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Enciso Angel. Approches sur Dieu au XVIIIe siècle. In: Revue théologique de Louvain, 4ᵉ année, fasc. 2, 1973. pp. 191-216;
doi : https://doi.org/10.3406/thlou.1973.1242
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1973_num_4_2_1242
I. — Un déplacement théologique
(*) Le texte de cet article est le compte rendu d'un séminaire de dogmatique tenu
dans notre Faculté au cours de l'année académique 1971-1972, sous la direction de
M. le Professeur Adolphe Gesché et avec la participation de A. Abascal, V. Baguette,
J. Blanpain, P. Caucheteur, É. Descampe, A. Enciso, É. Higuet, L. Lacabe, B. Mi-
kolajczak, A. Perez de Laborda, P. Vanbergen, Th. Vandermosten, Mary Wolff-
Salin. Ce sont leurs interventions et les comptes rendus des séances qui ont permis la
rédaction de cet article. En l'écrivant, nous avons voulu fixer, sans doute d'une façon
trop sommaire, l'acquis obtenu pour poursuivre ultérieurement la recherche.
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rendu de ces ouvrages, par ailleurs bien connus et sur lesquels on a dit
et on pourrait dire beaucoup plus. Nous essayons de reprendre ce que
les discussions dans le séminaire ont réussi à mettre en relief,
principalement les questions d'ordre méthodologique dans l'approche des idées
du XVIIIe siècle que nous considérons comme acquises pour l'avenir
de nos recherches.
à Dieu, on voit apparaître le déisme anglais et, avec lui, la religion dite
naturelle. L'idée même de nature humaine évolue : le « bon sauvage »
et le droit naturel apparaissent souvent en opposition avec la théologie
qui, pourtant, les avait, d'une certaine manière, engendrés. De nouvelles
vertus donnent forme à une morale qui commence à devenir laïque :
la tolérance et les vertus sociales qui proclament un certain hédonisme
face à une morale traditionnelle rejetée comme obscurantiste. La
théologie spéculative s'enferme alors dans l'apologétique et seuls les
courants spirituels, — Fénelon et, ailleurs, les courants piétistes, —
parviennent encore à donner la réplique.
Dans les sciences, la mathématique présente le modèle de la
connaissance sûre. L'histoire comme science fait faillite et est remplacée par
des histoires mythologisées; mais d'obscurs travaux de compilateurs
sont en train de refaire ailleurs une nouvelle « scientifîcité » de l'histoire.
Au niveau social, le pouvoir n'est plus tenu pour un privilège de droit
divin et le bourgeois se rend de plus en plus conquérant. Le nouveau
type humain n'est plus celui de l'aristocrate, mais du bourgeois : cultivé
et tolérant. L'esthétique, malgré des règles encore fort oppressives,
commence à laisser plus de place au sentiment.
C'est principalement un travail de type descriptif que P. Hazard a
réalisé. Et ceci marque ses limites. Pour l'auteur, ce sont les idées des
hommes (forces intellectuelles et morales) et non pas les conditions
sociales, qui guident et dirigent l'histoire. Dès lors, faire de l'histoire,
être historien, consiste à présenter la pensée des grands génies d'une
époque, parce qu'on les considère comme ceux qui l'ont finalement
façonnée. Description et explication se confondent. La vérité d'une
époque donnée, si l'on suit cette voie descriptive, se trouve dans la
répétition de ce que les génies vivant à ce moment-là ont déjà dit.
Certes, cette méthode a un avantage : elle fait appel aux sources.
Mais elle est insuffisante. Car la transparence que la description prétend
expliciter est un leurre. Les « génies » auxquels il est fait appel sont
surtout difficiles à comprendre; les décrire c'est les réduire. Plus grave
encore : entre ces « génies », les accords et les désaccords ne sont pas
évidents. A les rendre trop explicites, souvent on les brusque. Mais
surtout, s'il est vrai que les auteurs ont conditionné leur époque et
l'avenir de leur époque, eux aussi étaient des produits conditionnés.
Les conditionnements ne se trouvent pas dans la clarté de leurs écrits,
mais dans les épaisseurs de la vie sociale. Voir une crise comme crise
de conscience ne peut pas vouloir dire qu'en elle se rencontre la dernière
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8 Trinité (Add. 45-47); Christologie (Add. 24, 27, 34, 35, 38-40, 60, 61). Péché
originel (Add. 16, 43). Sotériologie (Add. 7, 10, 14, 15, 22, 54, 56, 58, 68). Divinité
de l'Écriture (Add. 21, 34-37, 44, 63, 64). Eucharistie (Add. 28-30, 38). Baptême (Add.
33).
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tiens est un père qui fait grand cas de ses pommes et fort peu de ses
enfants » (Add. 15). « S'il y a cent mille damnés pour un sauvé, le diable
a toujours l'avantage, sans avoir abandonné son fils à la mort » (Add. 16).
« Dieu le père juge les hommes dignes de sa vengeance éternelle; Dieu
le fils les juge dignes de sa miséricorde infinie; le Saint Esprit reste
neutre » (Add. 25). « Partout on a vu les peuples entraînés par un seul faux
miracle et Jésus-Christ n'a pu rien faire du peuple juif avec une infinité
de miracles vrais » (Add. 26). « C'est ce miracle-là de l'incrédulité des
juifs qu'il faut faire valoir et non celui de la résurrection ...» (Add. 47).
Cet abus de la raison qui « fonde » la foi ne nous procure pas seulement
des dogmes irrationnels et ridicules, il engendre aussi une morale
pernicieuse et offensante pour la nature de l'homme, à cause de sa rigueur
trop cruelle 9. Il faut tenir compte ici du fait que Diderot a devant les
yeux les querelles sur le mérite qui ont proliféré aux XVIIe et XVIIIe
siècles et surtout qu'il se trouvait confronté aux jansénistes, lesquels
sont du reste souvent pris à partie 10.
Face au courant négatif représenté par la foi, le dogme et la morale
religieuse, Diderot oppose un courant positif représenté par la nature,
la raison et la morale naturelle. Nous avons uniquement, cette fois,
quelques énoncés généraux, ce qui contraste avec l'abondance de l'ironie
critique développée contre la foi. Philosophiquement, il faut bien le dire,
l'ouvrage est pauvre et s'en tient à quelques affirmations soulignant
l'unité entre Dieu, la nature et notre raison, soulignant aussi l'unité
entre le comportement, l'agir moral et la nature. Ces deux séries
d'identifications semblent cependant, — comme paraît l'indiquer l'Addition
13, — se produire à deux niveaux différents, car il y a une différence
entre la raison de l'homme et son agir, entre sa pensée et ses actes :
ils semblent relever d'une même nature sous deux modes différents.
Le mérite et le démérite ne se trouvent pas au niveau de la raison et,
dans le comportement, les remords et la satisfaction sont l'unique prix
de nos actes.
Disons pour finir que la différence entre V Addition et les Pensées
philosophiques consiste en une critique de la foi, de ses formulations et
de la morale qui en découle, beaucoup plus étendue et beaucoup plus
agressive. Toute reprise éventuelle du christianisme, même rationalisé,
semble dorénavant interdite pour Diderot. Et son déisme, ou ce qu'il
en reste, ne donne de Dieu qu'une image de plus en plus indifférenciée,
9 Voir Add. 10-13 et 69-71.
10 Add. 7, 59, 51.
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Conclusions
Dans la première partie de cet article, nous avons esquissé les traits