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Bibliothèque de l'école des

chartes

La théologie de Tertullien
Pierre Langlois

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Langlois Pierre. La théologie de Tertullien. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1967, tome 125, livraison 2. pp. 438-444;

doi : https://doi.org/10.3406/bec.1967.449769

https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1967_num_125_2_449769

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BIBLIOGRAPHIE

I
DISCUSSIONS

LA THÉOLOGIE DE TERTULLIEN
L'exposé de la doctrine trinitaire de Tertullien occupe à peine une
page dans le Précis de patrologie de B. Altaner adapté par H. Chirat
(Mulhouse, Salvator, 1961, p. 245). Il n'y paraît pas que cette doctrine
cause des difficultés. Dans l'œuvre de Tertullien même, il n'y a qu'un
seul petit traité trinitaire, d'une soixantaine de pages dans le Corpus
de Vienne : c'est VAduersus Praxean, écrit vers 213, en pleine période
montaniste par conséquent, contre un hérétique monarchien. Le texte
m'en a paru encombré de conjectures, notamment de l'éditeur du
Corpus, Ae. Kroymann (Tertulliani opera III, G. S. E. L., t. 47,
Vienne, 1906), mais il est parfaitement compréhensible. Là-dessus le
P. Moingt nous offre un livre considérable de plus de mille pages 1, dont
l'habileté donne à tout moment l'envie de lui tendre les mains, mais
dont la complexité laisse finalement rêveur. Encore ne s'agit-il que
des trois premiers volumes du travail ; un quatrième tome est prévu,
qui comprendra un répertoire lexicographique (index des mots de
Tertullien expliqués dans l'ouvrage et index de la langue trinitaire
de Tertullien), un répertoire des noms propres des auteurs modernes
utilisés et des citations de la Bible, de Tertullien et de ses
contemporains faites passim, enfin une table analytique des sujets étudiés
ou abordés. Il faut bien dire que ce quatrième volume, fondement
de l'ouvrage actuel, risque d'en constituer en même temps une clé
qui, pour le moment, fait cruellement défaut.
Le premier volume porte en sous-titre Histoire, doctrine, méthodes.
Il fait en effet successivement Vhistoire de la réflexion trinitaire dans
l'œuvre de Tertullien et celle de la crise monarchienne dans l'Église

1. Joseph Moingt, Théologie trinitaire de Tertullien. I : Histoire, doctrine,


méthodes; II : Substantialité et individualité; III : Unité et processions, Paris,
Aubier, 1966, 1.096 pages. (Collection « Théologie », n0B 68, 69, 70.)
BIBLIOGRAPHIE 439
du iie siècle. Il examine les conceptions théologiques de Tertullien
et la doctrine monarchienne. Il analyse VAduersus Praxean, y étudie
le plan, les divers types d'arguments, l'organisation du langage
rationnel, autrement dit les méthodes de Tertullien, dont les principales
déclarations à ce sujet ont été au préalable recueillies dans d'autres
traités. Cela pour se mettre à pied d'oeuvre.
On arrive au cœur du sujet avec les deux volumes suivants.
Laissons la parole au P. Moingt : « Le cœur du sujet, ce sera l'étude des
raisonnements, par lesquels sont expliquées, et des mots, par lesquels
sont exprimées la pluralité et l'unité de Dieu » (p. 10). Il y a en effet
deux visées dans l'ouvrage. Le P. Moingt poursuit d'une part un but
philologique, examiner le vocabulaire théologique de Tertullien,
c'est-à-dire une centaine de mots techniques. Sans doute bien des
études ont déjà été consacrées à tel ou tel mot. Le P. Moingt ne se
flatte pas seulement d'en confronter et d'en réunir les résultats
partiels dans une synthèse. Il regrette (et comment ne pas lui donner
raison?) que certaines de ces études se satisfassent d'étudier un petit
nombre d'exemples, jugés plus représentatifs, au lieu d'utiliser des
dénombrements complets. Cependant un travail au moins, l'excellente
thèse de R. Braun, Deus christianorum. Recherches sur le vocabulaire
doctrinal de Tertullien (Paris, Presses Universitaires, 1962), échappe à
ces reproches et se trouve même avoir ravi par avance une partie des
effets du P. Moingt, qui le reconnaît sportivement.
Son deuxième but est plus original, mais en même temps plus
difficile. Il est aisé, dit-il, de résumer la théologie de Tertullien. « Quant
à savoir ce qu'il en pensait, lui, et à expliquer et à prouver
l'interprétation qu'on en donne, c'est une tout autre affaire (p. 10). A l'analyse
sémantique des vocables doit s'ajouter l'analyse philosophique du
contexte idéologique, des discussions et des arguments... Seules les
intentions du discours déterminent le sens et l'usage des mots » (p. 13).
Autrement dit encore le philologue, si rigoureux, si exact soit-il,
accumule des matériaux qu'il revient au seul théologien d'exploiter. Et le
P. Moingt avait déjà pris ses distances dans cette perspective vis-à-vis
de la thèse de R. Braun [Recherches de science religieuse, t. LU, 1964,
p. 248-260). Je pense qu'il est utile de déterminer les schemes de
pensée et d'argumentation d'un écrivain, ses habitudes de
raisonnement, ce que le P. Moingt appelle une « philosophie première » et qu'il
serait peut-être plus simple d'appeler une logique. Il n'est pas moins
profitable de voir un esprit rompu à la problématique de la théologie
chrétienne se consacrer précisément à l'étude d'un vocabulaire
théologique, encore qu'aux origines de la théologie, et c'est le cas avec
Tertullien, il faille certainement penser au moins autant en philosophe
habitué aux raisonnements des systèmes antiques, qu'en théologien
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formé selon les catégories de saint Thomas. Surtout je reste un peu
sceptique devant la grande idée du P. Moingt, selon laquelle c'est en
définitive au delà du vocabulaire, dans le discours, qu'il faut juger
les mots, l'intention de l'écrivain étant le meilleur guide pour fixer
le sens des vocables, et le critique procédant par comparaison d'un
type de raisonnement qu'il a identifié à un raisonnement analogue.
En tout cas, la méthode me semble assez subjective, donc d'une
application très délicate.
Mais il faut en revenir au déroulement de l'ouvrage. Le deuxième
volume étudie donc « tout ce qui se rapporte à la visée de la
distribution trinitaire » (p. 297), c'est-à-dire essentiellement le concept de
substance, puis le vocabulaire de la particularité (species et gradus)
et de l'individualité (forma et proprietas), enfin le mot persona. Les
résultats sont les suivants : Tertullien a d'abord préjugé la substan-
tialité du Sermo. Contre Praxéas, qui refuse de considérer le Sermo
comme un être réel, Tertullien affirme que, dans la pensée de Dieu il
y a nécessairement un Discours, et que ce Discours, en Dieu, doit être
une substance. Cette substance a trois aspects : elle désigne un être
corporel (corpus), un être qui a une existence particulière (pourquoi
inventer le mot « subsistence »?), un être de même substance que son
principe. Envisagée sous l'angle de la particularité, la Trinité se divise
en êtres qui sont comme les parties d'un tout (species), les chaînons
d'un développement organique (gradus) ; proprietas et forma désignent
l'existence individuelle, le premier « dans son extériorité économique »
(caractère singulier d'un être), le second « dans son principe
métaphysique » (qualités distinctives d'un individu). C'est là, le P. Moingt
le souligne à juste titre, un vocabulaire riche et cohérent, mais
matérialiste (pourquoi inventer le mot « chosiste »?) ; pouvait-il en être
autrement? Quant au fameux persona, il fait apparaître le Père, le Fils et
l'Esprit comme des personnages différents, des individus distincts ;
Tertullien ne lui aurait pas donné de contenu philosophique ; ici la
discussion m'a paru embarrassée et, par conséquent, moins
contraignante.
Le troisième volume envisage « ce qui concerne le problème de l'unité
et des origines » (p. 297). Il s'agit d'abord des mots qui déterminent
l'unité (pourquoi parler d' « unicité »?) de Dieu, adjectifs comme
unicus, unus, solus, singularis, substantifs comme singularitas, unio,
unitas, etc. Il y aurait sur ce point un progrès dans la pensée de
Tertullien, de l'Apologétique (197) à VAduersus Praxean (213). Dans la
même perspective sont étudiés les mots status et potestas à cause de
la formule : très unius substantiae et unius status et unius potestatis
(Adu. Prax., u). La conciliation de l'unité de substance avec la
distinction des personnes est exprimée par les mots oikonomia et dispo-
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sitio, lequel entraîne à sa suite un autre couple, l'opposition summa-
portio. Le théologien triomphe dans la différenciation des mots oiko-
nomia et dispositio : « La notion d' « économie » est une idée doctrinale
et une catégorie historique ; celle de « disposition » est un concept
philosophique. L'une vise à la démonstration, elle répond à des « pour-
« quoi » ; l'autre vise au raisonnement, elle répond à des « comment ».
L'une est tournée vers la révélation des Personnes, elle se meut au
plan de l'apparaître historique de Dieu ; l'autre est tournée vers la
substance, elle se meut au. plan de l'être. La première prouve et la
distinction et l'unité des Personnes dans le plan de Dieu ; la seconde
définit la distinction dans l'unité de la substance » (p. 931). Les trois
derniers chapitres du volume sont consacrés aux processions divines ;
le chapitre vi traite de l'idée de consubstantialité, le chapitre vu des
métaphores des prolationes, le chapitre vin des origines éternelles,
l'examen remontant « de l'effet à la cause, du temps à
l'éternité ».
Il serait faux de nier la grande richesse de ce livre, l'extraordinaire
connaissance de Tertullien dont il fait preuve. Il serait également très
injuste de rejeter un certain nombre de résultats positifs qui paraissent
heureusement acquis. Ainsi, parlant du Père, Tertullien l'appelle
tota substantia et, parlant du Fils, il l'appelle deriuatio totius et portio-
Le P. Moingt montre finement que « le rapport tota substantia-portio
totius ne signifie pas le partage quantitatif d'une masse, mais le
rapport de contenant à contenu, quod continet, quod continetur » (p. 949).
Il en va de même de ce modulus par lequel le Père et le Fils sont
différents l'un de l'autre [alius ab alio, Adu. Prax., ix, 1). On ne peut
que se réjouir de voir la théologie de Tertullien définie, précisée et
appréciée dans une perspective théologique. J'ose à peine avancer que
le P. Moingt me semble, historiquement, faire la part un peu trop
belle à Tertullien. La théologie de Praxéas est une théologie rétrograde,
soit; elle apparaît comme la continuation du monothéisme juif et
Tertullien lui-même souligne l'apparentement en conclusion de VAduer-
sus Praxean : Ceterurn Iudicae fidei ista res, si unum Deum credere, ut
Filium ad numerareei nolis et post Filium Spiritum (xxxi, 1). Je me
demande pourtant s'il n'y aurait pas un rapport entre les outrances
monarchiennes de Praxéas et son opposition au montanisme, lequel,
sans être absolument hérétique, pouvait prêter à des réactions de ce
genre en désignant dans l'œuvre du Paraclet l'aboutissement du plan
inauguré par Dieu dès la création. Tertullien ne montre-t-il pas le
bout de l'oreille quand il écrit, tout au début cette fois du même Ad-
uersus Praxean : Et nos quidem postea agnitio Paracleti atque defensio
disiunxit a psychicis (i, 7)? (Sur le Paraclet, cf. Adu. Prax., i, 5 :
Praxéas... Paracletum fugauit ; il, 1 : Nos... ut instructiores per Para-
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cletum ; vin, 5 : quemadmodum etiam Paracletus docet ; xm, 5 : Nos
enim... maxime Paracleti, non hominum discipuli).
D'autre part, parce que « cette étude se veut et restera de bout en
bout résolument théologique » (p. 23), le P. Moingt n'a-t-il pas un
peu négligé les secours que pouvait lui apporter la philologie et les
règles qu'elle impose? Sur le plan des secours, j'envisagerai seulement
ce qu'il dit du plan de VAduersus Praxean (p. 226 sq.). Selon lui
Tertullien aurait « inventé » la notion de plan « logique » du « traité
chrétien ». Et VAduersusPraxean se diviserait comme suit : praestructiones
(chap, i-x), démonstration scripturaire, premier temps (chap, xi-
xvii), contre-démonstration (chap, xvin-xxvi), réfutations
complémentaires (chap, xxvn-xxxi). Que Tertullien soit un des premiers à
avoir écrit des traités chrétiens et qu'il ait eu l'idée d'une structure
pour ces traités, c'est ce qu'on accordera facilement ; mais comment
ne pas penser qu'il a adapté, en bon élève des écoles de rhétorique,
des structures préexistantes? Je me tourne donc, au moins à titre
d'hypothèse de travail, vers les traités de Sénèque et les lumineuses
analyses qu'en a données récemment M. P. Grimai, De constantia
sapientis, Commentaire (Paris, Les Belles Lettres, 1953), De breuitate
uitae, édition, introduction et commentaire (Paris, Presses
universitaires, 1959). M. Grimai distingue avec raison, conformément aux
recettes de la rhétorique, exorde, narratio, proposition diuisio, argu-
mentatio, peroratio. A mon sens, ce que le P. Moingt appelle
praestructiones, c'est l'ensemble de l'exorde (chap, i, avec l'image amusante
du diable inspirant Praxéas) et de la narratio (chap. ii-x). Les
différents problèmes y sont en effet exposés : citation de la règle de foi
chrétienne (n), question du mot monarchia (ni-iv), le Fils, Logos et
Sermo (v-vi), première collection de textes scripturaires (vu),
question de la probolè (vin), du mot alius (ix), de ce qui est possible et
impossible à Dieu (x). Ensuite vient la propositio (xi) : il faut prouver
par les Écritures (probare ex scripturis) et Tertullien donne un premier
exemple qui lui permet de conclure : His itaque paucis tarnen manifeste
distinctio irinitatis exponitur (xi, 9).
\J argumentât™ peut alors se développer. Elle se fera pour l'essentiel
en deux temps, mais autrement, je crois, que ne l'affirme le P. Moingt.
Il ne s'agit pas en effet d'une démonstration suivie d'une
contre-démonstration, c'est-à-dire d'un exposé de la thèse orthodoxe suivi de
la réfutation des preuves adverses, mais de preuves tirées de l'Ancien
Testament (xii-xiv) suivies de preuves tirées du Nouveau Testament
(xv-xxvi). Je crois que le P. Moingt n'a pas bien compris la phrase :
Si hune articulum quaestionibus scripturae ueteris non expediam, de
nouo testamento sumam confirmationem noslrae inter pretationis (xv, 1).
Il traduit (p. 235) : « Si je n'instruisais pas ce point de mon exposé au
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moyen d'enquêtes menées dans les vieilles Écritures, je tirerai {sic)
du Nouveau Testament une confirmation de mon interprétation. »
Et il commente (Ibid.) : « Par une rouerie d'avocat il déclare qu'il ne
se permettrait pas de verser au dossier des pièces qui ne concernent
pas directement la partie de l'instruction en cours, ... ce qu'il
s'empresse aussitôt de faire. » Mais c'est fausser le sens d'expediam, qui
doit en même temps être un futur de l'indicatif plutôt qu'un subjonctif
potentiel. Tertullien déclare : « Si je ne viens pas à bout de ce point
(de mon argumentation) en interrogeant l'Ancien Testament, je tirerai
confirmation du Nouveau. » II le fait, et c'est bien normal.
Ou encore, afin de tenir compte de la structure particulière des
chapitres xvi-xix, on distinguera des questions nécessitant des preuves
mixtes, tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament (xv-xix), suivies
de preuves tirées du seul Nouveau Testament (xx-xxvi). On notera
dans cette partie un véritable commentaire suivi de l'Évangile de
Jean. Dans cette préférence pour l'auteur de Y Apocalypse comme
dans la longueur de cette partie de Y argumentatio utilisant le Nouveau
Testament, on acceptera peut-être de reconnaître encore le monta-
niste, que le P. Moingt a quelque peu laissé dans l'ombre. Dans les
chapitres xxvn-xxx il s'agit bien de « compléments ». Le chapitre xxxi
forme la péroraison avec l'accusation de judaïsme qui répond en
quelque sorte à l'image de l'exorde.
Ces remarques m'amènent naturellement aux exigences de la
philologie que j'évoquais tout à l'heure. Généralement le P. Moingt ne cite
pas les textes latins ; il se contente d'en donner une traduction. Sans
doute c'eût été grossir encore un livre déjà presque démesuré. Mais il
est regrettable que ces traductions en prennent à leur aise avec le
texte. Voici un exemple très fâcheux. Tertullien écrit : Ergo, quia duos
et unum, inquiunt, inuenimus, ideo ambo unus atque idem Filius et
Pater. Porro non periclitatur scriplura ut Uli de tua argumentatione
succurras ne sibi contraria videatur (Adu. Prax., XVIII, 1-2). Le P.
Moingt traduit la deuxième phrase : « Mais l'Écriture ne court pas le
risque de paraître se contredire, afin que tu succombes par son fait
sous le poids de ta propre argumentation » (p. 236). Il n'y a pas de
variantes dans les éditions. La phrase signifie en réalité : « Or
l'Écriture ne court pas un tel risque qu'il te faille lui porter secours avec ton
argumentation pour qu'elle ne paraisse pas se contredire. » Je
m'empresse de dire que ce cas de contre-sens est exceptionnel. On remarque
cependant un grand nombre d'inexactitudes. Il me semble que le
P. Moingt aurait mieux fait de publier à part une édition-traduction
de Y Aduersus Praxean, ce qui l'aurait en quelque sorte incité à remédier
à ces petites imperfections et qui, en même temps, aurait allégé le
présent ouvrage ; celui-ci, je le note en passant pour finir, aurait dû
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être revu de plus près en ce qui concerne la correction de la langue ;
j'ai déjà signalé l'abus des calques de mots latins qui sont autant de
termes ne figurant pas dans un dictionnaire français usuel ; je relève
encore notamment la fréquente confusion du passé simple de
l'indicatif et de l'imparfait du subjonctif ; exemple : « Le second dira
comment il dût retourner ses positions » (p. 690).
Mais je ne voudrais pas rester sur ces critiques désagréables. En
publiant, en élargissant peut-être aussi la thèse qu'il avait soutenue
en 1963 devant la Faculté de Théologie de Paris sous le titre La
théologie trinitaire de Tertullien, distinction et unité, le P. Moingt vient de
nous donner un beau livre. Il restera indispensable, notamment par
les éclaircissements qu'il apporte sur les doctrines hérétiques du
ne siècle, et par les précisions qu'il fournit sur l'originalité de la langue
proprement théologique de Tertullien. A cet égard la conclusion du
livre (p. 1075-1091), par ses points de vue nombreux, par son sens des
nuances, est tout à fait remarquable.
Pierre Langlois.

LES PAYSANS DU LANGUEDOC


Deux cents ans après l'œuvre classique de dom Devic et dom Vais-
sete, le Languedoc reçoit à nouveau une histoire monumentale1. Si,
quelques mois après sa parution, le livre de M. Le Roy-Ladurie est
déjà célèbre, ce n'est pas sans raison. Parce que sa méthode est
perspicace, son exposé incisif et ses conceptions originales, cette étude
dépasse son objet et, au delà des marais littoraux, des vignobles
ensoleillés et des maquis des hautes garrigues, prend figure de modèle
économique. Au delà des limites traditionnelles de l'histoire locale,
elle a valeur exemplaire pour toute la science historique.
Comme il n'y a pas dans ce domaine de démarche originale sans
archives, le cadre de cette revue paraît convenable pour l'examen
des sources privilégiées où l'auteur a su retrouver patiemment les
traces de cette chronique agraire, longue de quatre siècles, des
défrichements de la fin des guerres de Cent ans jusqu'aux agronomes du
temps de Louis XV. L'histoire de cette économie, l'auteur l'a demandée
aux longues suites de baux de dîmes conservés dans les séries G des
archives départementales, parmi les comptes des trésoriers des
chapitres. En effet, les enchères obtenues par les fermiers de dîmes
correspondaient à peu près au revenu réellement perçu ou, du moins,
variaient de baux à baux au même rythme. La recette effective du

1. Emmanuel Le Roy-Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, S. E. V.


P. E. N., 1966, 2 vol. in-8°, 1.035 p., ill. (Bibliothèque générale de l'École
pratique des Hautes Études, VIe section).

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