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ANALYSE LINGUISTIQUE DE TEXTES

LITTÉRAIRES

Pour une approche linguistique des textes littéraires

 Présentation
 Actualités
 Un cours
1. Introduction
2. La phrase
3. Les compléments
4. Le verbe : la temporalité
5. Le verbe : l'aspect
6. Les déterminants
7. Les pronoms
8. Les adjectifs
9. L'adverbe
10. Les connecteurs
 Questions linguistiques
 Écrivains
 Textes et analyses
 Éléments de terminologie
 Méthodologie
 Quelques références bibliographiques
 Liens utiles
 Plan du site
 Nous contacter

Dernière mise à jour : 27 mai 2006

Un récapitulatif concernant les tests ou opérations utiles pour mettre en évidence le


fonctionnement grammatical

Informations pour les étudiants de la faculté des Lettres d'Aix.

Toutes les possibilités offertes de rendre un devoir en temps libre sont maintenant épuisées
! Les étudiants peuvent s'entraîner chez eux toutefois. Ceux qui ont choisi un autre régime
de contrôle que le contrôle continu qui impliquait la remise du devoir et qui sont donc en
"contrôle final" enverront leur demande de dispense de contrôle continu dans les meilleurs
délais à leur Professeur, Marie-Christine Hazaël-Massieux.

Le polycopié complet pour les étudiants du Télé-enseignement (CTE) est toujours en ligne
à la disposition de tous les étudiants sur Claroline (on y accède avec son nom et son
numéro d'étudiant). Il peut être imprimé.
En outre, un document pour guider les étudiants pas à pas dans la méthodologie du travail
demandé est disponible en ligne : à consommer sans modération, et en s'entraînant
véritablement à partir de sujets proposés

"L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible." (Paul Klee, Théorie de l'art moderne,
p.34)

"Peu de livres changent une vie. Quand ils la changent c'est pour toujours." (Christian
Bobin, La plus que vive)

"Les traductions sont comme les femmes. Lorsqu'elles sont belles, elles ne sont pas fidèles,
et lorsqu'elles sont fidèles elles ne sont pas belles." (T. Ben Jelloun)

"De la révolte romantique contre un discours immobilisé dans sa cérémonie, jusqu'à la


découverte mallarméenne du mot en son pouvoir impuissant, on voit bien quelle fut,
au XIXe siècle, la fonction de la littérature par rapport au mode d'être moderne du
langage. Sur le fond de ce jeu essentiel, le reste est effet ; la littérature se distingue de
plus en plus du discours d'idées et s'enferme dans une intransitivité radicale." (Michel
Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, coll. "Tel", 1966, p. 313.

"La façon dont on raconte l'Histoire contemporaine ressemble à un grand concert où l'on
présenterait d'affilée les cent trente-huit opus de Beethoven mais en jouant seulement les
huit premières mesures de chacun d'eux." (Milan Kundera, La lenteur, Folio n° 2981, p.
112)

"Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long,
immense et raisonné dérèglement de tous les sens." (Arthur Rimbaud, in Lettres du
voyant commentées par Gérald Schaeffer, Genève/Paris, Droz/Minard, 1975, p. 134).

"Il n'est pas besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu'on nous
impose aujourd'hui sous le nom d'écriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensée
; mais il faut discerner avec une extrême lucidité toutes les modifications de la valeur d'un
mot suivant la place qu'il occupe. Ayons moins de noms, de verbes et d'adjectifs aux sens
presque insaisissables, mais plus de phrases différentes, diversement construites,
ingénieusement coupées, pleines de sonorités et de rythmes savants. Efforçons-nous d'être
des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares." (Guy de
Maupassant, "Le roman", préface à Pierre et Jean).
"La beauté d'un mot ne réside pas dans l'harmonie phonétique de ses syllabes, mais
dans les associations sémantiques que sa sonorité éveille. De même qu'une note
frappée au piano est accompagnée de sons harmoniques dont on ne se rend pas
compte mais qui résonnent avec elle, de même chaque mot est entouré d'un cortège
invisible d'autres mots qui, à peine perceptibles, corésonnent." (Milan Kundera, article
"Ensevelir" dans L'Art du roman, Folio n° 2702, p. 153)

Si vous êtes convaincu de l'intérêt d'étudier linguistiquement les textes littéraires après cet
ensemble de citations, vous pouvez vous lancer dans le cours.

François Cheng, après son magnifique roman L'éternité n'est pas de trop publie un
petit opuscule Le Dialogue, sous-titré "Une passion pour la langue française" qui
mérite le détour, comme on dit dans les meilleurs guides !

"Le destin a voulu qu'à partir d'un certain moment de ma vie, je sois devenu porteur de
deux langues, chinoise et française. Était-ce tout à fait dû au destin ? A moins qu'il y
entrât tout de même une part de volonté délibérée ? Toujours est-il que j'ai tenté de
relever le défi en assumant, à ma manière les deux langues, jusqu'à en tirer les
extrêmes conséquences. Deux langues complexes, que communément on qualifie de
"grandes", chargées qu'elles sont d'histoire et de culture. Et surtout deux langues de
nature si différente qu'elles creusent entre elles le plus grand écart qu'on puisse
imaginer. [...]
Rien d'étonnant à ce que depuis lors, au cœur de mon aventure linguistique orientée
vers l'amour pour une langue adoptée, trône un thème majeur : le dialogue..."
(François Cheng, Le dialogue).

Une véritable somme à signaler à tous les passionnés de "littéraire" et à la recherche


d'informations complètes sur les différents concepts ou notions que l'on peut rencontrer :
Le dictionnaire du littéraire, préparé sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques
et Alain Viala, PUF, 2002, 634 p. Indispensable.

Ce site a été réalisé par Marie-Christine Hazaël-Massieux.

Plan du cours
Chaque chapitre du cours est précédé d'une citation qui changera régulièrement

On trouvera ici les éléments d'un cours de grammaire française. Avec cette présentation, on
veut permettre aux étudiants à l'Université (Licence de Lettres Modernes en particulier)
d'analyser la langue de textes littéraires avec précision et rigueur, afin de parvenir, par une
analyse de la forme en lien avec le contenu sémantique, à une présentation plus réelle et plus
complète du texte. Quelques textes avec proposition d'analyse sont présentés et mis ainsi en
ligne à la disposition de tous ceux que les analyses linguistiques, appliquées à des textes
littéraires, peuvent intéresser.
Principaux chapitres
Introduction

La phrase

Les compléments

Le verbe: la temporalité

Le verbe : l'aspect

Les déterminants

Les pronoms

Les adjectifs

L'adverbe

Les connecteurs

Méthodologie

Quelques tests utiles

Notices concernant les écrivains cités

Chapitre 1er : Introduction

Une citation :

"Tout énoncé, avant d'être ce fragment de langue naturelle que le linguiste s'efforce
d'analyser, est le produit d'un événement unique, son énonciation, qui suppose un
énonciateur, un destinataire, un moment et un lieu particuliers. Cet ensemble d'éléments
définit la situation d'énonciation." (D. Maingueneau, 1993, Éléments de linguistique pour
le texte littéraire p. 1).

Ce cours a pour visée de faire découvrir aux étudiants ce que l'analyse linguistique et
l'utilisation des méthodes propres à la linguistique apportent à la compréhension des textes.

Forme et contenu sont inséparables, tout particulièrement en ce qui concerne le texte littéraire,
que l'auteur a très longuement lu, relu, corrigé, pour atteindre cette subtile "hésitation
prolongée entre le son et le sens" dont parle Valéry (cf. citation ci-dessous), supprimant ici un
mot, allongeant là un syntagme, remplaçant une phrase par une autre au rythme mieux senti,
jouant des sonorités et des reprises, etc.

On rappellera quelques citations de Boileau (Art poétique, chant I) :


"Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement"
"Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l'esprit, quand l'oreille est blessée"
"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage"

On conçoit que, dans ces conditions, qui sont celles de tout auteur, et pas seulement des
auteurs classiques, l'intérêt porté à la langue d'un texte soit essentiel, et que sans une étude de
celle-ci la compréhension du texte reste limitée, même si les commentaires issus de l'histoire
littéraire ont aussi leur place.

Mais en analysant soigneusement la langue d'un texte, ne faisons-nous pas dire à une oeuvre
littéraire "autre chose" que ce que l'auteur voulait lui faire dire, car un grand écrivain n'est pas
forcément un "linguiste", et si l'on sait effectivement que Mallarmé, Valéry, prenaient un
souci quasiment obsessionnel de la langue (cf. J.P. Chausserie-Laprée [Note 1]), tous les
écrivains ne veillent pas de façon aussi explicite aux rapprochements et décryptages
linguistiques qu'on donne de leur oeuvre...

La possibilité de "lectures" sans cesse nouvelles est précisément ce qui caractérise la grande
oeuvre littéraire : on lit toujours l'Iliade, l'Odyssée, la Bible... Mais bien sûr nous ne les lisons
pas comme les contemporains... qui d'ailleurs ne les lisaient pas mais les écoutaient ! (oeuvres
de transmission orale pendant des siècles). Il nous manque d'ailleurs absolument - et quoi que
nous pensions - les références correctes pour comprendre de la même façon que les
contemporains. Par ailleurs, nous ne pouvons pas empêcher les associations qui ont
nécessairement lieu dès qu'on est un "grand" lecteur (c'est-à-dire quelqu'un qui lit beaucoup) :
plus on lit, mieux on comprend une nouvelle oeuvre, mais cela veut dire plus nous la
comprenons en fonction de notre "culture" littéraire (qui n'est pas celle des contemporains de
l'auteur), et qui d'une certaine façon est unique... Faut-il pour autant y renoncer, se faire
ignorant dans l'espoir de comprendre plus authentiquement ? Il n'y a pas d'authenticité dans ce
domaine, mais très vite des illusions. Le refus d'une compréhension plus profonde, plus
complète, mais bien sûre neuve et toujours renouvelée d'un texte, serait un projet
obscurantiste dont il convient de se méfier.

Les théories de la communication sont fondamentales pour comprendre les théories de la


réception qui soulignent le rôle actif du récepteur, en l'occurrence du lecteur. En s'inspirant du
schéma présenté par Jakobson (IVe Partie : Poétique, Essais de linguistique générale, vol. I),
on proposera une figuration de la situation de discours, qui suppose nécessairement la
présence d'un émetteur (auteur dans le cas de l’œuvre littéraire), d'un récepteur (lecteur), d'une
référence (plus ou moins commune, et donc qui peut faciliter ou gêner la communication,
permettant la connivence, ou obligeant à une grande explicitation), d'un ou de plusieurs codes
communs, d'un "contact" (volonté d'entrer en communication et de maintenir cette
communication), enfin d'un message qui passe de l'un à l'autre (discours).
De façon plus précise, on pourra dégager une méthode d'approche des textes qui impliquera
que l'on envisage :

 l'analyse de la situation implicite : qui parle, à qui, où, quand, comment, pourquoi....
 l'analyse de la construction d'ensemble du texte : réflexion sur le genre, l'organisation
des grandes articulations (plan, chapitres, paragraphes, strophes...)
 l'analyse des phrases, des choix grammaticaux de l'auteur, chargés de signification :
une réflexion grammaticale approfondie (recherche sur forme et fonctions des unités) se
révèlera indispensable : est-il indifférent de dire un "petit enfant" >< "un enfant petit", "il faut
que je vienne" >< "il me faut venir", de "situer" le texte par des adverbes, des locutions
diverses, ou à travers les temps de la conjugaison verbale, etc. ?
 l'analyse des sonorités, du rythme, des assonances, allitérations, etc. mais aussi de la
typographie, de la disposition du texte sur la page, des choix de caractères (italiques, bas de
casse ordinaires, gras... Songer aux calligrammes).

Ainsi, on comprendra les apports importants de la linguistique (= étude de la langue) à la


littérature : la linguistique n'est pas un petit jeu gratuit sans rapport avec la signification d'un
texte. L'étude de la langue, et notamment de la "grammaire" d'un texte (c'est-à-dire son
organisation, son agencement...) est indispensable à sa véritable compréhension.

Elle ne suffit certes pas (on insistera aussi sur l'intérêt, pour l'interprétation correcte d'un texte,
de l'étude de son contexte extralinguistique (historique, sociologique, géographique, etc.),
mais elle est tout à fait nécessaire. On sera ainsi confronté à une question essentielle dans le
domaine de la communication : l'énonciation est asymétrique, c'est à dire que la réception
n'est pas automatiquement conforme à ce qu'a voulu l'émetteur). Pour l'interprétation, la
situation de réception joue un grand rôle, et le "recul" du lecteur (recul historique ou
géographique) soit permet de mieux percevoir des données (rapprochements multiples) - ce
que l'auteur lui-même ou ses contemporains ou compatriotes ne pouvaient réussir -, soit risque
de dissimuler des points essentiels qui tiennent globalement à la "culture" et que l'on ne
comprend pas toujours quand on est extérieur à un pays, à ses traditions, à une époque.

La démarche est donc aussi clairement celle qui consiste à étudier "le statut pragmatique de
l'énoncé". [A ce propos, la lecture de Maingueneau, 1990, [réédition Dunod, 1992] :
Pragmatique pour le discours littéraire, est vivement recommandée (cf. une citation dans le
glossaire, article "pragmatique".]

Pour conclure provisoirement cette introduction et avant d'aller plus avant dans l'analyse de
texte, on voudrait citer cet admirable passage de François Cheng, élu tout récemment à
l'Académie française, qui résume si bien, dans son dernier roman, L'éternité n'est pas de trop
[note 11], la complexité de l’œuvre littéraire en donnant le désir d'aller plus avant dans sa
compréhension :

Extrait

François Cheng, L'éternité n'est pas de trop, Albin Michel, 2002, pp. 211-213.

[Le personnage principal, Dao-sheng, se remémore les propos du "lettré"]


- Pour exprimer la nostalgie du pays natal, si l'on dit : "J'aimerais revoir le pays", c'est direct,
mais c'est court. En revanche, lorsque le poète dit :

Les froides branches de prunus devant la fenêtre


Ont-elles fleuri quand le printemps est là ?

Il se remémore le passé, s'imagine le présent et confie son espoir en l'avenir : puisque les
branches de prunus fleurissent tous les ans, il aura la chance de les retrouver un jour. Ou
alors les retrouver ailleurs : là où fleurissent les prunus, là est le pays natal.

Afin d'exprimer une pensée pour un ami vivant au loin, si l'on dit : "Je pense à toi en cette
nuit", c'est direct, mais c'est court. En revanche, lorsque le poète dit :

Dans la montagne vide tombent les pommes de pin


L'homme lointain, lui aussi, doit être hors du sommeil.

Il se remémore les jours où il était avec l'ami et s'imagine l'heure présente où tous les deux, à
distance, partagent la même écoute, celle du bruit des pommes de pin qui tombent et qui
résonnent comme leurs cœurs battant à l'unisson.

Dao-sheng se rappelle que le poème ancien que le lettré aimait le plus, c'était celui qui
évoque une scène de séparation entre deux amants, séparation qui fait naître une union plus
haute.

La scène représente l'homme qui s'éloigne dans une barque, tandis que la femme reste sur la
rive. Le poème, un quatrain, se termine ainsi :

Sur le lac le voyageur se retourne :


Mont vert entouré de nuage blanc.

Au premier abord, on identifie volontiers le mont vert à la femme restée sur la rive, et le
nuage blanc à l'homme qui vogue vers le lointain. Une lecture plus attentive signifie qu'au
fond le mont vert, yang, pourrait désigner l'homme qui semble crier de loin : "Je pars, mais
je reste en pensée avec toi !" et que le nuage blanc, yin, pourrait, lui, désigner la femme qui
semble murmurer : "Je reste, mais mon cœur voyage avec toi." Plus en profondeur encore,
par ce dernier vers, on se rappelle une vérité éternelle : le nuage naît des entrailles du mont ;
monté dans le ciel, il se transforme en pluie, laquelle, retombant, reverdit le mont. Dans ce
mouvement circulaire, le mont porte sans cesse le nuage, et le nuage porte sans cesse le
mont. Il y a entre eux une relation constante de va-et-vient, une étreinte inextricable qui se
renouvelle sans cesse, et qu'un langage ordinaire ne parviendra pas à suggérer.

"Ne pas exprimer directement ses sentiments, parce que directement on n'y arrive pas. On en
dit bien plus par les images..."

Chapitre 2e : La phrase et ses compléments (1)

Une citation :
"Un poète est un monde enfermé dans un homme."

(Victor Hugo, La Légende des siècles)

Définitions de la phrase
Les définitions proposées de la phrase [Note 2] sont multiples et selon le point de vue adopté,
elles varient considérablement. On dira de ce fait que la définition de la phrase est l'une des
plus controversées de la grammaire. On a écrit à ce propos à peu près tout et n'importe quoi.
Pour mettre un peu d'ordre dans ces définitions multiples [Note 3], on distinguera trois types
de définitions.

1°) Les définitions par rapport à l'énonciation


Sans même s'arrêter aux définitions qui présentent la phrase comme une "unité de pensée, ou
qui évoquent une "unité de sens complet", ou encore "l'idée intuitive que l'on se fait d'une
phrase en français" (Gary-Prieur, 1985, pp. 34-35), on relèvera quelques définitions comme
celle de Bonnard (1981, p. 248) qui présente la phrase comme une "unité d'énonciation" - ce
qui ne fait que repousser le problème à l'unité d'énonciation ! ou encore celle de la Grammaire
Larousse du français contemporain (mais qui date de 1964), où les auteurs (Jean-Claude
Chevalier, Claire Blanche-Benveniste, Michel Arrivé, Jean Peytard) repartent de la définition
de Marouzeau : "La phrase. Elle répond à des critères de sens ("[Elle] est apte à représenter
pour l'auditeur l'énoncé complet d'une idée conçue par le sujet parlant" [Marouseau]) et à des
critères de forme : elle se termine par une ponctuation forte, généralement un point, et répond
à une intonation déterminée." (§ 1.2).

2°) Les définitions par rapport aux limites, aux frontières...


On voit ici évoquer les notions de "silence", de "pauses", "d'intonation" : selon les
grammaires, on trouvera que les phrases sont séparées par des pauses, se terminent par une
"intonation caractéristique", ou encore - ce qui est présenté comme une définition, dans les
grammaires scolaires, mais n'est guère qu'un "truc" pour retrouver des phrases dans un texte
déjà ponctué : "La phrase commence par une majuscule et finit par un point".

On sait très bien qu'une lecture soignée ne coupe pas un texte en phrases, ni par des pauses, ni
par des intonations répétitives. En fait l'unité de communication que nous appelons "période",
qui est d'ailleurs la seule qui permette d'analyser la langue orale, est bien différente de la
phrase, unité de langue écrite, et à vouloir confondre les deux on fait planer le plus grand flou
dans le cerveau des élèves.

3°) Les définitions de la phrase comme unité d'ordre syntagmatique, c'est-à-dire


correspondant à une structure de constituants.
Il s'agit là d'une phrase postulée : on décide d'appeler "phrase" une certaine unité ; ceci étant
posé, on construit la grammaire (ensemble de règles permettant de rendre compte de toute la
langue) qui en découle.

Dans le cadre du troisième type de définition, P. Le Goffic (1994, p. 8), définit la phrase
comme :

"cette séquence autonome dans laquelle un énonciateur (locuteur) met en relation deux
termes, un sujet et un prédicat."
Il poursuit :

"Cette définition de la phrase doit être entendue comme la définition a priori de la phrase type
: elle a le caractère d'une définition de principe (définition a priori, logique, axiomatique) :
c'est le modèle de référence, la phrase canonique. Cette définition idéalisée est d'autant plus
nécessaire que, dans leur discours effectif, les locuteurs sont loin de s'exprimer toujours par
une succession de séquences normées correspondant au moule canonique de la phrase : ils
produisent non pas des "phrases", mais des énoncés (souvent incomplets ou mal délimités)."

C'est là la définition que nous retiendrons [Note4] et à partir de laquelle, on pourra expliquer
comment on parvient aux énoncés réels que l'on trouve dans des textes : la phrase, pure
structure, se "charge" progressivement, d'abord en remplaçant la structure par des mots ou
groupes de mots de la langue. L'énoncé le plus élémentaire est constitué de "pronoms" :
l'explicitation de la référence et de la valeur de ces pronoms est laissée à la situation. Ex : "Il y
va", "il la mange" [Note 5]. Il y a alors "connivence" importante entre les participants du
discours. En l'absence de connivence, on peut expliciter dans le contexte les données
nécessaires : "Il y va" peut devenir : "Avec beaucoup de décision, le jeune homme, aux
épaules de lutteur, va carrément s'asseoir à la table de Rosalie qui manifeste sa surprise en
arrondissant les yeux qu'elle a par ailleurs fort beaux."

On est arrivé là à ce que l'on appelle traditionnellement une "phrase complexe" : les différents
"compléments" ont, chacun à leur place, apporté leur contribution pour expliciter le sens dans
le message au lieu de le "laisser à la situation".

Ce type de phrases (qui s'opposent aux phrases allusives, réduites à une structure pronominale
dont l'interprétation n'est possible que lorsque la connivence est grande entre les partenaires
du discours) est celui qui a cours lorsque les relations sont plus indéterminées entre
interlocuteurs : un conférencier qui s'adresse à un vaste public, un texte où l'on s'efforce de
tout dire pour éviter l'ambiguïté... La littérature en général, toutefois, et plus particulièrement
la poésie, ont pu préférer préserver une certaine obscurité, cultiver parfois même
l'hermétisme... les diverses techniques linguistiques mises alors en oeuvre libérant beaucoup
d'espace pour l'interprétation du récepteur. C'est sans doute d'ailleurs cette meilleure
conscience de l'ambiguïté potentielle de tout texte qui a amené progressivement à insister sur
l'importance du récepteur pour l'approche sémantique de l’œuvre d'art.

Document

Le discours littéraire est son propre référent

(textes extraits de Georges Molinié et Alain Viala, 1993, Approches de la réception PUF,
pp. 20-21)

"Le discours est son propre référent. - [...] A lire [...] superficiellement Auerbach, on a
l'impression que la vocation même de la littérature est de représenter exemplairement tel
moment de civilisation dans le devenir occidental, hellénico-judéo-chrétien. Or, nous
soutenons, pour dire les choses avec une netteté peut-être un peu sommaire, que la littérature
n'est pas représentative [...]
Le référent extra-linguistique du discours littéraire n'est rien d'autre que la production (le
résultat), l'existence de ce discours. [...]
Nous autres, lecteurs de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, devant un poème de
Mallarmé comme L'après-midi d'un faune, quel référent cherchons-nous obscurément et
spontanément, voire inconsciemment, à identifier ? Évidemment pas une histoire
mythologique, tout à fait étrangère à notre univers mental ; peut-être une fantasmagorie
fantastique ; les affres de la création littéraire ; une scène de viol transposée. Rien de sûr, en
tout cas ; ce qui seul est sûr est l'espace textuel dans lequel se développe un discours qui
crée, incontestablement, un événement mondain, par son propre déroulement, avec son jeu
langagier propre (et mystérieusement attachant). Bref, nous sommes en pragmatique pure :
le discours littéraire est totalement et exclusivement performatif - ou il n'existe pas.
Le cas est clair lorsque l'on a affaire à une tragédie classique, à un poème de Claudel comme
dans les Cinq grandes odes, ou à un roman de Claude Simon : le référent extra-linguistique
ne saurait se réduire à l'anecdote, puisqu'elle est archi-connue, ou imaginaire, ou si générale
qu'elle en devient extrêmement ténue. Et surtout, il y a un tel décalage entre ce fantôme de
référent extra-linguistique et le matériel verbal mis en oeuvre, une différence si énormément
disproportionnée que, sans même adhérer au radicalisme berrendonnérien en pragmatique
[voir Éléments de pragmatique linguistique, Paris, Minuit, 1982] on reconnaît aisément que
c'est dans la manipulation langagière elle-même, et nulle part ailleurs, que réside le substrat
référentiel. Les exemples qu'on vient d'évoquer montrent que cette théorie ne s'applique pas
plutôt à la littérature moderne qu'à la littérature plus ancienne. [...]
Reste que, par rapport à l'art littéraire véritablement grand (en faisant provisoirement
semblant de croire réglée son appréciation comme tel), on peut soutenir que, quelles que
soient les esthétiques, le discours littéraire n'y est effectivement jamais représentatif en tant
qu'il est littéraire, mais se constitue comme littéraire dans la mesure seulement où il réussit
(et c'est là le problème) à se construire comme son propre référent.
Cette autoréférence du discours littéraire, sa performativité absolue sont une des conditions
majeures de la possibilité de sa réception hors de l'univers culturel de sa naissance. Sa
significativité, sa représentativité indirecte jouent alors sur un axe de bien plus vaste portée,
et s'imposent davantage encore l'autosuffisance, la plénitude de présence qui irradient de
l’œuvre d'art comme d'un objet complet de culture."

Chapitre 3e : La phrase et ses compléments (2)

Une citation :

"La Poésie est l'expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens
mystérieux des aspects de l'existence : elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et
constitue la seule tâche spirituelle." (S. Mallarmé : Un coup de dés...)

La notion de complément
Une phrase peut fonctionner (être grammaticalement correcte) tout en étant réduite à la forme
la plus simple : par exemple un SN très réduit et un SV également très simple.
Ex. : "L'homme arrive". Il s'agit là d'une "phrase minimale".

Mais on peut également compléter cette phrase minimale, c'est-à-dire lui adjoindre des
compléments, qui sont alors
 des compléments de nom ; on obtient alors par exemple : "l'homme de San Francisco",
"l'homme brun", "l'homme qui était déjà venu ce matin"
 des compléments de verbe ; on obtient : "arrive en train dans la soirée", "arrive demain",
"arrive bientôt", "arrive avec précaution" (ou "précautionneusement" : ce qui permet de voir le
lien de telles structures avec ce que l'on appelle les "adverbes")
 ou encore des compléments de phrase ; on obtient alors : "Comme il l'avait annoncé,
l'homme arrive", "L'homme arrive dès qu'il aura fini son travail", "Tous les samedis matin
l'homme arrive dès huit heures pour vérifier les horaires de train".

Cette définition très large du "complément" n'est pas du tout contradictoire avec la définition
grammaticale traditionnelle (= "s'ajoute au verbe pour en compléter le sens"), mais l'élargit à
tous les membres de la phrase et à la phrase elle-même.

Notons qu'on parle également dans les grammaires de "complément de nom", ou de


"complément de phrase", mais qu'en raison de la présentation qui en est faite, les
élèves et les étudiants ne voient pas toujours que la fonction de ces compléments est
de compléter le nom (en ce sens les "adjectifs" sont des compléments, au même titre
que les structures toujours cités avec "de" : "rouge" dans le livre rouge" complète
autant le nom livre que "de Pierre" dans "le livre de Pierre" [dans un contexte très
particulier, dans la langue de l'Église, on rencontrerait le complément-adjectif "pétrin"
pour désigner un "privilège", au même titre qu'on a un "privilège paulin", le premier
adjectif renvoyant à Pierre, le deuxième à Paul, ces apôtres de l'Église.]

Dans un texte très stimulant J. Gardes-Tamine et M.A Pelizza rapprochent ce phénomène que
nous appelons ici "complémentation" de l'"amplification" [terme utilisé en rhétorique], qui
peut être décrite comme un phénomène qui à partir d'une proposition noyau [note 6], "charge"
progressivement cette forme de base pour constituer l'unité textuelle réelle. La phrase-noyau
ou la proposition-noyau est bâtie autour d'un verbe qui en est l'élément central : Ce verbe, en
fonction de son lexique, appelle un certain nombre d'unités, qui lui sont indispensables sur le
plan syntaxique comme sur le plan sémantique. C'est ce que l'on appelle la valence du verbe.
(J. Gardes-Tamine et M.A. Pelizza, 1998, p. 12).

Document

2. L'amplification

2.1. Définition
Si les éléments qui définissent la proposition noyau sont de nature fondamentalement
syntaxique, il n'en va pas de même pour ceux qui vont construire l'unité de base de l'énoncé,
ce qu'on conviendra d'appeler l'unité textuelle. Pour souligner ce qui caractérise la
démarche choisie dans ce manuel, qui est de faire passer des unités grammaticales au texte,
et en particulier au texte écrit littéraire, on préférera dorénavant la terminologie d'unité
textuelle à celle de phrase. Si la phrase, en effet, est l'unité ultime de la description
grammaticale, l'unité textuelle, elle, est l'unité minimale du texte. Elle se combine en
paragraphes, ou en strophes dans le cas de la poésie versifiée, qui eux-mêmes s'enchaînent
pour donner naissance à un texte. Nous allons donc sortir du domaine proprement
grammatical, où plutôt nous entrons dans un secteur où les phénomènes grammaticaux,
décrits comme tels, sont placés dans une perspective plus large qui leur donne tout leur sens
comme unités de construction des textes.
On ne doit donc pas être étonné de trouver ici un terme comme celui d'amplification qui
appartient à la tradition rhétorique. Dans ce cadre, l'amplification désigne le mode par lequel
une production discursive est développée pour rassembler le plus grand nombre d'idées
possibles en liaison avec son sujet. Elle peut aussi consister à orner le style, et elle a à voir
avec la copia, l'abondance verbale. Dans ce passage de Racine où Bérénice déplore sa
séparation prochaine d'avec Titus :

Pour jamais ! Ah Seigneur, songez-vous en vous-même


Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?"

les trois derniers vers ne font que répéter ce que disaient les précédents. On a là affaire à un
développement qui rend plus fort le pathétique de la scène et plus douloureuse la plainte de
la reine. Ici, l'amplification joue sur plusieurs séquences textuelles, mais elle peut aussi jouer
à l'intérieur d'une phrase, et c'est ce que nous allons examiner.

On notera que ces compléments, quels qu'ils soient, épithètes, compléments circonstanciels,
etc. jouent un rôle sémantique identique : ils servent à expliciter à travers le contexte
linguistique (Molinié dans sa définition de l'amplification évoque bien ce qu'il appelle la
"spécification") ce qui pourrait, dans d'autres circonstances, être laissé à l'implicite de la
situation. On peut choisir de dire "Ce garçon m'embête", "Ce grand garçon m'embête", "Ce
grand garçon m'embête tous les jours dans la cour de récréation, "Ce grand garçon de 4eB
m'embête tous les jours dans la cour de récréation, lorsque nous sortons de la musique", etc.

Les auteurs d’œuvres littéraires ont parfois cultivé un style dépouillé en essayant d'écrire
uniquement (ou presque uniquement : car il est très difficile d'écrire longuement ainsi) avec
des propositions noyaux, en évitant au maximum l'amplification. On donnera quelques
exemples :

"Les pleurs la réveillent. Elle vous regarde. Elle regarde la chambre. Et de nouveau elle vous
regarde. Elle caresse votre main." (Marguerite Duras, La maladie de la mort)

Ou encore - bien qu'un peu moins systématiquement (on soulignera ce qui ne relève pas de la
proposition noyau et qui est déjà amplification, dans le texte suivant) :

"Je suis descendu acheter un pain et des pâtes, j'ai fait ma cuisine et j'ai mangé debout. J'ai
voulu fumer une cigarette à la fenêtre, mais l'air avait fraîchi et j'ai eu un peu froid. J'ai fermé
mes fenêtres et en revenant j'ai vu dans la glace un bout de table où ma lampe à alcool
voisinait avec des morceaux de pain. J'ai pensé que c'était toujours un dimanche de tiré, que
maman était maintenant enterrée, que j'allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n'y
avait rien de changé." (Albert Camus, L'étranger)

En ce qui concerne la construction d'un texte, la distinction entre proposition noyau et


éléments d'amplification (compléments divers) ne suffit pas pour expliquer tous les faits. On
devrait parler aussi du traitement de l'information en examinant la question de la focalisation
et de l'emphase, mais également celle des modalités, suivant en cela J. Gardes-Tamine et
M.A. Pelizza (ouvrage cité, pp. 22-26.

Divers types de "compléments"


Les compléments comme éléments qui complètent la phrase-noyau, qui explicitent la situation
dans le discours, la transformant en contexte, peuvent être de divers types, peuvent concerner
aussi bien le SN que le SV ou que la phrase elle-même.

Ainsi les principaux "compléments de nom" sont (ici soulignés dans les syntagmes nominaux)

1. les "adjectifs" divers : "cet homme blond...", "une affaire ennuyeuse", "l'arrivée
impromptue de Pierre...", parmi lesquels il faudrait inclure le "substantif épithète" selon
l'expression retenue par Michèle Noailly [note 8] : "une lessive miracle", "une robe Dior",
etc. : ces éléments sont en fait des "compléments directs" du Nom, par opposition aux
éléments de la 3e catégorie qui sont des "compléments indirects".
2. les groupes relatifs : "cet homme que j'avais connu il y a six ans...", "une affaire qui
me contrarie beaucoup", "l'arrivée de Pierre que je n'avais pas prévue..."
3. les groupes prépositionnels (compléments indirects du Nom) : "une tasse à café, "une
affaire en or", "l'arrivée impromptue de Pierre..."

Chapitre 4e : Le verbe : temps et aspect (1)

Une citation :

"J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un
observateur : il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et
visionnaire passionné"

Baudelaire

La temporalité et les temps de la conjugaison


Il convient de distinguer très soigneusement les divers sens du mot "temps" : en particulier
nous distinguerons ce que l'on appelle les "temps de la conjugaison" ("présent", "passé
composé", "imparfait", etc.) de l'axe de la temporalité, qui nous permet de mettre en contraste
un passé, un présent et un futur, mais ce passé, ce présent et ce futur peuvent être exprimés de
bien des façons et pas toujours d'ailleurs en utilisant les "temps de la conjugaison" : je peux
parfaitement indiquer le passé en disant "Hier", "Il y a six mois", à tel point que lorsque ces
indications temporelles sont données par adverbes ou locutions adverbiales, je peux même ne
pas utiliser un "temps" du passé : Ex. : "Hier, je me lève, que vois-je ?..." De même pour le
futur : "Demain, je pars pour Paris".

Les prétendus "temps du passé" dans la conjugaison n'expriment d'ailleurs pas toujours le
passé, - et on perçoit tout de suite les limites du classement proposé en "temps de la
conjugaison" pour le français qui correspondent certainement plus à l'organisation du verbe
latin ou grec, qu'à l'organisation du verbe français, dont la morphologie est réduite (par
rapport à la morphologie latine ou grecque). On a pris depuis longtemps l'habitude d'exprimer
les rapports temporels (ou aspectuels) à l'aide de périphrases fort diverses : "je suis en train de
manger", "j'ai fini de travailler", "je vais travailler", "je peux lire", etc.". Quant aux temps du
futur (appelés "futur simple" et "futur périphrastique" ou "futur 1" et "futur 2" dans les
grammaires scolaires) en fait leur distinction - nous le verrons ci-dessous, implique surtout
des rapports de "défini" à "indéfini" plutôt que ce que l'on essaye d'expliquer quand on dit que
le premier marque des événements éloignés, et le second des événements proches.

On rappellera par ailleurs que bien des formes verbales théoriques ne sont plus réellement
utilisées (sont défectives) : c'est le cas à peu près totalement de l'imparfait du subjonctif, mais
également très largement du passé simple aux premières et deuxièmes personnes : qui oserait
dire : nous arrivâmes, nous sortîmes, et vous bûtes... ? On verra en revanche que le passé
simple aux 3e personnes restent très utilisés (c'est la base même du récit). On citera à titre
documentaire l'opinion (très intéressante et très pragmatique) d'André Gide concernant
l'imparfait du subjonctif (texte extrait d'Incidences, p. 76, Lettre ouverte à P. Souday, dans le
Temps du 25 octobre 1923) :

"On risque de tout perdre en voulant trop exiger. Il importe que la langue écrite ne s'éloigne
pas trop de la langue parlée ; c'est le plus sûr moyen d'obtenir que la langue parlée ne se
sépare pas trop de la langue écrite. J'estime qu'il est vain, qu'il est dangereux, de se
cramponner à des tournures et à des significations tombées en désuétude, et que céder un peu
permet de résister beaucoup. Considérez l'aventure du subjonctif : quand la règle est trop
incommode, on passe outre. L'enfant dit : tu voulais que je vienne, ou : que j'aille, et il a
raison. Il sait bien qu'en disant : tu voulais que je vinsse, ou : que j'allasse, ainsi que son
maître, hier encore, le lui enseignait, il va se faire rire au nez par ses camarades, ce qui lui
paraît beaucoup plus grave que de commettre un solécisme. Que ne réserve-t-on l'imparfait
du subjonctif au service du plus-que-parfait et du conditionnel passé (il avait voulu, ou il
aurait voulu que je vinsse, que j'allasse) moins fréquent, et, partant, à la suite duquel il
paraîtra plus naturel ? C'est le moyen de le sauver. - Pour quelques temps du moins. Car le
subjonctif, si élégant qu'il soit, qu'il puisse être, est appelé, je le crains, à disparaître de notre
langue, comme il a déjà disparu de la langue anglaise - plus expéditive et prête à prendre les
devants, mais dont le français tend à se rapprocher de plus en plus. Certains le déplorent ; et
moi aussi, sans doute ; mais cela vaut tout de même mieux que de voir notre langue se
scléroser..."

Ainsi donc les "temps de la conjugaison" avec leurs désinences (très peu variées pour les
verbes les plus fréquents, c'est-à-dire les verbes du premier groupe) n'expriment pas seuls la
temporalité : on recourt à du lexique, à des périphrases pour indiquer le moment où se situe le
procès ; souvent d'ailleurs les désinences expriment autre chose que le temps mais des
"aspects" (voir définition ci-dessous). Ainsi l'imparfait est d'abord chargé de marquer la durée
("Je travaillais quand il est arrivé), mais également l'irréel ("Un peu plus je tombais !"). Le
passé composé, qui peut indiquer le passé par rapport au présent du locuteur : "J'ai travaillé ce
matin, maintenant je suis en train de partir pour Paris", indique aussi très souvent un
"accompli" ("Il a lu le dernier Goncourt"). Dans le premier cas, il peut être - moyennant un
certain changement de perspective - remplacé par un passé simple, mais pas dans le second
cas. Ce test du remplacement pourra d'ailleurs se révéler très utile pour déterminer la valeur
exacte des "passés composés" d'un texte.

On verra d'ailleurs aussi que si les désinences verbales (des temps de la conjugaison) peuvent
indiquer des aspects (duratif, irréel, accompli...), elles ne sont pas seules à exprimer l'aspect,
mais qu'on recourt également au lexique, à des périphrases variées.

Temps du discours et temps du récit


C'est à Emile Benveniste que l'on doit cette distinction en "temps du discours" / "temps du
récit" qui permet de classer les temps de la conjugaison selon leur rôle et leur usage réel dans
le discours contemporain.

Document

Extrait de Problèmes de linguistique générale, pp. 241-243 :

"Nous avons, par contraste, situé d'avance le plan du discours [...] La distinction que nous
faisons entre récit historique et discours ne coïncide [...] nullement avec celle entre langue
écrite et langue parlée. L'énonciation historique est réservée aujourd'hui à la langue écrite.
Mais le discours est écrit autant que parlé. Dans la pratique on passe de l'un à l'autre
instantanément. Chaque fois qu'au sein d'un récit historique apparaît un discours, quand
l'historien par exemple reproduit les paroles d'un personnage ou qu'il intervient lui-même
pour juger les événements rapportés, on passe à un autre système temporel, celui du
discours. Le propre du langage est de permettre ces transferts instantanés. [...]
Par le choix des temps du verbe, le discours se distingue nettement du récit historique. Le
discours emploie librement toutes les formes personnelles du verbe, aussi bien je/tu que il.
Explicite ou non, la relation de personne est présente partout. De ce fait, la "3e personne" n'a
pas la même valeur que dans le récit historique. Dans celui-ci, le narrateur n'intervenant pas,
la 3e personne ne s'oppose à aucune autre, elle est au vrai une absence de personne. Mais
dans le discours un locuteur oppose une non-personne il à une personne je/tu. De même le
registre des temps verbaux est bien plus large dans le discours : en fait tous les temps sont
possibles, sauf un, l'aoriste, banni aujourd'hui de ce plan d'énonciation alors qu'il est la
forme typique de l'histoire. il faut surtout souligner les trois temps fondamentaux du
discours : présent, futur, et parfait, tous les trois exclus du récit historique (sauf le plus-que-
parfait). Commune aux deux plans est l'imparfait."

Ex. de texte aux temps du récit :

"Napoléon était né en Corse ; il combattit dans toute l'Europe car il était ambitieux ; il devait
mourir à Sainte-Hélène."

Ex ce texte aux temps du discours :

"J'ai pris mon petit déjeuner très tôt ce matin, je suis maintenant fatigué ; il me faudra
rapidement faire une pause : j'irai au bistrot du coin prendre un café."

Chapitre 5e : Le verbe : temps et aspect (2)


Une citation :

"Il savait son métier, celui-là. Il savait faire un tocsin rien qu'avec des mots ; une fanfare,
avec des rimes, un bourdon, rien qu'avec des rythmes".

(Péguy à propos de V. Hugo et des Châtiments)

L'aspect
L'aspect, comme le temps, n'est pas exclusivement exprimé par les désinences verbales : on
peut même dire qu'en français, le plus souvent, il est exprimé par d'autres moyens, même si
les "temps de la conjugaison" sont aussi chargés d'exprimer l'aspect - ce qui fait que l'on a pu
prétendre - abusivement - que le français était une "langue à temps" par opposition à d'autres
langues du monde - par exemple certaines langues africaines - qui seraient des "langues à
aspect". Lorsque l'on tente de faire cette opposition abusive, c'est parce que l'on ne se fonde
que sur la morphologie verbale, en oubliant - ce que nous venons de montrer déjà pour le
temps - qu'une langue comme le français, qui a progressivement évacué la morphologie qui
était encore le fait du latin, recourt de plus en plus à d'autres moyens (périphrases, adverbes,
etc.) pour exprimer temps et aspects. Si l'imparfait par exemple sert souvent, par opposition
au passé simple ou au passé composé, à manifester la durée, si le passé composé a souvent,
une valeur d'accompli, avant d'être un moyen pour exprimer le passé, etc. beaucoup de
périphrases verbales, et beaucoup d'adverbes (compléments de verbe ou compléments de
phrase), sont le lieu de manifestation de l'aspect.

Notons d'ailleurs aussi que certains suffixes ou certains préfixes ajoutés au verbe
peuvent manifester des aspects : "sautiller" est itératif par rapport à "sauter", "redire"
ou "rejouer" répétitif par rapport à "dire" ou "jouer".

Ainsi "je suis en train de" indique la durée ou l'aspect continuatif, le présent seul pouvant
prendre de fait de très nombreuses valeurs : "j'écris" pouvant aussi bien signifier "je suis en
train d'écrire au moment où je parle", ou bien "j'écris tout le temps", c'est-à-dire "je suis
écrivain", ou encore que dans un futur imminent je vais écrire (cf. "j'écris ma lettre et je te
rejoins"), etc. De la même façon "je me mets à écrire" indique clairement un aspect inchoatif",
etc.

Les adverbes ou locutions adverbiales ("longtemps", "souvent", "tous les jours"...) expriment
selon les contextes le continuatif ou l'itératif par exemple, comme "hier" exprime le temps
dans "Hier j'arrive devant le cinéma, que vois-je ?...".

Parmi tous les aspects qui peuvent être exprimés dans la phrase et qui se manifestent de façon
très diverses, le premier qui correspond en français à une "valeur de base" porté par la base
verbale, par le "mot" verbe, le "verbe à l'infinitf" (comme dit Bonnard) avant toute mise en
texte, est ce que l'on appelle l'aspect perfectif/imperfectif. L'aspect imperfectif appliqué à une
action l'envisage dans son déroulement ; elle est présentée comme inachevée ; l'aspect
perfectif la montre déjà achevée en même temps que commencée ; plus exactement on
pourrait dire qu'elle est envisagée comme purement ponctuelle. Ainsi "voyager" (imperfectif)
s'oppose à "saisir" (perfectif).

On pourra ainsi s'habituer à classer les verbes français avant leur mise en contexte, qui peut
complètement changer leur valeur : un verbe perfectif peut, lorsque l'on utilise des outils
divers appropriés prendre en contexte une valeur imperfective. On réfléchira à ces exemples :
"Mourir" >< "se mourir" "ouvrir" >< "être en train d'ouvrir".

Document

L'aspect "imperfectif / perfectif"

imperfectif perfectif

voyager partir
vivre mourir
chercher trouver
dormir bondir
être assis s'asseoir
manger avaler
tâtonner saisir

Le contexte peut tantôt annuler la valeur de base, et peut tantôt la renforcer. Ex. :

 "Il passe son temps à voyager", "Il n'arrête pas de voyager" : le sens imperfectif du
verbe est en quelque sorte prolongé, renforcé par les marques de continuatif ou d'itératif
 "Il n'en finit pas de mourir" : ici l'énoncé devient imperfectif, duratif... malgré la
valeur de base du verbe "mourir"
 "boire" dans "boire un verre de vin" est certes imperfectif, mais "il boit", sans
complément devient au moins itératif !

On comprendra mieux ainsi les exemples de Bonnard,

Pendant une heure il a dormi


Pendant une heure il a demandé à boire

qui montrent clairement que le passé composé utilisé dans les deux phrases, ainsi que la
locution adverbiale ("pendant une heure") qui ne varie pas, ne sont pour rien dans l'expression
réelle de l'aspect (continuatif en 1), itératif en 2). C'est ici la valeur de base du verbe qui est
décisive : le premier (dormir) étant imperfectif, le deuxième (demander) étant perfectif.

Viendront donc ensuite comme aspects donnés par le contexte :

 continuatif / non continuatif


 itératif / non itératif
 semelfactif / non semelfactif
 inchoatif / non inchoatif
 terminatif / non terminatif
 imitatif / non limitatif ...

Quelques exemples :
"Pierre se met à manger" (inchoatif)
"Le Parlement siégea pendant l'été 1987" (limitatif : le procès est compris dans les limites de
l'été))
"Le Parlement siégeait pendant l'été 1987" (non limitatif : le Parlement siège avant et après
l'été)
"Il va ramasser des champignons chaque semaine", "A chaque instant il réclame sa gomme"
(itératif)

Chapitre 6e : Les déterminants

Une citation :

"... il n'y a ni beaux ni vilains sujets et on pourrait presque établir comme un axiome, en se
plaçant au point de vue de l'art pur, qu'il n'y en a aucun, le style étant à lui seul une
manière absolue de voir les choses."

Flaubert

En français, le nom est identifié principalement par la présence d'un déterminant : "le
commencement", "un garçon", "le boire et le manger", "son arrivée", "mon rouge préféré"...
On notera toutefois que les noms propres sont "auto-déterminés" et ne prennent donc
généralement pas de déterminant : "Monsieur Dupont", "Pierre"... Certaines structures sont
également suffisamment actualisées dans le discours par des marques diverses pour pouvoir
fonctionner sans déterminants : c'est le cas des pluriels pris dans une énumération en français
contemporain "Feuilles, déchets, bouteilles en plastique, tout s'envolait dans la ville envahie
par le vent". C'était le cas de plus nombreuses structures en français plus ancien dont les
proverbes ou dictons ont conservé la trace : "Pierre qui roule n'amasse pas mousse" : notons
qu'ici c'est la relative déterminative qui permet l'actualisation du nom en l'absence de tout
article ; on ne pourrait dire "Pierre n'amasse pas mousse", sans penser immédiatement à un
nom propre ! [note 7].

On distingue traditionnellement :

 les déterminants définis


 les déterminants indéfinis
 les déterminants possessifs
 les déterminants démonstratifs
 les déterminants numéraux

(ces "déterminants" nommés ainsi par un terme qui indique la fonction, sont parfois appelés
aussi "articles", terme qui dès lors ne fait plus allusion qu'à la petite taille de ces mots : article,
qui vient du latin articulum veut dire "petite partie").
On fera attention à ne pas confondre les déterminants et les pronoms, petites parties
du discours dont les fonctions sont complètement différentes : le déterminant
fonctionne toujours avec un nom qu'il détermine, le pronom fonctionne à la place du
déterminant et du nom qu'il remplace :
Ex. "mon livre" : "mon est un article possessif ; "le mien est plus beau que le tien" :
"le mien" et "le tien" sont des pronoms possessifs remplaçant "mon livre" ou "ton
livre".
"cette table est ronde, celle-ci est carrée" : "cette" est un déterminant démonstratif,
"celle-ci" est un pronom démonstratif.
"le garçon mange une pomme" : "le" est un déterminant défini" ; "le garçon la mange"
: "la" est un pronom.

Les déterminants définis


L'article défini peut recevoir une interprétation générique :

"La femme est l'égal de l'homme"

ou une interprétation spécifique :

"La femme tenait un livre dans sa main" (la femme dont on parle et non pas la femme en
général)

Cet usage spécifique peut être confirmé, renforcé par le recours à des compléments du nom
qui précisent davantage la spécificité voire l'unicité du référent :

"La femme de Pierre tenait un livre dans sa main"

Le déterminant défini varie en genre et en nombre avec le Nom, coeur du GN (Groupe


Nominal) qu'il détermine :

Le livre
La table
Les bouteilles

Dans un texte, la situation et le contexte jouent chacun à leur façon et, parfois, chacun à leur
tour, un rôle dans l'identification du référent :

"Passe-moi le livre" (identification situationnelle)

"Arrivèrent un homme et une femme. La femme tenait un livre dans sa main"


(identification contextuelle).

Les déterminants indéfinis


Cette catégorie de la grammaire traditionnelle est souvent très hétérogène. La principale
distinction qu'il convient d'opérer parmi les déterminants indéfinis est toutefois celle qui
permet d'opposer des quantificateurs (le plus nombreux) et des qualificateurs.

Le premier indéfini que l'on cite généralement est "un/une" (dont le pluriel se fait en
"des"/"de" selon le contexte) :

Un garçon, une fille, des enfants, de gentils enfants..."

Les autres quantificateurs peuvent être classés ainsi, selon qu'ils n'admettent pas ou peuvent
admettre d'être précédés d'un autre déterminant (le, un...) :

 En 1 les définis qui commutent avec "le" ou "un". Ex. "aucun homme" et non pas *"un
aucun homme".
 En 2 les définis qui peuvent apparaître après "un" ou "le", mais également seuls. On
peut avoir aussi bien "quelques hommes" que "les quelques hommes..." - avec bien sûr
une valeur différente.

En fonction de leur singularité/pluralité variable on les classe généralement de la façon


suivante (la liste des indéfinis ici ne prétend pas être exhaustive : ces exemples sont donnés à
titre indicatif) :

Ensemble vide Singularité Pluralité Totalité Distributif


aucun plusieurs
quelque
type 1 pas un certain(e)(s) tout(e) chaque
n'importe quel
nul maint(e)(s)
quelques
type 2 -- certain divers -- --
différents

Les indéfinis non quantificateurs (ou qualificateurs) sont essentiellement "même", "autre" et
"tel" qui s'emploient ou bien avec "un" ou "le", ou bien seuls devant un nom :

"Telle personne"/"Une telle personne" ; "même nouvelle"/"la même nouvelle" ; "tel


homme"/"un tel homme"

Les déterminants possessifs


Ce sont des marques personnelles qui accompagnent le nom, indiquant par là que le nom ainsi
déterminé concerne une personne évoquée (soulignant parfois l'appartenance par exemple,
quand il s'agit d'un objet) :

"Mon livre", "mon travail actuel"


"Ton cousin", "ton patron"
"Sa robe", "son organisation"
"Nos aventures", "nos dernières vacances"
"Vos attributions nouvelles"
"Leurs affaires"
On comprend bien que le terme d'"appartenance" ou de "possession", souvent utilisés, ne sont
pas toujours heureux, car si à proprement parler une robe peut appartenir à quelqu'un (ou tout
objet concret), c'est plus difficile à dire d'"attributions" ou de l'organisation du temps, ainsi
que de toute donnée abstraite ! De même, lorsqu'il y a des relations personnelles (que ce soit
d'ordre familial, ou concernant des rapports sociaux), ce n'est pas exactement une
"possession" qui est en cause : "ton cousin", "ton patron"... C'est pourquoi nous préférerons
dire que le nom ainsi déterminé par un possessif "relève de la personne", ou "concerne la
personne" évoquée. Il marque des "relations" (qui n'est qu'accidentellement de possession ou
d'appartenance).

Les déterminants possessifs s'accordent en genre et en nombre avec le nom qu'ils déterminent.

Chapitre 7e : Les pronoms

Une citation :

"Une anaphore fidèle se définit comme une reprise lexico-syntaxique de l'antécédent avec
simple changement de déterminant : "Un chien... Ce chien..." L'anaphore est infidèle quand
l'anaphorique est lexicalement différent de l'anaphorisé : "Un chien... L'animal..." L'anaphore
est dite conceptuelle ou encore résomptive quand l'expression anaphorique condense ou
résume le contenu de l'antécédent, celui-ci étant alors constitué d'un syntagme étendu ou d'une
phrase : "Les footballeurs français ont battu les brésiliens. Cette victoire les a faits champions
du monde"."

Dictionnaire d'analyse du discours sous la direction de patrick Charaudeau et Dominique


Maingueneau, Seuil, 2002, p. 49

Pronoms et déterminants
On commencera par citer une mise au point de Dominique Maingueneau :

"La catégorie des pronoms est faussement évidente. Elle recouvre des fonctionnements
sémantiques très variés : pronoms substituts, embrayeurs personnels, pronoms autonomes.
On divise traditionnellement les pronoms en diverses classes (possessifs, indéfinis...), qui
correspondent systématiquement à diverses classes de déterminants et qui posent chacune
des problèmes spécifiques. Cette hétérogénéité se retrouve dans la variation morphologique
des pronoms." (Précis de grammaire pour les concours, 2001, p. 265)

Effectivement, il convient, malgré des formes parfois identiques, de bien distinguer


déterminants et pronoms.

Document
Déterminants Pronoms
Définis Personnels
(le la, les) (il, le lui...)
Démonstratifs Démonstratifs
(Ce, cette, ces) (celui-ci, ceci...)
Possessifs Possessifs
(mon, ton...) (le mien, le tien...)
Indéfinis Indéfinis
(un, plusieurs...) (plusieurs, quelques-uns...)
Relatifs (archaïque) Relatif
(lequel homme) (qui, auquel...)
Interrogatif Interrogatif
(quel homme ?) (lequel ? qui ?)

[Tableau également extrait de Maingueneau, 2001, p. 266]

Pronoms anaphoriques et pronoms déictiques


On distinguera encore soigneusement les pronoms anaphoriques (représentants) et les
pronoms déictiques (dits aussi "nominaux"), en les classant dans ces catégories selon leur
rapport au contexte ou à la situation :

situation contexte
[appelée encore "contexte extra- [appelé encore "contexte
linguistique"] linguistique"]
déictiques anaphoriques
nominaux représentants
renvoient à un élément renvoient à un élément du
situationnel contexte :
"je, tu, personne, rien..." "il, elle,..."

Attention : ce n'est pas la forme du pronom qui permet de le classer comme nominal ou
comme représentant ; les phénomènes d'homonymie sont fréquents, ou, si l'on préfère, on dira
que bien des pronoms peuvent être tantôt nominaux, tantôt représentants :

Exemple :
"Chacun pour soi" (nominal)
"Une colonne d'homme en armes est arrivée ; chacun portait un bouclier" (représentant)

Question de genre et de nombre


L'accord en genre se fait surtout dans les représentants, quand les pronoms renvoient à un
nom ou groupe nominal :
Exemple :
"Une femme est entrée : elle portait un grand sac noir".
"Un homme est arrivé : il semblait fatigué"

En français, les nominaux : "je", "tu", "me", "moi", etc. ne prennent aucune marque de genre,
mais l'accord se fait avec le sexe des animés :

Exemple :
"Vous êtes intelligentes, mesdames"
"Tu es belle ce matin"

Les pronoms personnels


Ils prennent des formes diverses selon leur fonction. Ils connaissent également pour certains
une variation en genre, en nombre, en personne. Nous avons évoqué déjà l'opposition
fondamentale entre 1e et 2e personne d'une part, et 3e personne (appelée "non-personne" par
E. Benveniste) d'autre part.

Ces différences sont à la fois d'ordre référentiel, morphologique et syntaxique :

pronoms 1ère et 2e personne pronoms 3e personne


référentiel je, tu (situation) il, elle (contexte)
- pas de variation en genre ;
- les 1e et 2e personnes dites du
- variation en genre : il /
pluriel, ne sont pas de
elle (sujet), le / la
véritables pluriels de "je" et
(complément) ;
"tu" ; "nous n'est pas constitué
- variation en nombre : ils /
de plusieurs "je", mais d'un "je"
elles, les, leur...
plus un ou plusieurs "tu", d'un
"je" plus un ou plusieurs "il"
morphologique (ils)

- deux formes pour le


clitique : il le voit / il lui
parle (seule la 3e personne
- une seule forme pour le
distingue un pronom pour
clitique : il me voit / il me parle
le complément direct et un
pronom pour le
complément indirect)
lorsque l'on a un verbe à deux
compléments, l'ordre des
l'ordre des clitiques est :
syntaxique clitiques est :
"il le lui donne" (CD - CI)
il me le donne / il te le donne
(CI - CD)

On distinguera encore formes conjointes et formes disjointes :


Document

L'opposition des formes conjointes et disjointes

"Les formes conjointes sont liées au verbe de façon étroite : elles ne peuvent en être séparées
que par une autre forme conjointe, les éléments en et y (assimilables aux formes conjointes,
voir plus bas), enfin l'élément ne dans le cas des formes de cas sujet : Je ne l'y vois pas ;
donne-la-lui.
Inversement les formes disjointes sont séparées du verbe par une pause ou une préposition.
Elles sont toujours susceptibles d'être remplacées par un nom propre : lui (Pierre), il
travaille; ils se moquent de lui (Pierre), etc. Toutefois, moi et toi ne peuvent, compte tenu de
leur statut spécifique (voir plus haut), être remplacés par un nom propre. En revanche, ils
admettent l'apposition d'un nom propre : moi (toi), Pierre.

(extrait de Arrivé, Gadet, Galmiche, 1986, p. 498-499)

Le pronom "on" peut, dans des conditions particulières, servir de substitut à tous les pronoms.
Il est surtout fréquemment utilisé comme substitut de "nous" (NB que "nous" reste la forme
tonique unique dans tous les cas de détachement) :

Exemple :
"On est allé en promenade"
"Nous, on ne sait pas faire ça"

Un tableau résumera quelques exemples :

1ère
"En publiant ce livre, on voudrait montrer..." (forme de modestie)
pers.
"Alors, mon petit, on a bien déjeuné ?" (forme dite hypocoristique :
2e pers.
qui exprime une intention affectueuse)
"On m'a volé mon parapluie" (pour éviter une désignation trop
3e pers.
précise)
"On est allé en promenade, on a vu un cheval..." (de plus en plus
4e pers.
fréquent à l'oral, le "on" remplace partout le "nous"(1))
5e pers. "On a bien travaillé ! (pour "vous avez...") je suis satisfait de vous."
6e pers. "C'est Mozart qu'on assassine", "On a encore augmenté les impôts"

Un tableau pour classer les indéfinis


Aucun tableau n'est vraiment satisfaisant car la catégorie des "indéfinis" et fort peu
homogène. Classiquement, on les représente selon un tableau de ce type, en reprenant
l'opposition "nominaux/représentants" déjà présentée plus haut :

Ensemble vide Singularité Pluralité Totalité Distributif


nominaux personne quelqu'une quelques-un(e)s tout le monde chacun
nul n'importe qui certain(e)(s) tout
rien quelque chose
quelques-un(es)
aucun(e)
(l')un(e) les un(es)
représentants nul(le) tous (toutes) chacun(e)
n'importe lequel certain(es)
pas un(e)
plusieurs

[Ce tableau est inspiré du tableau proposé par Arrivé, Gadet, Galmiche, 1986, mais n'est pas
identique, de même que le tableau que nous avons présenté pour les déterminants indéfinis.]

Et les "pronoms adverbiaux" ?


Il existe également des susbstituts d'adverbes ou de circonstants (compléments de verbe ou de
phrase). On les appelle parfois "pronoms adverbiaux" (cf. Arrivé, Gadet, Galmiche, 1986, p.
500) [on devrait peut-être dire des "pro-adverbes !]. De fait, on distinguera deux catégories à
nouveau comme pour les pronoms :
- des formes conjointes : ce sont celles que classiquement on appelle "pronoms adverbiaux" :
en et y. "En" remplace les formes introduites par "de" :

"Je viens de Paris" : "J'en viens"


"Il se souvient de cette aventure étonnante ; il s'en souviendra longtemps"

"Y" remplace les formes introduites par "à" :

"Je vais à Paris" : "J'y vais"


"A cette nouvelle exposition... j'y vais tout de suite."

- des formes disjointes : ce sont des formes substituts, mais plus "pleines" de sens que les
stricts pronoms : on citera : "Ce jour-là", qui renvoie par exemple à "Le 25 février 1808", déjà
présent dans le contexte, "là", "là-bas", etc. On citera : "là, il vit celui qu'il attendait", qui
renvoie par exemple à "Dans la forêt, au pied d'un chêne...".

(1) Quand on tente d'"écrire" ces formes bien réelles, la question de l'accord est posé et on
voit de plus en plus chez les auteurs qui les utilisent : "on est allés en promenade", "on est
arrivés au parc", voire "on est arrivées au parc", s'il s'agit exclusivement de femmes. Lorsque
les marques sont aussi phoniques, et non pas seulement graphiques, on note indéniablement
que l'accord au féminin s'entend et qu'il est une "évidence" pour le locuteur natif. Ex. suggéré
par un correspondant :
Q."- Vous venez au foot ce soir les filles ?"
R."- Non on ne peut pas. On est prises."

Chapitre 8e : Les adjectifs


Une citation :

"Sans doute le rougeoyant septuor différait singulièrement de la blanche sonate..." (Proust, La


prisonnière)

La catégorie de l'adjectif en français n'est guère identifiable morphologiquement, même si


certains adjectifs (mais pas tous) continuent à s'accorder en genre et en nombre avec le nom
qu'ils déterminent (définition classique). Les adjectifs sont de formes très diverses (bon/bonne
; rouge, vert/verte ; agréable, incompréhensible, adorable, soluble...), ne s'accordent pas
toujours (cf. une robe marron, une robe vert bouteille) ; des substantifs servent fréquemment
d'"adjectifs" (peuvent avoir une fonction d'épithète comme le souligne M. Noailly lorsqu'ils
sont postposés au nom-noyau du SN) ; en outre des groupes prépositionnels, des relatives,
tiennent effectivement lieu d'"adjectifs", c'est-à-dire permettent de préciser la valeur du nom :
"le garçon blond", "un travail fatigant", "une promenade agréable" ; "un billet aller-retour",
"un papier cadeau" ; "une cuillère à café", "un sac en cuir", "le fils de Pierre" ; "l'homme qui
porte une chemise rouge", "le chien dont je t'ai parlé"...

Sauf quand ils sont attributs, les adjectifs sont toujours des éléments facultatifs de la phrase,
c'est-à-dire que ce qu'ils signifient peut être laissé implicite (relève de la situation) ; la
présence de nombreux adjectifs, ou locutions adjectivales diverses, est de ce fait extrêmement
révélatrice et le choix, la place, l'abondance des adjectifs peut être un élément très significatif
pour la description d'un texte littéraire.

On retiendra donc que parmi les diverses études grammaticales proposées ici, l'étude des
adjectifs est particulièrement significative pour comprendre un texte, car s'ils sont souvent des
"compléments" grammaticalement non indispensables, ils sont des éléments essentiels pour
décrire une situation, des personnages, des événements… Leur place, leurs caractéristiques
formelles et sémantiques doivent souvent être l'objet d'une analyse minutieuse.

Dans une phrase comme "Cet homme blond qui m'a parlé devant la porte m'a retenue alors
que je devais prendre le bus pour Monaco" : "blond", "qui m'a parlé devant la porte" ne sont
pas indispensables grammaticalement à l'existence d'une phrase, même s'ils ont une fonction
sémantique non négligeable : comparer avec la phrase "Cet homme m'a retenue" (de même
que "alors que je devais prendre le bus pour Monaco", complément de phrase, non essentiel,
comme on dit quelquefois).

L'adjectif attribut, ce complément de verbe particulier, quant à lui, s'accorde en principe en


genre et en nombre avec le sujet dont les caractéristiques "traversent" le verbe pour se reporter
sur l'attribut. Toutefois, ce test commode de reconnaissance d'un attribut connaît quelques
limites puisque tous les adjectifs ne portent pas des marques de genre et de nombre. C'est
donc en procédant à des commutations que l'on peut aisément mettre en évidence la fonction
d'attribut :

"Cette robe est rouge" (pas d'accord en genre) ; "Cette robe est grande" (accord de "grande"
qui prend la marque de féminin de robe manifestée sur le déterminant démonstratif) "La
femme est fatiguée" (l'accord ne s'entend pas, même s'il doit être indiqué à l'écrit : à l'école
primaire autrefois on conseillait de faire commuter avec un participe-adjectif dont l'accord
s'entendait : par exemple "la femme est faite"... mais cet accord disparaissant
considérablement à l'oral ordinaire en français, il n'est plus guère possible de recourir à ce test
pour des élèves qui ne le pratiquent plus.

La place de l'adjectif
La place de l'adjectif est une question complexe, de sorte que les grammairiens font de ce
problème un thème privilégié de recherche.

Certains adjectifs ne peuvent apparaître qu'après le nom. Mais beaucoup d'autres apparaissent
selon le cas avant ou après le nom. Les facteurs qui interviennent pour régler la place de
l'épithète sont de natures diverses. On traitera successivement ci-dessous de facteurs formels,
puis de facteurs sémantiques.

Au plan formel, on a souvent évoqué la question de la taille de l'adjectif : les adjectifs brefs


(notamment monosyllabiques) étant considérés comme antéposables, alors que les adjectifs
longs (polysyllabiques) ne le seraient pas. En fait ce critère est le plus contestable. Si l'on
trouve des adjectifs brefs antéposés ("une longue route", "un grand bateau", "de noirs
desseins"…) on trouve également devant le nom des adjectifs longs ("une agréable
promenade", "une ravissante idiote", "une exceptionnelle aventure"…), et l'on trouve
également des adjectifs brefs postposés ("une robe rouge", "un homme vieux", "un adjectif
bref"…), aussi bien que des longs ("une promenade agréable", "un enfant insupportable", "une
histoire extraordinaire"…). Dans un cas comme dans l'autre, on peut se demander si les
contre-exemples ne sont pas aussi nombreux que les exemples !

Toujours au plan formel mais plus significatifs sont les éléments tenant à la structure du
syntagme nominal ou à la structure du syntagme adjectival lui-même. Arrivé, Gadet,
Galmiche, 1986, rappellent les facteurs suivants :

 la présence dans le SN d'un complément prépositionnel facilite l'antéposition : "un


travail facile" (l'antéposition est peu vraisemblable) mais "un facile travail de documentation"
(l'antéposition est rendue possible) ;
 quand l'épithète constitue elle-même un syntagme, avec un (ou des) complément(s),
elle est normalement postposée : "une grammaire remarquablement bonne" (avec toutefois :
"une très bonne grammaire"), "un bon spectacle" (l'antéposition est seule possible) mais "un
spectacle bon pour les enfants".

Mais les facteurs sémantiques jouent également un rôle très importants. On devra recourir à


ces données pour expliquer que tous les adjectifs ne peuvent occuper toutes les positions.
Ainsi :

*" Cette verte robe lui va bien "

est une phrase peu imaginable en français. Gardons-nous toutefois de dire au vu de cet
exemple que les adjectifs de couleur ne peuvent jamais être antéposés en français : on citera :

"Ses noirs desseins terrifiaient son entourage." "Il baisa ses blanches mains."
"A ses pieds s'étendaient de vertes prairies."

Si ces associations dans cet ordre sont possibles, c'est en fait parce qu'il y a un "lien" entre
l'adjectif et le nom qu'il qualifie : on pourrait dire qu'ils ont "un sème commun", soulignant
ainsi un phénomène largement culturel : une prairie est "verte" en quelque sorte par définition,
des mains que l'on baise (cf. le baise-main) sont "blanches". Quant à la première phrase, on
soulignera la valeur particulière de "noirs" dans ce cas, qui d'ailleurs ici ne désigne pas à
proprement parler une couleur mais relève beaucoup plus de l'ordre moral.

De fait comme le précisent Arrivé, Gadet et Galmiche, déjà cités (p. 37-38) :

"L'épithète antéposée qualifie le contenu notionnel (le signifié du nom). L'épithète postposée
qualifie le référent visé, dans les circonstances ponctuelles de l'énonciation, par le syntagme
nominal."

C'est en raison de l'explication sémantique précédemment avancée (un sème semblable dans
le nom et l'adjectif) que l'adjectif antéposé qui qualifie le contenu notionnel joue le rôle
d'"intensificateur sémique" ; c'est aussi pourquoi, concrètement, les adjectifs "de dimension"
peuvent être souvent antéposés (avec d'ailleurs dans ce cas un sens différent du sens qu'ils
prennent quand ils sont postposés) :

"un grand homme"


"une large avenue" - ou "un large consensus" !
"un gros commerçant".

Ici, les mots "homme", "avenue", "commerçant" ainsi que la plupart des mots concrets
français, contiennent un sème référant à la notion de dimension qui se trouve ainsi
"intensifiée" par le sème "dimension" de l'adjectif. De ce fait "un grand homme" n'est pas un
homme "grand" mais quelqu'un qui est "grandement homme", "un gros commerçant" n'est pas
un commerçant gros, mais quelqu'un qui est "grossement commerçant", c'est-à-dire qui a un
gros commerce, et "l'agréable promenade" est une promenade qui est "agréablement
promenade".

L'adjectif antéposé manifeste ainsi l'une des qualités intrinsèques du nom, et il ne représente
pas une propriété extérieure au contenu notionnel, comme lorsqu'il est postposé. Il n'y a pas
des adjectifs antéposés "en soi", mais des adjectifs qui s'antéposent plus naturellement devant
certains noms ; en outre certains adjectifs peuvent être plus aisément antéposés que d'autres,
car ils ont la propriété d'avoir un usage plus large, d'être utilisables avec de nombreux noms
pour lesquels ils deviennent intensificateurs sémiques.

Comme le disent Arrivé, Gadet, Galmiche, ces observations permettent de rendre compte de
plusieurs phénomènes :

 les adjectifs qui désignent des qualités distinctives, dont l'énonciation permet des
classifications, sont généralement postposés. C'est le cas des adjectifs de couleurs, de formes,
ainsi que des adjectifs relationnels [voir ci-dessous]. Quand, par exception, un adjectif de
couleur perd cette fonction classificatrice (par exemple quand la couleur est une qualité
inséparable, ou jugée telle, du signifié du nom, l'antéposition redevient possible : Ex. : "les
vertes prairies" ;
 inversement les adjectifs qui désignent des qualités considérées comme affectant de
façon permanente le contenu notionnel du nom ont tendance à s'antéposer. On constate alors
que l'opposition entre l'anté- et la postposition n'est pas un trait qui affecte l'adjectif seul, mais
l'ensemble qu'il constitue avec le nom. Il est donc inutile de dresser des listes d'adjectifs, qu'il
serait facile de confirmer avec certains noms et de falsifier avec d'autres ;
 quand on observe une différence de sens caractérisée entre l'adjectif selon qu'il est
antéposé ou postposé à un même nom, cette différence se laisse le plus souvent analyser selon
la règle énoncée plus haut. On cite souvent sous cette rubrique une liste très restrictive
d'adjectifs : grand (grand homme / homme grand), simple (une simple lettre / une lettre
simple), ancien (un ancien professeur / un professeur ancien " qui a de l'ancienneté"), vague
(une vague idée / une idée vague), vrai (une vraie aventure / une aventure vraie), apparent
(une apparente folie / une folie apparente) et quelques autres. En réalité, ce fonctionnement
atteint, de façon plus ou moins claire selon le sens de l'épithète et du nom, un grand nombre
d'adjectifs : une belle femme est une femme en qui la féminité est belle ; une femme belle est
belle sans référence spécifique à sa nature de femme. Cependant, le fonctionnement est
parfois masqué par le fait que certaines postpositions sont peu grammaticales, pour des
raisons de sens plus ou moins évidentes. Ainsi, on parlera volontiers d'un "gros industriel" ou
d'une "petite hystérique" (une personne chez qui l'hystérie est légère), mais on aura plus
rarement l'occasion d'alléguer "un industriel gros" (obèse) ou "une hystérique petite" (de
petite taille). Cependant, la construction attributive est possible ("cet industriel est gros"),
avec le sens qu'aurait l'adjectif postposé ;
 on observe dans certains cas une neutralisation de l'opposition de sens entre l'épithète
antéposée et postposée. Ainsi il est difficile de distinguer entre "une luxueuse réception" et
"une réception luxueuse". Cette suspension de l'opposition s'explique par le fait que les deux
mécanismes qualificatifs produisent le même effet de sens.

Il reste que certains adjectifs, qui ne peuvent pas être intensificateurs sémiques (devant aucun
nom) ne peuvent en principe pas être antéposés. On citera :

 les participes passés : un enfant énervé (… qui est énervé ou qu'on a énervé)
 les participes présents : un paquet encombrant (qui est encombrant)
 les adjectifs relationnels : un bâtiment municipal (de la municipalité).[note10]

Dans les deux premiers cas, la valeur verbale reste présente comme le montrent les
périphrases avec relatives proposées ("qui est") ; pour les adjectifs relationnels, leurs
propriétés particulières, qui les distinguent assez largement des qualificatifs, suffisent à
expliquer leur fonctionnement syntaxique particulier. Arrivé, Gadet, Galmiche parlent de
deux sous-classes d'adjectifs (pp. 33-34) :

Document

"a) certains adjectifs indiquent une qualité, ou propriété essentielle ou accidentelle, de


l'objet désigné par le nom (ou le pronom) : "une robe rouge", "un livre intéressant", "celui-
ci est mauvais". b) d'autres adjectifs établissent une relation entre le nom et un autre
élément nominal : dans "le discours présidentiel", l'adjectif est l'équivalent d'un
complément de la forme : "du président" ; il indique une relation entre le nom "discours" et
le référent désigné par le nom "président". de même, dans "le voyage alsacien du
Ministre", l'adjectif "alsacien" […] est l'équivalent de "en Alsace".
Du point de vue syntaxique, on observe entre les adjectifs de ces deux sous-classes les
différences suivantes :
 sauf phénomène de blocage sémantique, les adjectifs de la première classe
(qualificatifs au sens strict) sont aptes à marquer les degrés de la qualité signifiée : "un
livre très (assez, plus, moins, etc.) intéressant". Cette possibilité est évidemment interdite
aux adjectifs de la seconde classe (parfois dits relationnels) : "le voyage du président" ne
peut pas être dit "très (assez, plus, moins, etc.) présidentiel" ;
 les qualificatifs peuvent fonctionner comme attributs ("cette robe est rouge", "ce
livre paraît intéressant"). Les relationnels ne le peuvent généralement pas : "ce voyage est
présidentiel" (voir cependant plus bas) ;
 le qualificatif épithète peut se voir substituer une relative ("la robe qui est rouge").
L'adjectif relationnel ne le peut pas : "le voyage qui est présidentiel"

L'ensemble de ces traits différentiels amène certains linguistes à donner aux éléments de la
2e classe - les relationnels - le nom de pseudo-adjectifs. Cependant, la frontière entre les
deux classes n'est pas d'une rigueur absolue. L'adjectif relationnel peut en effet se charger
des qualités de l'objet désigné : il est alors reversé à la classe des qualificatifs. Ainsi, un
discours très présidentiel sera interprété comme "au plus haut point conforme à ce qu'on
peut attendre d'un président"."

Arrivé, Michel, Gadet, Françoise, Galmiche, Michel, 1986, op. cit.

Il conviendrait de citer encore certains "noms" qui servent d'adjectifs, et qui ne peuvent être
que postposés, même si la relation nom - adjectif n'est plus une relation passant par le verbe
être (relation d'attribut) : on peut gloser cette relation au moyen de divers verbes :
- "un enfant modèle" c'est "un enfant qui sert de modèle"
- "un papier cadeau" c'est "un papier qui enveloppe les cadeaux"
- "une lessive miracle" c'est "une lessive qui fait des miracles"
etc.

Dans tous ces cas (paraphrase par "qui est" ou paraphrase avec d'autres verbes), il y a une
relation verbale sous-jacente, et dans tous ces cas l'antéposition est impossible. La paraphrase
souligne la différence de ces adjectifs jamais antéposables avec les adjectifs antéposables qui
ne peuvent être paraphrasés par "qui est X" : un "grand homme" ce n'est pas un homme qui est
grand (on dit que "Napoléon était un grand homme", mais l'on sait qu'il était justement très
petit), mais quelqu'un dont l'humanité est grande, qui est grand dans sa façon d'être homme (et
non pas grand physiquement).

De fait - et les explications sémantiques données ci-dessus expliquent cela - peu d'adjectifs,
pour un nom donné, sont susceptibles de devenir intensificateurs sémiques et donc d'être
antéposés ; en outre la classe de ces adjectifs tend à être de plus en plus limitée, dans le
français courant en particulier (dans les divers créoles, langues issues du français, mais qui
sont devenues des langues autonomes, la classe des adjectifs antéposables / intensificateurs est
une classe close qui comprend très peu d'individus). De toutes façons, on ne peut antéposer
plusieurs adjectifs à la suite, et l'ensemble reste globalement fort restreint.

En revanche, après le nom, plusieurs classes d'adjectifs sont possibles. On peut s'interroger sur
d'éventuelles contraintes d'ordre :
- On va effectivement des caractéristiques les plus intrinsèques au caractéristiques les plus
externes : cf. "un enfant blond, fatigué, qui n'a pas appris ses leçons". Tout changement dans
l'ordre des adjectifs/propositions relatives est ici impossible.
- Les "compléments de noms" (compléments indirects introduits par "de") suivent à peu près
immédiatement le nom : aussi bien quand ils expriment la possession ("le fils de mon frère")
que la provenance "le train de Paris", ou le contenu "une tasse de café", etc.

A propos de la morphologie de l'adjectif


Morphologie de l'adjectif
La forme de l'adjectif qualificatif varie en fonction du genre et de nombre.

À l'instar de ce qui se passe pour le nom, les règles de morphologie flexionnelle des adjectifs
entraînent certains artifices orthographiques et quelques changements de prononciation.

Sommaire
[masquer]
 1 Genre de l'adjectif
o 1.1 Généralités
o 1.2 Adjectifs terminés par une voyelle
o 1.3 Redoublement de la consonne finale
 1.3.1 Qualificatifs en -L
 1.3.2 Qualificatifs en -N
 1.3.3 Qualificatifs en -ET
 1.3.4 Qualificatifs en -OT et en -AT
 1.3.5 Qualificatifs en -S
o 1.4 Changement de la consonne finale
 1.4.1 Qualificatifs en -EUR
 1.4.2 Qualificatifs en -C
 1.4.3 Qualificatifs en -F
 1.4.4 Qualificatifs en -X
 1.4.5 Divers
o 1.5 Cas particuliers
 2 Nombre de l'adjectif
o 2.1 Cas particulier des adjectifs terminés en -U
o 2.2 Cas particulier des adjectifs terminés en -AL
 3 Formes particulières de l'adjectif
o 3.1 Qualificatifs « beau », « nouveau », « fou », « mou » et « vieux »
o 3.2 Degré des adjectifs qualificatifs
o 3.3 Qualificatifs de couleurs
o 3.4 Accord des composés adjectivaux
o 3.5 Cas spéciaux
 4 Plan de l'étude

 5 Sujets connexes

Genre de l'adjectif
Généralités
Les règles de formation du féminin des adjectifs sont analogues à celles qui régissent ce
phénomène chez les noms. On forme donc le féminin de l'adjectif en ajoutant un « e » au
masculin :

Petit / petite ; grand / grande ; fin / fine ; étonnant / étonnante ; poli / polie…
 En conséquence, si au masculin l'adjectif est déjà terminé par un « -e », il ne change
pas au féminin :

Aimable, bilingue, calme, électrique, habile, honnête, mauve, tendre, utile…


 On notera par ailleurs, que la syllabe finale est susceptible d'être modifiée :

1. Les consonnes finales muettes au masculin peuvent se prononcer au féminin à la


faveur de l'ajout du « e » :
Petit / petite ; grand / grande ; étonnant / étonnante ; gris / grise…
2. Plus généralement, la prononciation de la syllabe finale peut être modifiée à la
faveur de l'ajout du « e » :
Brun / brune ; fin / fine ; opportun /opportune ; persan / persane…
3. Les adjectifs en « -er », forment leur féminin en « -ère » :
Amer / amère ; cher / chère ; entier / entière ; fier / fière ; léger / légère ; printanier /
printanière…
4. Aménagements divers :
Aigu / aiguë [egy] ; long / longue ; oblong / oblongue ; touareg / touarègue…
 Ce principe nous permettra d'opérer une triple distinction entre les adjectifs
manifestant l'opposition des genres :

à l'écrit : adjectifs terminés au masculin par une voyelle (ex : joli / jolie) ;
à l'oral et à l'écrit : adjectifs terminés par une consonne (ex : petit / petite) ;
ni à l'oral ni à l'écrit : adjectifs terminés par « -e » (ex : utile) ou obtenus par dérivation
impropre (ex : marron, bien). On dit de ces adjectifs qu'ils sont épicènes.

Adjectifs terminés par une voyelle

Les adjectifs terminés par une voyelle forment généralement leur féminin par l'ajout d'un « e »
muet :

Joli / jolie ; pointu / pointue ; poli / polie ; flou / floue ; vrai / vraie…

Exceptions :

 Quelques adjectifs en « -eau » forment leur féminin en « -elle » :

Beau / belle ; jumeau / jumelle ; nouveau / nouvelle ; tourangeau / tourangelle…


 Deux adjectifs en « -ou », forment leur féminin en « -olle » :

Fou / folle ; mou / molle.


 Quelques adjectifs forment leur féminin en « -te » :

Coi / coite ; favori / favorite ; rigolo / rigolote…


 Divers :
Andalou / andalouse ; bêta / bêtasse ; esquimau / esquimaude ; hébreu / hébraïque ;
maître / maîtresse [maître / maîtresse] ; traître / traîtresse [traître / traîtresse]…

Redoublement de la consonne finale

Lorsqu'au masculin l'adjectif est terminé par une consonne, celle-ci est souvent doublée au
féminin.

Qualificatifs en -L

Les adjectifs en « -l », forment généralement leur féminin en « -lle » :

Cruel / cruelle ; gentil / gentille ; mortel / mortelle ; nul / nulle ; pareil / pareille ;
visuel / visuelle…

Qualificatifs en -N

Les adjectifs en « -n », forment généralement leur féminin en « -nne » :

Ancien / ancienne ; bon / bonne ; chrétien / chrétienne ; mignon / mignonne ; paysan /


paysanne…
 Cependant, les adjectifs en « -ain », en « -ein », en « -in », en « -un », ainsi que la
plupart des autres adjectifs en « -an », forment généralement leur féminin en « -ne » :

Commun / commune ; hautain / hautaine ; persan / persane ; plein / pleine ; voisin /


voisine…

Qualificatifs en -ET

Les adjectifs en « -et », forment généralement leur féminin en « -ette », mais les suivants
(complet, concret, désuet, discret, incomplet, indiscret, inquiet, replet, secret.) forment leur
féminin en « -ète » :

Une personne coquette, mais discrète.

Qualificatifs en -OT et en -AT

Quelques adjectifs en « -ot », forment leur féminin en « -otte » :

Boulot / boulotte ; pâlot / pâlotte ; sot / sotte ; vieillot / vieillotte…


 Tous les autres, ainsi que ceux en « -at », forment respectivement leur féminin en « -
ote » ou « -ate » :

Bigot / bigote ; délicat / délicate ; falot / falote ; huguenot / huguenote ; idiot / idiote ;
mat / mate…

Qualificatifs en -S
Quelques adjectifs en « -s », forment leur féminin en « -sse » :

Bas / basse ; épais / épaisse ; gras / grasse ; gros / grosse ; las / lasse ; métis /
métisse...
 Tous les autres forment leur féminin en « -se » :

Clos / close ; gris / grise ; niais / niaise ; précis / précise ; ras / rase…
 Sauf :

Frais / fraîche [fraîche].

Changement de la consonne finale

Qualificatifs en -EUR

Les qualificatifs en « -eur » peuvent avoir plusieurs types de terminaisons au féminin :

 Lorsqu'ils dérivent d'un verbe français (on doit pouvoir faire correspondre le participe
présent en remplaçant « -eur » par « -ant »), ils font leur féminin en « -euse » :

Chasseur / chasseuse ; flatteur / flatteuse ; rieur / rieuse ; trompeur / trompeuse, etc.


- Quelques exceptions en « -trice » :
Éditeur / éditrice ; émetteur / émettrice ; exécuteur / exécutrice ; persécuteur /
persécutrice…
- Trois exceptions en « -eresse » :
Chasseur / chasseresse ; enchanteur / enchanteresse ; vengeur / vengeresse.
On notera que l'adjectif chasseur possède deux féminins de sens différents : chasseuse
(dans le langage courant) et chasseresse (dans le langage poétique).
 Lorsqu'ils ne dérivent pas d'un verbe français, ils font souvent leur féminin en « -
trice » :

Créateur / créatrice ; protecteur / protectrice ; révélateur / révélatrice…


 Il existe également une liste limitée d'adjectifs ayant un féminin régulier, terminé en
« -eure » :

Antérieur / antérieure ; postérieur / postérieure ; majeur / majeure ; mineur /


mineure ; inférieur / inférieure ; supérieur / supérieure ; meilleur / meilleure ;
intérieur / intérieure ; extérieur / extérieure.

Qualificatifs en -C

Certains qualificatifs en « -c », forment leur féminin en « -che » :

Blanc / blanche ; franc / franche ; sec / sèche.

D'autres forment leur féminin en « -que » :

Ammoniac / ammoniaque ; caduc / caduque ; franc / franque ; grec / grecque ;


public / publique ; turc / turque.
On notera, tout d'abord, que l'adjectif franc a deux féminins : franche (= directe) et
franque (= relative au peuple franc), ensuite, que l'orthographe du féminin grecque
constitue un cas particulier.

Qualificatifs en -F

Les qualificatifs en « -f », forment normalement leur féminin en « -ve » :

Bref / brève ; hâtif / hâtive ; naïf / naïve ; natif / native ; neuf / neuve ; rétif / rétive ;
veuf / veuve ; vif / vive…

Qualificatifs en -X

Les qualificatifs en « -x », forment leur féminin en « -se » (sauf : doux / douce ; faux / fausse ;
préfix / préfixe ; roux / rousse ; vieux / vieille.) :

Une femme heureuse ; une femme jalouse ; une femme douce ; une femme vieille…

Divers

D'autres adjectifs inclassables modifient leur consonne finale au féminin :

Frais / fraîche [fraîche] ; muscat / muscade ; tiers / tierce ; bénin / bénigne ; malin /
maligne.
On remarquera que l'adjectif malin a deux féminins, maligne (au sens propre et dans le
registre soutenu = méchante, dangereuse) et maline (au sens figuré et dans le registre
familier = rusée, spirituelle).

Cas particuliers

 Certains adjectifs (tels que aquilin, benêt, hongre, pers, vélin, violat…) n'ont pas de
féminin, et ne peuvent se rapporter qu'à des noms masculins :

Un nez aquilin. Des yeux pers. Du papier vélin. Du sirop violat...


 Certains adjectifs (tels que capot, chic, contumax, fat, grognon, kaki, rosat, snob,
témoin…) sont invariables au féminin :

Un femme chic. Une petite fille grognon. Une personne témoin d'un meurtre.
 Dans un certain nombre d'expressions figées, l'adjectif grand en fonction d'épithète (le
plus souvent, antéposée et reliée au noyau par un trait d'union) est invariable au
féminin :

À grand-peine, grand-mère, grand-route, grand-rue, mère-grand, pas grand-chose…

Nombre de l'adjectif
Les règles de formation du pluriel des adjectifs sont analogues à celles qui régissent ce
phénomène chez les noms.
 On forme généralement le pluriel de l'adjectif en ajoutant un « s » au singulier :

Petit / petits ; petite / petites ; grand / grands ; grande / grandes ; fou / fous…
 Par conséquent, à l'instar du principe du pluriel des noms, si au singulier le qualificatif
est déjà terminé par un « s » ou un « x », il ne change pas au pluriel :

Bas, délicieux, doux, épais, exquis, frais, gris, gros, haineux, heureux, las, peureux,
roux…

Cas particulier des adjectifs terminés en -U

Les qualificatifs terminés en « -eu » et « -au », prennent un « x » au pluriel (sauf bleu et feu,
qui prennent un « s ») :

Des livres hébreux ; des yeux bleus ; des villages esquimaux ; des frères jumeaux…

Cas particulier des adjectifs terminés en -AL

La plupart des qualificatifs terminés en « -al » au singulier font leur pluriel en « -aux » :

Ancestral / ancestraux ; automnal / automnaux ; féodal / féodaux ; filial / filiaux ;


loyal / loyaux ; martial / martiaux ; mental / mentaux ; mondial / mondiaux ;
régional / régionaux ; royal / royaux…
 Quelques adjectifs qualificatifs terminés en « -al » au singulier font leur pluriel en « -
als » :

Bancal / bancals ; fatal / fatals ; fractal / fractals ; natal / natals ; naval / navals ;
tombal / tombals...
 Certains adjectifs ont un double pluriel, parfois à cause d'hésitations, parfois à cause
de sens différents :

Austral / australs / austraux ; banal / banals / banaux ; boréal / boréals / boréaux ;


final / finals / finaux ; glacial / glacials / glaciaux ; marial / marials / mariaux ; pascal
/ pascals / pascaux ; tonal / tonals / tonaux ; tribal / tribals / tribaux…
 Remarques :

1. Les deux pluriels de l'adjectif banal, ont deux sens bien distincts : banaux concerne
le sens féodal et originel (c'est-à-dire, relatifs au droit de ban du seigneur), tandis que
banals concerne le sens moderne et dérivé (c'est-à-dire, ordinaires, sans originalité).
2. Un certain nombre d'adjectifs avaient également un double pluriel, mais la forme
archaïque en « -als » a fini par disparaître. De tels adjectifs (automnal, instrumental,
martial, mental…) ont donc fini par rejoindre la première liste.

Formes particulières de l'adjectif


Qualificatifs « beau », « nouveau », « fou », « mou » et « vieux »

Certains adjectifs qualificatifs (beau, nouveau, fou, mou, vieux, principalement), possèdent
une autre forme au masculin singulier (respectivement, bel, nouvel, fol, mol, vieil). Il s'agit
d'une forme primitive qui subsiste lorsque le mot suivant (la plupart du temps, le nom qu'ils
qualifient) commence par une voyelle ou un « h » muet.

La forme moderne (colonne 1) produit le masculin pluriel, tandis que la forme primitive
(colonne 3) produit le féminin, singulier et pluriel :

Beau beaux bel belle belles


Fou fous fol folle folles
Mou mous mol molle molles
Nouveau nouveaux nouvel nouvelle nouvelles
Vieux vieux vieil vieille vieilles

Un enfant beau comme un dieu / un bel enfant. Le nouvel an / l'an nouveau. Un vieil
homme / un homme vieux comme Hérode. Un fol espoir / un espoir fou. Un mol
oreiller / un oreiller mou.
 On notera que dans la pratique, la forme primitive n'est utilisée au masculin singulier
que lorsque le qualificatif est une épithète antéposée, sauf dans quelques expressions
figées telles que :

Un enfant bel et bon.

Degré des adjectifs qualificatifs

La plupart des adjectifs qualificatifs acceptent les degrés de comparaison habituellement


exprimés par des adverbes comparatifs et des adverbes superlatifs. Certains d'entre eux
toutefois ne le peuvent pas :

 Ce sont d'abord les qualificatifs indiquant une relation objective, non quantifiable :

Une grammaire grecque.


« Une grammaire très grecque » serait absurde.
 Ce sont ensuite, les qualificatifs exprimant eux-mêmes un idée de comparaison (aîné,
cadet, favori, unique, préféré, majeur, mineur, premier, dernier…) :

Le fils aîné de la famille.


« Il est le fils le plus aîné de la famille » serait absurde également.
 Il existe en outre, des adjectifs contractés avec certains adverbes de quantité,
superlatifs de supériorité et comparatifs relatifs de supériorité (on les appelle
comparatifs synthétiques) :

Meilleur [= plus bon]. Pire [= plus mauvais]. Moindre [= plus petit].


On remarquera que l'emploi de pire et de moindre est en recul :
C'est le plus mauvais film de l'année. Le plus petit courant d'air me rend malade.

Qualificatifs de couleurs
En ce qui concerne les couleurs, seuls les mots suivants doivent être considérés comme de
véritables adjectifs, susceptibles de s'accorder en genre et en nombre :

Bai, beige, blanc, bleu, blond, brun, cramoisi, doré, écarlate, fauve, gris, jaune, mat,
mauve, mordoré, noir, pourpre, rose, rouge, roux, vairon, vert, violet.
 La liste des autres couleurs étant illimitée, ces autres prétendus adjectifs doivent être
en fait considérés comme des noms, précédés du groupe sous-entendu « de la couleur
de », et devant par conséquent, rester invariables :

Amarante, anthracite, argent, carmin, cerise, chair, chocolat, citron, coquille d'œuf,
crème, cuivre, émeraude, grège, kaki, marron, moutarde, noisette, olive, or, orange,
pie, poivre et sel, terre de Sienne, thé, etc.
Remarque : châtain, incarnat, marron et orange ont parfois tendance à fléchir ; ils
rejoignent alors la liste des véritables adjectifs.
 Si un véritable qualificatif de couleur est le noyau d'un groupe adjectival (c'est-à-dire
qu'il est suivi ou précédé d'un complément de cet adjectif), le même phénomène a
lieu :

Des chemises bleues. Des chemises ciel. Des chemises bleu de Prusse. Des chemises
jaune paille.
 Pareillement, si un véritable adjectif qualificatif de couleur est suivi d'un autre
qualificatif tel que clair, foncé, pâle, lumineux, etc., les deux adjectifs restent
invariables.

Des chemises bleu foncé. Des chemises bleu ciel.


 De la même façon, si plusieurs couleurs sont réunies par des conjonctions de
coordination, elles restent invariables à condition qu'au moins l'une d'elles ne soit pas
un véritable adjectif de couleur (mais ici, l'usage est plus flou) :

Des chemises bleues et blanches. Des chemises bleu et or (Des chemises bleues et or).

Accord des composés adjectivaux

L'adjectif qualificatif peut prendre la forme d'un ensemble adjectival fixe (un composé
adjectival). Ses composants sont alors, soit agglutinés (« un parterre clairsemé »), soit séparés
par des traits d'union (« un plat aigre-doux »), soit tout à fait détachés, on parlera dans ce cas
de locution adjectivale ou locution adjective (« une chemise bon marché »).

 Dans les qualificatifs composés à traits d'union ou détachés (locutions), seuls


s'accordent les éléments qui sont de véritables adjectifs :

Un fruit aigre-doux / des pommes aigres-douces.


 Les autres éléments, notamment les adverbes ou les prépositions, restent invariables :

Un enfant nouveau-né / des enfants nouveau-nés. L'avant-dernier coureur / les avant-


derniers coureurs.
L'adverbe « nouveau » et la préposition « avant » restent invariables.
 De même, les éléments empruntés à d'autres langues restent en principe invariables :
Des histoires tragi-comiques ; des sculptures gréco-romaines ; des véhicules semi-
remorques ; des traditions sacro-saintes ; des œuvres néo-réalistes ; des pseudo-
prophètes ; des accords franco-anglais…

Cas spéciaux

Les cas particuliers suivants sont souvent signalés par une mise entre guillemets, ou encore,
par l'emploi d'un adverbe (par exemple, l'adverbe « très »), mis en antéposition et modifiant
l'adjectif en question. De tels adjectifs restent normalement invariables :

 Les autres catégories (noms, adverbes, verbes, etc.), catégories simples ou ensembles
employés comme adjectifs qualificatifs et pouvant être analysés, soit comme des
compléments de nom sans préposition (compléments de nom juxtaposés), soit comme
des locutions ou groupes adjectivaux :

Des meubles Renaissance. Des costumes « fin de siècle ». Des hommes en colère. Des
gens très « télé ». Ils sont assez famille. Des voisins bien.
 Les adjectifs manifestement d'origine étrangère (c'est-à-dire, non encore lexicalisés) :

Des gens plutôt « cool ». Des filles tout à fait sexy. Des journées farniente. Des chattes
angora. Des quartiers select. Des fréquentations assez snob. Des femmes zoulou.
 Les adjectifs qualificatifs tronqués (abréviation ou sigle) ou formations expressives :

Des personnes un peu BCBG. Des gens sympa. Des appartements « riquiqui ». Des
fruits extra. Ils sont complètement parano.
BCBG = Bon chic, bon genre. Parano = paranoïaque, mais familièrement, « qui se
croit, à tort, persécuté ».
 L'adjectif « feu » (= défunt) varie lorsqu'il est placé entre le déterminant et le nom, il
reste en général invariable, lorsqu'il est placé avant le déterminant ou sans
déterminant :

Ma feue mère. Feu ma mère. Feu mère.

Plan de l'étude
 Généralités sur l'adjectif qualificatif
 Syntaxe de l'adjectif

Chapitre 9e : L'adverbe

Une citation :

"Il est très difficile de décrire, de définir, de nommer cette sorte d'imagination avec laquelle
Kafka nous envoûte. Fusion du rêve et de la réalité, cette formule que Kafka, bien sûr, n'a pas
connue me paraît éclairante."
Kundera, Les testaments trahis, Gallimard, 1993, p. 66

Du point de vue morphologique la catégorie dite des adverbes, catégorie invariable, accueille
des mots ou des locutions de formes diverses :

 Certains viennent du latin comme "bien", "peu" , "hier"... Ils ont des formes très
variées, résultats d'évolutions différenciées
 D'autres ont été formés en bas latin ou ancien français : "avant", "assez", "dedans"...
 D'autres encore sont empruntés à des langues étrangères comme "crescendo", "franco"
qui viennent de l'italien, ou "ad hoc" qui vient du latin, sans modification...
 La plupart des adverbes sont des adverbes en "-ment" formés par suffixation sur le
féminin de l'adjectif : "heureusement", "fièrement", etc. mais on ne peut pas former des
adverbes sur tous les adjectifs !
 On signalera aussi une tendance, très fréquente en français contemporain qui consiste
à effectuer une "dérivation impropre" à partir de l'adjectif : à côté de "chanter fort" ou "tenir
bon" (formes traditionnelles) on trouve maintenant "acheter utile" ou "voyager confortable".

Comme les compléments de noms qui développent de nombreuses locutions adjectivales, on a


affaire dans le domaine de l'adverbe à des locutions adverbiales formées sur une base
nominale, souvent précédée d'une préposition : "par hasard", "de bonne heure", "le
lendemain"...

On préférera un classement syntaxique, qui permette de rendre compte du fonctionnement


(varié) des adverbes qui relèvent précisément de ce point de vue de plusieurs catégories, selon
le niveau où ils interviennent. Un même adverbe peut figurer à divers niveaux.

Document

Maingueneau distingue ainsi :


 Les adverbes intégrés à la phrase :
1. Les adverbes qui portent sur une catégorie élémentaire :

Ainsi, ils sont contigus à


- un adjectif : "très souple",
- un adverbe : "particulièrement intelligemment", "plus honnêtement",
- une préposition : "juste devant la maison"...
- un verbe : "il court mal", "il dort beaucoup".

2. Les adverbes circonstanciels


(à valeur locative ou temporelle)

- "Il dort ici" ;


- "Il nous visite souvent"

 Les adverbes non intégrés à la phrase :


1. Les adverbes de point de vue

- "C'est demain qu'il part"


2. Les adverbes de phrase (ils se placent dans des positions détachées, ne
supportent pas une focalisation par c'est ... que, peuvent figurer en tête d'énoncés négatifs)

- "Normalement, il doit venir", / "Normalement il ne vient pas" / *C'est normalement


qu'il vient
# "*Lentement, il ne vient pas"

(Dominique Maingueneau, 2001 : Précis de grammaire pour les concours, Nathan-


Université, pp. 56-61 : extraits)[Note 9]
Ce classement qui ouvre la voie à une meilleure compréhension des adverbes et de leur
fonctionnement, présente l'inconvénient d'être assez hétérogène : on est gêné par une
terminologie qui oppose des "adverbes de point de vue" (notion sémantique) à des "adverbes
de phrase" (notion syntaxique). Du point de vue syntaxique on peut insister néanmoins sur la
différence essentielle qui sépare :

 les adverbes portant sur un adjectif ou un adverbe (la distinction entre adjectif et
adverbe n'étant ici d'ailleurs pas très pertinente de fait : quand on a "il chante très fort", "fort"
est un adverbe, mais quand on a "un homme très fort", fort est un adjectif ; la distinction est
contextuelle (présence dans un SN ou un SV) il s'agit surtout de souligner que les adverbes ;
comme "très", "plus", "bien", etc. peuvent servir de "compléments" à d'autres
"adjectifs/adverbes", de même d'ailleurs que certains adverbes en -ment : "il chante
particulièrement fort" / "il chante joliment bien")
 les adverbes portant sur un verbe (parfois, comme nous l'avons vu, ce sont les mêmes
mots : cf. "il chante fort/bien) : "il dort ici", "il mange beaucoup"...
 enfin les adverbes compléments de phrase : beaucoup d'adverbes déjà cités peuvent
être compléments de phrase, ainsi que de nombreuses locutions adverbiales, mais pas tous :
"*fort, il chante chaque samedi" # "chaque samedi, il chante fort"
"*beaucoup, il prend le bateau" # "souvent, il prend le bateau"

Les compléments d'adjectifs ou d'adverbes se placent avant eux ; les adverbes compléments
de verbe (ou de phrase), qui sont parfois des locutions formées à partir de noms précédés ou
non d'une préposition ("il travaille le samedi" ; "il progresse avec lenteur / lentement"), se
placent après le verbe. Plus spécifiquement, les adverbes qui sont compléments de phrase
(notons bien que certains adverbes, dans tel contexte compléments de verbe peuvent être
compléments de phrase dans un autre contexte),se placent avant ou après : le test de la
permutation suffit à les identifier par rapport au compléments de verbe (qui ne peuvent pas
permuter). Dans la phrase suivante "avec prudence" est une locution adverbiale complément
de phrase :

"Avec prudence, il avança jusqu'à la barrière" / "Il avança jusqu'à la barrière avec prudence".

Nous proposerions donc de définir trois positions syntaxiques pour les adverbes, mais en
soulignant que de nombreux "adverbes" ou "locutions adverbiales" peuvent apparaître dans
l'une ou l'autre des catégories, et qu'il ne s'agit donc pas d'adverbes s'opposant par leur
appartenance à une classe de commutation : tout au plus pourrait-on établir des classes
distributionnelles, et classer ainsi les adverbes en fonction de l'ensemble des contextes
syntaxiques qu'ils admettent). "bien" n'a pas la même distribution que "beaucoup", mais a
probablement la même distribution que "joliment". On peut dire en effet :

 "Il chante bien"


 "Il chante joliment"
 "Un homme joliment habillé"
 "Un homme bien habillé"

On pourra dire encore :

 "Il chante bien joliment"


 "Il chante joliment bien"

Si l'on dit :
 "Il chante beaucoup"
 peut-être et encore : "?un homme beaucoup habillé"
 on ne dira sûrement pas : "*il chante joliment beaucoup"
 ou "*il chante bien beaucoup"
 ou encore : "*il chante beaucoup joliment"
 ou "*il chante beaucoup bien"

C'est ainsi qu'il faudrait procéder pour établir ces classes distributionnelles, dont l'intérêt,
cependant, resterait limité : il s'agit surtout pour nous ici de repérer les positions pertinentes
dans un texte, et non pas tant de classer définitivement les adverbes [Nous sommes d'ailleurs
convaincue de l'inutilité d'un tel classement pour une classe "ouverte" : un auteur peut
toujours, pour rendre un effet particulier, décider un jour de changer la distribution courante
d'un adverbe en l'introduisant dans une position que l'on n'attend pas : nous avons vu que bien
des cas sont syntaxiquement possibles (cf. l'antéposition de l'adjectif) s'il s'agit d'utiliser le
lexique de la langue de façon encore plus variée : c'est précisément comme cela que la langue
évolue, et toute attitude trop strictement "normative" n'a guère de sens en littérature.]

Chapitre 10e : Les connecteurs

Une citation :

"Connecteur : Terme qui permet de regrouper les usages interphrastiques des conjonctions de
coordination, et de certains adverbes ou assimilés qui jouent le même rôle en tête de phrase :
et, or, puis, cependant, en fin de compte... sont des connecteurs."

Arrivé, Gadet et Galmiche, op. cit.

Les prépositions, comme les conjonctions d'ailleurs, relèvent d'une catégorie dans laquelle on
prend l'habitude de ranger divers petits mots-outils dont les fonctions sont principalement de
"mise en relation".

On soulignera toutefois que, conformément à l'intuition de la grammaire traditionnelle qui


opposait des prépositions et des conjonctions - et même si ce n'est pas selon les mêmes bases
de répartition (en grammaire traditionnelle, cf. les listes à apprendre par coeur), il convient de
distinguer :

 des connecteurs conjoncteurs


 des connecteurs translateurs
Les premiers se contentent d'assembler des membres de phrase ou des phrases de même
niveau syntaxique :

"Ni Pierre ni Paul n'est venu."


"Pierre est au travail et Paul (est) à la maison."
"Pierre ne veut pas mais Paul accepte."
"Jacques lit alors que je fais le ménage"
etc.

Les translateurs intègrent un groupe (ou une phrase) dans une unité supérieure, changeant
ainsi la fonction de l'unité intégrée qui devient partie de l'unité supérieure. Ex.

 "Le banc en bois est maintenant abîmé" :


"bois", pourvu de la préposition "en" devient complément du nom "banc", intégré donc dans
le GN.
 "Il travaille avec ardeur" :
"ardeur" devenu complément de verbe du fait de la préposition "avec" est intégré dans le GV
avec une fonction adverbiale.

Sont translateurs :

1. les "anciennes prépositions" - mot qui signifie tout au plus "mis devant" et n'indique
donc aucune fonction
"Le fils de mon frère"
2. les "pronoms relatifs" qui permettent de donner une fonction adjectivale à une phrase
dès lors intégrée dans le GN
"L'homme qui [[il] est venu ce matin les bras chargés de fleurs] était le jardinier des voisins."

On refusera de donner une liste de conjoncteurs et une liste de translateurs car plusieurs mots
ou locutions, identiques ou proches, peuvent passer d'une fonction à l'autre (d'où les
ambiguïtés et exceptions de la grammaire traditionnelle) : il s'agit de définir une fonction
syntaxique et non pas d'identifier morphologiquement une catégorie, ce qui est impossible
- vu la variété des formes ;
- en raison de la création de "locutions" également variées.

Exemple :
"Il arrive devant la mairie"
"Avancer l'un devant l'autre"

"Il travaille pendant que je lis" : conjoncteur


"Il fume pendant la nuit" : translateur

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