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Alphonse Dupront ou la poétisation de l'Histoire

Author(s): Dominique Iogna-Prat


Reviewed work(s):
Source: Revue Historique, T. 300, Fasc. 4 (608) (Octobre / Décembre 1998), pp. 887-910
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 10/03/2012 05:47

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MÉLANGES

AlphonseDupront
ou la poétisationde l'Histoire*
DominiqueIogna-Prat

« Croisades: Ontété bienfaisantes


(utilesseulement)
pourle commerce de Venise[...]
: Hommequi a beaucoupvoyagé.»
Orientaliste
desidéesreçues.
GustaveFlaubert,Dictionnaire

La publicationposthumedu Mythede croisade, la grande œuvre


d'AlphonseDupront, par les soins de Pierre Nora, dans la Biblio-
thèque des Histoires,aux éditions Gallimard,au début du mois
d'octobre 1997, a été saluée comme un événementmajeur.Dès le
24 octobre,paraît,à la une du Mondedeslivres, une longue recension
de la plume de JacquesLe Goff,« La croisaderéenfantée», qui sou-
ligne le « génie » singulierde l'auteur disparu et l'importancede
l'ouvrage,« un des plus grandsmonumentsde l'historiographie du
XXesiècle », que le souci de la trèslongue durée et de mise au jour
d'une psychologiecollectivesitueclairementdans le programmede
l'École des Annales.En mars-avril 1998,la revueLe Débatconsacreun
dossierfournià la « Présenced'AlphonseDupront», dans lequel plu-
sieursde ses anciensélèvesparlentde « l'étrangegénie » du maîtreet
des « affinitésélectives» tisséesavec lui1.Dans l'articlequi ouvrele

* La présentenote critiqueest l'aboutissement de propostenusau coursd'un séminaireà


l'Ecole normalesupérieurede Fontenay, le 1" mars1998.Que les participants à cetteséance- spé-
cialementE. Anheim,P. Boucheron,C. Doukiet F. Dosse- soientremerciés de leursremarquescri-
tiques.Je tienségalementà témoigner ma gratitudeà A. Levalloiset à J.Nobécourtqui ontprisla
peinede lireune premièreversionde cettenote.
1. Le Débat99 (mars-avril
1998) : contributionsde DominiqueJulia,L'historienet le pouvoir
des clés,p. 34-52; EtienneBroglin,Le désiret l'ordre,p. 53-66; Mona Ozouf,AlphonseDupront
et l'idée républicaine,p. 67-79; Agnès Antoine,Affinités électives,p. 80-84; Denis Crouzet,
L'étrangegéniedu Mythe decroisade,
p. 85-92.

Revuehistorique,
ccc/4
888 DominiqueIogna-Prat

dossier,DominiqueJuliaproclamehaut et fortà quel pointla « poé-


tique» d'AlphonseDuprontest « radicalementirréductibleau mou-
vementdes Annalesqui lui est contemporain»2. De son côté, Pierre
Chaunu, en préfacedes actes d'un colloque consacré à Alphonse
Dupront,L'Europedanssonhistoire, reconnaîtque, « sansun miracle»,
« nous aurionssans doute perdu Le mythe de même que
de croisade,
l'on a perdu quelques-unsdes plus grandstextesde l'Antiquité». Et
de comparerce miracleà la lente émergence,des sièclesaprès,des
commentaires bibliquesde Newton3.
Qui est ce génie secret,que l'on peine tantà classerdans le pano-
rama historiographique françaiscontemporain,bien connu seule-
mentd'un cercle restreintde fidèles,attachésdepuis des années à
sauver,dans les CahiersAlphonse Dupront4, les dizainesde milliersde
pages de l'œuvre du maître restées inédites,à recueillirses proposet
aphorismes(telsce proposde plage : « Si c'est un mystère, vousne le
comprendrez jamais »), à fairele pointsurles travaux- la plupartdif-
ficilementaccessibles- consacrésà AlphonseDuprontou à s'inter-
roger sur la correctiondes qualificatifs « duprontien» et « dupro-
nien »? Né à Condom (Gers),AlphonseDupront(1905-1990)5,après
des étudesà Toulouse,entreen khâgneà Parisau lycéeHenri IV ; il
y fait sa premièrerencontreintellectuelledéterminante,le philo-
sopheAlain.En 1925,Duprontestreçuà l'École normalesupérieure,
où il fréquentele groupe catholique dont font égalementpartie
Henri-IrénéeMarrou et Maurice de Gandillac. Parallèlementaux
étudesmenées rue d'Ulm, il suit,dans la compagnieplutôtinatten-
due de MgrMayolde Luppé (futuraumônierde la Légion des Volon-
tairespuis des Waffen SS françaispendantla Seconde Guerremon-
diale), le séminairede Paul Alphandéryà la Ve sectionde l'École
pratiquedes hautesétudes6.Reçu premierà l'agrégationd'histoireet
géographie,il partensuitecomme pensionnaireà l'École française
de Rome (1930-1932).C'est alorsqu'il publieson premierlivre,Pierre-
(Paris, 1930). Les postes italiens
Daniel Huet et Vexégèsecomparatiste
étant bloqués par « des chapitresbien gardés d'inamoviblescha-

2. Ibid.,p. 50.
3. L'Europe La visiond'Alphonse
danssonhistoire. FrançoisCrouzet,FrançoisFuret,dir.,
Dupront,
Paris,puf,1998,p. xvii.
4. A ce jour,six Cahiersont été éditéshorscommerce,depuis 1991,par la Sociétédes Amis
d'AlphonseDupront,105,boulevardRaspail,75006Paris.
5. Pour reconstituerla biographied'AlphonseDupront,on se reporteraaux lignesque l'au-
Imageset langages,Paris,
teur a écrites sur lui-même en ouverturede Du sacré.Croisadesetpèlerinages.
Gallimard,1987,p. 11 s. ; ainsiqu'à PierreChaunu,AlphonseDupront(1905-1990),dans Univer-
salia 1991{Encyclopedia
Universalis,1991),p. 566-567; MichelBalard,postfaceà la rééditionde Paul
Alphandéry, AlphonseDupront,La Chrétienté etVidéede croisade,Paris,AlbinMichel,1995,p. 565-
593 ; DominiqueJulia,L'historien et le pouvoirdes clés,op.cit.(n. 1).
6. AlphonseDupront,Du sacré,op.cit.(n. 5), p. 13.
de l'Histoire
Duprontou la poétisation
Alphonse 889

françaisdes hautesétudesde
noines»7,il estappelé à dirigerl'Institut
Roumanie ainsi que la Missionuniversitaire française(1932-1941);
c'est là qu'il rencontrel'historiendes religionsMircea Eliade, avec
lequel il partagesa vie durantla passion du sacré et des origines8.
Témoin, à la fin de ses années roumaines,du coup de forcede la
Garde de Fer qui favorise, en septembre1940,l'abdicationdu roi de
Roumanie, puis de la poussée allemande en Europe orientale,
AlphonseDuprontse rallie à de Gaulle et à la France libre.Après
guerre,il enseigne à l'Universitéde Montpellier(1945-1956). En
1956, il soutient sa thèse sur Le Mythede croisade.Essai de sociologiereli-
gieuse,en Sorbonne, où il devient ensuite professeurd'histoire
moderne(1956-1977).C'est,depuislors,un hommed'institution uni-
versitaire.
Premierprésidentde l'Universitéde ParisIV-Sorbonne, en
1970,il estégalementl'un des fondateurs de l'Institut
universitaire
de
Florence,où des journées d'études,publiées dans L'Europedans son
ont été consacrées,en 1996,à sa visionde la chrétientélatine
histoire,
et de l'Europe. Il crée et animependantde longuesannées le Centre
d'anthropologiereligieuseeuropéen,à la sixièmesectionde l'École
pratiquedes hautesétudes,qui devient,en 1975, l'École des hautes
étudesen sciencessociales.C'est là qu'il croisele chemindes Annales.
Dans Fairede l'histoire,les troisvolumespubliés à Paris en 1974 par
Jacquesle Goffet PierreNora et qui passentpour une manièrede
manifestede la « Nouvellehistoire», son nom est associé aux « nou-
vellesapproches». Sous la rubrique« religion», il signeune miseau
point consacrée à l'anthropologiereligieuse,qui est peut-êtreson
textepersonnelle mieuxconnujusqu'à ce qu'il publie,troisans avant
sa mort,Du sacré,qui reprendet réélaborepour une large partdes
articlespubliés antérieurement dans des revueset des actes de col-
loques de diffusionconfidentielle9. Un public assez large découvre
alorscelui que la vulgateuniversitaireconnaissaitessentiellementpar
la publicationde cours,sa participationà des œuvrescollectiveset,
surtout,par un ouvrageclassiquerelatifaux croisades,La Chrétienté et
Vidéedecroisade,qualifiéde façonabrégéed' « Alphandéry-Dupront »10.
Le restede son œuvreest posthume.Dans l'attentede la publication
annoncée de nombreuxinédits,il convientde citer Puissanceset

7. AlphonseDupront,Annéesroumaines,1932-1941,Cahiers AlphonseDupront,3, 1994,p. 4-


15 (ici p. 4).
8. RencontrenotéeparDominiqueJulia,L'historien et le pouvoirdes clés,op.cit.(n. 1), p. 39
et suggéréedans la noticede PierreChaunu,op.cit.(n. 5).
9. Du sacré,op. dt. (n. 5).
10. Il n'existe,à ma connaissance,
aucunerecensionexhaustive des publications
d'A. Dupront.
Pourune premièreapproche,on se reportera à la noticede PierreChaunu,op.cit.(n. 5) et à l'ar-
ticlede DominiqueJulia,L'historien et le pouvoirdes clés,op.cit.(n. 1).
890 DominiqueIogna-Prat

Qu'est-ceque lesLumières?12et, bien sûr,


latencesde la religioncatholique11,
Le mythe de croisade.

etAlphonseDupront
HenriBerr,Paul Alphandéry

Ce monumentde deux-millecent-soixante-neuf pages distribuées


en quatrevolumes,dontun pour les seulesnotes,estl'aboutissement,
à plus de quaranteans de distance,de la thèse soutenuele samedi
17 mars1956à la salleLouis-Liardde la Sorbonne,Le mythe decroisade.
Essai desociologie Le jury,placé sous la présidencedu médié-
religieuse.
visteCharles-EdmondPerrin,est fortpartagé,soulignantà la fois
l'originalitéprofondedu travail,la vasteculturede l'impétrant, l'am-
pleurde sesvues,la préciositéde son styletruffé de néologismeset la
grande abstractionde son propos13.Manifestement, ce n'est pas ce
que, dans les annéescinquante,l'on considèrecommeune thèseclas-
sique. GabrielLe Bras,le plus réservédes membresdu jury,regrette
que la recherchemenée par AlphonseDuprontsoit « plus une étude
de psychologiecollectivequ'une contributionà la sociologie reli-
gieuse »H. S'exprimepour la premièrefois une incompatibilité de
fondentreles deux hommes,qui incarnent deux courants de l'histo-
riographiefrançaisedu christianismeopposés sur la place qu'il
convientde faireau culteet à l'institution15. Dès l'année de la soute-
nance, naît, faite de confidences chuchotées et d'infinispetits
de
cancans,la légendedu Mythe croisade, thèse dont chacunparle sans
l'avoirni lue ni vue,parce que l'auteur, dit la rumeur,s'estempressé
de fairedisparaîtrel'exemplaireunique en dépôt à la Sorbonne.Ce
n'est qu'à l'extrême fin de sa vie,agréablementsurprispar le succès
d'estime rencontré par Du sacré,qu'AlphonseDuprontcède aux solli-
citations de Pierre Chaunu et se préoccupe de la publicationde sa
thèse.En 1987,il entamela révisionde la versionoriginelleet meurt
à la tâche,en juin 1990, considérant« le texteétablijusqu'au cha-

11. Paris,Gallimard,1993.
12.Paris,Gallimard,1996,avecune préfacede FrançoisFuret.Le livreesttiréd'un cours,pro-
françaisede la seconde
fessé à la Sorbonne en 1962-1963, Lettres,sciences,religions,arts dans la société
moitiédu XVIIP siècle.
13. Outre Ch.-Ed.Perrin,le jury étaitcomposé de l'italianisteH. Bédarida,de l'historien
L. V.Tapié,dujuristeet sociologuedes religionsG. Le Bras,et du philosopheH. Gouhier; la thèse
complémentaire étaitconsacréeà une biographiedu cardinalSilvioAntoniano,« figurede la
Contre-Réforme italienneau xvr siècle ». Voirle compterendude soutenancerédigépar Guy
Fourquinet RaoulGirardetdans la Revuehistorique, 218, 1957,p. 457-460.
14. Ibid.,p. 457.
15.Voir,à ce propos,les remarquesde DominiqueJulia,La religion- Histoirereligieuse, dans
JacquesLe Goff,
Fairedel'histoire, 1974,p. 137-167(ici p. 144).
PierreNora,dir.,t.II, Paris,Gallimard,
de l'Histoire
Duprontou la poétisation
Alphonse 891

pitreX », soittoutjuste la premièrepartiede l'ouvragepublié16. Avec


son maîtreAlphandéry, Duprontpartage l'étrange destin d'avoirvu
l'œuvrede sa vie publiée par d'autresde façonposthume.
Un détourpar Alphandéryest nécessairesi l'on veutcomprendre
la généalogieintellectuelle de Dupront,les inspirations et les grandes
directionsdu Mythede croisade, qui échappe largementà l'horizon
intellectueldes Annalespour la simpleet bonne raisonque, par l'in-
termédiairede son maître,Dupront s'alimenteà des sourcesanté-
rieuresà l'œuvrede Lucien Febvreet de Marc Bloch - l'étude de la
longuedurée et l'histoirede profondeurs souhaitéespar ces derniers
étantloin de se confondreavec le traitement historiquedu tempset
l'étude des latencesauxquels se livreDupronttout au long de son
œuvre.La thèse,soutenue en 1956 et restée inédite,est encadrée
deux ans plus tôt,en 1954,et troisans plus tard,en 1959,par la publi-
cation en deux tomes de La Chrétienté et Vidéede croisade,par Paul
Alphandéry, texteétabliparAlphonseDupront.Le livreparaîtdans la
collectionde la Bibliothèquede synthèse,« L'évolutionde l'huma-
nité», qu'a fondée et que dirige Henri Berr,chez l'éditeurAlbin
Michel.C'est,d'ailleurs,pour cet ouvrageque Berr (1863-1954)écrit
le dernierde ses avant-proposqui assurentla cohérence de l'en-
semble de l'entreprise.Comme l'indique clairementle titrede la
thèsequ'il soutientà Parisen 1899, L'avenirde la philosophie. Esquisse
d'unesynthèse des connaissancesfondéesur l'histoire,
Henri Berr est un
philosophe préoccupé par l'unificationdes connaissances.Élève
d'Emile Boutroux- auteurd'une thèsepubliée en 1874 surla Contin-
gencedesloisde la nature,qui entendait« rétablirle rôle de la philoso-
phie en tant que lien entreles autressavoirs» et qui englobel'étude
de la psychologie-, il entendpromouvoirla « psychologiemétaphy-
sique », pour « ... refaire,derrièrel'humanité,le chemin [...] que
l'instinctaveugle,que les puissancesobscures,que des circonstances
multipleslui ont imposé »17.Dans son avant-propos, Henri Berrpré-
sente rapidementl'auteur et son œuvre18.Paul Alphandéry,né en
1875 et mortsubitementen mai 1932, faitdes études de Lettresà
l'Universitéde Bordeauxavantde se formerà l'histoirede l'Égliseet
16. Le Mythedecroisade, avertissementde l'éditeur,p. 10.
17.Pourresituer la figured'HenriBerrdansle paysagehistoriographique françaisau tournant
des années1900,on partirade l'étudede WilliamR. Keylor, Academy and Community. TheFoundation
oftheFrench Historical Cambridge(Mass.),HarvardUniversity
Profession, Press,1975,p. 125-140.Sur
le Centreinternational de synthèse,que Lucien Febvrea fréquenté, et la « psychologie métaphy-
sique » de Berr,voirles contributions de DominiqueBourelet MarinaNeri,dans HenriBerretla
culturedu XXesiècle,Agnès Biard, Dominique Bourel, Éric Brian,éd., Paris,Albin Michel 1997, res-
pectivement p. 9-19,et 205-217(ici d. 208).
18. La Chrétienté
etl'idéedecroisade,
Paris,AlbinMichel,1954,avant-propos : « La croisadeet la
viereligieusedu MoyenAge », p. Vll-xxv, suivid'un avertissement signéd'AlphonseDupront.Il est
regrettable que la rééditionde l'œuvre,en 1995,aitvu disparaître l'avant-propos de Berr.
892 DominiqueIogna-Prat

des dogmesauprès de Jean Révilleet FrançoisPicavetà l'Ecole pra-


tiquedes hautesétudes (Vesection); pour l'obtentiondu diplôme,il
y soutientune thèsepubliée sous le titreLes idéesmorales chezleshétéro-
doxeslatinsau débutdu XIIIe siècleet enseigne lui-mêmeà l'École
commemaîtrede conférencepuis directeurd'études19.Il appartient
à la grande traditionfrançaisede l'histoiredes religionsd'abord
incarnée par Renan, mais il fréquenteaussi à l'École celle, extrê-
mementvivanteau tournantdes années 1900, de la sociologiedes
religions,représentéeentreautrespar EmileDurkheim,RobertHerz
ou MarcelMauss. Henri Berrrappelleque Paul Alphandérypartici-
paitaux travauxdu Centrede synthèse ; peu de jours avantsa mort,à
l'occasiond'une « Semaine» du Centredont le thèmeétaitla foule,
il était intervenusur la question des foules religieuses.Dans cette
direction,Henri Berr soulignel'intérêtqu'Alphandéryportaitnon
pas aux doctrinesmaisaux « sentiments », « qui constituent l'essence
de la vie religieuse: le prophétisme, les hérésies,les visions,les mou-
vementspopulaires...». C'est probablementun intérêtcommunpour
la psychologiequi rapprocheles deux hommes.Lecteurprécoce de
Freud, Alphandéryconsacre une de ses rares études publiées à
« quelques documents médiévaux relatifsà des états psychasthé-
niques»20.Passantde l'hommeà l'œuvre,HenriBerrinsistesurle fait
que La Chrétienté etVidéede croisadene relèvepas d'une histoireexté-
«
rieureet factuelle,maiss'attacheà l'histoireintérieure, la psycholo-
gie de cetteexpéditionextraordinaire ; » c'est une « étude de psy-
chologiecollective,de sensibilitéreligieuse,pour une époque où la
masseest prompteà s'émouvoir et à imaginer des interventions sur-
naturelles,où la vie réelle,sans cesse,s'accompagne et se double de
merveilleux». Et de rappeler pour finir, l'invitation lancée dans
l'avant-propos du tome XI de « l'Évolutionde l'humanité» à passer
d'une « philosophiede la religion» à « une psychologie» qui « s'ef-
forced'atteindre[...] la nappe profonde,sous-jacenteà toutehuma-
nité,passée et présente,d'où sont sortiesles attitudesoriginellesde
l'espritdevantl'Univers». Les termesemployéslaissentsoupçonner
l'influencede l'œuvrede CariJung,explicitement cité en note,et sa
notion de « subconscient», employéeà diversesreprisespar Paul
Alphandéry. Cetteorientationde travailfaitde ce dernierune figure

sa formation,
19. Sur Paul Alphandéry, son enseignement et ses écritspourla plupartinédits,
voirLaurentMorelle,Le prophétisme médiévallatindans l'œuvrede Paul Alphandéry. A propos
d'archivesrécemment de l'École
misesau jour, Mélanges deRome,Moyen
française Age,102/2,1990,
p. 513-532.La thèse,présentéeen 1900,est publiéeen 1903,sous le titreindiqué; cettepublica-
de l'Écoledes hautesétudes,Sdenœs religieuses.
tion forme le volume 16, fase. 1er,de la Bibliothèque
normaleetpathologique,
20. Journalde psychologie 25, 1929, p. 763-787 ; cité par Laurent Morelle,
ibid.,p. 519, n. 23.
Duprontou la poêtisation
Alphonse de l'Histoire 893

parfaitement représentative de l'intérêtmultiforme pris,entre 1880


et 1930,par les chercheursfrançaisdans le domaine des sciencesde
l'hommealors naissantes- de GustaveLe Bon à Philippede Felice,
en passantpar Emile Durkheimet PierreJanet- pour « les formes
élémentaires de la vie religieuse» et la mystiquede la foule,fusionde
l'individu« avec la massequi l'environne» et « communionavec une
force surhumaine» auxquelles les manifestations politiques des
années 1930 donnentune douloureuseactualité21.

Une « anthropologie
du sacré»

Brutalementdécédé, Paul Alphandéryn'a laissé, sur l'idée de


croisade,que des notes de cours. Sa familledécide de les confier,
pour publication,à son « élève préféré», AlphonseDupront,qui res-
pecte,ditBerr,« de façonabsoluel'interprétationde son maître». La
réalitéest sans doute plus complexe22.Le premiertome suitfidèle-
ment l'enseignementd'Alphandéry; le second, en revanche,laisse
entrevoir un traitement plus dupronien,qui annoncel'œuvreperson-
nelle à venirsur le sujet,le Mythede croisade,
dont la matièreest lon-
guementmûrie,sur près de soixanteans, depuis les années d'ap-
prentissageavant la Seconde Guerre mondiale,jusqu'à la reprise
entre1987 et 1990 de la thèsede 1956. Mais dès 1974,dans l'étude
publiée dans Faire de l'histoire,
Alphonse Dupront fournitdéjà une
idée du contenu de l'ouvrageà veniret livrequelques clés impor-
tantespour comprendresa méthode,voire sa philosophiede l'His-
toire.Il convientdonc de s'yarrêterun instant.
Remarquonstoutd'abord que les promoteursde Fairede l'histoire,
JacquesLe Goffet PierreNora,invitent AlphonseDuprontet son dis-
ciple Dominique Julia à revisiterles « nouvelles approches» en
matièrede « religion»23,tandisqu'ils confient« l'inconscient», ce
« nouvelobjet », à AlainBesançon,qui estalorsconsidéré(avantqu'il
ne prenne congé de cette question tombée dans une impasse)

21. Gustave Le Bon, Psychologie desfoules,Paris, Alean, 1895 ; en 1925, le livrea déjà dépassé ses
trenteéditions (sur ce point, voir Elisabeth Roudinesco, La Bataille de centans. Histoirede la psycha-
nalyseenFrance,t. I (1885-1939), Paris, Ramsay,1982, p. 214). Emile Durheim, Les Formesélémentaires
de la vie religieuse.
Le système
totémique en Australie,Paris, Alean, 1912. PierreJanet,De l'angoisseà l'ex-
tase. Étude sur les croyances
et les sentiments,Paris, Alean, 1926-1928. L'étude de Philippe de Felice,
Foulesen délire,extasescollectives.
Essai sur quelquesformesinférieuresde la mystique,Paris, Albin Michel,
1947,a été en bonne partierédigéeau coursdes années 1930; la définition
citéede 1' « étatde
foule» se trouved. 10-11.
i

22. Voir la postface de Michel Balard à la réédition de La Chrétienté et l'idéede croisade,op. cit.
(n. 5), p. 571-574.
23. Alphonse Dupront, La religion - Anthropologie religieuse et Dominique Julia, La religion -
Histoire religieuse,dans Fairede l'histoire,
op. cit. (n. 15), t. II, respectivementp. 105-136et p. 137-167.
894 DominiqueIogna-Prat

commel'hommedes rapportsentrehistoireet psychanalyse24. En la


matière,AlphonseDuprontavaitlui aussiquelques titresà fairevaloir.
Marqué par le jungismediffusd'Alphandéry, il s'est par la suitetou-
jours intéressé à la psycho-histoire. En 1961, il publie,dans les Annales
ESC,une étudeintitulée« Problèmeset méthodesd'une histoirede la
psychologie collective»25; en 1969,dans la confidentielle Revuedel'en-
seignementsupérieur, il consacre un article à « L'histoire après Freud»,
dans lequel il montreen quoi l'attitudedu thérapeuteest un ensei-
gnementpour l'historien.Avecune prudencede bon aloi - qui per-
met de comprendrepourquoi,y aurait-ilété convié,il ne se serait
jamais laissé entraînerà aborder frontalement la question de l'in-
conscient-, AlphonseDupronttrouvedans la psychanalyse non pas
une « méthode» maisune « attitude» propreà inspirerl'historien,
une façonde « mettreen présence»26.
« Mise en présence» : telleestjustementla « nouvelleapproche»
qu'il propose en matièred'histoirereligieuse.A dire vrai,le terme
« religion» et le qualificatif « religieux» ne lui conviennentguère.
Justeaprèslui, DominiqueJuliaexplique,avec beaucoup d'à-propos,
qu'après le « déboîtement» opéré dès le xvir siècle entresociétéet
religion,puis le débat du tournantdes années 1900 autourdes rap-
portsentrefoiet science,les « sciencesreligieuses» ontvu s'évanouir
« leur spécificité au niveaudes procédures», tandisque les nouvelles
scienceshumaines(sociologie,histoire,anthropologie...)voyaientse
multiplier les objets,taxés,fautede mieuxmaissans limitede champ
chronologiqueou géographique,de « religieux»27.AlphonseDupront
parle,lui,d'anthropologieet,malgréle titredonné à son article,pré-
fèrele qualificatif <<sacré » à celui de « religieux», qui renvoietrop,
pense-t-il,au domaine du culte,circonscrit et contrôlépar l'institu-
«
tion,tandisque sacré » ou « sacral » permetd'atteindre,en dehors
de toute structureecclesiale, aux « pulsions», à la « vie de l'irra-
tionnel», qui fonctionne dans « l'âme collective» commeune « dyna-
mique existentielle »28.L'anthropologieest la démarche la plus à

24. AlainBesançon,L'inconscient : l'épisodede la prostituéedans Quefaire? et dans Le Sous-


sol,dansFairedel'histoire,op.cit.(n. 15), t.III, p. 31-55.A. Besançonprendcongéde ces problèmes
dansson articleDe Gibbonà Freudet retour, dans Georges Duby,L'Are,72, 1978,p. 4-8.
25. Annales ESC, 16,janvier-février 1961,p. 3-11; surles rapportsde DuprontavecJung,voir
Dominiqueîulia,L'historien et le pouvoirdes clés,op.cit.(n. 1), p. 39-42.
26. Revuedel'enseignementsupérieur, 44-45,1969,p. 27-63(ici p. 28). Surles problèmesde la psy-
cho-histoire et,de façonplusgénérale,les rapportsproblématiques que les historiens françaisont
entretenus avec la psychanalyse,voirl'étuded'AnneLevallois,Psychanalyse et histoire: le règne
éphémèrede la psycho-histoire et l'avènementde la biographiehistoriqueen France,dans
Construire Diane Le Beuf,RogerPerron,GeorgesPragier,dir.,Paris,puf,1998,p. 77-95
l'histoire,
(p. 80 pourA. Dupront).
27. DominiqueIulia,La religion- Histoirereligieuse,op.cit.(n. 15), p. 138,140 s. et 144.
28. AlphonseDupront,La religion-Anthropologiereligieuse, op.cit.(n. 15), p. 110.
Duprontou la poétisation
Alphonse de l'Histoire 895

même de prendrela mesurede l'anthropomorphisme au cœur du


christianisme,religionde l'incarnation dans des êtres (Dieu-homme,
saints), des lieux (églises, lieux de pèlerinage) et des objets
(reliques).Au seindu spectrelargeque dessinel'anthropologie, l'his-
toirepermetd'établirdes continuités, de suivre- par exempledans la
trèslongue durée d'un pèlerinage- le « travailélaboré aux profon-
deursde la créationcollective»29; surtout,seule l'histoireestpropre,
pense Dupront,à saisirla vie des temps,aussi bien le tempslinéaire
des continuitésque le temps de la prophétieet de « l'eschaté»,
« temps émotivo-sacral de l'attente» révélateurdes « contractions
spasméesde l'existercollectif»30.C'est à tousces titresque la croisade
parceque cette« créationmythique» traduit,dans le long
l'intéresse,
terme de l'histoireoccidentale,« un besoin collectifde création
d'une sursociété», une pulsion toujourslatenteaux profondeurset
qui remontepériodiquementà la surface.Résumé en à peine deux
le propos de ce qui fut une volumineuse
petitespages allusives31,
thèseet n'estpas encoreun groslivreavaitde quoi surprendreet est
passé,de fait,inaperçudu plus grandnombre.

De V « idée» au « mythe
» de croisade

Longtempsattendu,le Mythe de croisaderiz pas tardéa fairel'objet


de présentations diversesémanantpour la plupartdu petitcercledes
duproniens,exégèteséprouvéspar la fréquentation du maître.D'où
l'encombranteempathieavec la « magieépique » d'un texteque les
commentateurs peinentà décrire32.C'est ce que nous voudrionsfaire
maintenant, avantde risquerquelques remarquespersonnelles33.
Le titremériteun premiercommentaire.On noterale glissement
opéré entrel'œuvrecommuned'Alphandéryet de Duprontet l'en-

29. Ibid.,p. 128. Dans la filiationintellectuelle


et méthodologiqued'AlphonseDupront,on
peutciterla recherchecollectiverécemment menéesurle pèlerinagede sainteReine,étudedans
la longuedurée- du 'Y au XXesiècle- d'une dévotionet « du rapportcomplexequi s'estétabli
entreespace,légendehagiographique, riteset pratiquesdes pèlerins» : Reineau
récithistorique,
MontAuxois.Le culteet lepèlerinagede sainteReinedes originesà nosjours,Philippe Boutry,Dominique
Julia,dir.,Dijon/Paris,Villede Dijon/LeCerf,1997 (ici p. 17).
30. AlphonseDupront,La religion-Anthropologiereligieuse,op.dt. (n. 15), p. 126.
31. Ibid.,p. 124-126; il fauty ajouterune partiede « l'itinéraire
», qui ouvreDu sacré,op. dt.
(n. 3), p. 17-29.
32. L'expression« magieépique » estempruntéeà DenisCrouzet,L'étrangegéniedu Mythe de
croisade,op. dt. (n. 1), p. 89.
33. L'œuvreétantdense et ses développements parfoisdiffus, sansque l'éditeur- par respect
de la mémoirede l'auteur- aitcru bon d'introduire des intertitres,nousnousefforcerons dans la
mesuredu possiblede renvoyer aux pagesd'où sontextraites les citationsrapportéesainsiqu'aux
chapitreset aux pages où figurentles passagesfaisantl'objetde la présentation ou du commen-
taire.Le chiffre
romainen capitalrenvoieau tome.
896 Dominiquelogna-Prat

treprisepersonnellede Dupront.On passe de 1' « idée » au « mythe».


Pour l'élève,il s'agitd'étudierl'histoired'un « accomplissement pro-
phétique» ; or, soutient-il, « il n'y a pas d'idée qui la compose [...],
elle cherchenaturellement son dépassementou sa plénitudedans le
mythe »34.La définition n'est pas vraimentclaire; mais c'est précisé-
ment l'objet du livreque de montreren quoi la croisade est un
« mythe» au sens duproniendu terme- explicitéuniquementen
conclusion. Le terme croisade, en accord avec l'enseignement
d'Alphandéry, resteau singulier.Duprontse livreà une richeet pas-
sionnanteétude de l'histoiredu mot croisade,d'apparitiontardive,
qui détermined'abord, au xiir siècle,une catégoriejuridique dans
laquelle rentrent les hommesqui décidentde partirdéfendrela Terre
Sainteles armesà la main35. Au coursdu MoyenAge,l'entrepriseest
communément désignéecomme« pèlerinage», « passage», « voyage»,
« voyage d'Outre-mer», « croisement», mais pas « croisade», qui
restelongtempsun termetechniquerelevantde la liturgieet se rap-
portantaux signesde croixque le prêtrefaitsurl'hostie.L'acception
courantede croisades,au pluriel,apparaît au xvr siècle, dans le
contextedes guerresde religion.Le réforméAgrippad'Aubigné,s'en
prenantaux « machinations de l'orthodoxie», mobilisetoutl'arrière-
plan historiquedes croisades» du MoyenAge contreles hétéro-
«
doxes (Albigeoisau xiir siècle; Hussites au XVesiècle). Et c'est
commetel,c'est-à-dire commefaitd'histoiremédiévaleplurielle,que
« croisades» estfixépar le père Maimbourgdans son Histoire descroi-
sades,au xvir siècle. Le terme ne devient pourtant commun (permet-
tantde désignertoutet n'importequoi - phénomènequi s'accélère
de façonimpressionnante au XXesiècle) qu'à la findu xviirsiècle,en
contexte révolutionnaire, époque pendant laquelle émergentde
nombreusescroisades, « croisade des Avignonnais » et « croisade
monarchique par exemple. fait,pour Dupront,cette« commu-
» En
nisation» ne marque pas une apparitionmais « un retour», une
résurrection à travers laquelle s'exprime« une puissancede société»,
non pas « un avilissement », maisune « réalitéprofonde»36; le Mythe
de croisadechercheà en révéler1' « être », en dépassantle registre
superficieldes événementsqui nourritle genretraditionnel de l'his-
toiredes croisadeslimitéeà deux siècles (de l'appel à la première
croisade,en 1095,à la chutede Saint-Jean d'Acre,en 1291), pourune
quête des profondeurs dans une chronologieample couvrantun bon
millénaire(1000-2000).Ainsiexpriméepar le sens commun,la croi-
34. III, p. 1288.
35. Chap. XII, II, p. 1113 s. ; voir Michel Villey,La croisade.Essai sur la formationd'une catégorie
juridique,Paris, Vrin, 1942.
36. II, p. 1243 et 1248.
de l'Histoire
Duprontou la poétisation
Alphonse 897

sade estun révélateurdes fondements de la psychéoccidentale,de la


vocationexistentiellede l'Occident37.C'est une « pulsion de vie ».
Pareilleplongée dans les profondeursrelève,estimeDupront,d'une
psychanalyse de l'histoirepropreà cernerun « inconscientcollectif».
Dès lors,l'historienest un analystequi participeà la vie des profon-
deurs38,obsédé par l'originelet en quête de la « terrefemme»39.
Dans cetteperspective, Dupronténonce une méthode,dite« méthode
des convergences», qui permetd'aller de la « survieà la vie » : « Soit
deux démarchesparallèles,l'une de découvertede la vie du mythede
croisadedans un passé affleurant au présent,l'autre d'exploration,
aux sourcesmêmes,les plus authentiqueset les plus prochesde l'évé-
nement,des constantesdu « vécu » durantles deux sièclesdes croi-
sades originelles40».

Histoiredu mythe
de croisade

Ce projetde grandeampleursuppose d'écriretoutel'histoirede


la croisadeaprèsles croisades.C'est l'objet des deux premierstomes
consacrésà 1' « histoiredu mythede croisade». Cettehistoirecom-
mence au XIVesiècle. Chaque année ou presque les souverainschré-
tienset/oules prélatsassemblésen concilese concertentpour lancer
de nouvellesexpéditions,parfoisréalisées,tellel'équipée de Louis II
de Bourbonen Afriquedu Nord,en 1390,ou celle de Nicopolis,en
1396.Plussouvent,il s'agitde simplesprojets,commecelui qu'expose
l'évêque et légistefrançaisPierre Dubois dans son De recuperatane
Terresánete.Pour les rois et les princesde l'Occident latin,spéciale-
mentpour les derniersCapétiens- successeursde saintLouis -, l'en-
treprisereprésenteun devoirsouverain; la croisadeestpour eux une
« vicarianceélective»41.Tout cela n'est qu'une gesticulationabsurde
mais à laquelle il est pourtantimpossiblede renoncer,puisque s'ex-
primeainsile besoinprofondde miseen scène de l'unitéchrétienne
qui ne peut se concevoirqu'en référenceà un centre,Jérusalem.
Dans ces conditions,plus que le départ,ce sont les préalablesqui
importent,plus que la croisade,la réforme,conditiondu départ.
L'étude en profondeurde ces préalablesoblige à plongerdans toute
une « littératurede l'infra-consciencecollective»42faitede guidesde

37. I, p. 13-14.
38. I, p. 16,22-23,30, 158,176et III, p. 1520.
39. I, p. 158.
40. I. p. 17.
41. I. n. 133.
42. I, p. 176.
898 DominiqueIogna-Prat

voyage,de récitsde pèlerinage,de textesde déplorationà mi-chemin


entrelittérature et liturgie,tellesles lettresdu dominicainRiccoldde
MonteCroce43, sans compterde hautesœuvreslittéraires - celles par
exemple d'Eustache Deschamps,de Christinede Pisan, d'Honoré
Bonet,ou encore de Boccace qui met en formela légende des trois
anneaux- paraboledes troisfilsincarnantles troisreligionsdu Livre
dontle destinestlié -, appelée à exercerune influenceà long terme
surdes auteursaussidiversque Ronsardet Lessing44. Cettelittérature
livrel'imaged'un mondelas et décentrépréoccupéde passageplutôt
que de guerresainte,d'apostolatet de missionplutôtque de croi-
sade, l'imaged'une chrétientéen « travailde soi » et d' « intériorisa-
tion», commele montrele voyageen songevers« l'ouitremer» que
meten scène Christinede Pisan dans le Livredesfaitsetbonnesmœurs
du sageroiCharlesV.Mais l'intériorisation à l'œuvrelaissepériodique-
mentéchapperdes « surgissements prophétiquescompensatoires »45.
Dans le mêmetemps,la croisadecesse d'êtreune entreprise unitaire.
C'est souvent un rêve de « solitaires», traditionreprésentéeau
XIVe sièclepar Philippede Mézières,maisqui va bien au-delà,comme
l'attestele projet de conquête de l'Egypteprésentépar Leibniz à
Louis XIV en 1671-167246. C'est surtoutdésormaisl'affaired'une
caste,la chevalerie,qui, par le biais des idéaux de noblesseet la défi-
nitiondes ordres,en vientà concentrerl'essentielde l'expressiondu
mythede croisade. Comme le montrela postéritéde deux chefs-
d'œuvrede la littérature de l'époque moderne- La Jérusalem libérée
du
Tasse et le Quichottede Cervantes -, l'idéal de croisadeanime l'aristo-
cratiejusqu'au xviir siècle. Sous la Restauration,Chateaubriand
chanteencoreles « filsde croisés»47.
Le XIVesiècle, premiersiècle de la croisade après les croisades,
marque,enfin,le passage à l'histoire48 avec l'œuvrede Pierrede La
novae legis,dont seules les
Dominipro tempore
Pallu (?), Liberbellorum
rubriquessontconservées,avantque l'historiographie de la croisade
s'établisseet se fixeen Italieau XVesiècle,notammentgrâceà YHisto-
ria Gotefridi de Benedetto d'Ascolti d'Arezzo, composée dans les
années 1450 et dontle Tasse a lu une traductionitalienne.Deux fac-
teursvontensuitefavoriser l'accélérationde ce mouvementde pas-
sage à l'histoire : l'imprimerieet l'essor des travauxéruditsvisantà
que René Kapplerdonne des œuvresde Riccold
43. Voirdésormaisl'éditionet la traduction
en Terresainte et au ProcheOrientet Lettressur la chutede Saint-Jean
de Monte Croce, Pérégrination
Paris,Droz,1997.
d'Acre,
44. I, p. 235 et II, p. 880.
45. I, p. 252.
46. I, p. 413 s.
47. II, p. 720.
48. Chap. XI, II, p. 979 s.
Duprontou la poêtisation
Alphonse de l'Histoire 899

exhumerles antiquitésnationales,par exempleceux de Du Cange,de


FrançoisPithou,de Paul Petau et de Jacques Bongar,ainsi que la
publicationen 1611,à Hanovre,des GestaDei perFrancoset les travaux
d'accumulationeruditedes moines savantsde la Congrégationde
Saint-Maur,que l'Institutde Francefaitfructifier,
un siècle plus tard,
avec les Recueilsdes historiens
des croisades.C'est ce terreau savantqui va
permettre le lancementet l'essordes histoiresdes croisades,dont le
premierexemple est offertpar VHistoire des croisades
du pèrejésuite
Louis Maimbourg,qui date de 1675.
L'histoiredu mythede croisadesuppose une vasteanalysedans
l'espace et le temps.Il s'agit de saisirl'ensemble de la chrétienté
commeespace - terreset foyers- unifiéou en mal d'unité,comme
un corps gagné par une « épidémie »49.Le tempstraitéest d'une
énormeamplitude.A la préhistoire, c'est-à-dire les croisadesau plu-
riel s'étendantsur troissiècles (xr-xiirsiècles), ne succède pas sim-
plementle tempsdes « arrière-croisades », entreprises ou simplement
rêvées,de la chutede Saint-Jean d'Acre (1291) à la victoiredes chré-
tienscontreles Turcsà Lepante (1571), mais aussi les sièclesde sur-
vie du xviesiècle à nosjours - surviefaited'immanenceet de surgis-
sements,expressiond'une réalitétoujoursvivantede façon latente.
Une simpleétude d'histoirepolitiquesuffit à mettreen valeurfluxet
refluxd'une aspirationtoujoursactuelle.Au XVIesiècle,la défensede
la chrétientéest essentiellementune affairede politique papale
-Lepante est d'abord la croisadede Pie V et, en 1705, le pape Clé-
ment XI appelle encore à la croisade. Cette période n'en est pas
moinsun tempsde latencequi voitnaîtrel'Europe quand meurtla
chrétienté.Avec les grandesdécouvertes,le monde s'occidentalise,
avantqu'apparaisse,au coursdu xvirsiècle,un puissantintérêtpour
l'Orient extrême.L'ennemi de jadis, l'infidèle,semble intégréet
c'est,au fildes allianceset des revirements tactiques,une pièce dans
le jeu politiquedes puissancesoccidentales,comme le montrel'al-
liance nouée par le roi de France,FrançoisIer,avec le Turc.Les peurs
anciennessemblentsurmontées.La mode du xviiPsiècle est aux tur-
queries; c'est le temps des massacresde foire sur des « têtes de
Turcs»50.Le mythede croisaden'en est pas moinssouterrainement
actif.Ses surgissements sont notablesà l'orientde l'Europe, quand,
dans la secondemoitiédu XVIIe siècle,les « croisades» deviennentl'af-
fairedes Habsbourgsqui reprennentVienne (1683), Buda (1688) et
Belgrade (1688) aux Turcs. La dynamiqueà l'œuvre est encore
vivanteà la findu xixesiècle lorsqueGuillaumeII, en visiteà Jérusa-

49. L'imageestemployéeen II, p. 830-831.


50. II, p. 881.
900 DominiqueIogna-Prat

lem en 1898,célèbre« die hochgebauteStadt» commelieu de consé-


crationd'Empire51. Pour Dupront,la questiond'Orientau xviiret au
xixesièclen'estqu'une autrefaçonde nommerl'aspirationde l'Occi-
dentversla TerreSainte,qu'il s'agisse,pour l'Angleterre et la Russie
surtout,de succéderà « l'homme malade » (l'Empireottoman),de
libérerla Grèceou encorede discuter, en France,de la questionliba-
naise et, de façonplus générale,de l'avenirdu Levant.La surviedu
mythede croisademène donc de « Lepantejusqu'au retourd'Israël»,
de 1571jusqu'aux années 1917-1919.Toutecetteépoque esttravaillée
par « la puissance intérieuredes grands rêves eschatologiques»52.
Aprèsun tempsde latence,au xviirsiècle,de la dérisionvoltairienne,
vient,au xixe siècle, le temps des surgissements, de l'expression
« panique » des désirsde croisade.Le médiévalismede la Restaura-
tionet du romantisme ressuscitela « nécessité» de croisade53.Le rap-
pel des croisadesmédiévalespermetà Chateaubriandde chanter
l'électionde la France.C'est le souvenirdes expéditionsguerrières
contrel'infidèlequi animeles projetsde conquêteet de colonisation
de l'Algérie54.L'union de l'Occident et de l'Orient,dont rêventles
disciplesde Saint-Simon et d'Enfantin,n'est qu'une manièrede pro-
longementou d'actualisationd'une aspirationcollectiveanciennequi
travailleencore l'épopée littéraireau XXesiècle, par exemple chez
Barrés,Péguyou encoreDrieu la Rochelle55.

« Connaissancede la croisade»

La deuxième partiedu livre,qui occupe toutle volume III, est


consacréeà la « connaissancede la croisade», c'est-à-direà ses « traits
»
sociologiques toutcomme à sa « physique» et sa « métaphysique ».
«
D'une sociologie » relèvent les nécessitéset les signes auxquels
répondentles hommes quand ils se mettenten branle pour une
« expéditionmerveilleuseet inouïe », commele disentles historiens
du MoyenAge56.Cettemise en branle,d'essence spirituelle, est une
expression du « surhumain », du « primatunique de la vie ». D'où la
nécessitéd'une analysede la croisade comme « physique», d'une
étude de la vie dans ses expressionsélémentaires, gesteset actes qui
:
marquentl'expédition prédication,crucesignatio, départ,marchevers

51. I, p. 539 s.
52. I, p. 541.
53. II, p. 897,955.
54. II, p. 916 s.
55. II, p. 971-974.
56. III, p. 1280s.
Duprontou la poétisation
Alphonse de VHistoire 901

Jérusalemperçue comme « impérieusesurgie», « comme accession


par les pieds au divin»57.De la « métaphysique» relèventplus spéci-
fiquementsignesannonciateurs(dérèglementsastronomiques),pro-
phétieset terreurs- expressiond'une « plénitudemillénariste» -,
qui prennentsens dans un ordredu monde pensé comme une har-
monie réglantla vie des astres,des hommesen sociétéet des âmes.
Pareilleapprochesuppose de distinguerdes sièclesde surfaceet des
sièclesde profondeur, telsles XIeet XXesiècles; elle suppose,surtout,
une théoriede l'équilibrehistoriquedes forcesà l'œuvre,attenteset
déceptionsmillénaristes étantcompenséespar des « resurgies»58.La
« plénitudemillénariste » n'estréaliséequ'à Jérusalem, « villefemme»,
lieu « des accomplissements de la vie », que l'on doit physiquement
toucher59 ; c'est,« ontologiquement », le lieu du passage,1' « ombilic»
du monde, le lien nourricierà la mère, la croisade s'imposantà
l'historiensous la formed' « une évidencepsychanalytique » comme
« la libérationde la mère », au termede laquelle le tempss'abolit,
commele note Chateaubriandqui a parlé de « vaincrele tempspar
un tombeau»60.
La métaphysiquede croisadepermetd'appréhenderune réalité
collective61, de saisirle « qualitatifdu quantitatif », l'innombrabledes
profondeurs du collectif, qualifiéde « sur-société » en référenceexpli-
cite à Nietzche62 et dont l'étude ne relèvepas de 1' « idée » mais du
« mythe». Dans cette« sur-société » ou sociétédu « dépassement», la
religionse réalise pleinement,au-delà de l'institution, parce que
« plénitude de religion » annule tout « besoin d'Église», au-delà
mêmede toutculte,la religionde croisadeétant« ouvertesurles pul-
sions [...] de l'êtrecollectif»6' Mieux encore,la sociétéde croisade
suppose la « participationorganique à un tout», lequel exprime
« l'unitéde la puissance» d'une « sociétésaine », « parfaite»64,la ren-
contre- commel'espéraientles Saint-Simoniens - de l'Occidentet de
l'Orientdans une « fécondationréciproque», un rassemblement de
tout l'humain - c'est-à-direfidèleset infidèles- dans « l'unité de
l'être», dans « une juxtapositiondes religions» qui est « une réduc-
tionde religion» - religionde la femme,de la mère,de l'originaire-,
une manièred' « entrechocdes plénitudes»65.

57. III, p. 1327et 1379.


58. I, p. 123 et III, p. 1355et 1372.
59. III, d. 1362-1363.
60. III, p. 1367-1368et 1376.
61. Chap. XIII et XVI.
62. III, p. 1286-1287.
63. III. d. 1469-1472.
64. III, p. 1423-1431.
65. III, p. 1531-1540.
902 DominiqueIogna-Prat

Ces considérationssur la métaphysiquede l'unité - dont sont


curieusementabsentsles Juifspourtantspécialementconcernéspar
la question du retouren Terre Sainte et particulièrement touchés
par les effetssecondaires des -
croisades66 amènent Alphonse
Duprontà conclureson œuvresur le mytheet la croisade comme
mythe.Dans le vocabulairedupronien,le termepermetde désigner
la « réalitéd'une créationcommune», « présenced'un être collec-
tif»,un « acte de compositionde l'unité » qui est une nécessité,un
« ordrede la vie ». Il s'agitde la marcheversune autresociétéqui
est une sublimationau plan divin,marcheversune limitetoujours
supérieureet jamais atteinte,par laquelle « la puissance de la
transcendance » permetd' « unirinlassablement le passé au présent»
comme un fil,une « ligne d'être aux profondeurs» qui permetde
« vivreses sources», à la fois« faitpatrimonialet puissancede recréa-
tionincessante»67.

Histoireetphilosophie
de l'Histoire

La Chrétienté
et Vidéede croisadea longtemps été un classique de
l'historiographie française.Les recensionsdu livredans les revues
francophonessont, à quelques exceptions près, unanimes dans
l'éloge, soulignantla nouveautéde l'intérêtportéaux aspectspopu-
laireset messianiques68.Encoretoutrécemment - peu de tempsavant
que paraissele Mythe de croisade-, AndréVaucheza rappelé l'impor-
tancede la lectureofferte parAlphandéryet Dupront,qui ontpermis
« l'entréeen scène des laïcs dans l'histoiremédiévale» et le réexa-
men à nouveaufraisd'une histoirede l'eschatologievécue hicetnunc
commele tempsde la fraternisation De façonplusgéné-
universelle69.
rale, l'accueil réservéà 1' « Alphandéry-Dupront » est représentatif
d'un intérêtalors largementpartagépour l'histoiredes mentalités.
Dans l'étude qu'il consacreà la question,en 1961,dans YHistoireetses

66. Pourprendrela mesuredes problèmes- abondamment présentéset analysésdans l'histo-


riographiecontemporaine de consulterl'excellentdossierde récitsde voyagehébraï-
-, il suffira
ques du MoyenAgecomposéet introduit parJosephShatzmiller, dans Croisadesetpèlerinages.
Récits,
chroniques etvoyagesen Terre
sainte, XIIe-XVP DanielleRégnier-Bohler,
siècle, dir.,Paris,Laffont,1997,
p. 1279-1390
67. III, p. 1651-1690.
68. Voirla postfacede MichelBalardà la rééditionde La Chrétienté op. cit.
etl'idéede croisade,
(n. 5), p. 575 s.
69. AndréVauchez,Les composanteseschatologiques de l'idée de croisade,dans Le Concile de
Internationalde Clermont-Ferrand
de 1095 et Vappelà la croisade.Actesdu ColloqueUniversitaire
Clermont
de Rome,1998,p. 233-243(ici p. 242), que reprendsousle même
(23-25juin 1995),École française
du mêmeauteurà L'Europe
titre,maissansles notes,la contribution op.cit.(n. 3),
danssonhistoire,
p. 19-28.
Duprontou la poétisation
Alphonse de l'Histoire 903

méthodes, GeorgesDuby donne une bonne idée de la façon dont La


Chrétienté s'estfonduedans le paysagedes Annales70. A l'origine,il y a
Lucien Febvre,le père fondateur,marqué par VIntroduction à la psy-
chologie collective de Charles Blondel (Paris, 1928) et les travaux
d'Henri Wallon.Vientensuitela psychologiesociale anglo-saxonne,
qui éclaireles rapportsentrepsychisme individuelet environnement
social,entreréactionspersonnelleset modèlesculturels.Dans cet his-
torique,pas la moindreallusionà la traditionde Berr et à la « psy-
chologiemétaphysique » au cœurdes travauxdu Centrede synthèse.
L'objet de l'histoiredes mentalités, poursuitGeorgesDuby,est d'étu-
dierla « dialectiquesubtile» du personnelet du socialdans le temps:
au niveaumicro-historique de l'événement,dans une chronologiede
moyenneamplitude et, surtout, dans la longue durée et « ses pri-
sons» que sont les croyances,les systèmesdu monde et les repré-
sentationsreligieuses; plus bas encore,se situentles structures men-
tales reliées aux conditions biologiques, qui ne varient qu'avec
l'espèce71.C'est au troisièmeétage de cette stratification que pren-
nent naturellementplace l'Alphandéry-Dupront et la croisade
comme idée ou comme mythe- référencequi devientcanonique si
l'on en juge par l'articleque Jacques Le Goffconsacre,en 1974, à
l'histoire« ambiguë» des mentalités, dans Fairede l'histoire,
La Chré-
tientéétantcitée,à côté des Rois thaumaturges de Marc Bloch et des
Magistrats et sorciersde RobertMandrou,au titredes exemplesclas-
siques d'une « archéopsychologie »72.
Hors de l'horizondes mentalitéschèresà l'historiographie fran-
çaise, La Chrétienté et l'idéede croisadea, en revanche,été perçue
commeœuvresingulièreet a été traitée,en conséquence,commeun
essai sommetoutemarginaldans l'abondanteproductioninternatio-
nale relativeaux croisades; d'ailleurs,le livren'a jamais été traduit
qu'en italienet encore tardivement73. Dans deux comptesrenduscri-
tiquesparus en 1954 et 1957,GiovanniMiccolisoutientque La Chré-
tientéest « sanshistoire» dans la mesureoù ses auteursconsidèrentla
croisade comme « un momentaffectif, fondamentalement incons-
cient». Rapportantces propos,FrancescoSantipoursuitla critiqueet
qualifiela méthode duproniennede « phénoménologiehistorique

70. GeorgesDuby,Histoiredes mentalités, dans L'histoire


etsesméthodes,
CharlesSamaran,dir.,
Paris,Gallimard,1961,p. 937-966.Sur la question,AlphonseDupronta livréun articlerestéconfi-
dentiel,D'une histoiredes mentalités, Revueroumaine 9, 1970,citépar DominiqueJulia,
d'histoire,
L'historienet le pouvoirdes clés,op.cit.(n. 1).
71. Ibid.,p. 951 ; la notionde « prisons» de la longue durée est empruntéeà Fernand
Braudel.
72.JacquesLe Goff,Les mentalités. Une histoireambiguë,dansFairedel'histoire,op.dt. (n. 15),
t. NT n 76-Q4
73. Bologna,Patrone,1974,avecune préfaced'OvidioCapitani.
904 DominiqueIogna-Prat

appliquée à l'anthropologiereligieuse»74.Du Mythede croisadeon


peut toutaussibien dire qu'il s'agitd'un essai relevantde la philoso-
phie de l'Histoire; exaltant« l'étrangegénie » de l'œuvre,Denis
Crouzetn'hésitepas à parlerd'une « herméneutiqueexistentielle »75.
Dupront s'est, en quelque sorte, à
employé poétiser l'histoired'un
Occidentchrétiendésenchanté.Lancé dans une explorationdes pro-
fondeurs,l'historiensitue délibérémentson entreprisedans le
registrede la métaphysique ; son véritableobjet est l'ontologiede
sa société.
C'est dire la singularité,au sein de la productionhistoriogra-
phique françaisecontemporaine, du propos de Dupront,longtemps
banalisé dans le consensusambigu dont a bénéficiél'histoiredes
mentalités.Plus haut,on a tentéde mettreen valeursa généalogie
intellectuelleet son intérêt,via Berret Alphandéry, pour la psycholo-
gie des profondeurs, poussée chez lui à un pointextrême; commele
note finementFrancescoSanti,son obsessionpour les surgissements
paroxistiquesde la puissancevitaleà l'œuvredans l'histoireocciden-
talefaitdes scienceshumaines« un arterotique»76.Mais à côté de ces
influencesexplicites et du jungisme diffusdans lequel baigne
l'œuvre,il convientde fairesa place à d'autrescourantsde pensée
provenantde la philosophiede l'Histoireallemande. Notons tout
d'abord, la place particulièreque, dans l'historiographie des croi-
sades, Dupront réserveà Arnold Heeren. Professeurà Göttingen,
Heeren (1760-1842)estun intellectuelpolymorphe - philologue,his-
torien de l'Antiquité,analystedes systèmespolitiques européens,
orientaliste dans la traditionde Leibniz; il est l'auteurd'un Essai sur
l'influencedescroisades,mémoirecomposé à l'occasion d'un concours
lancé par la classed'histoireet de littérature anciennede l'Institut de
France au printemps1806 et publié à Paris en 1808, dont la place
dans l'historiographie des croisadesest somme toute secondaire77.
Duprontparle des « lignesmâles » rédigéespar Heeren qui a su per-
cevoirles croisadescomme un toutet saisirle singulierde la croi-
sade78.Surtout,il convientde fairetoute sa place à l'influencede

74. FrancescoSanti,A proposdu texted'AndréVauchez,dans L'Europe op.cit.


danssonhistoire,
(n. 3), p. 28-37(ici p. 30 et 32) qui renvoieaux deux comptesrendusde GiovanniMiccoliparus
dans la Rivista StoricaItaliana 71 (1954), p. 672-680 et les Annali della Scuola NormaleSuperiore26
(1957), p. 294-303.
75. DenisCrouzet,L'étrangegéniedu Mythe op.cit.(n. 1), p. 92.
decroisade,
76. FrancescoSanti,A propos,op.dt. (n. 74), p. 37.
77. Arnold H. L. Heeren, Versuch derFolgenderKreuzzüge
einerEntwicklung fürEuropa,Göttingen,
1808.Die neuedeutsche
1808,trad,franc.,Paris/Strasbourg, Biographie8, p. 195-196[I. Crusius]ne
faitaucune mentionde ce mémoire,que Hans E. Mayer,BibliographiezurGeschichtederKreuzzüge,
Hannovre,Hansche,1960,p. 233,n° 5185,citeau simpletitredes travauxrelevantde la « Kultur-
geschichte ».
78. III, p. 1278.
de l'Histoire
Duprontou la poétisation
Alphonse 905

Nietzsche,citéà plusieursrepriseset pourvoyeur des notionsde « sur-


humain» et de « sur-société». Duprontse nourritainsi de toutun
courantintellectuel,opposé à l'historisme,qui s'enracine dans le
romantisme(en particulierdans les écritsde Novalis)et, via le socio-
logue FerdinandTönnies et le cercledu poète StefanGeorge,mène
à Heidegger et à de nombreuxhistoriensallemands du premier
XXesiècle79.Ce courantse caractérisepar son oppositionà la moder-
nitéconçue commele triomphede l'individualisme et la rupturedes
harmoniesanciennes.D'où un investissement du MoyenAge perçu
commel'âge d'or de l'unitéorganiqueréaliséepar le christianisme80.
En dehorsdu renvoireconnuà Nietzsche,la participationà ce cou-
rantde pensée ne passe, chez Dupront,par aucune reconnaissance
de detteexplicite.Elle n'en est pas moinsnotable.Ainsidéclare-t-il à
proposde la croisadecomme « sociétéde participation» : « [C'est]
une société à laquelle on prend part,mais non dans les affadisse-
ments,les ténuitésd'aujourd'hui: commela partieest organiqueau
tout.A un toutqui l'est autantque peut le motet qui ne s'arrêtepas
aux limitesdes horizonsde l'homme,maisqui lie natureet surnature,
humainet divin,temporelet spirituel.Plus donc qu'une sociétéde
l'immanence.Ou la plénituded'une sociétéde l'immanence»81.On
peut aussi citerson jugementsur « la superbede la lumièreà tout
prix[qui] conduitl'espritmoderneà l'impuissancevis-à-vis des forces
de vie et de mortemmêlées,présentementdéchaînées dans notre
monde »82.Tel dupronienconvaincu- Pierre Chaunu - parle plus
explicitement encore de la croisadecomme « défensedu Nous [...]
contrela montéequi se précipite,à partirde LatranIV (1215), au
XIIIesiècle,du JEau détrimentdu nous, de l'individuel,de l'indivi-
dualismeau détriment du holisme»83.
Pareillephilosophiede l'Histoireest serviepar une méthodequi
méritequelques commentaires. On a notéplus hautl'importanceque
Dupront, quête l'expressiondes profondeurs,
en de accordeaux phé-
nomènesd'immanence,de latenceet de surgissements. Ce qu'il qua-
lifiecomme tel relèvebien souventde simplesrémanences.En jan-
vier1846,Montalembert monteà la tribunede la Chambredes pairs
79. Surle cerclede StefanGeorge,auquel appartient voirl'étudede Ste-
lejeune Kantorowicz,
fan Breuer, Ästhetischer StefanGeorgeund der deutscheAntimodernimus,
Fundamentalismus. Darmstadt,
Wissenschaftliche 1995.
Buchgesellschaft,
80. Voir Otto G. Oexle, Geschichtswissenschaft
im ZeichendesHistorismus,
Göttingen,Vandenhoeck
& Ruprecht,1996, ainsi que Die Moderne und ihr Mittelalter.
Eine FolgenreicheProblems-
und Moderne.Entdeckungund Rekonstruktion
geschichte, dans Mittelalter dermittelalterlichen
Welt,Peter
Segl,dir.,Sigmaringen, Thorbecke,1997,p. 307-364.
81. III, p. 1423-1424.
82. III, p. 1673.
83. PierreChaunu,préfaceà L'Europe danssonhistoire,
op. cit.(n. 3), p. xvi; c'estl'auteurqui
souligne.
906 DominiqueIogna-Prat

pour dénoncerles atrocitéscommisesau Liban sous occupationotto-


mane. « Au nom de quoi parle-t-il ? », demande Dupront.« Au nom
des droitsde l'humanité,de l'honneurde la France,des traditions
séculairesde la croisade,de Godefroy, de saintLouis ». Et d'évoquer
un peu plus loin l'ancienne« Provencelibanaise» du comtede Tou-
louse84.C'est sur de tellesbases documentairesque Dupront déve-
loppe la thèsede la latenceet des surgissements : l'espritde croisade,
misen formeau tempsdes croisadeshistoriques, reflueensuitepour
surgirpériodiquement de façon « paroxistique par exempledans la
»,
question libanaise objet du discours de Montalembert. Mais l'épisode
peut être analysé de toute autre façon en reconnaissant que la
construction du présent- en l'occurrencela politiquede la France
au Levantau milieudu XIXesiècle- s'alimenteà toutun « imaginaire
du passé » faitd'images,de conceptset de schémasd'interprétation
préfabriqués, qui sont autantde rémanences,autantde matériaux
propres à nourrir l'élaborationdes questionsdu présent.
L'attentionportéeà la vie des profondeurset aux signesde sur-
gissementamène Duprontà pratiquerce que, fautede mieux,on
qualifierade « littéralisme intégral». Nombrede critiquesde La Chré-
tientéetVidéede croisade ont dénoncé « l'interprétation cléricalede la
croisade» conduisantà adopter« commevéritéhistoriographique ce
qui aurait été la vérité idéologique et rhétorique contemporaine »
transmise par les clercschargésde mettreen formeles gestesde croi-
sade85.On peut ajouter,à proposde La Chrétienté maisplus encoredu
Mythe de croisade,
que l'adoption de ces texteset de la véritédes clercs
se faitde façonlittérale.L'extraordinaire de la croisade,décritepar
les contemporainscomme une inauditaexpeditio, ou les nombreux
signesde la « métaphysique de la croisade» doivent-ils vraimentêtre
prisau pied de la lettre? Contentons-nous pour le momentde poser
la questionet de pointerle problème.
Latence et surgissements posentun autreproblèmede méthode.
La psychologiedes profondeurssuppose que les phénomènesinté-
rieursne trouvant pas à s'exprimersoientdéplacésen autantde trans-
fertscompensatoires.Cette notion de « transfert » est au cœur de
l'œuvrede Dupront. L'histoire de la croisade après les croisades,du
XIVesiècle à nosjours, est essentiellement affairede transferts entre-
coupés de rares mais violentssurgissements. Transfert des croisésà
d'autres types- missionnaire,marchand,explorateur,artiste- tra-
vaillésintérieurement par la même aspirationautrementexprimée.
Transfert du centre,la TerreSainte,à des ersatzde centres- l'Egypte

84. I. p. 550-551.
85. FrancescoSanti,A propos,op.cit.(n. 74), p. 29.
de l'Histoire
Duprontou la poétisation
Alphonse 907

au lieu de la Palestine; Rome, la « villemère », ou même Paris,en


lieu et place de Jérusalem- et aux répliquesdu centreque représen-
tentla Terre Sainte ou les objets sacrés (les reliquesen particulier)
pieusement rapportés de Palestine, ainsi que les nombreuses
répliquesmonumentalesdes lieux fréquentéspar le Christ(Saint-
Sépulcre; crèche; stationsde croix...). Historiencapable de réunir
une documentationimpressionnante et dont le travailéruditest le
plus souvent méticuleux, Dupront traitemédiocrement cettequestion
des répliques. Il est, en particulier,inexact de soutenirque les
reliques monumentalesdu Saint-Sépulcresont ultérieuresà la pre-
mièrecroisade86. Dès l'époque carolingienneau moins,on s'efforce
de penser la topographiesacrée dans un évidentmimétismeavec
Jérusalem.Mais la référenceest trop précoce pour Dupront,à la
recherchedes attestations de transferts seulementaprès l'échec des
croisades; dans la logique de son schéma,il ne sauraity avoir eu,
avant,refoulement ou déplacementd'aspirationsprofondes.Ce sur-
prenant manque d'attentions'expliquepar le faitque ce sontles sur-
gissements plus que les phénomènesde déplacementqui intéressent
Dupront.Le transfert estpour lui une déperdition,commeun « mor-
cellementdu sacré », un « épuisementdu tropisme» ; il metl'histo-
rien aux prisesavec une « religionpartielle[...] qui perd physique-
ment la puissance de l'universel». Le mouvementhistoriquede
déplacement« du centrereligieuxde l'histoirechrétienneversl'Occi-
dent» débouche sur un monde plus vaste mais sans unité, un
« monde de la rupturedes liens ombilicauxaux sourcesde vie ». La
chrétientéen « travailde soi » et en voie d'intériorisation souffre
d'une « vacuitéde l'espace sacré »87.
A ce point de son analyse,Dupront est capable d'éloquentes
incompréhensions. Amené à parler de la Jérusalemintérieuredes
moinesà l'époque moderne,il y voitla marque de « toutle narcis-
sismede la religionneuve de l'Occident ». Il ignorevisiblement que
le thèmemonastiquedu Tu ipsetibiesJerusalem estaussiancienque les
croisades elles-mêmes.Pareille presbitiehistoriqueest une consé-
quence directedu littéralisme adopté par Dupront; c'est la méthode
obligée d'une histoiredes profondeursqui rend impossibletoute
symbolisation du mouvementde croisade et du rapportau centre.
Pourtantcette symbolisationest au cœur du message chrétien,
commel'attestent, entreautres,les variationspossiblessurles sensde
l'Ecriturefaisantpar exemplede Jérusalemà la foisla cité des Juifs

86. GenevièveBresc-Bautier,
Les imitationsdu Saint-Sépulcre
de Jérusalem(9e-15esiècle),
Revued'histoire
de la spiritualité,
50, 1974, d. 319-342.
87. III, p. 1491-1500.
908 DominiqueIogna-Prat

(sens historique),l'Église du Christ(sens allégorique), un espace


intérieur(sens moralou tropologique)et la cité de Dieu (sens ana-
gogique). Une connaissance,mêmeélémentaire, de l'herméneutique
chrétienneaurait dû convaincreDupront que la Terre Sainte est,
depuisles originesmaisspécialementà partirde l'époque où la topo-
graphie sacrée du Christreprend de l'actualité,toujourstiraillée
entrelettreet symbole.En faitfoi touteune littérature sur le pèleri-
nage en TerreSaintequi reflète,d'un côté,les aspirationsà retrouver
les lieux mêmesde la vie terrestre du Christet,de l'autre,l'intériori-
sationpossibleet souhaitabledu voyagesaint,car,commele soutient
l'abbé de Cluny,Pierrele Vénérable,paraphrasantHorace, dans le
voyageà Jérusalemce sont les cieux qui changent,pas les cœurs88.
C'est une façonde direque le « cœurde la terre» évoqué par l'évan-
gélisteMatthieuest toutautantmoralet allégoriqueque réel89.Tota-
lementimperméableaux dimensionsallégoriquesdu christianisme et
amené à minorervoire à dévaloriserles phénomènes de déplace-
ment,Duprontignorele faitque la chrétienté se constituetoutautant
dans un mouvementcentripète(le retourà la TerreSainte) que cen-
trifuge(le centrede la terrese démultipliantaux quatre coins de
l'univers).Il méconnaît,en particulier,la force qu'acquièrent au
coursdu MoyenAge les églises,lieux du sacrificeeucharistique, qui,
commeles formulaires liturgiquesle répètentà l'envi,fontofficede
petitesJérusalemamenées à se démultipliercomme un semis de
pointspourremplirtoutl'espace de la terre,l'unitéd'un mêmecorps
(la chrétienté)se réalisantdans la multiplicité des membresparce
que la tête a
(le Christ) la propriété de se reproduireréellement
Enfin,Dupront méconnaît la forcedes « transferts » au cœurde la
réflexionpolitiquedans l'Occidentlatin.Pour lui,l'émergenceet l'af-
firmationdes royaumeschrétiensoccidentauxsont des symptômes
d'un « déficitde croisade » ; le royaumecomme forceneuve frag-
mente et paralyseprogressivement la chrétienté90. Il n'a manifeste-
ment pas lu les travauxd'Ernst Kantorowiczqui a montré,au
contraire,la richessede la translatio à l'œuvre entre chrétientéet
royaumes chrétiens.Dans son étude Propatriamorien particulier, Kan-
torowicz insistesur l'influencedu mouvementde croisadeet de la
notion de Terre Sainte sur la conception du regnum;suivant
l'exempledonné par la levée d'impôtspour les croisades,se réalise,
aux xiP-xiirsiècles,le transfert à certainsroyaumes(France et Sicile

88. Epistola80, dans TheLetters ofPetertheVenerable,GilesConstable,éd., Cambridge(Mass.),


HarvardUniversity Press,1967,t. I, p. 214-216(ici p. 216) ; Pierrele Vénérabletientla formule
d'Horace,Ep. I, xi,27.
89. Matth.12,40.
90. I, p. 65.
AlphonseDuprontou la poétisationde l'Histoire 909

par exemple) d'un impôtad tuitionem patriaeavecun


ou ad defensionem
phénomène de sacralisation
de l'entité et
bénifìciaire l'assimilation
de la mortpour défendrela couronneau martyre qui permetd'accé-
der à la vie éternelle91.

« Actualité» d'une œuvreentreXIXeetXXesiècle

Au termedu parcoursharassantqui lui estproposé,le lecteurqui


n'a pas cédé aux sirènesde la poétique dupronienneest comme
étourdipar les grandsventsde l'Histoireet saoulé par le récitatif
impétueuxd'une manièrede légende occidentaledes siècles. Bien
au-delàde la « psychologiemétaphysique » de Berret d'Alphandéry,
le livreinspiréde Duprontpoétisel'Histoireà la façondes voyageurs
et hommesde lettresqui, au xixesiècle, partentrêverl'Orient. Sa
« métaphysique» n'est pas loin du « berceau cosmogoniqueet intel-
lectuel » de Ballanche ou de la « terrematernelle» de Nerval92.
Encore les originesorientalessont-elles, versionDupront,exclusive-
mentchrétiennes, alors que l'orientalistedu xixesiècle est en quête
de toutes les racines de l'histoireoccidentale : les origineschré-
tiennes,bien sûr,maisaussile passé grec,le monde des pharaons,les
restesde Carthage.De Flaubertdevrait-on retenirLa Tentation desaint
Antoine et éliminerSalammbô ? L'Orient préchrétienfaittoutautant
rêverque la TerreSainte,sans parlerdes fantaisiesorientalesqu'ins-
pirentle mondedes Milleetunenuitset les fantasmes sexuelsattribués
à l'islam dont Verlainechante les « harems sans fin,paradis phy-
siques». Ainsirestituéentrephilosophiede l'Histoireet mythelitté-
raireromantiques, quelle peutbien êtrel'actualitédu Mythe decroisade
?
aujourd'hui Pourquoi se lancer dans une telle entrepriseeditoriale
en 1997 ? S'agit-ild'un simple et respectabledevoir de mémoire
enversun maîtredisparu? Faut-il,plus largement,y voirun témoi-
gnage de « l'éveil,en France toutrécent,d'une consciencehistorio-
graphique» - pour reprendrela notationde PierreNora, éditeurde
l'œuvre? Mais à quel titre,celui d'un « lieu de mémoire» installant
« le souvenirdans le sacré »93?

91. ErnstKantorowicz, Propatriamoriin medievalThought,American HistoricalReview, 56,


1951,p. 472-492[trad,françaisedans Mourirpourla patrie,
PierreLegendre,éd., Paris,PUF,1984,
p. 105-141].
92. CitésparJean-ClaudeBerchet,Le Voyage en Orient.
Anthologiedesvoyageurs françaisdansle
Levantau XIXesiècle, 1985,p. 12.
Paris,Laffont,
93. PierreNora, EntreMémoireet Histoire.La problématiquedes lieux,dans Les Lieuxde
mémoire,Paris,Gallimard,1984,rééd.Paris,Gallimard,1997 (quarto),t. I, p. 23-43(ici p. 25).
910 DominiqueIogna-Prat

DominiqueIogna-Pratest chargéde rechercheau Centrenationalde la


Recherchescientifique (Unité mixtede rechercheCNRS/Université de Bour-
gogne,Dijon/Auxerre) . Ses travauxportentprincipalement sur les rapports
entrethéologiepolitiqueet histoirede la sociétédans le MoyenAge occiden-
tal. Principales publications : Agni immaculati.Recherches sur les sourceshagiogra-
phiquesrelativesà saintMaieul de Cluny(954-994), Paris,Le Cerf, 1988 ; Ordonner
etexclure.Clunyet la sociétéchrétienneface à l'hérésie,
au judaïsmeet à lïslam (1000-
1150),Paris,Aubier,1998.

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