Vous êtes sur la page 1sur 5

Proposition de LL

“LES PAS” in Charmes, Paul Valéry

[Pistes de réflexion et conseils pour réaliser sa propre LL, suite à la discussion en classe]

1. Attention à ne pas surinterpréter certains passages. Soyez prudent dans vos affirmations (i.e. les pas
// anges, ne peuvent être qu’une hypothèse, bienvenue au demeurant, si vous gardez toutes les
précautions nécessaires pour l’énoncer devant l’examinateur. D’une manière générale, évitez les
formulations définitives, risquant de fausser l’explication et de figer la ll. dans une grille de lecture
unique et un peu… raide).

2. Gardez à l’esprit que votre analyse doit révéler la littéralité, l’originalité du texte étudié (qui n’a rien de
banal le jour du bac… il a été pensé, élaboré et validé par différentes personnes). Les approches
impressionnistes, en tout cas sensibles du texte, sont encouragées (si elles ne font pas l’impasse sur
l’étude des figures de style évidemment !). En complément des considérations stylistiques, il ne faut
donc pas hésiter à mettre en lumière vos hypothèses de lecture (comme fait en classe) au fil du texte. Ces
dernières peuvent évoluer dans le temps, le tout, est de les énoncer avec prudence et souplesse.

3. Le projet de lecture n’est pas qu’un simple passage obligé. Il s’agit d’une étape essentielle qui doit
EXPLICITEMENT (!) apparaître dans votre introduction et proposer sous la forme d’une question, un
parcours menant à l’interprétation. On ne peut pas tout dire : aussi, le projet de lecture est là pour
opérer une sorte de sélection de vos observations au brouillon, et assurer une cohérence à votre analyse.
Bref, c’est un angle d’attaque pour analyser le texte. Évitez absolument les projets de lecture
interchangeables et génériques (qui peuvent potentiellement être utilisés dans une autre LL. Vous
pouvez vous inspirer de textes étudiés pour formuler le projet de lecture mais il faut toujours le préciser
au regard du passage étudié, et faire apparaître sa spécificité en rapport avec le motif abordé, les
paramètres de genre, le mouvement littéraire auquel le texte se rattache etc.).

4. En poésie, plus que dans les autres objets d’études encore, la LL doit s’appuyer sur des outils
techniques. Connaître les principales figures de style, indiquées dans le ppt portant sur “Les” Pas est
essentiel. Une fois les considérations techniques laissées de côtés, l’enjeu pour vous, est bien de
souligner l’originalité de ce texte, saisir les nuances qui le différencient des autres textes qui traitent du
même motif, appartiennent au même courant littéraire etc etc. Souvenez-vous que les choix esthétiques
du poète sont toujours liés à sa volonté de sens. Votre LL a pour vocation de le montrer et ne pourra
donc, séparer le sens du son.

5. A l’oral, l’introduction doit être brève. Il faut éviter les biographies exhaustives de l’auteur, surtout
dans le cas de Paul Valéry qui n’appartient pas à un mouvement littéraire à part entière. Inutile
d’apprendre ses dates comme pour les autres auteurs. Comme indiqué en classe, PV est avant tout un
grand intellectuel français du XXe siècle, une sorte de “héros intellectuel” même, élu à l’Académie
française et professeur au Collège de France, qui s’est frotté aussi bien à la philosophie, à la politique
qu’à la poésie. Il est souvent étudié en histoire, et notamment connu pour cette formule fameuse “Nous
autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.” après WWI. En littérature, il
s’est fait connaître avec La Jeune Parque, une œuvre poétique ainsi qu'un essai particulièrement
remarqué, Tel Quel. Sa poésie s’inscrit dans une démarche intellectuelle, presque symboliste, où une
attention particulière est portée au sens (parfois étymologique des mots), où l’élaboration de la
signification est un processus complexe.

Proposition de LL
[Situation du poème dans l'œuvre] Ce poème est issu du recueil Charmes, titre évocateur s’il en
est, qui renvoie, selon son acception moderne, aux attraits d’une femme. S’il fait incontestablement
signe vers l’érotisme, il faut préciser d’emblée que ce substantif, employé au pluriel, provient du latin
“carmen”, renvoyant plus fondamentalement aux formules magiques rythmées dans la langue
religieuse. Largement présent dans ce recueil daté de 1922, ce sens ancien manifeste les
caractéristiques de la poétique valéryenne, laquelle est, depuis La Jeune Parque, attentive au sens actif
des mots, et établit - et cet extrait en est la preuve magistrale -, une correspondance étroite entre poésie,
chant et domaine mystique. [Présentation des données génériques et de la composition]. Poème lyrique de
part la présence de l’adresse personnelle à une figure féminine, “Les Pas” se présente sous une forme
courte, 16 vers au total, qui jouent sur la régularité des octosyllabes et des quatrains, comme pour
mimer le rythme continu et retenu de la marche. [Présentation de la thématique dominante et de son
traitement littéraire spécifique] Ce mouvement ondulatoire semble mener tout autant vers l’être cher
que vers la création poétique. Un jeu volontairement ambigu s’instaure en effet entre ces deux topoï,
dont le renouvellement se fait ici à travers la manière particulière avec laquelle Paul Valéry évoque la
marche et l’union attendue avec cette personne tierce. [Lecture du poème puis annonce des mouvements
du texte] : ce poème éminemment duel s’ouvre et se développe selon un premier mouvement continu qui
mime les pas d’une figure féminine, désignée de manière oblique (I). Si le mystère de son identification
demeure, cette apparition crée une attente particulière, grisante, où le sensuel se mêle au spirituel (II).
Mais ces deux pôles a priori contradictoires, ne sont pas source de tension, comme nous le verrons à
travers l’étude des deux dernières strophes qui cristallisent l’attente de cette union attendue. [Projet de
lecture] : la question est de savoir, dès lors, dans quelle mesure ce poème relate-t-il les plaisirs de
cette attente, où se mêlent sensualité et spiritualité, dans une forme poétique harmonieuse qui
en est ici le reflet ?

ANALYSE LINÉAIRE

Premier mouvement : l’attente de la femme aimée, désignée de manière oblique, par la


métonymique des pas (vers 1 à 4)

Nous verrons dans un premier mouvement, correspondant au premier quatrain, que ce poème
s’ouvre et se développe selon un mouvement continu quoique retenu, dessinant en creux, l’apparition
d’une figure féminine, désignée par la métonymie des Pas.

C’est le glissement du déterminant défini “Les” au possessif “tes”, entre le titre et le premier vers,
qui lui assure ici une valeur métonymique. Ce substantif sera répété à trois occurrences dans le texte,
jusqu’à l’effet de boucle final. Il s’agit du mot-clé du texte, lequel instaure à lui seul une forme qui fait
sens, et qui sera propre à rendre compte, de manière sensible, le rythme conjoint de la marche et du
poème. Notons à ce stade, que le groupe nominal “tes pas” est employé dans le vers 1, sans objet ni
référent explicité, et ce, malgré la présence de la relation possessive (“tes”). D’emblée, on peut se
demander à qui ces pas appartiennent. D’autant que l’apostrophe, doublée d’une apposition (laquelle
vient contredire le possessif “Tes” au vers 1 - “Tes pas, enfants de mon silence”), renvoie explicitement à
un destinataire qui est certes tutoyé, mais qui conserve ici son mystère entier. [On peut penser à l’abord,
à une amante ou une muse ou X (selon vos impressions sensibles indiquées lors de la discussion autour
du texte en classe. Surtout justifier votre hypothèse si elle est un peu exotique…)]. Une chose est sûre à
ce stade : ce qui prime ici c’est l’effet (volontaire ?) de voile, de flottement qui entoure l’identité du
destinataire. Les substantifs choisis pour caractériser sa marche sont à cet égard empreints de retenue
et de pudeur comme si cette seconde personne était encore trop éloignée pour être ouvertement
nommée.

Le flou est tel à ce stade, que l’on pourrait même se demander si ces mystérieux pas ne sont pas
enfantés par le désir (ou la création même ?) du poète. C’est en tout cas ce que nous invite à penser la
métaphore des “enfants” au vers 1. L’étymologie du substantif peut en effet nous donner une première
grille interprétative - du latin infans, qui signifie littéralement : celui ou celle qui ne parle pas
encore. D’autant que le terme “enfants” reçoit ici, comme complément de nom, “silence”, auquel
l’adjectif “muet” fait écho au vers 4. Ces deux termes antonymes signalent ici l’absence : non seulement
les pas de cette seconde personne sont-ils suggérés, mais ils semblent dans ce premier quatrain
feutrés (adjectif v.4 “glacés”, “muets”).

L’atmosphère qui domine est en effet ici celle du recueillement, un recueillement empli de
douceur, décliné dans le premier quatrain, sous la forme des allitérations en -en (“enfants” et
“silence”), [et plus largement, par le recours aux nasales dont la présence, dès l’ouverture, confère une
grande unité musicale à ce texte (“saintement”, “lentement”, “vigilance”, “enfants”, “silence”)].

L’emploi du présent, qui renvoie dans cette partie liminaire, au moment de l'énonciation, rend
compte du glissement entre les deux figures du texte. Le poète est celui qui attend, comme invite à le
penser le syntagme prépositionnel “vers le lit de ma vigilance”, évoquant tout à la fois le lieu
exemplaire (et possible ?) du plaisir amoureux, mais aussi, et peut-être, le lieu de la création poétique. La
mère, l’amante ou la muse - à ce stade, il n’en est rien - semble quant à elle, plus active. A rebours de la
passivité du poète, cette figure féminine est en mouvement, elle est celle qui s’avance, avant l’acte
amoureux. Dès le premier quatrain, l’union attendue entre les deux figures est déjà manifeste, rendue
sensible par la répartition des possessifs “tes” et “mon” en début et en fin du vers 1, une distribution qui
tend à construire d’emblée un couple énigmatique, uniquement désigné par leur pouvoir suggestif.

Au-delà de cet effet de miroir entre le “Je” poétique et la figure féminine, on peut également noter
la présence de nombreuses figures de répétition, notamment des adverbes “saintement” et
“lentement” au vers 2, qui forment une rime intérieure sur fond d’homéotéleute [utilisation à
intervalles rapprochés des mots présentant des syllabes finales identiques]. D’une manière globale, le
poème est extrêmement riche sur le plan musical, la versification servant ici à rendre compte, de
manière sensible, le rythme de la marche. Une marche volontaire et retenue à fois, hésitante mais
continuée, comme le suggère le recours à l’octosyllabe : unique mètre du poème qui contribue à
élaborer ici un tempo habilement rythmé. Les rimes croisées dominent et on retrouve même comme
aux vers 1 et 3 (“silence”, "vigilance"), des rimes riches, ce qui confère au texte une forte richesse
musicale. Cette musicalité est également exploitée par le rythme des vers même, lesquels sont
légèrement martelés, notamment par les allitérations en “p”, qui rappelle le titre(-thématique) du
poème (“pas”, “placés”, “procèdent”). Il convient peut-être de s’attarder sur ce dernier verbe, “procéder”,
qui serait à considérer dans son sens fort et actif. On le sait : chez Valéry, l'étymologie est souvent mise
au service de la poétique, ce verbe renvoie peut-être ici, conformément à son acception ancienne, à une
procession religieuse.

Transition : Le champ lexical du sacré parcourt en effet, l’ensemble du poème. Il s’épanouit


notamment dans le second quatrain, que nous allons maintenant étudier.

Second mouvement : la référence au sacré, en conformité avec le charnel (vers 5 à 8)

Dans cette strophe, le champ lexical du religieux culmine. Et dès les vers 5 et 7, un jeu
étymologique habile s’instaure entre l’adjectif “divine” et le verbe “devine”, sous forme de répétition
[par isolexisme : répétition du radical d'un mot sous une forme différente]. Situés en fin de vers, ces
termes sont employés sous forme de rime dérivative : “divine” et “devine” partageant en effet la même
racine, divinus en latin, qui signifie littéralement ce qui appartient au divin. Ces jeux étymologiques
rendent compte de l’alliance des domaines du sacré et du charnel. Le lyrisme du poème entre ici en
correspondance étroite et solidaire avec sa valeur ancienne d’incantation, valeur particulièrement bien
représentée dans les vers 5 à 8, à travers l’emploi de phrases exclamatives et de points de
suspension, caractéristiques des accents bibliques. Dans ce second quatrain, où le mystique domine, on
note également la présence de nombreux termes renfermant des connotations sacrés (notamment le
substantif “ombre” ou plus explicitement, “Dieux”). Tout se passe comme si le poète était non seulement
celui qui déchiffrait les signes alentour, mais qu’il était ici chargé de percer les mystères sacrés de
l’amour et de la création poétique.

Transition : ce double motif de l’acte amoureux et créateur est particulièrement bien représenté dans
le quatrième quatrain, que nous allons maintenant étudier. Dans ce dernier mouvement, nous verrons que
le poète reprend et renouvelle ici les topoï de l’attente sentimentale et de l’inspiration poétique, en jouant
habilement de l’union a priori contre nature de ces deux thématiques… Si bien qu’on peut se demander si
la marche ne semble pas mener au fond, tout autant vers l’être cher que vers la création poétique.

Troisième mouvement : la jonction de l’attente amoureuse et créatrice (v.9 à v.16)

Cette union est notamment suggérée par la jonction de l’abstrait et du concret, de l’érotique et
du mystique dans les deux strophes clausulaires…

La convocation des sens sur fond de synesthésie permet en effet de mêler les impressions
sensibles et les considérations intellectuelles du poète. L’ouïe est particulièrement bien suggérée par les
jeux de rime dans les deux derniers quatrains. Le goût et le toucher sont convoqués par l’évocation des
“lèvres” du “baiser” et de “la nourriture”, ce qui ouvre le poème à une forme d’érotisme. Les notations
sensuelles disent enfin l’union des corps après les plaisirs d’une attente. Mais paradoxalement,
l’emploi des termes empreints de connotations charnelles (“lèvres avancées”, “baisers”) se fait en
complémentarité avec l’évocation du sacré, de cet alliage a priori contre nature, naît un univers
harmonieux, dont les vers 9 à 16 en sont le reflet et pas le moins impressionnant.

La troisième strophe constitue en effet l’acmé, le paroxysme des “Pas”. Elle assume ici un rôle
suspensif. Elle évoque l’instant précis où l’attente culmine et la rencontre va avoir lieu. Cette
tension est tout d’abord visible par le rejet dans le dernier quatrain, de la subordonnée hypothétique du
vers 13, “Ne hâte pas cet acte tendre”. La rencontre la plus troublante a probablement lieu à ce moment
précis du poème, le vers 14 étant renvoyé dos à dos, par la reprise de l’auxiliaire “être” de part et d’autre
de l’hémistiche (“Douceur d’être et de n’être pas”). Employé à l’infinitif, ce verbe est repris [par
polyptote : emploi dans une phrase de plusieurs formes grammaticales d'un même mot] tout au long de la
dernière strophe, comme pour insister sur l’importance de l’existence, que souligne encore la présence
du verbe “vivre” dans le vers suivant. Ce jeu entre forme assertive et forme négative, étroitement reliées
par la conjonction de coordination “et”, suggère un moment hors du temps. Le paroxysme de l’attente
peut-être, où le rythme des pas se mêle désormais à celui du cœur, comme l’atteste le vers clausulaire “Et
mon cœur n’était que vos pas”.

Cette association du spirituel et du sensuel nous permet aussi, à ce stade, d’enrichir le portrait de
la figure féminine, qui par-delà, tous les visages qu’elle offre, semble toujours être dans une
forme de bienveillance. C’est ce que suggère en tout cas, l’emploi de termes empreints de connotations
maternelles à la fin du poème, notamment les substantifs “nourriture”, “tendre”, “douceur”, et les verbes
“apaiser”, “préparer”. Cette piste interprétative est également suggérée par l’emploi du pronom
personnel “vous”, dans le vers clausulaire (“Et j’ai vécu de vous attendre”), qui peut référer tout à la fois à
une femme-mère, en tout cas, une figure supérieure, qui peut être aussi bien une femme-muse ou
amante, que Paul Valéry vouevoie soudain. Notons que les déterminants possessifs “mon” et “vos” dans
le vers 16, font écho au vers liminaire et sont ici employés sous forme de chiasme, pour symboliser
l’union réalisée. La fin de l’attente est aussi soulignée par l’emploi de l’imparfait et du passé composé,
qui révèlent rétrospectivement la cause de l’excitation douce et grisante à la fois du poète.

Conclusion

Poème lyrique, “Les Pas” évoque le plaisir grisant et doux à la fois, d’une attente se nourrissant de
la tension entre deux élans a priori contre nature, mais qui sont ici inscrits dans un rapport d’analogie.
L’un conduit à la figure féminine, l’autre à la création artistique. La tension entre ces deux topoï, qui
parcourt la littérature, n’est pas rendue ici de manière conflictuelle. Au contraire, elle est source
d’harmonie dont la composante musicale du poème en est, par sa richesse, le reflet. Car si à en croire
Valéry, la poésie est “cette hésitation prolongée entre le son et la forme”, il n’en est pas moins vrai
s’agissant des “Pas”.

Vous aimerez peut-être aussi