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DE FERDINAND DE SAUSSURE
FORMES SÉMIOTIQUES
COLLECTION DIRIGÉE PAR
ANNE HÉNAULT
MIC HE L A RRIVÉ
À la recherche
de F erdin a nd d e S a u s sur e
LINGUISTIQUE
Grammaire du français contemporain, Larousse, en collaboration avec trois autres auteurs, 1964.
La grammaire, lectures, Klincksieck, en collaboration avec Jean-Claude Chevalier, 1970.
La grammaire d’aujourd’hui, Flammarion, en collaboration avec Françoise Gadet et Michel Galmiche,
1986.
Réformer l’orthographe ?, PUF, 1993.
Saussure aujourd’hui, en collaboration avec Claudine Normand, Nanterre, LINX, 1995.
Benveniste vingt ans après, en collaboration avec Claudine Normand, Nanterre, LINX, 1997.
La conjugaison pour tous, Hatier, 1997, ouvrage traduit en anglais.
Verbes sages et verbes fous, Limoges, Lambert-Lucas, 2005.
LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE
Linguistique et psychanalyse : Freud, Saussure, Hjelmslev, Lacan et les autres, Méridiens-Klincksieck, 1986,
ouvrage traduit en anglais, en coréen, en espagnol et en portugais.
Langage et psychanalyse, linguistique et inconscient, PUF, 1994, puis Limoges, Lambert-Lucas, 2005,
ouvrage traduit en espagnol, en italien et en portugais.
Linguistique et psychanalyse, en collaboration avec Claudine Normand, In Press, 2001.
Le linguiste et l’inconscient, à paraître.
ÉDITION DE TEXTES
Peintures, dessins et gravures d’Alfred Jarry, Collège de ’Pataphysique et Cercle français du livre, 1968.
Œuvres complètes d’Alfred Jarry, 1er volume, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972.
FICTION
Les remembrances du vieillard idiot, roman, Flammarion, 1977, Prix du Premier roman.
La réduction de peine, roman, Flammarion, 1978.
L’horloge sans balancier, roman, Flammarion, 1983.
L’éphémère ou la mort comme elle va, recueil de nouvelles, Méridiens-Klincksieck, 1989.
Une très vieille petite fille, Champ Vallon, 2006.
La walkyrie et le professeur, Champ Vallon, 2007.
ISBN 978-2-13-055970-0
ISSN 0767-1970
Dépôt légal — 1re édition : 2007, avril
© Presses Universitaires de France, 2007
6, avenue Reille, 75014 Paris
S O MMAIRE
Avant-propos 1
1. Tel était en effet le nombre des pages du CLG à partir de la seconde édition, un peu moindre
que celui de la première (325).
2 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Yong-Ho Choi, Le problème du temps chez Ferdinand de Saussure, Paris, L’Harmattan, 2002, et Aka-
tane Suenaga, Saussure, un système de paradoxes. Langue, parole, arbitraire et inconscient, Limoges, Lam-
bert-Lucas, 2005. Et je ne parle pas des livres publiés par eux en japonais et en coréen (notam-
ment par Sungdo Kim et de nouveau Yong-Ho Choi).
Avant-propos 3
1. Simon Bouquet, cependant, l’abrège de façon excessive, en avançant dès la première ligne de
son livre (1997, II) que « Saussure s’éteignait à l’âge de 54 ans ». Non. Né le 26 novembre 1857,
Saussure avait 56 ans quand il mourut le 22 février 1913. Saussure n’a décidément pas de chance
avec ses biographes : Tullio de Mauro, jusqu’à l’édition de 1985 du Cours de linguistique générale le
fait naître en... 1871 (CLG, 319). Qu’on se rassure : je ne spéculerai pas sur ces curieux lapsus.
4 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Mais après tout, peut-être n’est-il pas exclu de parler dans un texte
clos d’une réflexion non close, de la même façon que, à ce qu’on dit,
on peut décrire le flou de façon précise. J’ai des doutes : est-il possible
que le tout d’un texte soit apte à rendre compte du pas-tout d’un autre
texte ? Au fait, a-t-on bien affaire, avec Saussure, à un texte ?
On l’a vu : la terminologie lacanienne du tout et du pas-tout m’est
venue sous la plume1. Saussure, on le verra dans le chapitre II, ne
s’interdit pas de nominaliser ni même de pluraliser – « les touts » –
le pronom. On pourrait aussi poser le problème dans les termes du
métalangage. S’il est vrai qu’il n’y en a pas – au fait, Saussure, qu’en
aurait-il pensé, de l’aphorisme lacanien ? La réponse n’est pas aisée2
– il est impossible de décrire une pensée sous une forme différente de
celle qui affecte l’objet qu’elle se donne. Ici, de donner les apparences
de la clôture à la description d’une réflexion définitivement ouverte.
Mais finalement peu importent, en ce point, les problèmes théori-
ques. Je me présente dans ce livre en victime, consentante, d’un effet
de mimétisme saussurien : je n’ai pas été en mesure – plus précisément
j’ai renoncé à me mettre en mesure – de construire une clôture autour
d’un lieu non clos.
En outre, le livre auquel je pensais, on le repérera en parcourant sa
non-introduction, présentait la réflexion de Saussure en plusieurs pans
séparés et semblait par là même justifier la division de ses recherches :
linguistiques, sémiologiques, anagrammatiques. Rien n’est moins assuré
que cette analyse. Il convient de laisser sans réponse la question de
l’unité ou de la pluralité des objets et des méthodes de la réflexion de
Saussure, même s’il n’est pas impossible – je ne me le suis pas inter-
dit – de se la poser.
Effet patent du mimétisme : la répétition. Elle est fréquente dans les
Écrits de Saussure. Elle l’est également dans les « sources manuscrites »
des trois Cours de 1907 à 1911, et les éditeurs de 1916 ne l’ont pas tota-
lement évitée. Ils ont eu raison : la répétition, déjà justifiée par
d’évidentes raisons didactiques, est inséparable de la réflexion saussu-
rienne. La langue est un système serré, et il est de ce fait inévitable que
les problèmes qu’elle pose reviennent en plusieurs points. La répétition
est aussi un trait absolument constant de la méditation de Saussure sur
1. Lacan – qui, on le verra notamment dans le chapitre VII, marque explicitement sa référence
et, d’une certaine façon, sa révérence à Saussure – pose l’opposition du tout et du pas-tout, pour, en
bref, distinguer le clos du non-clos. (Lacan, Séminaire, XX, Encore, Télévision).
2. Elle trouvera des embryons de réponse dans les analyses données, au début du chapitre II et en
plusieurs autres points, sur les perplexités terminologiques de Saussure.
Avant-propos 5
les Anagrammes comme sur la Légende. C’est ici l’effet non seulement
de la systématicité de l’objet à décrire, mais aussi de l’inachèvement de
la recherche qui le vise. On ne s’étonnera donc pas de voir, dans mon
livre, le même texte cité deux fois, en deux chapitres distincts, mais
commenté de deux façons différentes, car la place que prend dans le
système le point de doctrine étudié est différente.
Il ne faut toutefois pas pousser trop loin le mimétisme saussurien.
Non clos, l’ouvrage que je publie aujourd’hui présente au moins les
apparences de l’achèvement. Il est rare que les phrases se terminent
par un blanc, ou soient commentées par un insolite « ce n’était pas ce
que je voulais dire », comme il arrive dans les écrits de Saussure1. En
somme, j’ai visé la clarté, tant dans le détail de l’expression que dans la
composition.
Pour l’expression, ce sera à mes lecteurs, s’il s’en trouve,
d’apprécier. Quant à la composition, je l’indique en quelques mots.
Après l’introduction au livre que je n’ai pas écrit, on trouvera un
chapitre d’apparence biographique. Sous le titre « Saussure : une vie
dans le langage », que j’ai un instant songé à donner à l’ensemble du
livre, il cherche à faire un inventaire chronologique des activités de
Saussure relatives au langage, au sens le plus extensif du terme. Et en
même temps en son sens limitatif : on remarquera que j’ai évité, autant
du moins qu’il m’a été possible, toute mention d’événement dépourvu
de relation avec l’activité d’un chercheur en science du langage.
Un long deuxième chapitre constitue un effort de relecture du Cours
de linguistique générale. Il m’a semblé indispensable de commencer par là,
compte tenu des raisons qui sont alléguées dans l’introduction. Il va
sans dire cependant que j’ai signalé chaque fois que cela m’a semblé
utile – souvent, en somme – les discordances entre le contenu du CLG
et l’enseignement « authentique » de Saussure. Ce chapitre vise, sans
doute sans l’atteindre, à la complétude. Cependant, il n’insiste pas de
façon égale sur tous les problèmes posés.
Il est, d’une part, assez silencieux sur une part importante de
l’enseignement de Saussure : celle qui vise les langues, au pluriel, et
non la langue au singulier. Non que ces passages soient inintéressants :
1. On trouve cette dénégation dans l’une des « Notes item » : « Item. Il y a défaut d’analogie entre
la langue et toute autre chose humaine pour deux raisons. 1 / La nullité interne des signes. 2 / La
faculté de notre esprit de s’attacher à un terme en soi nul. (Mais ce n’était pas ce que je voulais
dire d’abord. J’ai dévié) » (Engler, 1974-1990, 38). Autre formulation, très voisine, de la même
conscience de l’imperfection du dit, et de sa nécessaire correction : « Ce n’est rien de cela que je
voulais dire » (Écrits, 109).
6 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. À cet égard, on constate que Saussure prend position de façon à la fois prudente et assurée sur
le problème de la monogenèse ou de la polygenèse des langues : « La parenté universelle des lan-
gues n’est pas probable, mais fût-elle vraie – comme le croit un linguiste italien, M. Trombetti –
elle ne pourrait pas être prouvée, à cause du trop grand nombre de changements intervenus »
(CLG, 263). – On verra, notamment aux chapitres II et V, que l’attitude de Saussure à l’égard de
la classification, historique ou typologique, des langues, est sujette à de considérables variations,
qui le mènent parfois jusqu’à mettre en cause toute possibilité de classement, historique ou
typologique.
Avant-propos 7
1. Faut-il préciser qu’il ne faut pas confondre Adalbert Ripotois avec son grand-oncle Adolphe
Ripotois ? Les indications nécessaires sont données p. 217 pour éviter cette navrante confusion.
CE CI N ’ ES T P AS U NE IN TRO D U CTI O N,
O U N E L’ES T P LUS
BIB L IO G RAP H IE
UN E V IE D A NS LE LAN GA GE
NOTES CHRONOLOGIQUES ET AUTRES
SUR LA VIE ET LA CARRIÈRE
DE FERDINAND DE SAUSSURE
1. C’est cette date qui est donnée dans la Notice (anonyme) sur la vie et les écrits de Mme Necker de
Saussure, qui figure en tête de la réédition de L’éducation progressive. D’autres sources (notamment
Tullio de Mauro) le font survivre jusqu’à 1799.
20 À la recherche de Ferdinand de Saussure
rite – qui n’est pas la douce manie de ceux que poursuivent en tout
temps les obsessions saussuriennes, mais tout bonnement un minéral,
précisément un « mélange de zoïzite et de plagioclase »1.
Le premier fils de Nicolas-Théodore se prénommait simplement
Théodore. Né en 1824, grand lecteur de Rousseau – à qui il consacra
un livre : J.-J. Rousseau à Venise – il mourut en 1903, et fut donc longue-
ment contemporain de son neveu. Ont-ils un jour parlé ensemble de
l’ouvrage consacré par Théodore à des Études sur la langue française. De
l’orthographe des noms propres et des mots empruntés, plaquette de 125 pages
publiée chez Cherbuliez et Fischbacher en 1885 ? Je ne sais. Mais
Saussure, s’il a parcouru cette dissertation d’un fort honnête amateur, a
pu y lire, sur l’histoire de l’orthographe des mots étrangers, ces appré-
ciations très raisonnables :
Dans les siècles antérieurs aux nôtres, c’est par l’ouïe et non par la vue de carac-
tères écrits qu’un mot ou un nom propre étranger s’introduisait dans la langue. Le
premier auteur appelé à l’employer ne l’avait souvent pas lu, il l’avait simplement
entendu prononcer et il inventait pour ce mot une orthographe qui amenait le lec-
teur français à le lire sans difficulté et, en même temps, à lui conserver à peu près
sa prononciation originaire (p. 1-2).
1. Cette définition est tirée du Dictionnaire de la chimie et de ses applications, de Clément et Raymonde
Duval, Technique et Documentation.
22 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Ce portrait est reproduit, en même temps que deux photographies, dans l’Annuaire 1964 EPHE,
4e section.
2. Joseph John E., « The colonial linguistics of Léopold de Saussure », 1999.
Une vie dans le langage 23
Je ne sais rien des relations que Ferdinand peut avoir eues avec René.
Celui-ci lui avait-il fait part de ses prétentions à l’antériorité pour
l’opposition de la synchronie à la diachronie ? On sait en tout cas que
Ferdinand évoque avec un grand intérêt, dans le CLG (p. 111) – mais
sans citer les travaux de son frère – le problème de l’évolution de
l’espéranto : c’est précisément celui qui détermine les réflexions de
René.
Mais quittons la famille, et revenons à Ferdinand. Sur sa jeunesse et
son enfance, on dispose d’un document exceptionnel : les « Souvenirs
d’enfance et de jeunesse » (Saussure-Godel, 1960), qu’il rédigea
en 1903. Me laisserai-je aller à avancer que de ces souvenirs émane,
discrètement dite, une profonde mélancolie ? Sans marquer constam-
ment son amertume, Saussure présente tous les événements qu’il rap-
porte sous le signe de l’échec. L’année scolaire 1872-1873 ? Il la passe
« au Collège de Genève, pour y perdre une année aussi complètement
qu’il est possible de la perdre » (Saussure-Godel, 1960, 17). Son Essai
pour réduire les mots du grec, du latin et de l’allemand à un petit nombre de racines,
qui date aussi de 18721 ? Le très jeune auteur est, par les remarques
critiques de son vieil ami Adolphe Pictet, « assez dégoûté de [s]on essai
manqué » (ibid.). Mais l’acmé de l’amertume lui vient, paradoxalement,
de la découverte de la « nasalis sonans ». Pendant son année perdue au
Collège de Genève, il s’avise un jour, au cours d’une lecture
d’Hérodote, que la forme tet0catai est à tet0gmeqa ce que l@gontai est
à legpmeqa : c’est donc que le -a- de -atai est le substitut d’un N plus
ancien :
Son caractère était pour moi (ce qui est physiologiquement juste) de se trouver
entre deux consonnes, et de donner lieu par ce fait à un a grec, mais c’était un n
comme un autre (Saussure-Godel, 1960, 18).
1. Dans ses « Souvenirs », Saussure dénomme ce premier travail système général du langage (Saus-
sure-Godel, 17).
24 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Cet article sera effectivement publié, sous le titre annoncé ( « Le suffixe -T- » ) dans les Mémoires
de la Société de linguistique, III, 1877, 197-211 (in Saussure, 1922-1984, 339-352). C’est la première
publication scientifique de Saussure.
Une vie dans le langage 25
Saussure suit assez peu les leçons des professeurs, pourtant presti-
gieux, de linguistique. S’il fréquente « le slave et le lituanien de Leskien,
l’altpersisch (vieux perse) de Hübschmann et une partie du celtique de
Windisch », il « ne met jamais les pieds dans un cours de sanscrit,
encore moins dans un cours de gotique ou de grammaire germanique
quelconque » (Saussure-Godel, 1960, 21). C’est qu’il est occupé à plein
temps par la rédaction d’un ouvrage. Il est en train de l’achever en
juin 1878 (Saussure, 2003, 462) et le publie dès décembre de la même
année (il vient d’avoir 21 ans). C’est l’illustre Mémoire sur le système primi-
tif des voyelles dans les langues indo-européennes (daté de 1879).
L’ouvrage est, aujourd’hui, de lecture difficile : il faut être informé
non seulement des nombreuses langues alléguées (notamment, mais
non exclusivement, le sanskrit, le grec et le latin) et des principales
notions de linguistique comparative, mais encore de l’histoire de l’indo-
européanisme. Car la terminologie et la symbolique sont en train, par
les soins du jeune chercheur, de se fonder, et ont été, depuis totalement
modifiées : Saussure ne parle pas encore de laryngales, et utilise les
symboles A et O ∨
au lieu des actuelles variantes du h.
L’essentiel tient dans la prise en compte des relations de système
entre les voyelles indo-européennes : ce sont ces relations qui font repé-
rer l’identité de phénomènes apparemment disparates et poser – pour
la première fois – l’existence de deux « coefficients » notés A et O ∨
. Ces
deux « coefficients », sur la nature phonétique desquels Saussure prend
le parti de ne pas s’interroger, prendront dans la suite le nom de laryn-
gales. La découverte, faite après la mort de Saussure, de la langue hit-
tite, permettra, grâce aux travaux de Jerzy Kurylowicz (1927), de repé-
rer dans cette langue, sous la forme de phonèmes, les « coefficients »
identifiés par Saussure.
Bien accueilli par certains, notamment en France, le Mémoire est for-
tement critiqué en Allemagne, notamment par l’illustre Osthoff. C’est
précisément le caractère « systématique » de la recherche qui est mis
en cause. Saussure semble avoir mal supporté tant ces critiques que les
utilisations qui sont faites, sans le citer, de son travail : il fait ironique-
ment hommage à Gustav Meyer d’être « le premier à ignorer [s]on
nom » (Saussure-Godel, 1960, 23). Selon le témoignage, il est vrai très
tardif, de l’indo-européaniste Albert Cuny, Saussure aurait alors songé
à abandonner la linguistique pour l’étude de la légende germanique. Il
y viendra d’ailleurs plus tard, mais sans renoncer à la linguistique.
Après un séjour d’études de plusieurs mois (1878-1879) à Berlin, où
il rencontre le linguiste américain W. D. Whitney, il revient à Leipzig.
26 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. L’époque exacte de ce voyage reste encore, au moment où j’écris ces lignes, mal connue. Le
témoignage de Georges Guieysse, dans une lettre de 1888 (citée par Décimo, 1999, 104), ne lève
pas totalement le doute. Le très jeune Guieysse – qui devait, au grand chagrin de Saussure, se sui-
cider quelques mois plus tard – prête à son professeur des propos assez bizarres : « J’ai moi-même
il y a huit ans fait le voyage en Lituanie. » Voilà qui semble régler le problème : ce serait bien huit
ans avant – donc en 1880 – que le voyage aurait eu lieu. Mais Saussure, selon Guieysse, aurait
poursuivi de la façon suivante : « ... pour recueillir les derniers vestiges de cet intéressant idiome ».
Remarque assez étonnante : le lituanien était, en 1880 – et est d’ailleurs encore aujourd’hui – une
langue parfaitement vivante, bien loin d’en être à l’état de « derniers vestiges ». Saussure aurait-il
pu faire allusion à quelque variante dialectale menacée ? Ou le jeune Guieysse aurait-il mal com-
pris ou rapporté de façon inexacte les propos de son professeur ? Le témoignage, on le voit, n’est
pas d’une fiabilité absolue. Il reste possible que ce litigieux voyage ait eu lieu plus tard, interrom-
pant pour quelques mois le séjour de Saussure à Paris. Rien n’empêche non plus qu’il y ait eu
deux voyages, l’un en 1880, l’autre nettement plus tard. Voir la mise au point de Tullio de
Mauro, CLG, 331, n. 6.
2. Les notes prises lors de ce cours par un auditeur devenu illustre, Ferdinand Lot, complétées
par celles de Maurice Grammont, sont en cours d’édition, par les soins de Marc Décimo et
d’André Rousseau.
Une vie dans le langage 27
1. On verra, d’après les fragments, publiés dans le chapitre VI, d’un manuscrit sans doute élaboré
pour ce cours, que Saussure prend position avec vigueur sur deux grandes gloires littéraires : Bos-
suet et Pascal.
Une vie dans le langage 29
1. Assez bizarrement, Flournoy ne semble pas avoir consulté Saussure à propos de l’autre
« pseudo-langue », le « martien », pratiquée par Hélène Smith. En tout cas il n’en fait pas état
explicitement.
30 À la recherche de Ferdinand de Saussure
B I B LIO G R AP H IE
Badir Semir (éd.) (2003), « Les aventures de Polytychus [dessins de Ferdinand de Saus-
sure] », in Simon Bouquet (éd.), Saussure, L’Herne, 473-504.
Benveniste Émile (1964), « Ferdinand de Saussure à l’École des hautes études »,
Annuaire 1964 EPHE, 4e section, 22-34.
Décimo Marc (1994-1995), « Saussure à Paris », Cahiers Ferdinand de Saussure, 48, 75-90.
Décimo M. (1999), « Une petite famille de travailleurs autour de Georges Guieysse : le
monde de la linguistique parisienne », Cahiers Ferdinand de Saussure, 52, 99-121.
Engler Rudolf (2002), « Solide/non-solide : “le Cru et le Cuit” », in J. Anis, A. Eské-
nazi et J.-F. Jeandillou, Le signe et la lettre. Hommage à Michel Arrivé, L’Harmattan,
181-185.
Fleury Michel (1964), « Notes et documents sur Ferdinand de Saussure », Annuaire 1964
EPHE, 4e section, 35-51.
Flournoy Théodore (1893), Des phénomènes de synopsie, Genève et Paris.
Flournoy T. (1900-1983), Des Indes à la planète Mars, Genève, puis Paris, Le Seuil.
Gandon Francis (2002), De dangereux édifices. Saussure lecteur de Lucrèce. Les cahiers
d’anagrammes consacrés au De rerum natura, Louvain-Paris, Peeters.
Gandon F. (2006), Le Nom de l’Absent. Épistémologie de la science saussurienne des signes, Limo-
ges, Lambert-Lucas.
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l’accentuation lituanienne », in S. Bouquet (éd.), Saussure, L’Herne, 323-350.
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Sheffield, University et Leipzig, University, 127-138.
Kurylowicz Jerzy (1927), « [schwa] i. e. et h hittite », Symbolae grammaticae in honorem
Ioannis Rzwadowki, Cracovie, 95-104.
Necker de Saussure Albertine (1828), Éducation progressive ou étude du cours de la vie, trois
volumes, ouvrage cité ici d’après la 9e édition, Garnier Frères.
Saussure Ferdinand de (1879 [1878]), Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues
indo-europénnes, Leipzig, B. G. Teubner. Cité ici d’après Saussure, 1922-1984, 1-268.
Saussure F. de (1881), De l’emploi du génitif absolu en sanscrit, Genève, J. G. Fick. Cité ici
d’après Saussure, 1922-1984, 269-338.
Saussure F. de (2003), « Lettres de Leipzig (1876-1880) », Présentation et édition par
Mareike Buss, Lorella Ghiotti, Ludwig Jäger, in S. Bouquet (éd.), Saussure, L’Herne,
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Saussure Horace Bénédict de (1779-1796-1874), Voyage dans les Alpes, quatre volumes.
Cité ici d’après Zürcher et Marjolle, Les ascensions célèbres, Hachette, 1874.
Saussure Léopold de (1899), Psychologie de la colonisation française dans ses rapports avec les
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Saussure René de (1911), Principes logiques de la construction des mots en espéranto, Genève,
Kündig.
Saussure R. de (1918), La structure logique des mots dans les langues naturelles considérée au point
de vue de son application aux langues artificielles, Berne.
Saussure Théodore de (1885), Étude sur la langue française. De l’orthographe des noms propres et
des mots étrangers introduits dans la langue, Genève, Cherbuliez et Paris, Fischbacher.
Vilela Izabel (2006), « In principio erat verbum, ou la linguistique aux origines de la psy-
chanalyse : qu’en est-il de Saussure ? », Langage et inconscient, 1, 118-142.
CHAPITRE II
1. Le nom de systématicité n’est, sauf erreur ou oubli, jamais utilisé par Saussure. Mais il fait un
usage abondant de l’adjectif systématique (entre autres Engler, 1974-1990, 43) et de sa nominalisa-
tion au féminin, une systématique (ibid.).
2. Je prends volontairement le parti de présenter, ici, le titre entre guillemets, pour éviter de don-
ner, par l’emploi des italiques, l’impression que cet écrit est parvenu au statut d’un livre achevé.
En dépit de l’acuité constante de la réflexion, ce texte reste, comment dire ? un brouillon, à condi-
tion de débarrasser ce terme de toute connotation péjorative.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 35
1. Ces phénomènes internes sont spécifiés comme « de conscience ». Est-ce à dire que la « figure
vocale », pourtant dite « externe » et « directement saisissable », relève de l’ « inconscience », pour
utiliser le terme saussurien ? Dialectique complexe, dont certains aspects seront débroussaillés dans
la suite, notamment dans le chapitre VII.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 37
1. On verra dans le chapitre IV que l’adjectif accessoire est une adjonction des éditeurs : aucun des
auditeurs de Saussure ne l’a entendu...
2. Il lui arrivait cependant de marquer une hiérarchie entre langue et parole : « Les exécutions
par la parole de ce qui est donné dans la langue peuvent paraître comme inessentielles »
(Komatsu, 283), ou encore : « Les autres phénomènes [ceux de la parole, M. A.] prennent
presque d’eux-mêmes une place subordonnée » (ibid.). Trace, une fois de plus, des hésitations dou-
loureuses de la réflexion de Saussure.
3. M’éloignerai-je excessivement de mon sujet – Saussure – en m’interrogeant sur les motivations
des éditeurs au moment où, en toute connaissance de cause, ils donnaient à ces réserves à l’égard
de la parole plus de force que Saussure ? On peut se laisser aller à y voir le regret peut-être mêlé
de dépit – notamment de la part de Bally, futur auteur, dans Linguistique générale et linguistique fran-
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 41
tivement prononcé par Saussure leur donne une forme beaucoup plus
atténuée, voire les annule totalement. Ainsi les cahiers de Constantin
portent le texte suivant :
Nous l’avons dit, c’est l’étude de la langue que nous poursuivons pour notre part. Cela
dit, il ne faut pas en conclure que dans la linguistique de la langue il ne faut jamais
jeter un coup d’œil sur la linguistique de la parole. <Cela peut être utile, mais c’est un
emprunt au domaine voisin> (Engler, 1968-1989, 58-59 ; Komatsu, 305).
LE SIGNE SAUSSURIEN
(CLG, 99)2.
1. Le nom opération est une adjonction (oserai-je la dire heureuse ?) des éditeurs. Saussure ne
semble pas l’avoir employé. En revanche, il a fait apparaître dans son propos l’ « l’objet, qui est en
dehors du sujet, et le nom, dont on ne sait pas bien s’il est vocal ou mental. Le lien entre les deux
n’a rien de clair » (Engler, 1968-1989, 148). Ce « lien » obscur entre le nom et l’objet a bien à
être établi. Et par quoi d’autre qu’une « opération » du sujet ?
2. Il est toutefois à remarquer que dans les schémas notés par les auditeurs les deux flèches de
sens opposé qui encadrent l’ellipse du signe sont absentes (Engler, 1968-1989, 149-150) : ce sont
les éditeurs qui les ont ajoutées. On trouve parfois une flèche unique, interne à l’ellipse du signe,
et traversant la barre qui en sépare les deux parties (voir p. 68). Un illustre lecteur, Lacan, effa-
cera ces flèches des éditeurs dans la mise en place de son « algorithme » (1966, 497). Il ne savait
sans doute pas que, sur ce détail, il rencontrait l’enseignement originel de Saussure.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 45
L’arbitraire du signe
1. ... quoique sans certitude absolue : il arrive au moins une fois à Saussure de conférer au mot
signe les deux sens dans la même phrase : « Le signe linguistique (image servant au signe) possède
une étendue » (Komatsu, 289).
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 47
1. Dans le projet d’article pour Whitney, Saussure marquait à l’égard de cette possibilité un pessi-
misme absolu. Voir le chapitre V.
2. Telle est en tout cas l’une des positions adoptées par Saussure sur le problème de l’évolution.
On verra au chapitre V les oscillations de sa réflexion sur ce point.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 49
1. On remarque la bizarre faute d’accord qui fait reprendre « l’idée de “sœur” » par le pronom
masculin il. Les éditeurs avaient sans doute en tête les noms masculins signifié ou concept. C’est ce
dernier qui apparaît dans les sources manuscrites, très voisines du texte de 1916 : « Le concept
sœur par exemple n’est lié par aucun caractère (rapport) intérieur avec la suite de sons s + ö + r qui
forme l’image acoustique correspondante » (Engler, 1968-1989, 152).
2. Plus explicitement : « Si la linguistique était une science organisée (...), l’une de ses affirma-
tions les plus immédiates serait : l’impossibilité de créer un synonyme, comme étant la chose la plus
absolue et la plus remarquable qui s’impose parmi toutes les questions relatives au signe »
(Écrits, 265). L’exemple de sœur est particulièrement éclairant. Son « synonyme » frangine s’écarte
de lui par le trait de signifié « familier », même si, dans de nombreux cas, le même référent
(« fille des mêmes parents », « religieuse », etc.) peut être désigné par les deux termes. Mais
voit.on bien frangine se substituer à sœur par exemple dans la physique et la chimie sont deux disciplines
sœurs ?
50 À la recherche de Ferdinand de Saussure
tration des éléments qui n’étaient pas dans l’énoncé. Il définit d’abord le signifié
comme étant l’idée générale de bœuf ; il se comporte ensuite comme si ce signifié
était l’objet appelé bœuf ou du moins l’image sensorielle d’un bœuf... Or ce sont là
deux choses absolûment [sic pour l’accent circonflexe] différentes.
fié. Pris un par un, ils sont dans un rapport qui apparaît strictement arbitraire. Il
n’y a pas plus de raison d’appeler la girafe girafe et l’éléphant éléphant que d’appeler
la girafe éléphant et l’éléphant girafe. Il n’y a aucune raison de ne pas dire que la
girafe a une trompe et que l’éléphant a un coup très long. Si c’est une erreur dans
le système généralement reçu, elle n’est pas décelable, comme le fait remarquer
Saint-Augustin, tant que les définitions ne sont pas posées. Et quoi de plus difficile
que de poser les justes définitions ? (1975, 290).
1. « Pour bien faire sentir que la langue est une institution pure, Whitney a fort justement insisté
sur le caractère arbitraire des signes » (CLG, 110).
2. Cette périphrase permet d’éviter le syntagme signes motivés, impossible dans le cadre de la
théorie du CLG.
56 À la recherche de Ferdinand de Saussure
C’est bien, selon ce fragment, le signifiant, et lui seul, qui est affecté
par le « caractère linéaire ». Ce sont les « signifiants acoustiques »,
autrement dit les « éléments » qui servent à constituer les « unités »
(c’est-à-dire les « signes », par exemple les « mots ») de la langue, qui
s’enchaînent de façon linéaire. Comment en irait-il autrement, puisque,
comme il sera dit plus loin (p. 170), il est impossible de « prononcer
deux éléments à la fois ? »1. Reflet secondaire, mais non moins signifi-
catif, de cette linéarité temporelle : la linéarité spatiale qui affecte inévi-
tablement les « signes graphiques » quand on les substitue aux « signi-
fiants acoustiques ». Car ici Saussure n’hésite pas à faire appel à
l’écriture – ailleurs vilipendée – pour donner un appui supplémentaire
à son second principe :
[...] les signifiants acoustiques ne disposent que de la ligne du temps ; leurs élé-
ments se présentent l’un après l’autre ; ils forment une chaîne. Ce caractère appa-
raît immédiatement dès qu’on les représente par l’écriture et qu’on substitue la
ligne spatiale des signes graphiques à la succession dans le temps (CLG, 103).
1. Saussure s’interroge, il est vrai assez cursivement, sur ce problème : « Si par exemple j’accentue
une syllabe, il semble que j’accumule sur le même point des éléments significatifs différents »
(CLG, 103). Il résout le problème, peut-être un peu trop rapidement, en notant que « la syllabe et
son accent ne constituent qu’un acte phonatoire » (ibid.). On remarquera que le recours à la
notion d’acte phonatoire marque clairement que l’analyse de Saussure se situe ici du côté de la
parole, et non de la langue. On sait que Jakobson reviendra sur ce problème de la linéarité du
signifiant, pour noter assez sèchement que « le maître a cédé à la croyance traditionnelle au
caractère linéaire du signifiant » (1963, 48). Milner, plus tard, fera écho à ses critiques : « Certai-
nes dimensions de la forme phonique sont précisément gouvernées par la simultanéité : les traits
pertinents et les phénomènes prosodiques notamment. Quand on prononce /b/, on prononce en
même temps la labialité, la sonorité et l’occlusion, bien que ces trois traits soient empiriquement
indépendants les uns des autres. Quand on prononce éternel, on prononce à la fois la syllabe /nel/
et l’accent qu’elle porte » (1989, 386-387). On vient de voir que Saussure a traité le second pro-
blème. Quant au premier, il est incontestable que les traits pertinents ne sont pas soumis à la
linéarité. Mais Saussure n’a en vue que la succession des « éléments », qui sont dans son lexique
les « signifiants acoustiques ». La réalisation phonique simultanée des traits pertinents, tout incon-
testable qu’elle est, n’est donc pas un contre-argument à la linéarité telle qu’il la conçoit. Il le dit
de façon absolument explicite dans un fragment des Manuscrits de Harvard, qu’on s’étonne que
Jakobson n’ait point remarqué : « Quand on parle de chaîne phonétique, on a toujours en vue
une chose concrète. Quand on parle d’un phonème isolé, on peut l’entendre d’une manière
concrète ou d’une manière abstraite. Concrète s’il est conçu comme occupant un espace / une
portion de temps. Abstraite si l’on ne parle que des caractères distinctifs, et si l’on classe. Là ni
début, ni fin, ni phase : cela se traduirait immédiatement en sous-espèce. Le phonème dans la classifi-
cation est une idée abstraite. Le phonème dans la chaîne phonétique est une idée concrète. La
chaîne peut se réduire à un seul phonème » (Parret, 1993-1994, 204-205).
58 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Je signale toutefois une minime difficulté textuelle que Godel n’a pas songé à signaler explicite-
ment : ce passage des notes de Riedlinger – on se souvient qu’il n’a pas suivi le Cours III – est rela-
tif à un fragment du Cours II, qui annonce les développements plus détaillés du Cours III sur « le
caractère linéaire du signifiant ». Les autres auditeurs du Cours II ont noté également que « la
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 59
parole est bien représentée comme une ligne » (Gautier) ou que « la chaîne de la parole s’offre à
nous comme une ligne » (Constantin) (Engler, 1968-1989, 234). En revanche, le syntagme la chaîne
de la parole n’apparaît pas explicitement dans les notes des auditeurs du Cours III. Il reste que le
caractère linéaire du signifiant est toujours, d’un Cours à l’autre, une propriété de la parole.
1. J.-C. Milner (1989, 386) a très justement noté l’extrême obscurité de ce passage : comment le
signifiant peut-il « représenter une étendue » ? Il semble que ces difficultés ne sont pas dues aux
éditeurs, mais apparaissaient dans les propos effectivement tenus par Saussure : voir Engler, 1968-
1989, 157.
60 À la recherche de Ferdinand de Saussure
linéarité franchit les limites des signes : l’enchaînement des signes est
tout aussi linéaire que celui des signifiants. La langue étant un système
de signes, il devient possible de parler de la « linéarité de la langue ».
On voit le double glissement que Saussure a fait subir à son second
principe : l’identité substantielle de la relation entre éléments au sein
d’une unité et de la relation entre unités successives dans le syntagme
lui permet de substituer les signes aux signifiants comme objets soumis
à la linéarité. Et la définition de la langue comme « système de signes »
l’autorise à poser la notion, originellement non prévue et, il faut
l’avouer, bien problématique, de « linéarité de la langue ». Un « sys-
tème » pourrait donc être « linéaire », dans le sens spécifique qui a été
conféré par Saussure à ce mot ? On s’interroge avec inquiétude sur les
conditions d’une telle éventualité.
1. C’est là la mention explicite que je viens d’annoncer. On aura aussi remarqué, à la première
ligne du texte, l’emploi du mot élément avec le sens qu’il a dans le CLG.
2. C’est évidemment la recherche sur les anagrammes que Saussure désigne ainsi, faisant le
double geste de la rattacher explicitement à la linguistique et d’en faire un « domaine infiniment
spécial ».
3. Ici Saussure, comme il lui arrive fréquemment dans cette recherche menée presque clandesti-
nement, et sans intention immédiate de publication, s’est interrompu au milieu de sa phrase. On a
constaté qu’il procède souvent de la même façon dans ses méditations proprement linguistiques.
64 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Une fois cerné le concept de signe – avec toutes les indiscutables dif-
ficultés et ambiguïtés qu’il comporte – il devient possible d’envisager la
façon dont Saussure envisage le fonctionnement des systèmes de signes.
On peut commencer par l’illustre métaphore1 de la feuille de
papier. Elle tient une place modeste dans la version publiée du CLG,
mais la lecture des Notes montre qu’elle a été l’objet persistant de la
réflexion de Saussure :
La langue est comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le
verso2 ; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso ; de
même dans la langue, on ne saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du
son ; on n’y arriverait que par une abstraction dont le résultat serait de faire de la
psychologie pure ou de la phonologie3 pure (CLG, 157).
1. Saussure dans son discours scientifique fait une place considérable à la métaphore. On en a
déjà repéré, chemin faisant, un assez grand nombre. Qu’on songe en outre, par exemple, à celle
de « la robe couverte de pièces tirées de l’étoffe de la robe » (CLG, 235). On en rencontrera
d’autres dans les chapitres suivants. Il est au plus haut point conscient de cette spécificité de son
discours, et se livre à une défense et illustration passionnée de la métaphore (et, d’une façon
générale, de la « figure ») en linguistique dans un passage des notes manuscrites (Engler, 1968-
1989, 18). Ce qui, en somme, est parfaitement compatible avec la mise en cause des notions tradi-
tionnelles de « sens propre et figuré » (Écrits, 72).
2. Est-il utile de préciser que Saussure ne hiérarchise pas les notions de recto et de verso ? Il s’en
explique dans un fragment des Notes sur la linguistique générale : « Si je parle du recto et du verso d’une
page, ce sont là des contraires qui restent parfaitement corespectifs l’un de l’autre, vu qu’il n’existe
d’avance aucun caractère qui distingue plus spécialement le recto du verso ou vice versa » (Engler,
1974-1990, 49 ; Écrits, 264-265).
3. On sait que Saussure donne au mot phonologie le sens – abandonné dans l’usage contempo-
rain – de « physiologie des sons » (p. 55). Il explicite pleinement cette définition dans le projet
d’article pour Whitney : « La Phonologie – cette science particulière à laquelle on n’a jamais
66 À la recherche de Ferdinand de Saussure
trouvé un nom, je veux dire celle “des conditions naturelles de la production des différents sons
par nos organes” » (Écrits, 205). Dans le passage cité du CLG, il veut donc dire que l’éventuelle
séparation des deux plans aboutirait, pour celui du signifiant, à le réduire à son aspect matériel et
à en faire l’objet d’une stricte analyse physiologique.
1. On attendrait évidemment le mot signifiant. Les éditeurs du CLG – ici pleinement responsables
de cette formulation – n’ont jamais systématiquement tenu compte de la terminologie saussu-
rienne.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 67
1. Lacan s’avisera que ces lignes sont pointillées. Il interprétera ce détail à sa façon. Je précise
cependant d’emblée que le pointillé est une innovation, sans doute dépourvue de toute intention
et de toute fonction, des éditeurs : les schémas, d’ailleurs nettement moins élaborés, des auditeurs
de Saussure présentent des lignes verticales pleines. Les frontières qui séparent les unités saussu-
riennes sont étanches.
2. Le mot réitère une fois de plus la métaphore persistante de la coupure.
68 À la recherche de Ferdinand de Saussure
(Komatsu, 301-302).
1. Saussure reviendra sur ce point, de façon un peu plus étoffée, au moment de mettre en place
l’opposition synchronie/diachronie. Voir plus bas.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 69
1. En ce point Saussure prend position, il est vrai de façon implicite, sur le problème des sens
opposés : il admet que le français louer a pour valeur de cumuler les deux significations opposées
des verbes allemands mieten et vermieten. Sans le dire explicitement, certes, il tombe en accord avec
Freud, qui, on le sait, est un farouche partisan des « sens opposés » (1910-1971).
70 À la recherche de Ferdinand de Saussure
peut dans une certaine mesure être exacte et donner une idée de la réalité ; mais
en aucun cas je n’exprime le fait linguistique dans son essence et dans son ampleur
(CLG, 162).
perpétuellement que la différence a/b – que chacun de ces termes reste libre de se
modifier selon des lois étrangères à leur fonction significative (CLG, 163 ; le texte
n’a jamais été prononcé par Saussure dans ses Cours : il est extrait du projet
d’article pour Whitney [Écrits, 219], où l’on ne trouve guère comme différence que
la mention « de lois qui résulteraient d’une pénétration constante de l’esprit », à
laquelle les éditeurs ont substitué les « lois étrangères à leur fonction significative ».
1. Comme on a vu dans le chapitre I, Saussure rencontre ici les positions de son oncle Théodore.
72 À la recherche de Ferdinand de Saussure
des relations entre son et graphie. En réalité, Saussure, selon les notes
totalement homogènes de ses auditeurs, n’a pas parlé du « son qu’elle
désigne », mais de « la chose à désigner » (Engler, 1968-1989, 269). On
voit la différence : ce n’est pas le son qui est pris en charge à titre de
signifié par la lettre, mais une « chose ». Chose innommable autrement
que par le mot « chose » : on y reconnaît sans peine le signifiant incor-
porel, effectivement difficile à dégager de sa gangue phonique ou gra-
phique.
Dès lors l’écriture accède pleinement à la dignité de système de
signes. Les propos désobligeants qui la vilipendaient s’interrompent sur
le champ. Surtout il devient légitime de la présenter, au même titre
que la langue dont elle est désormais l’égale, comme domaine
d’intervention de la notion de valeur :
Les valeurs de l’écriture n’agissent que par leur opposition réciproque au sein d’un
système défini, composé d’un nombre déterminé de lettres (CLG, 165).
1. Le texte de l’édition standard, notamment par l’expression bizarre « entre eux il n’y a
qu’opposition » (CLG, 167), me semble modifier sensiblement la relation établie par Saussure entre
les deux notions de différence et d’opposition. Dans les sources (Engler, 1968-1989, 273-274), il est
clair que l’opposition est le régime des signes, opposition qui implique les différences des signifiants et
des signifiés. Il est donc litigieux de faire dire à Saussure qu’il n’y a qu’opposition !
74 À la recherche de Ferdinand de Saussure
exemples est ambigu. Fait-il allusion à des phrases plus complexes que
la dernière citée ? Ou bien laisse-t-il entendre que des unités discursives
outrepassant les limites de la phrase peuvent elles aussi être qualifiées
de syntagmes ? Rien de net ne permet de vérifier cette hypothèse. Mais
rien de clair ne permet de la rejeter...
1. Les éditeurs ont adopté à propos de ce passage une attitude ambiguë. D’une part, ils l’ont
rejeté en note, et ont pris sur eux de qualifier d’ « anormal » ce type de rapport, car « l’esprit
écarte naturellement les associations propres à troubler l’intelligence du discours » : proposition
qui n’a aucun support sérieux dans les sources manuscrites. Mais d’autre part, ils n’ont pas hésité
à éclairer le mécanisme mis en jeu par un exemple de « jeu de mots reposant sur la confusion
absurde qui peut résulter de l’homonymie pure et simple : “les musiciens produisent les sons et les
grainetiers les vendent” » (p. 174). Bien que l’exemple ne vienne pas de Saussure, il éclaire fort
bien le mécanisme. Quant à la « qualité » du jeu de mots, elle est effectivement faible. On sait que
parmi ceux qu’analyse Freud il en est d’aussi faibles, par exemple celui qui joue sur l’homonymie
entre Rousseau et roux sot (1905-1998, 79-81). Mais la « faiblesse », critère esthétique, ne fait rien à
l’affaire : c’est le mécanisme linguistique qui est en jeu.
76 À la recherche de Ferdinand de Saussure
SYNCHRONIE ET DIACHRONIE
1 / l’axe des simultanéités (AB), concernant les rapports entre choses coexistantes,
d’où toute intervention du temps est exclue, et 2 / l’axe des successivités (CD), sur
lequel on ne peut jamais considérer qu’une chose à la fois, mais où sont situées
toutes les choses du premier axe avec leurs changements (CLG, 115).
1. Le texte des sources marque clairement que Saussure ne pense pas seulement aux sciences
« humaines », mais aussi aux sciences « de choses » (Engler, 1968-1989, 177). Parmi celles-ci, c’est
sans doute la géologie – explicitement alléguée dès 1891 (voir Engler, 1974-1990, p. 5-6) – qui est
spécifiquement visée (voir CLG, 114, 293 ; Engler, 1968-1989, 175). On sait qu’elle suscitera aussi
l’intérêt de Lacan.
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 77
1. Il faut en effet remarquer que Saussure n’exclut nullement l’idée d’un acte de parole indivi-
duel, sans « masse parlante ». Voir notamment le passage de la note 23 . 6 (Engler, 1968-1989,
172) où est isolée « la partie [du langage] résidant dans l’âme de la masse parlante, ce qui n’est pas
le cas pour la parole » (souligné par M. A.).
2. Arrivé, 1990, 42.
80 À la recherche de Ferdinand de Saussure
pas (substantif) et pas (négation) ou entre calidum et chaud ne sont pas dif-
férentes : « Le second problème n’est en effet qu’un prolongement et
une complication du premier. » Il y a en somme une seule identité des
objets linguistiques à travers le temps, que ce temps soit celui de la
linéarité ou celui de la diachronie. C’est donc que ces deux formes du
temps n’ont pas à être distinguées.
Est-ce à dire que le problème est ainsi définitivement résolu ? Hélas
non ! Et Wunderli – qui n’envisage pas explicitement le problème des
relations entre linéarité et diachronie – pose avec fermeté celui de
l’identité diachronique. Il remarque justement les hésitations de Saussure,
et va jusqu’à suggérer que la solution un moment adoptée – celle qui
consiste à assimiler l’identité et la provenance – frôle « la tautologie »
(1990, p. 54).
Mais il faut aller plus loin, et rappeler que la belle assurance
affichée par le passage de la page 250 du CLG sur l’identité à lui-même
du signe dans la linéarité du discours est loin d’être une constante de la
pensée de Saussure. P. 150, à propos des occurrences successives de
Messieurs dans une conférence, il insiste sur les différences qui séparent
ces réalisations, différences parfois « aussi appréciables que celles qui
servent ailleurs à distinguer des mots différents » (p. 151). Il est plus
explicite encore dans la note 10 : « L’objet qui sert de signe n’est
jamais “le même” deux fois » (Engler, 1974-1990, 21 ; Écrits, 203).
Apparemment, la situation s’est complètement retournée. Si cer-
tains passages posent l’unicité du concept d’identité, d’autres en vien-
nent à récuser toute possibilité, pour le signe, d’accéder à quelque iden-
tité que ce soit, synchronique ou diachronique. Contradiction ? Certes,
sur la conceptualisation de l’identité du signe. Et également sur l’effet
du temps sur l’objet linguistique. Car dans la première conception, il
laisse l’identité se maintenir, alors que dans la seconde il empêche de la
poser1.
On remarquera toutefois que, paradoxalement, cette contradiction
laisse entière la possibilité de maintenir l’unicité de la conception du
temps saussurien. Car entre les deux positions contradictoires, il reste
au moins quelque chose de commun : l’effacement de la différence
entre temps de la linéarité et temps de la diachronie. Quel que soit son
effet sur l’identité du signe, le temps intervient sans qu’il soit nécessaire
1. Est-il nécessaire de préciser que sur ce problème – qui, selon Saussure lui-même, excède les
limites de la linguistique pour entrer dans le domaine de la « philosophie » – et sur les contradic-
tions (apparentes ?) qu’il détermine dans la réflexion de Saussure, il est, ici, impossible de rien
dire ?
Le Cours de linguistique générale : modeste essai de relecture 81
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82 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Toutefois une partie importante de cette recherche a été rendue plus accessible par l’article de
Béatrice Turpin, 2003.
84 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. C’est ce que, par son silence, Zilberberg (1997), signifie à propos de Greimas. Zilberberg
connaît les travaux de Saussure sur la légende, même s’il les qualifie, p. 165-166, de « bizarres »,
au même titre que la recherche sur les anagrammes.
Sémiologie saussurienne, entre le CLG et la recherche sur la légende 85
nale. Aussitôt après est prononcé un verdict qui est assez fortement
modulé dans les sources manuscrites :
La linguistique peut devenir le patron général de toute sémiologie, bien que la
langue ne soit qu’un système particulier (CLG, 101).
1. Saussure connaissait bien ce problème, notamment par les publications de son frère René, prési-
dent de la Société espérantiste suisse, et auteur de nombreux travaux sur l’espéranto. Voir le chap. I.
2. Pour un inventaire apparemment exhaustif de ces mentions de la sémiologie (et de la signologie,
terme qui fut un moment utilisé par Saussure, Écrits, 260, 265-266), voir Engler, 1980.
3. Le sens à donner à avec n’est pas évident. Je pense, pour ma part, qu’il n’est pas instrumental
( « en utilisant la langue » ), mais comitatif ( « en même temps que la langue » ).
86 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. On constate dans les sources manuscrites que Saussure n’a pas allégué seulement l’exemple du
mot Messieurs, mais aussi celui du mot guerre (Engler, 1968-1989, 244. Est-ce un souvenir des
conflits du Nibelungenlied ?), puis de la succession alka-ok (414).
88 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Cette « parenté » est explicitement alléguée, par exemple dans le passage suivant : « On
s’aperçoit dans ce domaine, comme dans le domaine parent [souligné par M. A.] de la linguistique,
que toutes les incongruités de la pensée proviennent d’une insuffisante réflexion sur ce qu’est
l’identité » (LEG, 191). C’est dans le problème de l’identité que réside ce qu’ont de plus profondé-
ment commun ces deux « sémiologies » que sont la langue et la légende.
2. Est-il utile de préciser que le mot symbole est utilisé avec le sens qu’a signe dans le CLG, comme
le prouve son emploi pour désigner les « mots de la langue » ? L’innovation consistant à réserver
le terme symbole à cet objet oxymorique – et d’ailleurs impossible dans la langue – que serait le
signe motivé est spécifique au CLG. En 1894, dans le projet d’article relatif à Whitney, Saussure uti-
lise les termes symbole conventionnel et symbole indépendant avec le sens qui sera conféré dans le CLG à
signe arbitraire (Engler, 1968-1989, 23).
90 À la recherche de Ferdinand de Saussure
les Burgondes, et connu sous le nom de Ier Royaume de Burgondie. Tel (sic) est en
effet notre idée et notre conviction.
Ce n’est pas le Gundacharius mort en 434, mais le Gundobadus mort en 516
qui sera pour nous le Gunther central, expliquant l’épopée burgonde (LEG, 130).
On l’a compris : tel qu’il est pour l’instant mis en place, le sym-
bole de la légende n’a pas les caractères du signe linguistique.
92 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Nous n’avons pas tout à fait fini d’errer à la suite de Saussure dans
le cercle infernal des relations entre linguistique et sémiologie. Après
avoir expliqué le silence du CLG à l’égard de la légende, il faut mainte-
nant rendre compte de la présence de la langue dans la recherche sur
la sémiologie légendaire. On s’en est en effet aperçu : cette présence est
explicite et répétitive. Elle fait gravement problème : comment est-il
possible de comparer, voire d’assimiler « les symboles de la légende »
aux « mots de la langue » – on aura reconnu les termes utilisés dans le
fragment de LEG cité plus haut – s’ils sont à ce point différents d’eux ?
La réponse est à la fois simple et paradoxale : Saussure a en réserve
une autre conception du personnage, symbole de la légende, qui fait
effectivement de lui un double du signe linguistique. Si on se souvient
de la première conception du symbole, on devine que cette seconde
approche du personnage consiste à le séparer, d’un même geste, de son
origine et de son référent.
Comment cette nouvelle conception est-elle mise en place ?
Voyons-le à l’aide d’un exemple. On se souvient que Gunther, dans le
texte cité plus haut, est donné avec « conviction » comme défini par
son identité avec le personnage historique nommé Gundobadus. Pre-
nons maintenant un autre personnage de la légende, par exemple Hug-
dietrich, alias Wolfdietrich – la duplicité du nom n’est pas indifférente.
Est-il au même titre que Gunther défini par son assimilation avec un
personnage historique, pour lui le très réel Théodéric ? Point du tout.
Saussure va même jusqu’à se gausser cruellement de celui des exégètes
– un certain Symons – qui se livre à une telle spéculation. Il le cite et le
commente en ces termes :
« Que Wolf[Hug]dietrich soit le Théodéric fils de Clovis est incontesté et incontes-
table »... Symons.
Cette phrase a de quoi rendre rêveur d’abord en dehors de tout fait, parce
qu’on ne sait pas, à un point de vue méthodologique, ce qu’elle peut signifier dans
le domaine des études mythiques (LEG, 191).
1. On est tenté de penser à la ’pataphysique qui, selon l’aphorisme du Dr Louis Irénée Sandomir,
« se passe même d’être, car elle n’a même pas besoin d’être pour être » (Sandomir, LXXXVI,
p. 151). Et l’on pense aussi à la dénégation lacanienne « il n’y a pas de métalangage » (Lacan,
1966, passim), qui présuppose en se formulant l’être même qu’elle dénie. Visiblement, l’ « être
inexistant » a troublé beaucoup de commentateurs, à commencer par Avalle, Engler, Fehr et
Komatsu.
Sémiologie saussurienne, entre le CLG et la recherche sur la légende 95
1. Saussure fait allusion à cet emploi des runes, dans une optique qui évoque le problème des
anagrammes, dont la pratique n’est pas absente de la recherche sur la légende (LEG, 326).
2. Voir Cohen, 1958, 195-198. Toutefois les renseignements donnés par Saussure p. 30-31
de LEG sur la rune « appelée mystiquement Zann » ne sont pas exactement confirmés par
Cohen. Il faudrait rechercher les sources utilisées par Saussure pour ses remarques sur l’alphabet
runique.
96 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. On a entrevu ce qu’ils sont pour le personnage légendaire comme pour la lettre. Pour le signe
linguistique Saussure reste dans l’implicite. Engler (1974-1975, 71) s’est essayé à expliciter, avec
des résultats vraisemblables, sans plus : il parvient à une énumération de quatre éléments (signifié,
signifiant, « parasémie » [statut fondé sur les associations paradigmatiques, parente de la « paral-
lélie » alléguée dans le chapitre II], syntagmatique). Le nombre est le même que celui qui est allé-
gué pour la lettre (quatre) et très voisin de celui qui est affecté au personnage (de quatre à six
selon les segments).
100 À la recherche de Ferdinand de Saussure
BIB L IO G RAP H IE
Et plus bas :
La conquête de ces dernières années est d’avoir enfin placé non seulement tout ce
qui est le langage et la langue à son vrai foyer exclusivement dans le sujet parlant
soit comme être humain soit comme être social (Écrits, 130).
1. À vrai dire d’ailleurs j’en ai déjà cité une, celle de Cervoni, dans le chapitre II.
Parole, discours et faculté du langage 103
1. Faut-il cependant rappeler qu’un grand nombre de textes réunis dans les Écrits étaient,
en 2002, accessibles depuis de longues années dans le volume II (1974-1990) de l’édition critique
du CLG par Rudolf Engler ?
2. On sait que le discours d’André Green se caractérise par une hostilité forcenée à l’encontre de
Lacan. C’est sans doute une trace indirecte de cette hostilité qu’on découvre quand on le voit,
maladroitement, essayer d’occulter ce qu’il nomme le « champ logico-grammatical » dans la
réflexion de Saussure : car c’est précisément cette part de l’enseignement de Saussure qui est, pour
l’essentiel, retenue par Lacan. Ainsi se trouverait obscurcie l’aura de prestige que la référence à
Saussure ajoute, selon certains, aux mérites de Lacan. Ledit Lacan se rendrait en outre coupable
de contre-sens à l’égard de Saussure. C’est sur de telles approximations que, parfois, se construit le
discours théorique...
104 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Quelques mots, d’abord, sur le statut des trois termes dans l’édition
standard. Je n’insiste que sur les faits qui me paraissent plus ou moins
occultés.
1 / La parole fait notamment l’objet partiel du 4e chapitre de
l’ « Introduction », auquel elle donne la seconde partie de son titre :
« Linguistique de la langue et linguistique de la parole ». Il faut relire
ce titre d’un œil à la fois neuf et naïf. On n’en a pas assez repéré les
caractères rhétoriques, au sens le plus précis du terme. En effet, le CLG
vient, dans le chapitre précédent (chap. III : « L’objet de la linguis-
tique ») de définir, d’une façon très voisine de l’explicite absolu, la lin-
guistique comme science de la langue. La formule n’y est pas littérale-
ment présente, mais il suffit de confronter les différentes propositions
du texte (notamment p. 31 et 33) pour la faire apparaître. De cette
1. On verra plus bas ce qu’il en est au juste de la « censure » dont aurait été victime le terme dis-
cours dans le CLG.
Parole, discours et faculté du langage 105
1. En tout cas, aucune des sept références de l’index ne renvoie pour le terme discours aux pages
occupées, dans l’édition des Écrits, par le texte de « De l’essence double du langage » (p. 15 à 88).
La première référence renvoie, p. 95, à une note Item nouvellement révélée.
106 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Sans entrer dans le détail de l’analyse, qui n’est pas son objet, Christian Puech parvient à une
conclusion du même ordre : « On pouvait en fait deviner [un Saussure non structuraliste] déjà
dans le CLG publié » (2005, 94). Même si on peut s’interroger sur la justesse de l’expression
« Saussure non structuraliste » – en quoi le structuralisme est-il empêché de se donner comme
objet le discours ? – la remarque est d’une grande lucidité.
Parole, discours et faculté du langage 107
Mais on sait aussi – car on l’a déjà vu, dans les chapitres précédents, et
on le verra de nouveau, de façon éclatante, plus bas – que Saussure
recourt fréquemment à la figure – métonymie et, plus encore méta-
phore – dans la pratique de son discours. Je n’hésite donc pas à parler
de métonymie, en constatant que discours a deux emplois. D’une part,
le terme est utilisé, comme dans le CLG, pour désigner le produit de
l’activité du sujet parlant. D’autre part, il prend en plusieurs occasions
le sens de parole pour désigner cette activité même. C’est ce qui
s’observe de façon exemplaire dans l’illustre fragment de la page 277
des Écrits, où discours, notamment dans sa dernière occurrence, est pris
avec le sens de « processus productif » et non avec celui de « produit » :
La langue n’est créée qu’en vue du discours, mais qu’est-ce qui sépare le discours
de la langue, ou qu’est-ce qui, à un certain moment, permet de dire que la langue
entre en action comme discours ? (Écrits, 277).
Il est vrai que le problème n’est pas sitôt posé qu’il est prestement éva-
cué, ou, plus précisément ramené à l’autre processus, celui qui inter-
vient en aval.
Quel est-il donc, ce second processus ? Il n’est autre que celui qui
met en fonctionnement la langue en faisant produire le discours par le
sujet parlant. L’assimilation des deux processus est marquée de façon
explicite par ce très beau passage des Écrits où réapparaît, de façon dis-
crète, la métaphore du ruisseau :
Aujourd’hui1, on voit qu’il y a réciprocité permanente et que dans l’acte de lan-
gage la langue tire à la fois son application et sa source unique et continuelle, et
que le langage est à la fois l’application et le générateur continuel de la langue [ici
un blanc dans le texte, M. A.], la reproduction et la production (Écrits, 129).
1. « Il [Saussure] exprime parfois l’idée que les procédés de formation des phrases
n’appartiennent pas du tout à la langue, que le système de la langue se limite à des unités linguis-
tiques comme les sons et les mots, et peut-être à quelques phrases fixées et à un petit nombre de
modèles très généraux [...]. La syntaxe est de ce point de vue un problème secondaire » (1968-
1970, 37 ; voir aussi Chomsky, 1971, 14 et Parret, 1974, 31). Comme Bergounioux, Chomsky
aperçoit un aspect de la réflexion de Saussure. Mais il est d’une cécité absolue quant à la présence
de l’aspect opposé.
114 À la recherche de Ferdinand de Saussure
C’est cet « ordre intuitif » qui impose signifer ou désireux, en excluant fer-
signum et eux-désir, barbarismes effectivement cités par Saussure (Engler,
1968-1989, 313 ; CLG, 1901). Et qu’on n’aille pas me dire que ces ana-
lyses ne portent que sur les « syntagmes » constitués par des mots suf-
fixés ou composés. Non, elles atteignent aussi les « syntagmes étendus »
(Engler, 1968-1989, 316), c’est-à-dire les phrases, au sens le plus strict
du terme phrase : en témoignent les exemples de l’opposition entre je
dois et dois-je ? ou de la structure de la phrase française je cueille une fleur,
« avec la position du substantif après le verbe transitif » (Engler, 1968-
1989, 313 ; CLG, 190-191 ; l’exemple je cueille une fleur n’est pas utilisé
dans les sources manuscrites, qui consacrent de longs développements,
très fortement abrégés dans le CLG, aux cas où c’est l’absence d’un
terme – le « néant » – qui « semble exprimer quelque chose »).
Qu’en est-il, finalement, de la validité des deux rumeurs qui ont été
décrites au début de ce chapitre ? On voit clairement qu’elles sont
l’une et l’autre fausses. La première escamote le projet explicitement
mis en place par Saussure d’une « linguistique de la parole » qui envi-
sagerait la « langue discursive » dans son « jeu » productif. Mais la
seconde n’est pas moins trompeuse : elle feint de donner ce projet
comme réalisé. Visiblement il ne l’est pas, et les quelques formules
qu’on trouve çà et là dans les Écrits ou les SM ne dépassent jamais le
stade d’un programme au plus haut point séduisant et prometteur,
mais non abouti. Quant aux allers et retours perplexes auxquels se livre
Saussure sur la syntaxe, ils se caractérisent, dans ce qu’ils ont de plus
original, précisément par un essai de réintégration à la langue, et non
plus au discours, des phénomènes syntaxiques.
Qu’on se rassure : je ne m’aventurerai pas dans les spéculations,
évidemment hasardeuses, au plus haut point, dans lesquelles on pour-
rait s’engager pour expliquer le silence que Saussure a observé sur la
linguistique du discours, qu’il se promettait pourtant de traiter. Il
convient toujours de garder le silence sur le silence.
1. Mais on verra plus bas – dans le chapitre VI – que dans l’ « objet si spécial » des Anagrammes,
Clitus-Hera peut valoir pour Heraclitus. Exactement comme si eux-désir valait pour désir-eux : indice
non trompeur du caractère totalement déviant de la pratique anagrammatique par rapport aux
règles les plus fondamentales de la langue.
Parole, discours et faculté du langage 117
B I B LIO G R AP H IE
L E « T » E M P S D A NS LA RÉFL EX I O N
DE S AU SS U RE
1. Elle est généralement caractérisée comme « structuraliste ». En gros, ce n’est pas faux, ou
plus précisément c’est exact dans la mesure où la plupart des tenants de cette doxa relèvent du
« structuralisme ». Mesure évidemment diverse selon les cas. On cite généralement comme pro-
fessant cette doxa Benveniste, Jakobson (1973, 22), Martinet et plusieurs autres. On s’étonne un
peu de trouver dans cette liste Benveniste, par ailleurs lecteur particulièrement aigu de Saus-
sure : « Le langage [tel que le conçoit Saussure] en lui-même ne comporte aucune dimension
temporelle, il est synchronie et structure, il ne fonctionne qu’en vertu de sa nature symbolique »
(1966, 5).
2. J’ai essayé d’évaluer cette validité dans le chapitre III.
Le « T » emps dans la réflexion de Saussure 121
Texte qu’il faut comparer à celui qui lui a été substitué dans
l’édition standard (CLG, 114) : abrégé, affadi, il a entièrement perdu la
« gravité » que Saussure, originellement, lui conférait. Une étrange
pudeur semble avoir poussé les éditeurs à censurer, avec le rythme et
les répétitions, tout ce qui est méditation sur le « T »emps (c’est inten-
tionnellement que j’isole la majuscule entre guillemets : les éditeurs
l’ont supprimée) – et non pas seulement sur le « facteur temps » –
expression dont le sens n’est pas évident.
C’est cette seconde intervention du temps qui détermine la mise en
place de l’opposition fondamentale entre « deux linguistiques » : après
avoir envisagé plusieurs possibilités terminologiques, le texte du CLG
propose finalement la dichotomie de la synchronie et de la diachronie :
Pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phéno-
mènes relatifs au même objet, nous préférons parler de linguistique synchronique et
de linguistique diachronique. Est synchronique tout ce qui se rapporte à l’aspect sta-
tique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux évolutions. De même
synchronie et diachronie désigneront respectivement un état de langue et une phase
d’évolution (CLG, 117).
À voir les faits de cette façon, les choses peuvent paraître simples :
le temps qui détermine le « caractère linéaire » (c’est-à-dire temporel)
du signifiant affecte la parole. Le temps qui est à l’origine du change-
ment linguistique concerne la langue. Ainsi s’articulent de façon appa-
remment satisfaisante deux dichotomies fondamentales de l’ensei-
gnement saussurien. Cette répartition a été reconnue de longue date,
notamment par Robert Godel, qui la décrit avec pertinence. Je crois
Le « T » emps dans la réflexion de Saussure 123
On le devine sans doute : les faits ne sont pas aussi simples. Reve-
nons au principe du « caractère linéaire du signifiant ». Dans l’illustre
passage de la page 103 du CLG, il est dit que le principe est « évident »
et que, sans doute pour cette raison, il n’a jamais été énoncé. Ces deux
remarques sont fortement contestables, et Hjelmslev le signalera dans le
texte qui sera cité plus bas. Mais ce sont là vétilles négligeables :
l’évidence est souvent subjective, et la visée du Cours n’est pas essentiel-
lement de faire l’inventaire des opinions émises au cours de l’histoire de
la linguistique. L’essentiel réside dans une très grave difficulté théo-
rique. Dans le passage de la page 103, le principe est explicitement
donné – par le nom même qui lui est donné, qui oppose le second
principe au premier ( « l’arbitraire du signe » ) et par l’allusion à la « syl-
labe »1 – pour ne gouverner que le signifiant. Mais lorsque le Cours en
vient à poser le problème de la distinction entre rapports syntagmati-
ques et rapports associatifs, le principe du « caractère linéaire » est allé-
gué pour poser, précisément, la notion de rapports syntagmatiques. On
s’aperçoit alors avec surprise qu’il change de nom : il prend celui de
« caractère linéaire de la langue ». Changement fondamental ? C’est ce
qu’on s’attend à voir signaler et expliquer : le concept de signifiant ne se
confond évidemment pas avec celui de langue, qui implique le signe, et
de ce fait nécessairement le signifié. Sans parler du système. Mais, d’une
façon à vrai dire très surprenante, le Cours ne présente pas les faits de
cette façon : la mention du « caractère linéaire de la langue » donne
lieu à une référence à la mise en place, p. 103, du « caractère linéaire
du signifiant », comme si les deux dénominations du principe visaient
1. En ce point, le CLG ne fournit pas d’exemples. Mais p. 64, le mot BARBAROS (dans les Sources
manuscrites, l’exemple choisi est latin : FENESTRA), accompagné d’un schéma en forme de grille,
donne lieu à l’analyse suivante : « La ligne horizontale représente la chaîne phonique, les petites
barres verticales, les passages d’un son à un autre. » Le caractère linéaire n’est illustré que par la
succession des sons à l’intérieur du mot, sans allusion aucune à une autre successivité : celle des
mots dans le syntagme.
124 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. On aura inévitablement remarqué que le français inverse l’ordre des éléments par rapport à
l’allemand, et recourt en outre à l’opposition, inutile en allemand, des prépositions de et à.
126 À la recherche de Ferdinand de Saussure
On ne saurait être plus explicite. C’est le même temps qui sépare les
occurrences successives de l’apostrophe Messieurs ! dans le discours d’un
conférencier et les emplois également successifs, quoique notablement
plus éloignés l’un de l’autre, de calidum et de chaud. Une objection : les
Messieurs ! successifs du conférencier sont identiques entre eux, alors que
Le « T » emps dans la réflexion de Saussure 127
est identique. Un orateur parle de la guerre et répète quinze ou vingt fois le mot
guerre. Nous le déclarons identique. Or chaque fois que le mot est prononcé, il y a
des actes séparés (Engler, 1968-1989, 246 ; il s’agit des notes de Constantin ; assez
bizarrement en ce point les notes des différents auditeurs sont assez nettement dif-
férentes. Cornavin est le nom de la gare de Genève).
1. Le problème des « actes de parole », autrement dits « actes de langage » (l’expression est uti-
lisée par Saussure, Écrits, 129) a été traité dans le chapitre IV.
Le « T » emps dans la réflexion de Saussure 129
1. Qu’on se rassure : je laisserai pendant le problème du sens de la notion de cause. J’ai ici un
garant : Saussure lui-même. Il pose explicitement la question, à propos de la « loi du moindre
effort » en phonétique : « Qu’est-ce que nous appelons cause ? » (Engler, 1968-1989, 340). Mais
la réponse qu’il donne est en réalité un refus de répondre à la fois ludique, résigné et circulaire :
« C’est l’occasion déterminante, la chiquenaude par laquelle on passe tout d’un coup au principe
du moindre effort : le phénomène phonétique intervient à un moment donné ; pendant quatre à
cinq mille ans par exemple on a prononcé i bref et dans l’espace de deux générations il se pro-
duit le changement en i long (siben > sieben, ainsi du a bref, etc.). Pourquoi cela, quelle en est la
cause ? »
130 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Dans un segment de son projet d’ouvrage De l’essence double du langage (Écrits, 55), Saussure exa-
mine le problème du changement diachronique dans la terminologie qu’il utilise généralement
dans la recherche sur la légende : « En réalité, tout ce qui est dans la langue vient souvent des
accidents de sa TRANSMISSION, mais cela ne signifie pas qu’on puisse substituer l’étude de cette
transmission à l’étude de la langue ; ni surtout qu’il n’y ait pas à chaque moment, comme nous
l’affirmons, deux choses d’ordre entièrement distinct, dans cette langue d’une part, et dans cette
transmission de l’autre. »
132 À la recherche de Ferdinand de Saussure
à elles se déplacent – ou plutôt se modifient. [...] Pour que la partie d’échecs res-
semblât en tout point au jeu de la langue, il faudrait supposer un joueur incons-
cient ou inintelligent (CLG, 127).
1. En effet, les changements de la mode, si « capricieux » qu’ils soient, restent déterminés par la
« donnée [naturelle] des proportions du corps humain » (Écrits, 211). C’est, on s’en souvient, ce
qui les écarte du champ de la sémiologie quand elle est prise au sens le plus strict (CLG, 100). Ces
mutations se distinguent en cela des phénomènes affectant le langage, qui, affranchis de tout lien
avec quelque donnée naturelle que ce soit, sont, au moins à ce moment de la réflexion saussu-
rienne, livrés pour leur évolution au hasard absolu.
Le « T » emps dans la réflexion de Saussure 135
1. Pour montrer à quel point la pensée de Saussure est ici paradoxale et apparemment contradic-
toire, je n’hésite pas à citer les premiers mots du projet : « L’objet qui sert de signe n’est jamais le
même deux fois » (Écrits, 203). Comment peut-il à la fois rester inchangé et n’être jamais le même
deux fois ? Une solution possible : ce sont les actes de parole du sujet qui lui confèrent, dans cha-
cun de ses emplois, une différence, comme on l’a vu pour les Messieurs ! répétés du conférencier.
Toutefois il reste diachroniquement identique tant qu’il n’est affecté que par des « accidents » – le
terme est de Saussure : voir Écrits, 206 – phonétiques : ainsi en va-t-il pour calidum et chaud.
136 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Cette position a souvent été mal acceptée. Le rejet dont elle a fait
l’objet s’est manifesté sous la forme de phénomènes d’incompréhen-
sion, réelle ou feinte. C’est l’un des mérites de l’ouvrage de Pétroff
– dont, on l’a vu, je critique par ailleurs d’autres positions – de signaler
comme discutables ces lectures, en dépit de l’autorité de certains de
leurs auteurs. Il faut toutefois, comme à l’ordinaire à l’égard des posi-
tions théoriques de Saussure, repérer à la fois leur ambivalence et les
retournements paradoxaux auxquels elles donnent lieu. L’ambi-
valence ? Elle réside ici en ce que la « fortuité » n’affecte, comme il est
dit explicitement dans les Écrits, p. 216, que les changements phonéti-
ques. Mais les changements analogiques ne doivent rien au hasard :
indécorable est déterminé de façon nécessaire, dans sa « forme-sens », par
les relations analogiques qui le font apparaître à partir de décorer sur le
modèle de pardonner-impardonnable. Les retournements ? Ils se manifes-
tent par deux fois. D’une part, comme on l’a vu plus haut, Saussure
succombe parfois, premier retournement, à la tentation de ne saisir les
changements diachroniques que comme phonétiques. Mais il lui arrive
aussi – second retournement – de renvoyer les phénomènes d’analogie
à la synchronie. Le tout est d’ailleurs complété par une oscillation entre
le caractère « conscient » (CLG, 226) – c’est dire grammatical, autre-
ment dit synchronique – et « inconscient » (CLG, 227) – et de ce fait
diachronique – de l’analogie. En somme, on le voit, il faut tout de
même un certain don pour l’acrobatie théorique pour repérer dans cet
ensemble de propositions quelque chose qui ressemble à une « syn-
chronie dynamique ».
Si mes analyses sont justes, il est impossible de conférer au temps le
statut de cause du changement linguistique. Or c’est précisément ce
critère qui est utilisé par Pétroff pour opposer le temps « subjectif » du
discours, dépourvu de tout effet causal, au temps « objectif » de la dia-
chronie, pourvu de cet effet. On voit donc s’écrouler le seul argument
susceptible d’appuyer cette disjonction : la conception saussurienne du
temps retrouve l’unité un instant perdue de vue.
Il subsiste cependant de loin en loin quelques ambiguïtés, notam-
ment l’utilisation, effectivement faite à plusieurs reprises par Saussure,
de l’expression « facteur temps », déjà signalée plus haut comme
embarrassante. Ne ferait-elle pas resurgir clandestinement, dans la ter-
minologie, une conception causale du temps ? L’un des moyens de
donner à ce problème un début de réponse consiste à interroger la
réflexion sémiologique de Saussure.
138 À la recherche de Ferdinand de Saussure
domaines, dans un texte, qui, déjà cité dans le chapitre III, doit de
nouveau apparaître ici :
On s’aperçoit dans ce domaine comme dans le domaine parent de la linguistique
que toutes les incongruités de la pensée proviennent d’une insuffisante réflexion sur
ce qu’est l’identité lorsqu’il s’agit d’un être inexistant comme le mot, ou la personne
mythique, ou une lettre de l’alphabet qui ne sont que différentes formes du SIGNE au
sens philosophique (LEG, p. 191).
Cette position est précisée dans le passage suivant, lui aussi digne d’être
de nouveau cité :
La nature du signe ne peut donc se voir que dans la langue, et cette nature se com-
pose des choses qu’on étudie le moins.
C’est pour cela qu’on ne voit pas à première vue la nécessité ou l’utilité particulière
d’une science sémiologique, quand il est question de la langue à des points de vue géné-
raux, philosophiques ; quand on étudie autre chose avec la langue (Engler, 1968-
1989, 51 ; voir CLG, 34, où cette position est rejetée).
BIB L IO G RAP H IE
PREMIÈRE PERPLEXITÉ
Elle est déterminée par la difficulté que j’éprouve à articuler et, plus
encore, à concilier, deux constatations que j’énonce d’emblée de façon
sommaire, avant de préciser chacune d’elles :
1 / La notion de littérature occupe dans le Cours de linguistique géné-
rale (CLG) une place très marginale.
2 / Les discours sur lesquels se porte de façon principale, voire
presque exclusive, l’intérêt de Saussure dans ses autres recherches sont
de type littéraire : les textes anagrammatiques et les textes légendaires.
En quoi l’énonciation de ces deux constatations peut-elle détermi-
ner la perplexité ? Ne s’agit-il pas tout bonnement de la séparation légi-
timement opérée par Saussure entre deux champs de recherche sépa-
rés, celui de la langue et du langage pour le CLG, celui des textes, et
spécifiquement des textes littéraires, pour ses autres travaux ?
Cette solution brutale ne tient pas. Pour la raison évidente que les
textes littéraires relèvent du « discours » (Starobinski, 1971, 14) et que
146 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Mais on sait que Saussure a donné, pendant plusieurs années (de 1900 à 1907), un cours
sur « La versification française ; étude de ses lois du XVIe siècle à nos jours ». Des notes relatives,
selon toute vraisemblance, à ce cours sont conservées à la Bibliothèque de Genève sous la
cote Ms. Fr. 3970/f. Elles sont, à ma connaissance, restées jusqu’à ce jour (mai 2006) inédites.
Même si la prolifération des publications saussuriennes est telle qu’une publication peut m’avoir
échappé, je crois cependant utile, en annexe à ce chapitre, de donner quelques fragments de ce
texte.
Saussure aux prises avec la littérature 147
1. Est-il nécessaire de préciser qu’il n’est pas question ici de s’interroger sur l’ « exactitude » de
cette analyse ?
Saussure aux prises avec la littérature 149
publié par Komatsu (p. 324-325) donnent des listes identiques, à des
détails de formulation près, et n’explicitent pas le « etc. » de la version
standard. Jamais la littérature, ni même aucun objet discursif, littéraire
ou non, n’apparaît dans cette énumération.
Inversement, la légende est explicitement donnée, dans les LEG,
comme objet de la « sémiologie », exactement au même titre que « les
mots de la langue » :
— La légende se compose d’une série de symboles <dans un sens à préciser>.
— Ces symboles, sans qu’ils s’en doutent, sont soumis aux mêmes vicissitudes
et aux mêmes lois que toutes les autres séries de symboles, par exemple les sym-
boles qui sont les mots de la langue.
— Ils font tous partie de la sémiologie (LEG, 30 ; le tous semble bien embrasser
les « symboles » de la légende et ces autres « symboles qui sont les mots de la
langue »).
DEUXIÈME PERPLEXITÉ
1. On se reportera sur ce point au chapitre IX, dans lequel Adalbert Ripotois apporte des élé-
ments nouveaux à ce problème de l’indifférence de la langue à l’instrument qui la manifeste.
2. Une résurgence inattendue de la première conception semble apparaître, p. 165, dans
l’expression « le son que la lettre désigne ». Mais les sources manuscrites révèlent que Saussure a
effectivement dit « la chose à désigner » ou « la chose qu’il [le signe graphique] veut désigner »
(Godel, 1957-1969, 193 ; Engler, 1968-1989, 269). Ce qui change tout : car cette « chose », ce
n’est pas le son, mais le « signifiant incorporel » : il se trouve alternativement manifesté par le son
et par la lettre, qui accèdent de ce fait à un statut identique.
152 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Milner (1989, 385, 389, 391) va jusqu’à parler comme d’une notion saussurienne de « la linéa-
rité du langage », ce qui fait au plus haut point problème (par rapport à Saussure, certes, mais
aussi de façon générale).
2. Je me suis expliqué à loisir sur ce problème dans le chapitre précédent.
3. On a toutefois aperçu dans le chapitre II la très belle mais très obscure métaphore de la « lan-
terne magique », qui pose le problème de la « colligibilité » (hors du temps ?) du signe.
Saussure aux prises avec la littérature 153
1. ... mais, on le sait, pas toujours : il arrive parfois que l’anagramme prenne une forme phras-
tique. Voir Arrivé (1986 a).
154 À la recherche de Ferdinand de Saussure
En un autre point :
-RO- : De nouveau marqué sans rigueur par -or (Gandon, 2002, 217).
1. On remarquera avec intérêt qu’Hagene n’est pas le seul personnage illustre à se trouver ana-
grammatisé dans ce vers : on y décryptera aussi celui... d’Hagège.
2. La formule de Marinetti et Melo se contente de signaler l’exclusion : « Le restanti pagine contengono
operazioni anagrammatiche relative a versi del Nibelungenlied. » Tout arbitraire que paraît cette exclusion,
elle me semble cependant répondre à une analyse, malheureusement laissée implicite, analogue à
la mienne : la pratique anagrammatique n’est pas considérée par Saussure comme fondamentale
dans le Nibelungenlied. Mais il fallait au moins donner l’explication nécessaire.
158 À la recherche de Ferdinand de Saussure
TROISIÈME PERPLEXITÉ
Premier problème
1. Je précise toutefois que, comme on a vu, cette disjonction s’observe non dans l’objet même,
mais dans le traitement auquel il est soumis.
160 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Second problème
Il ne nous reste qu’à nous interroger sur les raisons qui expliquent
la disjonction opérée par Saussure dans le traitement qu’il confère aux
textes anagrammatiques et aux textes légendaires. Une réponse, pour
une fois, semble s’imposer. Elle a déjà été aperçue. C’est que le texte
légendaire, à la différence du texte anagrammatique, n’est en somme
qu’accidentellement littéraire. Il ne fait que fixer, tardivement, et, par
là, arrêter, à tous les sens du mot, un texte légendaire antérieur, qui pré-
sente, lui, tous les aspects sémiologiques de la langue – et fondamenta-
lement la propension inéluctable au changement diachronique. Il se
distingue par là du texte essentiellement littéraire qui, fixé d’emblée
dans sa forme définitive, est par là empêché de connaître « l’épreuve
Saussure aux prises avec la littérature 161
NOTE RÉCAPITULATIVE
tent pendantes : c’est sans doute, pour une part, l’effet de l’état
d’inachèvement des textes saussuriens. Il faut parfois en venir à faire
parler le silence de Saussure... Je me le suis permis une ou deux fois,
sans doute imprudemment. Cependant certaines lignes de force se
dégagent avec une apparence de certitude :
ANNEXE
Versification française
Ms. Fr. 3970/f
l’e muet, l’ictus, la rime, la « diérèse » (le mot est constamment entre
guillemets), l’inversion, etc.
2 / Exceptionnellement présentés de façon assez soignée, des sujets
d’exercices préparés pour des étudiants : à propos d’un quatrain de du
Bellay, la consigne donnée est la suivante :
Dans les vers suivants de Joachim du Bellay indiquer ce qui ne serait pas correct selon
les règles établies par le siècle suivant, et qui sont devenues nos règles classiques.
moi en deux séries : celles qui ne m’offrent aucune sublimité, parce qu’elles
sont élémentaires depuis l’enfance : par exemple le pari sur [ ]
b / ou bien celles qui attestent une continuation de puérilité chez l’auteur jusqu’à
un âge relarif [sic] avancé (54 ans1 si je ne me [ ]
b / Pascal est un exemple insigne de la terreur théologique de l’enfer sortant toute
crue du moyen-âge, mais n’est pas sans influence sur une pensée philoso-
phique, parce qu’il est évident que cette pensée [deux mots illisibles]
b / La vérité qui est sous la plume de tout le monde, et qu’on ne veut pas dire, est
que Pascal est un esprit remarquable en fait de mathématiques, et inventeur,
dans cet ordre, de plusieurs choses comme le paradoxe de Pascal, relatif à
l’équilibre d’un liquide dans un vase. C’est probablement par l’extrême vénéra-
tion que nous portons à Pascal comme révélateur de ces faits mathématiques
[corrigé sur : physiques] que nous imaginons que sa portée d’esprit fut sans
pareille quand il voulut s’occuper des vérités évangéliques ou des doctrines
chrétiennes. Un esprit mathématique est presque régulièrement, quelle que soit
son [degré de2] distinction, le plus éloigné du monde d’une vue philosophique,
même simple.
6 / Une appréciation générale d’une extrême sévérité sur la poésie
française envisagée du point de vue formel :
J’appellerais personnellement toute la poésie française au point de vue de sa forme
plutôt une rimerie que des vers, et ne cacherai pas que j’ai en très médiocre estime
cette forme. C’est une pitié de voir un génie comme Racine se débattre avec des
lois qu’il considérait comme infranchissables, tandis qu’un seul essor de sa muse
aurait peut-être pu briser le moule et nous donner autre chose. Devant la magnifi-
cence de certaines choses de Racine, il me semble à tous moments que je vais voir
éclater le cadre du vers français, et que le torrent va enfin déborder de son lit, en
faisant sauter les digues, mais quelle erreur au fond en voyant la suite. Y a-t-il rien
de plus approprié, de plus raisonnable, et de plus satisfaisant au fond que de voir
continuer ce froid vers français pour servir à toutes les froides productions du
XVIIIe siècle, parmi lesquelles je comprends l’ensemble des tragédies de Voltaire en
premier lieu.
Une seconde occasion fut donnée de modifier le vers français lorsqu’éclata la
révolution des romantiques, qui ne furent certes pas tendres pour une seule des
traditions et se crurent terribles [le fragment se termine sans ponctuation].
B IBL IO G R AP H IE
1. Saussure semble avoir perdu de vue que Pascal est mort non à 54 ans, mais à 39.
2. Ajouté après coup, le nom masculin degré n’a pas donné lieu à la correction de l’accord au
féminin de l’élément quelle, préalablement accordé avec distinction.
Saussure aux prises avec la littérature 165
Arrivé M. (1986 b), Linguistique et psychanalyse : Freud, Saussure, Hjelmslev, Lacan et les autres,
Paris, Méridiens-Klincksieck.
Freud Sigmund (1910) [trad. franç., 1971], « Des sens opposés dans les mots primi-
tifs », Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 59-67.
Gandon Francis (2002), De dangereux édifices. Saussure lecteur de Lucrèce. Les cahiers
d’anagrammes consacrés au De rerum natura, Louvain-Paris, Peeters.
Gandon F. (2006), Le nom de l’absent. Épistémologie de la science saussurienne des signes, Limo-
ges, Lambert-Lucas.
Kim Sungdo (1991), Ferdinand de Saussure : de la langue au mythe, thèse de l’Université de
Paris X - Nanterre.
Kim S. (1993), « La mythologie saussurienne : une nouvelle vision sémiologique ? (À
propos de la continuité de la pensée saussurienne) », Semiotica, 97-1/2, 5-78.
Milner Jean-Claude (1989), Introduction à une science du langage, Paris, Le Seuil.
Shepeard David (1986), « Saussures Anagramme und die deutsche Dichtung »,
Schprachwissenschaft, 11, 52-67.
CHAPITRE VII
Q U’ EN ES T - I L D E L’ I NC ON S CI EN T
CH E Z F ER D IN AN D D E SA US S UR E ?
1. Il en va autrement pour ceux des saussuriens qui se sont intéressés à la recherche sur les ana-
grammes. Ici Starobinski (1971) et Wunderli (1972) ont été des précurseurs.
168 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Lacan est persuadé – ou veut se persuader ? – de l’antériorité de Freud sur Saussure. C’est
qu’il ne connaît pas – mais comment le lui reprocher ? – les travaux de Saussure qu’Engler révé-
lera en 1974, notamment le projet d’article sur Whitney.
170 À la recherche de Ferdinand de Saussure
dans sa version orale que dans la forme qui lui est donnée par les édi-
teurs de 1916, marque bien que, pour le Saussure qui parle précisé-
ment à ce moment, il y a une gradation qui fait, progressivement, pas-
ser de ce qui est inconscient – à comprendre, j’y insiste, comme
temporairement inconscient – à ce qui est conscient – à comprendre dans le
sens de soumis à la « réflexion linguistique ». En somme, ce que Saus-
sure nous dit ici, c’est que quand nous employons un élément, quel
qu’il soit, de la langue, nous le faisons sans en faire l’objet d’une
réflexion consciente : nous n’avons, Dieu merci, pas besoin de porter
consciemment attention à la programmation de la succession des sons
dans notre discours. Cependant, il suffit d’un effort à tout instant pos-
sible pour faire émerger ces faits à la conscience : c’est ce qui rend pos-
sible l’activité métalinguistique, quel que soit son degré de technicité.
L’enfant qui épelle les lettres d’un mot la pratique autant que le lin-
guiste qui en fait la description phonologique.
Cette conception des « degrés » de la conscience linguistique est
manifestée de façon plus ou moins explicite dans d’autres passages du
Cours et des Écrits : on voit ainsi apparaître les deux notions intéres-
santes de « conscience latente » et d’ « inconscience ».
La « conscience latente » – qui sera transformée en « subconscient »
par les éditeurs du Cours (p. 178) – est celle qui caractérise les rapports
associatifs dans leur opposition aux rapports syntagmatiques :
On pourrait représenter ces deux principes, ces deux activités qui se manifestent
synchroniquement par deux axes,
syntagmatique,
simultanément et sur un autre axe mentalement existant comme dans un nuage
[pensé dans une conscience latente] toutes les autres possibilités qui peuvent être
unies par association (Engler, 1968-1989, 293).
1. Dans une note de sa thèse (1922, p. 83), Raymond de Saussure envisage comme possible
l’application des méthodes du CLG à la description de certains lapsus. Raymond cite le livre de
son père sous le titre Cours de linguistique, et le date de 1915.
2. Qu’on se rassure : je ne veux pas dire que Lacan a lu Saussure « en diagonales », comme l’en
accusa le bon Georges Mounin (1969-1970, 188) à la grande indignation de Juan David Nasio
(1992, 93). Non : je suis au contraire persuadé que Lacan a lu Saussure avec une sorte de divina-
tion qui lui a fait repérer des points occultés et difficiles de sa réflexion, par exemple sur la rela-
tion entre linéarité et diachronie (voir le chap. V). Cependant il semble que sa lecture se soit sur-
tout centré sur les chapitres concernant le signe. Et, bien sûr, la conception lacanienne du signe
est complètement décentrée par rapport à celle de Saussure.
Qu’en est-il de l’inconscient chez Ferdinand de Saussure ? 175
Mais le nom se trouve en outre éparpillé dans les lettres (ou les pho-
nèmes) des vers, par exemple dans le dernier :
Les syllabes qu’apporte ce vers 230 [le dernier] sont AC + CI + LLA, et on voit donc
qu’à tout point de vue c’est de cette partie du mot qu’il est chargé (Gandon,
2002, 357).
En quels points se situe, dans cette quête des mots sous les mots, la
relation avec l’inconscient ? Je crois qu’on peut la saisir par deux fois.
D’abord, dans ce qu’on vient d’apercevoir : les manipulations litté-
rales auxquelles Saussure se livre sur le matériau verbal qui lui est livré
évoquent très précisément celles que Freud pratique, à peu près à la
même époque que lui, sur les mots du rêve. L’anagramme, nommé-
ment, est explicitement présente dans le rêve AUTODIDASKER (Freud,
1999-2003, 342-346), pour lequel je renvoie à l’analyse qui en est faite
par Lacan dans le Séminaire III (1981, 269-270). En somme, la pratique
verbale à l’œuvre dans les textes anagrammatiques est soumise à des
règles qui évoquent plutôt les fonctionnements du processus primaire
que les principes gouvernant le signe linguistique. Saussure, nécessaire-
ment, s’en avise, et consacre un fragment capital de sa réflexion à ce
problème, tel du moins que l’histoire lui permet de l’envisager : on
vient de voir qu’il ne connaît pas – ou peu, et indirectement – les tra-
vaux de Freud, et il n’y fait aucune allusion. Mais il s’interroge avec la
plus grande lucidité sur l’exception à la linéarité qui lui est, scandaleu-
sement, présentée par les textes anagrammatiques (Starobinski, 1971,
46-47, voir, ici même les chap. V et VI).
Le second point est sans doute plus spectaculaire, quoiqu’il ne se
manifeste que de façon négative. Il tient dans le fait suivant. Pendant
178 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Saussure ne disposait pas des ressources de l’informatique. À la suite de Gandon (2002), j’ai
envisagé quelques aspects préliminaires des conditions que devrait remplir un programme de cal-
cul informatique sur l’anagramme au sens saussurien (Arrivé, 2007).
180 À la recherche de Ferdinand de Saussure
C’est sur cette question que je clos ce chapitre, laissant à mon lec-
teur le soin de lui donner une réponse. Comme de donner une réponse
à une autre question, qui lui est peut-être venue à l’esprit : qu’en est-il
de la relation entre les deux réflexions de Saussure ? Est-il possible de
déceler entre elles une relation, autre, naturellement, que celle d’avoir
l’une et l’autre des objets langagiers ? Cette question, pour ma part, je
continue à me la poser.
B I B LIO G R AP H IE
Arrivé Michel (1986), Linguistique et psychanalyse. Freud, Saussure, Hjelmslev, Lacan et les
autres, Méridiens-Klincksieck.
Arrivé M. (1994-2005), Langage et psychanalyse, linguistique et inconscient, PUF, puis Limoges,
Lambert-Lucas.
Arrivé M. (2007), « L’anagramme au sens saussurien », Actes du séminaire de Cesenatico,
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Freud Sigmund (1899-2003), L’interprétation du rêve, Œuvres complètes, IV, PUF.
Freud S. (1915-1988), « L’inconscient », Œuvres complètes, XIII, PUF, 203-242.
Gandon Francis (2002), De dangereux édifices. Saussure lecteur de Lucrèce. Les cahiers
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Milner Jean-Claude (1978), L’amour de la langue, Le Seuil.
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Nasio (1992), Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, Rivages-Psychanalyse.
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Wunderli Peter (1972), Ferdinand de Saussure und die Anagramme. Linguistik und Literatur,
Tübingen, Niemeyer.
CHAPITRE VIII
Avant 1983, Greimas avait déjà consacré à Barthes une brève notice
nécrologique, à la fois lucide, ambiguë et émouvante (Greimas, 1980).
Inversement, Barthes, à ma connaissance, a constamment observé un
silence à peu près total sur Greimas1. En tout cas, le nom de Greimas
n’apparaît pas dans la liste de ceux qui ponctuent le tableau des « Pha-
ses » de Roland Barthes par Roland Barthes (1975, 129). Barthes semble
bien avoir privilégié les noms les plus « visibles », et, pour les vivants,
les plus médiatiques : Greimas et Hjelmslev sont absents, Lacan et
Saussure sont présents...
2 / L’ « incroyable difficulté » évoquée par Greimas étonnera sans
doute les chercheurs d’aujourd’hui, et surtout les plus jeunes d’entre eux.
C’est qu’ils se représentent mal les conditions de la réflexion linguistique
– car on ne parle encore qu’allusivement de sémiologie et pas du tout de
sémiotique – en ces années d’immédiat après-guerre. Saussure, certes,
n’est pas aussi inconnu que Greimas se plaira un peu plus tard à le dire
(voir plus bas). Mais Hjelmslev est à peine un nom pour les linguistes fran-
çais : l’article de Martinet (1942-1945) vient tout juste de le faire connaître
aux membres de la Société de linguistique de Paris. Traduits, assez confi-
dentiellement, en anglais dès 1943, les Prolégomènes, après l’échec in extremis
d’un premier projet réalisé par Togeby et supervisé par Martinet (Arrivé,
1982 a et b ; Hjelmslev, 1985), ne seront finalement publiés en français
– de façon d’abord très décevante – qu’en 1968, puis en 1971. Les revues
françaises se comptent sur les doigts de la main. Les Colloques sont raris-
simes, et il faudra attendre 1960 pour que la création de la SELF permette
de fructueuses rencontres mensuelles entre les jeunes linguistes de
l’époque : Greimas y fera la première communication, en octobre 1960,
sur le syntagme nominal. Barthes attendra le 14 novembre 1964 pour
parler de la rhétorique (Arrivé, 1982 c). Ajoutez à cela le supplément de
difficulté que constitue pour les deux jeunes professeurs leur exil égyp-
tien : vous comprendrez l’immensité des efforts qu’ils ont consentis2.
3 / Conformément à la lettre de la question posée à Cerisy – elle
occultait Saussure3 – Greimas ne m’a répondu, en 1983, que pour
Hjelmslev. Certes, le poids de Hjelmslev est déterminant, chez Greimas
1. Il le cite de loin en loin, par exemple dans les Éléments de sémiologie, dont une note (1964, 108,
n. 4) renvoie aux premiers fascicules dactylographiés de Sémantique structurale, qui étaient diffusés
par l’ENS de Saint-Cloud.
2. Greimas évoquera en quelques lignes amusantes et émues le souvenir de ce séjour à Alexandrie
dans le témoignage qu’il confiera à Chevalier et Encrevé (1984, 79).
3. J’en viens, aujourd’hui, à m’interroger sur cet « oubli ». Il tenait sans doute au fait que je
considérais l’imprégnation saussurienne de Greimas comme une donnée évidente et intemporelle.
J’avais tort, comme on le verra plus bas.
186 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Il semble bien qu’en réalité les deux thèses aient été effectivement « dirigées » – dans la mesure
où ce genre de travail a à l’être – par Georges Matoré, avec lequel Greimas a collaboré au moins
jusqu’à 1948 pour l’élaboration d’une lexicologie sociale.
2. On repère l’ombre d’une contradiction entre le témoignage de 87 (en réalité 83) cité plus haut
et celui de 84, pourtant à peu près contemporain : « C’est à ce moment [préparation de la thèse,
de 45 à 48] que nous avons commencé seuls, Matoré et moi, à lire Saussure, puis Jost Trier »
(Chevalier et Encrevé, 1984, 75). Brouillage définitif de Greimas avec la chronologie ?
Saussure, Barthes, Greimas 189
C’est un fait en tout cas que le nom de Saussure n’est, si j’ai bien lu,
jamais cité dans aucune des deux thèses de Greimas. On peut, certes,
s’ingénier à leur trouver une filiation saussurienne. Il faut pour cela
marquer qu’elles s’inscrivent explicitement dans le projet de renouvelle-
ment méthodologique de la lexicologie auquel Greimas travaille alors
avec Matoré : le lexique est une composante de « la langue, produit
social » (p. 13). C’est là, sans doute, un écho des positions saussuriennes
sur la « nature sociale » (CLG, 112) de la langue. Mais écho fortement
indirect. Pas plus que Saussure Meillet n’est cité dans la bibliographie,
et certaines des références principales du travail (notamment Darmeste-
ter, dont La vie des mots [1887] semble avoir fortement marqué le jeune
chercheur) sont largement présaussuriennes.
Sur d’autres points, certaines positions théoriques de l’auteur
s’éloignent très fortement des postulats du saussurisme. Ainsi Greimas
réclame hautement la prise en compte de ce qui ne s’appelle pas
encore le référent :
En nous livrant à la description objective d’un domaine défini, compris presque
complètement dans la notion de costume et recouvert par le concept d’ « élé-
gance vestimentaire », nous avons voulu nous tenir le plus près possible des
choses : prendre pour point de départ le monde des réalités et non celui des mots
(2000, 7).
Barthes publie en 1953 son premier livre, qui reste sans doute l’un
des plus difficiles. En 1980, Greimas rappellera que, consultant le
« dossier de presse » de l’ouvrage – ouvert, à sa demande, par Bar-
thes – il s’est « aperçu que dans ce chœur discordant d’éloges, personne
– à part peut-être Pontalis, et encore – n’avait compris le projet sous-
jacent à son texte » (1980, 4). Ce projet, Greimas le décrit en deux
mots : « La dichotomie de l’écriture et du style, homologable avec celle de
culture/nature, constitue déjà l’un des principaux axes de sa réflexion »
(ibid.).
Il est vrai que le concept d’écriture n’est pas facile à cerner et moins
encore à maîtriser. Entre les deux nécessités, au même titre naturelles
(mais de façon différente) que sont pour l’écrivain la langue et le style,
produits « naturels » du temps et de la personne, elle constitue une
autre réalité formelle, fonction et non objet :
Elle est le rapport entre la création et la société, elle est le langage littéraire trans-
formé par sa destination sociale, elle est la forme saisie dans son intention humaine
et liée ainsi aux grandes forces de l’histoire (1953-1972, 14).
1. À cette époque, Barthes se réclame explicitement du marxisme. À peine deux ans plus tard, en
juillet-août 1955, il publiera dans la série « Petite mythologie du mois » du no 29 des Lettres nou-
velles une brève notule – non reprise en volume dans Mythologies – qui, sous le titre ironiquement
interrogatif « Suis-je marxiste ? » (p. 191) donne à un folliculaire de la NRF la réponse souhaitée.
– Quant à Saussure, selon un aveu de 1974 publié dans L’Aventure sémiologique, 1985, p. 10-11, il ne
l’aurait pas encore lu : il aurait attendu 1956 pour le faire. On repère cette fois une discordance
entre les souvenirs de Barthes et ceux de Greimas (celui de Cerisy, en 1983 [1987 a]). J’ai plutôt
tendance à suivre Greimas, car il me paraît peu vraisemblable que le Degré zéro ait pu s’écrire sans
aucun contact, fût-il médiat, avec Saussure.
Saussure, Barthes, Greimas 191
1. Discret, ou plutôt secret, comme à son habitude, sur ses sources linguistiques (et sur pas mal
d’autres...), Barthes se contente de faire allusion à « certains linguistes » (1953-1972, 55). Il désigne
ainsi Viggo Brøndal, dont on peut supposer que Les essais de linguistique générale lui ont été commu-
niqués par Greimas, qui les connaît bien : c’est sur le modèle de l’illustre article « Omnis et totus »
que Greimas publiera en 1963 sa première contribution, dans le domaine grammatical, à ce qui
est train de se construire sous le nom de « Sémantique structurale » : l’article « Comment définir
les indéfinis ? (Essai de description sémantique) ».
192 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Je hasarde une remarque : il me semble bien que Greimas aimait le mot optimisme. Il était
animé, je crois, d’un optimisme épistémologique profond, qui pouvait, lorsqu’il était déçu, donner
lieu à des accès de pessimisme aigu.
196 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Il y aurait sans doute lieu de mettre en question cette « antériorité » des structures phonologi-
ques par rapport à la langue. Quel sens précisément a l’expression « en droit » par laquelle Grei-
mas limite sa proposition, qu’il sent litigieuse ?
Saussure, Barthes, Greimas 197
1. C’est ici, me semble-t-il, le discret glissement de l’écriture vers le style – je l’ai signalé plus
haut – qui est mis en cause.
2. La plus étonnante, à première vue, est le silence total observé sur Lacan. Non pas que Greimas
l’ignorât : il le connaissait fort bien, mais ne le nommait jamais, avec une moue méprisante, que
sous le nom de « Docteur Lacan ». Je crois savoir, par certains propos de Greimas, que, plus tard,
le suicide du tout jeune Lucien Sebag (1935-1965), auteur de Marxisme et structuralisme, ami de
Greimas, élève de Lévi-Strauss et « analysant » de Lacan sera pour quelque chose dans cette anti-
pathie. Mais neuf ans plus tôt le silence de Greimas ne peut s’expliquer que pour d’autres raisons.
198 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Faut-il d’ailleurs rappeler que Saussure lui-même utilise signe avec deux valeurs considérable-
ment différentes ? La version standard du CLG efface – pas entièrement – cette bisémie en substi-
tuant signifiant à signe chaque fois que cela paraît nécessaire aux éditeurs. Mais la pratique de Saus-
sure était autre, et il s’en explique longuement. Voir sur ce point le chapitre II.
200 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Erreur, ai-je dit ? Il est vrai que, sept ans plus tard, Barthes la
« corrigera » dans la dernière section ( « Dénotation et connotation » )
des Éléments de sémiologie (1964, 130-132). Et, philologiquement, elle reste
bien, à l’égard de la théorie de Hjelmslev, une erreur. Mais cet acte
1. Faut-il rappeler que le texte a été écrit en 1956, et que les travaux de Godel – les premiers, à
ma connaissance, à signaler la recherche sémiologique sur la Légende – ne paraîtront que l’année
suivante ?
2. On voit que Barthes ne pense qu’à la date de publication (1916) du CLG, sans penser à la ges-
tation préalable de la sémiologie, et à sa manifestation dans les Cours effectivement professés à
Genève.
3. Pour certains peut-être, cette remarque réactivera une question que je me suis maintes fois
posée et que j’ai déjà explicitée dans le chapitre III : pourquoi Saussure dans le CLG cite-t-il
exclusivement à titre d’objets possibles de la sémiologie (p. 33) des systèmes dérivés de la langue
(écriture, alphabet des sourds-muets) ou nettement marginaux (rites symboliques, formes de poli-
tesse, signaux militaires) ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’il était précisément
en train d’élaborer une autre sémiologie, à signifiant verbal, mais non dérivée de la langue : celle
de la légende.
Saussure, Barthes, Greimas 201
BIB L IO G RAP H IE
Avertissement. Pour certains travaux, on trouvera deux dates. La première est celle de la publi-
cation originelle, la seconde celle de l’édition utilisée.
Arrivé M. (1965), « Encore les indéfinis. À propos d’un article récent », Le français
moderne, 2, 97-108. Voir Greimas (2000).
Arrivé M. (1982 a), « Hjelmslev lecteur de Martinet lecteur de Hjelmslev », LINX, 6,
77-93.
Arrivé M. (1982 b), « La glossématique », Trends in Romance Linguistics and Philology, La
Haye - Paris - New York, Mouton, vol. 2, 305-351.
Arrivé M. (1982 c), « Les services de la SELF : un moment de l’histoire de la linguistique
française (1960-1968) », Langue française, p. 17-24.
Arrivé M. et Coquet J.-C. (éds) (1987), Sémiotique en jeu. À partir et autour de l’œuvre
d’A..J. Greimas, Paris/Amsterdam, Hadès/Benjamins.
Barthes R. (1953-1972), Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil.
Barthes R. (1955), « Suis-je marxiste ? », Les lettres nouvelles, 3e année, juillet-août, no 29,
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Zilberberg C. (1985), « Retour à Saussure ? », Actes sémiotiques, VII, 63, 5-38.
CHAPITRE IX
[C RÉ P I T È MES ET C RÉPI T Ô M ES ,
PE R DÈ M E S ET PERD Ô M ES ?
OU
« C O M M EN T SE “P A RLA I ENT”
L E S CR ÉP I T AN TS »]
UN E NO TE I NÉD I T E
DE F ER D I NA ND D E S A US S URE
ADALBERT RIPOTOIS
1. On sait en effet que le maître incontesté des études saussuriennes est décédé le 5 sep-
tembre 2003, à Worb, en Suisse, où il résidait depuis longtemps. Il aurait eu 73 ans le 25 octobre.
Voir la rubrique nécrologique de Michel Arrivé, Le Monde, 16 septembre 2003. Rudolf Engler
était à la fois un savant incomparable (par exemple par sa culture romane, notamment italienne),
un éditeur à la fois scrupuleux et intelligent (son édition critique du Cours de linguistique générale res-
tera un modèle du genre) et un homme d’une honnêteté, d’une générosité et d’une modestie intel-
lectuelles qui étonnaient, voire scandalisaient, dans l’univers (et l’Université) d’aujourd’hui. Les
derniers mois de sa vie, ont, j’en suis certain, été attristés par diverses manœuvres peu honorables
de personnes auxquelles il avait trop naïvement fait confiance. Je rends à sa mémoire un hom-
mage ému.
206 À la recherche de Ferdinand de Saussure
le problème des raisons qui ont pu inciter les éditeurs (Rudolf Engler
lui-même et Simon Bouquet) à ne pas révéler immédiatement tels ou
tels écrits, en dépit de leur évidente importance théorique.
Il faut bien l’avouer : le texte qu’on va lire risque de passer pour
relativement insolite par son contenu, notamment aux yeux des lec-
teurs peu familiers avec l’univers conceptuel saussurien. Il est, en outre,
certain que l’aspect matériel du document est rare – oserai-je dire
unique ?1 – dans l’ensemble des manuscrits de Saussure.
Il se présente sous la forme d’une suite de trois feuillets. On repère
encore les traces de rouille qui ont été laissées par la robuste épingle
qui a été utilisée pour les joindre.
1 / Les deux premiers feuillets sont recouverts, au recto seulement,
par un texte imprimé soigneusement collé. Un malencontreux coup de
ciseau a eu pour effet de supprimer deux lignes à la fin de la première
page. Saussure a pris soin de recopier à la main le texte manquant. On
ne s’étonnera pas que la lacune ainsi comblée par Saussure affecte
deux segments relativement éloignés du texte : c’est que celui-ci est dis-
posé sur deux colonnes, ce qui a pour effet de séparer les deux frag-
ments supprimés. On a signalé cette intervention matérielle de Saus-
sure en mettant entre crochets les deux segments qu’il a restitués.
Le mot item, de l’écriture de Saussure, apparaît deux fois dans la
partie supérieure gauche du premier feuillet. Il a d’abord été rayé d’un
trait (item), puis réécrit et rayé de deux traits (item). On laisse le lecteur
s’interroger sur le sens de ce double remords2.
2 / Le troisième feuillet est utilisé au recto et au verso. Le recto
est occupé entièrement par le début de la note de Saussure. Le verso
ne comporte que quatorze lignes3. L’écriture, qui reste homogène au
long de ce texte assez copieux, semble paradoxalement à la fois
rapide et presque calligraphiée. Saussure, contrairement à ce qu’on
observe souvent dans ses écrits proprement linguistiques ou sémiolo-
giques, semble ici presque euphorique, en tout cas dépourvu d’hési-
tations. On pense au type de graphie qu’il adopte dans la recherche
1. La voix ne semble guère utilisée que pour des exclamations ou onomatopées assez rudimentai-
res, marquant souvent le dégoût ou le mépris, et réduites tout au plus à un ou deux sons vocali-
ques. Quant aux mimiques de la physionomie et aux gestes des bras et des mains, ils ne semblent
avoir, à peu près comme dans nos pratiques européennes, qu’un rôle secondaire et auxiliaire.
Crépitèmes et crépitômes, perdèmes et perdômes ? 209
1. C’est en ce point que se lit l’insertion manuscrite à l’encre rouge qui a été annoncée plus haut.
Elle est ainsi libellée : ne devrait-on pas écrire plutôt pansée ? On laisse le lecteur libre d’apprécier
selon ses goûts ce jeu de mot homophonique. Formellement assez bien venu, il laisse sans doute
apparaître un certain mépris, peut-être teinté de racisme, à l’égard des Indigènes. Faut-il rappeler
que cette insertion n’est pas de la main de Saussure ?
2. Qu’on ne s’étonne pas de voir notre auteur faire état du langage sifflé des Canaries : cette pra-
tique est connue depuis le Moyen Âge, et a donné lieu, à toute époque, à de nombreuses allu-
sions. Saussure, comme on verra plus bas, retiendra cette allusion de l’auteur, mais pour en faire
la critique.
210 À la recherche de Ferdinand de Saussure
1. Elle est toutefois exclue pour des raisons matérielles : les textes qu’elle publie ne sont pas dispo-
sés sur deux colonnes.
2. Saussure la connaissait sans doute, en raison des articles que Bréal y avait publiés. Les articles
y sont disposés sur deux colonnes. Mais un examen exhaustif de la collection de la Revue, com-
mencé en 1863, date de son premier fascicule et poussé, par scrupule, jusqu’à janvier 1913, der-
nier mois achevé avant la mort de Saussure, a donné un résultat négatif.
3. Le livre de Gavin Maxwell Le peuple des roseaux (1954-1961) décrit les sociétés occupant les
marécages environnant l’embouchure du Tigre d’une façon qui évoque très précisément les indi-
cations géographiques données par le texte. L’auteur insiste sur le « tabou » absolu qui, chez le
peuple des roseaux, pèse sur l’émission de flatulences intestinales : pour avoir « lâché un vent », un
212 À la recherche de Ferdinand de Saussure
2. L A NOTE DE SAUSSURE
jeune homme fut exilé, et ressentait encore, dans son extrême vieillesse, que « le temps de sa vie
n’avait pas suffi à faire oublier son crime » (p. 35). Faut-il croire que cette attitude n’est que le
reflet, inversé, d’anciennes pratiques abandonnées ? Et qu’en est-il au juste, inversement, des
« espèces de grognements » émis par les femmes, « chacune dans un ton différent », lorsqu’elles
pilent le grain ? (p. 124).
1. On aura remarqué que le noble ambassadeur de France qu’était cet auteur n’atteint pas
l’élégance d’expression du voyageur anonyme cité par Saussure.
Crépitèmes et crépitômes, perdèmes et perdômes ? 213
1. Chose est évidemment pris ici dans le sens, habituel à Saussure, d’ « objet à désigner ». C’est-à-
dire, en somme, de référent, ou plutôt de référend, avec le -d de l’adjectif verbal passif, et non le stu-
pide -t du participe présent actif qui s’est, hélas, généralisé. On se souvient que Benveniste est
resté longtemps fidèle à l’orthographe étymologique exacte : « Chaque énoncé, et chaque terme
de l’énoncé, a ainsi un référend » (1962-1966, 128).
2. On l’aura peut-être remarqué : s’il a osé, non sans précautions, le terme langue, l’auteur cité par
Saussure a en réalité évité d’employer le verbe parler. Il est cependant évident que le verbe,
quoique littéralement absent, est conceptuellement présent à la pensée de l’auteur. Est-ce
d’ailleurs un hasard s’il emploie sans scrupule le mot palabre, qui a, quoique de façon indirecte, le
même étymon que parler (et parole, qu’il utilise aussi) ?
3. Ce rejet de l’intérêt « pittoresque » de la langue des Crépitants fait penser, par antiphrase, à
l’illustre passage de la lettre à Meillet du 4 janvier 1894, où Saussure avoue ne plus prendre inté-
rêt qu’au « côté pittoresque d’une langue » (cité par Benveniste, 1963-1966, 37). Est-il possible de
tirer parti de ce détail pour envisager de situer la date de la note aux environs de janvier 1894 ?
4. On rencontre ici un thème récurrent de la réflexion saussurienne : le caractère non nécessaire
de la manifestation vocale des langues. On se reportera notamment à l’édition standard, 1916-
1922-1972, 26 et aux Écrits de linguistique générale, passim et notamment p. 215. En ces deux occur-
rences Saussure cite Whitney. Le passage le plus pertinent de Whitney auquel Saussure fait allu-
sion en ces deux points est le suivant : « C’est une erreur, née de l’habitude, que de regarder la
voix comme l’instrument spécifique du langage ; c’est un instrument entre plusieurs autres » (La vie
du langage, 1877, 238). Dans la note que nous publions, Saussure ne fait pas appel à Whitney. C’est
214 À la recherche de Ferdinand de Saussure
sans doute qu’il constate avec embarras que Whitney cite exclusivement comme exemples d’autres
« instruments que la voix » les trois moyens accessoires que sont « le geste, la pantomime et
l’intonation » (1877, 240). On comprend que l’exemple infiniment plus spectaculaire qui lui est
fourni par les crépitants lui fasse complètement oublier les laborieuses, mais faiblardes exemplifica-
tions de l’américain.
1. C’est ici, à ma connaissance, le seul point dans les textes actuellement connus de Saussure où
se rencontre un emploi à ce point extensif du terme écriture. Il est en effet utilisé – non sans
l’hésitation marquée par la rature et le rétablissement du mot – pour désigner un signifiant secon-
daire – un signifiant de signifiant – sans exiger de lui qu’il ait pour support une trace graphique.
2. Saussure fait évidemment allusion ici aux réflexions qui apparaissent dans l’édition standard
p. 101-102. On s’y reportera pour apercevoir ce que Saussure pense des onomatopées et des excla-
mations.
3. À tout le moins on le devine. Pour les non-hellénistes impénitents, p@rdomai est l’un des verbes
grecs – il y en a plusieurs – qui signifient « émettre bruyamment une flatulence ».
4. On le sait : Saussure se « méfie » de la synonymie. Pour de très fortes raisons théoriques (voir
notamment les Écrits, passim, et spécialement p. 74-76). S’il se résout ici à poser les deux termes
perdème et crépitème comme synonymes, c’est visiblement en raison de leur caractère « métalinguis-
tique », comme Saussure n’était pas encore en mesure de dire.
Crépitèmes et crépitômes, perdèmes et perdômes ? 215
B I B LIO G R AP H IE
Arrivé Michel (2003), « Rudolf Engler, le maître des études saussuriennes », Le Monde,
16 septembre, 27.
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Benveniste É. (1966), Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard.
Engler Rudolf (2002), « Solide / Non-solide : “le cru et le cuit” », in Le signe et la lettre.
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Georgy Guy (1992-1994), Le petit soldat de l’Empire, Flammarion, puis J’ai lu.
Maxwell Gavin (1954-1961), Le peuple des roseaux (A Reed Shaken by the Wind), Flammarion.
Whitney William Dwight (1875-1877), La vie du langage, Paris, Germer-Baillère. Cet
ouvrage est la traduction, effectuée par Whitney lui-même, de son ouvrage The Life
and Growth of Language. An Outline of Linguistic Science, 1875. Le texte est cité ici
d’après la reproduction en fac-similé de l’édition de 1977, Paris, Didier Érudition,
s.d., préface de Claudine Normand.
1. On trouve ici un écho très précis de l’illustre passage de l’édition standard, p. 164-165. Et on
aura remarqué que l’animosité de Saussure à l’égard de ses confrères allemands reste intacte.
Enfin, on portera attention au fait que Saussure ne fait aucun reproche à l’auteur d’employer le
terme lettre pour désigner les unités sonores de la langue. On ne s’étonnera pas de cette indul-
gence : Saussure la manifeste également à l’égard de Bopp (1916-1922-1972, p. 46).
AN NEXE
ADALBERT RIPOTOIS
AVERTISSEMENT
Engler, Rudolf, 5, 28, 61, 84, 86, 94, 99, Jäger, Ludwig, 28.
103, 120, 148, 169, 205, 206. Jakobson, Roman, 9, 12, 57, 76, 120, 124,
186.
Faesch, Marie, épouse de Ferdinand de Jarry, Alfred, 27, 147.
Saussure, 27. Jekill, Dr., 175.
Fehr, Johannes, 14, 84, 86, 88, 94. Jodakr, 156.
Fleury, Michel, 27. Joseph, Francis, 49, 109.
Flournoy, Théodore, 28, 29, 174. Joseph, John E., 22.
Focillon, Henri, 196.
Foucault, Michel, 124. Kankan (Haute-Guinée), 217.
Freud, Sigmund, 7, 27, 29, 69, 75, 143, 153, Kant, Emmanuel, 1.
154, 156, 168, 169, 171-174, 176, 177, Kim, Sungdo, 2, 84, 157.
194. Kleiber, Georges, 52.
Fridsaela (Verceil), 155. Komas péteurs (ethnie camerounaise), 212.
Friesach, 155. Komatsu, Eisuke, 30, 94, 149.
Kurylowicz, Jerzy, 25.
Gadet, Françoise, 33.
Gandon, Francis, 13, 30, 84, 153, 179, Lacan, Jacques 4, 7, 10, 12, 13, 41, 44, 52,
207. 53, 58, 66, 67, 76, 94, 103, 125, 168, 169,
Garbo, Greta, 198. 171, 173-175, 177, 185, 194, 197, 199.
Gautier, Léopold, 30. Lacroix, Maurice, 1.
Genève, 12, 19-21, 23, 27, 87, 128, 192. Lactance, 146.
Genthod, 19, 30. La Fontaine, Jean de, 163.
Georgy, Guy, 212. Lefèvre, Lefebvre, Lebébure, 150.
Ghiotti, Lorella, 28. Leipzig, 11, 24-25.
Godel, Robert, 12, 77, 78, 123, 148, 194, Leskien, August, 25.
200. Lévi-Strauss, Claude, 10, 12, 186, 193-195,
Gougenheim, Georges, 192. 199.
Graham, Billy, 198. Lituanie, 26, 184.
Grammont, Maurice, 26, 27. Lot, Ferdinand, 26.
Green, André, 35, 103, 104. Lucrèce, 177, 179.
Greimas, Algirdas Julien, 7, 9, 12, 13, 37, 38,
83, 84, 138, 183-203. Malraux, André, 196.
Grunig, Blanche-Noëlle, 121. Malherbe, François de, 9.
Guieysse, Georges, 26. Marinetti, Anna, 83, 157.
Guillaume, Gustave, 9. Marot, Clément, 163.
Guillermit, Louis, 1. Martinet, André, 9, 12, 54, 120, 184, 185.
Guiraud, Pierre, 183. Matoré, Georges, 183, 188, 189, 192.
Gundacharius, 90. Mauro, Tullio de, 2, 3, 19, 26.
Gundobadus, 90, 93. Maxwell, Gavin, 211.
Gunther, 90, 93. Meillet, Antoine, 9, 12, 27, 29, 30, 33, 189,
213.
Hagège, Claude, 157. Meli, Marcello, 83, 157.
Hagene, 157. Merleau-Ponty, Maurice, 10, 12, 193-195,
Haute-Guinée, 217. 197.
Helvétie burgonde, 87. Meyer, Gustav, 25.
Hénault, Anne, 68, 83, 84. Milner, Jean-Claude, 53, 54, 57, 59, 124,
Hérodote, 23. 152, 167.
Hjelmslev, Louis, 9, 12, 35, 42, 60, 103, 123- Moeschler, Jacques, 102.
125, 138, 154, 185, 186, 191, 195, 196, Morazé, Charles, 195.
199, 200. Morel, Louis, 24.
Index des noms 223
AVERTISSEMENT
1 / Les termes placés entre guillemets sont ceux qui sont propres, par la
forme ou par le sens, à la terminologie saussurienne.
2 / Les termes composés en italiques sont les exemples employés par Saus-
sure ou les autres auteurs cités.
3 / Il arrive souvent que le même terme – par exemple, association, idée
et même signe, symbole et... terme – soit pris avec plusieurs sens différents. Ce
sera la tâche du lecteur de repérer ces différences de sens.
Accent, 57, 58, 121. « Association », 42, 43, 69, 95-97, 114, 115,
Accentuation, 28, 57. 170.
« Accident », 48, 132, 135, 140. Autodidasker, 143, 176, 177.
Acoustique, 35. Avoir peur, 69.
« Acte de langage », 107, 110, 111, 128.
« Acte de parole », 64, 79, 105, 107, 110,
128, 130, 135, 140. « Ballon » (métaphore du —), 43.
Biographie, 2, 10, 11, 19-31, 138.
« Acte phonatoire », 57.
Blason (dans la légende), 96.
Aiwa, je (adverbe temporel germanique, puis
Bœuf, 49-51, 54.
allemand), 127.
Buchstabe, 157.
Algorithme du signe, 44, 173, 175.
« Bulle de savon » (métaphore de la —), 96,
Alka, ok, 128, 129, 138.
97, 129, 141.
Alphabet, 87, 94, 96, 99, 139, 140, 143,
209.
Alphabet des sourds-muets, 37, 38, 88, 138, Calcul, 98, 99, 179, 180.
148. Calembour, 24.
« Altération (dans le temps) », 70, 73, 79, 85, Calidum, 80, 87, 126, 127, 135.
130. Caractère, 23, 59, 96.
« Altérations littéraires », 148. « Caractère linéaire de la langue », 61, 62,
« Anagramme », 4, 5, 13, 14, 16, 30, 63, 64, 115, 121, 123-125, 151.
78, 84, 116, 120, 142, 143, 145, 147, 152- « Caractère linéaire du signifiant » (voir aussi
160, 167, 175-181. linéarité), 56-62, 77, 115, 121, 123-125,
« Anagramme » dans la légende, 155-158. 142, 143, 151-155, 176, 177.
« Analogie », 5, 92, 98, 133, 136, 137. « Caractères distinctifs », 57.
Angoisse, 3, 33. Casque (dans la légende), 96.
Antithèse, 154. Catégorisation, 52.
« Aposème », 42. Cause, 129-137.
Appareil phonatoire, 22. Cénème, 42.
« Application » (du langage et de la langue), « Chaîne acoustique », 57, 58, 121.
111. « Chaîne de la parole », 59.
« Arbitraire du signe », 46-56, 62, 67-70, « Chaîne phonétique », 57.
149, 215. « Chaîne phonique », 123.
« Articulation », 66, 175, 212. « Chaîne sonore », 59.
Articulation signifiante, 174, 175. Changement, 76-81, 97, 98, 128-130, 133,
« Associatifs (rapports —) », 16, 61, 67, 74- 135.
76, 105, 107, 115, 123, 170. Changement analogique, 107, 136.
226 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Changement phonétique, 22, 107, 131, 134, Écriture (chez Barthes), 184, 190, 191.
135. Éducation phonétique, 134.
Chaud, 80, 87, 126, 127, 135. « Élaboration littéraire », 148, 160.
Cher, 50. « Élément », 9, 38, 57, 58, 60, 61, 63, 64, 69,
« Chose », 20, 43, 44, 50-56, 72, 90, 128, 96, 98, 99, 142.
129, 138, 139, 151, 213. « Éléments acoustiques », 63.
Chronologie, 15, 19-31, 84, 87, 88, 103, 184, Éléphant, 52, 53.
187, 188. Embrayeur, 20.
« Circuit de la parole », 73, 74. Énoncé, 13.
« Classification (principe de —) », 39. Énonciation, 40, 41, 110.
Classification des langues, 6, 48, 132. « Entité syntagmatique abstraite », 59, 115.
« Colligibilité du signe », 152. Épistémologie, 9, 76, 98, 195.
« Coefficient », 25. Espéranto, 22, 23, 85.
Combinaison, 42, 48, 61, 71, 72, 74, 76, 97. « Être inexistant », 84, 94, 95, 97, 98, 129,
« Combinaison fuyante », 141. 141.
Communication, 73, 74. « Être légendaire », 96.
Connotation, 191, 196, 198, 201. Étymologie, 12, 19, 42.
« Concept », 42-46, 49, 69, 73, 90, 109, 131. Étymologie populaire, 136.
Condensation, 176. Eux-désir (inversion de désireux), 116, 152.
Conscience, 36, 70, 71, 107, 137, 167-181. Événement phonétique, 132, 134.
Conscience latente, 170. « Exercice de la parole », 107.
« Consécutivité », 63, 64, 142, 155, 158. Exclamation, 47, 55, 56, 214.
Contenu (chez Hjelmslev), 35. « Expression », 42.
Contingence, 53. Expression (chez Hjelmslev), 35, 42.
Conventionnel, 133. « Externes (phénomènes —) », 35, 36.
« Couleurs simultanées », 63, 155.
« Coupure » (métaphore de la —), 67. « Facteur temps », 122, 128, 137.
Coupure saussurienne, 9. « Faculté du langage », 39, 101-117.
Courtepointe, 136. « Fantôme », 96, 97, 141.
Craindre, 69. Fer-signum (inversion de signifer), 116, 152.
Crepitacillum, 177. « Feuille de papier » (métaphore de la), 45,
Crépitants, 205-215. 65-67.
Crépitème, crépitôme, 205-215. « Figure recolligible », 59.
« Figure vocale », 35, 36, 42, 59, 60.
Degrés de conscience, 169-171. Flatulence, 208-210, 211-213.
Dématérialisation du signifiant, 71, 72. Flèche du temps, 143.
Dénomination, 52. Forme, 35, 60.
Désireux, 116, 152, 154. Formes de politesse, 37, 88, 138, 148.
« Diachronie », 1, 16, 22, 23, 58, 68, 74, 76- Formes politiques, 169.
81, 122, 123, 139-142, 160, 174, 175, 189, « Forme-sens », 35, 36, 43.
197. « Fortuité », 132, 137.
« Diachronie » du discours, 125, 127. Frangine, 49.
Dialecte, 6.
Différence, 58, 62, 71-74, 113, 175, 209, Girafe, 52-53.
210. Glossématique, 197.
« Différentiel (arbitraire et —), 70. Grammaire, 113, 131.
Discours, 41, 61, 64, 65, 74, 75, 77, 78, 79, Graphie, 61, 71, 72.
101-117, 129, 145, 150. Guerre, 127.
« Discursif (ordre —) », 59, 60, 115, 116.
Dualisme, 35, 53. Hapax, 139.
« Dualité », 35, 36, 43. Hasard, 36, 48, 100, 132, 134, 136, 137,
178-181, 219.
Échecs (partie d’—, métaphore de la —), Heraclitus, Clitus-Hera, 154.
132-134. Hippotrophos, 114, 133.
Écriture, 37, 38, 57, 58, 71, 72, 88, 98, 138, Homonymie, 75.
147-158, 214. Hornkuh, Kuhhorn, 124, 125.
Index des notions 227
Hôtel-Dieu, 132. Légende, 14, 15, 25, 30, 38, 47, 56, 78, 83-
« Hypogramme », 30, 160. 100, 138, 145, 147-149, 155-158, 160,
161.
« Idée », 49, 50, 53, 66, 67, 73, 97, 109, 131. Lettre, 21, 71, 87, 94-96, 99, 139, 143, 147,
« Identité », 80, 89, 90, 94, 95, 97, 126-129, 151, 155, 157, 176, 177, 209-210, 215.
138, 139, 141, 156. Lexicologie, 113, 189.
« Idiosynchronique », 131. « Liberté individuelle », 114.
« Image acoustique », 42-46, 69, 73, 90, 109, Licence (de versification), 154.
150. Lieb, 50.
« Immotivité », 48. « Limitation de l’arbitraire », 48.
« Immutabilité du signe », 78, 85, 169. Linéarité (voir aussi caractère linéaire), 77-81,
« In absentia (rapports) », 76. 159, 174, 177.
« Inconscience », 36, 167, 170, 171. Linguistique, 1-220.
Inconscient, 6, 7, 70, 71, 107, 134, 137, 167- « Linguistique de la parole », 40, 41, 101-117.
181, 219. Linguistique du discours, 112.
Inconscient descriptif, 171. Littéralité, 6, 149-160.
Inconscient topique, 172, 173. Littérarité, 6, 150, 158-161.
« Incorporel (signifiant —) », 54, 60, 71, 72, Littérature, 6, 10, 145-165.
135, 151. « Loi du moindre effort », 134.
Indécorable, 136, 137.
« Indifférence du moyen de production », « Marécage » (métaphore du —), 220.
151, 205-215. « Masse parlante », 79, 129-131, 159, 160.
Individu, 79, 101, 102, 106, 109, 111, 113, « Masses informes », 66, 67.
130. Matérialité du signifiant, 71.
Indo-européennes (langues), 25, 28. « Matérielle (substance —), 54.
« Inertôme », 42. « Matière phonique », 58, 135.
« In praesentia (rapports) », 76. Meridialis, meridionalis, 146.
« Internes (phénomènes —) », 35, 36. Messieurs, 79-80, 87, 135.
Intention, 133, 179, 180. Métalangage, 4, 94, 115, 170, 214.
« Interprétation seconde », 136. Métalangage (chez Barthes et Greimas), 191,
« Intuitif (ordre —) », 59, 60, 115, 116. 196, 200, 201.
Métaphore, 20, 37, 43, 54, 59, 65-67, 77, 78,
Je (adverbe temporel allemand), 127. 108, 110, 111, 121, 132.
Jeu de mots, 75. Métathèse, 153, 154.
« Jeu du langage », 109, 112, 113. Métonymie, 108.
Mieten, 69.
« Kénôme », 42. Mode (vestimentaire), 134, 169.
Mode (vestimentaire, chez Barthes), 184.
Langage, 4, 28, 34, 38-41, 86, 92, 101-117, Mode (vestimentaire, chez Greimas), 188,
143, 213, 219. 189.
« Langage discursif », 102, 108, 128. Monogenèse des langues, 6.
Langue, 5, 6, 16, 22, 28, 33, 35, 38-41, 64, Morphologie, 113.
65, 77-81, 85, 88, 89, 92, 93, 95, 98-117, Mot, 13, 14, 20, 30, 42, 43, 63-65, 74, 89, 90,
121, 123, 125, 126, 128, 139, 145, 213, 93, 94, 113-116, 140, 142, 143, 209, 217.
214, 219, 220. Mot composé, 113, 154.
« Langue cultivée », 146, 147. « Mot écrit », 71, 150.
« Langue discursive », 102, 107, 108, 116, « Mot parlé », 71, 150.
128. « Mot simple », 23, 113.
« Langue littéraire », 146-148. Motivation, 138, 149.
« Langue naturelle », 148, 151-153. « Motivation relative », 47, 48, 56.
« Langue vulgaire », 147. Mouton, 69.
« Lanterne magique » (métaphore de la —), « Mutabilité du signe », 78, 85, 169.
59-60, 64, 152. « Mutation », 79, 85, 87, 90, 95-97, 99, 100,
Lapsus, 75, 174. 112, 132, 140, 143, 160, 169.
Laryngale, 25. Mutton, 69.
Lecteur, 159. Mythologie, 30, 86, 88, 138.
228 À la recherche de Ferdinand de Saussure
Signifer, 115, 116, 152, 154. « Syntagme », 61, 62, 64, 65, 74, 75, 107,
« Signifiant », 16, 35, 43, 45-62, 69-71, 73, 113-116, 151.
75, 99, 102, 109, 121, 123-125, 131, 150, Syntaxe, 26, 59, 60, 103, 113-116.
159, 194, 195. « Systématique » (nom féminin), 34.
« Signifiant acoustique », 57, 58, 60, 61, 70. Système, 4, 9, 16, 25, 34, 62.
« Signifiant graphique », 151-158. « Système de signes », 14, 36-38, 41, 65-74,
« Signifiant visuel », 63, 121. 88.
« Signification », 16, 43. « Système de symboles », 135.
« Signifié », 16, 43, 45-56, 69, 73, 75, 99, « Système de valeurs », 67, 69, 77, 132,
102, 109, 123-125. 133.
« Signologie », 85.
« Simultaniétés (axe des —) », 76. Temporalité, 59.
« Sociation », 159, 160. Temps, 6, 57-63, 77-81, 85, 87, 96, 97, 119-
« Socialisation », 161. 144.
Sociologie, 37. Temps-acteur, 129, 130.
Sœur, 49. Temps-cadre, 129, 130.
« Sôme », 42, 43, 59, 60. Terme, 42, 43, 47, 48, 66.
Son, 21, 54, 60, 65-67, 71, 72, 135, 151, « Terme en soi nul », 5, 98.
214. Terminologie, 4, 6, 38, 42, 46, 47, 56, 64,
« Sous-unité », 61, 114. 74, 90, 110, 112, 131, 141, 142, 148, 171.
« Structure », 37, 52, 53, 69, 116, 132, 133, Texte, 145-146.
143, 168, 175, 194, 196. Texte littéraire, 147, 158, 160-162.
Style (chez Barthes), 190, 191. T(h)euer, 50.
Stylistique, 113. Toponymie, 87-89.
Subconscient, 167. Tout, 4, 69.
Substance, 38, 54, 60, 66. « Touts », 4, 59.
« Substance glissante », 33-35, 81. Traire, trayait, traisait, 146.
« Substance matérielle », 54. Traits pertinents, 57, 96, 97.
« Substance vocale », 135, 150. « Tranche acoustique », 67.
« Substrat linguistique », 134. « Transmission », 91, 96, 131, 160.
« Successivités (axe des —) », 76. « Trésor », 48.
Suffixe, 24. Typologie, 48, 132.
« Sujet », 44, 78, 129, 135, 169.
« Sujet parlant », 40, 75, 102, 106, 112, 130, « Unispatialité », 59.
131.
Syllabe, 28, 57, 106, 123, 124, 159, 177. « Valeur », 16, 42, 55, 56, 62, 65-74, 95,
« Symbole », 38, 47, 55, 56, 89, 90, 93-95, 101, 151.
97, 135, 140-142, 149, 162. Vates, 179, 180.
« Symbole conventionnel », 89. Vaticinium, 152, 157.
« Symbole indépendant », 47, 50, 89. Vermieten, 69.
Symbolisme, 38, 195. Versification, 28, 146, 162-164, 175-181.
« Synchronie », 1, 16, 22, 23, 68, 76-81, 120, « Vie », 111, 112.
122, 123, 189, 197. « Vie des signes » (métaphore de la —), 37,
Synonyme, 49. 38, 131, 132.
« Synonymie », 113, 214. Voyelle, 25, 58, 121.
Syntagmation, 107. Vulgate, 12, 13, 16.
« Syntagmatique » (nom féminin), 99, 114.
« Syntagmatiques (rapports —) », 16, 61, 67, Witz, 75.
74-76, 105, 107, 115, 123, 170.
F ORME S SÉ M IOT IQU ES
COLLECTION DIRIGÉE PAR
ANNE HÉNAULT
Imprimé en France
par Vendôme Impressions
Groupe Landais
73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme
Avril 2007 — No 53 507