

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Attention

Il ne faut pas perdre de vue que romantisme et réalisme ne sont pas des
mouvements successifs, mais des mouvements qui se chevauchent
dans le temps. Ils ne sont pas non plus radicalement différents : on
trouve des caractéristiques du romantisme et du réalisme dans de
nombreuses œuvres. Certes, Rimbaud est influencé par ces deux
courants, mais il n’hésite pas à les critiquer fortement.

Exemple

Auprès de ses correspondants, Rimbaud pointe des défauts chez les


auteurs qu’il admire :
« Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. – Hugo,
trop cabochard, […] Les seconds romantiques sont très voyants : Théophile
Gautier, Leconte De Lisle, Théodore de Banville. Mais inspecter l’invisible et
entendre l’inouï étant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes,
Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. »

Arthur Rimbaud, lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871

Fort de ses lectures, sûr de son talent, Rimbaud décide de fuguer. Il a


conscience qu’envoyer des lettres ne suffira pas pour devenir un écrivain
reconnu. Il sait qu’il va devoir se rendre à la capitale et impressionner le
milieu littéraire. Pour ce faire, il prévoit de lire son texte « Le Bateau ivre »
dans les salons.

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b. L’appel du monde

C’est le 29 août 1870, à quinze ans, que Rimbaud fugue pour la première
fois. Il veut se rendre à Paris, mais il n’a pas d’argent et il prend donc le train
sans billet. Cette infraction lui vaut d’être incarcéré quelques jours à la
prison de Mazas, où il écrit le poème « Morts de Quatre-vingt-douze… ». Ce
texte est une dénonciation du régime de Napoléon III qu’il rend
responsable de son enfermement. Au passage, il rend hommage aux
combattants morts pour la République juste après la Révolution et
auxquels il se compare. Cet exemple prouve que Rimbaud mêle sa vie et
l’Histoire dans ses poèmes. Le « Je » des Cahiers de Douai est clairement le
« je » d’un habitant du nord de la France : « Au cabaret vert » décrit un
cabaret dans lequel il se rendait, « À la musique » présente les bourgeois qui
se retrouvent place de la gare à Charleville, etc. Le recueil revêt donc une
part fortement autobiographique, même s’il vise aussi à exprimer
l’universalité de l’appel ressenti par un jeune homme, et qui le pousse à
découvrir le monde entier.

« L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose » écrit Rimbaud dans « Rêvé
pour l’hiver ». Il se dépeint pris dans un mouvement perpétuel, toujours en
promenade, errant « dans les sentiers » (« Sensation »). Cette impression qu’il
doit s’efforcer de se déplacer est peut-être suscitée par le fait qu’il est
obligé de faire plusieurs tentatives avant de réussir à se rendre à Paris. De
surcroît, les évènements historiques qui s’y déroulent entrent fortement en
contraste avec le calme de Charleville.

Par exemple, en février 1871, il fuit la guerre franco-prussienne qui se


déroule dans les Ardennes et retourne à Paris, avec l’autorisation de sa
mère cette fois-ci. Mais il revient au début du mois de mars à Charleville,
juste avant que les Parisiens ne se soulèvent et proclament la
« Commune ». Exalté, Rimbaud écrit des poèmes procommunards (« Paris
se repeuple », « Chant de guerre parisien »), mais les experts supposent qu’il
ne participe pas à cette insurrection populaire puisqu’il ne retourne dans la
capitale qu’à l’été 1871, alors que la Commune prend fin au mois de mai,
dans un bain de sang terrible.

Définition

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La Commune de Paris :
Révolte parisienne qui dura soixante-douze jours. Sur le plan social, les
mutins réclament la séparation de l’Église et de l’État, la gestion des
usines par les ouvriers eux-mêmes, l’instruction gratuite, laïque et
obligatoire, une justice gratuite, l’élection des juges, etc. L’armée mettra
un terme au mouvement en massacrant la plupart des participant.es.

Exemple

Cette strophe de « Paris se repeuple » célèbre le courage des habitant.es


de la « Citée choisie » , mais annonce aussi l’échec de leur projet :
« L’orage a sacré ta suprême poésie ;
L’immense remuement des forces te secourt ;
Ton œuvre bout, ta mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd. »

Arthur Rimbaud, « Paris se repeuple », 1871

À partir de 1871, c’est Verlaine qui permet à Rimbaud de passer ses plus
longs séjours à Paris et qui le présente à des cercles d’écrivains. Verlaine est
un poète connu à cette époque, marié et père de famille, que Rimbaud
admire au plus haut point. Ensemble, ils ont une liaison qui sera perçue
comme scandaleuse, car Verlaine abandonne sa situation bourgeoise pour
vivre ponctuellement avec un jeune homme de province. Au-delà de la

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simple anecdote, entre les disputes qui conduisent Verlaine à tirer au
revolver sur Rimbaud, leurs séparations et leurs retrouvailles dans
différentes villes d’Europe, ils entretiennent une passion charnelle et
intellectuelle qui marque durablement l’histoire de notre littérature. En
effet, leurs dialogues les conduisent, l’un comme l’autre, à produire des
formes poétiques neuves : privilège du vers court, du rythme impair, de la
musicalité, du lyrisme universel et non subjectif, etc. Pour certains, ces
expérimentations en font des précurseurs du mouvement symboliste,
voire, en ce qui concerne Rimbaud, pour le poète André Breton, du
surréalisme (qui ne naît que dans les années 1920).

Au moment d’écrire les poèmes des Cahiers de Douai , Rimbaud est donc
encore très attaché à ses influences littéraires puisqu’il les rédige
avant 1871, année du tournant avec Verlaine. La versification reste
classique, et il écrit principalement des sonnets. Mais les provocations
lexicales et l’ancrage politique et universaliste des thèmes en font déjà des
poèmes de l’émancipation.

Définition

Sonnet :
Forme poétique fixe de quatorze vers. Deux quatrains aux rimes
embrassées sont suivis de deux tercets composés de deux rimes suivies
et de quatre rimes croisées (ou embrassées).

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Définition

Émancipation :
Action de se libérer d’un état de dépendance.

2 Des cahiers en quête d’unité

Rimbaud n’avait pas une vision d’ensemble sur sa création. Il faisait des
expériences d’écriture, puis diffusait ses textes aux quatre vents. Il pouvait
s’enorgueillir d’un poème un jour et le renier le lendemain. Son imagination
est autant en mouvement que son corps. Vouloir trouver une unité au petit
ensemble que forme son œuvre n’a donc pas vraiment de sens. Toutefois, la
critique a pu se reposer sur quelques préconisations de l’auteur et quelques
cohérences internes à l’œuvre pour nous permettre de l’appréhender
aujourd’hui et d’y voir un exemple de création émancipatrice.

a. Une œuvre morcelée

Les voyages incessants de Rimbaud et son impatience à vivre intensément


l’empêchent de bâtir une œuvre cohérente et structurée. Le seul recueil
qu’il ait réellement composé, et publié à compte d’auteur, se nomme Une
Saison en enfer . Il y raconte les quelques mois passés avec Verlaine à Paris,
Bruxelles et Londres. Les écrits qui viennent avant ou après, comme les
Cahiers de Douai ou Les Illuminations sont en fait des recueils composés par
ceux qui ont récupéré ses poèmes, qu’ils apparaissent dans des lettres ou
qu’ils soient publiés seuls dans des revues.
Rimbaud n’a donc jamais donné de nom au regroupement de textes que
nous appelons Cahiers de Douai et qui désigne en fait sa production
antérieure à la Saison en enfer , écrite avant l’été 1870 puis terminée et mise
au propre en septembre et octobre 1870 à l’occasion de deux séjours chez
son professeur Georges Izambard, à Douai.

Certains de ces poèmes sont rédigés au recto et au verso de grands


feuillets, mais d’autres seulement au recto, comme le veut l’usage pour les
textes destinés à l’imprimerie à l’époque. Il est donc légitime de croire qu’il
souhaitait bien les faire publier. Ces feuillets sont regroupés dans des lots
qui ressemblent à deux cahiers, ce qui explique le titre, donné bien des
années plus tard, de Cahiers de Douai . Rimbaud confie ces cahiers à un

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poète également éditeur, Paul Demeny, qu’il rencontre chez son
professeur. Puis il retourne en vadrouille. Il regrettera ce geste moins d’un
an plus tard, puisqu’il demande à Demeny de détruire tous les poèmes. Ce
que son correspondant ne fera pas.

Exemple

Rimbaud voulait-il vraiment ne garder aucune trace des textes qu’il avait
confiés à son ami ? C’est bien ce qu’une de ses lettres laisse croire :
« J’ai trois prières à vous adresser : brûlez, je le veux, et je crois que vous
respecterez ma volonté comme celle d’un mort, brûlez tous les vers que je
fus assez sot pour vous donner lors de mes séjours à Douai. »

Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, juin 1871

Si nous ne disposons pas d’un sommaire nous permettant d’établir avec


certitude l’ordre dans lequel Rimbaud aurait souhaité que ces poèmes
apparaissent, deux ensembles se distinguent tout de même. Un premier
constitué de quinze poèmes, allant des « Réparties de Nina » à « Soleil et
chair » qui ne présente pas d’unité formelle ou thématique particulière, et
un second, du « Dormeur du val » à « Ma bohème », qui est constitué
exclusivement de sonnets qui évoquent tous la fuite et le vagabondage.

Exemple

Le premier quatrain du dernier poème annonce un départ définitif, à


comprendre comme une invitation au voyage autant qu’un adieu à la
poésie :
« Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! là là ! que d’amours
splendides j’ai rêvées ! »

Arthur Rimbaud, « Ma bohème »

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À retenir

L’unité de ces poèmes écrits principalement avant les seize ans de


Rimbaud n’est donc pas à chercher dans la composition du recueil lui-
même, ni dans la forme des textes, mais plutôt dans des thèmes
fédérateurs : l’errance, la sensation, la révolte, la mythologie, la sexualité.

b. Sensualité et révolte : vers la « voyance »

Les femmes sont éminemment présentes dans tout le recueil, mais ce ne


sont pas l’acte charnel ou le rêve d’une passion éternelle qui peuvent
résumer la place que tient l’amour dans ces poèmes. Le « je » des Cahiers de
Douai est surtout intéressé par le jeu de la séduction et de la sensualité, les
frémissements de la rencontre, les débuts de la relation amoureuse. Force
est de constater qu’il cherche à séduire des femmes qui ne veulent pas de
lui. Il joue un jeu dans lequel il est systématiquement perdant.

Exemple

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« Roman » rend compte d’un coup de foudre qui crée une relation fort
inégale entre deux êtres, puisque le poète apparaît comme
« immensément naïf » :
« Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,


Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines… »

Arthur Rimbaud, « Roman »

Ce sont les premiers émois, ceux de l’enfance ou de l’adolescence, qui sont


racontés ici. Le frémissement du désir compte davantage que son
accomplissement. Dès lors, la nature elle-même peut-être source de
sensualité. La marche sur les sentiers provoque un profond plaisir dans
« Sensation », et la nature est érotisée dans « Soleil et Chair ».

Définition

Émoi :
Trouble émotif très vif.

Pour autant, la voix qui s’exprime dans les Cahiers de Douai n’est pas
entièrement repliée sur elle-même. Elle regarde en direction de la société
pour l’attaquer vertement. Le contraste entre lyrisme et engagement
politique est constant. La bourgeoisie est la cible favorite de Rimbaud,
mais il dénonce aussi la propagande de la presse (« Morts de Quatre-vingt-
douze »), la pauvreté (« Les effarés »), la guerre (« Le mal », « Le dormeur du
val »), et invective directement Napoléon III, qu’il voit comme un tyran
(« Rages de César »), ou Louis XVI (« Le Forgeron »). Son antimilitarisme va
de pair avec son anticléricalisme qui révèle sa perception aiguë des
différences sociales.

Définition

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Anticléricalisme :
Qui s’oppose à l’influence des clercs, c’est-à-dire des représentants de
l’Église.

La carrière de poète de Rimbaud fut très brève, ce qui explique qu’il n’a pu
vraiment expliquer ce qu’il a voulu faire. Cependant, dans deux lettres du 13
et du 15 mai 1871 adressées respectivement à Izambard et Demeny, il
présente brièvement et brillamment la façon dont il conçoit la création
poétique. En substance, il cherche à articuler ses sensations personnelles
avec ses idées sur la société. Ce principe unificateur est celui de la
« vision ». Il s’agit de devenir voyant par un « dérèglement de tous les
sens », c’est-à-dire que le poète doit chercher à aller si loin en lui-même
qu’il parvient à toucher « l’inconnu ».

Corollairement, si l’introspection profonde permet d’atteindre l’altérité, on


comprend mieux en quoi l’expression de sa propre sensualité provoque
chez le poète une grande compréhension de ses congénères, et donc une
grande empathie ou une grande colère à leur égard.

Définition

Empathie :
Capacité à s’identifier à autrui.

Exemple

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C’est dans une lettre à Izambard que Rimbaud lance sa formule, qui
deviendra célèbre bien plus tard, « JE est un autre » :
« Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez
pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à
l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes,
mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n’est pas
du tout ma faute. C’est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense.
Pardon du jeu de mots.
JE est un autre. »

Arthur Rimbaud, lettre à Georges Izambard, 13 mai 1871

Attention

Rimbaud ne développe pas cette figure du poète voyant au moment de


la rédaction des poèmes des Cahiers de Douai , mais plusieurs mois plus
tard. Il faut considérer cet ensemble comme une ébauche, une étape
par laquelle doit passer Rimbaud pour mieux comprendre sa propre
poésie ainsi que lui-même.

Conclusion :

Les poèmes des Cahiers de Douai sont les produits de l’effervescence


intellectuelle d’un adolescent fugueur, épris d’idéal, d’amour, de liberté
et de révolte. Ils sont à considérer comme un condensé d’inspirations
poétiques diverses, qui empruntent autant à l’originalité créative du XIXe
qu’aux œuvres de l’antiquité. La portée émancipatrice du recueil réside
dans la diversité de ses sujets et de ses formes. Qu’il s’agisse de critiquer
une société en crise ou de dire l’instabilité émotionnelle d’un garçon
extrêmement sensible, il est partout question de ne pas se satisfaire de
l’autorité qui opprime l’individu ou de l’environnement qui le lasse. Ce
renouvellement de la poésie moderne que propose Rimbaud hante tout
le vingtième siècle et nous parvient, encore aujourd’hui, comme un
exemple rare de rupture avec les conventions, qu’elles soient sociales ou
esthétiques.

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