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DE DEO UNO
Commentarius in Summam theologicam Sancti Thomae
(1a pars, Q. II - Q. XXVI)
2020 – 2021
Éléments bibliographiques
1. BARBELLION, Stéphane-Marie ( Fr. ) : Les « preuves » de l'existence de Dieu : Pour une relecture des cinq voies
de saint Thomas d'Aquin. - Les Éditions du Cerf, 1999 – (Théologies).
2. BAUCKHAM, Richard : Jesus and the God of Israel : God Crucified and other studies on the New testament’s
Christology of Divine Identity. – Eerdmans, 2008.
3. BILLOT, Ludovicus (s.j.) : De Deo uno et Trino : Commentarius in primam partem S. Thomae. ed. 6 - Universitas
Gregoriana, 1920.
4. BONINO, Serge-Thomas ( o.p.) : « Défense et illustration thomiste de la puissance de Dieu », RT 113 (2013), 531-
568.
5. BONINO, Serge-Thomas ( o.p.) : Dieu, “ Celui qui est ” : De Deo ut Uno. – Éditions Parole et Silence, 2016. –
(Bibliothèque de la Revue Thomiste).
6. BONS, Eberhard (directeur), LEGRAND, Thierry (directeur) : Le monothéisme biblique : Évolution, contextes et
perspectives. – Le Cerf, 2011. – (Lectio Divina ; 244).
7. CORVEZ, Maurice : « De la connaissance de Dieu », RT 1948 (III), 511-524.
8. COURTH, Franz : Le Mystère du Dieu Trinité. - Éditions Saint-Paul ; Cerf, 1999 – (AMATECA. Manuels de
Théologie catholique. VI).
9. DEL PRADO, Norbert (o.p.) : De veritate fundamentali philosophiae christianae. - Consociatio Sancti Pauli,
1911.
10. ELDERS, Léon (s.v.d.) : La théologie philosophique de saint Thomas d'Aquin : De l'être à la cause première. - P.
Téqui, 1995 – (Croire et savoir ; 22).
11. EMERY, Gilles ( o.p.) (directeur), GISEL, Pierre (directeur) : Le christianisme est-il un monothéisme ?. – Labor et
Fides, 2001. – (Lieux théologiques ; 36).
12. FRANZELIN, Joannis Bapt. (s.j.) : Tractatus de Deo uno secundum naturam. ed. altera emend. - Typog. polyglot.
S. C. de Propaganda Fide, 1876.
13. GARRIGOU-LAGRANGE, Réginald (o.p.) : De Deo Uno : Commentarius in primam partem S. Thomae. - Casa
Editrice Marietti ; Pontificium Institutum Internationale « Angelicum », 1950.
14. GARRIGOU-LAGRANGE, Réginald (o.p.) : Dieu, son existence, sa nature. Deux volumes. 11e édition -
Beauchesne, 1950.
15. GAVRILYUK, Paul L. : The suffering of the impassible God : The dialectics of patristic thought. - Oxford
university press, 2006.
16. GENUYT, F. M. (o.p.) : Le mystère de Dieu. - Desclée, 1963 – (Le Mystère Chrétien : Théologie Dogmatique ; 2).
17. GUÉRARD DES LAURIERS, M. L.-B. (o.p.) : Bulletin Thomiste, Tome XI, 1960-1962, fascicule 2, p. 369-445 :
nombreux comptes rendus d’ouvrages sur Dieu.
18. GUÉRARD DES LAURIERS, M. L.-B. (o.p.) : La preuve de Dieu et les cinq voies. (Cathedra Petri Pontificiae
Universitatis Lateranensis ; 1). – Rome, 1966.
19. JOURNET, Charles : Connaissance et inconnaissance de Dieu. - Éditions Saint-Augustin, 1996-1969.
20. JUGIE, Martin (a.a.) : Theologia dogmatica Christianorum Orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium :
Tomus II, Theologiae dogmaticae Graeco-Russorum expositio. De theologia simplici — De Œconomia. - Letouzey
et Ané, 1933.
21. KASPER, Walter : Le Dieu des chrétiens. - Cerf, 1985 – (Cogitatio Fidei ; 128).
22. LEVERING, Matthew : Scripture and Metaphysics : Aquinas and the renewal of trinitarian theology. - Blackwell
Publishing, 2004 – (Challenges in Contemporary Theology).
23. MARGERIE, Bertrand (de ; s.j.) : Les perfections du Dieu de Jésus-Christ. - Cerf, 1981.
24. MICHON, Cyrille : Prescience et Liberté : Essai de théologie philosophique sur la providence. - Presses Universitaires de
France, 2004 – (Épiméthée).
25. NICOLAS, Jean-Hervé ( o.p.) : Dieu connu comme inconnu : Essai d'une critique de la connaissance théologique.
- Desclée De Brouwer, 1966 – (Bibliothèque Française de Philosophie).
26. PLAGNIEUX, J. : De Deo Uno.
27. RINEAU, Louis-Marie ( Abbé ) : Penser Dieu : jugement et concept dans la théologie des noms divins d’après
saint Thomas. – Téqui, 2003. – (Croire et Savoir ; 38).
28. RÖMER, Thomas : L'invention de Dieu : Postface inédite. – Éditions du Seuil, 2017-2014. – (Points Histoire ;
H531).
–I–
29. SCHMITT, Yann : L'Être de Dieu : Ontologie du Théisme. – Les Éditions d'Ithaque, 2016. – (Philosophie).
30. SON, Eunsil, BERCEVILLE, Gilles ( o.p.) (préface de) : Miséricorde n'est pas défaut de justice : Savoir humain,
révélation évangélique et justice divine chez Thomas d'Aquin. – Les Éditions du Cerf, 2018. – (Patrimoines).
31. SWINBURNE, Richard : The coherence of theism. - Clarendon Press, 1977.
32. TROTTMANN, Christian : La Vision béatifique des disputes scolastiques à sa définition par Benoît XII. - École
française de Rome, 1995 – (Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome ; 289).
33. WINANCE, Éleuthère (o.s.b.) : "Métadiscours du discours sur Dieu". : REVUE THOMISTE. (1979) p. 388-407.
N.B. : seuls quelques ouvrages ou articles d’intérêt général pour l’ensemble du traité ont été indiqués
ci-dessus. Les références spécifiques aux diverses questions sont fournies dans le cours en leur lieu.
– II –
L’existence de Dieu
Indications bibliographiques autour du thème « Dieu et l’être » au point de vue théologique : soit en
commentaire d’Exode III, 14, soit sur la question de l’« onto-théologie »
• LIBERA, Alain (de ) (directeur), BRUNN, Emilie (Zum ) (directeur) : Celui qui est : interprétations
juives et chrétiennes d'Exode 3.14. - Les Éditions du Cerf, 1986 – (Religions du
Livre)(Patrimoines).
• CENTRE D'ÉTUDES DES RELIGIONS DU LIVRE (directeur) : Dieu et l'être : Exégèse d'Exode 3,14
et de Coran 20,11-24. - Études Augustiniennes, 1978.
• BOURG, Dominique (directeur de la publication) : L'être et Dieu. - Les Éditions du Cerf, 1986 –
(Cogitatio Fidei ; 138).
• VERNIER, Jean-Marie : Théologie et métaphysique de la création chez saint Thomas d'Aquin. -
Téqui, 1995 – (Croire et savoir ; 20).
• GENUYT, F. M. : Vérité de l'être et affirmation de Dieu : Essai sur la philosophie de saint Thomas.
- Librairie Philosophique J. Vrin, 1974 – (Bibliothèque thomiste ; XLII).
En outre
• BARR, Sémantique du langage biblique, p. 280.
• BIJU-DUVAL D., « Dieu avec ou sans l’être ? », RT 1995 (IV), 547-565.
• CEUPPENS, Theologia biblica, I, De Deo Uno, p. 19-32.
• FLOUCAT Y., « L’être de Dieu et l’onto-théologie », RT 1995 (III), 437-484.
• GILSON, Constantes philosophiques de l’être, ch. VIII (p. 231-253) : « Yahweh et les grammairiens »
(surtout p. 242-245).
• MARGERIE, Les perfections du Dieu de Jésus-Christ, p. 105 sq.
• NICOLAS J.-H., « La suprême logique de l’amour et la théologie », RT 1983 (IV), 639-649 : cr
critique de J.-L. Marion, Dieu sans l’être.1
• RT 1995 (I) : n° spécial : Saint Thomas et l’onto-théologie.
Est-il connu par soi que Dieu est ? (q2 a1)
• Proposition per se nota : celle qui, dès que ses termes sont connus, est connue comme vraie et
nécessaire. C’est le cas pour les premiers principes de la raison, immédiatement évidents. Ici la question est
posée pour cette proposition : Deus est.
1°) En faveur d’une réponse affirmative, saint Thomas commence par citer une formule de saint Jean
Damascène : « la connaissance de l’existence de Dieu se trouve naturellement en tous » (Cf. La foi
orthodoxe, L.I, c.1).
–1–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
2°) En second lieu, saint Thomas propose « l’argument de saint Anselme » (sans citer le nom).
L’argument est ramené à cette forme :
– par ce mot « Dieu » on entend un être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand ;
– or ce qui est à la fois dans la réalité et dans l’intellect est plus grand que ce qui est seulement
dans l’intellect ;
– donc dès que ce mot « Dieu » est conçu, il est évident qu’il est dans la réalité.
S. Anselme expose sa preuve a priori dans le Proslogion (1077-1078) et revient sur la question dans
son Liber apologeticus ad insipientem. La littérature sur ce sujet est immense. Signalons seulement
l’ouvrage récent d’Yves Cattin : La preuve de Dieu. Introduction à la lecture du PROSLOGION de Anselme
de Canterbury, Vrin, 1986. Voir aussi Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence, sa nature (Beauchesne,
1950, 11e éd. I p. 66-70).
3°) Le troisième argument, proche du second, se fonde sur l’évidence de l’existence de la vérité, jointe
au fait que Dieu est la vérité (Jo XIV,6).
Une proposition est per se nota quoad se sans l’être quoad nos lorsque le prédicat est inclus dans la
raison du sujet, le quid est du sujet ou du prédicat nous demeurant inconnu.
Or dans cette proposition : « Dieu est », le prédicat est certes inclus dans la raison du sujet (puisque
Dieu est son être), mais nous ne savons pas, de Dieu, ce qu’il est. (« Nos non scimus de Deo quid est »).
Signalons dès maintenant que l’interprétation de cette affirmation de saint Thomas a fait l’objet d’un
grand débat parmi les Thomistes de la première moitié de notre siècle. La discussion fondamentale eut
lieu entre Sertillanges et Maritain, comme le rappelle Prouvost, Revue Thomiste, 1993, 91-93. Voir
également les trois lettres de Sertillanges à Maritain publiées par Prouvost, Thomas d’Aquin et les
thomismes, Cerf, 1996 (Cogitatio Fidei ; 195), p. 177-193. [analyse critique des positions de Prouvost
dans SEDES SAPIENTIAE n° 59, p. 47-80].
Cf. entre autres :
J.-H. Nicolas, Dieu connu comme inconnu, DDB, 1966, p. 87-91 et p. 143-145 avec la note 29 p. 173-
174.
Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Vrin, 1931, p. 170-193.
Maquart, Elementa Philosophiae, A. Blot, 1938, T. III, II, p. 354-357.
Cf saint Thomas, In Boet. de Trin., 6, 3 cité par Penido p. 180-181.
–2–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
Maritain : Annexe consacrée à ce sujet dans Les degrés du savoir, p. 827-843 pour le 5e édition,
1948.
Donc cette proposition est per se nota quoad se, mais non quoad nos, et pas même pour les savants.
Elle doit être démontrée à partir de choses plus connues pour nous, quoique moins connaissables en soi, à
savoir à partir de ses effets.
Ad 1) La réponse de saint Thomas est claire ; elle vaut la peine d’être relevée, pour la lumière qu’elle
peut apporter dans la fameuse question du « désir naturel de voir Dieu » :
« Cognoscere Deum esse in aliquo communi, sub quadam confusione, est nobis naturaliter
insertum, inquantum scilicet Deus est hominis beatitudo : homo enim naturaliter desiderat
beatitudinem, et quod naturaliter desideratur ab homine, naturaliter cognoscitur ab eodem. Sed
hoc non est simpliciter cognoscere Deum esse ; sicut cognoscere venientem non est cognoscere
Petrum, quamvis sit Petrus veniens : multi enim perfectum hominis bonum, quod est beatitudo,
existimant divitias ; quidam vero voluptates ; quidam autem aliquid aliud. »
Ad 2) À supposer que l’on admette qu’il y ait pour Dieu une « définition nominale », et que cette
définition soit « ce dont on ne peut rien concevoir de plus grand », on « imposera silence » (Cajetan, In h.1.,
VIII) à toutes les équivoques tournant sur la question de l’existence par la distinction suivante :
« Ce dont on ne peut rien concevoir de plus grand » comporte l’existence dans la nature des choses :
l’existence représentée (= in actu signato), d’accord ;
l’existence exercée (= in actu exercito), non.
La définition nominale donnée se distingue de toutes les autres en ce qu’elle implique l’existence par
soi, l’existence nécessaire ; et cela demeure une existence signifiée (terme meilleur que « représentée »)
comme tout ce qui est contenu dans une notion abstraite. Cela ne nous dit rien sur l’existence de fait
(exercée) si nous ne présupposons pas ce qui est à prouver, à savoir que cette « essence » existe de fait.
(En fait, ce qui est contenu dans la notion retenue, c’est la nécessité ou la perséité de l’existence de
Dieu ... s’il existe.)
Cf. Maquart III, II, 279, et surtout 284.
Ad 3) Comme l’observe Cajetan (in h.1., IX-XI), saint Thomas admet implicitement, par sa réponse,
le principe mis en œuvre par l’objectant :
« Veritatem esse est per se notum : quia qui negat veritatem esse, concedit veritatem esse : si
enim veritas non est, verum est veritatem non esse. »
(Sur cette mise en œuvre de la rétorsion, cf. G. Isaye, L’affirmation de l’être et les sciences positives,
Lethielleux, 1987, p. 124-126.)
Il reste, comme le dit saint Thomas, qu’affirmer l’existence de la vérité in communi n’est pas affirmer
l’existence d’une Vérité première. La thèse contraire revient à dire que l’universel existe a parte rei non pas
seulement fundamentaliter mais bien formaliter ; ou encore à identifier l’ens in communi avec l’être divin
(erreur de Parménide, de Spinoza, vers laquelle tend plus ou moins l’ontologisme, comme le montre le choix
des propositions condamnées : D 1659 – D 1665 ; voir D 1891 sq diverses propositions condamnées de
Rosmini sur le même thème.
–3–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
Pour s’opposer à ce qu’il a nommé « l’humanisme athée »3, Lubac s’est intéressé à la mise en lumière
dans l’histoire des religions4, dans l’anthropologie, l’ethnologie etc. de la présence d’une religiosité innée
dans l’homme. Dans une dialectique typiquement « nouvelle théologique » Courth présente cette notion
[selon de Lubac et apparemment selon lui] comme « chère à l’ère patristique, mais peu acceptée par la néo-
scolastique » (p. 47 § ult.)5.
Cette religiosité innée est aussi décrite par Courth comme « ouverture au sacré depuis ses origines »
(ibid.). Bien évidemment, il n’est pas un scolastique, et en tout cas pas un thomiste, néo ou paléo, qui refuse
cela ! Toute la question est de savoir si l’affirmation suivante, posée gratuitement par de Lubac, est vraie :
[l’homme primitif, dès son origine a conçu le divin] « dans un acte primordial unique et
indivisible, et ce non à partir d’une induction fausse, mais directement à travers les objets
sensibles spontanément reconnus comme symboles. »6
Il est clair qu’une telle proposition n’est pas le fruit de l’histoire, de l’ethnologie, etc. mais n’est que
l’affirmation en forme de pétition de principe des positions philosophiques de l’auteur.
Pour autant que l’histoire (des religions), ou l’anthropologie, ou l’ethnologie puissent nous donner
réellement quelque écho de l’état originaire de l’humanité, elles nous feraient connaître une humanité
à qui Dieu a parlé dès l’origine (vaste thème théologique de la « révélation primitive » donnée à Adam et
non complètement disparue après l’expulsion du Paradis terrestre). Donc la présence de fait originaire
de « l’idée de Dieu » parmi les hommes, à supposer qu’elle soit vraiment observable par les sciences
positives, n’établirait en rien l’affirmation qui nous occupe : rejet d’un discours rationnel (ici
présenté comme « induction ») dans l’affirmation humaine naturelle de l’existence de Dieu.
Selon les scolastiques, et en particulier les thomistes, ces éléments de religion et de sens du sacré
que l’on trouve de fait partout où l’on trouve de l’humain sont la manifestation de l’intelligence
humaine dans son exercice spontané. L’appellation de « sens commun » pour désigner cela fut un
peu malheureuse7, mais la doctrine est parfaitement fondée en saint Thomas et solidement ancrée
dans la métaphysique réaliste. Cf. Garrigou-Lagrange, op. cit. note 5.
Venons-en aux points philosophiques précis critiquables dans la thèse de Lubac (1947), en suivant
Corvez (RT 1948, 511 sq.). Ce travail ingrat est des plus utiles car on voit ici clairement comment, sans
jamais l’avouer nettement, le lubacisme est une entreprise permanente de destruction de l’intelligence
humaine dans sa portée positive métaphysique, intelligence qui s’exerce en élaborant des notions et
formulant des jugements, exprimables en vérité dans des propositions, instruments propres pour
l’intelligence humaine dans la connaissance (saisie intelligible) de ce qui est.
Voici donc un échantillon des thèses lubaciennes8 :
2 Une autre édition, très augmentée est parue en 1956 chez Aubier-Montaigne sous le titre Sur les chemins de Dieu. Comme il ne
s’agit pas ici de faire le procès d’une personne, ni d’examiner en détail la pensée d’un auteur dans toute l’ampleur de son évolution,
ou dans les méandres de ses cogitations, mais seulement de faire connaître quelques erreurs qui se sont en fait largement répandu,
nous nous en tenons ici aux idées nettement présente dans l’ouvrage de 1947.
3 Le drame de l’humanisme athée, Paris, Spes 1944.
4 Avec en particulier les travaux de Mircea Eliade.
5 Tout au contraire, les thomistes du début du XXe siècle on accueilli avec attention les travaux sérieux sur les religions primitives.
Voir Garrigou-Lagrange, Le sens commun, la philosophie de l’être et les formules dogmatiques 3e éd., 1922), p. 87 sq. qui cite avec
faveur les travaux de Mgr Le Roy sur la Religion des Primitifs.
6 Lubac, Sur les chemins de Dieu, p. 232 note 1. Ici cité par Courth, p. 47.
7 Cela fait en effet équivoque avec la faculté sensible interne dénommée aussi sens commun.
8 Que nous tirons de l’étude critique de Corvez.
–4–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
« Toute représentation divine est anthropomorphique, – mais il y a dans l’homme même quelque
chose qui échappe à toute représentation, et qui lui fait connaître Dieu en vérité. L’homme,
commenteront les Pères, est à l’image du Dieu incompréhensible par le fond incompréhensible de
lui-même. » [p. 13]
« Seulement, une telle connaissance de Dieu n’est point acquisition humaine. Elle est antérieure
à toute opération intellectuelle, à toute initiative de la part de l’homme… En son principe, la
connaissance de Dieu ne peut être que révélée. C’est-à-dire qu’il y a dans notre humble raison
quelque chose de sacré. » [p. 13-14].
« L’idée de Dieu dans l’homme, si elle est réelle, n’a point de cause génératrice. Son éclosion
dans la conscience peut bien être déterminée par telle ou telle occasion, provoquée par tel ou tel
signe. Tel phénomène particulier… telle situation peut être spécialement apte à donner à l’esprit le
choc avertisseur, à l’éveiller… Dieu s’impose par lui-même, parce qu’il est présent dans l’homme. »
(p. 15-16).
« … en réalité, l’idée du Dieu unique et transcendant, en son apparition historique, n’est le fruit
d’aucune dialectique, révolutionnaire ni évolutive… L’idée du Dieu unique surgit d’elle-même au
sein de la conscience, et elle s’impose à l’esprit par elle-même. Ou plutôt, c’est Dieu lui-même qui,
se révélant, fait évanouir les idoles… À l’origine, il y a donc un contact, il y a une aperception
directe, quel que soit le nom que, selon les cas, on lui donnera : vue, audition ou foi. » [p. 35, 36]
« Si la dialectique veut non organiser, mais proprement engendrer la pensée, son âme est une
nécessité aveugle. Elle n’éclaire point le dedans des êtres qu’elle pose tour à tour, ou plutôt ces
êtres n’ont alors aucun dedans, n’étant que des termes, tout entiers relatifs à ceux avec lesquels ils
entrent en série. » [p. 37]
« S’il n’y avait une idée de Dieu préalable à tous nos concepts, toutes les purifications
auxquelles nous soumettons ceux-ci ne serviraient de rien, sinon à tout nier pour aboutir au
néant. Après la phase de négation, parler d’une phase d’« éminence » serait alors plaisanterie. Car
la phase de négation, consciemment traversée, n’aurait rien laissé subsister dans l’esprit. Tous les
mots formés avec sur seraient donc logomachie pure, ou retour déguisé à l’affirmation primitive. »
[p. 30]
Ces quelques citations suffisent à montrer le bien fondé du jugement que nous portions un peu plus
haut sur l’orientation d’ensemble de la pensée lubacienne (1947). Pour la critique immédiate de ces thèses,
nous renvoyons à l’article de Corvez. Voir aussi infra (p. 9) sur la position de Vatican I par rapport à la thèse
de l’idée innée de Dieu.
N.B. : Les positions lubaciennes, très en harmonie avec l’existentialisme de l’après-guerre, sont
aussi profondément ruineuses pour la notion de loi naturelle. Ce travail de sape a produit ses fruits
néfastes tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle, surtout depuis le concile Vatican II. Le
lubacisme a au moins désarmé les catholiques face au complet relativisme moral qui imprègne nos
sociétés occidentales. La nécessité du retour à la notion de loi naturelle, déjà présente dans Veritatis
Splendor ou dans le Catéchisme de l’Église catholique est maintenant bien affirmée par Benoît XVI qui
a demandé un document sur ce sujet à la Commission théologique internationale. Voir L’Homme
Nouveau n° 1427, 30 août 2008, p. 19 (entretien avec le père Bonino, o.p., coordinateur du travail de
la CTI pour ce document).
Étant reconnue la non évidence de l’affirmation « Dieu est », on demande si elle est démontrable.
Saint Thomas relève trois objections : 1°) Cette affirmation est un article de foi (Je crois en un seul
Dieu...) et ne peut être démontrée ; 2°) le medium de la démonstration est le « quod quid est »... ; 3°) Les
effets finis ne sont pas proportionnés à Dieu infini.
Cette dernière objection est reprise de diverses manières par les agnostiques modernes, empiristes ou
positivistes (comme Stuart Mill, Spencer) ou idéalistes comme Kant. Les Traditionalistes ou Fidéistes
condamnés au siècle dernier tenaient que la raison seule (sans le secours de la Révélation primitive transmise
par les traditions des peuples) ne pouvait démontrer l’existence de Dieu.
–5–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
Déjà au Moyen-Âge un nominaliste radical comme Nicolas d’Autrecourt soutenait une position de ce
type, niant la portée réelle de la raison, et en particulier celle du principe de causalité (Cf. D 553, 554).
La doctrine de l’Église sur ce point se trouve bien exposée par Garrigou-Lagrange, Dieu, son
existence, sa nature, Beauchesne, 1950, 11e éd., p. 15-43. On consultera pour un travail plus détaillé : I.M.
Bochenski, o.p., De Cognitione existentiae Dei per viam causalitatis, relate ad fidem catholicam, Studia
gnesnensia XIV, 1936.
Les deux passages principaux sont Sap XIII, 1-9 et Rom I, 18-21.
« 1. Ils sont insensés par nature, tous ceux qui ont ignoré Dieu, et qui, par les biens visibles,
n'ont pu connaître Celui qui est, ni reconnaître l'Artisan en considérant ses œuvres ! 2. C'est le
feu, le vent, l'air mobile, ou la sphère étoilée, ou l'eau impétueuse, ou les flambeaux des cieux qu'ils
ont appelés dieux, régents du monde. 3. Si c'est charmés par leur beauté, qu'ils ont pris ces
choses pour des dieux, qu'ils sachent combien leur Maître est plus beau qu'elles, car c'est le
créateur de la beauté qui les a faites. 4. Si ce qui les a frappés, c'est leur force et leur puissance,
qu'ils comprennent par elles combien leur créateur est plus fort; 5. car c'est en partant de la
grandeur et de la beauté des créatures que, par analogie, on contemple leur auteur. 6.
Cependant, ceux-ci n'encourent qu'un léger blâme, car, peut-être, ils tombent dans l'erreur en
cherchant Dieu et en voulant le trouver: 7. vivant parmi ses œuvres, ils les observent avec soin;
ils se fient à leurs yeux, car les choses qu'ils voient sont belles. 8. Encore une fois, pourtant, ils
ne sont pas excusables, 9. car s'ils ont possédé suffisamment de lumières pour pouvoir scruter
l'ordonnance du monde, comment n'ont-ils pas trouvé plus tôt celui qui en est le Maître ? » [Sg 13,
1-9]
« Du haut du ciel, le courroux de Dieu se révèle contre toute impiété et toute injustice des
hommes, qui retiennent la vérité captive de l'injustice. Car ce qui peut être connu de Dieu est
manifeste pour eux; Dieu, en effet, le leur a manifesté. Depuis la création du monde, ses
perfections invisibles, sa puissance éternelle et sa divinité apparaissent visibles à l'esprit, par ses
œuvres. Ils sont donc inexcusables, puisque, connaissant Dieu, ils ne lui ont point donné la gloire
qui lui convient, et ne lui ont point rendu grâce. Ils se sont alors égarés dans leurs vains
raisonnements, et leur cœur insensé s'est rempli de ténèbres. » (Rm 1.18-21)
L’encyclique Fides et Ratio, n° 22 a souligné la valeur du texte de saint Paul : « cet important texte
paulinien affirme la capacité métaphysique de l’homme ».
Bochenski ajoute quelques témoignages moins explicites tirés des Psaumes : PS VIII, 2-4 ; Ps XVIII,
2-7 ; Ps LXVI, 2-4 ; Ps XCIII, 8-9. Sur la base de son étude détaillée des deux textes principaux, il aboutit à
cette conclusion (p. 63) :
Magistère
–6–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
partie de celle-ci) (donc «in primo modo dicendi per se »). On ne peut donc jamais prouver l’existence
d’un propre, inhérent à l’essence « in secundo modo dicendi per se ».
De là Nicolas déduit qu’il n’y a jamais de passage légitime de la connaissance d’une chose à celle
d’une autre : non seulement un tel passage ne peut se ramener à l’évidence du premier principe, mais
il est universellement dépourvu de valeur. (Ceci concerne spécialement les erreurs 5-8 citées par
Bochenski, 163, absentes dans DS).
Bochenski cite encore les erreurs 28 et 29, qui contiennent «la négation de la valeur nécessaire du
principe de causalité » (p. 163 et 166). [Rappelons que l’Encyclique Humani Generis, 2 sept. 1950,
affirme la valeur inébranlable du principe de causalité : D 2320].
En fait, Nicolas rejette même la valeur objective de la notion de cause, et donc affirme au moins en
germe un empirisme semblable à celui que développera Hume (p. 166). D’ailleurs cette négation du
principe de causalité était commune chez les nominalistes médiévaux, notamment chez Occam.
Les propositions de Nicolas d’Autrecourt niant la valeur du raisonnement causal ont été condamnées
comme erronées ; cependant, on ne sait pas si cette condamnation, portée par le Légat pontifical en vertu du
mandement du Pape, a été ensuite confirmée. Il s’agit donc d’une condamnation officielle émanant du Saint-
Siège, mais non d’une condamnation solennelle « ex cathedra ».
– Au XIXe siècle, on note d’abord les textes concernant Bautain (D 1622 et 1622 note 1 [DS 2751 et
2765]) et celui souscrit par Bonnetty (D 1650). Ces textes ne relèvent pas en propre du Pape.
– Viennent ensuite :
Pie IX, Gravissimas Inter (1862 ; D 1670) ;
Léon XIII, Aeterni Patris (AAS, 12, 1879 ; p. 99 sq.) ;
Saint Pie X, Jucunda sane (AAS, 36, 1904 ; p. 520) ;
Pie XII, Humani generis (1950 ; D 2320).
– Les textes fondamentaux demeurent ceux de Vatican I (D 1785 et 1806), celui de l’Encyclique
Pascendi (D 2072) et celui du Serment Antimoderniste (D 2145).
Il faut en outre ajouter de nombreux passages de l’encyclique Fides et Ratio (Jean-Paul II, 14
septembre 1998) sur la portée métaphysique de l’intelligence humaine et le service que la philosophie de
l’être rend à la foi et à la théologie9.
Citons seulement ici ce passage capital :
« [4](...) il est possible de reconnaître, malgré les changements au cours des temps et les
progrès du savoir, un noyau de NOTIONS philosophiques dont la présence est constante dans
l'histoire de la pensée. Que l'on songe, à seul titre d'exemple, aux principes de non-contradiction, de
finalité, de causalité, et de même à la conception de la personne comme sujet libre et intelligent, et à
sa capacité de connaître Dieu, la vérité, le bien; (...) Quand la raison réussit à saisir et à formuler
les principes premiers et universels de l'être et à faire correctement découler d'eux des conclusions
cohérentes d'ordre logique et moral, on peut alors parler d'une raison droite ou, comme l'appelaient les
anciens, de orthòs logos, recta ratio.(...) »
Les textes
• « Eadem sancta mater Ecclesia tenet et docet, Deum, rerum omnium principium et finem,
naturali humanae rationis lumine e rebus creatis certo cognosci posse ; Invisibilia enim ipsius,
a creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta, conspiciuntur » (Rom I, 20) (...) »
[Vatican I, Sess. III, 24 avril 1870 ; Const. Dog. Dei Filius, ch.2 De Revelatione, §1 ; D
1785, DS 3004]
9On trouvera les principaux passages sur ce thème dans le cours d’Introduction à la théologie, Première partie, éd. 2000-2001, [8.4]
Enseignement de Fides et Ratio sur l’apport de la métaphysique à la Théologie.
–7–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
• « Si quis dixerit, Deum unum et verum, creatorem et Dominum nostrum, per ea, quae
facta sunt, naturali rationis humanae lumine certo cognosci non posse : a. s. »
[Ibid., canon 1 correspondant ; D 1806, DS 3026]
Exposition
1) Est définie la possibilité de connaître Dieu, non le fait.
2) Est définie la possibilité de connaître Dieu en tant qu’il est :
a) « un-unique et vrai »,
b) « Créateur de toutes choses », et « principe et fin »,
c) « notre Seigneur ».
3) Est définie la possibilité de connaître Dieu par la lumière naturelle au sens strict, c’est-à-dire
distinguée de la Révélation. La suite immédiate du chapitre est en effet celle-ci :
« attamen placuisse eius sapientiae et bonitati, alia eaque supernaturali via se ipsum ac
aeterna voluntatis suae decreta humano generi revelare (...) »
4) Est défini le mode de cette connaissance ex parte objecti : « per ea quae facta sunt », « e rebus
creatis ». Ce n’est donc pas une connaissance immédiate, mais une connaissance de Dieu par la médiation
des créatures.
Il est vrai que Vacant (Études théologiques..., I, 296) dit que ces mots « e rebus creatis » sont une
explication de la vérité définie sans être eux-mêmes définis. Mais Bochenski (p. 191) remarque que
cette affirmation est gratuite, et Garrigou-Lagrange adoptera la même position (Dieu..., 11è éd., 24-25).
Bochenski : « Les mots en question ont été inscrits dans leur forme actuelle après un examen très
attentif et un triple changement du texte, avec rejet d’un amendement qui les omettait ; ils se trouvent
identiques quant au sens, non seulement dans le chapitre mais encore dans le canon ; et, selon le sens
littéral, il n’est pas douteux que l’anathème porte contre celui qui dirait que l’on ne peut connaître Dieu
par la médiation des créatures. »
Garrigou-Lagrange : « Les mots contenus dans une formule dogmatique comme un anathème font
partie de la définition, et, bien qu’ils puissent paraître ajoutés incidemment, si leur addition ou leur
soustraction modifie le sens de la proposition, il faut les regarder comme exprimant quelque chose de
défini. On ne saurait plus autrement à quoi s’en tenir, des doutes ou des échappatoires seraient toujours
possibles, ce qui est étranger à l’esprit de la Sainte Église, qui enseigne avec sincérité et simplicité la
vérité catholique à ses enfants et leur demande de la recevoir dans les mêmes dispositions. »
Tous ces éléments sont contenus dans la définition formaliter explicite, et de façon claire. D’autres
éléments formellement contenus peuvent en outre apparaître par un examen plus attentif, tenant compte du
contexte et de l’intention des pères.
–8–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
Tout d’abord, le rapporteur de la députation de la Foi affirme que le texte n’est pas contre les
arguments traditionnels, tirés des vestiges présents dans toutes les créatures, mais pour eux ; et il
précise que n’est nullement exclu l’argument célèbre de saint Anselme. Puis il ajoute :
« Altera emendatio quae habetur in secunda parte : naturali rationis lumine certo cognosci et
demonstrari posse una ex parte deficit et ex alia abundat : deficit ex una parte quia media naturalia
quibus homo posset naturaliter cognoscere Deum, non indicantur ; excedit ex altera parte, quia non
solummodo edicit, Deum naturali lumine certo cognosci posse, sed etiam hanc existentiam certo probari
posse, seu demonstrari posse. Quamvis aliquatenus certo cognoscere et demonstrare sit unum
idemque, tamen phrasim mitiorem Deputatio de fide eligendam censuit et non illam duriorem ».
Il ressort de ce discours : 1° que la définition n’exclut aucun des arguments scolastiques (désignés par
Gasser comme « argumenta notissima », et détaillés par Maret : « argumentis metaphysicis, cosmologicis et
moralibus ») ; 2° qu’elle favorise directement et spécialement l’argument cosmologique (argument « per
vestigia quae creaturis omnibus impressa sunt ») ; 3° le sens de l’expression « certo cognosci » en ce lieu est
le même « aliquatenus » (jusqu’à un certain point) que « demonstrari » ; 4° c’est pour un motif
psychologique (phrase plus douce), non pour modifier le sens, que ce dernier vocable a été écarté.
Cette conclusion est confirmée par l’examen du motif de la condamnation. Le but du canon, et en
particulier la nécessité du mot « certo », ont été expliqués par Mgr Gasser (Mansi, 51, 274 B) :
« Nostis Rmi Patres quaenam opinio invaluerit in animis multorum hominum, inde a sic dictis
encyclopedistis in Gallia, et inde ab initio philosophiae criticae in Germania : opinio scilicet in multorum
animis invaluit, existentiam Dei omnino certo non posse probari certis argumentis, et argumenta illa,
quae tanto honore omni tempore habita sunt, non esse talia, quae rem evincere possint. »
Mgr Simor avait lui aussi indiqué la visée de ce passage, non seulement contre les traditionalistes,
mais aussi contre la philosophie critique (Mansi, 51, 46s) :
« Capitis (secundi) principium dirigitur contra traditionalistas, sed etiam dirigitur contra illum errorem,
qui late in Germania propagatus est, eorum nempe qui dicunt, rationem per se nihil cognoscere sed
tantum percipere. »
Enfin cette intention avait déjà été explicitée dans les observations jointes au schéma soumis aux
Pères (14 mars 1870, Mansi, 51, 36, C-D) :
« Caput II. §1. Definitio haec, Deum per res creatas rationis lumine certo cognosci posse, et canon ei
respondens necessaria visa sunt, non solum propter traditionalismum sed etiam propter errorem late
serpentem, Dei existentiam nullis firmis argumentis probari nec proinde ratione certo cognosci. »
Nous pouvons récapituler ce qui précède en observant que la connaissance de Dieu dont parle le
Concile est bien le fruit d’une démonstration puisque : 1° il s’agit d’une connaissance rationnelle, « naturali
rationis lumine » ; 2° il s’agit d’une connaissance vraiment certaine (tel est le sens obvie de « certo
cognosci », surtout joint à « rationis lumine » ; et cela est expressément indiqué dans les commentaires :
« omnino certo », « certis argumentis », « firmis argumentis », « ratione certo cognosci ») ; 3° C’est une
certitude rationnelle médiate (« e rebus creatis », « per ea quae facta sunt »).
Notons enfin que le ch. 4 de la même Constitution affirme (D 1799) : « ...cum recta ratio fidei
fundamenta demonstret... ». Or, selon le sens reçu dans l’Église, ces fondements sont d’une part l’existence
de Dieu et sa véracité, d’autre part le fait de la Révélation (Gar.-Lag., Dieu..., 11e éd., 30).
–9–
De Deo Uno – L’existence de Dieu
Vacant expose bien le sens de ces expressions (Études théologiques..., I, 296 sq.) :
« Le Concile du Vatican est tout à fait favorable à cette seconde doctrine [c’est-à-dire la première
des deux que nous venons de mentionner, Note ABL]. En effet, il a cru utile d’indiquer les créatures,
comme le moyen qui nous rend possible la connaissance naturelle de l’existence de Dieu ; car on
ne voit pas pourquoi il aurait donné cette indication, si les créatures ne servaient qu’à éveiller en
notre âme, une notion de Dieu, que tous les hommes possèdent dès leur naissance. Du reste les
prépositions dont le Concile se sert signifient dans leur sens naturel que les choses créées
fournissent le principe d’où notre esprit tire, a rebus creatis, sa reconnaissance de Dieu, et par
lesquelles il y arrive, per ea quae facta sunt. »
Notons que les textes que nous avons indiqués de Mgr Gasser et de Mgr Simor abondent dans ce
même sens.
Immédiatement après la formule introductive vient le passage concernant notre sujet (DS 3538) :
« Ac primum quidem : Deum, rerum omnium principium et finem, naturali rationis lumine
« per ea quae facta sunt » (Cf. Rom. I, 20), hoc est, per visibilia creationis opera, tamquam
causam per effectus, certo cognosci, adeoque demonstrari etiam posse, profiteor. »
– Le contenu de ce passage est clair, et on observe qu’il contient le texte de la définition vaticane, avec
une double précision :
1°) les mots du Concile (et de saint Paul) : « per ea quae facta sunt » sont expliqués : « hoc est per
visibilia creationis opera, tamquam causam per effectus » ;
2°) l’expression « certo cognosci » est déclarée par l’addition : « adeoque demonstrari posse ».
– 10 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
Il nous suffit ici de remarquer d’abord que notre passage, d’après la formule du début du serment, se
présente comme infailliblement enseigné par l’Église ; ensuite que ce serment, par la volonté de saint Pie X
et de ses successeurs jusqu’aux années 60 [1967] a été professé explicitement par tous les membres de
l’Église enseignante : ce texte a donc la garantie infaillible du Magistère Ordinaire et Universel (cf. D 1792
et D 1683). En outre, le mot « profiteor » de notre passage, et l’expression employée dans le 3e point
(DS 3540) : « firma pariter fide credo », désignent certainement un acte de foi divine.
En conséquence, les points directement enseignés dans le passage que nous avons cité sont, en vertu
de ce document, de fide catholica (vérités présentées infailliblement par l’Église, qu’elle explicite ou non le caractère révélé).
En outre, en tenant compte de la présence formelle de ces vérités dans l’Écriture Sainte (Sagesse,
Romains) – considérée soit en elle-même, soit dans l’exposé des Pères de l’Église – on doit dire : de fide
divina et catholica.
1°) Comme nous l’avons indiqué chemin faisant, les décisions de l’Église condamnent (sur la question
de la connaissance naturelle de Dieu) non seulement le traditionalisme fidéiste, mais aussi le Kantisme.
Pour ce dernier, l’affirmation de l’existence de Dieu n’est qu’un postulat de la raison pratique, une
supposition pratiquement nécessaire eu égard au fait du devoir et à l’absence d’harmonie ici-bas entre vertu
et bonheur. Cela ne peut correspondre aux termes conciliaires « e rebus creatis », « per ea quae facta sunt » ;
et cela ne correspond pas non plus au « certo cognosci » qui est un « demonstrari ».
En revanche, l’argument de saint Anselme n’est nullement condamné, comme Mgr Gasser l’a
explicitement affirmé (Mansi, 51, 276). De même, l’innéisme n’est pas condamné10 : quoi qu’il en soit de
l’origine de l’idée et du principe de causalité, il suffit d’admettre leur valeur ontologique et transcendante
permettant à la raison de s’élever des choses créées à l’existence de Dieu (Gar.-Lag., Dieu..., 11e éd., 26).
Cette preuve par la contingence et la causalité n’était pas rejetée par Descartes, il a même développé
l’argument « a contingentia mentis », bien qu’il insistât particulièrement sur deux preuves, sur la valeur
desquelles le Concile ne se prononce pas : la preuve tirée de l’idée d’infini et de la nécessité d’une
cause adéquate à cette idée, et la preuve ontologique. (Gar.-Lag., ibid.).
De plus le Magistère n’exclut nullement la preuve par les vérités éternelles souvent exposée par saint
Augustin et reçue par de nombreux auteurs catholiques.
D’un autre côté, l’ontologisme a été condamné par le Saint-Office (D 1659-1663 et D 1891-1930). Il
remplaçait en effet l’idée innée que nous attribuent les Cartésiens par une vue immédiate de Dieu, et voyait
dans cette connaissance de Dieu, essentielle à notre esprit, la source de toutes nos autres idées (G.-L., ibid.) .
10 Ainsi, lorsque nous soulignons le rapprochement entre les positions lubaciennes et les thèses innéistes, nous ne disons pas qu’il
tombe sous les condamnations de l’Église pour cela. À ce niveau, il s’agit d’une thèse relevant de la critique philosophique. Mais de
Lubac est fortement critiquable par rapport à cet enseignement de Vatican I et de saint Pie X dans la mesure où, en soutenant sa
thèse, il affirme [ou insinue, ou distille l’idée] en outre la non validité de la démarche rationnelle a posteriori remontant des effets à
la cause, sous la seule lumière naturelle de la raison.
– 11 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
2°) D’après la définition de Vatican I, Dieu connaissable par la raison est bien le vrai Dieu (cf.
D 1806 : Deum unum et verum...), principe et fin de toutes choses. Il n’est cependant pas formellement défini
que la raison peut démontrer la création ex nihilo (pour plus de détails sur ce point cf. le De Deo Creatore).
Ce qui est défini c’est que la raison peut démontrer l’existence de Dieu, cause première, dans la notion
duquel se trouvent implicitement les attributs divins d’infinité, d’éternité et de Sagesse, Providence et
Sainteté suprêmes (cf. D 1782-1783). Pour éviter l’hérésie, il ne suffirait donc pas de dire avec certains
agnostiques : la raison peut démontrer l’existence d’une cause première éternelle, mais qui est peut-être
immanente au monde et non transcendante, ni personnelle (ni intelligente, ni libre) : ainsi ne serait pas
démontrée l’existence du vrai Dieu. (G.-L., 91-92).
Il n’est pas défini si la raison peut à elle seule déduire explicitement les attributs propres du vrai Dieu,
spécialement son infinité. Cependant la négation de ce point est au moins erronée (cf. D 1622 souscrit par
Bautain).
3°) La définition de l’Église concerne non le fait de la démonstration, mais sa possibilité. Il s’agit de
la possibilité physique, valable pour n’importe quel état de la nature (cf. Gasser, Mansi, 51, 275 C., Vacant,
Études..., I, 289-290).
Quant à la possibilité morale, ou possibilité sans grande difficulté, elle est, selon la pensée commune
des théologiens, proxima fidei en vertu de Rom. I, 20-21 et de Sap. XIII, 1. Il ne s’agit pas alors de la
démonstration savante et critique, répondant aux erreurs des fausses philosophies, mais de l’exercice naturel
de la raison s’élevant à l’existence de Dieu par une inférence causale très simple (à partir de l’ordre du
monde, ou du changement, de la contingence). En conséquence, les théologiens classiques rejettent
communément la possibilité d’une ignorance totalement involontaire ou invincible quant à l’existence de
Dieu, auteur de la loi naturelle. (Sur la thèse particulière de Billot, cf. B.A.C. p. 24).
N.B. : Ceci ne s’oppose pas à l’affirmation de la nécessité morale de la révélation des « choses
divines » non accessibles à la raison naturelle (D 1786). Il ne s’agit plus seulement de la simple
existence de Dieu et des principales obligations religieuses, mais de l’ensemble de ce que peut établir
de soi la théodicée (G.-L., Dieu..., 11è éd., 34).
Par ailleurs l’expérience moderne oblige à poser la question pour des personnes dont
l’intelligence a été systématiquement déformée par une culture purement « scientifique » (au
sens moderne), technique et matérialiste. Et certains théologiens nullement suspects de
modernismes estiment que la « difficulté » concerne bien la preuve de Dieu elle-même : cf. Guérard des
Lauriers, La preuve de Dieu et les cinq voies, p. 19-20 avec spécialement les notes 18 et 19 ; p. 22 §2 –
24 ; Le R. P. développe ici plusieurs considérations qui doivent certainement être prises en
considération par tout apôtre de Notre-Seigneur.
On distingue donc :
1°) la démonstration par la cause, qui assigne le propter quid de la chose démontrée, et qui est dite « a
priori » (saint Thomas : « per priora simpliciter »).
– 12 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
2°) la démonstration par l’effet, « a posteriori » ; elle montre que la cause est (quia est). Elle procède
de ce qui est « prius » quoad nos, mais non simpliciter (en soi).
REMARQUE, a propos de l’ad 2 :
saint Thomas remarque que dans la démonstration par l’effet, il faut utiliser l’effet au lieu de la
définition de la cause, pour montrer que la cause est ; il ajoute que pour montrer que quelque chose
est, il faut prendre comme medium quid significet nomen, et non le quod qui est (car la question quid
est suit la question an est). Et il conclut :
« Nomina autem Dei imponuntur ab effectibus, ut postea ostendetur (q13 al) : unde,
demonstrando Deum esse per effectum, accipere possumus pro medio quid significet hoc nomen Deus. »
Il importe de bien distinguer « ce que signifie ce nom : Dieu » d’une prétendue définition
nominale de Dieu (cf. le débat entre Guérard des Lauriers, B.T. XI, 387-388 et Van Steenberghen, Le
problème de l’existence de Dieu..., 1980, pp. 288ss, 290 n.11). La définition nominale au sens propre,
en réalisme, contient déjà, de façon confuse, le quod quid est de la chose ; mais une telle définition
n’est pas nécessaire, car le point de départ de la preuve est constitué par les effets, et c’est par rapport
à eux, non par rapport à une première saisie confuse de « ce qu’est Dieu », que l’on situe « ce que
signifie ce nom : Dieu ».
1°) Cette démonstration tire sa validité du principe de causalité, selon ce qu’affirme saint Thomas :
« cum effectus dependeat a causa, posito effectu necesse est causam praeexistere ».
Elle requiert que ce principe ne limite pas sa valeur à l’ordre des phénomènes, et qu’il ne soit pas
seulement une loi subjective nécessaire de notre esprit. Il faut que ce principe possède une valeur
ontologique (concernant l’être extramental) et transcendante (aptitude à dépasser l’ordre créé). Ce principe
peut s’énoncer, sous une forme très générale : ce qui n’est pas par soi est par un autre (Cf. Guérard des
Lauriers, La preuve de Dieu..., 37-41 et passim). Ce principe est évident dans la lumière de la raison
naturelle et il appartient à la Métaphysique comme Sagesse de le justifier critiquement contre ceux qui
prétendraient le nier.
(Cf. Garrigou-Lagrange, Dieu..., 11è éd., 1950, 170-179 ;
Guérard des Lauriers, « Ce qui est mû est mû par un autre », R.S.P.T., 1950, 9-29 ;
Laverdière, Le principe de causalité. Recherches thomistes récentes, Vrin, 1969).
– 13 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
3°) La cause la plus particulière (singulière) est donc cause propre de l’effet le plus particulier.
(Socrate est cause propre de la génération non de l’homme mais de cet homme. Cf. I q104 al).
4°) La cause la plus universelle est cause propre de l’effet le plus universel (Cf. I, q45, a5). (Ainsi
Dieu est cause propre de l’esse).
5°) Il faut distinguer entre la cause propre du fieri de l’effet et la cause propre de son être achevé
(du factum esse). (Socrate est cause propre du fieri de son fils, de sa génération passive, mais non de
son être réalisé). (Par contre, l’objet vu est cause objective de la vision elle-même).
Ce qui précède nous montre que s’il y a dans le monde des effets propres de Dieu, cause première,
l’existence de Dieu pourra être démontrée a posteriori à partir d’eux. Ces effets sont recherchés dans l’article
suivant. Nous pouvons déjà dire que notre recherche devra s’orienter vers les effets les plus universels,
puisque ceux-ci requièrent comme cause propre la cause la plus universelle.
Pour le fidèle, et donc pour le théologien, l’affirmation « Dieu est » est d’abord une vérité révélée.
Saint Thomas l’affirme expressément avec le sed contra : « est quod dicitur Exodi 3, 14, ex persona Dei :
Ego sum qui sum ».
Bien que de nombreux modernes critiquent l’interprétation traditionnelle du Nom divin révélé en
Exode 3, 14, cette dernière demeure pleinement justifiable. Voir, parmi d’autres :
• Margerie, Les perfections du Dieu de Jésus-Christ, p. 105 sq.
• Margerie cite notamment (p. 106) le théologien protestant Edmond Jacob, Théologie de l’Ancien
Testament, Neuchâtel, 1968, p. 41 :
« Il ne faudrait pas conclure du peu de sens qu’avaient les Israélites pour les choses abstraites
qu’ils aient été incapables de saisir la réalité de l’être et ce n’est pas leur prêter une métaphysique
trop supérieure que de supposer qu’ils aient pu définir Dieu comme “ Celui qui est ” par opposition
aux choses qui passent… »
• Margerie cite encore Feuillet, Ancien Testament, Paris 1975, p. 250-251 :
« Le sens fondamental du nom de Yahvé n’est pas : “ Il fait être ”, mais “ Il est ”, par opposition
aux faux dieux qui ne sont rien. Ce sens peut être compris même à l’époque de Moïse ; il exprime
l’essence de la révélation mosaïque et il servira de point d’appui à toute la prédication
prophétique. »
• Gilson, Constantes philosophiques de l’être, ch. VIII (p. 231-253) : « Yahweh et les grammairiens »
(surtout p. 242-245).
D’une façon plus générale, l’article de D. Biju-Duval, « Dieu avec ou sans l’être ? » dans RT octobre-
décembre 1995, 547-565 montre bien le caractère révélé de « Dieu est » et de la lumière de l’être au sein de
la foi. Travail à compléter par diverses remarques de Floucat : « L’être de Dieu et l’ontothéologie » (RT
juillet-septembre 1995, 437-484) (sur le thème de « Dieu avec l’être », contre les thèses de Marion).
Une critique encore plus incisive de Marion et des partisans de « Dieu sans être » [ou de « Dieu sans
concept »] se trouve dans Schmitt, L’être de Dieu…, p. 215-229.
– De plus, comme l’expose succinctement le Père de Margerie (ibid. p. 107 § ult. – 108), il y a là [dans
la lecture ontologique du Nom divin] un cas particulièrement net de consensus Patrum (cf. DS 3007) dans
– 14 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
l’interprétation de l’Écriture Sainte. Même un saint Éphrem (Docteur syriaque : ni grec, ni latin) témoigne en
ce sens (Sermon 53, RJ 729 ; Sermon 3, RJ 728).
En fait, l’affirmation Dieu est possède une situation très spéciale par rapport à la Foi : elle se trouve
immanente à tout acte de Foi (adhésion à la Vérité première qui se révèle).
1°) La littérature est immense, et chaque point peut donner lieu à des discussions, plus ou moins
fondamentales ou futiles. Il suffit ici de signaler l’ouvrage classique de Garrigou-Lagrange : Dieu, son
existence, sa nature ; Beauchesne, 11è éd., 1950, T.I., et l’étude beaucoup plus originale mais solidement
thomiste elle aussi et profonde de Guérard des Lauriers : La preuve de Dieu et les cinq voies ; Lib. Ed. del.
Pont. Univ. Lateranense, 1966.
Mentionnons en outre :
- Van Steenberghen : le problème de l’existence de Dieu dans les écrits de saint Thomas d’Aquin,
Louvain-la-Neuve, éd. de l’Institut Supérieur de Philosophie, 1980.
- Guérard des Lauriers : Bulletin Thomiste, XI, 1960-1962, pp.369-440 : bulletin sur l’existence de
Dieu et les « cinq voies ».
- Maritain : Approches de Dieu, Alsatia.
- Descoqs : Praelectiones theologiae Naturalis, 2 tomes, Beauchesne, 1932 et 1935. (Somme à
tendance fortement suarézienne).
WEINGARTNER, Paul : God's Existence. Can it be Proven ? : A logical Commentary on the Five Way of
Thomas Aquinas. – Ontos verlag, 2010. – (Metaphysical Research ; Volume 10).
2°) Dans chaque voie, le point de départ donnant lieu à la mineure est un fait existant en tout étant
créé : le mouvement (corporel ou spirituel), le fait de la causalité, celui de la contingence, celui de la
composition et de l’imperfection, celui de l’ordination passive.
Le principe de l’argument (ou de la Majeure) est le principe de causalité ; Garrigou-Lagrange précise
(p.111) « efficiente » ; cette détermination ne s’impose pas. (Cf. par ex. à propos de la 4e voie, Guérard des
Lauriers, B.T., XI, 399-400). Sur la possibilité d’une interprétation de la 4e voie ne mettant pas en œuvre le
principe de causalité : cf. Guérard des Lauriers, La preuve de Dieu..., 28-35 note 1. Dans ce qui suit, nous
nous en tenons à l’interprétation classique de Garrigou-Lagrange, qui demeure bien fondée et profonde,
même si elle n’est pas exhaustive et exclusive de toute autre perspective.
Il faudrait ici discuter la thèse de Barbellion [Les « preuves » de l'existence de Dieu : Pour une relecture
des cinq voies de saint Thomas d'Aquin. - Les Éditions du Cerf, 1999 – (Théologies).] qui s’efforce –
dans une ligne qui, semble-t-il, se veut strictement aristotélicienne – de « promouvoir le principe
d’antériorité de l’acte sur la puissance (...) comme plus fondamental que le “ principe de causalité ”. »
[op. cit., p. 310 §2].
Mais cette tentative méconnaît que l’acte et la puissance constituent une division de l’être, et que le
principe de causalité ne relève pas seulement de la physique, mais bien de la métaphysique, de la
lecture de la réalité dans la lumière de l’être. La causalité se rattache à la distinction du « par soi » et
« non par soi », qui elle-même ne peut s’éclairer que dans la lumière de l’être. Le principe de
l’antériorité de l’acte sur la puissance est peut-être antérieur à la diversification des modes de
causalité qui apparaît au niveau de la physique, de l’analyse de l’être de nature, de l’être en
– 15 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
mouvement ; mais il demeure subordonné à la saisie de l’être, du par soi et du non par soi, et donc au
principe métaphysique de causalité, qui ne fait pas acception des divers types de causes.
Le terme ad quem des cinq voies est l’Étant par soi, l’existence de l’Ipsum Esse per se subsistens, qui
est absolument simple et immuable, et donc réellement et essentiellement distinct du monde composé et
changeant (les cinq voies permettent bien de réfuter le panthéisme). Chacune des cinq voies en effet parvient
formellement à un attribut divin qui ne peut être prédiqué que de l’« Ipsum Esse per se subsistens » dont il
est question ST1 q3 a4 (sur l’identité en Dieu de l’essence et de l’esse). Les cinq voies arrivent à ce sommet,
vérité suprême dans l’ordre de l’invention qui éclaire la déduction des attributs divins. Cette vérité est par
ailleurs révélée : Ego sum qui sum ; elle est la clef de voûte de tout le traité De Deo Uno.
On peut dire que l’exercice de la raison qui constitue la preuve (de l’existence de Dieu) met l’esprit
humain dans l’état d’ouverture requis pour que l’affirmation révélée devienne vraiment source de démarche
théologique. Cela vaut primordialement pour l’affirmation Dieu est et ensuite, positis ponendis, pour
l’ensemble des vérités révélées.
Il ne s’agit ici que d’un survol, à titre de rappel : pour un développement plus précis, on renvoie au
cours de théologie naturelle.
1°) Argument
– Certum est et sensu constat aliqua moveri in hoc mundo.
– Omne autem quod movetur, oportet ab alio moveri.
– In moventibus autem et motis, per se ordinatis in movendo, non datur processus in infinitum.
– Ergo ex his, quae in hoc mundo moventur, necesse est devenire ad aliquod primum movens
immobile ; et hoc omnes intelligunt Deum.
11 Voir Guérard des Lauriers, « Ce qui est mû est mû par un autre », Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 1950, 9-29.
– 16 –
De Deo Uno – L’existence de Dieu
indéfiniment une succession de moteurs mus subordonnés par soi. Or il est évidemment impossible
(« ridiculum est autem, etiam apud indoctos ») de poser que des instruments sont mus sans quelque agent
principal. C’est comme si on voulait construire un meuble avec une scie, mais sans menuisier pour la manier.
Bien noter que l’exclusion du processus indéfini ne repose pas formellement sur le rejet de l’infini
actuel, mais bien sur la différence de nature, au point de vue formel de la causalité, entre la cause
première et les causes secondes [ou entre la cause principale et les causes instrumentales].
1°) Argument
– Invenimus in istis sensibilibus esse ordinem causarum efficientum.
– Non est possibile quod aliquis sit causa efficiens suiipsius.
– Non est possibile quod in causis efficientibus, per se ordinatis in causando, procedatur in
infinitum : necesse est ponere aliquam causam efficientem primam, quam omnes Deum nominant.
– Ergo, praesupposito ordine causarum efficientium qui in istis sensibilibus invenitur, necesse
est ponere aliquam causam efficientem primam, quam omnes Deum nominant.
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De Deo Uno – L’existence de Dieu
4°) Observations
Dans cette voie, on considère la puissance active dans les choses sensibles.
En outre, comme l’observe saint Thomas I q46 a2 ad7, cette voie considère non des causes univoques,
mais des causes analogues subordonnées. Soit : on ne considère pas des causes de même degré, coordonnées
« per accidens », mais des causes requises par soi pour un effet, et qui sont subordonnées sous la Cause
Première, de qui elles reçoivent le complément de la vertu pour agir.
1°) Argument
– Invenimus in rebus quaedam quae sunt possibilia esse et non esse, et ideo quae contingenter
sunt.
– Non omnia entia sunt possibilia seu contingentia, sed opportet aliquid esse necessarium in
rebus.
– In necessariis quae habent causam suae necessitatis aliunde, non datur processus in
infinitum.
– Ergo, cum certum sit quaedam incipere esse et quaedam esse desinere, necesse est ponere
aliquid quod sit per se necessarium et non habens causam suae necessitatis aliunde : quod omnes
dicunt Deum.
3°) Observations
Cette voie considère la contingence des choses. Mais non la contingence de toutes les choses de
l’univers. Car le fait que toutes les choses de l’univers soient contingentes par rapport à l’acte d’exister ne
peut apparaître avec certitude tant qu’on n’a pas démontré que toutes ces choses ont été faites « ex nihilo »
par un Être Unique qui existe nécessairement.
On part donc de la contingence de certaines choses : celles que nous voyons (par l’observation
sensible) soumises à la génération et à la corruption. C’est pourquoi « contingent » ici signifie quelque chose
qui commence à être et qui cesse d’être, et « nécessaire » ce qui ni ne commence à être ni ne cesse, mais sera
toujours puisque nécessaire. Si cependant un tel être a une cause de son être, il aura aussi une cause de sa
nécessité.
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De Deo Uno – L’existence de Dieu
1°) Argument
– Est aliquid in rebus quod est verissimum, et optimum, et nobilissimum, et per consequens
maxime ens.
– Quod autem dicitur maxime tale in aliquo genere, est causa omnium quae sunt illius generis.
– Ergo est aliquid, quod omnibus entibus est causa esse, et bonitatis, et cuiuslibet perfectionis :
et hoc dicimus Deum.
L’argument ne vaut, en toute rigueur métaphysique que pour les « perfections simples », qui
n’incluent aucune imperfection dans leur constitutif formel.
Tout ce qui possède une perfection simple de façon diminuée et déficiente se ramène à ce qui
possède cette perfection par essence comme à son principe et à sa cause. En effet, ce qui convient à un être
de façon diminuée ne lui convient pas par soi, et doit donc être causé. Et la cause doit être l’être auquel cette
perfection convient par essence, et donc n’a pas besoin d’être causé.
4°) Observations
« Noble » : le vivant est plus noble que le non-vivant, l’intelligent que le non-intelligent... Il s’agit par
là des perfections qui sont dites « simpliciter simplices ».
Cette voie est considérée par saint Thomas comme la plus facile à comprendre pour les esprits
simples : cf. Exp. in Symb. Apostol., c.3. [c’est peut-être pourquoi elle est la plus difficile pour les autres !]
Cependant, pour la pleine valeur démonstrative de cette voie, il faut montrer que Dieu seul est « ens
per essentiam », tous les autres « entia per participationem ». C’est ce qui permettra de vérifier sous tout
rapport le principe : « ce qui est maximum dans un genre est cause de tout ce qui se trouve dans ce genre ».
Dieu étant « esse » selon toute sa nature est maximum en tout genre de bonté, de noblesse, de perfection : et
donc cause de tout ce dont l’être est prédiqué.
Cette voie se prend donc de la nature des choses, et en la remontant on doit parvenir à quelque chose
dont la nature est Esse Subsistens, de qui comme d’une source de tout l’esse dérivent la vérité, la bonté, la
beauté de toutes les choses qui sont.
Cf. II S d1 q1 a1.
12Sur cette voie on aura tout intérêt à consulter Garrigou-Lagrange, « Note sur la preuve de Dieu par les degrés des êtres, chez saint
Thomas », Revue Thomiste, 1904, 363-381.
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De Deo Uno – L’existence de Dieu
1°) Argument
– Res naturales, quae cognitione carent, ut plantae et corpora naturalia atque omnia inanimata,
operantur propter finem.
– Sed ea quae non habent cognitionem non tendunt in finem nisi directa ab aliquo cognoscente
et intelligente.
– Ergo est aliquid intelligens, a quo omnes res naturales ordinantur ad finem, nimirum Deus.
La question de la finalité dans le monde matériel (au niveau inorganique et au niveau purement
animal) a été largement renouvelée – mais demeure extrêmement débattue – avec l’avancée des
sciences physiques. Pour ceux qui ignoreraient tout du sujet, signalons quelques pistes :
• BARROW, John D., TIPLER, Frank, J. : The anthropic cosmological principle. – Oxford : Clarendon
Press, 1986.
• DENTON, Michael : L'évolution a-t-elle un sens ?. - Fayard, 1997.
• FOLLON, Jacques (directeur), McEVOY, James ( Abbé ) (directeur) : Finalité et intentionnalité :
Doctrine thomiste et perspectives modernes. - Éditions de L'Institut Supérieur de Philosophie [de
Louvain] ; Librairie Philosophique J. Vrin ; Éditions Peeters, 1992 – (Bibliothèque philosophique de
Louvain ; 35).
• GAGNON, Philippe : La théologie de la nature et la science à l'ère de l'information. - Les éditions du
Cerf ; Fides, 2002 – (Cogitatio Fidei ; 223).
• GROUPE DE SYNTHÈSES de l'Université de Louvain-la-Neuve (patronage collectif) : "Finalité I : La
philosophie et la science". : REVUE D'ÉTHIQUE ET DE THÉOLOGIE MORALE « Le Supplément ». (1998)
p. 1-207 (n° 205)."Finalité II : La vie et la science". : REVUE D'ÉTHIQUE ET DE THÉOLOGIE MORALE
« Le Supplément ». (1998) p. 1-229 (n° 206).
• PENROSE Roger : L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique. - InterEditions, 1992.
• RUYER Raymond : Néo-finalisme. • STAUNE, Jean, TRINH XUAN THUAN (préface de), LAPLANE,
Dominique (postface de) : Notre existence a-t-elle un sens ? : Une enquête scientifique et philosophique. -
Presses de la Renaissance, 2007.
• WETHERSFIELD INSTITUTE (patronage collectif) : Science and evidence for design in the Universe :
Papers presented at a conference sponsored by the Wethersfield Institute, New York City, September 25,
1999. - Ignatius Press, 2000. • On trouvera d’intéressantes indications sur la finalité dans l’univers
dans l’article de Brochier, RT 2017 (II), 273-313, « La fin de l'évolution humaine dans le grand récit
transhumaniste : penser la nature avec Ray Kurzweil, Giordano Bruno et Thomas d'Aquin ». (Chez
Kurzweil : éléments pour le concept de nature, et pour la finalité de l'univers…)
4°) Observations
- Le point de départ est l’ordre observé dans l’activité des choses naturelles dépourvues de raison (les
« lois » de la nature).
- L’ordre est œuvre propre de l’intelligence, qui seule saisit formellement les rapports entre les choses
diverses. Et tout spécialement les rapports entre les moyens et les fins.
- Si une intelligence est elle-même ordonnée à l’être et au vrai, elle a besoin d’une autre intelligence,
intelligence par soi, identique à l’être et au vrai.
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De Deo Uno – L’existence de Dieu
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Les attributs divins entitatifs
La simplicité de Dieu (q 3)
13À titre informatif : Yann Schmitt consacre de nombreuses pages à la question de la simplicité de Dieu, du point de vue d’une
ontologie réaliste de type philosophie analytique : L’être de Dieu…, p. 155-210.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Adversaires
- La composition en Dieu (ou mieux dans les choses divines, dans le divin) est admise par les
conceptions païennes populaires, mais aussi par plusieurs philosophes, dont les Stoïciens, et les Panthéistes.
Dans cette lignée, il faut compter Spinoza, pour qui l’extension (infinie) est un attribut divin.
- Tertullien dit parfois que Dieu a un corps ; cependant Bareille (D.T.C., « anthropomorphites », 1370)
expose que dans son langage souvent incorrect cela signifie « substance »... et qu’il ne nie pas la spiritualité
de Dieu.
- Au IVe siècle, l’anthropomorphisme devient une erreur caractérisée, avec Audius (né en
Mésopotamie, mort en 372) ; il se sépara de l’Église avec ses disciples, les audiens.
S’en tenant au sens littéral, Audius affirmait que Dieu a forme humaine, puisqu’il a formé l’homme à
son image (Gen I, 27). [Pour les métaphores bibliques, cf. D.B., « anthropomorphisme »].
- L’erreur se retrouve chez certains moines d’Égypte peu instruits, notamment chez les célèbres quatre
« grands frères », Ammonius, Dioscore, Eusèbe et Euthyme. Ils seront chassés par Théophile d’Alexandrie.
Saint Cyrille trouvera encore des anthropomorphites parmi les moines du Mont Calamon et se contentera de
les réfuter.
- Gilbert de la Porrée (XIIe siècle) pose une certaine distinction réelle entre la nature et les personnes
divines.
- Grégoire Palamas et ses disciples (grecs schismatiques du XIVe siècle) distinguent, selon une
distinction qui semble réelle, entre l’essence divine et ses énergies, sa gloire ; (cf. Journet, RT 1960, 429-
452).
[Cf. encore : S. Guichardan, Le problème de la simplicité divine en Orient et en Occident aux 14 et 15e
siècles, Lyon, 1933. Pour une brève présentation actuelle de « Grégoire Palamas », on se reportera à
l’article qui lui est consacré dans Dictionnaire critique de Théologie, PUF, 1998, p. 508-510, sous la
plume de Jean-François Colosimo].
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
incomprehensibilem, intellectu ac voluntate omnique perfectione infinitum ; qui cum sit una
singularis, simplex omnino et incommutabilis substantia spiritualis, praedicandus est re et
essentia a mundo distinctus, in se et ex se beatissimus, et super omnia, quae praeter ipsum sunt
et concipi possunt, ineffabiliter excelsus. »
Note théologique
La spiritualité, la simplicité réelle et l’immutabilité physique de Dieu sont, d’après B.A.C. (p. 89) : de
fide catholica et definita.
La nécessité d’exclure de Dieu toute composition de raison comportant une imperfection : Theologice
certum.
A – Ancien Testament
a) Elles découlent d’autres attributs plus explicitement attestés : immutabilité, infinité, immensité.
b) Les prophètes se moquent des dieux corporels que se sont donnés les gentils, auxquels ils opposent
le Dieu vivant et vrai, transcendant tout ce qui peut être vu (Jr X, 1-11 ; LI, 15-19 ; Bar VI ; Hab. II ; etc.)
Cf. Prat, article « Jehova », D.B. III, 1237 ; qui relève III reg VIII, 27 affirmant que l’ensemble des
cieux ne peut contenir Dieu.
c) L’interdiction des images de la divinité (Ex XX, 4s ; Dt IV, 12-15 ; Is XL, 18 ; etc.) est fondée,
outre le danger d’idolâtrie, sur le fait qu’il est impossible qu’une image corporelle exprime une divinité
invisible et incorporelle.
d) On cite aussi en faveur de cette doctrine Is XXXI, 3 :
« L’Égypte est un homme, et non pas un Dieu, ses chevaux ne sont que chair, et non pas
esprit ».
e) On peut aussi mettre en avant le Nom que Dieu se donne (Ex III, 14) : « Ego sum qui sum », par
lequel Il se manifeste comme l’Être par soi, absolument indépendant, et donc excluant toute composition (car
tout composé a une cause).
f) Plusieurs textes sapientiaux sont consonnants avec cette doctrine :
« Que la poussière rentre en la terre d’où elle avait été tirée, et que l’esprit retourne à Dieu qui
l’avait donné ». (Ecclés. XII, 7).
« Car l’Esprit du Seigneur remplit l’univers, et comme il contient tout, il connaît aussi tout ce
qui se dit ». (Sag. 1, 7).
Cf. encore Sap. VII, 22, 25, 27, 29.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
B- Nouveau Testament
L’incorporéité et la spiritualité divines semblent aller de soi.
- On cite spécialement : Jo. IV, 24 :
« Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. »
[Et on rappelle la précision de Luc XXIV, 39 : les esprits n’ont ni chair, ni os].
- L’absolue simplicité divine est signifiée lorsque Dieu est dit être la Vie elle-même (Jo I, 4 ; I Jo I,
2) ; la Vérité elle-même (Jo. XIV, 6) ; la Charité (I Jo. IV, 8).
[« être » la Vie, etc. consignifie la simplicité, par opposition à « avoir » la vie, etc. qui consignifie plus
spontanément la composition.]
- L’Immutabilité physique est incluse dans la plénitude de l’être signifiée par le Nom de Yahweh (Ex
III, 14). Elle se trouve explicitement affirmée :
« In primordiis terram fundasti et opus manuum tuarum est caelum. Ista peribunt, tu autem
permanebis, et universa sicut vestis veterascent. Sicut vestimentum mutas ea et mutantur : Tu
autem es idem et anni tui non habent finem. » (Ps CI, 26-28).
« Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est, descendens a Patre
luminum, apud quem non est transmutatio nec vicissitudinis adumbratio. » (Jc I, 17).
Saint Thomas indique trois arguments pour justifier la réponse négative ; le premier concerne le corps
considéré physiquement, le second, mathématiquement, le troisième métaphysiquement.
1°) Aucun corps ne meut sans être mû (établi par induction) ; or Dieu est le premier moteur immobile.
Donc...
[Même et plus encore dans une perspective moderne, tout corps est en mouvement, au moins potentiellement].
On peut comprendre la Majeure : tout corps est, par nature mobile.
2°) Tout corps, même supposé non mobile en un sens plus physique, est en puissance en tant que le
continu est indéfiniment divisible. (Le corps se définissant : substance étendue - selon les trois dimensions).
Or Dieu est acte pur, nullement en puissance.
– 25 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Que Dieu soit Acte pur, cela est formellement démontré par la prima via : cf. G. d. L., La Preuve...,
71.
Mais saint Thomas le démontre ici en référence à la 4a via. Garrigou-Lagrange p. 139 présente cette
considération : Dieu est l’Être premier ; or toute puissance présuppose l’acte, car la puissance dit
essentiellement un ordre à l’acte. Donc l’Être premier ne peut nullement être en puissance (Cf.
Aristote, Metaph. XII, VII).
3°) La corporéité est nécessairement un degré inférieur de l’être : donc il est impossible que Dieu, le
plus noble des êtres, soit un corps.
Preuve de la prémisse : en effet, le corps est soit vivant, soit non vivant.
Mais le corps vivant est plus noble que le non-vivant [cela est donné comme manifeste…]
On peut justifier cette affirmation comme suit :
L’agir suit l’être et l’exprime ; donc un agir plus élevé manifeste un être plus noble.
Or la vie se définit, même au plus bas degré (vie végétative), par une certaine activité immanente.
Tandis que dans le non vivant il n’y a qu’activité transitive.
Or l’activité immanente, comme telle, est purement acte et perfection, tandis que l’activité transitive
est mêlée de potentialité et d’imperfection [rappelons… à l’avance ( !) que l’activité transitive n’existe
pas formellement en Dieu].
Donc le vivant, caractérisé par l’activité immanente, est plus noble que le non vivant, limité au
domaine de l’activité transitive.
Et le corps vivant ne vit pas en tant que corps (sinon tout corps vivrait) ; donc il vit par quelque chose
d’autre (la forme qui est âme). Mais ce par quoi le corps vit est plus noble que le corps comme tel : lequel est
donc un degré inférieur de l’être.
Selon saint Thomas, tout composé de matière et de forme est corps ; Mais d’autres auteurs, comme
Avicebron [Ibn-Gabirol, 1021 (?) - 1058 (?) ; né en Espagne, l’un des penseurs juifs les plus marquants de son époque]
admettent des composés de matière-forme qui ne sont pas des corps : les substances spirituelles seraient
composées de « matière spirituelle » et de forme (Cf. I q50 a2, a4 ; q75 a5).
Conclusion
Il est impossible qu’il y ait de la matière en Dieu
- À noter l’ad 3 : Une forme non réceptible dans la matière, mais « per se subsistens » est individuée
par le fait même de ne pouvoir être reçue dans un autre.
Ceci est rappelé pour réfuter l’objection prétendant qu’il y a matière en Dieu parce que la matière est
principe d’individuation. Réponse : ce n’est pas là une vérité absolue ; il en est ainsi pour les formes
qui sont réceptibles dans la matière.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Dieu est-il le même que son essence ou sa nature ? (q3 a3)
Conclusion
Dieu est (le même que) son essence ou nature. Dieu est sa Déité et ne l’a pas seulement
- On doit citer l’affirmation de Jésus : Ego sum via, veritas et vita (Jo XIV, 6). De même, I Jo IV, 8 :
Deus caritas est.
Au Concile de Reims, commencé le 21 mars 1148, on examina les thèses de Gilbert de la Porrée ; la
profession de foi élaborée par ses adversaires contenait l’affirmation suivante (D 389).
« Credimus et confitemur simplicem naturam divinitatis esse Deum, nec aliquo sensu catholico posse
negari, quin divinitas sit Deus et Deus divinitas ».
Gilbert de la Porrée niait que les mots abstraits puissent se prédiquer de Dieu concret.
Mais d’après la notice de DS (p. 238), cette profession de foi n’a été élaborée qu’après la fin du
synode, ne se trouve pas dans les Actes, et n’a pas été reçue dans les Registres Pontificaux. Elle n’a
donc aucune valeur officielle.
Difficulté
Il semble suivre de la lettre de cet article que dans l’Ange il n’y a pas distinction entre l’essence et le
suppôt. Ce qui est faux car dans l’Ange, qui est certes une pure forme subsistante, on trouve aussi outre
l’essence, l’existence et les accidents.
Ainsi dans cet article saint Thomas exclut directement de Dieu seulement les principes individuants
distincts de la nature commune, en vertu de ce que Dieu est forme pure sans matière. Cela vaut aussi pour
l’Ange.
Mais saint Thomas n’a pas encore explicitement considéré l’absence en Dieu de composition essence-
être, ni substance-accidents (cf. a4 et a6). C’est après cela qu’il apparaîtra vraiment que Dieu est sa Déité
tandis que saint Michel n’est pas sa Michaëlité (celle-ci étant seulement la partie essentielle, réellement
distincte de l’esse contingent et des accidents, de l’intellect et de la volonté).
Pour tenir compte de cela, il faudrait formuler ainsi l’argument :
Ubi natura non est pars suppositi non distinguitur ab eo ;
Atqui in Deo natura non est pars suppositi ;
Ergo...
– 27 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Dieu et Lui seul est son être, ou : en Dieu seul l’être et l’essence sont identiques
1°) Tout ce qui se trouve dans une chose, en dehors de son essence, doit être causé, soit par les
principes de l’essence, soit par quelque chose d’extérieur.
Or dans la première cause incausée (ce qu’est Dieu d’après la 2a via), l’être n’est pas causé, ni par une
autre cause (puisqu’il s’agit de la première cause incausée), ni par les principes essentiels de la chose, car
aucune chose n’est « causa sui » (car l’agir suit l’être).
Donc dans la première cause incausée, l’être n’est pas « praeter essentiam », mais est identique à elle.
Corollaire
Dans toutes les autres causes efficientes, autre est l’être, autre l’essence. Ou : l’identité entre
l’essence et l’être est propre à la cause incausée.
Nous terminons ici les trois premières voies : le premier moteur immobile, la première cause
incausée, le premier être nécessaire est son être, ou est l’ipsum esse subsistens.
Nous assignons en même temps l’ultime raison de la distinction entre l’être créé ou causé et l’être
incréé, comme entre l’être contingent et l’être nécessaire. L'être contingent peut être et n’être pas,
parce qu’il n’est pas son être ; s’il existe, il a l’être.
2°) L’être est comparé à l’essence qui s’en distingue14 comme l’acte à la puissance ; mais Dieu est
Acte pur ; donc en Dieu l’essence n’est pas puissance à l’être : elle est l’être même. [La majeure est une
quasi définition descriptive propre de l’être : actualité de toute forme ou nature].
Corollaire
Dans toute chose causée par Dieu, l’essence est puissance par rapport à l’être, et donc s’en
distingue réellement comme la matière se distingue de la forme.
Il s’agit bien d’une distinction réelle, antérieure à la considération de notre esprit.
3°) Selon la 4a via, Dieu est le premier être : il est donc l’être par essence.
Donc il est son être : car ce qui a l’être est être par participation.
Remarquons que cette vue permet de porter un jugement de sagesse sur le principe de causalité
(efficiente) : « Omne ens contingens ab alio (efficienter) causatum est » énonce le principe. Et les
scolastiques admettent communément qu’un « être contingent incausé » répugne, c’est-à-dire est non
seulement inintelligible, mais réellement impossible. Mais nous reconnaissons que cette répugnance
est moins évidente que celle d’un contingent non contingent. En effet, « incausé » ne nie pas
immédiatement la définition du contingent, mais sa propriété.
Le contingent incausé n’existerait ni par soi, ni par un autre ; et dans cette proposition : « le
contingent incausé existe » on affirme la convenance positive de deux termes qui ne conviennent
nullement. D’où la perception évidente : ce qui est, est par soi ou par un autre.
Maintenant nous disons : le contingent a l’être et n’est pas l’être ; il est donc être par participation,
et dépend nécessairement de l’Être par essence.
Il faut noter que la notion d’être par participation n’est pas proprement intelligible sans la notion
corrélative d’Être par essence ; c’est pourquoi il convient de ne l’employer qu’après la preuve de
l’existence de Dieu (contre Maquart III, II, p. 311 §1-2, p. 313 §2). (G.L. De Deo, p.146)
– 28 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Corollaires
1°) La division de l’être réel en être par essence et être par participation se réduit à la distinction
entre l’Ipsum esse subsistens (absolument simple) et ce qui est composé d’essence et d’être.
C’est là, en sagesse, le fondement de la réfutation du Panthéisme.
Si en effet Dieu est l’«Ipsum esse subsistens », il est un être qui ne peut recevoir aucune addition (cf.
ad1) : car l’esse est ultime actualité, non ultérieurement déterminable (cf. aussi a6 sur l’impossibilité
d’un accident en Dieu).
Dieu est suprêmement déterminé, quoique non limité (la limitation se prend de la matière qui reçoit
la forme, ou de l’essence qui reçoit l’être).
Ainsi sont impossibles tant l’évolutionnisme absolu (selon qui Dieu devient dans le monde) que le
Spinozisme (pour qui Dieu reçoit des modes finis). De même se trouve virtuellement réfuté
l’émanatisme néo-platonicien selon qui l’âme n’est pas créée « ex nihilo », mais « de la substance de
Dieu ».
2°)L’être dans sa raison formelle ne comporte ni imperfection, ni limites, il ne peut recevoir les
diverses limites observées dans la réalité qu’en étant reçu dans divers sujets capables d’exister et qui le
mesurent : les essences. Ainsi les divers degrés d’être ou de perfection proviennent de diverses participations
à l’être lui-même. Ceci illustre par En Haut la 4a via à partir des degrés de l’être.
– On voit aussi que dans le composé matière-forme, il y a un seul être : matière et forme constituent
l’unique essence, mais ne reçoivent pas séparément d’existence partielle. Ainsi l’unité du composé naturel
est bien mieux manifestée que dans la thèse suarézienne.
3°) Cf ad 1 :
Il ne faut pas confondre l’Être divin, auquel ne peut être faite aucune addition, et l’être commun
auquel peuvent s’ajouter les modalités de l’être qu’il contient actu implicite.
4°) Ad 2 : Du fait que nous savons a posteriori que Dieu est, nous ne saisissons pas en lui-même
l’être divin identique à son essence ; mais, à partir des effets, nous savons que cette proposition « Dieu
est » est vraie.
[Sur cette question, qui est celle de l’ens verum, cf. Guérard des Lauriers, La preuve..., 202-210 ; et
encore quelques profondes remarques dans BT XII, p. 124-125].
[G.-L., 149 : nous ne connaissons pas l’essence de Dieu (identique à son être) telle qu’elle est en elle-
même, mais seulement en tant qu’elle fonde la vérité de cette proposition, connue par les effets : Dieu
est].
Dieu n’est pas dans le genre : ni directement, ni réductivement. C’est la réponse commune des
théologiens, avec saint Thomas, contre les nominalistes.
1°) Le genre se prend de la puissance, la différence de l’acte. Or Dieu est acte pur : il ne peut donc être
genre.
2°) L’être ne peut pas être un genre, mais les transcende ; mais si Dieu était dans un genre, seul l’être
pourrait être ce genre. Donc...
La preuve de la Majeure, c’est que le genre se diversifie par des différences extrinsèques, tandis que
rien n’est extrinsèque à l’être (« extra ens, nihil est »). Alors que le genre contient seulement virtuellement
14 Bien noter la formulation de saint Thomas : « Oportet igitur quod ipsum esse comparetur ad essentiam quae est aliud ab ipso,
sicut actus ad potentiam. » Il ressort de là que saint Thomas ne dit pas que l’essence comme telle est puissance. C’est pourquoi il
peut y avoir une essence divine.
– 29 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
ou en puissance ses différences, l’être contient en acte implicite les modalités de l’être, et est contenu en elles
(le genre n’est pas contenu dans les différences) .
C’est pourquoi l’être est un transcendantal (il transcende les genres, les catégories de l’être) et par
suite un analogue : il signifie dans les diverses catégories quelque chose de proportionnellement
semblable : id cujus actus est esse. Mais l’être de la substance est d’être non dans un autre, tandis
qu’il appartient à l’accident, en vertu de sa nature, d’avoir l’être dans un autre. Ainsi l’ens n’est pas un
genre.
Mineure : si Dieu était dans un genre, l’être serait son genre, puisque Dieu est être par essence ; et son
genre devrait être ce qu’il y a de plus universel et non limité.
3°) Dans tous les êtres qui sont dans un genre, il y a distinction entre l’essence et l’être. Car tous les
êtres qui sont dans un genre ont en commun la quiddité ou essence de ce genre, mais différent selon
l’être (tant l’être spécifique, que l’être d’existence actuelle qu’il reçoit en propre. Cf. Cajetan).
4°) Dieu n’est pas non plus dans un genre réductivement.
En effet, le principe qui est réduit à ce genre ne s’étend pas au-delà de ce genre (le point n’est
principe que de la quantité continue, l’unité de la quantité discrète). Mais Dieu est principe de tout
l’être.
- Cf. ad 1 : Dieu n’est pas dans le genre substance, car ce nom ne signifie pas l’ipsum esse
subsistens, mais l’essence cui competit esse in se et non in alio, mais qui demeure distincte de son être.
Ou selon les mots de saint Thomas :
« substantiae nomen (...) significat essentiam cui competit sic esse, idest per se esse : quod tamen esse
non est ipsa eius essentia . »
[Notons que c’est l’erreur de Spinoza d’avoir confondu être per se, qui caractérise la substance, et
être a se, propre à Dieu].
Il suit aussi de cela que l’esse de toute substance est en elle un prédicat contingent, sans être
évidemment un accident prédicamental.
- Quand on dit que Dieu est mesure des choses, il ne s’agit pas d’une mesure homogène (comme
l’unité quantitative pour le nombre), mais d’une mesure hétérogène, en tant que chacun a d’autant
plus d’être qu’il approche davantage de Dieu (4a via).
Il s’agit ici de l’accident prédicamental, « cujus esse est inesse », qu’il soit nécessaire comme une
propriété ou contingent. La difficulté vient de l’attribution à Dieu de la sagesse, de la vertu etc. qui en nous
sont des accidents.
Conclusion
Il ne peut y avoir d’accidents en Dieu
– 30 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
En effet, l’être non reçu exclut positivement toute détermination ultérieure, vu qu’il contient en lui
toute détermination (cf. a4 ad1).
Au contraire si, comme on le voit dans les créatures, l’être a un accident ajouté (comme l’agir), alors
cet être n’est pas « non reçu » ; il est reçu dans une essence qui est capacité d’être ; et cette essence est
ultérieurement déterminable par des facultés et des opérations. Et ainsi l’essence créée est
doublement déterminable : par l’acte d’exister et par des facultés et opérations.
3°) Tout ce qui est par soi est antérieur à ce qui est par accident ; Donc, comme Dieu est purement le
premier être, rien ne peut être en lui par accident.
Mais des accidents par soi ne peuvent non plus se trouver en lui : car les accidents de ce type sont
causés par les principes du sujet : or en Dieu rien ne peut être causé, puisqu’il est la cause première.
Il reste qu’il n’y a aucun accident en Dieu.
Conclusion
Dieu est absolument simple
Cette réponse, comme on l’a vu (supra p. 23) est de foi, et se trouve énoncée à Latran IV (DS 800).
1°) Argument inductif : on a déjà exclu les diverses formes connues de composition : composition des
parties quantitatives, composition de matière et de forme, composition de suppôt et d’essence, d’essence et
d’être, composition de genre et de différence, de substance et d’accident.
5°) Dans tout composé, il y a quelque chose qui n’est pas lui-même, c’est-à-dire qui ne lui convient
pas per se primo ; ainsi les parties se distinguent du tout.
Soit : tout ce qui est en Dieu est Dieu lui-même, puisque Dieu est son être.
– 31 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
alors le composé est meilleur que l’élément, et le plus composé est meilleur que le moins composé
(Animal / plante / minéral). Mais dans ces composés meilleurs, il doit y avoir une unité propre du
tout. Et, sous cet aspect, l’animal est plus un que la plante, et celle-ci est plus une que la pierre.
Mais déjà l’âme humaine est à la fois plus simple et plus haute que les corps, et a fortiori l’essence
angélique.
Difficulté
[qui relève en propre du De Trinitate.]
Il y a en Dieu, selon la Révélation, distinction des Trois Personnes Divines.
S'ensuit-il que Dieu soit composé de Trois Personnes ?
Cf. De Potentia, Q VII, a1 ad10 :
« Pluralitas personarum nullam compositionem in Deo inducit. Personae enim dupliciter
possunt considerari. Uno modo secundum quod comparantur ad essentiam, cum qua sunt idem
re ; et sic patet quod non relinquitur aliqua compositio ; alio vero modo secundum quod
comparantur ad invicem , et sic comparantur ut distinctae, non ut adunatae. Et propter hoc nec
ex hac parte potest esse compositio : nam omnis compositio est unio. »
Cf. I q42 a4 ad3
- On peut dire, de façon suggestive : « la simplicité, c’est l’unité ouverte sur la distinction ».
– « Venire in compositionem alterius », se dit de la matière et de la forme dans le composé, ainsi que
de la substance et de l’accident. La question est donc de savoir si Dieu peut se joindre à un autre comme acte
informant ou comme puissance, selon l’être.
(« matière du monde », « âme du monde », « substance commune de tout univers ».)
Il faut bien distinguer la composition ici envisagée, de l’union hypostatique, possible selon la
Révélation, et qui de fait existe. Dans celle-ci, le Verbe est uni selon l’être à l ’humanité du Christ,
mais non comme forme informante : comme personne terminant l’humanité et lui communiquant son
être. Ainsi le Verbe n’entre pas en composition dans le Christ, car il ne s’y trouve pas ut pars. La
partie est toujours moins parfaite que le tout.
15 C’est pourquoi saint Thomas souligne, en ST1 q6 a3 ad1 : « unum non importat rationem perfectionis, sed indivisionis tantum,
quae unicuique rei competit secundum suam essentiam ». Cf. le commentaire de Cajetan. Cela bien sûr doit s’entendre
formellement : en tant que convertible avec l’être, l’unité est bien une perfection : mais selon le type et le degré d’être en cause.
– 32 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
De Civitate Dei, L. VII, C.VI). Cette forme prend encore une nouvelle apparence chez Spinoza, pour qui
Dieu est la substance unique, avec deux attributs principaux : la pensée infinie et l’extension infinie ; il faut
distinguer en eux des modes finis, produits successivement dans le temps, ab aeterno.
3°) C’est le panthéisme matérialiste, ou plutôt l’athéisme de David de Dinant lui-même. Saint Thomas
déclare : « qui stultissime posuit Deum esse materiam primam », sans apparemment discerner ici la fameuse
« part de vérité »...
[De même que le sage juge par les causes les plus hautes, de même c’est le propre du sot de juger de
tout par les causes les plus basses].
- Le Concile de Latran IV a condamné en ces termes la doctrine (panthéiste) d’Amaury :
« Reprobamus etiam et condemnamus perversissimum dogma impii Almarici, cuius mentem sic
pater mendacii excaecavit, ut eius doctrina non tam haeretica censenda sit, quam insana. » (D 433,
DS 808).
- Le Concile de Sens (1140 ou 1141) avait condamné cette proposition (contre Abélard) :
« Quod Spiritus Sanctus sit anima mundi » (D 370, DS 722).
Dieu ne peut entrer en composition avec les autres, ni comme forme informante, ni
comme matière du monde.
1°) L’Agent ne coïncide pas numériquement avec la forme de la chose causée, et l’agent ne coïncide
pas même spécifiquement avec sa matière. Or Dieu est première cause efficiente. Il ne peut donc pas être
forme ou matière d’un composé.
Soulignons avec Cajetan la force de l’argument.
« Esse compositum infert esse effectum » comme on l’a exposé précédemment ; et tout effet dépend du
premier efficient. Donc le premier efficient ne peut être forme d’aucun composé (pas même d’un
prétendu « premier engendrant non engendré »), car il serait forme ou matière de son effet, ce qui est
impossible, puisque l’agent, comme on l’a rappelé, se distingue numériquement de la forme et de la
matière de son effet.
(Ceci découle de la division de l’être en acte et en puissance, d’où suit la division des quatre causes,
parmi lesquelles les causes efficientes et finales sont extrinsèques, les matérielles et formelles étant
intrinsèques).
2°) Aucune partie d’un composé n’est primo et per se agent. Or Dieu est tel. Cf. l’adage : ce n’est pas
la main qui agit, mais l’homme par la main.
Remarque de Cajetan :
« Adverte hic quod littera haec caute interpretanda est. Non enim affirmat compositum per se primo
agere, quod superius, in articulo 2, negatum est : sed affirmat comparativam, quod agere per se primo
magis convenit composito quam componenti, quia illud est quod agit, hoc vero est quo. Cum hoc tamen
stat quod, absolute, nec componens nec compositum potest esse per se primo agens, ut praedictum est. »
3°) Aucune partie d’un composé ne peut être primum ens simpliciter.
- Pour la matière : elle est puissance, donc postérieure à l’acte.
- Pour la forme (partie...) : elle est forme participée, et donc nécessairement postérieure à ce qui est par
essence.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Rappel
Les diverses formes modernes du panthéisme ont été condamnées à Vatican I, D 1782-1783 et
D 1801-1805. Cf. cours De Deo Creatore.
Récapitulatif
Simplicité = • Exclusion de la composition per accidens, constituant un « unum per accidens » (comme la
négation de composition substance-accident)
composition
N.B. : La composition dite assez malencontreusement « métaphysique »16 n’enlève pas de soi et
directement la simplicité, puisque les parties ne sont pas réellement distinctes ; mais elle présuppose
nécessairement une composition physique (de matière et de forme, ou au moins d’essence et d’existence).
La notion de composé métaphysique est clairement expliquée – en passant – par Garrigou-Lagrange dans l'article sur la 4a via de la
16
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
1°) On ne demande pas si Dieu possède quelque perfection déterminée (on étudiera par la suite les
diverses perfections divines), ni s’il possède toutes les perfections (Cf. a2) ; on demande si Dieu est de la
meilleure façon ce qu’il est.
- Vatican I (D 1782) :
« Sancta (...) Ecclesia credit unum esse Deum (...) omni perfectione infinitum (...) »
Ibid. (D 1783) :
« Hic solus verus Deus (...) ad manifestandam perfectionem suam (...) de nihilo condidit
creaturam (...). »
– 35 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
suae ». Ainsi l’essence assigne la mesure de perfection d’une chose, et une chose est d’autant plus
parfaite (dans son ordre) que l’essence en est mieux actuée. Ainsi la réalité qui est Acte pur est la plus
parfaite, et cela sous-entend qu’elle s’identifie à sa mesure. L’argument montre simultanément que
Dieu est parfait parce qu’il est Acte pur, et que cet Acte est identique à ce qui en est la mesure. Dans
le cas contraire, l’essence demeurerait en puissance par rapport à son actuation.
(Nous rappelons à cette occasion que Dieu a une essence : thèse bien exposée par Maritain, « Sur la
doctrine d’Aséité divine », Mediaeval Studies, V, 1943, 39-50).
On peut dire plus : l’argument suppose que les notes qui constituent l’essence sont déterminations,
et même surdéterminations (i.e. transcendant les déterminations inhérentes à l’ordre créé). Sinon on
pourrait dire que la matière première est parfaite, puisque par nature elle exclut toute détermination :
l’absence d’acte serait le type de perfection correspondant à cette absence de détermination.
Les perfections de toutes les choses sont-elles en Dieu ? (q4 a2)
1°) A la suite de saint Anselme (Monologion, c.15), tous les théologiens reconnaissent deux types de
perfections. Les unes sont dites simpliciter simplices « absolument simples » [on dit parfois sans autre
précision « simples », les autres simplices secundum quid « simples seulement sous un rapport » [on les
nomme aussi « mixtes »]. Cf. saint Thomas 1S d4 q1 a1.
N.B. : la seconde précision est indispensable (cf. Garrigou-Lagrange, 132). Car l’acte divin libre et les
relations divines n’enclosent aucune imperfection, et ne sont pourtant pas au sens propre des
perfections « simpliciter simplices ». Il n’est pas meilleur pour Dieu d’avoir l'acte libre de la création que
de ne pas l’avoir ; la non création n’aurait nullement posé une imperfection en Dieu (contre Leibniz).
De même, le Père ne manque pas d’une perfection absolument simple, bien que la relation de filiation
ne lui convienne pas, etc.
• Perfection mixte
C’est celle qui implique une imperfection dans son concept, de sorte qu’il est meilleur pour un être
d’avoir son contraire. (Ainsi le corps, perfection impliquant dans son concept la négation d’une perfection
supérieure : la spiritualité).
2°) Une perfection peut être contenue dans une autre de trois façons17 :
a) Formaliter
quando inest alteri secundum proprium conceptum in definitione expressum (comme l’animalité est
dans l’homme).
b) Virtualiter
quando inest subjecto capacitas producendi perfectionem illam (comme tout effet est contenu dans sa
cause).
17 Attention : il s’agit d’une présentation de vocabulaire courant, pas d’une « bonne division » : « eminenter » peut qualifier
« formaliter » autant que « virtualiter ».
– 36 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
c) Eminenter
selon une modalité supérieure.
Noter que la contenance virtuelle et la contenance éminente sont réellement distinctes, et même
séparables. Le fils est virtuellement, non éminemment dans son père ; la vertu et l’opération sensitives
sont contenues éminemment, mais non virtuellement dans l’ange.
4°) Parmi les erreurs, on peut indiquer que Platon, avec sa théorie des idées séparées, doit nier que les
perfections des créatures soient contenues en Dieu. Il en est de même pour Avicenne, posant un intellect
agent créé à l’origine de toutes les (autres) créatures.
Conclusion
• Ps XCIII, 8-9 :
« Intelligite insipientes (...) et stulti aliquando sapite. Qui plantavit aurem non audiet ? Aut qui
finxit oculum, non considerat ? »
• Rom. XI, 36 :
« Quoniam ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia (...) »
18Il s’agit d’une question difficile. Cf. par exemple le cr de J.-H. Nicolas sur Hayen, L’intentionnel dans la philosophie de saint
Thomas, RT 1948, p. 565-569. Voir p. 569 note 1 sur le « dualisme » entre être intentionnel et être existentiel…
– 37 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
1°) Tout ce qui se trouve de perfection dans un effet doit se trouver dans la cause :
soit selon la même raison19, dans le cas d’un agent univoque (l’homme engendre l’homme),
soit selon un mode plus éminent dans le cas de l’agent équivoque (comme dans le soleil se trouve la
similitude des choses engendrées par sa vertu).
Il est en effet manifeste que l’effet préexiste selon la vertu (virtute) dans la cause agente (puisqu’elle a
la vertu de produire cet effet). Or cela est préexister sous un mode plus parfait, puisque l’agent, comme tel,
est parfait (= en acte). Tandis que la préexistence dans la puissance de la cause matérielle est sous un mode
moins parfait : car la matière, comme telle est imparfaite (= en puissance).
Donc, comme Dieu est première cause efficiente des choses, il faut que toutes leurs perfections
préexistent en lui selon un mode plus éminent.
2°) Les perfections « sec. quid simplices » sont en Dieu virtualiter eminenter.
Elles ne peuvent convenir formellement à Dieu, puisqu’elles impliquent imperfection dans leur
concept.
Mais il peut les produire (contenance virtuelle) et il peut réaliser tout ce qui se fait par elles dans les
créatures (contenance éminente).
3°) Les choses créées sont dites d’une certaine manière être plus vraiment en Dieu qu’en elles-mêmes
(cf. De Ver. q4 a6).
4°) Quelques remarques à propos du célèbre ad3 (d’après le R.P. Guérard des Lauriers, o.p.) :
On part de l’observation : le vivant est plus parfait que l’étant (sous-entendu qui n’est pas vivant). De
là on affirme : vivre est plus parfait qu’être. Ce qui paraît bien légitime, puisque ce qu’est une chose (et
donc son degré de perfection) est précisé par sa raison formelle.
Mais cela n’est vrai que si l’on considère l’ESSE ou RATIO ENTIS dans un étant qui n’est pas un
vivant : donc si on considère la RATIO ENTIS contractée par l’exclusion de certaines modalités de
l’être et non pas posée comme ayant l’amplitude indéfinie de l’être.
– 38 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Donc la Majeure du syllogisme n’est vraie qu’en donnant à ESSE le sens contracté et non le sens
qui correspond à la nature de l’être ; c’est différent dans la mineure : l’essence de Dieu, c’est l’être,
ESSE, pris au sens de la nature de l’être non contracté.
En forme plus précise :
Vivere est perfectius quam esse. Dist. : esse ut natura entis cum contractione quam habet esse in
non viventibus, Conc. ; esse ut natura entis sine ulla contractione, Neg.
Essentia Dei est ipsum esse : Dist. en sens contraire : esse ut natura entis sine ulla contractione,
Conc. ; esse ut natura entis cum contractione, Neg.
(Dans le texte, quand saint Thomas dit « ens tantum », il faut entendre « cum contractione »).
L’étant participe l’être universel selon la modalité qui lui correspond, mais en le contractant, et non
pas selon l’amplitude de sa perfection. L’ENS qui n’est pas VIVENS est bien ENS formaliter en tant
qu’il participe l’ESSE ; mais il ne participe pas l’ESSE eminenter, ce qui exclurait toute contraction.
On se trouve ainsi conduit, pour résoudre l’objection, à distinguer deux états pour l’universel
métaphysique [transcendantal] (dont l’esse est le cas éminent) :
1/ en tant qu’il est une notion secundum se : alors, c’est la notion la plus universelle qui enclot
[actu implicite] celles qui le sont le moins : l’esse enclot la vie qui enclot la sagesse.
2/ en tant qu’il est participé et reçoit alors la mesure de l’étant qui le participe et le contracte.
Alors, c’est la mesure affectant la notion la plus universelle qui est enclose dans la mesure des
notions qui le sont le moins (pour être sage, il faut vivre, pour vivre, il faut être).
On se demande si la perfection de Dieu est telle qu’aucune créature ne puisse lui être semblable. Et il
s’agit de la similitude avec Dieu en tant que premier être et première cause, non en tant que Trinité. Il ne
s’agit pas non plus de cette similitude spéciale qu’est l’image (ST1 q93). Il s’agit donc ici de la similitude
très générale qui se trouve dans toute créature. Cet article contient le fondement métaphysique de la
doctrine de l’analogie entre Dieu et la Créature, qui sera exposée (ST1 q13 a5).
Trois difficultés :
1- Dieu et la créature ne conviennent même pas dans un genre, donc ils sont divers ;
2- Ils ne conviennent pas dans la forme, fondement de la similitude ;
3- Si la créature est dite semblable à Dieu, il faudra dire Dieu semblable à la créature, ce qui paraît non
convenable, et contraire à Is XL, 18.
• On cite Gen. I, 26, mais qui ne concerne pas le cas de la créature en général.
• Revoir le texte de Latran IV D 432 (ci-dessus p. 38).
Ce texte contient une quasi définition de l’analogie entre Dieu et les créatures, et la définition des
Thomistes en est plus proche que celle des Suaréziens.
• Cf. les affirmations de Benoît XVI dans le discours de Ratisbonne (12 septembre 2006), rejetant le
volontarisme selon lequel la Toute-Puissance Libre de Dieu serait au-delà du Vrai et du Bien :
Par honnêteté, il faut remarquer ici que, à la fin du Moyen Age, se sont développées dans la
théologie, des tendances qui rompaient cette synthèse entre esprit grec et esprit chrétien.
En opposition avec ce que l'on a appelé l'intellectualisme augustinien et thomiste débuta
– 39 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
avec DUNS SCOT UNE SITUATION VOLONTARISTE qui, en fin de compte, dans ses
développements successifs, conduisit à l'affirmation que nous ne connaîtrions de Dieu que la
voluntas ordinata. Au-delà de celle-ci, il existerait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait
pu créer et faire tout aussi bien le contraire de tout ce qu'il a effectivement fait. Ici se profilent des
positions qui, sans aucun doute, peuvent s'approcher de celles de Ibn Hazn, et pourraient conduire
jusqu'à l'image d'un Dieu-Arbitraire, qui n'est pas même lié par la VÉRITÉ et par le BIEN. La
transcendance et la diversité de Dieu sont accentuées avec une telle exagération que même
notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus un véritable miroir de Dieu, dont les
possibilités abyssales demeurent pour nous éternellement hors d'atteinte et cachées derrière ses
décisions effectives. En opposition à cela, la foi de l'Église s'est toujours tenue à la conviction
qu'entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une VRAIE
ANALOGIE dans laquelle — comme le dit le IVe Concile du Latran en 1215 — les dissemblances
sont certes assurément plus grandes que les ressemblances, mais toutefois PAS AU POINT
D'ABOLIR L'ANALOGIE ET SON LANGAGE. Dieu ne devient pas plus divin du fait que nous le
repoussons loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais le Dieu véritablement
divin est ce Dieu qui s'est montré comme logos et comme logos a agi et continue d'agir plein
d'amour en notre faveur. Bien sûr, l'amour, comme le dit Paul, « dépasse » la connaissance et c'est
pour cette raison qu'il est capable de percevoir davantage que la simple pensée (cf. Eph 3.19)20,
mais il demeure l'amour du Dieu-Logos, pour lequel le culte chrétien est, comme le dit encore Paul
« logikè latreia » — un culte qui s'accorde avec le Verbe éternel et avec notre raison (cf. Rm
12, 1). »
Pour les thomistes : analoga sunt quorum nomen est commune, ratio vero significata per nomen est
simpliciter diversa, et secundum quid seu proportionaliter eadem.
Selon les principes de Suarez, il faut dire : analoga sunt quorum nomen est commune, ratio vero per
nomen significata est simpliciter eadem, et sec. quid diversa. Pour les Thomistes, on reste alors dans
l’univoque. Ils l’ont toujours mis très clairement en lumière, et de façon solidement argumentée. Cf.
par exemple Garrigou-Lagrange, p. 168 dernier § et note 1 ; et, du même auteur, Dieu, son existence,
sa nature, (Beauchesne, 1950, 11e éd.) , T. II, p. 568 sq. : différence entre la doctrine de saint Thomas
et celles de Scot et de Suarez sur l’analogie (en particulier sur l’analogie de l’être) ; voir encore
Maquart, Elementa Philosophiae, T. III, vol. II, p. 13-25 : De natura entis metaphysici (p. 19 sq : notion
d’être selon Scot ; p. 21 sq. : notion d’être selon Suarez).
C’est pourquoi nous ne pouvons admettre comme description objective de la réalité la note suivante
d’Humbrecht, o.p. (RT 1995, p. 12 note 24) [nous soulignons en gras ce qui nous paraît inacceptable] :
« Les recherches les plus récentes montrent l’importance d’établir l’histoire des termes, et en
particulier l’évolution de celui d’étant. Il est à présent bien clair que la tradition thomiste a subi la
double influence de Duns Scot et Suarez, et n’a su se dégager, comme d’autres familles
philosophiques peut-être, d’une conception de l’être sur fond d’univocité du concept d’étant,
univocité déclarée (Scot) ou à demi-masquée (Suarez). (…) » [Humbrecht renvoie, pour soutenir ses
propos, à Courtine, Suarez et le système de la métaphysique, P.U.F. 1990, p. 207, 480, 531].
L’analogie entre Dieu et la créature est donc certaine, dans la lumière même de la foi.
- On peut aussi se référer à Rom. I, 19-20 sur ce sujet, mais surtout à Sap XIII, 5 qui comporte
l’adverbe dans le texte grec21.
20 Pour ce qui est de l’ordre surnaturel, les théologiens scolastiques, et en tout cas les thomistes, ont toujours mis cela abondamment
en lumière dans leurs exposés sur les dons du Saint-Esprit, en particulier ceux de sagesse, d’intelligence et de science, qui sont
absolument liés à la charité. Mais cette activité des dons, et d’ailleurs la charité elle-même, suppose la foi infuse, laquelle, selon
l’ordre ordinaire de la Providence, porte certes sur la Réalité-même mais manifestée dans et par des propositions exprimées en
langage humain (et dont l’Église a la garde, dans l’économie de la Loi Nouvelle). Cf. aussi Garrigou-Lagrange, « La théologie
nouvelle, où va-t-elle ? », Angelicum 1946, p. 145 note1.
21 Cf. le commentaire de Barbellion (op. cit. en bibliographie, p. 32-33).
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Le texte
Respondeo dicendum quod, cum similitudo attendatur secundum convenientiam vel
communicationem in forma, multiplex est similitudo, secundum multos modos communicandi in
forma.
– Quaedam enim dicuntur similia, quae communicant in eadem forma secundum eandem
rationem, et secundum eundem modum, et haec non solum dicuntur similia, sed aequalia in sua
similitudine; sicut duo aequaliter alba, dicuntur similia in albedine. Et haec est perfectissima
similitudo.
– Alio modo dicuntur similia, quae communicant in forma secundum eandem rationem, et
non secundum eundem modum, sed secundum magis et minus; ut minus album dicitur simile
magis albo. Et haec est similitudo imperfecta.
– Tertio modo dicuntur aliqua similia, quae communicant in eadem forma, sed non secundum
eandem rationem;
ut patet in agentibus non univocis.
Cas essentiel du Cum enim omne agens agat sibi simile inquantum est agens, agit autem unumquodque
3° : l’agent non secundum suam formam, NECESSE est quod in effectu sit similitudo formae agentis.
univoque Si ergo agens sit contentum in eadem specie cum suo effectu, erit similitudo inter
faciens et factum in forma, secundum eandem rationem speciei; sicut homo generat
hominem.
Si autem agens non sit contentum in eadem specie, erit similitudo, sed non secundum
eandem rationem speciei, sicut ea quae generantur ex virtute solis, accedunt quidem ad
aliquam similitudinem solis, non tamen ut recipiant formam solis secundum similitudinem
speciei, sed secundum similitudinem generis.
Si igitur sit aliquod agens, quod non in genere contineatur, effectus eius adhuc magis
accedent remote ad similitudinem formae agentis, non tamen ita quod participent
similitudinem formae agentis secundum eandem rationem speciei aut generis, sed
secundum aliqualem ANALOGIAM, SICUT IPSUM ESSE EST COMMUNE OMNIBUS.
Et hoc modo illa quae sunt a Deo, assimilantur ei inquantum sunt entia, ut primo et
universali principio totius esse. [ST1 q4 a3]
Ad primum ergo dicendum quod, sicut dicit Dionysius cap. IX de div. Nom., cum sacra scriptura
dicit aliquid non esse simile Deo, non est contrarium assimilationi ad ipsum. Eadem enim sunt similia
Deo, et dissimilia, similia quidem secundum quod imitantur ipsum, prout contingit eum imitari qui
non perfecte imitabilis est dissimilia vero, secundum quod deficiunt a sua causa; non solum
secundum intensionem et remissionem, sicut minus album deficit a magis albo; sed quia non est
convenientia nec secundum speciem nec secundum genus. [ST1 q4 a3 ad1]
Ad secundum dicendum quod Deus non se habet ad creaturas sicut res diversorum generum, sed
sicut id quod est extra omne genus, et principium omnium generum. [ST1 q4 a3 ad2]
Ad tertium dicendum quod non dicitur esse similitudo creaturae ad Deum propter communicantiam
in forma secundum eandem rationem generis et speciei, sed secundum analogiam tantum; prout
scilicet Deus est ens per essentiam, et alia per participationem. [ST1 q4 a3 ad3]
Commentaires
1°) Notions
La similitude se prend selon la convenance ou la communication dans la forme [qui est
détermination ontologique].
Cela peut se produire de plusieurs manières ; saint Thomas précise les cas en introduisant trois
notions : forma, ratio, modus.
a) Certaines choses sont dites semblables, qui communiquent dans la même forme, selon la même
raison, et selon le même mode.
Ces choses sont non seulement semblables, mais égales dans leur similitude. (Ex : deux choses
également blanches) : c’est la similitude la plus parfaite.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
b) Certaines choses sont semblables qui communiquent dans la forme selon la même raison, mais non
selon le même mode : selon le plus ou le moins. (Comme quand un moins blanc est dit semblable à un plus
blanc) : c’est une similitude encore univoque mais imparfaite.
Remarque Nous apprenons par là que le « mode » – au sens où saint Thomas en parle ici – correspond à une
importante, en détermination qualitativement moindre que la « ratio ». Cela semble être une sorte d’insertion
passant analogique du quantitatif dans le qualitatif.
c) Certaines choses sont dites semblables qui communiquent dans la même forme, mais pas selon la
même raison : cela a lieu entre cause et effet dans le cas des agents non univoques.
On remarquera que saint Thomas ne nous précise pas en quoi consiste alors la communication,
l’unité qui permet d’affirmer encore la similitude.
Dans l’article 2 §1, saint Thomas parlait d’une préexistence « imperfectiori modo » dans la puissance
de la matière, et plus généralement d’une préexistence « secundum eminentiorem modum » pour
toutes les perfections, en Dieu (Cause première). Dans ce même a2, §2 saint Thomas disait de façon
plus nuancée : « non participatur secundum perfectam rationem » pour l’exemple du chaud et de la
chaleur : cela entraîne que saint Thomas admet l’idée d’imperfecta ratio.
Dans l’ad3 de notre article 3, saint Thomas précisera en introduisant le terme « analogie », celle-ci
étant reliée à la distinction entre le « par essence » et le « par participation » : c’est bien l’approche du
théologien, qui part de Dieu qui se révèle :
« Ad tertium dicendum quod non dicitur esse similitudo creaturae ad Deum propter
communicantiam in forma secundum eandem rationem generis et speciei, sed secundum
ANALOGIAM tantum; prout scilicet Deus est ens per essentiam, et alia per participationem. »
2°) Argument
• Omne agens agit simile sibi.
Ce principe peut pour une part s’appuyer sur l’observation, notamment dans les cas de génération.
Mais Garrigou-Lagrange (p. 170) observe qu’il y a là un principe per se notum, selon l’analyse de ses termes.
« Agir », c’est déterminer ou réduire de la puissance à l’acte, de l’indétermination à la détermination : l’acte
en effet est détermination achevée. Mais quelque chose ne peut déterminer que selon sa propre
détermination : tout agent agit en tant qu’il est en acte, et il est en acte selon sa forme [qui est détermination].
Donc l’agent agit selon sa forme : l’agir établit une communication ontologique entre l’agent et le patient,
selon la forme. D’où la nécessité qu’il y ait dans l’effet la similitude de la forme de l’agent.
On retrouve alors, a posteriori, les différents cas indiqués par saint Thomas :
a) Si l’agent appartient à la même espèce que son effet, il y aura similitude dans la forme entre la
cause et l’effet, selon la même raison de l’espèce. (L’homme qui engendre l’homme)
b) Si l’agent n’est pas dans la même espèce, il y aura similitude, mais pas selon la raison de l’espèce.
(Ainsi, les êtres engendrés par la vertu du soleil accèdent à une certaine similitude du soleil, non pas de façon
à recevoir la forme du soleil selon une similitude spécifique, mais selon une similitude générique, proche ou
lointaine).
c) Au-delà, s’il y a un agent qui n’est pas contenu dans un genre, l’effet accèdera de façon encore plus
éloignée à la similitude de la forme de l’agent. Il ne participera pas la similitude de la forme de l’agent selon
la raison de l’espèce ni de genre, mais selon une certaine analogie : comme l’esse lui-même est commun à
toutes choses22.
Et c’est de cette façon que les choses qui proviennent de Dieu lui sont assimilées en tant qu’elles sont
des êtres, comme au premier et universel principe de tout l’être.
22 Bien noter (revoir le texte plus haut) que cette formule est de saint Thomas lui-même : « non tamen ita quod participent
similitudinem formae agentis secundum eandem rationem speciei aut generis, sed secundum aliqualem analogiam, sicut ipsum esse
est commune omnibus. »
– 42 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
2) Dieu n’est pas un autre genre, à poser sur le même plan que ceux que nous connaissons ; il est en
dehors des genres, et il est leur principe.
3) Il n’y a donc pas de communication entre Dieu et la créature dans une même forme qui se trouverait
en l’un et l’autre selon une même raison d’espèce ou au moins de genre. Il reste cette communication dans la
forme selon l’analogie ; et on en précise ici le soubassement ontologique : la « forme » en question c’est en
fait l’être (ens), qui se trouve per essentiam en Dieu, per participationem dans la créature.
4) Cela met en lumière la non réciprocité de la similitude en ce cas. Il n’y a ni relation réelle, ni
encore moins dépendance de Dieu à la créature, puisqu’il est la « forme » analogiquement commune par
essence. C’est pourquoi il serait faux de dire que Dieu est semblable à la créature.
Division de la question
A) On trouve deux parties principales, chacune possédant trois articles :
on considère d’abord le bien dans son rapport à l’être ; ensuite on l’étudie dans sa ratio.
– 43 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Conclusion
Bonum et ens sunt idem secundum rem, sed ratione distinguuntur
Unde manifestum est quod bonum et ens sunt idem secundum rem, sed bonum dicit rationem
appetibilis, quam non dicit ens. [ST1 q5 a1]
Précisions
• La distinction de raison est claire : le bien dit la raison d’appétible que ne dit pas la ratio entis.
Cependant ens contient bonum en acte implicite, quoique non en acte explicite. Ainsi on ajoute à l’être non
une différence extrinsèque, mais une modalité explicitement signifiée.
Il faut toutefois souligner que l’appétibilité ne constitue pas la raison de bien mais la présuppose
(comme une propriété présuppose l’essence). (Contre Gilles de Rome, I S, d 37, pr. II, qI). Si alors on
considère l’appétibilité non formaliter mais fundamentaliter, il faut dire que le bien est intrinsèquement
appétible (en tant qu’il fonde l’appétibilité formelle). D’où la formule retenue par beaucoup de thomistes :
ratio formalis boni consistit in perfectione ut fundat appetibilitatem
Ce fondement ne se distingue d’ailleurs pas absolument de l’appétibilité, car elle-même est la relation
à l’appétit, relation non pas réelle mais de raison si on la considère comme relation prédicamentale.
• Ad1 : l’ens simpliciter (donc l’être substantiel) n’est pas le bonum simpliciter : car ce dernier est
obtenu (dans les créatures) par une perfection surajoutée.
Ens simpliciter = Bonum secundum quid
Ens secundum quid = Bonum simpliciter.
• L’être et le bien sont donc distincts seulement virtuellement, selon une distinction virtuelle mineure
(distinction entre l’implicite et l’explicite) ; la modalité du bien n’est pas une différence extrinsèque par
rapport à l’être comme la rationalité pour l’animalité.
– 44 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Pour les Platoniciens, le Bien est antérieur à l’Être ; car, selon Platon, l’idée séparée du Bien est la
suprême réalité (Cf. La République, VII, 517 d). De même pour Plotin, l’hypostase suprême est l’Un-Bien,
au-dessus de l’intelligence. Selon la même tendance, certains comme Scot diront que la volonté spécifiée par
le Bien est « simpliciter » supérieure à l’intellect, spécifié de l’être.
Platon et Plotin ont posé le Bien au-dessus de l’être, au-dessus de l’essence, parce que toute essence
est intelligible et que l’intelligible est corrélatif à l’intelligence et s’en distingue. D’où : au-dessus de la
dualité de l’intelligence et de l’intelligible, il doit y avoir une unité plus haute et ineffable, absolument
parfaite, d’où toutes choses procèdent, savoir l’Un-Bien.
(Ainsi les Néoplatoniciens ont parlé de l’Un-Bien qui est au-dessus de l’Être (ens) un peu comme les
théologiens catholiques parleront plus tard de la Déité. Celle-ci est en un sens au-dessus de toutes les
perfections « simpliciter » simples, qu’elle contient dans son éminence. Mais selon les théologiens la
Déité contient formellement l’être, l’un, le bien, tandis que l’Un des néo-platoniciens contient
virtuellement ses inférieurs qui en procèdent nécessairement.)
La causalité divine est expliquée par les Platoniciens indépendamment de la liberté de Dieu : le Bien
est essentiellement diffusif de soi. Ils l’entendent (surtout Plotin) d’une nécessité de nature ; déjà Platon
n’avait pas suffisamment distingué causalité finale et causalité efficiente.
Saint Thomas, à la suite d’Aristote, distingue nettement ces deux types de causalité et tient que le bien
est diffusif de soi comme fin qui attire l’agent à agir ; et il ajoute, selon le dogme de la création, que l’Agent
suprême est absolument libre, car il a déjà en soi la bonté infinie et n’a nul besoin des biens créés qui ne
peuvent augmenter la perfection et la béatitude divines.
Cf. Déjà 1 S, d8, q1, a3 : il en est ainsi puisque la raison de l’être est incluse dans celle du bien qui est
l’être parfait désirable (« appétible »).
Le même argument est proposé ici sous cette forme :
– Est premier selon la raison ce qui tombe en premier dans la conception de l’intelligence ;
– Or « primo in intellectu cadit ens » ;
– Donc...
Noter au passage Respondeo dicendum quod ens secundum rationem est prius quam bonum.
cette définition de la Ratio enim significata per nomen, est id quod concipit intellectus de re, et significat illud
« ratio » par saint per vocem, illud ergo est prius secundum rationem, quod prius cadit in conceptione intellectus.
Thomas.
Primo autem in conceptione intellectus cadit ens, quia secundum hoc unumquodque
cognoscibile est, inquantum est actu, ut dicitur in IX metaphys.. Unde ens est proprium obiectum
intellectus, et sic est primum intelligibile, sicut sonus est primum audibile. Ita ergo secundum
rationem prius est ens quam bonum. [ST1 q5 a2]
Dans la Majeure, il ne s’agit pas de l’ordre de temps et d’invention, selon lequel nous connaissons
les sensibles avant les réalités spirituelles, mais de l’ordre de nature et des raisons formelles
(notions). La notion d’être est la première : car toute chose est intelligible en tant qu’elle est être en
acte. Ainsi l’objet propre de l’intellect en tant qu’intellect (non en tant qu’humain) est l’être
intelligible (ens intelligibile), tout comme le premier visible est la couleur et le premier audible le son.
(L’objet propre de l’intellect humain en tant qu’humain est la nature des choses sensibles, ou l’être
intelligible des choses sensibles ; et c’est pourquoi nous connaissons les choses spirituelles dans le
miroir des sensibles).
– 45 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Ainsi toute raison formelle ou notion, pour être intelligible, présuppose la ratio entis. Et ainsi la
notion de bien présuppose celle d’être.
Remarquons que l’on peut rattacher cette priorité à un principe déjà admis par Platon et Plotin :
« Autant une chose est plus simple et plus abstraite, autant est-elle plus noble et plus haute » (Cf. I
q82 a3).
Ainsi la ratio entis, considérée comme incluse dans la ratio boni, est d’une certaine façon déjà
délimitée et contractée, car on peut aussi la trouver dans la raison de vrai et dans celle d’un.
Enfin, il faut remarquer avec Bañez que S. Thomas parle du bien en général (in communi) et donc
que la conclusion vaut tant en Dieu que dans la créature.
L’être est inclus explicitement dans le bien, et l’être inclut implicitement le bien comme sa (une de
ses) modalité(s) transcendantale(s).
Corollaire
Si l’intellect et la volonté sont considérés secundum se, l’intellect est plus éminent (I q82 a3). En effet
ce jugement d’éminence relative des deux facultés considérées en elles-mêmes se porte d’après les objets
respectifs. Or l’objet de l’intellect, qui est l’être intelligible, est plus simple et plus absolu que l’objet de la
volonté, qui est le bien. Or une chose est d’autant plus noble et haute (au moins « in ratione objecti ») qu’elle
est plus simple et plus abstraite (et plus universelle) ; et ainsi, « simpliciter », l’intellect est plus haut et plus
noble que la volonté. C’est pourquoi l’intellect dirige la volonté, en connaissant la raison même de bien dans
le bien voulu lui-même.
Cf ad 1 :
Le bien est, sous un rapport, antérieur à l’être : à savoir in causando
En effet, dans l’ordre de la causalité, le bien a raison de fin, et la fin est la première des causes : c’est
elle qui attire l’agent à opérer, et celui-ci meut la matière vers la forme. Ainsi, selon l’ordre de la causalité,
Dieu est appelé Souverain Bien, ou Le Bon Dieu. En conséquence, « sec. quid », la volonté est antérieure à
l’intellect : à savoir in movendo ou quoad exercitium. Et in via, l’amour de Dieu l’emporte sur sa
connaissance.
La doctrine de cet article, immédiatement déduite des précédents, réfute directement les Manichéens
pour qui le mal est un être réel, et même le « dieu mauvais ». (Thèse du double principe, l’un bon, l’autre
mauvais).
Le mal est non-être (cf. I, q XLVIII et XLIX). Non pas que ce qui est dit mal ne puisse être
matériellement existant, et donc matériellement bon ; mais parce que la raison formelle de mal se trouve
dans la négation (privation).
– 46 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Conclusion
- Ad1 : Le bien ne contracte pas l’être comme un prédicament, en le limitant à une catégorie de réalité.
Cependant la bonté est une modalité transcendantale de l’être, moins universelle que l’être lui-même.
- Ad2 : Le mal est privation du bien dû dans un sujet.
- Ad3 : La matière première est être en puissance et bien en puissance ; et pour le composé, il est bon
d’avoir sa matière, sans laquelle il ne peut être.
- Ad4 : Dans les êtres mathématiques, il n’y a pas de bien, parce qu’ils font abstraction du mouvement
et de la fin. Mais selon l’être, ces êtres ne subsistent pas ainsi séparés.
La difficulté provient de l’axiome classique, déjà cité : « bonum diffusivum sui », qui semble, pour
certains, indiquer une causalité efficiente. De même le texte de saint Augustin (De Doct. Christ., C.31) :
« Quia Deus bonus est, sumus ».
Conclusion
Le bien a raison de fin
Cf. Aristote (II Phys. c.3 n.5, saint Thomas, lect.5 n.11) : « Illud cuius causa est sicut finis et bonum
aliorum ».
Raison
– Le désirable a raison de fin ;
– Or le bien est désirable ;
– Donc le bien a raison de fin, au moins par rapport à l’acte de celui qui le désire ; et il peut être
désirable, soit comme délectable, soit comme utile, soit comme honnête (cf. a6).
• Une autre conclusion est ajoutée dans le corps de l’article, qui peut s’énoncer ainsi :
Le bien est premier in causando, mais ultime in essendo. (car la fin est première dans l’ordre
d’intention, dernière dans l’ordre d’exécution).
• C’est ainsi qu’on doit comprendre l’axiome rappelé au début : cf. ad2 : « Ad secundum dicendum
quod bonum dicitur diffusivum sui esse, eo modo quo finis dicitur movere. »
– 47 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
LE BEAU
Cf. Ad 1 : le bien et le beau diffèrent selon la raison, car le bien regarde l’appétit, tandis que le beau
regarde la puissance cognitive. « Pulchra enim dicuntur quae visa placent ». Cf. ST1 q39 a8 : la beauté, pour
plaire, requiert trois éléments : l’intégrité de la chose, la proportion due, la clarté. Ainsi la beauté est la
splendeur de la forme dans la matière ; s’il s’agit de la beauté intellectuelle, c’est la splendeur de la vérité, la
splendeur de l’irradiation d’un principe dans ses multiples conséquences. De même la splendeur de la vie
morale dans l’héroïsme constitue la beauté morale ; et au sommet se trouve le sublime, quand il y a la plus
haute diversité dans la plus profonde unité, par exemple dans la communion eucharistique : O res mirabilis,
manducat Dominum, pauper, servus et humilis.
Selon beaucoup d’auteurs, le Beau se présente comme une propriété transcendantale de l’être, car
toute œuvre divine est belle, et tout être est œuvre de Dieu. Toutefois certains estiment que le Beau relève
seulement de l’aspect formel des choses : ce ne serait donc pas un transcendantal au sens strict.
Le Beau intégral est la splendeur dans l’être de l’unité, de la vérité et de la bonté : c’est la splendeur et
l’harmonie de toutes les propriétés de l’être23.
La raison de bien consiste-t-elle dans le mode, l’espèce et l’ordre ? (q5 a5)
4°) La trilogie augustinienne est mise en rapport avec Sap. XI, 21 : « Omnia in mensura et numero, et pondere disposuisti ».
5°) Le bonum simpliciter se trouve seulement avec l’Ordo, qui donc présuppose les deux autres.
23On trouvera un important approfondissement sur le beau dans L.-M. de Blignières, Le Mystère de l’être : l’approche thomiste de
Guérard des Lauriers, (Bibliothèque thomiste, LX), Vrin 2007, p. 106-135 : « le beau, antenne de l’être ».
– 48 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Il s’agit d’une division du bien transcendantal, et d’une division formelle, non matérielle.
La division matérielle du bien se prend du sujet : donc selon les dix catégories (bonne substance,
bonne qualité, etc.).
La division formelle se prend de la raison de bien, en tant qu’il est quelque chose de parfait et de
désirable. (Cette division fonde la notion de bien moral, qui est le bien honnête convenant à la nature
humaine (ou plus généralement à la nature intellectuelle), et donc conforme à la raison droite, participation
de la loi éternelle).
La deuxième objection signale que les membres de la division ne sont pas opposés entre eux ; la
troisième déclare qu’une propriété du bien n’appartient pas à l’un des membres (utile fin.)
Conclusion
2°) Le bien, en tant que désirable, est terme du mouvement de l’appétit ; Or ce terme peut être :
– intermédiaire (medius), ce qui donne le bien utile,
– ou ultime ; et dans ce cas, il est
- soit la chose désirée pour elle-même (bien honnête),
- soit le repos dans la chose (bien délectable).
– 49 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
On remarque que cette division se prend de la raison formelle du tout à diviser, qu’elle se fait par
membres opposés. C’est bien une division « per se » adéquate.
Il faut souligner, avec le début de la réponse de saint Thomas, que cette division ne concerne pas
seulement le bien humain, mais le bien comme tel : « haec divisio proprie videtur esse boni humani. Si
tamen altius et communius rationem boni consideremus, invenitur haec divisio proprie
competere bono, secundum quod bonum est ».
3°) Noter la réponse ad2, que l’on retrouve en beaucoup de cas : cette division ne se fait pas par choses
opposées, mais par raisons opposées. Ainsi la même chose, comme la vertu, peut être à la fois bien honnête
et bien délectable, et même bien utile pour la fin ultime.
Cependant, au sens strict, on réserve le nom de « délectables » aux biens qui sont seulement
délectables, et qui sont parfois nuisibles ou déshonnêtes.
De même sont dits proprement utiles les biens seulement utiles.
Dans cette perspective, saint Thomas montre ailleurs (II-II, q145 a3) que l’honnête est désiré « propter
se » par l’appétit rationnel, le délectable est désiré « propter se » par l’appétit sensitif, enfin que rien n’est
« simpliciter » et vraiment utile s’il répugne au bien honnête, mais peut être seulement sec. quid utile.
4°) Cette division du bien est analogique, le bien se disant « per prius » de l’honnête, « secundario »
du délectable, « tertio » de l’utile.
Corollaires
1) Cette division contient le principe de la réfutation de l’hédonisme et de l’utilitarisme, de ces fausses éthiques fondées sur
le bien utile et délectable.
Il s’agit là du bien honnête auquel notre nature rationnelle est ordonnée par son Auteur (cf. ST1-2, q94, a2). C’est pourquoi
l’homme arrivant au plein usage de la raison doit aimer efficacement le bien honnête pour lui-même (plus qu’il ne s’aime lui même).
Ceci comporte in confuso ou implicitement d’aimer efficacement Dieu auteur de la nature et souverain bien plus que soi-même.
Comme cet amour efficace, dans l’état de nature déchue, est impossible sans la grâce guérissante, qui est en même temps élevante
(ST1-2, q109, a3), saint Thomas conclut (ST1-2, q89, a6) : « Si quidem (puer) sic se ordinaverit ad debitum finem, per gratiam
consequetur remissionem peccati originalis ». (Donc : Baptême de désir).
3) N.B. :
Selon la doctrine thomiste, la brute animale tend materialiter au bien honnête qui lui est proportionné (sans connaître la
raison de fin, ni la raison d’honnête). Cf. I q6 a1 ad2 ; q60 a5 ad1 ; II-II q26 a3. (C’est ainsi que le singulier aime naturellement plus
le bien de son espèce que son bien singulier).
24
Sur « bonum est faciendum » comme principe premier voir les explications de Tonneau, o.p., dans Bulletin Thomiste VII, p. 367-
368 (cr / Toccafondi). « le bien, c'est ce qui est à faire » : ce principe, en son sens immédiat, n’inclut pas d'autre idée (il n’y a pas,
formellement, l’idée d'obligation dans le faciendum). L’obligation (devoir) constitue une certaine sorte de biens moraux ; et même si
on voit dans le debitum en un certain sens une formalité de tout bien moral, cette formalité reste dérivée, contingente / celle de bien
moral.
– 50 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Ensuite, on examine le mode selon lequel le bien convient à Dieu : est-il, lui seul, la bonté par essence.
Enfin on envisage le rapport entre la bonté des choses et celle de Dieu.
Il s’agit donc de la bonté ontologique, selon laquelle Dieu est bon en lui-même et désirable, et selon
laquelle il est fin de toutes choses, et agent suprême communicant aux créatures tous les biens
qu’elles reçoivent. Mais cette bonté ontologique est le fondement de la bienveillance ou amour de
bienveillance (cf. q20) et aussi de la justice et de la miséricorde (q21). (Donc ces questions ne sont pas
à traiter ici).
Nous verrons dans cette question que saint Thomas procède selon la voie d’affirmation et
d’excellence, selon que la bonté est un attribut positif. Le medium de démonstration sera le primum
efficiens de la 2a Via.
Platon affirme que la réalité suprême est le Bien même subsistant. Aristote tient que Dieu, Acte pur,
attire tout à lui par mode de fin ou de Bien suprême.
Plusieurs historiens tiennent que Dieu, pour Aristote, est seulement fin de toutes choses, non cause
efficiente. Certes Aristote n’est pas parvenu à la notion de libre création ex nihilo ; mais (Garrigou-
Lagrange ; 185) il n’a pas nié que Dieu soit en quelque façon cause efficiente du changement des
choses, et des choses elles-mêmes.
Dans l’article, saint Thomas montre que Dieu ne serait pas manifesté comme souverain bien et fin
ultime de toutes choses, s’il n’était cause efficiente suprême. Mais ce dernier point admis, on peut appliquer
analogiquement les principes : « omne agens agit propter finem » et « ordo agentium debet correspondere
ordini finium ».
Réponse
Comme Dieu est première cause de toutes choses, il est manifeste que la raison de bien et de désirable
lui convient.
1°) La conclusion est une vérité révélée, souvent affirmée dans l’Écriture. « Plus que de fide »
(Garrigou-Lagrange, p. 186) : car si on nie cela, il ne reste rien des mystères du christianisme. Cf. Lam. III,
25 ; Mt XIX, 17 etc.
2°) L’Église a condamné le manichéisme qui niait que Dieu soit l’unique principe, Souverain Bien et
source de toute bonté : D 234ss, 367, 707, 710 ;
En particulier, le Concile de Florence a défini (D 706, DS 1333) :
« (...) Deum (...) esse omnium visibilium et invisibilium creatorem : qui quando voluit, bonitate
sua universas, tam spiritales quam corporales, condidit creaturas : bonas quidem, quia a summo
bono factae sunt, sed mutabiles, quia de nihilo factae sunt, nullamque mali (...) esse naturam,
quia omnis natura, in quantum natura est, bona est ».
3°) Raison :
La cause efficiente possède la raison de bien et de désirable. Or Dieu (cf. deuxième voie) est cause
efficiente de toutes choses. Donc...
– 51 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
– Cf. aussi q20 a2 : l’Amour de Dieu crée et infuse la bonté dans les choses.
1) Il faut distinguer le sens de la question. Le Souverain Bien peut s’entendre de trois façons :
a) en un sens absolu, en sorte que « Souverain Bien » ne signifie rien d’autre que « être absolument
parfait en soi » ;
b) en un sens relatif, indiquant l’éminence par rapport aux autres existants. Cela peut se dire
doublement :
ba) selon une prédication univoque ;
bb) selon une prédication équivoque (analogue).
2) Selon (a), la réponse est affirmative, et exprime la vérité déjà contenue dans la question sur la
perfection divine (et cf. I C.G.37)
Selon (ba), la réponse est non, puisque Dieu n’est pas dans un genre, ni en tant qu’être, ni en tant que
bien.
Selon (bb), la réponse est affirmative.
– D’après l’a1, le bien est attribué à Dieu en tant que toutes les perfections désirées découlent de Lui
comme de la cause première. Or elles n’en découlent pas comme d’un agent univoque (cf. q4 a3), mais
comme d’un agent qui ne convient avec ses effets ni selon la raison d’espèce, ni selon celle du genre. La
forme dont la similitude est dans l’effet se trouve de façon plus excellente dans la cause équivoque. Et ainsi,
puisque le bien se trouve en Dieu comme dans la cause première non univoque de toutes choses, il doit se
trouver en Lui selon le mode le plus excellent. C’est pourquoi il est dit le Souverain Bien.
Ad 1) Si on prend « Souverain Bien » absolument, il faut dire que cela n’ajoute rien au bien, mais
indique un degré du bien lui-même.
Si, selon la lettre de l’article, on le prend relativement, il faut rappeler que la relation de Dieu aux
créatures n’est pas réelle en Dieu ; cela n’entraîne donc pas de composition réelle en Lui.
Ad 2) Il y a confusion entre la fin ou l’appétit implicite et explicite.
Ad 3) Ne distingue pas la prédication univoque et l’équivoque.
– 52 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Être bon par essence est-il le propre de Dieu ? (q6 a3)
La réponse est affirmative, et la preuve fournie ici est une synthèse du développement du De Ver.,
q21 a5. Elle se ramène à ceci :
– Quelque chose est bon en tant que parfait : 1°) selon l’être ; 2°) selon les principes opératifs ;
3°) selon l’obtention de la fin.
– Or cette triple perfection convient à Dieu seul par son essence car lui seul EST 1°) son être ; 2°) son
agir ; 3°) sa fin [son parfait achèvement].
– Donc il est propre à Dieu d’être bon par essence ; toutes les autres choses sont bonnes par
participation.
Difficulté
En vertu de sa mineure, saint Thomas conclut plutôt : seul Dieu est, par son essence, bon, alors qu’il
entendait conclure [d’après le sed contra] : Dieu seul est bon par essence (= non participativement). Et il faut
bien comprendre que ces deux choses ne sont pas identiques, car Socrate par son essence est homme, mais il
n’est pas l’homme par essence, mais homme par participation. Seul l’« homme séparé » dont parle Platon eût
été l’homme par essence, l’archétype de l’homme.
On peut cependant répondre qu’en Dieu ces deux modes coïncident, en raison du sujet. De l’argument
de saint Thomas, il ne suit pas seulement que Dieu est bon en vertu de son essence, mais qu’il est le bon par
essence ; car Dieu n’a pas seulement la bonté : il est la plénitude d’être, la perfection suprême désirable de
façon suprême, ce qui est le bien lui-même par essence. (Socrate est homme par son essence, mais n’est pas
son humanité).
- Ad 1 et 3 : Toute chose est une ou indivise par son essence, mais elle n’est pas bonne « simpliciter »
par son essence, mais par une perfection surajoutée. C’est ici (ad1) que saint Thomas dit que « unum » ne dit
pas de soit perfection.
- Ad 2 : l’essence d’une chose créée n’est pas son être [distinction réelle, en ce sens qu’elle est
antérieure à la considération de notre esprit].
Cet article vaut contre l’erreur de Platon selon qui les espèces des choses sont séparées des choses
singulières, et de même pour leur bonté. Alors les choses seraient dites bonnes par dénomination extrinsèque,
et par une certaine participation dont la nature demeure cachée dans le platonisme.
Cette doctrine procède du réalisme absolu, selon lequel l’universel existe non seulement
fondamentalement, mais formellement du côté de la chose ou en dehors de l’esprit.
Ainsi on confond l’ens in communi avec l’être divin et le bonum in communi avec le bien divin. Ou :
on confond l’universel in praedicando avec l’universel in causando et in essendo.
Les disciples de Gilbert de la Porrée ont renouvelé, au Moyen-Âge, ce réalisme immodéré.
– 53 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
La première partie découle directement du réalisme modéré, affirmé contre le réalisme absolu. Les
espèces des choses, leur entité, leur unité, leur bonté ne sont pas séparées. Il y a une bonté singulière
intrinsèque à chaque chose.
La deuxième partie correspond à la 4a via. La multitude ne rend pas raison de l'unité de similitude
observée en elle, et tout composé (de capacité réceptive et de perfection reçue) a besoin d’une cause.
Ainsi, c’est à tort que Platon a posé un homme séparé ou par essence, car l’homme ne peut exister
sans matière, et les os et la chair ne peuvent exister sans être ces os, cette chair.
Mais c’est à bon droit qu’il a posé le Bien séparé et par essence. Cependant, il ne l’a pas
suffisamment distingué du bien général, d’où une tendance panthéiste dans le Platonisme, qui
apparaît davantage dans l’émanatisme nécessaire des Néo-platoniciens, en opposition radicale au
dogme de la libre création.
2°) Notions25
25Sur la notion d’infini chez les scolastiques, voir J.-L. Gardies, « Les antécédents scolastiques de la théorie des ensembles », Revue
de Métaphysique et de Morale, 1986 (4), 486-505 ; voir p. 493-505 : « la définition de l’infini » puis « La distinction des infinis
(p. 500).
– 54 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Les termes limitants peuvent être extrinsèques ou intrinsèques. Le terme extrinsèque qui contracte
l’essence est la cause efficiente. Les termes intrinsèques peuvent être métaphysiques, comme le genre et la
différence26, ou physiques, comme la matière et la forme ; ou en général tout couple de récepteur et de reçu
par mode d’acte et de puissance.
3°) Thèse
- Magistère :
* Symbole Quicumque (D 39, DS 75) : « immensus Pater, immensus Filius, immensus Spiritus
Sanctus ; »
* Latran IV (D 428, DS 800) : « Firmiter credimus (...) quod unus solus est verus Deus (...) immensus
(...) »
* Vatican I (D 1782, DS 3001) : « S.C.A.R. Ecclesia credit et confitetur, unum esse Deum verum et
vivum, (...) immensum, (...) intellectu ac voluntate omnique perfectione infinitum ; »
Margerie, p. 396, souligne que Vatican I est le premier Concile a utiliser le terme d’« infini » pour
Dieu et fournit quelques utiles réflexions à ce sujet.
- Pères :
Saint Grégoire de Nysse, Contre Eunome, l.3 (RJ 1042 : Dieu comme « infini selon la nature :
») ; Saint Jean Damascène, La Foi orthodoxe, I, 13 (Dieu « incirconscriptible »).
Selon Margerie, p. 398, à l’époque patristique la « problématique de l’Infinité n’est pas encore
dégagée clairement de celle de l’Immensité, ni de celle de l’Éternité ».
Selon le même auteur, c’est en rapport avec la Puissance divine que Pierre Lombard (Sent. I, dist.
42-44) et les commentateurs suivants passent à l’étude de l’Infinité divine. « Alexandre de Halès
semble avoir joué un rôle important dans cette transition (ibid. p. 398 note 36). La première
« affirmation explicite » au Moyen Âge de l’Infinité de Dieu serait due à Richard Fishacre, à Oxford,
commentaire des Sentences, avant 1245.
L’argument de saint Thomas se présente comme une conséquence de cette vérité fondamentale : Dieu
est l’Ipsum esse subsistens (q3, a4).
Tandis que la matière est dite infinie d’une infinité d’imperfection, la forme non reçue est infinie d’une
infinité de perfection au moins secundum quid.
26 Cette manière de parler, que l’on trouve dans la scolastique tardive, est très déficiente, puisque « genre » et « différence » sont
directement des êtres de raison logiques. Néanmoins, ces êtres de raison sont fondés dans la réalité, et permettent d’énoncer la
définition réelle. D’où sans doute l’usage linguistique qui s’est répandu. Dans ce même usage, on parlera d’essence métaphysique
lorsque l’essence est définie par genre et différence, et d’essence physique lorsqu’elle est définie par la matière et la forme.
27 Cf. la mise au point de Margerie, p. 397. Le concept d’infinité divine ne semble pas explicité par l’Écriture Sainte [d’après les
« exégètes modernes, en général »]. Néanmoins, la réalité de l’Infinité divine « sous-tend » « nombre d’affirmations bibliques ».
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Or l’esse non reçu qu’est Dieu est infini d’une infinité de perfection, et non seulement sec. quid (dans
un genre) mais simpliciter, au-dessus de tout genre, selon l’être.
L’infinité de la matière est infinité d’imperfection ou privative car la matière, pure puissance,
manque de toute détermination ; et lorsqu’elle est « finie » (achevée) par la forme, elle se trouve
perfectionnée, déterminée par elle.
Au contraire la forme est limitée par la matière en quoi elle est reçue ; et la forme considérée en elle-
même, c’est-à-dire non reçue, a une infinité de perfection, en tant qu’elle est illimitée (selon la raison)
et participable à l’infini.
On distingue donc : la matière est déterminée par la forme, la forme est limitée par la matière. La
détermination est perfection, acte ; la limitation est imperfection. Spinoza a erré en affirmant : « toute
détermination est négation ». Ce qui est vrai, c’est que toute détermination créée n’est pas mais
entraîne une négation (limitation).
Suarez, après Scot, reproche à l’argument de saint Thomas de présupposer quelque chose non admis
par tous les théologiens, savoir la distinction réelle entre l’essence créée et l’être. Suarez nie cette distinction
et dit : l'esse n'est pas fini parce que reçu, et il n'est pas infini parce que non reçu (De Attributis Dei, L.III,
c. I).
On peut répondre, que même si on ne considère pas explicitement la distinction en question, la raison
de saint Thomas est probante. Avant que l’on observe que l’esse de la créature est reçu subjectivement dans
l’essence créée, distincte de lui réellement, il apparaît qu’il est objectivement limité. Il est en effet l’esse de
telle essence particulière, qui est une détermination incluant limitation.
Mais de là suit que Dieu seul est son être, tandis que la créature, avant la considération de notre esprit, n’est pas son être
mais a son être, de même que la matière n’est pas la forme, mais la reçoit. Ainsi demeure la thèse thomiste de la distinction
réelle entre l’essence créée et l’être, car l’acte (non limité de soi) n’est limité, de fait, que par la capacité réelle en quoi il est
reçu. En outre l’essence créée et l’être ne peuvent être réduits au même concept (comme animalité et rationalité au concept
d’humanité) car l’être est un prédicat contingent [à ne pas confondre avec un accident prédicamental] pour toute créature,
et se tient en dehors du concept adéquat de son essence.
Suarez prouve que Dieu est infini en disant que Dieu est ce dont on ne peut rien penser de plus grand,
alors qu’on peut toujours penser quelque chose de plus grand qu’une réalité finie quelconque.
Saint Thomas aussi propose cette raison, I, C.G. 43, §7, 8. Mais cette raison ne montre pas le
fondement et la raison de l’infinité essentielle de Dieu ; elle ne procède pas de l’absence de termes limitant
son Esse.
Est-ce qu’une chose autre que Dieu peut être infinie par essence ? (q7 a2)
Cet article veut faire mieux saisir la distinction entre l’infinité simpliciter et l’infinité sec. quid.
Voir aussi ST1 q50 a2 ad4.
Conclusion
Quelque chose d’autre que Dieu peut être infini sec. quid, mais non simpliciter.
Cette réponse est de fide (cf. D 1782 et 1804) : « (...) super omnia, quae praeter ipsum sunt et concipi
possunt, ineffabiliter excelsus. »
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Raison
L’infinité « simpliciter » est celle de l’être lui-même non reçu, qui ne peut être qu’unique.
Cependant, les formes séparées de la matière (essence angélique) sont infinies sec. quid d’une infinité
de perfection : l’Ange possède toute la perfection qui relève de son espèce (cf. I q50 a4). Ceci parce qu’une
forme subsistante n’est pas limitée par des principes individuants distincts d’elle-même.
La matière elle n’a qu’une infinité (sec. quid) d’imperfection. Cf. ad3.
Peut-il y avoir quelque chose d’infini selon la grandeur (quantitative) ? (q7 a3)
Cet article, comme le suivant, introduit la distinction entre l’infini catégorématique (en acte) et l’infini syncatégorématique
(en puissance).
Ce dernier est du fini toujours perfectible.
Cf. Aristote, Phys., III, c.1s : tout continu est divisible à l’infini, mais jamais divisé à l’infini. Il comporte des parties toujours
divisibles et des points déterminants.
(Pour Spinoza, l’extension actuellement infinie est attribut divin).
- Conclusion
Aucun corps naturel, et même aucun corps mathématique, ne peut être infini en acte.
Peut-il y avoir de l’infini dans les choses selon la multitude ? (q7 a4)
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Avec cette notion de nombre, le nombre infini répugne, puisque tout nombre a une relation déterminée avec l’unité, et se fait
par addition en commençant avec l’un, principe du nombre. Mais la question porte sur l’existence (possible) en acte d’une multitude
infinie et innombrable (sans nombre).
Une réponse négative est difficile pour Aristote ou pour saint Thomas, qui admettent la non répugnance d’un monde sans
commencement dans le temps (cf. I q46 a2 ad7). Alors la création ne se serait pas distinguée de la conservation des choses dans
l’être. Et dans un tel cas, la série des jours (par exemple) serait déjà infinie a parte ante, de même que la série des actes des âmes
immortelles sera infinie a parte post.
Il est vrai que dans cette hypothèse, comme les jours passés n’existent plus, ils ne constituent pas une multitude infinie en
acte de parties existant en acte. Mais on peut imaginer la création, chaque jour, d’un grain de sable ou d’un Ange... (G.-L.)
Il semble que saint Thomas n’ait pas pris de position définitive sur cette question ; les Thomistes classiques et beaucoup de
scolastiques nient la possibilité d’une multitude infinie en acte de choses existant simultanément en acte. Ils concèdent la possibilité
de multitude infinie en acte de choses non coexistantes (jours passés, actes des âmes immortelles).
Pour la possibilité d’une multitude infinie en acte de choses coexistantes, on peut citer : Scot, Grégoire de Rimini, Ockham,
Gabriel Biel, Vasquez ; cela est probable selon les « Coïmbricenses » (S.J.), de même pour Tolet. Parmi les modernes, Descartes et
Leibniz admettent l’infini actuel ; de même Spinoza, en un sens panthéiste.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
• Jr XXIII, 24 :
« Un homme peut-il se cacher dans une cachette sans que je le voie, dit Yahweh? Est-ce que je
ne remplis pas, moi, le ciel et la terre, dit Yahweh ? »
• Rom XI, 26 :
« De lui, par lui et en lui sont toutes choses. » [choses en Dieu]
• Eph IV, 6 :
« un Dieu, Père de tous, qui est au-dessus de tous, qui agit par tous, qui est en tous. » [Dieu
dans les choses]
N.B. : Dieu qui est pur esprit et ineffablement élevé au-dessus de tout est cependant en toutes choses,
même corporelles, non comme partie de l’essence ou comme accident, mais comme l’agent est présent à ce
en quoi il agit.
Tout agent doit être réuni à ce en quoi il agit immédiatement, par le contact de sa vertu [pas
nécessairement par le contact quantitatif, qui convient seulement aux agents corporels].
Or Dieu est la cause propre qui produit immédiatement et qui conserve immédiatement l’être créé
lui-même dans toutes les choses.
Donc Dieu est dans toutes les choses par le contact de sa vertu, qui ne se distingue pas réellement de
son essence.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Ici saint Thomas prouve brièvement que Dieu est cause propre de l’esse créé : car Dieu est l’être
même par essence : et donc l’être par participation est son effet propre.
C’est en I q45 a5 que saint Thomas prouve explicitement que Dieu conserve immédiatement l’être
des choses ; de même I q104 a2 et ad2.
Ad1) Ce qui est au-dessus de toutes choses à cause de l’élévation de sa nature n’est pas en elles
comme partie de l’essence, Conc. ; comme cause, Neg.
Ad2) Dieu, en tant qu’esprit pur, est dans les choses comme les contenant, de même que l’âme
contient le corps (mais Dieu contient les choses non comme une forme déterminant la matière, mais comme
une cause conservant son effet).
Ad3) Dieu, en tant que cause suprême produit les choses inférieures par la médiation des causes
secondes : quoad esse tale, Conc. ; quoad esse absolute (ens in quantum ens), Neg.
Réponse
Cette Majeure est vraie de tout agent comme tel, et pas seulement de l’agent corporel qui est d’abord dans le lieu avant
d’agir. En effet, même si l’agent est esprit pur et que l’effet est purement spirituel (ange conservé par Dieu), l’agent doit être conjoint
à l’effet au moins par contact de vertu, 1°) parce que le perfectif et le perfectible immédiatement actué par lui doivent être UN en
acte : c’est en cela que consiste la réalité de la causalité ; 2°) autrement il n’y aurait pas de raison pour laquelle la vertu causative
produirait cet effet plutôt qu’un autre.
(Et, dans le cas de Dieu, la vertu n’est pas diffusée en dehors de l’agent, elle est la Déité même ; l’action est formellement
immanente, virtuellement transitive en tant qu’elle produit un effet ad extra).
Cette doctrine n’est pas purement philosophique ; elle est au moins insinuée en Act XVII, 27 : « Non longe est Deus ab
unoquoque nostrum ; in ipso enim vivimus, movemur et sumus ». Ici l’Apôtre, à partir de l’opération de Dieu en nous manifeste sa
présence, même en ceux qui ne le connaissent pas.
S. Augustin : « Cum aliud sumus quam ipse Deus, non ob aliud in illo sumus, nisi quia id operatur » (De Gen. ad Lit., IV,
c.12, n.23).
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
La question est : Dieu est-il non seulement en toutes choses, mais en tous lieux en tant que lieux ?
Réponse
Dieu, non simpliciter mais sec. quid est en tous lieux, en tant que formellement lieux.
La raison en est que Dieu est dans le lieu, non comme un corps qui le remplit en excluant un autre
corps, mais parce qu’il donne l’être à tous les êtres situés dans le lieu, et même aux lieux réels eux-mêmes
(« la surface du corps environnant »). Ainsi Dieu n’exclut pas qu’un autre soit là, il fait que le localisé soit là.
- Ad1) Les êtres incorporels sont dans le lieu par le contact de vertu.
- Ad2) Dieu est indivisible non comme un point, terme du continu, mais parce qu’il est en dehors de
tout le genre du continu. Ainsi il peut être partout, à la différence du point. Il suffit pour cela que la vertu
divine conserve tous les corps.
- Ad3) Dieu est tout entier en toutes choses, tout entier en chacune, selon la totalité d’essence, non
selon une totalité d’extension.
Dieu est-il en toutes choses par essence, présence et puissance ? (q8 a3)
Cet article prend comme occasion une parole de saint Grégoire, citée par la glose ordinaire.
Dans le corps de l’article, saint Thomas distingue la présence générale de Dieu en toutes choses, par
mode d’agent, et une présence spéciale dans les justes, en tant qu’il est en eux comme l’objet
expérimentalement connaissable dans le connaissant28, et comme l’aimé dans l’aimant (a fortiori chez les
bienheureux, en tant qu’il est en eux comme clairement vu). Cf. I q43 a3, 5, 6.
28Il est ainsi par la foi éclairée par le don de sagesse : et ainsi Dieu est quasi expérimentalement connaissable, et parfois connu en
acte.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Au contraire la Révélation enseigne l’acte créateur libre (D 1784) et la création ex nihilo (ibid. et
D. 428) ; les âmes et la matière ne peuvent être produits que par création, et ne peuvent être
conservés que par Dieu, immédiatement.
• N.B. : les autres types de présence de Dieu dans certaines choses, s’il en est [il y a au moins
l’habitation de Dieu –Trine dans l’âme juste] présupposent la présence générale : cf. Garrigou-Lagrange, De
Deo Uno, p. 213 §2.
On pourra approfondir cette question, tout en rpéparant l’étude de ST1 q43 sur les missions divines,
avec :
RENARD Arnaud ( fssp) : “ Le Dieu intérieur ” Deus interior intimo meo : Quelle présence de Dieu au
fondement et au terme des missions divines. – 2015. Voir la section 3.2.2., p. 83 sq, qui présente la
notion d’actuation ordonnée pour la présence ou l’esse in, selon l’élaboration de Don Angelo
Bertuletti29.
Réponse
être partout primo et per se convient à Dieu et lui est propre
1°) On cite saint Ambroise, De Spir. Sanc., 1.I, c.7 : « Quis audeat creaturam dicere Spiritum
Sanctum, qui in omnibus et ubique et semper est ? Quod utique Divinitatis est proprium. »
2°) est partout per se primo ce qui est partout non par accident mais nécessairement, et immédiatement
selon tout lui-même, non selon ses diverses parties.
Or seul Dieu, après la création, est nécessairement et immédiatement selon tout lui-même en toutes
choses et en tous lieux, parce qu’il conserve tout dans l’être.
Donc...
Per accidens, un grain de sable créé seul serait partout.
L’univers est partout, non primo (immédiatement, sec. se totum) mais selon ses diverses parties. Cf.
ad3.
Ad1) l’ens universale, et la matière première, sont partout, mais pas selon le même esse. On
retrouve ici le réalisme modéré. Le réalisme immodéré confond l’être universel et l’être divin, en tant
qu’il tient que l’universel (in praedicando) existe formellement, et pas seulement fondamentalement a
parte rei (= extra animam) ; s’il en était ainsi, le panthéisme serait vrai, et l’ens universale serait
partout selon le même esse ; Dieu ne conserverait pas seulement immédiatement l’être de toutes les
choses, il serait lui-même l’être de toutes les choses.
La matière première est partout, mais pas selon le même esse, puisqu’elle reçoit son esse de la
forme : et sous les diverses dimensions de la quantité de l’univers ne se trouve pas la même forme.
(Cependant, la matière première est une négativement, en tant qu’il n’y a pas deux matières
premières).
Ad6) L’âme qui voit le ciel éloigné l’atteint comme objet ; mais subjectivement elle ne vit qu’en elle-
même, car vivre est un acte immanent. Donc il ne suit pas que l’âme soit partout. La vision est
immanente, mais l’objet vu ne l’est pas quoi que disent les idéalistes. L’âme possède avec les corps
éloignés qu’elle voit une relation transcendantale, immanente à l’acte de vision lui-même.
29BERTULETTI Angelo ( Don ) : La presenza di Cristo nel sacramento dell'Eucaristia. – Libreria Editrice della Pontificia
Università Lateranense, 1969. – (Corona Lateranensis ; 19). Ce travail est lui-même largement redevable à l’enseignement du Père
Guérard des Lauriers au Latran.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
1°) Erreurs
• Parmi ceux qui ont affirmé que Dieu est soumis au changement, on peut relever : a/ les Stoïciens, les
Gnostiques, les Manichéens, pour des motifs divers ; b/ les Anthropomorphistes, qui prétendaient Dieu sujet
aux passions ; c/ les Panthéistes, non seulement matérialistes, mais émanatistes et idéalistes (ceux qui disent
que Dieu se détermine par une évolution continue) ; ainsi Renan ou Hegel : Dieu « pur devenir ». d/ Les
Sociniens et les Arminiens enseignent que Dieu est immuable quant à sa substance, mais changeant dans sa
science et dans les décrets de sa volonté.
• Un thème moderne touche de près le présent sujet : c’est celui d’une éventuelle souffrance en Dieu.
Cf. la mise au point de Margerie, Les Perfections du Dieu de Jésus-Christ, p. 239-241 [avec référence à
l’ouvrage de F. Varillon, La souffrance de Dieu, 1975] et p. 418-419 au sujet de Grégoire le Thaumaturge.
- Voir aussi quelques remarques de Narcisse, o.p., dans RT 1996 p. 121-124 (au sujet du dernier
volume de La Dramatique divine (T. IV : Le dénouement) de Urs von Balthasar). Narcisse rappelle le rôle
source de Hegel (renouvelant d’ailleurs une orientation typiquement luthérienne), voulant introduire
l’idée d’un moment de souffrance infinie en Dieu ; de là des thèmes comme la dépossession de Dieu
par Dieu, la « kénose » intra trinitaire, la douleur ou la souffrance divines (et même le thème
dialectique « Dieu est mort »). Narcisse cite, parmi les classiques de ce courant, Jürgen Moltmann, et
aussi Karl Barth. Parmi les auteurs catholiques qui se sont efforcés de faire une place au thème de la
souffrance en Dieu sans rejeter la doctrine de l’immutabilité divine Narcisse indique, outre von
Balthasar [qui cherche un fondement du côté de l’idée d’une « décision du Dieu impassible d’être
passible »…], Galot et Maritain (pour ce dernier : cf. Approches sans entraves, p. 292-326). Molinié,
o.p. affirme aussi « la douleur de Dieu » (Un feu sur la Terre… X, Que ma joie demeure, p. 163-169). J.-
H. Nicolas, o.p. (Synthèse dogmatique, Complément, n° 61-62) est très réservé… et Narcisse aussi (loc.
cit. p. 124 §2). Par ailleurs J.-H. Nicolas a exposé ce que l’on pouvait retenir positivement sur le thème
de la souffrance en rapport avec le Mystère intime de Dieu dans son ouvrage Contemplation et vie
contemplative en christianisme. (Éditions Universitaires Fribourg Suisse ; Éditions Beauchesne, 1980),
p. 169-187 (« Un de la Trinité a souffert »).
- Pour une présentation plus détaillée de ce thème, voir Giovanni Cavalcoli, o.p., « Il mistero
dell’impassibilità divina », DIVINITAS 1995, 111-167. Cet auteur donne de nombreux textes magistériels
sur le sujet, p. 116-118. On consultera aussi, p. 126-129, la présentation de la position de Karl
Rahner et p. 129-132 celle de Walter Kasper.
- Voir enfin dans RT 2004 (IV), 617-620 le cr par Bonino, o.p. de la thèse de Krzysztof Olaf
Charamsa, L’Immutabilità di Dio, L’insegnamento di San Tommaso d’Aquino nei suoi sviluppi presso i
commentatori scolastici (Tesi Gregoriana, Serie Teologia, 91. – Roma, EPUG, 2002). L’auteur et le cr
soulignent que l’immutabilité divine est vraiment considérée (par saint Thomas et ses commentateurs)
d’abord comme une vérité de foi.
Le sujet avait déjà été étudié par Enrico Zoffoli, Mistero della sofferenza di Dio ?. Il pensiero di
S. Tommaso – (Studi tomistici ; 34). – Città del Vaticano : Libreria Editrice Vaticana ; 1988.
[MAJ 26 janvier 2012]: RT 2011 (II), 329-332 sq : cr Bonino, question de la souffrance de Dieu :
« Divine impassibility and the Mystery of human suffering », sous la dir de Keating et White
(Eerdmans, 2009, 358 p.). CF le cr.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Écriture Sainte
• Ps CI, 27-28 (cf. Heb I, 11) :
« [26] Au commencement tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. [27] Ils
périront, mais toi, tu subsistes. Ils s'useront tous comme un vêtement ; Tu les changeras comme
un manteau, et ils seront changés : [28] Mais toi, tu restes le même, et tes années n'ont point de
fin. »
• Sap. VII, 27 :
« [27] Étant unique, elle [la Sagesse] peut tout; restant la même, elle renouvelle tout; se
répandant, à travers les âges, dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des
prophètes. »
• Rom I, 23 :
« et ils ont échangé la majesté du Dieu incorruptible pour des images représentant l'homme
corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. »
• Jc I, 17 :
« [17] Tout don excellent, toute grâce parfaite, descend d'en haut, du Père des lumières, en qui
n'existe aucune vicissitude, ni ombre de changement. »
• Voir aussi : Mal. III, 6 (« C'est parce que moi, Yahweh, je ne change pas, que vous, les enfants de
Jacob, vous n'avez pas été consumés. ») ; Ps XXXII, 11 (« Mais les desseins de Yahweh subsistent à jamais,
et les pensées de son cœur dans toutes les générations. »).
Magistère
• Conc. de NICÉE I (D.54, D.S.126), anathème contre ceux qui disent que le Fils de Dieu (ou Dieu) est
convertibilem aut demutabilem :
« (…) Eos autem, qui dicunt “ Erat, quando non erat ” et “ Antequam nasceretur, non erat ” et
“ Quod de non exstantibus factus est ” vel ex alia substantia aut essentia dicentes [esse] aut
[factum aut] convertibilem aut demutabilem Deum [filium Dei], hos anathematizat catholica
Ecclesia. »
• Concile LATRAN IV (oecum. XII), 11 - 30 novembre 1215 (sous Innocent III); cap. 1 de fide catholica;
Définition contre les Albigeois et les Cathares; D 428, DS 800:
« Firmiter credimus et simpliciter confitemur, quod unus solus est verus Deus, aeternus,
immensus et incommutabilis, incomprehensibilis omnipotens et ineffabilis, Pater et Filius et
Spiritus Sanctus: tres quidem personae, sed una essentia, substantia seu natura simplex omnino
(…) »
• Concile VATICAN I (oecum. XX) 8 décembre 1869 - 20 octobre 1870 (sous Pie IX); Session III, 24 avril 1870;
Constitutio dogmatica 'Dei Filius'; de fide catholica; Cap. 1. De Deo rerum omnium creatore; D 1782, DS 3001:
« Sancta catholica apostolica Romana ecclesia credit et confitetur, unum esse Deum verum et
vivum, creatorem ac Dominum caeli et terrae, omnipotentem, aeternum, immensum,
incomprehensibilem, intellectu ac voluntate omnique perfectione infinitum; qui cum sit una
singularis, simplex omnino et incommutabilis substantia spiritualis, praedicandus est re et
essentia a mundo distinctus, in se et ex se beatissimus, et super omnia, quae praeter ipsum sunt
et concipi possunt, ineffabiliter excelsus [can. 1-4]. »
Ajoutons, parmi les documents concernant le thème voisin de l’impassibilité de la nature divine :
• Saint LÉON I le Grand, Ep. 'Promisisse me memini' ad Leonem I imp., 17 août 458; DS 318:
" (c. 8) Cum ergo unus sit Dominus Iesus Christus et verae deitatis veraeque humanitatis in
ipso una prorsus eademque persona sit, exaltationem tamen, qua illum, sicut Doctor gentium dicit,
exaltavit Deus et donavit illi nomen, quod super omne nomen excellit [cf. Phil 2, 9s], ad eandem
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
intellegimus pertinere formam, quae ditanda erat tantae glorificationis augmento. In forma quippe
Dei aequalis erat Filius Patri, et inter Genitorem atque Unigenitum nulla erat in essentia discretio,
nulla in maiestate diversitas; nec per incarnationis mysterium aliquid decesserat Verbo, quod ei
Patris munere redderetur. Forma autem servi, per quam impassibilis Deitas sacramentum
magnae pietatis implevit, humana humilitas est, quae in gloriam divinae potestatis evecta est, in
tantam unitatem ab ipso conceptu Virginis Deitate et humanitate conserta, ut nec sine homine
divina, nec sine Deo agerentur humana. "
• Conc. (oecum. IV) CHALCEDONENSE, 8. oct. - init. Nov. 451. Actio V, 22. oct. 451 : Symbolum
Chalcedonense. De duabus naturis in Christo, Prooemium definitionis. (DS 300)
« (préambule à la définition. A la suite des professions de foi de Nicée et de Constantinople :) Or
donc, pour une connaissance complète et une confirmation de la religion, il eût suffi de ce sage et
salutaire Symbole de la grâce divine car il donne un enseignement parfait sur le Père, le Fils et le
Saint- Esprit et il expose l'Incarnation du Sauveur à ceux qui la reçoivent avec foi. Mais voici que
ceux qui tentent de rejeter la prédication de la vérité par leurs propres hérésies ont donné
naissance à des nouveautés : les uns ont osé rejeter le mot de Mère de Dieu au sujet de la Vierge ;
les autres introduisent une confusion et un mélange et imaginent de façon insensée que la chair et
la divinité ne font qu'une seule nature et disent de façon monstrueuse que, du fait de la
confusion, la nature divine du Fils est passible pour cette raison, voulant leur fermer la porte à
toute machination contre la vérité, le saint et grand concile œcuménique, aujourd'hui présent,
enseignant la doctrine inébranlable prêchée depuis le commencement, a défini qu'avant tout la
confession de foi des 318 pères devait demeurer en dehors de toute atteinte. (…) »
• N.B. : les latins ont désigné sous le nom de patripassiens, les monarchiens connus aussi en Orient
sous le nom de sabelliens… Les modernes parlent plutôt de modalistes, car les personnes visées pensaient
que le Fils était seulement une manière d’être et de se manifester du Père. Dans cette doctrine, la souffrance
semble bien affecter le Père lui-même, et donc Dieu en tant que Dieu.
L’initiateur de cette doctrine fut Noët de Smyrne (fin 2e siècle). Il fut condamné à Smyrne, mais un
disciple, nommé Épigone, introduisit sa doctrine à Rome où elle fut développée par Cléomène et
Sabellius, tandis que Praxéas la diffusait à Carthage (début 3 e siècle). Cette reprise de la doctrine de
Noët inclut une variante où le Père ne souffre pas : le Père est la composante divine du Christ incarné,
la composante humaine représentant le Fils.
1°) Dans tout être muable, il faut qu’il existe une puissance qui recevra la détermination. Or Dieu est
acte pur (1a via et 4a). Donc Dieu est absolument immuable.
2°) Tout ce qui est muable est composé, car il demeure quant à quelque chose, et il passe sous un autre
rapport. Mais Dieu est absolument simple.
3°) Tout ce qui est mû acquiert quelque chose ; mais Dieu est la plénitude de l’être : il ne peut rien
acquérir (ni d’ailleurs rien perdre, étant l’Être nécessaire).
Ceci vaut contre l ’évolutionnisme absolu, sous la forme idéaliste (Hegel) comme sous sa forme
empiriste (Bergson (?)). Ainsi l’être universel qui est, selon Hegel, principe de toutes choses ne peut
être le vrai Dieu. S’il l’était, il serait l’Être même subsistant, absolument immuable, stable, en qui
nulle évolution ne pourrait trouver place. L’évolutionnisme absolu doit dire : le principe de toutes
choses est l’évolution créatrice d’elle-même ; il admet un devenir universel qui est raison de soi ; et
ainsi il nie la valeur réelle ou ontologique du principe d’identité ou de contradiction (l’être et le non être
s’identifient dans ce devenir, raison de soi) et de même celle du principe de causalité (efficiente et
finale)...
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Précisions
1) On voit qu’il ne faut pas confondre l’immobilité d’inertie qui est inférieure au mouvement et à notre
activité, avec l’immobilité de perfection qui est suprême stabilité de l’Être subsistant, de l’Intelliger
subsistant, de l’Amour subsistant.
2) Pour indiquer la vie sans mouvement en Dieu, on utilise normalement le mot « opération ».
3) On parle parfois de mouvement pour Dieu de façon purement métaphorique (cf. ad2 et ad3).
4) Cette question touche ainsi le problème plus général de l’usage des métaphores dans la Révélation.
Une première approche pourra être effectuée avec les enseignements de J.-H. Nicolas, Dieu connu comme
inconnu, p. 161-169 et plus nerveusement p. 179 note 61.
1°) Sources
• Ps CI, 26-28 : marque expressément l’opposition entre Dieu et les créatures sous le point de vue de
l’immutabilité :
« [26] Au commencement tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. [27] Ils
périront, mais toi, tu subsistes. Ils s'useront tous comme un vêtement ; Tu les changeras comme
un manteau, et ils seront changés : [28] Mais toi, tu restes le même, et tes années n'ont point de
fin. »
• Saint Augustin, De Natura Boni, c.1 : « Solus Deus immutabilis est ; quae autem fecit, quia ex
nihilo sunt, mutabilia sunt ».
b) Les choses créées corruptibles sont muables quant à l’être substantiel par une puissance
intrinsèque : car il y a en eux la matière, qui peut perdre sa forme présente.
c) Toutes les créatures sont muables selon l’être accidentel, par une puissance intrinsèque. (Même
pour les Anges : actes libres, nouvelles illuminations, gloire accidentelle, contact de vertu avec divers
lieux...).
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Saint Thomas montre que cette définition est bonne, selon les lois de la recherche de la définition,
selon lesquelles on passe méthodiquement de la notion confuse (et de la définition nominale) à la notion
distincte (et à la définition réelle). Cf. Post. Anal., L.II.
Conclusion
Cette définition est bonne, en tant qu’elle exprime bien que l’éternité est une durée interminable et
sans succession, qui est donc « tota simul existens ».
- Cela n’est pas proprement démontré, car la définition est objet d’une recherche par la division du
genre ou du quasi-genre (ici : la durée) et par la comparaison de la chose à définir, avec les choses
semblables et dissemblables (ici, en comparant l’éternité, connue confusément d’après la définition
nominale, avec le temps).
- Cependant, dans le corps de l’article, on trouve une certaine démonstration, en tant que l’éternité se
déduit de l’absolue immutabilité divine, comme cela apparaîtra plus clairement a2.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
- N.B. : c’est le premier caractère qui est le principal. Si le temps n’avait pas eu de commencement,
comme le croyait Aristote, il se distinguerait quand même essentiellement de l’éternité.
- Le « nunc temporis » est donc un instant fluent entre le passé et le futur, lesquels n’existent pas « in
re » mais dans l’appréhension de l’esprit, tandis que le « nunc aeternitatis » est stable, absolument
permanent et immobile.
- Sous une forme plus déductive : Ce qui est absolument immuable existe tout entier ensemble, de
façon interminable. Or l’éternité est la durée d’une telle réalité. Donc...
Ad 1) C’est par rapport à nous que l’éternité est dite, négativement, interminable : parce que nous
connaissons d’abord des choses terminées.
Ad 2) On dit « d’une vie interminable » plutôt que « d’un être interminable » parce que ce qui est
vraiment éternel est non seulement être, mais vivant, et même le « vivre même subsistant ». « Vivre » s’étend
explicitement à l’opération, et ce que « être » ne fait pas. Il apparaît ainsi que tant l’être de Dieu que son
opération sont mesurés par l’éternité. (Tandis que, comme on le verra par la suite, l’immuable essence de
l’Ange n’est pas mesurée de la même façon que ses opérations successives).
Ad 3) L’Éternité est dite « toute », non parce qu’elle aurait des parties, mais parce que rien ne lui
manque.
Ad 4) C’est métaphoriquement que l’Écriture parle des « jours de l’éternité » (Mich. V, 2).
Ad 5) Le mot « perfecta » n’est pas inutile. « Tota simul » exclut le passé et le futur, « perfecta »
exclut le « nunc fluens », qui est imparfait.
Ad 6) On dit « parfaite possession » plutôt que « durée » pour désigner l’indéfectibilité de l’éternité :
ce qui est possédé est un avoir ferme et dans le repos.
1°) Magistère
L’éternité de Dieu a toujours fait partie de la prédication explicite de l’Église.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
- S.Léon IX, Ep. Congratulamur vehementer, au Patriarche d’Antioche, 13 avril 1053, (D 346, DS
683) :
(...) unum Deum (...) aeternum (...).
- Lyon II (XIVe Conc. Oec.), Sess. 4, 6 juil. 1274, prof. de foi de l’empereur Michel Paléologue (D 463, DS
853) :
« Credimus et Spiritum Sanctum (...) et coaeternum (...) Patri et Filio. »
- Florence, XVIIe Oec. ; Bulle d’union des Coptes et des Éthiopiens, « Cantate Domino » 4 fév. 1442
(D 703, DS 1330) :
« S.R. Ecclesia (...) firmiter credit (...) unum verum Deum (...) incommutabilem et aeternum
(...). (...) quia trium est (...) una aeternitas, omniaque sunt unum, ubi non obviat relationis
oppositio. »
[Cf. ibid. DS 1331 : « aeternum ac sine initio » pour la génération du Fils et la procession du
Saint-Esprit ; et ibid DS 1337, pour le Verbe incarné : « Patri coaeternum », « immortalis et
aeternus ex natura divinitatis »].
- Vatican I, XXe Oec. ; Sess.III, 24 avril 1870, Const. dog. « dei Filius » (D 1782, DS 3001) :
« S.C.A.R. ecclesia credit et confitetur, unum esse Deum verum et vivum, (...) aeternum (...).
Remarque
Quant à la note théologique, Vacant (Études..., I, 161-189) distingue deux éléments dans la notion
d’éternité. Sur ce point, Vatican I n’a fait que reprendre Latran IV ; et les deux Conciles ont entendu
définir l’éternité de Dieu « dans le sens reçu » ; mais quel est-il ? Au minimum, cela comporte
l’affirmation : « ni commencement ni fin » ; et la tradition est absolument unanime à cet égard. Donc
cela au moins [c'est-à-dire l’absence de termes] est de foi divine et catholique définie.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Qu’en est-il du deuxième élément : « absence de succession » ? Il est pareillement de foi selon
Kleutgen, car dans l’Église on a toujours entendu l’éternité dans le sens de la définition de Boèce.
Cependant certains Scotistes admettraient une certaine succession en Dieu (sans changement,
l’immutabilité étant de foi) : Vacant loc. cit. 185. (Attribution controuvée, p. 186). Finalement, Vacant
conclut que tous les théologiens catholiques sont d’accord sur le fait, mais ne présentent pas
(explicitement) cette vérité comme un point de foi ; il retient comme note : proxima fidei. Il faut alors
ajouter : théologiquement certaine. Mais comme il y a bien accord sur le sens du mot employé par
Latran IV, on peut dire : de foi divine et catholique (sans ajouter : définie).
Mais quand ce mot est prédiqué de Dieu, qui est « A se », il est manifeste qu’on entend exprimer sa
durée perpétuelle sans commencement ni fin ; et dont on connaît l’immutabilité.
Dieu est éternel : Gen. XXI, 33 ; en opposition à la vie corporelle, Dieu vit éternellement : Eccli.
XVIII, 1 ; il est roi éternel : Jér. X, 10 ; roi des siècles : Tob. XIII, 6 ; lumière éternelle : Is. XL, 19 ; Sap.
VII, 26. Formule du serment utilisée par Dieu : « Vivo ego in aeternum » Deut. XXXII, 40.
- Plus expressément, l’éternité divine est affirmée dans les passages suivants :
Ps LXXXIX, 1-4 ; CI, 28 ; Is XLI, 4 ; Eccli XLII, 21.
- Dans le Nouveau Testament, l’éternité divine est souvent signifiée de façon emphatique par
l’expression « in saecula saeculorum » : Rom. XI, 36 ; XVI, 17 ; II Cor. XI, 31 ; Gal. I, 5 ; Phil. IV, 20 ; II
Tim. IV, 18. Spécialement : I, Tim. I, 17.
L’éternité est affirmée dans l’Apocalypse : I, 8 ; XXI, 6 ; XXII, 13 ; XIV, 18 et 48 ; (l’expression
« qui est, et qui erat, et qui venturus est » est d’ailleurs à rapprocher de Ex III, 14 « Ego sum qui sum »
dans laquelle tant les Pères que les rabbins ont vu l’expression de l’éternité de Dieu). Cf. encore : Apoc. IV,
9-11 ; X, 6 ; XV, 7.
II Pet. III, 18 rapportant Ps XCVIII, 4 ; Jo I, 1-2 ; I Jo II, 13.
2°) Ad 1 : sur les mots de Boèce (De Cons., V, pros. ult.) : « Nunc fluens facit tempus, nunc stans facit
aeternitatem ».
On dit « facit » selon notre appréhension : l’appréhension de l’éternité se produit en nous pour autant
que nous appréhendons le « nunc stans ». Mais l’éternité a un être parfait en dehors de l’âme, tandis que le
temps n’a d’être parfait que dans l’esprit, car le passé et le futur n’existent que dans l’esprit.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Ce qui est réel dans le temps, c’est le « nunc fluens » et il est dit fluent comme le mouvement qui est
l’acte de l’être en puissance en tant que tel, acte ultérieurement perfectible et à parfaire, passage
successif de la puissance à l’acte parfait.
Par opposition, le « nunc » de l’éternité est dit stable, et tous les instants successifs du temps lui
correspondent, comme tous les points de la base correspondent à l’unique sommet du cône.
3°) Ad 1 : quand saint Augustin dit que Dieu est l’auteur de l’éternité, il faut l’entendre de l’éternité
participée dans la vie éternelle des saints. Leur vision béatifique a un commencement, mais n’aura pas de fin,
et en elle il n’y a pas de succession ou variation, du moins du côté de l’objet primaire qui est l’essence même
de Dieu vue clairement. La vie des bienheureux est donc dite non seulement vie future par rapport à la nôtre,
mais en propre vie éternelle car mesurée par l’éternité participée.
(On voit que c’est l’absence de succession, et pas seulement l’absence de commencement – ni de fin –
qui est requise pour l’éternité participée).
4°) Cf ad 3 : quand on dit que l’éternité est la mesure de la vie divine, il faut l’entendre d’une mesure
intrinsèque, Dieu étant son éternité ; et ainsi Dieu n’est pas mesuré30.
En réponse à la quatrième objection saint Thomas donne un enseignement dont la brièveté ne doit pas
cacher la profondeur :
« Ad quartum dicendum quod verba diversorum temporum attribuuntur Deo, inquantum eius
aeternitas omnia tempora includit, non quod ipse varietur per praesens, praeteritum et
futurum. »
On le reverra plus loin. Selon les Thomistes, les créatures sont physiquement présentes dans l’Éternité
sous le regard de Dieu. Cf. Jean de Saint-Thomas, in I disp. IX, a3 ; Billuart De Deo, diss.VI a3. L’Éternité
ne mesure pas les choses créées immédiatement et en les supposant déjà passivement produites, mais
précisément en tant qu’elles sont contenues dans l’action divine par laquelle elles sont atteintes, et qui les
regarde comme son terme.
En effet, non seulement l’intellection et la volition de Dieu sont éternelles, mais aussi son action ad
extra, qui pourtant a un effet dans le temps. Cf. I q46 a1 ad10.
Les choses créées sont donc réellement présentes dans l’éternité ; elles ne sont pas seulement
possibles, ni futures ; elles sont dans l’essence divine non pas seulement comme pouvant ou voulant
produire, mais comme actu producentem.
Il est clair que cette présence des choses à l’éternité présuppose le libre décret Créateur.
Deux conclusions :
1°) L’éternité, vraiment et proprement ne se trouve qu’en Dieu, car elle suit l’absolue immutabilité
propre à Dieu.
2°) L’éternité participée se trouve dans les créatures, comme l’immutabilité participée.
30 Sur la notion de mesure voir Bernard Bro, o.p. : « Notion métaphysique de tout et union hypostatique ». RT 1967 (IV), 569-575.
31 Sur ce sujet on trouve de bonnes indications au début de l’article de Sœur Louise-Marie Antoniotti, o.p. : « La présence des actes
libres de la créature à l’éternité divine », Revue Thomiste, 1966 (I), 5-47 [bien que cet article, dans son ensemble, traite d’un sujet
plus spécifique que le nôtre].
– 71 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
On le dit déjà pour des choses matérielles stables : « terra in aeternum stat » Ecclés. I, 4. Mieux et de
façon plus haute pour les substances spirituelles et incorruptibles ; encore mieux pour les Bienheureux qui
sont dits avoir la vie éternelle, parce que la vision béatifique est mesurée par l’éternité participée. C’est une
opération absolument immuable.
3°) En Enfer, il y a une peine éternelle, au sens de « sans fin » ; mais il n’y a pas la vraie éternité,
plutôt le temps, selon un certain changement dans la peine du sens.
Chez les auteurs scolastiques, l’aevum désigne la mesure (durée) des substances spirituelles. Déjà saint
Augustin, Livre des 83 questions, q.72, déclare qu’il faut admettre une durée intermédiaire entre l’éternité et
le temps. Certains disent : l’éternité n’a ni commencement, ni fin, l’aevum a un commencement et pas de
fin ; cette différence est « per accidens » : parce que même si, de fait, une réalité éviternelle n’avait pas eu de
commencement (et n’aurait pas de fin), elle différerait encore de l’éternité au sens strict. Certains disent : il y
a « prius et posterius » dans l’aevum, mais sans changements : c’est contradictoire (« haec positio implicat
contradictoria »).
La vraie différence est celle-ci : l’aevum est immuable en soi, mais lié à la mutabilité.
Cf. surtout ad 1 : les créatures spirituelles, quant à leurs affections et à leurs actes d’intelligence, dans
lesquels il y a succession (non pas continue mais discrète) sont mesurées par le temps (« temps
discret... ») ; quant à leur être naturel, elles sont mesurées par l’aevum ; quant à la vision béatifique, elles
participent l’éternité.
- Il faut observer (cf. Quod V a7 et Bañez) que certaines opérations angéliques sont connaturelles et
durent toujours : elles sont mesurées par l’aevum (par exemple : connaissance naturelle de soi). Les autres
opérations angéliques immanentes sont mesurées par le temps discret angélique, qui a rapport au nombre des
actes, cf. I q53 a3 ad1. L’opération virtuellement transitive de l’ange par laquelle il meut les corps
localement est mesurée terminativement par notre temps continu.
- Bien noter ad2 : l’aevum est « totum simul » en tant que l’être substantiel de l’ange est immuable et
ne comporte aucune succession (cf. ad3) ; Cependant l’aevum ne contient pas éminemment le temps (comme
fait l’éternité) parce que l’être angélique ne contient pas éminemment l’être des choses changeantes ; en
outre la connaissance angélique des choses particulières n’est pas mesurée par l’aevum, mais par le temps
discret. Ainsi les anges ne peuvent connaître naturellement les futurs contingents : ils ne peuvent que
conjecturer. Cf. Quod X, a4.
– 72 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Est-ce que l’un ajoute quelque chose à l’être ? (q11 a1)
- Dans l’Antiquité : grand débat sur ce thème entre Parménide et Héraclite. Le premier affirmait l’unité
et l’unicité de l’être jusqu’à nier la possibilité de la multitude des êtres. Saint Thomas examine et rejette cette
position, après Aristote : in Meta., L.I, c. V, lect.9. L’être n’est pas un genre, mais se dit en des sens
multiples des diverses choses.
Quant à Héraclite, il niait l’unité et l’identité de l’être : tout devient, rien n’est.
C’est tout le problème de l’un et d’un multiple, scruté par Platon, Aristote, les Néo-platoniciens, et qui
recevra sa vraie lumière par la doctrine révélée de la libre création.
32
On trouvera une utile explication sur l'unité numérique de la substance et l'unité transcendantale de l'étant dans Tomas Tyn, o.p.,
Metafisica della sostanza, partecipazione e analogia entis (Edizioni Studio Domenicano, 1991), p. 85 § ult. – 86.
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De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Ces dernières années, Hervé Pasqua a consacré de nombreux et très importants travaux à l’étude
critique de l’hénologie. Voir en particulier :
• RT 2011 (I), 121-132 : « La naissance de Dieu dans l'âme chez Eckhart et Nicolas de Cues ». Voir p.
130 dernier § : oposition entre la doctrine selon laquelle Dieu a pour essence d'être, et la doctrine
selon laquelle Dieu a pour essence d'être l'Un.
• RT 2011 (IV), p. 629-654, « Maître Eckhart par lui-même ». La conception eckhartienne de
l'intellect dessine la ligne de démarcation entre une philosophie de l'être et une philosophie de l'un…
• RT 2014 (IV), 653-696 : « Maître Eckhart (1260-1327) et Nicolas de Cues (1401-1464) (I) » : divers
cr par Thibaut Gress et Hervé Pasqua. Voir p. 653 sq : cr par Gress de Pasqua, « Maître Eckhart. Le
procès de l'Un ».
• RT 2016 (III), 421-464 : Thibaut Gress : L'hénologie négative de Nicolas de Cues ou l'Un sans l'être.
Une lecture d'Hervé Pasqua.
L’un n’ajoute pas quelque chose à l’être, mais seulement la négation de division
- Cela ressort de la simple analyse des termes (car « un » ne signifie rien d’autre que « être indivisé »),
et on peut le manifester en considérant les diverses catégories de l’être : qu’entend-on par « substance-une »,
« qualité-une », « quantité-une », « action-une », etc. ? il s’agit toujours de la chose considérée, indivisée.
Cependant, l’être un peut être divisible.
- Il suit de là que l’un est convertible avec l’être. En effet, est convertible avec un autre, ce qui lui
convient « per se primo » (nécessairement et immédiatement).
Tout être est un : l’être est soit simple, soit composé ; ce qui est simple est parfaitement un, étant
indivisé et indivisible ; ce qui est composé n’a pas l’être tant que ses parties demeurent divisées.
Ad 2) Sont mis en lumière plusieurs éléments par lesquels peut s’éclairer la 4a via.
1) Ce qui est unum simpliciter peut être divisé sec. quid.
Ainsi, ce qui est un selon l’essence et le sujet, est multiple selon les accidents. De même, le continu est
un simpliciter (indivisé en acte), mais divisible à l’infini en parties de plus en plus petites : et ainsi il est
multiple sec. quid (en puissance).
2) Au contraire, des choses simpliciter divisées et multiples sont "un" sec. quid. Par exemple des êtres
numériquement multiples sont un selon l’espèce, ou selon le principe.
3) L’un et le multiple ne se trouvent pas ex aequo sous l’être ; ils ne sont pas coordonnés mais
subordonnés. La multitude n’est contenue sous l’être qu’en étant contenue en quelque manière sous l’un :
toute multitude participe à l’un. (Ce qui est multiple selon les parties est un selon le tout ; ce qui est multiple
selon les accidents est un selon le sujet ; ce qui est multiple selon l’individu est un selon l’espèce ; de même
les espèces par rapport au genre ; ce qui est multiple selon le genre est un selon l’analogue...)
D’où l’illustration de la 4a via :
la multitude qui est subordonnée à l’un, ne peut rendre raison de l’unité qui se trouve en elle par
participation (Cf. De Pot. q3 a5).
Ad 3) Ce n’est pas un pléonasme de dire l’être un, car l’un ajoute quelque chose selon la raison.
Mais comme ce qui est « ajouté selon la raison » est une négation (négation de division), saint
Thomas précise parfois que l’un comme tel ne dit pas une perfection (ST1 q6 a3 ad1 : « … unum non
– 74 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
importat rationem perfectionis, sed indivisionis tantum, quae unicuique rei competit secundum suam
essentiam… »).
Réponse
– L’un s’oppose à plusieurs, mais diversement selon qu’il s’agit de l’un principe du nombre ou de l’un
transcendantal.
L’un principe du nombre s’oppose à la multitude dont il y a nombre comme la mesure au
mesuré. Le nombre est « la multitude mesurée par l’un » (Meta. X, 1).
L’un convertible avec l’être s’oppose à la multitude par mode de privation, comme l’indivisé
au divisé.
– Or la première de ces oppositions est une opposition relative (comme entre le père et le fils), la
seconde est l’opposition privative (cf. Meta. V, 10, leçon 12 de saint Thomas).
Ad 1) Noter que la multitude est privation d’unité, et est fondée dans l’unité.
En effet, la privation, qui requiert un sujet, n’enlève pas totalement l’être, ni l’un convertible avec
lui. Ceci n’a pas lieu dans la privation des formes spéciales (la privation du blanc n’est pas fondée dans le
blanc). L’opposition demeure, car le multiple est seulement un sec. quid.
Comme on l’a dit, il s’agit ici de l’unicité de Dieu. Un être est dit unique quand il ne peut y avoir, ou
au moins il n’y a pas, d’autres êtres de la même espèce (ou de même genre). Dieu est dit unique s’il ne peut y
avoir plusieurs « dieux ».
- L’unicité de Dieu est niée par les polythéistes ; par certains hérétiques qui admettent deux principes,
l’un bon l’autre mauvais, comme les Gnostiques, les Marcionites, les Valentiniens du second siècle. (De
même, Manichéens du 3e siècle, Albigeois du 13e siècle). On peut aussi compter les Trithéistes du 6e siècle,
qui comprenaient mal la distinction réelle des trois personnes dans la Trinité.
– 75 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
Les Panthéistes nient implicitement l’unité de Dieu, dans la mesure où ils posent que la nature divine
est communiquée ad extra par une émanation nécessaire (comme les rayons solaires procèdent
nécessairement de lui).
• C’est le moment de consulter BAUCKHAM, Jesus and the God of Israel : God Crucified and other studies
on the New testament’s Christology of Divine Identity. Voir surtout le chapitre 2 (“Biblical theology and the Problem of
Monotheism”, p. 60-106) et le chapitre 3 (“The ‘Most High’ God and the Nature of Early Jewish Monotheism”, p. 107-
126). Et d’abord, p. 7-11, la section préliminaire: “Characterizing the unique identity of God”. Dans la Bible, il y a
certes des caractérisation du Dieu d’Israël en fonction du du peuple d’Israël, mais il y en a aussi des caractérisations en
raport à toute réalité (unicité de Dieu comme Créateur et comme Maître suprême).
• À consulter auss (avec prudence et discernement !) : RÖMER, Thomas : L'invention de Dieu :
Postface inédite. – Éditions du Seuil, 2017-2014. – (Points Histoire ; H531).
Réponse
Magistère
- Notons que dans de nombreux symboles et professions de foi, le premier article est l’unicité de Dieu
(cf. DS 1-DS 76).
- Latran IV (D 428, DS 800) ; Florence (D 703, DS 1330) ; Trente (D 994, DS 1862) ; Vatican I
(D 1782, 1801, DS 3001, 3021).
- Le dualisme est rejeté : Conc. de Braga (D 237ss, DS 457ss) ; Symbole de saint Léon IX (D 348,
DS 685) ; profession de foi pour les Vaudois (D 421, DS 790) ; Prof. de foi de Michel Paléologue (D 464,
DS 854) ; Décret pour les Jacobites (D 706, 707, DS 1333-1336).
Écriture Sainte
L’unicité est révélée dans le nom même de Yahweh, qui ne peut être qu’unique.
Cf. Deut. IV, 35 ; Deut. VI, 4, 5 ; Is XLV, 5, 7 ; Mc XII, 29 ; Eph. IV, 5 ;
La doctrine est reçue comme quelque chose de « per se notum » dans le Nouveau Testament : Mt V,
34ss ; VI, 28-30 ; Jo XVII, 3 ; Act XVII, 24-29 ; Rom. III, 29 ; I Cor. VIII, 4-6 ; Eph. IV, 3-6 (les païens
polythéistes sont dits « sans Dieu » Eph. II, 12) ; I Pet. IV, 19 ; Apoc. passim.
– 76 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
En ce qui concerne l’adjectif « unicus », il est bon de noter l’attitude réservée de saint Thomas, ST1
q31 a2 :
« Respondeo dicendum quod, quia ex verbis inordinate prolatis incurritur haeresis, ut Hieronymus
dicit, ideo cum de Trinitate loquimur, cum cautela et modestia est agendum, quia, ut Augustinus dicit,
in I de Trin., nec periculosius alicubi erratur, nec laboriosius aliquid quaeritur, nec fructuosius aliquid
invenitur.
(…)
Noter au passage la Ad vitandum vero errorem Sabellii, vitare debemus singularitatem, ne tollatur communicabilitas
notion de singularité essentiae divinae, unde Hilarius dicit, VII de Trin., patrem et filium singularem Deum praedicare,
[incommunicabilité]
pour le suppôt. sacrilegum est.
Debemus etiam vitare nomen unici, ne tollatur numerus personarum, unde Hilarius in eodem
libro dicit quod a Deo excluditur singularis atque unici intelligentia.
Dicimus tamen unicum filium, quia non sunt plures filii in divinis.
Neque tamen dicimus unicum Deum, quia pluribus Deitas est communis. Vitamus etiam nomen
confusi, ne tollatur ordo naturae a personis, unde Ambrosius dicit, I de fide, neque confusum est quod
unum est, neque multiplex esse potest quod indifferens est.
Vitandum est etiam nomen solitarii, ne tollatur consortium trium Personarum, dicit enim Hilarius,
in IV de Trin., nobis neque solitarius, neque diversus Deus est confitendus. (…) »
Il s’agit à nouveau ici de l’unité elle-même, fondement de l’unicité. C’est un corollaire de ce qui a été
vu dans la question 3.
Les difficultés tirées du Mystère de la Sainte Trinité seront examinées en propre dans ce traité. Ici,
saint Thomas se contente de citer un texte de saint Bernard, De Consideratione, V, 8 : « Inter omnia quae
unum dicuntur, arcem tenet unitas divinae Trinitatis. »
C’est-à-dire que se trouve en Dieu une unité si élevée et si intime qu’elle demeure dans la Trinité des
personnes. Sous cet aspect sublime, l’Unité de Dieu est purement révélée. Au contraire, si on ne la
regarde pas par rapport à la Trinité, c’est un « préambule de la foi », accessible à la seule raison. On
démontre même, ici, que Dieu est « maxime unus ».
- La raison est simple : Dieu est « maxime ens » en tant que Ipsum esse subsistens, et il est « maxime
indivisus » (puisque absolument simple : q3 a7). Donc il est maximalement un.
En fait, il est infiniment plus distant de toute composition que le plus grand des anges, en qui demeure
la composition d’essence et d’être.
– 77 –
De Deo Uno – Les attributs divins entitatifs
- En outre, seul Dieu est l’unité par essence ; les créatures n’ont l’unité, comme l’être, que par
participation.
Dans le traité de la Trinité, on montre que cette suprême unité n’est pas enlevée par la distinction
réelle des personnes, parce que cette distinction se prend selon l’opposition de relation. Les personnes
sont réellement distinctes entre elles mais ne sont pas distinctes de la nature divine (I q39 a1).
L’Unité apparaît comme d’autant plus élevée qu’elle demeure intimement dans la distinction réelle
elle-même. C’est le Mystère même de la Trinité, et de la Simplicité divine.
Cf. Cajetan, in I q39 a1 n° VII. La réalité divine contient formellement-éminemment toutes les
perfections simplement simples, et aussi les relations divines. Il ne faut pas imaginer la distinction
entre l’absolu et le relatif comme antérieure à la réalité divine.
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Réflexion épistémologique
La cognoscibilité de Dieu (q12)
Un intellect créé peut-il voir Dieu par essence ? (q12 a1)
L’enseignement de l’Église comporte une première affirmation : les créatures intellectuelles sont de
fait appelées à la Vision béatifique [cf. le De Homine et le De Angelis].
Sous cette doctrine trois thèmes peuvent prendre place :
a) l’intellect créé peut être élevé à la vision intuitive de Dieu ;
b) cette vision est absolument surnaturelle ;
c) Dieu est incompréhensible pour tout intellect créé.
Le troisième point trouvera son lieu avec l’article 7, le second avec l’article 4. C’est donc seulement le
premier que nous abordons directement ici. Cependant, comme notre article est le lieu où l’on disserte sur le
pouvoir de la raison d’établir la possibilité de la Vision de Dieu, nous mentionnerons aussi les textes du
Magistère qui ont été mis en avant dans ce débat, bien qu’ils concernent plutôt (b).
33 Cette question est encore étudiée dans le De Homine, qui constitue habituellement une partie du De Deo Creatore.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
- Florence (Oec. XVII), Bulle d’union avec les grecs Laetentur Caeli, 6 juil. 1439, (D 693, DS 1305) :
« Illorumque animas, qui post baptisma susceptum nullam omnino peccati maculam,
incurrerunt, illas et etiam, quae post contractam peccati maculam, vel in suis corporibus, vel
eisdem exutae corporibus, prout superius dictum est, sunt purgatae, in caelum mox recipi et
intueri clare ipsum Deum trinum et unum, sicuti est, pro meritorum tamen diversitate alium
alio perfectius. »
De ces deux textes, nous concluons que la possibilité qu’un intellect créé voit l’essence divine est de
fide divina et catholica, implicite et a fortiori definita dans le fait de cette vision pour les bienheureux.
On peut en outre citer ici, pour ce qui est de la question du « désir naturel de voir Dieu », l’oraison du
e
5 Dimanche après la Pentecôte :
“ Deus qui diligentibus te bona invisibilia praeparasti : infunde cordibus nostris tui amoris
affectum ; ut, te in omnibus et super omnia diligentes, promissiones tuas, quae omne desiderium
superant, consequamur. Per Dominum... ”
N.B. : tout en s’appuyant sur ces documents, « dont le sens, au premier abord très clair, très évident,
n’avait, après leur publication, soulevé aucune controverse ni suscité aucune hésitation », le P. Descoqs
reconnaît qu’au XXe siècle l’Église a laissé les théologiens discuter librement de cette question (op. cit., 21-
22).
C’est le lieu de rappeler ce que disait Garrigou-Lagrange, au cœur du débat autour de la « nouvelle
théologie » :
« Il n’est pas interdit à un théologien de dire que telle position nouvelle conduit selon lui à l’hérésie,
et même qu’elle lui paraît hérétique. Il le dit seulement du point de vue de la science théologique et de
ses déductions, sans parler auctoritative comme le ferait un juge dans un tribunal ecclésiastique. »
[« Vérité et immutabilité du dogme », Angelicum 1947, 124-139 ; cf. p. 136.]
34Cf. BROGLIE, Vitus (de ; s.j.) : De fine ultimo humanae vitae : Tractatus theologicus, pars prior, positiva. – Beauchesne et ses
Fils, 1948. p. 121-124. Voir aussi : TROTTMANN, Christian : La Vision béatifique des disputes scolastiques à sa définition par
Benoît XII. - École française de Rome, 1995 – (Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome ; 289).
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Certains ont nié la possibilité de la vision béatifique ; d’autres ont affirmé qu’elle est possible sans don
absolument gratuit (ce deuxième point relève de l’article 4, mais il faudra en parler ici à cause des réactions,
parfois excessives, suscitées).
• On a souvent attribué cette erreur à Abélard et Arnaud de Brescia. Le Père Motte s’est inscrit en faux
contre cette accusation : « une fausse accusation contre Abélard et Arnaud de Brescia », RSPT 1933, 27-46.
• Théodoret, évêque de Cyr en Osroène et disciple de saint Jean Chrysostome, enseignera
positivement35 que Dieu n’est pas connaissable dans son essence mais seulement dans sa « clarté »
(émanation de son essence).
• C’est semble-t-il la doctrine que les Arméniens professeront encore au XIVe siècle, ce qui
provoquera des interventions du Saint-Siège lors de la rencontre avec les missionnaires latins. Cf. Le libelle
Cum dudum d’août 1341, contenant les accusations portées (peut-être à tort) contre les Arméniens (DS 1006-
1020) ; au n° 1009 nous lisons :
« Item Armeni dicunt quod animae puerorum baptizatorum et animae multum perfectorum
hominum post generale judicium intrabunt in regnum caelorum, ubi carebunt omni malo poenali
huius vitae... Non tamen videbunt Dei essentiam, quia nulla creatura eam videre potest ; sed
videbunt claritatem Dei, quae ab eius essentia emanat, sicut lux solis emanat a sole et tamen non
est sol. »
• La pensée néo-platonicienne, qui a nourri pour une part l’intelligence chrétienne des Pères de
l’Église, semble avoir favorisé cette erreur. Pour le néo-platonisme, l’Un est au-dessus de l’essence et de
l’intelligence, inconnaissable parce qu’inengendré. L’engendré seul, ce qui procède l’Un, peut être connu. Il
semble bien que le pseudo-Denys l’Aréopagite baigne dans cette ambiance intellectuelle...
• La doctrine Dionysienne (il n’y a d’union à Dieu que dans la grande ténèbre, par-delà toute
connaissance ; tant qu’on croît connaître, ce n’est pas Dieu) a été répandue dans l’Occident latin par Jean
Scot Érigène au IXe siècle. Traducteur du pseudo-Denys et de saint Maxime le Confesseur, il a composé un
ouvrage important, De divisione naturae, où la vision intuitive de Dieu n’a pas de place. Dans ce système
émanatiste plus ou moins panthéiste, le retour de Dieu s’opère dans l’ordre de l’être, par une sorte de fusion
ou transmutation, par delà toute activité intellectuelle. Les textes scripturaires parlant de la vision de Dieu
sont vidés de leur contenu.
• Remarquons à ce sujet que parmi les propositions condamnées de Maître Eckhart, on lit (Const. In
agro Domini, 27 mars 1329 ; D 510, DS 960) :
« Nos transformamur totaliter in Deum et convertimur in eum ; simili modo sicut in sacramento
panis convertitur in corpus Christi, sic ego convertor in eum, quod ipse operatur me suum esse
unum, non simile. Per viventem Deum verum est, quod ibi nulla est distinctio. »
• Amaury de Bène (près de Chartres), théologien à Paris reprendra ces théories au début du XIIIe s. ;
des condamnations se produiront en 1215 et 1225, et les textes seront détruits (cf. quand même DS notice
avant le n° 803 et n° 808).
• Aux alentours de 1240, le remous n’est pas apaisé. Dix propositions suspectes, qui auraient été
enseignées par des lecteurs prêcheurs et mineurs, sont condamnées par l’évêque de Paris, Guillaume
35Cf. les textes dans de Broglie, De fine ultimo humanae vitae..., p. 122. Cet auteur cite aussi un passage de saint Grégoire de Nysse
qui, d’après lui, ne peut être « sauvé ».
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
d’Auvergne, le 13 janvier 124136. La première énonce : « Les anges et les saints ne voient pas l’essence de
Dieu, mais une clarté qui émane de Lui ».
Cette condamnation sera reprise et commentée par des chapitres généraux ou provinciaux de l’Ordre
de Prêcheurs en 1241, 1243, 1256… Saint Thomas participe au chapitre général de Valenciennes, en 1256 ;
et on est en pleine lutte avec les Maîtres séculiers (Guillaume de Saint-Amour...)
• Par la suite, on doit mentionner tout spécialement Grégoire Palamas et ses disciples (Palamites ou
Hésychastes ; grecs schismatiques du XIVe et après. Ils enseignent que les saints, au Ciel, ne voient pas
l’Essence divine, mais une lumière incréée, distincte de l’Essence divine, semblable à celle qui s’est
manifestée lors de la Transfiguration au Thabor.
• Parmi les modernes, Rosmini semble être tombé dans cette erreur ; D 1928, 1930, DS 3238, 3240.
• Une erreur voisine fut celle des Bégards et des Béguines, au XIVe siècle, condamnée par le Conc. de
Vienne (Oec. XV), D 475, DS 895 :
« Quod quaelibet intellectualis natura in se ipsa naturaliter est beata, quodque anima non
indiget lumine gloriae, ipsam elevante ad Deum videndum et eo beate fruendum ».
• Mentionnons dès maintenant [nous y reviendrons] les erreurs un peu différentes qui consistent à nier
la gratuité du surnaturel. En particulier celles de Baïus (saint Pie V, Bulle Ex omnibus afflictionibus, 1567,
D 1012-1014 ; 1021, 1023, 1034 : infra p. 93) ; plus tard l’erreur moderniste condamnée par saint Pie X
(Pascendi, D 2103). Il faut ajouter l’intervention de Pie XII, Humani Generis, D 2318.
Ces différents documents s’opposent à la thèse de l’exigence du surnaturel, et donc du désir naturel
efficace de la vision béatifique : qui dépasserait les forces de la nature, non ses exigences. Ils
concernent donc plutôt l’article 4. Cependant, vu leur importance dans tout le débat, nous citons déjà
ici les textes de saint Pie X et de Pie XII. Ces deux textes montrent que, selon la doctrine catholique,
l’élévation à l’ordre surnaturel n’est pas due à l’homme (ni à l’ange ni à quelque créature que ce
soit) :
36 Cf. Trottmann, La Vision béatifique…, p. 175 sq. Ces dix propositions sont extraites du Commentaire des Sentences du dominicain
Étienne de Venisy. D’après Trottmann elles « visent sans doute au-delà de lui tout un courant théologique dont il est difficile
d’évaluer l’importance. »
37 Cf. de Broglie, De fine ultimo humanae vitae…, p. 122.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
- Ut tamen verius dicamus, haec catholicae religionis exigentia a modernistis invehitur, qui
volunt moderatiores audiri. Nam qui integralistae appellari queunt, ii homini nondum credenti
ipsum germen, in ipso latens, demonstrari volunt, quod in Christi conscientia fuit atque ab eo
hominibus transmissum est. - Sic igitur, Venerabiles Fratres, apologeticam modernistarum
methodum, summatim descriptam, doctrinis eorum plane congruentem agnoscimus ; methodum
profecto uti etiam doctrinas, errorum plenas, non ad aedificandum aptas, sed ad destruendum,
non ad catholicos efficiendos, sed ad catholicos ipsos ad haeresim trahendos, immo etiam ad
religionis cuiuscunque omnimodam eversionem. "
• Pie XII, Litt. encycl. 'Humani generis', 12 août 1950 ; D 2318, DS 3891 :
« Quaestio etiam a nonnullis agitur num Angeli creaturae personales sint; numque materia a
spiritu essentialiter differat. Alii veram 'gratuitatem' ordinis supernaturalis corrumpunt, cum
autument Deum entia intellectu praedita condere non posse, quin eadem ad beatificam
visionem ordinet et vocet. Nec satis; nam peccati originalis notio, definitionibus Tridentinis
posthabitis, pervertitur, unaque simul peccati in universum, prout est Dei offensa, itemque
satisfactionis a Christo pro nobis exhibitae. Nec desunt qui contendant transsubstantiationis [571]
doctrinam, utpote antiquata notione philosophica substantiae innixam, ita emendandam esse ut
realis Christi praesentia in Ss. Eucharistia ad quemdam symbolismum reducatur, quatenus
consecratae species, nonnisi signa efficacia sint spiritualis praesentiae Christi eiusque intimae
coniunctionis cum fidelibus membris in Corpore mystico. »
• I Cor. XIII, 12 : « Videmus nunc per speculum in aenigmate : tunc autem facie ad faciem. Nunc
cognosco ex parte : tunc autem cognoscam sicut et cognitus sum. »
• I Jo III, 2 : « Carissimi, nunc filii Dei sumus, et nondum apparuit quid erimus. Scimus quoniam cum
apparuerit similes ei erimus ; quoniam videbimus eum sicuti est. »
• Mat. V, 8 : « Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt. »
• Mat. XVIII, 10 : « Videte ne contemnatis unum ex his pusillis ; dico enim vobis, quia angeli eorum
in caelis semper vident faciem Patris mei, qui in caelis est. »
Une difficulté
L’expression « facie ad faciem », dans le contexte de I Cor. XIII, 12, semble indiquer clairement la
vision intuitive, immédiate de Dieu. Une difficulté provient de ce que cette expression se trouve dans
l’Ancien Testament, à propos de Jacob, de Moïse, du peuple hébreu : Gen. XXXII, 30 ; Ex. XXXIII, 11 ;
Nm. XII, 8 ; XIV, 14 ; Dt. XXXIV, 10. Cette diversité n’est pas étonnante, car l’expression est seulement
métaphorique. C’est le contexte de I Cor. XIII, 8-12, qui permet d’en dégager objectivement le sens le plus
élevé et l’analogie de la Foi nous garantit que c’est bien là au moins le sens plénier de ce texte.
- On peut considérer que cette Vision est insinuée dans certains textes de l’A.T. : Ps XVI, 15 et
Ps XXXV, 10.
1° Saint Thomas explique pourquoi cette question soulève un doute. Certes, en lui-même, Dieu est
maximalement connaissable, puisqu’il est acte pur. Mais ce qui est connaissable en soi peut ne pas l’être
pour un intellect, à cause de l’excès de l’intelligible sur l’intellect. Et ainsi plusieurs ont nié cette possibilité.
2° Saint Thomas rejette cette négation comme « aliena a fide », au moins comme erronée (à son
époque) ; dans le De Ver. VIII, 1, saint Thomas déclare cette position hérétique.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
3° Saint Thomas montre que nier la possibilité de la Vision intuitive de Dieu est « praeter rationem ».
L’argument est le suivant :
« Inest enim homini naturale desiderium cognoscendi causam, cum intuetur effectum ; (...)
Si igitur intellectus rationalis creaturae pertingere non possit ad primam causam rerum,
remanebit inane desiderium naturae.
Unde simpliciter concedendum est quod beati Dei essentiam videant. »
1°) Saint Thomas présente le même argument en deux autres lieux principaux :
• I-II q3 a8 : « (...) Objectum intellectus est quod quid est, idest essentia rei (...). Unde in tantum
procedit perfectio intellectus, in quantum cognoscit essentiam alicuius rei. (...) Et ideo remanet
naturaliter homini desiderium, cum cognoscit effectum, et scit eum habere causam, ut etiam
sciat de causa quid est (...) Ad perfectam igitur beatitudinem requiritur, quod intellectus pertingat
ad ipsam essentiam primae causae. »
• III C.G., 50 : « In naturali et imperfecta cognitione quam habent angeli de Deo, non quiescit
eorum naturale desiderium, sed incitatur magis ad divinam substantiam videndam. »
• III C.G., 51 : « Cum autem impossibile sit naturale desiderium esse inane, quod quidem esset
si non esset possibile pervenire ad divinam substantiam intelligendam, quod naturaliter omnes
mentes desiderant ; necesse est dicere quod possibile sit substantiam Dei videri per intellectum,
et a substantiis intellectualibus separatis, et ab animabus nostris. »
• III C.G., 57 : « Supra probatum est quod omnis intellectus naturaliter desiderat divinae
substantiae visionem. Naturale autem desiderium non potest esse inane. Quilibet igitur
intellectus creatus potest pervenire ad divinae substantiae visionem, non impediente inferioritate
naturae. »
3°) Surtout après Baïus, les Thomistes précisent en général (il y a des divergences) : saint Thomas ne
parle pas d’un désir naturel absolu et efficace (= exigence), et donc il parle d’un désir conditionnel et
inefficace. Par là est défendue et suggérée la possibilité de la Vision [non son existence de fait, comme fin
ultime à laquelle Dieu appelle les homme], bien qu’elle ne soit pas prouvée de façon apodictique.
4°) Saint Thomas a plusieurs fois nié l’existence d’un désir naturel de voir Dieu dans la créature
rationnelle :
• I-II, q114 a2 : « Vita autem aeterna est quoddam bonum excedens proportionem naturae
creatae ; quia etiam excedit cognitionem et desiderium eius, sec. illud I Cor. II,9 : « Nec oculus
vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit. »
• De Ver. q22 a7 : « Homini inditus est appetitus ultimi finis in communi, ut scil. appetat
naturaliter se esse completum in bonitate. Sed in quo ista completio consistat, utrum in
virtutibus, vel scientiis, vel delectabilibus, vel huiusmodi aliis, non est ei determinatum a natura.
Quando ergo ex propria ratione, adiutus divina gratia, apprehendit aliquod speciale bonum ut
suam beatitudinem, in quo vera sua beatitudo consistit, tunc meretur, non ex hoc quod appetit
beatitudinem quam naturaliter appetit, sed ex hoc quod appetit hoc speciale bonum quod non
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
naturaliter appetit, ut visionem Dei, in quo tamen secundum rei veritatem sua beatitudo
consistit. »
• De Ver. q14 a2 : « (...) Aliud est bonum hominis naturae humanae proportionem
excedens ; quia ad ipsum obtinendum vires naturales non sufficiunt nec ad cogitandum vel
desiderandum (...) Nihil potest ordinari in aliquem finem nisi praeexistat in ipso quaedam
proportio ad finem, ex qua proveniat in ipso desiderium finis ; et hoc est secundum quod aliqua
inchoatio finis fit in ipso ; quia nihil appetit nisi in quantum appetit illius similitudinem. Et haec
inchoatio est per fidem. »
• In II Cor. c.5 L.2 : « (...) Constat autem quod perfrui coelesti gloria et videre Deum per
essentiam, licet sit rationalis creaturae, est tamen supra naturam ipsius. Non ergo movetur
rationalis creatura ad hoc desiderandum a natura, sed ab ipso Deo, qui in hoc ipsum efficit nos. »
5°) La distinction entre le désir efficace et l’inefficace est mise en lumière par ce que dit saint Thomas
de façon générale, pour distinguer la volonté salvifique universelle, conditionnelle, et la volonté absolue de
sauver les élus : ST1 q19 a6 ad1.
6°) L’approfondissement de la question met en jeu la distinction entre puissance (passive) naturelle et
puissance (passive) obédientielle. Sur cette importante distinction voir Maquart, Elementa Philosophiae…,
III, II, p. 66-69 ; et surtout Feingold, The natural desire to see God…, p. 211-220 et 242-281. Voici deux
textes de saint Thomas éclairant ce sujet :
• « Ad tertium dicendum, quod capacitas creaturae dicitur secundum potentiam
receptibilitatis quae est in ipsa. Est autem duplex potentia creaturae ad recipiendum.
Una naturalis, quae potest tota impleri; quia haec non se extendit nisi ad perfectiones
naturales.
Alia est potentia obedientiae, secundum quod potest recipere aliquid a Deo; et talis capacitas
non potest impleri, quia quidquid Deus de creatura faciat, adhuc remanet in potentia recipiendi a
Deo. (…) » [De Veritate q29 a3 ad3]
• « Ad decimumtertium dicendum, quod quando aliquod passivum natum est consequi diversas
perfectiones a diversis agentibus ordinatis, secundum differentiam et ordinem potentiarum
activarum in agentibus, est differentia et ordo potentiarum passivarum in passivo; quia potentiae
passivae respondet potentia activa: sicut patet quod aqua vel terra habet aliquam potentiam
secundum quam nata est moveri ab igne; et aliam secundum quam nata est moveri a corpore
caelesti; et ulterius aliam secundum quam nata est moveri a Deo. Sicut enim ex aqua vel terra potest
aliquid fieri virtute corporis caelestis, quod non potest fieri virtute ignis; ita ex eis potest aliquid fieri
virtute supernaturalis agentis quod non potest fieri virtute alicuius naturalis agentis; et secundum
hoc dicimus, quod in tota creatura est quaedam OBEDIENTIALIS POTENTIA, prout tota creatura
obedit Deo ad suscipiendum in se quidquid Deus voluerit.
SIC igitur et in anima est aliquid in potentia, quod natum est reduci in actum ab agente
connaturali ; et hoc modo sunt in potentia in ipsa virtutes acquisitae. Alio modo aliquid est in
potentia in anima quod non est natum educi in actum nisi per virtutem divinam; et SIC sunt in
potentia in anima virtutes infusae. » [QD De Virtutibus in communi, q1 a10 ad13]
On méditera aussi avec profit cet autre texte de saint Thomas sur la différenciation entre puissance
naturelle et puissance d’obéissance :
« On ne doit pas comprendre par la parole d'Augustin dans cette glose que Dieu ne peut agir
autrement que la nature, puisque lui-même fréquemment agit contre son cours habituel. Mais [on
doit comprendre que] ce qu'il fait dans les choses, n'est pas contre leur nature mais est nature pour
elles38, du fait qu'il est lui-même le créateur et l'ordonnateur de la nature.
Car ainsi dans les choses naturelles, il semble que quand un corps inférieur est mis en
mouvement par un corps supérieur, CE MOUVEMENT LUI EST NATUREL quoiqu'il ne paraisse pas
convenir au mouvement qu'il possède NATURELLEMENT DE LUI-MÊME ; ainsi la mer est mise en
mouvement selon le flux et le reflux par la lune, et ce mouvement lui est naturel, comme le dit le
Commentateur, bien que le mouvement naturel de l'eau en lui-même soit d'être porté vers le bas et
DE CETTE MANIÈRE TOUTES LES CRÉATURES ONT POUR AINSI DIRE NATURELLEMENT CE QUE
DIEU A FAIT EN ELLES.
Et à cause de cela on distingue en elles une DOUBLE PUISSANCE :
- l'une, NATURELLE pour les opérations ou les mouvements propres ;
38 En latin : « sed quia quidquid in eis facit, non est contra naturam, sed est eis natura… ».
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
- l'autre qui est dite D’OBÉISSANCE, pour ce qu'elles reçoivent de Dieu39. » [Question disputée
De Potentia q1 a3 ad1]
Ajoutons encore que les principes métaphysiques généraux invoqués par les thomistes classiques sont
bien ceux de saint Thomas, et non une invention d’une quelconque scolastique postérieure et décadente
comme l’ont volontiers imaginé les lubaciens de tout ordre. Voici seulement deux exemples40 :
« … Desiderium autem naturale non potest esse nisi rei quae naturaliter haberi potest41;
unde desiderium naturale Summi Boni inest nobis secundum naturam, inquantum summum
bonum participabile est a nobis per effectus naturales. (…) » [3S d27 q2 a2 ad4]
« Ad octavum dicendum, quod bonum proportionatum movet appetitum; non enim
naturaliter appetuntur ea quae non sunt proportionata.
Quod autem beatitudo aeterna sit bonum proportionatum nobis, hoc est ex gratia Dei; et
ideo spes, quae tendit in hoc bonum sicut proportionatum homini ad habendum, est donum
divinitus infusum. » [QD De Virtutibus, q4 a1 ad8]
1°) Les Augustiniens du XVIIIe (Noris, Berti...) : par rapport à la vision intuitive de Dieu, il y a en
nous un appétit naturel inné, efficace en un sens, quoique pas dans le sens de Baïus. La vision intuitive de
Dieu est notre fin naturelle « quant au désir », mais surnaturelle quant à l’obtention et aux moyens d’y
parvenir. Il semble que la doctrine soutenue par Henri de Lubac, s.j. dans les années 1940 s’identifie avec
celle-ci [cf. Garrigou-Lagrange, « Vérité et immutabilité du dogme », Angelicum 1947, p. 135].
Critique : cette opinion demeure très voisine de celle Baïus, ne conserve pas la distinction spécifique
entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel [cf. D 1034 (infra p. 93) et D 1795] et nie le principe de finalité
pour échapper à l’hétérodoxie. Il n’est pas évident que cette thèse puisse encore se concilier avec le texte de
saint Pie X ni avec celui de Pie XII42.
2°) Scot : affirme par rapport à la Vision l’existence en nous d’un désir naturel inné et pourtant
inefficace. Car cette béatitude convient à tous et est la fin de tous (d’où le désir inné) ; mais n’est pas connue
de tous (donc efficacement désirée).
Critique : La raison apportée par Scot prouve seulement qu’il y a en nous un appétit naturel inné de la
béatitude in communi, non de la Vision, qui n’est pas proportionnée à notre nature. En outre, les Thomistes
observent qu’un désir inné est nécessairement efficace : car il comporte vis-à-vis de son objet une relation et
une convenance positive naturelle, fondées dans la nature même de celui qui désire, avant la connaissance de
ce bien. Le désir est inefficace en tant qu’il procède d’un jugement conditionnel.
3°) Cajetan a sur ce sujet une opinion spéciale, non suivie par les autres Thomistes : le désir naturel
est celui de la nature déjà ordonnée surnaturellement à voir Dieu.
Dans le sens de Cajetan, citons les articles de M. Cuervo, o.p., « El deseo natural de ver a Dios y los
fundamentos de la Apologética inmanentista », La Ciencia Tomista, 1928 (37) 310-340 ; 1928 (38) 332-
348 ; 1929 (jan.-fév.) 5-36 ; 1932 (mai-juin) 289-317.
39 En latin : « Et propter hoc in eis distinguitur potentia duplex: una naturalis ad proprias operationes vel motus; alia quae
obedientiae dicitur, ad ea quae a Deo recipiunt.”
40 Tirés de l’excellent article de Gagnebet sur l’amour naturel de Dieu, RT 1948 (III). Cf. p. 432 et 433.
41 Gagnebet observe : ce n’est donc pas Suarez qui a le premier appliqué ce principe dans notre sujet.
42 Voir : RENWART, L. (s.j.) : « La “ nature pure ” à la lumière de l'encyclique “ Humani generis ” », Nouvelle Revue Théologique,
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
4°) Position commune des thomistes, et de beaucoup d’autres, jusqu’à la première moitié du 20e
siècle :
1/ Nous désirons naturellement la Vision en tant que vision de la première cause, non
formellement en tant que vision de l’objet de la béatitude surnaturelle.
2/ Ce désir naturel est élicite [et non inné], conditionnel et inefficace.
Cette position, avec de nombreuses nuances, se trouve chez Sylvestre de Ferrare, Bañez, les
Salmenticenses, Jean de Saint-Thomas etc.
Cette doctrine classique, adoptée non seulement par les thomistes mais aussi par beaucoup de
théologiens jésuites disciples de Suarez, et par d’autres encore, a été présentée avec beaucoup de
précision par Garrigou-Lagrange, De Revelatione per Ecclesiam catholicam propositam, T. I, 1918, p.
370-404 : « De possibilitate Revelationis supernaturalium mysteriorum ex parte agentis et subjecti ».
5°) Beaucoup de modernes adoptent une position proche de celle des Augustiniens ou de Scot, en
affirmant que c’est aussi celle de saint Thomas. Ils insistent sur la force contraignante de l’argument du
désir naturel, et sur le fait que seule la fin surnaturelle est fin ultime de la nature humaine. Ils critiquent
avec violence la notion de « nature pure », la mise en œuvre dans notre question de la « puissance
obédientielle », et d’une façon générale la distinction des « deux ordres » naturel et surnaturel.
Ce mouvement a été lancé au XXe siècle, dans les années 20, par Jorge Laporta. Celui-ci a plus tard
synthétisé ses travaux dans La destinée de la nature humaine selon Thomas d’Aquin, Vrin, 1965.
Entretemps, se placèrent deux interventions marquantes l’intervention la plus marquante, et qui
domine encore la vulgate contemporaine sur ce sujet, fut celle de Henri de Lubac, s. j., d’abord dans
Surnaturel : Études historiques, Aubier, 1946 (Théologie ; 8), puis après l’encyclique Humani Generis
dans Le Mystère du surnaturel, Aubier, 1965 (Théologie ; 64). Parmi les Dominicains, le P. Labourdette
semble avoir été convaincu par Laporta, tandis que J.-H. Nicolas résistait mieux dans Les profondeurs
de la grâce, Beauchesne, 1969. Gilson a soutenu à fond de Lubac.
Contre ce dernier, on doit au moins signaler l’important article de PHILIPPE DE LA TRINITÉ, o.c.d.
dans le n° spécial des Études Carmélitaines consacré à Satan en 1948 : « Du péché de Satan et de la
destinée de l’esprit », p. 44-85 ; ainsi que les deux articles du P. Gagnebet, o.p. : « L’amour naturel de
Dieu chez saint Thomas et ses contemporains » Revue Thomiste 1948, 394-446 et 1949, 31-102.
Le Cardinal Siri a également critiqué les positions de de Lubac. Cf. : Gethsemani : Réflexions sur le
Mouvement théologique contemporain, Téqui, 1981, p. 57-71.
Les positions lubaciennes ont été attaquées plus récemment par Florent Gaboriau, en particulier
dans Saint Thomas d’Aquin en dialogue, FAC-éditions, 1993 (et déjà dans Thomas d’Aquin, penseur
dans l’Église, FAC-éditions, 1992). Ces positions se trouvent au centre du n° spécial de la Revue
Thomiste (janvier-juin 2001) : Surnaturel : une controverse au cœur du thomisme au XXe siècle (Actes du
colloque organisé par l’ISTA, 26-27 mai 2000 à Toulouse).
Critique : Il faut reconnaître que la position de saint Thomas est difficile à saisir dans tous ses
aspects. Mais les auteurs qui relèvent de notre (5°) citent unilatéralement les textes qui vont dans leur sens et
prétendent présenter ainsi la vraie position « historique » de saint Thomas. Nous avons cité plus haut
quelques-uns des autres textes, sur lesquels s’appuient légitimement les thomistes classiques. De plus ces
auteurs [dont plusieurs, Gilson en tête, étaient « viscéralement anti-Cajetan »] prétendent souvent que les
thomistes classiques ont adopté la position de Cajetan, ce qui est clairement erroné.
En outre il ne faut pas oublier que les négations de Baïus contre la gratuité du surnaturel n’existaient
pas du temps de saint Thomas. Et on ne voit pas que des auteurs comme Laporta ou de Lubac soient arrivés,
avec leurs théories, à rendre compte théologiquement de cette gratuité.
Quelques articles importants à consulter pour approfondir la mise en place thomiste face aux
critiques lubaciennes :
• DEMAN, Th. ( o.p.) : "cr de H. de Lubac, s.j. : Surnaturel. Études historiques". : BULLETIN
THOMISTE. 7 (1943) p. 422-446.
• GARRIGOU-LAGRANGE est revenu de nombreuses fois sur ce sujet (articles dans la Revue
Thomiste ou dans l’Angelicum), avec déjà un long développement dans le Tome I de son De Revelatione.
• GAUTHIER, o.p. : introduction à l’édition du Contra Gentes en 4 volume, Lethielleux, 1961, Tome I,
p. 103-117 (important pour la mise en pleine lumière du caractère proprement théologique de cette
œuvre de saint Thomas).
– 87 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
• GILLON, Louis-B. ( o.p.) : "Du désir naturel de connaître au désir de voir Dieu : Le commentaire de
saint Thomas sur Aristote, Met. A, 1, 980 a 24". : Extrait de : Atti dell'VIII Congresso Tomistico
Internazionale : 4, Prospettive Teologiche Moderne. – Pont. Ac. di S. Tommaso ; Libreria Editrice Vaticana,
1981. – (Studi Tomistici, 13).
• MALEVEZ, Léopold ( s.j.) : "L'esprit et le désir de Dieu". : NOUVELLE REVUE THEOLOGIQUE. 69
(1947) p. 3-31.
• MULARD, R. ( o.p.) : "Désir naturel de connaître et vision béatifique". : REVUE DES SCIENCES
PHILOSOPHIQUES ET THEOLOGIQUES. (1925) p. 5-19.
• RICHARD, Timothée ( o.p.) : "Quelques remarques à propos d'une célèbre controverse". : REVUE
THOMISTE. 41 (1936) p. 219-232.– Par ailleurs signalons que le Bulletin Thomiste est souvent
intervenu, au fil des années, pour signaler l’état de la question, avec de nombreuses références
bibliographiques.
– Enfin deux ouvrages consacrés à un sujet bien spécifique (la peccabilité et le péché des anges)
comportent d’importantes réflexions sur les relations entre nature et surnaturel, souvent en débat au
moins implicite avec de Lubac :
• JOURNET, Charles, MARITAIN, Jacques, PHILIPPE DE LA TRINITÉ : Le péché de l'ange :
Peccabilité, nature et surnature. - Beauchesne, 1961 – (Bibliothèque de Théologie Historique).
• GUÉRARD DES LAURIERS, M. L.-B. ( o.p.) : Le péché et la durée de l'ange. - Desclée & Cie, 1965 –
(Collectio Philosophica Lateranensis ; 10).
– Plus récemment, le thomisme a repris l’offensive de façon particulièrement remarquable et
convaincante, avec notamment les deux ouvrages suivants :
• FEINGOLD, Lawrence : The natural desire to see God according to St. Thomas Aquinas and his
interpreters. - Pontificia Universitas Sanctae Crucis, 2001 – (Dissertationes. Series Theologica ;
III).C’est la synthèse la plus complète actuellement, bien au fait des débats, et qui met en lumière,
contre la tendance dominante « lubacienne », le bien fondé des positions thomistes classiques : aussi
bien comme compréhension de saint Thomas que secundum rei veritatem.
Feingold est critiqué plusieurs fois par John Milbank dans son ouvrage Le milieu
suspendu : Henri de Lubac et le débat sur le surnaturel (Ad Solem/Cerf, 2006). Mais ces
critiques sont loin d’entamer efficacement le travail approfondi de Feingold [qu’un lapsus, du
moins dans la version française que nous avons citée, fait nommer Feinberg : p. 57 note 9,
112 note 10, 140 (où le livre de « Feinberg » est qualifié « d’ultra réactionnaire », 141,…].
Milbank, anglican, est l’un des leader du mouvement théologique Radical Orthodoxy dont
certains « antimodernes » français sont actuellement (2008) assez entichés.
Milbank, très favorable à de Lubac mais anglican, reconnaît du moins sans fard que les
positions de son héros ne sont pas toutes conciliables avec Humani Generis (cf. le chapitre 3,
p. 63-76. Voir par exemple p. 71 §2 pour ce qui est de la notion de « pure nature ». Voir aussi
p. 42 §3 le jugement percutant de Milbank sur les fruits de la thèse lubacienne par rapport à
la théologie dogmatique, telle qu’elle était reçue dans l’Église catholique. Voir dans Sedes
Sapientiae n° 107, mars 2009, p. 64-104 : Bernard Lucien : « Radical Orthodoxy, Henri de
Lubac et le surnaturel. Réflexions sur Le Milieu suspendu de John Milbank ».
• LONG, Steven A. : Natura pura : On the recovery of nature in the doctrine of grace. – Fordham
University Press, 2010. • RT 2011 (II), 279-346 : Bonino, Thomisitica (X) : Raison et foi face au mystère
de Dieu. CF p. 279 bas : retour actuel à la considération de la cohérence de l'ordre naturel, légitimité
d'une philosophie thomiste. Et CF p. 280 §1 : « lourde responsabilité » de Lubac et de son
interprétation de saint Thomas / surnaturel dans cet "oubli de la nature". (remise en cause récente).
Présent ensuite Feingold, Steven Long, etc. Voir p. 281 note 6 : cite en outre McInerny, White, et la
réaction de Milbank contre Feingold… [MAJ 26 janvier 2012]
- Selon l’interprétation des thomistes classiques, l’argument fondé sur le désir naturel est seulement
probable, et manifeste une vraie et profonde convenance (ce qui détruit l’accusation d’extrinsécisme,
ressassée depuis Laberthonnière et Blondel jusqu’aux épigones de la « nouvelle théologie ») ;
– 88 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
- D’une manière générale : ce qui est essentiellement surnaturel ne peut être formellement atteint par
une connaissance naturelle, car cela n’a pas de connexion nécessaire et évidente avec les choses d’ordre
naturel.
Là encore il faut reconnaître que plusieurs textes de saint Thomas (en particulier le développement
du Contra Gentes) semblent vouloir fournir une démonstration apodictique de cette possibilité. Mais il
ne faut pas oublier qu’à l’époque de saint Thomas beaucoup affirmaient positivement l’impossibilité
de la Vision béatifique. Cela peut aider à comprendre que saint Thomas se soit plus à souligner toute
la force de son argumentation. Surtout il reste la question, toujours ouverte, concernant les trois
premiers livres du Contra Gentes : saint Thomas parle-t-il en pur philosophe, ou au contraire
formellement en théologien ?
Parmi les auteurs qui adoptent la thèse de la démonstrabilité de la possibilité [de la Vision
béatifique], tout en maintenant fermement avec les théologiens classiques la distinction de la nature et
du surnaturel, et la gratuité de ce dernier, il faut citer G. de Broglie, s.j. : De fine ultimo Humanae
Vitae, Beauchesne, 1948.
– Une nouvelle prise de position en ce sens [pour ce qui est de la démonstrabilité de la possibilité] a
lieu avec l’intervention de l’abbé Contat, « Une clef pour comprendre le désir naturel de voir Dieu selon
saint Thomas d'Aquin » RT 2017, 397-415 et 531-568. L’auteur reste discret sur la question de la
pssibilité réelle [même en sagesse divine] de la création de créatures intellectuelels non appelées à la
vision de Dieu.
Contat affirme biens sûr la gratuité de l’élévation à l’ordre surnaturel, mais il affirme la force
contraignante de l’argument fondé sur le désir naturel de voir Dieu pour établir la possibilité de la
vision de l’essence divine. Contat critique assez vivement les thomistes classiques (p. 549-550 note
100, p. 551 §1) c'est-à-dire Bañez est « sa nombreuse postérité », en particulier Garrigou-Lagrange.
Malheureusement, Contat ne se confronte pas vraiment aux solides élaborations de Feingold, auquel il
ne consacre que deux petites pages, tout à la fin de ses deux articles (p. 564-566). Contat cite, p. 566
§2, un passage de Feingold qui situe le point clef de l’opposition. Malheureusement, Contat se
contente de redire son désaccord, estimant qu’il a suffisamment prouvé sa propre position.
Le différend essentiel tient à ceci.
Contat rappelle qu’un désir naturel porte sur le bien et la fin « absolument » [au sens de fin
considérée en elle-même, sans prendre en compte ses conditions de possibilité concrète ou
d’accessibilité]. De là, Contat infère qu’un tel désir naturel est nécessairement, en lui-même
inconditionnel. Enfin, il redit qu’un tel désir naturel est « absolu »... mais cette fois au sens positif et
non pas seulement précisif. Il y a clairement un « passage » qui ôte à ce discours sa valeur concluante.
Feingold, avec les thomistes classiques, admet évidemment avec saint Thomas qu’un désir naturel
en lui-même porte sur le bien et la fin « absolument » (au sens précisif). Mais, en bon réaliste, il
n’oublie pas que cette considération du désir naturel de voir Dieu « en lui-même » [= comme natura
secundum se] est une abstraction, très légitime d’ailleurs, qui ne dispense pas de considérer ce même
désir selon son être. Or, considéré selon son être, un tel désir naturel n’a pas le même degré de réalité
et de perfection [en tant que désir de la volonté] selon que son objet est apte à donner lieu à un
jugement d’inasséquibilité ou non. Corrélativement, un tel désir n’a pas le même dégré de réalité et de
perfection [comme désir], selon qu’il se trouve ou non intégré à un acte de volonté abouti [qui va
jusqu’à l’intention et même à l’élection, voire, si c’est le moment, à l’imperium et à l’usus]. C’est
pourquoi, considéré dans sa réalité concrète, le désir naturel de voir Dieu, qui n’est pas un désir inné
mais un désir élicite, lié à une longue démarche de la raison humaine, est vraiment un désir
conditionnel [au moins virtuellement], un acte imparfait de volonté. C’est pourquoi enfin l’application
de l’axiome « un désir naturel ne peut pas être vain » ne conduit pas, en ce cas, à une preuve
rigoureuse mais seulement à un argument probable.
Quant à dire que cette position des thomistes classiques vide de sens tout l’effort de saint Thomas
(article cité, p. 550 fin de la note 100), c’est oublier l’état de la question. Saint Thomas n’était pas
spécialement confronté à des auteurs niant la gratuité du surnaturel, mais à des philosophes et à des
théologiens niant absolument, comme métaphysiquement impossible, la vision de l’essence de dieu
par un esprit créé. Face à ces négations, saint Thomas établit d’une façon générale, par sa démarche
de 3 CG 24-53, qu’il est impossible d’affirmer l’impossibilité de la vision de Dieu : telle est la portée de
l’argument positif du désir naturel de voir Dieu (qui fournit en outre un arguement de convenance à
l’élévation à l’ordre surnaturel). Ensuite (3 CG 54 sq) saint Thomas réfute de façon particulière les
divers arguement mis en avant par les contradicteurs.
Il faut lire Feingold.
– 89 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
L’essence de Dieu est-elle vue, par l’intellect créé, par une similitude ? (q12 a2)
L’essence de Dieu ne peut être vue par une similitude créée qui la représenterait telle qu’elle est en
soi.
Tous les disciples de saint Thomas sont d’accord sur ce point : il est impossible qu’il existe une espèce
impresse ou expresse de Dieu clairement vu. Selon notre mode imparfait de comprendre, nous pouvons dire
que l’essence divine tient lieu d’espèce impresse ou expresse.
- Plusieurs théologiens estiment non contradictoire la présence d’une espèce impresse dans la Vision,
même si de fait, il n’y en a pas : Auriol, Suarez, Vasquez, Valentia. Bien plus, pour Suarez, il faut la
production d’un verbe ou espèce expresse.
- La thèse de saint Thomas n’est pas imposée par la définition de Benoît XII (D 530), car l’espèce
créée n’est pas présente « in ratione objecti visi », mais comme medium quo ou in quo. Cependant,
l’insistance sur l’immédiation va dans le sens de saint Thomas.
1°) Il faut d’abord rappeler que la vision intuitive en général n’exclut pas l’espèce impresse ou
expresse. Ainsi, la vision sensible de la couleur se fait par une espèce impresse (quoique sans espèce
expresse) ; la vision intuitive que l’ange a de sa propre essence se fait par une espèce expresse (cf. IV C.G.,
c.11 §1).
L’essence de l’ange en soi intelligible, non seulement en puissance (comme l’essence de la pierre)
mais en acte ; et ainsi elle est connue sans espèce impresse. Cependant, elle n’est pas son être, donc
ni son acte d’intelliger, ni son « être intelligé ».
Dieu, qui est acte pur, n’a pas besoin pour se connaître d’un verbe mental accidentel. Nous savons,
mais seulement par la Révélation, que Dieu le Père, non par indigence mais souveraine fécondité,
engendre un Verbe substantiel. Cf. q14 a4. Ce verbe substantiel est non seulement « Dieu intelligé »,
mais le Vrai Dieu. Cf. 4 CG 11, §4.
Ainsi, par la révélation nous savons que la Vision béatifique se termine au Verbe substantiel,
« splendeur de la gloire et figure de la substance de Dieu » (Heb. I, 3). On dit communément que les
bienheureux voient in Verbo. On se demande alors si, dans la Vision, il y a aussi, ou il peut y avoir, un verbe
accidentel.
2°) L’article de saint Thomas procède en trois temps : a) il détermine ce qui est requis à la vision, tant
sensible qu’intellectuelle ; b) il établit que la Vision requiert une similitude du côté de la vertu qui élicite
l’acte ; c) il établit que du côté de la chose vue il ne peut y avoir aucune similitude créée.
a) Pour la vision, il faut deux choses : la faculté (« virtus ») visuelle, et l’union de la chose vue avec
la vue.
b) Pour voir Dieu, il faut une certaine similitude de Dieu du côté de la puissance visuelle. Déjà
l’intelligence est une certaine lumière intelligible dérivée de Dieu premier intelligent ; mais il faut en outre
une lumière infuse, nommée « lumen gloriae », confortant l’intellect (cf. a5, et ici ad1).
c) Pas de similitude de l’Essence divine, ex parte rei visae.
1/ La distance est plus grande entre le créé et l’incréé, qu’entre les divers ordres des créatures.
Or déjà une réalité d’ordre supérieur, par exemple une nature angélique n’est pas vue telle qu’elle est
– 90 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
en soi par une similitude d’ordre inférieur (par une espèce sensible, ou par une espèce intelligible
abstraite du sensible). Donc encore moins peut-on voir l’Essence divine telle qu’elle est par une
espèce créée quelconque.
2/ L’Essence de Dieu est l’Ipsum Esse Subsistens. Mais aucune forme créée ne peut être son
être. Donc aucune forme créée ne peut être une similitude représentant l’essence de Dieu telle qu’elle
est en soi.
3/ La Déité est incirconscrite, contenant suréminemment en elle tout ce qui peut être signifié
ou intelligé par un intellect créé : i.e. toutes les perfections simplement simples. Or toute forme (ou
idée) créée est déterminée selon une raison, de sagesse, ou de vertu, ou de l’esse lui-même... Donc
aucune espèce créée ne peut faire voir Dieu tel qu’il est.
1°) On objecte (Auriol) que les raisons données confondent l’espèce in essendo et l’espèce in
repraesentando. Certes, selon l’être l’espèce est un accident fini, mais pourquoi ne pourrait-elle pas
manifester intentionnellement l’Essence de Dieu ?
Réponse
Il s’agit bien dans nos arguments de l’espèce comme telle, formaliter, selon son être intentionnel ou
représentatif, et non materialiter, selon l’être entitatif. C’est pourquoi saint Thomas parle de similitude. Ainsi
dans la première raison, l’espèce créée infuse n’est pas du même ordre d’immatérialité ni de la même
actualité dans l’être intelligible que la Déité elle-même. C’est pourquoi elle ne peut la représenter telle
qu’elle est en soi.
Dans la seconde raison, on utilise le fait que l’Essence divine est son être, non seulement dans la ligne
de l’être, mais dans l’ordre de l’intelligibilité. Car Dieu et Dieu seul est son « intelliger » et son « être
intelligé ». Or aucune similitude créée n’est l’ipsum intelligere : toute similitude créée est intelligible par
participation, selon un mode limité. Seul Dieu est l’Ipsum intelligere subsistens. Par la Vision, selon le mot
de Cajetan, l’intellect des Bienheureux d’une certaine manière (= intentionnellement) devient Dieu, et cela
ne se peut faire par aucune espèce créée.
Soulignons que cela revient à dire que dans la Déité il n’y a plus distinction entre l’ordre réel et
l’ordre idéal. Dieu et lui seul est Acte pur selon les deux lignes. (Hegel a voulu identifier les deux
ordres pour le créé). C’est la raison du rejet de l’argument anselmien. Nous voyons seulement, a priori,
que si Dieu existe, il est par soi ; les Bienheureux voient que Dieu existe (exercite) nécessairement.
La prétendue espèce créée dans la Vision ne pourrait représenter soit que Dieu est par lui-même s’il
existe (ordre idéal), soit que Dieu existe de fait (ordre réel), mais non que Dieu existe « exercite » par
lui-même (identification des deux ordres).
2°) Suarez tient que de même qu’il peut y avoir une similitude ex parte subjecti, il peut y en avoir une
ex parte objecti (espèce expresse) :
– 91 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Réponse
La lumière qui conforte subjectivement est similitude par mode de tendance, et ce qui tend n’a pas
en acte ce vers quoi il tend. Au contraire, l’espèce objective doit avoir en acte la forme de la chose
représentée, elle doit même être l’objet lui-même selon son être représentatif. C’est pourquoi elle doit être
(au moins) du même ordre d’immatérialité et de la même actualité dans l’ordre intelligible pour représenter
l’objet tel qu’il est.
L’Essence de Dieu peut-elle être vue par les yeux corporels ? (q12 a3)
Article requis par certaines métaphores de l’Écriture Sainte (cf. Job, XIX, 26).
Certains théologiens, autrefois, ont prétendu que Dieu peut être vu par l’œil glorifié, non par une
vision corporelle, mais par une vision spirituelle unie à l’œil (??). Valencia tient cette opinion pour
probable...
Conclusion
Il est impossible que Dieu soit vu par le sens de la vue, ou par une quelconque puissance de la partie
sensitive
Bien que cette doctrine ne soit pas explicitement définie, elle est « certissima » car l’opposée entraîne
une erreur contraire à la Foi : que Dieu est corporel.
Raison
Toute puissance sensitive est acte d’un organe corporel ; elle ne peut donc s’étendre au-delà des
choses corporelles.
- Quand on dit que Dieu est vu, il s’agit de l’œil de l’esprit, non du corps (ad 1).
N.B. : il est impossible que la puissance sensible soit élevée surnaturellement à voir Dieu, car une
puissance ne peut être élevée au-delà de son objet adéquat ou extensif. Il y a là une profonde différence
entre l’intellect (dont l’objet adéquat est l’être dans toute son amplitude) et les puissances sensibles. La
vision, comme acte vital, ne peut être seulement « communiquée » ; elle doit être élicitée, ab intrinseco.
– 92 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Un intellect créé peut-il voir l’essence divine par ses forces naturelles ?
(q12 a4)
1°) « Per sua naturalia », dans le titre, désigne une cause qui serait suffisante. La nature est principe
radical et essentiel d’opération. Il s’agit donc ici de la possibilité par la puissance réelle et naturelle qui se
trouve dans l’intellect créé, sans élévation surnaturelle. D’après l’article 1, on suppose ici la possibilité d’une
telle élévation surnaturelle.
2°) Conclusion
L’intellect créé ne peut voir Dieu par essence sans être surnaturellement élevé à cette vision
Cela se trouve aussi contenu dans la condamnation de Baïus [Saint Pie V, Bulla Ex omnibus afflictionibus,
1 octobre 1567; Errores Michaelis Baii de hominis natura et de gratia] :
• D 1021 : « Humanae naturae sublimatio et exaltio in consortium divinae naturae debita fuit
integritati primae condicionis, et proinde naturalis dicenda est, et non supernaturalis. »
• D 1023 : « Absurda est sententia eorum, qui dicunt, hominem ab initio, dono quodam
supernaturali et gratuito, supra condicionem naturae suae fuisse exaltatum, ut fide, spe et
caritate Deum supernaturaliter coleret. »
• D 1034 : « Distinctio illa duplicis amoris, naturalis videlicet, quo Deus amatur ut auctor
naturae, et gratuiti, quo Deus amatur ut beatificator43, vana est et commentitia et ad illudendum
sacris Litteris et plurimis veterum testimoniis excogitata. »
On doit également citer plusieurs passages de Vatican I, qui se rapportent assez étroitement à notre
question [Concile Vatican I; Session III, 24 avril 1870; Constitution dogmatique « Dei Filius » sur la foi catholique] :
• D 1808 : « S.q.d. hominem ad cognitionem et perfectionem, quae naturalem superet,
divinitus evehi non posse, sed ex se ipso ad omnis tandem veri et boni possessionem jugi profectu
pertingere posse et debere : a.s. »
• D 1795 : « (...) duplicem esse ordinem cognitionis non solum principio, sed objecto etiam
Doctrine catholique distinctum (...) ; objecto quia praeter ea, ad quae naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis
solennellement
proponuntur mysteria in Deo abscondita quae, nisi revelata divinitus, innotescere non possunt. »
enseignée sur le
double ordre objectif • D 1796 : « Divina enim mysteria SUAPTE NATURA intellectum creatum sic excedunt, ut
etiam revelatione tradita et fide suscepta ipsius tamen fidei velamine contecta et quadam quasi
caligine obvoluta maneant, quamdiu in hac mortali vita « peregrinamur a Domino (...) ». »
Cette définition de Vatican I montre que les Mystères surnaturels dépassent l’intellect créé non
seulement en vertu d’un libre décret divin, mais par leur nature propre : ils sont essentiellement surnaturels,
43 Sur ce double amour, rappelons ST1-2 q109 a3 ad1 : « Ad primum ergo dicendum quod caritas diligit Deum super omnia
eminentius quam natura. Natura enim diligit Deum super omnia, prout est principium et FINIS naturalis boni, caritas autem
secundum quod est OBIECTUM beatitudinis, et secundum quod homo habet quandam societatem spiritualem cum Deo. Addit
etiam caritas super dilectionem naturalem Dei promptitudinem quandam et delectationem, sicut et quilibet habitus virtutis addit
supra actum bonum qui fit ex sola naturali ratione hominis virtutis habitum non habentis. »
– 93 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
et pas seulement de fait. Or il n’en serait pas ainsi si Dieu pouvait donner le « lumen gloriae » à un intellect
créé comme propriété naturelle.
- Rappel : D 1928 contre Rosmini, et D 1659 contre les ontologistes (Condamnations parce que la
distinction des deux ordres n’est pas suffisamment maintenue).
Revoir en outre les interventions de saint Pie X et de Pie XII sur la gratuité du surnaturel [ces deux
textes doivent être connus] : supra p. 82.
4°) Cette vérité de foi est affirmée équivalemment, quoique moins distinctement, en plusieurs lieux de
l’Écriture Sainte :
- Mat. XI, 27 : « nemo novit Filium, nisi Pater : neque Patrem quis novit, nisi Filius, et cui
voluerit Filius revelare. »
- I Cor. II, 9 : « oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quae
praeparavit Deus iis qui diligunt illum... »
- Rom. VI, 23 : « Gratia Dei vita aeterna ». (Or la vie éternelle c’est la vision de Dieu, selon Jean
XVII, 3).
5°) Sous le titre « nulla creatura naturaliter potest Deum videre », Rouët de Journel cite : saint Irénée (236) ; Origène (451,
452) ; saint Athanase (747) ; saint Basile (913) ; saint Grégoire de Nazianze (986) ; saint Épiphane (1106) ; saint Jean Chrysostome
(1123-1128, 1161) ; saint Augustin (1653) ; et plusieurs autres...
On peut distinguer cinq conséquences (cf. Cajetan) dans l’article de saint Thomas ; l’argumentation
peut se résumer ainsi :
– La connaissance se fait selon que le connu est immatériellement dans le connaissant, selon le
mode d’immatérialité de la nature du connaissant ;
– donc l’objet dont le mode d’immatérialité excède le mode d’immatérialité de la nature de
l’intellect créé ne peut être connu naturellement par lui, tel qu’il est en soi.
– Or Dieu est un tel objet.
– Donc Dieu ne peut être naturellement connu, tel qu’il est en soi, par l’intellect créé, mais
seulement par une élévation de grâce.
- N.B. : il n’y a pas divers degrés d’immatérialité quant à l’exclusion de la matière (à l’intérieur de
l’immatérialité absolue) ; mais il y a des degrés (dans l’immatérialité absolue) selon la proximité de l’acte
pur.
(Cf. Ad 3)
Le sens de la vue est absolument matériel, en tant qu’intrinsèquement dépendant de l’organisme. Il ne
peut donc aucunement être élevé à quelque chose d’immatériel. Mais notre intellect est par nature élevé au-
dessus de la matière (car il ne dépend pas intrinsèquement de l’organisme corporel) : c’est pourquoi il peut
être élevé par grâce à la connaissance de tout intelligible. Du moins ne peut-on prouver le contraire.
Davantage : un signe de la possibilité de cette élévation est tiré de l’objet de notre intellect. Notre intellect ne
connaît pas seulement la nature des choses sensibles : il connaît aussi l’être en tant qu’être (ens ut ens est).
C’est pourquoi on peut distinguer de son objet propre (l’essence des choses matérielles) son objet adéquat
et extensif (l’être selon toute l’amplitude de l’être).
– 94 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Or Dieu Un et Trine clairement vu n’est pas en dehors de l’être selon toute son amplitude, car l’être ne
se trouve dans son état de pureté absolue d’acte pur que dans la Déité ; et on ne peut voir l’être (ens) dans cet
état de pureté absolue sans voir la Déité elle-même, en qui il se trouve formaliter eminenter.
Sur la question de l’objet adéquat de notre intelligence, cf. Garrigou-Lagrange, De Revelatione, T. I,
ed. 1918, p. 376-384.
On formule parfois inexactement cet objet adéquat de l’intellect humain, qui lui convient non pas
proprement en tant qu’humain, mais en tant qu’intellect.
Cet objet adéquat n’est pas seulement l’ens in quantum ens objet de la métaphysique. Car la
métaphysique est une science humaine qui connaît son objet dans le miroir des choses sensibles. Si
l’objet adéquat de notre intellect n’était rien d’autre, on prouverait seulement par lui, contre le
positivisme et le Kantisme, la possibilité de la métaphysique.
En fait, l’objet adéquat de notre intellect est l’être selon toute l’amplitude de l’être (expression
communément reçue : ens secundum totam latitudinem entis) : en sorte qu’il n’y ait rien au-dessus de
lui, c’est-à-dire en sorte qu’il contienne même Dieu-Trinité tel qu’il est en soi.
Mais ceci ne peut être prouvé apodictiquement par la seule raison, ni improuvé. On peut le
suggérer, en vertu du fait que notre intellect est tout à fait immatériel : ce qui suggère qu’il ne répugne
pas à être informé par l’intelligible quel qu’il soit, si parfait soit-il. On touche ici le fond mystérieux de
la nature humaine en tant qu’esprit fait à l’image de Dieu. Cf. Gardeil, La structure de l’âme et
l’expérience mystique.
• Pour l’approche philosophique de cette distinction, il faut noter avec Guérard des Lauriers que « La
distinction entre l'appréhension simple et le jugement correspond, du côté du sujet, à celle qui existe
entre l'objet propre et l'objet adéquat. » [cf. R.P. M. L. Guérard des Lauriers, « L’intelligence humaine
atteint la plénitude de sa perfection dans la connaissance de Dieu » dans De la connaissance de Dieu,
DDB 1958 p. 369 ; cf. p. 378, 392].
C’est dire que la capacité passive de notre intellect est supérieure à sa vertu active ; elle n’est pas
limitée de soi à un ordre d’intelligibles, tandis que la vertu active s’étend seulement à ce qui est connaissable
à partir du sensible.
Déjà en général, toute créature peut plus recevoir de Dieu qu’accomplir elle-même ; il n’est donc pas
surprenant qu’il y ait dans notre nature une capacité passive qui ne répugne pas à être élevée à la
connaissance de l’intelligible le plus parfait, et qui par le fait même inscrit en l’homme [en sa nature
spirituelle] une convenance ontologique à cette élévation. Cette « capacité élevable » est dite obédientielle.
(Ce qui signifie qu’elle ne dit pas un ordre immédiat [un proportionnement] à l’objet essentiellement
surnaturel à connaître, mais à l’agent suprême auquel elle obéit, et de qui elle reçoit gratuitement
l’ordination positive à l’acte surnaturel à éliciter vitalement44 et à l’objet de cet acte).
On peut préciser ainsi : le mode d’informer la puissance intellective, ex parte objecti intelligibilis, si parfait soit-il, n’est pas
autre que le mode spirituel, excédant toute matière. C’est pourquoi rien n’indique que cela dépasse notre capacité élevable.
Nous avons là un argument profond et probable, manifestant une véritable convenance, sans qu’il ait une valeur
apodictique : telle est l’opinion commune des Thomistes classiques, et de beaucoup d’autres théologiens.
C’est pourquoi saint Thomas parle seulement de « signe » ; lui-même a plusieurs fois distingué la raison démonstrative du
signe : cf. III q55 a5 ; I q32 a1 ad2. C’est une application de ce que dit saint Thomas in Boet. de Trin. q2 a3 : la théologie résout
les objections contre les mystères, soit comme évidemment fausses, soit comme non contraignantes ; cf. I C.G., 9. Cf.
Salmanticenses, in I q12 disp. I dub.III § II et III, n.44-47.
N.B. : Insistons, contre les imputations répétées de la « nouvelle théologie » : cette présentation
thomiste classique montre bien qu’il n’y a pas seulement dans l’homme « non répugnance » à l’élévation
surnaturelle, mais en outre « haute convenance ». Car si la puissance obédientielle se définit formellement
par la non répugnance, elle se fonde intrinsèquement sur les déterminations positives de la nature
concernée [en l’occurrence sur la structure de l’esprit humain spécifié par l’amplitude de son objet adéquat].
C’est pourquoi certains auteurs parlent de puissance obédientielle « spécifique ».
44Ce caractère vital de l’acte surnaturel a déjà été bien souligné par Bañez, In I q12 a1 (cf. éd. préparée par Urbano, o.p., Madrid,
1934 (In ST1 q1-q25), p. 247 col. 2). Tous les thomistes enseignent cela. C’est ce que Blondel et ses épigones, dans leurs accusations
de « surnaturel plaqué », n’ont jamais compris.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
L’intellect créé a-t-il besoin d’une lumière créée pour voir l’essence divine ?
(q12 a5)
Nous savons déjà que l’intellect créé peut être élevé à la Vision, et qu’il ne peut y parvenir
naturellement (a1 et a4) ; nous avons déjà parlé, en passant, de la lumière de gloire surnaturelle (a2).
Nous allons maintenant déterminer sa nature, sa nécessité, son effet propre.
La nécessité de la lumière de gloire est affirmée par le Concile de Vienne (D 475) cité supra p. 82. Le
Concile n’affirme pas seulement que cette lumière est donnée de fait, mais qu’elle est nécessaire pour que
l’âme soit élevée à la Vision de Dieu. Cette déclaration implique donc que cette lumière est surnaturelle :
elle élève l’âme à un ordre supérieur.
Selon Garrigou-Lagrange, le Concile ne détermine pas davantage le degré de cette nécessité : elle est
au moins selon la puissance de Dieu ordinaire. Mais le concile ne tranche pas la question pour la
puissance absolue et extraordinaire.
De plus le Concile ne définit pas que la lumière de gloire est une qualité, un habitus infus. Il faut
dire ici ce qu’on dit pour la grâce habituelle après le Concile de Trente (D 799, 821) : c’est une réalité
infuse inhérente à l’âme.
Saint Thomas dit davantage, déclarant explicitement que c’est une qualité infuse et un habitus
infus. Cette précision ultérieure n’est pas de foi, mais communément reçue et « certo tenenda ».
1°) Il faut d’abord noter deux opinions avant le Concile de Vienne et qui ne se concilient pas avec lui.
a) Selon Scot, la lumière de gloire est la Vision béatifique elle-même in actu secundo, en tant qu’elle
nous est communiquée par Dieu. D’après le Concile, l’âme a besoin de cette lumière « ad Deum
videndum » : donc elle n’est pas la Vision elle-même.
b) Durand entendait par la lumière de gloire l’Essence divine elle-même, en tant qu’elle se manifeste
immédiatement à l’intellect et le change dans l’ordre de l’intellection. Mais les hérétiques condamnés ne
niaient pas la nécessité d’une manifestation de l’Essence divine ex parte objecti, mais la nécessité d’une
lumière élevant l’intellect pour qu’il puisse être uni à l’objet.
2°) Après le Concile, Vasquez estime superflue la lumière de gloire par mode d’habitus perfectionnant
l’intelligence. Molina et Suarez estiment que de puissance absolue un secours actuel suffit, sans habitus
élevant. Cela est cohérent avec la thèse suarézienne de la puissance obédientielle active.
3°) Les Thomistes fondent leur position sur la doctrine de la puissance obédientielle passive.
Saint Thomas montre que la lumière de gloire est requise : 1°) par mode de disposition pour l’union
avec l’essence divine ; 2°) par mode de vertu confortant l’intellect pour éliciter la vision elle-même.
1°) Tout ce qui est élevé à quelque chose qui dépasse sa nature a besoin d’une disposition surnaturelle.
Or l’intellect créé voyant Dieu est ainsi élevé et a l’essence divine comme forme intelligible (a2). Donc il a
besoin d’une disposition surnaturelle pour recevoir l’essence divine.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
2°) La vertu doit être proportionnée à l’acte pour pouvoir l’éliciter. Or la vertu naturelle de l’intellect
créé est naturellement incapable (= non proportionnée) d’éliciter l’acte surnaturel de la Vision. Il faut donc
une lumière surnaturelle confortant l’intellect.
Pour le 1°, précisons (Cajetan, Jean de Saint Thomas...) : il faut une disposition pour recevoir la
forme, la perfection, non pour recevoir la disposition elle-même. Il faut comprendre : ce qui est élevé à
l’acte second excédant sa nature doit y être disposé en acte premier (ou en puissance prochaine).
Cela est requis dans tous les ordres, et on l’observe dans l’ordre naturel, aussi bien pour agir que
pour recevoir. La force probante du second argument apparaît si l’on considère qu’une puissance
opérative qui de soi et intrinsèquement est impuissante pour tel acte, a besoin d’être
intrinsèquement élevée par un habitus soit acquis, soit infus reçu en elle. C’est le principe général
utilisé pour montrer la nécessité des habitus. Et comme il n’est pas question ici d’habitus acquis à
cause de la surnaturalité de l’objet, il s’agit donc d’un habitus infus, communément appelé lumière de
gloire.
Il apparaît ainsi que la fonction principale de la lumière de gloire est d’élever la puissance pour qu’elle
élicite l’acte de Vision, la fonction secondaire étant de disposer la puissance à l’« union » avec l’Essence
divine sous la raison de forme intelligible.
Est-ce que , parmi ceux qui voient l’essence de Dieu, l’un voit plus
parfaitement que l’autre ? (q12 a6)
1°) Jovinien, hérétique du IVe siècle, estimait, d’après saint Jérôme (Adv. Jov., II, 19) que la béatitude
était égale pour tous, d’après Mt XX, 9-10.
Luther, en vertu de sa théorie de l’imputation extrinsèque de la justice, estimait que tous les élus sont
également bienheureux.
3°) Cette doctrine de foi est enseignée équivalemment dans l’Écriture Sainte :
- I Cor. XV, 41 : Stella differt a stella in claritate.
- Jo XIV, 2 : In domo Patris mei, mansiones multae sunt.
(Ce qui doit s’entendre du Royaume des Cieux, car le Seigneur ajoute : « Vado vobis parare locum...
ut ubi sum ego et vos sitis. »)
Argument
La raison de cette inégalité se fonde sur la diversité des mérites de la vie présente : car la gloire du ciel
est une récompense (Mt V, 12 : Merces vestra copiosa est in caelis), fonction des œuvres (Rom. II, 6 :
Reddet unicuique secundum opera ejus).
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
N.B. : On tient communément, contre les Scotistes, contre Molina et semble-t-il contre Cajetan, que
l’inégalité de la vision proviendra uniquement de l’inégalité de la lumière de gloire, et non de l’inégalité de
la vigueur naturelle de l’intellect. Car (cf. l’art.), la faculté de voir Dieu n’appartient pas à l’intellect créé
selon sa nature, mais seulement par la lumière de gloire.
Ceux qui voient Dieu par essence le comprennent-ils ? (q12 a7)
Définition
Dans le sens strict, on peut retenir la définition donnée par Billuart :
Comprehensio est cognitio objecti adaequans, non in ordine naturae seu entis, sed in ratione
cognitionis, objecti cognoscibilitatem intrinsecam ; ita ut per eam objectum cognoscatur quantum est
cognoscibile naturaliter et ex propriis meritis non solum extensive sed etiam intensive.
1) La compréhension (stricte) n’est pas la connaissance suprême absolue, propre à Dieu. C’est
pourquoi on ne demande que la connaissance de la cognoscibilité intrinsèque. Ainsi l’Ange a la
compréhension de beaucoup de choses créées, et de lui-même.
Cependant Dieu, parce qu’il est infiniment parfait, ne peut être « compris » que par une
connaissance infinie, la plus parfaite de toute.
2) La compréhension ne requiert pas la connaissance de ce qui peut être fait par la puissance
obédientielle de l’objet.
3) La compréhension demande que soit connu ce qui est contenu dans l’objet, non seulement
formaliter, mais aussi virtualiter et eminenter (selon l’enseignement commun des théologiens, contre les
Scotistes).
Donc : tous les prédicats intrinsèques de l’objet : essence, vertus, propriétés et accidents ; prédicats
extrinsèques : cause d’où provient la variété spécifique des effets qu’il peut produire en propre, et les
perfections qu’il réclame de soi ; les rapports et relations qu’il possède, et toutes les conclusions que
l’on peut inférer à partir de lui.
Erreurs
- Les Anoméens au IVe siècle, avec Eunome, à la suite d’Aetius, affirmaient qu’eux-mêmes
comprenaient Dieu.
- Au XVe siècle, le Concile de Bâle, Session 22, condamne la proposition d’un archevêque affirmant
que l’âme du Christ voit Dieu aussi clairement et intensément que Dieu se voit lui-même.
- Certains théologiens semblent ne pas atteindre la vraie notion de l’incompréhensibilité de Dieu ; ils
disent que les bienheureux ne comprennent pas Dieu « parce qu’ils ne voient pas toutes les choses qui
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
peuvent le suivre et dépendre de lui », comme les possibles et les futurs. Ainsi Vasquez (In I p. disp. 53 c.4),
Pétau (De Deo, lib.7, c.3-4).
Thèse
De fide divina et catholica definita, au moins quant au fait, contre les eunomiens, et même selon la
plupart des théologiens, quant au droit (i.e. Dieu possède une certaine connaissance de lui-même absolument
incommunicable à tout intellect créé). Suarez (De Deo, tr. I, 1.2, C.5) discute avec précision de cette
qualification.
Magistère
Le Concile de Latran IV (D 428 et 432, DS 800 et 804) ainsi que le Concile Vatican I (D 1782,
DS 3001) professent explicitement que Dieu est « incompréhensible ».
Écriture Sainte
- Jer. XXXII, 19 : « magnus consilio et incomprehensibilis cogitatu ».
On cite encore Job XI, 7-9 ; Rom. XI, 33 ; I Cor. II, 10 ; Eph. III, 10.
Pères
Saint Augustin, Serm. 117, « De verbis Domini », c.3 :
« Attingere aliquantulum mente Deum magna beatitudo est, comprehendere autem omnino
impossibile ».
1°) Comprendre Dieu, c’est Le connaître intensivement et extensivement autant qu’il est
connaissable, et donc infiniment. Or aucun intellect créé, même surélevé, ne peut connaître Dieu infiniment.
- Cf. : ad 2 : les bienheureux connaissent Dieu « totum », mais non « totaliter ».
[« totum » fait référence à l’extension ; comme Dieu est simple, s’il est vu tel qu’il est, il est
nécessairement vu tout entier ; « totaliter » fait référence au mode de vision et au mode de visibilité
comparativement l’un à l’autre : il y a connaissance « totaliter » si le mode de vision de celui qui voit est
aussi parfait que le mode de visibilité de la chose vue (Billuart)]
2°) Selon la doctrine commune, contre les nominalistes, les bienheureux voient tout ce qui est contenu
formellement et nécessairement en Dieu : l’essence, les attributs, les Personnes. Et même, on enseigne
communément contre les scotistes que le contraire serait contradictoire, parce qu’il n’y a aucune distinction
réelle entre l’essence divine, les attributs et les Personnes, pas même la différence « formelle-actuelle » a
parte rei affirmée par Scot.
3°) Les bienheureux ne connaissent pas les décrets libres de Dieu, selon leur terminaison dans les
créatures, sauf révélation divine spéciale. Car les futurs libres ne sont contenus dans l’essence divine que par
la médiation du libre décret, manifesté par l’événement ou par révélation (Garrigou-Lagrange, 207).
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Ceux qui voient Dieu par essence, voient-ils tout en lui ? (q12 a8)
Ici « omnia » signifie tout ce qui est hors de Dieu et tous les possibles.
La réponse est négative, car ce serait connaître Dieu de façon compréhensive ; du moins, ce serait
comprendre sa vertu causale, puisque ce serait connaître tout ce qu’il fait et peut faire.
En effet, plus une cause est vue de façon parfaite, plus le nombre de ses effets visibles en elle
s’accroît ; jusqu’à saisir tous les effets possibles quand on atteint la compréhension.
- On admet communément que les Bienheureux voient, en ce qui concerne les créatures passées,
présentes ou futures, tout ce qui les concerne spécialement et principalement (cf. III q10 a2).
En effet, la béatitude doit parfaitement satisfaire tout juste désir des bienheureux ; or ceux-ci désirent
justement savoir ce qui les concerne spécialement.
Les choses vues en Dieu par ceux qui voient l’essence divine sont-elles vues
par des similitudes ? (q12 a9)
La réponse est négative. Les bienheureux voient sans espèces créées les choses vues dans l’essence
divine (= « in Verbo »). L’essence divine est ainsi pour eux un medium d’abord connu, dans lequel ils
connaissent les créatures comme dans la cause efficiente et exemplaire. Et cette vision des créatures est la
Vision béatifique elle-même, qui est une intuition simple.
Cf. I q58 a7.
Cette vision des créatures dans le Verbe est dite « Visio matutina » : elle est vision des créatures
comme dans leur aurore ; elle est une certaine participation de la connaissance que Dieu a des
créatures en lui-même.
Mais les Bienheureux peuvent aussi connaître les créatures « extra Verbum », par des espèces créées
(ibid. ad2). C’est la « cognitio vespertina », crépusculaire, qui est inférieure. Cf. saint Augustin, De
Civitate Dei, XI, 7.
Remarquons que la Vision dans le Verbe est plus ou moins parfaite selon le degré de la Vision
béatifique elle-même, et donc selon les mérites. Tandis que la connaissance « extra Verbum » n’est pas
ainsi liée aux degrés de charité et de mérite.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Ceux qui voient Dieu par essence voient-ils en même temps tout ce qu’ils
voient en lui ? (q12 a10)
Quelqu’un peut-il, en cette vie, voir Dieu par essence ? (q12 a11)
- On cite pour cette thèse quelques textes de l’Écriture Sainte : Ex XXXIII, 20 ; Jo I, 18 ; II Cor. V, 6
(« Dum sumus in corpore, peregrinamur a Domino, per fidem enim ambulamus et non per speciem. »)
- Saint Thomas fonde la réponse sur ce que l’âme unie au corps ne connaît Dieu que selon le rapport
au sensible : c’est-à-dire en rapport à son objet propre. Cela est vrai même pour la foi surnaturelle, car la
Révélation est faite selon les concepts naturellement abstraits du sensible.
- Cependant, selon l’ad2, Dieu a pu exceptionnellement donner la Vision béatifique « per modum
transeuntis » à saint Paul en extase, pour qu’il devienne Docteur des gentils. [Opinion de saint Augustin et
de saint Thomas, cf. II-II q175 a3].
En ce qui concerne la Très Sainte Vierge Marie, Garrigou-Lagrange expose dans La Mère du Sauveur
et notre vie intérieure, p. 139-141, qu’elle a peut-être eu la vision immédiate de l’Essence divine par mode
transitoire vers la fin de sa vie (thèse non certaine, mais probable).
Pouvons-nous connaître Dieu par la raison naturelle en cette vie ? (q12 a12)
Par la raison naturelle, nous ne pouvons voir Dieu, car notre raison naturelle prend son départ du
sensible, et que les choses sensibles sont des effets inadéquats à la vertu de la Cause Première. Mais par elles
nous pouvons savoir que Dieu est, et qu’il a les perfections sans lesquelles il ne serait pas cause première.
Ainsi nous connaissons Dieu par la triple voie de la causalité, de la négation, de l’éminence.
Le purisme fondamentaliste se voulant littéralement thomiste observera peut-être, sur le ton
énigmatique qui sied au masque de profondeur, que saint Thomas n’emploie pas dans cet article le
mot « causalité » (« causalitas »), symbole pour certains néo-historico thomistes de la déviation
rationaliste leibnizo-wolffienne des thomistes du renouveau thomiste initié par Léon XIII [cf. les
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
diatribes bien connues de Gilson contre Garrigou-Lagrange. Voir encore récemment Humbrecht, RT
2008 (II), p. 335. À titre d’information, voici un extrait du prologue de saint Thomas dans 1S d3 :
« Secunda autem pars in qua ponit probationem, dividitur in quatuor, secundum quatuor rationes quas
ponit. Harum autem diversitas sumitur secundum vias deveniendi ex creaturis in Deum, quas Dionysius
ponit.
Dicit enim quod ex creaturis tribus modis devenimus in Deum: scilicet per CAUSALITATEM, per
remotionem, per eminentiam. Et RATIO hujus est, quia esse creaturae est ab altero. UNDE secundum hoc
ducimur in causam a qua est. Hoc autem potest esse dupliciter. Aut quantum ad id quod receptum est; et sic
ducimur per modum causalitatis: aut quantum ad modum recipiendi, quia imperfecte recipitur; et sic
habemus duos modos, scilicet secundum remotionem imperfectionis a Deo et secundum hoc quod illud quod
receptum est in creatura, perfectius et nobilius est in creatore; et ita est modus per eminentiam.
Prima ergo ratio sumitur per viam causalitatis, et formatur sic. Omne quod habet esse ex nihilo, oportet
quod sit ab alio, a quo esse suum fluxerit. Sed omnes creaturae habent esse ex nihilo: quod manifestatur ex
earum imperfectione et potentialitate. Ergo oportet quod sint ab aliquo uno primo, et hoc est deus.
Secunda ratio (…) »
Le fondamentalisme néo-historico thomiste fera peut-être remarquer que dans ce prologue saint
Thomas présente la pensée d’un autre… Voici alors 1S d3 a3 :
« Respondeo dicendum, quod, cum creatura exemplariter procedat a Deo sicut a causa quodammodo simili
secundum analogiam, eo scilicet quod quaelibet creatura eum imitatur secundum possibilitatem naturae suae,
ex creaturis potest in Deum deveniri tribus illis modis quibus dictum est, scilicet per causalitatem,
remotionem, eminentiam. (…) »
• Sur les trois modes (causalité, éminence, rémotion) cf. Ramirez, Opera Omnia, VII : De Donis
Spiritus Sancti, p. 243 § 3, puis 250-251 pour la voie négative. Voir aussi infra p. 113 sur ST1 q13 a8.
A-t-on par la grâce une plus haute connaissance de Dieu que par la raison
naturelle ? (q12 a13)
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Travail d’érudition en forme de vaste paraphrase sur les textes de saint Thomas, mais très unilatéral
dans l’appréciation des diverses interprétations des thomistes du XX e siècle, en particulier
systématiquement négatif vis-à-vis de Garrigou-Lagrange (à la suite de Gilson), ce qui ne garantit pas
l’objectivité, ni la profondeur du jugement métaphysique.
• À signaler : Timothy L. SMITH, Thomas Aquinas’ Trinitarian Theology, A Study in Theological
Method. – Washington D.C., The Catholic University Press, 2003. Compte rendu par Emery, o.p., RT
2003 (IV), p. 618-623. Cet ouvrage, bien que concernant en propre la doctrine trinitaire, consacre de
nombreuses pages à l’étude des noms divins, et à l’importance de la distinction entre mode de signifier
et réalité signifiée (p. 140-144), avec tout un chapitre, p. 160-203, consacré au langage théologique (« A
question of context and character » : il s’agit du caractère apophatique du langage théologique (p. 192)).
Difficultés
Réponse
Dieu peut être nommé par nous à partir des créatures, mais non de telle sorte que soit exprimée
l’essence divine selon ce qu’elle est ou quidditativement
1°) L’Écriture Sainte le prouve, qui nomme Dieu de diverses façons : Seigneur, Tout-Puissant, Qui
Est... ; d’autre part elle affirme aussi que Dieu est ineffable.
L’ineffabilité est affirmée explicitement par le Concile de Latran IV.
• Concile Latran IV (oecum. XII), 11 - 30 novembre 1215 (sous Innocent III); cap. 1 de fide catholica; Définition
contre les Albigeois et les Cathares; D 428, DS 800 :
« Firmiter credimus et simpliciter confitemur, quod unus solus est verus Deus, aeternus,
immensus et incommutabilis, incomprehensibilis omnipotens et ineffabilis, Pater et Filius et
Spiritus Sanctus : (…) »
2°) Une chose peut être nommée par nous, selon qu’elle est connue par nous ;
– Or Dieu est connu par nous dans cette vie à partir des créatures, selon le rapport de principe et par le
mode d’éminence et de négation (rémotion) ; mais dans cette vie Dieu ne peut être vu par essence.
– Donc Dieu peut être nommé à partir des créatures, mais non de telle sorte que soit exprimée
l’essence divine selon ce qu’elle est.
- Cf. De Pot. q7 a5 ad1 : « hujusmodi nomina (divinam substantiam significantia) non significant quid
est Deus, quasi ejus substantiam definiendo. »
Nous n’avons donc pas le concept propre de la Déité ; sous ce nom [de « Déité »], nous entendons
quelque chose d’éminent, en quoi sont contenues formaliter eminenter toutes les perfections simples et les
relations divines.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Sur cette notion technique du « quid est » de Dieu, voir les importantes mises au point de J.-H.
Nicolas, Dieu connu comme inconnu, p. 87-91 avec la note 2 p. 113, ainsi que note 29 p. 173-174 ; et
Maritain, Annexe consacrée à ce sujet dans Les Degrés du Savoir.
Voir aussi De Pot q7 a5 ad6 : « Ad sextum dicendum, quod ratio illa probat quod Deus non potest
nominari nomine substantiam ipsius definiente vel comprehendente vel adaequante : SIC enim de
Deo ignoramus quid est. »
Ad1) Dieu est ineffable, en tant que son essence est au-dessus de ce que nous comprenons de lui et
signifions par les mots. Nous ne le connaissons pas quidditativement, nous ne pouvons dire quel est le
constitutif formel de la Déité telle qu’elle est en soi.
Ad2) Nous attribuons à Dieu les noms abstraits pour signifier sa simplicité, et les noms concrets pour
signifier sa subsistence ; et nous ajoutons : Dieu est sa Déité, son existence, sa bonté...
Ad3) L’éternité de Dieu inclut tous les temps, sans distinction de passé, présent, futur. Nos paroles, là
encore, expriment l’imperfection de notre connaissance à partir de créatures corporelles.
La question ne porte pas sur tous les noms dits de Dieu. Car il y a des noms relatifs, qui expriment non
la substance de Dieu mais son rapport aux créatures. Est-ce le cas de tous ? La difficulté vient de ce que Dieu
n’est connu par nous que « ex creaturis ». D’un autre côté, la distinction semble assez manifeste entre les
noms absolus, comme « Ens per essentiam » et les noms relatifs, comme « Cause suprême ».
On peut aussi en appeler au témoignage de saint Augustin (De Trin., VI, 4) :
« Deo, hoc est esse, quod fortem esse, vel sapientem esse, et si quid de illa simplicitate dixeris,
quo ejus substantia significatur ».
Conclusion
Les noms négatifs et les noms relatifs aux créatures ne signifient pas la substance de Dieu ; mais les
noms absolus et affirmatifs le font, bien qu’ils n’en soient qu’une représentation déficiente
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
1°) Exemples de noms négatifs : incorporel, immense ; de noms relatifs : Seigneur, Efficient, Fin ;
noms absolus et affirmatifs : Être, Vivant, Sage.
La conclusion est alors manifeste dans sa première partie : les noms négatifs signifient le rejet
(« rémotion ») de quelque imperfection, et les noms relatifs signifient la relation (de raison) de Dieu aux
créatures (ou la relation – réelle – des créatures à Lui). Reste à prouver la seconde partie.
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De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Significant enim sic nomina Deum, secundum quod intellectus noster cognoscit ipsum.
Intellectus autem noster, cum cognoscat Deum ex creaturis, sic cognoscit ipsum, secundum quod
creaturae ipsum repraesentant.
Ostensum est autem supra quod Deus in se praehabet omnes perfectiones
creaturarum, quasi simpliciter et universaliter perfectus. Unde quaelibet creatura intantum
eum repraesentat, et est ei similis, inquantum perfectionem aliquam habet, non tamen
ita quod repraesentet eum sicut aliquid eiusdem speciei vel generis, sed sicut excellens
principium, a cuius forma effectus deficiunt, cuius tamen aliqualem similitudinem
effectus consequuntur; sicut formae corporum inferiorum repraesentant virtutem solarem.
Et hoc supra expositum est, cum de perfectione divina agebatur.
Sic igitur praedicta nomina divinam substantiam significant, imperfecte tamen, sicut et
creaturae imperfecte eam repraesentant. (...)[ST1 q13 a2]
Soit :
– Les noms signifient Dieu, selon qu’Il est connu par notre intellect à partir des créatures.
– Or les créatures sont assimilées à la substance divine, selon une similitude imparfaite, ni spéficique
ni générique, que l’on nomme analogue.
– Donc les noms absolus et affirmatifs sont dits de Dieu substantiellement mais imparfaitement.
La Majeure est prouvée par l’article précédent.
La mineure découle de ce qu’on a vu q4 a3 : les créatures sont semblables à Dieu selon que tout
agent produit quelque chose de semblable à soi, spécifiquement, génériquement, ou au moins
analogiquement.
De même, q4 a2 : « Tout ce qu’il y a de perfection dans l’effet doit se trouver dans la cause efficiente,
soit dans la même raison, si l’agent est univoque, soit selon un mode plus éminent, si l’agent est
équivoque (...) Comme donc Dieu est première cause efficiente des choses, il faut que les perfections de
toutes les choses préexistent en Lui ». (Les imperfections étant exclues).
Comme on l’a déjà dit (et cf. a3 ; et I C.G. 30), il faut bien distinguer les perfections simples et les
perfections mixtes.
Les premières ne comportent aucune imperfection dans leur signifié formel (ex. : être, vrai, bien
sagesse, amour,...), bien que le mode créé de ces perfections soit imparfait.
Les secondes (comme la rationalité et la connaissance discursive) incluent de l’imperfection dans
leur signifié formel.
5°) Ainsi, quand nous disons « Dieu est bon », le sens n’est pas « Dieu est cause de la bonté », ni
« Dieu n’est pas mauvais », mais : « ce que nous disons bonté dans les créatures préexiste en Dieu, selon un
mode plus élevé » :
(...) Cum igitur dicitur Deus est bonus, non est sensus,
– Deus est causa bonitatis,
– vel Deus non est malus,
sed est sensus,
– id quod bonitatem dicimus in creaturis, praeexistit in Deo, et hoc quidem
secundum modum altiorem.
Unde ex hoc non sequitur quod Deo competat esse bonum inquantum causat bonitatem, sed
potius e converso, quia est bonus, bonitatem rebus diffundit, secundum illud Augustini, de doct.
Christ., Inquantum bonus est, sumus. [ST1 q13 a2]
Cf. De Pot. q7, a5, ad2. On peut admettre aussi les propos de Denys, selon qui Dieu doit être dit
« non bon » ou « supra bon » : car ces noms sont affirmés de Dieu selon la chose signifiée, ou selon la
raison du nom, mais ils peuvent être niés selon le mode de signifier.
Car selon le modus significandi les noms abstraits signifient la forme sans sujet, et les noms
concrets signifient un composé (le sujet avec telle forme). Dieu est pure forme subsistente.
Dire que Dieu est au-dessus du bien c’est dire que la Déité contient éminemment toutes les
perfections simples. Il reste à montrer qu’elle les contient formellement, et pas seulement
virtuellement.
– 106 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Conclusion
Quant à la perfection signifiée, plusieurs noms sont dits proprement de Dieu, et plus proprement, et
prioritairement par rapport à leur attribution aux créatures.
Quant au mode de signifier, ils ne sont pas dits proprement de Dieu.
Exemple : quant à la perfection signifiée, « sagesse » signifie une connaissance par la cause la plus
haute. Quant au mode de signifier, la sagesse est un accident, une qualité de l’esprit acquise ou
infuse, ou un habitus de l’esprit créé : sous cet aspect, elle ne peut être attribuée proprement à Dieu :
car elle se trouve dans un genre (qualité) et dans une espèce de ce genre, alors que Dieu n’est pas
dans un genre.
• La raison de la conclusion est plus explicitée ad1 : c’est que pour ces noms la perfection signifiée
n’enclot aucune imperfection, tandis que le mode de signifier est imparfait et convient aux seules créatures :
Ad primum ergo dicendum quod
quaedam nomina significant huiusmodi perfectiones a Deo procedentes in res creatas, hoc
modo quod ipse modus imperfectus quo a creatura participatur divina perfectio, in ipso nominis
significato includitur, sicut lapis significat aliquid materialiter ens, et huiusmodi nomina non
possunt attribui Deo nisi metaphorice.
Quaedam vero nomina significant ipsas perfectiones absolute, absque hoc quod aliquis
modus participandi claudatur in eorum significatione, ut ens, bonum vivens, et huiusmodi, et
talia proprie dicuntur de Deo. [ST1 q13 a3 ad1]
N.B. : L’expression : « proprie quoad significatum formale et non proprie quoad modum
significandi » équivaut d’une certaine façon à la locution formaliter eminenter : formellement quant à la
perfection signifiée, éminemment virtuellement quant au mode de signifier. Cependant ce « formellement »
lui-même doit s’entendre non univoquement mais analogiquement (cf. a5 et Cajetan n.VII).
1°) « Synonymes », c’est-à-dire ayant absolument le même signifié, de sorte que ce serait la même
chose de dire « Dieu est sage » ou « Dieu est bon », « miséricordieux », « juste »... Alors on pourrait dire
« Dieu punit par miséricorde », comme on dit qu’il punit par justice. On tomberait dans l’agnosticisme.
L’Écriture Sainte au contraire maintient la distinction entre justice et miséricorde.
2°) La difficulté est de montrer comment ces noms ne sont pas synonymes. C’est le même problème
que celui de la distinction des attributs de Dieu.
– Les Nominalistes n’admettent entre les attributs qu’une distinction de raison raisonnante (comme
entre Pierre sujet et Pierre prédicat dans « Pierre est Pierre ») ou même une simple distinction verbale
(Tullius et Cicéron).
Scot Érigène avait une position voisine.
45La distinction entre « proprement » et « métaphoriquement » est présentée très clairement par saint Thomas à propos de la volonté
de Dieu en 1 S d45 q1 a4.
– 107 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
– Au contraire, Gilbert de la Porrée disait (D 389 ; pas dans DS car pas condamné : cf. DS notice avant
le n°745) :
« Divinitatem non esse Deum, sed formam qua Deus est. »
parce que les noms abstraits ne signifient pas le sujet subsistant. Il y a là un certain
anthropomorphisme, car on transporte en Dieu le mode imparfait des créatures.
– Duns Scot met entre les attributs divins sa distinction « formelle actuelle a parte rei ». En tant que
plus que « virtuelle », elle est inconciliable avec la simplicité divine, selon les thomistes et beaucoup d’autres
théologiens.
– La plupart des théologiens admettent une distinction virtuelle mineure, selon que l’essence de Dieu
conçue par nous signifie en acte implicitement, mais non explicitement, les attributs qui en sont déduits.
Conclusion
Les noms attribués à Dieu, bien qu’ils signifient une seule chose, ne sont pas synonymes
3°) Cf. ad2 : ces raisons multiples ne sont pas vaines ; à toutes répond une seule réalité simple,
représentée imparfaitement par chacune [l’imperfection étant différente dans chaque cas]. C’est-à-dire que
l’éminence
imitable.
de la Déité, qui est tout à fait simple, est virtuellement multiple, en tant que diversement
4°) Dieu est parfaitement Un, « re et ratione ». Mais cela appartient à la perfection de son unité « quod
ea quae sunt multipliciter et divisim in aliis, in ipso sunt simpliciter et unite ».
Ainsi se distingue l’unité très imparfaite, par ex. de la matière première, de l’unité suprême. L’unité
inférieure est potentielle, elle se trouve dans la matière première, qui est quasi négativement la même
dans tous les corps. On trouve aussi cette unité inférieure dans les corps élémentaires, ou la cellule
primitive d’où sort l’embryon, avant qu ’apparaisse en elle la multiplicité ou diversité des parties de
l’organisme.
Au contraire, l’unité supérieure est non potentielle mais actuelle ; et alors elle est virtuellement
multiple. Ainsi l’unité de l’âme rationnelle dont dépend la diversité des parties de l’organisme très
complexe.
L’Unité divine est encore plus haute qui est actuelle de la façon la plus haute, et ainsi virtuellement
multiple, contenant la multitude infinie des possibles.
– 108 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Ce qui est dit de Dieu et des créatures est-il dit d’eux univoquement ? (q13 a5)
Nous savons déjà que plusieurs noms sont dits de Dieu très simple, substantiellement et proprement, et
sans être synonymes. Sont-ils dits univoquement ou analogiquement ?
L’attribution proprie écarte déjà l’équivocité pure.
Pour certains aspects de la terminologie de Saint Thomas en relation avec celle d’Aristote :
Catégories, c.1, n.2 ; Post. Anal. II, c.13,14 ; Met., IV, c.1 ; X, c.1 ; XII, c.4 ; Ethic., I, c.6.
- Le nom univoque signifie une raison simplement la même. Ainsi « homme » se dit univoquement
des divers hommes. Plus généralement, il en est ainsi pour l’espèce par rapport aux individus, et pour
le genre par rapport aux espèces ; le genre est diversifié par des différences extrinsèques. Ainsi, la
notion univoque peut être parfaitement abstraite des divers sujets.
- Le terme équivoque signifie des raisons totalement diverses. (chien « animal » et chien
« constellation »).
- Le terme analogue signifie dans divers sujets une raison, non simplement la même, ni totalement
diverse, mais la même selon une certaine proportion ou proportionnalité [simpliciter diversa, secundum
quid eadem]
Selon la systématisation de Cajetan, adoptée pour l’essentiel par les Thomistes classiques comme
vraie et conforme à la pensée de saint Thomas [cf. De Veritate q2 a11, cité par Garrigou-Lagrange,
Dieu… T. 2, p. 539], on distingue l’analogie d’attribution et l’analogie de proportionnalité.
- Analogie d’attribution [unius vel plurium ad unum] :
Exemple : la santé se dit d’abord de l’animal, et ensuite, selon le rapport (proportion) à
l’animal sain : de l’urine saine (comme signe de la santé), de l’air sain, de l’aliment sain (cause de la
santé) etc.
Dans l’analogie d’attribution il suffit d’une dénomination extrinsèque. La santé est
intrinsèquement dans l’animal sain, mais non dans l’air, ni dans l’urine.
- Analogie de proportionnalité [plurium ad plura] :
Exemple : Comme la tête est dite en rapport au corps organique, ainsi le chef en rapport à
l’armée, ou le roi en rapport au royaume. L’analogie de proportionnalité peut être métaphorique ou
propre. Le roi est dit métaphoriquement tête du royaume ; au contraire, l’être est dit proprement de la
substance et de l’accident, de même la connaissance de la sensation et de l’intellection. La métaphore
est une proportionnalité impropre, car elle ne rapproche pas des essences, mais des manières d’agir,
de causer. Dans l’analogie de proportionnalité, il n’y a pas de distance déterminée entre les
analogués ; la distance est « immense », sans mesure ; on peut changer d’ordre (sens et intelligence).
Cette systématisation est présentée par Garrigou-Lagrange dans Dieu, son existence, sa nature ,
Beauchesne, 11e éd., T. II, p. 527-548 et passim ; Maritain lui consacre une annexe (« De l’analogie »)
dans Les degrés du savoir, DDB, 5e éd. 1948 p. 821-826 ; La même doctrine est bien exposée par
Penido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Vrin, 1931, p. 11-78. Cette systématisation a été
vivement attaquée en notre siècle par Bernard Montagnes, o.p., La doctrine de l’analogie d’après saint
Thomas d’Aquin, Louvain-Paris : Nauwelaerts, 1963 ; voir le compte rendu critique de J.-H. Nicolas
dans RT 1963, p. 425-431, et les mises au point de Grenet dans Ontologie (Beauchesne), p. 215-218.
Voir encore, dans le sens classique, Tomas Tyn, o.p., Metafisica della sostanza : Partecipatione e
analogia entis (Ed. Studio Domenicano, 1991).
De son côté le P. Ramirez, o.p. a fourni une énorme synthèse sur l’analogie (4 volumes pour presque
2000 pages dans ses Opera Omnia. On trouve p. 1866-1870 le compte rendu qu’il avait donné en son
temps de l’ouvrage de Montagnes). Le P. Ramirez est pour l’essentiel proche de la position classique ;
cependant il admet (contrairement à ses positions de jeunesse) la réalité de l’attribution intrinsèque,
plutôt que la théorie des « cas mixtes », avec formellement analogie de proportionnalité et virtuellement
d’attribution. Nous croyons que sur ce point le P. Ramirez a raison : il s’agit de l’analogie unius ad
– 109 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
alterum de saint Thomas, dans les cas où celle-ci possède une portée métaphysique ou
transcendantale.
Signalons encore deux ouvrages récents : Ralph McInerny, Aquinas and Analogy, Washington : The
Catholic University of America Press, 1996, qui semble dissoudre l’approfondissement doctrinal dans
une question de vocabulaire. Et Jean Borella, Penser l’analogie, Ad Solem, 2000, avec diverses vues
originales imprégnées de (néo-)platonisme et de références aux thèses de l’ésotérisme « chrétien »
(Guénon et consorts) → à manier avec prudence.
La valeur de l’analogie de proportionnalité a encore été mise en lumière, à l’encontre des tendances
du type « Montagnes », par :
– LONG, Steven A. : Analogia entis : On the analogy of being, metaphysics, and the act of faith. –
University of Notre Dame Press, 2011.
– HOCHSCHILD, Joshua P. : The Semantics of Analogy : Rereading Cajetan's De Nominum Analogia.
– University of Notre Dame Press.
– HOCHSCHILD, Joshua P. : “Proportionality and divine naming: did St. Thomas chenge his mind
about analogy?” The Thomist 77 (2013), p. 531-558.
• Voir aussi Yann Schmitt, L’être de Dieu…, p. 159-171 : « Analogie et réalisme des propriétés ».
Saint Thomas ne distingue pas explicitement entre ces deux analogies dans le présent article. Il se
place directement46 dans le cadre de l’analogie d’attribution, mais l’exposé montre qu’il s’agit pour lui de
l’attribution intrinsèque ; laquelle recouvre l’analogie de proportionnalité des thomistes classiques
considérée dans un cas mixte.
[cf. le corps de l’art. ainsi que ad1 et ad2 où saint Thomas parle de similitude de la créature à Dieu ;
de même : I q4 a2 et 3 ; q13 a2 et 3 ; De Ver. q2 a11. Voir aussi l’article suivant (a6) ad3 où saint Thomas
réaffirme explicitement que les noms divins [du moins certains d’entre eux] ne sont pas dits seulement
causalement [cas de l’attribution extrinsèque], mais essentiellement].
• Notons bien que l’« analogie » est directement une question de logique et de noms, mais selon la
logique réaliste d’Aristote et de saint Thomas : avec fondement dans l’être réel et les formes ou perfections
réelles.
Réponse
Les noms sont dits de Dieu et des créatures, non univoquement ni équivoquement, mais selon
une analogie ou proportion
46Par l’exemple du mot « sanum », qui sert de manuductio ; mais voir ST1 q13 a6 ad3. Ceci est conforme à la démarche théologique
qui part de Dieu se révélant.
– 110 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
ALIO. De même la sagesse signifie en Dieu et dans l'homme une connaissance par la cause la plus haute,
quoique selon des modes divers.
3°) Analogiquement
La raison a déjà été exposée : I q4 a2 et a3, et ici corps de l'art. et ad1 : omnes agens agit simile sibi.
En effet, l'agent agit en tant qu'il est en acte, et il est en acte selon une détermination. Il agit donc selon
cette détermination. L'effet produit est donc semblable à l'agent, selon l'espèce, ou le genre ou au moins selon
l'analogie.
Si on prend la systématisation de Cajetan, on dira qu'il y a :
1) proportion, ou plutôt ordre de la créature à Dieu comme à son principe et à sa cause ; en sorte
que l'être de la créature dépend de l'être divin.
2) proportionnalité : en tant qu'il y a similitude entre l'être de la créature et l'être divin (ou entre
sagesse créée et incréée,...) :
Dieu / son être • • créature / son être
Dieu / toutes choses à connaître • • sage / toutes choses à connaître
Cette similitude est selon une raison qui n'est pas "simpliciter eadem", mais seulement
"proportionnaliter eadem" ; mais la raison est intrinsèque à chaque analogué : la créature est ens
intrinsèquement (elle est "id quod est").
La notion analogue ne peut préscinder parfaitement des analogués parce qu'elle exprime quelque
chose de proportionnellement semblable (par ex. : id quod est) ; et ce qui est proportionnellement
semblable ne peut être conçu sans que soient conçus in confuso les membres eux-mêmes de la
proportionnalité. ("Ens" est "id quod est", aut a se ipso (Deus) aut ab alio (creatura), aut in se
(substantia) aut in alio (accidens).
N.B. 1 : Le concept47 analogue n'explicite pas les analogués, mais il les contient "actu implicite", et
pas seulement "potentialiter" (comme le genre contient les diverses espèces) ; on peut alors faire l'objection
du type scotiste :
- Si dans le concept d'être sont impliqués en acte Dieu et la créature, Dieu se trouvera prédiqué
de tout ce dont on prédiquera l'être...
- Réponse :
Dans le concept d'être sont impliqués Dieu et la Créature, non pas conjunctive, mais
disjunctive. L'être est ce qui est, ou par soi, ou par un autre ; le « ou » est disjonctif.
Remarque : cette réponse classique des thomistes montre bien que le « concept d’être » n’a selon
eux, qu’une unité secundum quid et donc qu’ils ne tombent pas dans l’univocité, contrairement aux
imputations de plusieurs modernes – relayés par certains néo-historico thomistes – en guerre
perpétuelle contre le monstre protéiforme qu’ils nomment « onto-théologie » [on peut mettre un voire
deux traits d’union, selon les goûts…].
N.B. 2 : Ce qui est contenu « actu implicite » dans le concept analogue N’APPARAÎT PAS À
L’ESPRIT PAR LE SIMPLE JEU DE L’ABSTRACTION, ni par une sorte d’intuition à partir du
concept obtenu au niveau de tel analogué. Il faut soit une saisie propre de tel autre analogué [cas typique de
« connaissance » / connaissance « sensible » et connaissance « intellectuelle »], soit une démarche
proprement rationnelle [cas typique de la preuve de l’existence de Dieu].
N.B. 3 : Pour bien comprendre la situation générale de l’utilisation de l’analogie dans la preuve de
Dieu, lire Garrigou-Lagrange, « Note sur la preuve de Dieu par les degrés des êtres chez saint Thomas », RT
1904, 363-381 : [voir les pages 369-371 et les deux notes p. 370].
En outre, si on entend l’analogie comme doctrine formellement logique, elle doit être en réalisme
sous-tendue par la métaphysique et l’épistémologie. La situation épistémologique de l’affirmation « Dieu
47Cette notion de « concept » analogue est très attaquée aujourd’hui par une série de néo-historico-thomistes atteints de la « phobie
du concept ». Ils disent qu’il faut parler d’attribution analogue, ou de jugement, mais non de concept. Observons seulement
qu’attribuer « analogiquement » un concept qui serait intrinsèquement univoque, ce serait tout simplement faire un jugement faux. La
seconde opération de l’esprit assume et achève la première, avec éventuellement une redondance sur elle. Ce « concept analogue »
des thomistes signifie ce que saint Thomas nomme les perfections elles-mêmes « absolute » en ST1 q1 » a9 ad3.
– 111 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
est » – et conséquemment la portée de l’analogie – est étudiée avec profondeur par Guérard des Lauriers, La
preuve de Dieu et les cinq voies, « III. L’épistémologie de la preuve de Dieu », p. 165-219.
Cette étude du Père Guérard permettra notamment au lecteur studieux de « faire le tri » dans les
thèses de Rineau (Penser Dieu : jugement et concept dans la théologie des noms divins d’après saint
Thomas. – Téqui, 2003. – (Croire et Savoir ; 38)
Les noms sont-ils dits des créatures avant d'être dits de Dieu ? (q13 a6)
2°) Les noms qui sont dits proprement de Dieu : 1) sont dits per prius de Dieu quant à la réalité
signifiée, 2) sont dits per prius des créatures quant à l'imposition du nom.
La raison de (1) est que ces noms sont dits de Dieu non seulement causalement, mais
substantiellement (cf. a2) ; la raison de (2) est que, selon la voie de découverte, nous connaissons d'abord les
créatures.
Sur cette question de l’mposition des noms, voir Ramirez, De Analogia, I, p. 380-383, note 4 : longue
note sur significatio et suppositio.
Ramirez cite De Ver q4 a1 ad8 : “ Ad octavum dicendum, quod nomen dicitur ab aliquo imponi
dupliciter: aut ex parte imponentis nomen, aut ex parte rei cui imponitur.
- Ex parte autem rei nomen dicitur ab illo imponi per quod completur ratio rei quam nomen
significat; et hoc est differentia specifica illius rei. Et hoc est quod principaliter significatur per
nomen.
- Sed quia differentiae essentiales sunt nobis ignotae, quandoque utimur accidentibus vel effectibus
loco earum, ut VIII Metaph. dicitur; et secundum hoc nominamus rem; et sic illud quod loco
differentiae essentialis sumitur, est a quo imponitur nomen ex parte imponentis, sicut lapis
imponitur ab effectu, qui est laedere pedem. Et hoc non oportet esse principaliter significatum per
nomen, sed illud loco cuius hoc ponitur. ”
Les noms qui comportent une relation aux créatures sont-ils dits de Dieu
temporellement ? (q13 a7)
Certains noms, comportant une relation aux créatures, sont dits de Dieu dans le temps, et non de toute
éternité.
La raison en est que ces noms sont dits à cause d'un changement, non en Dieu mais dans la créature :
d'où une relation réelle de dépendance de la créature à Dieu, et une relation de raison seulement de Dieu à la
créature. Cela se peut parce que les deux extrêmes ne sont pas du même ordre.
« (…) Cum igitur Deus sit extra totum ordinem creaturae, et omnes creaturae ordinentur ad
ipsum, et non e converso, manifestum est quod creaturae realiter referuntur ad ipsum Deum; sed
in Deo non est aliqua realis relatio eius ad creaturas, sed secundum rationem tantum, inquantum
creaturae referuntur ad ipsum. Et sic nihil prohibet huiusmodi nomina importantia relationem ad
creaturam, praedicari de Deo ex tempore, non propter aliquam mutationem ipsius, sed propter
creaturae mutationem; sicut columna fit dextera animali, nulla mutatione circa ipsam existente,
sed animali translato. » (ST1 q13 a7 in fine)
Voir les exemples différenciés dans l’ad1, ainsi que l’explication de saint Thomas sur les relativa
secundum esse et les relativa secundum dici [cette « catégorie » originale étant assez proche de ce que
les scolastiques nommeront plus tard relation transcendantale].
– 112 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Le nom « Dieu » (Deus, ) est un nom d'opération quant à l'imposition, mais un nom de nature
quant à la chose signifiée.
La raison en est que nous ne connaissons pas immédiatement les essences des choses, et surtout
l'essence de Dieu ; nous les atteignons par leurs opérations (cf. "lapis" = "laedit pedem"). L'opération divine
à partir de laquelle le nom de « Dieu » a été imposé semble être celle par laquelle Dieu connaît et ordonne
(du moins selon Denis, De Div. Nom.,c.12).
Ainsi le mot « Déité » exprime proprement la nature divine.
N.B. : remarquer l'ad 2 pour la connaissance de la nature divine (cf supra p. 101) :
« Sed ex effectibus divinis divinam naturam non possumus cognoscere secundum quod in se
est, ut sciamus de ea quid est ; sed per modum eminentiae et causalitatis et negationis, ut
supra (q12 a12) dictum est. »
Selon ce triple mode de connaissance, saint Thomas ajoute que le mot de Dieu a été imposé pour
signifier quelque chose « existant au-dessus de tout, principe de tout et éloigné ("remotum") de tout ».
Ce nom « Dieu » est incommunicable selon la réalité (au sens propre) ; il est communicable selon
l’opinion et selon une similitude participative ou métaphoriquement.
La raison de la première partie est que la Déité en elle-même est incommunicable aux créatures
(cf.ST1 q11 a3 : unité-unicité de Dieu).
C’est selon l’opinion erronée des polythéistes que les hommes ont parlé de plusieurs dieux.
Par ailleurs, au sujet des justes en qui se trouve la grâce, participation de la nature divine, il est dit
selon une certaine similitude (Ps LXXXI, 6) : ego dixi : dii estis. L’article suivant (ST1 q13 a10) parlera
d’analogie.
N.B. la différence avec le cas des perfections comme être, vivre, intelliger qui sont naturellement
participables ; la Déité n’est pas naturellement participable, mais seulement surnaturellement, par la grâce ;
participation formelle de la Déité telle qu’elle est en soi, i.e. du principe radical des opérations par lesquelles
Dieu se connaît et s’aime.
– 113 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Ce nom, “ Dieu ”, est-il dit univoquement du vrai Dieu, des idoles, des justes ? (q13 a10)
Le nom "Celui qui est" est-il le nom le plus propre de Dieu ? (q13 a11)
Rappels :
• BIJU-DUVAL, « Dieu avec ou sans l’être ? », RT 1995, 547-565.
• CENTRE D'ÉTUDES DES RELIGIONS DU LIVRE (directeur) : Dieu et l'être : Exégèse d'Exode 3,14 et
de Coran 20,11-24. - Études Augustiniennes, 1978 – (Études Augustiniennes).• HUMBRECHT,
Théologie négative et Noms divins…, p. 43-47, en particulier p. 44 note 3.
2°) Cependant, quant à ce que veut signifier le nom, le nom "Dieu" est plus propre, puisqu'il sert à
désigner l'essence divine, savoir la Déité, qui contient eminenter formaliter "esse, vivere, intelligere".
- "Bien suprême" est le nom principal de Dieu au point de vue de la causalité, en tant qu'il est fin de
toutes choses. Mais "Celui qui est" est son principal nom absolu.
– 114 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Peut-on former des propositions affirmatives sur Dieu? (q13 a12)
2°) En toute proposition affirmative vraie, le prédicat et le sujet [grammaticaux] signifient la même
chose selon la réalité [selon le sujet, le suppôt ou quasi suppôt réel], et des choses différentes selon la raison
[la notion].
Or Dieu est certes absolument simple en lui-même, mais notre intellect le connaît selon des concepts
divers.
Ad 1) aucun nom ne se dit proprement de Dieu quant au mode de signifier (cf. a3).
Il ne s'agit pas ici de la nature de Dieu telle qu'elle est en soi ; alors en effet le constitutif formel est la
raison formelle absolument propre et éminente de la Déité, qui contient en acte explicite tous les attributs de
Dieu, lesquels s'identifient dans la simplicité de la Déité.
Il s'agit de la nature de Dieu telle que nous la connaissons, analogiquement et très imparfaitement.
Nous cherchons si, parmi toutes les perfections divines, il s'en trouve une qui est comme la racine des autres
(comme dans la nature humaine la rationalité est la racine des diverses propriétés de l'homme). Alors la
nature divine, considérée selon notre mode imparfait de connaître, est virtuellement distincte des attributs
divins ; elle les contient en acte implicite ; ensuite, ces attributs sont explicitement déduits.
Certains (comme Billuart) ajoutent, dans l'état de la question : il ne s'agit pas de la nature divine
sous la notion la plus commune et transcendantale d'être incréé, qui se retrouve dans tous les
attributs, de la même façon que la "ratio entis creati" se trouve dans toutes les différences des
créatures.
Garrigou-Lagrange rejette cette distinction faite en Dieu entre les éléments communs et les éléments
spéciaux, comme manquant de fondement. Car Dieu n'est pas dans un genre, même selon notre mode
de connaître. De même dans une créature nous pouvons distinguer les éléments transcendantaux
communs à tout du genre et des espèces ; mais cette distinction ne vaut pas en Dieu, car Dieu n'est
pas dans un genre et les transcendantaux : ens, unum, etc. ont un mode tout à fait spécial en Dieu :
Dieu les a "a se ipso".
Il ne répugne donc pas a priori que le constitutif de la nature divine soit l'Ipsum esse subsistens,
terme des cinq voies dans l'ordre ascendant et commencement de la déduction des attributs.
N.B. Maquart, Elementa..., III, II, 360-362 semble suivre une voie moyenne en distinguant le
constitutif de l'essence et le constitutif de la nature.
1°) Les Nominalistes répondent : Dieu est une collection de perfections, il n'y a pas à rechercher de
priorité logique de l'une sur les autres. De plus : entre les attributs divins il n'y a qu'une distinction de raison
raisonnante, où même purement verbale (comme entre Tullius et Cicéron). De cette position suit que les
– 115 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
noms divins sont synonymes. L'agnosticisme s'ensuit logiquement, et toute la science de Dieu s'écroule. C'est
pourquoi, autrefois, les Nominalistes ont été éjectés de l'Université de Paris.
2°) Scot, à l'opposé, admet entre les attributs divins sa distinction "formelle-actuelle" "ex natura rei",
qui précède la considération de notre esprit. Et à la question il répond : le constitutif formel de la nature
divine est l'infinité radicale, qui exige les divers attributs divins.
Les Thomistes répondent : l'infinité radicale, ou exigence de toutes les perfections, ne constitue pas
la nature divine mais la présuppose et est fondée en elle. C'est l'essence même de Dieu qui exige toutes
les perfections qui s'en déduisent. En outre, l'infinité de Dieu se déduit du fait qu'il est l'Ipsum esse
subsistens (I q7 a1).
De plus, l'infinté est un mode de tout attribut.
Enfin, la distinction formelle-actuelle est déjà réelle ; elle est donc exclue de la simplicité absolue de
Dieu en qui, comme le dit le Concile de Florence (D 703) "omnia sunt unum ubi non obviat relationis
oppositio" laquelle existe seulement entre les personnes divines.
3°) Plusieurs Thomistes à partir du XVIIe siècle (Jean de Saint-Thomas, les Salmanticenses, Gonet,
Billuart...) tiennent que le constitutif de la nature divine est l' « Ipsum intelligere subsistens ».
Argument principal : la nature divine doit être constituée par le suprême degré d'être. Or on distingue,
dans l'ordre ascendant : esse, vivere, intelligere. Donc...
Selon eux l'"Ipsum esse subsistens" se trouve en Dieu comme quelque chose de transcendantal, non de
spécifique. Mais, comme on l'a noté (p. 115) cette distinction est sans fondement en Dieu.
4°) Beaucoup d'autres théologiens, parmi lesquels plusieurs Thomistes, tiennent que ce constitutif est
l'Ipsum esse subsistens. Parmi les Thomistes citons : Capréolus, Bañez, Ledesma, Contenson, Gotti,
récemment Del Prado, Billot, Garrigou-Lagrange.
Cette position est retenue dans la 23e thèse thomiste approuvée par la Sacrée Congrégation des études
en 1914.
Pour Suarez, il vaut mieux placer ce constitutif dans le fait même de l'Aséité. On lui répond : la
raison de ce fait est qu’en Dieu seul l'essence et l'être sont identiques, i.e. que Dieu seul est l'Ipsum
esse subsistens.
Suarez parle ainsi parce qu'il n'a pas reconnu la distinction réelle entre l'essence créée et l'être.
5°) Pour certains, le constitutif formel de la nature divine est l'Ipsum bonum per essentiam. Cf. Platon,
Plotin. Tendance qui demeure chez plusieurs augustiniens (par ex. Pierre Lombard), bien qu'ils n'aient pas
traité explicitement notre question.
Les Thomistes répondent (cf. I q5 a2) : Dieu n'est le Bien suprême que parce qu'il est la plénitude
d'être ; la notion d'être est plus absolue, plus simple, plus universelle ; le bien ne peut être conçu que comme
l'être parfait appétible, perfectionnant l'appétit. On concède que sec. quid, savoir "in causando, non in
essendo" le bien est antérieur à l'être ; parce que la fin est la première des causes. Ainsi, par rapport à nous,
Dieu est principalement considéré comme Souverain Bien, notre fin ultime ; mais en lui-même Dieu est
l'Ipsum esse subsistens, et il en serait ainsi même s'il n'avait rien créé, et n'était fin d'aucune créature.
6°) Selon certains modernes, partisans du volontarisme et du libertisme absolu (Sécrétan, Lequier), le
constitutif formel de la nature divine est la liberté divine. Car Dieu est "ratio sui" et rien n'est plus "ratio sui"
que la liberté. Dieu détermine librement même ce qui concerne sa vie intime : "Je suis ce que je veux être
très librement". Tendance apparue avec Descartes, selon qui les vérités éternelles (même celle du principe de
contradiction) dépendent du libre arbitre de Dieu. Quelque chose de similaire se trouvait chez Ockham qui
tenait que Dieu aurait pu nous commander l'homicide ou l'irréligion (contra cf. De Ver. Q23 q6).
• Contre : la liberté d'élection suppose la délibération de l'intelligence ; autrement elle ne se distingue
pas du hasard, cause par accident qui ne peut être cause première. La première liberté présuppose donc l'être
suprême et la première intelligence.
– 116 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
D'après la doctrine de Saint Thomas, le constitutif formel de la nature divine est l'Ipsum esse
subsistens
2°) Cette position correspond à ce que dit saint Thomas I q13 a11 : ce nom « Qui est » est
maximalement propre à Dieu (trois raison, cf.).
3°) Cette position est confirmée par la solution de l'argument principal des opposants.
Cette réponse est donnée par saint Thomas, I q4 a2 ad3 : il faut distinguer entre l'esse participé, qui
peut être sans l'intelligence ou sans la vie, et l'esse per se subsistens qui est la plénitude de l'être, incluant
toutes les autres perfections actu-implicite. Cf. De même I-II q2 a5 ad2.
Cette question concerne la cognoscibilité de Dieu par nous ; c'est une réflexion sur le traité de l'être
divin ; elle est justement abordée par saint Thomas (brièvement) dans la question 13. Les débats avec le
nominalisme ou le formalisme scotiste ont poussé beaucoup de théologiens à examiner cette question par
manière d'introduction.
Dans cette question des attributs divins, tous distinguent les perfections simpliciter simplices, qui
n'incluent aucune imperfection des perfections secundum quid ou mixtes qui comportent une imperfection
même dans leur signifié formel (cf. la distinction entre « intelliger » et « raisonner »). Par contre certains ne
distinguent pas suffisamment les attributs divins (perfections simples) de l'action libre de Dieu et des
Personnes divines. Ces dernières, quoiqu'elles n'incluent aucune imperfection, ne sont pas proprement des
perfections simples.
Attributum divinum est perfectio absoluta simpliciter simplex, necessario et formaliter in Deo
existens, et ad essentiam constitutam modo nostro concipiendi consequens.
(Cf. saint Jean Damascène, La foi orthodoxe, 1, 12 ; saint Tho. I q3 a3 ad1 ; q13 a4 ad2, ad3).
1°) Il s'agit de l'attribut proprement dit, non de tout ce qui est prédiqué de Dieu, même non
nécessairement (cf. 4°) ou relativement (cf. 2°).
2°) On dit perfection absolue, non pour exclure les perfections qui disent un rapport aux créatures
(providence, miséricorde, justice, toute-puissance...) mais pour exclure les relations divines qui, n'étant pas
– 117 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
communes aux trois personnes, n'ont pas raison d'attribut. L'attribut en effet est une propriété de la nature et
est commun au trois Personnes.
3°) On dit perfectio simpliciter simplex pour exclure la perfection secundum quid ou mixte, qui inclut
essentiellement une imperfection.
La perfection simpliciter simplex proprement dite est celle qui n'inclut aucune imperfection dans sa
raison formelle, ET qu'il est meilleur d'avoir que de ne pas avoir.
La seconde caractéristique est ajoutée pour manifester en quoi l'acte libre de création et les relations
divines ne sont pas des perfections simples au sens propre. Il n'est pas meilleur pour Dieu d'avoir l'acte libre
de création que de ne pas l'avoir ; il n'y aurait eu aucune aucune imperfection en Dieu s'il n'avait pas créé
(contre Leibniz) et Dieu ne devient aucunement meilleur par cet acte. De même le Père (par ex.) manquerait
d'une perfection simple si la relation de filiation en était une.
4°) « Existant nécessairement en Dieu » : par mode de propriété de la nature ; cela exclut les actes
libres de Dieu.
5°) « Existant formellement en Dieu » : cela exclut de nouveau les perfections mixtes qui sont en Dieu
seulement virtuellement.
6°) « Comme faisant suite à l'essence » : pour exclure la nature divine elle-même d'abord conçue.
Les théologiens divergent, certains considérant davantage la question quoad nos, d'autres quoad Deum
in se.
Suarez et plusieurs autres, parlant plus quoad nos, divisent les attributs divins en attributs positifs
(bonté, sagesse, justice,...) et négatifs (incorporéité, infinité, immutabilité...). Ils notent que la plupart des
attributs négatifs sont incommunicables (ne peuvent être participés).
On objecte que certains attributs exprimés négativement sont en soi positifs (comme l'infinité,
l'incorporéité (= spiritualité), l'immutabilité (= stabilité suprême)...). Cette division est trop quoad nos.
Saint Thomas (I q3 prol. et q14 prol.) divise les attributs par rapport à Dieu considéré en lui-même. Il
distingue ceux qui concernent la substance divine et ceux qui regardent son opération. Dans la première
catégorie : simplicité, perfection, bonté, infinité, immensité, immutabilité, éternité, unité, invisibilité,
ineffabilité. Dans la seconde : science, volonté, amour, sous lesquels se trouvent : justice, miséricorde,
providence, comme vertu de la volonté et de l'intelligence ; enfin quant à l'opération virtuellement transitive :
puissance créatrice, conservatrice, gouvernante (cf. Q25).
La division de saint Thomas est première et fondamentale ; celle de Suarez est plutôt une subdivision
(mentionnée par saint Thomas I q13 a2) ; une autre subdivision est celle qui partage les noms divins dits
absolument (perfection, simplicité...) et ceux qui sont dits relativement aux créatures (providence,
miséricorde, justice, toute-puissance...).
Comment les attributs divins se distinguent-ils entre eux et de l'essence divine ?
Il existe trois positions principales. Elles découlent des diverses solutions données au double problème
des universaux et de l'analogie des noms divins.
1°) Les Nominalistes n'admettent entre les attributs qu'une distinction de raison raisonnante (comme
entre le sujet et le prédicat quand on dit Pierre est Pierre), voire purement verbale.
– 118 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
• Fondement : 1/ l'universel n'existe en aucune façon dans les choses : il n'y a que des individus, sans
véritable similtude essentielle et immuable selon l'espèce, le genre, les transcendantaux ; 2/ Donc rien ne
peut être commun selon le sens propre entre Dieu et les créatures, pas même analogiquement : seulement
métaphoriquement ou symboliquement.
• Critique : les noms divins seraient alors synonymes ; contre la raison, l'Écriture, la Tradition on
pourrait dire « Dieu punit par miséricorde et pardonne par justice ». Dieu serait absolument inconnaissable,
le traité De Deo impossible. Toutes les définitions de l'Église sur les attributs divins seraient synonymes.
Cette position détruit l'analogie de l'être et conduit à la pure équivocité. Cf. ci-dessus ST1 q13 a2-a5.
2°) Scot tient que l'essence divine se distingue des attributs et des Personnes, et que les attributs se
distinguent entre eux, par sa distinction formelle-actuelle ex natura rei, qui précède la considération de notre
esprit.
• Le fondement de cette thèse est le réalisme immodéré, selon lequel dans une chose les degrés
métaphysiques se distinguent réellement (dist. act.-for.) : ainsi dans Pierre l'humanité, la vitalité, la
substantialité, l'entité. Il s'ensuit que l'être est univoque entre Dieu et les créatures, comme Scot le soutient
explicitement : il se distingue en effet réellement des modalités de l'être.
• Critique : La distinction de scot, étant réelle, est plus que la distinction virtuelle (de raison fondée
dans la chose) et appliquée à Dieu s'oppose à sa souveraine simplicité (cf. D 703). On arrive à un certain
anthropomorphisme, en posant en Dieu des distinctions qui n'existent que dans l'esprit humain.
Les degrés métaphysiques ne sont pas distincts en acte dans la chose, car ils se réduisent au même
concept (par ex. d'humanité, pour Pierre, dont l'animalité est le genre et la rationnalité la différence
spécifique). Ils correspondent à la même réalité qui est une en soi mais virtuellement multiple.
En outre, si l'être se distinguait formaliter-actualiter de ses modalités, celles-ci seraient en dehors de
l'être : elles ne seraient rien. D'où le péril de panthéisme : si l'être est univoque, il est unique car l'univoque
n'est diversifié que par des différences extrinsèques, et hors de l'être il n'y a rien. En fait, l'être est inclus dans
ses modalités et les contient en acte implicite. C'est pourquoi l'être est analogue. L'être (ens) exprime quelque
chose qui n'est pas simpliciter mais proportionaliter le même dans l'Ens a Se, l'ens substantiel créé,
l'accident. En outre cette doctrine de Scot est peu conforme à la déclaration du Conc. de Latran IV (D 432,
cf. citation p. 38).48
48Sur la distinction scotiste, cf. Jean de Saint-Thomas, in I q3, disp. IV a6, n° XVII et XXII. Édit. Vivès, T.I., p.624 et 627 ; ou
Gredt, Elementa Philosophiae, T.I, thèse VII (p. 103 pour l’ed. 5).
– 119 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
Donc les attributs divins se distinguent entre eux et de l'essence divine d'une distinction virtuelle
mineure : non par mode d'excluant et d'exclu, mais par mode d'implicite et d'explicite.
En d'autres mots, la nature de Dieu conçue par nous (Ipsum Esse subsistens) contient les attributs
plus que virtuellement (plus que le genre contient les différences extrinsèques) : elle les contient en
acte implicite. Mais le discours est nécessaire pour les déduire d'elle. La Déité telle qu'elle est en soi les
contient en acte explicite.
Donc tous les attributs se contiennent actu implicite, s'incluent mutuellement.
Même cette distinction virtuelle mineure n'existe proprement qu'entre les attributs qui sont spécifiés
diversement et appartiennent à des « lignes diverses » [d’intelligibilité] (ex. : entre intelliger et vouloir, ou
entre justice et miséricorde). Elle n'existe pas entre les attributs qui, dans les créatures se distinguent
seulement comme puissance et acte : intelligence et intelliger, volonté et vouloir49... Ceux-ci ne se
distinguent virtuellement en Dieu qu'extrinsèquement, c'est-à-dire avec un fondement non dans la réalité
divine, mais dans les créatures. Autrement quelque chose de potentiel serait conçu en Dieu avec un
fondement dans la réalité divine. Le double fondement de cette position est 1) le réalisme modéré (l'universel
existe fondamentalement dans la chose) ; 2) l'analogie de l'être.
En quel sens les perfections divines sont en Dieu "formaliter eminenter" ?
1°) Les perfections simples sont dites être formellement en Dieu en tant qu'elles sont en lui
substantiellement et proprement. Substantiellement, c'est-à-dire pas seulement causalement (Dieu est bon
ne signifie pas seulement, contre Maïmonide, Dieu est cause de la bonté dans les choses). Proprement, et pas
seulement métaphoriquement (Dieu est juste au sens propre ; Il est en colère seulement métaphoriquement).
La raison de cette double assertion est que les perfections simples (comme la bonté, la sagesse...) ne
comportent aucune imperfection dans leur signifié formel, en tant qu'il se distingue du mode fini selon
lequel ces perfections se réalisent dans les créatures. Il est alors manifeste que la cause première doit avoir
éminemment en elle toutes ces perfections des créatures n'incluant aucune perfection.
3°) Ces perfections sont dites de Dieu analogiquement. (Cf. Garrigou-Lagrange p. 319-320)
1°) Le mode éminent selon lequel les attributs divins se réalisent en Dieu demeure caché en soi ; il
n'est exprimé que négativement et relativement. On dit ainsi : sagesse non finie, sagesse suprême.
2°) Les raison formelles de chaque perfection simple se trouvent élevées en Dieu dans une seule
raison formelle d'ordre supérieur, la raison de Déité, en laquelle elles s'identifient. Ainsi ces raisons
formelles sont formellement en Dieu, mais n'y sont pas formellement distinctes.
En ce qui concerne l’unicité de la raison formelle de déité, on peut se référer à ST2-2 q81 a3 ad1 :
49 Le cas de essence et être est spécifique : cf. 4 CG 11 : « in Deo est quicquid pertinet ad rationem vel subsistentis, vel essentiae,
vel ipsius esse: convenit enim ei non esse in aliquo, inquantum est subsistens; esse quid, inquantum est essentia; et esse in actu,
ratione ipsius esse. »
– 120 –
De Deo Uno – Réflexion épistémologique
« Ad primum ergo dicendum quod tres personae divinae sunt unum principium creationis et
gubernationis rerum, et ideo eis una religione servitur. Diversae autem rationes attributorum
CONCURRUNT ad rationem primi principii, quia deus producit omnia et gubernat sapientia, voluntate
et potentia bonitatis suae.
Et ideo religio est una virtus. »
– 121 –
Attributs divins opératifs
La science de Dieu (q14)
Après avoir étudié ce qui concerne la substance divine, nous passons à l'examen des opérations de
Dieu.
On traitera d'abord les opérations immanentes : intelliger et vouloir ; ensuite les opérations
virtuellement transitives, avec étude de la puissance de Dieu.
Réponse
– 122 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
– donc l'immatérialité est la raison propre pour laquelle une chose est connaissante. Ce qui fonde la
2ème partie sur le mode.
Cette doctrine sur la racine de la connaissance n'est comprise ni par le matérialisme, ni par
l'idéalisme subjectif, ni même par la phénoménologie de type transcendantal [pour qui « les objets de
la nature sont constitués, au sein d’une conscience transcendantal »50].
Le matérialisme nie l'immatérialité du principe de la connaissance ; pour lui la connaissance n'est
qu'un épiphénomène du physico-chimique.
L'idéalisme subjectif n'admet pas que le connaissant connaisse vraiment un autre que soi : il ne
connaîtrait que ses modifications subjectives.
Ces deux systèmes extrêmes ne comprennent pas ce qu'est le changement intentionnel nécessaire
à notre connaissance, au-delà du changement physique, organique, déjà présent dans une plante sans
connaissance. Or, tandis que la réception physique ou matérielle s'approprie la forme reçue, qui
devient ainsi la forme propre du sujet, la réception intentionnelle ou immatérielle ne s'approprie pas la
forme reçue, qui reste forme de l'autre. L'animal qui voit le soleil ne reçoit pas la forme du soleil
comme sienne, mais comme forme du soleil (la plante chauffée reçoit cette chaleur comme sienne).
C'est pourquoi le connaissant et le connu sont plus un que la matière et la forme. La matière ne
devient pas la forme qu'elle reçoit ; le connaissant, d'une certaine façon (= intentionnellement ou
représentativement) devient l'objet connu, devient l'autre que soi.
Cf. I q78 a3 ; I q75 a3 ; De Ver. Q2 a1.
(Remarquons que la faculté sensitive est déjà en quelque façon élevée au-dessus des conditions de la
matière, tout en demeurant intrinsèquement dépendante de l'organisme).
Le connaissant devient d'abord intentionnellement l'autre in actu primo par l'espèce impresse de la
chose connue, puis il devient l'autre in actu secundo lorsqu'il connaît actuellement la chose
extramentale. Il ne sort pas spatialement de lui-même, car connaître est un acte immanent ; mais il
devient intentionnellement l'autre, en tant que l'espèce intentionnelle et la connaissance elle-même ont
une relation essentielle à la chose connue.
Ce sujet a été traité en détail par LEBÈGUE, Thomas ( o.s.b.) : L'immatérialité racine de la
connaissance d'après les principes de la philosophie aristotélico-thomiste. - 1948.Vu l’importance et la
difficulté de cette question, nous donnons ici le COMMENTAIRE DE CAJETAN sur cet article.
TITULUS. Scientia : nomine scientiae intelligimus cognitionem intellectivam certam et evidentem.
In corpore una conclusio, responsiva quaesito affirmative : In Deo est scientia perfectissime. – Probatur.
Immaterialitas est ratio quod aliquid sit cognoscitivum; et secundum modum immaterialitatis est modus cognitionis. Sed
Deus est in summo immaterialitatis. Ergo Deus est in summo cognitionis : quod est habere perfectissime scientiam.
Maior habet duas partes, et quoad utramque probatur. Quoad primam partem, dupliciter. Primo, ratione, sic. Esse
cognoscens est ex habere formam suam et alterius : ergo ex amplitudine naturae : ergo ex immaterialitate. Antecedens
probatur : quia in hoc differt cognoscens a non cognoscente. Prima vero consequentia ex se est evidens : quia quod est
ipsum et alia, est magis amplum quam quod est ipsum tantum. Et confirmatur auctoritate III de Anima: anima est
quodammodo omnia. Secunda vero consequentia probatur ex dictis in qu. VII, quod coarctatio formae est ex materia, et
infinitas formarum per recessum a materia. – Secundo probatur maior auctoritate Aristotelis, II de Anima, quod plantae
non cognoscunt, propter suam materialitatem.
Quoad secundam vero partem, probatur maior ex gradibus cognoscendi in sensu et intellectu. Ille enim
cognoscitivus est, quia receptivus specierum sine materia: iste magis, quia separatus et immixtus, ut dicitur III de Anima.
Minor autem ex supradictis est nota.
II. Circa differentiam assignatam inter cognoscentia et non cognoscentia, dubitatur. Aut,, cum dicitur quod
cognoscens natum est esse etiam alia, intendis quod ly esse intelligatur per identitatem : et sic falsum est, quoniam anima
intellectiva non est nata esse idem quod lapis, quod bos, etc. Aut per informationem: et tunc, aut per intentionalem, et sic
est falsa differentia, quia aer est non cognoscens, et tamen recipit colores intentionalite : aut naturalem, et tunc est
falsissima, tum quia lapis non est in anima, tum quia non cognoscentia hoc modo sunt alia.
Similiter ly alia aut stat pro omnibus: et sic est falsum, quia sensus non est natus esse omnia, sed quaedam. Aut
pro quibusdam : et sic differentia est nulla; quoniam commune est omnibus quae apud nos sunt, esse non solum ipsa, sed
quaedam alia aliquo modo, scilicet per informationem ; quoniam omnia non solum sunt substantiae in se, sed habent ad
minus sua accidentia conformia naturis propriis ; ignis enim non solum est ignis, sed leve, rarum, lucidum, calidum. Et
quemadmodum haec habent sua accidentia, ita cognoscens habet sua propria accidentia, species intentionales. Unde in
hoc nulla apparet differentia inter cognoscentia et non cognoscentia.
III. Ad evidentiam huius difficilis ac ardui fundamenti magnae partis metaphysicae ac philosophiae naturalis, duo
facienda sunt : primo, formaliter dicendum est ad obiectiones ; secundo, radix omnium producenda est in lucem *. [* Cf.
num. seq.]
50 Voir Michel Bitbol, La conscience a-t-elle une origine ? – Flammarion, 2014. Voir p. 587 et passim. Cet ouvrage, d’ailleurs très
riche et utile pour connaître et critiquer les grands courants actuels de la neurologie réductionniste, est malheureusement parcouru par
la position phénoménologique prise par l’auteur, qui ne semble pas connaître le réalisme modéré de type aristotélicien ou thomiste.
– 123 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Ad obiecta facile dicitur, quod ly esse abstrahit a modis essendi per identitatem aut informationem : et similiter ly
alia abstrahit ab omnibus aut quibusdam : sicut etiam ly cognoscitivum abstrahit a tali et tali cognoscitivo. Aliquod enim
cognoscens est, quod est omnia per identitatem, ut Deus ; aliquod, quod est aliqua per identitatem, et aliqua per
informationem, ut angeli; aliquod, quod est omnia per informationem, ut anima nostra; aliquod, quod est aliqua per
informationem, ut anima pure sensitiva. Et propterea differentia in communi posita, abstrahit ab omnibus his modis, ut
nullus excludatur, sed omnes in confuso contineantur.
IV. Radix autem ista elucescit , si intuemur per se differentiam inter modum quo cognoscens est cognitum, et quo
materia habet formam. Et similiter, quam differenter fit unum ex cognoscente et cognito, et materia et forma : idem enim
iudicium est de esse et de uno, cum eandem naturam significent, ut in IV Metaphys. * dicitur. [*Cap. II. Did. Lib. III,
cap. II, n. 5]
Sciendum est ergo quod per se differentia in hoc est, quod cognoscens est ipsum cognitum actu vel potentia,
materia autem nunquam est ipsa forma. Ex hac differentia quoad esse, sequitur differentia quoad unitatem : quod scilicet
cognoscens et cognitum sunt magis unum quam materia et forma, ut egregie dixit Averroes in III de Anima, comm. V *
[*Digressionis parte ult., in solutione qu. II]. Et rationem reddidit modo dictam, quia ex intellectu et intellecto non fit
tertium, sicut ex materia et forma : assignando enim pro ratione maioris unitatis exclusionem tertii, aperte docuit
unitatem consistere in hoc, quia unum est aliud. Unde Aristoteles, in III de Anima * [*Cap. VIII, n. I], hoc idem praedocuit,
dicens quod anima est omnia sensibilia et intelligibilia.
Ostenditur autem hanc esse veram per se differentiam, ex eo quod omnes communes animi conceptiones et
conclusiones ei consonant : scilicet, quod accidit cognoscitivo et cognito diversitas inter ea, et similiter compositio eorum ;
et similiter, quod cognitum habeat esse intentionale in cognoscente ; et quod in nulla natura possunt adeo elevari materia
et forma, subiectum et accidens, ut unum sit idem alteri, salvis rationibus eorum, ut de cognoscente et cognito
comperimus.
V. Necessitas autem hoc ponendi, ex duabus nascitur positionibus. Altera est : unumquodque operatur secundum
quod est actu, III Physic. * [* Cap. II, n. 6. ] Altera est : cognitum est principium specificativum cognitionis, ex XII
Metaphys. * [*Cap. VIII. Did. Lib. XI, cap. IX, n. 2, 5]. Ex his sequitur quod, cum cognoscens debeat esse sufficiens
principium suae propriae operationis, quae est cognoscere, quia hoc omnibus perfectis naturis commune est, oportet quod
sit specificativum principium illius : quod est esse cognitum.Et si his adiungas ex II Caeli, text. comm. XVII * [* Cap. III, n.
1], quod unumquodque est propter suam operationem, sequetur quod natura cognoscitiva est talis secundum se, ut sit
actu vel potentia ipsum cognitum : quod est esse non solum ipsa, sed alia, ut in littera dicitur.
VI. Et si haec comparaveris ad reliqua entia, videbis differentiam inter cognoscentia et non cognoscentia
manifestari ex hoc. Reliqua namque entia aut recipiunt formas propter ipsarum formarum operationes; aut propter
operationem tertii, compositi ex recipiente et recepto. Exemplum primi in aqua calida, et universaliter in subiecto et
accidentali forma : calefactio enim non est propria operatio aquae, sed caloris. Et idem est iudicium, quoad hoc, de aqua
frigida: licet enim frigiditas sit naturalis potentia aquae, frigefacere tamen frigidi, non aquae, propria est operatio.
Exemplum secundi patet in formis substantialibus: materia enim non recipit formam propter operationem ipsius materiae,
sed compositi ex ipsa et forma. Cognoscens autem recipiens cognitum, non recipit ipsum propter operationem alicuius
compositi resultantis ex eis, neque propter operationem ipsius cogniti ; sed propterspecificationem propriae operationis
ipsius cognoscentis. Visus enim recipit visibile propter speciem visionis, quam constat esse visus propriam operationem.
Nec obstat quod visibile, ut receptum in visu, sit accidens, et visus sit subiectum: quoniam hoc est per accidens,
idest ex necessitate materiae, et non est per se primo intentum. Forma enim, intentio, seu species visibilis, non
inquantum accidens, sed inquantum visibile * [* et Add. P] transiens in visum, specificat : sed quia hoc non patitur talis
natura sensibilis nisi per intentionem esse, ideo, gratia materiae, concurrit accidens. Non tamen destruit per se intentum,
sed in gradu minus perfecto constituit. Ut enim alibi * [* Qu. LV, art.3] discutiendum est, et ab Averroe XII Metaphys. *
[* Comm. LI] et III de Anima * [*Comm. VIII] habetur, cognoscens et cognitum non eadem intensione in omnibus sunt
unum, sed magis et minus diminute ; adeo quod in solo Deo sunt omnino idem.
VII. Et sic patet sensus differentiae assignatae * [*Cf. num. II], et quam subtiliter naturam cognoscentium tradidit
hic divus Thomas. Quam in hoc consistere, non solum ex Aristotele et Averroe, ut patet ex dictis, sed etiam ex Alberto
ostenditur in tractatu de Intellectu et Intelligibili * [* Lib. I, tract. III, cap. I]. Et hoc diligentissime oportet pro fundamento
habere, quoties de intellectu est sermo : quoniam ex eo multarum quaestionum conclusiones pendent, puta de concursu
obiecti et intellectus ad intellectionem, et sirniliter de concursu speciei intelligibilis, etc. Et hinc apparebit quam rudes
fuerint, qui de sensu et sensibili, intellectu et intelligibli, deque intelligere et sentire tractantes, tanquam de aliis rebus
iudicant. Et disces elevare ingenium, aliumque rerum ordinem ingredi.
Objections
1/ Il existe beaucoup de choses immatérielles qui ne sont pas connaissantes : exemple : la volonté et
ses habitus.
– 124 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- On distingue : il n'y a pas de suppôts immatériels non connaissants ; il y a seulement des principes
opératifs ; et ceux-ci tout en n'étant pas élicitivement cognoscitifs sont de l'ordre cognoscitif et suivent la
connaissance.
2/ Dans le milieu matériel (air etc.) les espèces sont reçues matériellement comme inhérentes, mais
non formellement comme intentionnelles. Et même, c'est plutôt la vertu par laquelle est produite l'espèce
impresse dans le sens qui est reçue dans l'air.
3/ Les anges ne sont également immatériels que négativement : « sans matière » ; mais ils ne
participent pas également à la vie intellectuelle.
Difficultés
Selon notre mode imparfait, nous ne connaissons notre âme que par une connaissance réflexive,
supposant une connaissance directe d’autre chose. Une telle multiplicité d'actes ne peut être en Dieu.
En outre la connaissance se fait par une certaine assimilation à la chose connue, avec une certaine
dualité du sujet et de l'objet : celle-ci ne peut se trouver en Dieu très simple. Cf. Plotin : la Suprême
Hypostase, l'Un-Bien, est au-dessus de la seconde, qui est l'Intelligence, en qui se trouve la dualité sujet-
objet51.
Cette objection est reprise par des panthéistes modernes selon qui Dieu ne peut être personnel (=
intelligent et libre) car l'intellection suppose la dualité qui ne peut être sans l'Absolu simplissime.
Réponse
Dieu se connaît intellectuellement lui-même par Lui-même
1°) Cela est de foi selon l'Écriture Sainte : "ita et quae Dei sunt, nemo cognovit, nisi Spiritus Dei."
(I Cor. II, 11).
2°) L'intelligible n'est intelligé que s'il est un avec l'intelligent (au moins par une certaine
représentation). Et il n'y a de distinction entre les deux que parce que l'un et l'autre se trouvent en puissance ;
c'est-à-dire : parce que l'intelligent n'est pas de soi intelligent en acte et que l'intelligible n'est pas de soi
intelligé en acte.
Or Dieu, qui est intelligent et dont l'essence est intelligible, est sans aucune potentialité.
Donc Dieu s'intellige Lui-même par Lui-même, en sorte qu'en lui l'intellect et l'objet primaire intelligé
sont le même sous tous les rapports : donc sans la dualité que Plotin croyait nécessaire à l'intellection.
- La Majeure se prouve à partir du fait que l'intellection est un acte immanent, dont l'objet n'est pas
intelligé en acte si ce n'est dans l'intellect lui-même. Ainsi pour notre intellect, lorsque nous
intelligeons la nature de la pierre : cette nature, dans la pierre, est seulement en puissance intelligible,
et elle n'est intelligée en acte que dans l'intellect. Et il n'y a pas de distinction entre notre intellect et
cet intelligible, si ce n'est parce que l'un et l'autre sont en puissance (avant l'acte) ; mais dans
l'intellection actuelle, l'intellect et l'intelligé sont plus un que la matière et la forme, comme on l'a dit.
- La mineure découle de ce qu'on a déjà vu : Dieu est Acte pur, sans aucune potentialité.
Donc son intellect est de soi, de toute éternité, toujours en acte ; et son essence est non pas
seulement intelligible en puissance (comme celle de la pierre), ni seulement intelligible en acte (comme
51 Sur ce sujet : Stef. Deandrea, o.p., « L’identità dell’essere e del conoscere nella Verità divina », Angelicum 1938 (4), 465-514. Voir
p. 477 sq pour la critique de Plotin et la question de la connaissance dans l’UN.
– 125 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
l'essence de l'ange) mais elle est de soi, de toute éternité intelligée en acte : et donc en aucune
manière distincte de l'intellection qui en est faite.
Cela revient à dire : quand l'intellect et son objet sont purifiés de toute potentialité ou imperfection,
ils s'identifient. Cf. Déjà Aristote, Méta, XII, 9.
3°) Cf. Ad2 : intelliger n'est pas proprement un mouvement, mais l'acte de l'agent lui-même (le
mouvement proprement dit est dans le mobile, ab agente).
Ainsi l'intellect divin qui n'est aucunement en puissance n'est pas perfectionné par l'intelligible, ni
assimilé à lui : il est sa perfection et son intelliger.
Ad 3 : Dieu est Acte pur, tant dans l'ordre des existants que dans l'ordre des intelligibles. C'est
pourquoi il se connaît lui-même par lui-même, sans espèce impresse ou expresse accidentelle surajoutée.
Raison
Quelque chose est proprement compris quand il est connu comme il est connaissable, selon une
pénétration suprême adéquate.
Or en Dieu la vertu cognoscitive égale l'actualité connaissable : car son intellect n'est aucunement en
puissance, il est acte pur dans la ligne de l'intellection, comme son être est acte pur dans la ligne de l'être ; et
les deux s'identifient, comme on l'a vu.
Ainsi, tandis que l'homme reste un mystère pour lui-même (Jér. XVII, 9 : "inscrutabile cor hominis" ;
et I Cor. IV, 4 : "neque me ipsum judico, qui autem judicat me, Dominus est"), Dieu se connaît de façon
parfaite.
C'est là une conclusion évidente et très claire, même quoad nos.
Nous avons déjà vu, a2 que l'intellect divin est absolument la même chose que l'essence de Dieu
intelligée, c'est-à-dire, en tant qu'objet. Maintenant nous cherchons si l'acte d'intellection de Dieu est
identique à sa substance comme sujet de l'intellection.
2/ Preuve directe
L'intelliger suit et perfectionne l'espèce intelligible, comme l'esse suit la forme. Or l'essence de
Dieu est son esse (q3 a4) et son espèce intelligible (q14 a2) ; donc l'intelliger de Dieu est son essence
ou substance et son esse.
– 126 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Compléments
1°) Selon beaucoup de Thomistes, entre l'essence de Dieu, son intelligence et son intellection, il n'y a
pas de distinction virtuelle intrinsèque. Autrement, l'essence de Dieu et son intelligence devraient se
concevoir, avec un fondement dans la réalité, comme en puissance à l'intellection : ce qui est impossible en
Dieu Acte pur. Il y a donc seulement distinction virtuelle extrinsèque, c'est-à-dire avec fondement dans la
créature : en tant que l'intelliger subsistant équivaut éminemment au principe radical, au principe prochain de
l'intellection et à l'intellection elle-même.
Ainsi en Dieu ne se distinguent virtuellement intrinsèquement que les choses qui équivalent à
plusieurs réalités créées distinctes selon leur objet formel et relevant de lignes diverses, comme
l'intelligence et la volonté.
L'intellect et l'acte d'intellection appartiennent à la même ligne et portent sur le même objet formel.
2°) L'objet formel et primaire de la connaissance divine est la Déité, comme contenant explicitement
en acte l'essence de Dieu, ses attributs et ses relations.
Selon Durand, ce serait l'ens ut sic, faisant abstraction du créé et de l'incréé, prétendument plus
universel que l'être incréé. Cette opinion doit être absolument rejetée : rien n'est ni ne peut être
conçu comme antérieur à Dieu. L'être abstrait est plus universel que Dieu seulement quoad nos,
d'une universalité de prédication (analogique)52 selon notre mode de concevoir, et NON quoad se,
d'une universalité de contenance selon la vérité de la chose.
Comme les néo-historico-thomistes accusent souvent les thomistes classiques d’avoir considéré l’ens
universel comme antérieur à l’Ens divin, nous donnons ici le texte de Garrigou-Lagrange, De Deo Uno,
p. 336 §1-§2 :
« Durandus inconsiderate tenuit objectum formale et primarium cognitionis divinae esse ens ut sic,
ut abstrahens a creato et ab increato, quia, ut aiebat, est quid universalius quam ens increatum.
Aliquid simile dixit Rosmini. — Haec opinio est omnino rejicienda, quia nihil est aut concipi
potest prius Deo. Ens abstractum est universalius Deo, quoad nos tantum, universalitate
praedicationis juxta nostrum modum concipiendi, non vero quoad se, universalitate continentiae
secundum rei veritatem. Cf. Cajetanum in Iam, q. 39, a. 1, n° VII.
Deus cognoscit ens ut sic, non abstractive et imperfecte (sic cognosceret solum actu implicite
diversas modalitates entis), sed quasi in concreto prout est in ente divino, scilicet in suo objecto
primario, et prout est in creaturis, ut in suo objecto secundario. Nunc agendum est de hoc objecto
secundario cognitionis divinae. »
3°) Cf. Cajetan (cité par Garrigou-Lagrange, p. 338) : cette proposition : “ esse Dei est ejus
intelligere ” doit plutôt s'entendre formellement que seulement identice. « Identice » (en raison de la chose
ou du sujet) l'intelliger de Dieu est son vouloir, car ils ne se distinguent pas réellement ; mais notre
proposition affirme quelque chose de plus. Car l'esse Dei, comme cause première, est proprement intelligere,
en tant que l'intelliger fonde la vertu active de la cause intellectuelle comme telle. Ainsi en est-il dans
l'artisan, et analogiquement en Dieu, cf. a8.
52 Ce que les modernes rejettent souvent, mais que saint Thomas admet, quoiqu’avec réserves : Dieu est « maxime Ens ».
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
De l'article 5 à l'article 13, il s'agit de l'objet secondaire de la science divine. Cet objet est d'abord
considéré in communi (a5-a8) : an sit et quid sit de la science (connaissance) divine des créatures, quel est
son medium, est-elle propre et distincte, est-elle discursive, est-elle cause des choses et comment ?
Il est nécessaire que Dieu connaisse les choses autres que lui-même
1°) cette doctrine est manifestement contenue dans la prédication ordinaire de l'Église universelle, et
elle est implicitement contenue dans les définitions de Vatican I affirmant que Dieu est infini selon l'intellect
(D 1782) et aussi, citant Heb. IV, 13, que « omnia nuda et aperta sunt oculis eius » (D 1784).
Cette thèse est donc de fide divina et catholica.
Cette doctrine est contenue dans les dogmes de la création et de la Providence.
Raison
Une chose n'est pas connue parfaitement sans que soit connue sa vertu53 et les choses auxquelles cette
vertu s'étend.
Or Dieu se connaît parfaitement (autrement, son être ne serait pas parfait, puisque son être est son
intelliger) et la vertu divine, première cause efficiente de tous les êtres, s'étend aux autres choses que Lui.
Il est donc nécessaire que Dieu connaisse les choses autres que Lui-même.
Remarques : 1/ en affirmant que la connaissance divine des choses se fait selon la connaissance de
la vertu divine, saint Thomas assigne déjà implicitement le medium de cette connaissance.
2/ On peut confirmer cette preuve en observant que la vertu divine contient les autres réalités
"intelligibiliter". En effet une chose est dans une autre selon le mode de la chose réceptrice. Or l'être
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
même de Dieu, en tant que première cause efficiente, est son intelliger. Donc tous les effets qui
préexistent en Dieu comme dans la première cause sont dans son intelliger, et selon le mode
intelligible.
Dans la 2e partie de l'article, on montre que Dieu connaît les choses autres que lui non immédiatement
en elles-mêmes, mais en Lui-même.
– Être vu en soi-même, c'est être vu par une espèce propre et adéquate (comme par un medium quo),
alors qu'être vu dans un autre c'est être vu par l'espèce du contenant d'abord vu comme quod.
– Or Dieu connaît les choses autres que Lui en tant que son essence contient la similitude des autres, et
non par une espèce propre pour chaque chose.
– Donc Dieu connaît les choses autres non en elles-mêmes, mais en Lui-même.
N.B. : La doctrine de saint Thomas sur le medium de connaissance des autres n'est pas admise par
tous, et est en particulier rejetée par les Molinistes (cf. Garrigou-Lagrange, p. 339).
Dieu connaît-il les autres choses d'une connaissance propre? (q14 a6)
Il s'agit d'une connaissance propre, non du côté du sujet, qui connaîtrait par des actes divers, mais du
côté de la chose connue : est-ce que Dieu, par un acte unique, connaît distinctement les choses du monde
quant à ce qu'elles ont de propre ou seulement en général ? La difficulté vient de ce que les choses sont en
Dieu comme dans une cause commune et universelle ; en outre la raison propre de l'essence divine ne peut en
même temps être raison propre de multiples choses diverses.
– 129 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Cet article est spécialement écrit contre Averroès et Algazel selon qui Dieu ne connaît les choses du
monde qu'en général, selon les lois générales de la nature et non en particulier.
Malebranche aussi a plus ou moins restreint la Providence aux lois générales, pour expliquer le mal
et le libre arbitre de l'homme.
Preuve indirecte
Connaître les créatures seulement in communi, c'est les connaître imparfaitement ou confusément.
Ainsi l'intelliger de Dieu serait imparfait, et de même son être.
Preuve directe
– L'essence divine contient en elle tout ce qui est réel, jusqu'aux différences les plus infimes en toutes
créatures, dont elle est la cause totale (il n'y a rien dans la créature qui ne soit causé par Dieu, pas même la
matière, principe d'individuation des choses sensibles).
– Or Dieu connaît de façon compréhensive son essence.
– Donc Dieu, en se connaissant, connaît toutes les façons dont sa perfection est participable par
d'autres.
Cet article inclut deux questions : 1°) la science de Dieu est-elle cause au moins directrice de la
production des choses qui de fait sont produites par Dieu, en sorte que Dieu créateur et gouvernant opère
avec sagesse, et non de façon aveugle ou ignorante ; 2°) la science de Dieu est-elle cause efficiente des
choses, en sorte qu'elle ne soit en aucune manière causée ou dépendante des choses (même pour nos actes
futurs libres). Si la première question est résolue affirmativement, la seconde le sera aussi, étant supposé que
rien ne peut en dehors de Dieu être réel ou futur (absolu ou conditionné) sans dépendance vis-à-vis de Dieu
(mais cf. infra la position contraire de Molina).
– 130 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Ad 2°) Sur ce point, saint Thomas commence par noter une certaine opposition entre saint Augustin
(qu'il suit comme autorité) et Origène (qu'il interprète pieusement). Les paroles d'Origène semblent indiquer
une dépendance de la science de Dieu par rapport aux choses futures. (Cf. Obj.1 et ad1 pour Origène, Sed
Contra pour saint Augustin).
Notons que l'opposition susdite s'est maintenue entre les théologiens quant à la connaissance divine
des futurs libres. En particulier, Molina, dans sa théorie de la « Science Moyenne » tient que Dieu prévoit les
futurs libres conditionnés (futuribles) avant le décret divin déterminant qui les concerne. Ainsi pour Molina
la science de Dieu est cause directrice de la production des choses, mais elle n'est pas cause efficiente de
notre détermination libre.
La science de Dieu est cause des choses, en tant que la volonté lui est liée, et elle n'est nullement
causée par les choses
2°) Parmi les Pères, on peut citer spécialement saint Augustin (De Trin., XV,13 ; De Civ. Dei, XI,
10) ; Mais aussi saint Grégoire le Grand (Morales, XX,23).
• La science de Dieu avec la volonté adjointe constitue ce qu’on a nommé par la suite le « décret divin
[pré-]déterminant » ; elle est la cause non seulement directrice mais efficiente des choses, comme
l'imperium présupposant l'élection libre.
Ce « décret divin déterminant » est, selon un autre vocabulaire, l’idée créatrice. Celle-ci, comme
telle, est à concevoir (selon notre mode de connaître, bien sûr) comme un objet quo : cf. Maritain, Dieu
et la permission du mal, (3e éd.), p. 72.
– 131 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
• La « science de simple intelligence » porte sur les possibles avant l'élection libre ; elle est
seulement cause directrice de la production des choses.
Par non étants, on signifie les choses qui ne sont pas en acte, mais seulement en puissance soit
seulement de Dieu, soit aussi de la créature.
Raison
Dieu connaît ce qui est dans sa puissance, ou dans celle de sa créature : sinon il n'aurait pas une
connaissance compréhensive de Soi-même.
- C'est par la science de vision que Dieu connaît les non étants qui ont été ou seront, car l'intuition de
Dieu est mesurée par l'éternité, qui comprend tout le temps sans succession ;
- C'est par la science de simple intelligence que Dieu connaît les non étants qui n'ont jamais été, ne
sont pas et ne seront jamais : ce sont de purs possibles. Dieu les connaît dans son essence en tant qu'imitable
(cf. De Ver. q2 a8).
- saint Thomas ne parle pas ici des futuribles, dont il parle au sujet des prophéties comminatoires : II-
II q171 a6 ad2 ; q174 a1 ; I q19 a7 ad2.
Le futurible ajoute une détermination nouvelle sur le pur possible...
Le simple possible est seulement quelque chose de capable d'exister (non repugnans ad esse). En tant
que réellement possible, on l'appelle « possible réel », et il se distingue tant de l'être de raison, qui n'est pas
capable d'exister dans la chose mais seulement dans l'esprit (ex. : l'universalité d'un prédicat) que de l'être
réel actuel ou actuellement existant.
La difficulté principale est que Dieu connaît les choses autres en tant qu'elles sont en lui comme
dans leur cause. Mais Dieu n'est pas cause du mal.
Pourtant l'Écriture affirme que Dieu connaît le mal : Ps. LXXXIX,8 : « Posuisti iniquitates nostras in
conspectu tuo ».
Il est de foi que Dieu connaît les maux physiques et moraux ; et s'il ne connaissait pas les péchés
et leur gravité, il ne pourrait les punir justement.
L'article fournit deux conclusions : 1°) Dieu connaît les maux ; 2°) Dieu les connaît par les biens
opposés.
– 132 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
La réponse affirmative est de foi, elle fait partie du dogme de la Providence, qui s'étend
jusqu'aux plus infimes singuliers (Mt. X, 30 ; Prov. XVI, 2).
Le fait.
Toutes les perfections simples préexistent formaliter eminenter en Dieu. Or la connaissance des
singuliers en est une.
– 133 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
En effet, c'est seulement la connaissance sensible des singuliers qui enclôt une imperfection, mais non
leur connaissance intellectuelle (supposée disjointe de la connaissance sensible).
Le comment
La causalité de Dieu s'étend aux singuliers, en tant qu'il produit non seulement la forme des choses,
mais la matière par quoi elles sont individuées.
La réponse est affirmative, et de foi, comme l'article suivant le manifestera mieux (connaissance
divine des actes libres des âmes immortelles, dont la multitude sera sans fin).
La science de Dieu porte-t-elle sur les futurs contingents ? (q14 a13)
Pour une étude technique de la question, cf. :
MICHON, Cyrille : Prescience et Liberté : Essai de théologie philosophique sur la providence. – Presses
Universitaires de France, 2004 – (Épiméthée).
L'omniscience de Dieu doit s'étendre à tout, mais il semble qu'elle ôte la contingence des choses,
puisque la science de Dieu, cause des choses, est une cause non contingente, mais nécessaire.
De plus tout ce qui est su par Dieu est nécessairement, alors qu'aucun contingent n'existe
nécessairement.
Ainsi les Stoïciens pour sauver en Dieu la prescience des futurs ont nié le libre arbitre ; de même plus
tard les Hussites.
– 134 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Au contraire, pour la même difficulté, Cicéron a nié la prescience divine des futurs libres, de même
Marcion, et plus tard les Sociniens.
Cependant il est de foi que Dieu connaît infailliblement tous les futurs absolus, contingents et
libres, en laissant sauve la liberté.
Futurum = quod est determinatum in suis causis ad habendum existentiam in tempore sequenti. (Cf. Garrigou-Lagrange, p.
353, note 1 : définition commune des Thomistes classiques, qui mériterait cependant d’être revue quant au mot
« determinatum »).
En fait, la simple définition du « futur » est pleine de chausse-trapes.
Il ne s'agit pas de la cause comme capable de produire (cela indique seulement le possible), ni comme produisant en acte
(cela dénote l'existant). Le futur doit se distinguer du possible et de l'existant ; or rien d'autre n'est assignable que la
détermination de sa cause ; et "ab aeterno" il n'y eut pas d'autre cause que la cause première. Cf. I q16 a7 ad3 :
« Ad tertium dicendum quod illud quod nunc est, ex eo futurum fuit antequam esset, quia in causa sua erat ut fieret.
Unde, sublata causa, non esset futurum illud fieri. Sola autem causa prima est aeterna. Unde ex hoc non sequitur quod ea
quae sunt, semper fuerit verum ea esse futura, nisi quatenus in causa sempiterna fuit ut essent futura. Quae quidem causa
solus Deus est. »
Cf. les discussions, déjà chez les anciens philosophes grecs, autour de la question si une proposition future contingente [la
fameuse « bataille navale »] a une valeur de vérité. Une réponse positive rend très difficile d’éviter le nécessitarisme, le
déterminisme absolu. Voir :
VUILLEMIN, Jules : Nécessité ou Contingence : L'aporie de Diodore et les systèmes philosophiques. - Les Éditions de Minuit, 1984
– (Le sens commun).
- L'Écriture Sainte affirme cette doctrine : Ps. XXXII,15 ; Ps.CXXXVIII,3 ; Is. XLVIII,8 ; Jo.VI,65.
Dans ces textes, il s'agit de futurs contingents, et même libres ; et la connaissance seulement
conjecturale est exclue par les mots employés. D'ailleurs la conjecture est faillible et répugne à l'Être parfait,
première Vérité, Intelligence suprême.
- Le Magistère s'est prononcé ; cf. déjà Conc. de Valence (D 321) ; mais surtout Vatican I (D 1784).
Cf. Aussi les erreurs condamnées par Sixte IV (Bulle Ad Christi Vicarii, 1474) (D 719-723, DS 1391-1396).
• Concile Vatican I (oecum. XX) 8 décembre 1869 - 20 octobre 1870 (sous Pie IX); Session III, 24 avril 1870;
Constitutio dogmatica 'Dei Filius'; de fide catholica ; Cap. 1. De Deo rerum omnium creatore; D 1784, DS 3003 :
" Universa vero, quae condidit, Deus providentia sua tuetur atque gubernat, 'attingens a fine
usque ad finem fortiter et disponens omnia suaviter' [cf. Sap 8, 1].'Omnia enim nuda et aperta
sunt oculis eius' [Hebr 4, 13], ea etiam, quae libera creaturarum actione futura sunt. "
– 135 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Le raisonnement théologique peut établir cette vérité de foi à partir d'autres vérités révélées,
accessibles en un sens à la raison naturelle.
1°) A partir des principes communs, on peut prouver que Dieu connaît avec certitude les futurs
contingents :
Dieu connaît non seulement ce qui est en acte, mais aussi ce qui est soit dans sa puissance, soit dans
celle de la créature. Or parmi ces choses certaines sont pour nous des futurs contingents. Donc.
2°) Comment Dieu les connaît-il ? On assigne la raison propre, du côté de la chose connue et du côté
du connaissant.
Le contingent ne peut être infailliblement connu, à moins d'être connu en tant qu'il est en acte et
présent ; il ne suffit pas qu'il soit connu tel qu'il est dans sa cause prochaine, qui n’est pas déterminée ad
unum.
Or Dieu connaît tous les contingents selon qu'ils sont en acte et présents à Lui.
Donc Dieu les connaît infailliblement, sans enlever leur contingence : de même que quand je vois
Socrate assis, la certitude de ma connaissance n’enlève pas la contingence de cette session.
Cet exemple – Garrigou-Lagrange, 355 haut – pourrait sembler peu éclairant, car lorsque je vois
Socrate, ma connaissance est mesurée par l'objet ; dans le cas divin, la difficulté vient de ce que la
science mesure l'objet. Mais ce deuxième aspect relève de la compossibilité entre volonté divine
infaillible et liberté humaine. L’exemple éclaire vraiment le premier aspect : le fait de connaître avec
certitude une chose [ou un fait] déterminée en acte n’est pas incompatible avec la contingence
objective de cette chose [ou ce fait].
mineure
L'éternité, existant "tota simul", enclot tout le temps, en sorte que les futurs sont présents en elle.
Or la connaissance divine est mesurée par l'éternité.
Donc la connaissance divine s'étend aux futurs comme présents en acte dans cette durée supérieure.
Ils observent que saint Thomas, traitant ex professo de la connaissance divine des futurs contingents
(ici et 1S d38 q1 a5) ne fait pas mention du décret divin dont parleront ensuite les Thomistes : il recourt à la
présence des futurs dans l'éternité.
Ainsi, disent-ils, pour saint Thomas la prescience des futurs libres ne présuppose pas le décret
absolu de la volonté divine ; et donc la théorie de la science moyenne peut se concilier avec sa doctrine.
Réponse
Cette interprétation manque de fondement, est contraire à de nombreux textes de saint Thomas, et
même aux principes exposés dans les articles précédents de notre question.
[Cf. Supra a5 ; a8. Et aussi : ST1 q19 a4 ; De Ver. q3 a6].
Dans notre article, il ne s'agit pas encore de la conciliation de la détermination de la volonté divine
efficace avec la contingence de la chose voulue par Dieu (cf. Q19 a8) ; il s'agit ici seulement et en propre de
la connaissance du futur contingent qui, en tant que connaissance certaine n’enlève pas la contingence, si
le contingent est connu comme présent.
– 136 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Comment, selon les Thomistes, les futurs sont-ils présents dans l'éternité ?
Selon les Thomistes et plusieurs autres théologiens (dont Fonseca, Tiphaine...) les futurs sont présents
dans l'éternité de Dieu non seulement objectivement et intentionnellement, mais physiquement et
réellement54.
Preuve indirecte
Autrement, les futurs seraient pour Dieu absolument des futurs : car la simple représentation n'enlève
pas la raison de futur (cf. La prédiction prophétique, qui précède le fait). Ainsi Dieu commencerait à un
moment à voir la chose existant en acte, après l'avoir connue seulement objectivement. Dieu serait alors
perfectionné dans sa connaissance, qui deviendrait seulement alors intuitive.
Preuve directe
L'éternité est une durée infinie selon la raison de durée, indivisible et "toute ensemble".
Or cette durée contient éminemment, dans le même instant (nunc) immobile, toutes les durées
successives, passé, présent, futur ; et elle les contient de telle sorte qu'il n'y ait pas en elle d'innovation quand
quelque chose de nouveau arrive dans les durées inférieures. (Cf. par ex. II C.G. 35).
Cf. Molina, Concordia liberi arbitrii cum gratiae donis, divina praescientia, etc. q14 a13 disp. LII ;
(éd. Paris 1876, p. 317 s). Pour Molina :
– la science de Dieu purement naturelle porte sur les nécessaires et les possibles,
– la science libre de Dieu porte sur les futurs contingents absolus
– et la science moyenne sur les futurs conditionnés qu'on appelle futuribles.
Cette science moyenne n'est pas libre, car elle précède tout acte libre de la volonté divine, et
parce qu'il ne fut pas dans le pouvoir de Dieu de savoir par cette science autre chose que ce que de fait
il a su.
Il semble bien d'après ce passage qu'il y ait en Dieu dépendance ou passivité par rapport aux
futuribles (selon Molina). Si Dieu n'est pas le premier déterminant par rapport aux futuribles, il est
déterminé par eux.
54Voir l’article déjà cité de Sœur Louise-Marie Antoniotti, o.p. : « La présence des actes libres de la créature à l’éternité divine »,
Revue Thomiste, 1966 (I), 5-47.
– 137 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Les Thomistes admettent que Dieu connaît infailliblement les futuribles dont il s'agit dans les
prophéties comminatoires, mais dans un décret objectivement conditionné et subjectivement absolu.
Le décret est requis car même posées, les conditions, ces futuribles en tant que contingents et libres,
sont indéterminés. La thèse de Molina conduit au déterminisme des circonstances, et pose une
passivité en Dieu.
Notons que pour expliquer cette science moyenne, Molina en appelle à une « super-compréhension
divine du libre arbitre créé » ; Suarez, dans son Congruisme, l'explique par la connaissance divine de
la « vérité formelle ou objective des futuribles » (comme si les futuribles étaient déterminés en eux-
mêmes avant tout décret divin).
Critique
I) Cette théorie ne s'accorde pas avec les principes de la doctrine de saint Paul, de saint Augustin,
de saint Thomas.
Preuve de la mineure
Supposons Pierre et Judas prévenus par la même grâce dans les mêmes circonstances ; Dieu voit Pierre
consentir à la grâce et donc se discerner de Judas qui n'y consent pas ; et cela, pas en raison de la grâce,
offerte aux deux également et indifféremment ; donc en raison de la détermination de la propre volonté à
accepter la grâce.
Ainsi disent tous les Thomistes contre Molina. Les Thomistes tiennent pour révélé le principe de
prédilection : "nul ne serait meilleur s'il n'était plus aimé et aidé de Dieu". Cf. Rom. IX,15 et I q20 a3 et a4 :
articles qui précisent bien – cela est essentiel – que le « plus ou moins » est à prendre du côté de l’objet aimé
et non absolument dans l’Acte divin simple en lui-même.
- Cf. Aussi Phil. II,13 : "Deus est qui operatur in vobis velle et perficere pro bona voluntate".
– 138 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
II) De plus cette théorie s'oppose à plusieurs principes communément reçus par les théologiens.
1- Avant le décret divin, la science moyenne n'a pas d'objet, car le futurible libre n'est déterminé ni en soi ni
dans un autre.
2- Avant le décret divin, il n'y a pas de medium pour la science moyenne, car ce futurible n'est déterminé
dans aucune cause. Et si on dit que Dieu le connaît infailliblement par l'examen des circonstances, la théorie
conduit au déterminisme des circonstances. Alors la science moyenne inventée pour "sauver" la liberté la
détruit.
3- La science de Dieu ne peut être déterminée par quelque chose d'extrinsèque. Dans la théorie de la science
moyenne la détermination du futurible libre provient non de Dieu mais de la liberté humaine supposée placée
dans de telles circonstances.
4- Dieu n'est plus moteur premier et universel, cause première. Quelque mouvement du libre arbitre créé vers
sa détermination lui échappe.
5- Le dominium suprême de Dieu sur les libertés créées lui échappe.
(Cf. Molina, loc.cit. : "In potestate Dei non fuit aliud scire, sed aliud scivisset, si liberum arbitrium
creatum acturum esset oppositum.". Contre : cf. Prov. XXI,1 ; Eccli. XXIII,13 ; Phil. II,13).
La théorie de la science moyenne limite la Toute-Puissance divine. Dieu, s'il prévoit par la science
moyenne que notre volonté , dans telles conditions, récusera la motion au bien, est incapable de mouvoir
notre volonté en sorte que dans ces conditions elle consente à la motion au bien.
6- Dieu n'est pas plus l'auteur des bonnes œuvres que des mauvaises.
7- Elle diminue la nécessité de la prière.
8- Sans tomber dans le Semi-Pélagianisme, cette théorie ne semble pas s'en éloigner suffisamment : la grâce
prévenante intérieure ne meut la volonté qu’objectivement, et non infailliblement ; le vrai commencement du
salut semble n'être que chez celui qui se convertit (avec la même grâce, un autre ne se convertit pas), et en lui
il semble être une détermination libre qui n'est pas de Dieu, si ce n'est en tant qu'il attire objectivement à elle,
comme il attire celui qui ne se convertit pas.
– 139 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Car la science de Dieu est son intelliger absolument immuable comme l'Ipsum esse subsistens. Cf. Jac.
I,17.
Dieu a de lui-même une science seulement spéculative (il n'est pas opérable).
Des autres, il a une science seulement spéculative quant au mode (il ne connaît pas seulement
comment les choses sont produites, mais ce qu'elles sont) ; il a une science pratique ex objecto et ex modo,
mais non ex fine scientis des objets faisables qui ne seront jamais produits. Il a une science simpliciter
pratique des choses qui un jour sont.
Notons cependant que en elle-même la science de Dieu est, sans division, éminemment spéculative et
pratique : il n'y a en elle de distinction que du côté des choses sues.
Scot tient que la science que Dieu a de Lui-même est simpliciter pratique, en tant que naturellement
antécédente à l'amour que Dieu se porte. On répond que pour la science pratique, il ne suffit pas
qu'elle soit suivie de l'amour de l'objet connu : il faut qu'elle détermine la forme de l'œuvre, ou l'objet
de l'opération, pour pouvoir être dite règle de l'opération.
Comme le monde n’est pas fait par hasard, mais par Dieu agissant par son intelligence, il est
nécessaire que dans l’esprit divin se trouve la forme à la similitude de laquelle le monde a été fait.
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- Ad 1 : Dieu ne connaît pas les choses selon une idée qui existerait en dehors de lui. De plus, l’idée de
l’homme ou du chien ne peut exister en dehors de Dieu et en dehors des individus de ces espèces : car leur
nature comporte la matière commune, qui ne peut exister sans être matière individuelle. Cf. I q84 a4 et a5.
- Ad 2 : l’essence divine, en tant qu’elle représente les choses créables et créées, a raison d’idée ou
d’exemplaire.
Ad 3 : L’idée divine n’est rien d’autre que l’essence de Dieu en tant que connue selon qu’elle
est participable et imitable diversement ad extra.
Il y a plusieurs idées en Dieu, en tant que la raison du monde entier ne peut être possédée, sans que
soit possédée les raisons propres des choses à partir desquelles le monde est constitué. Cette pluralité ne
répugne pas à la simplicité de Dieu, car les idées divines ne sont rien d’autre que l’essence divine connue
comme diversement participable et imitable ad extra. Ainsi l’intellect divin intellige plusieurs choses, mais
cet intellect n’est pas formé par plusieurs espèces. Cf. De Ver. q3 a2 et ad8.
- Noter que Dieu, en comprenant son essence comme principe diversement imitable par la créature, et
comme terme de la relation d’imitabilité que la créature dit réellement envers elle, n’a aucune relation réelle
aux créatures.
Cf. De Pot q7 a6 ad5 : saint Thomas parle de :
- « una forma intelligibilis per essentiam »
- et de « multi RESPECTUS ad diversas creaturas »55.
Y-a-t-il des idées de tout ce que Dieu connaît ? (q15 a3)
1°) Difficultés : Dieu a-t-il une idée du mal, de la manière première, des singuliers, des accidents...
2°) L’idée, en tant qu’exemplaire, existe pour tout ce qui est fait par Dieu à un moment quelconque du
temps ; l’idée comme raison de connaître existe pour tous les possibles.
3°) Donc (ad1) le mal n’a pas d’idée en Dieu, ni selon que l’idée est exemplaire (car Dieu n’est pas
cause du mal), ni selon qu’elle est raison (car le mal est connu par Dieu non par une raison propre, mais par
la raison de bien).
4°) La matière est créée par Dieu, mais pas sans la forme ; Ainsi, la matière a une idée en Dieu, mais
pas autre que l’idée du composé. Car la matière "secundum se" ni ne possède l'esse, ni n'est connaissable.
5°) (Ad4) Les accidents qui sont propriété d'une nature créée n'ont pas une idée spéciale distincte de
celle de cette nature. Les accidents qui arrivent de façon contingente à un sujet ont une idée spéciale. La
providence, et donc les idées, s'étend aux singuliers.
55 Pour l’utilisation de « respectus » voir aussi notre article, ad3 et ad4. Sur cette notion souvent méconnue, on trouvera quelques
indications assez précises dans : Guérard des Lauriers dans Bulletin Thomiste XI (3) 734-735 (cf. en particulier 735 §(-2), qui
rattache le respectus à l’habitus-habere).
– 141 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
6°) Pour les choses qu'il fait ou fera, Dieu a des idées pratiques en acte : car elles sont déterminées à
opérer par le décret de sa volonté. Pour les possibles, Dieu a des idées virtuellement pratiques. Cf. De Ver.
q3 a6.
7°) La causalité de l'idée divine est la causalité exemplaire ou de la forme extrinsèque. Mais les idées
exemplaires ne sont pas hors de Dieu, mais en Dieu, et elles sont cause suprême des choses, mais en tant
qu'elles ont la détermination adjointe de la liberté divine. Ceci n'était pas dit par Platon.
9°) L'explication précédente montre que les idées divines sont formes exemplaires des étants et de
notre intellection : l'être créé et l'intellection créée procèdent du même fondement suprême. En d'autres mots,
s'il y a harmonie entre l'intellect et l'être, entre les lois de l'esprit et celles de l'être, c'est parce que l'intellect
créé et l'être créé découlent de la même source. C'est là le suprême fondement métaphysique de la valeur
ontologique de notre connaissance, qui, in via inventionis, commence par les faits d'expérience et par les
premiers principes de la raison et de l'être pour remonter jusqu'à Dieu. (Cf. q79 a9)
– 142 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
chose56, elle se trouve seulement dans le jugement (dans l'intellect qui compose et divise). Car c'est ici que la conformité se manifeste
en premier dans la convenance ou disconvenance du prédicat au sujet.
- L'a3 détermine le rapport du vrai et de l'être.
Le vrai, tel qu'il est dans les choses (vrai transcendantal), est convertible avec l'être, entitativement, ou selon la substance,
tout en ajoutant un rapport à l'intellect.
Le vrai tel qu'il est dans l'intellect est convertible avec l'être, non pas entitativement, mais manifestativement (comme ce qui
manifeste est convertible avec ce qui est manifesté), ou régulativement. (Ainsi est vrai l'intellect jugeant de la chose comme elle est,
ou réglant ce qui doit l'être).
- Dans l'a4 on examine le rapport du vrai et du bien. Ils sont entitativement "idem" ; mais leurs raisons formelles sont
distinctes et celle du vrai est antérieure à celle du bien : car le vrai est fondé dans l'être de la chose selon son essence précisément
considérée, tandis que le bien est fondé dans l'être de la chose selon qu'il est parfait et appétible. De même, le vrai rapport à la
connaissance, antérieure à l'appétit concerné par le bien : nihil volitum nisi praecognitum.
- L'a5 montre que Dieu non seulement est vrai, mais est la Vérité elle-même, parce que son Esse est
non seulement conforme à son intellect, mais est l'Ipsum intelligere subsistens.
En outre Dieu est la vérité suprême, parce que son intelligence est cause de tout autre esse et de tout
autre intellect.
Dieu est donc première vérité in essendo, in intelligendo, et aussi in dicendo (en tant qu'il est
impossible que Dieu mente).
- On explique dans l'a6 que la vérité tout à fait une ne se trouve que dans l'intellect divin, mesure de
toutes choses. Dans les créatures, les vérités ontologiques sont multipliées comme les entités elles-mêmes, et
les vérités formelles comme les connaissances vraies.
- L'a7 expose que la vérité positivement éternelle se trouve dans le seul intellect divin (qui seul est
éternel). Négativement, certaines vérités sont dites éternelles parce qu'elles abstraient de l'hic et nunc, par
exemple le principe de contradiction, de causalité, etc., et toutes les propositions nécessaires. Mais la vérité
formelle ou cognoscitive de ces propositions n'est éternelle que dans l'intellect divin, en tant que Dieu seul
connaît ces vérités nécessaires ab aeterno.
Cf. II C.G. 84 :
« Ex hoc quod veritates intellectae sint aeternae quantum ad id quod intelligitur, non potest
concludi quod anima sit aeterna, sed quod veritates intellectae fundantur in aliquo aeterno.
Fundantur enim in ipsa prima veritate, sicut in causa universali contentiva omnis veritatis.”
Il y a là une preuve de l'existence de Dieu par les vérités éternelles ; elle relève "réductive" de la 4a
via, en tant qu'elle remonte de divers vrais au maximalement vrai.
Cf. aussi I q16 a1 ad3.
À consulter, sur la question des vérités éternelles :
- Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence, sa nature, I, p. 296-300.
- Nodé-Langlois, « Y a-t-il des vérités éternelles ? » RT 2009 (3), p. 355-383.
- L'a8 montre que la vérité de l'intellect divin est immuable, tandis que notre intellect peut passer de la
vérité à l'erreur.
– 143 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- a1 : détermine que les vivants diffèrent des non-vivants en ceci que les vivants se meuvent à leurs
opérations, tandis que les non vivants sont seulement mus par un autre. (Cf. Aussi de Anima, Lib. II, lect.1)
- a2 : montre que la vie n'est pas un prédicat accidentel mais substantiel dans les vivants, bien qu'elle
se manifeste à nous par les opérations vitales qui sont les accidents. La substance de la plante, de l'animal, de
l'homme est le vivant in actu primo ; la vie in actu secundo se trouve seulement dans les opérations.
- a3 : Dieu possède la vie la plus haute, et a la vie par essence, parce qu'il est l'Ipsum intelligere
subsistens, en sorte qu'il n'est déterminé ou mû par aucun autre. En effet, un être est déficient quant à la
raison de vie, ou la possède moins parfaitement, pour autant qu'il a besoin d'être mû, ou déterminé par un
autre, pour se mouvoir. Ainsi, aucun vivant créé ne possède de façon si pure la raison de vie qu'il se meuve
absolument par lui-même sans avoir à être mû par un autre. Même les créatures intellectuelles les plus hautes
ont besoin d'être mues selon l'efficience par Dieu agent suprême, et d'être attirées par la fin ultime. Seul Dieu
est la Vie même par essence. C'est pourquoi le Christ a affirmé sa divinité en disant "ego sum via, veritas et
vita"(Jo.XIV,6). Les créatures les plus hautes ont la vie.
Cette vie divine est totalement immanente, absolument immobile de l'immobilité supérieure
opposée à celle de l'inertie et de la mort : comportant la parfaite opération de l'intellect et de la volonté,
toujours en acte.
– 144 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Il est de foi catholique que Dieu possède une vie absolument parfaite : cf. D 1782 ; et Apoc.
V,14 ; Apoc. X,6 ; Deut. XXXII,40.
Notons que dans l'a3 saint Thomas expose merveilleusement les degrés de la vie, en considérant la fin,
la forme et l'exécution.
- a4 : montre que tout ce qui procède de Dieu a la vie en Dieu, selon l'être idéal qu'il possède dans
l'intellect divin. Tous les êtres vivent en Dieu : cf. Jo. I,4. Dieu n'est pas formellement la vie des créatures
vivantes. Mais il en est la cause exemplaire et efficiente, source de la vie (Ps. XXXV,10), auteur de la vie
(Act. III,15).
La volonté peut désigner l'acte de vouloir ou la faculté. Mais l'un implique l'autre, surtout en Dieu acte
pur.
Difficultés : 1/ l'objet de la volonté est la fin, et on ne peut assigner à Dieu une fin ; 2/ la volonté est
appétit d'une chose non possédée : ce qui inclut une imperfection ; 3/ la volonté est moteur mû, car elle est
mue par l'intellect.
On observe d'ailleurs qu'Aristote n'a pas parlé de la volonté ni de la liberté de Dieu.
Enseignement du Magistère
La prédication universelle de l'Église est tout à fait explicite sur ce dogme. En outre mentionnons :
• Tome de Damase (Conc. Romain, 382), (D 78, DS 172) : condamne comme hérétique celui qui
refuse de dire qu'il y a "une seule volonté" du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
• Conc. Latran I (oct.649), (D 254, DS 501) : porte une condamnation semblable.
– 145 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
• Conc. Vatican I (D 1782, DS 3001) : "S.C.A.R. Ecclesia credit et confitetur, unum esse Deum verum
et vivum, (...) intellectu ac voluntate omnique perfectione infinitum ; (...).
• Id. (D 1805, DS 3025) : "Si quis (...) Deum dixerit non voluntate ab omni necessitate libera, sed tam
necessario creasse, quam necessario se amat, a.s."
Écriture Sainte
Cette vérité de foi remplit les pages de l'Écriture.
• Ps. CXXXIV,6 :"Omnia quaecumque voluit Dominus fecit".
• Rom. IX,19 : "Voluntati enim ejus quis resistit ?"
Cf. Rom 12.2 ; Mt 6.10 ; Lc 22.42 ; Jo 4.34.
Argumentation
Saint Thomas prouve a priori l'existence de la volonté divine à partir du fait que la racine propre de la
volonté est l'intelligence. Le point à établir est la Majeure : voluntas sequitur intellectum.
– 146 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
– Saint Thomas met en œuvre la similitude proportionnelle entre la forme naturelle et la forme
intelligible, puisque nous connaissons les réalités spirituelles dans le miroir des choses sensibles. Donc, de
même qu'une chose naturelle (par ex.une plante) est en acte par sa forme spécifique, ainsi l'intellect est
intelligent en acte par la forme intelligible qui représente l'objet.
– Or toute chose tend à sa forme naturelle quand elle ne l'a pas, et se repose en elle, quand elle l'a. Et
pour cela suffit l'appétit naturel qui est la nature même de la chose tendant à sa perfection naturelle. Ainsi
proportionnellement la nature intellectuelle possède un rapport similaire au bien appréhendé par la forme
intelligible : en sorte que lorsqu'elle le possède, elle se repose en lui ; tandis que lorsqu’elle ne l'a pas, elle le
recherche : et l’on appelle volonté le principe de l'un et l'autre. Ainsi, en tout être possédant un intellect se
trouve une volonté ; et semblablement en tout être possédant des sens se trouve l'appétit animal.
– Il faut donc qu'il y ait volonté en Dieu, puisqu'il y a intellect en lui.
Difficultés
L’analogie57 avec les choses naturelles ne semble pas exiger outre l'intellect un appétit distinct comme
puissance. En outre, saint Thomas passe de la forme intelligible qui est dans l'intellect au bien appréhendé
qui est en dehors.
À cette double difficulté, on répond que l'appétit naturel de l'intellect ne suffit pas, ce qui apparaît pour
trois raisons :
1- parce que l'appétit naturel de l'intellect suit sa forme naturelle, et non la forme appréhendée ;
2- parce que l'appétit naturel est, en conséquence, déterminé ad unum ; tandis que l'appétit qui suit la
forme de la chose connue s'étend à des choses variées ; et c'est un acte élicité par la volonté (ou par l'appétit
animal, sensitif), de même que la connaissance est élicitée par la faculté cognoscitive.
3- parce que l'appétit naturel de l'intellect porte sur le vrai à connaître, qui est le bien de cette faculté,
tandis que l'appétit rationnel porte sur le bien de tout le sujet, de tout l'homme (comme déjà l'appétit
animal).
C'est pourquoi l'homme n'est pas dit simpliciter bon s'il n'est pas homme de bonne volonté. Cette
différence notable n'est pas suffisamment remarquée par certains intellectuels, en qui on remarque
comme une atrophie de la volonté liée à une hypertrophie de la raison. Au contraire, la contemplation
chrétienne provient non seulement de l'amour de la connaissance, mais d’abord de l'amour de Dieu (II-
II q180 a1).
Confirmation
La distinction entre les deux facultés apparaît encore si on observe que la connaissance se fait par cela
que le connu est dans le connaissant, tandis que la volonté s'étend à la chose extérieure (I q59 a2). Ou : le
vrai est formellement dans l'esprit, le bien est dans les choses.
La 2ème partie de l'article montre que la volonté de Dieu est son être et son vouloir, pour la même
raison que l'intellect : Dieu est acte pur, sans mélange de puissance.
57Noter au passage que tout le développement de saint Thomas met en œuvre l’analogie de proportionnalité [sans le nom, ce qui
déstabilise les néo-historico thomistes] entre Dieu et la créature intellectuelle pour ce qui concerne les facultés spirituelles.
– 147 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
La volonté de Dieu est donc l'Ipsum velle subsistens, sans distinction virtuelle intrinsèque.
Remarquons qu'au contraire, l'intellect et la volonté divines se distinguent d'une distinction virtuelle
intrinsèque, avec fondement dans la réalité divine, parce qu'ils appartiennent à diverses lignes (au point de
vue de l'actualité).
Ad1) Bien que rien autre que Dieu soit fin de Dieu, Lui-même est fin pour tout ce qui est fait par Lui.
Et cela par son essence, puisqu'il est bon par son essence (6 a3).
Donc les choses voulues par Dieu ont une fin, Dieu Lui-même.
Garrigou-Lagrange (p. 387), à la suite des Thomistes classiques ajoute que l'on peut quand même
dire que la bonté divine à aimer et à manifester est raison de la volition divine, bien qu'elle ne soit pas
cause (en tant que non distincte de Dieu et de sa volition) ; comme on dit que l'immutabilité divine est
raison de son éternité. Puis il ajoute : "en ce sens la bonté divine peut être dite virtuellement, quoique
non formellement, cause finale de la volonté divine".
Il faut cependant être très prudent dans cette dernière manière de dire, qui peut facilement conduire
à de faux problèmes liés à l'anthropomorphisme. Il est important de bien tenir l'enseignement de saint
Thomas à l'article 5 : "nullo modo voluntas Dei causam habet", avec l'explication finale : "vult ergo
(Deus) hoc esse propter hoc ; sed non propter hoc vult hoc".
Ad2) Notre volonté non seulement désire le bien non possédé, mais aime le bien possédé et se délecte
en lui. C'est quant à cela qu'il y a volonté en Dieu.
Ad3) La volonté divine n'est pas comparée à son objet comme le mobile au moteur, car elle s'identifie
à lui.
De même, la volonté ne dépend pas de l'intellect comme de sa cause, mais comme d'un principe
préconçu : et cela n'entraîne pas imperfection (de même dans la trinité, le Fils procède du Père sans
imperfection).
N.B.
La volonté divine est spécifiée non par le bien universel, mais par le bien divin, non réellement distinct
de Lui. Dieu a une complaisance et un repos infinis en Lui-même.
– 148 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Saint Thomas cite I Thess. IV,3 : "haec est voluntas Dei, sanctificatio vestra".
Pour la seconde partie, on cite communément Prov. XVI,14 : "Universa propter semetipsum operatus
est Dominus" (Vulg.)
Vatican I exprime équivalemment la seconde partie en définissant (D 1805, DS 3025) : « Si quis (...)
mundum ad Dei gloriam conditum esse negaverit : a.s. ».
On retrouve dans son sens acceptable, le grand principe néoplatonicien : "bonum est diffusivum sui"
(cf. I q5 a4 ad2 ; I-II q1 a4 ad1). Cela vaut d'abord et immédiatement dans le genre de la cause finale, par
rapport à l'agent ; de là, donc médiatement, l'agent est incliné à communiquer activement le bien qu'il
possède, dans le genre de la cause efficiente. Par rapport aux choses autres que lui-même, il y a là une
convenance pour Dieu, nullement une nécessité morale (de cette communication).
Cependant attention : le bien n’est pas cause finale pour Dieu. On peut dire, selon l’analogie, que le
bien est ratio movendi pour Dieu (d’après l’ad2, qui cependant ne dit pas littéralement cela)58.
Difficulté
Si Dieu veut les autres pour Lui-même, cela semble diminuer sa libéralité, ou la générosité de son
amour pour nous. Cela semble mettre en lui un amour de concupiscence et non de bienveillance (cf. Kant,
Hermès, Gunther, Laberthonnière. Cf. R.T. 1935, 568-605).
Réponse
Contre Hermès et Gunther, Vatican I a défini la doctrine déjà citée (D 1805 ; cf. ci-dessus
n° [4.6.2.1]) ; doctrine expliquée dans le chapitre correspondant (D 1783). Cf. Vacant, Études théologiques
sur le Concile du Vatican, 1895, I, p. 268 ss.
Dieu a tout créé pour Lui-même, i.e. pour sa bonté à communiquer et à manifester. Cela n'empêche
pas que Dieu nous aime d'un amour de bienveillance. Celui-ci est l'amour par lequel on veut le bien à l'autre
(finis cui) et pas seulement à soi. Or Dieu veut le bien à nous ; il veut même se donner Lui-même à nous, et
nous a donné son Fils. Mais nous demeurerons subordonnés à Dieu comme au bien suprême. Dieu nous aime
comme subjectum cui vult bonum, mais non comme fin (cujus gratia) de la création (Cf. Cours "De Deo
Creatore").
58 Et en utilisant le modus loquendi « platonicien » : cf ST1 q19 a1 ad3 : « Unde, cum voluntas Dei sit eius essentia, non movetur ab
alio a se, sed a se tantum, eo modo loquendi quo intelligere et velle dicitur motus. » (saint Thomas attribue ce modus loquendi à
Platon).
– 149 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
1) Seule la bonté divine est l'objet formel (« motivum et terminativum ») de la volonté divine (cf. corps
de l'a. et ad2).
– Est objet formel, motif et terminatif d'une puissance ce par quoi per se et ratione sui elle est mue, et
qu'elle atteint par soi et en raison de soi.
– Or Dieu veut tout pour sa bonté à manifester : en sorte que toute la ratio movendi et donc la ratio
terminandi se trouve dans la bonté divine ; le principe qui attire et le terme de la volition coïncident, mais le
principe se dit par rapport à l'intention, et le terme par rapport à la fruition du bien visé et possédé.
En outre : la volonté est spécifiée par son objet formel ; mais la volonté divine ne peut être spécifiée
par une bonté autre que la bonté divine, car elle en dépendrait.
2) De plus, selon les Thomistes, seule la bonté divine est l'objet adéquat de la volonté divine. Car la
bonté divine s'étend autant, sous la raison de bien, que la volonté divine sous la raison de puissance : chacune
est infinie. Donc la distinction entre objet propre et objet adéquat, établie pour l'intellect créé, ne vaut pas
pour la volonté divine.
Au sens propre, Dieu n'est pas mû par nos mérites pour nous récompenser, ni par nos misères pour
nous secourir. Dieu est mû à ces actes par sa seule bonté, diversement considérée. Dieu n'est pas mû
à ces actes à cause d'une honnêteté particulière apparaissant dans ces objets.
La bonté divine, en tant que "ratio benefaciendi" spécifie la libéralité divine ; en tant que "raison de
rendre à chacun son dû", elle spécifie la justice divine, qui distribue les récompenses et les peines
dues. De même, la bonté divine en tant que "ratio miseriis subveniendi" meut et spécifie la miséricorde
divine, car les vertus divines ne peuvent être spécifiées par un bien créé.
Quand saint Thomas dit (II-II q30 a2) : "ratio miserendi est miseria", il parle de la miséricorde créée,
et il le dit du côté de la cause matérielle à parfaire, non du côté de la cause finale (cujus gratia).
Et c'est ainsi que l'on dit que Dieu a voulu l'Incarnation de son Fils pour nous : en tant que
l'humanité à racheter fut le sujet auquel (finis cui) l'Incarnation serait profitable (III q1 a3 et ad3).
Mais la fin ultime de l'Incarnation demeure la manifestation de la bonté divine.
De même quand Dieu veut une créature pour une autre, et tous pour les élus : il faut l'entendre
comme saint Thomas l'explique a5 : Deus vult hoc esse propter hoc, sed non propter hoc vult hoc. Le
"pour" concerne l'objet, non la volition qui est unique, incréée, indépendante des créatures (volition
subjectivement considérée). Au contraire, chez nous, il y a au moins deux actes de la volonté,
l'intention et l'élection ; et nous, pour la fin visée, nous voulons les moyens par un acte subséquent
d'élection dont la cause est le premier acte d'intention.
3) Quand on dit que Dieu a tout fait pour sa « gloire extérieure », il ne faut pas l'entendre de la
« claire connaissance créée de Dieu, avec louange », qui est elle-même ordonnée à Dieu. Il faut l'entendre de
la bonté incréée à manifester.
On conserve ainsi la réponse absolue de saint Thomas : Deus vult se et alia a se, sed se ut finem, alia
a se ut ad finem.
On demande ici si Dieu veut les autres choses que soi, que de fait il veut, librement ou par une certaine
nécessité, de nature ou de science, i.e. physique ou morale.
Selon les panthéistes, comme Spinoza, Dieu produit les choses autres que soi nécessairement, de
nécessité métaphysique ou au moins physique (ainsi, rien ne serait possible en dehors de ce qui existe).
– 150 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Selon Leibniz, Dieu veut les choses autres que Lui d'une nécessité morale, en tant qu'il eût été
inconvenant (contre la Sagesse et la Bonté) que Dieu ne voulût pas d'autres choses ou qu'il ne voulût pas les
meilleures. Cette doctrine se retrouve chez Malebranche, Günther, Rosmini.
Aristote n'a jamais affirmé la liberté divine, ne sachant pas la concilier avec l'immutabilité. Il semble
avoir admis un monde non seulement sans commencement, mais encore nécessairement produit. De même
les Néoplatoniciens, avec leur doctrine de l'émanation.
Abélard a affirmé que Dieu ne pouvait faire autre chose que ce qu'il a fait (Cf. Portalié, DTC I,46, art.
« Abélard (doctrines condamnées) ». Et Cf. D 374, DS 726 (Conc. de Sens, approuvé par Innocent II).
Pierre Auriol ne reconnaissait qu'une liberté métaphorique en Dieu.
Wicleff, Bucer, Calvin ont nié la vraie liberté en Dieu Cf. saint Robert Bellarmin, De gratia et lib.
arb., L. III, c.15.
Saint Thomas
Montre les difficultés de ce sujet dans six objections. Cf. De Ver. Q23 a4 ; De Pot q3 a15 ; I.C.G.
76,81,82 ; II,C.G. 23,24,26,27.
Il y a deux difficultés principales : la première concerne l'exercice de l'acte libre, qui apparaît comme
une réalité contingente en Dieu (cf. Obj. 4 et 5) ; la seconde concerne la spécification et le motif objectif de
l'acte libre. Il semble que rien n'est voulu si ce n'est comme convenant et meilleur ; il semble inéluctable
d'admettre une nécessité morale pour la création (cf. Ici obj. 2 et 6, et surtout q25 a6 ; et II C.G. 26 et 27
contre le déterminisme averroïste).
Magistère
Nous avons déjà cité la condamnation d'Abélard au Concile de Sens.
Le Concile de Florence professe que Dieu a créé le monde « quando voluit » (D 706, DS 1333).
Pie IX condamne la doctrine contraire de Günther (D 1655, DS 2828 : Bref Eximiam tuam à
l'archevêque de Cologne, 15 juin 1857).
Le Concile Vatican I professe que Dieu a créé « liberrimo consilio » (D 1783, DS 3002), et il
condamne celui qui dit Deum non voluntate ab omni necessitate libera, sed tam necessario creasse, quam
necessario amat se ipsum" (D 1805, DS 3025).
Le Saint-Office a condamné chez Rosmini une théorie de la nécessité morale : D 1908, DS 3218.
Pie XII, Humani Generis, condamne la thèse suivante : "contenditur creationem mundi necessariam
esse, cum ex necessaria liberalitate divini amoris procedat." (D 2317, DS 3890).
Conclusion : la thèse :
Alia a se Deus non ex necessitate sed liberrime vult
est de fide divina et catholica definita.
Écriture Sainte
- Gen. I,3 : "Dixit Dominus : Fiat lux, et facta est lux".
- Ps. XCIII,1 : "Deus ultionum libere egit".
- Ps. CXXXIV,6 : "Quaecumque vult Dominus, facit in caelo et in terra".
- Eph. I,11 : "Omnia operatur secundum consilium voluntatis suae".
- Ex. XXXIII,19 ; Eccli. XXXIII,10-15 ; XXXIX,8 ; Jer. XVIII, 1-10 ; Ps. LXXVII, 67-70 ;
Rom 9.11,18 ; 11.5,28 ; Mt 20.1-15 ; 1 Co 12.11.
– 151 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
On établit que Dieu veut sa bonté "ex necessitate" et les choses autres que soit librement.
La première partie est immédiate : la volonté divine a un lien nécessaire à sa bonté, qui est son objet
propre. En outre, dans la bonté divine ne se trouve aucune raison de mal et se trouve toute raison de bien ; et
par ailleurs Dieu est nécessairement en acte de vouloir, aucunement en puissance : donc il veut
nécessairement sa bonté, et selon la liberté de spécification, et selon la liberté d'exercice.
La seconde partie se démontre à partir du fait que Dieu n'a en aucune façon besoin des créatures pour
la possession de sa bonté infinie :
- Nous ne voulons nécessairement les choses qui sont "ad finem"" que si elles sont nécessaires pour la
fin.
- Or Dieu veut les choses autres que Lui comme ordonnées à sa bonté ( à manifester), laquelle, étant
parfaite, peut être sans les créatures et ne reçoit d'elles aucun accroissement de perfection.
- Donc Dieu ne veut pas nécessairement les choses autres que Lui ; mais supposé qu'Il les veuille, Il ne
peut pas ne pas les vouloir, car sa volonté ne peut changer.
– 152 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Autres objections
1) Axiome : « bonum diffusivum sui ». [Cf. Garrigou-Lagrange, p. 401, medium].
Le bien est essentiellement « diffusif de soi », en ce sens qu'il peut se communiquer, et cela d'abord
dans le genre de la cause finale : d'accord. En ce sens que de fait il se communique nécessairement : on
distingue ; s'il s'agit d'un bien naturel communicable (comme l'illumination du soleil) : d'accord ; s'il s'agit
d'un bien communicable par une volonté libre : non.
1°) L'acte libre de Dieu serait constitué par une certaine réalité intrinsèque à Dieu et défectible, comme
surajoutée à l'acte pur. (Thèse de Cajetan, in ST1 q19 a3).
Réponse
Si cette réalité s'identifiait avec Dieu, Dieu serait intrinsèquement défectible ; si elle était réellement
distincte de la substance divine, elle serait un accident en Dieu, lequel ne serait plus absolument simple, ni
acte pur. Cela ouvre la voie au panthéisme de Spinoza qui pose certains accidents en Dieu, les modes finis.
2°) Selon Pierre d'Auriol (in 1S d47 q1 a1) l'acte libre de Dieu consiste en une dénomination
extérieure prise des créatures. L'acte libre n'est que métaphoriquement en Dieu, comme la colère.
Réponse
Dieu est libre de toute éternité, avant la production des créatures ; et même l'acte libre de création
existe de toute éternité en Dieu, comme acte vital, formellement immanent et virtuellement transitif, bien que
son effet extérieur ne soit passivement produit que dans le temps.
– 153 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
• Voici un passage très clair de Garrigou-Lagrange (De Deo Uno, p. 404) sur ce sujet (résumé dans ce
qui précède) :
Alia objectio : Ipsa terminatio actus liberi immanentis et aeterni debet esse Deo intrinseca, et proinde
intrinsece defectibilis, sic remanet difficultas.
Respondetur, Concedo antecedens, nego consequentiam. Haec terminatio actus immanentis et
aeterni est Deo intrinseca quoad entitatem ipsius actus immanentis, concedo ; quoad defectibilitatem,
nego ; est defectibilis extrinsece tantum, ratione voliti defectibilis. Ita sanctus Thomas, in art.
praesenti ad 4m, et de Veritate, q. 23, a. 4, c. et ad 4m. Unde, ut supra dictum est, entitas actus liberi
Dei est quidem Deo intrinseca, sed ejus defectibilitas est solum extrinseca. Cf. de hac re Gonet,
Goudin, Billuart.
Ideo ad objectionem principalem initio positam dicendum est : actus liber Dei potuit non esse,
distinguo : per respectum ad creaturas, concedo, in se, ut est unicus actus amoris Dei, nego. Brevius :
Deus immotus in se permanens potuit non creare et alias creaturas producere, nam libertas divina est
indifferentia dominatrix, non alicujus potentiae, sed actus puri, amoris per se subsistentis ; ita culmen
pyramidis immotum in se permanens terminat novas lineas ad ipsum protractas ; ita etiam
quodammodo spectator immobilis, conspiciens aliquam regionem, mutationes locales rerum hujusce
regionis attingit, quamvis ipse remaneat localiter immotus. Est analogia quidem remotissima, sed
quae suo modo ostendit quod ea quae sunt divisim in inferioribus sunt unita in superioribus, jam
quidem in visione sensitiva. Est applicatio principiorum generalium ; sic salvatur summa simplicitas
et immutabilitas Actus puri. Unde tota haec quaestio reducitur ad rectam intelligentiam indifferentiae
dominatricis, non potentialis et passivae, sed actualis et activae, quae Deo eminenter-formaliter, seu
proprie, et non solum metaphorice, pertinet.
Nous savons déjà que Dieu veut librement les choses autres que Lui-même. Nous demandons
maintenant s'il agit ad extra par sa volonté.
La question n'est pas inutile : nous voyons que l'homme par exemple engendre librement, mais non par
sa volonté ; il engendre parce qu'il est de telle nature. Aussi, s'il engendre, il ne peut qu'engendrer un être
semblable à lui-même selon son espèce.
Ainsi nous demandons si Dieu est cause des choses par sa volonté ou par sa nature.
Réponse
La volonté de Dieu est cause des choses
(ou : Dieu agit par sa volonté, non par une nécessité de nature).
Cet article illustre ce qui a été dit I q14 a8 : scientia Dei est causa rerum, secundum quod habet
voluntatem conjunctam.
Maintenant, il s'agit de cette volonté conjointe, et de la détermination de la volonté divine, dont il est
expressément question dans le corps de l'article, 2è raison, et qui par la suite sera appelée décret de la volonté
divine.
- On cite spécialement ici Sap. XI,26 ; Gen. I,3 ; Eph. I,11.
- Trois raisons sont indiquées dans le corps de l'article :
1°) Le premier agent doit être agent par l'intellect et par la volonté...
Car l'agent par nature doit avoir sa fin et les moyens déterminés par un intellect supérieur. En effet, ce
qui n'a pas d'intelligence ne connaît pas la raison de fin, qui est la raison d'être des moyens (il faut donc la
faculté saisissant l'être intelligible et les raisons d'être des choses) ;
2°) L'agent naturel, sauf empêchement, produit toujours le même effet, car il agit selon qu'il est tel par
nature. Or Dieu est infini, illimité, selon son être et sa nature. Donc s'il agissait par sa nature, il produirait un
effet infini dans l'être, ce qui est impossible.
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
3°) Les effets procèdent de l'agent selon qu'ils préexistent en lui ; or l'être de Dieu est son intelliger.
Donc ses effets préexistent en Lui selon le mode intelligible, et ils procèdent ainsi de Lui : donc selon le
mode de la volonté.
Il semble que oui, car plusieurs inconvénients paraissent suivre la thèse contraire : 1°) Dieu agirait
irrationnellement ; 2°) à toute question scientifique, il faudrait répondre uniquement : c'est ainsi, parce que
Dieu le veut : ce serait la destruction de la science ; 3°) Tout dépendrait de la simple volonté de Dieu, sans
raison antécédente : même les raisons de convenance seraient exclues.
Dans cette ligne, au XIVe siècle, Ockham affirme que la distinction entre le bien et le mal (moraux)
dépend de a simple volonté de Dieu.
Descartes dira que la vérité du principe de contradiction dépend du libre arbitre de Dieu.
Saint Thomas refuse absolument ces vues : De Ver. q23 a6. De même Leibniz, Théodicée, II §176s.
Réponse
Il n'y a aucune cause finale [ni autre !] de la volonté divine (« non propter hoc Deus vult hoc ») ;
mais Dieu veut avec sagesse (« vult hoc esse propter hoc »).
C - La volonté suit l'intellect. Or l'intellect divin, d'un seul regard, connaît les principes et les
A conclusions. Donc la volonté divine, par un seul acte veut sa bonté en elle-même et en tant que raison
P d'aimer les créatures. Ainsi en Dieu l'intention ou le vouloir de la fin n'est pas cause d'un autre acte
I (élection des moyens) comme en nous. La fin, pour Lui, n'est pas motif de vouloir ex parte volentis ;
T - Cependant, le sage veut que les moyens soient pour la fin, les inférieurs pour les supérieurs, la partie
A pour le tout etc. Donc Dieu qui veut tout ce qu'il veut de façon très sage veut que les moyens soient pour la
L fin etc. Cf. fin de l'a. et ad1.
- Ainsi, quand nous parlons du motif de la création ou de l'Incarnation, il s'agit non d'un motif ex parte
volentis, mais seulement ex parte voliti.
• Bien noter l’ad3, qui fonde la légitimité de la recherche des raisons de convenance (contre les
nominalistes : cf. Garrigou-Lagrange, De Deo Uno, p. 410) dans les œuvres divines :
Ad tertium dicendum quod, cum Deus velit effectus esse propter causas, quicumque effectus
praesupponunt aliquem alium effectum, non dependent ex sola Dei voluntate, sed ex aliquo alio.
Sed primi effectus ex sola divina voluntate dependent.
– 155 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Utpote si dicamus quod Deus voluit hominem habere manus, ut deservirent intellectui,
operando diversa opera, et voluit eum habere intellectum, ad hoc quod esset homo, et voluit eum
esse hominem, ut frueretur ipso, vel ad complementum universi. Quae quidem non est reducere ad
alios fines creatos ulteriores. Unde huiusmodi dependent ex simplici voluntate Dei, alia vero ex
ordine etiam aliarum causarum.
D'un autre côté, de nombreux passages de l’Écriture manifestent la doctrine explicitement enseignée
Ps. CXXXIV,6 : « Omnia quaecumque voluit Deus fecit ».
Réponse
Il est de foi qu'il y a en Dieu une volonté qui s'accomplit toujours. Cette volonté est
appelée volonté simpliciter ou conséquente ou absolue ou efficace.
– Le Magistère authentique enseigne cela, avec semble-t-il une certaine discrétion, ce sujet étant
étroitement lié à l’insondable Mystère de la prédestination (cf. infra question 23).
Il a été spécialement affirmé par le Magistère ordinaire de l'Église que la volonté divine de conduire
les élus à la gloire s'accomplit toujours :
- Hadrien I, Let. Institutio Universalis aux Évêques d'Espagne (785/791 ?), (D 300, DS 596).
" Illud autem, quod alii ex ipsis dicunt, quod praedestinatio ad vitam sive ad mortem in Dei sit
potestate et non nostra; isti dicunt 'Ut quid conamur vivere, quod in Dei est potestate?'; alii iterum
dicunt: 'Ut quid rogamus Deum, ne vincamur tentatione, quod in nostra est potestate, quasi
libertate arbitrii ?' Revera enim nullam rationem reddere vel accipere valent, ignorantes beati
Fulgentii episcopi ad Eugipium presbyterum contra sermonem cuiusdam Pelagiani opuscula
directa: 'Opera ergo misericordiae ac iustitiae praeparavit Deus in aeternitate
incommutabilitatis suae...; praeparavit ergo iustificandis hominibus merita; praeparavit iisdem
glorificandis et praemia; malis vero non praeparavit voluntates malas aut opera mala, sed
praeparavit eis iusta et aeterna supplicia. Haec est aeterna praedestinatio futurorum operum Dei,
quam, sicut nobis apostolica doctrina semper insinuari cognoscimus, sic etiam fiducialiter
praedicamus.' "
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Sur ce thème, voir aussi les célèbres conciles provinciaux de Quierzy (Carisiacum), mai 853, (D 316,
DS 621) et de Valence, janvier 855, (D 321, DS 626)
- Plus spécialement, le Concile de Quierzy reconnaît en fait deux volontés divines, une qui ne
s'accomplit pas toujours, l'autre qui s'accomplit infailliblement (D 318, DS 623) :
" Deus omnipotens "omnes homines" sine exceptione "vult salvos fieri" (I Tim. II,4), licet non
omnes salventur. Quod autem quidam salvantur, salvantis est donum ; quod autem quidam
pereunt, pereuntium est meritum".
– Rien ne peut se produire en dehors de l'ordre de la cause la plus universelle, sous laquelle toutes les
choses particulières sont comprises.
– Or la volonté de Dieu (celle qui est volonté simpliciter) est la cause la plus universelle, sous laquelle
sont contenues toutes les causes particulières.
– Donc rien ne peut se produire en dehors de son ordre, et il est contradictoire qu'elle n'obtienne pas
son effet.
Demeure la difficulté soulevée par le texte de I Tim. II,4, sur la volonté salvifique universelle de Dieu.
Cf. ad1.
1°) L'explication augustinienne de ce texte est très restrictive (De praedes. Sanct., c.8 ; Ench., c.103).
Saint Augustin entend ces mots de la volonté efficace, et il glose : "Dieu veut que soient sauvés tous les
hommes qui sont sauvés ; ou Dieu veut qu'il y ait des sauvés dans tous les états des hommes : hommes,
femmes, juifs, gentils, petits et grands". Il faut cependant noter qu'en ce qui concerne les adultes qui de fait
ne sont pas sauvés saint Augustin dit, comme le rapporte le Concile de Trente (D 804) : "Deus impossibilia
non jubet, sed jubendo monet et facere quod possis et petere quod non possis". (De natura et gratia,
c.43,n.50).
En cela est bien énoncée une certaine volonté de Dieu par laquelle il veut l'accomplissement des
préceptes comme réellement possible, hic et nunc, à tous les adultes (qui sont obligés par eux selon la
manière dont ils les connaissent). Ainsi le salut est réellement possible selon la volonté de Dieu, ce qui sera
nié par Luther, Calvin, Jansénius (D 1092).
2°) saint Thomas ad1 rapporte la sentence de saint Jean Damascène, qui interprète les paroles de saint
Paul de la volonté antécédente.
Cette volonté est celle qui précède la prévision des péchés. Mais après la prévision du péché
d'impénitence finale de plusieurs hommes, Dieu veut, de volonté conséquente leur infliger la peine due (saint
Jean Damascène, De fide orthodoxa, II,29).
C'est la solution du sens commun chrétien, qui considère le problème essentiellement sous l'aspect
moral.
59 Sur la distinction volonté antécédente / volonté conséquente, voir Maritain, Dieu et la permission du mal (DDB, 3e éd.,
1963/1964), notamment p. 98-99.
Dans la RT juillet 2002, 355-406 : Steven A. Long, « Providence, liberté et loi naturelle » critique la doctrine d’ensemble de Maritain
sur ces questions du concours divin. Si on peut admettre le rejet de la « motion brisable » (déjà critiquée par le Père Guérard des
Lauriers, BT XI (3), p. 553-637, passim), on ne voit pas que l’auteur ait véritablement compris l’enseignement de Maritain sur la
volonté divine antécédente et conséquente. En tout cas cet enseignement ne conduit aucunement à exempter la liberté humaine de sa
dépendance ontologique et morale vis-à-vis de l'action de la providence.
– 157 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Une difficulté demeure : comment la volonté de Dieu Tout-Puissant ne s'accomplit-elle pas en ce qui
concerne ceux qui ne sont pas sauvés ? est-ce que Dieu est impuissant à les préserver du péché
d'impénitence finale ?
S'il n'est pas impuissant à cela, permet-il ce péché pour un plus grand bien, et lequel ? Ceux qui
sont sauvés sont-ils de fait plus aimés et aidés?
Ainsi la question est posée sous un point de vue plus haut, métaphysique et théologique : sous la
lumière de ce grand principe de notre article : « la volonté du Tout-Puissant s'accomplit toujours ».
3°) Saint Thomas résout la question à l'aide de trois syllogisme, selon les principes suivants
A. Chaque chose, selon qu'elle est bonne est ainsi voulue par Dieu. Mais quelque chose peut être bon
dans la première considération, selon qu'il est considéré absolument, en sorte pourtant que compte tenu d'un
élément adjoint le jugement est contraire. Ainsi antécédemment Dieu veut le salut de tous les hommes, mais
conséquemment, selon les exigences de sa justice, il veut que certains soient condamnés. (Dans ce premier
syllogisme, saint Thomas reprend saint Jean Damascène. Reste le problème considéré par saint Augustin :
Dieu est-il impuissant à sauver tous les hommes?)
B. Ce que nous voulons antécédemment, nous ne le voulons pas simpliciter, mais secundum quid [et
quand même proprie ≠ métaphoriquement] : car la volonté est comparée aux choses selon qu'elles sont en
elles-mêmes ; or en elles-mêmes, elles sont selon leurs conditions particulières, hic et nunc. (Ainsi il n'est pas
contradictoire que cette volonté antécédente ne s'accomplisse pas, même avec la Toute-Puissance de Dieu)
C. Nous voulons quelque chose "simpliciter" lorsque nous le voulons compte-tenu de toutes les
circonstances particulières : c'est cela vouloir conséquemment. (Cf. I-II q6 a6 ad3).
D'où la conclusion :
Quidquid Deus simpliciter vult fit, licet illud quod antecedenter vult, non fiat
Cette question est liée à une autre : le Christ est-il mort pour tous les hommes ? ainsi qu'au mystère de
la prédestination.
Doctrine de l'Église
Il est de foi que Dieu veut sincèrement le salut non seulement de ceux qui sont prédestinés, mais aussi
de tous les fidèles.
Cela ressort de deux éléments :
1) la 5e proposition de Jansénius (D 1096) affirmant « c'est du semi-pélagianisme de dire que le Christ
est mort absolument pour tous les hommes » a été condamnée comme hérétique si on l'entend en ce sens
que le Christ serait mort pour le salut des seuls prédestinés.
2) En outre tous les fidèles sont tenus de réciter le Symbole dans lequel on dit du Christ : « qui pour
nous les hommes et pour notre salut est descendu du ciel ».
Il est certain et proche de la foi que Dieu veut le salut de tous les adultes, même infidèles, en tant
qu'il leur rend réellement possible hic et nunc l'accomplissement de ses préceptes, quand ils obligent.
Autrement, il ordonnerait l'impossible (Cf. D 804).
– 158 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
C'est une sentence commune que Dieu veut sincèrement le salut même de tous les enfants qui
meurent avant de pouvoir être baptisés60. Il est plus difficile d'expliquer dans leur cas en quoi consiste cette
possibilité réelle de salut61.
D 1096 et D 1380 précisent que le Christ n'est pas mort pour les seuls prédestinés ; D 1294 qu'il n'est
pas mort pour les seuls fidèles.
- Le Magistère enseigne cependant que tous ne reçoivent pas les bénéfices de la Rédemption : DS 333,
339, 340, 623-630 (passim), D 795, 1362. Citons deux de ces textes :
• Conc. CARISIACUM (Quierzy-sur-Oise), mai 853; D 318, DS 623:
" Cap. 3. Deus omnipotens 'omnes homines' sine exceptione 'vult salvos fieri' [I Tim 2, 4],
licet non omnes salventur. Quod autem quidam salvantur, salvantis est donum : quod autem
quidam pereunt, pereuntium est meritum. "
• Conc. de TRENTE (oecum. XIX, 1545-1563); Session VI, 13 janvier 1547, décret sur la justification; D.795:
"Cap.3. "Qui per Christum justificantur" - Verum etsi ille "pro omnibus mortuus est"
[Cor2 5.15], non omnes tamen mortis ejus beneficium recipiunt, sed ii dumtaxat, quibus
meritum passionis ejus communicatur. Nam sicut revera homines, nisi ex semine Adae propagati
nascerentur, non nascerentur injusti, cum ea propagatione per ipsum, dum concipiuntur,
propriam injustitiam contrahant: ita nisi in Christo renascerentur, numquam justificarentur [can.
2 et 10], cum ea renascentia per meritum passionis ejus gratia, qua justi fiunt, illis tribuatur. Pro
hoc beneficio Apostolus gratias nos semper agere hortatur Patri, "qui dignos nos fecit in partem
sortis sanctorum in lumine" [Col 1.12], et eripuit de potestate tenebrarum, transtulitque in regnum
Filii dilectionis suae, in quo habemus redemptionem et remissionem peccatorum [Col 1.13s]."
• Pour cette divine volonté salvifique universelle voir encore II Cor. V,15 ; Rom. V,18.
Saint Augustin, Contra Julianum, VI,4 (le Christ est mort même pour les petits enfants).
Pensée commune des Thomistes : cf. Billuart, De Deo, diss.VII,a7,§II.
60 Cf. PATRES SOCIETATIS JESU in Hispania professores : Sacrae theologiae summa : T. 2, De Deo Uno et Trino. De Deo
creante et elevante. De peccatis.. ed. 4 - La Editorial Catolica, 1964 – (Biblioteca de autores cristianos ; 90). Selon ce manuel, p. 176,
cette doctrine est au moins moraliter certa ; mais il n’y a pas de déclaration de l’Église sur ce point précis.
61 Cf. ibid. p. 180-181 n° 231.
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Pour les Thomistes, d'après saint Thomas ST1 q19 a6 ad1, la volonté antécédente à elle seule est
toujours inefficace, car elle porte sur le bien considéré absolument et non sur le bien considéré hic et nunc.
Or le bien ne se réalise que hic et nunc.
Cependant les Thomistes se divisent en ce que certains ont soutenu que la volonté antécédente est plus
probablement une volonté de signe, qui n'est pas proprement et formellement en Dieu, mais
métaphoriquement. Elle est plutôt le signe externe de la volonté divine. Ainsi Cajetan, Banez, Zumel et
plusieurs Anciens.
Les autres Thomistes, plus récents (Lemos, Alvarez, Gonzalez, Jean de Saint-Thomas, les
Salmanticenses, Gonet, Billuart...) tiennent – à juste titre – que la volonté antécédente est une volonté de
bon plaisir, qui se trouve en Dieu proprement et formellement.
Les Molinistes conçoivent autrement la volonté antécédente : pour eux, à elle seule, elle n'est pas
toujours inefficace.
A vrai dire, même dans le Molinisme, la volonté antécédente n'est pas proprement "à elle seule"
parfois efficace : elle l'est en vertu de notre consentement prévu. Cependant on peut la dire "ex se sola
quandoque efficax" en ce sens qu'elle l'est sans l'adjonction de la volonté divine conséquente.
Les Molinistes définissent la volonté antécédente : celle qui précède la prévision de notre
consentement par la science moyenne ; et la volonté conséquente : celle qui suit cette prévision, et ainsi punit
ou récompense.
• L'Écriture Sainte va dans ce sens, en vertu du principe selon lequel les paroles inspirées doivent
s'entendre au sens propre si rien d'inconvenant pour Dieu ou de contraire à la foi ou aux bonnes mœurs ne
s'ensuit. Or l'Ecriture affirme en divers lieux la volonté divine que tous les hommes soient sauvés ; et si l'on
entend d'une volonté conditionnée certes, mais propre et formelle (de bon plaisir) et pas seulement
métaphorique (de signe), rien ne s'ensuit d'inconvenant ou d'inacceptable.
Les textes principaux sont I Tim. II,4-6 ; II Pet. III,9 ; Mt. XXIII,37. Cf. saint Jean Chrysostome, in
Ep. ad Ephes., Hom. ad Ephes., Hom. I ; saint Aug., De Spir. et Lit.,c.23.
– 160 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Raison théologique
– La volonté de bon plaisir concerne l'inclination intérieure et l'ordination de Dieu, et pas seulement la
signification extérieure.
– Or Dieu, intérieurement, veut ordonner tous les hommes au salut et il leur accorde des secours
suffisants pour cela, bien que compte-tenu des circonstances et de la défectibilité de la volonté humaine,
Dieu veuille permettre que plusieurs défaillent de cet ordre.
– Donc la volonté salvifique universelle, antécédente, est une volonté de bon plaisir.
La mineure se prouve ainsi : de même que l'élection des moyens efficaces pour le salut suppose
l'intention interne efficace du salut, ainsi l'élection des moyens suffisants suppose l'intention interne
conditionnée du salut.
Cet argument est confirmé par la considération de l'objet de la volonté salvifique universelle :
un objet bon en lui-même et non seulement possible mais futur conditionné, termine un décret
interne de la volonté divine subjectivement absolu mais objectivement conditionné.
Or c'est le cas du salut de tous les hommes « voyageurs" »
Critique
1°) Cette opinion suppose la théorie de la science moyenne.
Mais la science moyenne des futuribles libres avant le décret divin conditionné est une science sans
objet. Car avant le décret divin, le futur libre conditionné demeure indéterminé, puisque contingent et libre.
(Cf. II-II q171 a3).
Si on dit que Dieu, en vertu de sa supercompréhension de notre volonté et des circonstances prévoit
infailliblement notre consentement, étant supposé que nous soyons placés dans ces circonstances,
alors cette théorie, inventée pour sauver notre liberté, conduit au déterminisme des circonstances.
En outre Dieu, n'étant pas déterminant, est déterminé passivement dans sa préscience.
Il en va de même dans la modification de la science moyenne proposée par Suarez (cf. Supra qXIV
a13).
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
pour certaine volonté conséquente : celle de récompenser ou de punir ; mais non pour toute volonté
conséquente. En effet, la volonté conséquente d'appeler efficacement à la foi et à la grâce ne suppose pas
notre consentement mais le précède, puisqu'elle le cause.
En fait, même dans le Molinisme, la volonté de placer Pierre dans les circonstances dans lesquelles est
prévu son bon consentement plutôt que dans d'autres est une volonté conséquente, et pourtant elle ne
présuppose pas, comme la volonté de récompenser ou de punir, la prévision du bon consentement de Pierre
comme futur, mais seulement comme futurible.
On demande si Dieu peut commencer à vouloir ce qu'il ne voulait pas, ou l'inverse. On admet
communément que la volonté de Dieu est immuable ; mais certains textes de l’Écriture peuvent fournir les
objections : Gen. VI,7 ; Jer. XVIII,17.
En outre Dieu a changé ses commandements positifs. La liberté semble aussi entraîner une possible
variabilité.
Réponse
La volonté de Dieu est absolument immuable, comme sa substance et sa science
- Le Conc. Vatican I (D 1782) affirme que Dieu est absolument simple, et substance spirituelle
immuable ; et toute la tradition théologique comprend que même les déterminations de la volonté divine sont
immuables. Les décrets divins sont mesurés par l'éternité en qui il n'y a pas de succession. Cf. Prov. XIX,21 :
« Multae cogitationes in corde viri ; voluntas autem Dei permanebit ».
Raison
Un changement de la volonté divine supposerait que Dieu change soit dans son être (quelque chose
commencerait à être bon pour lui qui ne l'était pas avant) soit dans sa connaissance (il commencerait à
connaître que quelque chose est bon pour lui). Or on a montré que l'être de Dieu et sa science sont
immuables, en tant qu'il est acte pur.
→ C'est donc par une même volonté immuable que Dieu veut que certaines choses soient changées.
Les textes de l'Écriture Sainte indiquant un changement doivent s'étendre métphoriquement.
La volonté de Dieu impose-t-elle la nécessité aux choses voulues ? (q19 a8)
Cet article pose la question de la conciliation de l'efficacité des déterminations de la volonté divine
avec notre liberté. (Question laissée en suspens q14 a13).
La question est : est-ce que la volonté efficace de Dieu, qui s'accomplit toujours, impose la nécessité
aux choses, même à nos choix.
Ce sujet est aussi abordé I q22 a4 (par rapport à la Providence). Cf. De Ver. Q23 a5 ; I-II q10 a4.
– 162 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Il s'agit donc de l'efficacité transcendante des déterminations ou décrets de la volonté divine par
rapport à nos actes libres. Cette « prédétermination »62 est-elle nécessitante ou non?
La difficulté principale est celle présentée dans la seconde objection : la volonté de Dieu ne peut être
empêchée...
Réponse
La volonté de Dieu n'impose pas la nécessité à toutes les choses : certaines se produisent de façon
contingente, parce que Dieu veut qu'elles se produisent ainsi. Dans le cas contraire, il n'y aurait plus de libre
arbitre, de mérites, de lois, de conseils, de récompenses, de fautes, de peines : or toutes ces choses, selon la
foi, doivent être admises (cf. sed contra).
En revanche, l'Église n'a pas défini si le décret divin au sujet de nos actes futurs salutaires est
infailliblement efficace ab intrinseco ou ab extrinseco (= en vertu de notre consentement prévu, par la
science moyenne - thèse des Molinistes et Congruistes).
Tous les Thomistes, ainsi que les Scotistes et les Augustiniens tiennent que les décrets de la volonté
divine sur nos actes futurs salutaires sont infailliblement efficaces ab intrinseco ou ex se : parce que Dieu le
veut et non parce que l'homme le veut. Ils tiennent que c'est la doctrine de saint Thomas dans cet article et
dans les autres lieux où il touche la question. Ils estiment même que cette doctrine est connexe aux principes
de foi et proxime definibilis. Cf. Phil. II,13.
- Phil. II,13 : "Deus est qui operatur in vobis et velle et perficere, pro bona voluntate."
- Rom. IX,15 : "Miserebor cujus misereor, et misericordiam praestabo cujus miserebor. Igitur
non est volentis, neque currentis, sed miserentis est Dei".
62 Ce mot, utilisé par les thomistes, est sans doute à éviter, comme trop susceptible de contresens.
– 163 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- Cf. Mt. XXIV,24 ; Jo. VII,30 ; X,28s ; XIII,1 ; XV,5 ; XVII,1 ; Act. II,23 ; X,41 ; XIII,48 ; XVII,26 ;
XXII,14 ; Rom. VIII,28 ; IX,11-18,23,37 ; XI,1-7 ; I Cor. IV,7 ; Eph. I,5-7,12.
1°) saint Thomas rapporte d'abord la position (qui semble être celle des Averroïstes) selon laquelle est
nécesssaire ce que Dieu produit par une cause nécessaire, et contingent ce que Dieu produit par une cause
contingente. Ainsi la distinction du contingent et du nécessaire proviendrait seulement des causes secondes.
Saint Thomas rejette cette thèse pour deux raisons : 1) parce que l'effet d'une cause universelle est
contingent à cause de la cause seconde lorsque l'effet de la cause première est empêché par le défaut de la
cause seconde : Or aucun défaut de la cause seconde ne peut empêcher que la volonté de Dieu produise son
effet. Dieu peut écarter ce défaut, puisqu'il est Tout-Puissant ; 2) si la distinction des contingents et des
nécessaires se rapporte seulement aux causes secondes, il s'ensuit qu'elle est “ praeter intentionem et
voluntatem divinam ”. Ceci est inconvenant, car rien ne peut être sans relation de dépendance par rapport à
la volonté divine.
2°) Ensuite, saint Thomas montre la racine supérieure de cette distinction ; et il fait reposer sa
conclusion (« Deus non omnibus rebus necessitatem imponit ») sur l'efficacité suprême de la volonté divine.
– Lorsque une cause est efficace pour agir, l'effet suit la cause non seulement selon ce qui se produit,
mais selon le mode de production ou d'être.
– Comme la volonté divine est suprêmement efficace, non seulement se produisent les choses que
Dieu veut, mais encore elles produisent selon le mode que Dieu veut.
– Or Dieu veut que certaines choses se produisent nécessairement, d'autres de façon contingente,
pour qu'il y ait de l'ordre dans les choses, en vue de l'achèvement de l'univers.
→ En conséquence, Dieu adapte à certains effets des causes nécessaires, qui ne peuvent défaillir, et
d'où les effets découlent nécessairement ; à d'autres effets Il adapte des causes contingentes défectibles,
d'où les effets proviennent de façon contingente.
Les Thomistes déduisent de cet article la doctrine de l'efficacité infaillible intrinsèque des décrets de
la volonté divine et de la grâce par rapport à nos actes libres volontaires. Et ce, à bon droit.
Saint Thomas a déjà parlé équivalemment des décrets divins I q14 a8 en disant que la science de Dieu
est cause des choses "secundum quod habet voluntatem conjunctam" ; et I q19 a4 saint Thomas affirme que
les effets déterminés procèdent de l'infinie perfection de Dieu « secundum determinationem voluntatis et
intellectus ipsius ». Cette détermination de la volonté de Dieu est souvent appelée "propositum" : Rom.
IX,11 ; IV,5 ; VIII,28 ; Eph. I,5,11 ; II Tim. I,9. Cf. Les Com. de saint Thomas.
On doit cependant bien noter – pour éviter tout anthropomorphisme – que ce « propos », ce « décret
divin » avec sa « détermination » est in re identique à Dieu lui-même.
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De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Si on admet, avec les Molinistes, que ces décrets divins sont efficaces seulement "ab extrinseco", en
vertu de notre consentement prévu par la science moyenne, la volonté de Dieu n'est plus suprêmement
efficace : elle ne s'étend plus au mode contingent et libre de nos choix salutaires. Bien plus, la détermination
libre de ces choix est alors, quant à l'exercice, uniquement de nous, sans relation de dépendance à la volonté
divine.
Le mal est la privation d'un bien ; on en distingue trois sortes (I q48 a5) : 1/ le mal de nature, qui est la
privation d'un bien naturel, même dans les êtres irrationnels ; puis dans les choses volontaires . 2/ le mal de
faute, qui est la privation de la rectitude morale et 3/ le mal de peine qui est la privation d'un bien à cause
d'une faute.
Dieu ne veut ni ne cause en aucune façon le mal de faute, pas même "per accidens" ; il le
permet seulement. Et donc en aucun sens il ne peut en être dit l'auteur.
Cette thèse est enseignée par tous les théologiens. Elle est de foi selon l'Écriture : cf. Ps. V,5 (Non
Deus volens iniquitatem tu es) ; Rom. III,5 ; IX,14 ; Jac. I,13 ; I Jo. I,5 ; III,9.
Contre Luther et Calvin, le Conc. De Trente a défini, Sess.VI, can.6 (D 816, DS 1556) :
"S.q.d. non esse in potestate hominis vias suas malas facere, sed mala opera ITA ut bona
Deum operari, non PERMISSIVE solum, sed etiam proprie et per se, adeo ut sit proprium eius
opus non minus proditio Judae quam vocatio Pauli : a.s."
• La raison de cette réponse est développée I-II q79 a1 : où il est montré que Dieu ne peut causer le
péché ni directement (en y inclinant), ni indirectement (par négligence ou insuffisance du secours dû), et
– 165 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
qu'il peut permettre le péché pour un plus grand bien. Ainsi le péché (mal de faute) est un défaut provenant
de la cause défectible, non de Dieu63.
• Ici, saint Thomas développe un argument général :
– Il est impossible qu'un mal, directement et par soi soit désiré (car la raison d'appétible appartient à
la raison du bien) ; un mal ne peut être désiré que per accidens et indirectement.
– Mais le mal est désiré par accident en tant qu'il suit quelque bien plus désirable que le bien dont ce
mal prive.
– Or Dieu ne veut aucun bien davantage que sa bonté.
– Donc Dieu ne veut en aucune façon le mal de faute qui prive de l'ordre au bien divin. Il le permet
seulement (ad3) ;
Deuxième réponse
Dieu veut et cause le mal de nature et le mal de peine, non par soi mais par accident, en raison du
bien auquel ils sont liés.
1°) Dieu a le libre arbitre, puisqu'il a l'élection, en tant qu'il ne veut pas nécessairement les choses
autres que Lui-même.
Cette affirmation est de foi. (Cf. A3).
2°) Dieu est suprêmement libre, bien qu'il ne puisse pécher. Cette possibilité appartient à
l'imperfection du libre arbitre dans les créatures (cf.ad2).
Dans cet article, saint Thomas explique la distinction communément reçue entre la volonté de bon
plaisir (dont il a été question jusqu'ici) et la volonté de signe.
L'origine de cette distinction semble consister en ce que les préceptes de Dieu, qui ne sont pas toujours
observés, sont dits « volonté de Dieu » : « Fiat voluntas tua sicut in caelo et in terra ». Alors la « volonté de
Dieu » ne signifie pas la même chose que la volonté de bon plaisir, conséquente et efficace, qui s'accomplit
toujours. Mais elle ne s'identifie pas non plus absolument avec la volonté de bon plaisir antécédente, jamais
efficace à soi seule. Pour éclairer cette distinction, saint Thomas déclare : ce qui chez nous se présente
comme signe de la volonté est parfois dit métaphoriquement volonté en Dieu. Ainsi quand quelqu'un
commande quelque chose, c'est un signe qu'il veut que cela soit fait.
Pose-t-on de façon convenable cinq signes de la volonté divine ? (q19 a12)
Ces cinq signes communément recensés, à partir de l'Écriture Sainte sont : le précepte, le conseil,
l'interdiction, la permission et l'opération.
Cela correspond aux manières dont nous signifions que nous voulons intérieurement quelque chose.
63 Maritain cite ce texte de saint Thomas dans Dieu et la permission du mal, p. 13 note 1.
– 166 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Ad secundum dicendum quod, sicut Deus potest significari metaphorice velle id quod non vult
voluntate proprie accepta, ita potest metaphorice significari velle id quod proprie vult.
Unde nihil prohibet de eodem esse voluntatem beneplaciti, et voluntatem signi. Sed
operatio SEMPER est eadem cum voluntate beneplaciti, non autem praeceptum vel consilium,
tum quia haec est de praesenti, illud de futuro; tum quia haec per se est effectus voluntatis, illud
autem per alium, ut dictum est.
À relire : Benoît XVI, encyclique Deus Caritas est, 25 décembre 2005, en se souvenant que le
vocabulaire du saint Père, spécialement en cette encyclique, est fort peu thomiste. Rappelons que les
discussions théologiques autour du thème « éros et agapè » ont été mises sur le devant de la scène
avec l’ouvrage du luthérien Anders Nygren (Eros und Agape, Gütersloh, 1930). Pour une brève mais
solide critique, cf. Spicq, o.p., Agapè dans le Nouveau Testament, II, p. 351-353 note 2.
Pour un approfondissement spéculatif de la ratio amoris, dans la ligne de saint Thomas mais sans
littéralisme étroit, cf. Guérard des Lauriers, Le péché et la durée de l’ange, Desclée et Cie, 1965, p. 56-
72 (« La structure métaphysique du vouloir et du libre arbitre est corrélative de l’ordre qui existe, ex
parte subjecti, entre : la ratio boni, la ratio finis et la ratio amoris. »)
Réponse
Il est nécessaire de reconnaître en Dieu l'amour, de façon propre et pas seulement métaphorique.
1°) Ceci est de foi d'après l’Écriture Sainte. Cf. I Jo. IV,16 : « Deus caritas est ».
2°) Raison :
L'amour est le premier acte de la volonté. Or la volonté est formellement en Dieu. Donc l'amour est
formellement en Dieu.
– Majeure : la volonté est spécifiée par le bien aimable, et elle aime le bien avant de fuir le mal ; de
même elle aime le bien simpliciter avant de s'attrister de son absence ou de se réjouir de sa présence. Aimer
n'est rien d'autre que vouloir le bien. L'amour n'est rien d'autre que l'inclination vers le bien ou, si le bien est
possédé, la complaisance en lui. Dans cette perfection, il n'y a aucune imperfection ; elle est donc
formellement éminemment en Dieu (cf. ad2).
Soulignons spécialement cet ad2, qui est une magnifique illustration de l’emploi par saint Thomas
de la distinction utilisée ensuite par ses commentateurs pour discerner les noms purement
métaphoriques de ceux qui sont donnés proprement à Dieu :
« Ad secundum dicendum quod in passionibus sensitivi appetitus, est considerare aliquid quasi materiale,
scilicet corporalem transmutationem; et aliquid quasi formale, quod est ex parte appetitus. Sicut in ira, ut
– 167 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
dicitur in I De Anima, materiale est accensio sanguinis circa cor, vel aliquid huiusmodi; formale vero, appetitus
vindictae.
Sed rursus, ex parte eius quod est formale,
– in quibusdam horum designatur aliqua imperfectio; sicut in desiderio, quod est boni non habiti; et
in tristitia, quae est mali habiti. Et eadem ratio est de ira, quae tristitiam supponit.
– Quaedam vero nullam imperfectionem designant, ut amor et gaudium.
• Cum igitur nihil horum Deo conveniat secundum illud quod est materiale in eis, ut dictum est;
– illa quae imperfectionem important etiam formaliter, Deo convenire non possunt nisi
metaphorice, propter similitudinem effectus, ut supra dictum est.
– Quae autem imperfectionem non important, de Deo proprie dicuntur, ut amor et gaudium, tamen
sine passione, ut dictum est. »
– Il s'agit de l'amour non en tant que passion (acte de l'appétit sensible), mais comme acte de l'appétit
intellectif (ad1).
Corollaires
1- En Dieu se trouve formellement la joie, qui est le repos dans le bien possédé. La tristesse n'est pas
formellement en Dieu, ni la colère : l'une et l'autre comportent une imperfection et ne sont donc dites de Dieu
que métaphoriquement.
Telle est la réponse commune, donnée par Garrigou-Lagrange p. 465 bas.
Il reste que cette situation montre bien que le fond de la Réalité divine nous échappe…
2- Dieu s'aime Lui-même infiniment et nécessairement (cf. q19 a2 et a3) ; cet amour éminent n'est pas
proprement amour de concupiscence, ni d'amitié (avec réciprocité d’actes distincts), mais quelque chose de
plus haut.
Selon Jean de saint-Thomas (sur cet article), l'amour de concupiscence est celui par lequel nous
voulons un bien spécialement « à nous » ; et l'amour d'amitié est celui par lequel nous aimons l'autre,
en lui voulant un bien comme à nous. Or Dieu s'aime Lui-même par une suprême identité.
Cependant ST1-2 q26 a4 nous incite à être prudent quant à la définition donnée ci-dessus pour
l’amour de concupiscence. Saint Thomas distingue ainsi :
« … Sic ergo motus amoris in duo tendit, scilicet in bonum quod quis vult alicui, vel sibi vel
alii; et in illud cui vult bonum. Ad illud ergo bonum quod quis vult alteri, habetur amor
concupiscentiae, ad illud autem cui aliquis vult bonum, habetur amor amicitiae. Haec autem
divisio est secundum prius et posterius. … »
Même entre les Personnes divines, il n'y a pas d'amour mutuel formellement ex parte actus amoris,
mais seulement du côté des Personnes aimantes, qui s'aiment par un acte unique. Il n'y a donc pas d'amitié
simpliciter, mais quelque chose de plus haut ; ce n'est pas un amour unitif, mais une unité d'amour et une
identité de biens. Nous reverrons cela, dans le traité sur la Très Sainte Trinité. Néanmoins il est utile de
signaler que beaucoup de modernes se laissent aller sur ce sujet (« bien au goût du jour ») à des affirmations
relevant plus de l’anthropomorphisme le plus virulent que de la contemplation amoureuse et adorante du
Mystère dans la Foi.
3- Le zèle se trouve proprement en Dieu. Car le zèle est un amour intense, repoussant fortement tout
ce qui lui est contraire. Il peut exister sans aucune imperfection (sans envie, sans suspicion...). Cf. Ex.
XXVI,8,9.
– 168 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
En ce qui concerne la haine d'abomination, par laquelle le juste déteste le péché comme mal : la
question est davantage disputée :
- Suarez, Vasquez et plusieurs modernes affirment qu'elle est proprement en Dieu, car l'Ecriture dit
souvent que Dieu à l'iniquité en haine, que le péché lui déplaît. Donc il le déteste formellement comme mal,
bien qu'il permette (mais ensuite il le punit) ;
- Saint Thomas, I C.G. 96, semble bien le nier. Cf. Sylvestre de Ferrare.
De là plusieurs Thomistes (Jean de Saint-Thomas (Disp. VI, art. II, éd. Vivès p. 512-519), Gonet)
tiennent que la haine de l'iniquité se trouve seulement métaphoriquement et virtuellement en Dieu, comme
conséquence de son amour de la justice. Aucun acte de la volonté divine ne regarde proprement le mal, pas
même pour le fuir.
1°) Il semble que Dieu n'aime pas proprement les choses autres que soi, car Denys dit que l'amour met
l'aimant hors de lui-même : ce serait une imperfection par Dieu.
En outre l'amour de Dieu est éternel : donc Dieu ne peut aimer proprement que lui-même, non les
réalités temporelles.
Aristote semble avoir tenu cette position négative, de même Platon et les Néo-platoniciens ; parmi les
modernes : Spinoza (le monde procède nécessairement de Dieu, sans être aimé de Lui).
2°) Dieu aime toutes les choses qui sont, d'un amour au sens propre.
A) Cela est de foi selon l'Écriture :
- Sap. XI,25 : "Diligis omnia quae sunt, et nihil odisti eorum quae fecisti."
- Cf. Aussi Jo. III,16.
B) Aimer, c'est proprement vouloir le bien à quelqu'un. Or Dieu veut le bien de tout ce qui est, a été ou
sera : au moins leur être, qui dépend de la volonté divine. Donc Dieu aime proprement tout ce qui est.
3°) D'où il apparaît que l'amour de Dieu par rapport aux créatures n'est aucunement passif mais actif,
et même créateur, conservateur, vivificateur. Il ne suppose pas l'amabilité dans l'objet, mais il la pose.
Ainsi, la grâce gratum faciens est effet de l'amour de Dieu qui nous élève à la participation de sa vie
intime (I-II q110 a1).
4°) Dans le signifié formel de cette notion, il n'y a aucune imperfection. Cependant, on ne dit pas qu'en
Dieu l'amour des créatures est une perfection simple proprement dite, car cet amour est libre (cf. q19 a3) : et
donc il n'est pas meilleur pour Dieu de l'avoir que de ne pas l'avoir.
Objections
Ad 1- L'expression de Denys est impropre ; elle signifie que l'aimant veut le bien de l'aimé.
Ad 2- Dieu connaît et aime de toute éternité les choses futures.
Ad 3- Dieu aime les créatures rationnelles d'un amour d'amitié. Il aime les créatures irrationnelles d'un
amour de quasi concupiscence, en tant qu'il les ordonne aux créatures rationnelles, et ainsi médiatement à
lui-même.
Ad 4- Dieu aime les pécheurs, en tant qu'ils sont certaines natures, et les conserve dans l'être. Ils ne les
aime pas en tant que pécheurs.
– 169 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Réponse
Dieu aime également toutes les choses, du côté de l'acte même de la volonté : car il aime tout par un
seul et même acte. Mais il n'aime pas également tout du côté du bien voulu : il aime davantage les meilleurs.
Pour la deuxième : sous ce rapport quelqu'un aime mieux un autre auquel il veut un plus grand bien,
même si ce n'est pas par une volonté plus intense.
Or de fait Dieu veut à certaines choses seulement l'être, à d'autre le vivre, à d'autre l'intelliger, la vie de
la grâce, la gloire, au Christ l'union hypostatique.
Ex hoc sunt aliqua meliora quod Deus eis majus bonum vult. Unde sequitur quod meliora plus
amet.
1°) La Révélation l'affirme, en disant que l'Amour de Dieu est cause de la bonté des choses : Sap.
XI,26 ; Jo. XV,5 (en rapport au salut) ; Rom. IX,15.
Ad 1) Dieu aime le Christ plus que tout l'univers, car il a voulu un plus grand bien (l'union
hypostatique). Et son excellence n'est pas diminuée du fait qu'il a été livré à la mort pour le salut du genre
humain : par là il a été fait vainqueur glorieux.
– 170 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
• SON, Eunsil, BERCEVILLE, Gilles ( o.p.) (préface de) : Miséricorde n'est pas défaut de justice :
Savoir humain, révélation évangélique et justice divine chez Thomas d'Aquin. – Les Éditions du Cerf,
2018. – (Patrimoines).
Cette réponse est de foi, d'après de nombreux textes de l'Écriture Sainte : Ps. X,8 ; Deut. X,17 ;
XXXII,4 ; Prov. VIII,18 ; Jer. XXIII,6 ; Dan.IX,14 ; Zach.IX,9 ; Act. X,34 ; Eph. VI,9 ; Col. III,25 ; II Tim.
IV,8 ; I Pet. I,17 ; I Jo. I,9 ; Apoc. XVI,5.
Ces divers textes manifestent bien la justice de Dieu comme « sa volonté constante d'attribuer à
chacun ce qui lui est dû selon sa nature et sa condition et pour les mérites selon la promesse et l'ordination
divines. »
La difficulté
Elle concerne le type de justice que l'on trouve en Dieu.
Sur la question de la distinction des divers types de justice, lire la brève mais substantielle note de
Tonneau, o.p. : « La vertu cardinale de justice », RSPT 1939, 71-73. Voir du même divers comptes
rendus dans BT V, p. 446-448.
La justice commutative
Elle ne se trouve pas proprement et formellement en Dieu : telle est la réponse de saint Thomas
dans notre article.
En effet, l'obligation de la justice commutative provient de ce que l'autre nous a donné quelque chose
de sien, qui n'était pas sous notre dominium. Or l'ange et l'homme ne peuvent rien donner à Dieu qui ne soit
déjà à Dieu et sous son dominium. Même notre action libre est sous la propriété de Dieu, comme tout être
créé.
Cf. Rom. XI,35 : « Quis prior dedit illi et retribuetur ei ? »
- Objection :
Celui qui s'oblige par une promesse de récompense sous la condition d'une œuvre à accomplir est
obligé en justice commutative. C'est le cas de Dieu (Mt. XX,8).
– 171 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
De plus, saint Thomas, II-II q61 a4 ad1 déclare : « forma judicii divini attenditur secundum rationem
justitiae commutativae, prout scilicet recompensat praemia meritis et supplicia peccatis. »
Réponse
Celui qui s'oblige par un acte ou une promesse de récompense est obligé en justice commutative, si ce
qui lui est donné n'était pas déjà sous son dominium : d'accord ; autrement : non.
Ainsi pour Dieu il y a obligation de fidélité, non de justice commutative.
Pour le texte de saint Thomas, il faut dire que la rétribution divine suit le mode de la justice
commutative, car tant est donné pour tant, mais cet acte divin n'est pas proprement et formellement un
acte de justice commutative.
[Voir en sens contraire, DOGNIN, o.p., « La justice particulière comporte-t-elle deux espèces ? », RT,
1965 (III), 398-425, spécialement 419-422. Tout bien pesé, les intéressantes observations de cet
auteur ne paraissent pas concluantes pour le présent sujet].
Justice distributive
Elle est formellement en Dieu.
C'est en effet la justice selon laquelle celui qui gouverne donne à chacun selon sa dignité et son mérite.
Il s'agit là d'une perfection simple, et elle convient maximalement à Dieu, très Sage Maître et Gouverneur
suprême de tout l'univers.
- Pour la question de la dette, cf. ad3 :
La justice distributive comporte une dette, qui peut dépendre de l'ordination propre de celui qui
distribue (par exemple quand il distribue ses biens propres en récompense). Et ainsi Dieu ne doit rien à
personne indépendamment de sa propre ordination. Ainsi doit-on dire que Dieu se doit à Lui-même de
donner à toutes les créatures ce qui leur est nécessaire pour pouvoir parvenir à leur fin.
Explication de Ps. LXXXIV,11, où, selon l'interprétation traditionnelle, « vérité » est mis pour
« justice ».
La justice de Dieu est bien nommée vérité, car la vérité des choses consiste dans leur conformité avec
l'intellect divin, et nos œuvres sont dites justes selon leur conformité à la loi divine. Et la justice de Dieu
constitue l'ordre dans les choses conformément à la raison de sa sagesse, qui est sa loi.
– 172 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
On en compte trois : 1) donner à chacun ce qui lui est dû selon la raison de sa nature et de sa
condition ; 2) infliger la peine due pour les péchés ; 3) accorder la récompense due aux mérites. Sous le
deuxième aspect, la justice divine est dite vindicative ; sous le troisième : rémunératrice.
1°) Il s'agit de la juste distribution des biens naturels et des secours surnaturels sans lesquels
l'obtention de la fin des créatures serait impossible.
Saint Thomas le dit dans notre article 1 et ad3. Cf. aussi Mt. 6.25 et com. de saint Thomas.
Remarquons cependant que c'est sans aucune injustice du côté de Dieu qu'il y a une grande inégalité
des conditions tant naturelles que surnaturelles. L'inégalité des conditions naturelles dans le genre humain se
trouvait déjà dans l'état de justice originelle (I q96 a4), conformément au bien commun de l'animal social. Le
péché originel, la concupiscence de la chair et des yeux, l'orgueil de la vie ont grandement augmenté et
exagéré cette inégalité des conditions naturelles. Cf. Lc. VI,24 ; Lc. XVI,25. L'inégalité des conditions
naturelles est souvent compensée par l'inégalité des grâces, car Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâce
aux humbles (Jac. IV,6).
La justice distributive apparaît dans la distribution des grâces, en cela que Dieu ne commande pas
l'impossible : quand il commande, il avertit de faire ce que l'on peut et de demander ce que l'on ne peut. (Cf.
saint Aug. et Trente, D 804).
"Facienti quod in se est (cum gratiae actualis auxilio) Deus non denegat gratiam (habitualem)".
Même pour les infidèles, cette justice distributive est observée : cf. Pie IX, D 1677. (Idem D 1648, et
saint Thomas, De Ver. Q14 a11 ad1).
2°) Un autre acte de la justice divine est d'infliger la peine due aux péchés : Cf. Lc.XVI,25. Cf. I-II
q87 a1.
Le juste juge, sans passion déréglée, inflige la peine par amour de la justice et de l'infinie Bonté à
aimer par-dessus tout. Ainsi la justice vindicative se trouve proprement ou formellement en Dieu.
Remarquons en particulier que la peine éternelle qui fait suite à l'impénitence finale, et dont l'Écriture Sainte
porte témoignage (Mt. XXV,41,46...) ne peut être que vindicative, en raison de son éternité. Elle n'a pas
pour but de corriger les damnés, ni de les détourner du mal. La peine éternelle a cependant un caractère
médicinal pour les autres, ici-bas.
En outre, il apparaît que la justice vindicative suit la sainteté de Dieu. En effet l'ordre moral, image de
la sainteté divine librement voulue par Dieu, ne peut être conservé sans que des peines puissent être attachées
aux fautes : et même des peines vindicatives et pas seulement correctives contre les volontés endurcies dans
le mal et refusant toute correction.
3°) Le troisième acte de la justice divine est l'admirable rétribution des mérites, selon la proportion
requise. Cf. Les Béatitudes, Mt. V, 3ss. Mt. VI, 1 (nécessité de l'intention droite). II Tim. IV,8.
- Ceci est de foi d'après d'innombrables textes de l'Écriture et l'interprétation commune de l'Église,
bien qu'il n'y ait pas de définition solennelle spéciale de ce point.
– 173 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Dans la miséricorde humaine envers les misérables, il faut distinguer deux éléments : 1) le fait de
s'attrister de la misère d'autrui ; 2) le fait de remédier à cette misère. La tristesse est élément matériel de la
miséricorde, eu égard au sujet en qui elle se trouve ; au contraire, l'inclination de la volonté à soulager la
misère d'autrui est élément formel de la miséricorde, en raison de l'objet.
Or, bien qu'il n'appartienne pas à Dieu de s'attrister, il lui convient maximalement de remédier à la
misère d'autrui, acte qui ne comporte aucune imperfection dans son signifié formel. Et les défauts ne sont
enlevés que par la perfection de quelque bonté. Dieu est d'ailleurs l'origine de la bonté, et la bonté par
essence.
• Sur la miséricorde, cf. aussi ST2-2 q30 a4.
– 174 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Y-a-t-il miséricorde et justice dans toutes les œuvres de Dieu? (q21 a4)
1°) Cet article explique les paroles du Ps. XXIV,10 : « Omnes viae Domini misericordia et veritas »
et les passages similaires.
Difficultés :
1- certaines œuvres de Dieu sont attribuées à sa miséricorde, d'autres à sa justice ; 2- beaucoup de
justes sont affligés ici-bas : en cela, la justice n'apparaît pas ; 3- les œuvres de justice et de miséricorde
présupposent la création, en quoi ces perfections ne sont pas manifestées.
2°) On répond cependant : en toute œuvre de Dieu on trouve miséricorde et justice ("vérité"), comme
l'affirme le Psaume.
Il faut cependant remarquer que dans cette réponse, on prend « miséricorde » en un sens large, pour la
suppression d'un défaut quelconque et pas seulement de la misère proprement dite.
- La raison en est que l'œuvre de la justice divine présuppose toujours l'œuvre de la miséricorde et se
fonde sur elle.
En effet, rien n'est dû à la créature si ce n'est à cause de quelque chose qui préexiste en elle, et en
dernière analyse à cause de quelque chose qui ne dépend que de la bonté de la divine volonté, qui nous a
créés gratuitement et nous a ordonnés à une fin surnaturelle.
Ainsi en toute œuvre de Dieu apparaît la miséricorde au sens large [le don purement gratuit], quant à
sa racine première64.
3°) Même dans la damnation des impies, la miséricorde s'exerce, par une punition moindre que ce qui
serait mérité (ST3, suppl. q99).
- Quand les justes sont punis ici-bas, ils réparent certains péchés légers (justice) et ils sont arrachés à
l'affection des choses terrestres pour grandir dans celle de Dieu (miséricorde).
- Dans la création même, on peut trouver en quelque façon les raisons de justice et de miséricorde : les
choses passent du non-être à l'être (miséricorde) et elles sont produites selon ce qui convient à la sagesse et à
la bonté divine (justice).
64 Noter que les thomistes et autres théologiens scolastiques n’ont pas attendu de Lubac pour enseigner cette doctrine.
– 175 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
en vertu de la nature de A
bien qu’il y ait dans l’être actuel de A une contradiction à la réalisation de B [désordre qui
suppose toujours le péché]
la connexion, si elle est réalisée, est référée à la Miséricorde de Dieu. »
Magistère
Cette doctrine a toujours été présente dans la prédication officielle de l'Église universelle :
- Le Conc. de Braga, 561 (D 239, DS 459) a condamné le fatalisme des Priscillanistes.
- Dieu, dès l'éternité, a connu avec certitude et immuablement préordonné tous les futurs :
• Hadrien I,Ep. "Institutio universalis", (D 300, DS 596) :
« Opera ergo misericordiae ac justitiae praeparavit Deus in aeternitate incommutabilitatis suae
(...) ».
Voir aussi : Conc. De Quiercy, 853 (D 316, DS 621) ; Conc. De Valence, 855 (D 321-322, DS 626-
629).
• Conc. Vatican I (D 1784, DS 3003) :
« Universa vero, quae condidit, Deus providentia sua tuetur atque gubernat, "attingens" a fine
usque ad finem fortiter et disponens omnia suaviter" (cf. Sap. VIII,1). “ Omnia enim nuda et aperta
sunt oculis eius ” (Heb. IV,13), ea etiam, quae libera creaturarum actione futura sunt. »
- Cependant, tout n'arrive pas nécessairement, comme on l'a vu. Cf. D 321, D 607 (DS 1177, Conc. de
Constance, contre Wyclef).
- Dieu, par sa Providence, gouverne les choses visibles et les invisibles :
• Innocent III, Ep. Eius exemplo, 18 déc. 1208, prof. de Foi prescrite aux Vaudois (D 421,
DS 790) :
« Patrem quoque et Filium et Spiritum Sanctum unum Deum, de quo nobis sermo, esse
creatorem, factorem, gubernatorem et dispositorem omnium corporalium et spiritualium, visibilium
et invisibilium corde credimus et ore confitemur. »
• Cf. D 1784.
- Dieu agit vraiment dans le monde et dans les hommes (D 1702, DS 2902 : Pie IX, Syllabus).
- Dieu ne veut pas les péchés (Jean XXII, Const. In agro Domini, 27 mars 1329, contre Eckhart ;
D 514, DS 964) ; il permet seulement les péchés (Trente, D 816, DS 1556).
- Proposition de Wyclef condamnée (D 586) :
« Deus debet oboedire diabolo. »
- Sous Innocent XI, un décret du Saint-Office, 23 nov.1679 a condamné les deux propositions
suivantes :
1. Deus donat nobis omnipotentiam suam, ut ea utamur, sicut aliquis donat alteri villam vel
librum.
– 176 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Écriture Sainte
- Judith IX,5 ; Sap. VI,8 ; VIII,1 ; XI,21 ; XII,13 ; XIV,1-5 ; Esth. XIII,9 ; XIV,12-19 ; Eccli.
XXXIII,13 ; Is. XIV,27.
Ps. CXIII (Providence de Dieu envers Israël) ; Ps. XXIV,5 ; XXII,1 ; XXX,16 ;
Ps. XVIII,2.
- Cependant, les voies de la Providence nous dépassent : cf. Job ; cf. Gen XLV,8 ; Ps. XXXV,7.
- Tob. XIII,1 ; Dan. XIII,42.
- Mt. VI,26 ; VI,32 ; X,30 ; XX,1ss ; XXV,14ss ; Lc.XI,13 ; XV,4 ; Jo. X,1 ; I Pet. V,6 ; Rom. XI,33.
N.B.
Rappelons que saint Augustin, dans La Cité de Dieu, expose tout au long l'action providentielle de
Dieu par rapport à l'humanité. Voir cependant de façon spéciale Liv. VII, c. 29.
On présuppose une définition quasi nominale de la Providence, selon laquelle elle est une partie de la
prudence qui ordonne diverses choses à la fin à obtenir (Cf. ST2-2 q49 a6). Cette notion commune est
attribuée à Dieu selon une analogie propre :
– Dans l'agent intellectuel préexiste la raison ou l'idée de tous ses effets.
– Or Dieu est cause par l'intellect de tout le bien créé, et donc de l'ordre des choses à leur fin,
spécialement à la fin ultime.
– Donc en Dieu (« in mente divina ») préexiste la raison de l'ordre des choses à la fin : ce qui est la
Providence, selon sa définition nominale.
– Et comme cette notion n'enclôt aucune imperfection, la providence convient à Dieu selon une
analogie propre.
Remarque : revoir ST1 q14 a8 et q19 a4.
- Ad1) Le conseil n'appartient pas à Dieu, mais le commandement lui convient en propre.
- Ad2) La Providence est proprement : Ratio ordinis rerum in finem [in mente divina praeexistens,
comme le montre le corpus de l’article], tandis que le gouvernement divin est l'exécution de cet ordre.
C'est pourquoi la Providence est éternelle, tandis que le gouvernement divin se dit de Dieu
temporellement, en tant qu'il comporte l’effectuation [motion divine] du côté des créatures déjà existantes
(cf. supra q13 a7 c. et ad3 ; infra ST1 q103 a1 ; q110 a1).
- Ad3) La Providence, en tant qu'ordination, se trouve dans l'intellect divin ; mais elle présuppose la
volonté de la fin.
– 177 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
(cf. ST2-2 q47 a8 et ST1-2 q17 a1). Dans la Providence divine, ces actes sont « plusieurs » seulement
virtuellement, selon une distinction de raison qui n’est fondée qu’extrinsèquement. On peut distinguer :
1- Sous la direction de la sagesse divine, la volonté divine vise ("intendit") comme fin la manifestation de la bonté de Dieu ad
extra ; 2- L'intellect divin juge les moyens très adaptés à cette fin ; et, parmi tous les ordres possibles selon la science de simple
intelligence, il juge cette disposition dans laquelle se trouvent subordonnés : l'ordre de nature, l'ordre de grâce et de gloire avec
permission du péché originel, l'ordre de l'union hypostatique ; 3- la volonté accepte, choisit ces moyens de manifester la bonté
divine ; 4- en vertu de cette intention efficace et de cette élection, l'intellect dès l'éternité commande l'exécution de ces moyens à
exercer dans le temps. C'est dans ce commandement efficace que consiste formellement la Providence (cf. ad1 et ad3).
On peut donc, selon saint Thomas, recevoir la notion de destin en un bon sens, n'incluant pas le
fatalisme ni le déterminisme absolu.
Cf. aussi ST1 q116 a1 pour le lien entre le destin et les corps célestes, et l'influence de ceux-ci sur la
vie humaine. (Cf. q115 a4 ; q116 a2 c. et ad1 ; q105 a7).
Tout n'est pas soumis au destin (ainsi nos élections libres) : ST1 q116 a4 ad2.
Il s'agit ici de l'extension de la Providence : s'étend-elle à tout, même aux singuliers les plus infimes,
même au mal moral. L'article suivant demandera si la Providence s'étend immédiatement à tout.
Cf. aussi, sur ce sujet : ST1 q103 a5 ; De Ver. q5 aa.3-7 ; III C.G. 1,64,75,89,90,98 (spécialement
contre les Averroïstes, pour qui la Providence ne s'étend pas aux singuliers, mais seulement aux lois
générales).
– 178 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Toutes choses, même les plus infimes ou les plus viles, sont soumises à la divine Providence, en sorte
que rien n'est fortuit au regard de Dieu.
De fide divina et catholica definita, d'après les textes de l'Écriture et du Magistère déjà cités.
Spécialement D 1784 avec Sap. VIII,1 et Heb.IV,13.
– Comme tout agent agit pour une fin, l'ordination des effets à la fin s'étend aussi loin que la causalité
du premier agent.
– Or la causalité de Dieu, agent premier65, s'étend à tout, même aux singuliers les plus infimes.
– Il est donc nécessaire que toutes choses, en tant qu'elles participent à l'être, soient soumises à
l'ordination ou à la Providence divine.
Remarquons que cette preuve est universelle ; elle s'étend jusqu'à nos élections singulières,
positivement pour les bonnes, permissivement pour les mauvaises. Une fois encore, on observe que rien ne
peut exister en dehors de Dieu sans relation de dépendance causale par rapport à Lui, hormis le mal de faute,
qui est privation du bien dû, et qui n'est de Dieu que "permissivement".
1) Providence et hasard
Le fortuit se dit par rapport aux causes secondes. Mais l'événement fortuit n'est pas en dehors de la
prévision et de la providence divines (ad1). Cf. Encore plus vigoureusement I q103 a5 ad1.
N.B. l’ad 1 du présent article. Il montre bien que, contrairement à une opinion assez répandue, il est
faux de nier la réalité du hasard. Ce qui est vrai, c’est que le hasard ne concerne pas le rapport des
choses créées avec Dieu, mais le rapport des choses créées entre elles :
« Ad primum ergo dicendum quod aliter est de causa universali, et de causa particulari. Ordinem
enim causae particularis aliquid potest exire, non autem ordinem causae universalis. Non enim
subducitur aliquid ab ordine causae particularis, nisi per aliquam aliam causam particularem
impedientem, sicut lignum impeditur a combustione per actionem aquae. Unde, cum omnes causae
particulares concludantur sub universali causa, impossibile est aliquem effectum ordinem causae
universalis effugere.
Inquantum igitur aliquis effectus ordinem alicuius causae particularis effugit, dicitur esse
casuale vel fortuitum, respectu causae particularis,
sed respectu causae universalis, a cuius ordine subtrahi non potest, dicitur esse provisum.
Sicut et concursus duorum servorum, licet sit casualis quantum ad eos, est tamen provisus a
domino, qui eos scienter sic ad unum locum mittit, ut unus de alio nesciat. »
2) Providence et mal66
Saint Thomas répond, avec saint Augustin (De civ. Dei, XI,22 ; Ench., XI), après Platon et le stoïcien
Chrysippe, en prenant en considération le bien de tout l'univers :
« Deus omnipotens nullo modo sineret malum aliquod esse in operibus suis, nisi usque adeo
esset omnipotens et bonus, ut benefaceret etiam de malo. »
65 Rappelons que Dieu n’agit pas « pour une fin » au sens propre, mais ordonne tout à Lui comme à la Fin première [ou ultime] de
toute créature.
66 Cf. Maritain, Dieu et la permission du mal, éd. 3, p. 64 note 2.
– 179 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
4) L'homme est laissé dans la main de son conseil (Eccli. XV, 14), en tant qu'il a une vertu opérative
non déterminée ad unum ; cela n'empêche pas que l'acte du libre arbitre soit rapporté à Dieu comme à sa
cause. Cf. ad4 :
Noter : c’est la Ad quartum dicendum quod in hoc quod dicitur Deum hominem sibi reliquisse, non excluditur
faculté opérative homo a divina providentia, sed ostenditur quod non praefigitur ei virtus operativa determinata
qui n’est pas
déterminée ad unum ad unum, sicut rebus naturalibus; quae aguntur tantum, quasi ab altero directae in finem, non
autem seipsa agunt, quasi se dirigentia in finem, ut creaturae rationales per liberum arbitrium,
quo consiliantur et eligunt.
Unde signanter dicit, in manu consilii sui.
Sed quia ipse actus liberi arbitrii reducitur in Deum sicut in causam, necesse est ut ea quae
ex libero arbitrio fiunt, divinae providentiae subdantur, providentia enim hominis continetur
sub providentia Dei, sicut causa particularis sub causa universali. Hominum autem iustorum
quodam excellentiori modo Deus habet providentiam quam impiorum, inquantum non permittit
contra eos evenire aliquid, quod finaliter impediat salutem eorum, nam diligentibus Deum omnia
cooperantur in bonum, ut dicitur Rom. VIII.
Sed ex hoc ipso quod impios non retrahit a malo culpae, dicitur eos dimittere. Non tamen ita,
quod totaliter ab eius providentia excludantur, alioquin in nihilum deciderent, nisi per eius
providentiam conservarentur.
Et ex hac ratione videtur motus fuisse Tullius, qui res humanas, de quibus consiliamur, divinae
providentiae subtraxit.
Doctrine
1°) Quant à la raison de l'ordre des choses disposées vers la fin, Dieu pourvoit immédiatement à tout.
Car Dieu a dans son intellect la raison de toutes choses, et de toutes les causes ordonnées aux divers effets.
Cf. II-II q83 a2 à propos de la prière. Si elle ne s'étendait pas immédiatement à tout, la connaissance divine
demeurerait générale et confuse, et donc imparfaite. (I q14 a11 et a13 et q103 a6).
2°) Quant à l'exécution de l'ordre (Gouvernement), Dieu gouverne les inférieurs par les supérieurs.
Cela, non par défaut de sa vertu, mais par l'abondance de sa bonté, qui communique aux créatures la dignité
de causalité (I q103 a6).
- N.B. : cela n'entraîne pas que Dieu n'opère pas immédiatement en toutes choses. Dieu produit
immédiatement ses effets propres, d'une immédiation tant de vertu que de suppôt. Ainsi Dieu seul crée les
choses et les conserve immédiatement dans l'être. De même Dieu seul agit dans l'âme, et meut de l'intérieur
notre intellect et notre volonté. Par la médiation des créatures, il produit les effets propres de ces créatures.
– 180 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Comme on l'a déjà dit [supra p. 178], la Providence est absolument infaillible :
– même quant à l'obtention de la fin, en tant qu'elle suppose la volonté conséquente ;
– elle est infaillible seulement quant à l'ordination des moyens à la fin, en tant qu'elle
suppose la seule volonté antécédente.
– Par rapport au péché, cette infaillibilité est seulement une infaillibilité de préscience (non de
causalité), étant supposé la permission [générale] du péché, et le décret positif portant sur l'entité physique du
péché.
- Par rapport à tout ce qui est réel et bon, l'infaillibilité de la Providence est aussi une infaillibilité de
causalité, car Dieu est cause de tout être et de tout bien (Cf. a2 ad1)
La Providence n'impose pas la nécessité à toutes les choses prévues, mais à certaines seulement.
Ceci est de foi, selon les textes de l'Écriture Sainte qui affirment nos choix libres, nos prières, nos
mérites comme soumis à la Providence.
C'est l'enseignement de Vatican I (D 1784).
• Pour la perfection de l'univers, la Providence doit produire tous les degrés d'être. Il doit donc y avoir
des effets nécessaires, d'autres contingents, et même libres. Revoir ST1 q19 a8.
Sylvestre de Ferrare, sans nommer Cajetan, manifeste son désaccord III CG 94, n°II :
« Providit Deus illud esse futurum contingenter, sequitur ergo infaillibiliter quod erit
contingenter et non necessario. (Infaillibiliter ut provisum, contingenter ut procedens a causa
proxima non ad unum determinata). »
• L'immutabilité de la Providence divine n'exclut pas l'utilité de la prière, mais la fonde : ST2-2 q83
a2 ; III CG 95, 96.
N.B. : saint Thomas a déjà étudié ce sujet d’une façon systématique dans De Veriate q6, comportant 6
articles.
– 181 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Par ailleurs signalons un ouvrage important pour mieux pénétrer dans l’enseignement de
l’Écriture Sainte : Vladimiro Boublík, La predestinazione : S. Paolo e S. Agostino. – Roma : Pontificia
Università Lateranense ; 1961. – (Corona Lateranensis ; 3).
Voir aussi, pour ce qui est de l’exégèse de saint Paul, Arfeuil, « Le dessein sauveur de Dieu, la
doctrine de la prédestination selon saint Thomas », RT 1974, 591-642. Voir p. 598-600 : la question
traitée par saint Paul est autre que celle qui fait l’objet de ST1 q23.
Cf. saint Robert Bellarmin, De gratia et libero arbitrio, lib. II, c. IX ss.
Saint Robert tire trois propositions qu’il juge certaines à partir de l'Évangile :
1°) Dieu, parmi l'ensemble des hommes, en choisit plusieurs : Mt XX, 16 ; XXII, 14 ; XXIV, 31 ; Lc
XII, 32.
Toutefois ce choix n’inclut pas par nature le rejet d’autres : insistance de Guérard des Lauriers,
passim (par exemple BT XI p. 570 § 3) ; même doctrine chez Maritain (Dieu et la permission du mal, p.
100 -101) ; Nicolas a fini par s’y rallier67. Selon la formule de Guérard des Lauriers, ce choix est
aggrégatif et non ségrégatif.
• Sur ce sujet voir BOUBLÍK, Vladimiro : La predestinazione secondo s. Paolo e s. Agostino. – Libreria
editrice della Pontificia Università Lateranense, 1961 – (Corona Lateranensis ; 3).
2°) Dieu choisit efficacement ceux qui doivent être sauvés, pour qu'ils parviennent infailliblement à
la vie éternelle : Mt XXIV, 24 ; Jo VI, 39 ; Jo X, 28.
3°) Dieu choisit les élus de façon gratuite : Lc XII,32 ; Jo XV,16 ; Mt XI,25-26.
Le mystère de la Prédestination est enseigné clairement dans les épîtres de saint Paul. Déjà, ce dernier
énonce plusieurs fois le principe de prédilection, qui inclut virtuellement, la doctrine de prédestination : I Cor
IV, 7 ; Phil II,13.
Cf. en outre :
- Eph. I, 4-7 (et com. De saint Thomas) ; 11-12 ; Rom. VIII, 28-30 ;
- Rom. IX,14, 33.
- Pour la gratuité, cf. spécialement Rom. XIV, 4 (cité et expliqué par le Conc. de Trente D 806).
C'est à partir de ces divers textes que saint Augustin a formulé la définition, citée par les théologiens
(De dono perseverantiae, c. XIV) :
67 Cf. RT 1992, p. 190 : « Donc je renie la formule que m’a si vivement reprochée Maritain, bien qu’elle soit, je le rappelle, une
citation littérale de saint Thomas : dans son concept même le choix implique l’abandon d’un certain nombre ; il n’y aurait pas de
choix si nul n’était laissé. » [cf. depuis la page 186 pour la présentation du concept biblique d’élection]. La « citation littérale » est
celle du De Veritate q6 a1 réponse à la dernière objection (ad 5 in contr.).
– 182 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Voici dès maintenant, vu le caractère délicat et complexe du sujet, les notes théologiques des divers
aspects de la doctrine de l’Église telles qu’indiquées par le manuel de la B.A.C.68 :
– Existence de la prédestination en général : de fide.
– Seuls les prédestinés sont sauvés : au moins theologice certum.
– Certitude objective de la prédestination (= les prédestinés sont infailliblement sauvés) : au moins
theologice certum.
– Incertitude subjective de la prédestination [sauf révélation spéciale] : de fide in genere (d’après
Trente) ou theologice certum.
- Les Pélagiens disaient : « Nous pouvons sans la grâce accomplir les commandements divins... La
grâce n'est nécessaire que pour les accomplir plus facilement ». Cette thèse est condamnée par le Conc. de
Carthage de 418 (D 105, DS 227).
- Les Semi-Pélagianistes disaient : « L'homme peut sans la grâce avoir le commencement de la foi et
de la bonne volonté, ou le “ commencement du salut ” ; et il peut sans grâce spéciale persévérer jusqu'à la
mort ». Ceci fut condamné au IIe Conc. d'Orange en 529 (D 178 et 183, DS 375 et 380).
À partir de là, les semi-Pélagiens tenaient que Dieu veut également le salut de tous les hommes,
bien que certaines grâces spéciales soient données à certains (par ex. aux apôtres). Ils s'ensuivaient
que pour eux la prédestination n'était rien d'autre que la divine préscience du commencement du
salut et des mérites, par lesquels l'homme, sans secours spécial persévérait jusqu'à la fin. La
réprobation négative était la préscience des démérites. Ainsi, la prédestination et la réprobation
négative dépendaient de l'élection humaine, bonne ou mauvaise. Le Mystère de la prédestination dont
saint Paul avait parlé disparaissait.
Pour les enfants non baptisés morts avant l'âge de la raison, les Semi-Pélagiens posaient en Dieu,
avant le décret divin, une préscience des futurs conditionnés ou futuribles : ce que Molina appellera
plus tard "science moyenne".
En vertu des déclarations du Concile d'Orange contre les semi-Pélagiens tous les théologiens
catholiques admettent trois propositions, que cependant ils n'interprètent pas tous dans le même sens :
1°) La Prédestination à la grâce ne dépend pas de la prévision des bonnes œuvres naturelles, ni d'un
commencement naturel du salut.
2°) La Prédestination à la gloire ne dépend pas de la prévision des mérites surnaturels, qui
dureraient jusqu'à la fin sans un don spécial de persévérance.
3°) La Prédestination adéquatement prise, en tant qu'elle comprend toute la série des grâces, de la
première à la glorification, est gratuite ou indépendante de la prévision des mérites.
Les divergences d'interprétation existent surtout entre les Molinistes, niant l'efficacité intrinsèque de
la grâce, et les autres théologiens, qui l'admettent.
1°) Pour la grâce actuelle dont dépend le commencement du salut, les Molinistes entendent une
grâce extrinsèquement efficace, en vertu de la prévision de notre consentement. La gratuité de la grâce
affirmée D 176-178,199,200 est ainsi moins mise en lumière.
68Sacrae Theologiae Summa, II : De Deo uno et trino. De Deo creante et elevante. De Peccatis. – Biblioteca de Autores Cristianos,
(La Editorial Catolica ; Madrid, 1964, ed. 4). Cf. p. 187-188 (partie due à I. M. Dalmau, s.j.).
– 183 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
2°) Les Molinistes entendent que la grâce actuelle dont dépend la persévérance finale est efficace en
vertu de la prévision de notre consentement par la science moyenne. saint Augustin disait : "gratia
quae a nullo duro corde respuitur, ideo quippe tribuitur, ut cordis duritia primitus auferatur" (De
praed. Sanct., c.8).
Molina enseigne au contraire (Concordia, éd. Cit. 51,230,231,548) : "Fieri potest, ut duorum, qui
aequali auxilio interius a Deo vocantur, unus pro libertate sui arbitrii convertatur et alter in
infidelitate permaneat. Imo auxilio gratiae minori aliquis adjutus quandoque resurgit, dum alius
majori auxilio durus perseverat."
Cette thèse est plus difficile à concilier avec les expressions du Conc. de Trente (D 806) sur le
"magno et speciali dono perseverantiae", "quod non potest aliunde haberi nisi ab eo qui potens est
eum qui stat, statuere (Rom. XIV,4) ut perseveranter stet, et eum qui cadit restituere." (Cf. aussi D
826).
En outre, à partir de la doctrine du Conc. de Trente (D 842) les théologiens admettent
communément que nous ne pouvons mériter de condigno la grâce de persévérance finale (car l'état de
grâce perdurant dans l'instant de la mort est le principe du mérite, et donc ne tombe pas sous le
mérite). C'est pourquoi, lorsque les Molinistes admettent une prédestination à la gloire "post praevisa
merita", ils affirment cependant la nécessité d'un don spécial de persévérance finale par lequel ces
mérites durent jusqu'à la fin.
3°) En admettant cette proposition, Molina ajoute (op. cit. 516) : "Praescientiae quam praedestinatio
ex parte intellectus includit, datur conditio ex parte usus liberi arbitrii, sine qua non praeextitisset in
Deo".
Les Augustiniens et les Thomistes entendent la prédestination adéquate dans le sens exprimé par
saint Thomas I q23 a5 : "Impossibile est quod totus praedestinationis effectus in communi habeat
aliquam causam ex parte nostra ; quia quidquid est in homine ordinans ipsum in salutem,
comprehenditur totum sub effectu praedestinationis, etiam ipsa praeparatio ad gratiam". (Même la
détermination libre et salutaire, comme la suite du texte le montre explicitement).
- Can.12 (D 185, DS 382) : « Tales nos amat Deus, quales futuri sumus ipsius dono, non quales sumus
nostro merito ».
(D'où suit : nul ne serait meilleur s'il n’était plus aimé de Dieu).
– Cf. déjà au Ve siècle contre le prêtre Lucidus : concile d’Arles (473), DS 339-340 (D 160a-160b).
– Le Prédestinatianisme, au IXe siècle, a nié la volonté salvifique universelle et enseigné la
prédestination au mal.
Plusieurs auteurs affirmèrent que ces doctrines se trouvaient dans les écrits de Gottschalk (moine
d'Orbais) ; d'où une grande controverse. Plusieurs Conc. provinciaux eurent lieu : C. de Quiercy en 853, de
– 184 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Valence en 855, de Toul en 859, de Thuzey en 860, ce qui amena enfin la concorde des évêques de France
sur cette difficile question. Cf. D 316-319 et 320-325 pour les deux premiers (DS 621-624 et 625-633).
– Le canon 4 affirme que le Christ est mort pour tous les hommes.
– Le Conc. de Valence insiste davantage sur la gratuité de la prédestination à la vie éternelle. Cf.
spécialement D 321 et 322 (DS 626-629).
(Deum) « bonos praescisse omnino per gratiam suam bonos futuros, et per eandem gratiam
aeterna praemia accepturos : malos praescisse per propriam malitiam malos futuros (...) » (D 626)
« Nec ipsos malos ideo perire, quia boni esse non potuerunt ; sed quia boni esse noluerunt (...) »
(DS 627)
Point clef de la « (...) in electione tamen salvandorum misericordiam Dei praecedere meritum bonum : in
doctrine catholique damnatione autem periturorum meritum malum praecedere justum Dei judicium. » (DS 628)
« (...) in malis vero ipsorum malitiam praescivisse, quia ex ipsis est, non praedestinasse, quia ex
illo non est. » (DS 628, fin)
– Dans le Conc. de Thuzey, 860, sont bien formulés les principes plus élevés qui éclairent la question
(cf. P.L. CXXVI,123) :
« I. In caelo et in terra quaecumque voluit Deus, fecit (Ps. CXXXIV,6). Nihil enim in caelo vel in
terra fit, nisi quod ipse aut propitius facit, aut fieri juste permittit."
Les évêques augustiniens ne demandaient rien de plus, et ainsi la concorde fut rétablie. C'était
reconnaître qu'aucun bien, hic et nunc, dans cet homme plutôt que dans celui-là n'arrive sans que
Dieu Lui-même, favorable, le veuille et le fasse, et qu'aucun mal, hic et nunc, ne se produit dans cet
homme plutôt que dans cet autre, sans que Dieu permette justement qu'il se produise.
Les Thomistes y voient une formulation équivalente du principe de prédilection.
– Aux XVIe et XVIIe siècles, cette doctrine de l'Église fut confirmée par les décisions du Concile de
Trente puis par la condamnation du Jansénisme.
Trente, D 795 (DS 1523) :
« Verum etsi ille (Christus) "pro omnibus mortuus est" (II Cor. V,15), non omnes tamen mortis
ejus beneficium recipiunt, sed ii dumtaxat, quibus meritum passionis ejus communicatur. » (Cf.
D 797).
– 185 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
– Contre les Jansénistes, l'Église affirme à nouveau que le Christ est mort non seulement pour les
prédestinés, ni seulement pour les fidèles, mais pour tous les hommes (D 1096,1380-1382,1294 ; DS
2005,2304,2430-2432) ; et qu'il existe une grâce vraiment suffisante par laquelle l'accomplissement des
commandements est vraiment possible pour tous les adultes, selon qu'ils peuvent connaître ses
commandements.
– Contre les Novateurs l'Église affirme, avec les mots de saint Augustin : « Dieu ne commande pas
l'impossible, mais en commandant il avertit de faire ce que l'on peut, et de demander ce que l'on ne peut
pas » (D 804, DS 1536) [Doctrine reprise par Pie IX dans ses textes contre l'indifférentisme : D 1647 et
1677].
Mais en affirmant l'existence de la grâce suffisante, l'Église ne diminue pas son affirmation de
l'efficacité de la grâce qui fait adhérer aux commandements. Ainsi le Conc. de Trente, D 806 (DS 1541) :
« Deus enim, nisi ipsi (homines) illius gratiae defuerint, sicut coepit opus bonum, ita perficiet,
operans velle et perficere (phil. II,13 ; can.22) »
Comme nous le verrons avec l’article 5, à partir du XVIe siècle les théologiens se sont mis à discuter
sur la « prédestination formellement prise », c'est-à-dire sur la « prédestination ad gloriam ». C’est dans la
perspective de ces débats que l’on donne les classifications qui suivent.
ATTENTION : Avec le commentaire de l’article 5, nous critiquerons cette manière de poser la
question.
1°) La doctrine révélée, comme un sommet, affirme la conciliation de deux grandes vérités : la volonté
salvifique universelle, la gratuité de la prédestination.
• Deux précipices opposés : le Pélagianisme, qui nie la gratuité de la prédestination, le
Prédestinatianisme, qui nie la volonté salvifique universelle.
• À mi-hauteur (mais ne méritant aucune censure) on peut situer de part et d'autre des systèmes
théologiques opposés : d'un côté le Molinisme, et un peu plus haut le Congruisme ; de l'autre
l'Augustinisme et le Thomisme rigides (Ces derniers atténuent la volonté salvifique universelle : la
réprobation négative, qui précède la prévision des démérites, consisterait non seulement dans la
permission de péchés qui ne seront pas remis, mais dans l'exclusion positive de la gloire comme d'un
bienfait non dû).
• Entre ces deux types de systèmes, toujours à mi-hauteur : l'Eclectisme congruiste de la Sorbonne
(grâce extrinsèquement efficace pour les actes faciles, grâce intrinsèquement efficace pour les actes
plus difficiles).
• Avant d'arriver au sommet de la conciliation dans l'éminence de la Déité, inaccessible in via, on
peut formuler les deux principes : 1) Dieu ne commande pas l'impossible ; 2) Principe de prédilection
[bien compris !]. Eux-mêmes se rattachent au principe plus élevé : l'amour de Dieu est cause de tous
les biens. Ces principes sont ceux qui ont guidé saint Augustin et saint Thomas.
– 186 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
(Bien que Gar.-Lag. ne l'envisage pas ici, nous observons que la dissociation des deux
thèses qui constituent (b) semble possible, et a été de fait tentée. Cf. notamment Bavaud,
RT 1961 (II),240 et passim.) ; et Maritain, Dieu et la permission du mal, 3e éd. p. 102-109.
Il y a une notable différence entre les théologiens du groupe (b) :
(ba) presque tous les anciens (Thomistes, Augustiniens, Scotistes) tiennent que cette
prédestination gratuite à la gloire est fondée dans les décrets divins prédéterminants.
(bb) Ceci est nié par saint Robert Bellarmin et Suarez, qui conservent la théorie de la
« science moyenne » pour expliquer la distribution de la grâce congrue et la divine certitude
du consentement à cette grâce accordé par les élus.
Réponse
Il convient à Dieu de prédestiner les hommes, et la prédestination, quant aux objets, est partie de
la Providence
1) Écriture Sainte
- Rom. VIII,30 : « quos praedestinavit, hos et vocavit »
( = praedeterminare, decernere ; cf. Eph. I,11).
Avec la traduction de la vulgate, saint Thomas retient l'idée peu exprimée dans le grec : praemittere.
Cette notion a par ailleurs un fondement : Is. XLIX,2 : « posuit me sicut sagittam electam, in pharetra sua
abscondit me ». Cf. Ps. CXXVI,4. De même Act. XIII,48 : « Crediderunt quotquot erant praeordinati ad
vitam aeternam. » [Cf. Ceuppens, 265-276]
2) Magistère
Le mot « prédestination » est utilisé : cf. par ex. Conc. Quiercy, D 316.
Le dogme de la prédestination est affirmé au Concile de Trente (D 805) :
« Nemo quoque, quamdiu in hac mortalitate vivitur, de arcano divinae praedestinationis
mysterio usque adeo praesumere debet, ut certo statuat, se omnino esse in numero
praedestinatorum. »
– 187 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Raison théologique
– De même que dans l'esprit divin se trouve la "ratio ordinis" (disposition et direction) de toutes
choses vers la fin (= providence), ainsi doit s'y trouver la raison de l'ordre de ceux qui doivent être amenés à
la fin qu'est la béatitude surnaturelle.
– Or la raison de cette transmission de la créature rationnelle est appelée prédestination ( car destiner,
c'est envoyer).
– Donc il convient que Dieu prédestine les hommes, et la prédestination est, quant aux objets, une
partie de la providence.
- Ad1) Quand saint Jean Damascène dit que Dieu ne prédétermine pas les choses qui sont en nous, il
veut dire : il ne prédétermine pas en imposant la nécessité.
- Notons que la prédestination est une science pratique et réalisatrice : cf. De Ver. q6 a1 ad7 :
"Quamvis scientia in quantum est scientia non respiciat facienda, tamen scientia practica
respicit facienda et ad talem scientiam praedestinatio reducitur".
(Il s'agit donc de la science à laquelle la volonté est adjointe et qui ainsi est cause des choses).
Le même article précise que la prédestination est un acte de l'intellect, savoir l'imperium efficace
concernant les moyens, portant sur l'exécution des moyens déjà choisis.
La prédestination est dite partie objective de la providence, pour souligner qu'elle n'en est pas une
partie subjective, comme l'espèce sous le genre.
Une seule et même providence divine, sans distinction virtuelle, atteint les divers ordres (naturel,
salut surnaturel de tous, prédestination), et reçoit des noms divers seulement en raison des divers
objets (parties de l'objet matériel de la providence).
- Cependant, la prédestination ajoute quelque chose à la providence en général : l'efficacité du
moyen, et l'infaillible obtention de la fin (cf. supra q22 a1).
Réponse
La prédestination n'est pas quelque chose dans les prédestinés, mais seulement dans celui qui
prédestine. L'exécution de la prédestination est passivement dans les prédestinés.
• La première partie découle de ce que la prédestination est partie de la providence qui est la raison de
l'ordre dans l'esprit divin.
• 2e partie : l'exécution de la providence (= gouvernement divin) est activement en Dieu, en tant
qu'action formellement immanente et virtuellement transitive, passivement dans les gouvernés. Donc de
même l'exécution de la prédestination est passivement dans les prédestinés.
– 188 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
N.B. : Remarquons que le « prae aliis » inscrit dans la formule ne semble pas s'imposer. C'est la
question du choix ségrégatif ou non sur laquelle J.-H. Nicolas s'est rétracté dans son article de la R.T. 1992,
après avoir été autrefois critiqué par Maritain et Guérard des Lauriers (BT XI, 3).
Remarque : dans les prédestinés, il est probable que même la permission des péchés est effet de la
prédestination, en tant qu'elle sert à leur plus grande sanctification.
Notions
1) La réprobation est le contraire de l’approbation, et indique le rejet d'une chose non apte. Comme la
prédestination, elle est une partie spéciale de la providence envers les créatures rationnelles dans l'ordre
surnaturel. Il y a une importante différence : la prédestination est toute la raison de la transmission des
créatures dans la gloire éternelle ; la réprobation n'a pas lieu sans la présupposition et la prévision de la
défection du libre arbitre. On peut alors la définir :
Reprobatio : Providentia specialis, qua permittitur aliquos cadere in culpam non finiendam et ex
praevisione hujus culpae deputantur ipsi in poenam aeternam.
2) La réprobation est donc essentiellement un acte de l'intellect divin (imperium), connotant l'acte de la
divine volonté. Cette providence permet (acte de l'intellect pratique) le péché et l'impénitence finale, et en
raison du péché ordonne la punition du pécheur dans les souffrances éternelles.
– 189 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- On doit citer aussi les conciles pronvinciaux de Quiercy (D 316) et surtout de Valence (D 322). Ce
dernier déclare : « fidenter fatemur praedestinationem electorum ad vitam, et praedestinationem impiorum
ad mortem. »
Notons avec la B.A.C. (p. 210 note 3) que le concile de Valence appelle « prédestination à la mort » la
réprobation, comme d'autres auteurs anciens. Par la suite, l'usage de l'Église a, de façon heureuse, réservé
le nom de « prédestination » à la seule élection à la vie éternelle.
69 Selon les thomistes classiques, cetet réprobation négative n’est certes pas cause du péché, mais elle comporte un lien infaillible
avec lui [cf. Garrigou-Lagrange p. 532 §(-3), 534 §(-2)] : c’est ce que l’on nomme le décret permissif antécédant. Cette thèse est
critiquée par Maritain, Dieu et la permission du mal, p. 107. Guérard des Lauriers est, sur ce point, dans la même ligne que Maritain.
– 190 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Il est de foi que Dieu ne réprouve positivement personne, si ce n'est en prévision de ses démérites. Et
ainsi c'est le péché qui est cause de la réprobation positive, laquelle est donc conséquente.
- Cf. Ez. XXXIII,11 (Nolo mortem impii, sed ut convertatur a via sua et vivat) ;
Os. XIII,9 (Perditio tua Israel : tantummodo in me auxilium tuum).
• L'erreur contraire, le prédestinatianisme, a été condamnée au IXe siècle à la suite des débats autour
de Gottschalk (cf. supra) ; elle a été professée au XIVe siècle par Thomas Bradwardine (réprobation positive
antécédente et prédétermination nécessitante) suivi par Wyclef et Hus.
Luther (non suivi en général par les Luthériens, qui se rattachent ici à Mélanchton ; cf. Zubizarreta 260
note 2) et surtout Calvin (ses disciples se divisent en antélapsaires et postlapsaires ; les Jansénistes suivent
ces derniers).
Réponse
Tous les prédestinés sont choisis et aimés, en sorte que :
la prédestination présuppose [secundum rationem] l’élection et
l’élection présuppose [secundum rationem] l’amour70.
- Eph. I, 4 :
« elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu
ejus in charitate. Qui praedestinavit nos in adoptionem filiorum per Jesum Christum in ipsum,
secundum propositum voluntatis suae. »
[Cf. com. De saint Thomas]
70 Sur ce second point, l’ordre est inverse en Dieu et chez nous (cf l’article de saint Thomas).
– 191 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- Plusieurs autres passages de l'Ecriture parlent des élus : Mt. XXIV,22 ; I Tim. V,21 ; II Tim. II,10.
Raison
– On ne commande pas quelque chose à ordonner à la fin, sans présupposer la volonté de la fin.
– Or la prédestination est préceptive de l'ordination de certaines choses à la fin.
– Donc la prédestination de certains présupposent que Dieu leur veut le salut : ce qui relève de
l'élection et de l'amour.
En outre en Dieu (pas en nous) l'amour précède l'élection : car la volonté de Dieu, par laquelle il veut
un bien à quelqu'un, est cause de ce que ce bien soit possédé par lui (« prae aliis »71).
La prescience des mérites n'est pas la cause ou la raison de la prédestination adéquatement prise
C'est la conclusion principale de l’article, et, selon la B.A.C., cette conclusion relève de la foi ou au
moins est certissima.
71 C’est ce « prae aliis » qui a conduit beaucoup de thomistes a penser que la notion même de choix impliquait que certains sont
laissés. Voir supra note 67 p. 188.
– 192 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
1°) On rappelle d'abord qu'il n'y a pas de cause de la prédestination du côté de l'acte de Dieu
prédestinant (cf. q19 a5).
2°) C'est donc du côté de l'effet que se pose la question : est-ce que Dieu a préordonné de donner
l'effet de la prédestination à quelqu'un à cause de certains mérites.
– 193 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
3°) Trois erreurs ont eu lieu sur ce point, affirmant que la prédestination était causée par certains
mérites prévus :
1- mérites d'une vie précédente : Origène, posant les âmes créées dès l'origine (contre : cf.
Rom. IX,11).
2- mérites de la vie présente, avant la justification : donc à cause du commencement du salut :
Pélagiens, Semi-Pélagiens (contre : II Cor. III,5).
3- mérites qui suivent la justification : Dieu prédestine certains à la grâce, parce qu'il a prévu
qu'ils l'utiliseraient bien (contre : il n'y a pas de distinction entre ce qui est de la prédestination et ce
qui est du libre arbitre).
N.B. : la réfutation de cette troisième position par saint Thomas vaut contre Molina, et même contre
tous ceux qui admettent la science moyenne. Cette théorie suppose en effet qu'il y a distinction réelle
entre ce qui vient du libre arbitre et ce qui découle de la prédestination (savoir, de la grâce versatile ou
de la grâce congrue). Pour saint Thomas, les deux sont comme cause seconde et cause première : tout l'effet
provient de l'une et l'autre, les deux causes étant subordonnées (la 2 à la 1).
Cette raison vaut aussi contre ceux qui, dans l'ordre d'éxécution, admettent le seul concours simultané,
ou la prémotion physique indifférente. Même en ce dernier cas, on distingue ce qui est de la cause
première : l'être de l'acte, et ce qui est de la cause seconde libre : la détermination du libre arbitre (prévue
par la science moyenne).
[cf RT 2016 (IV) p. 686-689 : cr par Basile Valuet, o.s.b., de Fabio Schmitz, Causalité divine et péché
dans la théologie de saint Thomas d’Aquin. Examen critique du concept de motion brisable (L’Harmattan,
2016). [Schmitz défend les positions du thomisme classique, proche de Garrigou-Lagrange]. Le Père Basile
semble se rallier à une thèse du type « motion indifférente »72.]
La science de Dieu serait passive face à cette détermination, et l'homme se discernerait lui-même.
1°) Rien n'empêche qu'un effet de la prédestination soit cause et raison d'un autre ; un effet
postérieur peut être cause finale d'un effet antérieur ; un effet antérieur peut être cause méritoire d'un effet
postérieur. (Note : la cause méritoire se ramène ("reductive") à la disposition de la matière).
Il y a réciprocité des causes, selon divers genres73 :
– la gloire est cause finale des mérites,
– et les mérites disposent [ordre de la causalité matérielle ou de la causalité « efficiente morale »] à
l'obtention de la gloire.
→ Ainsi : Dieu a préordonné qu'il donnerait à quelqu'un la gloire en raison de ses mérites. Et, il a
préordonné de donner à quelqu'un la grâce (efficace, selon la volonté conséquente) pour qu'il mérite la gloire.
72 Par ailleurs, sur certains points (refus des décrets permissifs antécédents, ou de la réprobation négative), il se rapproche de la
position Maritain – Guérard des Lauriers (que cependant il ne cite pas).
73 Sur ce point, voir aussi saint Thomas, In Romanos, c. 8, lect. 4 :
« (…) Circa ordinem autem praescientiae et praedestinationis dicunt quidam quod praescientia meritorum bonorum et malorum
est ratio praedestinationis et reprobationis, ut scilicet intelligatur quod Deus praedestinet aliquos, quia praescit eos bene
operaturos, et in Christum credituros. Et secundum hoc littera sic legitur: quos praescivit conformes fieri imaginis filii eius, hos
praedestinavit. Et hoc quidem RATIONABILITER DICERETUR, SI PRAEDESTINATIO RESPICERET TANTUM VITAM
AETERNAM, quae datur meritis; sed SUB PRAEDESTINATIONE CADIT OMNE BENEFICIUM SALUTARE, quod est
homini ab aeterno divinitus praeparatum; unde eadem ratione omnia beneficia quae nobis confert ex tempore, praeparavit nobis ab
aeterno. UNDE ponere quod aliquod meritum ex parte nostra praesupponatur, cuius praescientia sit ratio praedestinationis,
nihil est aliud quam gratiam ponere dari ex meritis nostris, et quod PRINCIPIUM BONORUM OPERUM EST EX NOBIS,
ET CONSUMMATIO EST EX DEO. (…) »
– 194 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
On voit ici que c’est seulement lorsqu’il envisage la prédestination du côté de l’effet, et non pas
comme acte divin, que saint Thomas distingue les divers éléments de la prédestination (la gloire, telle
grâce, tel mérite etc.).
Et pour saint Thomas il en est ainsi pour une raison contraignante, exposée en ST1 q19 a5 : du côté
de l’acte divin, il y a un seul acte, portant sur l’ensemble ordonné des choses ; il n’y a pas d’abord un acte
portant sur la fin, puis un acte – dont le premier serait cause – portant sur les moyens :
C’est pourquoi il est étranger à saint Thomas d’envisager du côté de l’acte divin une
« prédestination formellement prise, ad gloriam ». C’est malheureusement ce que le grand nombre des
théologiens fera, à partir du XVIe siècle – y compris parmi les thomistes – avec les débats sur la
prédestination à la gloire ante ou post praevisa merita. C’est en effet ce que l’on fait lorsque l’on prétend
que ce que dit saint Thomas ici concerne seulement l’ordre d’exécution et non l’ordre d’intention.
2°) Il est impossible que tout l'effet de la prédestination "in communi" ait une cause de notre côté.
Cette proposition est admise, en un sens, par Molina et ses disciples : car l'effet total de la
prédestination inclut la première grâce, que nous ne pouvons mériter.
Mais saint Thomas comprend cette proposition de façon bien plus profonde.
La raison est celle-ci : tout ce qui dans l'homme l'ordonne au salut est tout entier compris sous
l'effet de la prédestination, même la préparation à la grâce (qui ne se fait pas sans le secours divin :
Lam. V, 21 : "Converte nos, Domine ad te et convertemur").
Soit : même la détermination libre de l'acte salutaire disposant à la justification, et ensuite les actes
méritoires des élus, sont compris en entier sous l'effet de la prédestination. Ils ne peuvent donc pas en
être cause ou raison. Donc la prédestination adéquate [avec tous ses éléments en tant qu’éléments]
n'est pas "ex praevisis meritis".
Ceci est contre Molina, et même contre la Congruisme, selon qui la grâce congrue n'est pas de soi
efficace : donc la détermination libre des mérites des élus n'est pas proprement effet de la
prédestination.
1°) « Voluit Deus in hominibus quantum ad aliquos, quos praedestinat, suam repraesentare bonitatem,
per modum misericordiae parcendo ; et quantum ad aliquos, quos reprobat, per modum justitiae puniendo.
Et haec est ratio quare Deus quosdam eligit et quosdam reprobat. »
« Unde hoc mysterium est simul dulcissimum et terribile » (Garrigou-Lagrange, p. 541)
– 195 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- Rom. IX,22 : « Quod si Deus volens ostendere iram, et notam facere potentiam suam, sustinuit in
multa patientia vasa irae, apta in interitum, ut ostenderet divitias gloriae suae in vasa misericordiae, quae
praeparavit in gloriam. » [Cf. II Tim. II,20].
2°) « Sed quare hos eligit ad gloriam et illos reprobavit NON HABET RATIONEM NISI divinam
voluntatem. »
- N.B. : Cette doctrine est confirmée par celle de la gratuité du don de la persévérance finale, TRENTE
D 806 ; cf. ST1-2 q104 a9.
Réponse
La prédestination est certaine, et infaillible quant à l'obtention de son effet
• En outre, selon les thomistes, scotistes, augustiniens, la certitude en question est non seulement une
certitude de prescience, mais de causalité (ce point est nié par Molina).
Argument
– La prédestination est une partie de la Providence, qui inclut la volonté de Dieu absolue et
conséquente du salut des élus.
– Or la volonté de Dieu absolue et conséquente s'accomplit toujours, i.e. infailliblement (en fait,
quoique non nécessairement en droit).
- De Ver. q6 a3, saint Thomas écarte une position bien proche de celle qui sera adoptée par Molina :
"Non potest dici quod praedestinatio supra certitudinem providentiae nihil aliud addit nisi
certitudinem praescientiae ; ut si dicatur quod Deus ordinat praedestinatum ad salutem sicut et
quemlibet alium, sed cum hoc de praedestinato scit quod non deficiet a salute. Sic enim dicendo
(...), praedestinatio non esset per electionem praedestinantis, quod est contra auctoritatem
Sacrae Scripturae et dicta sanctorum ; unde praeter certitudinem praescientiae ipse ordo
praedestinationis habet infallibilem certitudinem."
Signes de prédestination
À partir de divers passages de saint Augustin, saint Grégoire le Grand, saint Anselme, saint Thomas,
saint Bernard, les théologiens ont communément réunis les signes suivants de prédestination, qui fournissent
une conjecture, ou au maximum une certitude morale à ce sujet.
1- Le cours d'une bonne vie ; 2- le témoignage d'une conscience pure des péchés les plus graves,
surtout si l'on est prêt à mourir plutôt que d'offenser Dieu gravement ; 3- le support patient des adversités de
cette vie, pour Dieu ; 4- le fait d'écouter volontairement la parole de Dieu ; 5- la miséricorde envers les
pauvres ; 6- l'amour des ennemis ; 7- l'humilité ; 8- une dévotion spéciale envers la Sainte Vierge.
(Cf. pour l'état de grâce ST1-2 q112 a5 et IV CG 21, 22). Cf. Imitation... I, 25.
Remarquons que ces signes apportent une sécurité spéciale sous l'inspiration spéciale du Saint-Esprit
(Rom. VIII, 16).
– 196 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
- N.B. : D 805 : « Nisi ex speciali revelatione sciri non potest quos Deus sibi elegerit. »
En sens contraire, on note les signes (non certains) de la réprobation : 1/ le trop grand amour des
choses temporelles ; 2/ le péché de luxure jusque dans la vieillesse ; 3/ l'esprit de rebellion contre les
doctrines de l'Église ; 4/ l'aversion vis-à-vis de la réception des sacrements ; 5/ le grand orgueil.
(N.P.C. avec les effets propres de la réprobation : 1- la permission des péchés qui ne seront pas
pardonnés ; 2- le refus de la grâce ; 3- l'aveuglement ; 4- l'endurcissement ; 5- la damnation éternelle).
Articles 7 et 8
1°) Le nombre des prédestinés est certain, formellement et matériellement. Cf. Jo. XIII,18 ; II Tim.
II,19. Quand ce nombre sera complété, viendra la fin du monde.
- Absolument parlant, ce nombre est immense : Apoc. VII,4ss. Comparativement aux réprouvés,
beaucoup d'auteurs (dont saint Augustin et saint Thomas) tiennent que le nombre des élus est inférieur (Mt.
VII,4 ; XX,16 ; XXII,14...).
2°) Les prières des Saints ne peuvent causer la prédestination, mais elles peuvent obtenir certains
effets de la prédestination.
2°) Principalement et premièrement sont dits écrits dans le livre de vie ceux qui sont prédestinés à la
gloire ; secondairement, ceux qui sont justifiés pour un temps.
On ne peut attribuer à Dieu, Acte pur, de puissance passive, mais bien une puissance active. En effet
chaque chose, selon qu'elle est en acte et parfaite, est principe actif de quelque chose.
Il faut bien noter qu'en Dieu la raison de puissance active est présente en tant qu'elle est principe de
l'effet ad extra, mais non en tant qu'elle est principe de l'action. Car l'action de Dieu n'est pas autre que
puissance (ad2), et l'action de Dieu ad extra est formellement immanente, virtuellement transitive.
La puissance active est le commandement divin lui-même, en tant que principe des œuvres ad extra
(ad4).
– 197 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Il est de foi que Dieu a une puissance infinie. Cf. 2e Conc. De Constantinople, 543, anathématismes
contre Origène (préparés par l'empereur Justinien) : D 210, DS 410 :
« Si quis dicit aut sentit, vel finitam esse Dei potestatem, vel eum tanta fecisse, quanta
comprehendere potuit : a.s. »
• Vatican I (D 1782, DS 3001) : « S.C.A.R. Ecclesia credit et confitetur, unum esse Deum verum et
vivum, (...) immensum, (...) intellectu ac voluntate omnique perfectione infinitum ; »
Argument
Plus un agent possède parfaitement la forme par laquelle il agit, plus est grande sa puissance dans
l'agir. Or l'essence de Dieu, par laquelle il est agit, est infinie (q7 a1). Donc Dieu a une puissance active
infinie, ou une puissance infiniment parfaite (cf. Ad1).
- Noter l'ad2 :
« Etiam si nullum effectum produceret, non esset Dei potentia frustra. Quia frustra est quod
ordinatur ad finem, quem non attingit : potentia autem Dei non ordinatur ad effectum sicut ad
finem, sed magis ipsa est finis sui effectus. »
C’est malheureusement une attitude fréquente aujourd’hui, qui n’en demeure pas moins
foncièrement hérétique pour être adoptée par des auteurs « bien intentionnés » que de nier la Toute-
Puissance divine pour « sauvegarder » la liberté humaine, ou l’Amour divin face à la diffusion du mal
sur Terre. Charles Morerod, o.p. [dans « Quelques athées contemporains (Comte-Sponville, Dawkins,
Le Poidevin, Onfray) à la lumière de S. Thomas d’Aquin », Nova et Vetera, avril-juin 2007, p. 151-202.
Cf. p. 185] signale le cas de Matthieu Baumier dans L’anti traité d’athéologie, p. 28 où il arrive à
écrire : « Dieu n’est pas tout-puissant. Dieu est Amour. » Morerod juge (ibid.) : « À cet égard
l’apologétique bien intentionnée, mais pour le moins mal informée, de Matthieu Baumier est
véritablement affligeante. » Et Morerod rappelle l’avertissement de saint Thomas, ST1 q32 a1.
– 198 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
quasi communem ex spiritu et corpore constitutam ” [Conc. Lateran. IV: cf D 800 ; infra can. 2 et
5]. »
Dieu est dit Tout-Puissant, parce qu'il peut faire tout ce qui est absolument possible, c'est-à-dire tout
ce qui ne répugne pas74 à être (tout ce qui est capable d'exister, tout ce qui peut avoir raison d'être réel).
Il convient de lire attentivement l’article de saint Thomas. Bien noter que ce n’est pas le « possible »
qui est la notion première, mais l’ens et, absolument parlant, l’Esse lui-même subsistant. Objectivement, la
« Toute-Puissance » se définit en rapport à l’Esse qui est Dieu, et non en rapport à un « possible » qui serait
en quelque façon « antérieur » à Dieu. Cet article est un lieu important pour comprendre ce que saint Thomas
entend signifier par ratio entis.
Argument
L'être divin, sur lequel la raison de la puissance divine est fondée, est l'être infini, non limité à quelque
genre d'être, mais ayant en lui la perfection de tout l'être. Donc tout ce qui peut avoir raison d'être est contenu
sous les possibles absolus, à l'égard desquels Dieu est dit Tout-Puissant.
Dieu peut-il faire que les choses passées n'aient pas été? (q25 a4)
– 199 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Il importe surtout de bien relever l'affirmation de saint Thomas, radicalement anti volontariste :
« Nihil potest esse in potentia divina quod non possit esse in voluntate justa ipsius et intellectu
sapiente ejus. »
Sur cette question de la puissance absolue et de la puissance ordonnée de Dieu on consultera la très
bonne mise au point de de Broglie, s.j. : De fine ultimo humanae vitae, Beauchesne, 1948, p. 259-264.
Voir aussi p. 242-244 pour la notion de « possibilité ».
C’est la doctrine nominaliste qui admet, comme ayant une portée réelle, la notion de puissance
absolue de Dieu entendue comme puissance de réaliser quelque chose de contraire à la sagesse ou à
la justice divines. Avant les grandes déviations sur ce sujet, on trouve des formules qui pourraient être
interprêtées dans ce sens (même chez saint Thomas). Mais, notamment dans la proposition citée ci-
dessus, saint Thomas a finalement bien mis au point le sujet rejetant à l’avance toute déviation
nominaliste.
N.B. : de Broglie montre, dans son ouvrage, que les thèses comme celle de de Lubac qui rejettent la
notion de « nature pure », dans l’examen théologique de la gratuité du surnaturel, reviennent en fait à
la doctrine nominaliste (absurde et blasphématoire) de la Toute-Puissance divine. C’est un cas typique
de régression théologique, sous prétexte (d’ailleurs lui-même faux) de fidélité verbale à un grand
auteur, et méprisant tout le développement doctrinal qui a suivi. (Cf. de Broglie, op. cit. p. 264 §2).
Dieu peut-il faire meilleures les choses qu'il fait ? (q25 a6)
1°) Dieu ne peut faire qu'une chose soit essentiellement meilleure qu'elle n'est.
Car la différence spécifique, par quoi est constituée l'essence, ne comporte pas de plus ou moins.
2°) Dieu peut faire accidentellement meilleures les choses faites par Lui. (Cf. par ex. III q7 a12 ad2 ;
q10 a4 ad3).
3°) A parler simpliciter, pour n'importe quelle chose faite par Dieu, Dieu peut en faire une meilleure.
Par exemple Dieu peut toujours créer des anges plus parfaits. En un mot, il n'y a pas de suprême créature
possible : cela parce que la puissance infinie de Dieu est inépuisable.
4°) (ad1) Cependant, Dieu ne peut faire « mieux » (en prenant « mieux » comme adverbe) car il agit
toujours en vertu de sa sagesse et de sa bonté suprêmes. Il peut faire quelque chose de mieux.
5°) L'Univers, étant supposées les choses qui le composent, ne peut être meilleur, vu l'ordre excellent
(« decentissimum ») attribué par Dieu à ces choses. Un changement détruirait l'harmonie, la proportion de
l'ordre.
Cela est vrai non seulement quant à la subordination des essences, mais quant aux êtres singuliers avec
leurs particularités, et même quant au bien pour lequel des maux sont permis. En tout cela apparaît l'ordre
admirable de la Providence (qui nous échappe souvent ici-bas). Cependant Dieu pourrait faire d'autres
choses, ou en ajouter d'autres à celles qui existent, en sorte que le nouvel univers soit meilleur. (Une chose
meilleure, non « mieux » (adverbialement) disposée). On trouve ainsi dans cet ad3 la réponse à la thèse de
Leibnitz, qui a cru prouver que le monde présent est le meilleur des mondes possibles.
– 200 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
Argument
La béatitude est le bien parfait de la nature intellectuelle. L'animal trouve une certaine délectation dans
le bien qu'il possède, mais il n'a pas la béatitude, car il ne connaît pas sa suffisance dans le bien qu'il a. Seule
la nature intellectuelle connaît la raison de bien (et de mal), et ainsi elle est seule formellement capable de la
béatitude. Ou : elle seule connaît la fin sous la raison de fin, donc elle seule peut posséder la fin comme fin.
Alors, il est manifeste que la béatitude ainsi définie convient excellement à Dieu Etre intelligent de la
façon la plus haute. Dieu possède avec une pleine intelligence le Bien Suprême.
Ici saint Thomas suit saint Augustin qui déclare que "la vision est toute la récompense" (De Civ. Dei,
XXII, 26) et Aristote (Meta., XII,7 ; Ethic., X,7).
Il faut attribuer à Dieu la béatitude selon l'intellect, comme aux autres bienheureux.
Argument
– La béatitude est le bien parfait de la nature intellectuelle ;
– Or ce qui est le plus parfait dans toute nature intellectuelle est l'opération intellectuelle par laquelle
elle saisit d'une certaine manière toutes choses.
– Ainsi Dieu se comprend Lui-même adéquatement, et intellige tout en Lui comme dans la cause.
- Ad2) La béatitude, en tant que Bien, est objet de la volonté ; mais l'objet est antérieur (selon la
raison) à l'acte de la puissance. Donc, selon le mode de concevoir, la béatitude divine est antérieure à l'acte
de la volonté se reposant sur elle. Cela ne peut donc être qu'un acte de l'intellect.
(Acte par lequel Dieu possède parfaitement son infinie bonté).
La fruition est le complément de la béatitude, non son essence.
Discussion
Scot a combattu cette conclusion. Pour lui la béatitude formelle est principalement dans l'amour, 1°)
parce que la béatitude est un bien, objet de l'amour ; 2°) parce que nous devons connaître Dieu pour l'aimer,
et non l'aimer pour le connaître ; 3°) parce que la béatitude est ce que nous aimons le plus, et que la volonté
aime plus son acte d'amour que l'acte d'intellect.
Cajetan a répondu :
1°) la béatitude objective est certes un bien, objet d'amour, mais la volonté aimante n'est pas une
faculté appréhensive ; la possession du bien se fait par la vision, d'où suit la fruition dans la volonté.
2°) In via, nous devons connaître Dieu pour l'aimer et non le contraire, car ici-bas l'amour de Dieu est
meilleur que sa connaissance. En effet l'amour tend à Dieu tel qu'il est en soi, tandis que la connaissance du
voyageur attire Dieu à lui, selon la limitation de ses conceptions. Dans la Patrie, la vision de Dieu sera
immédiate, et ainsi supérieure à l'amour qui la suit nécessairement, comme une propriété suit l'essence.
– 201 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
3°) La volonté, par l'appétit élicite, choisit de préférence ce qui est meilleur non pour elle, mais pour le
sujet. C'est pourquoi, si l'intellection est une perfection plus grande du suppôt que la volition la volonté
droite préfère l'intellection que la volition.
Articles 3 et 4
1°) Dieu est la béatitude objective de tous les bienheureux, mais non leur béatitude formelle, qui
consiste dans leur acte de vision : là se trouvent des degrés divers.
2°) Tout ce qui est désirable dans toute béatitude, soit vraie, soit fausse, préexiste totalement et
éminemment dans la divine béatitude. Elle possède la contemplation très certaine de soi et de tout le reste
(félicité contemplative) ; elle gouverne tout l'univers (félicité active).
– 202 –
Complément : la Sainteté de Dieu
Saint Thomas ne consacre pas d’article à la Sainteté de Dieu.
Garrigou-Lagrange donne quelques lignes à ce sujet en complément de la question sur la volonté
divine (p. 463) : la volonté de Dieu, impeccable, est absolument sainte, elle est la Sainteté même. Et il dit que
le mot « bénignité » désigne la sainteté de Dieu en tant que communicative.
Au point de vue biblique, on trouvera un petit résumé dans Courth, p. 89-93.
Voir aussi : ST1 q36 a1ad1 (à propos du nom de la 3e Personne divine) : “ Per hoc vero quod dicitur
sanctus, significatur puritas divinae bonitatis ”.
DC n° 2283, 5 janvier 2003, 11-12 : Jean-Paul II, audience générale du 27 novembre 2002 : « Saint est
le Nom du Seigneur » (sur le Psaume 98).
Jean-Paul II, catéchèse du 11 décembre 1985 (et du 18) : sur « Dieu trois fois saint ». Importants
éléments sur la Sainteté de Dieu : séparation, gloire, etc. ; référence à Rudolph Otto (et autres philosophes
de la religion). Thèmes du fascinosum (enchantement; irradiation de la Gloire) et du tremendum (crainte;
séparation, inaccessibilité).
DC n° 2354, 19 mars 2006, p. 264-265 : audience de Benoît XVI, 8 février : sur le Ps 144, 14-21 :
Dieu fidèle et saint.
La Sainteté de Dieu est aussi mise en lumière, dans son aspect « sacré », avec le traité de la vertu de
religion.
75 Guérard des Lauriers, Le Sacrifice, p. 47-48. Les mises en gras ou italiques sont de nous.
– 203 –
De Deo Uno – Attributs divins opératifs
– 204 –
Table des matières
Éléments bibliographiques........................................................................................................I
L’existence de Dieu ............................................................................................................... 1
Est-ce que Dieu est ? (q2) .............................................................................................................................1
Est-il connu par soi que Dieu est ? (q2 a1) .....................................................................................................................1
État de la question ........................................................................................................................................................1
Réponse principale .......................................................................................................................................................2
Bref examen des objections .........................................................................................................................................3
La connaissance naturelle de Dieu selon de Lubac 1947 ............................................................................................4
Est-il démontrable que Dieu est? (q2 a2) ........................................................................................................................5
État de la question ........................................................................................................................................................5
Doctrine Révélée ..........................................................................................................................................................6
Examen Théologique ..................................................................................................................................................12
Est-ce que Dieu est ? (q2 a3) ..........................................................................................................................................14
L’affirmation révélée ...................................................................................................................................................14
Remarques préliminaires sur les « cinq voies » .........................................................................................................15
Les cinq voies .............................................................................................................................................................16
Les attributs divins entitatifs ......................................................................................... 22
La simplicité de Dieu (q 3) ........................................................................................................................ 22
Quelques données positives ..........................................................................................................................................22
Adversaires .................................................................................................................................................................23
Doctrine de l’Église .....................................................................................................................................................23
Données de l’Écriture Sainte ......................................................................................................................................24
Quelques références patristiques ...............................................................................................................................25
Dieu est-il un corps ? (q3 a1) .........................................................................................................................................25
Y a-t-il en Dieu composition de forme et de matière ? (q3 a2) ....................................................................................26
Dieu est-il le même que son essence ou sa nature ? (q3 a3) ......................................................................................27
En Dieu, l’essence et l’être sont-ils identiques ? (q3 a4) .............................................................................................28
La réponse de saint Thomas ......................................................................................................................................28
Corollaires ..................................................................................................................................................................29
Dieu est-il dans un genre ? (q3 a5) ................................................................................................................................29
Y-a-t-il des accidents en Dieu ? (q3 a6) .........................................................................................................................30
Dieu est-il absolument simple ? (q3 a7) ........................................................................................................................31
Dieu entre-t-il en composition avec d’autres choses ? (q3 a8) ...................................................................................32
Trois formes de panthéisme .......................................................................................................................................32
Réponse et exposé de l’article ...................................................................................................................................33
Récapitulatif ....................................................................................................................................................................34
La perfection de Dieu (q4) ........................................................................................................................ 35
Dieu est-il parfait ? (q4 a1) ..............................................................................................................................................35
État de la question – doctrine de l’Église ....................................................................................................................35
Raison théologique .....................................................................................................................................................35
Les perfections de toutes les choses sont-elles en Dieu ? (q4 a2) ............................................................................36
État de la question ......................................................................................................................................................36
Conclusion ..................................................................................................................................................................37
Arguments de saint Thomas .......................................................................................................................................38
Précisions essentielles ...............................................................................................................................................38
Une créature peut-elle être semblable à Dieu ? (q4 a3) ...............................................................................................39
État de la question ......................................................................................................................................................39
– 205 –
De Deo Uno – Notes Professeur
– 206 –
De Deo Uno – Notes Professeur
– 207 –
De Deo Uno – Notes Professeur
Thèse..........................................................................................................................................................................99
Raison théologique .....................................................................................................................................................99
Ceux qui voient Dieu par essence, voient-ils tout en lui ? (q12 a8)..........................................................................100
Les choses vues en Dieu par ceux qui voient l’essence divine sont-elles vues par des similitudes ? (q12 a9) .100
Ceux qui voient Dieu par essence voient-ils en même temps tout ce qu’ils voient en lui ? (q12 a10) ................101
Quelqu’un peut-il, en cette vie, voir Dieu par essence ? (q12 a11) .........................................................................101
Pouvons-nous connaître Dieu par la raison naturelle en cette vie ? (q12 a12) ......................................................101
A-t-on par la grâce une plus haute connaissance de Dieu que par la raison naturelle ? (q12 a13) .....................102
Les Noms Divins (q13) ............................................................................................................................ 102
Quelque nom convient-il à Dieu ? (q13 a1) .................................................................................................................103
Difficultés ..................................................................................................................................................................103
Réponse ...................................................................................................................................................................103
Réponse aux objections ...........................................................................................................................................104
Quelque nom est-il dit de Dieu substantiellement ? (q13 a2)....................................................................................104
État de la question ....................................................................................................................................................104
Conclusion ................................................................................................................................................................104
Quelque nom est-il dit de Dieu proprement ? (q13 a3) ..............................................................................................107
Les noms dits de Dieu sont-ils synonymes ? (q13 a4) ..............................................................................................107
État de la question ....................................................................................................................................................107
Conclusion ................................................................................................................................................................108
Ce qui est dit de Dieu et des créatures est-il dit d’eux univoquement ? (q13 a5) ...................................................109
État de la question ....................................................................................................................................................109
Réponse ...................................................................................................................................................................110
Les noms sont-ils dits des créatures avant d'être dits de Dieu ? (q13 a6) ..............................................................112
Les noms qui comportent une relation aux créatures sont-ils dits de Dieu temporellement ? (q13 a7) ..............112
Le nom : « Dieu » (q13 a8 – a10) ..................................................................................................................................113
Ce nom, « Dieu », est-il un nom de nature ? (a 8) ...................................................................................................113
Ce nom "Dieu" est-il communicable ? (a 9) .............................................................................................................113
Ce nom, “ Dieu ”, est-il dit univoquement du vrai Dieu, des idoles, des justes ? (q13 a10) .....................................114
Le nom "Celui qui est" est-il le nom le plus propre de Dieu ? (q13 a11) .................................................................114
Peut-on former des propositions affirmatives sur Dieu? (q13 a12) ........................................................................115
La nature divine et ses attributs : vue synthétique .................................................................... 115
Le constitutif formel de la nature divine selon notre mode de connaître ................................................................115
État de la question ....................................................................................................................................................115
Les diverses positions ..............................................................................................................................................115
Solution (entre 3° et 4°)............................................................................................................................................117
Les attributs divins en général .....................................................................................................................................117
Comment définir l'attribut divin ? ..............................................................................................................................117
Comment diviser les attributs divins ? ......................................................................................................................118
Comment les attributs divins se distinguent-ils entre eux et de l'essence divine ? ..................................................118
En quel sens les perfections divines sont en Dieu "formaliter eminenter" ? ..........................................................120
Signification dans cette expression de "formaliter" ...................................................................................................120
Signification, dans cette expression, de « eminenter » ............................................................................................120
Attributs divins opératifs .............................................................................................. 122
La science de Dieu (q14) ........................................................................................................................ 122
Y-a-t-il science en Dieu ? (q14 a1)................................................................................................................................122
Dieu se connaît-il intellectuellement Lui-Même ? (q14 a2) ........................................................................................125
Dieu se comprend-il ? (q14 a3) ....................................................................................................................................126
L'intelliger de Dieu est-il sa substance ? (q14 a4)......................................................................................................126
Dieu connaît-il d'autre chose que soi ? (q14 a5) ........................................................................................................128
État de la question ....................................................................................................................................................128
Première conclusion .................................................................................................................................................128
– 208 –
De Deo Uno – Notes Professeur
– 209 –
De Deo Uno – Notes Professeur
– 210 –
De Deo Uno – Notes Professeur
La prédestination pose-t-elle quelque chose dans le prédestiné ? (q23 a2) ..........................................................188
Dieu réprouve-t-il quelque homme? (q23 a3) ............................................................................................................189
Notions ....................................................................................................................................................................189
Doctrine de l'Église ..................................................................................................................................................190
Les prédestinés sont-ils choisis par Dieu? (q23 a4).................................................................................................191
La prescience des mérites est-elle cause de la prédestination ? (q23 a5) .............................................................192
Réponse principale de saint Thomas ......................................................................................................................192
Le texte de saint Thomas ........................................................................................................................................193
Les erreurs rejetées par saint Thomas....................................................................................................................193
Deux importantes conclusions ultérieures (2de partie de l'article) ...........................................................................194
Deux précisions (ad 3) ............................................................................................................................................195
La prédestination est-elle certaine? (q23 a6) ............................................................................................................196
Articles 7 et 8 ................................................................................................................................................................197
Le livre de vie (q24) ................................................................................................................................ 197
La puissance de Dieu (q25) .................................................................................................................. 197
Y-a-t-il puissance en Dieu? (q25 a1) ...........................................................................................................................197
La puissance de Dieu est-elle infinie ? (q25 a2) ........................................................................................................198
Dieu est-il tout puissant ? (q25 a3) .............................................................................................................................198
Dieu peut-il faire que les choses passées n'aient pas été? (q25 a4).......................................................................199
Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas? (q25 a5) ..........................................................................................................199
Dieu peut-il faire meilleures les choses qu'il fait ? (q25 a6) ....................................................................................200
La divine béatitude (q26) ...................................................................................................................... 200
La béatitude convient-elle à Dieu? (q26 a1)...............................................................................................................201
Dieu est-il bienheureux selon l'intellect? (q26 a2) ....................................................................................................201
Articles 3 et 4 ................................................................................................................................................................202
Complément : la Sainteté de Dieu .............................................................................. 203
Table des matières................................................................................................................. 205
– 211 –