Faculté de philosophie de l’Université de Niš Département de langue et littérature françaises Histoire L’Ouvroir de littérature potentielle (acronyme OuLiPo ou Oulipo), est un groupe d’écrivains qui naît au XXe siècle. Il s’agit d’une littérature inventive et innovante. L’OuLiPo a été fondé le 24 novembre 1960, par François Le Lionnais, Raymond Queneau et une dizaine de leurs amis écrivains et/ou mathématiciens et/ou peintres : Albert-Marie Schmidt, Jean Queval, Jean Lescure, Jacques Duchateau, Claude Berge et Jacques Bens. La réunion fondatrice a eu lieu au restaurant „Le Vrai Gascon“, 82 rue du Bac à Paris. L’Ouvroir fut d’abord baptisé Sélitex (Séminaire de Littérature Expérimentale), puis Olipo. Albert-Marie Schmidt lui donne son nom définitif, OuLiPo, le 13 février 1961. Les membres de l’Oulipo se réunissent une fois par mois pour réfléchir autour des notions de contrainte, de littérature potentielle, et produire de nouvelles structures destinées à encourager la création. But Le propos était d’inventer de nouvelles formes poétiques ou romanesques, résultant d’une sorte de transfert de technologie entre Mathématiciens et Écrivains. L’OuLiPo a pour but de découvrir de nouvelles potentialités du langage et de moderniser l’expression à travers des jeux d’écriture. Le groupe est célèbre pour ses défis mathématiques imposés à la langue, obligeant à des astuces créatives. L’Oulipo est fondée sur le principe que la contrainte provoque et incite à la recherche de solutions originales. Il faut déjouer les habitudes pour atteindre à la nouveauté. Les membres fondateurs se plaisaient à se décrire comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir. » (Queneau) L’OuLiPo se définit d’abord par ce qu’il n’est pas, selon Raymond Queneau : Ce n’est pas un mouvement littéraire. Ce n’est pas un séminaire scientifique. Ce n’est pas de la littérature aléatoire. C’est un groupe des écrivains, dont les plus célèbres sont Raymond Queneau, Italo Calvino et Georges Perec, mais aussi des personnalités ayant une double compétence comme les compositeurs de mathématique et de poésie Jacques Roubaud et Olivier Salon, ou encore de (presque) purs mathématiciens comme Claude Berge. Recherches Considérant que les contraintes formelles sont un puissant stimulant pour l’imagination, l’OuLiPo s’est fixé à ses débuts deux directions de travail : 1) un travail synthétique (synthoulipisme), qui consiste en l’invention et l’expérimentation de contraintes littéraires nouvelles, avec éventuellement un exemple de texte pour chaque proposition ; 2) un travail analytique (anoulipisme), qui consiste en la recherche de ceux qui sont appelés, avec humour, les « plagiaires par anticipation », soit un recensement de tous les écrivains qui ont travaillé avec des contraintes, de façon plus ou moins consciente, avant la création de l’OuLiPo. Synthoulipisme Les recherches en synthoulipisme constituent la face la plus connue du grand public et surtout la plus spectaculaire. Sont célèbres aujourd’hui les contraintes suivantes: 1) la méthode « S + 7 » mise au point par Jean Lescure dès 1961 – la littérature combinatoire, qui permit à Raymond Queneau d’écrire Cent mille milliards de poèmes. C’est une méthode de création de textes littéraires consistant à remplacer dans un texte source chaque nom par le septième nom qui le suit dans un dictionnaire donné. L’arbitraire du procédé conduit à des résultats d’une absurdité cocasse et amusante. Le plus intéressant est encore de constater qu’on obtient par un processus calculatoire systématique le même genre de rencontres de mots et d’idées que ce que les surréalistes pratiquaient en explorant l’inconscient Cette méthode peut également être variée à l’infini, avec des résultats similaires. Les exemples les plus connus sont La cimaise et la fraction, à partir de la fable de La Fontaine La cigale et la fourmie, ou El desecativo et El desdonado, à partir du poeme El desdichado de Nerval, écrits par Raymond Queneau en 1973. Queneau applique, en plus de la méthode S+7, la méthode V+7 qui consiste à remplacer chaque verbe par le 7e suivant dans le dictionnaire choisi. 2) le lipogramme : c’est une figure de style qui consiste à produire un texte d’où sont délibérément exclues certaines lettres de l’alphabet. Le mot vient du grec λείπειν, leipein (« enlever, laisser ») et gramma (« lettre ») : ça veut dire « à qui il manque une lettre » Le lipogramme est un texte dans lequel l’auteur s’impose de ne jamais employer une lettre, parfois plusieurs. Se trouvent ainsi proscrits les mots qui contiennent cette lettre ou ces lettres. L’exemple le plus connu : le roman de Georges Perec La Disparition (1969) est entièrement écrit sans la lettre e : « Là où nous vivions jadis, il n’y avait ni autos, ni taxis, ni autobus : nous allions parfois, mon cousin m’accompagnait, voir Linda qui habitait dans un canton voisin. Mais, n’ayant pas d’autos, il nous fallait courir tout au long du parcours ; sinon nous arrivions trop tard : Linda avait disparu. Un jour vint pourtant où Linda partit pour toujours. Nous aurions dû la bannir à jamais ; mais voilà, nous l’aimions. Nous aimions tant son parfum, son air rayonnant, son blouson, son pantalon brun trop long ; nous aimions tout. Mais voilà tout finit : trois ans plus tard, Linda mourut ; nous l’avions appris par hasard, un soir, au cours d’un lunch. » (La Disparition, pp. 60-61) 3) Le tautogramme : texte dont tous les mots commencent par la même lettre) 4) Le monovocalisme : une variante du lipogramme. Il consiste pour un texte à ne s’autoriser qu’une seule voyelle. le roman Les Revenentes (1972) de Georges Perec est l’exemple du monovocalisme en e le plus connu. 5) Le monoconsonnantisme : un texte utilisant une seule consonne : Mimi, ma mie, aime-moi ! Aimée, même moi ? Ah ! Emma, amie, ma môme émue. Mamma mia ! 6) Le palindrome : texte qui peut se lire indifféremment à de gauche à droite et de droite à gauche. Il existe des palindromes de syllabes, des palindromes de mots, de phrases ou de sons. Le Grand Palindrome publié en 1969 par Georges Perec sous le titre 9691, resta pendant longtemps le plus long existant connu en français, avec 5566 lettres, soit le produit de la multiplication palindromique 11*23*2*11. Exemple : « À révéler mon nom, mon nom relèvera » (Cyrano de Bergerac). Anoulipisme Les recherches en anoulipisme se poursuivent néanmoins, et l’on peut lire certains résultats de ces recherches dans les deux premiers ouvrages collectifs du groupe La Littérature potentielle (Gallimard, 1973) et l’Atlas de littérature potentielle (Gallimard, 1981), comme une « Histoire du lipogramme » par Georges Perec. C’est la recherche de ceux qui sont appelés, avec humour, les « plagiaires par anticipation ». Les « plagiaires par anticipation » les plus importants sont : 1) les Grands rhétoriqueurs du début de la Renaissance (fin du XVe siècle). Ils ont en effet expérimenté beaucoup des possibilités de la langue : jeux de mots, techniques lettristes et contraintes oulipiennes avant la lettre, par exemple des poèmes mots-croisés pouvant se lire dans tous les sens. 2) Paul Valéry, plagiant l’OuLiPo par anticipation, avait ainsi manipulé l’une des Pensées de Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraye » a donné naissance à cette traduction antonymique : « Le vacarme intermittent de ces petits coins me rassure. » Bibliographie oulipienne Les premiers travaux de littérature potentielle ont été publiés par le Collège de Pataphysique, dont l’OuLiPo est une sous-commission. Ouvrages collectifs : La Littérature potentielle (1973) Atlas de littérature potentielle (1981) Abrégé de littérature potentielle, La Bibliothèque oulipienne Moments oulipiens, recueil de courtes anecdotes et réflexions, présentées par les oulipiens eux-mêmes Genèse de l'Oulipo, qui rassemble les comptes rendus des premières réunions de 1960 à 1963, par l'oulipien Jacques Bens Esthétique de l'Oulipo, publié par l'oulipien Hervé Le Tellier Anthologie de l'Oulipo dans la collection « Poésie » de Gallimard (2009) Œuvres de Georges Perec : Les Choses (1965) La Disparition (1969) Les Revenentes (1972) W ou le Souvenir d’enfance (1975) La Vie mode d’emploi (1978) Je me souviens (1978)
Œuvres de Raymond Queneau :
Pierrot mon ami (1942) Exercices de style (1947) Bâtons, chiffres et lettres (1950) Zazie dans le métro (1959) Cent Mille Milliards de Poèmes (1961)